Résumé de l'ordonnance du 2 juin 1999

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14155
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Number (Press Release, Order, etc)
1999/7
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Résumés des arrêts, avis consultatifs et ordonnances de la Cou
r internationale de Justice
Document non officiel

AFFAIRE RELATIVE À LALICÉITÉ DE L’EMPLOI DE LAFORCE
(YOUGOSLAVIE c. ALLEMAGNE) (MESURES CONSERVATOIRES)

Ordonnance du 2 juin 1999

Dans une ordonnance rendue en l’affaire relative à la de leur opinion individuelle. M. Kreca, juge ad hoc, y a joint
Licéité de l’emploi de la force (Yougoslavie c. Allemagne), l’exposé de son opinion dissidente.
la Cour a rejeté par douze voix contre trois la demande en
indication de mesures conservatoires présentée par la *
* *
République fédérale de Yougoslavie (RFY). En outre, la
Cour a affirmé qu’elle reste saisie de l’affaire. La suite de la
procédure a été réservée par quatorze voix contre une. Rappel des faits
La Cour était composée co mme suit: M.Weeramantry,
Vice-Président, faisant fonction de président; M.Schwebel, Le 29avril 1999, la Yougoslavie a déposé une requête
Président de la Cour; MM.Oda, Bedjaoui, Guillaume, introductive d’instance contre l’Allemagne pour «violation
de l’obligation de ne pas recourir à l’emploi de la force»,
Ranjeva, Herczegh, Sme, Fleischhauer, Koroma, accusant cet État de bombarder le territoire yougoslave
Vereshchetin, M Higgins, MM. Parra-Aranguren, « conjointement avec d’autres États membres de l’OTAN ».
Kooijmans, juges; M.Kreca, juge ad hoc; M.Valencia- Le même jour, elle a présenté une demande en indication de
Ospina, Greffier.
mesures conservatoires, priant la Cour d’ordonner à
* l’Allemagne de «cesser immédiatement de recourir à
* * l’emploi de la force» et de «s’abstenir de tout acte
constituant un recours ou une menace de recours à la force »
Le texte complet du dispositif de l’ordonnance est ainsi contre la RFY.
libellé :
Pour fonder la compétence de la Cour, la Yougoslavie a
« 38. Par ces motifs, invoqué l’article IX de la Convention pour la prévention et
LCAOUR, la répression du crime de génocide, adoptée par l’Assemblée
générale des Nations Unies le 9 décembre 1948, ainsi que le
1) Par douze voix contre trois, paragraphe 5 de l’article 38 du Règlement de la Cour.
Rejette la demande en indication de mesures L’article IX de la Convention sur le génocide prévoit que les
conservatoires présentée par la République fédérale de différends entre les partie s contractantes relatifs à
Yougoslavie le 29 avril 1999;
POUM WR.eeramantry, Vice-Président, faisant l’interprétation, l’applica tion ou l’exécution de la
Convention seront soumis à la Cour internationale de
fonction de président en l’affaire;.chwebel, Justice. Quant au paragraphe 5 de l’article 38 du Règlement
Président de la Cour; MM.Oda, Bedjaoui, Guimeaume, de la Cour, il prévoit que lorsqu’un État dépose une requête
Ranjeva, Herczegh, Fleischhauer, Koroma, M Higgins, contre un autre État n’ayant pas accepté la compétence de la
MM. Parra-Aranguren, Kooijmans, juges; Cour, la requête est transmise à cet autre État, mais aucun
CONTRE : MM. Shi, Vereshchetin, juges; M. Kreca, acte de procédure n’est effectué tant que cet État n’a pas

juge ad hoc; accepté la compétence de la Cour aux fins de l’affaire.
2) Par quatorze voix contre une,
Réserve la suite de la procédure. Raisonnement de la Cour

POUM WR.eeramantry, Vice-Président, faisant Dans son ordonnance, la Cour souligne tout d’abord
fonction de président en l’affaire;.chwebel, qu’elle est « profondément préoccupée par le drame humain,
Président de la Cour; MMB. edjaoui, Guillaume, les pertes en vies humaines et les terribles souffrances que
Ranjeva, Herczegh, Shi, Fleischhauer, Koroma, connaît le Kosovo et qui constituent la toile de fond» du
Vereshchetin, M meHiggins, MM. Parra-Aranguren, différend, «ainsi que par les victimes et les souffrances
Kooijmans, juges; M. Kreca, juge ad hoc;
humaines que l’on déplore de façon continue dans
CONTRE : M. Oda, juge. » l’ensemble de la Yougoslavie». Elle se dit également
«fortement préoccupée par l’emploi de la force en
* Yougoslavie» qui, «dans le s circonstances actuelles ...
* * soulève des problèmes très graves de droit international».
En gardant « présents à l’esprit les buts et les principes de la
MW.eeramantry, ice-Prés ident, faisant fonction de Charte des Nations Unies, ainsi que lesresponsabilités qui
président en l’affaire, et MM. Shi, Koroma et Vereshchetin,
juges, ont joint des déclarations à l’ordonnance de la Cour. lui incombent, en vertu de ladite Charte et [de son] Statut,
MM. Oda et Parra-Aranguren, juges, y ont joint les exposés dans le maintien de la paix et de la sécurité», la Cour

9« estime nécessaire de souligner que toutes les parties qui se mesure de conclure, à ce stade de la procédure, que les actes
présentent devant elle doivent agir conformément à leurs que la Yougoslavie impute à l’Allemagne seraient

obligations en vertu de la Charte des Nations Unies et des susceptibles d’entrer dans les prévisions de la Convention
autres règles du droit international, y compris du droit sur le génocide; et l’article IX de la Convention sur le
humanitaire ». génocide ne constitue partant pas une base sur laquelle
La Cour rappelle ensuite qu’ellen «’a pas sa compétence pourrait prima facie être fondée en l’espèce.
automatiquement compétence pour connaître des différends Au sujet du paragraphe 5 de l’article 38 de son

juridiques» entre États et que «l’un des principes règlement, la Cour souligne qu’en l’absence de
fondamentaux de son Statut est qu’elle ne peut trancher un consentement de l’Allemagne, elle ne saurait avoir
différend entre des États sans que ceux-ci aient consenti à sa compétence en l’espèce sur cette base, même prima facie.
juridictin. Elle ne peut indiquer de mesures La Cour conclut qu’elle « n’a pas prima facie
conservatoires sans que sa co mpétence en l’affaire ait été compétence pour connaître de la requête de
établie prima facie. laYougoslavie» et qu’elle «ne saurait dès lors indiquer

À propos de l’article IX de la Convention sur le quelque mesure conservatoire que ce soit». Toutefois, les
génocide, la Cour indique qu’il n’est pas contesté que tant la conclusions auxquelles la Cour est parvenue «ne préjugent
Yougoslavie que l’Allemagne sont parties à cette en rien [s]a compétence ... pour connaître du fond de
convention, sans réserves, et que l’article IX semble ainsi l’affaire » et elles « laissent intact le droit du Gouvernement
constituer une base sur laquelle sa compétence pourrait être yougoslave et du Gouvernement allemand de faire valoir
fondée. La Cour estime toutefoi s qu’elle doit rechercher si leurs moyens en la matière ».
les violations de la Convention alléguées par la Yougoslavie
La Cour rappelle enfin qu’il «existe une distinction
sont susceptibles d’entrer dans les prévisions de cet fondamentale entre la questi on de l’acceptation par un État
instrument et si, par suite, la Cour pourrait avoir compétence de la juridiction de la Cour et la compatibilité de certains
pour connaître du différend ratione materiae . Dans sa actes avec le droit in ternational». «[L]a compétence exige
requête, la Yougoslavie indique que l’objet du différend le consentement; la compatibilité ne peut être appréciée que
porte notamment sur «les actes commis par la République quand la Cour examine le fond, après avoir établi sa
fédérale d’Allemagne, en violation de son obligation
compétence et entendu les deux parties faire pleinement
internationale ... de ne pas soumettre intentionnellement un valoir leurs moyens en droit ». Elle souligne que « les États,
groupe national à des conditions d’existence devant qu’ils acceptent ou non la juri diction de la Cour, demeurent
entraîner sa destruction physique». Elle soutient que le en tout état de cause responsables des actes contraires au
bombardement constant et intensif de l’ensemble de son droit international, y compris au droit humanitaire, qui leur
territoire, y compris les zones les plus peuplées, constitue seraient imputables» et que «tout différend relatif à la
«une violation grave de l’article II de la Convention sur le licéité de tels actes doit être réglé par des moyens pacifiques
génocide», que c’est la nation yougoslave tout entière, en
dont le choix est laissé aux parties conformément à
tant que telle, qui est prise pour cible et que le recours à l’Article33 de la Charte». Dans ce cadre, «les parties
certaines armes, dont on connaît par avance les doivent veiller à ne pas aggraver ni étendre le différend».
conséquences dommageables à lo ng terme sur la santé et La Cour réaffirme que «lorsqu’un tel différend suscite une
l’environnement, ou la destruction de la plus grande partie menace contre la paix, une rupture de la paix ou un acte
du réseau d’alimentation en électricité du pays, dont on peut d’agression, le Conseil de sécurité est investi de
prévoir d’avance les conséquences catastrophiques,
«témoigne[nt] implicitement de l’intention de détruire responsabilités spéciales en vertu du Chapitre VII de la
Charte ».
totalement ou partiellement » le groupe national yougoslave
en tant que tel. Pour sa part, l’Allemagne fait valoir que, Déclaration de M. Weeramantry,
même si elles étaient avérées, les violations d’obligations Vice-Président
internationales qu’allègue la Yougoslavie dans sa requête
n’entrent pas dans le champ de la définition donnée à M.Weeramantry est d’avis que la Cour, même si elle
l’article II de la Convention sur le génocide. La Cour n’a pas indiqué de mesures conservatoires, a toujours le
constate que, d’après la Co nvention, la caractéristique pouvoir de lancer aux deux Parties un appel les invitant à

essentielle du génocide est la destruction intentionnelle d’un agir conformément aux obligations qui sont les leurs en
groupe national, ethnique, racial ou religieux; elle précise vertu de la Charte des Nations Unies et des autres règles de
que «le recours ou la menace du recours à l’emploi de la droit international, y compris le droit humanitaire, et à ne
force contre un État ne sauraient en soi constituer un acte de rien faire qui puisse aggraver ou étendre le conflit.
génocide au sens de l’article II de la Convention sur Elle a ce pouvoir parce qu’elle continue d’être saisie de
legénocide». Elle ajoute qu’il n’apparaît pas au présent l’affaire et le demeurera ju squ’à ce qu’elle l’examine et

stade de la procédure que les bombardements qui parce qu’il ne s’agit pas non pl us d’un cas où il y a absence
constituent l’objet de la requête yougoslave «comporte[nt] manifeste de compétence.
effectivement l’élément d’intentionnalité, dirigé contre Pour M.Weeramantry, c’est la démarche qu’il convient
ungroupe comme tel, que requiert la disposition» sus- de suivre. La Cour elle-même fait état de sa profonde
indiquée. La Cour indique dès lors qu’elle n’est pas en préoccupation devant le drame humain et les pertes en vies

96humaines en cause ainsi que des responsabilités qui lui conservatoires. Il relève que ces mesures, selon la
incombent, en vertu de la Charte et de son Statut, dans le jurisprudence, ont pour objet de prévenir la violence et le

maintien de la paix et de la sécurité. recours à l’emploi de la force, de sauvegarder la paix et la
La Cour aurait aussi parfaitement le pouvoir inhérent de sécurité internationales ainsi que de jouer un rôle important
lancer un tel appel, comme M. Weeramantry l’explique de dans le mécanisme de règlement des différends que prévoit
façon plus détaillée dans son opinion dissidente dans la Charte des Nations Unies. Aussi l’indication de telles
Yougoslavie c. Belgique. mesures est-elle, selon lui, l’une des fonctions les plus
importantes de la Cour.
Un tel appel aurait égalem ent plus de portée que la
simple mention de ces questions dans l’ordonnance elle- Mais l’octroi de telles mesures, souligne M. Koroma, ne
même. peut se faire qu’en conformité avec le Statut de la Cour. À
cet égard et compte tenu de sa jurisprudence, la Cour ne fera
pas droit à une demande en indication de mesures
Déclaration du juge Shi conservatoires lorsqu’elle n’a pas compétence prima facie
Tout comme la majorité, M.Shi pense que la Cour n’a ou lorsque d’autres circonstances s’opposent à leur
pas dans les instances que la Yougoslavie a introduites
prononcé.
contre la France, l’Allemagne, l’Italie et le Royaume-Uni Il estime toutefois que la Cour, organe judiciaire
compétence prima facie pour indiquer les mesures principal des Nations Unies dont la principale raison d’être
conservatoires sollicitées par le demandeur et qu’il est demeure le maintien de la paix et de la sécurité
même encore plus évident qu’il en va de même dans les internationales, a une obligation claire et nette de contribuer
instances introduites contre l’Espagne et les États-Unis. au maintien de la paix et de la sécurité internationales et de

Il estime cependant que la Cour, confrontée à une fournir le cadre judiciaire, qui doit permettre de résoudre un
situation de grande urgence découlant de l’emploi de la conflit juridique, tout particulièrement lorsque celui-ci non
force en Yougoslavie et contre celle-ci et saisie des seulement menace la paix et la sécurité internationales mais
demandes en indication de mesures conservatoires engendre aussi des souffrances humaines énormes et des
présentées par le demandeur, aurait dû faire une déclaration pertes en vies humaines qu’on ne cesse de déplorer. C’est
générale exhortant les Parties à agir conformément aux pourquoi il se joint aux autres membres de la Cour pour
obligations qui sont les leurs en vertu de la Charte des
appeler à un règlement pacifique du conflit conformément à
Nations Unies et de toutes les autres règles de droit l’Article 33 de la Charte et pour exhorter les Parties à ne pas
international applicables à la situation et tout au moins à ne aggraver ni étendre le différ end et à respecter le droit
pas aggraver ou étendre leurs différends, indépendamment international, y compris le droit humanitaire et les droits de
de la conclusion à laquelle la Cour pourrait parvenir sur sa l’homme de tous les citoyens yougoslaves.
compétence prima facie avant de rendre son arrêt définitif.

Aucune disposition du Statut ou du Règlement n’interdit Déclaration du juge de M. Vereshchetin
à la Cour d’agir ainsi. De plus, étant donné les Les circonstances extraordinaires dans lesquelles la
responsabilités que la Charte et le Statut qui fait partie
intégrante de celle-ci attribuent à la Cour dans le cadre Yougoslavie a présenté sa demande en indication de
général du maintien de la paix et de la sécurité, une telle mesures conservatoires imposaient la nécessité de réagir
déclaration relève des pouvoirs implicites que possède la immédiatement. La Cour au rait dû exprimer sa profonde
Cour dans l’exercice de sa fonction judiciaire. La Cour, à préoccupation devant les événements douloureux, les pertes
en vies humaines et les graves violations du droit
l’évidence, n’a pas saisi l’occasion de jouer le rôle qu’on international qui se produisaient et qui, lorsque la demande
attend d’elle pour le maintien de la paix et de la sécurité a été déposée, étaient déjà une question de notoriété
lorsque le besoin s’en fait le plus sentir.
De plus, contrairement à ce qu’elle a fait dans la récente publique. Il n’est pas convenab le que l’organe judiciaire
affaire LaGrand (Allemagne c. États-Unis d’Amérique) , principal des Nations Unies, dont la raison d’être est
dans une situation présentant un moindre degré d’urgence d’apporter une solution pacifique aux différends
internationaux, garde le silence dans une telle situation.
que celle dont elle est actuellement saisie, la Cour n’a pas Même si, en fin de compte, la Cour parvient à la conclusion
exercé, ainsi que le lui avait demandé la Yougoslavie, le que, à cause des contraintes que lui impose son Statut, elle
pouvoir de se prononcer d’office sur la demande en ne peut pas indiquer de mesures conservatoires en bonne et
indication de mesures conservatoires de celle-ci, sur la base
du paragraphe 1 de l’article 75 de son règlement. due forme conformément aux dispositions de l’Article 41 du
Statut à l’égard de l’un ou l’ autre des États défendeurs, la
Pour ces motifs, M. Shi se voit dans l’obligation de voter Cour a le pouvoir inhérent, à tout le moins, d’enjoindre
contre le paragraphe 1 du dispositif des six ordonnances. immédiatement aux Parties de ne rien faire qui puisse
aggraver ou étendre le conflit et d’agir conformément à
Déclaration du juge Koroma leurs obligations en vertu de la Charte des Nations Unies.
Ce pouvoir découle de sa responsabilité qui est d’être la
Dans sa déclaration, M.Koroma fait observer qu’il
s’agit peut-être des affaires les plus graves dont la Cour ait gardienne du droit international ainsi que de considérations
jamais été saisie, s’agissant de l’indication de mesures essentielles d’ordre public. L’autorité d’un tel appel de la

97«Cour mondiale», qui se situerait dans le droit fil des Convention sur le génocide de 1948, il conclut qu’aucun de
dispositions de l’Article 41 de son Statut, du paragraphe 4 ces instruments ne confère à la Cour compétence pour

de l’article 74 et du paragraphe 1 de l’article 75 de son connaître de l’une ou l’autre de ces 10 requêtes.
règlement, pourrait avoir pour effet de donner à réfléchir Tout comme la Cour, M.Oda pense que celle-ci doit,
aux Parties engagées dans un conflit militaire sans précédent faute de disposer d’une base de compétence, rejeter les
dans l’histoire de l’Europe depuis la fin de la Seconde demandes en indication de mesures conservatoires dans les
Guerre mondiale. 10 instances. La Cour ayant décidé qu’elle n’a pas

La Cour était instamment priée de faire prévaloir la règle compétence pour connaître de ces affaires, fût-ce prima
de droit dans le contexte de violations flagrantes sur une facie, cela ne peut signifier, selon lui, qu’elle n’a aucune
grande échelle du droit international, y compris de la Charte compétence que ce soit à l’égard de ces affaires. Il s’ensuit,
des Nations Unies. Au lieu d’agir avec diligence et, si selon M.Oda, que les requêtes doivent être rejetées à ce
nécessaire, en sa qualité de «principale gardienne du droit stade de la procédure non seulement dans les affaires
international », la majorité de la Cour, plus d’un mois après concernant l’Espagne et les États-Unis où la Cour conclut à
que les demandes ont été présentées, les a rejetées d’emblée son incompétence manifeste, mais aussi dans toutes les

à l’égard de l’ensemble des affaires qui avaient été autres affaires puisqu’elle a relevé qu’elle n’avait même pas
soumises, y compris celles dans lesquelles la compétence compétence prima facie.
prima facie de la Cour aurait clairement pu être établie. En M.Oda signale aussi que la distinction opérée par la
outre, cette décision a été prise dans une situation dans Cour entre les requêtes –qui ont pratiquement le même
laquelle l’intensification délibérée des bombardements des objet– résulte simplement des positions différentes que les
zones les plus fortement peuplées continue de causer sans
répit des pertes en vies humaines parmi les non-combattants États ont pu adopter à l’égard des divers documents qu’il y a
lieu d’appliquer pour déterminer la compétence de la Cour.
ainsi que des maux physiques et psychologiques à la Or cette distinction aboutira à un résultat différent pour la
population dans l’ensemble de la Yougoslavie. suite de la procédure dans chacune de ces instances. Pour
Pour les raisons qui précèdent, M.Vereshchetin ne peut M.Oda, il s’agit là d’une situation illogique, qui étaye sa
souscrire à l’inaction de la Co ur à cet égard, bien qu’il conviction que les dix affaires au raient dû être rejetées à ce
concède que, dans certaines des affaires introduites par le stade de la procédure, pour la totalité de leurs éléments.

demandeur, la base de compétence de la Cour, à ce stade de
la procédure, peut susciter le doute, et que dans le cas de Opinion individuelle du juge Parra-Aranguren
l’Espagne et des États-Unis, elle est inexistante.
MP.arra-Aranguren rappelle que la Yougoslavie
Opinion individuelle du juge Oda soutient que «le bombardement ... de zones habitées
yougoslaves constitue ... une violation de l’article II de la
M.Oda appuie la décision de la Cour de rejeter les Convention sur le génocide», ce que nie le défendeur;
demandes en indication de mesures conservatoires qu’un différend d’ordre juri dique s’est élevé entre les
présentées par la République fédérale de Yougoslavie contre Parties du fait de l’existence d’«une situation dans laquelle

les 10États défendeurs. M.Oda approuve la décision de la les points de vue des deux Parties, quant à l’exécution ou à
Cour de rayer de son rôle gé néral les affaires relatives à la non-exécution de certaine s obligations découlant d’[un
l’Espagne et aux États-Unis, mais, dans les huit autres traité], sont nettement opposés », comme la Cour l’a précisé
affaires, il a voté contre le paragraphe du dispositif de dans sa décision du 11juillet 1996 ( Application de la
l’ordonnance par lequel la Cour a indiqué qu’elle Convention pour la prévention et la répression du crime de
«[r]éserv[ait] la suite de la procédure», car il estime que génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions
ces huit affaires devraient aussi être rayées du rôle général préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II) , p. 614 et 615,

de la Cour à ce stade de la procédure. par.29); et que, selon l’article 9 de la Convention sur le
Selon M.Oda, la République fédérale de Yougoslavie génocide, «[l]es différends entre les Parties contractantes
n’est pas membre des Nations Unies et n’est pas en relatifs à l’interprétation, l’application ou l’exécution de la
conséquence partie au Statut de la Cour internationale de présente convention » seront soumis à la Cour internationale
Justice. Pour ce seul motif, la Cour aurait dû conclure à de Justice. Aussi estime-t-il que la Cour a prima facie
compétence pour se pron oncer sur les mesures
l’irrecevabilité des requêtes présentées par la République conservatoires sollicitées par la Yougoslavie.
fédérale de Yougoslavie, qui de ce fait auraient dû être
rayées du rôle général de la Cour. La Yougoslavie a demandé à la Cour d’indiquer que le
Il examine toutefois ensuite la question de savoir si la défendeur «doi[t] cesser immédiatement de recourir à
République fédérale de Yougoslavie aurait pu présenter les l’emploi de la force et doi[ t] s’abstenir de tout acte
requêtes dans ces affaires sur le fondement de certains constituant une menace de recours ou un recours à l’emploi
de la force contre la République fédérale de Yougoslavie».
instruments juridiques, à supposer que celle-ci puisse être
considérée comme partie au Statut. Après avoir examiné Or, la menace de recours ou le recours à l’emploi de la force
i)le sens de la clause facultative du Statut de la Cour; ii) le contre un État ne saurait en lui-même constituer un acte de
contexte des traités conclus en 1930 et 1931 avec la génocide au sens de la Convention sur le génocide. La
Belgique et les Pays-Bas respectivement; et iiil)a Yougoslavie sollicite donc l’indication de mesures

98conservatoires qui ne visent pas à garantir les droits qu’elle matière de droits de l’homme et de libertés, ont d’une
tient de la Convention sur le génocide, à savoir le droit de ne certaine manière acquis une signification juridique

pas être victime d’actes qui peuvent être qualifiés de crimes autonome; elles ont échappé à la sphère de la morale et de la
de génocide par celle-ci. Selon M. Parra-Aranguren, il n’y a philanthropie pour pénétrer dans le domaine du droit.
donc pas lieu d’indiquer les mesures demandées par la Dans la présente instance, il semble que l’«impératif
Yougoslavie. humanitaire » ait perdu la position juridique autonome qu’il
avait ainsi acquise. Ce fait doit être souligné étant donné les

Opinion dissidente de M. Kreca, juge ad hoc circonstances particulières de l’espèce. À la différence des
Dans son opinion dissidente, M.Kreca met l’accent sur affaires jugées récemment par la Cour, l’«impératif
les points suivants : humanitaire» dont il est question ici a pour objet le sort
d’une nation entière, au sens littéral. La République fédérale
M. Kreca estime qu’aucune des fonctions de l’institution de Yougoslavie et les groupes nationaux et ethniques qui la
du juge ad hoc visant à assurer l’égalité au sein de la Cour composent sont soumis depuis maintenant plus de deux
n’a été respectée dans ce cas particulier. Il découle de la mois à des attaques continues de la part d’une «armada»
lettre et de l’esprit du paragraphe 2 de l’Article 31 du Statut
de la Cour, si on l’applique au cas d’espèce, que la aérienne redoutable et très organisée, commandée par les
États les plus puissants de la terre. De plus, l’arsenal utilisé
Yougoslavie, en tant qu’État demandeur, aurait dû avoir le dans les attaques dirigées contre la Yougoslavie comprend
droit de désigner autant de juges ad hoc pour prendre place des armes dont les effets ne sont limités ni dans l’espace ni
sur le siège, étant donné qu’il faut assurer une égalité entre dans le temps, comme l’uranium appauvri, qui causent des
l’État demandeur et les États défendeurs qui comptent un dommages irréparables et d’une portée considérable à la
juge de leur nationalité sur le siège et qui font cause santé de l’ensemble de la population.
commune. Le droit naturel à une représentation égale au
sein de la Cour, traduction du principe fondamental de M.Kreca est d’avis que l’emploi de la force armée à
grande échelle, particulièrement à l’encontre d’objets et de
l’égalité des parties, signifie concrètement que la moyens qui sont des éléments essentiels d’une vie normale,
République fédérale de Yougoslavie aurait dû avoir le droit peut mener à la «soumission ... du groupe à des conditions
de désigner cinq juges ad hoc car cinq des 10 États d’existence» qui entraînent «sa destruction physique»
défendeurs (les États-Unis, le Royaume-Uni, la France,
l’Allemagne et les Pays-Bas) comptent sur le siège un juge (Convention sur le génocide, art. II).
de leur nationalité. Certes, précise M.Kreca, il peut être soutenu que les
actes de cette nature servent à affaiblir les capacités
Concurremment, si l’on suit la jurisprudence constante militaires de la République fédérale de Yougoslavie. On ne
de la Cour, aucun des États défendeurs n’a le droit de saurait toutefois considérer cette explication comme un
désigner un juge ad hoc ( Juridiction territoriale de la argument sérieux. En effet, on risque facilement d’être
Commission internationale de l’Oder ; Régime douanier
entre l’Allemagne et l’Autriche). amené à soutenir, si on se laisse emporter par cette
argumentation, que la puissance militaire se compose après
Point n’est besoin de souligner la très grande importance tout de personnes, et que le fait de tuer sur une grande
des questions susmentionnées, car il est évident qu’elles ne échelle des civils peut être tenu pour une sorte de mesure de
voient pas leurs effets se limiter à la procédure, mais précaution visant à empêcher le maintien ou, en cas de
qu’elles peuvent aussi avoir des conséquences concrètes mobilisation, l’accroissement de la puissance militaire d’un
d’une portée considérable.
État.
Selon MK . reca, la Cour a accordé une grande M.Kreca rappelle en outre que, dans le cadre de
importance au critère de l’impératif humanitaire dans sa procédures incidentes, la Cour ne peut et ne doit pas se
jurisprudence récente relativ e à l’indication de mesures soucier d’établir s’il y a effectivement intention d’imposer à
conservatoires, en particulier dans les affaires touchant un groupe des conditions qui menacent sa survie. Eu égard à
directement des personnes physiques. Par sa seule force, ce l’objet des mesures conservatoires, on peut dire qu’à ce
critère a permis d’écarter certaines règles pertinentes tant de
procédure que de fond qui s’appliquaient à l’indication de stade de la procédure il suffit de démontrer que, lors de
bombardements à grande échelle, il existe un risque objectif
mesures conservatoires (voir, par exemple, l’affaire que soient créées des conditions dans lesquelles la survie du
LaGrand). Ainsi, les considératio ns d’ordre humanitaire, groupe est menacée.
indépendamment des normes du droit international en

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Résumé de l'ordonnance du 2 juin 1999

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