Résumé de l'arrêt du 5 décembre 2011

Document Number
16839
Document Type
Number (Press Release, Order, etc)
2011/6
Date of the Document
Document File
Document

COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE

Palais de la Paix, Carnegieplein 2, 2517 KJ La Haye, Pays-Bas
Tél : +31 (0)70 302 2323 Télécopie : +31 (0)70 364 9928
Site Internet : www.icj-cij.org

Résumé
Document non officiel

Résumé 2011/6
Le 5 décembre 2011

Application de l’accord intérimaire du 13 septembre 1995

(ex-République yougoslave de Macédoine c. Grèce)

Résumé de l’arrêt du 5 décembre 2011

I. Contexte factuel de l’affaire (par. 15-22)

La Cour rappelle que, le 17 novembre 2008, l’ex-Républi que yougoslave de Macédoine
(ci-après dénommée le «demandeur») a déposé au Greffe de la Cour une requête introductive
d’instance contre la République hellénique (ci-après dénommée le «défendeur») au sujet d’un
différend concernant l’interprétation et l’exécu tion de l’accord intérimaire du 13septembre1995

(ci-après dénommé l’ «accord intérimaire»).

Le demandeur cherche en particulier à établir que le défendeur, en s’opposant à l’admission
du demandeur à l’OTAN, a violé le paragraphe 1 de l’article 11 dudit accord. Cette disposition est

libellée comme suit :

«Lorsque le présent accord intérimaire sera entré en vigueur, la première Partie
ne s’opposera pas à la demande d’admission de la seconde Partie dans des
organisations et institutions internationales, multilatérales ou régionales dont la

première Partie est membre, non plus qu’à la participation de la seconde Partie à ces
organisations et institutions; toutefois, la pr emière Partie se réserve le droit d’élever
des objections à une telle demande ou à une te lle participation si [et dans la mesure
où] la seconde Partie doit être dotée dans ces organisations ou institutions d’une
appellation différente [de] celle prévue au paragraphe 2 de la résolution 817 (1993) du

Conseil de sécurité des Nations Unies.»

Au paragraphe2 de la résolution817 (1993), le Conseil de sécurité recommandait que le
demandeur soit admis à l’Organisation des Nations Unies et soit «désigné provisoirement, à toutes
fins utiles à l’Organisation, sous le nom d’«ex-République yougoslave de Macédoine» en attendant

que soit réglée la divergence qui a[vait] surgi au sujet de son nom».

Dans la période qui suivit l’adoption de l’accord intérimaire, le demandeur fut admis au sein
de plusieurs organisations intern ationales dont le défendeur était déjà membre. A l’invitation de
l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord, il fut admis à participer, en 1995, au partenariat pour

la paix de cette organisation (un programme qui vise à favoriser la coopération entre l’OTAN et les
pays partenaires), puis, en1999, au plan d’action pour l’adhésion (qui aide les éventuels futurs - 2 -

membres de l’Organisation). La candidature du demandeur fut examinée à une réunion des Etats
membres de l’OTAN tenue à Bucares t (ci-après le «sommet de Bucarest») les2 et 3avril2008,

mais le demandeur ne fut pas invité à entamer d es discussions en vue de son adhésion. Dans le
communiqué publié à l’issue du sommet, il était préc isé que le demandeur serait invité à adhérer
«dès qu’une solution mutuellement acceptable à la question de son nom aura[it] été trouvée».

II. Compétence de la Cour et recevabilité de la requête (par. 23-61)

La Cour rappelle que le de mandeur a invoqué, comme base de compétence, le paragraphe 2

de l’article21 de l’accord intérimaire, aux te rmes duquel toute «divergence ou…tout différend»
concernant l’«interprétation ou l’exécution» de l’accord intérimaire relève de la compétence de la
Cour, à l’exceptionde la «divergence» visée au paragraphe1 de l’article 5. Cette dernière
disposition est ainsi libellée :

«Les parties conviennent de poursuivre les négociations sous les auspices du
Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, conformément à la
résolution 845 (1993) du Conseil de sécurité, en vue de parvenir à régler le différend

mentionné dans cette résolution et dans la résolution 817 (1993) du Conseil.»

Le défendeur prétend que la Cour n’a pas compétence pour connaître de la présente espèce et
que la requête est irrecevable pour les motifs suivants. Premièrement, il affirme que le différend se

rapporte à la divergence au sujet du nom du demande ur visée au paragraphe1 de l’article5 de
l’accord intérimaire, et est donc exclu de la compétence de la Cour aux termes de l’exception
énoncée au paragraphe2 de l’article21 de ce même instrument. Deuxièmement, il avance que le
différend a trait à un comportement imputable à l’OTAN et à ses Etats memb res, à l’égard duquel

la Cour n’est pas compétente en l’espèce. Troisièm ement, il soutient qu’un arrêt de la Cour en la
présente affaire ne serait pas susceptible d’applica tion effective, puisqu’il ne pourrait avoir d’effet
sur l’admission du demandeur à l’OTAN ou à d’autres organisations ou institutions internationales,
multilatérales et régionales. Quatrièmement, il affirme que l’exercice par la Cour de sa compétence

interférerait avec les négociations diplomatiqu es en cours sur la divergence au sujet du nom,
prescrites par le Conseil de sécurité, et, partant, serait incompatible avec la fonction judiciaire de la
Cour.

S’agissant de la première exception soulevée pa r le défendeur, la Cour estime qu’il ressort
clairement du libellé du paragraphe 1 de l’article5 et du paragraphe 2 de l’article21 de l’accord
intérimaire que la «divergence» à laquelle il est fait référence est celle qui concerne le nom définitif
du demandeur et non les différends relatifs à l’obligation incombant au défendeur de ne pas

s’opposer aux demandes d’admission du demandeur à des organisations internationales, à moins
que celui-ci y soit doté d’une appellation différente de celle prévue dans la résolution 817 (1993).
En conséquence, la Cour décide de ne pas faire droit à cette exception.

S’agissant de la deuxième exception, la Cour considère que le comportement visé par la
requête est l’opposition allé guée du défendeur à l’admission du demandeur à l’OTAN,
comportement dont elle devra seulement déterminer , en examinant l’affaire au fond, s’il démontre
que le défendeur a manqué aux obl igations qui lui incombent au titre de l’accord intérimaire,

indépendamment de la décision finalement prise par l’OTAN au sujet de la demande d’admission
du demandeur. En conséquence, la Cour décide de ne pas faire droit à cette exception.

S’agissant de la troisième exception, la Cour relève que le demande ur ne lui demande

pas d’annuler la décision prise par l’OTAN au sommet de Bucarest mais de déterminer si le
défendeur a, par son comportement, manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’accord
intérimaire. Elle conclut qu’un arrêt serait su sceptible d’application effective dès lors qu’il
affecterait les droits et obligations des Parties au titre de l’accord intérimaire. En conséquence, elle

décide de ne pas faire droit à cette exception. - 3 -

S’agissant de la quatrième exception, la Cour observe que les Parties ont inclus une
disposition lui conférant compétence (l’article21) dans un accord qui leur prescrivait aussi de

poursuivre les négociations sur le différe nd qui les oppose au sujet du nom du demandeur
(le paragraphe 1 de l’article 5). Elle estime que si les Parties avaient considéré que l’arrêt qu’elle
serait amenée à rendre interférerait avec les négociations diplomatiques prescrites par le Conseil de
sécurité, elles ne seraient pas convenues de por ter devant elle les différends touchant à

l’interprétation ou à l’exécution de l’accord intérimaire. En conséquence, elle décide de ne pas faire
droit à cette exception.

A la lumière de ce qui précède, la Cour conclut qu’elle a compétence pour connaître du

différend et que la requête est recevable.

III. La question de savoir si le défendeur ne s’est pas conformé à l’obligation contenue dans le

paragraphe 1 de l’article 11 de l’accord intérimaire (par. 62-113)

La Cour recherche à présent si le défendeur s’est opposé, au sens de la première clause du
paragraphe 1 de l’article 11 de l’accord intérimaire, à l’admission du demandeur à l’OTAN.

Elle commence par examiner le sens de cette clause et relève à cet égard que le défendeur est
tenu de ne pas s’opposer «à la demande d’admiss ion» du demandeur à l’OTAN, «non plus qu’à la
participation du demandeur» à cette organisation. Elle note que les Parties conviennent que

l’obligation qui est faite au défendeur de «n e [pas] s’opposer[]», qui est une obligation de
comportement et non de résultat, n’entraîne p as celle de soutenir activement l’admission du
demandeur à des organisations internationales. Elle observe par ailleurs que rien dans le libellé de
cette clause n’indique que l’obligation de ne pas s’opposer incombant au défendeur s’appliquerait

seulement dans les organisations où la décision d’admettre de nouveaux membres est prise par
vote. Rien n’indique non plus, selon elle, que l es Parties aient eu l’intention d’exclure du champ
d’application du paragraphe1 de l’article11 d es organisations qui, telle l’OTAN, suivent des
procédures ne prévoyant pas de vote. La Cour relève en outre que la question qui se pose à elle

n’est pas de savoir si la décision prise par l’OTAN au sommet de Bucarest à propos de la
candidature du demandeur est exclusivement, pr incipalement ou accessoirement due à l’objection
du défendeur, mais si le défendeur a, par son comportement propre, méconnu l’obligation de ne pas
s’opposer à l’admission du demandeur qui lui est faite au paragraphe1 de l’article11 de l’accord

intérimaire. La Cour note par ailleurs que le défendeur n’a pas s outenu qu’une quelconque
objection à l’admission du demandeur, élevée par lui au sommet de Bucarest, aurait été fondée sur
des motifs sans rapport avec la divergence sur le nom. En conséquence, elle ne juge pas nécessaire
de déterminer si le défendeur conserve le droit d’élever, pour de tels autres motifs, des objections à

l’admission du demandeur à des organisations internationales.

La Cour s’interroge ensuite sur la questi on de savoir si le défendeur «s’est opposé» à
l’admission du demandeur à l’OTAN. A cet effet, elle examine les éléments de preuve que lui ont

présentés les Parties, aux fins de déterminer s’ils corroborent la thèse du demandeur selon laquelle
le défendeur s’est opposé à son admission à l’OTAN. Pour étayer sa position, la Cour constate que
le demandeur se réfère à des pièces de correspondance diplomatique émanant du défendeur avant et
après le sommet de Bucarest, ainsi qu’à des déclarations faites par de hauts responsables de cet Etat

au cours de la même période. La Cour note que le défendeur ne conteste pas l’authenticité de ces
déclarations et les examine en ce qu’elles témo ignent du comportement du défendeur relativement
au sommet de Bucarest, en regard de l’obligatio n énoncée au paragraphe1 de l’article11 de

l’accord intérimaire. Au vu des éléments de preuve qui lui ont été soumis par les Parties, la Cour
estime que le défendeur a, dans sa correspondance diplomatique officielle et par la voie des
déclarations de ses dirigeants, clairement invoqué avant, pendant et après le sommet de Bucarest,
que le règlement de la divergence au sujet du nom était le «critère décisif» pour qu’il accepte

l’admission du demandeur à l’OTAN. Elle relève que, au sommet de Bucarest, le défendeur a
élevé des objections à cette admission, invoquant le fait que la divergence relative au nom de ce - 4 -

dernier n’était toujours pas réglée. La Cour conc lut que le défendeur s’est opposé, au sens de la
première clause du paragraphe1 de l’article 11 de l’accord intérimaire, à l’admission du

demandeur à l’OTAN.

La Cour examine ensuite la question de sa voir si l’opposition que le défendeur a manifestée
au sommet de Bucarest contre l’admission du demandeur à l’OTAN relève de l’exception énoncée

dans la seconde clause du paragraphe 1 de l’article 11 de l’accord intérimaire.

Elle note que, aux termes de cette clause, les Parties conviennent que le défendeur «se
réserve le droit d’élever des objections [à toute] participation» du demandeur à des organisations et

institutions internationales, multilatérales ou régionales dont le défe ndeur est membre «si [et dans
la mesure où le demandeur] doit être doté[] dans ces organisations ou institutions d’une appellation
différente [de] celle prévue au paragraphe 2 de la résolution 817 (1993) du Conseil de sécurité des
NationsUnies». Elle rappelle qu’au paragraphe 2 de la résolution817, le Conseil de sécurité

recommandait que le demandeur soit admis à l’Organisation des NationsUnies et soit «désigné
provisoirement, à toutes fins utiles à l’Organisati on, sous le nom d’«ex-Ré publique yougoslave de
Macédoine» en attendant que soit réglée la divergence qui a[vait] surgi au sujet de son nom».

La Cour relève que les Parties s’accordent à dire que le demandeur avait l’intention de se
désigner lui-même à l’OTAN, une fois admis dans cette organisation, par son nom constitutionnel
et non par l’appellation provisoire prévue dans la résolution 817. Elle recherche donc si la seconde
clause du paragraphe1 de l’article11 permet au défendeur d’élever des objections dans ce cas.

L’interprétation de cette clause à la lumière des ar ticles 31 et 32 de la conve ntion de Vienne sur le
droit des traités amènent la Cour à conclure que le défendeur n’avait pas le droit d’élever des
objections à l’admission du demandeur à une organisation au motif qu’il était à prévoir que celui-ci
s’y désignerait lui-même par son nom constitutionnel. Elle relève en effet que, si le demandeur

avait l’intention de se désigner lu i-même par ce nom dans une orga nisation internationale, cela ne
signifiait pas qu’il «d[eva]it [y] être doté[]…d’une appellation différente [de] celle prévue» au
paragraphe 2 de la résolution 817.

La Cour examine enfin l’argument du défendeur selon lequel, à supposer même que la Cour
vienne à conclure qu’il s’était opposé à l’admi ssion du demandeur à l’OTAN en violation du
paragraphe1 de l’article11, cela ne constituerait pas, par l’effet de l’article22, une violation de
l’accord intérimaire. L’article 22 de l’accord intérimaire est ainsi libellé :

«Le présent accord intérimaire n’est dirigé contre aucun autre Etat ou entité et il
ne porte pas atteinte aux droits et aux devoirs découlant d’accords bilatéraux et
multilatéraux déjà en vigueur que les Pa rties ont conclus avec d’autres Etats ou

organisations internationales.»

La Cour observe que l’interprétation initiale de l’article 22 que donne le défendeur, selon
laquelle ses «droits» (en plus de ses «devoirs») découlant d’un accord antérieur prévalent sur

l’obligation qui lui incombe en vertu du paragr aphe1 de l’article11 de ne pas s’opposer à
l’admission du demandeur à une organisation, videra it de son sens ladite obligation car on peut
normalement s’attendre à ce que le défendeur ait, en vertu d’accords antérieurs conclus avec des
Etats tiers, le «droit» de se prononcer sur les décisions à prendre relativement à l’admission de

nouveaux membres. La Cour, considérant que les Pa rties n’entendaient pas que la première clause
du paragraphe1 de l’article11 soit privée d’effe t par l’article22, ne peut souscrire à cette
interprétation avancée par le défende ur. La Cour relève ensuite que l’interprétation plus étroite de

l’article22 faite par le défendeur au cours de la procédure orale, selon laquelle les «devoirs»
découlant d’un traité antérieur prévalent sur l es obligations au titre de l’accord intérimaire,
l’amènerait à chercher à déterminer si celui-ci a établi que le traité de l’Atlantique Nord lui
imposait de s’opposer à l’admission du demandeur à l’OTAN. Or, selon la Cour, le défendeur n’a

présenté aucun argument convaincant tendant à démo ntrer qu’une quelconque disposition du traité
de l’Atlantique Nord lui imposait de s’opposer à l’admission du demandeur à l’OTAN. La Cour - 5 -

conclut que la tentative faite pa r le défendeur de se fonder sur l’article22 est vaine. En
conséquence, elle n’a pas à décider si l’une ou l’autre des interprétations données par les Parties est

correcte.

A la lumière de ce qui précède, la Cour conclut que le défendeur, en s’opposant à
l’admission du demandeur à l’OTAN au sommet de Bucarest, ne s’est pas conformé à l’obligation

que lui impose le paragraphe1 de l’article11 de l’accord intérimaire. Elle considère que la
perspective que le demandeur emploie sa dé nomination constitutionnelle pour se désigner
lui-même à l’organisation ne rendait pas cette obj ection licite par l’effet de l’exception énoncée
dans la seconde clause du paragraphe 1 de l’article 11. Elle ajoute que, dans les circonstances de la

présente espèce, le défendeur ne saurait fonder sur l’article 22 de l’accord intérimaire une objection
contraire aux dispositions du paragraphe 1 de l’article 11.

IV. Les justifications additionnelles invoquées par le défendeur (par. 114-165)

La Cour relève que, subsidiairement à son argument principal, à savoir qu’il s’est conformé
aux obligations que lui impose l’accord intérimaire, le défendeur prétend que l’illicéité de toute

objection à l’admission du demandeur à l’OTAN serait exclue en vertu de la théorie de
l’exceptio non adimpleti contractus. Il donne également à entendre que tout manquement aux
obligations que lui impose l’accord intérimaire pou rrait être justifié aussi bien comme une réponse
à une violation substantielle d’un traité que comme une contre-mesure prise conformément au droit

de la responsabilité de l’Etat.

La Cour observe que le défendeur, s’il a présenté séparément ses arguments relatifs,
respectivement, à l’exceptio , à la suspension partielle de l’accord intérimaire en vertu de

l’article60 de la convention de Vienne de 1969 et aux contre-mesures, a énoncé certaines
conditions minimales qui, selon lui, sont communes à ces trois arguments, à savoir la violation par
le demandeur de dispositions de l’accord inté rimaire, ainsi que l’opposition du défendeur à
l’admission du demandeur à l’OTAN en réponse auxdites violations.

A. La violation de la seconde clause du paragraphe 1 de l’article 11 qu’aurait commise

le demandeur

La Cour observe que, telle qu’elle est libellée, la seconde clause du paragraphe1 de
l’article11 n’impose pas au demandeur l’obligatio n de ne pas être doté dans une organisation ou

une institution internationale d’ une appellation autre que la dé nomination provisoire (à savoir
«l’ex-République yougoslave de Ma cédoine»). Elle relève en outre que, tout comme d’autres
dispositions de l’accord intérimaire imposent des obligations au seul demandeur, le paragraphe 1 de
l’article 11 en impose une au seul défendeur. La seconde clause énonce une importante exception à

cette obligation, mais ne fait pas de cette exception une obligation à la charge du demandeur. La
Cour estime donc que le demandeur n’a pas contrevenu à cette disposition.

BL. violatiodu paragraphe 1 de l’article 5 qu’aurait commise le demandeur

La Cour relève d’emblée que, bien que le paragraphe1 de l’article5 ne fasse pas

expressément obligation aux Pa rties de négocier de bonne fo i, cette obligation découle
implicitement de cette disposition. Elle observe que le fait que l es Parties ne soient toujours pas
parvenues à s’entendre seize ans après la conclusion de l’accord intérimaire ne suffit pas, en soi, à

établir que l’une ou l’autre a manqué à son obliga tion de négocier de bonne foi. Elle recherche
donc si les Parties se sont comportées de telle sorte que les négociations puissent avoir un sens.
Elle note que, durant les négociations menées en application du paragraphe 1 de l’article5, le
demandeur a refusé les propositions de s’écarter de son nom constitutionnel et que le défendeur

s’est opposé à ce que le mot «Macédoine» figure dans le nom du demandeur. Elle relève en outre - 6 -

que les dirigeants politiques des deux Parties ont pa rfois, notamment dans les mois qui ont précédé
le sommet de Bucarest, fait des déclarations publiques qui laissaient entrevoir une position

intransigeante sur la divergence relative au nom. Elle observe par ailleurs que le médiateur des
NationsUnies a, au fil des années, présenté aux Parties différentes propositions et qu’il a en
particulier émis l’avis selon lequel, durant la période qui a précédé le sommet de Bucarest, les
Parties négociaient sérieusement. Considérés dans leur ensemble, les éléments de preuve de cette

période indiquent, selon la Cour, que le demandeur n’a pas totalement exclu l’idée d’examiner des
propositions s’écartant tant de l’emploi exclus if de son nom constitutionnel que de la «double
formule», tandis que le défendeur, modifiant apparemment sa position initiale, a déclaré en
septembre2007 qu’il accepterait que le mot «Macédoine» soit inclus dans un nom composé par

lequel serait désigné le demandeur. La Cour note en particulier que le médiateur des Nations Unies
a, en mars 2008, proposé que le demandeur adopte le nom de «République de Macédoine (Skopje)»
à quelque fin que ce soit. D’après le dossier de l’affaire, le demandeur a fait savoir qu’il était
disposé à soumettre l’adoption de ce nom à un ré férendum. Il ressort également du dossier que

c’est le défendeur qui a rejeté le nom proposé. La Cour conclut donc que le défendeur n’a pas,
comme il en avait la charge, démontré que le demandeur avait manqué à son obligation de négocier
de bonne foi.

CL. violatiodu paragraphe 2 de l’article 6 qu’aurait commise le demandeur

Le paragraphe 2 de l’article 6 est ainsi libellé :

«La seconde Partie déclare solennelle ment qu’aucune disposition de sa

constitution, en particulier l’article 49 tel qu’amendé, ne peut et ne doit être interprétée
comme constituant et ne constituera jamais une raison d’intervenir dans les affaires
intérieures d’un autre Etat en vue de protéger le statut et les droits de toutes personnes
se trouvant dans d’autres Etats qui ne sont pas citoyens de la seconde Partie.»

La Cour estime que le défendeur n’a pas présenté d’éléments de preuve convaincants
indiquant que le demandeur a interprété sa constitution comme lui conférant le droit d’intervenir
dans ses affaires intérieures au nom de personnes qui ne sont pas des citoyens du demandeur. Elle

ne considère donc pas que le de mandeur a contrevenu au paragra phe2 de l’article6 avant le
sommet de Bucarest.

DL. violatiodu paragraphe 1 de l’article 7 qu’aurait commise le demandeur

Le paragraphe 1 de l’article 7 se lit comme suit:

«Chaque Partie prendra rapidement des mesures efficaces aux fins d’interdire
des actes d’hostilité ou de propagande par des organismes d’Etat et de décourager les
actes d’entités privées susceptibles d’inciter à la violence, à la haine ou à l’hostilité

mutuelles.»

La Cour rappelle que, selon le défendeur, le demandeur a viol é cette disposition, d’une part,
en ne prenant pas des mesures efficaces pour interdire les actes hostiles commis par des institutions

contrôlées par l’Etat, formulant notamment à cet égard des assertions concernant le contenu de
certains manuels scolaires et, d’autre part, en ne décourageant pas les actes d’entités privées
susceptibles d’inciter à la violence, à la haine ou à l’hostilité envers lui, mentionnant en particulier
un incident survenu le 29 mars 2008 (soit quelques jours avant l’ouverture du sommet de Bucarest)

au cours duquel plusieurs affiches représentant une image altérée de son drapeau ont été placardées
à Skopje. La Cour observe que le défendeur allègue en outre que le demandeur a constamment
négligé de protéger le personnel et les locaux de son bureau de liaison à Skopje. - 7 -

La Cour estime que les éléments de preuve ne permettent pas d’établir que le demandeur ait
commis une violation du paragraphe 1 de l’article 7 avant le sommet de Bucarest. Elle estime que

le contenu des manuels scolaires dont il est ques tion ne fournit pas matière à conclure que le
demandeur n’a pas interdit «des actes d’hostilité ou de propagande». Qui plus est, le défendeur n’a
pas démontré de façon convaincante que le dema ndeur avait négligé de «décourager» les actes
d’entités privées susceptibles d’inciter à la violence,à la haine ou à l’hostilité envers lui. Après

avoir rappelé l’obligation, telle qu’énoncée à l’ar ticle22 de la convention de Vienne sur les
relations diplomatiques, de protéger les locaux d’une mission diplomatique et d’empêcher que la
paix de celle-ci soit troublée ou sa dignité, amoindrie, la Cour estime que le demandeur a produit
des éléments attestant qu’il s’était efforcé d’assu rer la protection adéqua te du personnel et des

locaux diplomatiques du défendeur.

EL.violationdu paragraphe 2 de l’article 7 qu’aurait commise le demandeur

Le paragraphe 2 de l’article 7 est ainsi libellé :

«Lorsque le présent accord intérimair e entrera en vigueur, la seconde Partie
cessera d’utiliser de quelque façon que ce soit et sous toutes ses formes le symbole qui
figurait sur son drapeau national avant l’entrée en vigueur de l’accord.»

La Cour relève que le dossier de l’affaire permet d’établir que, dans un cas au moins, l’armée
du demandeur a utilisé le symbole que vise l’interdicti on figurant au paragraphe 2 de l’article 7 de
l’accord intérimaire.

FL.violatiodu paragraphe 3 de l’article 7 qu’aurait commise le demandeur

Le paragraphe 3 de l’article 7 est ainsi libellé :

«Si l’une des Parties pense que l’autre Partie utilise un ou plusieurs symboles
faisant partie de son patrimoine historique ou culturel, elle por tera cette question à

l’attention de l’autre Partie et cette drnière soit prendra les mesures voulues pour
remédier à la situation, soit indiquera pour quoi elle ne considère pas nécessaire de le
faire.»

La Cour relève qu’à la différe nce du paragraphe2 de l’article 7, le paragraphe3 n’interdit
pas expressément au demandeur d’utiliser les symboles qui y sont visés, mais se contente
d’énoncer la procédure à suivre lorsque l’une des Parties pense que l’autre utilise des symboles
appartenant à son patrimoine historique ou culturel . Dès lors, selon la Cour, la question est de

savoir si le défendeur a porté ses préoccupations «à l’attention» du demandeur avant le sommet de
Bucarest lorsque celui-ci a rebaptisé l’aéroport de la capitale. Elle note à cet effet que, bien que le
défendeur ne semble pas avoir agi de la sorte, le demandeur en était conscient, et son ministre des

affaires étrangères a expliqué le changement de nom de l’aéroport dans une interview accordée en
janvier 2007 à un journal grec. La Cour conclut donc que le défendeur n’a pas, comme il en avait
la charge, démontré que le demandeur a contrevenu au paragraphe 3 de l’article 7.

* - 8 -

Au vu de cet examen des allégations du défendeur selon lesquelles le demandeur a manqué à
plusieurs obligations que lui impose l’accord intéri maire, la Cour conclut que le défendeur n’a

établi qu’un seul manquement de cette nature. Il a en effet démontré que le demandeur avait,
en 2004, utilisé le symbole visé par l’interdiction figurant au paragraphe 2 de l’article 7. Après que
le défendeur eut appelé son a ttention sur cette question en2004, le demandeur a mis fin à
l’utilisation dudit symbole cette même année.

G. Conclusions concernant les justifications additionnelles invoquées par le défendeur

1. Conclusion concernant l’exceptio non adimpleti contractus

Ayant examiné les allégations de violations que le défendeur a formulées à l’encontre du
demandeur, la Cour en revient à l’argument du défendeur selon lequel, en vertu de l’exceptio , telle
que celui-ci la définit, elle ne saurait conclure qu’il a manqué à l’obligation que lui impose le

paragraphe1 de l’article11 de l’accord intéri maire. Elle rappelle que, à une exception près
(l’interdiction d’utiliser le symbole énoncée au para graphe 2 de l’article 7), le défendeur n’a pas
démontré que le demandeur avait commis une quelconque violation de l’accord intérimaire. De

surcroît, le défendeur n’a pas ét abli l’existence d’un rapport entr e l’utilisation du symbole par le
demandeur en 2004 et son opposition à l’admission de celui-ci à l’OTAN en 2008 ; autrement dit, il
n’a pas démontré qu’il s’était opposé à cette admission en réponse à l’apparente violation du
paragraphe2 de l’article7 ou, plus généralement, parc e qu’il pensait que l’exceptio excluait

l’illicéité de cette opposition. Le défendeur n’a donc pas établi qu’il avait été satisfait, en l’espèce,
aux conditions, énoncées par lui-même, qui seraient requises pour que l’exceptio s’applique. Dès
lors, il n’est pas nécessaire que la Cour détermine si cette théorie fait partie du droit international
contemporain.

2. Conclusion concernant la réponse à une violation substantielle

La Cour rappelle que le défendeur a aussi avancé que son opposition à l’admission du
demandeur à l’OTAN aurait pu être considérée comme une réponse, au sens de l’article60 de la
convention de Vienne de1969, à des violations substantielles de l’accord intérimaire que le

demandeur aurait, selon lui, commises. L’alinéa b) du paragraphe 3 de cet article dispose qu’une
violation substantielle est constituée par «la vi olation d’une disposition essentielle pour la
réalisation de l’objet et du but du traité». La Cour rappelle en outre sa conclusion selon laquelle la
seule violation établie concerne l’utilisation d’un symbole contrairement aux prescriptions du

paragraphe 2 de l’article 7 de l’accord intérimaire, situation qui a pris fin en 2004. Elle estime que
cet incident ne peut être considéré comme une violation substantielle au sens de l’article60 de la
convention de Vienne de1969. De surcroît, elle est d’avis que le défendeur n’a pas établi que

l’action menée par lui en2008 relativement à la demande d’admission du demandeur à l’OTAN
répondait à la violation du paragra phe 2 de l’article 7 survenue e nviron quatre ans auparavant. En
conséquence, la Cour n’admet pas que l’action du défendeur pouvait entrer dans les prévisions de
l’article 60 de la convention de Vienne de 1969.

3. Conclusion concernant les contre-mesures

La Cour rappelle que le défendeur a au ssi affirmé que son opposition à l’admission du
demandeur à l’OTAN pourrait être justifiée en tant que contre-mesure proportionnée aux violations
de l’accord intérimaire qu’il lui impute. Ainsi qu’elle l’a déjà précisé, la seule violation que le

défendeur ait établie est l’utilisation par le demandeur en 2004 du symbole visé au paragraphe 2 de
l’article 7 de l’accord intérimaire. Etant parvenue à cette conclusion, et compte tenu de son analyse
des raisons qui, selon le défende ur, justifiaient son objection à l’admission du demandeur à
l’OTAN, la Cour n’est pas convaincue que ladite objection visait à contraindre le demandeur à

cesser d’utiliser le symbole prohibé par le paragr aphe2 de l’article7. Comme elle l’a noté, - 9 -

l’utilisation dudit symbole, qui permet de conclure à une violation par le demandeur du
paragraphe2 de l’article7, a pris fin en2004. En conséquence, la Cour rejette la prétention du

défendeur selon laquelle son objection pourrait se justifier comme une contre-mesure excluant
l’illicéité de l’opposition manifestée par lui à l’admission du demandeur à l’OTAN. Elle n’a donc
pas à examiner les arguments supplémentaires que les Parties ont pu avancer au sujet du droit
régissant les contre-mesures.

Pour les motifs exposés ci-dessus, la Cour c onclut que les justifications additionnelles
invoquées par le défendeur ne peuvent être retenues.

*

En dernier lieu, la Cour souligne que l’ accord intérimaire de1995 met les Parties dans
l’obligation de négocier de bonne foi sous les ausp ices du Secrétaire général de l’Organisation des
Nations Unies conformément aux résolutions pertinentes du Conseil de sécurité, en vue de parvenir
à un accord sur la divergence visée dans ces résolutions.

*

V. Réparation (par. 167-169)

La Cour rappelle que, dans ses conclusions finales sur le fond, le demandeur la prie de
prendre deux mesures qui constituent selon lui une réparation appropriée pour les violations de
l’accord intérimaire qu’il impute au défendeur. Il demande réparation, premièrement, sous la
forme d’une déclaration de la Cour à l’effe t que le défendeur a agi de façon illicite et,

deuxièmement, sous la forme d’une injonction de la Cour au défe ndeur de s’abstenir à l’avenir de
toute action contraire à l’obligation que lui impose le paragraphe1 de l’ article11 de l’accord
intérimaire.

A l’issue de son examen, la Cour a établi que le défendeur avait manqué à l’obligation que
lui impose le paragraphe 1 de l’article 11 de l’accord intérimaire. Quant à la forme que peut revêtir
la réparation à accorder pour ce manquement, la Cour estime être fondée à déclarer que le
défendeur a méconnu son obligation de ne pas s’ opposer à l’admission du demandeur à l’OTAN.

En revanche, la Cour n’estime pas nécessaire d’or donner au défendeur, comme le demandeur l’en
prie, de s’abstenir à l’avenir de toute action contraire à l’obligation que lui impose le paragraphe 1
de l’article 11 de l’accord. Comme elle l’a indiqué précédemment, «en règle générale, il n’y a pas
lieu de supposer que l’Etat dont un acte ou un com portement a été déclaré illicite par la Cour

répétera à l’avenir cet acte ou ce comportement, puisque sa bonne foi doit être présumée»
(Différend relatif à des droits de navigation et des droits connexes (Costa Rica c. Nicaragua), arrêt,
C.I.J. Recueil 2009, p. 267, par. 150).

La Cour décide en conséquence que sa c onclusion selon laquelle le défendeur a manqué à
l’obligation que lui impose envers le demandeur le paragraphe1 de l’article11 de l’accord
intérimaire constitue une satisfaction appropriée. - 10 -

VI. Dispositif (par. 170)

mcotfs,

L A C OUR ,

1) Par quatorze voix contre deux,

dit qu’elle a compétence pour connaître de la requête déposée par l’ex-République

yougoslave de Macédoine le 17 novembre 2008 et que cette requête est recevable ;

POUR : M. Owada, président ; M. Tomka, vice-président; MM. Koroma, Simma, Abraham,
Keith, Sepúlveda-Amor, Bennouna, Skotnikov, Cançado Trindade, Yusuf, Greenwood,

Mme Donoghue, juges ; M. Vukas, juge ad hoc ;

CONTRE : Mme Xue, juge ; M. Roucounas, juge ad hoc ;

2) Par quinze voix contre une,

dit que la République hellénique, en s’o pposant à l’admission de l’ex-République
yougoslave de Macédoine à l’OTAN, a manqué à l’obligation que lui impose le paragraphe1 de
l’article 11 de l’accord intérimaire du 13 septembre 1995 ;

POUR : M. Owada, président ; M. Tomka, vice-président; MM. Koroma, Simma, Abraham,
Keith, Sepúlveda-Amor, Bennouna, Skotnikov, Cançado Trindade, Yusuf, Greenwood,
Mmes Xue, Donoghue, juges ; M. Vukas, juge ad hoc ;

CONTRE : M. Roucounas, juge ad hoc ;

3) Par quinze voix contre une,

rejette le surplus des conclusions de l’ex-République yougoslave de Macédoine.

POUR : M. Owada, président ; M. Tomka, vice-président; MM. Koroma, Simma, Abraham,
Keith, Sepúlveda-Amor, Bennouna, Skotnikov, Cançado Trindade, Yusuf, Greenwood,
Mmes Xue, Donoghue, juges ; M. Roucounas, juge ad hoc ;

CONTRE : M. Vukas, juge ad hoc.

M. le juge Simma joint à l’arrêt l’exposé de son opinion individuelle ; M. le juge Bennouna

joint une déclaration à l’arrêt; Mmele juge Xue joint à l’arrêt l’exposé de son opinion
dissidente; M.le juge ad hoc Roucounas joint à l’arrêt l’exposé de son opinion dissidente;
M. le juge ad hoc Vukas joint une déclaration à l’arrêt.

___________ Annexe au résumé 2011/6

Opinion individuelle de M. le juge Simma

Le juge Simma souscrit aux conclusions de la Cour en ce qui concerne tant la compétence

que le fond de l’affaire. Sa seule source de préoccupation est la manière dont est traitée dans l’arrêt
l’«exceptio non adimpleti contractus ». Le juge Simma commence par rappeler que, selon le
défendeur, si la C our devait conclure ⎯ce qu’elle a effectivement fait ⎯ que la Grèce a violé
l’accord intérimaire de 1995 en s’opposant à l’admission de l’ERYM à l’OTAN en 2008, l’illicéité

de cet acte serait néanmoins exclue. A cet égard, le défendeur a présenté pas moins de trois
«moyens de défense», tous fondés sur l’argume nt selon lequel des violations antérieures de
l’accord intérimaire auraient été commises par l’ERYM: la Grèce a tout d’abord invoqué la
doctrine de l’exceptio non adimpleti contractus ; elle a ensuite, en se fondant sur le droit des traités,

justifié son opposition comme étant une réponse à des violations substantielles de l’accord
commises par l’ERYM; enfin, elle a qualifié son comportement de contre-mesure —reconnue
légitime par le droit de la responsabilité de l’Etat —, prise en réaction aux violations antérieures
commises par l’ERYM.

Tous ces moyens de défense sont rejetés dans l’arrêt, et ce, selon le juge Simma, à juste titre,
même s’il estime que la Cour a examiné la question d’une manière par trop succincte. Le point sur
lequel le juge Simma émet des r éserves est la façon dont la Cour a traité l’exceptio non adimpleti

contractus, en tant que justification distincte et di fférente des deux autres «moyens de défense»
susmentionnés. A cet égard, les Parties à la présente espèce ont exposé des vues divergentes. Face
à pareilles déclarations contradictoires concernant des points de droit, il aurait été utile que la Cour

apporte des éclaircissements faisant autorité au sujet du statut juridique de l’exceptio et de ses liens
réciproques avec l’article 60 de la convention de Vienne sur le droit des traités (intitulé «Extinction
d’un traité ou suspension de son application comme conséquence de sa violation»), ainsi que sur le
régime juridique des contre-mesures, tel qu’établi par la Commission du droit international.

Dans son opinion, le juge Simma se livre à ce tte clarification. Il fait remonter la notion
d’exceptio à l’idée de réciprocité, qui, dans les systèm es juridiques les plus développés, a presque
totalement été abso rbée et supplantée ⎯«domestiquée», en quelque sorte— par des normes ou

institutions spécifiques. En droit international, la réciprocité reste cepe ndant davantage présente,
puisqu’elle est à la base de différentes méthodes d’autoprotection par lesquelles les Etats peuvent
garantir leurs droits; elle a été cristallisée dans les mécanismes de sanction établis par le droit
international, dont les contre-mesures et l’inex écution réciproque d’un accord, laquelle trouve son

sedes materiae dans le droit des traités.

Le juge Simma précise que l’exceptio non adimpleti contractus appartient sans conteste à la
seconde catégorie. Cette notion a conféré une expression juridique au caractère synallagmatique de

la plupart des accords internationaux ⎯ lequel la conditionnait ⎯, la règle pacta sunt servanda
étant liée à la règle do ut des . Le fait que cet élément synallagmatique fonctionnel soit largement
admis dans le droit des contrats de la plupart des grands systèmes juridiques autorise à le considérer

comme un principe général de droit au sens de l’ article38 du Statut de la Cour et, partant, à
l’appliquer aussi dans les relations juridiques in ternationales. La question est alors de savoir
quelles modifications devront, au niveau du droit in ternational, être apportées à cette notion forgée
in foro domestico, de sorte à en garantir le bon fonctionnement sans ouvrir la voie à des abus, son

application ne pouvant être l’objet d’un contrôle judiciaire régulier comme c’est le cas en droit
interne. En matière de réponses à des violations conventionnelles, l’invocation unilatérale de
l’exceptio et la réfutation de sa justification par l’autre partie sont la règle, au point qu’il s’est
révélé difficile de trouver un fondement à l’exceptio en droit international coutumier.

Dans son opinion, le jugeSimma souligne que c’est précisément cette difficulté qui rend si
importante la codification du principe en question à l’article 60 de la convention de Vienne sur le - 2 -

droit des traités. Par cette disposition, la réciprocité dans les relations c onventionnelles est en effet
encadrée de manière appropriée, du fait, en particulier, que la suspension ou l’extinction d’un traité

n’est autorisée que dans le seul cas d’une violati on substantielle commise par une autre partie et
qu’un certain nombre de conditions procédurales sont établies. De plus, ainsi que le paragraphe 2
de l’article42 de la convention de Vienne le confirme, l’article60 est censé régir de manière
exhaustive les conséquences juridiques d’une violation conventionnelle. Par conséquent,

contrairement à ce qu’affirmait la Grèce, l’exceptio ne saurait s’appliquer en dehors du cadre de
l’article60, et son exercice ne saurait échappe r à toute condition procédurale. Le jugeSimma
reconnaît toutefois que, aux termes de l’article 73 de la convention, les dispositions de celle-ci ne
préjugent pas les questions de responsabilité d’un Etat découlant d’une vi olation conventionnelle.

Dès lors, la suspension des dispositions d’un traité en tant que contre-mesure prise en réaction à des
violations antérieures commises par une autre partie n’est pas affectée par l’article60 et reste
permise, bien qu’elle soit soumise au régime assez restrictif établi par la CDI en la matière. Le
juge Simma conclut cependant que, étant donné que le défendeur a établi la distinction nécessaire à

cet égard et que les «moyens de défense» de la Grèce autres que l’exceptio ont été traités de
manière satisfaisante dans l’arrêt, il n’y a rien à ajouter sur la question.

Déclaration de M. le juge Bennouna

Tout en souscrivant aux conclusions finales de la Cour dans cette affaire, le juge Bennouna
relève qu’elle a choisi d’esquiver certaines ques tions juridiques essentielles soulevées et débattues

longuement par les Parties, notamment l’exceptio non adimpleti contractus et les contre-mesures,
en s’abritant derrière une simple évaluation des faits avancés. Or, selon le juge Bennouna, la Cour
aurait pu analyser de telles questions, dans leur évolution temporelle et matérielle et se prononcer à
leur sujet.

Opinion dissidente de Mme le juge Xue

Le juge Xue ne souscrit pas à la décision de la Cour d’exercer sa compétence en la présente
espèce. Elle considère en effet que celle-ci entre dans le champ du paragraphe1 de l’article5 et
non dans celui du paragraphe1 de l’article11 de l’accord intérimaire, et que la requête est
irrecevable pour des raisons d’opportunité judiciaire.

Le juge Xue estime que la question essentielle qui se posait à la Cour aux fins de déterminer
si elle avait compétence était de savoir si l’ opposition du défendeur à l’ admission du demandeur à
l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) au sommet de Bucarest de2008 —

opposition qui fait l’objet du différend— avait trait à l’interprétation ou à l’application du
paragraphe1 de l’article11 de l’accord intérima ire, ou s’il s’agissait d’une question relevant du
paragraphe 1 de l’article 5, que le paragraphe 2 de l’ar ticle 21 de ce même instrument exclut de la
compétence de la Cour. Selon le jugeXue, tout e interprétation des dispositions de l’accord ayant

un rapport avec la question du nom devrait tenir dû ment compte du caractère intérimaire de cet
instrument et du fait que les négociations entre les Parties en vue de régler la divergence relative au
nom se poursuivent.

Le jugeXue est d’avis que, en se déclaran t compétente, la Cour a fait une interprétation
plutôt restrictive du terme «différend» au sens du paragraphe1 de l’article5. Suivant cette
interprétation, le «différend» tel que menti onné dans ladite disposition est réduit à la
solution retenue quant au nom définitif, qui doit faire l’obje t d’un accord négocié entre les Parties ;

le paragraphe1 de l’article11 et le paragraphe1 de l’article5 s ont donc considérés, au regard de
l’application de l’accord intérimaire, comme des questions tout à fait distinctes n’ayant aucun lien
de fond l’une avec l’autre. Le juge Xue conteste cette interprétation de l’accord intérimaire. - 3 -

Selon elle, compte tenu de la nature du diffé rend qui oppose les Parties relativement à la
question du nom et de l’objet et du but de l’accord intérimaire, le paragraphe 1 de l’article 11 et le

paragraphe 1 de l’article 5 constituent deux des dispositions essentielles de cet accord. A cet égard,
il ressort clairement des éléments de preuve qui ont été présentés à la Cour que l’élément central du
différend entre les Parties en ce qui concerne le paragraphe1 de l’artic le11 réside dans la
«doubleformule» que le demande ur chercherait à faire adopter. Les termes conditionnels

employés dans cette disposition ont fait l’objet d’inte rprétations divergentes de la part des Parties ;
celles-ci sont plus particulièrement en désaccord sur la question de savoir si le demandeur pouvait
utiliser son nom constitutionnel pour se désigner lui- même ou dans le cadre de ses rapports avec
des Etats tiers au sein d’organisations internationa les. Dans les années qui ont suivi la conclusion

de l’accord intérimaire, le demandeur a insist é pour employer son nom constitutionnel pour se
désigner lui-même ainsi que dans ses rapports av ec des Etats tiers, tandis que le défendeur a
protesté systématiquement contre pareil emploi, s outenant qu’il s’agissait d’une violation de la
résolution 817 et de l’accord intérimaire.

Avec la conclusion dudit accord et l’adoption des résolutions817 et845 du Conseil de
sécurité, les intérêts juridiques des deux Parties relativement à la question du nom ont été reconnus.
L’arrangement temporaire concernant la divergence à cet égard, énoncé au paragraphe1 de

l’article11, constitue un moyen pour les Parties de sortir de l’impasse en ce qui concerne
l’admission du demandeur à des organisations in ternationales. L’ambiguïté des termes
conditionnels employés dans cette disposition quant à la question de savoir si, ou dans quelle

mesure, le nom constitutionnel du demandeur peut être employé par celui-ci et par des Etats tiers
dans des organisations internationales montre toutefois que l’accord intérimaire, en tant que mesure
temporaire visant à maintenir la paix et des relati ons de bon voisinage tant dans la région qu’entre
les Parties, implique que celles-ci fassent preuve, dans l’application de cet instrument, d’une bonne

foi et d’une confiance mutuelle importantes. Pareille imprécision ne peut s’expliquer et se justifier
que par le caractère intérimaire de l’accord et le fait que le règlement de la question du nom reste
pendant. Par conséquent, l’appli cation du paragraphe1 de l’article11 est intrinsèquement liée à
l’obligation des deuxParties de régler le différe nd relatif au nom par voie de négociations, ainsi

que le prescrit le paragraphe1 de l’article5. Dès lors, toute question ayant un rapport avec le
processus de négociation devrait entrer dans le champ de cette dernière disposition.

La «double formule», telle qu’elle a été exposée au cours de l’instance, est la formule suivant

laquelle, en fin de compte, l’appellation provisoir e ne sera utilisée qu’entre le défendeur et le
demandeur, le nom constitutionnel de celui-ci étan t employé avec tous les autres Etats. A cet
égard, le jugeXue relève que, en la présente espèce, il serait impossible d’examiner pleinement
l’action du défendeur au sommet de Bucarest à la lumière de l’objet et du but de l’accord

intérimaire, sans se pencher sur cette «doubl eformule». Or, pareil examen conduirait
immanquablement à traiter du «différend» au sens du pa ragraphe 1 de l’article 5 et, partant, à aller
au-delà du champ de compétence de la Cour.

Selon le juge Xue, celle-ci a, en limitant son examen au seul acte d’opposition du défendeur
à l’admission du demandeur à l’OTAN, isolé le paragraphe1 de l’article11 du contexte du traité
dans son ensemble ainsi que de l’objet et du but de celui-ci. Or, le paragraphe 1 de l’article 11 ne
saurait être considéré séparément du paragraphe 1 de l’article5 tant que la question du nom

définitif n’a pas été réglée.

Par ailleurs, le juge Xue considère que, quoique son interprétation stricte du paragraphe 2 de
l’article21 ait porté la Cour à conclure qu’elle avait compétence en la présente espèce, certaines

raisons d’opportunité judiciaire auraient néanmo ins dû la conduire à s’abstenir d’exercer cette
compétence. Ainsi qu’elle l’a précisé dans l’affaire du Cameroun septentrional, même si, «une fois
saisie, elle estime avoir compétence, la Cour n’est pas toujours contrainte d’exercer cette
compétence. Il y a des limitations inhérentes à l’ex ercice de la fonction judiciaire dont la Cour, en

tant que tribunal, doit toujours tenir compte » (affaire du Cameroun septentrional (Cameroun
c. Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1963, p. 29). - 4 -

Le juge Xue souscrit à la position de la Cour selon laquelle la question qui lui a été présentée
n’est pas de savoir si la décision de l’OTAN peut êt re attribuée au défendeur mais si celui-ci a, par

son propre comportement, manqué à l’obligation que lui impose l’accord intérimaire. La décision
de la Cour de ne statuer que su r la licéité de l’acte susmentionné du défendeur et de rejeter toutes
les autres conclusions du demandeur prive toutefois l’arrêt d’effet en ce qui concerne la décision de
l’OTAN de reporter le moment où le demandeur sera invité à devenir membre de l’organisation.

Etant donné que la décision de l’OTAN demeure valide, l’arrêt de la Cour n’aura aucune
incidence pratique sur le comportement futur des Parties à l’égard de l’admission du demandeur à
cette organisation. Or, dans l’affaire du Cameroun septentrional, la Cour a précisé qu’une décision

rendue par elle «doit avoir des conséquences pratiques en ce sens qu’[elle] doit pouvoir affecter les
droits ou obligations juridiques existants des parties, dissipant ainsi toute incertitude dans leurs
relations juridiques» (affaire du Cameroun septe ntrional (Cameroun c.Royaume-Uni), exceptions
préliminaires, arrêt, C.I.J.Recueil1963 , p.34). Selon le jugeXue, il ne semble pas avoir été

satisfait à cette exigence en la présente espèce.

Enfin, le juge Xue se dit préoccupée par les conséquences que le présent arrêt risque d’avoir
sur le processus de négociation, étant donné que la décision de la Cour sera probablement utilisée

par les Parties pour durcir leur position, ce qui n’est pas de nature à favoriser un règlement rapide
de la question du nom.

Opinion dissidente de M. le juge ad hoc Roucounas

Après un bref aperçu historique, le juge Roucounas présente le contexte dans lequel les deux
Parties ont conclu l’accord intérimaire du 13septembre1995 qui contient certaines «curiosités»

importantes, notamment le fait que les Parties ne sont pas nommément désignées, à cause de la
«divergence» sur le nom de la «seconde Partie». Cette divergence est omniprésente en l’espèce,
et gravitent autour d’elle d’autres actions du demandeur et réacti ons du défendeur. Le
jugeRoucounas note que l’accord intérimaire a été conclu dans le tumulte des crises balkaniques

des années1990, et relate les efforts des institu tions européennes entre1992 et1994, l’action des
NationsUnies et la médiation des envoyés américains qui ont abouti à l’adoption des
résolutions 817 et 845 et à l’accord intérimaire.

Le juge est en désaccord avec l’interprétati on entérinée par la Cour, selon laquelle le
demandeur n’était pas, lui aussi, tenu d’employer le nom provisoire au sein des organisations
internationales. Il démontre l’incompatibilité de ce tte interprétation au regard de la formule «is to
be referred to … for all purposes», employée dans les résolutions 817 et 845, formule intégrée dans

le texte conventionnel. Par ailleurs, l’expression «for all purposes» renforce l’effet utile de la
négociation, qui devrait aboutir à un accord sur un nom (et un seul). Le juge Roucounas constate
que la «double formule» («dual formula») av ancée parle demandeur, qui prétend que la
négociation bilatérale, menée sous les auspices des NationsUnies, consiste simplement à

rechercher un accord sur le nom qui remplace ra celui, provisoire, d’ERYM, par une autre
désignation destinée à n’être utilisée que par le défendeur, tandis que le demandeur lui-même
continuera de s’appeler et de se faire a ppeler «la Macédoine», viole les obligations
conventionnelles du demandeur.

Le juge souligne que, tout au long des années 1993 à 2008 et, à plusieurs reprises, oralement
et par écrit, la Grèce a manifesté son opposition à cette stratégie de l’ERYM d’employer son nom
constitutionnel auprès des organisatio ns internationales et que le défendeur a amplement exprimé

sa position face au glissement de la position du demandeur vers une «double formule» («dual
formula»). Il n’est d’ailleurs nullement besoin, juridiquement, pour ceux qui objectent, de réagir en
tout temps et en toute occasion. - 5 -

Le juge poursuit que l’accord intérimaire est synallagmatique dans le sens qu’il est fondé sur
la réciprocité. Ses dispositions sont étroitement liées les unes aux autres et les droits et obligations

des deux Parties sont liés juridiquement. Il souli gne qu’il est difficile de voir quel avantage le
défendeur tirait de l’accord intérimaire autre que la régularisation de ses relations avec son voisin
du nord par l’acceptation, d’un commun accord, d’un nom qui distinguerait l’un de l’autre. Dès
lors, il est d’avis que la Cour devrait, d’une part, Œuvrer pour rendre réalisable l’objet et le but de

l’accord intérimaire, en mettant l’accent sur la nécessité d’une négociation effective menée de
bonne foi et, d’autre part, veiller à ne pas nuire directement ou indirectement à cette négociation.

L’opinion dissidente conteste la compétence de la Cour à trancher le différend qui lui a été

soumis. Le juge estime que le pa ragraphe 2 de l’article 21 exclut de la compétence de la Cour non
seulement la question de l’attribution d’un nom pour le demandeur, mais aussi «la divergence visée
au paragraphe 1 de l’article 5», c’est-à-dire l’intervention de la Cour sur toute question qui, selon le
demandeur lui-même, touche «directement ou indir ectement» à la question du nom. Il ajoute que

la sauvegarde de l’article 21 est aussi liée à l’artic le 22 qui renvoie aux articles 8 et 10 du traité de
l’OTAN ; la Cour n’étant pas compétente pour interpréter cet instrument. Il regrette que la Cour ait
interprété restrictivement l’article5 et, en même temps, opté, d’une part, pour une interprétation
extensive du premier volet de l’ar ticle11 et, d’autre part, pour une interprétation restrictive du

second volet de ce même article. Selon lui, la Cour a adopté une position susceptible d’être
interprétée comme contribuant à des «faits accomplis» ou risquant de provoquer une nouvelle
dégradation des négociations et des relations entre les deux Etats. Il ajoute que l’incompétence de

la Cour est corroborée par le fait que la décision de l’OTAN du 3avril2008 est un acte de cette
organisation internationale, et que la Grèce n’a p as à répondre des actes de l’organisation dont elle
est membre.

Le juge Roucounas fait ensuite état de l’in compatibilité du comportement du demandeur

avec l’article 5 de l’accord intérimaire qui énon ce l’obligation pour les Parties de mener des
négociations de bonne foi. Il estime que la résolution 817 a été intégrée dans l’article 5 de l’accord
intérimaire justement dans la m esure où elle évoque «la différence sur le nom». L’article 5 établit

un équilibre entre les droits et les obligations d es Parties; son premier pa ragraphe requérant la
négociation «en vue de parvenir à ré gler le différend (the difference , la divergence) d’abord sur le
«nom» et ensuite sur ses destinataires. Le second paragraphe de l’article5 vient renforcer le
premier, «sans préjudice» de la divergence sur le nom, en prévoyant que les Parties faciliteront

leurs relations, notamment économiques et commerciales, et «prendront des dispositions pratiques»
à cet égard. Selon lui, l’intransigeance du demandeur à l’égard de la «formule double» («dual
formula») compromettait la négociation entre les Parties, ce qu’il estime est bien illustré par les
déclarations du président et du premier ministre de l’ERYM qu’il cite verbatim et qui, selon lui, ont

un caractère potentiellement dévastateur, mais dont l’ arrêt passe sous silence. Il rappelle que la
Grèce a changé sa position et a fait connaître qu’el le accepterait un nom contenant le terme de
«Macédoine», à condition qu’il soit assorti d’un qualificatif, et être applicable ergaomnes

⎯l’ERYM, en revanche, a déclaré que l’emploi su r le plan international d’un nom différent du
nom constitutionnel est inacceptable. Il ajoute qu’il est permis de se demander si par ses actions le
demandeur a respecté les conditions généralement reconnues pour la bonne conduite de
négociations «ayant un sens», et sur sa bonne foi dans un processus qui se poursuit depuis seize ans

sans aboutir.

Le juge examine ensuite la question de l’admi ssion au sein des organisations «fermées» ou
«régionales», l’OTAN n’étant pas une organisation comme les autres, en raison de son caractère

militaire et de défense. Il dit que l’organe co mpétent au sein de l’organisation peut fixer des
conditions supplémentaires à l’ad mission d’un nouveau membre. De s facteurs politiques, relatifs
aussi bien aux qualités de l’Etat candidat qu’à ses rapports avec les Etats membres, entrent
également en compte, et il revient à chaque Etat membre d’apprécier subjectivement si tous les

critères requis sont réunis avant de donner son accord. Pour l’admission d’un nouveau membre à
l’OTAN, les Etats membres, après avoir constaté que l’Etat européen candidat est en mesure de
favoriser le développement des principes du traité et de contribuer à la sécurité de la région de - 6 -

l’Atlantique Nord, décident à l’unanimité de l’inv iter à adhérer à l’organisation (article 10 du traité
de l’Atlantique Nord). Il s’ensuit que les Etats membres ont tous, sans exception, le droit, voire

l’obligation, d’apprécier si le candidat re mplit les conditions requises pour son adhésion à
l’organisation. Et tout Etat membre dont l es relations avec l’Etat candidat sont une source de
préoccupation directe ne peut pas se voir empêché de s’exprimer sur l’état réel de ces relations. En
disant qu’il n’a pas ce droit, on l’empêche d’exercer ses droits. La décision de l’OTAN suivait les

appels de l’organisation à l’inte ntion du demandeur pour aboutir à des «solutions mutuellement
acceptables pour les questions en suspens».

L’opinion est en désaccord avec l’interprétation que la Cour donne de l’article 11 de l’accord

intérimaire qui, non seulement privilégie le premie r volet du premier paragr aphe de l’article par
rapport au second volet de ce même paragraphe, mais empiète aussi sur les droits et obligations du
défendeur à l’égard de tiers. Ainsi, une importa nce excessive est attachée par la Cour au premier
volet du paragraphe1 de l’artic le11, qui contient une autre «curiosité» dans l’expression «la

première Partie ne s’opposera pas», au point de le rendre inintelligible. La Cour minimise, sans
argument décisif, la portée du second volet du paragraphe 1 qui énonce la condition de l’emploi du
nom d’ERYM. Selon le juge, l’idée que le second volet du paragraphe 1 de l’article 11 ne saurait
s’appliquer que lorsque l’organisation admettrait le demandeur sous une appellation autre que celle

d’ERYM est sans aucun fondement ; et la distinction entre ce qui se passe avant et ce qui advient
après l’admission dans les organisations internationales ne tient pas juridiquement, eu égard tant au
traité qu’au caractère spécifique de l’OTAN. En ce qui concerne la procédure d’admission, le juge

Roucounas note que la décision de l’Alliance a été prise suivant la prati que habituelle, après
consultation à l’intérieur et à l’extérieur de l’ organisation. Les volontés particulières se diluant
dans l’acte de l’organisation, il est impossible de dissocier la position de la Grèce en tant que telle
de celle de l’organisation. L’OTAN a ses propres procédures fondées sur le consensus de ses Etats

membres.

Le juge ajoute que la lecture donnée par la C our de l’expression «La première Partie ne
s’opposera pas» (à l’admission à des organisations internationales) conduit aussi à un empiètement

sur les compétences internationales évidentes du dé fendeur. Par contre, une lecture équilibrée de
l’article11 aurait permis pour la Cour de constater que rien n’empêchait, juridiquement ou
politiquement, au défendeur, de fa ire connaître publiquement les ra isons pour lesquelles l’attitude
délibérée du demandeur violait, selon lui, l’accord intérimaire et ne remplissait pas les conditions

de l’article10 du traité de l’OTAN, malgré les exhortations réitérées de s organes de l’Alliance
envers les Parties à régler le différend sur le nom.

En ce qui concerne la protestation internationa le, il rappelle qu’il s’agit d’une institution

juridique du droit coutumier par laquelle un sujet du droit international s’oppose à un acte formel
ou au comportement d’un autre sujet qu’il considèr e comme contraire au droit international. La
protestation acquiert davantage de force lors qu’elle s’oppose à un acte ou à un comportement
contraire aux obligations internationales de l’autre su jet de droit international. Elle a pour effet de

préserver les droits du sujet qui proteste et de mettre en exergue le caractère illicite attribué à l’acte
formel ou au comportement en cause. Elle s’affe rmit et devient incontestable par sa répétition. Le
juge Roucounas souligne que la Cour mondiale n’a jamais compté le nombre des protestations pour
se prononcer sur leur effet juridique; or dans la présente affaire, l’arrêt trouve que huit(8)

protestations de la Grèce dans la période entre l’adoption de la résolution817 et la conclusion de
l’accord intérimaire sont insuffisantes, et contest e les nombreuses autres, environ 85, protestations
émises par la Grèce depuis la conclusion de l’accord intérimaire contre l’utilisation par l’ERYM de
son nom constitutionnel au sein des organisations in ternationales. Le juge Roucounas exprime la

crainte que, en introduisant ainsi des éléments quantitatifs pour l’appréciation de la qualité
juridique d’un acte international, la Cour pui sse porter atteinte à l’institution même de la
protestation internationale.

Le juge Roucounas se penche davantage sur la notion de bon voisinage. Le droit de
voisinage et le droit de bon voisinage sont des notions évolutives. Lorsque le bon voisinage est - 7 -

mentionné dans un traité interna tional il devient un principe juridique lu conjointement avec les
principes fondamentaux énoncés par la Charte des Nations Unies, auquel les commentaires de la

Charte attribuent habituellement la consécration juridique de protection des intérêts légitimes entre
pays voisins. Il ajoute que le principe de bon voi sinage ne lie pas les seuls Etats, mais, dans la
mesure où son inobservation risque de porter atte inte à l’action des organes de la communauté
internationale, il lie également le s organisations internationales, qui doivent veiller à son respect.

En ce qui concerne le bon voisinage, le juge Rouc ounas rappelle que les résolutions 817 et 845 et
les communiqués de l’OTAN évoquent le bon voisin age et que l’accord intérimaire lie à sept
endroits les Parties, l’objet et le but de l’ accord étant précisément d’organiser les relations
pacifiques entre les Parties. C’est la raison pour laquelle l’accord prévoit que le demandeur

porterait provisoirement, et à toutes fins util es, le nom d’ERYM au sein de l’organisation
internationale, jusqu’au règlem ent négocié de la divergence. Selon le juge Roucounas, les
provocations par le demandeur qui sont contra ires à ces obligations se poursuivent sous diverses
formes : récriminations quant aux frontières géogra phiques et ethniques de l’ERYM qui s’étendent

au-delà de ses frontières politiques, manuels sc olaires, cartes géographiques, encyclopédies
officielles et discours inopportuns.

L’article22 répond au souci exprimé par ceux qui étudient le droit des traités et qui se

rendent compte des difficultés d’interprétation et des incertitudes que crée le silence des accords
internationaux sur le rapport entre ceux-ci et d’au tres traités antérieurs ou postérieurs. Il ne s’agit
pas d’une clause de style et vise à éviter tout doute pouvant découler de l’interprétation de

l’article 30, paragraphe 2, de la convention de Vienne sur le dr oit des traités. L’article22
s’applique à l’accord intérimaire dans son intégralité et devra être lu conjointement avec l’article 8
du traité de l’Atlantique Nord, qui exclut la possibilité pour un Etat membre de renoncer à ses
droits et devoirs envers l’Alliance. De surcroît, les deux Parties, en insérant l’article22 dans

l’accord intérimaire, étaient censées connaître son ch amp d’application au regard de la nature
spécifique ⎯ militaire et de défense ⎯ du traité constitutif de l’OTAN.

Par rapport à l’invocation par le défendeur, à titre subsidiaire de l’exceptio non adimpleti

contractus, le juge Roucounas conclut que l’exceptio exprime un principe si juste et si équitable
qu’on le retrouve d’une façon ou d’une autre dans to us les systèmes juridiques. C’est le corollaire
de la réciprocité et des accords synallagmatiqu es et un principe général du droit indépendamment
de l’article 60 de la convention de Vienne sur le droit des traités. Car, comme la Cour l’a jugé dans

l’affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci , le droit
international général et le dro it conventionnel se recouvrent toujours . L’article 60 n’exclut pas le
droit, pour la partie lésée, d’invoquer l’exceptio. La Grèce a réagi avec modération (mildly) aux
pratiques du demandeur. Dans le cas de la candida ture de celui-ci à l’OTAN, elle n’a procédé à

aucune suspension ou dénonciation de l’accord en ta nt que tel, mais a fait connaître largement sa
position, sans pour autant invoquer des articles précis de l’accord intérimaire. Il conviendrait
cependant de ne pas perdre de vue le libellé du paragraphe5 de l’article66 de la convention de

Vienne sur le droit des traités, qui prévoit que : «[s]ans préjudice de l’article 45, le fait qu’un Etat
n’ait pas adressé la notification prescrite au paragraphe1 ne l’empêche pas de faire cette
notification en réponse à une autre partie qui de mande l’exécution du traité ou qui allègue sa
violation». La Grèce a rempli les conditions de fond, proportionnalité et réversibilité. En ce qui

concerne les formes, la flexibilité est permise; le projet de la Commission du droit international
étant un mélange de codification et de développement progressif.

Le juge Roucounas analyse ensuite la méthode que la Cour a employée au regard des

contre-mesures. Il conclut que, si l’on tient compte de l’ensemble du préjudice subi du fait des
violations des articles5,6,7 et11 de l’accord intérimaire et quel que soit l’état actuel du droit
international relatif aux contre-mesures, la mesure adoptée par le défendeur satisfait la condition de
proportionnalité. Il estime que les a ppréciations de la Cour sur ces violations ne touchent pas le

fond des problèmes. - 8 -

Déclaration de M. le juge ad hoc Vukas

Le juge ad hoc Vukas souscrit à la conclusion selon laquelle la Cour a compétence pour
connaître de la requête déposée par l’ex-Républi que yougoslave de Macédoine et selon laquelle
cette requête est recevable. Il partage également l’avis de la Cour suivant lequel la République
hellénique a violé le paragraphe 1 de l’article11 de l’accord intérimaire signé par les Parties

le13septembre1995. Le juge ad hoc Vukas est cependant en désaccord avec la décision de la
Cour de rejeter la demande de l’ex-République yougoslave de Macédoine tendant à ce qu’il soit
également ordonné au défendeur de se conformer à l’ avenir aux obligations lui incombant en vertu
du paragraphe 1 de l’article 11 de l’accord intérimaire.

___________

Document file FR
Document
Document Long Title

Résumé de l'arrêt du 5 décembre 2011

Links