Résumé de l'ordonnance du 2 juin 1999

Document Number
14131
Document Type
Number (Press Release, Order, etc)
1999/12
Date of the Document
Document File
Document

Résumés des arrêts, avis consultatifs et ordonnances de la Cour
internationale de Justice
Document non officiel

AFFAIRE RELATIVE À LA LICÉITÉ DE L’EMPLOI DE LA FORCE
(YOUGOSLAVIE c. ROYAUME-UNI) (MESURES CONSERVATOIRES)

Ordonnance du 2 juin 1999

Dans une ordonnance rendue en l’affaire relative à la Rejette la demande en indication de mesures
Licéité de l’emploi de la force (Yougoslavie c. Royaume- conservatoires présentée par la République fédérale de
Uni), la Cour a rejeté par douze voix contre trois la demande Yougoslavie le 29 avril 1999;
en indication de mesures conservatoires présentée par la
POUR : M. Weeramantry, Vice-Président, faisant
République fédérale de Yougoslavie (RFY). En outre, la fonction de président en l’affaire; M. Schwebel,
Cour a affirmé qu’elle reste saisie de l’affaire. La suite de Président de la Cour; MM. Oda, Bedjaoui, Guillaume,
procédure a été réservée par quatorze voix contre une. Ranjeva, Herczegh, Fleischhauer, Koroma, MeHiggins,
La Cour était composée comme suit : M. Weeramantry, MM. Parra-Aranguren, Kooijmans, juges;
Vice-Président, faisant fonction de président; M. Schwebel,
CONTRE : MM. Shi, Vereshchetin, juges; M. Kreca,
Président de la Cour; MM. Oda, Bedjaoui, Guillaume, juge ad hoc;
Ranjeva, Herczegh, Shi, Fleischhauer, Koroma, 2) Par quatorze voix contre une,
Vereshchetin, M meHiggins, MM. Parra-Aranguren,
Kooijmans, juges; M. Kreca, juge ad hoc; M. Valencia- Réserve la suite de la procédure.
Ospina, Greffier. POUR : M. Weeramantry, Vice-Président, faisant
fonction de président en l’affaire; M. Schwebel,
* Président de la Cour; MM. Bedjaoui, Guillaume,
Ranjeva, Herczegh, Shi, Fleischhauer, Koroma,
* * me
Vereshchetin, M Higgins, MM. Parra-Aranguren,
Le texte complet du dispositif de l’ordonnance est ainsi Kooijmans, juges; M. Kreca, juge ad hoc;
libellé : CONTRE : M. Oda, juge. »
« 43. Par ces motifs,
LA COUR, *
* *
1) Par douze voix contre trois,

_______________________________
Lire la suite à la page suivante

124 MW.eeramantryV, ice-Prés ident, faisant fonction de La Cour rappelle ensuite qu’ellen «’a pas
président en l’affaire, et MM. Shi, Koroma et Vereshchetin, automatiquement compétence pour connaître des différends

juges, ont joime des déclarations à l’ordonnance de la Cour. juridique» entre États et que «l’un des principes
M. Oda, M Higgins, et MM P.arra-Aranguren et fondamentaux de son Statut est qu’elle ne peut trancher un
Kooijmans, juges, y ont joint les exposés de leur opinion différend entre des États sans que ceux-ci aient consenti à sa
individuelle. M.Kreca, juge ad hoc, y a joint l’exposé de juridictin. Elle ne peut indiquer de mesures
son opinion dissidente. conservatoires sans que sa co mpétence en l’affaire ait été
établie prima facie.
*
* * Au sujet de la première base de compétence invoquée, la
Cour observe que le Royaume-Uni a fait valoir que sa
déclaration contenait des rése rves. Aux termes de l’une
Rappel des faits d’entre elles, le Royaume-Uni ne reconnaît pas la
compétence de la Cour en ce qui concerne « les différends à
Le 29 avril 1999, la Yougoslavie a déposé une requête l’égard desquels toute autre partie en cause a accepté la
introductive d’instance cont re le Royaume-Uni pour
« violation de l’obligation de ne pas recourir à l’emploi de la juridiction obligatoire de la Cour ... uniquement en ce qui
force», accusant cet État de bombarder le territoire concerne lesdits différends ou aux fins de ceux-ci, ou
yougoslave « conjointement avec d’autres États membres de lorsque l’acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour
au nom d’une autre partie au différend a été déposée ou
l’OTAN». Le même jour, elle a présenté une demande en ratifiée moins de douze mois avant la date du dépôt de la
indication de mesures conservatoires, priant la Cour requête par laquelle la Cour est saisie du différend». La
d’ordonner au Royaume-Uni de «cesser immédiatement de Cour constate que la Yougoslavie a déposé sa déclaration
recourir à l’emploi de la force» et de «s’abstenir de tout
acte constituant unrecours ou une menace de recours à la d’acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour auprès
force » contre la RFY. du Secrétaire général des Nations Unies le 26avril 1999 et
qu’elle a porté le différend devant la Cour le 29avril 1999.
Pour fonder la compétence de la Cour, la Yougoslavie a Elle indique qu’il ne fait aucun doute que les conditions
invoqué les déclarations par lesquelles les deux États ont d’exclusion de la juridiction de la Cour spécifiées dans la
accepté la juridiction obligatoire de la Cour à l’égard de tout déclaration du Royaume-Uni sont remplies. La Cour conclut
autre État acceptant la même ob ligation (Art.36, par.2, du que les déclarations faites par les parties ne sauraient
Statut de la Cour), ainsi que l’article IX de la Convention
pour la prévention et la répression du crime de génocide, manifestement pas constituer une base de compétence en
adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le l’affaire, même prima facie.
Quant à l’argument du Royaume-Uni selon lequel la
9décembre 1948. L’article IX de la Convention sur le Yougoslavie n’est pas un État membre des Nations Unies vu
génocide prévoit que les différends entre les parties la résolution 777 (1992) du Conseil de sécurité et la
contractantes relatifs à l’interprétation, l’application ou
l’exécution de la Convention seront soumis à la Cour résolution 47/1 (1992) de l’Assemblée générale des Nations
internationale de Justice. Unies, ni un État partie au Statut de la Cour, de sorte que la
Yougoslavie ne saurait établir de lien juridictionnel avec les
États parties au Statut en faisant une déclaration
Raisonnement de la Cour d’acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour, la
Dans son ordonnance, la Cour souligne tout d’abord Cour considère qu’elle n’a pas à examiner cette question
compte tenu du fait qu’elle a conclu que les déclarations ne
qu’elle est « profondément préoccupée par le drame humain,
les pertes en vies humaines et les terribles souffrances que constituent pas une base de compétence.
connaît le Kosovo et qui constituent la toile de fond» du À propos de l’article IX de la Convention sur le
différend, «ainsi que par les victimes et les souffrances génocide, la Cour indique qu’il n’est pas contesté que tant la
humaines que l’on déplore de façon continue dans Yougoslavie que le Royaume-Uni sont parties à cette
l’ensemble de la Yougoslavie». Elle se dit également convention, sans réserves, et que l’article IX semble ainsi

«fortement préoccupée par l’emploi de la force en constituer une base sur laquelle sa compétence pourrait être
Yougoslavie» qui, «dans le s circonstances actuelles ... fondée. La Cour estime toutefoi s qu’elle doit rechercher si
soulève des problèmes très graves de droit international». les violations de la Convention alléguées par la Yougoslavie
En gardant « présents à l’esprit les buts et les principes de la sont susceptibles d’entrer dans les prévisions de cet
Charte des Nations Unies, ainsi que les responsabilités qui instrument et si, par suite, la Cour pourrait avoir compétence
lui incombent, en vertu de ladite Charte et [de son] Statut, pour connaître du différend ratione materiae . Dans sa
dans le maintien de la paix et de la sécurité», la Cour requête, la Yougoslavie indique que l’objet du différend

« estime nécessaire de souligner que toutes les parties qui se porte notamment sur «les actes commis par le Royaume-
présentent devant elle doivent agir conformément à leurs Uni ..., en violation de son obligation internationale ... de ne
obligations en vertu de la Charte des Nations Unies et des pas soumettre intentionnellement un groupe national à des
autres règles du droit international, y compris du droit conditions d’existence devant entraîner sa destruction
humanitaire ». physique». Elle soutient que le bombardement constant et

125intensif de l’ensemble de son territoire, y compris les zones réaffirme que «lorsqu’un tel différend suscite une menace
les plus peuplées, constitue «une violation grave de contre la paix, une rupture de la paix ou un acte d’agression,

l’articleII de la Convention sur le génocide», que c’est la le Conseil de sécurité est investi de responsabilités spéciales
nation yougoslave tout entière, en tant que telle, qui est prise en vertu du Chapitre VII de la Charte ».
pour cible et que le recours à certaines armes, dont on
connaît par avance les conséq uences dommageables à long Déclaration de M. Weeramantry,
terme sur la santé et l’environnement, ou la destruction de la Vice-Président
plus grande partie du réseau d’alimentation en électricité du
pays, dont on peut prévoir d’avance lesconséquences M.Weeramantry est d’avis que la Cour, même si elle
n’a pas indiqué de mesures conservatoires, a toujours le
catastrophiques, «témoigne[nt] implicitement de l’intention pouvoir de lancer aux deux Parties un appel les invitant à
de détruire totalement ou partiellement» le groupe national
yougoslave en tant que tel. Pour sa part, le Royaume-Uni agir conformément aux obligations qui sont les leurs en
souligne que la Yougoslavie n’a produit aucun élément de vertu de la Charte des Nations Unies et des autres règles de
preuve relatif à des violations de la Convention et n’a pas droit international, y compris le droit humanitaire, et à ne
établi l’élément intentionnel exigé par la Convention. La rien faire qui puisse aggraver ou étendre le conflit.
Elle a ce pouvoir parce qu’elle continue d’être saisie de
Cour constate que, d’après la Convention, la caractéristique
essentielle du génocide est la destruction intentionnelle d’un l’affaire et le demeurera ju squ’à ce qu’elle l’examine et
groupe national, ethnique, racial ou religieux; elle précise parce qu’il ne s’agit pas non pl us d’un cas où il y a absence
que «le recours ou la menace du recours à l’emploi de la manifeste de compétence.
force contre un État ne sauraient en soi constituer un acte de Pour M.Weeramantry, c’es t la démarche qu’il convient
génocide au sens de l’article II de la Convention sur le de suivre. La Cour elle-même fait état de sa profonde
génocide». Elleajoute qu’il n’apparaît pas au présent stade préoccupation devant le drame humain et les pertes en vies

de la procédure que les bombardements qui constituent humaines en cause ainsi que des responsabilités qui lui
l’objet de la requête yo ugoslavec«omporte[nt] incombent, en vertu de la Char te et de son Statut, dans le
effectivement l’élément d’intentionnalité, dirigé contre un maintien de la paix et de la sécurité.
groupe comme tel, que requiert la disposition» sus- La Cour aurait aussi parfaitement le pouvoir inhérent de
indiquée. La Cour considère dès lors qu’elle n’est pas en lancer un tel appel, comme M. Weeramantry l’explique de
mesure de conclure, à ce stade de la procédure, que les actes
que la Yougoslavie impute au Royaume-Uni seraient façon plus détaillée dans son opinion dissidente dans
Yougoslavie c. Belgique.
susceptibles d’entrer dans les prévisions de la Convention Un tel appel aurait égalem ent plus de portée que la
sur le génocide; et l’article IX de la Convention sur le simple mention de ces questions dans l’ordonnance elle-
génocide ne constitue partant pas une base sur laquelle sa même.
compétence pourrait prima facie être fondée en l’espèce.
La Cour conclut qu’elle « n’a pas prima facie
Déclaration du juge Shi
compétence pour connaîtr e de la requête de
laYougoslavie» et qu’elle «ne saurait dès lors indiquer Tout comme la majorité, M.Shi pense que la Cour n’a
quelque mesure conservatoire que ce soit». Toutefois, les pas dans les instances que la Yougoslavie a introduites
conclusions auxquelles la Cour est parvenue «ne préjugent contre la France, l’Allemagne, l’Italie et le Royaume-Uni
en rien [s]a compétence ... pour connaître du fond de compétence prima facie pour indiquer les mesures
l’affaire » et elles « laissent intact le droit du Gouvernement conservatoires sollicitées par le demandeur et qu’il est
yougoslave et du Gouvernement du Royaume-Uni de faire même encore plus évident qu’il en va de même dans les

valoir leurs moyens en la matière ». instances introduites contre l’Espagne et les États-Unis.
La Cour rappelle enfin qu’il «existe une distinction Il estime cependant que la Cour, confrontée à une
fondamentale entre la questi on de l’acceptation par un État situation de grande urgence découlant de l’emploi de la
de la juridiction de la Cour et la compatibilité de certains force en Yougoslavie et contre celle-ci et saisie des
actes avec le droit in ternational». «[L]a compétence exige demandes en indication de mesures conservatoires
le consentement; la compatibilité ne peut être appréciée que présentées par le demandeur, aurait dû faire une déclaration

quand la Cour examine le fond, après avoir établi sa générale exhortant les Parties à agir conformément aux
compétence et entendu les deux parties faire pleinement obligations qui sont les leurs en vertu de la Charte des
valoir leurs moyens en droit ». Elle souligne que « les États, Nations Unies et de toutes les autres règles de droit
qu’ils acceptent ou non la juridi ction de la Cour, demeurent international applicables à la situation et tout au moins à ne
en tout état de cause responsables des actes contraires au pas aggraver ou étendre leurs différends, indépendamment
droit international, y compris au droit humanitaire, qui leur de la conclusion à laquelle la Cour pourrait parvenir sur sa
compétence prima facie avant de rendre son arrêt définitif.
seraient imputables» et que «tout différend relatif à la
licéité de tels actes doit être réglé par des moyens pacifiques Aucune disposition du Statut ou du Règlement n’interdit
dont le choix est laissé aux parties conformément à l’Article à la Cour d’agir ainsi. De plus, étant donné les
33 de la Charte ». Dans ce cadre, « les parties doivent veiller responsabilités que la Charte et le Statut qui fait partie
à ne pas aggraver ni étendre le différend». La Cour intégrante de celle-ci attribuent à la Cour dans le cadre

126général du maintien de la paix et de la sécurité, une telle mesures conservatoires imposaient la nécessité de réagir
déclaration relève des pouvoirs implicites que possède la immédiatement.

Cour dans l’exercice de sa fonction judiciaire. La Cour, à La Cour aurait dû exprimer sa profonde préoccupation
l’évidence, n’a pas saisi l’occasion de jouer le rôle qu’on devant les événements douloureux, les pertes en vies
attend d’elle pour le maintien de la paix et de la sécurité humaines et les graves violations du droit international qui
lorsque le besoin s’en fait le plus sentir. se produisaient et qui, lorsqu e la demande a été déposée,
De plus, contrairement à ce qu’elle a fait dans la récente étaient déjà une question de notoriété publique. Il n’est pas

affaire LaGrand (Allemagne c. États-Unis d’Amérique) , convenable que l’organe judiciaire principal des Nations
dans une situation présentant un moindre degré d’urgence Unies, dont la raison d’être est d’apporter une solution
que celle dont elle est actuellement saisie, la Cour n’a pas pacifique aux différends inte rnationaux, garde le silence
exercé, ainsi que le lui avait demandé la Yougoslavie, le dans une telle situation. Même si, en fin de compte, la Cour
pouvoir de se prononcer d’office sur la demande en parvient à la conclusion que, à cause des contraintes que lui
indication de mesures conservatoires de celle-ci, sur la base impose son Statut, elle ne peut pas indiquer de mesures
du paragraphe 1 de l’article 75 de son règlement. conservatoires en bonne et due forme conformément aux

Pour ces motifs, M. Shi se voit dans l’obligation de voter dispositions de l’Article 41 du Statut à l’égard de l’un ou
contre le paragraphe 1 du dispositif des six ordonnances. l’autre des États défendeurs, la Cour a le pouvoir inhérent, à
tout le moins, d’enjoindre immédiatement aux Parties de ne
Déclaration du juge Koroma rien faire qui puisse aggraver ou étendre le conflit et d’agir
conformément à leurs obligations en vertu de la Charte des
Dans sa déclaration, M.Koroma fait observer qu’il Nations Unies. Ce pouvoir découle de sa responsabilité qui
s’agit peut-être des affaires les plus graves dont la Cour ait est d’être la gardienne du droit international ainsi que de
jamais été saisie, s’agissant de l’indication de mesures
considérations essentielles d’or dre public. L’autorité d’un
conservatoires. Il relève que ces mesures, selon la tel appel de la «Cour mondiale», qui se situerait dans le
jurisprudence, ont pour objet de prévenir la violence et le droit fil des dispositions de l’Article 41 de son Statut, du
recours à l’emploi de la force, de sauvegarder la paix et la paragraphe 4 de l’article 74 et du paragraphe 1 de
sécurité internationales ainsi que de jouer un rôle important l’article75 de son règlement, pourrait avoir pour effet de
dans le mécanisme de règlement des différends que prévoit donner à réfléchir aux Partie s engagées dans un conflit
la Charte des Nations Unies. Aussi l’indication de telles militaire sans précédent dans l’histoire de l’Europe depuis la

mesures est-elle, selon lui, l’une des fonctions les plus fin de la Seconde Guerre mondiale.
importantes de la Cour. La Cour était instamment priée de faire prévaloir la règle
Mais l’octroi de telles mesures, souligne M. Koroma, ne de droit dans le contexte de violations flagrantes sur une
peut se faire qu’en conformité avec le Statut de la Cour. À grande échelle du droit international, y compris de la Charte
cet égard et compte tenu de sa jurisprudence, la Cour ne fera des Nations Unies. Au lieu d’agir avec diligence et, si
pas droit à une demande en indication de mesures
nécessaire, en sa qualité de « principale gardienne du droit
conservatoires lorsqu’elle n’a pas compétence prima facie international », la majorité de la Cour, plus d’un mois après
ou lorsque d’autres circonstances s’opposent à leur que les demandes ont été présentées, les a rejetées d’emblée
prononcé. à l’égard de l’ensemble des affaires qui avaient été
Il estime toutefois que la Cour, organe judiciaire soumises, y compris celles dans lesquelles la compétence
principal des Nations Unies dont la principale raison d’être prima facie de la Cour aurait clairement pu être établie. En
outre, cette décision a été prise dans une situation dans
demeure le maintien de la paix et de la sécurité
internationales, a une obligation claire et nette de contribuer laquelle l’intensification délibérée des bombardements des
au maintien de la paix et de la sécurité internationales et de zones les plus fortement peuplées continue de causer sans
fournir le cadre judiciaire, qui doit permettre de résoudre un répit des pertes en vies humaines parmi les non-combattants
conflit juridique, tout particulièrement lorsque celui-ci non ainsi que des maux physiques et psychologiques à la
seulement menace la paix et la sécurité internationales mais population dans l’ensemble de la Yougoslavie.
engendre aussi des souffrances humaines énormes et des
Pour les raisons qui précèdent, M.Vereshchetin ne peut
pertes en vies humaines qu’on ne cesse de déplorer. C’est souscrire à l’inaction de la Co ur à cet égard, bien qu’il
pourquoi il se joint aux autres membres de la Cour pour concède que, dans certaines des affaires introduites par le
appeler à un règlement pacifique du conflit conformément à demandeur, la base de compétence de la Cour, à ce stade de
l’Article 33 de la Charte et pour exhorter les Parties à ne pas la procédure, peut susciter le doute, et que dans le cas de
aggraver ni étendre le différ end et à respecter le droit l’Espagne et des États-Unis, elle est inexistante.
international, y compris le droit humanitaire et les droits de
l’homme de tous les citoyens yougoslaves.
Opinion individuelle du juge Oda

Déclaration du juge Vereshchetin M.Oda appuie la décision de la Cour de rejeter les
demandes en indication de mesures conservatoires
Les circonstances extraordinaires dans lesquelles la présentées par la République fédérale de Yougoslavie contre
Yougoslavie a présenté sa demande en indication de

127les dix États défendeurs. M.Oda approuve la décision de la particulier celle de savoir à quel moment surgit un différend
Cour de rayer de son rôle gé néral les affaires relatives à et quand les événements en cause se sont produits. Ces

l’Espagne et aux États-Unis, mais, dans les huit autres notions sont analysées compte tenu de la déclaration même
affaires, il a voté contre le paragraphe du dispositif de de la Yougoslavie. La deuxième question est de savoir
l’ordonnance par lequel la Cour a indiqué qu’elle exactement ce qu’il faut démontrer pour que la Cour soit
«[r]éserv[ait] la suite de la procédure», car il estime que convaincue qu’elle a compétence prima facie , lorsqu’elle
ces huit affaires devraient aussi être rayées du rôle général envisage d’indiquer des mesures conservatoires. Certaines
de la Cour à ce stade de la procédure. questions de compétence sont d’une telle complexité qu’il
n’est pas du tout possible de les examiner à ce stade de la
Selon M.Oda, la République fédérale de Yougoslavie
n’est pas membre des NationsUnies et n’est pas en procédure. Le report de leur examen à un stade ultérieur ne
conséquence partie au Statut de la Cour internationale de fait pas obstacle à ce que la Cour détermine si elle a ou non
Justice. Pour ce seul motif, la Cour aurait dû conclure à compétence prima facie au regard de l’Article 41.
l’irrecevabilité des requêtes présentées par la République
fédérale de Yougoslavie, qui de ce fait auraient dû être Opinion individuelle du juge Parra-Aranguren

rayées du rôle général de la Cour. MP.arra-Aranguren rappelle que la Yougoslavie
Il examine toutefois ensuite la question de savoir si la soutient que «le bombardement ... de zones habitées
République fédérale de Yougoslavie aurait pu présenter les
requêtes dans ces affaires sur le fondement de certains yougoslaves constitue ... une violation de l’article II de la
instruments juridiques, à supposer que celle-ci puisse être Convention sur le génocide», ce que nie le défendeur;
considérée comme partie au Statut. Après avoir examiné qu’un différend d’ordre juri dique s’est élevé entre les
Parties du fait de l’existence d’«une situation dans laquelle
i)le sens de la clause facultative du Statut de la Cour; ii)le les points de vue des deux Parties, quant à l’exécution ou à
contexte des traités conclus en 1930 et 1931 avec la la non-exécution de certaine s obligations découlant d’[un
Belgique et les Pays-Bas respectivement; et iiil)a traité], sont nettement opposés », comme la Cour l’a précisé
Convention sur le génocide de 1948, il conclut qu’aucun de
ces instruments ne confère à la Cour compétence pour dans sa décision du 11juillet 1996 (Application de la
connaître de l’une ou l’autre de ces dix requêtes. Convention pour la prévention et la répression du crime de
génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions
Tout comme la Cour, M. Oda pense que celle-ci doit, préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p.614 et 615,
faute de disposer d’une base de compétence, rejeter les par.29); et que, selon l’article 9 de la Convention sur le
demandes en indication de mesures conservatoires dans les génocide, «[l]es différends entre les Parties contractantes
dix instances. La Cour ayant décidé qu’elle n’a pas relatifs à l’interprétation, l’application ou l’exécution de la
compétence pour connaître de ces affaires, fût-ce prima
facie, cela ne peut signifier, selon lui, qu’elle n’a aucune présente Conventio» n seront soumis à la Cour
internationale de Justice. Aussi estime-t-il que la Cour a
compétence que ce soit à l’égard de ces affaires. Il s’ensuit, prima facie compétence pour se pr ononcer sur les mesures
selon M.Oda, que les requêtes doivent être rejetées à ce conservatoires sollicitées par la Yougoslavie.
stade de la procédure non seulement dans les affaires La Yougoslavie a demandé à la Cour d’indiquer que le
concernant l’Espagne et les États-Unis où la Cour conclut à
son incompétence manifeste, mais aussi dans toutes les défendeur «doi[t] cesser immédiatement de recourir à
autres affaires puisqu’elle a relevé qu’elle n’avait même pas l’emploi de la force et doi[ t] s’abstenir de tout acte
compétence prima facie. constituant une menace de recours ou un recours à l’emploi
de la force contre la République fédérale de Yougoslavie».
M.Oda signale aussi que la distinction opérée par la Or, la menace de recours ou le recours à l’emploi de la force
Cour entre les requêtes –qui ont pratiquement le même contre un État ne saurait en lui-même constituer un acte de
objet– résulte simplement des positions différentes que les génocide au sens de la Convention sur le génocide. La
États ont pu adopter à l’égard des divers documents qu’il y a
lieu d’appliquer pour déterminer la compétence de la Cour. Yougoslavie sollicite donc l’indication de mesures
conservatoires qui ne visent pas à garantir les droits qu’elle
Or cette distinction aboutira à un résultat différent pour la tient de la Convention sur le génocide, à savoir le droit de ne
suite de la procédure dans chacune de ces instances. Pour pas être victime d’actes qui peuvent être qualifiés de crimes
M.Oda, il s’agit là d’une situation illogique, qui étaye sa de génocide par celle-ci. Selon M. Parra-Aranguren, il n’y a
conviction que les dix affaires au raient dû être rejetées à ce donc pas lieu d’indiquer les mesures demandées par la
stade de la procédure, pour la totalité de leurs éléments. Yougoslavie.

Opinion individuelle du juge Higgins Opinion individuelle du juge Kooijmans
Dans ses opinions individuelles, M meHiggins aborde
1. M.Kooijmans joint à l’ord onnance de la Cour l’exposé
deux questions que soulèvent les instances où la République de son opinion individuelle dans les instances introduites
fédérale de la Yougoslavie invoque la compétence de la par la Yougoslavie contre la Belgique, le Canada, les Pays-
Cour sur le fondement du paragraphe 2 de l’Article 36 du Bas, le Portugal, l’Espagne et le Royaume-Uni
Statut. La première concerne les limitations ratione respectivement.
temporis dont sont assorties les « clauses facultatives » et en

128 Il ne partage pas le point de vue de la Cour selon lequel Yougoslavie à l’Organisation des Nations Unies. Il sait
la déclaration par laquelle la Yougoslavie a accepté la parfaitement que la résolutio n 47/1 est sans précédent et

juridiction obligatoire de la Cour le 25 avril 1999 ne saurait soulève un certain nombre de questions juridiques d’une très
établir un titre de compétence dans la présente affaire même grande complexité qui exigeront une analyse approfondie et
prima facie du fait des réserves figurant dans les une évaluation rigoureuse par la Cour à un stade ultérieur de
déclarations de l’Espagne et du Royaume-Uni ainsi que de la procédure.
la limitation ratione temporis figurant dans la déclaration de Quelle que soit la difficulté de la question, les décisions
la Yougoslavie (il s’agit des instances introduites contre la
Belgique, le Canada, les Pays-Bas et le Portugal). Il estime pertinentes ont été prises par les organes de l’Organisation
des Nations Unies (le Conseil de sécurité et l’Assemblée
que la Cour n’a pas compétence prima facie, parce que la générale) qui ont compétence exclusive en matière
déclaration de la Yougoslavie, pour ce qui est de sa validité, d’admission, et ces décisions ne sauraient être méconnues
prête à controverse. La question de la validité de cette ou ignorées.
déclaration constitue une question préliminaire que la Cour 7. Selon M.Kooijmans, les doutes que soulèvent les
aurait dû examiner dès le départ.
décisions prises par les organes compétents de
Comme cette question n’est pas pertinente dans les l’Organisation des Nations Unies à l’égard de l’admission
quatre autres affaires (contre la France, l’Allemagne, l’Italie de la Yougoslavie et de la validité de la déclaration que
et les États-Unis) –ces États ne reconnaissant eux-mêmes celle-ci a faite sont toutefois si sérieux que la Cour aurait dû
pas la juridiction obligatoire de la Cour –, point n’est besoin conclure que cette déclaration ne saurait constituer pour elle
de joindre l’exposé d’une opinion individuelle pour celles- une base de compétence prima facie. La Cour ne devrait
ci.
indiquer des mesures conservatoires que si sa compétence
2. Selon le texte même du paragraphe 2 de l’Article 36 du pour connaître du différend apparaît comme
Statut, seuls les États qui y sont parties peuvent reconnaître raisonnablement probable. Or cette probabilité raisonnable
la juridiction de la Cour comme obligatoire en remettant une n’existe pas dans ces affaires, étant donné la validité
déclaration d’acceptation au Secrétaire général de incertaine de la déclaration.
l’Organisation des Nations Unies. Les États Membres de 8. Si tel est le cas, les questions comme les réserves et les
cette Organisation sont d’office parties au Statut. Chacun
limitations ratione temporis sur le fondement desquelles la
des six États défendeurs a fait valoir que la déclaration Cour s’est prononcée sont dénuées de pertinence
d’acceptation de la République fédérale de Yougoslavie n’a puisqu’elles sont totalement subordonnées à la question
pas été faite valablement étant donné que cet État n’est pas préliminaire de la validité de la déclaration.
membre des Nations Unies.
3. Le 22 septembre 1992, l’Assemblée générale, sur la
recommandation du Conseil de sécurité, a décidé que la Opinion dissidente de M. Kreca, juge ad hoc
Dans son opinion dissidente, M.Kreca met l’accent sur
République fédérale de Yougoslavie ne pouvait pas assumer les points suivants :
automatiquement la qualité de Membre de l’Organisation
des Nations Unies à la place de l’ancienne République M. Kreca estime qu’aucune des fonctions de l’institution
fédérative socialiste de Yougoslavie et qu’elle devrait donc du juge ad hoc visant à assurer l’égalité au sein de la Cour
présenter une demande d’admission à l’Organisation des n’a été respectée dans ce cas particulier. Il découle de la
Nations Unies. Dans l’immédiat , elle ne participerait pas lettre et de l’esprit du paragraphe 2 de l’Article 31 du Statut
aux travaux de l’Assemblée générale (résolution 47/1). La de la Cour, si on l’applique au cas d’espèce, que la

République fédérale de Yougoslavie n’a jamais présenté de Yougoslavie, en tant qu’État demandeur, aurait dû avoir le
demande d’admission. droit de désigner autant de juges ad hoc pour prendre place
4. Dans les ordonnances qu’elle rend dans ces affaires, la sur le siège, étant donné qu’il faut assurer une égalité entre
Cour élude la question de la validité contestée de la l’État demandeur et les États défendeurs qui comptent un
déclaration de la Yougoslavie. Elle estime ne pas avoir à juge de leur nationalité sur le siège et qui font cause
commune. Le droit naturel à une représentation égale au
examiner cette question puisque la déclaration ne saurait lui sein de la Cour, traduction du principe fondamental de
conférer compétence prima facie sur le fondement d’autres
titres. l’égalité des parties, signifie concrètement que la
5.Selon M.Kooijmans, le raisonnement de la Cour République fédérale de Yougoslavie aurait dû avoir le droit
manque de cohérence à cet égard. Ces autres titres de de désigner cinq juges ad hoc car cinq des dix États
défendeurs (les États-Unis, le Royaume-Uni, la France,
compétence n’entrent en ligne de compte que si la validité l’Allemagne et les Pays-Bas) comptent sur le siège un juge
de la déclaration –du moins au stade actuel de la de leur nationalité.
procédure– est acceptée. Le raisonnement de la Cour
présume la validité de la déclaration. La Cour aurait dû le Concurremment, si l’on suit la jurisprudence constante
dire et aurait dû justifier son point de vue. de la Cour, aucun des États défendeurs n’a le droit de
6. Selon M. Kooijmans, il n’était certes pas nécessaire pour désigner un juge ad hoc (Juridiction territoriale de la
Commission internationale de l’Oder; Régime douanier
la Cour de se prononcer définitivement sur l’admission de la entre l’Allemagne et l’Autriche).

129 Point n’est besoin de souligner la très grande importance d’espèce ». Pourtant, M. Kreca est profondément convaincu
des questions susmentionnées, car il est évident qu’elles ne que la Cour aurait dû répondre à la question de savoir si la

voient pas leurs effets se limiter à la procédure, mais République fédérale de Yougoslavie peut ou non, à la
qu’elles peuvent aussi avoir des conséquences concrètes lumière de la résolution 47/1 de l’Assemblée générale et de
d’une portée considérable. l’usage établi au sein de l’Organisation universelle, être
Selon MK . reca, la Cour a accordé une grande considérée comme Membre des Nations Unies et en
importance au critère de l’impératif humanitaire dans sa particulier, comme partie au Stat ut de la Cour; en effet, le
texte de la résolution 47/1 ne fait aucune mention du statut
jurisprudence récente relativ e à l’indication de mesures de la République fédérale de Yougoslavie en tant que partie
conservatoires, en particulier dans les affaires touchant
directement des personnes physiques. Par sa seule force, ce au Statut de la Cour internationale de Justice. De même,
critère a permis d’écarter certaines règles pertinentes tant de M.Kreca est convaincu que la Cour aurait dû répondre à
procédure que de fond qui s’appliquaient à l’indication de cette question, étant donné en particulier que le texte de la
mesures conservatoires (voir par exemple l’affaire résolution, qui constitue une contradictio in adjecto, et plus
LaGrand). Ainsi, les considérations d’ordre humanitaire, spécialement l’usage au sein de l’Organisation universelle
après son adoption il y a près de sept ans, lui fournissaient
indépendamment des normes du droit international en
matière de droits de l’homme et de libertés, ont d’une tous les arguments voulus pour se prononcer sur la question.
certaine manière acquis une signification juridique M.Kreca est d’avis que l’emploi de la force armée à
autonome; elles ont échappé à la sphère de la morale et de la grande échelle, particulièrement à l’encontre d’objets et de
philanthropie pour pénétrer dans le domaine du droit. moyens qui sont des éléments essentiels d’une vie normale,
Dans la présente instance, il semble que l’«impératif peut mener à la «soumission ... du groupe à des conditions
d’existence» qui entraînent «sa destruction physique»
humanitaire » ait perdu la position juridique autonome qu’il
avait ainsi acquise. Ce fait doit être souligné étant donné les (Convention sur le génocide, art. II).
circonstances particulières de l’espèce. À la différence des Certes, précise M.Kreca, il peut être soutenu que les
affaires jugées récemment par la Cour, l’«impératif actes de cette nature servent à affaiblir les capacités
humanitaire» dont il est question ici a pour objet le sort militaires de la République fédérale de Yougoslavie. On ne
d’une nation entière, au sens littéral. La République fédérale saurait toutefois considérer cette explication comme un

de Yougoslavie et les groupes nationaux et ethniques qui la argument sérieux. En effet, on risque facilement d’être
composent sont soumis depuis maintenant plus de deux amené à soutenir, si on se laisse emporter par cette
mois à des attaques continues de la part d’une «armada» argumentation, que la puissance militaire se compose après
aérienne redoutable et très organisée, commandée par les tout de personnes, et que le fait de tuer sur une grande
États les plus puissants de la terre. De plus, l’arsenal utilisé échelle des civils peut être tenu pour une sorte de mesure de
dans les attaques dirigées contre la Yougoslavie comprend précaution visant à empêcher le maintien ou, en cas de
des armes dont les effets ne sont limités ni dans l’espace ni mobilisation, l’accroissement de la puissance militaire d’un

dans le temps, comme l’uranium appauvri, qui causent des État.
dommages irréparables et d’une portée considérable à la M.Kreca rappelle en outre que, dans le cadre de
santé de l’ensemble de la population. procédures incidentes, la Cour ne peut et ne doit pas se
M.Kreca estime qu’en ce qui concerne l’appartenance soucier d’établir s’il y a effectivement intention d’imposer à
de la Yougoslavie à l’Organisation des Nations Unies, la un groupe des conditions qui menacent sa survie. Eu égard à
Cour est restée fidèle à sa position qui consiste à «éluder»
l’objet des mesures conservatoires, on peut dire qu’à ce
la question en continuant d’affirmer «[qu’elle] n’a pas à stade de la procédure il suffit de démontrer que, lors de
examiner cette question à l’effet de décider si elle peut ou bombardements à grande échelle, il existe un risque objectif
non indiquer des mesures conservatoires dans le cas que soient créées des conditions dans lesquelles la survie du
groupe est menacée.

130

Document file FR
Document
Document Long Title

Résumé de l'ordonnance du 2 juin 1999

Links