Observations écrites de la Slovénie (traduction du Greffe)

Document Number
15696
Document Type
Date of the Document
Document File
Document

Lettre en date du 17 juillet 2009 adressée au greffier par l’ambassadeur

de la République de Slovénie

[Traduction]

J’ai l’honneur de vous faire tenir ci-joint les observations écrites de la République de

Slovénie sur les exposés écrits des autres Etats en l’affaire relative à l’avis consultatif sur la
question de la Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance des
institutions provisoires d’administration autonome du Kosovo.

Veuillez agréer, etc.

P.J. : ⎯ observations écrites de la République de Slovénie (30 exemplaires).
⎯ CD-ROM contenant les observations écrites de la République de Slovénie.

___________ O BSERVATIONS ÉCRITES DE LA R ÉPUBLIQUE DE SLOVÉNIE

SUR LES AUTRES EXPOSÉS ÉCRITS

[Traduction]

Table des matières

Page

Introduction................................................................................................................................... 2

I. La dissolution de l’ex-RFSY et la création de nouveaux Etats sur son territoire ........................ 2

1. La dissolution de l’ex-RFSY .............................................................................................. 2

2. Principes généraux du droit international relatifs à la création de nouveaux Etats ............ 3

II. Réglementation juridique du statut des provinces autonomes dans l’ex-RFSY ........................... 5

1. Statut constitutionnel des provinces autonomes en vertu de la Constitution de 1974

de la RFSY.......................................................................................................................... 5

2. Amendements à la Constitution de la RS de Serbie de mars 1989..................................... 8

3. Adoption de la Constitution de 1990 de la République de Serbie.................................... 10

4. Loi sur les actes des autorités de la Ré publique au titre de l’état d’urgence du
26 juin 1990 ⎯ proclamation de l’état d’urgence au Kosovo.......................................... 13

4.1.Violation des principes de l’état de droit.................................................................... 16

5. Loi sur les relations de travail dans le cadre de l’état d’urgence du 26 juillet 1990......... 19

6. Loi sur la cessation des travaux de l’Assemblée de la province autonome du
Kosovo et du Conseil exécutif de l’Assemblée de la province autonome du Kosovo
⎯ abolition des organes suprêmes de la province autonome du Kosovo......................... 20

6.1. Décisions adoptées sur la base des nouvelles lois ⎯ révocation d’un membre
de la présidence de la RFSY et abolition de la présidence de la province autonome

du Kosovo......................................................................................................................... 22

7. Changements constitutionnels après 1991........................................................................ 24

Conclusion........................................................................................................................................ 26 - 2 -

INTRODUCTION

1. Conformément à l’ordonnance de la Cour du 17 octobre 2008, la République de Slovénie

présente respectueusement ses observations écrite s sur les exposés écrits soumis à la Cour
concernant la demande d’avis consultatif sur la question de la Conformité au droit international de
la déclaration unilatérale d’indépendance des in stitutions provisoires d’administration autonome

du Kosovo. Après avoir examiné les contributions écrites soumises à la Cour, la République de
Slovénie a remarqué que certaines d’entre elles commentaient en détail la question de la dissolution
de l’ancienne République fédérative socialiste de Yougoslavie (dénommée ci-après la RFSY) et de

la création de nouveaux Etats sur son territoire ainsi que différentes interprétations du système
constitutionnel de l’ex-RFSY et de la République socialiste de Serbie (dénommée ci-après la RS de
Serbie), en particulier les Constitutions de 1974 ainsi que les amendements apportés en1989 aux

constitutions de la Fédération et des républiques. En tant que l’ un des cinq Etats successeurs de
l’ex-RFSY, la République de Sl ovénie souhaite proposer quelques clarifications à propos des
aspects susmentionnés, qui pourraient contribuer à une meilleure compréhension de ces derniers.

2. La première partie des observations écrites de la République de Slovénie est donc axée sur
les caractéristiques particulières de la dissolution de l’ex-RFSY et sur la création de nouveaux Etats
sur son territoire. La deuxième partie examine de façon plus approfondi e le statut constitutionnel

des provinces autonomes dans la Constitutio n de la RFSY de 1974, les amendements
constitutionnels de 1989 et l’adoption des lois pertinentes sur ces bases juridiques.

I. LA DISSOLUTION DE L ’EX -RFSY ET LA CRÉATION DE NOUVEAUX E TATS
SUR SON TERRITOIRE

1. La dissolution de l’ex-RFSY

3. La dissolution de l’ex-RFSY est un exempl e unique de création de nouveaux Etats, dans
lequel l’examen des revendications visant à accéder au statut d’Etat a été confié par la
Communauté européenne à une commission d’arbitr age de la conférence pour la paix en
1
Yougoslavie dirigée par RobertBadinter . Outre les avis Badinter, plusieurs résolutoons ont été
adoptées par le Conseil de sécurité sur cette question. Dans l’avis Badinter n 8 du 4 juillet 1992,
la commission d’arbitrage a conclu que le processu s de dissolution de la RFSY était achevé et que

la RFSY n’existait plus. C’est à la même conc lusion que sont parvenues la résolution 47/1 de
l’Assemblée générale des NationsUnies du 22 septembre1992 ainsi que la résolution 777 du
Conseil de sécurité (1992).

o
4. En dépit du fait que certains exposés écrits se réfèrent à l’avis d’arbitrage Badinter n 2
concernant le droit à l’autodétermination et les modifications des frontières existantes 2, il est
important de souligner que l’avis Badinter n 3 se réfère aussi aux deuxième et quatrième alinéas de

l’article5 de la Constitution de la RFSY (1974). Le deuxième alinéa de l’article 5 stipulait: «Le
territoire d’une république ne peut être modifié sa ns l’accord de cette république, et le territoire
d’une province autonome sans l’accord de cette province autonome», tandis que le quatrième alinéa

disposait: «Les limites des républiques ne peuvent être modifiées que moyennant leur accord, et
s’il s’agit des limites des provinces autonomes en vertu également de leur accord.» C’est pourquoi
l’avis Badinter n 3 du 20 novembre 1991 revêt la plus gra nde importance s’agissant de l’intégrité

1Sur la dissolution de l’ex-RFSY, voir entre autres D. Türk : «Recognition of States : A Comment», dans 4 EJIL
(1993), p.66-71, et A. Pellet: «The Opinions of the Badinter Arbitration Commi⎯ A Second Breath for the

Self-Determination of Peoples», dans 3 EJIL (1992), p. 178-185.
2Voir par exemple : exposé écrit de la Serbie, p. 205, pa r. 564 ; exposé écrit des Pays-Bas, p. 8, par. 3.8 ; exposé
écrit de la Finlande, p. 3, par. 5 ; exposé écrit de l’Espagne, p. 18, par. 24 ; exposé écrit de l’Iran, p. 6, par. 3.6. - 3 -

territoriale et des questions de frontières. La commission d’arbitrage disait que les anciennes
frontières internes étaient devenues des fron tières protégées par le droit international 3. La

commission Badinter a fondé son avis sur le principe uti possidetis (à savoir le troisième principe).
Elle a conclu que le principe uti possidetis, bien qu’appliqué initialement pour régler les problèmes

posés par la décolonisation en Amérique et en Afrique, était désormais reconnu comme un principe 4
général, comme l’a dit la Cour intern ationale de Justice dans l’affaire du Différend frontalier . Il
faut toutefois expliquer que les frontières internes, à savoir les frontières administratives de la

RFSY, étaient définies au niveau municipal et non par les frontières des républiques ou par les
frontières entre les républiques et les provinces, tandis qu’en mer il n’existait pas de frontière

formelle.

5. Cependant, les avis Badinter ne disent rien de la question de la succession d’Etats.

Comme indiqué dans l’exposé initial de la Républiq ue de Slovénie, la su6cession de l’ex-RFSY a
été réglée en 2001 par l’accord sur les questions de succession conclu à Vienne entre les cinq Etats
successeurs de l’ex-RFSY: Bosnie-Herzégovine , Croatie, Macédoine, Slovénie et République

fédérale de Yougoslavie (dénommée ci-après RFY). Dans le cas du Kosovo, la création du nouvel
Etat est liée au droit de sécession de la République de Serbie, qui est une des formes de création des

Etats en droit international. En conséquence, da ns le cas du Kosovo, il ne s’agit pas de la question
de l’exercice direct du droit à l’autodétermination dans le contexte de la dissolution de l’ex-RFSY,
mais il ne faudrait pas oublier qu’avant son indépendance le Kosovo faisait partie de la République

de Serbie qui, en tant qu’Etat successeur de l’Etat de Serbie-et-Monténégro et de la RFY, est l’un
des cinq Etats successeurs égaux de l’ex-RFSY . 7

6. Dans le cas du Kosovo, il faut tenir compte du fait que le Kosovo est un cas sui generis en
raison des circonstances uniques qui ont condu it à la déclaration d’indépendance du Kosovo . Ces 8

circonstances sont le statut de la province aut onome du Kosovo dans l’ex-RFSY, la dissolution de
la RFSY, les violations flagrantes et sy stématiques des droits de l’homme commises

ultérieurement, la catastrophe humanitaire, le re jet de l’accord de Rambouillet, les résolutions
adoptées par le Conseil de sécurité de l’ONU au titre du chapitre VII, les neuf années
d’administration internationale, le défaut d’accord des acteurs clés pour garantir un certain niveau

d’autonomie et déterminer le statut de la pr ovince, et la responsabilité de la communauté
internationale concernant la paix et la stabilité dans la région.

2. Principes généraux du droit international relatifs à la création de nouveaux Etats

7. En examinant les exposés écrits communiqués à la Cour par d’autres Etats, la République
de Slovénie a constaté que certains Etats mettaient l’accent sur la question de la hiérarchie des
9
principes pertinents du droit international . La déclaration relative aux principes du droit
international touchant les relations amicales et la coopération entre les Etats conformément à la

3 Commission d’arbitrage de la conférence pour la paix en Yougoslavie, avis n 2 (11 janvier 1992).

4 Différend frontalier (Burkina Faso/Républi que du Mali), arrêt, C.I.. ecuel 986 , p. 565, avis 3
troisième principe.

5 Par exemple : exposé écrit de Chypre, p. 30-31, par. 119 ; exposé écrit de la Roumanie, p. 23, par. 69.
6 o o
Accord sur les questions de succession, Ur. 1. RS n 71/2002, MP n 20/2002, entré en vigueur le 2 juin 2004.
7
La question de la déclaration unila térale d’indépendance du Kosovo ne saur ait donc être entièrement dissociée
de la dissolution de l’ex-RFSY, comme il est dit dans les exposés écrits de certains Etats. Voir par exemple : exposé écrit
de la Fédération de Russie, p. 15-16, par. 43-45 ; exposé écrit de Chypre, p. 29-31, par. 115-122.
8 e
Conclusions du Conseil de l’UE sur le Kosovo, 18 février 2008 (2851 session du Conseil Relations
extérieures) : «Le Kosovo constitue un cas sui generis…»
9
Exposé écrit de l’Iran, p. 3, par. 21-22. Voir aussi s exposés écrits de l’Egypte, de la Libye, du Brésil, de
l’Azerbaïdjan, de la Chine, de la Slovaquie, de la Roumanie, de l’Espagne et de la Fédération de Russie. - 4 -

10
Charte des Nations Unies (1970) énonce sept principes, parmi lesquels figurent «le principe que
les Etats s’abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de

la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’ indépendance politique de tout Etat, soit de toute
autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies» et «le principe de l’égalité de droits
des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mê mes». De même, l’acte final d’Helsinki de la
er
conférence sur la sécurité et la coopération en Europe du 1 août 1975 comprend la déclaration sur
les principes régissant les relations mutuelles des Etats participants (le «décalogue d’Helsinki»).

Parmi ces principes, tous d’importance primordiale, qui régissent leurs relations mutuelles, figurent
aussi les suivants: «Egalité souveraine, resp ect des droits inhérents à la souveraineté»,
«Inviolabilité des frontières», «Intégrité territorial e des Etats», «Respect des droits de l’homme et

des libertés fondamentales, y compris la liberté de pensée, de conscience, de religion ou de
conviction», ainsi que «Egalité de droits des peuples et droit des peuples à disposer
d’eux-mêmes» . Tous ces principes sont également valabl es, bien qu’en pratique ils puissent être

en conflit. En conséquence, il faut évaluer complè tement chaque situation concrète. De plus, la
déclaration sur les lignes directrices sur la rec onnaissance des nouveaux Etats en Europe orientale

et en Union soviétique, adoptée par la Comm unauté européenne le 16 déc12bre 1991, stipule
qu’un Etat peut être reconnu s’il répond aux critères qui y sont énoncés .

8. Il faut souligner que le principe d’intégrité territoriale, même s’il pouvait être interprété de
façon à exclure les déclarations d’indépendance en principe (ce qui n’est pas le cas), ne saurait être
absolu, mais doit être compris en relation avec d’autres principes pertinents, dont le droit à
13
l’autodétermination . De plus, même un Etat, en particulier un Etat ethniquement complexe, doit
«mériter» la protection de son in tégrité territoriale. Si un Etat ne respecte pas le droit à

l’autodétermination et si son gouvernement n’a p as de représentativité ou si ce14e-ci est perdue, il
ne peut pas être sûr que son in tégrité territoriale est garantie . Dans ces conditions, la
revendication du statut d’Etat indépendant au détriment de l’intégrité territoriale d’un Etat commun

pourrait être le seul moyen de réaliser le droit à la libre détermination du statut politique des
individus faisant partie de la population de l’ Etat commun, reconnu à l’article premier du pacte
international relatif aux droits civils et politi ques et du pacte international relatif aux droits
15 et 16
économiques, sociaux et culturels de 1966 . Pour ces raisons, les circonstances particulières
de chaque cas sont d’autant plus importantes.

10
Résolution 2625 (XXV) de l’Assemblée générale, du 24 octobre 1970.
11 S’il a été clairement reconnu que la déclaration de s principes de 1970 fait partie du droit international
coutumier (Activités militaires et par amilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c.Etats-Unis d’Amérique),

compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J.Recueil1984 , p.392), la Slovénie soutient quel’acte final d’Helsinki fait lui
aussi partie du droit international coutumier régional.
12 Voir exposé écrit de la Républ ique de Slovénie sur la Conformité au droit international de la déclaration

unilatérale d’indépendance des institutions pr ovisoires d’administration autonome du Kosovo (requête pour avis
consultatif) du 17 avril 2009.
13
D. Türk, Temelji mednarodnega prava, GV Založba, Ljubljana 2007, p. 157.
14 Ibid., p. 158. Voir aussi : F. Kirgis : «The Degrees of Self-Determination in the United Nations Era», 88 AJIL
(1994), p. 304-311.

15 Résolution 2200A (XXI) de l’Assemblée générale des Nations Unies, 16 décembre 1966.

16 Türk, D, Temelji mednarodnega prava, GV Založba, Ljubljana 2007, p. 158. - 5 -

17
II. R ÉGLEMENTATION JURIDIQUE DU STATUT DES PROVINCES AUTONOMES DANS L ’EX -RFSY

1. Statut constitutionnel des provinces autonom es en vertu de la Constitution de 1974 de la

RFSY

9. Le principe d’autonomie des provinces au tonomes a été adopté à la deuxième conférence
du conseil antifasciste de libération nationale de la Yougoslavie (dénommé ci-après AVNOJ) en

novembre 1943 ; il faisait partie intégrante de la décision de faire de la Yougoslavie un Etat fédéral
(l’ancien Royaume de Yougoslavie était un Etat unitaire), accordant des droits complets aux
minorités nationales .18

10. Les unités autonomes de Voïvodine et du Kosovo-Metohija ont ensuite été créées

en 1945 et intégrées dans la Répub lique de Serbie (cette décision a été approuvée par la troisième
conférence de l’AVNOJ en août 1945). En septemb re 1945, la République populaire de Serbie
(dénommée ci-après la RP de Serbie) a adopt é la loi relative à l’autorité autonome du

Kosovo-Metohija et la loi relative à la provin ce autonome de Voïvodine. Officiellement, la
province autonome jouissait d’un statut plus élevé que l’autorité autonome.

11. Le statut de la Voïvodine et du Kosovo-Metohija introduit en 1945 a ensuite été entériné
par la Constitution de 1946 de la République populaire fédérati ve de Yougoslavie (dénommée

ci-après la RPFY) et par la C onstitution de 1947 de la RP de Serb ie. Il faut souligner que la
République de Serbie était la seule république de la RPFY à comprendre des unités constitutives
autonomes.

12. Le statut des deux unités autonomes a été unifié en 1968 (les deux sont devenues des
provinces autonomes) comme suite à l’adoption d’am endements à la Constitu tion de 1963 de la

RFSY ; le «Kosovo et Metohija» a été rebaptisé «Kosovo».

13. Le statut des deux provinces en tant qu’él éments constitutifs de la Fédération a enfin été
réglementé par la Constitution de 1974 de la RFSY. Cela signifie que les provinces autonomes de
l’ex-RFSY ont été officiellement créées par la Constitution fédérale de 1974. Le statut des

provinces autonomes était inhabituel en ce qu’il avait un double caractère. D’une part, les
provinces autonomes étaient des unités fédérales au sein de la RFSY et d’autre part elles étaient des
unités autonomes au sein de la République de Serbie.

17Outre l’exposé écrit de la Serbie, p. 63-81, par. 144- 200, et l’exposé écrit du Kosovo, p. 41-53, par. 3.01-3.28,
concernant le statut juridique du Kosovo dans l’ex-RFSY ainsi que les exposés écrits de certains autres Etats à ce sujet
(par exemple Albanie, Chypre, Finla nde, Grande-Bretagne, Etats- Unis, Norvège), la République de Slovénie souhaite
expliquer de manière plus approfondie le statut de la pr ovince autonome du Kosovo en vertu de la Constitution de la
RFSY de 1974, les circonstances de l’adoption des amendements constitutionnels de 1989 et de la proclamation de l’Etat
d’urgence, qui a influencé le contenu de la Constitution de 1990 de la République de Serbie ainsi que les changements

constitutionnels postérieurs à 1991.
18Décision de créer la Yougoslavie sur la base du principe fédéralUradni list Demokrati čne federativne
Jugoslavije, n 1/1945 :

Point 2: «Afin de mettre en Œuvre le principde souveraineté des nati ons de la Yougoslavie,
selon lequel la Yougoslavie serait véri tablement la patrie de toutes ses nations et ne serait jamais plus
sous le joug d’une quelconque clique hégémonique, la Yougoslavie est et sera c onstruite conformément
au principe fédéral qui garantira la pleine égalité des Serbes, des Croates, des Slovènes, des Macédoniens
et des Monténégrins, ou des nations de Serbie, de Croatie, de Slovénie, de Macédoine, du Monténégro et

de Bosnie-Herzégovine.»
Point 4 : «Les minorités nationales de Yougoslavie jouiront de tous les droits ethniques.» - 6 -

14. La Constitution de 1974 de la RFSY (article 2) stipulait que la Fédération était composée

des Républiques de Bosnie-Herzégovine, de Macédoine, du Monténégro, de Croatie, de Slovénie et
de Serbie et des provinces autonomes du Kosovo et de Voïvodine.

15. La différence entre une république et une province autonome était expliquée dans la
Constitution. La république était définie co mme «un Etat et une communauté socialiste
19
démocratique autogestionnaire» , tandis que la province auton20e était «une entité sociopolitique
socialiste autonome, démocratique et autogestionnaire» .

16. En dépit de la différence formelle entr e les républiques et les provinces autonomes, ces
dernières étaient de facto des éléments constitutifs de la Fédération. En conséquence, sur la base de
la Constitution de la RFSY, la Fédération yougoslave se composait de huit unités fédérées:

six républiques et deux provinces autonomes.

17. Les provinces autonomes étaient dotées d’une structure organisationnelle pratiquement
équivalente à celle d’une république, puisqu’elles pos sédaient les mêmes organes. Et surtout, les
provinces autonomes comme les républiques avaient une présidence qui faisait office de chef

d’Etat. S’agissant des décisions concernant les principales questions dans la Fédération, les
compétences des provinces autonomes étaient prati quement égales à celles des républiques. Les
différences entre provinces autonomes et républiques étaient néanmoins visibles dans la structure
des organes de la Fédération et les formes du processus décisionnel des organes fédéraux.

18. Le plus haut niveau d’égalité formelle entre une province autonome et une république

ressortait de la composition de la direction collectiv e de l’Etat, à savoir la présidence de la RFSY.
Cette composition était fondée sur le principe de parité, selon lequel toutes les unités fédérées
étaient représentées chacune par un membre. Elle permettait l’égalité de statut entre les membres

de la présidence de la RFSY représentant les pr ovinces autonomes et les républiques. En fonction
de l’ordre préétabli de la présidence, un représentant de la province autonome pouvait aussi devenir
président de la présidence (direction collective) de l’Etat.

19. Au niveau fédéral, les provinces aut onomes étaient aussi assimilables aux républiques
s’agissant de leurs pouvoirs de décision dans les domaines suivants :

⎯ les républiques et les provinces autonomes se prononçaient sur les amendements à la
Constitution de la RFSY sur un pied d’égalité (articles 398-402 de la Constitution de la RFSY),

ce qui signifiait que le consentement des provinces autonomes était requis pour l’adoption d’un
amendement à la Constitution de la RFSY ;

19Article 3 de la Constitution de la RFSY : «La République so cialiste est un Etat fondé sur la souveraineté de la
nation et le pouvoir et l’autogestion de la classe ouvrière et de tous les trava illeurs, ainsi qu’une communauté socialiste

démocratique autogestionnaire de travailleurs et de citoyens, de nations et de nationalités égales en droits.»
20Article 4 de la Constitution de la RFSY :

«La province socialiste autonome est une entité sociopolitique socialiste autonome, démocratique
et autogestionnaire fondée sur le pouvoir et l’autogestion de la classe ouvrière et de tous les travailleurs,
dans laquelle les travailleurs et les citoyens, les nations et les nationalités exercent leurs droits souverains,
et au plan de la République lorsque la Constitution de la République socialiste de Serbie dispose que c’est
dans l’intérêt commun des travailleurs et des citoyedes nations et des nationalités de la République
dans son ensemble.» - 7 -

⎯ les organes fédéraux se prononçaient sur les lois et autres questions énumérées par la
o
Constitution (art. 398-402 de la Constitution de la RFSY et amendement n 40) sur la base de
l’accord des assemblées des républiques et des provinces ;

⎯ la Fédération concluait certains traités en accord avec les organes compétents des républiques
ou des provinces (article 271 de la Constitution de la RFSY) ;

⎯ les républiques et les provinces autonomes c oopéraient avec les organes, organismes et
o
organisations étrangers et les organisations internationales (amendement n 36 à la Constitution
de la RFSY) ;

⎯ les républiques et les provinces autonomes pouvaie nt demander une procédure de décision
spéciale dans le cadre de la Chambre fédérale de l’Assemblée de la RFSY (article 294 de la
Constitution de la RFSY).

20. Qui plus est, au niveau fédéral, les intérêts communs étaient mis en Œuvre :

a) Par les organes fédéraux dans lesquels l’égalité des républiqu es et des provinces autonomes

était garantie ; et

b) Par les organes fédéraux sur la base des décisions ou de l’accord des organes des républiques et

des provinces autonomes (article 244, paragraphe 2, de la Constitution de la RFSY).

21. Dans les organes fédéraux, les provi nces autonomes étaient représentées soit

conformément au principe d’égalité avec les répub liques (principe de parité) soit conformément au
principe de représentation appropriée (réduite).

22. Le principe de parité était appliqué au sei n de la direction collective de l’Etatosà savoir la
présidence de la RFSY (article 321 de la Constitution de la RFSY et amendements n 4 et 41).
Chaque république et chaque province autonome avait donc un membre élu par l’assemblée de la

république ou de la province.

23. Le principe de représentation appropriée (réduite) était appliqué dans les autres organes

fédéraux. Dans l’Assemblée de la RFSY, la Ch ambre fédérale (chambre basse) comptait trente
membres de chaque république et vingt de chaque province autonome (article 291 de la
Constitution et amendement n o40), tandis que la Chambre des républiques et des provinces
(chambre haute) comptait douze membres de chaque république et huit de chaque province
o
autonome (article 292 de la Constitution et amendement n 40). La Cour constitutionnelle de la
Yougoslavie se composait de deux membres de ch aque république et d’ un membre de chaque
province autonome (article 381 de la Constitution). La Constitution ne précisait pas le nombre des

membres du Conseil exécutif fédéral (gouvernem ent fédéral), mais le principe d’égale
représentation des républiques et de représentati on respective des provinces autonomes devait être
pris en compte (article 348 de la Constitution et amendement n 43).

24. Le statut des provinces autonomes dans la Constitution de 1974 de la RFSY était à
plusieurs égards égal à celui des républiqu es. L’autonomie dont jouissaient les provinces - 8 -

autonomes était donc substantielle, et en c onséquence les provinces autonomes étaient de facto des
éléments constitutifs de la RFSY. Toutefois, en 1989, un processus d’abo lition de l’autonomie a
21
été conduit à travers deux procédures parallèles et sur deux niveaux :

⎯ au niveau constitutionnel en amendant la Constitution en 1989 et en adoptant en 1990 une

nouvelle constitution qui concernait les deux provinces ⎯ Kosovo et Voïvodine ; et

⎯ au niveau législatif, où le processus d’abolition de l’autonomie ne visait que le Kosovo. De

plus, l’autonomie du Kosovo a été abolie par l’adoption de plusieurs lois et mesures.

25. Le processus d’abolition de l’autonomie du Kosovo a commencé le 27 mars 1989 avec la
déclaration, par la présidence de la RFSY, de l’état d’urgence au Kosovo en raison d’une grève des
mineurs à Stari trg au Kosovo.

2. Amendements à la Constitution de la RS de Serbie de mars 1989

26. La RS de Serbie a profité de la décl aration de l’état d’urgence pour amender sa
Constitution de1974 et a adopté des amendeme nts constitutionnels le lendemain de la
proclamation de l’état d’urgence, c’est-à-dire le 28 mars 1989. Ces amendements ont été présentés

au public comme très importants pour renforcer le stat ut de la Serbie au sein de la Fédération, en
raison particulièrement des amendements a ux dispositions constitutio nnelles relatives aux
provinces autonomes.

27. Ces amendements ont eu pour effet de détériorer considérablement le statut des

provinces autonomes par rapport au statut dont elles jouissaient en vertu de la Constitution de la RS
de Serbie et de la Constitution de 1974 de la RFSY. Cette détérioration était surtout due aux
amendements n 29, point 1, n 31, n 33, n 44 et n 47. o

28. L’amendement n o29, point 1, stipulait que sur la base de l’avis de la Cour
constitutionnelle de Serbie, certaines dispositi ons des constitutions des provinces autonomes

n’étaient pas applicables (ce qui voulait dire qu’e lles cessaient de s’appliquer) si l’assemblée de la
province autonome n’harmonisait pas ces dispositions avec l’avis susmentionné dans un délai d’un
an.

29. L’amendement n 31 abrogeait l’article 296 de la Constitution de la RS de Serbie 22, en

vertu duquel les organes administra tifs de la République condui saient leurs relations avec les
autorités municipales des provinces autonomes par l’intermédiaire des organes administratifs
provinciaux correspondants. La République de Serbie privait ainsi les provinces autonomes du

statut découlant de l’article 4 de la Constitutio n de la RFSY, qui était essentiel compte tenu de
l’article278 de la Constitution de la RFSY. Ce dernier stipulait que les organes administratifs
fédéraux conduisaient leurs relations avec les autor ités municipales par l’intermédiaire des organes

administratifs correspondants des républiques et des provinces.

21Aux fins de la présente contributi on, l’abolition de l’autonomie du Kosovo est examinée sous l’angle du statut
constitutionnel et juridique résultant de la Constitution dede la RFSY, tandis que les autres aspects tels que les
dimensions historiques de la question du Kosovo ne sont pas traités.

22Article 296, paragraphe 1, de la Constitution de 1974 la RS de Serbie: «Les organes administratifs de la
République conduisent leurs relations av ec les autorités municipales des provin ces autonomes par l’ intermédiaire des
organes administratifs provinciaux correspondants.» - 9 -

30. En contradiction avec l’article 300 de la Constitution de la RS de Serbie, l’amendement
o
n 33 affaiblissait considérablement le statut de s provinces autonomes dans le domaine de la
législation qui réglementait uniformément les relati ons sur tout le territoire de la République. Le
statut des provinces autonomes découlant de l’ar ticle 4 de la Constitution de la RFSY et de

l’article 291 de la Constitution de la RS de Serbie n’était pas pris en compte.

31. L’amendement n 44 stipulait que la Cour constitutio nnelle de Serbie pouvait continuer

(c’est-à-dire commencer) à statuer sur certaines questions, bien que la cour constitutionnelle de la
province autonome n’ait pas encore conclu la pr océdure. Or, la Cons titution de la RFSY ne
contenait pas de disposition de cette nature, puisque la Cour constitutionnelle de Yougoslavie ne

statuait sur une question qu’une fois que la cour constitutionnelle de la république ou de la province
autonome avait conclu sa procédure.

o
32. L’amendement n 47 abrogeait l’article 427 de la C onstitution de la RS de Serbie, qui
disposait que l’Assemblée de la RS de Serbie se prononçait sur les amendements à la Constitution
de la RS de Serbie sur la base de l’acco rd des assemblées des provinces autonomes.
o
L’amendement n 47 stipulait que les assemblées provinc iales ne donnaient que des avis sur les
amendements à la Constitution de la RS de Serbie, et non leur consentement. Il ne faut pas oublier
que les provinces autonomes conservaient le droit de donner leur consentement aux amendements à

la Constitution de la RFSY.

33. La Cour constitutionne lle de Yougoslavie a exprimé son opinion (décision IU
o
n 105/1-1-89 du 18 janvier 1990) sur les amendement s apportés à la Constitution de la RS de
Serbie (sur la base de l’article 378 de la Constitution de la RFSY). Elle a statué que les dispositions
des trois amendements suivants étaient contrair es à la Constitution de la RFSY: amendement
o o
n 20, point 3 (transactions immobiloères), amendement n 27, paragraphe 3 (égalité des langues et
des alphabets), et amendement n 39, paragraphe 2 (candidats aux fonctions de délégués). La Cour
constitutionnelle de Yougoslavie n’a jugé in constitutionnel aucun des cinq amendements
mentionnés aux paragraphes précédents, mais (selon le juge slovène de la Cour constitutionnelle de

l’époque, Ivan Kristan) le statut des provin ces autonomes était affecté par les amendements
susmentionnés.

34. En tant que juge slovène de la Cour constitutionnelle, Ivan Kristan a émis une opinion
séparée sur la décision de la Cour constitutionnelle de Yougoslavie. Outre la violation du statut

constitutionnel des provinces autonomes, il notait aussi la violation de la constitutionnalité
formelle, vu que les amendements à la Constitution de la RS de Serbie avaient été adoptés durant
l’état d’urgence au Kosovo. L’Assemblée du Kosovo devait donner son accord aux amendements
à la Constitution de la RS de Serbie, alors que l es droits de l’homme et les libertés avaient été

violés durant l’état d’urgence. Il est par ticulièrement incompréhensible que l’assemblée
provinciale du Kosovo ait librement consenti à l’ abrogation de l’article 427 de la Constitution
serbe, car le Kosovo perdait ainsi le droit de donner son accord aux futurs amendements à la

Constitution serbe. Le juge Krista n estimait que la procédure était illégale. En conséquence, la
République de Slovénie ne partage pas l’opinion exprimée dans certains exposés écrits concluant
que le Kosovo a librement consenti aux amendement s susmentionnés. De plus, le juge Kristan - 10 -

soulignait l’aspect international de la questi on et proposait que la Cour constitutionnelle de
Yougoslavie examine l’étude del’ONU sur le resp ect des droits de l’homme dans les états
23
d’urgence . Toutefois, la Cour constitutionnelle de Yougoslavie n’a pas accepté la proposition
tendant à examiner cette étude et n’a pas différé la formulation de sa décision finale.

3. Adoption de la Constitution de 1990 de la République de Serbie

24
35. Deux caractéristiques ressortent de la Constitution de 1990 de la République de Serbie :
la première est l’abolition du statut en vigueur de la province autonome, et la seconde est une
redéfinition de la relation formelle entre la République de Serbie et la Fédération (RFSY).

36. Cette Constitution abolissait le statut constitutionnel des deux provinces autonomes tel

qu’il était défini dans la Constitution de 1974 de la RFSY et dans la Constitution de 1974 de la RS
de Serbie ; les éléments majeurs suivants de l’autonomie des provinces étaient abolis :

⎯ autonomie politique et territoriale ;

⎯ Constitution ;

⎯ pouvoirs législatifs ;

⎯ présidence ;

⎯ Cour constitutionnelle ;

⎯ Cour suprême ;

⎯ consentement aux amendements à la Constitution de la République de Serbie ;

⎯ les modifications du territoire des provinces aut onomes n’exigeaient plus le consentement de
l’assemblée provinciale.

37. Avant la Constitution de 1990 de la Ré publique de Serbie, le s provinces autonomes
jouissaient de l’«autonomie politique et territorial e», de laquelle découlaient la structure des

autorités et leurs compétences. Les dimensions de l’autonomie politique et territoriale des
provinces autonomes étaient envisagées à l’article 4 de la Constitution de la RFSY (1974) et à
l’article 291 de la Constitution de la RS de Serbie (1974) . 25

23 Organisation des Nations Unies, Conseil économique et social , commission des droits de l’homme,
sous-commission de la lu tte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités,
trente-cinquièmesession, 23 septembre 1982, étude sur les conséquences pour les droits de l’homme des récents
développements concernant les situations dites d’état de siège ou d’exception, rapporteur spécial Mme Nicole Questiaux.

24Constitution de la République de Serbie, Službeni glasnik Republike Srbije, n 1/1990, 28 septembre 1990.
25
L’article 291 de la Constitution de 1974 de la RS de Serb ie est identique à l’article 4 de la Constitution de la
RFSY, qui se lit comme suit :

«La province socialiste autonome est une entité sociopolitique socialiste autonome, démocratique
et autogestionnaire fondée sur le pouvoir et l’autogestion de la classe ouvrière et de tous les travailleurs,
dans laquelle les travailleurs et les citoyens, les nations et les nationalités exercent leurs droits souverains,
et au plan de la République lorsque la Constitution de la République socialiste de Serbie dispose que c’est
dans l’intérêt commun des travailleurs et des citoyendes nations et des nationalités de la République
dans son ensemble.» - 11 -

38. Au contraire, l’article 6 de la Constitution de 1990 de la République de Serbie définissait
l’autonomie de la province comme «autonomie territoriale». Dans le même temps, elle redonnait à
la province autonome du «Kosovo» le nom de pr ovince autonome du «Kosovo et Metohija» qui
26
était son nom initial . En conséquence, la Constitution de 1990 de la République de Serbie privait
la province autonome de l’élément d’autonomie «politique», la réduisant au niveau de l’autonomie

«territoriale», d’où la perte de ses pouvoirs et de son statut antérieurs.

39. Avant l’adoption de la nouvelle Constituti on de la République de Serbie en 1990, la
province autonome avait sa propre constitution, dont les dispositions ne devaient cependant pas être
contraires à la Constitution de la RFSY. La C onstitution de 1990 de la République de Serbie

stipulait en revanche que le Statut était l’acte juridique suprême de la province autonome.

40. Une dégradation supplémentaire du statut de la province autonome tient au fait qu’avant
la Constitution de 1990 de la Ré publique de Serbie, la provin ce autonome adoptait sa constitution
de manière indépendante, alors qu’aux termes de la Constitution de 1990 de la République de

Serbie, le statut était adopté sur la base du consentement préalable de l’Assemblée de la République
de Serbie (article 110 de la Constitution de la République de Serbie) . 27

41. De plus, L’acte constitutionnel promulguant la Constitution de la République de Serbie
stipulait que l’Assemblée de la République de Serbie adopterait une décision provisoire concernant

le statut de la province autonome du Kosovo et Me tohija et organiserait des élections à l’assemblée
de la province, qui adopterait ensuite le Statut de la province . Pour l’essentiel, il ne restait rien de

l’autonomie de gouvernement de la province.

42. Outre ces changements apportés au stat ut des provinces autonomes, ces dernières

perdaient aussi leur pouvoir législatif. Les lois ne figuraient plus parmi les actes que les organes
provinciaux pouvaient adopter sur la base de l’article 109 de la C onstitution de la République de

26 Article 6 de la Constitution de 1990 de la République de Serbie: «La République de Serbie comprend la
province autonome de Voïvodine et la province autonome du Kosovo et Metohija, représentant les formes d’autonomie

territoriale.»
27 Article 110, paragraphes 1 et 2, de la Constitution de 1990 de la République de Serbie :

«Le statut est l’acte juridiqusuprême de la province autonome dé finissant, sur la base de la
Constitution, la responsabilité de la province autonome, l’élection, l’organisation et le fonctionnement de
ses organes et autres questions intéressant la province autonome.

Le statut de la province autono me est adopté par son Assemblée, sous réserve de l’approbation
préalable de l’Assemblée nationale.»

28 Acte constitutionnel promulguant la Cons titution de la République de Serbie, Službeni glasnik Republike
Srbije, n1/1990, article 13 :

«L’Assemblée de la République de Serbie adoptera une décision provisoire sur le statut de la
province autonome du Kosovo et Metohija et organise ra des élections directes , au scrutin secret, à
l’Assemblée de la province conformément aux dispos itions de la Constitution et à la décision provisoire
sur le statut.

L’Assemblée nouvellement élue de la province autonome du Kosovo et Metohija adoptera le
Statut de la province.» - 12 -

Serbie. Celle-ci n’accordait aux provinces aut onomes qu’une compétence d’application des lois.
De plus, les provinces autonomes ne pouvaient appli quer que les lois prévoyant explicitement cette
29
compétence .

30
43. Comme indiqué ci-dessus, la Const itution de 1974 dela RFSY (article 147) stipulait
que les provinces autonomes avaient une présidence. En revanche, la Cons titution de 1990 de la
République de Serbie ne mentionne pas la présidence 31parmi les organes de la province autonome

(art.111). La Constitution de 1974 de la République de Serbie n’énumérait pas les organes de la
province autonome dans le chapitre relatif à la pr ovince autonome, vu que ce n’était pas le sujet de

la constitution de la province. En consé quence, la République de Serbie a aboli de jure la
présidence de la province autonome. Cependant , les présidences des deux provinces autonomes
ont continué à fonctionner, bien que cela ne soit pas spécifiquement prévu dans l’acte

constitutionnel promulguant la Constitution. La justification de la poursuite des travaux des
présidences des provinces autonomes pouvait être induite indirectement de l’article12,
paragraphes 1 et 2, de l’acte constitutionnel promulguant la Constitution, qui liait le

fonctionnement des organes provinciaux à l’adoptio n du Statut de la province autonome, à la
formation de l’Assemblée nationale et à la prise de fonctions du président de la République . 32

44. Cette continuité de facto de la présidence de la province autonome peut aussi être induite
du fait que la présidence de la province autonome du Kosovo et Metohija a (de nouveau) été abolie

le 18 mars 1991.

45. La Constitution de 1990 de la République de Serbie a bolissait en outre la Cour
constitutionnelle de la province autonome, qui fai sait partie du système de contrôle constitutionnel

et judiciaire exercé par la RFSY à trois nivea ux (province autonome, républiques et Fédération).
La Constitution de 1990 abolissait aussi la Cour suprême de la province autonome.

46. L’ancienne procédure d’adoption de la cons titution de la république a été abolie par la
Constitution de 1990 de la République de Serbie. Aux termes de l’ article 427 de la Constitution

de1974 de la RS de Serbie, l’approbation de l’ Assemblée de la province autonome était requise
pour les amendements à la Constitution de la RS de Serbie si ceux-ci concernaient les relations
dans l’ensemble de la République. A la suite de l’adoption du 47 amendement à la Constitution de

29Article 109, paragraphe 1, point 4, de la Constitution de la République de Serbie : «La province autonome, par
l’intermédiaire de ses organes … appliquera les lois, les autres réglementations et les actes généraux de la République de
Serbie, et les organes de la province aut onome les appliqueront et adopteront des rè glements aux fins de leur application
lorsque cela est prévu par la loi.»

30Article 147 de la Constitution de la RFSY : «Dans les républiques et les provinces autonomes, il est formé une
présidence de la république ou une présidence de la pr ovince autonome qui représente la république ou province
autonome et exerce les autres droits et devoirs déterminés par la Constitution.»

31 Article 111, paragraphe 1, de la Constitution de la République de Serbie: «Les organes de la province
autonome sont l’assemblée, le conseil exécutif et les organes administratifs.»

32 Acte constitutionnel promulguant la Cons titution de la République de Serbie, Službeni glasnik Republike
Srbije, n1/1990, article 12, paragraphes 1 et 2 :

«Les organes provinciaux et autres autorités de la province autonome continueront à fonctionner
conformément aux dispositions pertinentes des constitu tions des provinces socialistes autonomes jusqu’à
l’entrée en vigueur du statut de la province autonome.

A la date de la constitution de l’Assemblée natonale et lorsque le président de la République
prend ses fonctions, les organes de la province aut onome continuent de fonctionner conformément à la
Constitution.» - 13 -

la RS de Serbie en 1989, l’Assemblée de la pr ovince autonome n’a conservé que le droit de donner
son avis. Aux termes de la C onstitution de 1990, l’Assemblée n’ava it plus le droit d’émettre un
avis sur les amendements à la Constitution de la République.

47. La garantie constitutionnelle faisant obligation d’obtenir le consentement de la province
autonome à toute modification de son territoire a aussi été supprimée en 1990. Tant la Constitution
33
de la RFSY (art.5) que la Constitution de la RS de Serbie (art. 292) stipulaient que le territoire
d’une province autonome ne pouvait être modifié sans son accord. En revanche, l’article 108 de la
Constitution de 1990 de la Répub lique de Serbie disposait qu e le territoire d’une province

autonome était déterminé par la loi. Pourtant , les provinces autonomes n’étaient pas associées à
l’adoption d’une telle loi.

48. La Constitution de 1990 de la République de Serbie modifi ait aussi la relation formelle
entre la République de Serbie et la Fédération, ainsi qu’avec la Constitution de la RFSY.

49. Toutes les constitutions antérieures de la République de Serbie, y compris la Constitution
34
de1974 de la RS de Se rbie (article premier) , contenaient une disposition qui définissait la
République de Serbie comme membre de la Fé dération (RPFY, RFSY). Cette disposition ne
figurait plus dans l’article premier de la C onstitution de 1990 de la République de Serbie.
35
L’appartenance de la République de Serbie à la Fédération était mentionnée à l’article 135 de la
Constitution de 1990, ce qui constituait un changeme nt important du point de vue juridique et
systémique.

50. Ni la Constitution ni l’acte constitutionnel promulguant la Constitution de la République
de Serbie ne définissait les droits et devoirs de la République de Serbie en vertu de la Constitution,

qui auraient dû être exercés conformément à la constitution fédérale, comme stipulé à l’article 135,
paragraphe1, de la Constitutio n de 1990 de la République de Serbie. Bien que le titre du
chapitreVIII concernât la relation de la Répub lique de Serbie avec la RFSY, le chapitreVIII

n’expliquait pas pour quels motifs la Serbie avait ab oli les principales caractéristiques du statut des
provinces autonomes telles que prévues dans la Constitution de la RFSY.

4. Loi sur les actes des autorités de la République au titre de l’état d’urgence du 26 juin 1990
⎯ proclamation de l’état d’urgence au Kosovo

51. Le processus d’abolition de l’autonomie du Kosovo a été facilité par la déclaration de
l’état d’urgence au Kosovo, qui a précédé l’adopt ion de la Constitution de 1990 de la République

de Serbie. Pourtant, il n’a pas été proclamé d’état d’urgence en Voïvodine. L’Assemblée de la RS

33Voir le paragraphe 4 du chapitre I sur la dissolution de la RFSY.

34L’article premier de la Constitution de 1974 de la RS de Serbie stipulait que la République socialiste de Serbie
faisait partie de la République fédérative socialiste de Yougoslavie.
35
Article 135 de la Constitution de la République de Serbie :

«Les droits et obligations conférés par la prés ente Constitution à la République de Serbie, qui fait
partie de la République fédérative socialiste de Yougoslavie, et exercés dans la Fédération conformément
à la constitution fédérale, sont exercés conformément à la constitution fédérale. Si les actes des
organismes de la Fédération ou les actes des organismes d’une autre république, en violation des droits et
obligations qui sont les siens en vertu de la onstitution de la République fédérative socialiste de
Yougoslavie, violent l’égalité de la République de Serbie ou menacent d’une autre manière ses intérêts,
sans prévoir de réparation, les orga nes de la République prennent des mesures pour protéger les intérêts
de la République de Serbie.» - 14 -

de Serbie a adopté une loi spéciale suivie de la déclaration de l’état d’urgence au Kosovo par une
décision spécifique et l’introduction de mesu res coercitives dans quelque 250 sociétés et

organisations au Kosovo.

52. Avec 36 loi sur les actes des autorités de la République au titre de l’état d’urgence du
26 juin 1990 , la République de Serbie s’est arr ogé des pouvoirs que ne lui donnait pas la
Constitution de la RFSY. La loi établissait l’«état d’urgence», défini à l’article 2 de la loi , dont la 37

proclamation conférait aux autorités de la Républi que de Serbie le pouvoir de prendre des mesures
coercitives afin de suspendre les droits à l’autogestion des travai lleurs dans les sociétés et les

institutions, les droits des entités sociopolitiques (l eurs assemblées et orga nes administratifs) et
même la compétence des tribunaux. Bien que la lo i soit applicable à l’ensemble de la République
de Serbie, l’Assemblée de la République de Serbie a établi dans une décision 38adoptée le même

jour que l’état d’urgence ne s’appliquait que dans la province autonome du Kosovo.

39
53. Dans un débat public devant la Cour constitutionne lle de Yougoslavie , ses initiateurs
ont soutenu qu’avec cette loi, la République de Serbie, en violation de la Constitution de la RFSY
et de la législation fédérale, préparait le terra in à l’adoption de mesure s coercitives dans quelque

250 sociétés et institutions, dans lesquelles les organe s de direction et d’autogestion ont été relevés
de leurs fonctions et 55 000 à 60 000 travailleurs lic enciés. Ces mesures visaient principalement la

population albanaise majoritaire au Kosovo.

54. L’examen des aspects de forme et de fond de l’adoption de la loi conduit à conclure que
celle-ci était inconstitutionnelle. Outre la Constitutio n de la RFSY, des lois fédérales étaient aussi
violées (par exemple la loi sur les bases de l’administ ration de l’Etat et le Conseil exécutif fédéral,

la loi sur la procédure administrative générale, la loi sur les différends administratifs).

36Loi sur les actes des autorités de la République au titre de l’état d’urgence, Službeni list SR Srbije, n 30/1990,
26 juin 1990.

37Article 2, paragraphe 1, de la loi sur les actes des autorités de la république au titre de l’état d’urgence :

«L’état d’urgence défini à l’article premier de la présente loi est réputé s’appliquer dans la partie
du territoire de la République socialiste de Serbie (dénommée ci-après «la partie du territoire de la
République») où, d’une manière organisée :

1) des activités ont été menées contre l’ordre constitutionnel et l’intégrité territoriale ;

2) des lois et règlements n’ont pas été appliqués ;

3) des actes susceptibles de faire courir des risques à la vie et à la santé des personnes ont été accomplis ;
4) les droits et devoirs prévus par la Constitution et par les lois sont exercés d’une manière qui cause de
graves dommages aux intérêts de la société et où ils visent à atteindre des objectifs contraires à la

Constitution.»
38Décision de l’Assemblée de la République socialiste de Serbie établissant l’existence de l’état d’urgence sur le
o
territoire de la PSA du Kosovo (Službeni list SR Srbije, n 30/1990, 26 juin 1990).
39Le débat public s’est tenu devant la Cour constitutionnelle de Yougoslavie le 30 mai 1991. Il a été présidé par
le président de la Cour constitutionnelle de Yougoslavie, Milovan Buzadjić, avec pour juge rapporteur Pjeter Kolja. Ont

participé au débat public: Musa Janiku et Avni Kpuska, au nom de l’Assemblée de la municipalité de Djakovica qui
avait initié la procédure; Njegovan Kljaji ć et Vladan Kutleši ć au nom de l’Assemblée de Serbie; les initiateurs de la
procédure : Sabit Hodža, Esad Stavileci, Šaban Kajtazi, Nik Ljumezi ; des chercheurs de haut niveau : Ibrahim Festi ć, de
Sarajevo, Dragan Medvedović, de Zagreb, Budimir Košutić, de Belgrade, Boštjan Markić, de Ljubljana, et Bardulj Čauši,
de Pristina. - 15 -

40
55. Aux termes de la Constitution de 1974 de la RFSY (article 203) , les libertés et les droits
qu’elle garantissait ne pouvaient être ni retirés ni limités ; pourtant, la loi envisageait des cas et des
conditions dans lesquels des libertés et des dro its exercés en contradiction avec la Constitution

pouvaient être retirés ou limités. La protection judici aire des droits et liber tés était garantie. Le
droit à l’autogestion était défi ni dans la Constitution (art. 155) 41 comme un droit imprescriptible et

inaliénable des travailleurs et des citoyens da ns les sociétés, les institutions et les entités
sociopolitiques.

56. La protection des libertés et des droits s’appliquait en temps de paix, en cas d’état
d’urgence et en cas de menace imminente de guerre. Des dérogations n’étaient permises qu’en cas

d’état de guerre, lorsque la présidence de la RFSY pouvait suspendre, par décret-loi, los libertés et
droits individuels aux fins de la défense nationale (art. 317 et amendement n 41).

57. La République de Serbie n’avait p as légitimement le pouvoir d’imposer un état
d’urgence, de limiter les droits à l’autogestion ou de licencier des travailleurs. En adoptant cette

loi, la République de Serbie commettait une ingé rence dans des domaines relevant des pouvoirs de
la fédération (article 281 de la Constitution de la RFSY ). 42

58. La loi sur les actes des autorités de la République au titre de l’état d’urgence a été
adoptée en violation de la Constitution, étant don né qu’elle retirait des pouvoirs aux organes des

autres entités sociopolitiques (municipalités et provinces autonomes), déléguait ces pouvoirs aux
organes de la République de Serbie et, surt out, concentrait les pouvoirs entre les mains de

l’Assemblée de la République de Serbie (art. 13-16). En subordonnant les organes municipaux et 43 44
provinciaux aux organes de la République, la loi violait directement les articles 132 et 149 de la
Constitution de la RFSY. Aux termes de la Constitution de la RFSY, il n’y avait pas de

subordination verticale des assemblées des entités so ciopolitiques, alors que les organes de gestion
étaient responsables horizontalement devant l’assemblée de l’entité sociopolitique compétente.

59. De plus, la disposition de l’article 6 de la loi était aussi contraire à la Constitution vu
qu’elle conférait à la Cour suprême de Serbie le pouvoir de désigner un autre tribunal compétent

pour statuer sur les différends administratifs, alors qu’ en vertu de la loi sur les tribunaux ordinaires
de la province autonome du Kosovo, la Cour suprême du Kosovo était seule compétente pour
régler les différends administratifs dans la province autonome du Kosovo.

40 Article 203, paragraphe 1, de la Constitution de la RFSY: «Les libertés et les droits garantis par la présente
Constitution ne peuvent être ni retirés ni limités.»

41 Article 155 de la Constitution de la RFSY :

«Le droit du travailleur et du citoyen à l’autogestion est imprescriptible et inaliénable. Il permet à
chacun de décider de ses intérêts personnels et collecifs dans les organisations de travail associé, les
communautés locales, les co mmunautés autogestionnaires d’intérêts et les autres organisations et
communautés autogestionnaires, les communautés sociopolitiques et toutes les autres formes
d’association autogestionnaire et de coopération mutuelle.»

42 L’article 281 de la Constitution de la RFSY définissa it 17 groupes de questions que la Fédération réglementait
par l’intermédiaire des organes fédéraux.

43 Article 132, paragraphe 1, de la Constitution de la RFSY : «L’assemblée est l’organe de l’autogestion sociale et
l’organe suprême du pouvoir dans le cadre des droits et devoirs d’une entité sociopolitique.»

44 Article 149, paragraphe 3, de la Constitution de la RFSY : «Les organes administratifs sont autonomes dans le
cadre de leurs attributions ; ils sont responsables de leur activité devant l’assemblée et le conseil exécutif.» - 16 -

60. L’inconstitutionnalité de la loi sur l’ét at d’urgence était encore aggravée par deux

instruments adoptés par l’Assemblée de la RS de Serbie le même jour que la loi, à savoir le
26juin1990: une décision établissant l’existence d’un état d’urgence sur le territoire de la
province autonome du Kosovo 45et une décision introduisant des mesures provisoires de protection
46
sociale dans la société Elektrokosovo .

4.1. Violation des principes de l’état de droit

61. L’ampleur des violations des principes de l’état de droit, qui mettaient en péril les droits
de l’homme et les libertés au Kosovo, est encore plus évidente si les trois mesures adoptées par

l’Assemblée de Serbie le 26 juin 1990 sont considérées ensemble.

62. Comme indiqué ci-dessus, à la séance du même jour (26 juin 1990), l’Assemblée de la
RS de Serbie a adopté trois mesures de rang juridique différent :

1) une norme juridique générale : la loi sur les actes des autorités de la République au titre de l’état
d’urgence ;

2) évaluation de la situation en vue de l’appli cation d’une loi: la décision établissant l’existence

d’un état d’urgence sur le territoire de la province autonome du Kosovo ;

3) une mesure spécifique : la décision de l’Assemb lée de la RS de Serbie relative à l’introduction

de mesures provisoires de protection sociale des dr oits à l’autogestion et des biens de propriété
collective de la société Elektrokosovo à Pristina.

63. Ces trois mesures ont été adoptées, publiées au Journal officiel, et sont entrées en vigueur
le 26juin1990, violant ainsi le principe de vacatio legis, qui exige qu’un certain laps de temps
s’écoule entre la date de promulgation de la loi et son entrée en vigueur. Ce principe garantit que

les intéressés ont connaissance de la norme juridique imposant ou interdisant un certain
comportement afin d’adapter leurs futurs actes à ces normes contraignantes. Ce principe n’a pas
été appliqué en l’occurrence. Les intéress és n’ont pas pu prendre connaissance des normes

contraignantes et n’ont pas pu adapter leurs actes à ces normes.

64. En contradiction avec le principe de vacatio legis, la loi ne prévoyait pas de délai dans
lequel les habitants du Kosovo aura ient pu prendre connaissance des dispositions de la loi, et en
particulier de son article 2 déte rminant les actes en raison des quels l’Assemblée pouvait déclarer

l’état d’urgence (menace contre l’ordre constitutionn el et l’intégrité territoriale, non respect des
lois, menaces contre la vie et la santé des individus, atteintes à l’intérêt public). De plus, la
décision établissant l’existence d’un état d’urgen ce sur le territoire de la province autonome du

Kosovo aurait exigé un délai suffisant au terme duque l les autorités compétentes de la République
de Serbie auraient pu déterminer où en Serbie existaient pareilles circonstances. Le Conseil
exécutif aurait alors proposé que l’Assembléeétab lisse l’existence d’un état d’urgence dans une
partie déterminée de la République.

45Décision de l’Assemblée de la République socialiste de Serbie établissant l’existence de l’état d’urgence sur le
territoire de la PSA du Koso(Službeni list SR Srbije, n 31/1990, 26 juin 1990).

46Décision de l’Assemblée de la Républi que socialiste de Serbie relative à l’adoption de mesures provisoires de
protection sociale dans la société pub lique de distribution d’électricité Elektokosovo Pristina (Službeni list SR Srbije ,
no31/1990, 26 juin 1990). - 17 -

65. Au contraire, dès l’adoption de la loi, l’ Assemblée de la RS de Serbie a établi dans une

décision à la même séance, sans analyse, qu’un ét at d’urgence existait dans la province autonome
du Kosovo. La prise en compte du principe de vacatio legis aurait été cruciale pour permettre aux
organes compétents d’analyser la situation sur le terrain afin que l’avocat social de l’autogestion

propose à l’Assemblée de la RS de Serbie les noms des sociétés nécessitant des mesures
contraignantes.

66. Vu que les intéressés n’avaient pas connaissance des normes définissant les actes
illégaux en raison desquels l’Asse mblée de Serbie introduisait des sanctions (mesures coercitives)
dans les sociétés et les organisations, et ne pouva ient donc pas adapter leurs actes à ces normes, les

sanctions étaient en fait imposées rétroactivement. La rétroactivité des normes lé47slatives et
réglementaires était inconstitutionnelle (article 211 de la Constitution de la RFSY ).

67. Il est intéressant de noter que la loi sur les actes des autorités de la République au titre de
l’état d’urgence et la décision de l’Assemblée de la RS de Serbie sur la détermination de l’existence
de l’état d’urgence ont été adoptées à la même sé ance et publiées le même jour dans des éditions

spéciales du Journal officiel (Službeni glasnik), les deux éditions étant oarues le même jour, à
savoir le 26 juin 1990 : la loi a été publiée dans le Službeni glasnik n 30/1990 du 26 juin 1990, et
la décision dans le Službeni glasnik n 31/1990 de la même date, à savoir le 26 juin 1990.

68. Le délai requis entre le deuxième niveau décisionnel (établissant l’existence d’un état
d’urgence) et le troisième niveau (imposition de sanctions dans un cas concret) pour introduire des

sanctions effectives contre certaines organisations lo rs de l’établissement de l’existence d’un état
d’urgence dans la province autonome du Kosovo faisait également défaut.

69. L’avocat social pour l’autogestion de la République, qui était autorisé en vertu de
l’article11 de la loi sur les actes des autorités de la République au titre de l’état d’urgence à
proposer à l’Assemblée de la République de Serb ie l’adoption de mesures coercitives, a proposé à

l’Assemblée d’adopter des mesures coercitiv es contre la société publique Elektrokosovo. La
décision de l’Assemblée concernant l’adoption de ces mesures porte la même date (26 juin 1990) et
a été publiée dans le même numéro du Journal officiel (n 31/1990).

70. De plus, l’avocat social pour l’autoges tion de la République a proposé à l’Assemblée de
la RS de Serbie d’adopter des «mesures provisoires de protection des droits à l’autogestion et des

biens de propriété collective» contre toutes les sociétés ou organisations.

71. Dans tous les cas, les raisons suivan tes ont été données pour l’adoption des mesures

provisoires :

⎯ grave dégradation des relations d’autogestion ;

⎯ atteinte grave aux intérêts sociaux ;

⎯ non-respect des obligations statutaires.

47Article 211, paragraphes 1 et 2 de la Constitution de la RFSY :

«Les lois et autres prescriptions et leactes généraux des communa utés sociopolitiques ne
peuvent avoir d’effet rétroactif.
Seule la loi peut prescrire que, si l’intérêt géné ral l’exige, certaines de ses dispositions auront un
effet rétroactif.» - 18 -

72. Il faut souligner qu’aucune preuve n’a ét é présentée à l’appui des violations alléguées.
La procédure décrite dans l’affaire Elektrokos ovo a été menée dans toutes les sociétés et
institutions. Sur la proposition de l’avocat social pour l’autogestion, l’Assemblée de la RS de

Serbie a décidé d’introduire des mesures provisoir es de protection sociale des droits d’autogestion
et des biens de propriété collective.

73. Les mesures suivantes ont été imposées à Elektrokosovo par l’Assemblée de la RS de
Serbie :

⎯ les organes d’autogestion (conseil des travaille urs; commission disciplinaire; comité des
travailleurs pour le contrôle de l’autogestion) sont dissous ;

⎯ une direction provisoire (de trois membres) de la société est nommée pour remplir les fonctions
des trois organes d’autogestion ;

⎯ les droits suivants des travaille urs liés à l’autogestion sont provi soirement suspendus : droit de
décider des changements de statut ; droit de d écider des embauches et des licenciements ; droit

de décider de la répartition d es revenus personnels; droit de décider de la répartition des
logements ;

⎯ tous les droits susmentionnés liés à l’autogestion sont exercés par la direction provisoire de la
société ;

⎯ les mesures provisoires sont en vigueur pendant une période de 12 mois ;

⎯ le coût de la mise en Œuvre des mesures provisoires est supporté par la société Elektrokosovo.

74. La gravité des mesures ressort en particulier de la mesure relative aux coûts de
l’abolition illégale du statut antérieur de la gestion et de l’autogestion, qui devaient être pris en

charge par la société ou l’organisation elle-même.

75. Le 5 juillet 1990, l’Assemblée a imposé d es mesures supplémentaires à Radio-televizija
Pristina, à la société de presse Rilindija, aux éditeurs de journaux Rilindija et Zeri e Rinis et à
d’autres entités. De telles mesu res coercitives ont été introduites, avec des interruptions plus

brèves, dans quelque 250sociétés et organisati ons, dans le secteur économique comme dans le
secteur non économique.

76. La violation de l’état de droit peut au ssi être induite d’un examen des observations
générales adoptées par le Comité des droits de l’hom me sur l’article 4 du pacte international relatif

aux droits covils et po48tiques concernant les dérogaoions durant un état d’urgence (observati49
générale n 5 (1981) et aussi observation générale n 29 (2001) remplaçant la précédente ), étant
donné que les conditions stipulées dans ces observations n’étaient pas remplies par la Serbie.

48Observation générale n 5. Treizième session du Comité des droits de l’homme, 31 juillet 1981.

49Observation généralen o29. Soixante-douzième session du comité des droits de l’homme, 31août2001,
CCPR/C/21/Rev.1/Add.11. - 19 -

o
77. Le paragraphe2 de l’observation générale n 29 stipule que les mesures dérogeant aux
dispositions du pacte doivent avoir un caractère exceptionnel et provisoire. Avant qu’un Etat ne
décide d’invoquer l’article 4, il faut que deux conditions essentielles soient réunies: la situation

doit représenter un danger public exceptionnel qui menace l’existence de la nation et l’Etat partie
doit avoir proclamé officiellement un état d’urgen ce. L’article4, paragraphe3, dispose que les
Etats parties, lorsqu’ils usent du droit de dérogation prévu par l’article 4, s’engagent à un régime de

notification internationale. De plus, une exig ence fondamentale à laquelle doivent répondre toutes
les mesures dérogeant au pacte, comme stipulé à l’ article4, paragraphe1, est qu’elles ne peuvent
être prises que dans la stricte mesure où la situation l’exige. Le paragraphe 8 de l’observation n 29 o

dit en outre qu’aux termes de l’ article4, paragraphe1, pour qu’une quelconque dérogation aux
dispositions du pacte soit justifiée, il faut que les mesures prises n’entraînent pas une
discrimination fondée uniquement sur la race, la coul eur, le sexe, la langue, la religion ou l’origine

sociale.

78. Il convient de noter que l’observation générale n o5 de 1981 soulignait déjà que

lorsqu’une situation d’urgence publique menace l’ existence de la nation et est proclamée par un
acte officiel, un Etat partie peut déroger à ses oblig ations en ce qui concerne un certain nombre de
droits dans la stricte mesure où la situati on l’exige. De plus, l’observation générale n 5 disait que

la dérogation ne peut néanmoins s’appliquer à certains droits bien déterminés et que l’Etat partie ne
peut pas prendre de mesures discriminatoires sous divers prétextes. L’obligation de l’Etat partie de
signaler aussitôt aux autres Etats parties, par l’entremise du Secrétaire général, les dispositions

auxquelles il a été dérogé ainsi que les motifs qui ont provoqué cette dérogation et la date à laquelle
il y a mis fin était également mentionnée, ainsi que le caractère exceptionnel et temporaire des
mesures prises conformément à l’article 4.

5. Loi sur les relations de travail dans le cadre de l’état d’urgence du 26 juillet 1990

50
79. La loi sur les relations de travail dans le cadre de l’état d’urgence du 26juillet1990
complétait les mesures provisoires inconstitutio nnelles privant les employés de nombreuses
sociétés de la province autonome du Kosovo de tous leurs droits liés à l’autogestion.

80. La loi suspendait les dispositions applicabl es du droit du travail dans tous les organes et

organisations de la province autonome du Kosovo dans lesquels un état d’urgence avait été déclaré,
et elle introduisait des mesures provisoires de prot ection sociale des droits à l’autogestion et des
biens de propriété collective.

81. L’adoption de la loi sur les relations de tr avail dans le cadre de l’état d’urgence offrait à
la RS de Serbie une base formelle pour licen cier illégalement 55000 à 60000 travailleurs

⎯principalement des Albanais du Kosovo (données provenant du débat public du 30mai1991
devant la Cour constitutionnelle de Yougoslavie sur la loi sur l es actes des autorités de la
République au titre de l’état d’urgence).

50 Loi sur les relations de travail danle cadre de l’état d’urgence Službeni list SR Srbije , n 40/1990,
26 juillet 1990). - 20 -

82. La loi stipulait (article premier) 51que dans les sociétés et organisations à l’égard

desquelles des mesures provisoires de protection des droits à l’autogestion et des biens de propriété
collective avaient été imposées, les dispositions d es lois et autres réglementations introduisant ces
circonstances devaient s’appliquer sauf stipulation c ontraire de la loi. En conséquence, l’article

premier constituait une entrave inconstitutionnelle au droit à l’autogestion (article 155 de la
Constitution de la RFSY) et au droit au travail (article 159 de la Constitution de la RFSY).

83. La loi sur les relations de travail dans le cadre de l’état d’urgence a aussi été adoptée sans
vacatio legis : elle a été promulguée à la date de son a doption, à savoir le 26 juillet 1990, et est

entrée en vigueur le même jour.

6. Loi sur la cessation des travaux de l’Assemb lée de la province autonome du Kosovo et du
Conseil exécutif de l’Assemblée de la province autonome du Kosovo ⎯ abolition des

organes suprêmes de la province autonome du Kosovo

84. L’introduction de l’état d’urgence au Kosovo a été suivie du démantèlement de la

structure du pouvoir politique au Kosovo, c’est-à-dir e de ses organes suprêmes. Le 5 juillet 1990,
l’Assemblée de la province autonome du Koso vo et son Conseil exécutif ont été abolis 52 et le
53
18 mars 1991, le membre représentant le Kos ovo à la présidence de la54FSY a été révoqué et la
présidence de la province autonome du Kosovo a été abolie .

85. L’Assemblée de la République de Serbie n’avait pas le pouvoir d’adopter la loi sur la
cessation des travaux de l’Assemblée de la province autonome du Kosovo et du Conseil exécutif de

l’Assemblée de la province autonome du Kosovo. Aux termes de la C onstitution de la RFSY,
toutes les entités sociopolitiques (des municipalités à la Fédération) avaient une assemblée, «organe
del’autogestionsocialeetorgane suprême du pouvoir dans le cadre des droits et devoirs

d’une entité so ciopolitique», dont l’orga nisation était gouverné e par ses propres actes
juridiques .55

51 Article premier de la loi sur les relations de travail dans le cadre de l’état d’urgence :

«Dans une partie du territoire de la RS de Serb ie, dans laquelle l’état d’urgence existe, comme
prévu par la loi, les dispositionsde la loi et autres réglementations s’appliquent pour réglementer les
relations de travail dans les collectifs de travail de l’administration, des organisations administratives, des

services techniques et autres organes publics auxquels s’applique la réglementation sur l’administration
publique (dénommés ci-après les organes) ainsi que dans les sociétés, les activités sociales et les
associations contre lesquelles ont été prises de s mesures provisoires de protection des droits à
l’autogestion et des biens de propriété sociale (d énommés ci-après les orga nisations), à moins que
certaines questions et relations ne soient autrement réglementées par la présente loi.»
52
Loi sur la cessation des travaux de l’Assemblée de la PSA du Kosovo et du Conseil exécutif de l’Assemblée de
la PSA du Kosovo, Službeni glasnik Republike Srbije, n 33/1990, 5 juillet 1990.
53
Décision sur la révocation du membre de la poésiden ce de la RFSY représenta nt la province autonome du
Kosovo et Metohija, Službeni glasnik Republike Srbije, n 15/1991, 18 mars 1991.
54
o Loi sur la cessation des travaux de la présidence de la PSA du Kosovo, Službeni glasnik Republike Srbije ,
n 15/1991, 18 mars 1991.
55
Article 132, paragraphe 2, de la Constitution de la R FSY : «La formation, l’organisation et la compétence des
assemblées des communautés sociopolitiques et des orga nes responsables devant elle s, sont réglées par la
Constitution, les statuts et la loi su ivant les principes uniques déterminés par la présente Constitution.» - 21 -

86. L’Assemblée de la province autonome du Kosovo 56 et le Conseil exécutif de la province
57
autonome du Kosovo devaient leur existence aux dispositi ons de la Constitution de la province
autonome du Kosovo. En conséquence, l’Assembl ée de la RS de Serbie n’avait pas le pouvoir
d’établir ou d’abolir l’Assemblée de la province autonome du Kosovo ou son Conseil exécutif.

87. L’Assemblée de la République de Serbie a adopté la loi sur la cessation des travaux de
l’Assemblée de la province autonome du Kosovo et du Conseil exécutif de l’Assemblée de la

province autonome du Kosovo sans en préciser le fondement juridique. En fait, la justification de
son adoption était fondée sur l’assertion selon laquelle l’Assemblée de la province autonome du
Kosovo et son Conseil exécutif ne fonctionnaient pas conformément à la Constitution. De plus, il

était affirmé que la majorité des membres du C onseil exécutif «faisaient peser une menace sur la
souveraineté, l’intégrité territoriale et l’ordre c onstitutionnel de la RS de Serbie». L’allégation
d’inconstitutionnalité des actes ne pouvait justifier l es mesures prises contre l’Assemblée et le

Conseil exécutif de la province autonome du Kosovo. Les infractions pénales alléguées de mise en
péril de l’ordre constitutionnel et de menace contre l’ intégrité territoriale de la Serbie auraient dû
avoir pour résultat le déclenchement de procédur es pénales contre les individus soupçonnés et non
servir de prétexte à l’abolition de l’organe constitutionnel de la province autonome du Kosovo.

88. En conséquence, la loi sur la cessati on des travaux de l’Assemblée de la province

autonome du Kosovo et du Conseil exécutif de l’Assemblée de la province autonome du Kosovo
était contraire à la Constitution dans son intégralité, en particulier ses articles 2 et 5, bien qu’il
faille noter que la Cour constitutionnelle de Yougoslavie n’a jamais rendu de décision en ce sens.

89. L’article 2 de la loi déterminait qui assumait les fonctions de l’Assemblée et du Conseil
exécutif de la province autonome du Kosovo : l’Assemblée de la RS de Serbie se voyait confier les

attributions de l’Assemblée de la province autonom e du Kosovo et le Conseil exécutif de la RS de
Serbie celles du Conseil exécutif de la province autonome du Kosovo.

90. En même temps que la date d’entrée en vi gueur de la loi, son article 5 prévoyait la
révocation de tous les fonctionnaires de l’Assembl ée de la province autonome du Kosovo, de tous
les membres du Conseil exécutif et de tous les fonctionnaires des organes administratifs de la

province.

91. Il faut souligner qu’il n’y avait pas de relation verticale de supériorité ou de

subordination entre les assemblées de la RS de Serbie et de la province autonome du Kosovo ou
entre leurs conseils exécutifs ; en conséquence, l’Assemblée de la RS de Serbie ne pouvait assumer
les fonctions de l’Assemblée de la province au tonome du Kosovo. Le même raisonnement vaut

pour la relation entre les deux conseils exécutifs, puisque le conseil exécutif était seulement
horizontalement responsable devant l’assemblée qui l’avait élu. Etant donné que les fonctionnaires
de l’Assemblée et les membr es du Conseil exécutif de la province autonome du Kosovo étaient

élus ou nommés par l’Assemblée de la province au tonome du Kosovo, cette dernière était le seul
organe habilité à les révoquer.

56
Article 300, paragraphe 1, de la Constitution de 1de la PSA du Kosovo: «L’Assemblée de la province
socialiste autonome du Kosovo est un organe de l’autogesti on sociale et l’organe suprêm e du pouvoir dans le cadre des
droits et devoirs de la province.»
57Article 349 de la Constitution de la PSA du Kosovo : «Le Conseil exécutif est un organe de l’Assemblée de la
PSA du Kosovo. Il exerce ses droits et ses fonctions sur la base et dans le cadre de la présente Constitution et des lois.» - 22 -

92. La loi a eu deux effets négatifs directs :

a) Les citoyens du Kosovo ont été privés de leurs droits constitutionnels d’exercer le pouvoir dans
la province autonome du Kosovo et de leurs droits souverains dans la Fédération par
l’intermédiaire des organes provinciaux.

b) L’abolition de l’Assemblée de la provin ce autonome du Kosovo a entravé et même dans
certains cas empêché l’exercice des fonctions fédérales.

93. Du fait de la suppression de l’Assemblée de la province autonome du Kosovo, Le

Conseil des républiques et des provinces de l’Assemblée de la RFSY n’était plus un organe
légitime vu qu’il n’avait pas la com position prévue par la Constitution 58, puisqu’une de ses huit

délégations, celle de l’Assemblée de la province autonome du Kosovo, n’était plus représentée. La
règle du quorum au Conseil des républiques et des provinces exigeait la présence des huit
délégations sans exception . En conséquence, il n’était plus possible de prendre de décisions sur

les questions exigeant le consensus des assemb lées des républiques et des provinces (comme
stipulé par l’article 286 de la Constitution de la RFSY).

94. Dans l’adoption de cette loi, la pr imauté du droit n’a pas été respectée et la vacatio legis
n’a pas été définie, vu que la loi a été adoptée et est entrée en vigueur le même jour.

6.1. Décisions adoptées sur la base des nouvelles lois ⎯ révocation d’un membre de la

présidence de la RFSY et abolition de la présidence de la province autonome du
Kosovo

95. En 1991, la réduction des pouvoirs des in stitutions de la prov ince autonome du Kosovo
s’est poursuivie avec la révocation d’un membre de la présidence de la RFSY et l’abolition de la
60
présidence de la province autonome du Kosovo ;

96. Lors d’une séance extraordinaire tenue le 18 mars 1991, l’Assemblée de la République

de Serbie a, par une procédure accélérée, révoqué le membre de la présidence de la RFSY
représentant le Kosovo et aboli la présidence de la province autonome du Kosovo, s’ingérant ainsi

directement dans les fonctions de la présidence de la RFSY.

97. Là encore, la RS de Serbie ne disposait d’aucun fondement juridique pour ces deux actes.
Le fondement juridique de la constitution et d es travaux des présidences des républiques et des
présidences des provinces autonomes se trouvait dans la Constitution de la RFSY . Les travaux de

58Article 284, paragraphe 3, de la Constitution de la R FSY: «Le Conseil des républiques et des provinces est
composé des délégations des assemblées des républiques et des assemblées des provinces autonomes.»

59Article 295, paragraphe 1, de la Constitution de la R FSY : «Le Conseil des républiques et des provinces statue
en séance à laquelle sont représentées toutes les délégations des assemblées des républiques et les assemblées des
provinces autonomes, et à laquelle assiste la majorité des délégués au Conseil.»

60Ces décisions ont coïncidé avec la crise au sein la présidence de la RFSY à la suite de la démission du
président Jović et de la déclaration de Miloševi ć selon laquelle la Serbie ne reconna îtrait aucune des décisions de la
présidence de la RFSY. Voir: «La Serbie ne reconnaîtra aucune des décisions de la présidence de la Yougoslavie»,
Borba, Belgrade, 17 mars 1991.

61Articles 147, 322 et 324 de la Constitution de la RFSY et amendement n 41. - 23 -

la présidence de chaque république étaient ré glementés par la constitution de la république

concernée et ceux de la présidence de chaque province autonome par la constitution de la province.

98. Aux termes de la Consti62tion de la RFSY (article 321) et de la Constitution de la
province autonome du Kosovo , les membres de la présidence de la RFSY représentant la province
autonome étaient élus et révoqués par l’Assemblée de la province autonome du Kosovo. S’il était

mis fin au mandat d’un membre de la présiden ce de la RFSY représentant une province autonome
et si un nouveau membre était élu, ses fonctions à la présidence de la RFSY étaient remplies par le
président de la présidence de la province aut onome jusqu’à l’élection d’un nouveau membre
o
(article 324 de la Constitution de la RFSY et amendement n 41).

99. En conséquence, la révocation de Riza Sa punxhiu, membre de la présidence de la RFSY

représentant la province autonome du Kosovo, éta it dépourvue du fondement juridique nécessaire.
L’Assemblée de la République de Serbie a fondé sa décision sur l’ article 324 de la Constitution de
la RFSY et sur l’amendement n 41, ainsi que sur l’article 2 de la loi sur la cessation des travaux de

l’Assemblée de la province autonome du Kosovo et du Conseil exécutif de o’Assemblée de la
province autonome du Kosovo. Or l’article324 (avec l’amendement n 41) stipulait tout le
contraire, à savoir que l’Assemblée de la RS de Serbie ne pouvait élir e et révoquer qu’un membre

de la présidence de la RFSY représentant la Serbie et non un membre représentant la province
autonome du Kosovo. L’article 2 de la loi sur la cessation des travaux de l’Assemblée de la
province autonome du Kosovo et du Conseil exécutif de l’Assemblée de la province autonome du

Kosovo ne pouvait pas non plus, en fait, servir de fondement juridique à ces décisions, puisque la
loi elle-même était inconstitutionnelle.

100. L’ordre du jour de la séance de l’Asse mblée de Serbie du 18 mars 1991 ne prévoyait
initialement que la révocation de M. Riza Sapunxhiu en tant que membre de la présidence de la
RFSY représentant la province autonome du Kosovo. Toutefois, durant la suspension de séance, il

a été proposé d’ajouter à l’ordre du jour l’adoption de la loi sur la cessation des travaux de
l’Assemblée de la province autonome du Kosovo. Le gouvernement a rédigé la loi durant la
suspension de séance, sans indiquer le fondement juridique de son adoption . 63

101. Lors de l’abolition de la présiden ce de la province autonome du Kosovo, une

proposition a été soumise à l’Assemb lée en vue d’abolir également la présidence de la province
autonome de Voïvodine, mais cette proposition n’a pas été adoptée.

102. Ces deux actes inconstitutionnels (la révocation de M. Riza Sapunxhiu en tant que
membre de la présidence de la RFSY représentant la province autonome du Kosovo et l’abolition
de la présidence de la province autonome du Ko sovo) ont été approuvés par l’Assemblée de la

République de Serbie lors d’une séance extraordinaire le 18 mars 1991.

103. De plus, s’agissant du remplacement d’un membre de la présidence de la RFSY

représentant la province autonome, il faut noter la disposition de l’acte constitutionnel de1990
promulguant la Constitution de la République de Serbie. Cette derniè re stipulait qu’un membre de

62
Article 301, paragraphe 1, poi20, Constitution de la PSA du Kosovo : «L’Assemblée élit et révoque le
membre de la présidence de la RFSY représentant la PSA du Kosovo.»
63«Deux heures ont suffi», Borba, Belgrade, 19 mars 1991. - 24 -

la présidence de la RFSY représentant la provin ce autonome devait être remplacé par le président
64
de l’Assemblée de la province autonome , ce qui était contraire à l’article 324 de la Constitution
de la RFSY.

7. Changements constitutionnels après 1991

65
104. L’adoption de la Cons titution de 1992 de la RFY a conclu le processus d’abolition de
l’autonomie des provinces engagé par la Républiq ue de Serbie en 1989 avec les amendements
constitutionnels et repris avec l’adoption de la Constitution de 1990. Contrairement à la

Constitution de 1974 de la RFSY, la Constitution de la RFY ne contenait pas de dispositions
relatives aux provinces autonomes. L’article 2 de la Constitution de la RFY disait que la RFY était

composée de la République de Serbie et de la République du Monténégro. Contrairement à
l’article 2 de la Constitution de la RFSY, il ne stipulait pas que la République de Serbie comportait
des provinces autonomes. En trois ans, l’autonom ie instituée par la Constitution de1974 de la

RFSY avait été abolie.

105. La légitimité et la légalité de l’adoptio n de la Constitution de 1992 de la RFY étaient
contestables pour deux raisons :

a) Le Conseil fédéral de l’Assemblée de la RFSY , qui a adopté la Constitution de la RFY, n’avait
ni de motifs juridiques de prendre cette décisi on ni le pouvoir d’adopter une constitution. Le

mandat du Conseil fédéral élu en 1986 était expiré en 1990 et n’avait pas été renouvelé, bien
que cela eût été possible en cas d’urgence ou de guerre (article 308 de la Constitution de la
RFSY).

b) La procédure d’adoption de la Constitution de la RFY était inappropriée. La procédure
elle-même aurait suffi à rendre cette mesure nulle et non avenue . 66

106. Les décisions concernant les amendeme nts à laConstitution de la RFSY étaient

adoptées par le Conseil fédéral à la majorité des de ux tiers de tous les délégués. Les amendements
devaient aussi être approuvés par les assemblé es de toutes les républiques et provinces autonomes

(art.401 et 402). Il faut souligner qu’au mome nt de l’adoption de la Constitution de la RFY
(27avril1992), leConseil fédéral ne fonctionna it plus, puisque la RFSY ne fonctionnait plus non
plus. La commission Badinter a fait observer que la RFSY était en cours de dissolution formelle.

Troismois seulement après l’adoption de la C onstitution de la RFY, la commission Badinter a
constaté que la RFSY n’avait plus d’existence . Il est donc permis d’affirmer qu’au lieu d’adopter
la Constitution de la RFY sur la base de la révi sion de la Constitution de la RFSY (art. 398-403),

les acteurs du nouvel Etat auraient dû convoquer une assemblée constituante.

64
oActe constitutionnel de promulguant la C onstitution de la République de Serbie, Službeni glasnik Republike
Srbije, n1/1990, 28 septembre 1990, article 12, paragraphe 3: «A compter de la date de la cessation des travaux de la
présidence de la province socialiste autonome, le membre de la présidence de la RFSY représentant la province autonome
sera remplacé par le président de la province autonome dans les cas prévus par la Constitution de la RFSY.»
65 o
Constitution de la République fédérale de Yougoslavie, Službeni list SR Jugoslavije n 1/1992, 27 avril 1992.
66
Cette opinion a été exprimée par Pavle Nikoli ć, professeur à la Faculté de dr oit de Belgrade, qui a dit que du
point de vue juridique, en raison des erreurs commises duran t l’adoption de la Constitution de la RFY, la Constitution
était nulle et non avenue. Pavle Nikolić : Erreurs et inexistence juridique de la Constitution de la République fédérale de
Yougoslavie du 27 avril 1992, Pravni život, Belgrade, n 7-8/1992.
67 o
Dans son avis n 1 du 29 novembre 1o91, la commission Badinter constatait que la RFSY était «engagée dans
un processus de dissolution» ; dans son avis n 8, du 4 juillet 1992, elle constatait «que le processus de dissolution de la
RFSY mentionné dans l’avis no 1 du 29 novembre 1991 est maintenant achevé et que la RFSY n’existe plus». - 25 -

107. A la suite de la déclaration d’indépe ndance du 25 juin 1991 et de l’expiration du
moratoire de trois mois sur les activités relatives à l’indépendance (prévu dans la déclaration de
68
Brioni ), la République de Slovénie et la Républiq ue de Croatie ainsi que la République de
Bosnie-Herzégovine et la République de Macédoine ne participaient plus aux travaux du Conseil
fédéral, tandis que les provinces autonomes du Ko sovo et de Voïvodine ont été supprimées avec

l’adoption de la Constitution de 1990 de la République de Serbie.

108. Il faut souligner que la procédure en vigueur en RFSY pour la révision de la
Constitution n’était pas appropriée s’agissant de l’ adoption de la constitution d’un nouvel Etat (la

RFY), puisqu’au li69 de huit membres (qui devaient tous appr ouver les amendements
constitutionnels ), deux membres seulement, la Serbie et le Monténégro, ont participé à la
procédure. En conséquence, l’acte promulguant la Constitution de la RFY n’indiquait pas le

fondement constitutionnel de l’adoption (sur la base de l’article 403, le Conseil fédéral était chargé
de promulguer les amendements à la Constitution de la RFSY). De plus, l’acte ne citait pas
d’articles de la Constitution de la RFSY pouvant justifier les signatures de la présidente du Conseil
70 71
fédéral ou du président de l’Assemblée de la RFSY .

109. Il est important de souligner que la RFY n’a pas utilisé la procédure suivie par les autres
nouveaux Etats issus de la RFSY (Slovénie, Croatie, Bosnie-Herzégovine et Macédoine) afin d’être

reconnus par la Communauté européenne c onformément aux lignes directrices sur 72
reconnaissance des nouveaux Etats en Europe orientale et en Union soviétique . Elle a en
revanche revendiqué la succession exclusive de la RFSY, qui n’a jamais été reconnue par la

communauté internationale (sur la succession de l’ex-RFSY, voir le chapitre I relatif à la
dissolution de l’ex Yougoslavie).

110. La Communauté étatique de Serbie -et-Monténégro créée le 4février2003 par

l’adoption de la Charte constitutionnelle de la Communauté étatique de Serbie-et-Monténégro n’a
pas non plus eu d’effet sur le statut constitutionne l des provinces autonomes. La Serbie a mis en
place un régime qui avait été initié par la Constitu tion de 1990 et qui est resté inchangé après

l’adoption de la Constitution de la République fé dérale de Yougoslavie en 1992. Le concept
d’«autonomie territoriale» a été préservé, alor s que la Constitution de 2006 de la République de
Serbie se réfère uniquement aux citoyens qui exercent leur droit à l’autonomie des provinces 74, et

non aux «citoyens (résidents), nations et nationa lités» comme stipulé par la Constitution de la
RFSY et aussi par la Constitution de 1974 de la République de Serbie.

68A sa séance du 2 octobre, l’Assemblée de la République de Slovénie a cons taté que le moratoire prévu par la
déclaration conjointe de Brioni expirerait le 7 octobre 1991 et qu’il n’y avait pas de motif de le prolonger. L’Assemblée
concluait que la poursuite de la partic ipation des représentants de la Républiq ue de Slovénie aux travaux des organes

fédéraux de la RFSY n’était plus nécessa ire. Voir: Positions et conclusions de l’Assemblée de la République de
Slovénie à l’expiration du moratoire de trois mois sur la posuite de la mise en Œuvre des actes d’indépendance de
loAssemblée de la République de Slovénie du 25 juin 1991, prévu par la déclaration de Brioni du 7 juillet 1991, Ur. 1. RS
n 16/1991.
69
Article 402, paragraphe 1, de la Constitution de laFSY: «La révision de la Constitution de la RFSY est
réputée adoptée lorsque le texte voté par le Conseil fédéral de la RFSY a été a pprouvé par les assemblées de toutes les
républiques et provinces autonomes ou par les assemblées de toutes les républiques.»
70
Bogdana Glumac-Levakov.
71
Slobodan Gligorijević.
72Déclaration sur les lignes directrices sur la reconnaissance des nouveaux Etats en Europe orientale et en Union
soviétique (16 décembre 1991).

73Constitution de la République de Serbie, Službeni glasnik Republike Srbije, n 98/2006.

74Article 182, paragraphe 2, de la Constitution de 2006 de la République de Serbie. - 26 -

C ONCLUSION

111. L’analyse de l’histoire juridique et d’ autres événements montre que les amendements
constitutionnels de 1989 et les lois qui, adoptées sur la base de ces amendements, ont encadré les
diverses mesures qui devaient aboutir au démant èlement de l’autonomie du Kosovo violaient la
Constitution de 1974 de la RFSY ainsi que le principe de la primauté du droit. Dans ce processus,

des violations flagrantes des droits de l’homme et des libertés ont aussi été commises. Il en est
résulté une situation de non-droit qui a privé de nombreux Albanais du Kosovo de leurs droits et les
a exclus de l’emploi, de l’éducation, etc. Pour toutes ces raisons, la conviction a prévalu que la
majorité de la population du Ko sovo ne voulait plus se retrouver soumise au pouvoir des Serbes,

étant donné que la République de Serbie avait non seulement aboli le statut de République
autonome du Kosovo mais aussi commis des actes illicites de violence contre la majorité de la
population du Kosovo.

(Signé) Simona D ESNIK ,

plénipotentiaire, ministre
chef de la division du droit international.

___________

Document file FR
Document
Document Long Title

Observations écrites de la Slovénie (traduction du Greffe)

Links