Résumé de l'ordonnance du 2 juin 1999

Document Number
14147
Document Type
Number (Press Release, Order, etc)
1999/11
Date of the Document
Document File
Document

Résumés des arrêts, avis consultatifs et ordonnances de la Cour
internationale de Justice
Document non officiel

AFFAIRE RELATIVE À LA LICÉITÉ DE L’EMPLOI DE LA FORCE

(Y OUGOSLAVIE c. ESPAGNE) (MESURES CONSERVATOIRES)

Ordonn ance du 2 juin 1999

Dans une ordonnance rendue en l’affaire relative à la
Le texte complet du dispositif de l’ordonnance est ainsi
Licéité de l’emploi de la force (Yougoslavie c. Espagne),libellé :
Cour a rejeté par quatorze voix contre deux la demande en
indicatio de mesures conservatoires présentée par la « 40. Par ces motifs,
République fédérale de Yougoslavie (RFY). LA COUR,
Dans son ordonnance, la Cour, ayant indiqué qu’elle n’ait 1) Par quatorze voix contre deux,
manifestement pas compétence pour connaître de l’affaire, a
Rejette la demande en indication de mesures
décidé de s’en dessaisir. Elle a ordonné, par treize voix conservatoires présentée par la République fédérale de
contre trois, que l’affaire soit rayée du rôle. Yougoslavie le 29 avril 1999;
La Cour était composée comme suit : M. Weeramantry, POUR : M. Weeramantry, Vice-Président, faisant
Vice-Président, faisant fonction de président; M. Schwebel, fonction de président en l’affaire; M. Schwebel, Président
Président de la Cour; MM. Oda, Bedjaoui, Guillaume, de la Cour; MM. Oda, Bedjaoui, Guillaume, Ranjeva,
me
Ranjeva, Herczeghme Shi, Fleischhauer, Koroma, Herczegh, Fleischhauer, Koroma, M Higgins,
Vereshchetin, M Higgins, MM. Parra-Aranguren, MM. Parra-Aranguren, Kooijmans, juges; MM. Torres
Kooijmans, juges; MM. Torres Bernárdez, Kreca, juges ad Bernárdez, Kreca, juges ad hoc;
hoc; M. Valencia-Ospina, Greffier. CONTRE : MM. Shi, Vereshchetin, juges;

* 2) Par treize voix contre trois,
* * Ordonn e que l’affaire soit rayée du rôle.

_______________________________
Lire la suite à la page suivante

119 POU:MW .eeramantry, Vice-Président, faisant lui incombent, en vertu de lad ite Charte et [de son] Statut,
fonction de président en l’affaire; M. Schwebel, Président dans le maintien de la paix et de la sécurité», la Cour

de la Cour; MM.Oda, Bedjaoui, Guillaume, Ranjeva, « estime nécessaire de souligner que toutes les parties qui se
Herczegh, Shi, Fleischhau er, Koroma, MmeHiggins, présentent devant elle doivent agir conformément à leurs
M. Kooijmans, juges; M. Torres Bernárdez, juge ad hoc; obligations en vertu de la Charte des Nations Unies et des
CONTRE : MM. Vereshchetin, Parra-Aranguren, autres règles du droit international, y compris du droit
juges; M. Kreca, juge ad hoc. » humanitaire ».

* La Cour rappelle ensuite qu’ellen«’a pas
automatiquement compétence po ur connaître des différends
* * juridique» entre États et que l’un des principes
fondamentaux de son Statut est qu’elle ne peut trancher un
MM.Shi, Koroma et Vereshchetin, juges, ont joint des différend entre des États sans que ceux-ci aient consenti à sa
démearations à l’ordonnance de la Cour. MO .da, juridiction ». Elle ne peut indiquer de mesures conservatoires
M Higgins et MM.Parra-Aranguren et Kooijmans, juges, sans que sa compétence en l’affaire ait été établie prima
et M.Kreca, juge ad hoc, y ont joint les exposés de leur
opinion individuelle. facie.
Au sujet de la première base de compétence invoquée, la
* Cour observe que l’Espagne a fait valoir que sa déclaration
contenait une réserve, pertinente en l’espèce. Aux termes de
* * celle-ci, l’Espagne ne reconnaît pas la compétence de la Cour

Rappel des faits en ce qui concerne «les différen ds dans lesquels l’autre ou
les autres parties en cause ont accepté la juridiction
Le 29 avril 1999, la Yougoslavie a déposé une requête obligatoire de la Cour moins de douze mois» avant la date
introductive d’instance contre l’Espagne pour «violation de de soumission de l’affaire à la Cour. La Cour constate que la
l’obligation de ne pas recourir à l’emploi de la force», Yougoslavie a déposé sa déclaration d’acceptation de la
accusant cet État de bombarder le territoire yougoslave juridiction obligatoire de la Cour auprès du Secrétaire
«conjointement avec d’autres États membres de l’OTAN». général des Nations Unies le 26 avril 1999 et qu’elle a porté

Lemême jour, elle a présenté une demande en indication de le différend devant la Cour le 29 avril 1999. Elle indique
mesures conservatoires, priant la Cour d’ordonner à qu’il ne fait aucun doute que les conditions d’exclusion
l’Espagne de «cesser immédiatement de recourir à l’emploi spécifiées dans la déclaration de l’Espagne sont remplies. La
de la force» et de «s’abstenir de tout acte constituant un Cour conclut que les déclarations faites par les parties ne
recours ou une menace de recours à la force » contre la RFY. sauraient manifestement pas constituer une base de
Pour fonder la compétence de la Cour, la Yougoslavie a compétence en l’affaire, même prima facie.

invoqué les déclarations par lesquelles les deux États ont Quant à l’argument de l’Espagne selon lequel la
accepté la juridiction obligatoire de la Cour à l’égard de tout Yougoslavie n’est pas un État membre des Nations Unies vu
autre État acceptant la même ob ligation (Art.36, par.2, du la résolution 777 (1992) du Conseil de sécurité et la
Statut de la Cour), ainsi que l’article IX de la Convention résolution 47/1 (1992) de l’Assemblée générale des Nations
pour la prévention et la répression du crime de génocide, Unies, ni un État partie au St atut de la Cour, et ne saurait
adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le ester devant la Cour, la Cour considère qu’elle n’a pas à
9décembre 1948. L’article IX de la Convention sur le
examiner cette question compte tenu du fait qu’elle a conclu
génocide prévoit que les différends entre les parties que les déclarations ne constituent pas une base de
contractantes relatifs à l’interprétation, l’application ou compétence.
l’exécution de la Convention seront soumis à la Cour À propos de l’article IX de la Convention sur le
internationale de Justice. génocide, la Cour indique qu’il n’est pas contesté que tant la
Yougoslavie que l’Espagne sont parties à cette convention,

Raisonnement de la Cour mais que l’instrument d’adhésion de l’Espagne, déposé
Dans son ordonnance, la Cour souligne tout d’abord auprès du Secrétaire général des Nations Unies le
13septembre 1968, comporte une réserve «touchant la
qu’elle est « profondément préoccupée par le drame humain, totalité de l’article IX». La Convention sur le génocide
les pertes en vies humaines et les terribles souffrances que n’interdisant pas les réserves et la Yougoslavie n’ayant pas
connaît le Kosovo et qui constituent la toile de fond» du présenté d’objection à la réserve faite par l’Espagne, la Cour
différend, «ainsi que par les victimes et les souffrances considère que l’article IX ne constitue manifestement pas
humaines que l’on déplore de façon continue dans
l’ensemble de la Yougoslavie». Elle se dit également une base de compétence, même prima facie.
fortement préoccupée par l’emploi de la force en La Cour conclut qu’elle «n’a manifestement pas
compétence pour connaître de la requête de la Yougoslavie »
Yougoslavie» qui, «dans les circonstances actuelles ... et qu’elle «ne saurait dès lors indiquer quelque mesure
soulève des problèmes très graves de droit international». conservatoire que ce soit». Elle ajoute que «dans un
En gardant « présents à l’esprit les buts et les principes de la
Charte des Nations Unies, ainsi que les responsabilités qui système de juridiction consensuelle, maintenir au rôle

120général une affaire sur laquelle il apparaît certain que la Cour celle dont elle est actuellement saisie, la Cour n’a pas exercé,
ne pourra se prononcer au fond ne participerait assurément ainsi que le lui avait demandé la Yougoslavie, le pouvoir de

pas d’une bonne administration de la justice ». se prononcer d’office sur la demande en indication de
La Cour rappelle enfin qu’il «existe une distinction mesures conservatoires de celle-ci, sur la base du
fondamentale entre la question de l’acceptation par un État paragraphe 1 de l’article 75 de son règlement.
de la juridiction de la Cour et la compatibilité de certains Pour ces motifs, M. Shi se voit dans l’obligation de voter
actes avec le droit internationa l». «[L]a compétence exige contre le paragraphe 1 du dispositif des six ordonnances.

le consentement; la compatibilité ne peut être appréciée que
quand la Cour examine le fond, après avoir établi sa Déclaration du juge Koroma
compétence et entendu les deux parties faire pleinement
valoir leurs moyens en droit». Elle souligne que «les États, Dans sa déclaration, M. Koroma fait observer qu’il s’agit
qu’ils acceptent ou non la juridi ction de la Cour, demeurent peut-être des affaires les plus graves dont la Cour ait jamais
en tout état de cause responsables des actes contraires au été saisie, s’agissant de l’indication de mesures
droit international, y compris au droit humanitaire, qui leur conservatoires. Il relève que ces mesures, selon la
jurisprudence, ont pour objet de prévenir la violence et le
seraient imputables » et que «tout différend relatif à la licéité recours à l’emploi de la force, de sauvegarder la paix et la
de tels actes doit être réglé par des moyens pacifiques dont le
choix est laissé aux parties conformément à l’Article 33 de la sécurité internationales ainsi que de jouer un rôle important
Charte ». Dans ce cadre, « les parties doivent veiller à ne pas dans le mécanisme de règlement des différends que prévoit
aggraver ni étendre le différ end». La Cour réaffirme que la Charte des NationsUnies. Aussi l’indication de telles
«lorsqu’un tel différend suscite une menace contre la paix, mesures est-elle, selon lui, l’une des fonctions les plus
une rupture de la paix ou un acte d’agression, le Conseil de importantes de la Cour.
Mais l’octroi de telles mesures, souligne M.Koroma, ne
sécurité est investi de responsabilités spéciales en vertu du
Chapitre VII de la Charte ». peut se faire qu’en conformité avec le Statut de la Cour. À
cet égard et compte tenu de sa ju risprudence, la Cour ne fera
Déclaration du juge Shi pas droit à une demande en indication de mesures
conservatoires lorsqu’elle n’a pas compétence prima facie ou
Tout comme la majorité, M.Shi pense que la Cour n’a lorsque d’autres circonstances s’opposent à leur prononcé.
pas dans les instances que la Yougoslavie a introduites
contre la France, l’Allemagne, l’Italie et le Royaume-Uni Il estime toutefois que la Cour, organe judiciaire
compétence prima facie pour indiquer les mesures principal des Nations Unies dont la principale raison d’être
demeure le maintien de la paix et de la sécurité
conservatoires sollicitées par le demandeur et qu’il est même internationales, a une obligation claire et nette de contribuer
encore plus évident qu’il en va de même dans les instances au maintien de la paix et de la sécurité internationales et de
introduites contre l’Espagne et les États-Unis. fournir le cadre judiciaire, qui doit permettre de résoudre un
Il estime cependant que la Cour, confrontée à une conflit juridique, tout particulièrement lorsque celui-ci non
situation de grande urgence découlant de l’emploi de la force
seulement menace la paix et la sécurité internationales mais
en Yougoslavie et contre celle-ci et saisie des demandes en engendre aussi des souffrances humaines énormes et des
indication de mesures conservatoires présentées par le pertes en vies humaines qu’on ne cesse de déplorer. C’est
demandeur, aurait dû faire une déclaration générale exhortant pourquoi il se joint aux autres membres de la Cour pour
les Parties à agir conformément aux obligations qui sont les appeler à un règlement pacifique du conflit conformément à
leurs en vertu de la Charte des Nations Unies et de toutes les l’Article 33 de la Charte et pour exhorter les Parties à ne pas
autres règles de droit international applicables à la situation aggraver ni étendre le différe nd et à respecter le droit
et tout au moins à ne pas aggraver ou étendre leurs
international, y compris le droit humanitaire et les droits de
différends, indépendamment de la conclusion à laquelle la l’homme de tous les citoyens yougoslaves.
Cour pourrait parvenir sur sa compétence prima facie avant
de rendre son arrêt définitif. Déclaration du juge Vereshchetin
Aucune disposition du Statut ou du Règlement n’interdit
à la Cour d’agir ainsi. De plus, étant donné les Les circonstances extraordinaires dans lesquelles la
Yougoslavie a présenté sa demande en indication de mesures
responsabilités que la Charte et le Statut qui fait partie conservatoires imposaient la nécessité de réagir
intégrante de celle-ci attribuent à la Cour dans le cadre
général du maintien de la paix et de la sécurité, une telle immédiatement. La Cour aurait dû exprimer sa profonde
déclaration relève des pouvoirs implicites que possède la préoccupation devant les événements douloureux, les pertes
Cour dans l’exercice de sa fonction judiciaire. La Cour, à en vies humaines et les gr aves violations du droit
l’évidence, n’a pas saisi l’occas ion de jouer le rôle qu’on international qui se produisaient et qui, lorsque la demande a
attend d’elle pour le maintien de la paix et de la sécurité été déposée, étaient déjà une question de notoriété publique.
Il n’est pas convenable que l’organe judiciaire principal des
lorsque le besoin s’en fait le plus sentir. Nations Unies, dont la raison d’être est d’apporter une
De plus, contrairement à ce qu’elle a fait dans la récente
affaire LaGrand (Allemagne c. États-Unis d’Amérique), dans solution pacifique aux différends internationaux, garde le
une situation présentant un moindre degré d’urgence que silence dans une telle situation. Même si, en fin de compte,

121la Cour parvient à la conclusion que, à cause des contraintes l’irrecevabilité des requêtes présentées par la République
que lui impose son Statut, elle ne peut pas indiquer de fédérale de Yougoslavie, qui de ce fait auraient dû être

mesures conservatoires en bonne et due forme conformément rayées du rôle général de la Cour.
aux dispositions de l’Article 41 du Statut à l’égard de l’un ou Il examine toutefois ensuite la question de savoir si la
l’autre des États défendeurs, la Cour a le pouvoir inhérent, à République fédérale de Yougoslavie aurait pu présenter les
tout le moins, d’enjoindre immédiatement aux Parties de ne requêtes dans ces affaires sur le fondement de certains
rien faire qui puisse aggraver ou étendre le conflit et d’agir instruments juridiques, à supposer que celle-ci puisse être
conformément à leurs obligations en vertu de la Charte des
Nations Unies. Ce pouvoir découle de sa responsabilité qui considérée comme partie au Statut. Après avoir examiné i) le
sens de la clause facultative du Statut de la Cour; ii)le
est d’être la gardienne du droit international ainsi que de contexte des traités conclus en 1930 et 1931 avec la Belgique
considérations essentielles d’ordre public. L’autorité d’un tel et les Pays-Bas respectivement; et iii)la Convention sur le
appel de la «Cour mondiale», qui se situerait dans le droit génocide de 1948, il conclut qu’aucun de ces instruments ne
fil des dispositions de l’Article41 de son Statut, du confère à la Cour compétence pour connaître de l’une ou
paragraphe 4 de l’article 74 et du paragraphe 1 de l’article 75 l’autre de ces dix requêtes.
de son règlement, pourrait avoir pour effet de donner à
Tout comme la Cour, M. Oda pense que celle-ci doit,
réfléchir aux Parties engagées dans un conflit militaire sans faute de disposer d’une base de compétence, rejeter les
précédent dans l’histoire de l’Europe depuis la fin de la demandes en indication de mesures conservatoires dans les
Seconde Guerre mondiale. dix instances. La Cour ayant décidé qu’elle n’a pas
La Cour était instamment priée de faire prévaloir la règle compétence pour connaître de ces affaires, fût-ce prima
de droit dans le contexte de violations flagrantes sur une
grande échelle du droit international, y compris de la Charte facie, cela ne peut signifier, selon lui, qu’elle n’a aucune
compétence que ce soit à l’égard de ces affaires. Il s’ensuit,
des Nations Unies. Au lieu d’agir avec diligence et, si selon M.Oda, que les requêtes doivent être rejetées à ce
nécessaire, en sa qualité de «principale gardienne du droit stade de la procédure non seulement dans les affaires
international», la majorité de la Cour, plus d’un mois après concernant l’Espagne et les États-Unis où la Cour conclut à
que les demandes ont été présentées, les a rejetées d’emblée son incompétence manifeste, ma is aussi dans toutes les
à l’égard de l’ensemble des affaires qui avaient été soumises, autres affaires puisqu’elle a relevé qu’elle n’avait même pas
y compris celles dans lesquelles la compétence prima facie
de la Cour aurait clairement pu être établie. En outre, cette compétence prima facie.
M.Oda signale aussi que la distinction opérée par la
décision a été prise dans une situation dans laquelle Cour entre les requêtes –qui ont pratiquement le même
l’intensification délibérée des bombardements des zones les objet– résulte simplement des positions différentes que les
plus fortement peuplées continue de causer sans répit des États ont pu adopter à l’égard des divers documents qu’il y a
pertes en vies humaines parmi les non-combattants ainsi que lieu d’appliquer pour déterminer la compétence de la Cour.
des maux physiques et psychologiques à la population dans
l’ensemble de la Yougoslavie. Or cette distinction aboutira à un résultat différent pour la
suite de la procédure dans ch acune de ces instances. Pour
Pour les raisons qui précèdent, M.Vereshchetin ne peut M.Oda, il s’agit là d’une situation illogique, qui étaye sa
souscrire à l’inaction de la C our à cet égard, bien qu’il conviction que les dix affaires au raient dû être rejetées à ce
concède que, dans certaines des affaires introduites par le stade de la procédure, pour la totalité de leurs éléments.
demandeur, la base de compétence de la Cour, à ce stade de
la procédure, peut susciter le doute, et que dans le cas de
l’Espagne et des États-Unis, elle est inexistante. Opinion individuelle du juge Higgins
Dans ses opinions individuelles, M me Higgins aborde

Opinion individuelle du juge Oda deux questions que soulèvent les instances où la République
fédérale de la Yougoslavie invoque la compétence de la Cour
M.Oda appuie la décision de la Cour de rejeter les sur le fondement du paragraphe2 de l’Article36 du Statut.
demandes en indication de mesures conservatoires La première concerne les limitations ratione temporis dont
présentées par la République fédérale de Yougoslavie contre sont assorties les «clauses facultatives» et en particulier
les dix États défendeurs. M.Oda approuve la décision de la celle de savoir à quel moment surgit un différend et quand
Cour de rayer de son rôle gé néral les affaires relatives à
l’Espagne et aux États-Unis, mais, dans les huit autres les événements en cause se s ont produits. Ces notions sont
analysées compte tenu de la déclaration même de la
affaires, il a voté contre le paragraphe du dispositif de Yougoslavie. La deuxième question est de savoir exactement
l’ordonnance par lequel la Cour a indiqué qu’elle ce qu’il faut démontrer pour que la Cour soit convaincue
« [r]éserv[ait] la suite de la procédure », car il estime que ces qu’elle a compétence prima facie , lorsqu’elle envisage
huit affaires devraient aussi être rayées du rôle général de la d’indiquer des mesures conservatoires. Certaines questions
Cour à ce stade de la procédure. de compétence sont d’une telle complexité qu’il n’est pas du

Selon M.Oda, la République fédérale de Yougoslavie tout possible de les examiner à ce stade de la procédure. Le
n’est pas membre des Nations Unies et n’est pas en report de leur examen à un stade ultérieur ne fait pas obstacle
conséquence partie au Statut de la Cour internationale de à ce que la Cour détermine si elle a ou non compétence
Justice. Pour ce seul motif, la Cour aurait dû conclure à prima facie au regard de l’Article 41.

122 Opinion individuelle de M. Parra-Aranguren une demande d’admission à l’Organisation des
Nations Unies. Dans l’immédiat, elle ne participerait pas aux
M P.arra-Aranguren rappelle que l’articl7e9 du
Règlement de la Cour prévoit que toute exception à la travaux de l’Assemblée générale (résolution 47/1). La
compétence de la Cour, de la part du défendeur, doit être République fédérale de Yougoslavie n’a jamais présenté de
présentée par écrit dans le délai fixé pour le dépôt du contre- demande d’admission.
4. Dans les ordonnances qu’elle rend dans ces affaires, la
mémoire. La Cour statue sur de telles exceptions Cour élude la question de la validité contestée de la
préliminaires ainsi qu’il est prévu au paragraphe7 de
l’article79. La Cour n’a pas le pouvoir discrétionnaire de déclaration de la Yougoslavie. Elle estime ne pas avoir à
s’écarter des règles arrêtées pa r cet article. Or la présente examiner cette question puisque la déclaration ne saurait lui
instance n’est pas encore parven ue au stade où le défendeur conférer compétence prima facie sur le fondement d’autres
peut présenter des exceptions préliminaires. Aussi M.Parra- titres.
5. Selon M. Kooijmans, le raisonnement de la Cour manque
Aranguren estime-t-il que, lorsqu’elle statue sur une de cohérence à cet égard. Ces autres titres de compétence
demande en indication de mesures conservatoires, la Cour ne
peut ni rendre d’arrêt définitif sur la compétence ni ordonner n’entrent en ligne de compte que si la validité de la
la radiation de l’affaire de son rôle. déclaration –du moins au stade actuel de la procédure– est
acceptée. Le raisonnement de la Cour présume la validité de
la déclaration. La Cour aurait dû le dire et aurait dû justifier
Opinion individuelle du juge Kooijmans son point de vue.
1. M.Kooijmans joint à l’ordonnance de la Cour l’exposé
de son opinion individuelle dans les instances introduites par 6. Selon M.Kooijmans, il n’était certes pas nécessaire pour
la Cour de se prononcer définitivement sur l’admission de la
la Yougoslavie contre la Belgique, le Canada, les Pays-Bas, Yougoslavie à l’Organisation des Nations Unies. Il sait
le Portugal, l’Espagne et le Royaume-Uni respectivement. parfaitement que la résolution 47/1 est sans précédent et
Il ne partage pas le point de vue de la Cour selon lequel soulève un certain nombre de questions juridiques d’une très
la déclaration par laquelle la Yougoslavie a accepté la grande complexité qui exigeront une analyse approfondie et
juridiction obligatoire de la Cour le 25 avril1999 ne saurait une évaluation rigoureuse par la Cour à un stade ultérieur de
établir un titre de compétence dans la présente affaire même
la procédure.
prima facie du fait des réserves figurant dans les déclarations Quelle que soit la difficulté de la question, les décisions
de l’Espagne et du Royaume-Uni ainsi que de la limitation pertinentes ont été prises par les organes de l’Organisation
ratione temporis figurant dans la déclaration de la des NationsUnies (le Conseil de sécurité et l’Assemblée
Yougoslavie (il s’agit des instances introduites contre la générale) qui ont compétence exclusive en matière
Belgique, le Canada, les Pays-Bas et le Portugal). Il estime
que la Cour n’a pas compétence prima facie, parce que la d’admission, et ces décisions ne sauraient être méconnues ou
ignorées.
déclaration de la Yougoslavie, pour ce qui est de sa validité, 7.Selon M.Kooijmans, les doutes que soulèvent les
prête à controverse. La question de la validité de cette décisions prises par les organes compétents de l’Organisation
déclaration constitue une question préliminaire que la Cour des NationUs nies à l’égard de l’admission de la
aurait dû examiner dès le départ. Yougoslavie et de la validité de la déclaration que celle-ci a
Comme cette question n’est pas pertinente dans les quatre
autres affaires (contre la Fran ce, l’Allemagne, l’Italie et les faite sont toutefois si sérieux que la Cour aurait dû conclure
que cette déclaration ne saurait constituer pour elle une base
États-Unis)–ces États ne reconnaissant eux-mêmes pas la de compétence prima facie. La Cour ne devrait indiquer des
juridiction obligatoire de la Cour–, point n’est besoin de mesures conservatoires que si sa compétence pour connaître
joindre l’exposé d’une opinion individuelle pour celles-ci. du différend apparaît comme raisonnablement probable. Or
2. Selon le texte même du paragraphe2 de l’Article36 du cette probabilité raisonnable n’existe pas dans ces affaires,
Statut, seuls les États qui y sont parties peuvent reconnaître étant donné la validité incertaine de la déclaration.

la juridiction de la Cour comme obligatoire en remettant une 8. Si tel est le cas, les questions comme les réserves et les
déclaration d’acceptation au Secrétaire général de limitations ratione temporis sur le fondement desquelles la
l’Organisation des Nations Unies. Les États Membres de Cour s’est prononcée sont dénuées de pertinence puisqu’elles
cette Organisation sont d’office parties au Statut. Chacun des sont totalement subordonnées à la question préliminaire de la
six États défendeurs a fait valoir que la déclaration validité de la déclaration.
d’acceptation de la République fédérale de Yougoslavie n’a
pas été faite valablement étant donné que cet État n’est pas
Opinion individuelle de M. Kreca, juge ad hoc
membre des Nations Unies.
3. Le 22septembre 1992, l’Assemblée générale, sur la Dans son opinion individuelle, M. Kreca met l’accent sur
recommandation du Conseil de sécurité, a décidé que la les points suivants :
République fédérale de Yougoslavie ne pouvait pas assumer M.Kreca estime qu’aucune de s fonctions de l’institution
automatiquement la qualité de Membre de l’Organisation des du juge ad hoc visant à assurer l’égalité au sein de la Cour
Nations Unies à la place de l’ancienne République fédérative n’a été respectée dans ce cas particulier. Il découle de la

socialiste de Yougoslavie et qu’elle devrait donc présenter lettre et de l’esprit du paragraphe 2 de l’Article31 du Statut

123de la Cour, si on l’applique au cas d’espèce, que la peuvent aussi avoir des conséquences concrètes d’une portée
Yougoslavie, en tant qu’État demandeur, aurait dû avoir le considérable.

droit de désigner autant de juges ad hoc pour prendre place M. Kreca fait observer qu’une réserve, comme celle que
sur le siège, étant donné qu’il faut assurer une égalité entre l’Espagne a formulée à l’égard de l’article IX de la
l’État demandeur et les États défendeurs qui comptent un Convention pour la prévention et la répression du crime de
juge de leur nationalité sur le siège et qui font cause génocide, ne contribue pas à la mise en œuvre du concept
commune. Le droit naturel à une représentation égale au sein d’une communauté internationale organisée de jure. Les
de la Cour, traduction du principe fondamental de l’égalité
des parties, signifie concrètement que la République fédérale États n’expriment pas verbalement leur foi dans le droit
international en formulant des vœux sous forme de
de Yougoslavie aurait dû avoir le droit de désigner cinq déclarations mais en prenant des mesures effectives,
juges ad hoc car cinq des dix États défendeurs (les États- destinées à mettre en œuvre les droits de l’homme et les
Unis, le Royaume-Uni, la France, l’Allemagne et les Pays- libertés fondamentales. Il en est tout particulièrement ainsi
Bas) comptent sur le siège un juge de leur nationalité. pour la Convention sur le génocide car :
Concurremment, si l’on suit la jurisprudence constante de
« Dans une telle convention, les États contractants
la Cour, aucun des États défendeurs n’a le droit de désigner n’ont pas d’intérêts propres; ils ont seulement, tous et
un juge ad hoc (Juridiction territoriale de la Commission chacun, un intérêt commun, celui de préserver les fins
internationale de l’Oder; Régime douanier entre supérieures qui sont la raison d’être de la Convention. »
l’Allemagne et l’Autriche). (Réserves à la Convention pour la prévention et la
Point n’est besoin de souligner la très grande importance répression du crime de génocide, avis consultatif de la
des questions susmentionnées, car il est évident qu’elles ne
Cour internationale de Justice.)
voient pas leurs effets se limiter à la procédure, mais qu’elles

124

Document file FR
Document
Document Long Title

Résumé de l'ordonnance du 2 juin 1999

Links