Mémoire de la République fédérale d'Allemagne

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11841

COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE

AFFAIRE RELATIVE AUX IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L’ETAT

(ALLEMAGNE c. ITALIE)

MÉMOIRE DÉPOSÉ PAR LA RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE D’ALLEMAGNE

12 juin 2009

[Traduction du Greffe] Le 23décembre 2008, la République fédé rale d’Allemagne (dénommée ci-après
1
l’«Allemagne») a introduit une instance contre la République italienne (dénommée ci-après
l’«Italie») devant la Cour internationale de Justice (dénommée ci-après la «Cour»). Dans le présent
mémoire, l’Allemagne e xposera les raisons l’ayant conduite à prendre cette mesure, qui peut

sembler singulière au regard des profonds liens d’amitié et d’ente nte mutuelle qui caractérisent les
relations entre les deux pays. Il ressortira n éanmoins de l’exposé ci-dessous que nous sommes
aujourd’hui aux prises avec une situation qui ne saurait être réglée par la voie diplomatique.

L’Allemagne est convaincue qu’un certain nombre de décisions judiciaires ont porté atteinte à son
droit souverain à l’immunité de juridiction. Dans bon nombre de cas où l es juridictions italiennes
compétentes ⎯ notamment la Corte di Cassazione (dénommée ci-après la «Cour de cassation») ⎯

ont été saisies, le Gouvernement italien s’est activement employé à convaincre celles-ci que
l’immunité de juridiction de l’Allemagne devait être respectée, mais en vain. La Cour de cassation
a jugé que l’Allemagne avait perdu son immunité compte tenu de la gravité des faits de la cause.
La situation est aujourd’hui devenue inextricable. Le Gouvernement italien n’est pas en mesure de

renverser cette tendance de la jurisprudence. Seul un arrêt de principe de la Cour permettrait de
sortir de l’impasse.

La situation a atteint un point critique —porta nt atteinte à l’immunité de juridiction de
l’Allemagne en tant qu’Etat souverain— avec la décision rendue le 11mars2004 dans
l’affaire Ferrini par la Cour de cassation, celle-ci ayant déclaré que l’Italie pouvait exercer sa

juridiction à l’égard d’une demande (datant de 1998) soumise par une personne qui, pendant la
seconde guerre mondiale, avait été déportée en Alle magne et astreinte au travail forcé dans le
secteur de l’armement. A la suite de cet arrêt, la justice italienne a été saisie de nombreuses autres
affaires introduites contre l’Allemagne par des personnes ayant, elles aussi, subi un préjudice en

conséquence du conflit armé. Toutes ces demandes auraient dû être rejetées, ou devraient l’être,
puisque l’Italie est sans pouvoir de juridiction à l’égard d’actes jure imperii perpétrés par les
autorités du III Reich, dont il incombe à l’Allemagne d’aujourd’hui d’assumer la responsabilité à
2
l’échelle internationale. Toutefois, la Cour de cassation a récemment confirmé ses conclusions
antérieures dans une série de décisions re ndues le 29mai2008 et dans un nouvel arrêt du
21octobre2008. L’Allemagne est préoccupée pa r la possibilité que des centaines de nouvelles

affaires puissent être introduites à son encontre.

Les démarches réitérées auprès du Gouvernement italien sont restées vaines. La saisine de la
Cour constitue donc la seule voie de recours dont l’Allemagne dispose pour tenter de mettre un

terme à cette pratique illicite des tribunaux italiens, qui porte atteinte à ses droits souverains. Le
Gouvernement italien a publiquement déclaré «respect e[r]» la décision allemande de soumettre le
différend à la Cour pour que celle-ci le règle de ma nière définitive. Il a également affirmé qu’une
2
décision de la Cour sur l’immunité de l’Etat aiderait selon lui à éclaircir cette question complexe .

1Arrêt n o5044/2044 du 11 mars 2004, Rivista di diritto internazionale , vol.87 (2004), p.539 (traduction
anglaise : International Law Reports (ILR), vol. 128, p. 659), annexe 1.

2Voir la déclaration conjointe adoptée à l’occasion des consultations tenues entre les Gouvernements allemand et
italien à Trieste le 18novembre2008, annexe2. («L’Italia rispetta la decsione tedesca di rivolgersi alla Corte
Internazionale di Giustizia per una onuncia sul principio dell’immunità delStato. L’Italia, anche come parte
contraente, come la Germania , della Convenzione Europea su lla composizione pacifica de lle controversie del1957, e
come Paese che fa del rispetto del diritto internazionale un cardine della propia condotta, considera che la pronuncia della
Corte Internazionale sull’immunità dello Stato sia utile al chiarimento di una complessa questione.») - 2 -

Plan de l’argumentation

Paragraphes

3 I. Compétence ........................................................................
....................................................1-3

II. Questions de recevabilité........................................................................
...............................4-6

1. Nul besoin d’épuiser les voies de recours internes .............................................................. 4

2. Nul besoin d’épuiser au préalable les négociations diplomatiques...................................... 5

3. Défaut de compétence de la Cour de justice des Communautés européennes..................... 6

III. Les faits........................................................................
......................................................7-46

1. Règlement des réclamations nées de la guerre................................................................7-12

2. Les procédures judiciaires intentées contre l’Allemagne................................................13-46

a) L’affaire Ferrini........................................................................
...............................18-22

b) Les affaires ultérieures ........................................................................
....................23-28

c) L’affaire Milde (Racciarini) ........................................................................
............29-32

d) L’affaire Distomo........................................................................
............................33-41

e) Quelques exemples parmi les affaires les plus récentes ..........................................42-45

f) Refus de reconnaître la compétence des tribunaux italiens........................................... 46

IV. Le fond........................................................................
...................................................47-133

1. L’immunité souveraine en tant que principe fondamental du droit international.........48-56

2. Les défauts et les incohérences de la jurisprudence de la Cour de cassation................57-64

3. L’arrêt Distomo infirmé par le jugement rendu en l’affaire Margellos ............................. 65

4. La pratique des Etats-Unis........................................................................
....................66-70

5. La portée réduite de la clause territoriale......................................................................71-82

6. Arguments fondés de manière erronée sur la norme de jus cogens..............................83-90

7. Application rétroactive de la doctrine sur laquelle s’appuie la Cour de cassation......91-102

8. Protection contre les mesures de contrainte..............................................................103-107

9. La convention des NationsUnies sur les immunités juridictionnelles des Etats
et de leurs biens ........................................................................
...............................108-111

4 10. Implications générales de la théorie développée par la Cour de cassation .............112-114 - 3 -

11. La pratique judiciaire........................................................................
......................115-130

V. Réparation demandée........................................................................
................................... 131

VI. Demandes............................................................
.........................................................132-133

VII. Liste des annexes - 4 -

I. Compétence

5 1. La requête a été déposée en application de la convention européenne du 29 avril 1957 pour
le règlement pacifique des différends (dé nommée ci-après la «convention européenne») 3, ratifiée
par l’Italie le 29 janvier 1960 et par l’Allemagne le 18 avril 1961. Aucune des Parties n’a dénoncé

cet instrument.

2. L’article premier de la convention européenne est ainsi libellé :

«Les hautes parties contractantes soumettront pour jugement à la Cour
internationale de Justice tous les différends juridiques relevant du droit international
qui s’élèveraient entre elles et notamment ceux ayant pour objet :

a) l’interprétation d’un traité ;

b) tout point de droit international ;

c) la réalité de tout fait qui, s’il était étab li, constituerait la violation d’une obligation
internationale ;

d) la nature ou l’étendue de la répara tion due pour rupture d’une obligation
internationale.»

Dans la présente instance, le différend concerne en particulier l’existence, en droit international

coutumier, de la règle qui met un Etat souverain à l’abri des poursuites intentées à son encontre
devant les juridictions civiles d’un autre Etat. Dès lors, la demande s’inscrit ratione materiae dans
le champ d’application de la convention européenne.

3. L’application de la convention europée nne n’est pas exclue par les dispositions de
l’article 27, qui énonce certaines limites d’ordre temporel. En fait, ainsi qu’exposé dans cet article,

«Les dispositions de la présente convention ne s’appliquent pas :

a) aux différends concernant des faits ou situations antérieurs à l’entrée en vigueur de

la présente convention entre les parties au différend ;

b) aux différends portant sur des questions que le droit international laisse à la
compétence exclusive des Etats.»

Comme il a déjà été indiqué lorsque l’objet du différend a été précisé, les actions intentées contre
l’Allemagne devant des tribunaux italiens se rapportent toutes à des faits remontant à la seconde
6 guerre mondiale, lorsque des soldats allemands commirent de graves violations du droit

international humanitaire. Cela étant, l’instance introduite ici contre l’Italie ne porte pas sur le fond
de ces actions en justice. L’Allemagne prie seulement la Cour de conclure que le fait de considérer
des griefs fondés sur ces faits comme relevant de la juridiction interne des tribunaux italiens
constitue une violation du droit international. Le moment où cette pratique judiciaire contestable a

débuté peut être daté avec précision. Il s’agit du 11mars2004, jour du prononcé par la Cour de

3 o
Série des traités européens (STE), n 23. - 5 -

cassation de sa décision en l’affaire Ferrini, qui a ouvert la voie aux demandes de réparation

fondées sur un préjudice découlant d’événements ayan t eu lieu dans le cadre de la seconde guerre
mondiale. Cette date du 11mars2004 et les anné es qui suivent entrent manifestement dans le
champ d’application ratione temporis de la convention européenne.

II. Questions de recevabilité

1. Nul besoin d’épuiser les voies de recours internes

4. L’Allemagne n’agit pas dans l’exercice de s on droit de protection diplomatique en faveur
de ressortissants allemands. C’est en son nom propr e qu’elle agit. Ses droits souverains ont été et

continuent d’être directement atteints par les décisions des plus hautes juridictions italiennes qui lui
dénient son droit à l’immunité souveraine. Les de mandes sur lesquelles la justice italienne a statué
et celles qui demeurent pendantes devant elle sont dirigées contre l’Etat allemand en tant qu’entité

juridique, non contre des ressortissants allemands. En conséquence, l’Allemagne n’est pas tenue en
droit d’épuiser les voies de recours internes. D’ailleurs, quand bien même une telle obligation
existerait, il y aurait été pleinement satisfait puisque c’est de la Cour de cassation, la plus haute
instance judiciaire italienne en matière civile, qu’é mane la théorie contestée de l’inopposabilité de

l’immunité souveraine en cas de violations graves des droits de l’homme et du droit humanitaire.

2. Nul besoin d’épuiser au préalable les négociations diplomatiques

5. L’article 33 de la Charte des Nations Unies n’impose pas aux Etats d’avoir épuisé, avant
7 de s’adresser à la Cour, tous les moyens y énoncés pour régler un différend dont l’existence est

établie. Ce principe a été récemment confirmé dans l’affaire d4s Plates-formes pétrolières
(République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique) . La convention européenne ne pose, elle
non plus, aucune condition en ce sens. Quoi qu’il en soit, depuis que la Cour de cassation a rendu

l’arrêt Ferrini, l’Allemagne a été constamment en contact avec les autorités italiennes pour les
presser de faire en sorte que le pouvoir judiciaire italien mette un terme à sa pratique erronée.
L’Allemagne est consciente des efforts déploy és par le Gouvernement italien pour rappeler ses
instances judiciaires aux obligations qu’imposent à l’Italie les règles du droit international général,

lesquelles, conformément au paragraphe1 de l’article10 de la Constitution italienne, sont en
principe d’applicabilité directe au sein de l’ordr e juridique italien. Naturellement, comme leurs
homologues de tous les Etats parties à la conventi on européenne des droits de l’homme, les juges

italiens sont indépendants et n’ont à se plier à au cune instruction édictée par leur gouvernement.
Néanmoins, l’Italie doit en tant qu’Etat endosser la responsabilité des actes de tous ses organes,
quelle que soit la nature de ces derniers. En effe t, le paragraphe 1 du quatrième des articles sur la
responsabilité de l’Etat pour fait internationaleme nt illicite, lesquels ont été élaborés par la

Commission du droit international (CDI) et dont l’Assemblée générale a pris note dans sa
résolution 56/83 du 12 décembre 2001, indique sans ambigüité qu’un comportement susceptible
d’entraîner l’imputation d’une responsabilité peut être le fait de tout organe qui «exerce des

fonctions législative, exécutive, judiciaire ou au tres». Cette disposition traduit une règle du droit
coutumier. Nul ne contestera que le pouvoir judi ciaire fait partie des organes institutionnels dont
les actes peuvent engager la responsabilité de l’Etat. Le commentaire du paragraphe 1 de l’article 4
de la CDI renvoie à toute une série de précédents pertinents 5. Il appartient à chaque Etat

4
C.I.J. Recueil 2003, p.210, par.107. Pour plus de détailsir les observations de Christian Tomuschat sur
l’article36, «The Statute of the International CourtJustice, A Commentary», dans Zimmermann, Tomuschat et
Oellers-Frahm (dir. publ.) (2006), p.649, note115 en marge; Anne Peters, «International Dispute Settlement: A
Network of Cooperational Duties», European Journal of International Law (EJIL), vol. 14, 2003, p. 14.
5 Voir James Crawford, The International Law Commission’s Articles on State Responsibility, Cambridge, 2002,

p. 95, par. 6. - 6 -

d’organiser l’ensemble de son appa reil étatique de façon à emp êcher toute violation du droit
international au détriment d’autres Etats.

3. Défaut de compétence de la Cour de justice des Communautés européennes

6. Le présent différend n’entre dans les prévisions d’aucune des clauses juridictionnelles du
8
traité de Nice (Traité instituant la Communauté européenne, article 227 du traité CE). Bien qu’elle
risque d’entraver le bon fonctionnement du marché intérieur visé par le traité de Nice — puis par le
traité de Lisbonne—, la prati que contestée des tribunaux italiens ne touche pas directement au

fonctionnement du régime gouvernan t le marché européen. Les relations courantes entre les
différentes nations européennes demeurent régies par le droit international général. Chaque Etat
membre de la Communauté européenne ou de l’Union européenne est tenu, sauf dérogation
expresse, de respecter les règles générales du droit international envers les autres membres. Or, en

ce qui concerne le présent différend, aucune dér ogation n’a été ainsi convenue. L’immunité de
juridiction fait partie des éléments qui sont au cŒur de la relation entre Etats souverains. En dehors
du cadre spécifique défini par les traités relatifs à l’intégration européenne, le régime du droit
international général continue de s’appliquer aux relations entre l es 27 Etats européens concernés.

Il convient d’ajouter à cet égard que le cadre sp écial de coopération judiciaire qui permet à une
personne physique de faire exécuter dans un Etat membre de l’Union européenne une décision
rendue dans un autre Etat membre ne s’étend pas aux actions en justice visant à obtenir réparation à
raison d’une perte ou d’un préjudice subi en conséquence d’actes de guerre (voir plus bas,

par. 127).

III. Les faits

1. Règlement des réclamations nées de la guerre

7. Suivront ci-après quelques observations sur le contexte historique du différend. Ce retour

sur le passé ne signifie pas que l’objet du différe nd s’étendra à des faits se rapportant à la période
antérieure à l’entrée en vigueur de la conventio n européenne pour les deux Parties. L’Allemagne
9 souligne une fois encore qu’elle conteste uniquement les pratiques judiciaires découlant de l’arrêt
Ferrini rendu par la Cour de cassation. On ne saurait toutefois se faire une idée claire du contexte

historique du différend sans revenir, même su ccinctement, sur la conduite illicite des forces du
Reich allemand, d’une part, et sur les mesures pr ises au niveau interétatique par l’Allemagne de
l’après-guerre pour mettre en Œuvre la responsabilité internationale de l’ Allemagne découlant de

cette conduite, d’autre part.

8. Il va sans dire qu’après la seconde guerre mondiale, des mesures avaient dû être prises
pour traiter la question des dommages de guerre. La première de ces mesures fut la signature de
6
l’accord de Potsdam, conclu le 2 août 1945 entre les puissances alliées victorieuses . Cet accord a
été unilatéralement imposé à l’Allemagne, qui n’y es t jamais devenue partie. Il comprend un long
chapitre sur les «réparations dues par l’Allemagne» (chap. IV), dont le chapeau rappelle la décision
antérieure prise par les puissances alliées lors de la conféren
ce de Crimée :

«L’Allemagne sera contrainte de comp enser, dans la plus grande mesure
possible, les pertes et les souffrances qu’elle a causées aux NationsUnies et à la
responsabilité desquelles le peuple allemand ne peut échapper…»

6
Reproduit dans «Dokumente des Geteil ten Deutschland» (Ingo von Münch, dir. publ.), Stuttgart, 1968, p.32.
Pour en comprendre la portée juridique, voir Jochen Forwein, «Potsdam Agreements on Germany (1945)», dans
Encyclopedia of Public International Law, vol. 3 (Amsterdam et al. 1997), p. 1087-1092. - 7 -

En conséquence, il fut prévu que les réparations prendraient essentiellement la forme de saisies

d’outillage industriel dans les différe ntes zones d’occupation. Il fut également décidé que tous les
avoirs allemands à l’étranger seraient confisqués, mesure qui s’étendit en fait sur de nombreuses
années. Au titre des réparations, le territoire allemand fit en outre l’objet de dispositions

territoriales. Enfin, conformément aux décisions prises par ses propres autorités, l’Allemagne mit
en place un système d’indemnisation en faveur des victimes d’injustices spécifiques commises dans
le cadre des mesures de persécution raciale du régime nazi. Il est donc évident que, pour

indemniser les victimes de la seconde guerre mo ndiale, l’Allemagne a consenti des sacrifices
importants, qui n’ont pas été uniquement de nature financière.

10 9. En 1947, l’Italie, qui avait été alliée à l’Allemagne nazie de 7uin 1940 à septembre 1943,
conclut un accord de paix avec l es puissances alliées victorieuses . En vertu du paragraphe4 de
l’article77 de ce traité, elle devait renoncer à toutes réclamations contre l’Allemagne et les

ressortissants allemands :

«Sans préjudice de ces dispositions et de toutes autres qui seraient prises en
faveur de l’Italie et des ressortissants italiens par les Puissances occupant l’Allemagne,

l’Italie renonce, en son nom et au nom des ressortissants italiens, à toutes réclamations
contre l’Allemagne et les ressortissants allemands, qui n’étaient pas réglées au
8 mai 1945, à l’exception de celles qui résultent de contrats et d’autres obligations qui
er
étaient en vigueur avant le 1 septembre1939, ainsi que de droits qui étaient acquis
avant cette date. Cette renonciation sera considérée comme s’appliquant aux créances,
à toutes les demandes intergouvernementales relatives à des accords conclus au cours

de la guerre et à toutes les réc8amations portant sur des pertes ou des dommages
survenus pendant la guerre.»

10. Après la création de la République fé dérale d’Allemagne, incarnation de la nouvelle
Allemagne démocratique, des divergences surgir ent entre le Gouvernement allemand et le
Gouvernement italien au sujet de la portée de la cl ause de renonciation figurant dans le traité de

paix. Dans la note qu’il présenta aux organes législatifs pour y exposer le contexte dans lequel
s’inscrivait le traité de règlement de 1961(voi r par.11 ci-après), le Gouvernement allemand
déclara ce qui suit :

«Les tentatives réitérées en vue de parvenir à un accord ayant échoué et les deux
Etats ayant bien conscience qu’un règlement de cette situation complexe, pesant sur
leurs relations amicales, serait dans l’intérêt des deux Parties, un paiement unique

d’une somme forfaitaire dont le montant pou rrait être fixé par voie de compromis,
sans procéder à un examen détaillé des fonde ments factuels et juridiques de chaque
demande litigieuse, est apparu comme la seule solution viable permettant de venir à

7 o
Nations Unies, Recueil des traités, vol. 49, n 747, p. 3, annexe 3.
8 Le texte anglais, qui fait également foi, se lit comme suit :

«Without prejudice to these and to any other dis positions in favour of Italy and Italian nationals
by the Powers occupying Germany, Italy waives on its own behalf and on behalf of Italian nationals all
claims against Germany and German nationals outst anding on May8,1945, except those arising out of
contracts and other obligations entered into, and rights acquired, before Septembe r 1, 1939. This waiver
shall be deemed to include debts, all inter-governmental claims in respect of arrangements entered into in
the course of the war, and all claims for loss or damage arising during the war.» - 8 -

bout de toutes les divergences. Après une appréciation minutieuse de toutes les
circonstances à prendre en compte en vue d’un pareil compromis, les deux

11 gouvernements 9e sont finalement entendus sur un montant de 40millions de marks
allemands.»

11. Cet arrangement conduisit à la conclusi on de deux accords internationaux, tous deux
signés le 2 juin 1961. Aux fins d’une réconcilia tion définitive entre les deux nations, l’Allemagne

accepta de verser des indemnités à l’Italie, malgré la clause de renonciation figurant au
paragraphe4 de l’article 77 du traité de paix. En vertu du tr aité portant règlement de certaines
10
questions d’ordre patrimonial, économique et financier , l’Allemagne versa un montant de
40 millions de marks allemands à l’Italie «aux fins du règlement de questions pendantes de nature
économique» (articlepremier). Pour sa part, le Gouvernement italien déclara au paragraphe1 de

l’article 2 de cet accord :

«Il a été fait droit à toutes les demandes restées pendantes, émanant soit de la

République italienne, soit de personnes physiques ou morales italiennes, à l’encontre
de la République fédérale d’Allemagne ou de personnes physiques ou morales

allemandes, dans la mesure où ces demandes reposaient sur des droits oerdes
circonstances liés à la période comprise entre le 1 septembre 1939 et le
8 mai 1945.» 11

En vertu du traité relatif à l’indemnisation des ressortissants italiens ayant fait l’objet de mesures de
persécution sous le régime national-socialiste , l’Allemagne accepta de verser un autre montant de

40 millions de marks allemands à des ressortissants italiens qui avaient été victimes des mesures de
persécution nationales-socialistes pour des raisons raciales, religieuses ou idéologiques et qui, du

fait de ces mesures de persécution, avaient été privés de leur liberté ou avaient subi des atteintes à
12 leur santé. L’usage de ces so mmes fut laissé à la discrétion du Gouvernement de la République
italienne . Ce traité contenait également, en son article 3, une clause de renonciation :

«Sans préjudice des droits auxquels peuvent prétendre des ressortissants italiens
au titre de la législation allemande en matiè re d’indemnisation, le paiement visé à

9
Bundestag allemand, DrucksacheIV /433, p.12: «Wiederholte Versuc he, zu einer Übereinstimmung zu
kommen, scheiterten. Andererseits verk annten biede Staaten nicht, dass eineLösung dieses die freundschaftlischen
Beziehungen beeinträchtigenden Fragenkomplexes im beiderseitigen In teresse lag. Als einzig gangbarer Weg erschien
es, alle Differenzen durch eine einma lige deutsche Pauschalzahlung zu beseitigen, deren Höhe ohne nähere Prüfung des
tatsächlichen und rechtlichen Voraussetzungen jedes einzelnen strittigen An spruchs im Wege des Kompromisses

bestimmt werden konnte. Unter abwägung aller füire einen solchen Kompromiss in Betracht zu ziehenden Umstände
einigten sich die beiden Regierungen auf den Betrag von 40 Millionenen DM (Artikel 1).»
10Journal officiel de la République fédérale d’Allemagne (BGBl.), vol.II , 1963, p.669; annexe4. Intitulé

allemand : «Abkommen über die Regelung gewisser vermögensrechtlicher, wirtschaftlischer und finanzieller Fragen».
11«Die italienische Regierung erklärt, dass alle Ansprüche und Forderungen der Italienischen Republik oder von

italienischen natürlichen oder juristis chen Personen, die gegen die Bundesrep ublik Deutschland oder gegen deutsche
natürlichen oder juristischen Personen noch schweben, erledigt sind, sofern sie au Rechte und Tatbestände zurückgehen,
die in der Zeit vom 1. September 1939 bis 8. Mai 1945 entstanden sind.»
12
Journal officiel de la République fédérale d’Allema gne (BGBl.), vol.II, 1963, p.793, annexe5. Intitulé
allemand: «Vertrag über Leistungen zugunsten italienischer Staatsangehör iger, die von nationalsozialistischen
Verfolgungsmaßnahmen betroffen worden sind».
13 o
En vertu du décret présidentiel n 2043 du 6octobre1963, figurant à l’an nexe6, les prisonniers de guerre
italiens déportés en Allemagne et astreints au travail forcé devaient également bénéficier de ces sommes. Celles-ci furent
effectivement distribuées et donnèrent lieu à un certain nombre de différends juridiques ; voir Cour de cassation italienne,
arrêt du 30 octobre 1986/2 mars 1987, annexe 7. - 9 -

l’articlepremier constitue le règlement définitif entr e la République fédérale

d’Allema14,15t la République italienne de toutes les questions régies par le présent
traité.»

12. Il ressort des instruments conventionnels évoqués ci-dessus que le régime des réparations
reposait entièrement sur le principe selon lequel celles-ci devraient être demandées et versées
exclusivement à titre collectif au niveau interé tatique. C’est sur ce principe que reposent non

seulement l’accord de Potsdam de 1945 et le traité de paix avec l’Italie mais aussi les deux accords
de 1961 entre l’Allemagne et l’Italie. Un régime de réparation de ce type ne saurait être remis en
cause rétroactivement.

2. Les procédures judiciaires intentées contre l’Allemagne

13. Ainsi qu’indiqué brièvement en introductio n, l’Allemagne fait actuellement l’objet d’un
nombre croissant d’actions intentées devant la jus tice italienne, et dans lesquelles les demandeurs,
victimes d’un préjudice au cours de la seconde guerre mondiale ⎯ alors que l’Italie était occupée

par l’Allemagne après avoir rompu son alliance av ec celle-ci les 8 et 9septembre1943 et rejoint
les puissances alliées ⎯, ont engagé des poursuites afin d’être indemnisés à raison de ce préjudice.
Les demandeurs peuvent être en gros répartis en trois groupes. Le premier est constitué

d’hommes, pour la plupart jeunes à l’époque, qui fu rent arrêtés sur le sol italien et envoyés en
13 Allemagne pour y être astreints au travail forcé. Le deuxième groupe est celui des membres des
forces armées italiennes qui, à la suite des évén ements de septembre1943, furent capturés par

l’armée all16ande et que les autorités nazies privèrent de fait peu après de leur statut d
e prisonniers
de guerre , là encore pour les soumettr e au travail forcé. Le troisième groupe comprend des
victimes de massacres perpétrés par des unités allemandes au cours des derniers mois de la seconde
guerre mondiale; usant de stratégies barbares pour dissuader les résistan ts, ces unités tuèrent

parfois des centaines de civils, parmi lesquels des femmes et des enfants, en représailles des
attaques lancées par la résistance contre les for ces d’occupation. Bien souvent, le nombre des
victimes italiennes était sans commune mesure avec celui des victimes allemandes.

14. Les faits incriminés remontant à plus de soixante ans, les demandeurs sont dans de

nombreux cas les héritiers des victimes elles-mêmes, descendants directs ou conjoints survivants.

15. L’Allemagne démocratique qui a vu le jour après la chute de la dictature nazie n’a pas

laissé d’exprimer ses regrets les plus profonds po ur les violations massives du droit international
humanitaire perpétrées par les forces allemandes à partir des 8 et 9 septembre 1943 et ce, jusqu’à la
libération de l’Italie. L’Allemagne a déjà fait maints autres gestes symboliques pour honorer la

mémoire des citoyens italiens victimes de straté gies barbares dans le cadre de cette guerre
d’agression, et elle est prête à en faire autant dans l’avenir. Tout récemment encore, le ministre des
affaires étrangères, M.Frank-Walter Steinmei er, lorsqu’il a visité avec son homologue italien
M.FrancoFrattini le site commémoratif de «La Ri siera di San Sabba», situé près de Trieste, qui

14
«Mit der in Artikel1 bezeichneten Zahlung sind zwischen der Bundesrepublik Deutschland und der
Italienischen Republik, unbeschadet etwaiger Ansprüche italienischer Staatsangehörig er auf Grund der deutschen
Wiedergutmachungsgesetze, alle Fragen, die Gegenstrand dieses Vertrages sind, abschließend geregelt.»
15Les «Wiedergutmachungsgesetze» allemands sont des textes législatif s adoptés précisément en vue de réparer

les préjudices causés, non pas en conséquence du conflit armé, mais en conséquence de mesures pr ises par le régime nazi
à l’encontre de minorités raciales ou ethniques ou d’opposants politiques.
16Il va de soi que, dans le cadre d’un conflit armé,aucune des deux parties belligérantes ne peut priver
unilatéralement de ce statut les combattants faits prisonniers. Le statut de prisonnier de guerre est régi par des règles du
droit international dont aucune partie ne peut s’affranchir à son gré. - 10 -

servit de camp de concentration pendant l’ occupation allemande, a réaffirmé au nom du

Gouvernement allemand que l’Allemagne reconnaissait pleinement les souffrances indicibles
infligées aux hommes et aux femmes d’Italie, en particulier lors des massacres, ainsi qu’aux
14 anciens internés militaires italiens. Il a été conclu , entre autres, à l’issue de cette rencontre, qu’il

convenait d’établir une commission conjointe d’hist oriens allemands et italiens qui aurait pour
mission de revenir sur l’histoire commune des deux pays pendant la période où l’un et l’autre
étaient sous la coupe d’un régime totalitaire, en prêtant une attention spéciale aux victimes de
e
crimes de guerre, notamment aux sold ats italiens que les autorités du III Reich utilisèrent
abusivement pour le travail forcé (les «internés mil itaires»). En fait, la première conférence de
cette commission conjointe, composée de cinq éminen ts spécialistes de chacune des Parties, s’est
tenue le 28 mars 2009 à la Villa Vigoni, le centre renommé d’échanges culturels organisés dans le

cadre des relations germano-italiennes.

U16. quatrième type d’action doit être évoqué séparément: il s’agit de tentatives de
ressortissants grecs visant à faire appliquer en It alie une décision rendue en Grèce à raison d’un
massacre similaire perpétré en 1944 par des unités de l’armée allemande pendant leur retraite
(l’affaire Distomo) .7

17. L’Allemagne se bornera ci-dessous à décrire par le menu l’affaire Ferrini, qui a fait

jurisprudence, et un certain nombre d’autres affa ires représentatives, en particulier l’affaire
Distomo. Etant donné que l’argumentation juridique est plus ou moins la même dans toutes ces
procédures, il ne semble pas absolu ment nécessaire d’exposer les faits et particularités de chacune.
L’Allemagne a tout de même joint à sa requête une liste de toutes les instances actuellement
18
pendantes .

19
a) L’affaire Ferrini

18. M. Luigi Ferrini, né le 12mai1926, avait été capturé par les forces allemandes dans la
province d’Arezzo le 4août1944, puis déporté en Allemagne pour y être astreint au travail forcé

dans le secteur de l’armement. Le 23septembre 1998, il intenta une action en justice devant le
Tribunale di Arezzo (tribunal d’Arezzo) en vue d’obtenir une réparation équitable au titre du
préjudice subi durant la période qui précéda sa libération en mai1945 (retour en Italie en
15
août 1945). Le tribunal d’Arezzo le débouta de sa demande (décision du 3 novembre 2000), en se
déclarant incompétent puisque l’Allemagne avait agi dans l’exer cice de ses pouvoirs souverains et
était donc protégée par la règle coutumière de l’immunité de l’Etat.

La9. Corte di Appello di Firenze (cour d’appel de Florence) rejeta l’appel interjeté par
M. Ferrini (arrêt du 16 novembre 2001/14 janvier 2002), s’alignant sur les motifs développés par le

tribunal d’Arezzo et ajoutant que la requête intr oduite par le demandeur était également sans
fondement en droit des droits de l’homme.

20
20. La Cour de cassation s’est écartée des motifs invoqués par les deux juridictions
inférieures à l’appui de leurs décisions. Il est i nutile de rapporter les observa tions de la cour dans
leur intégralité et nous nous contenterons de rappeler les principaux points de cet arrêt. La Cour de

17Pour plus d’informations, voir par. 33-41 ci-après.

18Annexe 8.
19
Voir note 1 plus haut.
20Ibid. - 11 -

cassation commence tout d’abord par souligner la gr avité du crime de déportation, interdit par le

droit international humanitaire. Elle insist e ensuite sur la spécificité de l’affaire Ferrini, di21incte
de l’affaire McElhinney, tranchée par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) , en ce
que les faits qui auraient été à l’origine du préjudice, à savoir l’arrestation du demandeur, s’étaient

produits sur le sol italien. En outre, la Cour de cassation fait référence à l’évolution de la loi aux
Etats-Unis, et notamment au Foreign Sovereign Immunities Act (FSIA, Loi sur les immunités des
Etats étrangers) tel que modifié par l’ajout de l’Anti-Terrorism and Effective Death Penalty Act
22
de 1996 , qui a ouvert la voie à des actions contre les Etats considérés par le Gouvernement des
Etats-Unis comme des «commanditaires» du terrorisme. Enfin, la cour affirme que, si de hauts
responsables gouvernementaux peuvent être inculp és de crimes graves, il n’y a aucune raison
d’interdire aux victimes de tels crimes d’introduire des actions civiles à l’encontre de l’Etat

responsable. La Cour de cassation n’a toutefoi s pu citer de précédent pertinent autre que la
décision rendue par l’ Areios Pagos, la plus haute juridiction grecque en matière civile, qui, en sa
16 qualité d’organe judiciaire suprême, a affirmé pour la première fois que les Etats ayant commis de
23
graves violations des droits de l’homme perdaient leur immunité souveraine . En résumé, la Cour
de cassation affirme que, du fait de leur position plus él evée dans l’ordre juridique, les normes
relatives aux droits de l’homme doivent prévaloir sur le principe de l’immunité (par. 9.1).

21. L’Allemagne fit immédiatement part de ses vives préoccupations au ministère italien des
affaires étrangères (le 5 mai 2004).

22. L’affaire fut renvoyée devant le tribunal d’ Arezzo. La procédure devant cette juridiction
de première instance connut quelques retards en raison de la récusation du juge compétent par

l’avocat du demandeur. Dans une décision en date du 12 avril 2007, le tribunal d’Arezzo jugea que
l’action en réparation à raison du préjudice subi éta it forclose. Il a été interjeté appel de cette
décision et l’affaire est actuellement pendante devant la cour d’appel de Florence.

b) Les affaires ultérieures

23. Depuis l’arrêt Ferrini , de nombreuses victimes de déportation en Allemagne,
abusivement exploitées à des fins de travail for cé, ont également introduit des instances contre
l’Allemagne. Deux affaires méritent une mention particulière.

24. La première est l’affaire Giovanni Mantelli et autres , une demande collective déposée
par douze plaignants. En ce qui concer ne les faits pertinents, l’affaire Mantelli est également

représentative de toutes les autres. M.Mantelli, né le 3octobre1921 à Turin, fut arrêté par les
forces allemandes en juin 1944 et conduit en Allemagne, où il fut contraint de travailler à l’usine de
Mercedes-Benz de Gaggenau (Bade). Il fut libéré après la reddition des forces armées allemandes

en mai1945. Ayant pris connaissance de l’issue de l’affaire Ferrini, il intenta, le 13avril2004,
avec d’autres demandeurs, une acti on contre l’Allemagne devant le Tribunale di Torino (tribunal
17 de Turin). En vue de faire la lumière sur la question litigieuse de la compétence des tribunaux

italiens, l’Allemagne forma un recours devant la Cour de cassation avant qu’une décision n’eût été

21McElhinney c. Irlande, requête n 31253/96 du 21 novembre 2001.
22
International Legal Materials (ILM) (1997), vol. 36, p. 759.
23 Préfecture de Voiotia c. République fédérale d’Allemagne , arrêt du 4mai2000; traduction anglaise:
International Law Reports (ILR), vol. 129, p. 514 (voir aussi les par. 31 et 59 ci-après), annexe 9. - 12 -

rendue sur le fond de la demande («regolamento preventivo di giurisdizione»). Afin d’éclairer la
cour sur le droit applicable, la Procura Generale della Repubblic a presso la Corte de Cassazione
24
(Parquet général près la Cour de cassation) a présenté des conclusions le 22 novembre 2007 . En
termes bien pesés, il y est indiqué (p. 17) ce qui suit :

«Il est difficile d’affirmer avec certitude que l’ordre juridique international a vu
naître des règles conventionnelles ou coutumières selon lesquelles l’immunité de
juridiction n’est plus de mise lorsqu’est invoquée la responsabilité civile de l’Etat dans
25
la commission de crimes internationaux.»

C’est pourquoi le parquet général a conclu que la Cour de cassation devait dire et juger que les

tribunaux italiens n’avaient pas compétence pour connaître de cette affaire.

2’a.ffaire Maietta repose sur des faits comparables. M.Liberato Maietta, né le
12septembre1924, fut arrêté par les forces allemandes le 9septembre1943. Envoyé en
Allemagne pour y être astreint au travail forcé, il travailla d’abord à Küstrin, puis fut obligé de

travailler à Landsberg (aucune autre information n’est donnée). Le 28 avril 2004, il introduisit une
action contre l’Allemagne devant le Tribunale di Sciacca (tribunal de Sciacca). Dans son cas
également, l’Allemagne a saisi la Cour de cassation, la priant de se prononcer sur la compétence du

tribunal pour connaître de l’affaire en question. Le parquet général a de nouveau présenté des
conclusions, qui sont dans une large mesure iden tiques à celles qu’il avait formulées dans l’affaire
Mantelli.

26. Au vu du caractère sensible de la question, le secrétaire général de la présidence du
26
conseil des ministres a déclaré à l’ Avvocatura Generale dello Stato (avocat général) , dans une
lettre en date du 24 avril 2004, que les objections soulevées par l’Allemagne étaient justifiées. Le
défaut de compétence était incontestable. Il précisait notamment dans sa lettre que, en se fondant
18
sur des règles coutumières et conventionnelles acceptées de manière quasi unanime par les
juridictions internationales et nationales, l’ordr e juridique international reconnaissait la nécessité
«fondamentale» de respecter l’immunité de juridiction territorial e des Etats, afin de préserver la

souveraineté de chacun, de promouvoir de bonnes relations et d’éviter toute tension susceptible de
déboucher sur un conflit. Sur cette base, l’avocat général a d’ailleurs présenté d’autres conclusions
à la Cour de cassation le 28 avril 2008 27. Dans un passage déterminant de celles-ci (p. 3), l’avocat

général a déclaré au sujet de l’arrêt Ferrini que :

«cette décision, qui constitue en outre un unicum dans le paysage jurisprudentiel,

national ou international, ne semble pas êt re conforme à la position actuelle du droit
international même si elle en fait ressortir quelques aspects importants…» . 28

24
Annexe10. La Procura Generale remplit auprès de la Cour de cassation les fonctions d’un conseiller
juridique, dont le rôle est comparable à celui des avocats généraux de la Cour de justice des Communautés européennes.
25
«Non è affatto agevole affermare che nell’ordinamento internazionale si siano formate regole convenzionali o
consuetudinarie secondo le quali l’immun ità dalla giurisdizione viene meno qualora si invochi la responsabilità civile
dello Stato per la commissione di crimini internazionali.»
26Annexe 11.

27Annexe 12.

28«Tale decisione, la quale peraltro costituisce unicum nel panorama giurisprudenziale sia nazionale che
internazionale, pur sottolineando aspetti di rilievo, tuta non appaia in linea con lo stato attuale del diritto
internazionale…» - 13 -

27. La Cour de cassation n’a cependant pas su ivi l’avis qui lui avait été donné par des

organes dont la mission est de lui communiquer leur s vues afin de l’aider à se faire une idée juste
des affaires dont elle est appelée à connaîtr e. Dans un certain nombre d’ordonnances
(«ordinanze») rendues le 29mai2008 29, par lesquelles, outre la décision rendue en l’affaire

Mantelli et en l’affaire Maietta, elle s’est prononcée sur 11 autres affaires, elle a jugé que les
magistrats italiens concernés avaient compétence pour connaître des demandes d’indemnisation
financière formées contre l’Allemagne. A l’appui de sa décision, e lle a fait observer, entre autres,

qu’elle était consciente du fait

«que, à l’époque , il n’existait pas de coutume intern ationale clairement établie et

explicite selon laquelle il pouvait être dérogé au principe de l’immunité de l’Etat
étranger devant les juridictions civiles pour des actes commis jure imperii (au nombre
desquels figurent indubitablement les act es liés à la conduite d’opérations armées)

lorsque ces act30 sont d’une gravité telle qu’ils constituent des «crimes contre
l’humanité»» ,

qu’elle était aussi consciente du fait
19

«qu’elle contribuait ainsi à l’ émergence d’une règle définissant l’immunité de l’Etat
étranger qui, en tout état de cause, est dé jà considérée comme partie intégrante de
31
l’ordre juridique international» .

Enfin, la Cour de cassation a résumé son raisonnement comme suit: «le principe limitant

l’immunité d’un Etat ayant c32mis des crimes contre l’humanité peut être considéré comme ayant
alors été «en gestation»» .

En d’autres termes, la Cour de cassation a reconnu très ouvertement que la règle qu’elle
appliquait aux affaires dont elle était saisie n’existait pas encore. Pourtant, elle s’est apparemment
sentie habilitée à faire évoluer le droit, considérant que le droit positif en vigueur ne satisfaisait pas
aux exigences de la justice telles qu’elle les concevait.

28. Comme suite aux décisions de la Cour de cassation, l’affaire est à nouveau pendante

devant les juridictions inférieures, qui ont entamé l’examen des éléments de preuve correspondants.
L’affaire Maietta est en instance devant le tr ibunal de Sciacca et l’affaire Mantelli , devant le
tribunal de Turin.

c) L’affaire Milde (Racciarini)

29. L’affaire Max Josef Milde est tout à fait différente. Le ministère public italien poursuivit
Milde pour sa participation à un massacre commis le 29juin1944 à Civitella, ValdiChiana,
Cornia et SanPancrazio. Les membres de la division «Hermann Göring» avaient tué 203civils

20 pris en otages après l’assassinat de quatre soldat s allemands, quelques jours plus tôt, par des

29
Annexe 13.
30
«Che non esista, allo stato, una sicura ed esplicita consuetudiinternazionale per cui il principio della
immunità dello Stato straniero dalla giurisdizione civile per gli atti dal medesimo compiure imperii (tra i quali
innegabilmente rientrano anche quelli, in particolare, relativi alla conduzione delle attività be lliche…) possa ritenersi
derogato a fronte di atti di gravità tale da configurarsi come «crimini contro l’umanità»».
31«Di contribuire così alla emersione di una regola conformativa della immun ità dello stato estero, che si ritiene

comunque già insita nel sistema dell’ordinamento internazionale».
32«Un principio limitativo dell’immunitàdello Stato che si sia reso autore di crimini contro l’umanità può
presumersi «in via di formazione»». - 14 -

résistants («partigiani») . Le tribunal militaire de La Spezia c onclut à la culpabilité de Milde et le
34
condamna par contumace à une peine de réclusion à perpétuité («ergastolo») . Certains proches
des victimes se constituèrent parties civiles dans le but de demander réparation, à l’accusé et à
l’Allemagne, du préjudice physique et moral subi (affaire Ricciarini et autres). Des indemnisations

comprises entre 200 000 euros (deux requérants), 100 000 euros (quatre requérants) et 66 000 euros
à la charge des défendeurs, furent ainsi acco rdées. L’Allemagne fut en outre condamnée aux
dépens.

30. L’Allemagne a fait appel de ce jugement, invoquant son immunité et soutenant que le

jugement du tribunal de première instance devai35donc être infirmé. La Cour militaire d’appel de
Rome, dans un arrêt du 18décembre2007 , l’a néanmoins déboutée. S’engageant dans un long
exposé, elle a tenté de montrer que l’arrêt Ferrini avait clarifié la question de droit et que, par

conséquent, l’Allemagne ne pouvait invoquer l’immunité de juridiction généralement applicable
aux Etats attraits devant les tribunaux d’un autr e Etat lorsque l’objet du litige porte sur des actes
accomplis dans l’exercice de pouvoirs souverains spécifiques. C’est peut-être la première fois dans
l’histoire du droit international qu’un Etat est c ondamné par la justice militaire d’un autre Etat à

réparer les crimes de guerre commis par un membre de ses forces armées. L’arrêt de la Cour
militaire d’appel n’est pas seulement erroné, il révèle également une méconnaissance fondamentale
du droit international. A la lecture des nombreu ses pages de l’arrêt, on s’aperçoit que la cour

militaire se fonde sur la croyance erronée que les vi olations des droits de l’homme garantis par le
droit international doivent être ré parées par une action en justice devant un tribunal national. En
tout état de cause, elle semble ignorer l’existen ce de procédures de règlement internationales. Elle

soutient, pour l’essentiel, que de telles violations demeureraient impunies si les tribunaux nationaux
étaient empêchés de connaître d’actions civiles en réparation.

21 31. Le 21octobre2008, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par l’Allemagne
contre l’arrêt de la Cour milita ire d’appel ayant conclu à sa res ponsabilité financière. Dans cet
36
arrêt, dont le texte est devenu accessible enjanvier2009 , la Cour de cassation confirme le
précédent Ferrini, reconnaissant très ouvertement (par. 3) que ledit arrêt marque un tournant («una
svolta netta») dans sa propre jurisprudence et qu’il applique des «principes novateurs» («innovativi
principi»). Pour étayer le bien-fondé juridique d’un tel changement, elle se réfère d’abord à ses

décisions antérieures, y compris celles du 29ma i2008 mentionnées au paragraphe27. Sans se
donner la peine d’examiner la pratique internationale pertinente en l’espèce ⎯ en réalité, sans citer

un seul jugement ou acte législatif étranger ⎯ la Cour de cassation déclare de manière péremptoire
(sect. 4) :

«En outre, il importe en particulier de souligner que la solution à la question
examinée en l’espèce ne saurait être trouv ée sur une base purement quantitative; en
d’autres termes, elle ne saurait dépendre du nombre de décisions favorables à telle ou

telle position. Il convient de noter à cet ég ard que, s’il est vrai que l’examen de la

33Initialement, deux autres membres de son unité avaient été inculpés.

34Jugement du 10 octobre 2006, annexe 14.
35
Annexe 15.
36Annexe 16. - 15 -

pratique des juridictions de divers pays est un moyen utile de savoir comment sont

appliquées les règles coutumières du droit international, il est également vrai que la
tâche de l’interprète ne saurait être ré duite à un simple calcul mathématique des
données déduites de cette pratique judiciaire…» 37 [Traduction du Greffe.]

32. L’arrêt souligne ensuite la valeur que la communauté internationale attache de nos jours
aux droits fondamentaux. Telle n’était pourtant pas la question soumise à la Cour de cassation.

Celle-ci aurait dû avant tout déclarer irrecevable l’action intentée contre l’Allemagne en raison de
22 l’immunité de juridiction de cette dernière. Ensu ite, même ses observations sur le fond de l’affaire
passent à côté d’une autre question essentielle. Le préjudice causé par un manquement aux règles

fondamentales lors d’un conflit armé peut être ré paré par divers moyens, notamment au niveau
interétatique. S’en tenir à la pratique bien étab lie du droit international n’emporte pas pour autant
une ingérence dans les droits des victimes : le r espect du droit en vigueur ne saurait constituer une

violation du droit.

d) L’affaire Distomo

38
23 L’3r.rêt Distomo, rendu par l’Areios Pagos grecque le 4mai2000 , a eu lui aussi des
répercussions importantes en Italie. Les faits à l’origine de l’affaire remontent une fois de plus aux
derniers mois de l’occupation a llemande d’une bonne partie de l’Europe. Après que 18soldats

allemands eurent été tués par des résistants grecs, une unité allemande mena une opération de
représailles contre le village voisin de Distomo : plus de 200 civils, pour la plupart des femmes, des
enfants et des vieillards, furent massacrés sans pitié, et le village réduit en cendres. Ce fut

incontestablement un crime de guerre odieux. En 1995, plus de 250proches des victimes du
massacre engagèrent une procédure contre l’A llemagne afin d’obtenir réparation des pertes
matérielles et humaines. Dans un jugeme nt du 25 septembre/30 octobre 1997 (137/1997) , le 39

tribunal régional de Livadia se déclara compétent en l’affaire. Il reconnut l’Allemagne coupable en
tant que défendeur et la condamna ⎯sans délivrer d’injonction de paiement ⎯ à verser un
montant de 27millions d’euros aux requérants (selon la traduction française disponible:

«Reconnaît que l’Etat défendeur doit verser…»). En ce qui concerne les frais de justice,
l’Allemagne fut «condamnée» à rembourser une par tie des dépens encourus par les requérants
(«Condamne l’Etat défendeur à une partie des frais et dépenses de la partie demanderesse…»).

L’Allemagne a contesté ce jugement. Dans un appel interjeté devant l’Areios Pagos, elle a invoqué
son immunité juridictionnelle, faisant valoir qu’aucun jugement sur le fond n’aurait dû être rendu.

L3’4. Areios Pagos a rejeté l’appel. Elle s’est appuyée pour l’essentiel sur les clauses
territoriales contenues dans un certain nombre d’instruments juridiques traitant de l’immunité des
Etats, aux termes desquels celle-ci ne peut être invoquée lorsque les faits préjudiciables ont été

commis sur le territoire de l’Etat du for par un agent de cet Etat présent sur ce territoire. En outre,
l’Areios Pagos a souligné la gravité des crimes en question. Elle a ainsi confirmé le jugement de
première instance.

37
«Peraltro, il punto che sopratutto preme di so ttolineare è intimamente co llegato alla convinzione
che la soluzione della questione dibattuta nonssa corrispondere ad un esito di tipo meramente
quantitativo e non possa dipendere, perció, soltanto dal numero, maggiore o minore, delle decisioni che
aderiscono all’una o all’altra posizi one. In proposito deve osservarsi che se è vero che l’esame della
prassi dei tribunali dei vari Stati costituisce uno st rumento importante per l’accertamento del vigore delle
norme consuetudinarie di diritto internazionale, è non di meno certo che il compito dell’interprete non
può ridursi ad un computo aritmetico dei dati desunti dalla prassi…»
38
Annexe 9.
39Annexe 17. - 16 -

35. Après le prononcé de l’arrêt de l’ Areios Pagos, les requérants qui avaient obtenu gain de
24
cause par l’entremise de la préfecture de Voiotia de vant le tribunal régional de Livadia ont tenté de
faire exécuter le jugement 137/1997 sur des biens allemands sis en Grèce. En vertu de l’article 923
du code grec de procédure civile, cependant, un Etat étranger ne peut faire l’objet d’une mesure de

contrainte sans l’autorisation du ministère de la justice. Or cette autorisation n’a pas été délivrée, le
ministre n’ayant pas donné suite à la requête qui lu i avait été soumise à cet effet. Les requérants
ont néanmoins engagé une procédure d’exécution forcée, à laquelle l’Allemagne s’est opposée,

demandant la suspension de la procédure visant à l’inscription d’une hypothèque judiciaire sur
l’institut culturel Goethe à Athènes. La cour d’appel d’Athènes a finalement fait droit à la
demande de l’Allemagne, faisant observer que la limitation prévue à l’article923 poursuivait un
but d’intérêt général, celui de ne pas troubler les relations internationales, et qu’elle était

proportionnelle à ce but. Elle a ajouté que l’article 923 ne constituait pas non plus un déni du droit
à la protection judiciaire effective (art.6 de la convention européenne de s droits de l’homme et
article2.3) du pacte international relatif aux droits civils et politiques) puisqu’il n’énonçait pas

d’interdiction d’exécution absolue, mais exigeait seulement l’accord préalable du gouvernement.
Un pourvoi formé devant l’ Areios Pagos a été rejeté le 28 juin 2002. Des informations détaillées
sur cette procédure quelque peu complexe sont exposées dans la partie factuelle de l’arrêt rendu par
40
la CEDH en l’affaire Kalogeropoulou le 12 décembre 2002 (voir par. 36 ci-après) .

36. Les requérants ont alors formé une requête contre la Grèce et l’Allemagne devant la

CEDH, invoquant l’article6 de la convention europ éenne des droits de l’homme. Ils ont soutenu
que ces deux gouvernements avaient porté atteinte à leur droit d’obtenir une protection judiciaire,
tel que consacré par la disposition en question. La CEDH les a déboutés, rappelant d’abord la règle

de l’immunité de l’Etat, issue de la maxime par in parem non habet imperium, et concluant que le
fait d’accorder l’immunité à un Etat étranger poursuiv ait un but légitime. Elle a ensuite souligné
25 que les dispositions de la conven tion européenne des droits de l’ homme ne sauraient s’interpréter

dans le vide, comme l’indiquait le paragraphe 3 c) de l’article 31 de la convention de Vienne sur le
droit des traités, lequel exigeait de tenir compte dans l’interprétation d’un traité de «toute règle
pertinente de droit international applicable dans les relations entre les parties». Aussi convenait-il
de la concilier avec les autres règles du droit intern ational général, y compris celle de l’immunité

souveraine. Enfin, la CEDH a déclaré ne pa s juger «établi qu’il soit déjà admis en droit
international que les Etats ne peuvent préte ndre à l’immunité en cas d’actions civiles en
dommages-intérêts pour des actes de torture qui auraient été perpétrés en dehors de l’Etat du for».

37. Les requérants ont alors tenté de faire exécuter le jugement Distomo dans d’autres pays
européens. Ils ont estimé pouvoir raisonnablement es pérer avoir gain de cause en Italie, au vu de

l’arrêt Ferrini rendu par la Cour de cassation. Sur leur demande, la cour d’appel de Florence, en
vertu d’une décision («decreto») du 2mai2005 41, a déclaré «exécutoire en Italie» («esecutiva in
Italia») la décision du tribunal régional de Liva dia qui condamnait l’Allemagne à rembourser les

dépens de procé42re judiciaire encourus en Grèce (2934,70 euros). Par décision du
6 février 2007 , la même cour d’appel a rejeté le r ecours formé par l’Allemagne contre cette
décision, suivie par la Cour de cassation le 29 mai 2008 43. Le montant de 2934,70 euros majoré de

certains frais est désormais exécutoire en Italie contre l’Allemagne.

40Requête n 59021/00.

41Annexe 18.
42
Annexe 19.
43Annexe 20. - 17 -

38. Reprenant son argumentation précédente, la cou44d’appel de Florence a ensuite déclaré
exécutoire, par décision («decreto») du 13 juin 2006 , la condamnation de l’Allemagne à payer les
montants alloués aux requérants à l’issue de la procédure sur le fond. L’Allemagne a formé un

recours le 2 août 2007. Dans les conclusions qu’il a présentées le 11 septembre 2008, l’Avvocatura
26 Distrettuale dello Stato di Firenze (bureau de Florence du Barreau de l’Etat) a fait
observer que la décision du 13juin2006 devait être infirmée 4. Toutefois, dans un arrêt du
46
21 octobre/25 novembre 2008, la cour d’appel de Florence a rejeté le recours de l’Allemagne . Ce
jugement fait l’objet d’un pourvoi devant la Cour de cassation, l’Allemagne tentant une nouvelle
fois de convaincre cette dernière qu’elle fait fausse route. A ce jour, la procédure est toujours

pendante.

39. Par la suite, les requérants se sont mis à la recherche de biens allemands pouvant faire
l’objet de mesures de contrainte. Ils ont opté pour la Villa Vigoni, située dans le village de Loveno
di Menaggio (province de Côme), sur les hauteurs du lac du même nom. La Villa Vigoni est un

centre d’échanges culturels entre l’Allemagne et l’Italie. Elle a été léguée à l’Etat allemand
en1983 par IgnazioVigoni, membre d’une famill e traditionnellement attachée aux relations

italo-germaniques, à la condition que la vill47et le parc qui l’entour e accueillent un centre culturel.
En1986, un accord intergouvernemental définissant le statut juridique de la Villa Vigoni a été
signé entre les deux pays. Si l’Allemagne a conservé la propriété du bien immobilier, la gestion de

l’entité a été confiée à une association fonctionnant sous le régime d’association en Italie et de
«Verein» allemande en Allemagne. Chaque année, la Villa Vigoni reçoit des crédits prélevé
s sur le
budget du ministère allemand de l’éducation et de la recherche ainsi que du ministère italien des

affaires étrangères. Aux termes du paragraphe3 de l’Echange de notes:«Les biens immobiliers
devront être maintenus dans leur intégrité.»

40. En dépit du fait que la décision de la cour d’appel de Florence du 13 juin 2006 n’était pas
encore revêtue de l’autorité de la chose jugée, les requérants ont néanmoins obtenu, le 7 juin 2007,

l’inscription au cadastre d’une hypothèque judiciaire («i48teca giudiziale») sur la Villa Vigoni. Le
montant de cette hypothèque s’élève à 25 000 euros . L’Allemagne a contesté la décision rendue.
27 Dans ses conclusions du 6 juin 2008 devant le Tribunale di Como (tribunal de Côme), le bureau de
49
Milan du Barreau de l’Etat a demandé l’annulation de l’hypothèque judiciaire . Aucune décision
définitive n’a encore été prise.

41. En outre, les requérants dans l’affaire Distomo ont récemment tenté de saisir des
créances dues par les Ferrovie dello Stato à la Deutsche Bahn AG, la compagnie des chemins de

fer allemande, entreprise de droit privé dont le cap ital est actuellement détenu par l’Etat allemand.
La somme en question s’élève approximativement à 50 millions d’euros. L’Allemagne a contesté
la demande des requérants tendant à obtenir une ordonnance de saisie-arrêt du Tribunale di Roma

(tribunal de Rome). Une première audience, pré vue le 17 mars 2009, n’a pu se tenir au motif que
les parties intéressées n’avaient pas été convoquées en bonne et due forme. Une (deuxième)
audience a été fixée au 2 octobre 2009.

44Annexe 21.

45Annexe 22.
46
Annexe 23.
47Echange de notes constituant un arrangement concernant la création de l’Association «Villa Vigoni» en tant
os
que Centre germano-italien. Bonn, 21 avril 1986, Nations Unies, Recueil des traités, vol. 1501, n 25829, p. 57,
annexe 24.
48Annexe 25.

49Annexe 26. - 18 -

e) Quelques exemples parmi les affaires les plus récentes

28 42. Un grand nombre d’affaires sont actuellement pendantes devant les tribunaux italiens.
Sept procédures ont été engagées devant le Tribunale di Mantova (tribunal de Mantoue) le
8 septembre 2004 (Terzo Bosoni ; Alfeo Mutti ; Norma Secchi ; Lea Salardi ; Evaristo Trida ; Lido

Cera ; Francesco Mazza). Les requérants affirment que l’Alle magne est tenue de les indemniser
au motif qu’ils ont été déportés en Allemagne et astre ints au travail forcé. Le tribunal de Mantoue
a conclu dans chaque cas qu’il n’était pas comp étent. Cependant, des appels sont en instance
devant la Corte di Appello di Brescia (cour d’appel de Brescia), et il y a lieu de croire qu’ils

aboutiront puisque la Cour de cassation s’en tient à la jurisprudence établie par l’arrêt Ferrini.

43. L’une des procédures les plus récentes est celle de Gamba et autres, engagée devant le

tribunal de Mantoue le 10avril2007 par 44plaign ants, auxquels se sont joints par la suite (le
11 mars 2008) trente autres demandeurs. Pour des raisons de compétence territoriale, l’affaire est à
présent pendante devant le Tribunale di Brescia (tribunal de Brescia). Là encore, les requérants
avaient été illégalement déportés en Allemagne, où ils avaient été soumis, en tant que travailleurs

forcés, à des conditions de vie très rudes.

44. L’année2009 a connu une nouvelle série d’ actions collectives. Le 27février, deux

demandes ont été introduites devant le Tribunale di Torino (tribunal de Turin), la première (Azzan
et autres) par dixrequérants, et la seconde (Baldi et autres) par neufautres. Tous ces plaignants
souhaitent se joindre à l’action Mantelli . Une autre action en justice a été intentée en février 2009
devant le tribunal de Mantoue (Currà et 32 autres requérants).

45. L’Allemagne n’estime pas utile de décrir e en détail toutes les instances actuellement
pendantes devant la justice italienne. Depuis2004, leur nombre n’a cessé de croître. A ce jour,

29 près de 500requérants ont engagé des actions ci viles contre l’Allemagne, qui sont pendantes
devant 24tribunaux régionaux («tri bunali») et quatre cours d’appel. La liste annexée au présent
mémoire contient toutes les informations essentielles y afférentes 51. L’Allemagne est donc ainsi

constamment en procès, ce qui l’oblige à mobiliser des ressources considérables sur les plans
financier et intellectuel. Une équipe spéciale de juristes chargée de suivre l’évolution de la
situation avec ses multiples ramifications a dû être mise en place. Cette nécessité de suivre la façon
de procéder des magistrats italiens dans les affaires en question et d’y répondre de manière

appropriée en est venue à peser lourdement sur les relations bilatérales entre les deux Etats.

f) Refus de reconnaître la compétence des tribunaux italiens

46. Il convient de préciser d’emblée que l’ Allemagne n’a jamais accepté l’exercice du
pouvoir juridictionnel des tribunaux it aliens dans les affaires citées plus haut. Chaque fois que
l’Allemagne a comparu à une audience, elle n’a pas manqué de demander que ces actions en justice

soient rejetées pour manque de pouvoir de juridiction. Si les tribunaux italiens avaient agi selon les
règles, ils auraient rejeté ces instances «de leur propre initiative», en application des dispositions du
paragraphepremier de l’artic le6 de la convention des Nations Unies sur les immunités

juridictionnelles des Etats et de leurs biens du 2 décembre 2004, qui reflètent la position adoptée en
droit international coutumier. L’Allemagne a néanmoins toujours donné suite à ces demandes,
désirant appeler l’attention des j uges sur l’obstacle juridictionnel de l’immunité souveraine, et a
formé des recours dans le seul but d’informer le s instances judiciaires supérieures compétentes de

la position erronée adoptée par certains juges des juridictions inférieures. En choisissant de

50Voir plus haut par. 24.
51
Annexe 8. - 19 -

collaborer avec la justice italienne, elle entendait l’ aider à se corriger. L’Allemagne n’a d’ailleurs

jamais contesté le bien-fondé des demandes form ées à son encontre. Elle a toujours défendu le
point de vue selon lequel les demandes au fond résultant d’événements remontant à la seconde
guerre mondiale ne pouvaient être examinées deva nt les tribunaux italiens. En conséquence,

30 l’objet du différend se limite clairement aux événem ents survenus après l’entrée en vigueur de la
convention européenne applicable aux parties en litige.

IV. Le fond

47. Par sa pratique judiciaire, telle qu’exposée plus haut, l’Italie a manqué et continue de

manquer à ses obligations juridiques internationales envers l’Allemagne. Elle est en premier lieu
tenue de respecter le principe de l’immunité souveraine qui empêche les personnes physiques
d’engager des poursuites contre un autre Etat devant les juridictions de l’Etat du for. Rien ne

justifie qu’elle méconnaisse l’immunité de l’Allemagne en vertu de ce principe.

1. L’immunité souveraine en tant que principe fondamental du droit international

48. L’immunité souveraine est un principe f ondamental de l’ordre juridique international

actuel, un principe si largement reconnu que son existence n’a nul besoin d’être longuement
démontrée. L’une des premières décisions couramment citées en la matière est la décision rendue
aux Etats-Unis en l’affaire The Schooner Exchange par le jugeMarshall, où il est dit que
l’immunité trouve son ancrage dans la «par faite égalité et l’indépendance absolue des
52
souverains» [traduction du Greffe] . Avant la première guerre mondiale, et même pendant
l’entre-deux-guerres, l’immunité absolue des Et ats à l’égard de toute ingérence judiciaire
constituait la théorie dominante quant à la portée ratione materiae de cette immunité . 53

49. Après la première guerre mondiale, on a commencé à s’interroger sur la portée

ratione materiae de l’immunité juridictionnelle. Selon la théorie dominante, les Etats jouissaient
d’une immunité absolue à l’égard de toutes sortes d’actions en justice intentées contre eux.
Toutefois, lorsque l’Union sovié tique, nouvelle venue sur la scène in ternationale, décida de mener

des activités commerciales par l’entremise de sociétés d’Etat, il apparut de plus en plus injuste de
31 conférer un statut privilégié aux activités commerc iales d’Etats étrangers. Le grand tournant
s’opéra en 1952 lorsque le conseiller juridique du département d’Etat américain, dans une lettre du
54
19 mai 1952 , déclara qu’à l’avenir, lorsqu’il examinerait les demandes émanant de
gouvernements étrangers relatives à la reconnaissance de leur immunité souveraine, le département
d’Etat n’accepterait plus d’appliquer sans condition la théorie de l’immunité absolue mais opterait
pour une conception restrictive, limitant l’ immunité des Etats étrangers aux activités non

commerciales.

50. Ce raisonnement, qui correspondait à une te55ance de la jurisprudence des tribunaux
italiens observée depuis déjà plusieurs décennies , a trouvé un écho positif dans la jurisprudence
des tribunaux allemands. La Bundesverfassungsgericht (cour constitutionnelle), devant laquelle, en

vertu du paragraphe2 de l’article 100 de la loi fondamentale, toute règle générale de droit

5211 U.S. (7 Cranch) 116, 137.
53 e
Voir, par exemple, Hazel Fox,The Law of State Immunity , 2 éd., Oxford, 2008, p.204-211; rapport de la
Commission du droit international (CDI) sur les travaux de sa trente-deuxième session, Annuaire de la CDI 1980, vol. II,
deuxième partie, p. 142-157.
54 o
«Lettre Tate», 26 (1952) Bulletin du département d’Etat, n 984.
55Voir rapport de la CDI sur les traux de sa quarante- troisième session, Annuaire de la CDI 1991, vol.II,
deuxième partie, p. 37, note 111. - 20 -

international peut être contestée par un tribunal a llemand, s’est ralliée au consensus international
reflété dans la lettre Tate par décision du 30avril1963 56, en précisant qu’une règle coutumière

interdisant d’engager des procédures civiles devant les tribunaux d’autres Etats n’était plus valable
pour les activités commerciales ⎯ acta jure gestionis . L’immunité souveraine devait désormais

être considérée comme s’appliquant uniquement aux procédures relatives à des acta jure imperii.

51. A l’exception des Etats socialistes, presque tous les pays du monde ont, dans les années
qui ont suivi, adopté la conception restrictive de l’immunité souveraine dans le cadre d’affaires
intentées contre des Etats étrangers devant des tribunaux civils. Aux Etats-Unis, le jugement rendu
57
en l’affaire Alfred Dunhill of London c. République de Cuba s’est inspiré de la nouvelle doctrine,
et cette nouvelle tendance s’est trouvé e confirmée en 1983 dans l’affaire Verlinden c.banque
58
centrale du Nigéria . Dans le même temps, les Etats-Unis ont fait voter une loi en 1976, le
Foreign Sovereign Immunities Act 59(FSIA, Loi sur les immunités des Etats étrangers), qui dispose
que les Etats étrangers ne peuvent bénéficier de l’immunité dans les affaires commerciales. Le

32 Royaume-Uni est finalement parvenu à s’écarter de la théorie de l’immunité absolue en 1977 dans
l’affaire Trendtex Trading Corporation c. banque centrale du Nigéria 60. En 1978, la promulgation

du State Imm61ity Act (Loi sur l’immunité de s Etats)62st venue confirmer cette nouvelle
orientation et dans l’affaire 1° Congreso del Partido , la théorie restrictive de l’immunité
souveraine a été également établie en common law. Dans la loi de1978, l’exception majeure au

principe de l’immunité exposé dans la section 1 touche aux «transactions commerciales» (par. 3.1).
En France, cette nouvelle tendance s’était en partie fait jour bien avant que les pays de common law
63
n’abandonnent leur ancienne position . Toutefois, jusqu’à aujourd’hui, la France n’a pas jugé
souhaitable de promulguer une loi nationale spécifique destinée à régler la question. En Italie, une
décision de la Cour de cassation du 6juin1974 64a confirmé que l’activité d’un Etat étranger,

même menée en territoire italien, était protégée contre toutes réclamations privées devant les
tribunaux italiens «tant que l’activité concernée vise à l’exécution de…fonctions publiques.
65
L’immunité ne s’applique pas à une activité purement privée.»

52. La distinction entre acta jure imperii et acta jure gestionis , entre les activités
commerciales et les activités non commerciales, de meure aujourd’hui l’élément déterminant quant
à la portée ratione materiae de l’immunité juridictionnelle des Etats. Les articles5 et 10 de la
66
convention des NationsUnies sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens
reflètent aujourd’hui cette distinction. Aux termes de l’article5, qui vise à codifier une règle de

56
16 Entscheidungen des Bundesverfassungsgerichts 27 ; traduction anglaise : ILR, vol. 45, p. 57.
57425 U.S. 682 (1976).

58461 U.S. 480 (1983).

59ILM (1976), vol. 15, p.1388.
60
Cour d’appel, ILR, vol. 64, p. 111 ; ILM (1977), vol. 16, p. 471.
61
ILM (1978), vol. 17, p. 1123.
62[1983] 1 A.C. 244.

63Voir rapport de la CDI sur les travaux de sa quarante -troisième session 1991, vol.II , deuxième partie, p.37,
note 117 ; voir aussi Patrick Daillier et Alain Pellet, Droit international public, 7 éd., Paris, 2002, par. 290.

64Annexe 27. Traduction anglaise : ILR, vol. 65, p. 308.

65«Purché si tratti di un’attività diretta alla realizzazione dei loro fini pubblici, mentre l’immunità non spetta se vi
sia stato esercizio di un’attività meramente privata».
66
Adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies dans sa résolution 59/38, en date du 2 décembre 2004. - 21 -

33 droit international coutumier , «[u]n Etat jouit, pour lui-même et pour ses biens, de l’immunité de

juridiction devant les tribunaux d’un autre Etat, sous réserve des dispositions de la présente
Convention».

La principale exception figure à l’article 10 de la convention des Nations Unies à l’égard des

transactions commerciales :

«Si un Etat effectue, avec une pers onne physique ou morale étrangère, une
transaction commerciale et si, en vertu des règles applicables de droit international

privé, les contestations relatives à cette transaction commerciale relèvent de la
juridiction d’un tribunal d’un autre Etat, l’ Etat ne peut invoquer l’immunité de
juridiction devant ce tribunal dans une procédure découlant de ladite transaction.»

53. En outre, la convention des NationsUnies contient d’autres exceptions aux articles11
à17. Aucune n’est pertinente en l’espèce. L’article12 (atteintes à l’intégrité physique d’une

personne ou dommages aux biens) fera l’objet d’ un examen détaillé dans un autre chapitre du
présent mémoire.

54. Toutes les lois nationales promulguées dans les pays ayant suivi l’exemple américain et
britannique s’appuient principalement, elles aussi, sur la distinction entre acta jure imperii et acta
jure gestionis. A l’instar de la convention des Nations Unies, elles ajoutent à cet élément essentiel

un nombre limité de situations de fait dans lesquelles un Etat dé fendeur partie à une procédure
devant les tribunaux d’un autre Etat est empê ché d’invoquer l’immunité juridictionnelle.
Toutefois, aucune de ces exceptions ne concerne les affaires relatives à l’occupation allemande de
l’Italie pendant la seconde guerre mondiale récemment examinées par les tribunaux italiens.

55. Il n’existe pas de prat ique générale, soutenue par l’opinio juris, élargissant la dérogation

au principe de l’immunité des Etats aux cas de violations du droit humanitaire commises par des
forces militaires pendant un conflit armé. Il a déjà été dit que la Cour de cassation n’avait pu
invoquer de règle coutumière correspondant au paragraphe 1 b) de l’article 38 du Statut de la Cour.
La pratique relative au règlement des réclam ations nées d’un conflit armé est parfaitement
34
constante. Les traités internationaux régissant le s relations entre les Etats intéressés contiennent
généralement des dispositions relatives au rè glement de ces demandes d’indemnisation. Les
réclamations résultant de la seconde guerre mondiale, en particulier, ont toutes été réglées par cette

voie traditionnelle. Partant, il ne saurait exister d’ opinio juris contraire. Tous les arguments
invoqués par la Cour de cassation à l’appui de son raisonnement sont dénués de fondement solide
en droit international positif. Pierre d’Argent a écrit à juste titre que l’immunité reconnue à l’Etat
étranger n’avait pas tant pour but de protéger une s ouveraineté et de couvrir des violations du droit

que, «remplissant une fonction systémique au sein du droit des gens», d’en confie68la sanction à
d’autres autorités que celles du for étranger saisi, selon d’autres mécanismes .

56. La position de l’Allemagne est pleinement confirmée par la pratique spécifique qui s’est
développée concernant le règlement des réclamations nées de la guerre dans les relations entre les
deux pays en litige. En vertu du paragraphe4 de l’article77 du tr aité de paix signé entre les

puissances alliées et l’Italie, celle-ci a dû renoncer à toutes ses revendications contre l’Allemagne

67
Voir rapport de la CDI sur les travaux de sa trente-deuxièmesessioAnnuaire de la CDI 1980, vol.II,
deuxième partie, commentaire sur l’arte6, p.156, par.55: «L’examen qui précède de l’évolution historique et
juridique de la règle de l’immunité de s Etats semble prouver amplement que ce principe est fondé en tant que norme
générale du droit international contemporain.»
68
P. d’Argent, Les réparations de guerre en droit international public, Bruxelles, 2002, p. 842. - 22 -

et les ressortissants allemands liées à la péri ode de la seconde guerre mondiale. En1961, aux
termes des deux traités prévoyant le règlement de toutes les réclamations en cours, l’Italie a déclaré

une nouvelle fois, en son nom et au nom de l’ense mble de ses ressortissants, que les réclamations
en question étaient toutes réglées. La validité de telles clauses de renonciation ne saurait être mise
en doute. Tous les traités de paix conclus par les puissances alliées victorieuses avec les anciennes

nations ennemies sont fondés sur ce principe qui n’a jamais été contesté. Les puissances alliées
désiraient mettre un terme définitif à toute procédure contentieuse relative aux conséquences
financières de la seconde guerre mondiale, et c’est dans cet esprit que l’Allemagne et l’Italie ont
conclu les deux accords de 1961.

2. Les défauts et les incohérences de la jurisprudence de la Cour de cassation

57. Deux ans avant qu’elle ne rende son arrêt en l’affaire Ferrini, la Cour de cassation avait
dû statuer sur la compétence des tribunaux civils italiens dans le cadre d’une procédure intentée par
les proches de certaines victimes des bombardeme nts aériens de l’OTAN contre l’ex-Yougoslavie
pendant le conflit armé déclenché par les événem ents du Kosovo. La que stion de l’immunité
35
souveraine n’avait pas été soulevée à l’époque car les requérants avaient fondé leurs demandes sur
l’implication de l’Italie dans l es opérations aériennes en question. Les victimes avaient trouvé la
mort après l’effondrement du bâtiment de la station de radio et de télévision yougoslave à Belgrade

soufflé par une bombe. Les requérants avaient donc demandé une compensation financière pour la
perte subie (affaire Markovic). Ils avaient fait valoir que l’a ttaque d’une station de radio et de
télévision équivalait à un crime de guerre au motif que ladite station ne constituait pas un objectif
militaire. Rejetant ces arguments, la Cour de cassation avait déclaré :

«2. La demande attribue à l’Etat italien une responsabilité que l’on fait dépendre
d’un acte de guerre, plus particulièrement d’une ligne de conduite des hostilités de
guerre qui s’exprime par la guerre aérienne. Le choix d’une ligne de conduite des

hostilités fait partie des actes de gouvernement. Ce sont des actes qui constituent la
manifestation d’une fonction politique, et le ur attribution à un organe constitutionnel
est prévue dans la Constitution : fonction qui de par sa nature est telle que l’on ne peut

faire valoir, par rapport à celle-ci, une situation d’intérêt protégé… Par rapport à des
actes de ce type, aucun juge n’a le pouvoir de contrôler la façon dont la fonction a été
exercée.» 69

En d’autres termes, la Cour de cassation était d’avis que l’examen judiciaire d’actes de guerre était
exclu a limine devant les tribunaux civils ordinair es, appliquant ainsi la doctrine de l’Act of State.
Il est parfaitement incohérent de changer d’orientation si peu de temps après, et d’affirmer la
compétence de tribunaux italiens dans une instance introduite contre l’Allemagne. Manifestement,

la Cour de cassation applique deux poids, deux mesures puisqu’elle protège ses propres forces
armées contre toute demande de réparation, ma is rejette toute déclaration d’incompétence
lorsqu’est introduite une action en réparation liée aux activités militaires d’une nation étrangère.

58. Dans l’arrêt Ferrini (point7.1), la Cour de cassation a tenté d’expliquer pourquoi elle
s’était écartée de sa propre jurisprudence, faisant valoir que

«s’il est admis que le modus operandi de telles activités échappe à toute sanction
36 lorsqu’elles sont accomplies sous la direction suprême des autorités publiques, cela ne
saurait empêcher l’ouverture d’une enquête sur d’éventuels crimes commis dans le

cadre de ces activités ainsi que sur les r esponsables de ces crimes…Par ailleurs,
conformément au principe d’adaptation consacré au paragraphe premier de l’article 10

69 o
Décision du 5juin2002, n8157, traduction anglaise : ILR, vol 128, p.652, annexe28, qui figure également
dans l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme dans Markovic, 14 décembre 2006, requête 1398/03, par 18. - 23 -

de la constitution italienne, les normes de dr oit international «généralement admises»
qui sauvegardent, en tant que droits fondame ntaux, la liberté et la dignité de la

personne humaine, et qui qualifient de «crimes internationaux» les activités qui
menacent gravement l’intégrité de ces dro its, deviennent automatiquement partie
intégrante du droit italien. A ce titre, elles constituent sans conteste un critère légitime

dans l’appréciation ju70ciaire du préjudi ce causé par un acte délictueux ou commis à
des fins criminelles.» [Traduction du Greffe.]

Ces «explications» n’en sont pas. Premièrement, elles confondent la responsabilité pénale

individuelle et l’immunité de l’Etat souvera in. Deuxièmement, elles n’apportent aucune
justification à l’idée selon laquelle l’immunité de l’Etat mis en cause peut être automatiquement
écartée lorsque ce dernier est accusé d’avoir commis un crime international. Troisièmement, l’arrêt
omet d’indiquer que dans l’affaire Markovic les requérants avaient expressément soutenu que le

fait de prendre pour cible une station de radio et de télévision équivalait à un crime de guerre.
L’incohérence de la Cour de cassation est donc manifeste.

59. Plus loin dans l’arrêt Ferrini, la Cour de cassation s’appuie essentiellement sur la gravité
des violations du droit humanitaire international perpétrées par les forces allemandes en Italie et sur
le fait qu’en matière pénale, les auteurs de crim es ne jouissent d’aucune immunité personnelle.

Enoutre, elle fonde principalement ses conclusions sur l’arrêt de l’Areios Pagos en
l’affaire Distomo. L’Allemagne ne conteste pas que des violations graves, voire des crimes, ont
effectivement été commises par ses forces d’occupation en Italie. Ce serait néanmoins commettre
une erreur fondamentale que de mettre sur le mê me plan l’immunité pe rsonnelle d’auteurs de

crimes internationaux et l’immun ité souveraine d’un Etat. Tout auteur de crime de guerre doit
répondre de ses actes et nulle immunité personnelle ne saurait être invoquée devant les juridictions
pénales mises en place par la communauté internationale. Aucune raison valable ne peut justifier le
fait de ne pas imposer le châtiment qu’ils méritent aux auteurs de crimes graves. La responsabilité

civile d’un Etat pour les dommages de guerre relève toutefois d’un cadre conceptuel différent. La
37 responsabilité d’une communauté nationale pour des actes préjudiciables orchestrés par ses
dirigeants ne peut être illimitée. C’est pourquoi, comme il a été dit plus haut, il est d’usage dans le

règlement des réclamations nées d’un conflit armé de conclure des accords globaux entre Etats. Ce
moyen privilégié est par ailleurs parfaitement co mpatible avec un système dans lequel la personne
lésée peut aussi jouer un rôle dans l’affirmati on de ses droits en faisant fond sur des accords
conventionnels spécifiques. Toutefois, s’agissant des réclamations pour dommages de guerre, un

tel accord n’existe pas entre l’ Allemagne et l’Italie. Compte tenu de la clause de renonciation
contenue dans le traité de paix de1947, il n’était d’ailleurs pas nécessaire de prévoir de régimes
particuliers. D’autres points soulevés dans l’arrêt Ferrini seront examinés séparément dans le

présent mémoire (voir ci-dessous).

60. La doctrine a critiqué très sévèrement l’arrêt Ferrini, et en particulier le fait que la Cour
de cassation ait omis de faire la distinction entr e les règles primaires du droit international relatif

aux droits de l’homme et du dro it international humanitaire, qui affirment certaines valeurs, et les
règles secondaires, qui entrent en jeu lorsque ces règles primaires ont été violées. C’est ainsi
qu’AndreaGattini accuse la cour d’être «d’une supe rficialité navrante», relevant que «le simple
71
activisme judiciaire ne suffit pas» . Thomas Giegerich conclut que la cour «a oublié de
mentionner que les règles de l’immunité sont l’expression de l’égalité souveraine des Etats,

70ILR, vol. 128, p. 665.
71
«War Crimes and State Immunity in the Ferrini Decision», Journal of International Criminal Justice , vol.3,
2005, p. 231 et 241. - 24 -

72
laquelle constitue un autre principe fondamental du droit international» . Dans un long article
consacré à la question, Christian Tomuschat dénonce la confusion logique qui domine la décision
Ferrini .3

61. Les incohérences de la jurisprudence de la Cour de cassation sont particulièrement
manifestes dans les ordonnances du 29 août 2008 . Les passages clés de ces ordonnances ont déjà

été cités. Le lecteur ne peut avoir aucun doute sur les bonnes intentions de la Cour de cassation.
38 Les juges reconnaissent très ouvertement que le «droit» qu’ils désirent appliquer n’a aucun
fondement dans les règles du droit international en vigueur. Selon eux, toutefois, compte tenu de la

place accordée à certaines valeurs dans l’ordre juridique international actuel, il est légitime de faire
évoluer le régime de l’immunité souveraine en donnant priorité à ces valeurs qui, selon eux,
n’occupent pas encore la place qui leur revient en droit positif. De leur point de vue, l’importance

capitale des droits de l’homme et de la dign ité humaine l’emporte sur les règles traditionnelles
fixant la portée de l’immunité de l’Etat ratione materiae.

62. Certes, le droit international ne se r ésume pas à un ensemble de normes parfaitement
circonscrites et immuables. Bien entendu, il évolue, essentiellement sous l’effet des traités

internationaux. Le droit coutumier évolue lui aussi, quoique plus lentement, comme en témoigne
précisément le passage de la conception absolue à la conception restrictive de l’immunité
souveraine, observé sur plusieurs décennies. Dans tous les cas, il ne peut y avoir de processus

évolutif sans un vaste soutien politique. Les pro cessus de réforme juridique doivent refléter les
tendances du système de droit international dans s on ensemble. On ne peut nier que dans le
domaine de l’immunité souveraine, en particu lier, les tribunaux nationa ux aient joué un rôle

considérable, étant donné la nature du sujet. Il n’appartient pas aux juges, cependant, de se placer
aux avant-postes de ces processus. A cet égard, dans l’affaire Jones 75jugée par la House of Lords
britannique, lord Hoffmann a déclaré de façon convaincante, rejoignant ainsi les idées de

Ronald Dworkin :

«Etablir une hiérarchie entre des prin cipes concurrents en fonction des valeurs

qu’ils reflètent est une méthode couramme nt utilisée par les tribunaux appelés à se
prononcer sur une affaire. Une telle méthode ne peut néanmoins être adoptée en droit
international, celui-ci reposant sur le consentement mutuel des nations. Il n’appartient

pas à un tribunal national de «développer» le droit international en adoptant
unilatéralement une version de ce droit qui, aussi souhaitable et prospective soit-elle
sur le plan des valeurs qu’elle défend, n’est simplement pas acceptée par d’autres
76
Etats.» [Traduction du Greffe.]

63. Des auteurs italiens ont sévèrement critiqué le mode de raisonnement s77vi par la Cour
39 de cassation dans les ordonnances du 29mai2008. Francesca De Vittor prend comme point de
départ le fait que la Cour a reconnu son intention «de ne pas appliquer une norme déjà existante du

72«Do Damages Claims Arising from Jus Cogens Violations Override State Imm unity from the Jurisdiction of
Foreigh Courts?», dans Christian Tomusc hat et Jean-Marc Thouvenin (dir.publ.), The Fundamental Rules of the
International Legal Order. Jus Cogens and Obligations Erga Omnes, Leiden/Boston, 2006, p. 222.

73«L’immunité des Etats en cas de violations graves des droits de l’homme», Revue générale de droit
international public (RGDIP), 2005, t. 109, p. 51 et suiv.

74Voir plus haut, par. 27.
75
House of Lords, 14 juin 2006, ILR, vol. 129, p. 713.
76Ibid., p. 738.

77«Immunitá degli Stati dalla giurisdizione e risarcimento del danno per violazione dei diritti fondamentali: il
caso Mantelli», Diritti umani e diritto internazionale 2, 2008, numéro 3, annexe 29. - 25 -

droit international général, mais de contribuer plutôt à sa formation dans une situation d’incertitude
juridique» . Carlo Focarelli soumet les ordonnances du 29 mai 2008 à une analyse rigoureuse et
en démontre également l’incohérence logique 79. Il les juge «profondément contradictoires» 80. En

fait, il est plutôt étrange pour un tribunal de d éclarer ouvertement qu’il s’abstient d’appliquer le
droit en vigueur et qu’il lui préfère de nouveaux concepts plus en accord avec certains idéaux de

justice prônés par ses juges.

64. En résumé, on peut dire que la Cour de cassation est parvenue à des conclusions hâtives,
que l’Italie n’était pas prête à accepter vis-à-vis d’elle-même. Tenter d’affiner des principes
généraux en vue de les inscrire dans le droit pro cédural est une démarche intellectuelle complexe.

C’est ainsi que la commission d’un crime inte rnational ne fonde pas automatiquement la
compétence de la Cour internationale de Just ice. Cette règle fondamentale a récemment été
reconfirmée par la Cour en l’affaire de la République démocratique du Congo c. Rwanda 81 (par. 64,
82
125) . Enfin, la Cour de cassation n’a nullement tenu compte du fait que, lorsqu’elle a rendu sa
décision en l’affaire Ferrini, l’Allemagne et l’Italie étaient convenues d’un système de règlement
des réclamations nées de la guerre. Lorsqu ’il a prononcé son jugement en l’affaire Jones,
40
lord Bingham of Cornhill a déclaré en termes concis que l’arrêt Ferrini ne pouvait «être considéré
comme un exposé exact du droit international tel qu’il est communément admis» 83 [traduction du

Greffe]. Et d’ajouter, se référant à cet arrêt, que «de même qu’une hirondelle ne fait pas le
printemps, un arrêt ne fait pas une règle de dro it international», soulignant ainsi que l’arrêt Ferrini
faisait cavalier seul dans la grande arène du droit international regroupant 192 Etats.

3. L’arrêt Distomo infirmé par le jugement rendu en l’affaire Margellos

65. D’un point de vue chronologique, c’est l’affaire Distomo, ayant elle-même débouché sur
l’arrêt de l’ Areios Pagos , qui a déclenché la série de pro cédures instituées contre l’Allemagne

devant les tribunaux italie ns. En effet, l’arrêt Distomo a été le premier arrêt de la plus haute
instance d’un pays à affirmer que la commission de violations graves des droits de l’homme
entraînait la perte de l’immunité juridictionnelle de l’Etat en cause dès lors que ces crimes avaient

été commis sur le territoire de l’Etat du for. Le raisonnement quel que peu sommaire de l’ Areios
Pagos n’était guère convaincant et, de fait, peu de temps après, dans une affaire similaire, l’affaire
85
Margellos , la Cour suprême spéciale grecque, qui remplit les fonctions d’une cour
constitutionnelle et est donc hiérarchiquement plus élevée que l’ Areios Pagos, a déclaré que la
règle de droit international selon laquelle une inst ance ne pouvait être introduite contre un Etat

étranger devant les tribunaux d’un Etat donné à raison d’un fait préjudiciable commis par les forces
militaires de l’Etat défendeur continuait de s’appl iquer. A l’appui de cette conclusion, elle a
déclaré :

78La Cour de cassation déclare explicitement «di non applicare una norma di diritto internazionale generale
esistente, ma di contribuire piuttosto alla sua formazione in uno stato di incertezza del diritto».

79«La dynamique du droit international et la fonction du jus cogens dans le processus de changement de la règle
sur l’immunité juridictionnelle des Etats étrangers», RGDIP, 2008, t. 112, p. 761 et suiv.
80
Ibid., p. 768.
81
Affaire des Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c.Rwanda),
3 février 2006.
82
«La Cour estime enfin nécessaire de rappeler que le seul fait que des droits et obligaerga omnes ou des
règles impératives du droit international général (jus cogens) seraient en cause dans un diffé rend ne saurait constituer en
soi une exception au principe selon lequel sa compétence repose toujours sur le consentement des parties.»
83
ILR, vol. 129, p. 726, par. 22.
84Ibid., p. 513, 4 mai 2000.

85Arrêt du 17 septembre 2002, ILR, vol. 129, p. 526. - 26 -

«Puisqu’il n’existe aucun texte ni aucu ne loi spécifiques énonçant une règle sur
laquelle fonder une exception à l’immunité da ns le cas d’une demande visant à établir

la responsabilité de l’Etat pour un fait préj udiciable commis dans le cadre d’un conflit
armé, cette cour ne peut elle-même formuler une telle règle ni en confirmer l’existence
en l’absence de preuve manifeste dans la pratique internationale. La Cour ne saurait
41
davantage extrapoler ladite règle à partir du principe selon lequel les Etats sont tenus
de verser des indemnités pour des viola tions du droit de la guerre sur terre.» 86

[Traduction du Greffe.]

C’est ainsi que l’arrêt Distomo a perdu tout fondement. Force est de conclure que l’Italie demeure

de fait le seul pays où l’immunité souverain e n’est pas respectée conformément au droit
international général.

4. La pratique des Etats-Unis

66. Lorsqu’ils ont promulgué le FSIA en 1976, les Etats-Unis entendaient refléter, dans la
plus grande mesure possible, les règles généra les du droit international en vigueur à l’époque 87.
Toutefois, cet alignement sur le droit international n’était pas considéré comme une nécessité. Aux
88
Etats-Unis, le droit interne prévaut sur les traités internationaux ; de même, ses dispositions
remplacent les principes généraux du droit international 8. La proposition selon laquelle le droit
90
international fait partie du droit interne du pays («international law 91 part of the law of the land»)
reste sujette à toute déclaration contraire à l’échelon national . En tout état de cause, le FSIA ne
prévoit pas le cas où le requérant affirme que l’Etat défendeur a commis des violations graves des

droits de l’homme ou des violations du droit inte rnational humanitaire. A l’évidence, les organes
législatifs n’ont pas considéré que l’immunité souveraine pouvait ou devait être levée dans pareilles

situations.

42 67. Le fait que, dans sa version originale, le FSIA excluait l’introduction d’une instance
contre des Etats étrangers même lorsque ceux-ci faisaient l’objet de graves accusations est apparu
quelques années plus tard comme une carence de la loi. Il y a finalement été remédié en 1996 par

l’adoption de l’Anti-Terr orism and Effective Death Penalty Act (Loi 92r la lutte contre le
terrorisme et l’application effective de la peine de mort) , qui empêche les Etats d’invoquer
l’immunité dans les affaires où les demandeurs tentent d’obtenir réparation pour préjudice corporel

ou décès suite à un acte de torture, une exécution extr ajudiciaire, le sabotage d’un aéronef, la prise
d’otages ou la fourniture d’un appui matériel ou de ressources pour faciliter un tel acte, à condition

86Ibid., p. 532.
87
Voir Fox, note supra53, p.317 et suiv. «The Report of the House Committee on the Judiciary»,
septembre 1976, ILM (1976), vol.15, p.1402, qui indique que «le projet de loi codifierait le principe «restrictif» de
l’immunité souveraine, tel que reconnu de nos jours en droit international» [traduction du Greffe].

88Reid c. Covert, 354 U.S. 1, p. 18 (1957).
89
Voir American Law Institute (dir. publ.), Restatement of the Law Third. The Foreign Relations Law of the
United States, vol. 1 (St. Paul, Minn., 1987), p. 63, par. 115 1).
90
Sabbatino, 376 U.S., p. 423 (1964) ; The Paquete Habana, 175 U.S., p. 700 (1900).
91Le département américain de la justice s’est même ris qué à déclarer «que le dro it international coutumier ne

saurait lier le pouvoir exécutif en vertu de la Constitution, car ce n’est pas le droit fédéral». En particulier, le département
de la justice a indiqué que «selon des précédents clairement établis de la Cour suprême, toute décision présidentielle dans
le conflit actuel portant sur la déte ntion et le procès de combattants d’ Al-Qaida ou des Taliban constituerait un acte
«déterminant» du pouvoir exécutif qui l’empor terait immédiatement et totalement su r le droit international coutumier»
[traduction du Greffe]. Voir Frederic L. Kirgis, «Distinctions Betw een International and U.S. Foreign Relations Law
Issues Regarding Treatment of Suspected Terrorists», www.asil.org/insight 138.cfm.

92Du 24 avril 1996, ILM (1997), vol. 36, p. 759. - 27 -

que l’Etat en cause ait été officiellement reconnu comme un commanditaire du terrorisme. Le
Congrès a donc délibérément exclu toute forme d’automatisme.

68. En premier lieu, il convient de rappele r qu’une loi américaine n’a pas le pouvoir de
changer unilatéralement le droit international. La coutume exige «une pr atique générale acceptée

comme étant le droit» (paragraphe 1 b) de l’article 38 du Statut de la Cour). Il est incontestable que
les grandes puissances sont souvent les premières à po ser de nouvelles règles. Toutefois, le succès
de tels efforts, qui peuvent être considér és comme venant s’inscrire dans un long processus

d’évolution du droit international, dépend du sou tien d’un nombre suffisant de pays. Tel n’est pas
le cas de l’élargissement de la portée du FSIA par la loi de1996. Cette loi est généralement
considérée davantage comme une émanation de la puissance effective des Etats-Unis que comme la
manifestation d’une règle désormais érigée en règle du droit coutumier.

69. Il convient aussi de relever que la loi de 1996 est rédigée en des termes assez prudents.
L’Etat défendeur doit absolument être reconnu comme un pays soutenant le terrorisme par le

Gouvernement américain. Les tribunaux des Etat s-Unis n’ont pas le pouvoir de déterminer de
manière autonome si un Etat a commis l’une des activités inscrites sur la liste des crimes
répertoriés. Enfin, seuls des actes individuels d’un caractère particulier sont visés. Les événements
liés à un conflit armé ne figurent pas dans la liste des crimes pour lesquels des actions peuvent être

intentées devant les tribunaux américains. A cet ég ard, il est intéressant de noter que le conseiller
43 juridique du département d’Etat, William H.Taft IV, comparaissant en qualité d’ amicus curiae
devant la cour d’appel des Etats-Unis pour le circuit du district de Columbia en l’affaire Hwang

Geum Joo c.Japon , une affaire de «femmes de réconfor t», a déclaré que «toutes les demandes
d’indemnisation liées à la seconde guerre mondiale devaient être réglées exclusivement au moyen
d’accords intergouvernementaux» 93. Les juges de la cour d’a ppel ont soutenu ses conclusions,
déclarant qu’il s’agissait en l’espèce d’ une question politique non justiciable . La décision selon

laquelle le règlement des réclamations nées d’un conflit armé devrait intervenir par négociation
diplomatique et accords intergouvernementaux est également à la base de la loi de 1996.

70. Loin de confirmer la «tendance» visant à limiter davantage la portée de l’immunité
souveraine, la loi de 1996 sur la lutte contre le terrorisme et l’application effective de la peine de
mort vient plutôt conforter la position du demande ur selon laquelle il n’existe aucune pratique
internationale pertinente qui pourrait le priver de son droit, sanctionné par le droit international

général, de soulever des exceptions préliminai res à la compétence des tribunaux italiens contre
toute tentative d’assignation devant ceux-ci à raison des événements survenus durant la seconde
guerre mondiale.

5. La portée réduite de la clause territoriale

71. L’une des particularités de l’arrêt Ferrini rendu par la Cour de cassation est qu’il se

fonde sur les clauses territoriales contenues dans des instruments internationaux et des lois internes,
selon lesquelles un Etat ne saurait opposer son immunité souveraine à une demande résultant d’une
activité souveraine préjudiciable si le préjudice a été causé sur le territoire de l’Etat du for par l’un

de ses agents présents sur ce territoire. Or cet ar gument ne tient pas. Ces clauses territoriales,
brièvement exposées ci-après, n’ont jamais eu pour objet des actes illicites commis lors d’un conflit
armé. Il convient d’ajouter en outre que, parfo is, notamment dans le cas des prisonniers de guerre
italiens directement envoyés en l’Allemagne à pa rtir de l’Albanie ou de la Grèce, les actes

incriminés ne se sont pas déroulés sur le sol italien.

93Amicus curiae de novembre 2004, annexe 30.
94
Arrêt du 28 juin 2005, annexe 31. - 28 -

72. La convention européenne sur l’immunité des Etats du 16mai1972 95constitue la
44
première tentative de codification du droit relatif à l’immunité des Etats. Aux termes de l’article 11
de cette convention :

«Un Etat contractant ne peut invoquer l’immunité de juridiction devant un
tribunal d’un autre Etat contractant lorsque la procédure a trait à la réparation d’un
préjudice corporel ou matériel résultant d’un fait survenu sur le territoire de l’Etat du

for et que l’auteur du dommage y était présent au moment où ce fait est survenu.»

Il ressort du rapport explicatif relatif à la convention européenne de 1972 96 que cet article ne

vise que des événements ponctuels survenant dans le cadre de l’exercice courant d’activités
diplomatiques ou consulaires. L’intention des aute urs n’était pas d’établir une règle qui s’étendrait
aux conséquences de conflits armés. En effet, le rapport explicatif donne juste un exemple qui

illustre parfaitement les limites de l’article :

«Par exemple, lorsqu’un véhicule appart enant à un Etat a été impliqué dans un
accident de circulation, l’Etat propriétaire ou détenteur du véhicule peut être attrait en

justice si le conducteur s’est trouvé sur le territoire de l’Etat du for, même si le
demandeur ne fait pas appel à la responsabilité personnelle de ce conducteur.» 97

Il n’y a pas un seul exemple d’instance dans la quelle l’article11 aurait constitué, dans l’un
des Etats parties, un moyen de lever l’obstacle de l’immunité dans un différend ayant pour objet
une demande découlant d’un conflit armé ou de la participation de forces militaires à une opération

de l’ONU. En fait, selon l’article31 de cette même convention de1972, les activités des forces
armées sont exclues du champ d’application de la convention. Cette clause d’exclusion corrobore
la portée nécessairement limitée de l’article 11. Si les opérations militaires menées sur le territoire

d’un autre Etat ne sont pas prises en compte, il ne reste pratiquement rien, si ce n’est des activités
d’ordre logistique qu’il serait très difficile de qualifier d’actes «jure imperii» ou d’actes «jure
gestionis» sans les avoir expressément définies. Un Etat qui, par l’intermédiaire de ses agents,

intervient dans la circulation ou les transports publics d’un pays étranger, n’exerce pas les pouvoirs
45 souverains qui lui sont propres. Il s’est néan moins avéré utile de pr éciser que d es activités
«neutres» de cet ordre ne relevaient pas du domaine privilégié du pouvoir étatique.

73. Dans l’affaire McElhinney, la Cour suprême irlandaise a rendu une décision sur un
incident qui avait eu lieu à la frontière entre l’ Irlande du Nord et la République d’Irlande, dans
98
lequel était impliqué un soldat britannique inte rvenu à un moment donné en territoire irlandais .
Faisant fond sur la disposition contenue à l’article 31 de la convention européenne de 1972, la Cour
suprême a rejeté la demande formée contre le Royaume-Uni en invoquant le défaut de compétence,

faisant valoir que, en tout état de cause, l’artic le31 l’emportait sur l’article11. Pour la Cour
suprême, il s’agissait simplement d’une question d’interprétation d es lois. Son arrêt a ensuite été
confirmé par la CEDH auprès de laquelle le demandeur avait formé un recours, arguant que ses

droits au titre de l’article6 de la convention européenne des droits de l’homme n’avaient pas été
respectés.

74. La position juridique énoncée dans la convention des NationsUnies sur les immunités
juridictionnelles des Etats et de leurs biens est encore plus claire. Comme chacun sait, cette

95STE n 74. L’Allemagne est partie à cette convention depuis 1990 ; l’Italie ne l’a pas ratifiée à ce jour.
96
Conseil de l’Europe, Strasbourg, 1972.
97
Ibid., art. [11].
98Décision du 15décembre1995, reproduite dans l’arrêtrendu par la Cour européenne des droits de l’homme
dans l’affaire McElhinney c. Irlande, le 21 novembre 2001, requête 31253/96, par. 15. - 29 -

convention est issue des travaux de la CDI, laquelle a, en 1991, adopté en seconde lecture le projet
99
d’articles correspondant . Durant de longues années ⎯ jusqu’en 2004 ⎯, ce projet est resté
pendant devant la Sixième Commission de l’Assemblée générale. Au cours de cette période, seules

quelques modifications mineures lui ont été apportées. Le libellé de l’article12 ⎯ la clause
territoriale ⎯ n’a, quant à lui, pas été modifié. Le commentaire adopté en1991 par la CDI revêt
donc une pertinence particulière. Or, il n’y est p as fait la moindre référence à un préjudice causé

par un conflit armé. La philosophie générale qui sous-tend l’article 12 est d’ailleurs très clairement
précisée :

«Les dommages envisagés à l’article12 concernent essentiellement le décès
accidentel ou les dommages corporels ou matériels causés par des accidents de la
circulation dus entre autres à des automobiles, des motocycles, des locomotives ou des

canots automobiles. En d’autres termes, l’article vise la plupart des accidents causés
46 lors du transport de biens et de personnes par la voie ferroviaire, routière, aérienne ou
sur l’eau. La dérogation à la règle de l’immunité aura essen tiellement pour effet
d’empêcher qu’une compagnie d’assurances puisse se retrancher derrière l’immunité

de l’Etat pour se soustraire à sa responsabilité envers les victimes d’un préjudice et à
son obligation de réparer.» 100

75. Dans son commentaire, la CDI n’ajoute qu ’une seule phrase à sa description de l’objet
principal du projet d’article 12 (de l’époque), phrase qui se lit comme suit :

«Par ailleurs, la portée de l’article 12 est assez large pour englober aussi les
dommages intentionnels comme les coups et blessures, les dommages intentionnels
101
aux biens, l’incendie criminel, voire l’homicide ou l’assassinat politique.»

De toute évidence, ce n’est là rien de plus qu’une référence à des cas individuels
d’infractions n’ayant aucun rapport avec des opérations menées à grande éch elle pour atteindre des

objectifs illégitimes, cas fréquents dans les périodes de conflit armé tel que celui ⎯ qui remonte à
plus de soixanteans ⎯ auquel le présent différend se rapporte. Appliquer l’article12 à des

injustices commises à grande éche lle, injustices dont les auteurs de la convention de 2004 n’ont
jamais considéré qu’elles entraient dans le champ d’application de cette disposition, reviendrait à
en déformer totalement l’ob jet et le but. L’affaire Letelier 102, qui a été expressément mentionnée

dans une note de bas de page se rapportant à l’extrait précité, peut not amment être considérée
comme l’un de ces cas individuels. Le 21septembre1976, en plein cŒur de Washington, des
agents secrets du Gouvernement chilien avaient assassiné un ancien ambassadeur et ministre du
gouvernement Allende, M. Orlando Letelier, en faisant exploser une bombe. Juger recevables des

demandes individuelles relatives à des cas particuliers de cette nature, dans lesquels l’intégrité
territoriale de l’Etat du for a été violée par des agents inconnus d’un gouvernement criminel, n’est
pas du tout la même chose que de juger receva bles des demandes indivi duelles qui s’inscrivent

dans le contexte d’un conflit armé ayant fait des milliers, voire des millions, de victimes et dont les
conséquences financières sont incalculables. L’article12 de la convention des NationsUnies
de2004 ne saurait donc pas être considéré co mme reflétant une nouvelle tendance en droit

international. Tout au plus peut-on considérer qu’il existe une nouvelle tendance, perçue par
certains auteurs au cours de ces dernières années, en ce qui concerne des cas individuels de
violations flagrantes des droits de l’homme. S’agissant des conflits armés, en revanche, rien de tel

ne peut être déduit de l’article 12.

99Annuaire de la CDI 1991, vol. II, deuxième partie, p. 13.

100Ibid., p. 46, par. 4.
101
Ibid.
102Letelier c. République du Chili, 748 F 2 , p. 798 (2 circuit. 1984), ILR, vol. 79, p. 561. - 30 -

47 76. S’inscrivant dans le droit fil de la convention européenne de1972, la plupart des

législations nationales qui ont été adoptées par la suite ⎯particulièrement dans les pays de
common law ⎯ contiennent une clause territoriale exclua nt l’immunité dans les cas où les pertes
ou dommages ont été causés par un acte ou une omission survenu sur le territoire de l’Etat du for.
e
La première de ces clauses est le 5 alinéa du paragraphe a)de l’article1605 du FSIA, qui
mentionne les cas où

«des réparations pécuniaires sont réclamée s à un Etat étranger à raison d’un décès ou

de l’atteinte à l’intégrité physique d’une personne…qui se sont produits aux
Etats-Unis d’Amérique et ont été causés par l’acte ou l’omission illicite de cet Etat
étranger ou de tout représentant ou employé de cet Etat étranger agissant dans le cadre

de ses fonctions ou de son emploi» [traduction du Greffe].

Rien dans cette disposition ne laisse cependant supposer qu’elle était censée s’étendre aux
réclamations liées à un quelconque conflit armé. Rien ne permet non plus de penser que, lorsque le

FSIA a été adopté, les Etats-Unis d’Amérique ai ent envisagé que des forc es armées étrangères
puissent se comporter de manière hostile sur leur territoire. Dans l’affaire République argentine
c. Amerada Hess 103, la Cour suprême des Etats-Unis d’Amérique a expressément confirmé que
e
«l’objectif principal du Congrès, en adoptant le 5 alinéa du paragraphe a) de l’article1605, était
d’exclure l’immunité d’un Etat étranger dans l es cas d’accidents de la circulation et d’autres faits
préjudiciables commis aux Etats-Unis d’Amérique» 104 [traduction du Greffe] . Cette précision a
été apportée dans le cadre d’un différend dans le quel les propriétaires d’un navire qui avait été

endommagé et rendu inutilisable lors d’une attaque aérienne de l’Argentine pendant la guerre des
Falkland avaient demandé une compensation pécuni aire pour la perte financière qu’ils avaient
subie. La demande formée cont re l’Argentine fut jugée irrecevab le, étant donné que le FSIA ne

prévoyait pas la possibilité d’un recours à raison de violations du droit international autres que
celles expressément mentionnées dans son texte (àl’ époque: les biens pris en violation du droit
international). Il serait donc erroné de prétendre que le FSIA a été adopté en vue de s’écarter de la
définition restrictive de la portée de la clau se territoriale donnée par la convention européenne

de 1972.

77. Dans une allocution prononcée devant l’ Assemblée générale, à l’occasion du débat de

48 clôture sur le projet de convention sur les immun ités juridictionnelles des Etats et de leurs biens
(25 octobre 2004), les Etats-Unis d’Amérique ont co nfirmé leur interprétation restrictive de l’objet
et du but des clauses territoriales contenues dans des instruments juridiques ayant trait aux
immunités juridictionnelles :

«l’article 12 relatif aux procédures se rapportant à des actes illicites non commerciaux
doit être interprété et appliqué systématiquement par référence à la distinction

classique entre les actes de gouvernement et les actes de gestion. Il est tout à fait
admissible de retenir la responsabilité de l’Etat, c’est-à-dire
de lui refuser l’immunité
juridictionnelle, à raison des actes ou omissi ons dont les particuliers pourraient être
tenus responsables. La législation des Etat s-Unis d’Amérique et celle de nombreux

autres Etats ménagent cette possibilité. Toutef ois, étendre la juridiction au mépris de
la distinction entre le public et le priv é reconnue par le droit international ce serait
affaiblir les principes du droit internati onal en vigueur et renvoyer devant les

tribunaux internes de nouveaux désaccords et conflits qui relèveraient davantage
d’instances internationales. Autrement dit, l’article 12 doit être interprété à la lumière
de la pratique suivie par les Etats s’agissant des actes et omissions illicites de caractère
privé pouvant être attribués à l’Etat, tout en respectant l’immunité de l’Etat à raison

103
488 U.S., p. 428.
104
Ibid., p. 439. - 31 -

des actes relevant du strict 105rcice des prérogatives de la puissance publique ou de sa
qualité d’Etat souverain.»

Il s’agit là d’une position claire qui exclut tout e extension injustifiée des clauses territoriales
habituelles désormais contenues dans certains instruments récents, y compris la convention des
Nations Unies de 2004.

78. La Loi sur l’immunité des Etats adoptée en1978 par le Royaume-Uni 106 contient une
clause territoriale similaire (art. 5). Celle-ci dispo se, en des termes très clairs, qu’un Etat ne jouit

pas de l’immunité dans les procédures relatives à des décès, des atteintes à l’intégrité physique
d’une personne, des cas de dommage ou de perte d’un bien corporel, dans l’hypothèse où le
préjudice en question a «été causé par un acte ou une omission survenu au Royaume-Uni» 107

[traduction du Greffe] . Au vu de son libellé, cette clause aurait pu être interprétée comme
englobant effectivement les activités militaires mené es sur le territoire du Royaume-Uni. Ce point
est cependant clarifié au paragraphe2) de l’ar ticle16; les conséquences des activités militaires

n’entrent pas dans le champ d’application de la loi, et il est précisé que

«cette partie de la présente loi ne s’a pplique pas aux actions relatives à un quelconque

acte accompli par les forces armées d’un Etat stationnées au Royaume-Uni ou lié à
cette présence; cette disposition est s ubordonnée au Visiting Forces Act de1952»
[traduction du Greffe].

49 De toute évidence, en1978, la seule hypothèse réaliste pour que des troupes étrangères soient
présentes sur le sol britannique était qu’elles soient déployées dans le cadre d’accords conclus entre

des nations amies, leur présence étant alors, sur le plan interne, partiellement régie par le Visiting
Forces Act de 1952. Le Royaume-Uni a néanmoins veillé à exclure du champ d’application de la
loi de 1978 l’ensemble des dommages causés par des activités militaires étrangères.

79. Les autres pays du Commonwealth qui ont, par la suite, adopté une loi relative à

l’immunité des nations étrangères vis-à-vis de leur juridictions internes ont, pour la plupart,
reproduit la loi sur l’immunité des Etats adoptée en 1978 par le Royaume-Uni, en ne lui apportant
que quelques légères modifications. Le plus souvent, la portée ratione materiae exacte de la clause

territoriale a également été précisée par une dispos ition soumettant les activités militaires des Etats 108
étrangers à un régime spécial. Ainsi, le State Immunity Act adopté en1979 par Singapour
exclut, dans son article7, la possibilité de se prévaloir de l’immunité souveraine (en cas de

dommage causé par un acte ou une omission survenu à Singapour) mais précise, à l’alinéa a) du
paragraphe2) de son article 19, que cette disposition ne s’a pplique pas «à un quelconque acte
accompli par les forces armées stationnées à Singapour ou lié à cette présence» [traduction du

Greffe]. Le Pakistan a opté pour un régi109quel que peu différent dans la State Immunity
Ordinance qu’il a adoptée en1981 . S’il a renoncé à y inclure une clause territoriale, il a, en
revanche, veillé à exclure du champ d’application dudit texte «tout acte accompli par les forces

armées d’un Etat stationnées au Pakistan, ou lié à cette présence» [traduction du Greffe] (alinéa a) 110
du paragraphe2) de l’article17). Enfin, le State Immunity Act adopté en1982 par le Canada
s’est aligné sur ces précédents. D’un côté, cette loi affirme la compétence des tribunaux canadiens

105
Nations Unies, doc. A/C.6/59/SR.13, 25 octobre 2004, par. 63.
106ILM (1978), vol. 17, p. 1123.

107Les italiques sont de nous.
108
Reproduit dans NationsUnie s (dir. publ.),Materials on Jurisdictional I mmunities of States and Their
Property, New York, 1982, p. 28.
109
Ibid., p. 20.
110ILM (1982), vol. 21, p. 798. - 32 -

à l’égard des préjudices «qui se sont produits au Canada» (art.6) [traduction du Greffe] . De

l’autre, le Canada limite la portée de cette disposition en donnant la primauté à son Visiting Forces
Act (art.15). Il semble qu’il n’ait pas jugé utile d’envisager l’hypothèse de forces étrangères
agissant sur son sol autrement que dans un cadre amical et conformément à un accord international,

point de vue d’ailleurs tout à fait raisonnable en 1982.

80. Il existe deux lois nationales qui con tiennent une clause territoriale sans exclure
50
expressément de son champ d’application les conséquences d’un conflit ar112 Il s’agit du Foreign
Sovereign Immunity Act adopté en1981 par l’Afrique du Sud (art.6), et du Foreign States
Immunities Act adopté en 1985 par l’Australie 113(art. 13). L’explication la plus vraisemblable de

cette omission est que les organes législatifs en question n’ont pas sérieusement envisagé la
possibilité de la présence, sur leur sol, de forces ét rangères. Quoi qu’il en soit, aucun de ces deux
textes ne contient le moindre élément indiquant que des poursuites civiles puissent être engagées

contre des Etats étrangers dans de tels cas. De surcroît, il n’existe pas le moindre précédent dans la
jurisprudence interne de ces pays permettant d’ étayer une interprétation extensive de ces deux
clauses territoriales.

81. Un autre texte législatif ayant valeur d’ exemple est la récente «Foreign States Immunity
Law» israélienne (2008) 114. Elle contient, en son article5, la clause territoriale habituelle, mais

précise, en son article 22, que

«les actions en justice introduites à raison d’un acte ou d’une omission commis par des
forces militaires étrangères dont les droits et le statut en Israël ont ét
é déterminés par

un accord entre l’Etat d’Israël et l’Etat auquel ces forces militaires appartiennent sont
régies par ledit accord» [traduction du Greffe].

Ce texte ne tranche donc pas la question de savoir si l’immunité vaut dans les cas où les forces
militaires étrangères présentes sur le sol israélie n n’y étaient pas invitées par un accord. On peut
toutefois supposer que la Knesset a souhaité se conf ormer à la ligne de conduite générale qui avait
jusqu’alors prévalu dans l’interprétation de la clause territoriale.

82. Enfin, l’Allemagne tient à rappeler qu’il y a quelques années, la Cour de cassation a

reconnu l’immunité juridictionnelle des Etats-Unis d’Amérique à l’ég ard de vols militaires
d’entraînement effectués au-dessus du territoire italien et qui avaient été à l’origine de plusieurs
accidents mortels 11. La question de l’immunité souvera ine est examinée en détail dans cette

décision. La Cour de cassation y écarte avant tout l’argument selon lequel cette immunité devrait
être exclue si les activités en question entraîne nt une violation de certains droits de l’homme
51 fondamentaux, l’arrêt précisant que les conséquences potentiellement préjudiciables de vols
militaires d’entraînement en ce qui concerne le droit à la vie, à l’intégrité physique et à la santé des

personnes ne saurait annuler un principe qui, en ve rtu du paragraphe2) de l’article10 de la
Constitution italienne, a été intégré dans l’ordre interne italien. Selon la Cour de cassation, c’est la
nature des activités en question, et elle seule, qui revêt une importance cruc iale. En revanche, le

fait que les accidents en cause s’étaient tous produ its sur le territoire italien n’est nulle part
mentionné dans l’arrêt.

112
Ibid., p. 34.
113ILM, vol. 25, par. 715 (1986).

114Annexe 32.
115
FILT-CGIL Trento et autres c. les Etats-Unis d’Amérique , 3août2000; traduction anglaiILR, vol.128,
p. 644, annexe 33. - 33 -

6. Arguments fondés de manière erronée sur la norme de jus cogens

L8a.rrêt Ferrini abonde en observations selon lesquelles la supériorité juridique des
normes enfreintes de 1943 à 1945 par les unités m ilitaires allemandes responsables des crimes sur

lesquels les différents demandeurs fondent leurs prétentions doit prévaloir sur l’immunité
souveraine de l’Allemagne. Si la Cour de cassation ne fait pas expressément référence au
jus cogens dans cet arrêt, tous les arguments qu’elle avance s’inspirent à l’évidence de cette

théorie. Ainsi, au paragraphe9 de l’arrêt, décl are-t-elle que les crimes internationaux, tels que
ceux perpétrés par les forces armées allemandes, c onstituent de graves violations des droits de
l’homme fondamentaux ⎯ droits qui

«sont protégés par des normes auxquelles il ne saurait être dérogé, qui sont au cŒur de
l’ordre international et qui prévalent sur toutes les autres normes conventionnelles et
116
coutumières, ycompris celles qui ont trait à l’immunité de l’Etat» [traduction du
Greffe].

Dans cette même logique, elle poursuit (au paragraphe 9.1) :

«[i]l ne fait aucun doute qu’en cas de c ontradiction entre deux normes également
contraignantes, c’est la norme ayant le statut le plus élevé qui doit prévaloir» 117

[traduction du Greffe].

Enfin (au paragraphe 10.2), elle souligne le statut prioritaire

«qui, dans le cas d’activités criminelles particulièrement graves, est désormais accordé
à la protection des droits de l’homme fonda mentaux, laquelle prime sur la protection

52 des intérêts de l’Etat à tra118s la reconnai ssance de l’immunité de juridiction à l’égard
des tribunaux étrangers» [traduction du Greffe].

84. Des arguments juridiques comparables, quoique moins développés, ont été avancés dans
les ordonnances du 29 mai 2008, qui mettent l’accent sur l’extrême gravité des actes illicites ayant
motivé les instances dont il est ici question. Il convient de souligner là encore
que la Cour de

cassation elle-même n’était pas convaincue par son propre raisonnement, puisqu’elle s’est bornée à
déclarer que «l’on serait fondé à en conclure qu’ un principe limitant l’immunité d’un Etat qui a
commis des crimes contre l’humanité était «en voie de constitution»» 119. Il est bien entendu

extrêmement difficile d’asseoir l’existence d’une règle sur des fondements aussi peu solides.

85. Il convient de noter tout d’abord que la théorie de la hiérarchie des normes constitutives

de l’ordre juridique international n’a été officielle ment consacrée qu’en 1969, lors de l’adoption de
la convention de Vienne sur le droit des traités. Il a alors été reconnu, pour la première fois, qu’un
traité pouvait être nul s’il était en conflit av ec une «norme impérative du droit international

général» (articles 53 et 64). Auparavant, il était unanimement admis dans la pratique que les droits
et obligations découlant du droit international av aient tous le même rang hiérarchique. A l’époque
où ont été commises les violations sur lesquelles les plaignants tentent de fonder leurs demandes, la

116ILR, vol. 128, p. 668.
117
Ibid., p. 669.
118
Ibid., p. 673.
119«Un principio limitativo dell’immunità dello Stato chsi sia reso autore di crimini contro l’umanità può
presumersi «in via di formazione»». - 34 -

notion juridique de jus cogens n’existait pas 12. Par conséquent, l’application de la norme de

jus cogens aux événements tragiques de la seconde guerre mondiale n’est pas conforme aux règles
générales de l’applicabilité temporelle du droit international. Toute conduite doit s’apprécier à
53 l’aune des normes en vigueur au moment où elle est adoptée. C’est ce qui sera examiné plus en
détail au chapitre 7 (par. 91 et suiv.) du présent mémoire.

86. La principale critique à adresser à la C our de cassation pour avoir (implicitement) fait
fond sur les règles de jus cogens tient à son interprétation large desdites règles. Par exemple, il est

incontestable que le génocide est interdit par le jus cogens. Les fondements juridiques de cette
interdiction se trouvent à la fois dans la convention de 1948 pour la prévention et la répression du
crime de génocide et dans les règles générales (ant érieures) du droit international. Tout traité en

vertu duquel deux Etats conviendraient de commettre un génocide serait considéré comme nul et
non avenu en vertu de l’article53 de la convention de Vienne sur le droit des traités et du droit
international général. Serait également considéré nul et non avenu, selon les interprétations

actuelles, tout acte juridique unilatéral destiné à faciliter un génocide. La règle de jus cogens vise
principalement à empêcher les génocides. Tout instrument juridique qui aurait pour objet de
promouvoir, faciliter ou tolérer un génocide ne saura it être considéré comme valide dans l’ordre
juridique international.

87. Or c’est un problème totalement différen t qu’il faut résoudre lorsqu’un acte de génocide
a effectivement été commis. Les solutions doivent être recherchées dans le régime général de la

responsabilité internationale. La convention de1948 pour la pr évention et la répression du crime
de génocide ne régit qu’un seul aspect de cette v aste question en disposant que les personnes ayant
commis un génocide «seront punies» (articleIV). Elle ne contient aucune autre disposition plus

détaillée sur le régime applicable en matière de responsabilité, indiquant ainsi implicitement que ce
sont les règles générales qui s’appliquent ⎯et qui, bien entendu, évoluent avec le temps. L’une
des règles fondamentales au centre des valeurs dé fendues par la communauté internationale est

l’interdiction du génocide. Un manquement à cette règle fondamentale entraîne des conséquences
qui sont régies par des règles secondaires. Natu rellement, ces règles secondaires peuvent être
influencées par la valeur absolue accordée à cette rè gle première. Mais un Etat qui ne prévoit pas
de voie de recours contre un auteur présumé d’act es de génocide ou de torture ne devient pas pour
54 121
autant complice de génocide ou de torture . Il n’existe aucun régime spécial exhaustif
s’appliquant à la violation d’une règle de jus cogens . Surtout, ce type de régime spécial ne peut
être librement inventé. Puisque le droit intern ational repose essentiellement sur le consentement

des Etats, c’est dans la pratique générale de ce ux-ci qu’il faut chercher les réponses à chacune des
questions qui se posent lorsque l’ on doit déterminer les conséque nces d’une violation d’une règle
de jus cogens. Lorsqu’il a dû se prononcer sur une action en justice intentée contre l’Organisation
des NationsUnies à raison du génocide commis à Srebrenica, le Rechtbank ’s-Gravenhage

(tribunal régional de La Haye) a défini comme suit la situation juridique :

«Ni le texte de la convention sur le gé nocide ni aucun autre traité, ni aucune

règle de droit international coutumier, ni la pratique des Etats ne contiennent de
dispositions en vertu desquelles les tribunaux néerlandais sont tenus d’assurer, dans le
cadre d’une procédure civile, l’applicati on des normes énoncées dans la convention
sur le génocide. Il incombe aux parties contractantes de réprimer tout acte de

120
Voir, par exemple, RobertKolb, Théorie du ius cogens international. Essai de relecture du concept,
Paris,2001, p.23; Erika de Wet, «The [Prohib ition] of Torture as an International Norm ojus cogens and its
Implications for National and Customary Law», EJIL, vol. 15, 2004, p. 111.
121Voir Lord Hoffmann in Jones v. Ministry of Interior Al-Mamlaka Al-Arabiya AS Saudiya (Royaume d’Arabie
saoudite), ILR, vol. 129, p. 713, par. 44 : «Le jus cogens pose l’interdiction de la torture. Mais le Royaume-Uni, en
accordant l’immunité d’Etat au Royaume d’Arabie saoudite n’entend voir torturer personne. Le Royaume d’Arabie

saoudite, de son côté, en revendiquant l’immunité, ne justifie aucunement l’utilisation de la torture.» - 35 -

génocide au sens de ladite convention, dans les limites fixées par son articleVI. De
même, ainsi qu’il a déjà été indiqué, les Etats sont tenus de prévenir les génocides et,
par voie de conséquence, de ne pas en commettre eux-mêmes. Si les Etats sont

également tenus d’énoncer les obligations relatives à l’extradition de personnes
soupçonnées de génocide, la convention ne prévoit pas l’exécution, dans le cadre
d’une action civile, des mesures d’interdiction du génocide (ni la moindre obligation y
122
afférente).» [Traduction du Greffe.]

88. Deux exemples tirés de la jurisprudence de la Cour suffiront à renforcer les observations

qui précèdent. L’attention a déjà été appelée sur le fait que la violation d’une règle de jus cogens
n’entraîne pas de dérogation aux règles énoncées dans le Statut en vertu desquelles la compétence
de la Cour repose sur le consentement. Aucun Etat n’est tenu de répondre à une requête introduite

contre lui s’il n’a pas consenti, ou s’il ne consen t pas, à un règlement judiciaire du différend, tel
que prévu à l’article36 du Stat ut. L’affaire relative au Mandat d’arrêt 123prouve qu’un haut
fonctionnaire ne perd pas son immunité fonctionnelle devant les juri dictions internes s’il est accusé

55 d’avoir commis un crime contre l’humanité. Ne p as tenir compte de la protection découlant de
l’immunité peut avoir des conséquences extrêm ement préjudiciables, sans commune mesure avec
la victoire morale que représente la possibilité d’engager une procédure judiciaire contre un

défendeur, que ce soit devant des juridictions civiles ou pénales.

89. Autrement dit, il faut faire soigneusement la distinction entre les règles principales ⎯ les
règles fondamentales ⎯ et les règles secondaires applicables. Il n’y a aucun lien mécanique entre

ces deux catégories. Le Gouvernem ent des Etats-Unis a fait valoir de manière convaincante, dans
son mémoire déposé à titre d’ amicus curiae dans l’affaire Sampson v.Federal Republic of
Germany, que l’ amicus curiae intervenant au nom du demandeur avait confondu «les normes de

comportement substantielles et les124thodes qu’i l conviendraitede mettre en Œuvre pour remédier
aux violations de ces normes» , et la cour d’appel du 7 circuit s’est rangée à cet avis, déclarant
que, même si les juridictions étaient priées d’éviter de se trouver en désaccord avec le droit

international,

«[l]e droit international en soi n’exige pas que l’articleIII [de la Constitution des

Etats-Unis] s’étende aux souverains étrange rs. En d’autres termes, bien que des
normes de jus cogens puissent s’appliquer à l’immunité souveraine lorsque se pose la
question de savoir si le droit inte rnational en soi prescrit l’immunité ⎯ comme lors

des procès de Nuremberg, par exemple ⎯, les normes de jus cogens n’exigent pas que
le Congrès (ni aucun gouvernement) crée une compétence.» 125 [Traduction du
Greffe.]

90. La nullité des traités qui enfreignent une règle de jus cogens constitue essentiellement

une mesure préventive destinée à lutter contre le risque que ne se produisent des événements
particulièrement graves. Lorsque, malheureusemen t, ce risque se concrétise, nombreuses sont les
réactions possibles. Il est tout à fait significatif que les articles de la CDI sur la responsabilité de

l’Etat pour fait internationalement illicite dis posent que les Etats ont le devoir de «coopérer»
(paragraphe1 de l’article41) en cas de viola tion grave d’obligations découlant de normes
impératives du droit international gé néral. En d’autres termes, les articles n’ouvrent pas la voie à

des mesures unilatérales d’«autoprotection». Dans des situations de transition, lorsqu’un peuple a

122Arrêt du 10 juillet 2008, annexe 34.
123
C.I.J. Recueil 2002, par. 58 et 60.
124
Annexe 35.
125250 F., 3 , p. 1145 (7 circuit 2001). - 36 -

traversé une période sombre de son histoire et tente de mettre en place de nouvelles institutions
démocratiques conformément aux règles de droit, toutes les possibilités doivent être explorées.

56 Mais surtout, il faut réfléchir à des solutions réa listes. Lorsqu’un Etat s’est livré à une guerre
d’agression ayant causé de graves préjudices à d’autres nations, la question qui se pose
inévitablement est celle de savoir dans quelle mesure il peut être tenu financ ièrement responsable.
Dans l’accord de Potsdam, il était spécifié que le peuple allemand devait porter la responsabilité

«dans la plus grande mesure possible» (chapeau du chapitre IV). L’histoire nous a effectivement
enseigné que le fait d’exiger la réparation intégrale des dommages de guerre déstabilisait
inévitablement le pays débiteur et pouvait a voir des conséquences catastrophiques. Permettre à
chaque victime d’intenter une action en réparation pour dommage de guerre est une solution tout à

fait inadaptée, étant donné que les juridictions internes des «pays victimes» ne ménagent
généralement pas leurs efforts pour que soient allouées à leurs ressortissants d’importantes
réparations pécuniaires dépassant facilement les capacités financières d’un Etat débiteur 12. La
raison exige de mettre en place une sorte de pro cédure de liquidation judiciaire qui ne peut

fonctionner que dans un cadre intergouvernemental, c’est-à-dire suivant les règles classiques de
l’indemnisation collective, en particulier à la suite d’un conflit armé. Dans le cas contraire, aucune
distribution équitable des montants disponibles aux fins de l’indemnisati on financière ne pourrait

être assurée. Juger qu’un crime international a été commis ne conduit donc pas nécessairement à
conclure qu’une victime doit se voir offrir un recours individuel.

7. Application rétroactive de la doctrine sur laquelle s’appuie la Cour de cassation

La91. Cour de cassation commet une autre erreur lorsqu’elle étend la doctrine de l’immunité
restreinte, sur laquelle elle se fonde de manière originale, à des événemen ts datant de plus de
soixante ans. Lorsque les for ces de l’armée allemande se trouvaient sur le sol italien en tant que

forces ennemies, entre1943 et1945, la doctrin e de l’immunité souveraine absolue régnait de
manière incontestée. A cette époque, seuls les tri bunaux belges et italiens osèrent, dans quelques
décisions, rejeter l’immunité souveraine en tant que moyen de défense dans des affaires relatives à
des activités commerciales. Ce fut la «lettre Tate » qui, fondée sur un consensus général, opéra un

57 tournant radical en1952. Depuis cette date, comm e nous l’avons montré plus haut, la pratique
judiciaire distingue deux catégories d’actes accomplis par l’Etat : les actes jure imperii et les actes
jure gestionis. Déroger rétroactivement au principe de la souveraineté absolue viole les principes

généraux du droit international. Etablir de nouve lles catégories de cas qui ne seraient pas couverts
par l’immunité souveraine et a ppliquer cette nouvelle doctrine rétroactivement est plus discutable
encore.

92. Les règles qui régissent l’immunité s ouveraine sont intrinsèquement des règles
substantielles du droit in ternational. Elles découlent du pr incipe de l’égalité souveraine tel
qu’énoncé au paragraphe 1 de l’article 2 de la Charte des Nations Unies, profondément ancré dans
le droit international coutumier. Aucun Etat n’est soumis au pouvoir souverain d’un autre Etat à

moins que les parties concernées n’en aient décidé autrement d’un commun accord, conformément
au principe bien connu par in parem non habet jurisdictionem . Même si une procédure civile
devant une juridiction civile fait invariablement intervenir un requérant privé et même si

l’immunité souveraine constitue essentiellement un moyen procédural de défense dans ce type
d’instance, la relation en cause entre les deux Etats concernés, l’Etat du for et l’Etat défendeur,
intéresse peu, voire nullement, la procédure. La question est celle de l’étendue des pouvoirs
souverains d’un Etat vis-à-vis d’un autre Etat. Il faut mettre en balance la juridiction territoriale de

l’Etat du for avec les droits souvera ins de l’Etat attrait en justice en tant que défendeur. Le fait est

126
Les montants excessifs parfois accordés par des juges américains à l’issue de procédures engagées à l’encontre
d’Etats étrangers aux fins de l’obtentioréparations financières en vertu de l’Alien Tort Claims (plus de
200 millions de dollars dans certains cas) sont bien connus et n’appellent aucun commentaire. - 37 -

que, jusqu’en1952, cet exercice aboutissait systém atiquement à la réaffirmation du principe de

l’immunité juridictionnelle.

93. Dire que les faits de la vie internationale doivent être appréciés au regard du droit en
vigueur à l’époque où ils sont survenus tient du lieu commun. Il est généralement admis que le
célèbre dictum deMaxHuber, énoncé en 1928 dans l’affaire de l’ Ile de Palmas, formule

correctement la solution juridique: «un acte juridique doit être apprécié à la lumière du droit de
l’époque, et non à celle du droit en vigueur au moment où s’élève ou doit être réglé un différend
relatif à cet acte» 12. En ce qui concerne les traités interna tionaux, la convention de Vienne sur le
58
droit des traités prévoit expressément (art. 24) qu’ils n’ont pas d’effet rétroactif. Il en va de même
des règles générales du droit coutumier. Le prin cipe du non-recours à la force, par exemple,
formulé pour la première fois dans le pacte Br iand-Kellog de1928, réaffi rmé et renforcé par la

Charte des NationsUnies (paragraphe4 de l’article 2) et également cristallisé en règle de droit
coutumier, ne saurait s’appliquer à des opérations militaires antérieures à 1928. De même, avant la
création de l’Organisation des NationsUnies, les dr oits de l’homme existaient en tant qu’idéal
moral et philosophique, mais non en tant que conc ept juridique. Il a de fait été reconnu dans de

nombreuses décisions judiciaires que le droit c outumier ne produisait pas, en principe, d’effet
rétroactif. L’avis consultatif donné par la Cour dans l’affaire du Sahara occidental en est un
exemple édifiant. L’Assemblée générale avait de mandé à la Cour de se prononcer sur la question

de savoir si le Sahara occidental était un territoire sans maître (terra nullius) à l’époque de la
colonisation espagnole, qui débuta en 1884. Selon la Cour, il ne faisait aucun doute que la question
devait «être interprété[e] eu égard au droit en vigueur à l’époque» 128. Dans l’affaire du Droit de

passage, la Cour a, de la même façon, fait observer que :

«la validité d’un traité conclu à une époque aussi lointaine que le dernier quart du

dix-huitième siècle, dans les conditions qui régnaient alors dans la péninsule indienne,
ne doit pas être appréciée sur la base de pratiques et de procédures qui ne se sont
développées depuis lors que graduellement» 129.

On ne saurait réécrire l’histoire pour en redessiner les contours juridiques. Les règles de droit
évoluent avec le temps, mais il est impossible d’appliquer le droit du XXI siècle au XX . Un fait e
aggravant en l’espèce est que les nouvelles règles sur lesquelles la Cour de cassation prétend fonder

les décisions précitées ne sont pas devenues de véritables règles du droit international positif, reflet
d’une pratique générale, mais sont demeurées des constructions de l’activisme judiciaire.

59 94. Il est vrai, par ailleurs, que M. Huber a reconnu que les régimes juridiques ne pouvaient
jamais être pétrifiés et qu’ils étaient susceptibles d’évoluer :

«Le même principe qui soumet un acte créateur de droit au droit en vigueur au
moment où naît le droit, exige que l’exis tence de ce droit, en d’autres termes sa
130
manifestation continue, suive les conditions requises par l’évolution du droit.»

Or cette position renvoie aux effets permanen ts d’une situation créée soit par un traité soit
par la coutume. Elle ne véhicule pas l’idée selon laquelle des effets juridiques produits par le passé

se modifient continuellement au fil du temps. En particulier, les faits internationalement illicites ne

127Arbitrage relatif à l’île de PalmaCour permanente d’arbitrage, sentence du 4avril1928, NationsUnies,
Recueil des sentences arbitrales (RSA), vol.II. [Traduction française: Ch.Rousseau, Revue générale de droit
international public, 1935, t. XLII, p. 180.]
128
Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 38, par. 79.
129
Droit de passage sur territoire indien (Portugal c. Inde), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1960, p. 6, par. 37.
130RSA, vol. II. [Traduction française : Ch. Rousseau, Revue générale de droit international public, 1935, t. XLII,
p. 180.] - 38 -

produisent des effets juridiques qu’au moment où ils sont commis à moins d’avoir un caractère
continu (article 14 des articles de la CDI sur la responsabilité des Etats), ce qui n’est pas le cas en
l’espèce. L’auteur français M.JeanCombacau fait observer à propos des faits internationalement

illicites : «Alors que, dans le fait instantané, le délit s’épuise au moment même où il s’accomplit, la
durée entre en jeu dans toutes les autres figures du délit…» 131

e
Les actes illicites des forces armées du III Reich furent commis entre 1943 et 1945. Depuis
cette époque, aucun nouvel effet dom mageable n’est venu s’ajouter au préjudice causé à l’origine.
Selon certaines opinions convaincantes de la littérature juridique, le principe qui veut que toute

obligation juridique soit interprét ée dans le contexte dans lequel elle s’inscrit ne peut servir à
redessiner les contours d’un rapport juridique établi conformément à la règle tempus regit actum.
Dans un article consacré spécialement à la question du droit intertemporel, Mme le juge

Rosalyn Higgins a indiqué :

«une approche qui se borne à exiger que les traités relatifs aux droits de l’homme, en

raison de leur nature, soie nt interprétés conformément au droit international
contemporain ou aux préceptes de la société, se garde bien d’imposer aux Etats

60 auxquels incombent ces obligations de remettre en question des actes juridiques ou de
verser des indemnités pour s’être autrefois «incorrectement acquittés» de leurs
obligations» 132 [traduction du Greffe].

En termes plus généraux, M. Joe Verhoeven a écrit :

«L’acquis est fait pour l’essentiel de l’ensemble des situations créées ou des

actes accomplis sous l’empire des règles ou des décisions qui étaient en vigueur à
l’époque, peu importe d’ailleurs qu’elles aient par la suite cessé de l’être… Dans cette

mesure, il se comprend que l’acquis représente pour l’essenti133un interdit, plaçant ce
qui s’est passé à l’abri de mises en cause déchirantes.»

95. Les faits internationalement illicites appartiennent au passé. A la différence d’un traité
international, ils ne créent pas de régime dynamique qu’il faut adapter continuellement aux

changements de circonstances. L’ensemble des droits et obligations auxquels les actes ont donné
naissance est déterminé une fois pour toutes. Bien entendu, les règles de procédure permettant de
les faire valoir devant la Cour ou devant toute au tre instance judiciaire internationale peuvent bien

évidemment changer. L’immunité souveraine ne saurait cependant être réduite à une simple règle
de procédure. Elle définit le lien substantiel entre Etats souverains, en garantissant le bon ordre au
sein de la communauté internationale. En partic ulier, l’immunité souveraine empêche les grandes

puissances d’établir des mécanismes hégémoniques qui jouent invariablement en leur faveur.

134
96. Dans son arrêt en l’affaire Altmann v. Austria , rendu en2004, la Cour suprême des
Etats-Unis a jugé que le FSIA pouvait s’appliquer à des affaires antérieures à son adoption. La
procédure avait été engagée par l’héritière d’un co llectionneur d’art autrichien d’origine juive qui,

dans les années qui suivirent l’ Anschluss, fut dépossédé par le régime nazi d’un certain nombre de
célèbres peintures de GustaveKlimt. Dans cette affaire, la Cour suprême a appliqué l’exception
d’expropriation garantie au 3 alinéa du paragraphe a) de l’article 1605 du FSIA, qui lève

131
«L’écoulement du temps», Société française pour le droit international (dir. publ.), Le droit international et le
temps, Paris, 2001, p. 88.
13«Some Observations on the Inter-Temporal Rule in International Law», Theory in International Law at the
st
Threshold of the 21 Century. Essays in honour of Krzysztof Skubiszewski, The Hague et autres, 1996, p. 176.
13«Les conceptions et les implications du temps en dr oit international» dans Le droit international et le temps
(voir note supra n131), p. 22.

13541 U.S., p. 677 (2004). - 39 -

expressément l’immunité pour certains cas de privation des droits de propriété en violation du droit
61
international. L’arr135a été sévèrement critiqué par certains auteurs de la doctrine juridique aux
Etats-Unis mêmes . Quoi qu’il en soit, cette décision ne saurait influer sur le présent différend.

97. Il convient de noter tout d’abord que la Cour suprême des Etats-Unis n’a nullement
rendu son arrêt en se plaçant dans le cadre conceptu el du droit international. Elle s’est intéressée
exclusivement au FSIA, en cherchant à découvrir les intentions de ses auteurs. Dans son arrêt, la
136
Cour suprême a longuement débattu d’une affaire antérieure ⎯ l’affaire Landgraf ⎯ qui avait
posé les principes généraux de l’application rétroactiv e du droit interne. On ne trouve nulle part la
plus infime allusion indiquant que la Cour suprême était consciente de la portée de l’affaire en droit

international. Les juges, dans leur majorité, se souciaient uniqueme nt de rechercher des éléments
tendant à démontrer que l’intention du Congrès était de rendre le FSIA applicable aux
«comportement[s] antérieur[s] à l’adoption de la loi» [traduction du Greffe]. On serait donc tenté

d’affirmer que le centre de gravité de l’affaire a échappé à la Cour suprême.

98. En réalité, l’approche de la Cour suprême des Etats-Unis repose sur le principe selon

lequel les règles régissant l’immunité souveraine ne font pas partie intégrante du droit international
et sont laissées à la libre appréciation de chaque Etat. Selon cette approche, les Etats sont libres de
définir la portée de l’immunité souveraine de la manière qu’ils jugent opportune. Dans l’arrêt

Altmann, le juge Stevens a rappelé, en l’approuvant, la déclaration faite par le juge Marshall dans
l’affaire The Schooner Exchange, selon laquelle «l’immunité souveraine des Etats étrangers est une
question d’obligeance et de courtoisie plutôt qu’une obligation constitutionnelle» [traduction du

Greffe]. Cette déclaration reflète sans le moindr e doute l’opinion selon laquelle l’immunité des
Etats n’est soumise à aucune contrainte découl ant du droit international. Dans l’affaire Altmann ,
les juges ont retenu en substance cette opinion, même s’ils l’ont formulée autrement :

62 «Toutefois, l’objectif principal de l’imm unité de juridiction des Etats étrangers
n’a jamais été de permettre à ces Etats ou à leurs agents d’aligner leur comportement
sur la promesse d’une immunité de poursuites devant la justice des Etats-Unis. Cette

immunité reflète plutôt les réalités et relations politiques du moment et vise à offrir
aux Etats étrangers et à leurs agents, en si gne de courtoisie, un rempart de protection
contre les désagréments d’un procès.» 137 [Traduction du Greffe.]

Il y a évidemment lieu de respecter la dé cision de la Cour suprême des Etats-Unis.
Néanmoins, la position juridique qu’elle défend est éloignée des réalités du droit international.
Hors des Etats-Unis, l’immunité souveraine a toujours été considérée comme un principe du droit

international. Il est inutile d’y revenir longue ment. Par exemple, la récente convention des
NationsUnies sur les immunités juridictionnelles d es Etats et de leurs biens fournit une preuve
tangible de l’opinion dominante selon laquelle l’i mmunité souveraine constitue bel et bien l’un des

pivots des relations mutuelles entr e Etats. Les nombreux éléments que l’on peut trouver dans les
documents rassemblés tout d’abord par les deux rapporteurs spéciaux de la Commission du droit
international, puis intégrés dans le commentaire of ficiel de la CDI elle-même, qui reflètent la

135
Marla Goodman, «The Destruction of International Noti ons of Power and Sovereignty: the Supreme Court’s
Misguided Application of Retroactivity Doctrinto the Foreign Sovereign Immunities Act in Republic of Austria
v. Altmann», 2005, The Georgetown Law Journal n 93, p. 1117 et suiv . ; Carlos M. Vázquez, « Altmann v. Austria and
the Retroactivity of the Foreign Sovereign Immunities ActJournal of Internati onal Criminal Justice , vol.3, 2005,
p. 207 et suiv.
136
Landgraf v. USI Film Products, 511 U.S., p. 244 (1994).
137Ibid., sect. IV. - 40 -

pratique judiciaire de nombreux Etats du monde, sont éloquents 138. Lord Millet, dans l’arrêt rendu

en l’affaire Holland v. Lampen-Wolfe, a ainsi résumé l’importance de l’immunité souveraine :

«Comme je l’ai expliqué, l’immunité souveraine est une création du droit
international coutumier et découle de l’éga lité des Etats souverains. Il ne s’agit pas

d’une restriction imposée par le Royaume-Uni lui-même à la compétence de ses
tribunaux. Il s’agit d’une limitation impo sée de l’extérieur à la souveraineté du
Royaume-Uni.» 139 [Traduction du Greffe.]

99. Puisque, dans l’affaire Altmann, l’arrêt est fondé sur l’opinion erronée que les Etats
peuvent traiter les procès contre des Etats étrange rs devant leurs tribunaux selon leur bon vouloir,

dans les limites exigées par la seule «courtoisie», il ne saurait servir, en l’espèce, de précédent utile.
La décision rendue par la Cour s uprême ne peut servir à démontrer que la Cour de cassation avait
raison d’appliquer la doctrine de l’inopposabilité de l’immunité souveraine en cas de violations

graves des droits de l’homme ⎯une doctrine inventée de toutes pièces ⎯ à des événements
63 remontant à la seconde guerre mondiale. Manifest ement, la Cour suprême s’est écartée du courant
dominant du droit international.

100. En outre, même si l’on considère que l’affaire Altmann crée un précédent juridique, il y
a lieu de tenir compte de ses limites ratione materiae. La Cour suprême n’a pas rendu une décision
de portée générale relative à l’applicabilité ratione temporis du FSIA. Dans le différend opposant

Mme Altmann à l’Autriche, il n’était question que de la saisie illégale d’Œuvres d’art, ayant porté
atteinte, aux yeux de la cour, aux principes des droits de l’homme ou du droit international
humanitaire. On ne saurait déduire de l’arrêt Altmann que toutes les clauses du FSIA peuvent

s’appliquer rétroactivement de la même manière. Chacune des clauses d’exception de la loi doit
être appréciée au cas par cas. En particulier, le recours rétroactif à une clause territoriale pourrait
donner lieu à de graves troubles entre les Etats concernés.

101. Enfin, il reste que le FSIA n’écarte pas l’immunité en cas de demande fondée sur un
dommage subi pendant un conflit armé. La question des conflits armés ne figure pas dans cette loi,

qui a été adoptée pour régir les relations entre Etat s en temps de paix. Aucune de ses dispositions
n’excède cet objet. Le conflit armé es t totalement extérieur à la portée ratione materiae de la loi.
Par conséquent, les tribunaux américains n’accueilleraient jamais une acti on en réparation pour un
dommage subi au cours d’un conflit armé. Il a été démontré plus haut que, à compter de 1945, la

politique des Etats-Unis a consisté à régler la qu estion de le responsabilité de l’Allemagne pour les
dommages causés par les politiques d’agression du III Reich au niveau intergouvernemental.
L’accord de Postdam entre les quatre puissances a lliées victorieuses constitue l’expression la plus

tangible de cette approche théorique de la ques tion des dommages de guerre. Il a également été
démontré que les Etats-Unis ont adopté la même ligne de conduite à l’égard du Japon. Il va de soi
que ce choix politique fondamental a reçu l’aval de toutes les nations ayant entériné l’accord de
Postdam en tant qu’instrument essentiel du règlement des dettes de guerre de l’Allemagne; ce

choix peut par conséquent être retenu contre eux.

102. Pour conclure sur le caractère rétroactif de la jurisprudence établie par la Cour de
64
cassation, la partie demanderesse souligne une fois encore que le fait de lui refuser rétroactivement
l’immunité souveraine constitue une violation grave de la souvera ineté de l’Allemagne, dont la
République italienne doit assumer l’entière responsabilité.

138
Voir CDI, rapport sur les travaux de sa trente-deuxième session, Annuaire de la CDI1980 , vol.II,
deuxième partie, p. 139-153.
139
Weekly Law Reports (WLR), 2000, vol. 1, p. 1588. - 41 -

8. Protection contre les mesures de contrainte

103. Dans les pages précédentes, la par tie demanderesse a mis l’accent sur l’immunité
souveraine en tant que moyen pour un Etat d’év iter de se retrouver, contre son gré, dans une

procédure judiciaire devant les tribunaux d’un Etat étranger. L’immunité à l’égard des mesures de
contrainte constitue un volet complé mentaire de l’immunité de juri diction, plus important encore
que l’immunité vis-à-vis des poursuites judiciaires. En principe, les biens d’un Etat, même s’ils
sont situés sur le territoire d’un autre Etat, ne peuvent être ni confisqués ni saisis. Le défendeur a

également violé cette règle au détriment du demandeur lorsqu’il a inscrit au cadastre une
«hypothèque judiciaire» sur la Villa Vigoni pour la somme de 25000euros, conformément au
jugement prononcé par le tribunal régi onal grec de Livadia en l’affaire Distomo, ultérieurement
140
confirmé par l’Areios Pagos .

104. La convention des NationsUnies sur les immunités juridictionnelles des Etats et de

leurs biens a récemment codifié les règles existant en droit international gé néral. L’article19 de
cette convention dispose qu’«aucune mesure de contrainte postérieure au jugement … ne peut être
prise contre des biens d’un Etat en relation av ec une procédure intentée devant un tribunal d’un

autre Etat…»

Plusieurs exceptions viennent modifier la règl e principale. Aucune d’ elles n’a cependant la

moindre pertinence pour la présente affaire. L’ Allemagne n’a pas consenti à ce que l’hypothèque
judiciaire soit inscrite au cadastre (art. 19 a)). Elle a, au contraire, introduit des recours juridiques
qui sont toujours pendants, dans l’attente d’un rè glement final. Deuxièmement, il est évident que
l’Allemagne n’a ni réservé ni affecté la Villa Vi goni à la satisfaction de la demande grecque en

65 l’affaire Distomo (art.19 b)). Enfin, il reste que cette villa n’est pas utilisée «autrement qu’à des
fins de service public non commerciales» (art. 19 c)). Ce point fera l’objet d’une explication plus
détaillée dans une autre partie du présent mémoire.

105. Comme il a été indiqué plus haut (par.39), la VillaVigoni est un centre d’échanges
culturels entre l’Allemagne et l’ Italie, qui n’est pas utilisé à des fins commerciales. L’accord

intergouvernemental, signé en1986, prévoit expressé ment que la VillaVigoni servira de lieu de
dialogue et d’échanges culturels 141. Des dizaines de colloques et de symposiums y sont organisés
chaque année dans un environnement qui favorise les débats d’idées en toute sérénité. Ainsi, la

VillaVigoni est considérée par l’Allemagne comme un instrument important de sa politique
culturelle étrangère, comme le confirment les subve ntions que lui verse régulièrement le ministère
allemand de l’éducation et de la recherche. Par conséquent, même si l’on considère que la

convention des NationsUnies de 2004 impose trop de conditions à l’application de mesures de
contrainte en introduisant la mention «autrement qu’à des fins de service public non
commerciales» 142, force est de conclure que la fonction pa rticulière assignée à la Villa Vigoni est,

en tout état de cause, une véritable fonction de service public exercée sur le sol italien avec le
consentement sans réserve du Gouvernement italien.

106. D’ailleurs, aux yeux de l’It alie, la Villa Vigoni joue un rôle tout aussi central dans ses
échanges culturels avec l’Allemagne. Par conséquent, le Gouvernement italien lui-même s’est très
logiquement opposé à l’inscription de l’hypothèque judiciaire au cadastre. Il reste, cependant, que

140
Voir, plus haut, par. 39 et 40.
141
Le paragraphe 1 de l’article 2 de l’échange de es (annexe24) dispose: «L’association encouragera les
relations germano-italiennes dans les domaines de la science, de l’éducation et de la culture, y compris leurs liens avec la
vie économique, sociale et politique, au moyen de séjours d’ét udes, de colloques, de réunions de table ronde, de cours
d’été et de manifestations artistiques à la Villa Vigoni.»
142Pour le commentaire de la CDI, voir Annuaire de la CDI 1991, vol. II, deuxième partie, p. 59. - 42 -

les autorités compétentes en charge de l’ad ministration dudit cadastre n’ont pas respecté
l’immunité souveraine de l’Allemagne. Il faut espérer que, pendant le déroulement de la procédure

devant la Cour internationale de Justice, cette atteinte particulière à la souveraineté allemande sera
effacée par une décision des tribunaux italiens co mpétents accordant à l’Allemagne le remède
qu’elle a demandé.

66 107. Les tentatives des créanci ers poursuivants en l’affaire Distomo d’obtenir une
ordonnance de saisie-arrêt qui obligerait le tiers sais i, à savoir les Ferrovie dello Stato, à leur payer

ce qu’il doit à la Deutsche BahnAG, sont jusqu’à présent restées vaines. Toutefois, la mise en
Œuvre de procédures d’exécution forcée dans lesquelles une personne morale distincte, la
Deutsche Bahn AG, deviendrait la cible de mesures de contrainte montre à quel point les relations
entre l’Allemagne et l’Italie pourraient pâtir du non-respect de l’immunité souveraine des Etats.

9. La convention des NationsUnies sur les i mmunités juridictionnelles des Etats et de leurs
biens

108. Enfin, il convient de noter que la liste des exceptions à l’immunité figurant dans la
convention des NationsUnies de2004 sur les imm unités juridictionnelles des Etats et de leurs
biens n’a pas été complétée par une clause permet tant à une personne physique d’intenter une

action contre des Etats étrangers dans le cas où elle aurait été victime de graves violations des
droits de l’homme. Il ne s’agit pas d’un oubli. La CDI a examiné la question. En1999, elle a
même mis en place un groupe de travail chargé d’examiner s’il convenait de prévoir cette
dérogation supplémentaire au principe de l’imm unité. Le groupe de travail a noté que certaines

institutions judiciaires de première instan ce avaient accueilli avec bienveillance des demandes
pouvant être fondées sur les règles du jus cogens. Finalement, ses délibérations n’ont guère été
concluantes. Il n’a pas été décidé de reviser le projet d’articles existant 143. Le résumé des

délibérations a même été relégué dans un «appendice» du rapport. Comment interpréter ce manque
d’enthousiasme sinon comme un rejet des nouvelles pr opositions? Il est difficile de comprendre
comment il est possible de soutenir, contre l’opinion de l’organe juridique consultatif le plus
qualifié au monde, que l’immunité souveraine s’est affaiblie en pareils cas.

67 109. Une autre question mérite cependant d’être examinée attentivement. Le texte même de
la convention ne contient aucune référence aux activités des forces armées des Etats, à la différence

de la convention européenne de 1972 qui, en son article 31, maintient catégoriquement l’immunité
souveraine dans de tels cas. Un groupe de tr avail à composition non limitée a été constitué au sein
de la SixièmeCommission de l’Assemblée générale afin d’examiner la convention en vue de son

adoption définitive. En fait, le projet était devant l’Assemblée générale depuis 1991, lorsqu’il a été
approuvé par la CDI en seconde lecture. L’une d es questions sur lesquelles s’est penché le groupe
de travail était celle de la responsabilité judiciaire des Etats pour les activités de leurs forces armées
à l’étranger, sur le territoire d’autres Etats. Afin d’écarter toute interprétation erronée de la clause

territoriale (art.12), des suggestions avaient été faites qui visaient à en clarifier le sens. Aucun
accord n’a été trouvé pour amender officiellement le texte. Toutefois, le président autrichien du
comité spécial sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens, M. Gerhard Hafner, a
été autorisé à faire une déclaration lorsqu’il a présenté le rapport du comité devant l’Assemblée
144
générale le 25 octobre 2004 . Dans sa déclaration, il a très clairement expliqué que les opérations
militaires en sol étranger n’entraien t pas dans le champ d’application ratione materiae de

143
Rapport du groupe de travail sur les immunités juridicti onnelles des Etats et de leurs biens, annexe au rapport
de la CDI sur les travaux desa cinquante et unièmesession,Annuaire de la CDI 1999, vol.II, deuxième partie,
appendice, p. 180.
144
Voir Nations Unies, doc. A/C.6/59/SR.13, par. 36. - 43 -

l’article12: «Se pose la question de savoir si la convention couvre les activités militaires. Il a
toujours été entendu que les activités militaires n’entreraient pas dans le champ de la convention.»

110. Il est exact que, pour interpréter un traité international, il faut tout d’abord préciser le
sens du texte. Si la déclaration que nous venons de mentionner n’a pas été intégrée dans le texte de
la convention de2004, il y a néanmoins été expr essément fait référence au dernier alinéa du

préambule de la résolution59/38 par laquelle l’Assemblée générale a adopté la convention:
«Prenant en considération la déclaration faite par le président du comité spécial lorsqu’il a présenté
68 le rapport du comité.» Il s’agit donc d’un instrument important au sens de l’alinéa b) du
paragraphe 2 de l’article 31 de la convention de Vienne sur le droit des traités, qu’il faut prendre en

compte en conséquence. Il peut y avoir des do utes concernant les contours exacts de la clause
territoriale, et certaines incertitudes sont effectiement apparues. La déclaration de M.Hafner
permet d’écarter toute interprétation extensive de l’article 12.

111. En fait, lorsque la Norvège a ratifié la convention, le 27mars2006, elle a fait la
déclaration interprétative suivante ⎯il ne s’agit pas d’une réserve! ⎯ en accord avec
l’interprétation exposée publiquement par M. Hafner :

«Rappelant notamment la résolution59 /38 adoptée par l’Assemblée générale
des NationsUnies le 2décembre2004, dans laquelle l’Assemblée a pris en
considération la déclaration faite le 25 octobre 2004 par le président du comité spécial
sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens lorsqu’il a présenté le

rapport du comité, la Norvège entend par la pr ésente que la convention ne s’applique
pas aux activités militaires, y compris les activités des forces armées pendant un
conflit armé, selon la définition donnée à ce s termes en vertu du droit international
humanitaire, et les activités entreprises par les forces militaires d’un Etat dans

l’exercice de leurs fonctions officielles. Ces activités restent soumises aux autres
normes de droit international.»

Cette déclaration met en évidence tant la pratique internationale que l’opinio juris selon lesquelles,

s’agissant d’activités militaires, les Etats continuent de bénéficier d’une immunité absolue.

10. Implications générales de la théorie développée par la Cour de cassation

69 112. La théorie adoptée et défendue par la Cour de cassation pourrait avoir des répercussions
profondes sur de nombreux domaines du droit internati onal. En particulier, toute l’histoire de la
réparation des dommages de la seconde guerre mondiale serait à réécrire. Chacune des dispositions
des textes applicables devrait être dûment examinée. Selon la Cour de cassation, toutes les clauses

de renonciation, censées mettre un terme aux procé dures contentieuses une fois que des solutions
de compromis globales satisfaisantes ont été tr ouvées au niveau intergouvernemental, seraient
vidées de leur sens. Rien ne pourrait empêcher la victime d’un préjudice ou, comme le montre
l’expérience des procédures en cours en Italie, l’un de ses héritiers, d’engager une procédure à titre

individuel. Ainsi, un deuxième front de réparation pour dommages de guerre serait ouvert, les pays
débiteurs, non seulement l’Allemagne mais aussi l’Italie, par exemple, étant sommés une deuxième
fois de répondre de leurs actes.

113. Si l’on part du principe, comme le fait la Cour de cassation que ces demandes se
fondent sur des violations du jus cogens, les puissances alliées elles-mêmes ne seraient pas à l’abri
d’une procédure judiciaire. L’Allemagne ne s ouhaite pas relancer un dé bat qui a duré plusieurs

dizaines d’années. Elle est fermement convaincue que la seconde guerre mondiale ⎯ qui restera à
tout jamais gravée dans nos mémoires pour nous rappeler que certaines menaces politiques doivent - 44 -

être d’emblée combattues avec force ⎯ appartient désormais au passé en ce sens qu’elle ne peut

plus avoir de conséquences juridiques. L’Alle magne a fait de son mieux pour réparer ce qui
pouvait l’être dans les limites de ses capacités. Le traité de1990 portant règlement définitif
concernant l’Allemagne 145a résolu une fois pour toutes la ques tion des réparations. Le climat de

paix et de bon voisinage qui prévaut en Europe de puis cette époque ne devrait pas être perturbé par
des décisions judiciaires qui font totalement abstraction du contexte plus large dans lequel
s’inscrivent les demandes soumises à la justice.

70 114. La théorie adoptée par la Cour de cassation hypothèque également l’avenir. Des traités
de paix de portée générale sont une nécessité stru cturelle dans les relations internationales. De
nombreuses situations sont extrêmement complexes. Les experts eux-mêmes ne sont pas toujours

capables de dire avec autorité et fermeté ce qui s’est réellement passé, qui a tiré le premier et qui,
par exemple, porte la responsabilité d’un massacre une fois qu’il a été commis. Les situations
historiques sont rarement aussi simples et claires que sous le régime nazi. J’en veux pour exemple

le cas suivant: dans un futur traité de paix entr e Israël et la Palestine, une clause de renonciation
complète sera également nécessaire. Après la conclusion d’un tel traité, personne ne devrait
pouvoir compromettre le fragile équilibre ainsi obten u en intentant une action en réparation devant
la justice de son pays. Selon la théorie de la Cour de cassation, même les résolutions du Conseil de

sécurité pourraient être remises en cause au motif que des violations de droits de l’homme, tels que
l’accès à un tribunal, ont été commises; rien ne s’ opposerait à ce que des actions individuelles
soient intentées contre les Etats faisant l’objet de telles accusations. En effet, dans les arrêts rendus
146
récemment dans les affaires Yusuf et Kadi , le tribunal de première instance des Communautés
européennes a conclu que les résolutions du Conseil de sécurité devaient respecter le jus cogens.
En conséquence, toute solution juridique permettant de rétablir la paix au lendemain d’un conflit

pourrait être bloquée dès lors qu’un règlement de pa ix exigerait des sacrifices de la part de la
population concernée ou, du moins, risquerait d’ être compromise par des actions individuelles
tirant habilement parti de l’argument du jus cogens

11. La pratique judiciaire

115. Nombreuses sont les affaires que l’on peut citer dans lesquelles la théorie développée

par la Cour de cassation a été infirmée par le s tribunaux. La thèse selon laquelle les Etats
responsables de graves violations des droits de l’ homme ne peuvent plus invoquer leur immunité
souveraine n’a pas été suivie. En particulier, dans les affaires portant sur les activités de forces

militaires, les plus hautes juridictions, tant au niv eau européen qu’au niveau national, ont refusé de
se déclarer compétentes. De fait, la Cour de cassation a pris note de cette jurisprudence, mais elle a
71 fondé l’arrêt Ferrini, comme toutes ses décisions ultérieures, sur les opinions minoritaires
exprimées dans certains arrêts, sans tenir compte des opinions majoritaires. La cour le reconnaît

ouvertement: elle souhaite contri buer au développement du droit existant. Comme nous l’avons
démontré dans les pages précédent es, cette tentative est une position à courte vue car elle ne tient
pas compte de la complexité de la question du rè glement des réclamations nées de la guerre. Il

faudrait également rappeler que dans l’ordre mis en place par la communauté internationale, il
n’appartient pas aux juridictions nationales de déve lopper le droit. Les organes judiciaires peuvent
adopter les vues et les pratiques couramment admi ses à mesure qu’elles évoluent avec le temps.
Mais toute tentative d’évolution doit bénéficier d’un vaste soutien politique. Les tribunaux n’ont

pas pour mission de faire avancer des idées réformist es. A cet égard, la Cour de cassation avance
sur un terrain mouvant. Sa jurisprudence n’est étayée par aucune base solide, au-delà des frontières
italiennes.

145
o Conclu le 12 septembre 1990, ILM (1990), vol.5, p.1187 [Traduction fran çaise publié au Journal officiel,
JORF n 99, 26 avril 1991, p. 5636].
146
Arrêts T-306/01 et T-315/01, 21 septembre 2005. - 45 -

116. En novembre2001, la CEDH a été appe lée à se prononcer à deux reprises sur des
requêtes relatives à la violation du droit d’accès à un tribunal prévu à l’article6 de la convention
européenne des droits de l’homme. Dans les deux cas, les requérants avaient été déboutés pour des

raisons de procédure par l147juridictions intern es qu’i148avaient saisies. Dans les affaires
McElhinney c. Irlande et Al-Adsani c. Royaume-Uni , le défendeur était un Etat étranger.
Nous avons déjà expliqué plus haut (par.73) que l’affaire McElhinney concernait un incident

survenu à un poste de contrôle à la frontière entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande. Un
soldat britannique en faction au poste de contrôle avait été traîné malgré lui sur le câble de la
remorque d’un véhicule conduit par un Irlandais jusqu’en territoire irlandais, où il aurait agi sous le

coup de l’émotion après avoir craint pour sa vie. Le requérant, qui conduisait le véhicule en cause,
a essayé en vain d’obtenir des tribunaux irlandais qu’ils se prononcent sur l’incident. La Cour
suprême irlandaise a estimé qu’elle ne pouvait connaître d’une action intentée contre le

Royaume-Uni, le soldat ayant agi jure imperii dans l’exercice de ses fonctions. Dans l’affaire
Al-Adsani, le requérant, qui avait la double nationalité britannique et koweïtienne, affirmait avoir
72 subi des actes de torture alors qu’il se trouvait au Koweït. A son retour au Royaume-Uni,

M. Al-Adsani avait essayé d’intenter une action contre l’Etat du Koweït. En vain. Sa requête avait
été jugée irrecevable.

117. Les deux arrêts ont été prononcés le même jour et contiennent un certain nombre de
passages identiques portant exactement sur les questions qui nous intéressent en l’espèce. Pour

commencer, la CEDH a déclaré ce qui suit :

«L’immunité des Etats souverains est un concept de droit international, issu du
principe par in parem non habet imperium , en vertu duquel un Etat ne peut être

soumis à la juridiction d’un autre Etat. La Cour estime que l’octroi de l’immunité
souveraine à un Etat dans une procédure ci vile poursuit le but légitime d’observer le
droit international afin de favoriser la c ourtoisie et les bonnes relations entre Etats
149
grâce au respect de la souveraineté d’un autre Etat.»

La CEDH a ainsi reconnu l’immunité de juridiction souveraine comme une règle générale du

droit international actuellement applicable. Apr ès avoir affirmé que le droit d’accès à un tribunal,
consacré par l’article 6 de la convention européenne des droits de l’homme, ne saurait s’interpréter
dans le vide, mais devait au contraire être interprété de manière à se concilier avec le droit

international, elle a poursuivi :

«On ne peut dès lors de façon géné rale considérer comme une restriction

disproportionnée au droit d’accès à un tribunal tel que le consacre le paragraphe 1 de
l’article 6 des mesures prises par une Haute Partie contractante qui reflètent des règles
de droit international généra lement reconnues en matière d’ immunité des Etats. De

même que le droit d’accès à un tribunal est inhérent à la garantie d’un procès équitable
accordée par cet article, de même certaines restrictions à l’accès doivent être tenues
pour lui être inhérentes; on en trouve un ex emple dans les limitations généralement

admises par la communauté des nations comme relevant de la doctrine de l’immunité
des Etats.» 150

147Requête n 31253/96, 21 novembre 2001.
148 o
Requête n 35763/97, 21 novembre 2001.
149 Al-Adsani c.Royaume-Uni, 21 novembre 2001, requête n 35763/97, par. 54 ; McElhinney c.Irlande,
o
21 novembre 2001, requête n 31253/96, par. 35.
150Ibid., par. 56 ; ibid., par. 37. - 46 -

118. Après ces passages communs, qui confirmaient le caractère contraignant du principe de
l’immunité souveraine, les deux arrêts ont suivi des cheminements différents. Dans l’affaire

Al-Adsani, l’accent a été mis sur les mauvais traitements qui constituaient des actes de torture et sur
toutes leurs conséquences, alors que dans celle de McElhinney, ce sont le sens et la portée de la
clause de l’exception territoriale qui ont été examinés.

73 119. En réalité, dans l’affaire Al-Adsani, le requérant avait essayé de s’appuyer sur
l’interdiction de la torture considérée comme une règle impérative du droit international . Il avait

fait valoir que, dans ces circonstances, l’argument de l’immunité souveraine ne tenait pas. La
CEDH n’était pas de cet avis :

«Nonobstant le caractère particulier que le droit international reconnaît à la

prohibition de la torture, la Cour n’aperçoit dans les instruments internationaux, les
décisions judiciaires ou les autres documents en sa possession aucun élément solide lui
permettant de conclure qu’en droit internati onal un Etat ne jouit plus de l’immunité
d’une action civile devant les cours et tri bunaux d’un autre Etat devant lesquels sont
151
formulées des allégations de torture.»

Par ailleurs, dans l’affaire McElhinney , la CEDH a souligné que les activités militaires
étaient de toute façon couvertes par l’immunité so uveraine, de sorte que toute action contre les

forces armées d’un Etat devait être rejetée sans être examinée au fond :

«Se fondant sur les éléments dont elle dispose … la Cour observe qu’il semble
exister en droit international et comparé une tendance à limiter l’immunité des Etats

en cas de dommages corporels dus à un acte ou une omission survenus dans l’Etat du
for, mais que cette pratique n’est nulleme nt universelle. Les textes mentionnés au
paragraphe19 ci-dessus montrent en out re que cette tendance paraît concerner

essentiellement les dommages corporels «assurables», c’est-à-dire ceux causés par des
accidents de la circulation ordinaires, et non des problèmes releva nt de la sphère
centrale de souveraineté des Et ats, tels que les actes d’un soldat sur le territoire d’un
Etat étranger; ceux-ci peuvent, par nature, soulever des questions sensibles touchant

aux relations diplomatiques entre Etats et à la sécurité nationale. On ne peut
assurément pas dire que l’Irlande soit seule à estimer que l’immunité s’applique en cas
d’actions pour des dommages ainsi causés par des acta jure imperii ou, qu’en

accordant cette immunité, elle se démarque de normes internationales actuellement
admises. La Cour, qui partage la position de la Cour suprême en l’occurrence (par. 15
ci-dessus), n’estime pas possible, dans l’état actuel du droit international, de conclure
que le droit irlandais se heurte aux principes de celui-ci.»152

La jurisprudence de la CEDH n’a pas changé depuis que ces deux arrêts ont été prononcés.
La cour continue d’appliquer la théorie selon laquelle, à l’exception des activités commerciales ou
actes jure gestionis, un Etat jouit de l’immunité de juridi ction devant les cours et tribunaux d’un

74 autre Etat. Dans l’affaire Kalogeropoulou et autres c. Grèce et Allemagne , l’action intentée contre
la Grèce à la suite du refus implicite du ministère de la justice de ce pays d’autoriser l’exécution de
la décision du tribunal régional de Livadia contre l’Allemagne avait été rejetée au motif qu’elle

était manifestement mal fondée. La CEDH a i nvoqué exactement les mêmes motifs que dans les
affaires Al-Adsani et McElhinney.

120. Il est vrai que la décision dans l’affaire Al-Adsani a été adoptée à une faible majorité.
Neufjuges y ont souscrit alors que huit ont formulé des opinions dissidentes. Toutefois, la

15Al-Adsani, par. 61.
152
McElhinney, par. 38. - 47 -

principale opinion dissidente, commune aux juges Rozakis et Caflisch, et à laquelle se sont ralliés
quatre autres juges, n’est guère convaincante. La majorité et la minorité ne se sont pas opposées

sur l’interdiction de la torture en tant que norme de jus cogens. Leurs vues ont divergé sur les
conséquences juridiques d’une violation effective de cette interdiction. Les six juges ont fait valoir
l’argument suivant (par. 3) :

«[s]i l’on admet que la prohibiti on de la torture a valeur de jus cogens, un Etat qui
l’aurait enfreinte ne peut exciper de règl es de rang inférieur (en l’occurrence, celles
relatives à l’immunité des Etats) pour se s oustraire aux conséquences de l’illégalité de
ses actions… La norme de jus cogens prohibant la torture et les règles en matière

d’immunité des Etats étant imbriquées, l’obstacle procédural que représente
l’immunité des Etats se trouve automatique ment écarté parce que, du fait qu’elles se
heurtent à une norme de rang plus élevé, ces règles-ci ne déploient aucun effet
juridique.»

Logique en apparence, ce raisonnement est fondamentalement vicié. La norme de jus cogens
repose sur le principe fondamental selon lequel la torture constitue un crime grave en droit
international. De fait, tout acte national qui en couragerait, favoriserait ou légitimerait la torture

serait contraire à l’interdiction de la torture. Cependant, appliquer le principe coutumier de
l’immunité de juridiction, autrement dit, empêch er une victime de saisir les tribunaux de son pays
contre un Etat auteur d’un crime n’est en aucun cas une forme de complicité. Un Etat qui refuse
l’accès à ses cours et tribunaux en pareilles circonsta nces applique simplement une règle de droit

international. Il souhaite maintenir le bon ordre dans ses relations internationales, étant convaincu
que les actions individuelles ne sont pas le meilleur moyen de régler de tels différends. En aucun
cas un tel refus ne saurait être assimilé à une violation de l’interdiction de la torture. Dans l’affaire
Al-Adsani, la minorité a simplement négligé de faire la distinction entre la règle primaire

75 fondamentale et les règles secondaires qui entrent en jeu une fois qu’une violation a été commise.
La nécessité de faire cette distinction a déjà été soulignée plus haut dans le présent mémoire.

121. La position de l’Allemagne est étayée par d’éminents spécialistes du droit. Il suffit de
citer une publication récente, qui a couronné quatre années de travail du Committee on
International Human Rights Law and Practice de l’ Association de droit international (ADI).
L’auteur y examine la doctrine Ferrini de la Cour de cassation 153, en accueillant avec bienveillance

les nouvelles méthodes de raisonnement développées en droit international. Il conclut néanmoins
que cette théorie ne tient pas. Commentan t l’opinion de la minorité dans l’affaire Al-Adsani , il
écrit :

«En dépit de son apparente rigueur logique, cet argument est toutefois
gravement vicié puisque la prétendue exis tence d’un conflit normatif ou d’un ordre
hiérarchique entre les droits de l’homme et l’immunité des Etats ne peut être
démontrée… Il pourrait y avoir collision entre les normes si l’interdiction de la torture

(ou toute autre norme impérative) faisait obligation d’établir une compétence à l’égard
des Etats étrangers ou de leurs représentants afin que les victimes se voient accorder
réparation. En l’état actuel du droit international, seules des circonstances

exceptionnelles créent une telle obligation géné rale d’établir une compétence pénale
ou civile afin d’offrir des recours judi ciaires en cas de violation des droits
fondamentaux ayant le caractère de jus cogens (compétence universelle
obligatoire)…En droit coutumier interna tional, il n’existe pas de règle rendant

153
Thilo Rensmann, «Impact on the Immunity of States and their Officials» in The impact of Human Rights Law
on General International Law, Oxford, 2009, p. 151-170, annexe 36. - 48 -

obligatoire la juridiction universelle pour ce qui est des actions pénales ou des actions
154
en réparation.» [Traduction du Greffe.]

122. Il semble donc justifié de conclure que la Cour de cassation s’est écartée d’une norme

européenne commune. Il convient de relever, à cet égard, que la décision de la CEDH dans
l’affaire Kalogeropoulou a été adoptée à l’unanimité. Aucun d es juges n’a estimé que le refus du
ministre grec de la justice d’autoriser l’applica tion de mesures de contrainte contre l’Allemagne

constituait une violation de l’artic le6 de la convention europée nne des droits de l’homme, qui
garantit l’accès à un tribunal. La CEDH a donc affirmé clairement que la règle de l’immunité
souveraine ne pouvait être mise en échec par une garantie visant à protéger les droits de l’homme.

76 123. L’arrêt rendu le 30juin2004 par la cour d’appel de l’Ontario en l’affaire Bouzari
c. Iran155 se distingue également par la rigueur de son examen des conséquences procédurales de la

perpétration d’actes de torture. Dans cette affa ire, un Iranien, qui était un immigrant ayant obtenu
le droit d’établissement au Canada («landed immi grant»), avait cherché à poursuivre son pays
d’origine pour des actes de torture qu’il avait subis alors qu’il y résidait encore. L’un de ses

principaux arguments était que tout Etat est tenu de garantir aux victimes d’actes de torture le droit
d’intenter une action civile indépendamment du lie u où a été commis le crime, même en dehors de
l’Etat du for. La cour d’appel de l’Ontario ne partageait pas ce point de vue. Avec la plus grande

prudence, elle a examiné les arguments du requérant , qui ne l’ont pas convaincue. En résumant sa
position, la cour a fait sienne la déclaration suiv ante, prononcée en première instance par la Cour
supérieure de justice de l’Ontario :

«En matière d’immunité souveraine, il ressort des décisions des juridictions
nationales et internationales et de la législation des Etats qu’il n’existe pas, en droit
international coutumier, de principe prévoyant une exception à cette immunité pour

des actes de torture commis en dehors de l’Etat du for, même si ces actes sont
contraires au jus cogens. En fait, la pratique des Etats, telle qu’elle transparaît dans les
sources susmentionnées et d’autres, porte à conclure à l’existence d’une règle de droit

international coutumier qui garantit l156munité des Etats pour des actes de torture
commis en dehors de l’Etat du for.» [Traduction du Greffe.]

Pour ce motif, le recours a été rejeté. La Cour suprême du Canada a refusé l’autorisation

d’interjeter appel.

124. Au Royaume-Uni, la Cham157 des lords a également été appelée à statuer sur cette
question. Dans l’affaire Jones , qui ressemble beaucoup à l’affaire canadienne Bouzari, la
chambre haute devait déterminer si une personne qui déclarait avoi r subi en Arabie saoudite des
actes de torture «graves, systématiques et trau matisants» en Arabie saoudite pouvait introduire une

action contre le Royaume d’Arabie saoudite de vant les tribunaux britanniques. Après avoir
77 soigneusement examiné chacun des arguments du requé rant, les juges ont conclu à l’unanimité que
la justice britannique n’était pas compétente, tant sur la base de la loi nationale [de 1978] que du

droit international général. Les juges ont pu, en particulier, évaluer les motifs avancés par la Cour
de cassation dans l’arrêt Ferrini. Nous pouvons dire que leur évaluation était moins que favorable.
Selon lord Bingham of Cornhill, (par. 22)

154Ibid., p. 166-167.

155ILR, vol. 128, p. 586.
156
Ibid., par. 88.
157Jones v. Ministry of Interior Al-Mamlaka Al-Arabiya AS Saudiya (Royaume d’Arabie saoudite) , 14 juin 2006,
ILR, vol. 129, p. 713. - 49 -

«L’arrêt Ferrini ne peut, à mon sens, être considéré comme un exposé exact du

droit international tel qu’il est communément admis et, de même qu’une hirondelle ne
fait pas le printemps, un arrêt ne fait pas une règle de droit international.»

Nous avons déjà cité plus haut les observations de lord Hoffmann qui, pour l’essentiel, part du
principe que les juges devraient s’abstenir de tout excès de zèle en se voulant les artisans du
«progrès» 158; et lord Hoffmann a certainement raison de souligner qu’un juge ne doit pas sortir de
sa réserve face aux affaires qu’il examine. Le rô le des juges n’est pas d’ agir dans l’intention

explicite de créer une nouvelle règle de droit. Certes, il sera fréquemment observé a posteriori que
les décisions judiciaires ont peu à peu fait évoluer le droit ⎯ la common law a évolué de cette

manière ⎯ mais les juges doivent agir lege artis . Ils doivent au minimum développer leur
raisonnement en croyant de bonne foi qu’ils appl iquent une règle élaborée dans la volonté de
synthétiser des éléments de droit qui font effectivem ent partie de l’ordre juridique existant. Le fait
de s’écarter du droit en vigueur, en fondant leur raisonnement juridique sur des valeurs qui

inspirent ce droit, mais qui ne se sont pas encore cristallisées en véritables règles de droit, témoigne
d’une très mauvaise compréhension des fonctions qui sont les leurs. Ce qui peut se concevoir dans
un contexte national ne peut se justifier sur le plan international, où 192 pays sont tous habilités à

contribuer à la formation du droit. Les cours et tribunaux d’une nation ne peuvent imposer leurs
vues à toutes les autres nations. Le droit intern ational repose sur le consensus. Les méthodes
hégémoniques sont inconciliables avec sa natu re égalitaire. Dans l’affaire des Activités militaires

et paramilitaires , la Cour a dit clairement que les Et ats pouvaient tenter d’invoquer un droit
nouveau et qu’une telle tentative «pourrait … tendre à modifier le droit international coutumier», à
78 condition cependant que ces nouveaux concepts soit également défendus par d’autres Etats: «si
159
elle [est] partagée par d’autres Etats» . Même dans de telles ci rconstances, la Cour reste
extrêmement prudente. Il convient de relever les mots «pourrait» et «tendre», expressément
employés pour ne pas apporter de réponse trop précise.

125. La jurisprudence française est, elle aussi, limpide au su jet de l’immunité des Etats
étrangers qui, dans l’exercice de la puissance publique, ont commis des actes dénoncés par un

requérant comme étant contraires aux droits de l’homme ou au droit international humanitaire.
Dans une affaire contre l’Allemagne (Bucheron), dans laquelle était en cause la compétence des
tribunaux à l’égard d’une action intentée à raison de la déportation du requérant en Allemagne pour
y être astreint au travail forcé, la Cour de cassation a conclu que les faits

«consistant à contraindre des personnes requises au titre du service du travail
obligatoire, à travailler en pays ennemi, avaient été accomplis à titre de puissance
e
publique occupante par le III Reich, dont la RFA est successeur …[et] n’étaient pas
de nature à faire échec au principe de l’ immunité juridictionnelle de la RFA selon la
pratique judiciaire française…» 16.

La Cour de cassation n’a même pas jugé nécessaire de motiver sa décision. Comme le
montre la citation reproduite ci-dessus, les jug es se sont contentés de renvoyer à la pratique
judiciaire française. Le ministère public avait estimé suffisant de consacrer une demi-phrase à

l’argument du requérant selon lequel une violation du droit international humanitaire faisait échec
au principe de l’immunité de juridiction :

158
Ibid., par. 64.
159
Activités Activités militaires et amilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c.Etats-Unis
d’Amérique), fond, arrêt, C.I.J.Recueil1986 , par.207. Voir aussi, l’appel à la prudence lancé par Olivier Corten dans
«Breach and Evolution of Customary Law», dans Enzo Cannizzaro et Paolo Palchetti (dir. publ.) Customary
International Law on the Use of Force. A Methodological Approach, Leiden/Boston, 2005, p. 119 et suiv.
160RGDIP, 2004, t. 108, p. 260. - 50 -

«tant par les moyens mis en Œuvre que par la finalité poursuivie, les opérations

critiquées ont été entreprises par l’Etat allemand dans le cadre de ses prérogatives de
puissance publique et dans l’intérêt de s on service public (quel que puisse être par
ailleurs le jugement à porter au plan moral sur la légitimité d’une telle action)» 161.

162
79 Ce n’est que dans la note rédigée par François Poirat que l’on trouve des considérations
d’ordre plus général. Auparavant, la cour d’appel de Paris 163s’était également exprimée de

manière plus substantielle :

«Les Etats étrangers bénéficient de l’im munité de juridiction lorsque l’acte qui

donne lieu au litige constitue un acte de puissance publique ou a été accompli dans
l’intérêt d’un service public…tant par les moyens mis en Œuvre que par la finalité
poursuivie, les faits dont le requérant a été la victime s’intègrent dans un ensemble

d’opérations entreprises par l’Etat allemand dans le cadre de ses prérogatives de
puissance publique. En l’état du droit international, ces faits, quelle qu’en soit la
gravité, ne sont pas, en l’absence de dispositions internationales contraires s’imposant
aux parties concernées, de nature à faire échec au principe de l’immunité de juridiction

des Etats étrangers.»

164
126. Dans son arrêt du 8mars2001 , la cour constitutionnelle de Slovénie a également
rejeté des griefs fondés sur l’argument selon le quel un Etat qui commet des violations graves des
droits de l’homme devrait se voir refuser l’immun ité dans la cadre de procédures visant à obtenir

réparation des préjudices subis. Si la cour constitutionnelle a estimé qu’il y avait une «tendance» à
la limitation de l’immunité des Etats, elle a toutefois conclu que les affaires citées, en particulier
l’arrêt rendu en Grèce dans l’affaire Distomo, ne sauraient

«apporter la preuve d’une pratique générale des Etats reconnue comme étant le droit et
créant ainsi une règle de droit international coutumier, qui permettrait aux juridictions
slovènes de juger un Etat étranger lorsque des règles impératives du droit international

relatives à la protection des droits de l’homme ont été violées dans le cadre d’activités
exercées par cet Etat iure imperii…».

Cette conclusion n’appelle pas de commentaire.

127. Certaines juridictions de première inst ance des pays ayant subi l’occupation allemande
pendant la seconde guerre mondiale ont égalemen t rejeté des requêtes tendant à établir la
responsabilité de l’Allemagne dans des dommages et pertes résultant d’opérations militaires
menées pendant cette période. Citons, à titre d’exemples, les cas suivants :

80 ⎯ jugement de la Rechtbank (tribunal régional) de Ga nd (Belgique), en date du
18 février 2000 165, qui considère que les dispositions de la convention européenne de 1972,

bien qu’indirectement applicables à l’affaire en cause, reflètent les règles pertinentes du droit
international coutumier, tout en précisant que les actes des forces armées restent de toute façon
couverts par l’immunité de juridiction (article 31 de ladite convention) ;

161
Observations du ministère public, 26 avril-25 juin 2002, annexe 37.
162RGDIP, 2004, t. 108, p. 260.

163Arrêt du 9 septembre 2002, annexe 38.
164
Annexe 39.
165Annexe 40. - 51 -

er
⎯ jugement du tribunal de première instance de Leskovac (Serbie), en date du 1 novembre 2001,
(pas de raison précise donnée, renvoi général à des traités internationaux et à la coutume
internationale 166) ;

⎯ arrêt de la cour d’appel de Gdansk du 13ma i2008, qui ne reconnaît pas la compétence des

tribunaux polonais pour connaître d’actions en justice visant à obtenir réparation à raison de
dommages corporels graves (brûlures) subis pendant la seconde guerre mondiale
(2 février 1944) dans un village situé à proximité de Lublin 16.

Le plus souvent, ces jugements ne sont pas portés à la connaissance du grand public ni
même, dans bien des cas, à celle du Gouvernement allemand, puisque les juridictions saisies

rejettent généralement sans hésitation, et sans se perdre en de longues explications, les actions
fondées sur des actes commis par les forces armées allemandes en territoire étranger.

128. Pour conclure, l’Allemagne attire l’attention de la Cour sur l’interprétation restrictive à
laquelle la Cour de justice des Communautés européennes a soumis l’expression «en matière civile

et commerciale» figurant à l’articlepremier de la convention [européenne] du 27septembre1968
concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale
(convention de Bruxelles) 168. Initialement, c’est sur cette convention que les tribunaux italiens

avaient fondé leurs décisions sur l’appli cabilité des décisions grecques en l’affaire Distomo.
Cependant, dans l’affaire Lechouritou et autres, la Cour de justice des Communautés européennes
a conclu que ne relevait pas de la convention une action juridictio nnelle intentée par des personnes

physiques dans un Etat contractant à l’encontre d’ un autre Etat contract169 pour obtenir réparation
81 de pertes ou dommages subis en conséquence d’actes de guerre . La coopération entre nations
européennes dans le cadre de la convention de Bruxelles ne s’étend pas à ces actes, qui revêtent un

caractère spécial et ne peuvent être traités comme n’importe quel autre différend entre des parties à
une affaire civile, même quand les requérants engagent une action en réparation pour des actes
préjudiciables commis par les forces armées de la partie défenderesse.

129. Rien ne vient conforter la position de la Cour de cassation dans le jugement rendu par la

chambre de première instance du Tribunal péna 170 l international pour l’ex-Yougoslavie le
10 décembre 1998 en l’affaire Furundzija . Dans ce jugement, la chambre s’est appliquée à
expliquer les effets juridiques d’une violation d’une norme de jus cogens. Relevant à juste titre que

l’interdiction de la torture relève bien d’une telle norme, elle a déclaré que

«Les victimes potentielles pourraient, si elles en [avaient] la capacité juridique,

engager une action devant une instance j udiciaire nationale ou internationale
compétente afin d’obtenir que la mesure nationale soit déclarée contraire au droit
international; elles pourraient encore en gager une action en réparation auprès d’une

juridiction étrangère qui serait invitée de la sorte, notamment, à ne tenir aucun compte
de la valeur juridique de l’acte national autorisant la torture.» 171

En premier lieu, il convient de relever que la chambre de première instance a fait un exposé
théorique qui n’avait aucun rapport avec l’affaire dont elle était saisie. Ses observations sont

166Annexe 41. Les mêmes vue s sont exprimées dans une opinion juridi que du ministère de la justice de la
République fédérale de Yougoslavie du 24 avril 2002. Annexe 42.

167Annexe 43.

168Journal officiel L304 (1978), p. 36.
169
Affaire C-292/05, 15 février 2007, par. 46.
170IT-95-17/1-T, ILM (1998), vol. 38, p. 317.

171Ibid., par. 155. - 52 -

purement obiter dicta. En deuxième lieu, la chambre n’a pas examiné le moyen de défense tiré de
l’immunité souveraine dont un Etat peut exciper contre une action en répa ration introduite devant
des juridictions étrangères. Sa seule préoccupa tion était de souligner qu’aucun Etat ne peut

invoquer, afin d’éviter que sa responsabilité ne soit engagée, un acte national qui autoriserait la
torture. Enfin, la chambre souligne explicite ment que ses observations s’appliquent uniquement
aux procédures dans lesquelles la victime a inc ontestablement qualité pour intenter une action,
devant une instance judiciaire internationale ou nati onale. Ainsi, seule une lecture superficielle de

l’affaire Furundzija permettrait d’y trouver une justification de la jurisprudence Ferrini.

82 130. Enfin, l’Allemagne souhaite rappeler une fois encore que les plus hautes autorités du

système judiciaire italien, l’avocat général et le parquet général près la Cour de cassation, ont
essayé de persuader la Cour de cassation d’aband onner sa position erronée (voir annexes 10, 12 et
22) en faisant valoir, dans leurs conclusions, que la prétendue brèche ouverte dans la défense de
l’immunité de juridiction n’existait tout simple ment pas, cette thèse n’étant pas suffisamment

étayée par les règles générales du droit internationa l. La Cour devrait entendre ces voix venant
directement d’Italie. Elles confirment le bien-fondé de la présente requête.

V. Réparation demandée

131. L’Allemagne réclame les réparations i ndiquées dans les conclusions ci-après. En
particulier, l’Italie doit faire en sorte qu’il soit mis un terme aux violations récurrentes de
l’immunité souveraine de l’Alle magne. La Cour devrait égalem ent préciser que cette pratique

judiciaire illicite doit cesser. Il est d’autant plus nécessaire d’obtenir des garanties de
non-répétition que l’Allemagne est confrontée depuis plus de cinq ans à une multiplication
d’actions en réparation pour des injustices commis es pendant la seconde gue rre mondiale, chaque
mois voyant s’engager de nouvelles procédures.

VI. Conclusions

132. Sur la base des éléments qui précèdent, l’Allemagne prie la Cour de dire et juger que :
83

1) en permettant que soient intentées à son encontre des actions civiles f ondées sur des violations
du droit international humanitaire commises par le Reich allemand au cours de la seconde
guerre mondiale, de septembre1943 à mai1945, la République italienne a commis des

violations de ses obligations juridiques inte rnationales en tant qu’elle n’a pas respecté
l’immunité de juridiction reconnue à la Ré publique fédérale d’Allemagne par le droit
international ;

2) en prenant des mesures d’exécution forcée vi sant la «VillaVigoni», propriété de l’Etat

allemand utilisée par le gouvernement de ce dernier à des fins non commerciales, la République
italienne a également violé l’immunité de juridiction de l’Allemagne ;

3) en déclarant exécutoires sur le sol italien des décisions judiciaires grecques fondées sur des faits

comparables à ceux qui sont mentionnés au point1 ci-dessus, la République italienne a une
nouvelle fois violé l’immunité de juridiction de l’Allemagne.

En conséquence, la République fédérale d’Allemagne prie la Cour de dire et juger que :

4) la responsabilité internationale de la République italienne est engagée ;

5) la République italienne prendra, par les moye ns de son choix, toutes les mesures nécessaires
pour faire en sorte que l’ensemble des décisions de ses tribunaux et autres autorités judiciaires

qui contreviennent à l’immunité souveraine de l’Allemagne soient privées d’effet ; - 53 -

6) la République italienne prendr a toutes les mesures nécessaires pour faire en sorte que ses
tribunaux s’abstiennent à l’avenir de connaître d’actions intentées contre l’Allemagne à raison
des faits mentionnés au point 1 ci-dessus.

84 133. L’Allemagne se réserve le droit, dans le cas où les autorités italiennes prendraient des
mesures d’exécution forcée à l’encontre de biens ap partenant à l’Etat allemand, en particulier de

locaux, diplomatiques ou autres, qui, en vert u des règles générales du droit international,
bénéficient à cet égard d’une protection, de de mander à la Cour d’indiquer, conformément à
l’article 41 de son Statut, des mesures conservatoires

Berlin, le 12 juin 2009.

L’agent du Gouvernement Le directeur général des affaires
de la République fédérale juridiques et agent de la
d’Allemagne, Répubfléduéeale

d’Allemagne,

(Signé) GeorgW ITSCHEL .
(Signé) Christian T OMUSCHAT .

___________ - 54 -

L ISTE DES ANNEXES

Annexe 1 Cour de cassation, arrêtno5044/2004, Ferrini , 11 mars 2004, Rivista di

diritto internazionale, vol. 87 (2004), p. 539 , Traduction anglaise : ILR,
vol. 128, p. 659.

Annexe 2 Déclaration conjointe des gouvernemen ts de la République fédérale
d’Allemagne et de la République italienne, 18 novembre 2008.

Annexe 3 Traité de paix avec l’Italie, 10 févr ier 1947, Nations Unies, Recueil des
traités, volume 49, n 747, page 3, article 77.

Annexe 4 Traité conclu entre la République fé dérale d’Allemagne et la République
italienne portant règlement de certain es questions d’ordre patrimonial,

économique et financier, le 2 juin 1961.

Annexe 5 Traité relatif à l’indemnisation des ressortissants italiens ayant fait l’objet
de mesures de persécution sous le régime national-socialiste,
le 2 juin 1961.

Annexe 6 Décret du président de la République n 2043 du 6 octobre 1963.

Annexe 7 Cour de cassation, arrêt, 30 octobre 1986/2 mars 1987

Annexe 8 Liste de toutes les affaires judiciaires en
instance contre l’Allemagne.

Annexe 9 Préfecture de Voiotia c.la Républi que fédérale d’Allemagne, arrêt du
4 mai 2000, traduction anglaise : ILR, vol. 129, p. 514.

Annexe 10 Parquet général près la Cour de cassation, conclusions du
22 novembre 2007.

Annexe 11 Secrétaire général de la Présidence du conseil des ministres italiens, lettre
du 24 avril 2008 à l’avocat général.

Annexe 12 Avocat général, conclusions soumises à la Cour de cassation,

28 avril 2008.

Annexe 13 Cour de cassation, affaires Giovanni Mantelli et Liberato Maietta,
29 mai 2008.

Annexe 14 Tribunal militaire de La Spezia, affaire Max Josef Milde , jugement du
10 octobre 2006

Annexe 15 Cour militaire d’appel, Rome, affaire Max Josef Milde , arrêt du
18 décembre 2007

Annexe 16 Cour de cassation : affaire Max Joseph Milde, arrêt du 21 octobre 2008
o
Annexe 17 Tribunal régional de Liva:diugement n 137/1997,
25 septembre-30 octobre 1997
Annexe 18 Cour d’appel de Florence : arrêt (decreto) du 2 mai 2005

Annexe 19 Cour d’appel de Florence : arrêt (decreto) du 6 février 2007

Annexe 20 Cour de cassation : arrêt n 14199 du 29 mai 2008

Annexe 21 Cour d’appel de Florence : arrêt (decreto) du 13 juin 2006 - 55 -

Annexe 22 Bureau de Florence du barreau de l’Eta:tconclusions du

11 septembre 2008

Annexe 23 Cour d’appel de Florence : arrêt du 21 octobre 2008

Annexe 24 Echange de notes constituant un arrang ement concernant la création de
l’association «Villa Vigoni» en tant que centre germano-italien

Annexe 25 Inscription d’une hypothèque judiciaire au cadastre couvrant la «Villa

Vigoni»

Annexe 26 Bureau de Milan du barreau de l’Etat

Annexe 27 Cour de cassation : arrêt n 1653/1974 du 6 juin 1974

Annexe 28 Cour de cassation : arrêt 8157/2002, Markovic, 5 juin 2002

Annexe 29 Immunité de juridiction des Etats et action en réparation de dommages

pour violation des droits fondamentaux : l’affaire Mantelli

Annexe 30 William H. Taft, conseiller juridi que du département d’Eta:t
communication en qualité d’ amicus curiae présentée devant la Cour

d’appel des Etats-Unis pour le circuit du district de Columbia dans
l’affaire Hwang Geum Joo c. Japon, novembre 2004

Annexe 31 Cour d’appel des Etats-Unis pour le circuit du district de Columbia :

Hwang Geum Joo c.Japon, ministre Yohei Kono, ministre des Finances ,
28 juin 2005

Annexe 32 Loi sur l’immunité des Etats étrangers, 2008, Israël; loi 5769-2008 sur

l’immunité des Etats étrangers

Annexe 33 Cour de cassation, arrêt n°530/2000 , FILT-CGIL Trento et autres c.les
Etats-Unis d’Amérique, 3 août 2000

Annexe 34 Rechtbank s’-Gravenhage (Tribunal régi onal de La Haye), jugement du
10 juillet 2008

Annexe 35 Département d’Etat des Etats-Unis d’Amérique: mémoire en qualité

d’amicus curiae dans l’affaire Sampson c.épublique fédérale
d’Allemagne

Annexe 36 Thilo Rensmann: «Impact sur l’immunité des Etats et de leurs

fonctionnaires», in The impact of Human Rights Law on General
International Law

Annexe 37 Cour de cassation, observations du ministère public dans l’affaire

Bucheron, 26 avril et 25 juin 2002

Annexe 38 Cour d’appel de Paris, affaire Bucheron, arrêt du 9 septembre 2002

Annexe 39 Coor constitutionnelle de Slovéni e, arrêt dumars2001, affaire
n Up-13/99 - 56 -

Annexe 40 Rechtbank (tribunal régional) de Gand (Belgique), décision du

18 février 2000

Annexe 41 Tribunal de première instance de Leskovac (Serbie), jugement du
er
1 novembre 2001

Annexe 42 Avis juridique du ministère de la justice de la République fédérale de
Yougoslavie, 24 avril 2002

Annexe 43 Cour d’appel de Gdansk (Pologne), arrêt du 13 mars 2008

___________

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Mémoire de la République fédérale d'Allemagne

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