Contre-mémoire du Burkina Faso

Document Number
16375
Document Type
Date of the Document

CONTRE-MÉMOIRE DU BURKINA FASO

COUNTER-MEMORIAL OF BURKINA FASO[3-5] 57

1. En application de l’article III du compromis du 16 septembre 1983 et de
l’ordonnance du Président de la Cour en date du 12 avril 1985, les Parties ont
déposé leurs mémoires relatifs au différend frontalier qui les oppose le 3 octobre
1985.
Par une ordonnance du 3 octobre 1985, le président de la Chambre a fixé au
2 avril 1986 la date limite pour le dépôt des contre-mémoires.
Le présent contre-mémoire est présenté en application de cette décision.
2. Depuis la date de dépôt des mémoires, de douloureux événements se sont
produits sur lesquels le Gouvernement du Faso ne souhaite pas revenir.
Il tient cependant à rendre un vif hommage à la Chambre de la Cour interna-
tionale de Justice qui, par la célérité de son intervention et la précision et le carac-

tère équitable des mesures conservatoires qu’elle a indiquées aux Parties dans son
ordonnance du 10 janvier 1986, a efficacement contribué à la restauration du
climat d’apaisement nécessaire à la poursuite de la procédure.
3. Lors de la phase précédente, les Parties dans leur mémoire respectif se sont
longuement exprimées sur les principes juridiques applicables. De l’avis du
Gouvernement burkinabé, il n’y a pas lieu, à ce stade, d’y revenir en détail, sinon
pour souligner les quelques postulats qui lui paraissent fondamentalement inac-
ceptables dans les écritures maliennes, ce qui fera l’objet de développements préli-
minaires (chap. I).
4. Pour le reste, l’essentiel du présent contre-mémoire sera consacré à établir le
bien-fondé des conclusions figurant dans le mémoire du Burkina Faso (p. 190) et
que l’argumentation développée par la Partie malienne n’a pas conduit à modifier,
en suivant de manière précise le tracé de la frontière d’ouest en est.
Il n’a cependant pas paru possible au Gouvernement du Faso de suivre la
distinction bipartite suggérée avec insistance par la République du Mali selon
laquelle il conviendrait de diviser la zone qu’elle revendique en deux secteurs bien
distincts: d’un côté, à l’ouest, une région sédentaire et «délimitée»; de l’autre, à
l’est, une région nomade et «non délimitée». Il y a trois raisons à cette impossi-
bilité.
5. En premier lieu, l’opposition d’un secteur nomade à un secteur sédentaire ne
correspond que très approximativement à la réalité: il est exact que les Peuls, qui

constituent l’ethnie dominante dans la partie occidentale de la zone revendiquée
par le Mali, sont en partie sédentarisés; ils n’en pratiquent pas moins largement
la transhumance, ce qui entraîne d’importantes migrations saisonnières et cette
région continue d’être parcourue par de nombreuses populations purement
nomades, ainsi que le montre par exemple, le croquis dessiné par la directrion de
la cartographie nationale et de la topographie du Mali, relatif aux itinéraires
et lieux du nomadisme des tribus «maliennes» (annexe C/52 au mémoire du
Mali, I). A l’inverse, l’Oudalan, qui est la partie orientale de la zone litigieuse est,
en effet, un terrain de parcours privilégié de nombreux nomades, mais cela n’ex-
clut pas l’existence d’établissements permanents sur les deux rives du Béli,
notamment à Raf Naman, Menzourou et Tin Hrassan.
6. En deuxième lieu, l’opposition entre «zone délimitée» et «zone non déli-
mitée» est plus inacceptable encore. Comme le Gouvernement burkinabé l’éta-
blira (chap. I, sect. 2, par. 1), cette distinction est, en elle-même irrecevable; l’en-
semble de la frontière est délimité, les titres sur lesquels les Parties peuvent se
fonder et les preuves de son tracé qu’elles peuvent avancer, variant d’un secteur
à un autre.58 DIFFÉREND FRONTALIER [5-7]

Encore faut-il remarquer que les titres cartographiques valent pour toute la fron-
tière et ceci est tout particulièrement vrai s’agissant de la carte au 1/200000
dressée par l’IGN(F) en 1958-1959 et publiée en 1960 qui constitue, pour l’en-
semble du tracé litigieux, le titre le plus précis et le plus fiable légué par le colo-
nisateur.
Par ailleurs, le seul titre écrit dont le Mali admet l’existence — l’arrêté général
no 2728 du 27 novembre 1935 — (voir mémoire, p. 132 ou p. 250), a perdu toute

validité juridique lors du rétablissement de la Haute-Volta en 1947, alors qu’il en
existe d’autres, fort importants aux fins du règlement du différend, qui constituent
des titres juridiques très généraux (cf. la lettre 191 CM 2 du 19 février 1935) ou
spéciaux (cf. l’arrêté général du 31 août 1927 et son erratum du 5 octobre), qui,
pour l’essentiel, concernent précisément la partie de la frontière que la Partie
malienne tient pour «non délimitée».
7. Enfin, il est significatif que la Partie malienne mette l’accent non sur la fron-
tière elle-même mais sur le territoire environnant, tentant ainsi de transformer en
un conflit d’attribution territoriale un litige dont le Burkina Faso croit avoir
montré qu’il était de délimitation ( I, mémoire, p. 70 et suiv., et annexe I, p. 55).
Le Mali est ainsi conduit à accorder à ce qu’il appelle les «effectivités» une
importance très excessive au détriment des titres écrits et cartographiques exis-
tants.
Sans récuser, par commodité, le mot «région» pour désigner les diverses
portions de la zone revendiquée par le Mali, le Gouvernement burkinabé entend,
pour sa part s’en tenir à ce qui constitue le seul objet du présent différend: la

détermination du « tracé de la frontière entre (le Burkina Faso) et la République
du Mali dans la zone contestée telle qu’elle est définie» par l’article I du compro-
mis du 16 septembre 1983.
8. Dans cet esprit, il examinera le bien-fondé des arguments développés par la
Partie malienne successivement en ce qui concerne:
i) La section de la frontière située entre Dionouga et le point de coordonnées
14° 43′ 45ʺ de latitude nord et 1° 24 ′15ʺ de longitude ouest (région des quatre
villages); sur le plan juridique ce secteur est caractérisé par:

— l’absence de tout texte de délimitation en vigueur à la date critique;
— la constance du tracé figurant sur les cartes;
— la représentation de la frontière par des croisillons continus sur la carte la plus
récente et la plus fiable publiée par le colonisateur à la veille de l’indépen-
dance;
— la quasi-inexistence des «effectivités coloniales», dans la région, sauf dans
l’un des quatre villages, et l’absence de toute protestation de la part des admi-
nistrateurs coloniaux contre les cartes existantes;

ii) La section de la frontière située entre le point de coordonnées 14° 43 ′45ʺ
nord et 1° 24 ′15ʺ ouest et le mont Tabakarach (région de Soum); sur le plan juri-
dique ce secteur est caractérisé par:
— l’existence d’un texte de délimitation joignant ces deux points extrêmes;
— la constance du tracé figurant sur les cartes, dont la plus récente figure égale-
ment la frontière en croisillons continus dans sa plus grande partie;
— la relative rareté des «effectivités coloniales» qui, cependant, confortent le
tracé cartographique;
— les variations constantes des revendications maliennes dans la région;

iii) La section de la frontière allant du mont Tabakarach au point triple entre
le Burkina Faso, le Mali et le Niger (région du Béli), ce secteur est caractérisé
au point de vue juridique par:[7-8] CONTRE -MÉMOIRE DU BURKINA FASO 59

— l’existence d’un texte de délimitation fixant une limite orographique de
manière précise;
— la constance du profil général du tracé de la frontière figurant sur les cartes;
— la relative abondance et la constance des «effectivités coloniales»;

iv) Le point triple lui-même; celui-ci — qui ne dépend pas du toponyme qui
lui est affecté — est déterminé par un texte écrit formel; est constamment situé
par les cartes dans la même zone géographique; et la pratique administrative colo-
niale comme les accords ultérieurs confirment cette localisation.60 [9-11]

CHAPITRE I

LES PRINCIPES JURIDIQUES APPLICABLES

1. La lecture des mémoires déposés par les Parties permet de dégager un

certain nombre de convergences en ce qui concerne les principes juridiques appli-
cables, notamment en ce qui concerne la notion même de date critique et les
conséquences qui en découlent, en particulier le faible intérêt que présentent pour
le règlement du différend soumis à la Chambre le comportement des deux Etats
après leur indépendance.
Ces convergences dans l’analyse juridique, que le Gouvernement du Faso se
plaît à souligner, permettent de circonscrire la discussion. Elles ne sauraient,
cependant, dissimuler les divergences fondamentales qui subsistent entre les
Parties, non seulement en ce qui concerne l’application au cas d’espèce des prin-
cipes applicables mais aussi la consistance et la portée de ces principes eux-
mêmes.
L’essentiel de ces divergences tient à la présentation et à l’application — ou,
plutôt, au refus d’application — que fait le mémoire malien du principe clé de
l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation. Le Gouvernement de la
République du Mali lui rend certes un hommage formel, mais, cela fait, il s’em-
ploie à le vider de toute substance: l’interprétation qu’il en donne le dénature et,
même sous cette forme lénifiante, il s’ingénie à démontrer qu’il ne doit ni ne peut
être mis en Œuvre. Les deux sections du présent chapitre seront consacrées à
montrer successivement quelle est la portée de ce principe (sect. 1) et que, ainsi
défini, il peut être mis en Œuvre en la présente espèce (sect. 2).

Section 1. Consistance et portée du principe de l’intangibilité des frontières
héritées de la colonisation

2. En première analyse, le Mali semble admettre que «la règle fondamentale du
droit applicable en l’espèce» est «le principe de l’ uti[11-14] CONTRE MÉMOIRE DU BURKINA FASO 6162 DIFFÉREND FRONTALIER [14-15][15-17] CONTRE MÉMOIRE DU BURKINA FASO 6364 DIFFÉREND FRONTALIER [17-19][19-21] CONTRE MÉMOIRE DU BURKINA FASO 6566 DIFFÉREND FRONTALIER [21-24][24-26] CONTRE MÉMOIRE DU BURKINA FASO 6768 DIFFÉREND FRONTALIER [26-28][28-30] CONTRE MÉMOIRE DU BURKINA FASO 6970 DIFFÉREND FRONTALIER [30-33][33-35] CONTRE MÉMOIRE DU BURKINA FASO 7172 DIFFÉREND FRONTALIER [35-37][37-40] CONTRE MÉMOIRE DU BURKINA FASO 7374 DIFFÉREND FRONTALIER [40-42][42-44] CONTRE MÉMOIRE DU BURKINA FASO 7576 DIFFÉREND FRONTALIER [44-47][47-49] CONTRE MÉMOIRE DU BURKINA FASO 7778 DIFFÉREND FRONTALIER [49-50][50-53] CONTRE MÉMOIRE DU BURKINA FASO 7980 DIFFÉREND FRONTALIER [53-55][55-57] CONTRE MÉMOIRE DU BURKINA FASO 8182 DIFFÉREND FRONTALIER [57][58-60] 8384 DIFFÉREND FRONTALIER [60-62][62-64] CONTRE MÉMOIRE DU BURKINA FASO 8586 DIFFÉREND FRONTALIER [64-67]

1
Sauf à considérer qu'il s'agit de la mare de Kétiouaire, mais cela n'est pas certain: étant
donné l'ordre de l'énumération à laquelle procède le chef du service géographique de l'AOF,
la mare de Ouairé paraît être nettement plus au sud-ouest que la mare de Kétiouaire.[67-69] CONTRE MÉMOIRE DU BURKINA FASO 8788 DIFFÉREND FRONTALIER [69-71][72-74] CONTRE -MÉMOIRE DU BURKINA FASO 89

1 Ce sont les cartes n os 2, 9 a et 9 b, 12 a et 12 b, 16, 18 b, 19, 20 a, 21 c, 21 d, 21 e et 21 f,
24 et 25 déposées par le Burkina Faso et les annexes C/5 bis, 18, 24, 25, 28, 30, 35, 40,

41, 42, 44, 46, 50, 51 bis, 68, 70 et 72 au mémoire du Mali, dont dix sont identiques aux
cartes produites par le Burkina.
2 Ce sont les cartes n os1, 3, 5, 6, 8, 13 a et 22 déposées par le Burkina Faso et les annexes
C/4, 5 (illisible dans la copie remise au Burkina Faso), 9, 12, 15 bis, 16, 17, 19, 21, 22, 31,
37, 37 bis et 47 annexées au mémoire du Mali dont trois sont identiques aux cartes produites
par le Burkina.
3
Celle-ci fait l'objet de commentaires précis dans l'annexe au chapitre IV du présent
contre-mémoire.90 DIFFÉREND FRONTALIER [74-77][77-79] CONTRE MÉMOIRE DU BURKINA FASO 9192 DIFFÉREND FRONTALIER [79-81][81-83] CONTRE MÉMOIRE DU BURKINA FASO 9394 DIFFÉREND FRONTALIER [83-85][85-87] CONTRE MÉMOIRE DU BURKINA FASO 9596 DIFFÉREND FRONTALIER [87-89][89-91] CONTRE MÉMOIRE DU BURKINA FASO 9798 DIFFÉREND FRONTALIER [92-94][94-95] CONTRE MÉMOIRE DU BURKINA FASO 99100 [96-98]

CHAPITRE III

LA RÉGION DE SOUM
(du point de coordonnées 14° 43 ′ 45 nord et 1° 24 15 ouest
au mont Tabakarach)

1. Dans le mémoire (I) qu’il a déposé auprès du Greffe de la Cour le 3 octobre

1985, le Gouvernement du Faso notait que l’appartenance de la mare de Soum au
Burkina, un moment contestée par le Mali, ne paraissait plus faire l’objet d’un
litige entre les Parties et croyait pouvoir considérer le problème comme réglé
(p. 171).
La lecture du mémoire malien l’a, malheureusement, détrompé: bien que le
Mali ne consacre aucun développement spécifique à la mare de Soum, celle-ci est
située au cŒur même de la zone revendiquée par ce pays dont les prétentions
s’étendent même sur une bande de territoire burkinabé nettement plus méridional.
Le Gouvernement du Faso a en effet eu la surprise de constater que, outre la
mare et le village de Soum, le Mali revendiquait:

— les hauteurs de Fourfaré Tiaiga et Fourfaré Wandé;
— la mare de Maraboulé;
— les villages de Gountourou Malfa et de Gountouré Kiri, etc., jusqu’à la région
de Raf Naman.

Il convient donc de déterminer quel est le tracé de la frontière dans la région de
Soum, c’est-à-dire entre le point de coordonnées 14°43 ′45ʺ nord et 1°24 ′15ʺ
ouest, point extrême à l’ouest de la ligne définie oar la lettre 191 CM2 du gouver-
neur général de l’AOF (voir supra, chap. II, n 3), jusqu’au mont Tabakarach (et
à la mare de Kébanaire), point où le tracé de celle-ci, auparavant est-ouest, s’in-
fléchit vers le sud-ouest.
2. En ce qui concerne la végétation et l’économie agricole, la région de Soum
constitue le prolongement de celle des quatre villages quoiqu’elle soit plus dés-
héritée. Les arbustes épineux s’y font plus denses; l’habitat, plus clairsemé
encore, est regroupé autour des mares du nord de la zone, dont certaines, celle
de Soum en particulier, habitée en permanence, sont un point de passage des
nomades.
La région, partie intégrante de l’Oudalan, resta intégrée dans le cercle de Dori
lorsque les cantons de Baraboulé, Djibo et Tongomayal furent rattachés à la subdi-
vision de Ouahigouya par l’arrêté général du 31 décembre 1917 (mémoire du

Burkina Faso, annexe II-19 bis). Elle y demeura jusqu’à l’indépendance et en suivit
le sort: annexée au Niger après la dislocation de la Haute-Volta en 1932, elle fit
retour à celle-ci en 1947.
3. L’histoire de la région de Soum la rapproche davantage, au plan juridique,
de celle du Béli que de celle des quatre villages. Les mêmes titres juridiques
y sont applicables: en particulier, ceux qui, entre 1932 et 1947 ont défini
les limites respectives du Niger et du Soudan français (sect. 1). Toutefois son
faible intérêt économique et son caractère globalement peu hospitalier, font que
la pratique administrative y a été assez limitée; pour autant que l’on en retrouve
la trace, elle conforte cependant les titres écrits et cartographiques existants
(sect. 2).[98-100] CONTRE -MÉMOIRE DU BURKINA FASO 101

Section 1. Les titres burkinabés

4. Alors que, dans la région des quatre villages, aucune des Parties ne peut se
prévaloir d’un titre écrit valide, il n’en va pas de même dans celle de Soum: le

colonisateur a défini la ligne frontière dans la région par un texte dépourvu d’am-
biguïté (par. 1). Ce titre écrit est confirmé par le titre cartographique (par. 2).

PAR ..L ES TITRES ÉCRITS

5. La limite septentrionale de la région de Soum est fixée à l’est par la lettre
191 CM 2 du gouverneur général de l’AOF en date du 19 février 1935 (A). Dans
sa partie occidentale le tracé de la frontière doit être confronté au texte de l’arrêté
général 2728 du 27 novembre 1935 (B), qui ne permet pas, par ailleurs, de lever
l’incertitude subsistant sur la localisation de la mare de Kétiouaire (C).

A. La lettre 191 CM2 du 19 février 1935

6. Adressée par le gouverneur général de l’AOF aux lieutenants-gouverneurs
du Soudan français, d’une part, et du Niger, d’autre part, la lettre 191 CM2 a clai-
rement pour objet de décrire la limite existant à cette date — donc avant l’inter-
vention de l’arrêté 2728 du 27 novembre 1935 (voir I, mémoire du Mali, annexes
D/32 et D/33).
Contre toute raison, la Partie malienne conteste que ce texte ait une valeur juri-
dique quelconque et déduit de «l’abstention finale de l’autorité supérieure», «que
la frontière n’a pas été fixée dans ce secteur» (mémoire, p. 133-136). Le Gouver-
nement burkinabé a montré qu’il n’en est rien et que, sans avoir l’autorité formelle
d’un acte administratif en bonne et due forme, cette lettre et les réponses qu’elle
a reçues constituent l’expression authentique, par l’autorité compétente en matière
de délimitation, de sa conviction quant au tracé de la limite. Il n’est sans doute

pas nécessaire de s’appesantir sur ce point, longuement établi dans le mémoire
déposé par le Gouvernement burkinabé (voir, notamment, p. 110 et suiv. et 171 et
suiv.). Considérée à bon droit comme un titre juridique solide par la sous-commis-
sion juridique de la commission de médiation de l’OUA (voir mémoire du Burkina
Faso, annexe II-103, notamment p. 13), cette lettre constitue à tout le moins un de
ces «comportements concrets des autorités administratives dans la région contes-
tée», auxquels le Mali attache tant de poids.
7. La lettre du 19 février 1935 ne concerne au demeurant la région de Soum que
partiellement. Décrivant la limite administrative entre le Soudan français et le
Niger d’est en ouest, le gouverneur général de l’AOF en décrit le tracé ainsi:

«la limite ... passe par ... la pointe nord de la mare d’In Abao, le sommet des
monts Tin Eoult et Tabakarach et s’infléchit vers le sud-ouest jusqu’au point
de latitude 14° 43 ′ 45ʺ et de longitude 1° 24 ′ 15ʺ (ouest de Greenwich)»,

pour rejoindre ensuite le Gorouol (mémoire du Burkina Faso, annexe II-36 —
copies dans les annexes D/32 et D/33 au mémoire malien).
En réponse, le commandant de cercle de Mopti suggère que soit mentionnée «la
mare de «Kébanaire» située presque à la limite des cercles de Mopti, Gourma-
Rharous et Dori» (mémoire du Mali, annexe D/34).
Cette suggestion est retenue par le lieutenant-gouverneur du Soudan français
(mémoire du Burkina Faso, annexe II-37), la description définitive étant la
suivante: «la pointe nord de la mare d’In Abao, le sommet des monts Tin Eoult
et Tabakarach et la mare de Kébanaire...».102 DIFFÉREND FRONTALIER [100-104]

8. Un tel tracé est évidemment incompatible avec celui retenu par la Partie
malienne, d’ailleurs étrangement silencieuse sur cette portion de la frontière.
Elle se borne, en effet, à constater que cette lettre «contient une proposition»
en vue d’établir une limite «à l’évidence inspirée par les cartes 1/500000, feuilles
Ansongo et Hombori, édition 1925» (mémoire, p. 134). Cette dernière constatation
est exacte mais il n’y a pas là un élément qui fasse peser une suspicion quelconque
sur la validité de ce document. Bien au contraire: les règles à suivre en matière

de délimitation, précisées dans la circulaire 93 CM2 du gouverneur général de
l’AOF en date du 4 février 1930, faisaient obligation aux responsables coloniaux
de se fonder sur la carte à la plus grande échelle qui existe, publiée par le service
géographique du gouvernement général (voir infra annexe 127). En l’occurrence, il
s’agissait précisément de la carte au 1/500000 de 1925, dont le gouverneur général
non seulement pouvait, mais devait «s’inspirer».
9. Cette carte fait apparaître les monts Tin Eoult et Tabakarach qui constituent
à l’ouest de la mare d’In Abao le prolongement de la ligne de dunes et de falaises
qui dominent la partie orientale du Béli et confirment que le colonisateur a suivi
dans toute la région du Béli une ligne orographique (voir infra, chap. 4).
Il résulte de la lettre 191 CM 2, telle qu’elle a été précisée, qu’après le mont
Tabakarach (appelé «Tin Tabarkat» sur la carte au 1/200000) la limite «s’infléchit
vers le sud-ouest jusqu’au point de latitude 14° 43 ′ 45ʺ et de longitude 1° 24 ′ 15ʺ
(ouest de Greenwich)».
Or, comme le montre le croquis joint, ce point est situé légèrement à l’ouest de
la limite nord de la mare de Maraboulé, à peu près exactement sur la ligne-fron-

tière portée tant sur la carte au 1/500000 de 1925 que sur celle au 1/200000 de
1961. Après cela, la ligne descend nettement vers le sud pour tenir compte du
nouveau découpage du cercle de Dori, amputé du canton d’Aribinda en 1932, et
la suite du tracé décrit par la lettre 191 CM 2 ne présente plus de pertinence pour
la solution du présent litige.
10. Pour toute la portion de la frontière située entre le mont Tabakarach et le
point de latitude 14° 43 ′ 45ʺ, nord, et de longitude 1° 24 ′ 15ʺ, ouest, il est clair
que le tracé retenu par le Mali est totalement inconciliable avec les indications
précises données par la lettre 191 CM 2.
Sans le moindre commencement de preuve, la Partie malienne substitue Raf
Naman au mont Tabakarach et le Tondigaria au point géodésique indiqué dans la
lettre du 19 février 1935, ce qui la conduit à tracer entre ces deux points une ligne
approximativement parallèle à celle résultant de cette lettre ... mais située à une
quinzaine de kilomètres au sud de celle-ci (voir le croquis joint et la carte C/65
annexée au mémoire du Mali). Entre ces deux lignes se trouvent les mares de
Maraboulé et de Soum. Il résulte clairement du texte de la lettre 191 CM2
qu’avant l’intervention de l’arrêté 2728 elles appartenaient à la Haute-Volta; elles

lui ont été restituées par la loi du 4 septembre 1947.

B. Les implications de l’arrêté 2728 du 27 novembre 1935

11. Le tracé de la limite du cercle de Mopti avec celui de Ouahigouya fixé par
l’arrêté général 2728 du 27 novembre 1935 portant délimitation des cercles de
Bafoulabé, Bamako et Mopti (Soudan français) — mémoire du Burkina Faso,
annexe II-38 — contredit en partie celui résultant de la lettre 191 CM 2 et la lettre
du 19 février 1935 ayant un caractère clairement descriptif, ceci constitue l’un des
principaux éléments permettant d’affirmer que l’arrêté édicté quelques mois plus
tard modifie les limites existantes (voir supra, chap. II, n o 12).
En effet, la ligne définie par l’arrêté passe « au sud de la mare de Toussougou »
pour rejoindre la mare de Kétiouaire dont la localisation demeure controversée, mais[104-106] CONTRE -MÉMOIRE DU BURKINA FASO 103

qui ne peut être à l’est de celle de Toussougou. Un simple regard au croquis présenté

(supra) montre que la lettre 191CM2 établit l’appartenance de la mare de Toussou-
gou au Niger (cercle de Dori), alors que l’arrêté 2728 la laisse au Soudan français
(cercle de Mopti). Ceci confirme que les deux textes ne sont donc pas compatibles.
12. Le Gouvernement burkinabé a établi, qu’en tout état de cause, l’arrêté
général du 27 novembre 1935 a été implicitement abrogé par la loi du 5 septembre
1947 rétablissant la Haute-Volta dans ses limites de 1932 (voir supra, chap. II,
nos 9 et suiv.).
Comme il l’a fait s’agissant de la région des quatre villages ( ibid., n os14 et suiv.),
ce n’est donc qu’à titre tout à fait subsidiaire qu’il relève que, de toutes manières, la
Partie malienne, ici comme dans la partie la plus occidentale de la zone qu’elle reven-
dique, «propose» un tracé qui ne tient aucunement compte des termes de l’arrêté.
13. Comme ceci ressort de la carte C/65 annexée à son mémoire et de ses

conclusions (p. 313), la République du Mali fait passer la frontière à l’est de Selba
par le Tondigaria, les hauteurs de Fourfaré Tiaiga et de Fourfaré Wandé, le Gariol,
Gountouré Kiri, et d’un point à l’est de la mare de Kétiouaire dont les coordonnées
géographiques sont les suivantes: longitude 0° 44 ′ 47ʺ ouest, latitude 14° 56 ′ 52ʺ
nord pour rejoindre la mare de Raf Naman.
Le Gouvernement du Faso n’arrive aucunement à comprendre comment la Partie
malienne peut concilier ce tracé avec les termes de l’arrêté 2728 sur lequel elle
prétend s’appuyer. Il montrera à quel point ceci est impossible à propos de la mare
de Toussougou d’une part (n o14), de celle de Kétiouaire d’autre part (C.), qui, du
reste, sont seules citées par l’arrêté; ces raisonnements valent évidemment pour
tous les points intermédiaires.

14. Selon le Mali, à l'ouest de la région de Soum, la frontière passerait nettement
au sud des hauteurs de Koundiri (environ 7 kilomètres) et de la mare de Mara-
boulé, assimilée à celle de Toussougou.
Il est loin d’être certain que cette assimilation soit correcte. Il ressort en effet
de la carte n o 23 déposée au Greffe de la Cour par le Gouvernement burkinabé en
même temps que le présent contre-mémoire qu’il existe deux mares distinctes: le
«Feto Maraboulé» qui est une zone inondable se trouve au sud-ouest de la mare
de Toussougou. Cette carte est, à cet égard au moins, particulièrement fiable puis-
qu’il s’agit de la carte au 1/200000 établie en 1973 par le BRGM français et le
SCET international pour l’inventaire des ressources hydrauliques de la Haute-Volta.
De toute manière et en admettant que ces deux mares n’en fassent qu’une et

qu’il s’agisse de celle de Maraboulé représentée sur la carte au 1/200000 de
l’IGN(F) de 1960, il ne faut pas oublier que cette mare n’est qu’une zone de maré-
cages saisonniers inondés seulement au plus fort de la saison des pluies, mais qui
s’étire alors sur une longueur de plus de 5 kilomètres.
De toute manière, le «sud de la mare de Toussougou» ne peut viser un point
situé à plus de 10 kilomètres au sud de cette mare. Lorsque les auteurs de l’arrêté
avaient en vue une telle distance, ils l’ont systématiquement mentionnée. Ainsi la
description de la limite septentrionale du cercle de Mopti part «d’un point situé à
environ 8 kilomètres à l’est-nord-est de Si», « pour aboutir en un point situé à
environ 10 kilomètres au sud-est de Kare» (mémoire du Burkina Faso, annexe II-
38). Au nord, des distances de 8, 5, ou même 2 kilomètres sont expressément préci-

sées et il en va de même pour la délimitation du cercle de Bafoulabé. Il est dès lors
totalement inconcevable que la limite prévue par l’arrêté 2728 passe à une telle
distance du point de référence retenu.
Quoi qu’il en soit, cela importe peu: l’arrêté 2728 ayant perdu toute valeur juri-
dique en 1947, c’est le tracé décrit par la lettre 191 CM 2 qu’il convient de retenir
et celui-ci laisse la mare de Toussougou (comme celle de Maraboulé) à la Haute-
Volta (voir supra n o 9).104 DIFFÉREND FRONTALIER [106-109]

C. La localisation de la mare de Kétiouaire

15. On constatera avec intérêt l’évolution des thèses de la République du Mali
touchant la localisation de la mare de Kétiouaire. Le Mali avait soutenu, notam-
ment lors des travaux de la sous-commission technique de 1972, que la mare de
Kétiouaire (ou de Kébanaire) visée par l’arrêté 2728 du 27 novembre 1935 et par
la lettre 191 CM 2 du 19 février 1935 se confondait avec la mare de Manaboulé,
située nettement en territoire burkinabé, à 26 kilomètres au sud de Soum. Il
renonce aujourd’hui à cette thèse très excessive et propose de situer ladite mare à
l’emplacement du «Forage Christine», dont les coordonnées géographiques sont en
longitude 0° 46 ′ 09ʺ ouest et en latitude 14° 56 ′ 41ʺ nord.
16. Pour être moins excessif, l’emplacement nouvellement suggéré paraît aussi

arbitraire que le précédent. Alors que le mémoire malien note à juste titre que «les
indications de direction n’étaient pas faites en degrés mais par des indications
vagues du type «nord-est» «sud-ouest», etc.» (p. 287), il trace (document C/67)
en se fondant sur ces indications un quadrilatère situé très à l’est des indications
données par la lettre 191 CM 2 et dont la ligne de base D-C, projection approxi-
mative et lointaine de la direction nord-est évoquée dans l’arrêté 2728, devrait être
située beaucoup plus près de la mare de Kétiouaire vers la ligne frontière indiquée
par la carte IGN(F) de 1960 au 1/200000.
17. Il semblerait plus opportun de suivre les indications linguistiques, tout en
avançant la démonstration avec prudence dans une région où, suivant les cas, les
toponymes proviennent ou du peulh ou du tamachek ou même du sonhraïs et du
touareg.
Dans l’ouvrage de H. Labouret La langue des Peulh ou Foulbé (Dakar 1985,
p. 84) on peut lire: «cours d’eau: yayre = rivière, mare».
La forme «ouaïré» est une variante de ce terme qui est d’ailleurs confirmée par
deux autres toponymes de la feuille au 1/200000 de Djibo (Ouaïré Kerboulé:

14° 32′ nord et 1° 15 ′ nord puis Ouaïré Oulango: 14° 33 ′ nord et 1° 13 ′ ouest) qui
se rapportent également à des mares.
Dans le même ouvrage on trouve: «casser racine: hel —; morceau cassé: helde,
pluriel: kele» (p. 76).
On peut donc considérer sans trop de risque d’erreur qu’en peulh «Kélé Ouaïré»
signifierait la mare aux arbres cassés avec le point d’imprécision de la notation
«Kétiouaïré».
Par ailleurs en tamachek une «mare cassée» s’appellerait «Tilawati». Or, l’on
trouve sur la carte au 1/200000 de Djibo une mare «Tiliwati», 5 kilomètres au
nord de Toussougou qui confirmerait assez bien les tracés prévus par l’arrêté de
1935 et par la carte IGN 1960 au 1/200000.
18. Le Burkina Faso propose cette hypothèse, mais reconnaît qu’il appartiendra
aux experts chargés de démarquer la frontière de résoudre si possible l’énigme de
la mare de Kétiouaire. Son titre juridique, étant fondé principalement sur la carte
IGN 1960 au 1/200000 pour la portion de frontière indiquée en croisillons conti-
nus, ne dépend pas de la localisation de la mare de Kétiouaire. Il reconnaît en

revanche l’embarras de la Partie malienne, qui cherche à situer sur le terrain une
mare introuvable pour consolider un arrêté abrogé depuis 1947.

PAR ..L ES TITRES CARTOGRAPHIQUES

19. Si, dans la zone des quatre villages proprement dite, les cartes constituent
un titre en elles-mêmes en l’absence de texte réglementaire valide (voir supra,
chap. I), il en va différemment en ce qui concerne la portion de la frontière allant[109-111] CONTRE -MÉMOIRE DU BURKINA FASO 105

du point de coordonnées 14° 43 ′ 45ʺ de latitude nord, et 1° 24 ′ 15ʺ de longitude
ouest jusqu’au sommet du mont Tabakarach: le tracé de celle-ci est en effet décrit
par la lettre 191 CM2 du gouverneur général de l’AOF en date du 19 février 1935
(voir supra n os 6 et suiv.).
Il n’en résulte pas, cependant, que les cartes sont dépourvues de pertinence. Il

est en effet intéressant de les confronter au texte de la lettre 191CM2 pour s’as-
surer qu’elles y sont conformes. Et, en l’espèce, cette confrontation présente d’au-
tant plus d’intérêt que la Partie malienne refuse de reconnaître la valeur de cette
lettre (voir supra n o 6). De deux choses l’une en effet: ou bien le tracé figurant
sur les cartes diffère de celui décrit par celle-ci et le conflit entre ces deux titres
ne pourra être tranché que par l’examen des effectivités coloniales, même si, dans
un cas de ce genre, il existe une présomption en faveur du titre écrit; ou bien les

tracés réglementaires et cartographiques coïncident; les deux titres se renforcent
mutuellement et les cartes doivent au moins être considérées comme les manifes-
tations les plus certaines et les plus claires de la conviction des autorités coloniales
quant au tracé de la frontière; et ceci même si, comme le Mali, on dénie aux cartes,
bien à tort, une valeur juridique intrinsèque, position d’autant plus insoutenable en
l’espèce que sur toute la portion de la frontière concernée, celle-ci est figurée en
croisillons continus sur la carte au 1/200000 de 1960 (voir supra, chap. II, n o 31).
20. Or, en la présente occurrence, c’est cette seconde hypothèse qui est la

bonne: sans aucune exception, toutes les cartes produites par les Parties et dont
un enseignement peut être tiré en ce qui concerne le tracé de la frontière dans la
région de Soum, confirment les indications figurant dans la lettre 191 CM 2.
Des quatre-vingt-quinze documents cartographiques produits par les Parties,
trente et un doivent être exclus de l’analyse, pour les raisons générales exposées
(voir supra, chap. II, n o 22). Par ailleurs, dix-neuf cartes ou croquis ne concernent
pas la région de Soum 1.

L’examen des quarante-cinq documents pertinents confirme en tous points le
tracé décrit par la lettre 191 CM 2 qu’il s’agisse de son profil général (A) ou de la
situation de certains points géographiques ou de certains villages par rapport à la
frontière (B).

A. Le «profil général» de la frontière

21. La lettre 191 CM 2 détermine avec laconisme le tracé de la frontière dans
cette région de Soum pour laquelle l’administration coloniale a marqué peu d’in-
térêt (voir infra n o 36).

Elle se borne à indiquer le «point de départ» à l’est, c’est-à-dire le mont Taba-
karach, et le «point d’arrivée» au sud-ouest, de coordonnées 14° 43 ′ 45ʺ de lati-
tude nord, et 1° 24 ′ 15ʺ de longitude ouest. Cette rédaction laisse présumer une
ligne droite joignant l’un à l’autre. Cela est, en grande partie, confirmé par les
documents cartographiques concernant cette portion de la frontière.
22. Il convient toutefois à cet égard de faire une distinction entre les cartes les
plus anciennes qui témoignent d’une incertitude en ce qui concerne le profil exact

de la frontière et celles, plus récentes, qui donnent une représentation fidèle et
fiable de ce tracé.
Le Gouvernement du Faso tient cependant à relever que si les cartes dressées
au début du XX e siècle ne sont guère exactes, elles contredisent avec une belle

1 os
Il s’agit des cartes n 2, 3, 7 b, 9 b et 9 c, 15, 19, 21 d et 21 e, 23 et 24, déposées par le
Burkina Faso au Greffe de la Cour et des annexes C/5 bis, C/17, C/18, C/20, C/24 à C/26,
C/30, C/35, C/41, C/42, C/46, C/68 et C/70 jointes au mémoire du Mali (dont six sont iden-
tiques aux cartes produites par la Partie burkinabé).106 DIFFÉREND FRONTALIER [111-114]

unanimité la thèse malienne: le tracé de la limite septentrionale du cercle de Dori
y figure plus au nord, non seulement que le tracé défendu par la Partie malienne
mais même que celui figurant sur les cartes postérieures et qui paraît au Gouver-
nement du Faso plus conforme à la réalité de la délimitation entre la Haute-Volta
et le Soudan français à l’approche de la date critique.
23. Si l’on s’en tenait aux cartes les plus anciennes, le seul point sur lequel un
doute pourrait subsister concernerait le point de départ de l’infléchissement de la
ligne-frontière vers le sud au sortir de la région du Béli.
Ainsi, la carte des étapes de 1900 fait passer la limite nord du cercle de Dori

par Raf Naman et la prolonge ensuite par une ligne droite jusqu’à Hombori d’où
elle se dirige vers le sud (annexe C/4 au mémoire malien). La carte de l’AOF au
1/2000000 de 1903 (feuille de Tombouctou) reprend approximativement le même
tracé (C/6). De même, sur la carte du Gourma la limite méridionale du Gourma
est figurée dans la zone qui fait l’objet du présent chapitre par une grande boucle
vers le nord, qui s’infléchit ensuite nettement vers le sud pour passer à l’est de
Douna (C/5). La carte du Haut-Sénégal et Niger au 1/4000000 de 1915 présente
le même profil général (C/15 bis).
Ces cartes font l’objet d’une analyse plus précise ci-après (chap. IV, n o 24 et

annexe) qui met en évidence leur faible valeur probante, aussi globalement favo-
rables qu’elles soient à la thèse burkinabé. Il en résulte également que le passage
de la frontière à Raf Naman ne saurait être admis.
24. Après cette période de tatonnements, toutes ambiguïté est levée.
Dès 1909, sur la carte au 1/15000000 du Haut-Sénégal et Niger, le tracé de la
limite s’infléchit nettement vers le sud-ouest à partir d’un point situé clairement
au nord de Raf Naman pour descendre en ligne droite jusqu’à un autre point qui,
autant que l’on en puisse juger sur une carte à si petite échelle correspond approxi-
mativement au point géodésique évoqué dans la lettre 191 CM 2 — le premier

méridien est non celui de Greenwich, mais celui de Paris, la France ne s’étant
ralliée au système aujourd’hui universel qu’en 1911 (C/10).
A partir de cette date tous les documents cartographiques dont les Parties avaient
connaissance et qu’elles ont mis à la disposition de la Chambre, indiquent, sans
autre exception, que le croquis de 1915 précité (n o23), un tracé de la limite dont
le «profil général» est conforme à celui indiqué par la lettre 191 CM 2 du
19 février 1935. Ils doivent cependant être répartis en deux catégories.
25. Sur certains:

— la frontière qui, plus à l’est, est d’orientation est-ouest, s’infléchit très nette-
ment vers le sud-ouest à partir du mont Tabakarach ou de son emplacement ;
— jusqu’à un point correspondant au point géodésique mentionné dans la lettre
191 CM 2 et situé à l’ouest de la mare de Maraboulé (Toussougou);
— et, entre ces deux points, la frontière suit une ligne droite.

Tel est le cas sur les cartes suivantes:

— Afrique au 1/2000000 de 1925, Niger (carte n o 5, déposée par le Burkina Faso,
annexe C/21 au mémoire malien);
— Afrique au 1/2000000 de 1926, Soudan français (cartes n o6 et C/22) ;
— colonies de l’AOF au 1/500000 de 1925 (cartes n o7 et C/23) ;
— Atlas des cercles de l’AOF de 1926 , cartes des cercles de Dori et Hombori
os
(cartes n 9 a et 9 c; C/27 et C/28) ; os
— Haute-Volta, carte routière au 1/1000000 de 1927 et 1950 (cartes n 13a, 13 b
et 13 c, et C/39): sur cette carte, la frontière s’interrompt au nord de Soum vrai-
semblablement pour ne pas surcharger la représentation de l’hydrographie et
des pistes;[114-117] CONTRE -MÉMOIRE DU BURKINA FASO 107

— Afrique française au 1/1000000, feuille de Ouagadougou, édition de 1926
(carte n 11a), 1933 (n 11b et C/34, improprement datée de 1941 par le Mali),
1946 (n 11 c et C/36) et 1953 (n o 11 d);

— AOF, carte politique et administrative de 1928, au 1/2 500000 (C/31);
— AOF, feuille de Tombouctou, de 1932 (C/32);
— Niger, cartes routières au 1/2 500000 de 1934 et 1936 (cartes n os12 a et 12 b);
— AOF, cartes routières au 1/3000000 de 1948 (C/37 et C/37 bis);
— AOF, limites administratives, au 1/5000000 de 1948 (C/38);
— hydrologie du nord Dori de 1954 (carte n o16);
o
— AOF, cartes au 1/2 500000 de 1935 (carte n 18).
26. Sur les autres cartes disponibles, le tracé de la frontière présente une carac-
téristique supplémentaire: comme sur les précédentes, il part du mont Tabakarach

(ou de son emplacement), pour aboutir au point géodésique indiqué par la lettre
191CM2 mais entre ces deux points, le tracé est légèrement concave vers le sud
à partir du mont Tabakarach (ou de son emplacement). C’est le cas:

— de la carte au 1/2000000 de l’AOF de 1910 (C/11);
— de la carte ethnographique et administrative du Haut-Sénégal et Niger et terri-
toire militaire au 1/4000000 de 1911 (cartes n o 1 et C/12), ou
— de la carte de l’AOF politique au 1/20000000 de 1922 (C/19), ou
— de la carte de l’AOF au 1/3000000 de 1925 (carte n o 8).

27. Sur les cartes les plus récentes, on retrouve un tracé comparable mais beau-
coup plus précis du fait à la fois des progrès considérables de la cartographie et
de l’échelle retenue, en général plus grande, qui permet, et même impose, une
précision accrue. La concavité relevée sur les cartes précédentes se traduit ici par

une ligne brisée dont l’orientation générale est la suivante:
— point de départ très nettement au nord de Raf Naman depuis un point corres-
pondant au mont Tabakarach (et parfois appelé Tin Tabakat);

— ligne rectiligne d’orientation sud-ouest jusqu’à un point situé légèrement au
nord-est de la mare de Soum (qui pourrait être situé sur la mare de Kétiouaire);
— puis, à partir de ce point, infléchissement du tracé qui suit une direction ouest-
sud-ouest,
— jusqu’au point de coordonnées 14° 43 ′ 45ʺ nord et 1° 24 ′ 15ʺ ouest, pour se
prolonger ensuite dans la région des quatre villages.

Tel est le cas des cartes les plus récentes jointes au dossier:

— celle de l’AOF au 1/200000 dressée à la fin de la période coloniale, feuilles
de Djibo, In Tillit et Dori (cartes n os21 a, 21 b et 21 c et C/43, C/44 et C/40) :
sur la feuille de Djibo le tracé figure en croisillons continus ;
— de la carte au 1/500000 de 1961, feuille d’Hombori (cartes n o 21 f et C/45);
— de la carte routière du Mali de 1960 (cartes n o 22 et C/47);
o
— de la carte du Sahel voltaïque au 1/200000 de 1972-1973 (carte n o 23);
— de la carte géologique de la Haute-Volta de 1976 (carte n 26);
— et des trois croquis établis par l’ORSTOM en 1977 (C/50, C/51 et C/51 bis).

28. Sans doute le tracé de la frontière dans la région de Soum varie-t-il très
légèrement dans le détail d’une carte à une autre. Sur un point fondamental, les
documents cartographiques produits par les Parties concordent cependant: sans
aucune exception ils contredisent tous le tracé défendu par le Mali.
En règle générale la limite portée sur les cartes passe à plus d’une quinzaine de
kilomètres au nord de celui que défend la Partie malienne. Et si quelques cartes très

anciennes et à très petite échelle (mémoire du Mali, annexes C/4 et C/6) semblent108 DIFFÉREND FRONTALIER [117-119]

faire passer la limite septentrionale du cercle de Dori à Raf Naman, elles sont

isolées, et aucune carte postérieure à 1903 ne fait plus apparaître cette anomalie.
Quant à la concavité vers le sud observée sur certaines cartes, elle ne remet pas
en cause l’esprit général de la lettre 191 CM 2 du 19 février 1935: le point de
départ (mont Tabakarach), comme le point d’aboutissement (point géodésique situé
à l’ouest de la mare de Maraboulé), correspondent constamment aux indications de
celle-ci.
Dès lors, deux conclusions alternatives, et deux seulement, sont possibles: ou
bien l’on admet que les cartes récentes et, en particulier la carte au 1/200000 de
1958-1960, font foi et constituent une interprétation authentique de la lettre
191 CM 2, ou bien l’on s’en tient au seul texte de celle-ci, ce qui doit nécessaire-
ment aboutir à rectifier légèrement au profit du Burkina Faso la limite retenue sur
cette carte en adoptant un tracé rectiligne allant du mont Tabakarach au point de

coordonnées 14° 43 ′ 45ʺ nord et 1° 24 ′ 15ʺ ouest. Les croisillons continus figurant
la frontière sur la feuille de Djibo paraissent cependant exclure cette seconde solu-
tion, que le texte n’impose pas.

B. Le tracé de la frontière (l’emplacement des points litigieux)

29 La région de Soum, très peu peuplée, moins «remuante» que celle du Béli
(la rébellion de 1916 ne s’y est pas étendue), quasiment désertique sauf aux envi-
rons immédiats des quelques mares qui s’y trouvent, semble avoir été peu connue
des administrateurs coloniaux et n’a été cartographiée convenablement qu’à la fin
de la période coloniale.
Ce relatif désintérêt transparaît par exemple sur la carte des colonies de l’AOF
au 1/500000 de 1925 (feuille d’Hombori, carte n o 7 déposée par le Burkina Faso,
annexe C/23 au mémoire malien) qui indique dans cette zone:

— au centre: «région dépourvue de mares»;
— au sud: «région non parcourue».

Il ressort aussi de la rédaction de la lettre 191 CM 2 qui se borne à mentionner
que la limite part du sommet du mont Tabakarach, pour aboutir à un point géodé-
sique sans mentionner entre l’un et l’autre d’accidents de terrain ou d’établisse-
ments humains, les uns et les autres étant du reste assez rares.

L’examen des documents cartographiques disponibles confirme cependant tota-
lement les conclusions précédentes: chaque fois que, dans la région revendiquée
par le Mali, un point précisément désigné apparaît sur une carte, il est clairement
localisé à l’intérieur du territoire burkinabé.
Le Gouvernement burkinabé les évoquera brièvement ci-après en allant du nord-
est au sud-ouest.
30. Tel est le cas, en premier lieu, pour deux points-repères qui apparaissent
sur plusieurs cartes anciennes mais que le tracé retenu par le Mali conduirait à
placer dans ce pays, alors que tous les documents cartographiques les mentionnant
les situent nettement au Burkina Faso:

— le lieu-dit Aferere, que les cartes C/23, n os 9 a, 9 b, et 9 c, C/27 (sous le nom
os
d’Aferdre) et C/28, n 11 a, 11 b, 11 c et 11 d, C/32 et C/36 placent très nette-
ment à l’intérieur du cercle de Dori; os
— et la mare de Tin Tabora (ou Tin Taboré), à l’égard de laquelle les cartes n 4,
C/23 et C/31 prennent la même position, elle pourrait être la mare de Tin Arka-
chen mentionnée sur le croquis ORSTOM de 1977 (C/50) et figure là aussi très
nettement en territoire burkinabé alors que le Mali la revendique sous le nom[119-121] CONTRE -MÉMOIRE DU BURKINA FASO 109

de Tin Aramcham comme le montre l’annexe C/65. Cette mare pourrait être la
«mare fossile» dans laquelle le Mali croit voir la mare de Kétiouaire (mémoire,
p. 28).

31. Curieusement, la mare de Soum, pérenne et entourée en permanence de
hameaux et de campements n’apparaît que très tardivement sur les cartes établies
par le colonisateur puisque la première mention qui en est faite semble dater de
1950 (carte routière de la Haute-Volta au 1/1000000), ainsi que le relève le Mali
(mémoire, p. 216).
En revanche, il n’est pas exact que les cartes postérieures l’ignorent; contraire-
ment à ce qu’écrit la Partie malienne (ibid.), elle apparaît sur:

— la carte au 1/200000 de 1960, feuille de Djibo (cartes n o 21 a déposée par le
Burkina Faso et C/43) ;
— la carte au 1/500000 de 1961, feuille de Hombori (cartes n o 21 g et C/45) ; et
— les croquis de l’ORSTOM de 1977 (C/50, C/51 et C/51 bis).

Sur ces cinq documents, la mare de Soum est située non loin de la frontière mais
très nettement et dans son intégralité au sud de celle-ci. Il en va de même du
village de Soum (pourtant au nord de la mare) sur la carte au 1/200000 de
l’IGN(F) de 1960.
32. Les mêmes remarques valent pour la ou les mares de Toussougou ou de
Maraboulé que les mêmes cartes situent au sud de la limite, ainsi que le village
de Toussougou qui, comme celui de Soum, se trouve au nord de la mare du même
nom (tel est également le cas de Kouna).
33. Il en va de même pour le hameau de Gountouré Kiri que le Mali tient pour

un point-frontière (mémoire, p. 313 et annexe C/65), sans avancer aucun argument
en ce sens, alors que les cartes le situent à près de 15 kilomètres au sud de la
limite.

Section 2. La confirmation des titres burkinae
par la pratique administrative coloniale

34. Dans la région de Soum comme dans l’ensemble de la zone revendiquée par
le Mali, les cartes établies par le colonisateur constituent à la fois la manifestation
de la conviction des autorités administratives coloniales en ce qui concerne le tracé
de la limite et le reflet fidèle de l’intensité avec laquelle elles ont exercé leurs
pouvoirs.

Il n’est dès lors guère surprenant qu’à la relative pauvreté des indications topo-
graphiques et toponymiques portées sur les cartes corresponde une pratique admi-
nistrative intermittente, dispersée et occasionnelle. Contrairement à ce qu’écrit le
Gouvernement malien, l’effectivité n’a pas, ici, «une fonction substitutive», les
titres écrits et cartographiques suffisant amplement à attester la validité du tracé
défendu par la Partie burkinabé; il est vrai en revanche que, dans la mesure où
l’administration coloniale a manifesté sa présence dans la région, l’étude de cette
pratique «apporte des indications sur la manière dont les administrateurs vivaient
la limite des circonscriptions» (mémoire du Mali, p. 251).
35. Le Mali décrit de manière exacte le contexte géographique de la région
«constituée par des fourrés extrêmement serrés d’arbustes épineux (brousse tigrée),
rendant son parcours difficile si ce n’est impossible» ( ibid., p. 35):

«Inhospitalière, quasiment inhabitée et dépourvue de ressources agricoles et
forestières, la région était considérée comme une zone d’importance écono-
mique aléatoire.» ( Ibid., p. 37; voir aussi p. 222.)110 DIFFÉREND FRONTALIER [121-123]

C’est bien ainsi, en effet, que l’administration coloniale a «vécu» la région,
comme cela apparaît dans les quelques correspondances la concernant que le
Gouvernement burkinabé a pu retrouver.
Par exemple, il ressort d’un document du 16 novembre 1943, qu’aucun Européen

ne s’était jamais rendu dans le village de Gountourényényé avant le mois de mai
1943 (infra, annexe 133). La région a, du reste, toujours été réputée d’un accès très
difficile, jusque et y compris l’extrême fin de la période coloniale. Ainsi dans un
rapport daté de novembre 1954, le service de l’hydraulique de l’AOF note:
«La zone nord-ouest (du cercle de Dori) est de loin la plus démunie... Nous
n’avons pas réussi à traverser cette zone entre Raffnaman et Gontoure-Nienie

où il n’y a pas de piste et où la végétation et les amas de cailloux arrêtent
toute circulation...» (Annexe 143.)
36. Cette situation explique la grande rareté des manifestations concrètes d’ad-
ministration effective dans l’ensemble de la région.
Encore convient-il de ne pas assimiler rareté et inexistence, comme le fait la
Partie malienne. A la lecture du chapitre qu’elle consacre à l’«analyse du compor-
tement concret des autorités administratives dans la région contestée», le Gouver-

nement du Faso a en effet eu l’extrême surprise de constater qu’elle ne cite aucun
acte des administrations coloniales concernant cette partie du territoire qu’elle
revendique (cf. le mémoire du Mali, p. 267-287). Dans d’autres secteurs, le Mali
a mentionné des manifestations d’autorité ou, au moins d’intérêt, plus ou moins
nombreuses de la part des fonctionnaires de la puissance administrante et, parmi
celles-ci, par un choix, de son point de vue judicieux, il a pu faire état de quelques
actes confortant sa thèse même s’ils contredisent les titres juridiques légués par le
colonisateur.
Rien de tel dans la région de Soum. Il se borne à citer quelques témoignages fort
suspects qui situent la mare de Kétiouaire à Maraboulé (c’est-à-dire à près de
25 kilomètres de la frontière portée sur la carte de 1960 et à plus de 20 kilomètres
de la mare de Soum) et à faire état d’une «tradition orale», très vague, «confir-
mant» qu’au sud de Toussougou la frontière est le Tondigaria (voir p. 281 et suiv.).

Le Gouvernement burkinabé a indiqué dans os chapitre précédent ce que l’on
pouvait penser de ce genre de preuve (n 46 et suiv.).
Au surplus, contrairement à ce que semble croire la Partie malienne, une
pratique administrative coloniale a bien existé dans la région. Elle est attestée par
des documents antérieurs à la date critique et ne présentant de ce fait aucun carac-
tère suspect. Aussi intermittente qu’elle ait été, elle confirme l’appartenance au
Burkina Faso des quelques villages et points d’eau existant dans cette portion du
territoire revendiqué par le Mali.
37. En particulier, l’appartenance de la mare de Soum et du village qui lui a
donné son nom au Burkina Faso est attestée par des documents relativement rares
mais dont la rédaction ne laisse place à aucun doute.
Sur un rapport, de nature technique, datant de 1954 et concernant l’hydrologie
du Nord-Dori (Haute-Volta), la mare et les puisards de Soum sont mentionnés

comme un «point triple entro les cercles de Dori, Ouahigouya et Bandiagara»
(infra, annexe 143 bis, n 220). Cette localisation exclut évidemment que la fron-
tière puisse passer le long du Gariol et à Gountouré Kiri situés respectivement à
une quinzaine de kilomètres au sud-ouest et à une vingtaine de kilomètres, à l’est-
sud-est, comme l’affirme le Mali (mémoire, p. 313) et, à plus forte raison à Mana-
boulé (ibid., p. 282-283).
A priori cependant, cette localisation très vague pourrait conduire à un partage
de la mare entre les deux Etats: un peu moins vaste que celle de Maraboulé, la
mare de Soum n’en couvre pas moins en saison des pluies une étendue de plusieurs[123-125] CONTRE MÉMOIRE DU BURKINA FASO 111

kilomètres carrés. Une étude plus précise de ce rapport devrait cependant conduire
à une autre solution, même si on le considère isolément: il montre en effet que le
véritable centre d’activité est constitué non par la mare elle-même, mais par les

puisards qui «abreuveraient jusqu’à dix millo têtes de bétail en fin de saison
sèche» (infra, annexe 143 bis, planche n 220); or ces puisards sont tous situés au
nord de la mare.
Au surplus, l’assertion des géologues du BURGEAP est contredite par les cartes
de la région qui font passer la frontière non loin de la limite septentrionale de la
mare mais très nettement cependant au delà de celle-ci (voir supra n o 31) et par les
actes des autorités administratives coloniales responsables de la région.
38. Ainsi, dans une lettre adressée au lieutenant-gouverneur du Niger et par
ailleurs fort intéressante en ce qui concerne la délimitation de la frontière dans la
zone du Béli, le commandant de cercle de Dori indique qu’il n’a pu rencontrer son
collègue de Ouahigouya:

«puisque le jour fixé pour le rendez-vous il était à la mare de Soum située à
la limite de la subdivision de Douentza (cercle de Mopti) et du cercle de
Ouahigouya à qui elle appartient .
Cette erreur semble inexplicable, le rendez-vous étant fixé à Dodbangou,
pointe sud-est de la subdivision de Gourma-Rharous, jonction de Dori, Gao,
Tombouctou, alors que Sum ou Chum se trouve au sud-ouest vers Ouahi-
gouya.» (Mémoire du Mali, annexe D/55 — les italiques sont du Gouverne-

ment burkinabé.)
Quelques années plus tard, interrogé par son collègue de Dori sur le tracé de la
limite entre le Niger et le Soudan français, le commandant de cercle de Mopti lui
répond:

«Personnellement, me suis rendu à mare Souhoum lors mon séjour à Ouahi-
gouya. Si mes souvenirs sont exacts, cette mare se trouvait au nord-ouest
d’Aribinda et au nord de Yalenga. Suivant renseignements qu’avais recueillis
à l’époque, elle se trouverait bien sur territoire canton d’Aribinda .» (Mémoire
du Mali, annexe D/68 — les italiques sont du Gouvernement burkinabé.)

Exacts au point de vue géographique, les souvenirs de ce haut fonctionnaire
colonial le sont aussi en ce qui concerne le rattachement administratif de la mare
de Soum. Ceci est confirmé par maints autres documents.
39. Ceci ressort en particulier avec beaucoup de netteté des rapports et des
échanges de lettres relatifs à la controverse qui a opposé le cercle de Dori et celui
de Ouahigouya en 1943 en ce qui concerne le recensement des habitants de Goun-
touré Nyényé.
L’affaire est intéressante d’abord dans son ensemble: elle concerne un cercle, à

l’époque soudanaise, celui de Ouahigouya augmenté du canton d’Aribinda, pris au
cercle de Dori, et celui-ci, rattaché au Niger lors du démembrement de la Haute-
Volta en 1932 (voir mémoire du Burkina Faso, annexe II-33). Mais l’un et l’autre
ont fait retour à la Haute-Volta lors de la reconstitution de celle-ci en 1947. Cela
signifie que l’ensemble de la zone alors contestée entre les deux cercles relève
aujourd’hui du Burkina Faso sans qu’il soit nécessaire aux fins du présent litige
de prendre parti sur son appartenance à l’époque au Soudan français ou au Niger.
Quelle était la zone dans laquelle était né le différend de 1943? Elle est définie
ainsi par le procès-verbal de l’entente intervenue le 25 mai 1943 entre les comman-
dants de cercle de Dori et de Ouahigouya qui fixe un modus vivendi provisoire: il
s’agit des régions:

«s’étendant entre Kitagou (Dori) et Boulikessé (Ouahigouya) au sud, et112 DIFFÉREND FRONTALIER [125-128]

Gondafabo (Dori) et Gountourignégné, mare de Soum (Ouahigouya) au
nord...» (infra, annexe 132).

La majeure partie de cette zone est revendiquée par le Gouvernement malien; elle
ne peut évidemment lui appartenir, le cercle de Ouahigouya ayant été enlevé au
Soudan français en 1947 et le cercle de Dori ne lui ayant jamais été rattaché.
Il résulte en particulier de ce texte que la mare de Soum était incluse soit dans
le cercle de Ouahigouya, soit dans celui de Dori, mais en aucun cas dans celui de
Mopti et ceci est confirmé par le procès-verbal du 16 novembre 1943 concernant
les deux premiers de ces cercles ( infra, annexe 134, p. 10).
40. Ce texte donne par ailleurs des renseignements utiles en ce qui concerne des

actes d’administration effective accomplis antérieurement dans la région par les
autorités des cercles de Dori ou de Ouahigouya.
Il montre par exemple que la localité de Gountourényényé a été recensée en
1937 — qui semble être la date de sa création —, en 1940, et en 1943, par des
fonctionnaires du cercle de Ouahigouya ( ibid., p. 4 et 9). Sans doute le Gouverne-
ment malien ne revendique-t-il pas le village de Gountourényényé lui-même —
dont d’autres documents confirment d’ailleurs l’appartenance au Burkina Faso
(voir par exemple les annexes 143 bis (planche n o 228) et 146); mais la ligne fron-
tière sur l’annexe C/65 à son mémoire indique que le tracé passe à proximité de
celui-ci alors que, lors des discussions de 1943, le commandant de cercle de Dori
a rappelé — en se fondant d’ailleurs sur les cartes existantes (voir supra, chap. I,
no 69) — que Gountourényényé se trouve «très en arrière des frontières du cercle
de Dori» ( ibid., p. 3).

«Or [a-t-il ajouté ] si Gountourényényé dépendait du cercle de Ouahigouya,
la marge entre ce point et les frontières officielles, au détriment du cercle de
Dori, serait vers le sud d’une trentaine de kilomètres , vers l’ouest, d’une
quarantaine environ. Ce ne serait plus une rectification locale qui serait effec-
tuée là, mais bien un véritable remaniement territorial...» ( Ibid., p. 3.)

C’est aussi à un tel remaniement qu’appelle le Gouvernement malien.
Le même procès-verbal de 1943 indique par ailleurs que le chef touareg de l’Ou-
dalan «est allé jusqu’à Soum» ( ibid., p. 6), attestant ainsi l’appartenance de cette
localité au cercle de Dori.
41. D’autres documents coloniaux encore confirment l’appartenance des rares
villages se trouvant dans la région à la Haute-Volta.
Ainsi, le rapport précité du service de l’hydraulique de l’AOF de novembre
1954, indique que le point d’eau de Gountouré Kiri — que le Mali situe sur la

frontière (mémoire, p. 281 et 313 et annexe C/65) —oappartient au cercle de Dori,
canton de l’Oudalan (annexe 143 bis, planche n 219).
De même, en ce qui concerne le village de Kouna, une lettre du chef de la subdi-
vision de Djibo au commandant de cercle de Ouahigouya, au sujet des «foyers les
plus virulents de la doctrine hammaliste» dans sa circonscription, mentionne le :
«village de Kouna (en réalité c’est un quartier de So) à côté de la mare de Soum»,
où un marabout originaire de Baraboulé est installé ( infra, annexe 145). Kouna,
comme le hameau voisin de Lahordé, est devenu un quartier de Soum lorsque ce
village a été créé en tant qu’entité administrative distincte en mars 1965 (voir
annexes 149 et 149 bis).
42. D’une manière plus générale, il faut noter que les rapports politiques du
cercle de Dori incluent la région de Soum.
Ainsi, dans le rapport pour 1953, le commandant de cercle note:

«En février-mars, deux mouvements vident la partie centrale du cercle, l’un
vers le Niger (Téra et Say), l’autre vers le nord-ouest du cercle (région de[128-130] CONTRE -MÉMOIRE DU BURKINA FASO 113

Soum). Cette dernière région est également très fréquentée à cette époque par

les troupeaux du Soudan (Gourma).» ( Infra, annexe 139, p. 3.)

Le rapport pour l’année 1954 est rédigé à peu près dans les mêmes termes ( infra,
annexe 141, p. 4).
Il est difficile de concevoir que la «région de Soum» dont ces rapports parlent
explicitement doive s’entendre «mare et village de Soum exclus» comme la Partie
malienne souhaite le laisser entendre.
43. Dans le même esprit, on peut enfin relever que le croquis du canton de l’Ou-
dalan au 1/400000 joint au rapport de vérification générale du cercle de Dori en
date du 4 mars 1955, s’il ne situe pas la mare de Soum, est entièrement conforme
au tracé figurant sur les cartes ( infra, annexe 144 bis).
Dans le secteur qui fait l’objet du présent chapitre, la frontière part d’un point

situé très nettement au nord de Raf Naman et qui constitue le point triple entre le
canton de l’Oudalan et les subdivisions de Gourma-Rharous et de Douentza. Ce
point triple n’a pas ici de nom mais correspond au lieu-dit Tin Tabakat mentionné
sur la carte au 1/200000 de 1960, feuille d’In Tillit (carte n o 21c produite par le
Gouvernement burkinabé, et mémoire du Mali, annexe C/40) ou au mont Tabaka-
rach cité par la lettre 191 CM 2.
La limite nord-ouest du canton de l’Oudalan est ensuite figurée par une ligne
droite, d’orientation sud-ouest jusqu’à un point qui constitue le point triple avec les
subdivisions de Douentza et de Djibo (où elle paraît adopter une direction plein
ouest). Sous cette réserve sans grande importance (l’objet du schéma était de préci-
ser les limites de l’Oudalan), ce croquis établi quelques années avant l’indépen-

dance par un très haut fonctionnaire connaissant bien l’ensemble de la région,
confirme donc à la fois les indications données tant par la lettre 191 CM 2 que par
les cartes pertinentes.
44. Le Gouvernement du Faso convient bien volontiers que les manifestations
effectives d’autorité par les administrations coloniales compétentes dans cette
région inhospitalière et peu peuplée (voir supra n o 35) n’ont pas été très
nombreuses. Il lui paraît cependant particulièrement révélateur que le Mali qui
attache une importance extrême à ces «effectivités» n’ait pu en invoquer aucune
à l’appui de ses revendications, alors que toutes celles qu’il a pu retrouver confir-
ment l’exactitude du tracé de la frontière que ces titres décrivent.
45. Il est clair que la valeur probante des actes accomplis par les Parties après

les indépendances est très inférieure à celle qui s’attache aux actes du colonisateur.
Il est cependant tout aussi clair qu’ils manifestent l’assurance des Parties quant à
l’existence d’une limite dans la région. Ils indiquent également — tout au moins
dans les années 1960, avant que ne s’enflent les revendications du Mali — les
points considérés à l’époque comme constituant raisonnablement la frontière entre
les deux Etats, à la condition de faire la part entre la constatation et la revendica-
tion. C’est ainsi qu’en ce qui concerne la mare de Soum, le Mali lui-même, à l’oc-
casion de la réunion de la commission technique mixte de Tin Akoff, le 15 mai
1969 (II-87) considéra qu’il s’agissait là de la frontière. Pour contestable qu’elle
fût (voir supra n o 41), cette opinion avait changé en 1972, lors de la rencontre des
ministres de l’intérieur à Orodria, le 13 juillet 1972. Le ministre malien se décla-

rait alors: «surpris par la correspondance du ministre voltaïque de l’intérieur attri-
buant l’appartenance de Soum à la Haute-Volta» (mémoire du Burkina Faso,
annexe II-92).
S’appuyant sur l’arrêté général du 27 novembre 1935, le Mali plaça alors la
mare de Soum au nord de la frontière (cf. par exemple le communiqué de Radio-
Mali du 20 décembre 1974; ibid., annexe II-99). Il est aussi particulièrement frap-
pant de constater qu’à l’origine, tout au moins, le Mali considérait la mare de114 DIFFÉREND FRONTALIER [130-131]

Soum comme matérialisant la frontière. Ce n’est qu’au fur et à mesure de l’aug-
mentation de ses appétits territoriaux qu’il «repoussa» la frontière au sud de la
mare.
En réalité, comme le Gouvernement du Faso l’a montré, elle ne passe ni au sud

de la mare de Soum, ni au milieu de celle-ci, mais au-dessus du village du même
nom qui se trouve lui-même au nord de la mare et que le Burkina a constamment
administré depuis l’indépendance.
46. De tout ceci il résulte que:
i) Le tracé de la frontière retenu par la Partie malienne dans la région de Soum
est incompatible avec la description de la limite entre le Niger et le Soudan que

donne la lettre 191 CM 2 du 19 février 1935. o
ii) Il n’est d’ailleurs pas davantage compatible avec l’arrêté n 2728 du
27 novembre 1935 — qui n’a du reste aucun intérêt pour le règlement du diffé-
rend soumis à la Chambre puisqu’il a été abrogé par la loi du 4 septembre 1947
reconstituant la Haute-Volta dans ses limites de 1932.
iii) En revanche, le tracé indiqué par la lettre 191 CM 2 est confirmé par l’una-
nimité de la documentation cartographique produite par les Parties.
iv) Il en est ainsi, en particulier par la carte publiée en 1960 par l’IGN(F) sur
laquelle la frontière est figurée en croisillons continus (feuilles de Djibo et de
Dori).
v) En outre, la Partie malienne ne fait état d’aucun acte des administrations
coloniales alors que ceux dont le Gouvernement du Faso a retrouvé la trace confir-
ment tous que la région revendiquée par le Mali était administrée, avant l’indé-

pendance, par les autorités coloniales de la Haute-Volta.
vi) Dans la région de Soum, la frontière suit la ligne décrite par la lettre 191CM2
précitée, telle qu’elle est tracée sur la carte au 1/200000 de 1960.[132-134] 115

CHAPITRE IV

LA RÉGION DU BÉLI

(du mont Tabakarach au point triple)

1. Conformément aux dispositions de l’article premier, paragraphe 2, du
compromis du 16 septembre 1983:
«La zone contestée est constituée par une bande de territoire qui s’étend du
secteur Koro (Mali), Djibo (Haute-Volta) jusque et y compris la région du Béli.»

La Partie malienne voit dans cette dernière expression, la description «impré-
cise» d’«une région relativement étendue» ( I, mémoire, p. 26). Cela est, à vrai
dire, conforme à la nature même d’un compromis, qui ne saurait préjuger la déci-
sion de la juridiction ou du tribunal auquel le différend est soumis.
Au demeurant, cette imprécision et cette extension sont relatives. Ici comme
ailleurs, elles dépendent avant tout des prétentions de la Partie malienne; or il se
trouve qu’elles y ont été moins fluctuantes que dans le reste de la zone revendiquée
puisque, depuis la naissance du différend et jusqu’au dépôt du mémoire, le Mali a
constamment affirmé, pour reprendre les termes de ses conclusions, que:

«Le tracé de la frontière entre la République du Mali et le Burkina Faso
dans la zone contestée passe par ... la mare de Raf Naman, et de ce point suit
le marigot en passant notamment par la mare de Fadar-Fadar, la mare d’In
Abao, la mare de Tin Akoff et la mare d’In Tangoum pour aboutir au gué de
Kabia.» (Mémoire, p. 313.)
En d’autres termes, selon le Mali, la frontière suit le chapelet de mares perma-
nentes ou saisonnières, connu sous le nom de Béli ou d’Agacher, qui s’étend de
Raf Naman à la frontière nigérienne.
Pour sa part, le Burkina Faso a montré que la ligne frontière suit dans toute la
région le tracé de la carte au 1/500000, édition de 1926, qui place la limite entre

la Haute-Volta et le Soudan nettement au nord du Béli ( I, mémoire, p. 190).
Dans cette région, la zone revendiquée par le Mali est donc circonscrite à la rive
gauche du Béli.
1. Présentation géographique (rappel)

2. Le mémoire malien (p. 36 et suiv.) donne de la géographie physique de la
région une description qui paraît objective et sur laquelle il n’est pas nécessaire
de revenir sinon pour insister sur l’abondance de l’eau dans le Béli en saison des
pluies et sur le fait que l’expression «mares» appliquée aux points d’eau perma-
nents risque d’abuser: plus que d’«étangs» (mémoire du Mali, p. 36) c’est de véri-
tables lacs qu’il s’agit, portions d’un large fleuve qui, ailleurs, s’enfonce sous les
sables mais dont le lit reste fortement marqué en toutes saisons.
3. Sur le plan humain, la région présente la caractéristique d’être une zone
«mixte», parcourue par les nomades mais où l’on trouve des villages sédentaires,
principalement sur la rive droite du Béli (notamment Kacham, Tin Akoff et Kabia)
mais également sur la rive gauche (notamment à Menzourou et Tin Hrassan) où se
trouvent également des hameaux de culture et de nombreux campements; d’autre
part, les deux rives sont le domaine de populations qui pratiquent, selon le cas, la
transhumance ou le nomadisme et qui forment une mosaïque compliquée d’eth-
nies enchevêtrées (voir, notamment, annexe 144).116 DIFFÉREND FRONTALIER [134-136]

2. Rappelhistorique

4. Traditionnelle, la composition ethnique de la région explique le caractère
particulier qu’y a revêtu la conquête coloniale française. Contrairement à ce qui
s’est produit pour le cercle de Ouahigouya constitué, pour l’essentiel, sur la base
d’un traité unique conclu avec le Yatenga Naba (voir supra, chap. II, n o 4), la
conquête du territoire qui a formé le cercle de Dori s’est traduite par la conclu-
sion d’une multiplicité d’accords avec des rois ou des chefs locaux ne contrôlant
qu’un territoire limité et n’exerçant leur autorité que sur une population restreinte.
Ainsi l’accord conclu le 23 mai 1891 avec l’amirou Boaré, roi du Liptako, qui
aboutit, en 1895, à la création de la résidence de Dori, n’est que le principal des
très nombreux «traités» qui assurèrent la mainmise coloniale dans la région (voir
mémoire malien, annexe D/5).

Une fois la colonisation de la population sédentaire assurée de cette façon, la
France s’employa à réduire la résistance armée des tribus nomades dans la région
semi-désertique et jusqu’alors inexplorée constituée par ce que l’on appelait alors
la «région des mares» — qui incluait outre les mares du Béli proprement dites,
celles de Soum, de Gossi et de Mersi, etc. La «pacification» s’y traduisit non par
la conclusion de «traités» — quelque douteuse qu’en pût être la forme — mais par
la soumission progressive des tribus touaregs ou liées à celles-ci (voir les annexes
nos 120 à 123 et les annexes D/1, D/4 et D/5 jointes au mémoire malien). La
soumission de N’Dougui, chef de la tribu des Oudalans, en 1899 — dont le Mali
fait grand cas et sur laquelle le Gouvernement burkinabé reviendra ci-après (n o73)
— n’en est que l’une des manifestations: les Kel-es-Souk et les autre fractions

touaregs firent leur soumission en ordre dispersé (voir annexes précitées).
Il reste qu’en 1899 la colonisation de l’ensemble de la «Boucle du Niger», dont
le cercle de Dori faisait partie, était acquise, et que, les régions militaires ayant
été supprimées à compter du 1 erjanvier 1900, la résidence de Dori fut rattachée
au premier territoire militaire.
5. L’Oudalan, au sein duquel la région (burkinabé) du Béli est entièrement
incluse, a fait partie dès l’origine du cercle de Dori, dont il suivit le sort jusqu’à
l’indépendance (voir mémoire du Burkina Faso, p. 19 et suiv.). Il est inutile d’y
revenir, sauf à rappeler que si les limites administratives du cercle de Dori firent
l’objet de multiples modifications de la part de la puissance administrante, ce ne
fut pas le cas de sa limite septentrionale qui demeura absolument stable durant

toute la période coloniale: dans ce secteur l’ uti possidetis de 1960 renvoie donc à
la situation existant dès le début de la colonisation: en d’autres termes, la fron-
tière nord du cercle de Dori — qui a existé pendant toute la période coloniale —
a toujours été constituée par l’Oudalan dans ses limites de 1895-1899. Telle elle
était alors, telle elle doit être aujourd’hui.
6. Une remarque terminologique s’impose cependant.
Canton du cercle de Dori, l’Oudalan a reçu le nom de l’une des fractions toua-
regs nomadisant traditionnellement dans la région (et dont, au moment de la colo-
nisation, le chef était N’Dougui) et c’est au sein de cette fraction qu’a toujours été
choisi le chef du canton, «correspondant» de l’administration française, qui rece-
vait le nom d’amenocal.

Toutefois, aux tous débuts de la colonisation, la terminologie était beaucoup plus
incertaine et certains documents officiels font une distinction entre l’Oudalan
proprement dit d’une part et le Béli d’autre part; ce dernier terme désignait la
région s’étendant de part et d’autre du fleuve Béli, tandis que l’Oudalan (Oudala)
prolongeait celle-ci au sud, jusqu’à une vingtaine de kilomètres de Dori, autour
de Beiga, important carrefour de pistes qui semble n’avoir été supplanté par
Gorom-Gorom (et par Markoye) qu’ultérieurement. Ainsi le rapport du capitaine[136-139] CONTRE MÉMOIRE DU BURKINA FASO 117

Girodon, résident à Dori, en date du 7 février 1900, porte sur la tournée effectuée
par celui-ci «dans l’Oudalan et le Béli» et l’une des principales préoccupations
de son auteur consiste à se demander s’il convient de rattacher ces deux «pro-
vinces» — c’est le mot qu’il emploie — au cercle de Dori ou d’abandonner le Béli
à la résidence de Dounzou-Zinder (mémoire du Mali, annexe D/4).
La première solution — qui avait sa préférence — fut retenue et l’habitude s’est
prise dès le début du XX e siècle de nommer «Oudalan» l’ensemble de la partie
septentrionale du cercle de Dori (voir mémoire du Mali, annexe D/5, p. 6), tandis
que l’expression «région du Béli» a perdu toute connotation administrative et a fini

par ne plus désigner que la partie de l’Oudalan constituée par les deux rives du fleuve.
7. Pour le Mali l’absence de titre entraînerait l’inapplicabilité du principe de
l’uti possidetis et il conviendrait d’avoir égard exclusivement à l’exercice du
pouvoir administratif et d’appliquer à défaut des considérations d’équité (mémoire
p. 83-88 et p. 154 et suiv.). Le Burkina Faso estime pour sa part qu’une telle situa-
tion ne tiendrait aucunement en échec l’application de la règle fondamentale de
l’intangibilité des frontières coloniales dont les Parties sont convenues dans le
compromis (voir supra, chap. I) mais qu’en tout état de cause, comme dans la
région de Soum, il existe des titres écrits dont la Parie burkinabé peut se prévaloir
et que renforcent des titres cartographiques extrêmement solides (sect. 1) et une

pratique administrative constante (sect. 2).

Section 1. Les titres burkinabés

8. Contrairement à ce que la Parie malienne veut faire croire, les titres écrits
dont le Burkina Faso peut se prévaloir, en ce qui concerne la portion de la frontière

qui fait l’objet du présent chapitre, sont nombreux et concordants (par. 1) et leur
«carence» serait largement compensée par un «donné cartographique» qui
conforte unanimement le bien-fondé de la position burkinabé (par. 2).

PAR . 1. LES TITRES ÉCRITS

9. Comme la région de Soum, celle du Béli est précisément délimitée par la
lettre 191 CM 2 en date du 19 février 1935 (A). En outre, le silence même d’autres
arrêtés n’est pas dépourvu de signification (B)

A. La lettre 191 CM 2 du 19 février 1935
o
10. Dans la lettre n 191 CM 2 qu’il a adressée le 19 février 1935 aux lieute-
nants-gouverneurs du Niger et du Soudan français, le gouverneur général de l’AOF
décrit en ces termes le tracé de la limite entre les deux colonies:
«Elle traverse le fleuve Niger en direction sud, passe par le sommet du mont
Garibiri, prend une direction sensiblement ouest en passant par le sommet des
monts Sakourou-Sakor, des hauteurs de Gorontodi, des monts Tin Garan,

N’Gouma, Trontikato, par la pointe nord de la mare d’In Abao, le sommet des
monts Tin Eoult et Tabakaoach et s’infléchit vers le sud-ouest...» (Mémoire du
Burkina Faso, annexe n II-36, et mémoire du Mali, annexes D/32 et D/33.)
11. Le Gouvernement du Faso a montré, dans le chapitre consacré à la région de
o
Soum, la grande valeur probante s’attachant à ce document (chap. III, n 6). Il se
permet d’y renvoyer.
Il convient en outre de noter que la portion de la limite concernant la région du
Béli n’a fait l’objet d’aucune contestation de la part des commandants de cercle
intéressés auxquels la lettre a été communiquée; en particulier, il est très remar-118 DIFFÉREND FRONTALIER [139-141]

quable que celui de Gao qui demande, avec force arguments à l’appui, qu’un levé

précis de la limite entre Labbézanga et Anderamboukane soit effectué, n’oppose
aucune objection à l’encontre de la partie de la description concernant la région,
ceci alors que sa circonscription est concernée au premier chef (voir mémoire du
Mali, annexe D/35).
On ne peut imaginer consécration plus éclatante de la pertinence de cette
description.
12. Comme dans la région de Soum, celle-ci suit de manière fidèle les indica-
tions topographiques figurant sur l’excellente carte de la mission de Gironcourt de
1912 (ibid., annexe C/15) et de la carte au 1/500000 de 1925, feuille d’Ansongo
(carte n o7 déposée par le Burkina Faso), carte officielle sur laquelle les autorités
compétentes en matière de délimitation avaient l’obligation de se fonder (voir
supra, chap. I, n o 51 et chap. III, n o 8).

Du reste, et contrairement aux allégations de la Partie malienne, ces reliefs appa-
raissent très nettement sur la carte au 1/200000 de l’IGN(F) de 1960 ce qui atteste
de manière irréfutable leur existence.
Au surplus, le tracé que décrit la lettre 191CM2 est conforme à celui figu-
rant sur la quasi-totalité des documents cartographiques pertinents (voir infra, par. 2).
13. Par ailleurs, certains points de ce tracé apparaissent dans d’autres textes
réglementaires.
Tel est le cas, en particulier, de la mare d’In Abao au sujet de laquelle la Partie
malienne fait état de trois arrêtés en date respectivement du 7 mars 1916, du
31 décembre 1922 et du 7 mars 1942 (mémoire, p. 155), mais elle ne produit que
les deux premiers, relatifs à la réorganisation de la région de Tombouctou (annexes

B/21 et B/30) et, malgré ses efforts, le Gouvernement burkinabé n’a pas trouvé
trace du troisième.
14. Quant au mont N’Gouma, il est mentionné par l’arrêté 2336 du 31 août 1927
et son erratum du 5 octobre suivant (mémoire du Burkina Faso, annexes n osII-28
et II-29).
Ce n’est pas le lieu de développer ici des considérations relatives à l’emplace-
ment exact du mont N’Gouma: tel est l’un des objets du chapitre suivant. Il y sera
démontré que celui-ci est situé au nord du gué de Kabia et constitue le point triple
où se rejoignent les frontières du Burkina Faso, du Mali et du Niger.
Il est cependant nécessaire de rappeler dès maintenant que cette situation découle
nécessairement de la rédaction, très claire, du titre écrit indiscutable qu’est l’ar-

rêté du 31 août - 5 octobre 1927. Cette localisation a des conséquences extrême-
ment importantes en ce qui concerne l’appartenance de la rive gauche du Béli dans
son ensemble: même si, rejetant les titres cartographiques, et voulant s’en tenir aux
titres écrits, on traçait une ligne droite allant de la pointe nord de la mare d’In
Abao au mont N’Gouma — points qui sont l’un et l’autre clairement mentionnés
et situés par les textes —, il en résulterait inévitablement que la rive gauche du
Béli relevait du cercle de Dori et qu’elle doit, par conséquent, relever aujourd’hui
du Burkina Faso.
15. Le Mali procède sur ce point à un curieux raisonnement circulaire. Partant
du postulat selon lequel la limite est constituée par le Béli, il constate que les textes
infirment cette solution et en conclut que ces textes sont erronés:

«Il faut sans doute considérer que ces services étaient influencés, dans la
description qu’ils faisaient de la limite, non seulement par des toponymes
erronés mais surtout par une limite cartographique Soudan/Haute-Volta qui
était fantaisiste puisqu’elle faisait passer par les sommets de monts inexistants
une limite qui passait en réalité dans une vallée.» (Mémoire, p. 310.)

Il s’agit évidemment d’un tour de passe-passe juridique. Dès lors que — et les[141-143] CONTRE -MÉMOIRE DU BURKINA FASO 119

Parties en conviennent — les titres écrits l’emportent, lorsqu’ils existent, sur tout
autre élément, cartographique ou autre, il n’appartient pas aux Parties de les écarter
au prétexte qu’aurait été «fantaisiste» la documentation sur laquelle ils sont fondés
(quod non) .

16. Par conséquent, si l’on aborde la question sans préjugé, il est tout à fait clair,
comme cela est indiqué dans le mémoire burkinabé, que «suivant que les monts
N’Gouma se trouvent au nord du Béli, comme le pense le Burkina Faso, ou au sud-
est comme l’allègue le Mali, la frontière dans son ensemble reste située au nord
de ce chapelet de mares ou se trouve ramenée sur ses rives» (p. 174). Le Gouver-
nement du Faso montrera dans le chapitre VI que seule la première interprétation
est concevable.
17. Le tracé de la frontière défendu par la République du Mali n’est donc
conforme ni à la lettre 191 CM 2 du 19 février 1935, ni à l’arrêté 2336 de 1927.

B. Le silence des textes

18. Le Mali a relevé à juste titre que les administrateurs coloniaux évoquaient
en général dans leur correspondance ou leurs rapports, la «limite nord du cercle de
Dori» (ou sud du cercle du Gourma) sans autre précision (voir par exemple,
mémoire, p. 290). Il en tire la conséquence paradoxale que cette limite n’existait
pas et que «cette zone n’est pas délimitée sauf pour le point d’In Abao et pour les
hauteurs de N’Gouma» (p. 288).
En réalité, comme l’a montré le Gouvernement burkinabé à la suite de la sous-

commission juridique de la commission de médiation de l’OUA (mémoire, p. 108),
ce traitement par prétérition montre non que la limite n’existait pos mais, bien au
contraire, qu’elle «allait de soi» (voir aussi supra, chap. I, n 32 et suiv.).
19. Le même raisonnement s’applique avec une force particulière aux quelques
textes réglementaires pertinents dans la région faisant l’objet du présent chapitre.
Ainsi par exemple, l’article 5 de l’arrêté général du 7 mars 1916 portant réorga-
nisation des circonscriptions administratives de la région de Tombouctou, dispose:

«Le cercle de Gao, chef-lieu Gao, résidencesAnsongo, Ménaka, est délimité:
— au nord, par une ligne passant par Tondibi-Kerchouerl-Rharous-Talik et
s’infléchissant de ce point vers l’est parallèlement au dix-huitième degré
jusqu’à sa rencontre avec le méridien de Zizaouagane qui forme la limite
du territoire militaire du Niger et du Haut-Sénégal et Niger;
— au sud, par la limite actuelle;
— à l’ouest, par une ligne partant de Saleah sur le Niger (laissant ce village

au cercle de Bamba), et passant par En Amaka, Tinamassarort, les mares
de Oussodia, Mersi, In Abao, et à partir de ce point la limite septentrio-
nale du cercle de Dori .» (Mémoire du Mali, annexe B/21 — les italiques
sont du Gouvernement burkinabé.)
Le procédé utilisé est très significatif: dans toute la mesure où la limite est
modifiée ou incertaine, les repères géographiques sont précisés, dès lors qu’elle est
connue, la description s’arrête. L’arrêté du 31 décembre 1922 procède de la même

manière.
20. Il est également intéressant de constater que ces arrêtés semblent mention-
ner assez systématiquement les repères géographiques figurant sur les cartes dont
ils s’inspirent: si la limite entre les cercles de Gao et de Dori suivait le Béli, tout
donne à penser qu’ils l’auraient mentionné, or ils s’en gardent bien. Cela consti-
tue un indice supplémentaire qui va à l’encontre des prétentions maliennes et
confirme que la limite passe au nord du Béli.120 DIFFÉREND FRONTALIER [144-146]

P AR. 2. ES TITRES CARTOGRAPHIQUES

21. Fondamentale pour le règlement du litige dans son ensemble, l’étude des
cartes établies par le colonisateur est tout particulièrement riche d’enseignements
dans la zone considérée.
Cette étude, qui lève toute équivoque en ce qui concerne la situation de la mare
d’In Abao, ne laisse subsister aucun doute en ce qui concerne le tracé exact de la
frontière que pour l’extrême-est de la zone revendiquée par le Mali (B). Elle
permet en revanche d’avoir une conception globale extrêmement claire de son
orientation générale: elle passe nettement au nord du Béli (A).

A. Le «profil général» de la frontière
22. Résumant sa position sur la question, le Gouvernement malien, qui conteste

en règle générale et l’autorité et la crédibilité des cartes, croit pouvoir affirmer en
ce qui concerne la zone du Béli:
«Une partie des cartes a placé la frontière dans le thalweg du chapelet des
mares de Raf Naman au gué de Kabia. D’autres ont placé la frontière à
quelques kilomètres au nord.» (Mémoire, p. 288.)

Ces affirmations relèvent de la méthode Coué. Le «donné cartographique»
témoigne, au contraire, d’une très remarquable constance.
23. Le Burkina Faso a indiqué dans le chapitre II, n les cartes qui peuvent
être utilisées pour déterminer le tracé de la frontière litigieuse.
Certaines d’entre elles ne concernent pas la région du Béli, et ne présentent donc
aucune pertinence ici, tel est le cas des annexes au mémoire malien n C/26,
C/29, C/33, C/42, C/43, C/57 et C/68.

Bien que de valeur inégale, toutes les autres cartes produites par les Parties, au
nombre de cinquante et un, à des degrés divers, sont pertinentes pour la solution
du différend soumis à la Chambre.
24. Le tableau ci-après résume les caractéristiques des cartes pertinentes. Un com-
mentaire plus précis de chacune d’entre elles figure dans l’annexe au présent chapitre:

2
1 Année Fiabilité Position de
Carte d’établissement ——————————————— la frontière
de la carte Topographie Toponymie par rapp3rt
au Béli

C4 1900 + + N/S
C/5 1900 (?) + + N

C/6 1903 + + N/S
C/9 1908 + + N
C/10 1909 ++ + N
C/11 1910 + + N
C/12 1911 + + N
no 1 1911 ++ + N
C/15 1912 ++ +++ non précisé
C15bis 1915 + + N
n o2, C/18 1922 + + N
o
n 3o C/17 1922 + + N
on 4 1922 ++ + N
n 5o C/21 1925 ++ + N/S
n 6 1925 ++ + N[146-147] CONTRE MÉMOIRE DU BURKINA FASO 121

2
1 Année Fiabilité Position de
Carte d’établissement ——————————————— la frontière
de la carte Topographie Toponymie par rapp3rt
au Béli

n 7, C/23

etoC/24 1925 ++ +++ N
o 8 1925 + + N
n 11a 1926 ++ ++ N
nos9a, 9 b et 9 c
C/28, C/25
et C/27 1926 + ++ N
no13a 1927 + + N
C/31 1928 + + N
o
n 10 1928 + ++ N
C/32 1932 + + N
no 11b et C/34 1933 ++ ++ N
no12a 1934 ++ ++ N
no12b 1936 ++ ++ N
C/70 1940 + ++ N
C/36 1946 ++ ++ N
o
n 13 b et C/35 1947 +++ ++ N
C/37 1948 ++ ++ N
C/37bis 1948 +++ ++ N
C/39 1950 +++ ++ N
no 14 1951 ++ ++ N
no 15 1953 +++ ++ N
no 17 1953 (?) +++ +++ N
no 16 1954 +++ +++ N
os
n 21c, 21 d,
21e, C/40
C/44 et C/41 1958-1961 +++ +++ N
nos21f, 21 g,
C/45 et C/46 1961 +++ +++ N
no 20 1963-1966 +++ +++ N
no 23 1970 +++ ++ N
os
n o4 et 25 1972-1973 +++ +++ N
n 26 1976 +++ +++ N
C/50 et C/51 1977 +++ +++ N

1Seuls sont indiqués les numéros des cartes déposées par le Burkina Faso au Greffe de
la Chambre (n ou des annexes au mémoire du Mali (C/). L’intitulé de la carte figure dans
l’annexe au présent chapitre.
2Les croix correspondent au degré de fiabilité de la topographie (colonne 3) et de la topo-
nymie (colonne 4). Le classement retenu est le suivant:
+++ qualité modeste
+++ qualité et fiabilité raisonnables
+++ carte de bonne qualité

Ces appréciations sont évidemment simplificatrices. Il est difficile de comparer la qualité
d’3ne carte récente au 1/200000 à celle d’une carte ancienne au 1/2000000.
La lettre N indique que la frontière est figurée au nord du Béli, la lettre S qu’elle passe
au sud de celui-ci.122 DIFFÉREND FRONTALIER [148-150]

25. Refusant d’accorder aux cartes une valeur probante, la Partie malienne

concède cependant que, même en l’absence de texte (or, ici, il y a des textes), les
cartes ont «un caractère indicatif» (mémoire, p. 242). Elle n’en tire guère de
conséquences et, comme ceci a déjà été souligné à propos plus spécialement de la
carte au 1/200000 dressée à la fin de la période coloniale (voir supra, chap. I,
nos 67 et suiv.), cette attitude est tout particulièrement paradoxale de la part d’un
Etat qui accorde une importance fondamentale — et sans doute excessive — aux
actes d’administration effective.
Les cartes pertinentes ont été dressées, pour la plupart, par un organisme qui
n’avait certes pas compétence pour délimiter les circonscriptions territoriales dans
les possessions françaises en Afrique, mais qui était du moins officiellement chargé
d’établir, de conserver, de classer et de diffuser tous les documents cartographiques
intéressant l’AOF (cf. l’arrêté général du 1 ermars 1922, mémoire du Burkina Faso,

annexe II-25). Au surplus, ces cartes devaient servir de référence obligatoire à
toutes les opérations de délimitation opérées par les autorités investies de cette
responsabilité (cf. la circulaire 93 CM 2 du 4 février 1930; voir l’annexe 127) et
les plus courantes d’entre elles — en particulier les cartes au 1/500000 de 1925
et l’Atlas des cercles de 1926 — constituaient le vade-mecum des administrateurs
coloniaux et jouaient un rôle exceptionnel justement en l’absence de texte.
26. Ceci relativise considérablement l’importance des erreurs techniques que le
Mali a pu relever, parfois à juste titre, sur telle ou telle d’entre elles: exactes ou
non, elles étaient les seuls documents sur lesquels les fonctionnaires de l’adminis-
tration coloniale, à tous les échelons, pouvaient se fonder pour connaître les limites
des circonscriptions et ils s’y fiaient en effet (voir chap. I, n o 50). En ce sens, elles

constituent la première et la plus importante des «effectivités». Dans la zone du
Béli, il ne fait aucun doute que les cartes faisaient fos et que, pouvant constater
sur toutes les cartes dont il disposait (voir infra n 28 et suiv.) que les deux rives
du Béli se trouvaient dans sa circonscription, l’administrateur de Dori en dédui-
sait qu’il avait juridiction sur l’ensemble de la zone, de la même manière que son
collègue de Gao savait que sa compétence ne s’y étendait pas.
Dans cette perspective, la discussion sur la valeur juridique des cartes paraît bien
abstraite et presque oiseuse. Comme l’a constaté la sous-commission juridique de
la commission de l’OUA, même dans l’hypothèse de l’absence de titre écrit:

«la seule ressource est de se reporter aux cartes, même si elles sont imprécises
dans la mesure où aucune carte d’une fiabilité plus grande ou aucun texte ne
les contredit sans équivoque» (rapport du 14 juin 1975, mémoire du Burkina
Faso, annexe II-103, p. 11).

27. Sans doute, les «lacunes», les «erreurs» et les «incohérences» que dénonce
le Mali, non sans exagération (mémoire, p. 215), peuvent-elles faire naître l’incer-
titude sur tel ou tel point précis du tracé de la frontière — c’est surtout le cas pour
le mont N’Gouma, mais la question est résolue par les textes (voir infra, chap. V)
— mais la consultation, attentive et même critique, de l’imposant matériau carto-
graphique réuni par les Parties ne peut laisser subsister la moindre hésitation en
ce qui concerne le «profil général» de ce tracé dans la zone du Béli.
Il convient en effet de rappeler à cet égard l’importance juridique que revêt la
constance ou, au moins, la «prépondérance marquée» (sentence du 18 avril 1977,

Canal de Beagle , par. 139, p. 84), des éléments cartographiques en faveur de l’une
des Parties à un litige frontalier (voir mémoire du Burkina Faso, p. 133-136 et
179).
28. En l’espèce, les Parties ont produit cinquante et un documents cartogra-
phiques concernant la région du Béli et sur lesquels figure la limite entre les deux
Etats (ou entre les circonscriptions antérieures). Sur ces cinquante et un documents,[150-152] CONTRE -MÉMOIRE DU BURKINA FASO 123

quarante-huit situent très nettement la frontière à plusieurs kilomètres au nord du
Béli, sur les trois autres la limite entre le cercle de Dori et celui de Gao traverse
la rivière.
29. Ces trois cartes hétérodoxes sont:
o
— la carte des étapes de 1900 (voir l’annexe au présent chapitre, n 1);
— la carte de l’AOF de 1903, feuille de Tombouctou ( ibid., no 3);
— la carte d’Afrique du service géographique de l’armée, feuille Niger, de 1925
(ibid., no 12).

L’analyse de chacun de ces documents considéré isolément est présentée en
annexe. Globalement, ils appellent les remarques suivantes:

i) Il s’agit de cartes à très petite échelle (1/2000000 dans tous les cas).
ii) Les deux premiers sont parmi les pièces les plus anciennes produites par los
Parties et ont été dressés à une époque de «tâtonnement» (voir chap. I, n 37) pour
ce qui était de la fixation des limites territoriales des diverses circonscriptions terri-
toriales en voie de constitution. Sur la carte du Gourma établie au même moment
(1900 ou 1901), la limite passe au nord du Béli (annexe, n o 2).
iii) Le Gouvernement burkinabé a expliqué (Petit Atlas ; voir aussi annexe,
no 12) la confusion commise en 1925 sur le document établi par le service géogra-
phique de l’armée et qui ne figure que sur la feuille du Niger (cartes n o 5 et C/21).
o
La feuille correspondante du Soudan français ne fait pas cette erreur (carte n 6;
l’annexe C/22 au mémoire du Mali, produite sans légende ni référence, ne peut être
prise en considération selon le Gouvernement du Faso).
iv) Sur aucun de ces documents la rive gauche du Béli n’est attribuée intégra-
lement au cercle de Gao: sur la carte de 1900, Raf Naman est sur la ligne de limite
des secteurs qui passe au sud du Béli pour remonter ensuite au nord; sur la carte
de 1903, Raf Naman figure au nord de la limite qui semble suivre ensuite le fleuve
pour passer ensuite nettement au nord et suivre à nouveau le fleuve; enfin, sur la

feuille Niger de 1925 «Raf» (sic) est nettement au sud de la limite puis, à partir
d’un point non précisé, les tracés de la limite et du Béli sont inversés par rapport
à leur représentation habituelle, une large partie de la rive droite étant laissée au
cercle de Gao...

Cette très grande hétérogénéité dans la représentation de la frontière interdit
donc absolument de considérer ces trois documents comme une série cohérente: ce
sont des anomalies — explicables soit par leur ancienneté (cartes de 1900 et 1903),
soit par une interversion (carte de 1925) — qui n’entament pas la valeur probante
et la cohérence de l’imposante série globalement homogène constituée par les
quarante-huit autres documents produits.
30. Il est vrai que, dans le détail, cette série elle-même n’est pas parfaitement
homogène; le tracé précis de la limite varie quelque peu d’un document à l’autre.
Il est cependant tout à fait révélateur qu’à partir des années 1920, il ait, de manière

constante, la même «allure» générale: la région est mieux connue (en grande
partie sans doute du fait de la révolte de 1916 et de la répression puis de la
surveillance accrue qu’elle a entraînées); les techniques cartographiques s’affinent;
le contrôle exercé par les organes politiques et administratifs supérieurs se renforce
— le service géographique de l’AOF, organisé en 1922, est un organisme centra-
lisateur efficace et qui veille à l’harmonie et à la cohérence de la «politique carto-
graphique» (voir, à titre d’exemple, infra, l’annexe 127).
Il n’est pas douteux que la qualité technique des différentes cartes élaborées

durant la période 1920-1960 varie considérablement, dans le temps, en fonction des
progrès des techniques, mais aussi selon le soin mis à les établir, mais les défauts
éventuels sont bien plus marqués en ce qui concerne la topographie ou la topony-124 DIFFÉREND FRONTALIER [152-155]

mie que pour ce qui est de la représentation des données administratives (chefs

lieux de circonscription, limites administratives).
Il n’est pas non plus discutable que ces cartes on été plus ou moins diffusées,
plus ou moins officielles, et qu’à cet égard la carte au 1/500000 de 1925, l’ Atlas
des cercles de 1926 et la carte au 1/200000 de 1960, présentent une importance
toute particulière. Mais ces nuances sont, en définitive, négligeables au regard de
l’«effet de masse» produit par l’accumulation des éléments cartographiques allant
dans le même sens: dans la région du Béli, le véritable titre juridique du Burkina
Faso n’est pas tant constitué par telle ou telle de ces cartes que par l’ensemble
qu’elles forment et qui ne laisse pas subsister le moindre doute sur l’appartenance
de la rive gauche du Béli au Faso.

B. Le tracé de la frontière (les points litigieux)

31. Outre cet enseignement général on peut tirer un certain nombre de conclu-
sions de l’étude de la cartographie en ce qui concerne la localisation de certains
points par rapport à la frontière.
Une précision s’impose cependant à cet égard: au point de vue strictement topo-
graphique, les cartes établies à partir de levés réguliers reposent sur des détermi-
nations acceptables (voir mémoire du Burkina Faso, p. 130-131) mais seules les
cartes modernes, dessinées à partir de photographies aériennes, sont totalement
fiables (ibid., p. 131-132): c’est le cas seulement pour la carte au 1/200000 de la
fin de la période coloniale. Cependant, cette exactitude technique ne donne pas de
garantie supplémentaire en ce qui concerne le report sur le fond de carte des indi-

cations toponymiques ou administratives pour lesquelles les mêmes erreurs
humaines qu’auparavant — méconnaissance de langues locales, erreur d’interpré-
tation, interversion — demeurent possibles.
A l’inverse, il convient de préciser que l’imperfection technique des cartes anté-
rieures aux photographies aériennes ne constitue pas forcément un handicap grave
pour ce qui est de la situation des données administratives par rapport aux acci-
dents de terrain; ce qui importe c’est la place relative des unes et des autres: même
si la mare de Fadar-Fadar ne figure pas exactement au point géodésique conve-
nable, cela présente peu d’inconvénient dans la perspective du règlement du diffé-
rend; seule la question de savoir si la frontière est figurée au nord de cette mare
ou la traverse est réellement pertinente, le reste relevant plus de la démarcation

sur le terrain que de l’opération de délimitation demandée à la Chambre de la Cour.
32. Du même coup, l’intérêt des calculs effectués par le Mali en ce qui concerne
la situation «cartographique» des mares de Raf Naman ou d’In Abao par exemple
(mémoire, p. 219-220 et annexe C/64) apparaît très limité: le Mali se fonde en
partie sur des cartes anciennes qui auraient dû être exclues de la comparaison pour
d’évidentes raisons techniques; il omet de rapporter les «incohérences» relevées
à l’échelle des cartes considérées, ce qui donne pour 10 kilomètres = 2 centimètres
au 1/1000000 et 1 centimètre au 1/2000000; et, surtout, il se concentre sur l’as-
pect cartographique du problème, qui peut être intéressant pour des spécialistes
mais n’a qu’une importance toute relative pour une juridiction et néglige, au
contraire, ce qui importe au premier chef: les mares du Béli figurent nettement au

sud de la limite sur toutes les cartos présentées sauf, partiellement, sur les trois
documents analysés ci-dessus (n 29). Cela est vrai pour chacune de celles qui fait
l’objet d’une attention particulière dans le mémoire malien:
— Raf Naman (p. 219 et 293) 1;

1Voir les cartes ns9a, 11 a, 11 b, 11 c, 11 d, 13 b, 16, 21 d, 21 g; C/32, C/37, C/39, etc.[155-157] CONTRE -MÉMOIRE DU BURKINA FASO 125

— Fadar-Fadar (p. 293) ; 1
— In Abao (p. 220 et 294);
2
— Tin Akoff (p. 295) ; 3
— In Tangoun (p. 297) .

33. La mare d’In Abao pose des problèmes particuliers.
En premier lieu sa situation relative par rapport à celle d’In Kacham est incer-
taine.
Sur un certain nombre de cartes, seule la mare d’In Abao est mentionnée 4.
D’autres cartes ne mentionnent que la mare d’In Kacham 5.

Toutefois, sur toutes les cartes citées la frontière rejoint une mare, et une seule,
et, dans tous les cas, dans lesquels l’une et l’autre sont figurées, il s’agit de la plus
occidentale des deux, qui est toujours celle d’In Abao 6.
D’autre part, les textes — qui priment les cartes, les Parties en conviennent —
n’évoquent que la mare d’In Abao en tant que point-frontière (voir supra n o 13).

De l’avis du Gouvernement burkinabé, la combinaison de ces deux remarques
appelle la conclusion suivante: la frontière touche le Béli en un point unique qui
est la plus à l’ouest des deux mares, appelée tantôt «In Abao», tantôt «In (ou Tin)
Kacham».

34. Par ailleurs, une mare est un espace, et non un point permettant de fixer
avec rigueur la frontière. Le Mali affirme que celle-ci doit couper la mare en son
milieu. C’est négliger les textes les plus précis (voir supra n os 13 et suiv.), mais
aussi les enseignements que l’on peut tirer de la cartographie.
Si, en effet, certaines cartes sont trop imprécises pour fournir quelque élément

que ce soit; d’autres sont beaucoup plus éclairantes: la mare d’In Aba7 (In
Kacham) y revêt la forme d’un triangle de base est-ouest .
Sur aucune de ces cartes la frontière ne passe au milieu de la mare; elle ne la
touche qu’à la pointe nord.
35. La ligne mare de Fitili, mont N’Gouma, gué de Kabia pose d’autres pro-

blèmes spécifiques. Ils feront l’objet d’une étude particulière dans le chapitre V
consacré au point triple.

Section 2. La confirmation des titres burkinabés
par la pratique administrative

36. Il existe entre les Parties une grave divergence de principe sur la significa-
tion juridique des actes d’administration effective. En simplifiant, mais sans cari-
caturer, on peut considérer que pour la Partie malienne qui n’attache, en l’espèce
en tout cas, aucune valeur aux cartes, «l’effectivité possède ... une fonction substi-

tutive » (mémoire, p. 251, les italiques sont dans le texte), alors que, de l’avis du
Gouvernement burkinabé, les actes d’administration ne peuvent que confirmer la
valeur et la portée des titres, écrits ou cartographiques, dont les Parties peuvent se
prévaloir.

1 os
2Voir les cartes n os, 11 c, 11 d, 13 b, 16, 17, 18, 21 c ; C/39, C/51, etc.
Voir les cartes n 4, 7, 9 b, 11 a, 11 b, 11 c et 11 d, 13 b, 16, 17, 18, 21 c, 21 g ; C/11,
C/39, C/51, etc.
3Voir les cartes n os4, 6, 7, 9 a, 9 b, 11 a, 11 b, 11 c, 11 d, 13 b, 16, 21 c ; C/36, C/39, etc.
4Voir les cartes n os9a, 9 b, 9 c, 12 a, 12 b ; C/31, C/39.
5Voir les cartes n os11a, 11 b, 11 c, 11 d, 16, 18, 21 g ; C/51.
6Voir les cartes n os4, 7 ; C/70.
7Voir les cartes n os7, 9 a, 9 b, 9 c, 11 a, 11 b, 11 c, 11 d ; C/70.126 DIFFÉREND FRONTALIER [158-160]

En désignant la région du Béli comme «la zone non délimitée» (mémoire,
p. 288), le Mali fait l’aveu de son incapacité à se réclamer de quelque titre que ce
soit. Il se retranche en conséquence derrière une analyse de la pratique adminis-
trative dont, bien qu’elle constitue le seul succédané de titre dont il puisse se récla-

mer, il reconnaît curieusement qu’elle est incertaine et lacunaire.
37. Le Gouvernement du Faso n’éprouve pas le même embarras. S’il reconnaît,
avec la Partie malienne, que les administrateurs devaient adapter leurs comporte-
ments aux particularités de la région, il n’en reste pas moins que ces comporte-
ments témoignent de la conviction du caractère obligatoire des limites administra-
tives décrites par les textes et figurant sur les cartes (par. 1), que confirme aussi
leur description par les administrateurs coloniaux eux-mêmes (par. 2).

P AR. 1. L A PRISE EN COMPTE DES PARTICULARITÉS GÉOGRAPHIQUES DE LA RÉGION

38. De tous temps, l’Oudalan, et plus particulièrement sa partie septentrionale
constituée par la région du Béli, a présenté des particularités ethniques et géogra-
os
phiques (voir supra n 1 et suiv.). La plus remarquable, et celle qui pose les
problèmes les plus difficiles dans le cadre du présent litige, tient à la relative rareté
des établissements permanents. Cela ne signifie pas qu’il s’agisse d’une zone inha-
bitée, même si la densité de la population y est faible: il s’agit essentiellement
d’une région de passage traversée par les nomades et leurs troupeaux, à la
recherche d’eau, qui ne s’y fixent que temporairement.
Nomadisme et accès à l’eau sont les deux réalités premières, indissociables —
elles ne sont dissociées ci-après que pour les commodités de l’exposé —,
auxquelles l’administration coloniale a dû s’adapter.

A. Le nomadisme

1. Limites territoriales et nomadisme

39. Dans cette zone peu hospitalière en saison sèche, la conception européenne
d’une administration «territorialisée», étroitement enfermée dans des limites
rigides, a été plaquée de manière artificielle et imposée à une population qui, du
fait de son mode de vie, pouvait difficilement s’en accommoder (voir mémoire du
Burkina Faso, p. 32 et suiv.).
Les mouvements migratoires saisonniers qui caractérisent le nomadisme ne
pouvaient en effet être enfermés dans des limites cohérentes dans une perspective
européo-centriste. Il est vrai que le colonisateur s’y est essayé, mais, contrairement
à ce qu’écrit le Gouvernement malien (mémoire, p. 258), il est faux qu’il y ait
réussi, indépendamment même de la méconnaissance des flux migratoires au début
de la mainmise coloniale.
Cette impossibilité tient au moins à deux raisons.
40. D’une part les parcours des nomades ne sont pas fixés ne varietur . Il y a

certes des parcours habituels correspondant aux rythmes des saisons mais, en cas
de sécheresse exceptionnelle, les nomades n’hésitent pas à s’écarter de ceux-ci,
parfois considérablement, à la recherche de points d’eau. Les documents produits
par les Parties en fournissent des exemples. Ainsi, dans une note du 9 avril 1950,
le commandant de cercle de Dori note que:

«l’abondance de l’eau (et non «l’absence de l’eau», comme l’écrit la Partie
malienne) dans les mares permanentes du Béli, Tin Akoff, Fadar-Fadar, et la
bonne qualité des pâturages environnants, fait de cette région une zone d’at-[160-162] CONTRE -MÉMOIRE DU BURKINA FASO 127

traction pour les nomades et qu’il est utile et parfois même indispensable pour
les Bellahs d’Ansongo d’y amener les troupeaux» (mémoire du Burkina Faso,
annexe II-50).

41. D’autre part, les parcours des différentes tribus nomades s’entrecroisent, se
chevauchent partiellement, mais ne se recoupent pas entièrement. Il était donc
impossible à la puissance coloniale de les enfermer simultanément dans des limites
administratives uniques. S’il est vrai que, parfois, le colonisateur semble s’être
efforcé de le faire pour une tribu donnée, il en résultait inévitablement que les
parcours habituels des autres tribus de la région étaient, du même coup, divisés par
les mêmes limites. Ceci apparaît très clairement sur les cartes qui schématisent les
aires de nomadisation des différentes tribus, comme l’excellente carte du sommet
de la Boucle du Niger dressée par la mission de Gironcourt (voir carte C/15
annexée au mémoire du Mali).
Comme le note un rapport de tournée du chef de la subdivision d’Ansongo en
1941:

«Les tribus nomades du Gourma n’ont aucune notion du territoire propre à
une tribu. La tribu des Kel-es-Souk d’Ansongo est bien installée dans la
région et occupe à peu près tous les points d’eau, mais au milieu de ceux-ci
on trouve les Kel Rhéris, les Kel Gossi et les Chériffen de Gao.» (Mémoire
du Mali, annexe D/67.)

42. Quoiqu’ils donnent des renseignements de nature différente, les croquis
établis par l’ORSTOM en 1977 et par la DCNT du Mali en 1985, sont également
fort riches d’enseignements.
Le dernier document cité, qui ne tient aucun compte de l’importance relative des
différents flux migratoires et ne fait pas de distinction entre les points de transit
et de séjour, montre cependant que, pour l’essentiel, les mares du Béli se trouvent
sur le passage des nomades venus du nord mais ne constituent pas leur limite méri-
dionale:

— Raf Naman constitue un lieu de passage entre Tin Tabakat et Deou (flèche
rose);
— Kacham, un point de transit entre Tan Deriwel et Raf Naman d’une part (flèche
marron) et entre In Tillit et Bangao d’autre part (flèche verte);
— In Tangoun, un lieu de passage aussi entre Kakou et Ziguiberi (flèche rouge); et
— Kabia, un point de parcours entre Leleytan et Markoy (flèche orange). (Voir

carte C/52 annexée au mémoire du Mali.)
Quant aux croquis dressés par l’ORSTOM, plus neutres, ils montrent eux aussi
que le Béli n’est que très accessoirement le point d’arrivée ou de départ des migra-
tions saisonnières. Sur la planche relative aux zones d’endodromie pastorale de
l’Oudalan, le Béli constitue un point de départ des transhumances d’hivernage dans
trois cas et un point d’arrivée (situé d’ailleurs au nord du marigot) dans un cas

(voir carte C/51 bis). Ceci est plus frappant encore à l’ouest, dans la région de Raf
Naman et de Fadar-Fadar qui fait l’objet du croquis très précis relatif aux «mares
amont du Béli et points d’eau périphériques — les transhumances d’hivernage».
Il y apparaît très clairement que ces deux mares, la première surtout, sont d’im-
portants lieux de passage des nomades, qui transhument du nord au sud, mais non
la limite de cette transhumance (voir carte C/51).
43. Les enseignements que l’on peut tirer de ces considérations sont clairs et
fort différents de la thèse avancée par le Mali avec une certaine insistance.
Selon le Gouvernement malien, «la notion de cercle n’est pas exempte de tout
préjugé ethnologique» (mémoire, p. 152) et «l’implantation des populations sur128 DIFFÉREND FRONTALIER [162-165]

le terrain» ( ibid., p. 11) serait dès lors un élément important à prendre en consi-
dération pour le règlement du différend. Comme l’a montré le Gouvernement
burkinabé (supra, chap. I, n os28 et suiv.), ceci revient à demander à la Cour de se
prononcer en équité, ce qui n’est pas prévu par le compromis, et à redessiner les

frontières entre les deux pays. En outre, les faits sur lesquels le Mali prétend se
fonder sont inexacts.
44. Sans doute, dans certains cas, des considérations ethniques n’ont-elles pas
été étrangères aux opérations de délimitation (cf. mémoire du Mali, p. 152-154)
mais, s’agissant du cercle de Dori, ce sont des objectifs opposés qui ont prévalu.
Loin de tenter de constituer une circonscription ethniquement homogène, la puis-
sance administrante y a joué la carte de la pluralité. Ceci ressort très nettement de
la lettre adressée le 28 janvier 1921 au gouverneur général l’AOF par le lieutenant-
gouverneur de la Haute-Volta. Préoccupé par les «chevauchements de races que
la création de la Haute-Volta avait pu créer ou laisser subsister à la limite des colo-
nies voisines», celui-ci traite tout particulièrement de la «question du rattachement
à la colonie du Haut-Sénégal-Niger des Touaregs» et s’interroge sur l’intérêt qu’il
pourrait y avoir à rattacher à cette colonie «les éléments relativement peu impor-

tants qui chevauchent la frontière», «pour assurer l’unité de direction sur une race
particulièrement difficile». Mais, en accord avec l’aministration du cercle de Dori,
il conclut en faveur du maintien du statu quo en se fondant, non sans cynisme, sur:
«l’antagonisme des races (qui), loin de susciter des difficultés, nous fut particu-
lièrement utile à diverses époques» (mémoire du Burkina Faso, annexe II-22);
(voir supra, chap. II, n os39-40).
45. La position contraire aurait du reste constitué un travail de Sisyphe et seule
la constitution d’une vaste administration non «territorialisée» couvrant l’ensemble
des aires de nomadisation de la Boucle du Niger aurait permis de placer les tribus
nomades touaregs ou autres sous la coupe d’une administration unique. Des projets
en ce sens ont existé et des embryons de réalisation ont vu le jour mais seulement
sur des portions limitées des colonies françaises au Sahel; jamais en Haute-Volta.
Dès lors, pendant et après la colonisation, les nomades ont suivi leurs pratiques

ancestrales et nomadisé à la recherche des pâturages et de l’eau sans égards exces-
sifs pour des limites dont nul ne conteste l’arbitraire. Faute de pouvoir fixer les
nomades, l’administration coloniale s’efforce d’en contrôler les migrations. Et c’est
à travers ses tentatives de contrôle que transparaît le plus clairement l’idée que les
administrateurs se faisaient des limites de leur circonscription.

2. Le contrôle des migrations
46. Le Gouvernement du Faso rejoint celui de la République du Mali lorsqu’il
souligne les «difficultés de l’exercice du pouvoir» colonial, sinon «dans les
confins» (mémoire, p. 265), du moins dans la région du Béli.
Trois éléments, toutefois, viennent nuancer cet accord.
47. Le Mali insiste sur le caractère sporadique et incertain du contrôle admi-
nistratif:

«Les postes ne possédaient qu’une armature administrative très légère, ce
qui ne leur permettait pas de surveiller ce type de confins qu’ils ne visitaient
que très rarement dans leurs tournées.» (Ibid.).

Mais, dans ces conditions, si l’exercice effectif des compétences territoriales
était si difficile, si rare, si aléatoire, et se manifestait en outre sans que la locali-
sation de ces actes soit toujours bien définie, il convient à l’évidence d’être plus
prudent que ne l’est la Partie malienne lorsque l’on tire argument de ces actes d’au-
torité. Si on ne les ramène pas à un titre, cartographique notamment, ils n’ont guère
de signification.[165-167] CONTRE -MÉMOIRE DU BURKINA FASO 129

48. Les causes de ces difficultés ne paraissent pas non plus avoir été convena-
blement cernées par le Gouvernement malien.
L’éloignement des centres administratifs n’explique pas tout. On peut même
penser qu’en bonne logique il y aurait eu là motif d’exercer un contrôle plus

poussé qu’ailleurs: le caractère frontalier de la zone présente un attrait considérable
pour les fractions qui complotent contre le colonisateur comme pour celles qui
cherchent à échapper à l’impôt, à la conscription ou au travail forcé et ces facteurs
sont en effet à l’origine de multiples incidents.
Il y a certes une part de vérité dans la relative rareté des cadres administratifs
coloniaux; mais là ne semble pas résider le principal facteur explicatif des dif-
ficultés particulières rencontrées par l’administration coloniale dans la région du
Béli (le problème se posait partout dans les mêmes termes). La véritable raison
de ces difficultés tient, bien davantage, aux caractères propres au nomadisme.
Une population parfois introuvable, toujours mouvante — et à travers plusieurs
cercles —, ne peut être encadrée, recensée et imposée comme celle de villages
sédentaires.
49. Ceci conduit à une troisième observation, tout à fait fondamentale.

Comme le Mali le souligne à juste titre, les manifestations d’administration
effective sont bien différentes de celles qui prévalent en zone sédentaire: ici, peu
de villages ou d’écoles, guère de cultures, et toujours temporaires, et des difficul-
tés plus grandes qu’ailleurs pour le recensement, la collecte des impôts ou la
police. Face à la situation fluide qu’elles affrontent, les administrations des cir-
conscriptions voisines doivent s’adapter. Elles le font, en particulier en tentant
d’organiser la transhumance et la migration et en renforçant leur coopération
(cf. mémoire du Mali, p. 260-265).
Mais cette coopération renforcée ne signifie nullement, en droit, que le Béli fût
une sorte de condominium relevant de la «coresponsabilité des chefs de circons-
cription concernés» (mémoire du Mali, p. 265) — les commandants des cercles
de Dori et de Gao en l’espèce.
En règle générale, la coopération entre administrations de cercles voisins ne

traduit en aucune manière le «flou de la détermination de la délimitation» (ibid.)
mais a, au contraire, pour objet de la faire respecter. Tous les actes cités par les
Parties (cf. mémoire du Burkina Faso, p. 40 et suiv., 139 et 183 et suiv., et
mémoire du Mali, p. 261 et suiv. et 293 et suiv.), relèvent de cette «nostalgie de
sédentaire», qui «a longtemps poursuivi les administrateurs territoriaux», comme
l’écrit excellemment le Mali ( ibid., p. 259) et contre laquelle le capitaine Girodon,
résident à Dori, mettait en garde dès 1900, mais en vain (voir mémoire du Mali,
annexe D/4).
Les modalités mêmes de la coopération entre administrateurs des cercles concer-
nés témoignent à l’évidence de la conscience aiguë qu’ils avaient de l’existence
de limites fixes et connues entre les circonscriptions dont ils avaient la charge.
50. Comme le Gouvernement burkinabé l’a montré, l’institution du permis de
transhumance ou de l’autorisation de migration définitive ne pourrait s’expliquer
o
autrement (voir chap. I, n 46). Et, dans l’application des textes les organisant, les
chefs de circonscription se montrent fort jaloux de leurs prérogatives territoriales
(voir, par exemple, l’échange de correspondance de l’automne 1954 entre le chef
de la subdivision centrale de Gao et le commandant de Dori, mémoire du Burkina
Faso, annexe II-57).
Dans le même sens, il est très remarquable que, lorsqu’ils ne sont pas en règle,
les nomades qui ont traversé les limites des cercles sont refoulés dans leur circons-
cription d’origine. Tel a été le cas, par exemple, pour les Bellahs (ou Imrads?)
d’Ansongo qui avaient suivi le chef Baye sur les rives du Béli en 1949 (voir
mémoire du Burkina Faso, p. 42 et 185 et annexes II-49 et II-50).130 DIFFÉREND FRONTALIER [167-169]

51. Il arrive que ces opérations de police soient effectuées non par l’adminis-
tration du cercle d’accueil mais par celle du cercle d’origine, mais dans de telles
hypothèses, une autorisation est toujours demandée, ou, au moins, l’opération est
signalée, par celle-ci à celle-là.

Ainsi dans une lettre adressée le 23 septembre 1924 à son collègue de Gao, l’ad-
ministrateur du cercle de Dori demande à celui-ci de renvoyer dans l’Oudalan des
groupes Kel Tafadas et Guidoma «qui ont quitté récemment le cercle de Dori sans
autorisation» et l’avise qu’il «dirige ce jour sur Ansongo deux gardes du cercle
de Dori chargés de ramener dans l’Oudalan les Bellahs fugitifs» (voir mémoire
du Mali, annexe D/18).
Plus significative encore est la demande faite le 27 juin 1949 par l’administra-
teur de Gao à celui de Dori au sujet des Bellahs attirés en Oudalan par le chef
Baye:

«Pour parer à cette situation, je vous demanderai de bien vouloir me faire
connaître s’il vous est possible de faire refouler les tentes en cause sur le terri-
toire de Gao ou si vous permettez que des goumiers du Soudan aillent dans
la région de Tin Akoff pour les reconduire. Dans ce cas, ils devraient être
accompagnés de gardes de cercle de Dori pour calmer les susceptibilités et
marquer l’accord de vues entre nos deux circonscriptions.» (Mémoire du
Burkina Faso, annexe II-49 — les italiques sont du Gouvernement burkinabé.)

Ainsi fut fait (voir ibid., annexe II-50). Le mot «permettre» témoigne du carac-
tère absolu de la juridiction territoriale exercée par les commandants de cercle dans
le ressort de leur circonscription.
De même, par une note de service du chef de la subdivision d’Ansongo du
28 février 1952, deux goumiers relevant de cette circonscription reçoivent mission
de se rendre dans le cercle de Dori et de:

«reconduire à Ansongo les chefs de tente ichaganime qui, en violation de l’ac-
cord existant entre Ansongo et Dori, ont quitté la subdivision d’Ansongo sans
obtenir un laissez-passer de transhumance»,
mais sous la réserve d’avoir à «se présenter au commandant de cercle» de Dori

(mémoire du Burkina Faso, annexe II-54).
L’accord auquel cette note se réfère est le procès-verbal de liaison du 17 janvier
précédent entre les commandants de cercle de Dori et de Gao qui prévoit notam-
ment que:
«Le cercle d’origine est autorisé à procéder au recensement de ses ressor-
tissants nomadisant dans le cercle voisin, sous réserve de l’accord préalable

du commandant de cercle intéressé, qui fera accompagner l’agent de recen-
sement d’un de ses fonctionnaires d’autorité .»( Ibid., annexe II-53 — les
italiques sont du Gouvernement burkinabé.)
En application du même accord, le commandant du cercle de Dori donne, en
décembre 1952, son accord à l’envoi des chefs et goumiers de la subdivision d’An-
songo «pour percevoir l’impôt de nouveaux éléments Oudalan qui viendraient
stationner à Dori» (annexe D/110, jointe au mémoire du Mali) 1.

52. Voilà qui, contrairement à ce qu’écrit le Gouvernement malien (mémoire,
p. 264), est «clair et net» car les actes d’exécution évoqués ci-dessus à titre

1L’un des éléments qui ont emporté la conviction de la Cour dans l’affaire du Plateau
continental (Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne) a été le comportement des Parties qui, moins
nettement que celui rapporté ci-dessus, établissait leur conviction respective quant à la juri-
diction territoriale ( C.I.J. Recueil 1982 , p. 83-84).[169-172] CONTRE -MÉMOIRE DU BURKINA FASO 131

d’exemples, loin d’avoir été «accomplis profondément dans le territoire de l’une

ou de l’autre circonscription» (ibid.), l’ont été, précisément, dans la région du Béli,
fleuve que le Mali tient, à tort, pour la frontière.
On peut, à vrai dire, en déduire deux conclusions:
— d’une part, les chefs de circonscription se montraient jaloux de leurs compé-
tences territoriales et respectueux des prérogatives de leurs collègues;
— d’autre part, ceci n’excluait pas une coopération attentive entre eux, imposée

par la fluidité de la population.
Du même coup, cela fait justice des affirmations de la Partie malienne selon
laquelle cette coopération témoignerait d’une incertitude quant au tracé de la ligne
frontière. Bien au contraire, les responsables des cercles de Dori et de Gao (et, à
l’intérieur de celui-ci, de la subdivision d’Ansongo), connaissaient parfaitement les

limites de ceux-ci; ils n’avaient nullement le sentiment d’administrer une zone de
confins aux limites floues, mais un territoire bien délimité que traversait une popu-
lation insaisissable en l’absence d’une coopération inter-circonscriptions relative-
ment poussée.
53. Le Mali croit cependant pouvoir fonder ses revendications sur un certain
nombre de tournées effectuées par «les administrateurs des cercles du nord à l’oc-
casion des patrouilles qui longent le marigot» (mémoire, p. 295), au sujet
desquelles il renvoie à plusieurs documents par des notes en bas de page ( ibid.,
p. 93, note 75; p. 297, note 89, et p. 298, note 98).
Si l’on se reporte à ces annexes 1, il apparaît qu’elles n’ont pas la signification
qui leur est prêtée.

L’une au moins ne présente aucune pertinence ici: il ressort clairement de l’iti-
néraire indiqué dans le rapport de tournée du 24 au 28 août 1948 que son auteur
n’a, à aucun moment, pénétré dans la zone du Béli (annexe D/75 au mémoire du
Mali).
Une seul semble plaider en faveur de la thèse malienne. Il s’agit du «rapport
de la tournée effectuée dans le Gourma de la subdivision d’Ansongo par l’élève-
administrateur Bertin du 24 au 28 août 1948» (annexe D/75 au mémoire du Mali).
L’interprétation de ce texte est incertaine: son auteur y indique que les Sarameten
sont «établis à Tin Tangounit à la limite sud-ouest de la subdivision». Mais on doit
noter:

— que la tournée de l’élève-administrateur ne l’a pas conduit sur place (voir l’iti-
néraire décrit);
— qu’il situe Tin Tangounit «à la limite sud-ouest de la subdivision d’Ansongo»,
limite dont nul ne conteste qu’elle se situe à la mare d’In Abao; et
— que l’appellation «Tin Tangounit» est totalement inusitée si, comme l’affirme
la Partie malienne, il s’agit d’In Tangoun (peut-être y a-t-il confusion avec Tin
Tintakanit?).

Une autre est «neutre», en ce sens que le chef de la subdivision d’Ansongo y
indique qu’il a effectué un recensement à Tin Tangoum et, de là, longé le Béli
jusqu’à Kabia, mais sans prendre parti quant à l’appartenance territoriale de cette
zone (mémoire du Mali, annexe D/67). Il en va de même des rapports de tournée
des 31 décembre 1952 et 4 mars 1954 qui mentionnent la traversée du Béli par

des fonctionnaires du cercle de Gao en route pour rencontrer le commandant du

1Seule l’annexe D/71: «Tableau récapitulatif des tribus et fractions avec leurs princi-
paux secteurs de nomadisation», du 25 août 1945, illisible, n’a pu être déchiffrée; son titre
donne à penser qu’il n’est guère probant (voir supra n 41).132 DIFFÉREND FRONTALIER [172-174]

cercle de Dori à Markoye dans le premier cas, à Dori même dans le second
(annexes D/110 et D/118).
Tous les autres documents cités contredisent la thèse malienne, qu’il s’agisse:

— des rapports des 18 et 19 décembre 1939 relatifs à la rencontre du commandant
du cercle de Dori et du représentant du cercle de Gao sur le marigot Dodbango,
affluent de la rive gauche du Béli, que le fonctionnaire du cercle de Gao
désigne comme le «point-limite des trois circonscriptions Ansongo, Doris,
Rharous» (annexes D/55 et D/56);
— de la note du chef de la subdivision d’Ansongo rendant compte de sa mission
relative aux zones de nomadisation du Gourma au cours de laquelle il devait
rencontrer des patrouilles de Dori et de Rharous le 19 septembre 1940: l’auteur
du document a bien suivi le Béli mais le plan annexe, où figurent les limites
des deux cercles, montre tout à fait clairement que, dans toute la zone du

marigot, il avait conscience d’être sur le territoire de Dori dont la frontière est
tracée nettement au nord, le long des monts Tin Adiamba, Tahasoutine et Tanti-
kato (?) (annexes D/65 et C/70);
— du rapport des tournées du mois de janvier 1951 du chef de la subdivision
d’Ansongo qui évoque sa liaison à Tin Akoff avec le commandant de cercle
de Dori mais qui précise que l’objet de cette visite était de procéder à la «mise
au point géographique de l’exode des Bellahs Oudalens» qui «étaient station-
nés sur le territoire de Dori» (annexe D/90 — les italiques sont du Gouverne-
ment burkinabé); ou
— du rapport correspondant du mois de mars 1955 dans lequel le chef de la subdi-
vision d’Ansongo indique qu’il s’est rendu d’In Tangoun à Tin Akoff «en terri-
toire Haute-Volta» (annexe D/22).

54. Ainsi, il apparaît tout à fait nettement que la souplesse relative dont les
administrateurs coloniaux de la région du Béli ont fait preuve dans l’exercice de
leurs compétences ne peut, en aucune manière, être assimilée à une méconnais-
sance quelconque de l’extension territoriale de celle-ci.
Faute de réussir à fixer leurs administrés dans leur ressort, le commandant du
cercle de Gao et le chef de la subdivision d’Ansongo les ont, en quelque sorte,
suivis sur le territoire voisin de Dori mais ils l’ont toujours fait en ayant clairement
conscience que, ce faisant, ils sortaient des limites de leur circonscription et, la

plupart du temps, avec l’accord ou en concertation avec les autorités du cercle de
Dori.

B. Le problème de l’accès à l’eau

55. Déjà évoquée à propos de la mare de Soum, cette question constitue, à l’évi-
dence, l’une des principales préoccupations de la Partie malienne. Sans être jamais
nettement avoué, le souci transparaît dans maints passages de son mémoire, qu’il
s’agisse des explications détaillées relatives au phénomène du nomadisme ou à la
condition juridique de l’accès aux points d’eau au regard du droit coutumier tradi-
tionnel (p. 43 et suiv. et 46 et suiv.), de l’accent mis sur le droit d’accès des tribus
nomades du nord aux mares du Béli (voir, par exemple, p. 288) ou de la conclu-
sion du dernier chapitre, selon laquelle:

«Dans une zone de transhumance, où l’eau est une nécessité vitale pour les
tribus nomades, qu’elles dépendent du Soudan français ou de la Haute-Volta,
on voit mal un colonisateur au courant de cette situation décider de priver une
colonie aux dépens de l’autre d’un accès traditionnel aux quelques mares
pérennes du marigot.» (P. 311.)[174-176] CONTRE -MÉMOIRE DU BURKINA FASO 133

Tout se résume au dicton, repris à son compte par le Mali: «L’eau, c’est la fron-

tière.» (Mémoire, p. 45.)
En réalité, c’est bien mal connaître la région. Qui ne sait qu’en Afrique et, tout
particulièrement dans le Sahel, l’eau ne divise pas, elle rassemble. Loin d’être la
frontière, «l’eau, c’est l’union».
56. Si ces formules doivent être comprises comme la revendication d’un
«levensraum», d’un espace vital, destiné à assumer la «survie» de certaines popu-
lations maliennes, au détriment de l’intégrité territoriale du Burkina Faso, cet appel
à l’équité n’est pas recevable devant la Chambre, dont la mission est de trancher
sur la base du droit positif le différend qui lui est soumis (voir supra, chap. I,
no 29).
Au demeurant — est-il besoin de le préciser? —, le Gouvernement du Faso ne
souhaite évidemment pas la disparition des tribus nomades frontalières et, comme

il l’a constamment déclaré, il est prêt à garantir l’accès de ces populations aux
mares burkinabé du Béli dans les conditions dans lesquelles cet accès a toujours
été exercé.
57. Si la thèse malienne revient à tenter d’établir que la puissance coloniale
ayant toujours admis l’accès des tribus relevant du cercle de Gao aux mares du
Béli, il a, de ce fait, établi la limite sur le marigot, le problème est mal posé.
Malgré sa «nostalgie de sédentaire», le colonisateur a très vite dû constater qu’il
ne pouvait, du jour au lendemain, modifier radicalement des pratiques immémo-
riales. Sans renoncer au principe de la territorialité sur lequel repose toute la
conception administrative européenne, il s’est résigné à l’assouplir pour tenir
compte, dans une certaine mesure, des modes de vie nomades: l’administration

était sédentaire, territorialement située; les nomades étaient rattachés à une circons-
cription déterminée, mais, comme le soulignait avec force le gouverneur général de
l’AOF en 1972: «Les indigènes, en principe, (étaient) libres de circuler et d’éta-
blir leur habitat où bon leur (semblait).» (Mémoire du Burkina Faso, annexe II-30.)
La philosophie du système était donc entièrement différente de celle qui sous-
tend le raisonnement de la Partie malienne. D’une part, l’eau n’était pas la fron-
tière, mais l’existence de limites terrestres n’empêchait pas l’accès à l’eau. D’autre
part, on peut penser que c’est précisément parce qu’il connaissait le rôle fonda-
mental de l’eau pour les tribus nomades de la région, que le colonisateur n’a pas
fixé au Béli la limite entre les cercles de Dori et de Gao.
58. Dans un rapport du 16 janvier 1926, prélude au rattachement d’une partie du

cercle de Dori à la subdivision de Tillabéry, le lieutenant-gouverneur du Niger
développait:
«l’argument qu’un fleuve sans montagne n’est pas une limite mais une artère,
un lien et une zone d’attraction, qu’il est contraire à toute logique et à l’his-
toire de ce pays, d’en faire une frontière...» 1.

L’inclusion des deux rives du Béli dans le cercle de Dori se rattache à la même
philosophie.
59. Il ne faut pas oublier que, même si dans certaines de ses portions, le Béli a
l’aspect d’un véritable fleuve, large et parfois profond, il est un chapelet de mares
entre lesquelles le passage, à sec ou par des gués peu profonds, est toujours
possible et même facile. Il n’empêche pas les communications; au contraire, il les

facilite.

1Le Gouvernement burkinabé ne possède pas ce rapport. Il est évoqué dans la note adres-
sée le 23 janvier 1947 à l’inspecteur général de l’AOF par le gouverneur du Niger, qui le
reprend à son compte ( infra, annexe 135).134 DIFFÉREND FRONTALIER [176-179]

D’une part, comme le Gouvernement burkinabé l’a montré ( supra n 42), le Béli
constitue un lieu de passage pour les nomades, du nord comme du sud, qui pour-
suivent plus loin leur voyage.

D’autre part, lorsqu’ils s’y arrêtent, les nomades se fixent indifféremment sur la
rive droite ou sur la rive gauche. Ceci est attesté, par exemple, par la carte au
1/200000 de 1960 sur laquelle on repère le signe caractéristique des hameaox de
culture ou des campements ( ^ ) sur les deux rives (voir les cartes n 21 déposées
par le Burkina Faso ou C/40, C/41 et C/44 annexées au mémoire du Mali).
60. Il convient, sur ce point, de dissiper un malentendu que pourrait faire naître
une affirmation, maintes fois répétée dans le mémoire malien, selon laquelle les
«pâturages» de la région du Béli se trouveraient exclusivement sur la rive gauche
de celui-ci (voir, notamment, p. 45, 265 ou 296).
Le Mali semble se fonder (voir p. 45) sur un article de G. de Gironcourt, paru
au Bulletin de la société de géographie (1912, p. 153), aux termes duquel:

«Actuellement, le bord méridional de cette région des mares coïncide, dans
la boucle, avec la limite des cultures; celles-ci se rencontrent plus au nord que
dans la vallée du fleuve. Les villages tels que Bambaramaoude, ceux envi-
ronnant Hombori et, dans le thalweg du Béli, Yatacala, représentent la senti-
nelle avancée des populations sédentaires sur le pays livré au-delà au seul
parcours de la nomadisation, marquant en quelque sorte le vestibule du
désert.»

En vérité, Gironcourt emploie l’expression «région des mares» dans un sens
bien différent et bien plus large que le Mali tend à le faire croire, qui l’assimile à
la zone du Béli. En réalité, l’expression désignait une région bien plus vaste:

«Le sommet de la Boucle du Niger comprend, dans sa partie la plus septen-
trionale, entre le fleuve, de Saramayou à Dounzou, et la montagne de
Hombori, une région fort caractéristique dite «des mares» et simplement
appelée à Tombouctou: Gourma.» ( Ibid., p. 152.)

Le «bord méridional de cette région» ne peut, bien évidemment, être confondu
avec la rive sud du Béli.
Du reste, si d’assoz nombreux documents évoquent en effet «les pâturages du
Béli » (voir infra n 70), aucun ne précise qu’il s’agit des « pâturages de la rive
sud du Béli», ce qui irait cependant de soi si le contraste était aussi marqué que
l’écrit le Gouvernement malien, ou même s’il existait un tant soit peu.
Le Mali traduit donc à tord «pâturages» par «rive sud». Ainsi, par exemple, la
note (25) de la page 265 du mémoire malien renvoie à l’annexe D/13 pour illus-
trer l’existence des «pâturages au sud de Tin Akoff»; il y a là une pétition de prin-
cipe pure et simple : ce document parle des Bellahs « fixés à Tin Akoff » mais ni de
«pâturages au sud de Tin Akoff» ni même de pâturages «tout court»...
Il y a d’ailleurs une contradiction évidente dans la thèse malienne: on voit mal
l’intérêt que pourrait présenter l’accès à la rive nord du Béli pour les nomades, que
le Mali dit revendiquer, s’il s’agissait d’une région inhospitalière où, faute de nour-

riture pour les bêtes, toute station serait impossible.
61. Il était important de dissiper l’impression qu’aurait pu faire naître cette affir-
mation sans fondement.
Si elle s’était révélée exacte la fixation de la frontière à la chaîne de montagnes
qui borde le Béli à quelques kilomètres au nord aurait, en effet, été peu compré-
hensible. Elle le devient si l’on considère que la vallée du Béli forme un tout et que
les nomades établissent leur campement de part et d’autre du marigot. Leur
contrôle par l’administration coloniale s’en est trouvé facilité, comme, plus tard,
l’installation de retenues d’eau.[179-181] CONTRE -MÉMOIRE DU BURKINA FASO 135

62. Malgré les craintes maliennes, la solution adoptée ne présentait pas d’in-
convénient particulier pour les populations concernées. Elle n’aboutissait aucune-
ment à priver les tribus nomades du Soudan français de leur accès périodique tradi-
tionnel aux mares placées ainsi sous la juridiction, selon les époques, de la
Haute-Volta ou du Niger, les droits coutumiers étant intégralement préservés.
Cela ressort avec beaucoup de clarté de la convention conclue le 3 avril 1939
entre le gouverneur du Niger et le gouverneur par intérim du Soudan, dont la

section B dispose:
«L’administration des nomades s’inspirera des principes suivants: ils auront la
jouissance des pâturages et des puits en toute sécurité, telle qu’elle est reconnue
par la coutume. Au cas où la coutume serait insuffisante, des conventions parti-
culières entre les circonscriptions interviendraient.» (Mémoire du Mali, annexe
D/53, p. 2.)

Et comme le Mali le montre fort bien, le libre accès à l’eau constitue l’un des
principes fondamentaux établis par la coutume.
En même temps, il est significatif que la disposition précitée soit incluse dans
une convention de délimitation. Cela établit, de manière hautement symbolique,
que la fixation de limites territoriales et la liberté de nomadiser à travers ces limites
et d’avoir librement accès aux pâturages et aux puits (et mares) se trouvant de part
et d’autre ne sont nullement incompatibles.

63. Cette coexistence du droit traditionnel avec le droit public d’origine euro-
péenne importé par le colonisateur est du reste une constante de la méthode fran-
çaise de colonisation: la France impose ses modes d’administration mais laisse
subsister des systèmes juridiques interpersonnels locaux ce qui peut être combiné
avec ceux-ci.
Ainsi, dans le même esprit, les textes réglementaires portant réorganisation terri-
toriale à l’intérieur des possessions françaises précisent de manière qui paraît
presque systématique que:

«Les droits fonciers de toute nature que les indigènes possèdent dans les
contrées intéressées ne sauraient, en aucune façon, être affectés par (leurs)
dispositions.» (Cf. mémoire du Mali, annexes B/24, B/32, B/40, B/43, B/47,
B/48, B/55, etc.)

64. Les deux Parties se sont, dans un premier temps au moins, comporté de la
même manière tant dans la zone qui a fait l’objet d’un accord de délimitation que
dans celle que revendique le Mali.
Déjà en 1961, le protocole d’accord signé à San le 29 novembre 1961 entre les
deux Etats indique:
«Les droits d’usage des ressortissants des deux Etats sur les terres de

culture, pâturages et pêcheries, demeurent maintenus conformément aux
coutumes de la région.» (Mémoire du Burkina Faso, annexe II-65.)
La formule sera précisée à Bamako le 25 février 1964, les droits d’usage coutu-
mier dont il s’agit concernant également les «points d’eau» ( ibid., annexe II-71).
C’est dans cet esprit de respect des traditions que sera conclue entre les Parties
la convention d’établissement et de circulation des personnes du 30 septembre
1969. L’article 2, alinéa 1, de ce texte dispose:

«Pourvu qu’ils soient munis des pièces d’identité avec photo délivrées par
l’autorité compétente de leur Etat, les ressortissants des deux Parties contrac-
tantes circulent librement de part et d’autre de la frontière.» ( Ibid., an-
nexe II-89.)136 DIFFÉREND FRONTALIER [181-183]

Un régime spécifique est prévu pour les transhumants et pour les nomades, à la
fois quant aux mesures de police et pour la protection de leurs droits. L’article 4 de
la convention dispose en effet:

«Tout national d’une des Parties contractantes jouira sur le territoire de
l’autre Etat de la pleine protection légale et judiciaire pour sa personne, ses
biens et ses autres intérêts.»

65. Convaincu que de telles solutions sont souhaitables et conformes à l’esprit
de bon voisinage qu’il souhaite ardemment voir régner entre des pays frères, le
Gouvernement du Faso demeure, pour sa part, disposé à les mettre en Œuvre dans
la région du Béli, comme ailleurs, et s’engage à négocier avec celui du Mali un
accord en vue de garantir le maintien des droits d’accès aux points d’eau aux
ressortissants de chacune des Parties, conformément aux usages traditionnels et
dans le respect de la souveraineté des deux Etats, aussitôt que ses droits sur la rive
gauche du Béli auront été reconnus par la Chambre.

PAR .2. L A DESCRIPTION DES LIMITES PAR LES ADMINISTRATEURS COLONIAUX

66. S’en tenant à la pétition de principe sur laquelle repose l’ensemble de son
raisonnement, le Mali «constate», contre toute raison, l’absence de toute délimi-
tation dans la zone du Béli et s’interroge sur la question de savoir si: «à défaut
d’une limite légale (il y aurait eu une limite) par la pratique administrative et que

les cartes auraient consacrée» (mémoire, p. 288).
Comme le Gouvernement burkinabé l’a souligné, la véritable question n’est pas
de déterminer si les cartes confirment la pratique, mais, bien plutôt, si la pratique
administrative se conforme au tracé cartographique. L’examen des correspondances
et des notes des administrateurs coloniaux ne laisse subsister aucun doute: d’une
part, il ressort clairement de cet examen qu’ils ne considéraient pas le Béli comme
une limite administrative (A); d’autre part, il apparaît qu’ils se référaient aux cartes
dont ils disposaient et qu’ils se conformaient aux indications portées sur celles-ci,
confirmant ainsi le caractère orographique de la limite (B).

A. Le Béli n’est pas considéré comme une limite

67. Le Mali admet que le Béli constitue une région:
«d’une manière générale, vu l’absence du texte réglementaire et l’absence
d’autorité des cartes, au demeurant peu crédibles, la région des mares était

considérée comme une zone frontière.» (Mémoire, p. 292.)
Il y a là une constatation exacte — le Béli est une région, une zone — que
confirme le vocabulaire utilisé par l’administration coloniale; mais la conséquence
implicite qu’en tire la Partie malienne ne saurait convaincre: cette «zone» ne
forme pas la «frontière», elle n’a pas été divisée par le colonisateur (voir supra
o
n 58) qui a, au contraire, pris soin d’en préserver l’unité dans la délimitation des
cercles concernés.
68. «Région», «pâturages», «rives» (au pluriel): tels sont les mots qui revien-
nent le plus souvent sous la plume des fonctionnaires coloniaux pour décrire la
zone du Béli.
69. Dans certains cas, ce vocabulaire fournit un indice: il traduit la conviction
de l’unité géographique de la zone sans que la question des limites soit expressé-
ment abordée.[183-186] CONTRE -MÉMOIRE DU BURKINA FASO 137

Cela apparaît clairement dès la période de la conquête coloniale; les télé-
grammes adressés par les chefs de missions militaires dans la «région des mares»
parlent:

— d’un «homme envoyé spécialement ... dans le Béli » (infra, annexe 120; voir
aussi annexe 121); ou
— d’un projet de «défense formelle faite à certaines tribus» de pénétrer dans le
Béli» (annexe 122; voir aussi annexe 123), et l’un d’eux, sur lequel le Gouver-
nement burkinabé reviendra ci-après (n o73) est particulièrement significatif;
il prévoit que: «Ndiougui nomadisera dans le Béli sans jamais dépasser les
pâturages bordant les mares du Béli .» (Annexe 123.)

L’expression se retrouve, quelques années plus tard, sous la plume du résident
de Dori; mais elle est plus significative. Décrivant l’«organisation politique, admi-
nistrative et judiciaire de la région qui constitue la résidence de Dori», ce respon-
sable écrit, en 1904: «Il n’y a pas de pâturages spéciaux, sauf peut-être dans le
Béli, nord de l’Oudala.» (Voir mémoire du Burkina Faso, annexe II-8.) Le rési-
dent de Dori manifestait ainsi que «le Béli» constitue un ensemble, partie inté-
grante du cercle dont il avait la charge.
70. Ce texte fait, du même coup, justice de l’affirmation insistante de la Partie
malienne selon laquelle les «pâturages» seraient la caractéristique de la rive droite du
Béli, par opposition à la rive gauche, inhospitalière et désolée (voir supra n os60-61).

C’est bien à tort que le Mali «présume» que la mention des «pâturages»
implique qu’il s’agit de la rive sud du marigot (mémoire, p. 296). Rien ne le laisse
penser et la correspondance des administrateurs concernés établit le contraire.
Ainsi, par exemple, le Mali fait grand cas (voir ibid., p. 294 et 296) d’une note
du commandant de cercle de Dori du 9 avril 1950 relative à l’installation des
Bellahs dans sa circonscription qu’il impute à «l’abondance de l’eau dans les
mares permanentes du Béli: «Tin Akoff», «Fadar-Fadar» ... et (à) la bonne qualité
des pâturages environnants » (mémoire du Burkina Faso, annexe II-50).
Rien ne permet de considérer qu’il s’agit des pâturages de la rive sud; bien au
contraire: l’utilisation de l’adjectif «environnant» montre bien qu’il s’agit des
pâturages des deux rives.
71. Cela est attesté également par certains rapports techniques. Sans doute est-
il exact que les rapports de fin de campagne établis en 1953 et 1954 par M. Defos-
sez, géologue de la France d’outre-mer «attribuent» au cercle de Gao «la zone

située à l’est de la ligne Dorei-In Tillit-Tin Akoff» (voir mémoire du Mali, p. 292
et 297 et annexes D/111 et D/116) mais cette «ligne» constitue, à l’évidence, une
approximation (ne serait-ce que du fait qu’In Tillit est aussi éloigné de la fron-
tière, à l’intérieur du Soudan français, que ne l’est Tin Akoff à l’intérieur de la
Haute-Volta). Par ailleurs, d’autres rapports du même type et de la même époque
situent, à l’inverse, l’ensemble du cours du Béli à l’intérieur du territoire de la
Haute-Volta (voir infra, annexes 143 et 143 bis).
72. Peu fiables et contradictoires en ce qui concerne les aspects politiques et
administratifs, ces documents sont, en revanche, précieux par la description
physique qu’ils donnent de la région. Les rapports de M. Defossez précisent que
«quelques champs de mil (sont) situés autour des mares », et que «le seul intérêt»
des cours d’eau intermittents de la région « est de former de nombreuses mares
autour desquelles le nomade élève son troupeau» (mémoire du Mali, annexe D/111

— souligné par le Gouvernement burkinabé). De son côté, le service de l’hydrau-
lique de l’AOF relève que:
«Le Béli ou Agachar a une importance capitale dans l’économie pastorale
du nord du cercle ( de Dori ). Au nord du parallèle 14° 50 ′, il n’existe pas
d’autres ressources aquifères que celles qu’apportent les mares du Béli. Elles138 DIFFÉREND FRONTALIER [186-188]

valorisent au début de la saison sèche une bande d’excellents pâturages d’en-
viron 2000 kilomètres carrés de Raf Naman à Yatakala .» (Annexe n o 143,
p. 84 — les italiques sont du Gouvernement burkinabé.)

Plus loin, il note que:
«Dès les premières pluies, les troupeaux de l’Agachar remontent vers les
pâturages du Gourma où ils utilisent les ressources des petites mares d’hiver-
nage. Ils reviennent s’établir sur le marigot au mois d’octobre.» ( Ibid., p. 85

— les italiques sont du Gouvernement burkinabé.)
Ou encore:
«On estime à plus de huit mille bêtes (parmi les plus belles du cercle) les
troupeaux concentrés sur le Béli entre Tin Akoff et Raf Naman, d’octobre à
mai. Dès les premières pluies (fin mai, début juin), ces troupeaux demeurent

sur les puits de Kachamet Ouassakore. Les excellents pâturages du Béli oestent
inutilisés pendant plusieurs mois.» ( Infra, annexe 143 bis, fiche n 20).
Cette terminologie serait évidemment inappropriée si les pâturages n’existaient
que sur la rive sud et l’on doit en conclure que tous les documents évoquant «les
pâturages du Béli» visent l’ensemble de la zone entourant les mares, au nord
comme au sud. L’argumentation du Mali sur ce point se retourne donc contre lui.
73. Les mêmes considérations rendent totalement inopérantes les conclusions
que le Mali entend tirer de l’acte de soumission imposé à N’Diougui en 1899, sur

lequel il revient à plusieurs reprises (mémoire, p. 55, 260, 288, etc.).
La Partie malienne se fonde sur le paragraphe 15 de ce document aux termes
duquel:
«La zone dans laquelle N’Diougui pourra établir les campements de sa tribu
et des tribus soumises en même temps que lui, est limitée par les directions
générales suivantes: Bibi, Oursi, Raf Naman, Tin Akoff, Youmbam, Markoï,
Dakoï, Bidi.» (Mémoire, annexe D/2, p. 3.)

Elle en déduit: «Il en résultait clairement qu’il ne pouvait dépasser vers le nord
la ligne des mares.» ( Ibid., p. 288.)
Il s’agit, à vrai dire, d’une déduction fort aventureuse, qu’interdit d’ailleurs l’ex-
pression «directions générales», utilisée par l’acte de soumission; mais, surtout,
cette conclusion est totalement exclue par les textes contemporains émanant des
autorités coloniales.
En effet, l’acte de soumission de N’Diougui a été établi en application d’ordres
précis donnés par le commandant supérieur au résident de Dori et approuvés par
le gouverneur. Selon ces instructions:

«N’Diougui nomadisera dans le Béli sans (le ?) jamais dépasser les pâtu-
rages bordant les mares du Béli , c’est-à-dire les mares allant de Youmbam à
Tin Akoff.» (Annexe 123 — les italiques sont du Gouvernement burkinabé.)
Cela correspond du reste au parcours traditionnel des tribus contrôlées par
N’Diougui ainsi que l’attestent d’une part le rapport d’ensemble concernant les

marches et reconnaissances exécutées dans la Boucle du Niger (septembre-octobre
1899) et, d’autre part, la «fiche de renseignements concernant le nommé N’Diou-
gui» du 31 décembre 1899. Selon le premier de ces documents:
«D’après les derniers renseignements obtenus au mois d’août 1899, cette
région était parcourue:

..........................................
2) par les Bossans (Bellabés Oudalan de N’Diougui), nomadisant dans les
mares du Béli .» (Mémoire du Mali, annexe D/1.)[188-190] CONTRE MÉMOIRE DU BURKINA FASO 139

Et, aux termes du second: «Actuellement, N’Diougui soumis est réinstallé dans
son terrain de parcours de l’Oudalan .»( Ibid., annexe D/3.)
De la combinaison de ces trois textes, il «résulte clairement» que N’Diougui
était confiné non pas au sud du Béli mais aux pâturages bordant celui-ci — au nord

comme au sud. En revanche, et contrairement à ce qu’affirme le Gouvernement
malien (mémoire, p. 295), il résulte à l’inverse des instructions adressées le
15 octobre 1898 au résident de Dori, que, par souci d’éviter les heurts, «défense
formelle» était faite aux autres tribus nomades «de pénétrer dans le Béli» ( infra,
annexe 123).
74. Le même raisonnement vaut en ce qui concerne l’expression «région du
Béli», fréquemment utilisée pour désigner la partie septentrionale du cercle de
Dori, comme l’attestent les documents cités tant par le Burkina Faso (mémoire,
p. 182, 185 ou 186) que par le Mali (mémoire, p. 291).
Aucun de ces documents ne permet de supposer que leurs auteurs visaient exclu-
sivement la rive droite du Béli. En revanche chaque fois que l’expression «région
du Béli», ou celle plus restreinte de «région de Tin Akoff», apparaissent, il résulte
clairement du texte ou du contexte que cette «région» relève du cercle de Dori.

Ainsi, dans sa lettre du 27 juin 1949, l’administrateur du cercle de Gao demande
au commandant de cercle de Dori de permettre «que des goumiers du Soudan
aillent dans la région de Tin Akoff pour les reconduire» (mémoire du Burkina Faso,
annexe II-49). Ce même commandant de cercle de Dori, décrivant sa tournée dans
l’Oudalan en novembre 1949, écrit que «la seule région de l’Oudalan défavorisée
est celle de In Abao, Tin Akoff, gué de Kabia, dûment touchée par la sécheresse»
(ibid., noII-49 bis); et, dans une lettre adressée quelques mois plus tard au lieute-
nant-gouverneur de la Haute-Volta, cet administrateur évoque les autorisations de
transhumance que devront demander les Bellahs d’Ansongo «pour venir dans la
région du Béli » (ibid., nosII-50 et II-52). Par un télégramme-lettre du 28 septembre
1953, le chef de la subdivision centrale de Gao avise le commandant de cercle de
Dori que plusieurs chefs de tente de la tribu Kel Gossi «nomadisent sur le terri-
toire de votre cercle (celui de Dori) dans la région de Tin Akoff » (mémoire du

Mali, annexe D/115). Etc.
Il est hautement significatif que, jamais, les fonctionnaires concernés n’aient
mentionné ou laissé entendre qu’il s’agissait de la région située au sud du marigot.
75. Si, néanmoins, une hésitation devait subsister, elle se trouverait totalement
dissipée par une précision donnée par certains de ces documents qui montrent, sans
aucun doute possible, que par «région du Béli» il faut bien entendre: les deux
rives du marigot.
Un premier exemple est donné par la note précitée du 9 avril 1950 par laquelle
le commandant du cercle de Dori rendait compte au gouverneur de la Haute-Volta
de son entrevue avec le chef de la subdivision d’Ansongo au sujet: «des Bellahs
ressortissants de sa subdivision et qui sont venus s’installer sur les rives du «Béli»
(«Agacher» en tamachek).» (Mémoire du Burkina Faso, annexe II-50.) Il y est
précisé que cette région, dont l’abondance de l’eau et la qualité des pâturages fait

une «zone d’attraction», est placée sous le contrôle administratif du cercle de Dori.
Le rapport politique annuel du cercle de Dori pour 1951 fournit un autre
exemple dans le même sens:

«Des Bellahs des fractions Ikavelen, Guéré-Guéré et Ichagarnine descendus
de la subdivision d’Ansongo s’étaient établis sur les rives du Béli et deman-
daient à être recensés dans l’Oudalan.
Les Ikavelen et les Guéré-Guéré qui avaient fui l’autorité de leurs chefs
légitimes ont été invités à quitter les lieux. Ce qu’ils ont fait en décembre
1951.» (Ibid., annexe II-51, p. 2.)140 DIFFÉREND FRONTALIER [190-192]

Tout cela montre clairement que l’autorité administrative sur la région du Béli ,
celle qui exerçait son contrôle sur les deux rives de celui-ci, était le commandant
du cercle de Dori. Ceci exclut que la limite administrative coloniale entre les
cercles de Dori et de Gao suivit le cours du Béli et, par suite, que la frontière entre
le Burkina Faso et le Mali s’y trouve aujourd’hui fixée. Toute autre interprétation
de l’expression «les rives du Béli», rendrait ce pluriel bien singulier, comme disait
Voltaire...

B. Le vocabulaire utilisé par les administrateurs coloniaux confirme la limite
orographique figurant sur les cartes

76. Conforme aux textes pertinents — qui, eux aussi, excluent une limite hydro-
graphique (voir supra n o 10) —, la pratique administrative confirme la limite
orographique figurant sur les cartes, auxquelles les fonctionnaires coloniaux se
réfèrent continuellement, non seulement par commodité, mais aussi parce qu’ils
o
en avaient l’obligation juridique (voir chap. I, n 51), et ils s’estiment liés par elle.
77. Il est vrai que le Mali fait état de quelques documents qui vont apparemment
en sens contraire.
Ils sont très rares et il convient d’écarter du débat les comptes rendus de tour-
nées effectuées par les fonctionnaires du cercle de Gao le long du Béli, les allu-
sions à la nomadisation de certaines tribus relevant d’Ansongo au même endroit, et
les procès-verbaux des liaisons ayant lieu sur le marigot. S’agissant des premiers,
le Gouvernement burkinabé a montré qu’il était fréquent que les tournées des fonc-
tionnaires coloniaux les mènent hors de leur circonscription (voir supra n os 53-54)

de même qu’il a établi que les limites des cercles et celleosdes transhumances ou
de la nomadisation ne coïncidaient pas (voir supra n 39 et suiv.). Quant aux liai-
sons entre le commandant de cercle de Dori d’une part et celui de Gao ou ses
adjoints, il est naturel qu’elles aient parfois eu lieu sur l’une ou l’autre des mares
du Béli, points de rencontre faciles à déterminer et à repérer et dotés de quelques
aménagements, et non à la limite exacte des deux cercles où n’existe aucun village
et aucun point d’eau. Ni les uns ni les autres de ces documents ne prouvent rien
par eux-mêmes. Il en va de même des rapports du géologue Defossez (voir supra
os
n 71-72).
Ceci réduit à trois les documents par lesquels les fonctionnaires du cercle de Gao
(et jamais ceux du cercle de Dori) semblent considérer que la limite de leur
circonscription passe sur le Béli.
Deux concernent la mare d’In Tangoun 1:

i) Le registre de contrôle des renseignements sur les nomades d’Ansongo pour
1929 indique que les Saramaten: «sont presque sédentarisés, à la limite du cercle
de Dori et de la subdivision d’Ansongo, entre In Tangoun et Tin Tehattin»
(mémoire du Mali, p. 298 et annexe D/31). Mais il est clair qu’il s’agit non d’une
«limite-ligne» mais d’une «limite-zone» concernant non la frontière entre les deux
cercles mais la bande de territoire sur laquelle les Saramaten sont établis, bornée
au nord par Tin Tehattin (qui se trouve dans le cercle de Gao) et au sud par In
Tangoun (dans le cercle de Dori).
o
ii) Le Gouvernement burkinabé a évoqué (voir supra n 53) le rapport de la
tournée effectuée dans le Gourma de la subdivision d’Ansongo par l’élève-admi-
nistrateur Bertin du 24 au 28 août 1948 ( ibid., annexe D/75).

1L’annexe D/17 au mémoire du Mali, sur laquelle celui-ci se fonde (p. 293) ne peut être
déchiffrée par le Gouvernement burkinabé.[192-195] CONTRE -MÉMOIRE DU BURKINA FASO 141

iii) Le troisième de ces documents concerne Tin Akoff; il s’agit du rapport de

la tournée effectuée en janvier 1951 par le chef de la subdivision d’Ansongo dans
le Gourma, qui mentionne en passant que: «Sept tentes ichagarnine sont en effet
à Tin Akoff à la limite même des deux cercles de Dori et de Gao.» ( Ibid., annexe
D/90.)
Pris à la lettre ce rapport est, de tous ceux cités par le Mali, le seul qui paraît
confronter sa thèse, encore faut-il noter que son auteur précise s’être entretenu à
Tin Akoff avec certains des « chefs de tente émigrés », ce qui indique au moins que
Tin Akoff est clairement en territoire voltaïque, au-delà d’une limite précise dont
ce fonctionnaire a clairement conscience.
78. Quoi qu’il puisse en être, ce document pèse peu face à la masse imposante
des cartes qui vont en sens contraire et de la pratique administrative qui confirme
le tracé de la limite y figurant.

Cette pratique est attestée par deux catégories de documents:
— les croquis établis par les administrateurs coloniaux, d’une part; et
— les textes décrivant la limite de leur circonscription, d’autre part (et l’on peut
presque s’étonner de l’existence de ces derniers lorsque l’on sait que, au nord
du cercle de Dori, la limite passe par des dunes et des falaises et non par des

points d’eau habités, c’est-à-dire par des points qui ne présentent aucun intérêt
«administratif»).
79. Les croquis de tournée (ou équivalents) établis par les responsables des
circonscriptions sont intéressants à un double point de vue.
D’une part, ils sont, pour la plupart, dessinés à partir des cartes existantes. Ceci

apparaît avec une clarté particulière sur le croquis relatif aux «patrouilles d’In
Abao», joint au rapport du chef de la subdivision d’Ansongo du 28 novembre 1940
qui est le calque à peu près exact de la carteoau 1/500000 de 1925 (mémoire du
Mali, annexes D/65 et C/70; voir supra n 44).
D’autre part et surtout, ils font apparaître clairement que la limite septentrio-
nale du cercle de Dori, loin d’être située sur le Béli, passe nettement au nord de
celui-ci. L’un d’entre eux seulement pourraient laisser subsister un doute: il s’agit
du croquis annexé au rapport de l’élève-administrateur Bertin précité du
2 septembre 1948 qui place «Tin Tangounit» au nord de la limite (mémoire du
Mali, annexes D/90 et C/68 ou C/72 qui semble en constituer une autre version);
mais ce croquis est entaché des mêmes éléments d’incertitude que le rapport qu’il
o
accompagne (voir supra n 53) et le Béli n’y figure pas. Tous les autres croquis
sommaires dessinés par les fonctionnaires coloniaux situent le Béli nettement au
sud de la limite du cercle de Gao. Tel est le cas:
— du croquis économique et agricole du cercle de Dori établi en 1922 par le
commandant de cette circonscription, F. de Coutouly (carte n o 3 déposée par
le Burkina Faso; annexe C/17 au mémoire du Mali);

— du croquis de tournée chez les Touaregs et les oonrhaïs dressé également en
1922 par le même administrateur (carte n 2; annexe C/1);
— du croquis des «patrouilles d’In Abao» précité de 1940 (mémoire du Mali,
annexes D/65 et C/70);
— de celui annexé au rapport de tournée dans l’Oudalan et le Yagha du comman-
dant de cercle de Dori en date du 31 janvier 1946 ( infra, annexe 134); ou
— de celui joint au rapport de vérification générale du cercle de Dori de 1955
(annexe 144 bis).

Ces croquis, qui n’ont guère d’intérêt sur le plan strictement cartographique,
présentent une importance extrême en ce qu’ils traduisent la conviction constante
des administrateurs, à travers une période de plus de trente ans — celle de la fin142 DIFFÉREND FRONTALIER [195-197]

de la domination coloniale — quant au tracé de la limite: ils n’éprouvaient pas le
moindre doute sur le fait qu’elle passait nettement au nord du Béli.
80. Cette conviction est également attestée par les écrits des mêmes autorités
dont le vocabulaire ne se borne pas à exclure la possibilité d’une limite hydrogra-

phique (voir supra, A) mais confirme en outre, de manière positive, que la fron-
tière Dori/Gao suivait la ligne de monts et de dunes qui bordent la vallée du Béli,
au nord de celui-ci. os
Comme la lettre 191 CM 2 (voir supra n 10 et suiv.), les correspondances des
fonctionnaires coloniaux décrivant la limite septentrionale de l’Oudalan font état
non d’une ligne fondée sur des repères hydrographiques, mais bien d’une ligne de
crêtes.
Ceci ressort clairement — quoiqu’implicitement — de la note du commandant
de la région de Tombouctou relative aux «limites des cercles proposées». En ce
qui concerne la limite sud du cercle de Gao, il se borne à indiquer: «Limite sud:
par la limite du cercle de Dori depuis la mare d’In Abao jusqu’au village de Labe-
zenga.» (Mémoire du Mali, annexe D/7.)
Il est très significatif que, contrairement à la position retenue ailleurs, ce haut

fonctionnaire n’énumère pas les mares — que le Mali tient pour des mares-fron-
tières. Mais il faut surtout noter les deux points de repères retenus: la mare d’os
Abao — dont nul ne conteste qu’elle soit un point limitrophe (voir supra n 13 et
33) —, à l’ouest et le village de Labezenga, à l’est. Or, celui-ci ne se trouve pas au
confluent du Niger et du Béli qui est situé à quelques kilomètres au sud de
Dounzou, alors que Labezenga se trouve nettement au nord, à hauteur de la chaîne
de dunes et de monts qui dominent la plaine du Béli.
81. La lettre du commandant du cercle de Dori au gouverneur du Niger en date
du 18 décembre 1939 va dans le même sens et est plus explicite. Il y constate que
l’administrateur de Gourma-Rharous, qu’il devait rencontrer, a fait une erreur d’iti-
néraire et ajoute:

«Cette erreur semble inexplicable, le rendez-vous étant fixé à Dodban-
gou, pointe sud-est de la subdivision de Gourma-Rharous, à la jonction de
Dori-Gao-Tombouctou...» (Mémoire du Mali, annexe D/55; voir aussi l’an-
nexe D/56.)
(Dodbangou est situé à une vingtaine de kilomètres au nord de la mare d’In
Abao/Kacham à la source d’un affluent intermittent du Béli.)

82. Par ailleurs et surtout, le Mali, qui évoque au détour d’une phrase les
«falaises ou prétendues telles au nord des mares» (mémoire, p. 289), se garde de
faire état des documents les évoquant.
Or, non seulement ces hauteurs ont une existence bien réelle comme le montrent
à la fois les cartes de la région (voir surtout la carte de la région des mares dressée
par la mission de Gironcourt, annexe C/15 au mémoire du Mali) et les rapports des
géologues (cf. les annexes D/111, D/115 bis et D/116 au mémoire du Mali et l’an-
nexe 143 au présent contre-mémoire), mais encore, il résulte de la correspondance
des administrateurs coloniaux qu’elles constituent la limite septentrionale de l’Ou-
dalan et, par suite, du cercle de Dori.
Dans sa longue critique du projet de réorganisation de la région de Tombouctou
présenté en novembre 1917, l’inspecteur des affaires administratives Arnaud défend
avec vivacité le maintien du Gourma en tant que circonscription autonome, et

invoque, notamment, l’argument suivant:
«Le Gourma est en effet une unité géographique bien déterminée, bornée
au sud par des lignes de falaises habitées par les montagnards fétichistes
et aux trois autres points cardinaux par le fleuve.» (Mémoire du Mali, an-
nexe D/12, p. 9; voir aussi mémoire du Burkina Faso, p. 182.)[197-199] CONTRE MÉMOIRE DU BURKINA FASO 143

83. Par ces descriptions des limites des circonscriptions dont ils avaient la
charge, les administrateurs coloniaux confirment pleinement la délimitation, plus
formelle et plus systématique, indiquée dans la lettre 191CM2 du 19 février 1935,
et conforme au tracé figurant sur la quasi-totalité des cartes établies pendant toute

la durée de l’époque coloniale.
84. Même si la valeur probante des actes accomplis par les Parties après les
indépendances est moindre, il n’en est pas moins symptomatique que celles-ci aient
également, dans un premier temps au moins, exprimé leur conviction de l’existence
de cette limite orographique.
Lors de la réunion d’Ansongo, du 7 décembre 1961, les Parties décident d’un
commun accord que:
«dans la zone comprise entre le Béli et la frontière, les droits d’usage des

terres demeurent maintenusoaux ressortissants des deux Etats» (mémoire du
Burkina Faso, annexe n II-66).
A l’époque, le Mali considérait donc que le Béli ne figurait pas la frontière, mais
que celle-ci passait au nord des mares, puisqu’il admettait qu’il existait une zone
entre le Béli et la frontière. De la même façon, la commission paritaire permanente
réunie les 29 et 30 septembre 1969 à Koulouba déclare:

«Pour ce qui est du Béli, les deux délégations s’accordent un délai pour leur
permettre de rechercher les textes... Si jusqu’à la prochaine réunion de la
commission paritaire permanente, il n’a pas été possible de retrouver ces
textes, les deux délégations se référeront ont cartes en vue de résoudre le
problème.» ( Ibid., annexe II-88.)

La conséquence logique aurait dû être le positionnement de la frontière sur la
ligne orographique retenue par une cartographie impressionnante.
85. En conclusion , il apparaît très clairement que:
i) La lettre 191CM2 du 19 février 1935 décrit de manière exacte la limite admi-
nistrative existant à l’époque, dans la région du Béli, entre le cercle de Dori, d’une
part et ceux du Gao et de Gourma-Rharous, d’autre part.

ii) Cette ligne, qui n’a pas été modifiée depuis lors, constitue aujourd’hui la
frontière entre les deux Etats. D’est en ouest, elle part du sommet du mont
N’Gouma et passe par le sommet du mont: «Trontikato, par la pointe nord du
mont Ouagou, la pointe nord de la mare d’In Abao, le sommet des monts Tin Eould
et Tabakarach» (mémoire du Burkina Faso, annexe II-36; mémoire du Mali,
annexes D/32 et D/33).
iii) D’autres documents permettent en outre d’affirmer que le «décrochement» de
la frontière vers le sud jusqu’à la pointe nord de la mare d’In Abao/Kacham com-
mence à l’est au mont InAdjamba et, non loin de là, passe au lieu-dit «Dobdango».
iv) Ce tracé est confirmé par un matériau cartographique extrêmement abon-
dant puisque sur les cinquante et un documents cartographiques déposés par les
Parties, quarante-huit, montrent de manière extrêmement claire que la ligne fron-
tière passe nettement au nord du Béli, les trois autres — dont deux sont fort

anciens — ne les contredisant que partiellement.
v) La pratique administrative le confirme à son tour. Le vocabulaire utilisé par
les chefs de circonscription territoriale exclut absolument la possibilité d’une limite
hydrographique alors qu’elle établit très nettement l’existence d’une limite orogra-
phique.
vi) Cette délimitation répond d’ailleurs à une logique maintes fois explicitée par
les administrateurs coloniaux. Le Béli a été perçu non comme une limite mais
comme un lieu de rassemblement dont le colonisateur a entendu préserver l’unité
pour en garder le contrôle.144 DIFFÉREND FRONTALIER [199-200]

vii) Ce contrôle a été exercé de manière constante par le cercle de Dori: même
si cette administration a accepté de collaborer avec celles des cercles et subdivi-
sions voisins, elle a constamment affirmé sa juridiction territoriale sur la région et
celle-ci a été reconnue et respectée par les administrateurs des circonscriptions

environnantes.
viii) Sous la seule réserve du «décrochement» de la frontière jusqu’à la pointe
nord de la mare d’In Abao, ceci établit de manière irréfutable l’appartenance au
Burkina Faso de la rive septentrionale du Béli, du sommet du mont Tabakarach à
celui du mont N’Gouma.[201-203] 145

ANNEXE AU CHAPITRE IV

ANALYSE DE LA CARTOGRAPHIE RELATIVE À LA RÉGION DU BÉLI

Le Gouvernement burkinabé procède ci-après à un examen des cinquante et une
cartes ou croquis concernant la région du Béli figurant au dossier, en suivant
l’ordre chronologique de leur publication
Un tel examen devrait satisfaire aux exigences du Mali qui indique que tout
documents cartographique

«doit chaque fois être examiné de manière critique pour déterminer s’il est
fiable et s’il a une valeur probante dans le contexte dans lequel il a été confec-
tionné» (mémoire, p. 242).

1. Carte des étapes (1900): annexe C/4 au mémoire malien
Le mémoire malien accorde une certaine importance à ce croquis de compilation
très simplifié (p. 221). L’une des rivières dessinées pourrait être le Béli; le Mali
le tient pour certain mais rien ne l’établit et les autorités qui ont dressé la carte
n’avaient à l’évidence qu’une connaissance sommaire du réseau hydrographique.
Quoi qu’il en soit, et en admettant que ce soit bien le cas, le Mali fait preuve
d’une assurance excessive en l’affirmant. Si le chevauchement d’un cours d’eau par
la ligne représentant la limite des secteurs est une «méthode conventionnelle pour
indiquer (que le marigot longé) est frontière» ( ibid.), il est certainement mal venu

de l’appliquer à un croquis réalisé en 1900 et dont l’imprécision est flagrante pour
tout, y compris pour les détails planimétriques. Le contraire ressort d’ailleurs de
l’ensemble de la carte: la limite entre le Togo et la Côte d’Ivoire est constituée
par une partie de la Volta Noire, la frontière n’enjambe pas celle-ci; pas davan-
tage que le fleuve Niger, très longue limite occidentale entre le Sénégal et les terri-
toires militaires, n’est enjambé à un moment quelconque par la ligne représentant
la frontière ; etc. Au surplus, il apparaît clairement que l’infléchissement de la
limite vers le nord est voulu si l’on examine la partie orientale de son tracé.

2. Carte du Gourma (1900 ou 1901): C/5
Ce croquis de compilation, fort peu lisible dans les copies remises au Burkina
Faso, tendrait à prouver le contraire de ce que le Mali déduit de la carte précédente,
pourtant établie à la même période: la limite y suit la limite nord du fleuve. Au
demeurant, le croquis ne permet guère de juger des positions géographiques des

divers accidents de terrain: à titre d’exemple, le Béli est représenté par une ligne
droite.
3. Carte de l’AOF (1903), feuille de Tombouctou (1/2000000): C/6

Comme le relève le Mali (mémoire, p. 223), le Béli paraît — la représentation
est peu lisible — alternativement dans l’un et l’autre cercles. Les limites territo-
riales sont peu convaincantes (voir région de Mondoro).

4. Haut-Sénégal et Niger (1908, 1/4000000): C/9
Le Mali concède que «la limite entre le cercle de Dori et de Gao apparaît à
environ 10 kilomètres au nord du marigot» mais affirme qu’il en est ainsi «pour
la première fois» (mémoire, p. 201). Ce n’est pas exact (voir supra n 2).146 DIFFÉREND FRONTALIER [203-205]

5. Carte de l’AOF (Meunier, 1910, 1/2000000): C/11

Comme l’observe ici encore le Mali, «le signe de limite est placé de manière
très détachée vers le nord» (mémoire, p. 223; voir aussi p. 202). La rédaction du
mémoire malien donne à penser que ceci serait également un changement: si chan-
gement il y a, il était déjà largement amorcé (voir n os2 et 4). A-t-on «placé sans
raison la limite bien au nord du Béli» ( ibid., p. 224)? Cette carte, très diffusée,
est conforme aux précédentes et sera jusqu’à la parution de celle de 1925 l’un des
principaux guides de l’administration coloniale.

6. Carte ethnographique et administrative du Haut-Sénégal-et-Niger et territoire
militaire (SGAOF, 1911, 1/4000000): C/12

Mêmes remarques que sous le n o4: en dépit de l’échelle, le Béli est toujours
figuré à au moins 20 kilomètres au sud de la limite du cercle. Le Mali ne le relève
pas (mémoire, p. 202).

7. Haut-Sénégal-et-Niger (Meunier/Larose, 1911, 1/5000000): carte no 1 déposée
par le Burkina Faso

Une limite administrative schématique est figurée à plus de 20 kilomètres au
nord d’une rivière qui ne peut guère être que le Béli.

8. Haut-Sénégal-et-Niger (Larose, 1915, 1/4000000): C15bis
Très schématique. Mais la limite passe nettement au nord du Béli.

9. Croquis de tournée chez les Touaregs et chez les Sonrhaïs de l’administrateur
de Coutouly (1922, 1/500000 environ): cartes n os 2 et C/18 et croquis écono-
mique et agricole du cercle de Dori par F. de Coutouly (1922, 1/500000
environ): cartes n os 3 et C/17

Certainement douteux sur le plan de la technique cartographique, ces croquis
tiennent leur grande valeur du fait qu’ils émanent d’un homme de terrain, visible-
ment soucieux du détail. La limite est figurée très au nord du Béli. Le Mali n’en
dit rien (mémoire, p. 204).

10. Carte de l’AOF, feuille de Tombouctou (A. Meunier, service géographique des
colonies, 1922, 1/2000000): carte n o 4

Cette carte, également très diffusée, est l’une des cartes de réféoence utilisée
pour la carte d’Afrique au 1/2000000 de 1925 (voir infra n 12). Bien qu’assez
schématique le tracé de la «limite des colonies du groupe» passe très nettement au
nord de la ligne des mares.

11. AOF politique (1922): C/19
Carte très schématique. Cependant le Béli apparaît nettement au sud de la limite
entre la Haute-Volta et le Soudan français. Le Mali ne le relève pas (mémoire,

p. 205).
12. Carte d’Afrique (service géographique de l’armée, 1/2000000), feuille Niger:
os o
cartes n 5 et C/21 et feuille Soudan français: carte n 6
Dressées par le même organisme, à la même échelle, à la même date, et portant
sur la même région, ces deux cartes adoptent un tracé symétrique pour le Béli,
d’une part, et pour la frontière, de l’autre 1.

1
La photocopie de la carte o/22 produite par le Mali semble figurer des tracés identiques
à ceux de la carte C/21 (et n 5). Le Gouvernement burkinabé réserve sa position sur ce
document — dont la légende n’a pas été reproduite et dont il n’a pu, pour l’instant, exami-
ner l’original.[205-207] CONTRE -MÉMOIRE DU BURKINA FASO 147

La feuille du Niger figure le Béli au sud de la frontière; celle du Soudan réta-
blit celle-ci au nord. Au moment où le «Petit Atlas» , joint à son mémoire avait
été composé, le Gouvernement burkinabé ne disposait pas de la feuille du Soudan
français de 1925. En la comparant à des éditions ultérieures, il avait cependant
pensé que cette anomalie s’expliquait par une intervention pure et simple entre le
marigot et la frontière par le topographe de 1925 (et non de 1961 comme cela est
indiqué par erreur à la page 134 du mémoire). Cette supposition est entièrement
confirmée par l’analogie relevée plus haut.
Par ailleurs, ces deux cartes constituent des «éditions provisoires» (même si la

mention est en partie coupée par la photocopie sur la carte C/21, on la devine en
haut à droite), établies rapidement et «sans garantie».
En outre, il convient de noter que si la feuille du Niger devait faire foi, les deux
rives du Béli devraient être attribuées au Mali, ce qui va au-delà de ses préten-
tions...

13. Carte des colonies de l’AOF, feuilles Hombori et Ansongo, 1/500000 (SGAOF,
Blondel La Rougery): cartes n os7 et C/23, C/24
Le Mali, qui fait grand cas de la carte précédente, qui conforte partiellement sa
thèse (mémoire p. 206 et 224), rejette celles-ci (appelées «croquis»), qui lui

donnent entièrement tort ( ibid., p. 206 et suiv. et 225).
Le Gouvernement du Faso, pour sa part, ne considère pas ces dernières comme
parfaites: toutes ont en commun, comme le relève le mémoire malien, une «valeur
topographique aléatoire» (p. 206) qu’il convient cependant de ne pas exagérer:
l’orographie, en particulier, très visiblement inspirée de la carte dressée par la
mission de Gironcourt (C/15) est fiable (voir infra, chap. V, n o 43). Il a en outre
montré qu’en ce qui concerne le tracé des frontières, les cartes «civiles» avaient
une valeur probante sans doute supérieure à celles établies par le service géogra-
phique de l’armée (voir mémoire, p. 134, et Petit Atlas ). De plus, établies au

1/500000 (alors que ces dernières le sont au 1/2000000), elles sont plus précises.
o Par ailleurs, ainsi que le Gouvernement burkinabé l’a déjà indiqué (chap. I,
n 51), la carte au 1/500000 a longtemps constitué dans la région le document à
la plus grande échelle publié par le service géographique du gouvernement général
sur lequel, aux termes de la circulaire 93 CM 2 du 4 février 1930, tous les docu-
ments intéressant la délimitation des circonscriptions territoriales devaient se
fonder, comme le rappelaient, par exemple, le service géographique de l’AOF et
le gouverneur général dans des correspondances de 1935 ( infra, annexes 127 et
129). Cette seconde lettre renvoyait expressément le lieutenant-gouverneur du
Soudan français aux feuilles de Mopti et de Hombori de la carte au 1/500000 (voir
o
aussi infra n 21).
Quelles que puissent être ses faiblesses techniques, cette carte, qui est demeu-
rée la référence officielle des diverses administrations coloniales concernées
jusqu’à la publication de la carte au 1/200000 à partir de 1958, présente donc une
importance toute particulière: le Béli y figure nettement au sud de la limite méri-
dionale du Soudan français.

14. Carte de l’AOF (Meunier, ministère des colonies, 1925, 1/3000000): carte n 8 o
Carte schématique mais la limite passe nettement au nord du béli.

15. Atlas des cercles de l’AOF (cartes concernant les cercles de Dori, Gao, et Hom-
bori, 1925 et 1926, 1/1000000): cartes n 9 a, 9 b et 9 c et C/28, C/25 et C/27

Le Mali récuse ces cartes sans appel (mémoire, p. 209 et 226). S’il n’est pas
douteux qu’elles sont faites sur la base de compilation et qu’elles ne présentent pas
le même caractère officiel que la carte au 1/500000 de 1925, elles n’en ont pas148 DIFFÉREND FRONTALIER [207-210]

moins une certaine importance: d’un format commode, elles ont éoé largement
utilisées par les administrations coloniales (voir chap. I, n 50).
Le Mali qui souligne que «les limites de ces atlas ne coïncident pas» (mémoire,
p. 226), omet de relever que ces trois feuilles — les seules qui concernent le Béli
— s’accordent au moins pour placer la rivière très nettement à l’intérieur du cercle
de Dori.

16. Croquis de l’Afrique française, feuille de Ouagadougou (éditions successives de
1926, 1933, service géographique de l’armée et 1946, 1953, Institut géogra-
phique national; 1/1000000): cartes n os11a,11 b, 11c et 11d; pour les éditions
de 1933 et 1946: C/34 et C/36 et feuille de Niamey (IGN, 1947): C/35

Le Mali, qui ne relève pas que ces documents situent tous le Béli à l’intérieur de
la Haute-Volta, s’emploie à en nier l’intérêt (mémoire, p. 211 et suiv. et 227). Il
n’est cependant pas négligeable.
Il s’agit de cartes de généralisation établies sur le fondement des archives carto-
graphiques détenues par le service géographique de l’AOF. S’agissant des feuilles
«Ouagadougou» et «Niamey», ces cartes dites «régulières», levées sur le terrain
par des cartographes qualifiés et bien équipés (voir mémoire du Burkina Faso,
p. 130-131), sont pour les éditions de 1946 et 1953 de la feuille «Ouagadougou»:

— les cartes au 1/200000 de Mopti, Macina, Diafarabe, San (1935), Debo,
Niafounke, Bandiagara (1936), et Koutiala (1945); et
— les cartes de l’AOF au 1/500000 de Mopti, Hombori, San et Ouagadougou de
1925;

et pour la feuille de Niamey:
— la carte régulière de l’AOF au 1/200000 (Niamey, 1940);
— la carte des colonies de l’AOF au 1/500000 (feuilles de Tahoua, Niamey,
Ansongo et Dosso); et
— la carte provisoire de Fada, N’Gouma et Diapaga au 1/200000 de 1935.

Le terrain ayant été abondamment parcouru pour réaliser les cartes de référence,
elles ont une valeur topographique sérieuse et les positions relatives des divers
accidents de terrain y sont correctes. Contrairement à l’opinion du Mali (mémoire,
p. 212), une orographie apparaît bien sur la feuille de Niamey avec des courbes
équidistantes de 100 mètres.

Cependant, compte tenu de leur destination, il est probable qu’elles accordent
davantage d’importance aux positionnements relatifs des localités qu’à celui des
limites administratives.
17. Carte routière de la Haute-Volta (SGAOF, 1927 et IGN(F), 1950, 1/1000000):
os
cartes n 13 a et 13 b; édition de 1950: C/39; carte routière du Niosr (gouver-
nement général de l’AOF, 1934 et 1936, 1/2 500000): cartes n 12 a et 12 b;
carte des routes et pistes et carte routière (1948, 1/3000000): C/37 et C/37 bis
Ces cartes, qui sont imprécises, ont un intérêt limité; le Béli y figure cependant
à l’intérieur de la Haute-Volta.

18. Carte administrative et économique de la colonie de Haute-Volta (SGAOF,
Forest, 1928, 1/2000000): carte n o 10
o
Même remarque que sous le n 17.
19. Carte d’ensemble politique et administrative de l’AOF (SGAOF, 1928,
1/2 500000): C/31

Réalisée par le service géographique de l’AOF dirigé par le commandant de
Martonne, à l’opinion duquel le Mali semble attacher une grande importance (voir[210-212] CONTRE MÉMOIRE DU BURKINA FASO 149

mémoire, p. 207-208 et annexe D/21), cette carte est à trop grande échelle pour
servir de référence aux opérations de délimitation (voir supra n o13). Elle n’en
constitue pas moins la carte politique et administrative officielle de l’AOF en 1928.
Le Mali omet de signaler que la limite entre la Haute-Volta et le Soudan français
passe nettement au nord du chapelet de mares du Béli (mémoire, p. 210).

20. Carte de l’AOF, feuille de Tombouctou (A. Meunier, ministère des colonies,
1932; 1/2000000): C/32

Le Mali relève que cette carte «illustre la situation des cercles à l’époque»
(mémoire, p. 212), mais n’indique pas que le Béli est intégralement inclus dans le
cercle de Dori.
21. Croquis d’itinéraire de la patrouille d’Ansongo (28 novembre 1940,

1/500000): C/70
La valeur cartographique de ce croquis est limitée, comme c’est le cas pour tous
les documents de ce genre. Sur le plan juridique, il présente cependant un très
grand intérêt à double point de vue.
D’une part, il est très évidemment établi sur le fondement de la carte au

1/500000 de 1925, ce qui confirme qu’il s’agissait bien de la carte de référence des
administoations coloniales, y compris celles des circonscriptions territoriales (voir
supra n 13).
D’autre part, ce croquis montre que son auteur, qui relevait de la circonscrip-
tion d’Ansongo, n’avait aucun doute sur l’appartenance du Béli au cercle de Dori.
Du même coup, on peut constater que des patrouilles dépassaient les limites de leur
circonscription administrative (voir aussi chap. IV n o53).

22. Carte de l’AOF (SGAOF, 1951, 1/5000000): carte n 14
Carte officielle. Bien qu’elle soit à très petite échelle, la frontière est figurée

nettement au nord du Béli.
23. Carte In Abao (direction fédérale des mines de la géologie, 1953, 1/200000):
carte no 15

Croquis fait par M. Defossez, géologue — que le Mali cite par ailleurs. La limite
administrative est mal définie mais placée au nord du Béli. On voit apparaître sur
cette carte le mont In Adjamba.

24. Carte géologique de reconnaissance de la Haute-Volta (BRGM, Ducellier et
Defossez, 1953 ?, 1/500000): carte n o 17
Cette carte, faite à partir de levés sur le terrain, situe la frontière au nord du Béli.

M. Defossez, ingénieur géologue, est intervenu tout particulièrement dans la zone
frontalière; il n’est pas concevable que, sur le terrain, il ait pu intervertir la limite
entre les deux colonies et le Béli.
25. Hydrologie du Nord-Dori (service de l’hydrologie de l’AOF, BURGEAP, 1954,
o
1/200000): carte n 16
Cette carte a été dressée par des géologues à la suite d’enquêtes détaillées sur
le terrain, y compris certaines mesures de nivellement. Il est vraisemblable que les
limites de territoires, placées au nord du Béli, ont été reconnues. En tout cas, étant
donné le caractère de la carte, elles n’y figureraient pas si elles n’avaient été

soumises au préalable aux autorités compétentes (probablement le service géogra-
phique de l’AOF).
28. Carte de l’AOF (1955, 1/2 500000): carte no 18

Carte à petite échelle; le Béli ne s’en trouve pas moins au sud de la frontière.150 DIFFÉREND FRONTALIER [212-215]

29. Carte de l’Afrique de l’ouest au 1/200000, feuilles d’In Tillit (1958, réim-
pression 1961): (cartes n os21 c et C/41, de Dori (1960): cartes n os 21 d et
C/44) et de Téra (1961): carte n o 21 e, édition de 1969, C/41
Ces trois cartes (la feuille de Djibo, produite par les Parties, n’intéresse pas la

région du Béli) situent le Béli nettement au sud de la ligne-frontière.
Le Mali constate à regret que: «d’une manière générale, cette ligne apparaît assez
semblable à celle de la carte de 1925...» (mémoire, p. 229; voir aussi p. 214),
faisant ainsi rejaillir sur celle-là l’opprobre dont il accable celle-là (voir supra
no 13). Reconnaissant sa grande qualité technique, il indique: «Elle peut être consi-
dérée comme précise tant en ce qui concerne la mise en place des détails topogra-
phiques que l’exactitude de la toponymie.» ( Ibid., p. 214.) Il met en revanche en
doute sa valeur probante en insistant sur les croisillons discontinus qui représentent

la frontière et sur le fait que:
«Depuis 1975 un cachet est porté sur toutes les feuilles avec l’indication
suivante en route (?): le tracé des frontières figurant sur cette carte n’a pas
de valeur juridique et ne saurait engager la responsabilité de l’Institut géogra-

phique national.» ( Ibid.)
Le Gouvernement burkinabé a longuement réfuté par avance l’objection tirée de
l’existence de croisillons discontinus (mémoire, p. 122 et suiv.) et il n’est pas utile
d’y revenir 1.

Quant au tampon dont se prévaut la Partie malienne, il n’est apposé sur les cartes
litigieuses que depuis que le Mali, justement, a protesté, avec beaucoup de vigueur,
contre le tracé adopté — manifestant du même coup l’importance qu’il lui accorde
et la crédibilité qui s’y attache.
Le Gouvernement burkinabé ne prétend pas que la carte au 1/200000 constitue
la vérité révélée: des approximations, des erreurs humaines sont toujours possibles.
Il reste que l’orientation générale du tracé qui y figure ne peut être mise en cause
et que tel est le cas, en particulier, dans la région du Béli: dans une zone fronta-
lière dans laquelle coule un fleuve important, le réflexe premier est de placer la

frontière le long de celui-ci; pour des raisons qui sont explicitées dans le chapitre
IV, section 2, il n’en est pas ainsi en l’espèce, mais il est clair que cette «anoma-
lie» apparente ne peut résulter d’une inadvertance; surtout dans le cas d’une carte
à l’échelle relativement grande, dressée avec beaucoup de soin par des spécialistes
disposant de moyens techniques sophistiqués (voir mémoire du Burkina Faso,
p. 131 et suiv.), ce dont, d’ailleurs, la Partie malienne convient (mémoire, p. 188
et suiv.).
Etablies sur la base de témoignages recueillis auprès des autorités administra-

tives et des populations locales, ces cartes constituent au surplus, la transcription
la plus authentique de la situation prévalant eosectivement sur le terrain au moment
de la date critique (voir supra, chap. I, n 32 et suiv.). Ceci est précisé d’ailleurs
par l’IGN(F) dans sa note du 27 janvier 1975: «L’adoption du tracé sur ces cartes
traduit l’état de fait constaté sur le terrain au moment du levé, c’est-à-dire en 1958-
1959.» (Mémoire du Mali, annexe D/134.) Et l’on comprend mal pourquoi le Mali
qui accorde, ailleurs, le plus grand crédit aux opinions de cet organisme
(cf. mémoire p. 232 et suiv.), le conteste ici ( ibid., p. 231).

1Une erreur s’est toutefois glissée dans le mémoire (p. 123); il y est indiqué que, dans
la première édition, une seule feuille figurait la frontière en traits discontinus: celle d’In
Tillit. Il apparaît que c’est aussi le cas pour la feuille de Téra. Le Gouvernement burkinabé
prie les membres de la Chambre et le Gouvernement malien de bien vouloir l’excuser pour
cette erreur.[215-217] CONTRE -MÉMOIRE DU BURKINA FASO 151

Il n’est, en réalité, pas douteux qu’une autorité particulière s’attache à ces cartes
même si la présomption d’exactitude qui en résulte n’est pas irréfragable au moins
dans une zone dans laquelle prévalent les croisillons discontinus.

30. Carte de l’Afrique de l’ouest, feuilles d’Ansongo et de Hombori (1961,
1/500000): cartes n os21 f et 21 g, C/45 et C/46
Comme le constate le Mali à juste titre (mémoire, p. 215 et 239), cette carte est

issue de celle au 1/200000; elle appelle les mêmes remarques; la même autorité
relative s’y attache sous la seule réserve qu’elle est à une échelle plus petite. Ici
encore, la frontière est figurée nettement au nord du Béli, dont la rive gauche
relève de la Haute-Volta.

31. Carte internationale du mondeo feuilles ND 31 et ND 30 IGN(F), 1963 et
1966, 1/1000000: carte n 20
Dressées avec beaucoup de soin et de qualité, ces cartes à petite échelle n’en
font pas moins apparaître le Béli au sud de la frontière. Il est vrai qu’elles ont été

imprimées après la date critique; mais leur origine ne les rend pas suspectes.
32. Carte géologique de l’Oudalan, feuilles de Dori, Téra et In Tillit (M. Jeam-
brun, 1970, 1/200000): carte n o 25, déposée au Greffe de la Cour en même

temps que le présent contre-mémoire
Cette carte a fait l’objet de levés géologiques précis le long de la frontière, sur
les deux rives du Béli, par M. Delfour, ingénieur géologue, qui a dû, à l’évidence,
séjourner longtemps dans la région, sans pour autant éprouver de doute sur la posi-
tion de la frontière, figurée au nord du Béli.

33. Carte établie en vue de l’inventaire des ressources hydrauliques, coupures
nos1 et 2 (BRGM et SCET International, 1972-1973, 1/200000): cartes n os23
et 24

Etablie à la demande du ministère voltaïque de l’agriculture et de l’élevage,
après la date critique, cette carte pourrait être considérée comme «suspecte», mais
elle a été réalisée par des organismes étrangers dont l’impartialité n’a aucune raison
d’être mise en doute. Son levé a également nécessité de longs séjours dans la zone
revendiquée par le Mali et, en particulier, sur les deux rives du Béli. La frontière

y est située nettement au nord des mares.
34. Carte géologique de la République de Haute-Volta (1976, 1/1000000): carte
no 26

Cette carte dont l’établissement a bénéficié d’un financement du PNUD appelle
les mêmes remarques que le document précédent (voir n o 32). Dressée par G.
Hottin et D. F. Ouedraogo et publiée par la direction de la géologie et des mines
de Haute-Volta, elle est fondée sur les travaux du BRGM français dont les opéra-
teurs ont séjourné sur le terrain, et qui auraient certainement protesté si la fron-

tière avait été située de manière erronée; or le Béli figure au sud de celle-ci.
35. Mares amont du Béli (croquis ORSTOM, 1977): C/50 et C/51

Ces deux croquis sont intéressants pour les mêmes raisons que les documents
précédents: les personnes qui les ont dressés se sont rendues, pour ce faire, sur le
terrain et y ont séjourné longuement: le tracé de la frontière qu’elles ont matéria-
lisé est situé au nord du Béli.152 [218-219]

CHAPITRE V

LE POINT TRIPLE

1. Le Gouvernement de la République du Mali reconnaît que «l’extrémité est de
la zone contestée» est constituée par «le point triple où se rejoignent les frontières
du Mali, de la Haute-Volta et du Niger» (mémoire, p. 26).
Plus loin, faisant une lecture sélective de l’arrêté général du 31 août 1927 et de
son erratum du 5 octobre (mémoire du Burkina Faso, annexes II-28 et II-29), il
admet:
«Compte tenu de la disposition des cercles de Gao, Dori et Tillabéry, il

résulte de ces énonciations que le point extrême nord de la limite des colo-
nies du Niger et de la Haute-Volta est le point extrême est de la démarcation
du Soudan français et de la Haute-Volta, soit un point triple. Il est donc un des
points de repère devant être pris en compte dans le règlement du présent diffé-
rend puisque la contexture des cercles de Gao, Dori et Tillabéry, les uns par
rapport aux autres, n’a pas varié pendant le reste de la période coloniale.»
(Mémoire du Mali, p. 128.)
Jusqu’ici, il y a accord des Parties: il existe un point triple, et ce triplex confi-
nium, fixé par l’arrêté de 1927 et son erratum, est resté identique jusqu’à la fin de
la domination coloniale, qui constitue la date critique.

2. En revanche, les Parties sont en profond désaccord en ce qui concerne la
détermination de ce point triple.
Prenant prétexte de la contradiction apparente entre le titre constitué par les
textes de 1927 et la carte de 1961, la Partie malienne situe ce point au gué de
Kabia — en opposition et avec l’arrêté et avec la carte —, alors que le Burkina
Faso le place au nord du gué, au lieu mentionné comme étant le mont N’Gouma
par l’arrêté de 1927 et par certains documents cartographiques.
Selon le Gouvernement du Faso, il convient de ne pas accorder une importance
excessive au toponyme affecté au point triple. Quel que soit le nom de ce lieu,
son emplacement seul présente un intérêt réel aux fins de la solution du présent
litige (sect. 1). Néanmoins, le Mali semble attacher une très grande importance au
positionnement du mont N’Gouma sur lequel le Gouvernement burkinabé s’inter-
rogera dans un second temps (sect. 2).

Section 1. L’emplacement du point triple

3. La situation du point triple est indissociable de la détermination du tracé de
la frontière dans la région du Béli: si, comme l’affirme le Mali, le point triple était
situé au gué de Kabia, il pourrait être vraisemblable que la frontière dans son
ensemble suive le marigot; si au contraire, comme c’est le cas, le mont N’Gouma
constitue le point triple, la frontière orographique défendue plus à l’ouest par le
Burkina Faso s’en trouve confirmée car il est tout à fait exclu qu’elle suive une
ligne hydrographique pour s’en écarter soudain, à un point d’ailleurs non précisé,
pour rejoindre les hauteurs de N’Gouma.
L’argumentation ci-après, relative au seul point triple, est donc inséparable de[219-221] CONTRE -MÉMOIRE DU BURKINA FASO 153

celle développée dans le chapitre précédent: elles se renforcent et se confortent
mutuellement. o
4. Incompatibles avec les thèses soutenues par le Mali, l’arrêté n 2336 du
31 août 1927 et son erratum n o 2602 du 5 octobre suivant, établissent sans le
moindre doute que le point triple entre le Burkina Faso, le Mali et le Niger se
trouve au nord du gué de Kabia (par. 1). Ce fait est confirmé par les documents
cartographiques produits par les Parties (par. 2) et par la pratique administrative
de la puissance coloniale (par. 3).

PAR . 1. LARRÊTÉ DU 31 AOÛT 1927 ET SON ERRATUM

5. L’arrêté de 1927 et son erratum fixent les limites des colonies de la Haute-
Volta et du Niger.
Aux termes de l’article premier de l’arrêté du 31 août 1927:

«Les limites des colonies du Niger et de la Haute-Volta sont déterminées
désormais comme suit:

1) Limites entre le cercle de Tillabéry et la Haute-Volta:

Cette ligne est déterminée au nord par la limite actuelle avec le Soudan
(cercle de Gao) jusqu’à la hauteur de N’Gourma , à l’ouest par une ligne
passant au gué de Kabia, mont de Darouskoy...» (Mémoire du Burkina Faso,
annexe II-28).

L’erratum du 5 octobre 1927 dispose:

«L’article premier de l’arrêté du 31 août 1927 fixant les limites des colo-
nies du Niger et de la Haute-Volta, publié au Journal officiel de l’Afrique occi-
dentale française , numéro 1201 du 24 septembre 1927, page 638, doit se lire
comme suit:
«Article premier . Les limites des colonies du Niger et de la Haute-Volta

sont déterminées comme suit:
Une ligne partant des hauteurs de N’Gouma, passant au gué de Kabia
(point astronomique), au mont d’Arounskoye...» ( Ibid., annexe II-29.)

6. L’arrêté de 1927 émane du gouverneur général de l’AOF, la commission
permanente du conseil du gouvernement ayant été entendue, c’est-à-dire, indiscu-
tablement, de l’autorité compétente pour procéder à la délimitation entre deux colo-

nies françaises de cette partie de l’Afrique, conformément aux dispositions de l’ar-
ticle 5 du décret du 18 octobre 1904 réorganisant le gouvernement général de
l’AOF (mémoire du Burkina Faso, annexe II-9). Annoncé par le décret du
28 décembre 1926 (mémoire du Mali, p. 127 et annexe B/33), cet arrêté a fait
l’objet d’une étude préalable qui s’est poursuivie durant plus de six mois. Il est
suivi d’un erratum dont la rédaction est encore plus précise.
Les deux documents, l’arrêté et son erratum, constituent ensemble, par leur
origine, par leur contenu, et par leur objet — qui est de fixer les limites territoriales
entre deux colonies françaises devenues, à l’intérieur de celles-ci, des Etats souve-
rains — un titre juridique par excellence légué par le colonisateur.

7. Or, le Mali, tout en concédant que le raisonnement consistant à fixer le point
triple aux hauteurs de N’Gouma est «à première vue solide», proclame «que c’est
Kabia qui est véritablement le point triple entre le Niger, le Burkina Faso et le Mali
et non le mont N’Gouma» (mémoire, p. 302).154 DIFFÉREND FRONTALIER [221-224]

La seule raison invoquée par la Partie malienne pour justifier cette étrange inter-
prétation est que si les services qui ont établi l’arrêté et son erratum:

«avaient su que N’Gouma était au sud-est, ils auraient inclus celui-ci dans la
limite Soudan/Niger et auraient commencé la description de la limite Haute-
Volta/Niger au gué de Kabia.
Poussant plus loin le raisonnement, il faut sans doute considérer que ces
services étaient influencés, dans la description qu’ils faisaient de la limite, non
seulement par des toponymes erronés, mais surtout pas une limite cartogra-
phique Soudan/Haute-Volta qui était fantaisiste puisqu’elle faisait passer par
les sommets de monts inexistants une limite qui passait en réalité par une

vallée.» (Ibid., p. 310.)
8. Sans qu’il soit nécessaire, à ce stade de s’interroger sur la situation exacte
du mont N’Gouma (voir infra, sect. 2), il est clair que la supposition qui sert de
point de départ à l’argumentation malienne est totalement inacceptable.
Il est absolument vain de s’interroger sur ce qu’auraient fait les autorités colo-
niales si le toponyme N’Gouma avait figuré au sud-est du gué de Kabia. Le fait est
qu’elles se sont fondées sur des cartes, concordantes, qui faisaient partir la limite

nord-est du cercle de Dori d’un point situé non au gué de Kabia, mais à quelques
kilomètres au nord de celui-ci.
Ce n’est pas le toponyme affecté au point triple qui est intéressant par lui-même
mais, justement, la situation relative de ce point par rapport à d’autres repères
géographiques et, tout particulièrement, au gué de Kabia, au mont Trontikato et à
Labbézanga. Ce qui est révélateur, ce n’est pas que les services compétents aient
fait partir la limite Haute-Volta/Niger d’un lieu-dit «N’Gouma» mais bien:

— que ce point soit situé au nord du gué de Kabia; et
— qu’il se trouve sur la ligne de oonts qui, si l’on se reporte à la carte au
1/500000 de 1925 (carte n 7 produite par le Burkina Faso; annexe C/24 au
mémoire du Mali), part non loin de Labbézanga et passe par le mont Garibiri,
les monts Sakor-Sakorou, les hauteurs de Gorontondi, le mont Tin-Garan à
l’est, le mont Trontikato et le mont Ouagou à l’ouest; et
— que ces hauteurs soient précisément celles qui ont été retenues par la puissance
coloniale pour constituer vers l’est la limite entre le Niger et le Soudan fran-
çais, vers l’ouest la limite entre ce même Soudan et la Haute-Volta.

9. Il n’est pas tout à fait exact, comme l’écrit le Gouvernement du Mali, qu’«il
y a indéniablement une conception globale de la limite à se faire» (mémoire,
p. 310).
La tâche de la Chambre — et des Parties qui doivent éclairer son jugement —
n’est pas de «se faire» «une conception globale de la limite» mais de dégager la
conception que s’en faisait la puissance administrante.
Or, le point retenu par l’arrêté et son erratum traduit bien la philosophie géné-
rale qui l’a inspirée constamment dans la région. Ce point aurait pu porter n’im-
porte quel nom, cela n’eût rien changé à un fait incontournable: face à des cartes
faisant apparaître une mare, au sud, des hauteurs, au nord, les autorités coloniales

— qui avaient en la matière un pouvoir totalement discrétionnaire et même arbi-
traire — ont, délibérément, choisi la ligne orographique et écarté la ligne hydro-
graphique, ce qui confirme les développements duoshapitre précédent relatif à la
région du Béli (voir chap. IV, notamment n 76 et suiv.).
10. Il n’y a là aucune inadvertance, aucune erreur (il ne s’agissait d’ailleurs pas
de confirmer un tracé mais de procéder à une nouvelle délimitation).
La Partie malienne reconnaît du reste qu’«il semble indiscutable que, dans l’idée
des services qui ont établi cette limite, N’Gouma était au nord» (mémoire, p. 310).[224-226] CONTRE -MÉMOIRE DU BURKINA FASO 155

C’est donc bien un point situé au nord du gué de Kabia qu’ils ont choisi en toute

connaissance de cause pour opérer la délimitation.
Ce caractère délibéré ressort d’ailleurs de la rédaction même des textes de 1927
qui témoigne d’un visible souci de précision. Déjà, le premier texte ne pouvait
laisser aucun doute: point extrême à l’ouest de la limite septentrionale du Niger
avec le Soudan, le point triple est inévitablement situé au nord du gué de Kabia,
premier point de repère cité sur la limite occidentale du cercle de Tillabéry. L’er-
ratum du 5 octobre 1927 est plus explicite encore: il précise que la ligne part des
hauteurs de N’Gouma, puis passe au gué de Kabia (voir la carte reproduite ci-
après, à la suite du n o 25).
11. Or, le Mali vide cette rédaction de toute signification. Il opère une inver-
sion radicale non seulement des noms des deux points géographiques, mais aussi
des mots clés du texte: «partant» et «passant». Où il est écrit que la limite part

du mont N’Gouma , il faudrait lire qu’elle part du gué de Kabia ; où il est écrit
qu’elle passe par celui-ci, il faudrait lire qu’elle y débute...
Partant de l’hypothèse d’une «erreur» étrange, qu’elle ne démontre pas, la Partie
malienne tente d’obtenir de la Chambre qu’elle modifie des titres écrits, clairs et
précis. C’est une manière facile, mais juridiquement inacceptable, de faire
«descendre» la frontière héritée de la colonisation dans la région, du nord vers le
sud, des hauteurs et des monts, vers la vallée et les mares. Comme il le fait pour
toute la zone du Béli, le Gouvernement malien, par une alchimie qui ne saurait
abuser, transforme ainsi une limite nettement orographique en une frontière hydro-
graphique.

PAR . 2. LES TITRES CARTOGRAPHIQUES

12. La fermeté de la rédaction du titre écrit légué par la puissance coloniale,
l’arrêté de 1927 et son erratum, contraste, à première vue, avec les variations que
l’on peut relever d’une carte à l’autre en ce qui concerne l’emplacement du point
triple. Certaines le situent à quelques kilomètres au nord du gué de Kabia, d’autres
nettement plus au nord; certaines lui donnent un nom, d’autres ne le font pas.
Indépendamment de ce second point, qui fait l’objet de la section 2 du présent
chapitre, l’examen du «donné cartographique» dans son ensemble conduit cepen-
dant à des conclusions nuancées et la contradiction entre les titres écrits, d’une part

et les cartes, d’autre part, est moins radicale qu’il y paraît. En réalité les documents
cartographiques confortent les conclusions que l’on peut tirer de la lecture de l’ar-
rêté du 31 août 1927 et de son erratum sur un point fondamental: le point triple est
situé au nord du gué de Kabia (A); ils sont d’interprétation plus difficile en ce qui
concerne l’emplacement exact du point triple (B).

A. Les cartes confirment que le point triple est situé au nord du gué de Kabia

13. Sur les quatre-vingt-quinze documents cartographiques produits par les
Parties, seize ne peuvent être d’aucune aide pour déterminer le point triple: les
frontières ou limites administratives n’y figurent pas; deux autres sont trop impré-

cises pour que l’on puisse en tirer des enseignements quelconques; et dix sont des
cooquis établis par la Partie malienne pour illustrer sa thèse (voir supra, chap. II,
n 22).
Des soixante-sept documents cartographiques restant, on doit en outre faire
abstraction de vingt-trois cartes ou croquis qui portent sur des zones situées soit à
l’ouest, soit, plus rarement, à l’est ou au sud du point triple. Tel est le cas des
cartes no 9c, 9 d et 9 e déposées par le Burkina Faso (identiques aux annexes C/27,156 DIFFÉREND FRONTALIER [226-229]

C/29 et C/26 au mémoire malien), 11 a, 11 b, 11 c et 11 d (C/34 et C/36), 15, 17,

21 a, 21 b, 21 c, 21 d et 21 g (C/43, C/40, C/44 et C/45) déposées par le Burkina o
Faso au Greffe de la Cour en même temps que son mémoire et de la carte n 25
déposée avec le présent contre-mémoire, et des annexes C/5 bis, C/17, C/20, C/23,
C/37, C/50, C/51 et C/70 au mémoire du Mali. En outre, le Béli n’apparaît pas sur
les cartes C/31 et C/68 et le croquis n o 19 ne concerne que le cercle de Tillabéry.
La masse des quarante et un documents pertinents reste cependant considérable.
Pour la commodité de l’exposé, ils seront répartis en deux catégories: ceux établis
avant le mois d’août 1927, d’une part et ceux qui sont postérieurs à l’arrêté général
du 31 août 1927.

1. Les cartes antérieures à 1927
14. Les documents cartographiques de cette période peuvent paraître présenter

une utilité limitée pour déterminer l’emplacement du point triple actuel entre le
Burkina, le Mali et le Niger.
En effet, durant la majeure partie de cette periode (qui commence avec la
conquête coloniale à l’extrême fin du XIX siècle), le cercle de Dori s’étendait à
l’est jusqu’au fleuve Niger; il fut amputé du Torodi par l’arrêté général du
31 décembre 1907 portant fixation des diverses circonscriptions du territoire mili-
taire du Niger (voir mémoire du Burkina Faso, annexe II-9 bis), mais l’arrêté
général rattachant la région de Tombouctou au territoire civil du Haut-Sénégal-
Niger en date du 22 juin 1910 incorpora au cercle de Dori les cantons de la rive
droite du Niger dépendant auparavant de Tillabéry ( ibid., annexe II-13). Ce n’est
qu’en vertu des décrets du 28 décembre 1926 et du 22 janvier 1927 que ces can-

tons firent retour, définitivement, au cercle de Tillabéry (Niger) ( ibid. annexes II-24
et II-26) et ce n’est donc qu’à partir de cette date que le point triple entre les trois
colonies a pu être déterminé; tel fut l’un des objets de l’arrêté général du 31 août
1927.
15. Les cartes antérieures à cet arrêté présentent pourtant un grand intérêt pour
déterminer l’emplacement du point triple. Les auteurs de l’arrêté s’en sont en effet
directement inspirés.
Par ailleurs, plusieurs d’entre elles représentent la limite entre les cercles de Gao
et de Dori et cette limite n’a pas été modifiée lors du réaménagement colonial de
1926-1927. Cela signifie qu’à défaut de fournir des renseignements sur l’emplace-
ment du point triple en longitude, ce tracé représente la ligne est-ouest sur laquelle

celui-ci est nécessairement placé.
Les enseignements que l’on peut en tirer sont donc les mêmes que ceux détaillés
dans le chapitre précédent, décrivant le tracé de la frontière dans la région du Béli
considérée globalement: à l’exception de deux documents, les cartes pertinentes
situent toutes la limite entre les cercles de Gao et de Dori au nord du Béli.
16. Les deux cartes «hétérodoxes» sont:

— la carte de l’AOF de 1903, feuille de Tombouctou (C/6) ; eto
— la carte d’Afrique de 1925, feuille du Niger (carte n 5, déposée par le Burkina
Faso; annexe C/21 au mémoire malien);
toutes deux au 1/2000000.
Le Gouvernement burkinabé les a commentées de façon précise dans l’annexe
os
au chapitre IV (voir l’annexe n 3 et 12). Les mêmes remarques s’imoosent ici:
sur ces deux documents, le Béli paraît être (C/6) ou est (carte n 5) situé au nord
de la limite, au moins dans sa partie orientale où se trouve le point triple. Mais le
premier est très ancien et la lecture en est difficile et la carte au 1/2000000 de
1925 n’est guère crédible: il paraît clair que le Béli et la limite ont été purement
et simplement intervertis (cette erreur a du reste été rectifiée lors de la nouvelle[229-231] CONTRE -MÉMOIRE DU BURKINA FASO 157

édition de la carte, en 1936 et n’apparaît pas sur la feuille du Soudan français, carte
no 6). Du reste si le tracé de 1925 devait faire foi, le point triple se trouverait non

au gué de Kabia mais nettement au sud de celui-ci, ce que le Mali lui-même ne
va pas jusqu’à prétendre.
17. Toutes les autres cartes, produites par l’une ou l’autre Partie, au nombre de
dix-sept, situent, sans aucune exception, la limite Gao/Dori au nord du Béli 1. Cette
limite n’ayant pas été modifiée en 1927, il en résulte nécessairement que le point
triple doit se trouver quelque part sur cette ligne, donc au nord du marigot.

La très grande majorité de ces cartes a fait l’objet de commentaires détaillés dans
le chapitre précédent, il n’est pas nécessaire de revenir sur chacune d’elles ici.
Certaines méritent cependant une mention particulière:

— sur la carte des étapes de 1900 (annexe C/4 au mémoire du Mali), la limite est
figurée au sud du Béli dans la partie occidentale du fleuve mais passe au nord
en un point triple situé nettement en amont de Yatakala, donc avant l’endroit où
se trouvera le futur point triple;
— sur les cartes du Haut-Sénégal et Niger de 1908 et 1911, mais établies l’une et
l’autre avant l’intervention de l’arrêté général du 22 juin 1910, le point triple,

commun aux cercles de Dori, Gao et Tillabéry, apparaît nettement au nord du
chapelet de mares (C/9 et C/12 — la même remarque est sans doute exacte
s’agissant des cartes C/10 et C/11, moins lisibles, en tous cas sur les copies
remises au Gouvernement du Faso); et
— sur la carte au 1/500000 de 1925 (feuille d’Ansongo), dont il faut à nouveau
souligner le sérieux et l’extrême importance administrative (voir supra,

chap. IV, annexe), la limite entre les cercles de Dori et do Gao passe au mont
N’Gouma, situé au nord du gué de Kabia (cartes n 7 déposée par le Burkina
Faso et C/24).

18. L’examen des cartes antérieures à 1927 est très éclairant: il montre que le
Mali fait un bien mauvais procès aux rédacteurs de l’arrêté du 31 août 1927 en leur
reprochant de s’être laissé influencer:

«dans la description qu’ils faisaient de la limite, non seulement par des topo-
nymes erronés mais surtout par une limite cartographique Soudan/Haute-Volta
qui était fantaisiste puisqu’elle faisait passer par les sommets des monts
inexistants une limite qui passait en réalité dans une vallée» (mémoire,
p. 310).

Cette affirmation ne peut tenir lieu de raisonnement.
Le Gouvernement du Faso reviendra ci-après sur les arguments tirés de la topo-
nymie et de la représentation du relief (voir infra, sect. 2, par. 1). A ce stade, il se
borne à se demander sur quels éléments la Partie malienne se fonde pour considé-

rer que la représentation de la limite soudano-voltaïque était «fantaisiste».
Le Gouvernement du Mali reconnaît qu’il est — tout comme celui du Burkina
d’ailleurs — dans l’incapacité de produire un texte réglementaire de délimitation
antérieur à l’arrêté du 31 août 1927. Sur quoi, dès lors, les services qui ont établi
la limite de 1927 pouvaient-ils se fonder, sinon sur les cartes? Et pourquoi
prétendre que celles-ci étaient «fantaisistes» ou «erronées»? La thèse malienne

pourrait peut-être être soutenue si la dernière et la plus importante des cartes à la o
disposition des rédacteurs de l’arrêté, celle de 1925 au 1/500000 (cartes n 7 et
C/24) avait différé des cartes antérieures. Mais il n’en est rien: comme toutes celles

1 o
Voir leo cartes C/4, C/5, C/9oà C/12 annexoes au mémoiro malien, n o osdéposée par le
Burkina, n 2 oC/18), C/15 bis, n 3 (C/17), n 4 (C/19), n 7 (C/24), n 8, n 9a et 9 b (C/25
et C/28) et n 10.158 DIFFÉREND FRONTALIER [231-233]

qui l’ont précédée, à l’exception d’une seule, la carte de l’AOF de 1903 — dont

le Mali admet le caractère schématique et inexact (mémoire, p. 199) —, cette carte
officielle situe la limite au nord du Béli et attribue le toponyme «N’Gouma» à un
point situé à l’emplacement de l’ancien point triple de 1910. Tout naturellement,
les auteurs de l’arrêté s’y sont référés pour décrire une limite aisément identifiable
sur le terrain, à l’aide de la carte qui était à l’époque probablement la plus répan-
due, celle de 1925 au 1/500000.

Il n’y a là ni erreur, ni fantaisie.

2. Les cartes postérieures à 1927
19. A partir de 1927, les lignes qui deviendront les frontières interétatiques
actuelles entre les trois Etats sont en place puisqu’aucune modification des limites
des colonies de la Haute-Volta, du Mali et du Niger n’interviendra dans la région

après l’arrêté du 31 août 1927, sous réserve, bien sûr, de la suppression de la
Haute-Volta en 1932 et de son rétablissement en 1947; mais, dans ce secteur, les
contours du cercle de Dori n’ont pas été modifiés à cette occasion.
Disposant — ou devant disposer — d’un texte clair, les cartographes n’ont plus
qu’à reporter sur la carte le tracé qui y est précisé. Mais, désormais, le titre carto-

graphique est supplanté par le titre écrit: les cartes ne sont plus la preuve de la
limite entre les trois — puis les deux, puis, à nouveau, les trois — colonies; elles
en sont l’illustration.
20. Sur le point fondamental qui oppose les Parties — le point triple est-il situé
au nord du Béli ou sur le marigot? —, les cartes établies après 1927 sont unanimes.
Les vingt et un documents pertinents situent tous le point triple au nord du Béli 1.

Cette constatation qui rejoint celle faite à propos du tracé de la frontière dans l’en-
semble de la région du Béli se suffit à elle-même et n’appelle pas de nouveaux com-
mentaires généraux (voir supra, chap. IV, n os58 et suiv.) : conformes au texte de
l’arrêté du 31 août 1927 et de son erratum, elles ne peuvent que renforcer encore la
conviction que le point triple se trouve nettement, et sans discussion possible, au nord
du Béli, et ne peut être situé sur le gué de Kabia comme le Mali l’affirme.

B. La localisation du point triple

21. Les conclusions que l’on peut tirer de l’examen des cartes — seules celles
postérieures à 1927 importent à cet égard — sont moins fermes en ce qui concerne
la situation exacte du point triple: si elles traduisent toutes la conviction de leurs

auteurs qu’il se situe au nord du Béli, elles divergent quelque peu en ce qui
concerne non seulement le toponyme du point triple — ce qui n’aurait guère d’im-
portance —, mais sur sa localisation.
Certaines d’entre elles, en effet, situent le point triple sur le prolongement de la
ligne, décrite par la lettre 191CM2 du 19 février 1935 (mémoire du Burkina Faso,
annexe II-36), allant du mont Tin Garan au mont Trontikato, telle qu’elle apparaît

sur les documents antéoieurs et, notamment sur la carte de l’AOF de 1925 au
1/500000 (carte n 7 déposée par le Burkina Faso), à peu près à la latitude de
Labbézanga sur le Niger. Tel est le cas des cartes n os 12 a et 12 b, 13 a et 13 b
(C/39), 14, 16 et 18 déposées par le Burkina Faso et C/32, C/35, C/37 bis, C/47 et
C/30 annexées au mémoire du Mali. Seule cette dernière précise que le point triple
est constitué par le mont N’Gouma; aucune des onze autres cartes ne lui donne

d’appellation particulière.

1Voir les cartes nos C/30, C/32 annexées au mémoire du Mali, n os12a et 12 b déposées
par le Burkina, C/35, C/37 bis, n os13a et 13 b (C/39), n 14, n 16, n 18, n os20a et 20 b,
o o o o
21e et 21 f (C/41 et C/46), C/47, n 22, C/51 bis, n 26, n 27 et n 28.[233-236] CONTRE -MÉMOIRE DU BURKINA FASO 159

Une autre série de cartes situe le point triple plus au nord (à environ 9 kilomètres
du point précédent), si bien que la frontière forme un saillant en forme os triangle
dont la pointe est dirigée vers le nord. Tel est le cas des cartes n 20 b (et, moins
nettement, 20 a, 21 f (C/46), 22, 28 et C/51 bis, qui n’affectent aucun toponyme
au point triple) et n os 21 e (C/41), 26 et 25, qui le situent sur, ou à proximité de,
la mare de Fitili.
22. De l’avis du Gouvernement du Faso, il convient de ne pas attacher une
importance excessive à ces divergences: le triangle dessiné par les cartes de la
seconde catégorie a une superficie d’environ 40 kilomètres carrés et ne comporte

pas d’habitat permanent ni de point d’eau, à l’exception de la mare de Fitili située
à sa pointe nord.
Néanmoins, la frontière ne pouvant demeurer indéterminée, le Gouvernement
burkinabé considère qu’il faut retenir le premier et non le second des deux tracés
entre lesquels les cartes semblent hésiter, et ceci alors même que cette solution le
désavantage.
23. Sans doute peut-on faire valoir des arguments non négligeables en faveur
de la localisation du point triple sur la mare de Fitili:

— il s’agit d’un point connu de longue date (il figure sur plusieurs cartes anté-
rieures à 1927 — cf. les annexes C/3, C/11, C/15 ou C/28 au mémoire du Mali)
et son positionnement ne fait l’objet d’aucune contestation entre les Parties;
— certains actes accomplis par les autorités administratives coloniales peuvent
donner à penser qu’elles considéraient que Fitili constituait effectivement le
point triple;

— et, surtout, cette localisation a été retenue par les cartes les plus fiables et
établies à la période la plus proche de la date critique, en particulier par les
cartes au 1/2000os (feuille de Téra) et au 1/500000 (feuille d’Ansongo) de
1961 (cartes n 21 e et 21 f, C/41 et C/46).
24. Néanmoins, d’autres motifs, qui paraissent plus forts au Gouvernement

burkinabé, plaident en sens inverse.
La localisation du point triple à Fitili n’est en effet pas conforme au texte de
l’arrêté du 31 août 1927 et de son erratum du 5 octobre qui situe nettement le point
triple aux hauteurs du N’Gouma, ce qui interdit évidemment de retenir une mare.
Au surplus, un tel choix ne serait guère compatible avec la conception générale qui
a conduit à la détermination de la limite de l’ensemble de la zone: le colonisateur
a délibérément opté en faveur d’une ligne orographique, et non hydrographique,
comme cela a été longuement établi ( supra n o9 et chap. IV, n os76 et suiv.).
En présence d’une telle divergence, il semble au Gouvernement du Faso que la
seule solution respectueuse du principe de l’intangibilité des frontières coloniales

consiste à reconnaître la priorité qu’ont les textes sur les cartes. La Partie malienne
semble du reste en convenir puisqu’elle reproche aux cartographes du service
géographique de n’avoir pas tenu compte du texte d’un autre arrêté — l’arrêté 2728
du 27 novembre 1935 (devenu caduc) — pour établir les cartes postérieures
(mémoire, p. 231 et 242) et elle va même, tout au long de son mémoire, jusqu’à
refuser aux cartes toute valeur juridique en l’absence de titres écrits formels.
25. Dans ces conditions, il est d’ailleurs étrange que la République du Mali, en
affirmant que le point triple est situé au gué de Kabia, se mette non seulement en
contradiction avec les cartes — ceci est conforme à la ligne générale de son argumen-

tation — mais aussi avec le titre écrit par excellence que constitue l’arrêté de 1927.
En réalité, la seule interprétation cartographique convaincante de celui-ci est
celle qui consiste à localiser le point triple sur les hauteurs situées entre la mare
de Fitili et le gué de Kabia, à environ 3 kilomètres au nord de celui-ci.
C’est très précisément ce que fait la carte au 1/1000000 représentant la160 DIFFÉREND FRONTALIER [236-238]

«nouvelle frontière de la Haute-Volta et du Niger, suivant erratum du 5 octobre
1927 à l’arrêté en date du 31 août 1927» (annexe C/30 mémoire du Mali) dont la
portion pertinente est reproduite à la page suivante. Le Gouvernement malien met
en doute son authenticité en écrivant:
«Ce document cartographique ne donne aucun renseignement sur l’orga-

nisme officiel qui l’a établi, l’autorité administrative qui a approuvé le tracé
qui y est figuré comme étant l’interprétation originale de l’erratum.» (Mé-
moire, p. 303.)
Et il se réclame d’une note du bureau des frontières de l’IGN(F) qui indique
n’avoir pas connaissance «de carte spécifique» ayant interprété l’arrêté et son
erratum (ibid., p. 304 et D/136).

A vrai dire, ceci ne présente guère d’importance — et devrait en présenter d’au-
tant moins aux yeux de la Partie malienne qu’elle refuse toute valeur particulière
aux cartes établies par l’IGN(F) (voir notamment ibid., p. 241). Quelle que soit
l’origine de ce document, le fait est qu’il transcrit fidèlement les différentes
données énoncées par l’arrêté de 1927 et son erratum. En particulier, comme sur
les onze autres cartes citées ( supra n o21), le point triple est situé à un peu plus
de 3 kilomètres au nord du gué de Kabia, lui-même convenablement localisé sur
le méandre que forme le Béli à cet endroit, et à la latitude des rapides de Labbé-
zanga.
Tel est, en effet, de l’avis du Gouvernement du Faso, l’emplacement du point triple.

P AR. 3. L A CONFIRMATION DES TITRES BURKINABE PAR LA PRATIQUE ADMINISTRATIVE

26. Il n’est guère étonnant que, dans une région peuplée essentiellement de
nomades, d’ailleurs peu nombreux, les manifestations effectives de l’autorité colo-
niale aient été relativement rares. Les remarques formulées à cet égard dans le
chapitre IV à propos de la région du Béli s’appliquent évidemment à la zone
constituant l’extrême est du territoire revendiqué par le Mali, qui fait partie inté-
grante de cette région.
Au demeurant, celle-ci n’a pas constitué un no man’s land administratif et les
conclusions que le Gouvernement burkinabé a dégagées de l’examen de la pratique
administrative coloniale dans la région du Béli ont d’importantes conséquences
sur la détermination du point triple:

— puisque le Béli ne constitue pas une limite (voir chap. IV, n o 42 et n os 67 et
suiv.), il n’y a aucune raison que le point triple, point-limite par excellence, soit
situé sur le marigot;
— dès lors que la frontière suit un tracé passant au nord de celui-ci (voir ibid.),
le point triple se trouve nécessairement sur cette ligne;
— c’est-à-dire sur le segment d’In Abao/Labbézanga ( ibid., n 80);

— et, dans la mesure où le colonisateur a fait passer la limite par une ligne de
hauteurs (ibid., sect. 2, passim), il serait tout à fait surprenant que le point triple
se trouve sur le fleuve: la seule exception apportée au tracé orographique déli-
bérément choisi est constituée par le passage de la frontière à la pointe nord
de la mare d’In Abao, mais il s’agit d’une anomalie suffisamment marquée pour
qu’elle soit souvent soulignée dans les textes administratifs, les correspon-
dances et les rapports de la période coloniale (voir ibid., notamment n os 67 et
80); il n’en va pas de même en ce qui concerne le gué de Kabia.

27. Le Gouvernement de la République du Mali, dont on sait l’importance qu’il
attache aux «effectivités coloniales», n’en cite que deux à l’appui de sa thèse selon
laquelle le gué constituerait le triplex confinium .[238-240] CONTRE MÉMOIRE DU BURKINA FASO 161

Il invoque en premier lieu la lettre du chef de la subdivision d’Ansongo au
commandant de cercle de Gao en date du 3 septembre 1927, à laquelle il fait dire
que Kabia est la «mare limitrophe des trois cercles» (mémoire, p. 300), alors
qu’elle ne dit rien de tel (voir ibid., annexe D/26). En réalité, l’expression est utili-
sée dans le livre du poste de la subdivision d’Ansongo de 1927 dont un extrait est
reproduit à l’annexe D/27 du mémoire malien. Mais le Mali indique également —

sans reproduire l’extrait pertinent — que:
«Le livre de poste de la subdivision d’Ansongo signale que le résident a
suivi comme itinéraire le 25 décembre de la même année: «Yatakala et
arrivée à Kabia (nord du cercle de Dori)».» ( Ibid., p. 300.)

Cela signifie qu’après s’être rendu sur place, le chef de la subdivision d’An-
songo a constaté que Kabia, loin d’être à la limite des cercles de Gao et de Dori,
se trouvait bien à l’intérieur de ce dernier.
28. La Partie malienne fait également grand cas du rapport de tournée du chef
de la subdivision d’Ansongo en date du 13 mars 1941 dont elle cite de larges extra-
its relatifs à la réfection de la piste Ansongo-Kabia ( ibid., p. 301-302). Cependant,
aucune phrase du passage cité n’indique, ni n’implique que le gué de Kabia consti-
tue le point triple; bien au contraire, il y est précisé que «Kabia est un gué situé

entre les mares de Ouldé et Youbam, sur le territoire du Niger » (ibid. ; voir aussi
annexe D/67 au mémoire du Mali — les italiques sont du Gouvernement burki-
nabé), ce que le Gouvernement malien s’abstient de relever, alors même que ceci
marque clairement que l’auteur du rapport, fonctionnaire relevant du Soudan fran-
çais, ne considérait en tout cas pas le gué comme le point triple.
Ainsi, ni l’un ni l’autre des documents invoqués par le Mali afin d’établir que
le point triple se trouve au gué de Kabia ne le prouvent; ils créent plutôt une
présomption inverse.
29. D’autres documents confirment que le point triple n’est pas localisé au gué
de Kabia, mais bien sur les hauteurs se trouvant à quelques kilomètres au nord de
celui-ci.
Ainsi, par exemple, dans le compte rendu de la tournée qu’il a effectuée dans

l’Oudalan du 19 au 21 novembre 1949, le commandant de cercle de Dori indique:
«La seule région de l’Oudalan défavorisée, au point de vue récolte, est celle de
In Abao, Tin Akoff, gué de Kabia.» ( Infra, annexe 137.)
Sans doute est-il exclu de tirer des conséquences définitives de ce rapport. Il
montre cependant que le responsable du cercle de Dori considérait que le gué de
Kabia faisait partie d’une région relevant de sa circonscription.
30. La lettre en date du 27 août 1927 par laquelle le commandant du même
cercle soumettait au gouverneur de la Haute-Volta un projet de délimitation des
circonscriptions de Dori et de Tillabéry est plus explicite; la proposition était la
suivante:

«Les cantons de Dargol, Kokoro, Diagourou, Téra, Goroual, Logomateur,
ayant été rattachés au Niger. Les cercles de Dori et Tillabéry seront dorénavant
limités ainsi que suit: au nord par la limite actuelle avec le Soudan (cercle
de Gao) jusqu’à la hauteur de la montagne N’Gouma, puis à l’ouest par une
ligne partant du gué de Kabia et se dirigeant au sud vers la route de Yatakala-
Falagountou qu’elle coupe à 7,5 kilomètres au nord-est de Falagountou.»
(Mémoire du Burkina Faso, annexe II-27.)

Bien qu’envoyée dans le cadre des travaux préparatoires à l’arrêté 2336 du
31 août 1927, cette lettre (écrite quatre jours plus tôt) n’a pu influencer la rédaction
de celui-ci. Elle n’en est que plus significative: les deux documents décrivent la162 DIFFÉREND FRONTALIER [240-243]

limite à peu près exactement dans les mêmes termes. La rédaction de la lettre peut
sembler plus maladroite du fait que la ligne paraît être interrompue au mont
N’Gouma pour repartir au gué de Kabia, l’idée n’en est pas moins la même: au
nord la limite entre le Soudan français et le Niger, d’une part et la Haute-Volta,

d’autre part, passe par «la montagne N’Gouma», et le gué de Kabia constitue un
point, le premier repérable, de la frontière Haute-Volta/Niger.
31. Vingt-six ans plus tard, le commandant de cercle de Téra, dans un rapport
de tournée, effectuée en vue de préciser la délimitation Téra-Dori, reprend l’histo-
rique de la question. Il se fonde tant sur l’arrêté de 1927 et de son erratum que
sur la lettre du 27 août 1927 et il est clair que la limite de la zone la plus septen-
trionale (du mont N’Gouma à la route Yatakala-Falagountou) lui paraît acquise
(infra, annexe 140).
32. Les croquis joints à certains rapports par les fonctionnaires coloniaux sont
également fort instructifs.
Le plus ancien, produit par le Mali, et auquel cet Etat paraît attacher beaucoup
de prix, concerne les «terrains de parcours accordés à N’Diougui après sa soumis-
sion» (1899). Or, ce croquis fait apparaître la mare de Fitili au nord-est. Si, comme

la Partie malienne affecte de le penser, le territoire attribué à N’Diougui a coïn-
cidé avec les limites du cercle de Dori (voir mémoire du Mali, p. 288), cela signi-
fierait que le point triple se trouve à Fitili...
Sans porter de noms de lieux dans cette région, la carte schématique de la rési-
dence de Dori du 31 juillet 1899 montre également que la limite avec celle de Gao
passait nettement au nord du Béli dans le secteur où se trouve le point triple à
l’heure actuelle ( infra, annexe 124). Il en va de même du croquis de tournée chez
les Touaregs et les Sonrhaïs (carte n o3 déposée par le Burkina Faso; annexe C/18
au mémoire du Mali) et du croquis économique et agricole du cercle de Dori (n o3,
C/17), établis l’un et l’autre par F. de Coutouly en 1922; sur ce dernier la limite
apparaît clairement bien au nord du méandre de Kabia, clairement repérable (voir
supra, chap. IV, n o 79).
Les croquis les plus récents sont aussi les plus précis. Ainsi celui que le

commandant de cercle de Dori a joint à son rapport de tournée dans l’Oudalan et
le Yagha en 1946 et celui annexé au rapport de vérification générale du cercle de
Dori de 1955, situent très clairement le point triple non pas au gué de Kabia — qui
est signalé sur les deux schémas — mais au nord de celui-ci ( infra, annexes 134
et 144 bis).
33. Au risque de se répéter, le Gouvernement du Faso tient à préciser qu’il n’en-
tend aucunement tirer de cette description de la pratique administrative coloniale
des conséquences juridiques que la nature de ces actes ne permet pas. Il ne lui en
semble pas moins hautement significatif qu’ils concourent aux conclusions que
l’examen des titres écrits et cartographiques légués par le colonisateur autorise très
fermement à formuler: depuis 1927, le point triple entre les cercles de Dori, Gao
et Tillabéry (ou Téra) n’a jamais été le gué de Kabia; il se trouve à l’intersection
de la ligne de monts décrite par la lettre 191 CM 2 du 19 février 1935, d’orienta-

tion générale est-ouest, et de la limite nord-sud décrite par l’arrêté du 31 août 1927,
dont il constitue le point de départ et qui passe ensuite par le gué de Kabia.
Ces constatations confirment et confortent celles auxquelles conduit l’étude du
tracé de la frontière dans la région du Béli.

Section 2. Le positionnement du mont N’Gouma

34. La démonstration menée dans la section précédente se suffit à elle-même:
le point triple peut être défini et localisé sans qu’il soit nécessaire de lui donner
un nom.[243-245] CONTRE -MÉMOIRE DU BURKINA FASO 163

Le Mali se fonde cependant sur le positionnement incertain du toponyme
N’Gouma sur certaines des cartes produites par les Parties pour tenter de faire
prévaloir une interprétation de l’arrêté du 31 août 1927 qui en transforme complè-
tement le sens (voir supra n o 7).
Accordant une importance exclusive à la carte au 1/200000 de 1960 — qu’elle
récuse partout ailleurs —, la Partie malienne situe le mont N’Gouma au sud-est
du gué de Kabia. Elle en déduit que celui-ci ne peut être le point triple qui ne peut,
par conséquent qu’être localisé au gué lui-même (mémoire, p. 308 et suiv.).
La première de ces conséquences est exacte: si N’Gouma est au sud-est du gué

— auquel passe la frontière entre le Burkina Faso et le Niger —, le mont ne peut
être le point triple. Mais, en réalité, un tel positionnement du mont N’Gouma est
hautement improbable dans une perspective «topographique» (par. 1) et est tota-
lement exclue sur le plan juridique, notamment du fait qu’il est incompatible avec
les droits du Niger, Etat tiers par rapport au présent différent (par. 2).

PAR . 1. LA LOCALISATION DU MONT N’G OUMA

35. Le toponyme «N’Gouma» n’apparaît que sur un petit nombre de cartes.

Le Gouvernement malien les énumère aux pages 208 et 209 de son mémoire. Il
faut y ajouter la carte du sommet de la Boucle du Niger (région des mares), dressée
par la mission de Gironcourt, 1912 (mémoire du Mali, annexe C/15), et le croquis
du cercle de Tillabéry au 1/250000 de 1954 (carte n o19, déposée au Greffe par le
Burkina Faso).
Ces sept documents peuvent être répartis en deux groupes: deux d’entre eux
situent N’Gouma à l’est ou au sud-est du gué de Kabia, quatre autres le position-
nent au nord.
En ce qui concerne le septième document, la carte du territoire militaire du Niger
établie par Petitperrin en 1908 (C/8), le Mali affirme qu’elle «place les hauteurs de

N’Gouma tout à fait au sud-est de Kabia» (mémoire, p. 309). Elles y semblent
plutôt situées au nord-est. Mais cette remarque n’a guère d’importance: il s’agit
d’un croquis très sommaire sur lequel les positions relatives des accidents de
terrain sont très approximatives — ce que reconnaît le Mali ( ibid., p. 200) —,
comme l’est l’orientation générale du Béli. Dans ces conditions, il apparaît impos-
sible de tirer de cette «carte» quelque conclusion que ce soit.

A. L’erreur commise par la carte de l’IGN(F) de 1961

36. Les deux documents qui confortent la thèse du Mali quant au positionne-
ment du mont N’Gouma sont d’une part le croquis du cercle de Tillabéry précité,
d’autre part la carte au 1/200000 de l’IGN(F) de 1961. Ils présentent un intérêt très
inégal.
37. Le croquis du cercle de Tillabéry de 1954 (carte n o 19) est étrange. L’admi-
nistrateur adjoint Larue, qui a effectué les relevés, n’était assurément ni topo-
graphe, ni géographe. Ses orientements, comme ses croquis (voir la représentation
du gué de Kabia) sont tout à fait fantaisistes.
Les monts N’Gouma, extrêmement étendus, s’étirent jusqu’à mi-distance du gué
de Kabia et des rapides de Labbézanga... Il est difficile d’accorder foi à ce schéma

qui situe N’Gouma à l’est du gué mais au nord de Yatacala. S’il ne figure pas le
point triple, on peut noter cependant qu’il fait passer la frontière sur les hauteurs
de N’Gouma, ce qui contredit la thèse du Mali.
38. La carte de l’IGN(F) au 1/200000 (feuille de Téra), pose des problèmes plus
graves. Alors qu’elle situe le point triple à la mare de Fitili, à 8 kilomètres au nord164 DIFFÉREND FRONTALIER [245-248]

du gué de Kabia (voir supra n 23), le toponyme «Ngouma» y figure à environ
un kilomètre et demi au sud-est (carte n o 21c, C/41).
Le Mali se rallie à ce positionnement dans les termes suivants:

«Etant donné le peu de sérieux au point de vue toponymique des cartes
antérieures à 1960, en particulier celle d’Ansongo de 1925 qui — comme celle
de Hombori de la même date — a inventé une série de montagnes qui n’ont
été retrouvées ni géographiquement, ni au point de vue de la toponymie en
1960, on peut être tenté d’accorder foi à la carte de 1960 qui a été faite avec
beaucoup de sérieux de ce point de vue. On verra à ce propos sur les feuilles
d’exploitation de la couverture aérienne verticale les levés altimétriques, les

renseignements toponymiques et l’état justificatif des noms.» (Mémoire,
p. 309.)
On peut être surpris de ce ralliement, par lequel la Partie malienne renverse tota-
lement la position constante adoptée dans son mémoire vis-à-vis de la carte de
1961, au moins en ce qui concerne la zone qu’elle revendique. Le Gouvernement
du Faso ne peut qu’en prendre acte et faire connaître son accord en ce qui concerne
le sérieux avec lequel cette carte a été établie et sa fiabilité au point de vue de la

topographie. Il s’étonne en revanche que le Gouvernement du Mali fasse une
distinction entre la toponymie de cette carte — à laquelle il fait totalement
confiance — et le positionnement de la frontière — qu’il récuse. En réalité les
deux problèmes se posent de la même manière: dans les deux cas, les cartographes
doivent procéder par voie d’enquêtes et traduire les résultats de ces enquêtes en
positionnant des lignes ou des noms sur le fond de carte. A ce stade, des erreurs
humaines ou des incompréhensions sont toujours possibles, et se produisent
toujours, quel que puisse être le soin mis à les éviter.
39. En l’espèce, il est très possible que les toponymistes qui se sont rendus sur
le terrain pour recueillir les renseignements d’usage sur le nom des accidents de
terrain apparaissant sur les photographies aériennes se soient vu déclarer par les
personnes interrogées que l’élévation de terrain située à un peu plus d’un kilomètre
au sud-est du gué de Kabia s’appelait «Ngouma». Il s’agit en effet d’un piton

sablonneux, or le mot «nguma» (qui se prononce «ngouma») n’est pas un nom
propre mais un nom générique signifiant en peulh «petite dune», comme cela est
indiqué sur l’état justificatif des noms de la feuille de Téra (mémoire du Mali,
annexe C/61). (La même explication pourrait valoir pour le croquis du cercle de
Tillabéry de 1954 qui appelle «monts N’Gouma» des reliefs qui pourraient corres-
pondre à l’important ensemble de collines représentées sur la carte de 1961 au nord
de Yatacala.)
40. Il reste que l’on trouve, commençant à 1 kilomètre au nord du gué de Kabia,
un massif situé dans un losange de 8 kilomètres d’est en ouest environ et de 4 kilo-
mètres du nord au sud, dont les sommets à escarpements rocheux atteignent 266,
280, 297, 288 et 289 mètres (alors que celui de la «petite dune» au sud-est est de
262 mètres). Ce massif a d’ailleurs été retenu lors du cheminement comme l’un des
points importants de la région et les topographes y ont stationné pour déterminer

d’autres points; la «petite dune» au contraire n’a été cotée qu’en point secondaire
(tous ces renseignements apparaissent sur les levés altimétriques reproduits à l’an-
nexe C/59 au mémoire du Mali).
Ces constations font justice des allégations de la Partie malienne qui laisse entendre
que les montagnes figurées sur les cartes antérieures au nord du Béli — ce qui paraît
inclure les hauteurs existant au nord du gué de Kabia — ont été «inventées» (voir le
passage cité supra sous le n o 38; voir aussi mémoire du Mali, p. 310).
41. Curieusement ce massif rocheux, important, et qui émerge nettement lorsque
l’on se rend sur place, n’a pas été baptisé. Un toponyme «Leletan», signifiant[248-250] CONTRE MÉMOIRE DU BURKINA FASO 165

«terre blanche, région très plate, dégagée» (voir mémoire du Mali, annexe C/61),

apparaît bien sur la carte au nord de ce massif, mais il est attribué au petit plateau
qui constitue sa partie septentrionale.
Le silence de la carte de 1961 sur ce massif, alors que le toponyme Ngouma est
attribué à une hauteur appelée sur d’autres cartes «collines de Tanhara» (voir infra
no 43), confirme les conclusions auxquelles est arrivée la sous-commission juri-
dique de la commission de médiation de l’OUA, que conteste la Partie malienne:

«Ainsi, la sous-commission est arrivée à la conclusion que le mont
N’Gouma est bien au nord du gué de Kabia et non au sud-est de ce point
astronomique. La désignation de la colline au sud-est du gué de Kabia par le
mont N’Gouma est une erreur, Ici, il s’agit d’une confusion faite par l’opéra-
teur sur le terrain.» (Mémoire du Burkina Faso, annexe II-103, p. 15.)

B. Le mont N’Gouma est situé au nord du gué de Kabia

42. Si on laisse de côté la carte du territoire militaire du Niger de 1908 (voir
supra n o 35), les quatre cartes qui situent le mont N’Gouma au nord du gué de
Kabia sont:

— la carte du Niger Moyen du lieutenant Desplagnes de 1905 au 1/1000000
(mémoire du Mali, annexe C/7);
— la carte du Haut-Sénégal et Niger de 1909 au 1/15000000 (C/10);
— la carte précitée du sommet de la Boucle du Niger de 1912 (C/15); et
— la carte des colonies de l’AOF au 1/500000 de 1925, feuille d’Ansongo (carte
o
n 7 déposée par le Burkina Faso, C/24).
Souvent approximatives, les deux premières ont pour seul intérêt de montrer que,
dès les tous débuts de la cartographie de la région, le mont N’Gouma était connu
— ce qui ne pouvait guère s’expliquer s’il s’agissait de la petite colline isolée
appelée «Ngouma» sur la carte de 1961 — et situé au nord du Béli.

Les deux autres méritent davantage de considération.
43. La Partie malienne n’en manifeste guère à l’égard de la carte du sommet
de la Boucle du Niger établie par la mission de Gironcourt à la suite de deux
missions sur le terrain en 1908-1909 (C/13) et 1911-1912 (C/14). C’est à tort.
Il s’agit certainement du premier document à cette échelle et de cette qualité
(impression en six couleurs). Pour la première fois, le Béli est représenté avec une

exactitude plus qu’honorable ainsi que certains des reliefs voisins. Ces reliefs sont
traduits par des courbes figuratives qui ne sont bien sûr pas aussi fiables que les
représentations actuelles et ne peuvent être utilisées pour définir des altitudes, mais
qui sont très étudiées et qui font apparaître les mouvements de terrain avec une
recherche certaine de vérité topographique.
Les levés faits ont très certainement été soignés et complets et n’ont pu être
réalisés que par une équipe de techniciens, civils ou militaires, ayant subi une
formation poussée de topographie. On peut également mettre à leur crédit les topo-
nymes mentionnés et leur position: le nombre de ceux-ci est tel qu’il ne fait aucun
doute qu’ils ont poussé longuement les recherches en ce sens. Le Gouvernement du
Faso n’a pas trouvé trace des procédés utilisés pour réaliser de tels relevés de

noms, mais cela nécessitait certainement de se faire entourer d’un nombre impor-
tant de personnes parcourant la région et d’interprètes capables de traduire les
langues locales.
Contrairement à ce qu’affirme la Partie malienne qui ne voit qu’inventions dans
le relief y figurant (voir, notamment, mémoire p. 308 et 310), la qualité de cette
carte est attestée par le fait que l’on peut retrouver les accidents de terrain y figu-166 DIFFÉREND FRONTALIER [250-253]

rant sur les cartes les plus récentes, même si leur positionnement exact est parfois
critiquable — mais leur position relative ne l’est pas — et si les toponymes ont
pu changer, être remplacés par d’autres, ou disparaître.
C’est ce qui s’est passé par exemple pour N’Gouma, si l’on confronte la carte de

1912 à celle de 1961: le toponyme a «glissé» du massif situé au nord du gué de
Kabia (également représenté, ainsi que la mare de Fitili) à la colline, appelée
Tanhara en 1912, qui se trouve au sud-est. Mais on ne déplace pas une montagne
d’un trait de plume et le massif continue d’exister, non seulement sur le terrain,
mais aussi sur la carte au 1/200000 où il figure — mais sans toponyme (voir l’ex-
trait joint de la carte de 1912).
44. Cette carte a sans aucun doute servi de document de référence par la suite
et pendant de nombreuses années. Il semble en particulier que la carte des colo-
nies de l’AOF au 1/500000 de 1925 a été réalisée à partir du document de la
mission de Gironcourt et, pas plus que celui-ci, elle n’a «inventé une série de
montagnes» (mémoire du Mali, p. 309; voir aussi p. 225).
A aucun égard, cette assertion ne saurait convaincre. Comme le Gouvernement
burkinabé l’a montré, cette carte a été établie avec sérieux (voir supra, chap. IV,

annexe). Les indications qui y figurent ont été vérifiées sur le terrain et, lorsque
ce n’est pas le cas, il est précisé qu’elles ont été obtenues «par renseignements»
ou que la région n’a pas été parcourue. Ce n’est pas le cas en ce qui concerne la
région du Béli dans son ensemble.
Tout donne donc à penser que l’appellation «N’Gouma», qui est attribuée aux
mêmes hauteurs que sur la carte de la mission de Gironcourt, une douzaine d’an-
nées plus tôt, s’appliquait bien, au moins à cette époque, aux monts situés au nord
du Béli, dont la carte de 1961, établie sur la base de photographies aériennes,
confirme l’existence.
45. Au demeurant, le Gouvernement du Faso estime que l’on ne peut résoudre
un problème juridique par un raisonnement de cartographe.
Quelle que puisse être la «vérité cartographique» (si elle existe), il n’est pas
douteux que les auteurs de l’arrêté du 31 août 1927 et de son erratum du 5 octobre,

se sont fondés sur le positionnement retenu par la carte de 1925, carte la plus offi-
cielle et à la plus grande échelle existant alors dans la région. La Partie malienne
a raison de considérer que «dans l’idée» qu’ils se faisaient de la topographie de
la région, N’Gouma était au nord (mémoire, p. 310); c’est cette intention, claire,
et correspondant aux cartes les plus fiables de l’époque, qu’il convient de respec-
ter.
Est-il besoin d’ailleurs de rappeler que dans le cas contraire, l’arrêté de 1927 et
son erratum deviennent totalement incompréhensibles et inexplicables? La
démonstration menée dans le présent paragraphe n’a, dès lors, qu’un caractère très
subsidiaire: peu importe, que, «en réalité», le mont N’Gouma soit situé au nord
ou au sud-est du gué de Kabia; aux fins de l’interprétation et de l’application de
l’arrêté du 31 août 1927 tel qu’il a été corrigé, il se trouve nécessairement au nord.
Cette solution s’impose d’autant plus qu’elle est seule de nature à préserver les

droits de la République du Niger.

PAR . 2. LA PRÉSERVATION DES DROITS DU N IGER

46. La Partie malienne se montre, dans son mémoire, préoccupée par la préser-
vation des droits du Niger. Il est à peine besoin de préciser que le Gouvernement
du Faso l’est tout autant. Il lui paraît cependant que la thèse soutenue par le Mali,
loin de sauvegarder les droits et intérêts du Niger, fait peser sur ceux-ci de très
graves menaces.IGER
N
)

RÉGION DES MARES
(

OMMET DE LA BOUCLE DU
S Carte de la mission de Gironcourt

(Extrait de l’annexe C/15 au mémoire du Mali)168 DIFFÉREND FRONTALIER [253-255]

Selon la Partie malienne:

«En tout état de cause, et ce point paraît essentiel au Gouvernement malien,
la détermination du point triple Niger-Mali-Burkina Faso ne peut être opérée par
le Mali et le Burkina Faso en dehors de l’accord du Niger.» (Mémoire, p. 30.)
Après avoir précisé qu’il ne veut pas, «à ce stade, proposer une solution pour
la situation exacte du point triple Niger-Mali-Haute-Volta» (ibid.), (ce qu’il fera
néanmoins plus loin en le fixant au gué de Kabia — voir ibid., p. 302) le Mali

ajoute qu’il estime pour sa part:
«que l’extrémité est de la zone contestée à propos de laquelle la Cour doit se
prononcer, doit être déterminée par la Cour de manière à ne pas porter atteinte
aux droits du Niger. De l’avis du Gouvernement malien, ceci peut être réalisé
en arrêtant la délimitation au gué de Kabia» ( ibid., p. 31).

Ainsi présenté, le problème n’est pas correctement posé selon le Gouvernement
burkinabé. Il lui apparaît en effet que la Chambre de la Cour doit s’acquitter plei-
nement de la mission qui lui est confiée par le compromis en utilisant intégrale-
ment les pouvoirs inhérents à sa fonction judiciaire. Mais ce faisant, et justement
parce qu’elle est une juridiction internationale, la Chambre doit appliquer le droit
international, ce qui lui impose de fixer le point triple au nord du gué de Kabia
ainsi que cela sera établi ci-après.
47. Comme cela a été rappelé plus haut (n o1), les Parties sont d’accord pour
considérer que «l’extrémité est de la zone contestée» se trouve au point triple où
se rejoignent les frontières du Mali, du Burkina Faso et du Niger (cf. mémoire du
Mali, p. 26).

Il en résulte nécessairement que, pour s’acquitter de la mission qui lui est
confiée par l’article premier du compromis en date du 16 septembre 1983, la
Chambre doit se prononcer sur la situation du point triple. Si elle ne le faisait pas,
elle renoncerait à exercer les pouvoirs inhérents à l’exercice de sa fonction judi-
ciaire. Celle-ci implique que la Chambre de la Cour, «organe judiciaire principal
des Nations Unies», doit trancher complètement le différend qui lui est soumis,
comme l’a rappelé la Cour dans plusieurs arrêts récents (voir, notamment, C.I.J.,
affaire du Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran, Recueil
1980, passim , en particulier page 20, ou affaire des Activités militaires et parami-
litaires au Nicaragua et contre celui-ci (compétence et recevabilité), Recueil 1984,
passim, en particulier page 440).
48. Contrairement aux allégations de la Partie malienne, la Chambre, en s’ac-
quittant ainsi de sa mission, ne porterait nullement atteinte aux droits du Niger.
Pour tenter d’établir qu’il «appartient à la Cour de s’abstenir de se prononcer»
au sujet du point triple (mémoire, p. 311), le Mali invoque l’arrêt du 15 juin 1954
dans l’affaire de l’ Or monétaire pris à Rome en 1943 (questions préliminaires)

(ibid., p. 31):
«Il ne fait pas de doute que, quand les circonstances l’exigent, la Cour
déclinera l’exercice de sa compétence, comme elle l’a fait dans l’affaire de
l’Or monétaire pris à Rome en 1943 , lorsque les intérêts juridiques d’un Etat
qui n’est pas partie à l’instance «seraient non seulement touchés par une déci-
sion, mais constitueraient l’objet même de ladite décision ( C.I.J. Recueil 1954 ,
p. 32)» (Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci
(Nicaragua c. Etats-Unis d'Amérique), C.I.J. Recueil 1984 , p. 431.)

Mais, comme l’a dit la Cour: «Les circonstances de l’affaire de l’ Or monétaire
marquent vraisemblablement la limite du pouvoir de la Cour de refuser d’exercer
sa juridiction.» (Ibid.)[255-257] CONTRE -MÉMOIRE DU BURKINA FASO 169

Or, en l’espèce, les circonstances sont entièrement différentes. L’objet de la déci-
sion que la Cour est appelée à rendre est de déterminer le tracé de la frontière,
non entre le Niger, d’une part et le Burkina Faso ou le Mali, d’autre part, mais bien

entre ces deux derniers Etats. Il se trouve que chacun d’eux étant par ailleurs limi-
trophe du Mali, le point de rencontre entre leur frontière commune et celle du
Niger constitue un point triple mais sa détermination sera la conséquence de l’arrêt
de la Chambre, non son objet.
Comme l’a également rappelé la Cour dans son arrêt du 26 novembre 1984:
«Lorsque des prétentions d’ordre juridique sont formulées par un deman-

deur contre un défendeur dans une instance devant la Cour et se traduisent par
des conclusions, la Cour, en principe, ne peut que se prononcer sur ces conclu-
sions, avec effet obligatoire pour les parties et pour nul autre Etat, en vertu
de l’article 59 du Statut... Les autres Etats qui pensent pouvoir être affectés
par la décision ont la faculté d’introduire une instance distincte ou de recou-
rir à la procédure de l’intervention. Dans le Statut comme dans la pratique des
tribunaux internationaux, on ne trouve aucune trace d’une règle concernant les
«parties indispensables» ..., qui ne serait concevable que parallèlement à un
pouvoir, dont la Cour est dépourvue, de prescrire la participation à l’instance
d’un Etat tiers.» ( Ibid. ; voir aussi affaire du Plateau continental (Jamahiriya
arabe libyenne contre Malte), requête de l’Italie à fin d’intervention, C.I.J.
Recueil 1984 , p. 26.)

49. Au reste, et ainsi que cela résulte également de la jurisprudence la plus
récente de la Cour, il ne peut faire de doute que:

«Dans son arrêt futur, la Cour tiendra compte, comme d’un fait, de l’exis-
tence d’autres Etats ayant des prétentions dans la région. Ainsi que la Cour
permanente de Justice internationale l’a souligné dans l’affaire du Statut juri-
dique du Groënland oriental :
«Une autre circonstance, dont doit tenir compte tout tribunal ayant à tran-
cher une question de souveraineté sur un territoire particulier, est la mesure

dans laquelle la souveraineté estoégalement revendiquée par une autre puis-
sance...» ( C.P.J.I. série A/B n 53, p. 46.)
L’arrêt futur ne sera pas seulement limité dans ses effets par l’article 59 du
Statut; il sera exprimé sans préjudice des droits et titres d’Etats tiers.»
(Affaire précitée du Plateau continental, C.I.J. Recueil 1984 , p. 26-27; voir
aussi l’arrêt rendu sur la requête de Malte à fin d’intervention dans l’affaire
du Plateau continental (Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne), C.I.J. Recueil
1981, p. 20.)

C’est que la Chambre «dont la mission est de régler, conformément au droit
international, les différends qui lui sont soumis», en application des dispositions de
l’article 38, paragraphe 1, du Statut de la Cour, ne peut faire abstraction de l’exis-
tence d’Etats tiers par rapport au litige, mais auxquels le droit des gens reconnaît
des droits. Elle doit donc appliquer en l’espèce les principes généraux du droit
international et, le cas échéant, les règles spéciales, conventionnelles ou autres,

pertinents. Cela conduit, inévitablement, à fixer le point triple au nord du Kabia,
quel que soit le nom de celui-ci. Or, le respect des règles pertinentes du droit inter-
national ne peut être obtenu par le positionnement du point triple ni au sud-est du
gué de Kabia, ni sur le gué lui-même.
50. Dans la première hypothèse — localisation du point triple à la colline située
à un peu plus d’un kilomètre au sud-est du gué de Kabia —, l’atteinte portée aux
droits du Niger serait absolument indiscutable. C’est du reste pourquoi le Burkina170 DIFFÉREND FRONTALIER [257-259]

Faso s’est toujours refusé à en envisager la possibilité, notamment lors des travaux
de la commission technique mixte en 1972 que la Partie malienne cite in extenso
dans son mémoire (p. 305; voir aussi mémoire du Burkina Faso, annexe II-94) ou
de la commission paritaire permanente en 1974 (voir ibid., annexe II-97).

Il résulte de la cartographie constante de la région que cette hauteos a constam-
ment fait partie de cercles nigériens depuis 1927 (voir supra n 21 et suiv.). De
plus, il convient de rappeler que c’est sur le fondement des textes de 1927 et de
la carte IGN(F) de 1960 que le Burkina Faso a conclu avec le Niger un traité de
délimitation frontalière, qui exclut absolument un tel positionnement.
51. Le protocole d’accord de Niamey du 23 juin 1964 entre la Haute-Volta et
le Niger, dispose:

«D’accord parties, il a été convenu de considérer comme documents de
base pour la détermination de la frontière, l’arrêté général 2336 du 31 août
1927, précisé par son erratum 2602/APA du 5 octobre 1927 et la carte au
1/200000 de l’Institut géographique national de Paris.» ( Infra, annexe 148.)
Or, les deux documents, qui constituent des titres juridiques conventionnellement
reconnus comme valides par les deux Etats, de la manière la plus formelle, situent
os
l’un et l’autre le point triple au nord du gué de Kabia (voir supra n 5 et suiv. et
23). Ceci exclut absolument toute possibilité de positionner le point triple au sud-
est de celui-ci: il en résulterait une amputation du territoire nigérien au profit du
Burkina Faso, certes modeste, mais incompatible avec les dispositions de l’accord
de Niamey.
52. Le Mali s’est du reste montré conscient des menaces que sa position faisait
peser sur les droits du Niger et cette considération a, vraisemblablement, été à
l’origine de l’évolution de ses thèses sur le positionnement du point triple. Celles-
ci ont en effet subi un changement considérable entre 1974, date à laquelle la Partie
malienne fondait son argumentation sur le positionnement du mont N’Gouma sur
la carte de l’IGN(F) de 1961 (voir mémoire du Burkina Faso, annexe II-97 b)et
1985. Les auteurs du mémoire malien ont en effet réalisé que cette localisation du
point triple à l’intérieur du Niger constituait un empiétement inacceptable sur le

territoire de cet Etat. Un simple regard à la carte au 1/200000 suffit à faire
comprendre l’impossibilité juridique d’une telle position. Le Mali a alors opéré une
dissociation entre le positionnement du mont N’Gouma, d’une part, du point triple,
d’autre part.
Il a continué à s’attacher à la carte de 1961 en ce qui concerne la localisation
du premier (voir supra n o38) mais il a focalisé l’attention sur le gué de Kabia, sans
d’ailleurs que son argumentation soit absolument dépourvue de contradictions à cet
égard. Au début du mémoire déposé au Greffe de la Cour le 3 octobre 1985, la
Partie malienne suggère en effet à la Chambre d’arrêter la délimitation au gué de
Kabia, mais sans se prononcer sur la situation exacte du point triple. S’apercevant
sans doute que cette position n’est pas logique — si la frontière litigieuse s’arrête
au gué de Kabia, celui-ci constitue nécessairement le point triple (voir supra n o47)
— le Mali a finalement admis que tel était le cas (mémoire, p. 302).

53. Ce changement radical dans l’argumentation du Mali a pour mérite apparent
de sauvegarder les droits du Niger, car il ne résulterait pas ipso facto de la locali-
sation du point triple au gué de Kabia une amputation du territoire de cet Etat.
Cette constatation relève cependant d’une logique très formelle. Dans cette hypo-
thèse, en effet, il est évident que la consécration de la thèse malienne serait aussi le
triomphe de la «logique hydrographique » sur la « logique orographique» dont le
Gouvernement du Faso a montré qu’elle a inspiré le colonisateur. Il en résulterait
bien évidemment que, valant à l’ouest dans les relations entre le Burkina Faso et le
Mali, elle s’imposerait tout autant à l’est dans les rapports entre le Mali et le Niger.[260-261] CONTRE -MÉMOIRE DU BURKINA FASO 171

Le territoire de ce dernier pays s’en trouverait amputé d’un quadrilatère dont
les points extrêmes seraient constitués à l’ouest par le point triple actuel («version
burkinabé») et le gué de Kabia, à l’est, par le point de rencontre entre le fleuve
Niger et la frontière actuelle, légèrement en aval de Labbézanga, et par le confluent

du Gorouol et du fleuve Niger, en aval de Doulsou. Cela représente une amputa-
tion d’environ 1625 kilomètres carrés.
54. La solution préconisée par le Mali porte donc en germe la promesse d’une
grave déstabilisation de la situation territoriale des Etats de la région qui ne peut
en aucune manière être conciliée avec le principe si sage de l’intangibilité des fron-
tières héritées de la colonisation auquel les deux Parties ont proclamé leur atta-
chement dans le préambule du compromis de 1983.
Au surplus, et de toutes manières, la fixation du point triple, soit au gué de
Kabia, soit au sud-est de celui-ci, est tout à fait incompatible avec l’arrêté du
31 août 1927 corrigé par l’erratum du 5 octobre, auquel renvoie le traité frontalier
conclu par le Burkina Faso avec le Niger. Aux fins du règlement du présent diffé-
rend, il est donc tout à fait clair que les hauteurs de N’Gouma mentionnées par
cet arrêté doivent être réputées situées au nord du gué de Kabia et qu’ainsi posi-

tionnées leur point culminant constitue le point triple entre le Burkina Faso, le Mali
et le Niger.
55. La position du point triple est importante en elle-même; elle l’est aussi en
relation avec la question de l’appartenance de la rive gauche du Béli. Les argu-
mentations développées dans ce chapitre et dans le chapitre précédent sont complé-
mentaires, elles conduisent à des conclusions générales identiques:

iii) la question sur laquelle la Partie malienne a centré ses développements — la
localisation du mont N’Gouma — occulte le véritable problème: qui n’est pas
de savoir quel est l’emplacement de cette hauteur mais à quel emplacement,
par rapport au Béli, est situé le point tripleo
iii) or, il résulte, tant du texte de l’arrêté n 2728 du 31 août 1935 et de son
erratum, que de la lettre 191CM2, que ce point ne peut se trouver situé au
gué de Kabia, ni au sud-est de celui-ci;
iii) sans aucune note discordante, les cartes postérieures à 1927 confirment ce
positionnement au nord du gué (deux seulement sont en sens contraire aupa-
ravant);
iv) et la pratique des administrations coloniales est également en ce sens;
iv) toute autre solution porterait atteinte ou menacerait les droits de la République
du Niger.172 DIFFÉREND FRONTALIER [262-263]

Au terme de ce contre-mémoire, le Burkina Faso n’estime pas devoir modifier
ses conclusions. Il renvoie respectueusement la Cour aux conclusions qu’il a

présentées lors de son mémoire (p. 190-191) et dont il rappelle la teneur:
«I. Le Burkina Faso demande respectueusement à la Chambre de la Cour
internationale de Justice constituée en application du compromis du 16 sep-
tembre 1983 de dire et juger que le tracé de la frontière entre le Burkina Faso et
la République du Mali est constitué par la ligne suivante:

1. A l’ouest du point de coordonnées géographiques
M= 10°40′47ʺ W
L = 15°00′03ʺ N

la ligne est celle qui résulte de la carte de l’Institut géographique national
français au 1/200000 (édition de 1960), les villages de Dioulouna, Oukoulou,
Agoulourou et Koubo étant situés en territoire burkinabé.
2. A l’est du point de coordonnées géographiques

M= 10°40′47ʺ W
L = 15°00′03ʺ N
la ligne suit les indications de la lettre 191 CM 2 du 15 février 1935 et de la
carte au 1/500000, édition 1925, jusqu’à la pointe nord de la mare d’In Abao.

3. A partir de la pointe nord de la mare d’In Abao, la ligne suit le tracé de la
carte au 1/500000, édition 1925, laissant au Burkina Faso la région du Béli,
jusqu’au point triple avec la frontière du Niger qui est constitué par les monts
N’Gouma, situés au nord du gué de Kabia.

II. Le Burkina Faso prie respectueusement la Chambre de désigner trois
experts qui devront assister les Parties aux fins de l’opération de démarca-
tion, qui devra être achevée dans l’année suivant le prononcé de l’arrêt.»

Le 2 avril 1986.

L’agent du Burkina Faso,
Ernest O UEDRAOGO ,

ministre de l’administration
territoriale et de la sécurité.
Le coagent,
Emmanuel L. S ALAMBERE ,

ambassadeur du Burkina Faso.

Document file FR
Document
Document Long Title

Contre-mémoire du Burkina Faso

Links