Non-Corrigé
Uncorrected
CR 2009/19
Cour internationale International Court
de Justice of Justice
LAAYE THAEGUE
ANNÉE 2009
Audience publique
tenue le jeudi 24 septembre 2009, à 10 heures, au Palais de la Paix,
sous la présidence de M. Tomka, vice-président,
faisant fonction de président
en l’affaire relative à des Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay
(Argentine c. Uruguay)
________________
COMPTE RENDU
________________
YEAR 2009
Public sitting
held on Thursday 24 September 2009, at 10 a.m., at the Peace Palace,
Vice-President Tomka, Acting President, presiding,
in the case concerning Pulp Mills on the River Uruguay
(Argentina v. Uruguay)
____________________
VERBATIM RECORD
____________________ - 2 -
Présents : M. Tomka, vice-président, faisant fonction de président en l’affaire
KoMroMa.
Al-Khasawneh
Buergenthal
Simma
Abraham
Keith
Sepúlveda-Amor
Bennouna
Skotnikov
Crinçade
Yusuf
Grejugesood,
BeTroresz.
juiesesa, ad hoc
Mme de Saint Phalle, greffier adjoint
⎯⎯⎯⎯⎯⎯ - 3 -
Present: Vice-President Tomka, Acting President
Judges Koroma
Al-Khasawneh
Buergenthal
Simma
Abraham
Keith
Sepúlveda-Amor
Bennouna
Skotnikov
Cançado Trindade
Yusuf
Greenwood
Judges ad hoc TorresBernárdez
Vinuesa
Deputy-Registrar de Saint Phalle
⎯⎯⎯⎯⎯⎯ - 4 -
Le Gouvernement de la République argentine est représenté par :
S. Exc. Mme Susana Ruiz Cerutti, ambassadeur, conseiller juridique du ministère des relations
extérieures, du commerce international et du culte,
comme agent ;
S. Exc. M. Horacio A. Basabe, ambassadeur, directeur général de l’Institut du service extérieur de
la nation, ancien conseiller juridique du ministère des relations extérieures, du commerce
international et du culte, membre de la Cour permanente d’arbitrage,
S. Exc. M. Santos Goñi Marenco, ambassadeur de la République argentine auprès du Royaume des
Pays-Bas,
comme coagents ;
M.AlainPellet, professeur à l’Université Paris Ouest, Nanterre-La Défense, membre et ancien
président de la Commission du droit internatio nal, membre associé de l’Institut de droit
international,
M. Philippe Sands QC, professeur de droit internatio nal au University College de Londres, avocat,
Matrix Chambers, Londres,
M. Marcelo Kohen, professeur de droit internationa l à l’Institut de hautes études internationales et
du développement, Genève, membre associé de l’Institut de droit international,
Mme Laurence Boisson de Chazournes, professeur de droit international à l’Université de Genève,
M. Alan Béraud, ministre à l’ambassade de la République argentine auprès de l’Union européenne,
ancien conseiller juridique du ministère des affaires étrangères, du commerce international et du
culte,
M.DanielMüller, chercheur au Centre de droit in ternational de Nanterre (CEDIN), Université de
Paris Ouest, Nanterre-La Défense,
comme conseils et avocats ;
M. Homero Bibiloni, secrétaire d’Etat à l’environnement et au développement durable,
comme autorité gouvernementale ;
M. Esteban Lyons, directeur national du contrôle environnemental du secrétariat à l’environnement
et au développement durable,
M.HowardWheater, docteur en hydrologie de l’ Université de Bristol, professeur d’hydrologie à
l’Imperial College, directeur de l’Imperial College Environment Forum,
M. Juan Carlos Colombo, docteur en océanographie de l’Université de Québec, professeur à la
faculté des sciences et au musée de l’Université de La Plata, directeur du Laboratoire de chimie
environnementale et de biogéochimie de l’Université de La Plata,
M.NeilMcIntyre, docteur en ingénierie envir onnementale, maître de conférences à l’Imperial
College, Londres, - 5 -
The Government of the Republicof Argentina is represented by:
H.E. Ms Susana Ruiz Cerutti, Ambassador, Legal Adviser to the Ministry of Foreign Affairs,
International Trade and Worship,
as Agent;
H.E. Mr. Horacio A. Basabe, Ambassador, Director of the Argentine Institute for Foreign Service,
former Legal Adviser to the Ministry of Fore ign Affairs, International Trade and Worship,
Member of the Permanent Court of Arbitration,
H.E. Mr. Santos Goñi Marenco, Ambassador of the Argentine Republic to the Kingdom of the
Netherlands,
as Co-Agents;
Mr.AlainPellet, Professor at the University of Paris Ouest, Nanterre-La Défense, member and
former Chairman of the International Law Co mmission, associate member of the Institut de
droit international,
Mr. Philippe Sands QC, Professor of International Law at the University College London, Barrister
at Matrix Chambers, London,
Mr.MarceloKohen, Professor of International Law at the Graduate Institute of International and
Development Studies, Geneva, associate member of the Institut de droit international,
Ms Laurence Boisson de Chazournes, Professor of International Law at the University of Geneva,
Mr.AlanBéraud, Minister at the Embassy of the Argentine Republic to the European Union,
former Legal Adviser to the Ministry of Foreign Affairs, International Trade and Worship,
Mr. Daniel Müller, Researcher at the Centre de droit international de Nanterre (CEDIN), University
of Paris Ouest, Nanterre-La Défense,
as Counsel and Advocates;
Mr. Homero Bibiloni, Federal Secretary of Environment and Sustainable Development,
as Governmental Authority;
Mr.EstebanLyons, National Director of Environm ental Control, Secretariat of Environment and
Sustainable Development,
Mr. Howard Wheater, PhD in Hydrology at Bristol University, Professor of Hydrology at Imperial
College and Director of the Imperial College Environment Forum,
Mr. Juan Carlos Colombo, PhD in Oceanography at the University of Québec, Professor at the
Faculty of Sciences and Museum of the National University of La Plata, Director of the
Laboratory of Environmental Ch emistry and Biogeochemistry at the National University of
La Plata,
Mr.NeilMcIntyre, PhD in Environmental Engineering, Senior Lecturer in Hydrology at Imperial
College London, - 6 -
Mme Inés Camilloni, docteur en sciences atmosphériques, professeur de sciences atmosphériques à
la faculté des sciences de l’Université de Buenos Aires, maître de recherche au conseil national
de recherche (CONICET),
M.GabrielRaggio, docteur en sciences techni ques de l’Ecole polytechnique fédérale de
Zürich (ETHZ) (Suisse), consultant indépendant,
comme conseils et experts scientifiques ;
M.HolgerMartinsen, ministre au bureau du conseiller juridique du ministère des affaires
étrangères, du commerce international et du culte,
M. Mario Oyarzábal, conseiller d’ambassade, bureau du conseiller juridique du ministère des
affaires étrangères, du commerce international et du culte,
M.FernandoMarani, secrétaire d’ambassade, amb assade de la République argentine au Royaume
des Pays-Bas,
M.GabrielHerrera, secrétaire d’ambassade, bureau du conseiller juridique du ministère des
affaires étrangères, du commerce international et du culte,
MmeCynthiaMulville, secrétaire d’ambassade, bureau du conseiller juridique du ministère des
affaires étrangères, du commerce international et du culte,
Mme Kate Cook, avocat, Matrix Chambers, Londres, spécialisée en droit de l’environnement et en
droit du développement,
Mme Mara Tignino, docteur en droit, chercheur à l’Université de Genève,
M.MagnusJeskoLanger, assistant d’enseignement et de recherche, Institut de hautes études
internationales et du développement, Genève,
comme conseillers juridiques.
Le Gouvernement de l’Uruguay est représenté par :
S. Exc. M. Carlos Gianelli, ambassadeur de la République orientale de l’Uruguay auprès des
Etats-Unis d’Amérique,
comme agent ;
S. Exc. M. Carlos Mora Medero, ambassadeur de la République orientale de l’Uruguay auprès du
Royaume des Pays-Bas,
comme coagent ;
M.AlanBoyle, professeur de droit international à l’Université d’Edimbourg, membre du barreau
d’Angleterre,
M. Luigi Condorelli, professeur à la faculté de droit de l’Université de Florence,
M.LawrenceH.Martin, cabinet Foley Hoag LLP, membre du barreau de la Cour suprême des
Etats-Unis d’Amérique, du barreau du district de Columbia et du barreau du Commonwealth du
Massachusetts, - 7 -
MsInésCamilloni, PhD in Atmospheric Sciences, Professor of Atmospheric Sciences at the
Faculty of Sciences of the University of Bue nos Aires, Senior Researcher at the National
Research Council (CONICET),
Mr.GabrielRaggio, Doctor in Technical Scienc es of the Swiss Federal Institute of Technology
Zurich (ETHZ) (Switzerland), Independent Consultant,
as Scientific Advisers and Experts;
Mr.HolgerMartinsen, Minister at the Office of the Legal Adviser, Ministry of Foreign Affairs,
International Trade and Worship,
Mr.MarioOyarzábal, Embassy Counsellor, Office of the Legal Adviser, Ministry of Foreign
Affairs, International Trade and Worship,
Mr. Fernando Marani, Embassy Secretary, Embassy of the Argentine Republic in the Kingdom of
the Netherlands,
Mr. Gabriel Herrera, Embassy Secretary, Office of the Legal Adviser, Ministry of Foreign Affairs,
International Trade and Worship,
Ms Cynthia Mulville, Embassy Secretary, Office of the Legal Adviser, Ministry of Foreign Affairs,
International Trade and Worship,
MsKateCook, Barrister at Matrix Chambers, London, specializing in environmental law and law
relating to development,
Ms Mara Tignino, PhD in Law, Researcher at the University of Geneva,
Mr.MagnusJesko Langer, teaching and research assistant, Graduate Institute of International and
Development Studies, Geneva,
as Legal Advisers.
The Government of Uruguay is represented by:
H.E. Mr. Carlos Gianelli, Ambassador of the Eastern Republic of Uruguay to the United States of
America,
as Agent;
H.E. Mr. Carlos Mora Medero, Ambassador of the Eastern Republic of Uruguay to the Kingdom of
the Netherlands,
as Co-Agent;
Mr.AlanBoyle, Professor of International Law at the University of Edinburgh, Member of the
English Bar,
Mr. Luigi Condorelli, Professor at the Faculty of Law, University of Florence,
Mr. Lawrence H. Martin, Foley Hoag LLP, Member of the Bars of the United States Supreme
Court, the District of Columbia and the Commonwealth of Massachusetts, - 8 -
M. Stephen C. McCaffrey, professeur à la McGeorge School of Law de l’Université du Pacifique,
Californie, ancien président de la Commission du droit international et rapporteur spécial aux
fins des travaux de la Commission relatifs aux cours d’eau internationaux,
M. Alberto Pérez Pérez, professeur à la faculté de droit de l’Université de la République,
Montevideo,
M.PaulS.Reichler, cabinet Foley Hoag LLP, membre du barreau de la Cour suprême des
Etats-Unis d’Amérique et du barreau du district de Columbia,
comme conseils et avocats ;
M. Marcelo Cousillas, conseiller juridique à la direction nationale de l’environnement, ministère du
logement, de l’aménagement du territoire et de l’environnement de la République orientale de
l’Uruguay,
M. César Rodriguez Zavalla, chef de cabinet au ministère des affaires étrangères de la République
orientale de l’Uruguay,
M.CarlosMata, directeur adjoint des affaires juri diques au ministère des affaires étrangères de la
République orientale de l’Uruguay,
M. Marcelo Gerona, conseiller à l’ambassade de la République orientale de l’Uruguay au Royaume
des Pays-Bas,
M. Eduardo Jiménez de Aréchaga, avocat, admis au barreau de la République orientale de
l’Uruguay et membre du barreau de New York,
MA. damKahn, cabinet Foley Hoag LLP, membre du barreau du Commonwealth du
Massachusetts,
M.AndrewLoewenstein, cabinet Foley Hoag LLP, membre du barreau du Commonwealth du
Massachusetts,
MmeAnaliaGonzalez, LLM, cabinet Foley Hoag LLP, admise au barreau de la République
orientale de l’Uruguay,
Mme Clara E. Brillembourg, cabinet Foley Hoag LLP, membre des barreaux des districts de
Columbia et de New York,
MmeCicelyParseghian, cabinet Foley Hoag LLP, membre du barreau du Commonwealth du
Massachusetts,
M. Pierre Harcourt, doctorant à l’Université d’Edimbourg,
M. Paolo Palchetti, professeur associé à la faculté de droit de l’Université de Macerata,
Mme Maria E. Milanes-Murcia, MA, LLM, JSD Candidate à la McGeorge School of Law de
l’Université du Pacifique, doctorante à l’Université de Murcia, admise au barreau d’Espagne,
comme conseils adjoints ;
Mme Alicia Torres, directrice nationale de l’environneme nt au ministère du logement, de
l’aménagement du territoire etde l’environnement de la République orientale de l’Uruguay,
M.EugenioLorenzo, conseiller technique à la direction de l’envir onnement du ministère du
logement, de l’aménagement du territoir e et de l’environnement de la Ré publique orientale de
l’Uruguay, - 9 -
Mr.StephenC.McCaffrey, Professor at the McGeorge School of Law, University of the Pacific,
California, former Chairman of the Interna tional Law Commission and Special Rapporteur for
the Commission’s work on international watercourses,
Mr.AlbertoPérezPérez, Professor at the Faculty of Law of the University of the Republic,
Montevideo,
Mr.PaulS.Reichler, Foley Hoag LLP, Member of the Bars of the United States Supreme Court
and the District of Columbia,
as Counsel and Advocates;
Mr. Marcelo Cousillas, Legal Counsel at the Nationa l Directorate for the Environment, Ministry of
Housing, Territorial Planning and Environment of the Eastern Republic of Uruguay,
Mr.CésarRodriguezZavalla, Chief of Cabinet, Ministry of Foreign Affairs of the Eastern
Republic of Uruguay,
Mr.CarlosMata, Deputy Director of Legal Affair s, Ministry of Foreign Affairs of the Eastern
Republic of Uruguay,
Mr.MarceloGerona, Counsellor of the Embassy of the Eastern Republic of Uruguay in the
Kingdom of the Netherlands,
Mr. Eduardo Jiménez de Aréchaga, Attorney at law, admitted to the Bar of the Eastern Republic of
Uruguay and Member of the Bar of New York,
Mr. Adam Kahn, Foley Hoag LLP, Member of the Bar of the Commonwealth of Massachusetts,
Mr.AndrewLoewenstein, Foley Hoag LLP, Member of the Bar of the Commonwealth of
Massachusetts,
MsAnaliaGonzalez, LLM, Foley Hoag LLP, adm itted to the Bar of the Eastern Republic of
Uruguay,
MsClaraE. Brillembourg, Foley Hoag LLP, Member of the Bars of the District of Columbia and
New York,
MsCicelyParseghian, Foley Hoag LLP, Me mber of the Bar of the Commonwealth of
Massachusetts,
Mr. Pierre Harcourt, PhD Candidate, University of Edinburgh,
Mr. Paolo Palchetti, Associate Professor at the School of Law, University of Macerata,
Ms Maria E. Milanes-Murcia, M.A., LLM; JSD Candidate, McGeorge School of Law, University
of the Pacific; PhD Candidate, University of Murcia; admitted to the Bar of Spain,
as Assistant Counsel;
Ms Alicia Torres, National Director for the Environment at the Ministry of Housing, Territorial
Planning and Environment of the Eastern Republic of Uruguay,
Mr.EugenioLorenzo, Technical Consultant for the National Directorate for the Environment,
Ministry of Housing, TerritorialPlanning and Environment ofthe Eastern Republic of Uruguay, - 10 -
M.CyroCroce, conseiller technique à la direction de l’environnement du ministère du logement, de
l’aménagement du territoire etde l’environnement de la République orientale de l’Uruguay,
Mme Raquel Piaggio, bureau de la gestion des eaux (O.S.E.), consultante technique à la direction de
l’environnement du ministère du logement, de l’aménagement du territoire et de l’environnement
de la République orientale de l’Uruguay,
M.CharlesA.Menzie, PhD., Principal Scientist et directeur d’EcoSciences Practice chez Exponent,
Inc., à Alexandria, Virginie,
st
M. Neil McCubbin, Eng., Bsc. (Eng), 1 Class Honours, Glasgow, Associate of the Royal College of
Science and Technology, Glasgow,
comme conseillers scientifiques et experts. - 11 -
Mr. Cyro Croce, Technical Consultant for the National Directorate for the Environment, Ministry of
Housing, Territorial Planning and Enviro nment of the Eastern Republic of Uruguay,
Ms Raquel Piaggio, Water Management Administration ⎯ O.S.E. ⎯ Technical Cons ultant for the
National Directorate for the Environment, Mini stry of Housing, Territorial Planning and
Environment of the Eastern Republic of Uruguay,
Mr. Charles A. Menzie, PhD., Principal Scientist and Director of the EcoSciences Practice at
Exponent, Inc., Alexandria, Virginia,
Mr. Neil McCubbin, Eng., BSc. (Eng), 1st Class Honours, Glasgow, Associate of the Royal College
of Science and Technology, Glasgow,
as Scientific Advisers and Experts. - 12 -
Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de président : Veuillez vous asseoir. L’audience est
ouverte et nous allons entendre la suite du premier t our de plaidoiries de la République orientale de
l’Uruguay. La parole est à M.le professeur Luig i Condorelli. Vous avez la parole Monsieur le
professeur.
M. CONDORELLI :
L’ARTICLE 12 DU STATUT DE 1975 ET LE RESPECT PAR L ’URUGUAY
DE SES OBLIGATIONS PROCEDURALES
I.INTRODUCTION
1. Monsieur le président, Messieurs les juges, je suis très honoré de pouvoir prendre la parole
encore une fois devant vous et très reconnaissant à la République orientale de l’Uruguay qui m’a
chargé de présenter à votre Cour son point de vue quant aux prétendues violations des obligations
procédurales prévues par le statut du fleuve Uruguay dont, aux dires de la République d’Argentine,
e
le défendeur se serait rendu responsable. Je suis censé prendre le relais de M Martin, qui a illustré
pourquoi aucune violation de l’article7 du statut ne saurait êt re reprochée à l’Uruguay. Il
m’appartient de démontrer, en particulier, que les conduites du défendeur relatives à l’affaire
soumise à votre jugement ont été respectueuses des autres dispositions procédurales figurant au
chapitre II du statut de 1975.
2. Pour les besoins de mon exposé, je me garderai de citer encore les diverses dispositions du
chapitre II du statut figurant après l’article 7 : votre Cour a déjà beaucoup entendu à leur sujet et je
n’entends pas l’ennuyer encore en affichant à l’écran une énième fois les articles 8 à 11 du statut.
Mon intention est en revanche d’attirer l’attentio n de la Cour sur les dernières étapes de la
procédure régie par le chapitre II : celles dont il est question à l’article 12 du statut. Curieusement,
nos contradicteurs ont beaucoup délaissé ce pauv re article12, qui est pourtant d’importance
capitale dans notre affaire. Ils l’ont délaissé à une exception près: celle du professeur Pellet, qui
s’est évertué de démontrer que oui, l’article 12 est certes bien important en principe, mais pas dans
1
le cas présent. Ici ⎯ prétend-il ⎯ il n’a en fait aucun rôle à jouer. Ce n’est de loin pas le point de
vue de l’Uruguay, ainsi que j’essaierai de le dé montrer: bien au contraire, l’essentiel des points
1CR 2009/13, p. 34, par. 20 (Pellet). - 13 -
litigieux relatifs aux prétendues violations par l’ Uruguay de ses obligations de procédure en la
o
présente affaire se rapportent en substance à son interprétation. [Projection n 1.] Il convient donc
de citer mot à mot cet article:«Si les Parties n’aboutissent pas à un accord dans un délai de
cent quatre-vingt jours à compter de la communication visée à l’article 11, la procédure indiquée au
chapitreXV est applicable.» Il vaut la peine de noter aussitôt que dans l’article12 il n’est pas
seulement question de la saisine de votre Cour en tant que phase finale de la procédure, comme nos
contradicteurs ont l’air de le croire : il y est au ssi question d’une dernière période de négociation à
l’issue de laquelle, si les Parties n’aboutissent pas à un accord, la Cour va pouvoir être saisie. [Fin
de la projection n o1.]
II. LES QUATRE QUESTIONS LITIGIEUSES SUR LES ASPECTS DE PROCEDURE
3. Permettez-moi, Monsieur le président, d’essayer de faire Œuvre utile aux fins de votre
décision en identifiant de la façon la plus ne tte et claire possible les questions qui opposent
vraiment les Parties sur les aspects de procédure que je suis en train d’év oquer. Des milliers de
pages qui vous ont été remises et des fleuves de mots qui ont déjà été prononcés devant vous se
dégagent en effet quatre questions principales.
4. La première question, la voici. Le 5mai 2005, lors d’une rencontre au plus haut niveau,
les deux chefs d’Etat TabaréVasquez et NestorKirchner, au vu des tensions montantes entre les
deux pays au sujet des usines de pâte à papier du côté uruguayen du fle uve et du blocage des
travaux de la CARU, décidèrent de mettre sur pied , en tant que forum de négociation directe sur
l’affaire, le GTAN (groupe technique de haut niveau), qui s’est ensu ite effectivement réuni
douze fois en six mois (entre août 2005 et janvier 2006) sans qu’un accord ait pu se dégager de ses
travaux. La question est: cet exercice est-il à qualifier comme relevant des négociations directes
entre Parties prévues par l’article 12 ?
5. La deuxième question est la suivante: le GTAN a-t-il effectivement fonctionné en tant
que lieu de consultation et négocia tion entre les Partiesse déroulant conformément aux principes
pertinents du droit international ?
6. Troisième question: puisque ce sont les deux Etats qui ont convenu d’utiliser le GTAN
comme lieu de négociation directe approprié pour tent er de régler leur opposition de points de vue - 14 -
au sujet de la dangerosité des usines de pâte à pa pier, est-il admissible, une fois constaté l’échec de
ces négociations directes, de rouvrir le dossier des obligations dont les Etats auraient dû s’acquitter
envers la CARU ?
7. La quatrième question enfin: si les né gociations via GTAN sont bien celles requises par
l’article12, il va de soi ⎯vu qu’elles n’ont pas abouti à un accord entre les Parties dans les
cent quatre-vingt jours depuis leur début ⎯ que la voie était désormais ouverte pour la saisine de la
Cour aux termes de l’article60 du statut. Mais en attendant la décision de la Cour, l’ouvrage
pouvait-il être réalisé et mis en exercice, la Cour étant bien entendu pleinement compétente à en
ordonner par la suite l’arrêt, la modification, voi re même le démantèlement si par impossible elle
devait attribuer à l’Uruguay des faits illicites d’une gravité telle qu’ils justifieraient ce genre de
mesures radicales? En d’autres mots, comment faut -il interpréter le silence que garde sur cette
question le statut de 1975 ?
III. LA PREMIERE QUESTION :LES CONSULTATIONS VIA GTAN ONT -ELLES CONSTITUE
LES NEGOCIATIONS DIRECTES PREVUES PAR L ’ARTICLE 12 ?
8. Prenons pour commencer, si vous le voulez bien, la première question, qui est d’ailleurs la
plus simple: les consultations via GTAN ont-ell es constitué ou non les négociations prévues par
l’article12 du statut? Monsieur le président, je crois pouvoir affirmer avec la plus grande
assurance que la réponse positive s’impose. Elle s’impos e à vrai dire pour quantité de raisons. Ici,
cependant, il suffit d’en évoquer une seule, abso lument décisive: c’est que l’Argentine a
elle-même donné très officiellement et de manière parfaitement explicite une réponse positive à
cette question et y a basé sa saisine de la Cour : il est donc inadmissible qu’elle allègue maintenant
le contraire, comme elle essaie de le faire da ns certains passages, d’ailleurs assez confus, de ses
dernières écritures, ainsi que dans les plaidoiries de la semaine dernière. En effet, dans sa requête
du 4mai2006 le demandeur a fondé son argumentati on relative à la compétence de la Cour sur
l’échec des négociations par le canal du GTAN 2et a documenté ce point en se référant à la note
diplomatique du secrétaire des affaires étra ngères argentin à l’ambassadeur uruguayen du
14 décembre 2005, qu’il a annexée, en tant qu’annexe II à sa requête. [Projection n o2.] Dans cette
2
Requête introductive d’instance, 4 mai 2006, p. 4, par. 4. - 15 -
note le Gouvernement argentin, comme vous le voyez, après avoir défini le GTAN comme
«instance de négociation établie par les deux Parties, du fait du manque d’accord au sein de la
CARU», s’exprime ainsi : «Le Gouvernement de la République argentine conclut que, du fait que
les Parties n’ont pas abouti dans un accord, confor mément aux termes de l’article12 du statut du
fleuve Uruguay, la procédure prévue au chapitre XV du statut … est applicable.» 3 Il est d’ailleurs
remarquable que le contenu de cette note diplomatique est repris sans hésitation dans le mémoire
4
argentin . Mais il ne s’agit pas là du seul document argentin admettant que les négociations via
GTAN relevaient bien de l’article12 du statut, ainsi que l’a soutenu que lque peu hâtivement le
5 o o
professeurPellet la semaine dernière . [Fin de la projection n 2 ; projection n 3.] En effet, le
mémoire argentin reprend également (mais en oubliant d’en mettre en exergue ⎯ et de traduire en
français ⎯ le passage de loin le plus significatif) un autre document important qui avait été lui
aussi annexé à la requête en tant qu’annexeIII: c’est l’intervention du ministre des affaires
étrangères de l’Argentine devant la Chambre d es députés le 14 février 2006, dans laquelle le
ministre explique la position que son pays avait notifiée à l’Uruguay dans sa récente
correspondance diplomatique : à savoir :
«a) that the GTAN was the instance of direct negotiation between both countries in
relation with the dispute over the construction project for the two industrial cellulose
production plants; and, b) that should both countries fail to reach an agreement by
30 January 2006, the 180-day period provided for in the stat6te for authorizing either
of the Parties to resort to the ICJ will have expired.»
9. Il vaut la peine de rappeler dans ce contexte que pendant la phase orale relative à la
demande en indication de mesures provisoires présen tée par l’Argentine, votre Cour a pu entendre
l’un des plaideurs argentins, le professeur Pellet, admettre à diverses reprises et sans réserve, en se
référant bien entendu au présent différend, que «l’i ntervention de la haute juridiction forme une
partie intégrante du mécanisme pr évu par le chapitre II du statut de1975, dont l’article12 lui
3 Note n 149/2005 du secrétaire des affaires étrangères de l’Argentine à l’ambassadeur d’Uruguay en Argentine
du 14décembre2005, requête introductive d’instance, 4mai20 06, annexeII. La traduc tion française fournie par
l’Argentine et figurant dans l’annexe citée est légèrement différente de celle qui apparait dans le mémoire de l’Argentine
(MA), annexes, livre II, annexe 27. Cette seconde traduction est à considérer comme préférable parce qu’elle correspond
o
davantage à l’original en espagnol de la note n9/2005.
4 MA, p. 56, par. 2.72 (voir la note précédente).
5 CR 2009/13, p. 35, par. 21 (Pellet).
6
Discours du ministre des affaires étrangères de l’Argentine, Jorge Ta iana, du 12février2006 devant la
commission des affaires étrangères de la Chambre des députés, requête introductive d’instance, 4 mai 2006, annexe 3. - 16 -
confie la mission de prendre une décision finale si les parties n’ont pu se mettre d’accord sur la
construction projetée par l’une d’elles...» 7. [Fin de la projection n o3.] Je me suis permis,
Monsieur le président, d’indiquer en outre d’autres passages des plaidoiries de la Partie adverse sur
ce point.
10. Monsieur le président, je ne vais pas alourdir encore mon propos sur cette question en
accumulant d’autres citations: à eux seuls, d’aille urs, les deux documents sur lesquels je viens
d’attirer l’attention de la Cour suffisent largement. Après avoir notifié officiellement par note
diplomatique à l’Uruguay que la saisine de la Cour était de mise en l’espèce parce que les
négociations prévues à l’article12 du statut avaient eu lieu et n’avaient pas abouti, après avoir
répété publiquement le même con cept par la bouche de ses plus hauts responsables et après avoir
réitéré cette position devant votre Cour au moyen de sa requête et des annexes qui l’accompagnent,
mais aussi au travers de propos émis par ses con seils lors des plaidoiries pendant la phase orale
relative à la demande en indication de mesures pr ovisoires, l’Argentine ne peut pas maintenant se
rétracter à la dernière heure et se contredire totalement. C’est pourtant ce qu’elle tente de faire tant
dans sa réplique que lors des plaidoiries de la se maine dernière, en préte ndant que finalement ce
n’est pas «sur le fondement de l’article12» qu’elle a saisi votre Cour, puisqu’en réalité
8
⎯vient-elle de découvrir ⎯ «la voie de l’article12 était fermée» . LaCourremarquerala
tentative bien maladroite du demandeur de s uggérer très en passant que sa requête introductive
9
d’instance aurait déjà été basée sur la même conception , alors que la documentation que je viens
de citer montre à l’évidence qu’il n’en est rien . Mais non, Monsieur le président, la voie de
l’article12 n’était nullement fermée, puisque les négociations directes prévues par cet article ont
bien eu lieu et puisque c’est suite à leur échec que l’Argentine a saisi votre Cour !
7 CR2006/46, p.63, par.18 (Pellet). Voir aussi CR2006/46, p.57, par.6 (P ellet) («Et il n’est pas douteux que
tel est le cas: le différend concerne «l’interprétation epplication» de ce traité et desrègles de droit international
auxquelles celui-ci renvoie, et il entre bien «dans les prisions» de celui-ci et, en part iculier de son article12 qui
dispose…») et CR2006/48, p.41 (Pellet) (« dans l’exercice des fonctions que l’arti cle12 du statut de1975 confie à la
Cour, celle-ci rejettera la requête…»).
8 Réplique de l’Argentine (RA), p. 141, par. 1.173.
9 RA, p. 18, par. 0.18. - 17 -
IV. LA DEUXIEME QUESTION :LE GTAN A -T-IL EFFECTIVEMENT FONCTIONNE COMME LIEU
DE CONSULTATION ET NEGOCIATION DIRECTE ENTRE LES P ARTIES SE DEROULANT
CONFORMEMENT AUX PRINCIPES PERTINENTS DU DROIT INTERNATIONAL ?
11. J’en viens maintenant à la deuxième ques tion: il s’agit de savoir si le GTAN a ou non
effectivement fonctionné comme lie u de consultation et négociation directe entre les Parties se
déroulant conformément aux principes pertinents du droit international. Il s’impose à ce sujet de
regarder de plus près pourquoi le GTAN a été mis sur pied par décision des autorités suprêmes des
deux pays et dans quel but. Nous avons déjà enregistré un témoignage particulièrement significatif,
puisqu’il est apporté par l’une des notes diplomatiques les plus importantes pour notre affaire,
notifiée d’abord ⎯ comme il se doit ⎯ à l’Uruguay et puis à la Cour en tant qu’annexe principale
à la requête10. Comme la Cour l’a déjà entendu, cette note du 14 décembre 2005 qualifie le GTAN
d’«instance de négociation établie par les deux Pa rties, du fait du manque d’accord au sein de la
CARU». Monsieur le président, c’est l’Argentin e qui l’admet ouvertement: le rôle confié au
GTAN était de faire ce qu’il avait été impossible de faire à la CARU, bloquée par l’opposition
entre les deux délégations en son sein.
12. Il va, cependant, de soi que le document essentiel sur cette question est celui dans lequel
est consigné l’accord des deux Etats, conclu par les deux présidents de la République, au moyen
duquel le GTAN a été créé. Ce document est le communiqué de presse conjoint du 31 mai 2005 11
dont la formulation a fait l’objet d’une négociati on très serrée entre les deux pays, ainsi que le
souligne le rapport au Sénat argentin du chef de cabinet des ministres de l’Argentine de
12
juin 2005 : ses mots ont donc été pesés, discutés et concordés par les deux Partie
s avec le plus
grand soin et méritent donc une attention particulière. Le demandeur ⎯ j’ai trop d’estime pour ses
juristes éminents ⎯ ne saurait en contester la valeur ju ridique contraignante. J’omets donc, du
moins pour l’heure, d’appuyer mon propos sur la ri che jurisprudence de votre Cour concernant la
nature conventionnelle des documents ayant ce genre de caractéristiques. Je me borne seulement à
ce stade à faire noter à la Cour la totale absen ce de pertinence des propos présentés sur ce thème
par le professeur Kohen, faisant valoir que de si mples négociations parallèles, conduites en vue de
10 o
Note n 149/2005 du secrétaire des affaires étrangères de l’Argentine à l’ambassadeur d’Uruguay en Argentine
du 14 décembre 2005, requête introductive d’instance, 4 mai 2006, annexe II (voir supra, note 3).
11
MA, livre IV, annexe 3 ; contre-mémoire de l’Uruguay (CMU), vol. V, annexe 126.
1Duplique de l’Uruguay (DU), vol. II, annexe R14, p. 620. - 18 -
régler un différend entre Etats, mais qui n’ont pas abouti, ne sauraient avoir «l’effet de rejeter ou
13
d’écarter la procédure prévue pa r le traité objet du différend» . Assurément, cher collègue!
Cependant, ici l’on vous parle non pas d’une négociation avortée, mais d’une négociation qui a bel
et bien débouché sur un véritable accord interna tional, dûment conclu par les autorités suprêmes
des deux pays. Monsieur le président, l’existence de cet instrument conventionnel est ni plus ni
moins un fait, un fait indéniable, et non pas une argutie de plaideur: il s’agit d’un accord
international auquel le principe pacta sunt servanda s’applique pleinement !
o
13. [Projection n 4.] Permettez moi d’a fficher à nouveau à l’écran ⎯comme l’a fait hier
M e Martin ⎯ le passage central du communiqué de pr esse du 31mai2005, cette fois-ci dans la
traduction française fournie par l’Argentine :
«Suivant ce qui a été accordé par MM. les présidents de la République argentine
et de la République orientale de l’Uruguay, les ministères des affaires étrangères des
deux pays constituent, sous leur superv ision, un groupe de techniciens, pour
complément d’études et d’analyses, d’éch anges d’information et de suivi des
conséquences que sur l’écosystème du fl euve Uruguay qu’ils partagent aura le
fonctionnement des usines de pâte à papier que l’on construit dans la République
14
orientale de l’Uruguay.»
14. Qu’il me soit permis ⎯ s’agissant d’un texte conventionnel dont l’original faisant foi est
en espagnol ⎯ d’apporter une précision minuscule: les mots qui ont été rendus en français par
l’expression «usines de pâte à papier que l’on construit…» correspondent dans l’original aux mots
«las plantas de celulosa que se están construyendo …». La traduction anglaise fournie par
l’Uruguay semble à ce sujet plus fidèle : «the cellulose plants, that are being constructed …». Le
sens de l’accord est clair : les deux Parties reconna issent en tant que fait désormais acquis que des
usines de pâte à papier sont en cours de construction (ou, si l’on préfère, sont en train d’être
construites) en Uruguay, et décident ⎯au vu du blocage de la CARU ⎯ que c’est au moyen du
GTAN qu’il faudra mener des études et des analy ses supplémentaires, et procéder à l’échange
d’informations et de suivi (séguimiento) quant aux effets (consecuencias) que leur fonctionnement
aura sur l’écosystème fluvial.
15. Pourquoi une telle décision? Les raisons qui ont amené à l’adopter vous sont bien
connues : M eMartin a rappelé hier les difficultés que le Gouvernement argentin rencontrait de plus
13
CR 2009/14, p. 14, par. 9 (Kohen).
14MA, vol. IV, annexe 3. - 19 -
en plus face à son opinion publi que, mobilisée de façon croissante contre le projet des usines de
pâte à papier, ainsi que les ra isons ayant amené le Gouvernement uruguayen, malgré sa conviction
ferme d’avoir déjà échangé toute l’information nécessaire, à accepter de procéder à de nouvelles
consultations approfondies. Celles-ci comporteraient, d’après le texte même de l’accord, des
compléments d’analyses et d’études, des échanges ul térieurs d’informations et de données, à axer
sur «les conséquences que sur l’écosystème du fleuveUruguay qu’ils partagent aura le
fonctionnement des usines de pâte à papier» . Ces consultations se feraient au travers du GTAN,
c’est-à-dire dans le cadre des négociations dir ectes de l’article12 du statut: on notera dans ce
contexte que la composition donnée au GTAN, assurant la présence de hautes compétences tant
politiques que techniques (chaque Partie ayant eff ectivement désigné pour y siéger des diplomates
15
de rang et des experts de renom, y compris des délégués auprès de la CARU) , témoigne du rôle
éminent que l’on avait voulu lui assigner.
16. Monsieur le président, l’accord entre les ch efs d’Etat de mai 2005, en parfaite continuité
avec les arrangements de mars 2004 dont M eMartin a discuté hier, témoigne on ne peut plus
clairement de l’entente s’étant formée entre les Parties quant au fait de considérer «clos» le
différend entre elles concernant l’installation des usines de pâte à papier, et de regarder donc
comme acquis le fait que ces usines étaient bien en cours de construction lors de l’institution du
GTAN. Le litige, désormais, était circonscrit d’un commun accord aux risques environnementaux
susceptibles d’être éventuellement engendrés par leur «fonctionnement» (comme les deux chefs
d’Etat l’indiquent en toutes lettres) : la négociati on prévue par l’article 12 du statut, à conduire via
GTAN, devait donc porter dorénavant sur l’identification précise des risques en question, suite à un
échange d’informations plus complet, ainsi que sur les mesures à prendre le cas échéant pour les
neutraliser. [Fin de la projection n o4.]
17. Pendant les cent quatre-vingt jours que l’article12 du statut de1975 réserve à ces
négociations, l’Uruguay, tout comme l’Argentine, avait donc indiscutablement l’obligation d’agir
bona fide, en ce sens qu’il lui était interdit de placer l’autre Partie devant des faits accomplis en
mettant en Œuvre ⎯dans le cadre du processus de construction des usines ⎯ des décisions
15
CMU, vol. V, annexe 127. - 20 -
unilatérales sur les questions formant l’objet même des négociations : une telle mise en Œuvre, en
effet, aurait rendu la négociation dépourvue de sens. Or justement l’Uruguay a pleinement respecté
l’obligation en question. Certes, toute une série d’activités préparatoires pour la construction de
l’ouvrage avait été réalisée, mais aucune d es mesures prises par l’Uruguay avant l’échéance du
délais prévu à l’article12 n’a donné lieu à un fait accompli capable per se d’empêcher les
négociations d’aboutir. En effet, toutes et chacune des activités préparatoires approuvées par
l’Uruguay et réalisées avant cette date laissaie nt encore entièrement ouvertes les possibilités de
choisir telle ou telle solution technique afin d’éviter au mieux les risques environnementaux
susceptibles de découler du fonctionnement de l’us ine, par exemple en matière de technologie de
blanchiment devant être utilisée, d’installations et de méthodes de traitement des eaux usées, de
type et d’emplacement des points de rejet dans le fleuve, etc. C’est bien sur toutes ces questions,
sur tous ces thèmes que les négociations directes via GTAN devaient être centrées. Et en effet,
l’Uruguay a partagé avec l’Argentine, dans le cadre du GTAN, toute l’in formation et toutes les
analyses relatives à ces diverses questions, y co mpris, les processus de production et les
technologies y relatives 16, l’impact environnemental des décharges dans l’eau en vue de
17
l’hydrodynamique du fleuve, et en particulier en vue des phénomènes des courants inversés , les
effets des émissions dans l’air 18, les programmes de monitoring 19, sans oublier la question de
20 21
l’impact sur les communautés humaines des deux côtés du fleuve , et ainsi de suite .
Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de président: Monsieur le professeur, je vois que
vous êtes un avocat passionné, mais est-ce que je peux vous demander de parler un peu plus
16
CMU, par. 3.100 ; GTAN/DU6/19-08-05, CMU, vol. V, annexe 154, annexe B ; GTAN/DU/9/14-09-05, CMU,
vol. V, annexe 129 ; GTAN/DU/10/14-09-05, CMU, vol.V, annexe131; GTAN/DU/11/14-09-05, CMU, vol.V,
annexe132; GTAN/DU/17/30-09-05, CMU, vol.V, annexe136; GTAN/DU/18/30- 09-05, CMU, vol.V, annexe137;
GTAN/DU/30/09-12-05, CMU, vol. V, annexe 148.
17
CMU, par.3.100; GTAN/DU/12/14- 09-05, CMU, vol.V, annexe154 , annexeB; GTAN/DU/24/07-11-05,
CMU, vol. V, annexe 143 ; GTAN/DU/25/21-11-05, CMU, vol.II, annexe144 ; GTAN/DU/33/21-12-05, CMU, vol.V,
annexe 151.
18
CMU, par. 3.100 ; GTAN/DU/22/07-11-05, CMU, vol. V, annexe 141 ; GTAN/DU/32/16-12-05, CMU, vol. V,
annexe 150 ; GTAN/DU/35/18-01-06, CMU, vol. V, annexe 152.
19
CMU, par. 3.100 ; CMU, vol. II, annexe 20 ; CMU, vol. II, annexe 21 ; GTAN/DU/15/14-09-05, CMU, vol. V,
annexe 135 ; GTAN/DU/27/25-11-05, CMU, vol. II, annexe 146.
20
CMU, par.3.100; CMU, vol.II, annexe20; GTAN/ DU6/19-08-05, CMU, vol.V, annexe154, annexeB;
GTAN/DU/24/07-11-05, CMU, vol. II, annexe 143 ; GTAN/DU/31/16-12-05, CMU, vol. V, annexe 149.
21
Voir, pour la liste des documents communiqués à l’Argentine dans le cadre du GTAN, CMU par. 3.100, p. 211
et suiv. - 21 -
lentement pour faciliter le travail des traducteurs. Vous avez suffisamment de temps pour présenter
vos arguments. Merci.
M. CONDORELLI : Veuillez m’excuser, Monsieur le président. Je vais ralentir
18. L’importance de la consultation qui a été menée au moyen du GTAN sur la base d’une
documentation absolument impressionnante ne mérite pas l’étrange silence que lui a réservé le
professeur Sands, lequel a fait valoir qu’à son avis «the consultations required by Articles 9 to 11
did not take place»22, mais il n’a pas dit un seul mot des consultations de l’article 12.
19. De surcroît, les écritures de l’Uruguay ont démontré qu’en réalité l’autorisation de
construire l’usine a certes été précédée par des autorisations relatives à divers travaux préparatoires,
mais n’est intervenue, quant à elle, qu’après l’ échec reconnu des négociations via GTAN, à savoir
le 18janvier2006. Dans ces conditions, il est clair que les accusations portées contre l’Uruguay
quant aux violations prétendues de la lettre et de l’esprit de l’article 12 du statut de 1975 se révèlent
dépourvues de tout fondement sous cet angle aussi.
V. LA TROISIEME QUESTION :SUITE A L ’ECHEC DES NEGOCIATIONS DIRECTES VIA GTAN,
FALLAIT -IL ROUVRIR LES NEGOCIATIONS VIA CARU PREVUES A L ’ARTICLE 7 ?
20. Monsieur le président, Messieurs les jug es, ainsi que je viens de le montrer, il est
indéniable que les négociations directes prévues par l’article12 du statut ont bien eu lieu. Vous
pourriez alors vous demander pourquoi l’Argentine a d écidé tout à coup, très tardivement, de nier
l’évidence en s’exhibant dans une sorte de double saut périlleux. Cela pourrait apparaître
incompréhensible à première vue, mais se comprend finalement très bien. C’est que, après la
lecture du contre-mémoire uruguayen, le demandeur a fini sans doute par se rendre compte d’une
série d’implications, très négatives pour lui, qui découlent à peu près inévitablement de l’admission
qu’avant la saisine de la Cour le différend entre les deux Etats au sujet des usines de pâte à
papier
en était parvenu au stade des négociations directes a ux termes de l’article 12. Je suis en train de la
sorte d’en venir à la troisième question que j’av ais annoncée il y a un moment. Je la rappelle en la
mettant à jour à la lumière de la réponse donnée aux deux questions précédentes : il est donc acquis
que les deux Etats ont convenu d’utiliser et ont e ffectivement utilisé le GTAN en tant qu’instance
22
CR 2009/13, p. 69, par. 18 (Sands). - 22 -
de négociation directe fondée sur l’article12 du stat ut, afin de tenter de régler leur opposition de
points de vue au sujet de la dangerosité des usines de pâte à papier ; est-il alors admissible, qu’une
fois constaté l’échec de ces négociations, il faille rouvrir le dossier des obligations dont les Etats
auraient dû s’acquitter envers la CARU, sur la base de l’article 7 en particulier ?
21. Je suis tenté de laisser la parole à la République argentine, afin de répondre
convenablement à cette question. Comme je viens de le rappeler, le demandeur refuse, dans sa
réplique, d’admettre ce qui allait de soi jusque-là, à savoir qu’il a saisi votre Cour «sur le
fondement de l’article 12». Ce n’est pas le cas, s’écrie-t-il ! Et pourquoi ? Je le cite : «Pour qu’il
en fût ainsi, il eût fallu que la procédure des article 7 à 11 eût été convenablement suivie et menée à
son terme, c’est-à-dire eût abouti à la conclusion qu’un accord était impossible.» 23 Or, comme la
saisine de la Cour ⎯ soutient maintenant l’Argentine ⎯ ne s’est pas faite «s ur le fondement de
l’article 12», mais directement sur la base de l’article 60 du statut, il s’ensuivrait que «le rôle que la
Cour est appelée à jouer dans la présente affaire n’est pas de porter l’appréciation finale que lui
24
confie l’article 12 du statut…» . La semaine dernière les plaideur s de la Partie adverse ont répété
inlassablement ce concept 25. Mais alors, Monsieur le président, la logique la plus élémentaire
impose de renverser carrément ce propos : puisque, comme on l’a vu, il est incontestable que votre
Cour a été saisie par l’Argentine «sur le fondeme nt de l’article12», à savoir suite à l’échec des
négociations directes prévues par cette disposition, il s’ensuit inévitablement que le rôle de la Cour
en la présente affaire doit être reconnu comme étant justement celui de «porter l’appréciation finale
que lui confie l’article12 du statut…», c’est-à -dire de décider si les ouvrages en discussion
risquent, oui ou non, d’engendrer un préjudice sensible pour la qualité des eaux du fleuve Uruguay.
Il s’ensuit aussi que, suite à l’insuccès des négocia tions directes prévues à l’article12, l’étape
suivante ne pouvait être que celle prévue dans le même article, à savoir la saisine de la Cour, et non
pas un retour à la CARU.
22. Mais ce n’est pas seulement la logique qui mène tout droit à cette conclusion. Toute
e
l’histoire du différend, telle que nous l’avons retracée le professeurMcCaffrey, M Martin et
23
RA, p. 141, par. 1.173.
24
RA, p. 142, par. 1.174.
25Voir, par exemple, CR/2009, p. 33, par. 17 et suiv. (Pellet). - 23 -
moi-même, en confirme le bien-fondé. Elle dé montre à l’évidence qu’aucun retour devant la
CARU en vue d’une hypothétique application tardive de l’article7 n’était à envisager. Et pour
cause! Quelle espèce de sens et d’utilité aurait bien pu avoir, à ce stade avancé, l’évaluation
sommaire du projet qui serait du ressort de la CARU d’après l’article7, alors qu’il était question
désormais d’une évaluation très approfondie et complète, tant au plan politique que technique,
explorant tous les aspects possibles et disséquant t ous les détails les plus menus du dossier ? Qu’il
me soit permis de le suggérer, Monsieur le président : la thèse soutenue par le demandeur suivant
laquelle le communiqué de presse du 31mai2005 im pliquait, voire sous-e ntendait, que l’on
reviendrait à la CARU et à l’article7 ne tient vr aiment pas debout. D’autant plus qu’elle est en
contradiction flagrante avec ce que l’accord en question dit en toutes lettres: que tout le
complément de l’information nécessaire aux fins de l’évaluation par les Parties de la compatibilité
écologique du fonctionnement des usines, tous les échanges à ce sujet se feraient désormais dans le
cadre des négociations directes prévues par l’article12 du statut, à savoir via GTAN, et non plus
via CARU. En somme, l’étape de l’examen so mmaire dont parle l’article7 du statut était
totalement dépassée par la mise en place d’un mécanisme capable de satisfaire de manière bien
plus complète les exigences relatives à l’analyse des risques environnementaux.
23. Une dernière observation s’impose toutefois, concernant toujours la réponse à donner à la
question dont je suis en train de discuter. Même sans considérer l’accord bilatéral de mars2004
dont M eMartin vous a parlé hier, l’on ne saurait sérieusement prétendre que l’absence de
l’évaluation prévue à l’article7 pa r la CARU impliquerait que le statut de1975 a été violé. En
effet, l’accord du 31mai2005 ayant créé le GTAN suffirait à lui seul pour réfuter une allégation
pareille. Il ne faut pas oublier que par cet accord les deux Parties ont organisé le mode de procéder
à l’examen complet du dossier au niveau des négoc iations directes entre elles, rendant de ce fait
même superflu un hypothétique retour au stade de l’examen sommaire au travers de l’enceinte des
négociations techniques qu’est la CARU. Le fait que les négociations directes n’ont finalement pas
abouti ne change rien à cela: cet échec, en effet, a ouvert l’étape suivante prévue à l’article12, à
savoir la possibilité de saisir votre Cour dont l’Argentine a fait usage, et ne saurait justifier un recul
vers la CARU. - 24 -
VI. L A QUATRIEME QUESTION : EN CAS DE SAISINE DE LA C OUR SUITE A L ’ECHEC DES
NEGOCIATIONS DIRECTES ,LA REALISATION ET LA MISE EN SERVICE DE L ’OUVRAGE
SONT -ILS PERMIS OU INTERDITS AVANT LA DECISION JUDICIAIRE FINALE ?
24. Le moment est venu, Monsieur le prési dent, d’affronter la quatrième et dernière
question : suite à l’échec des négociations directes, la réalisation et la mise en service de l’ouvrage
par l’Uruguay étaient-elles consenties par le stat ut en présence de la saisine de votre Cour par
l’Argentine, ou bien l’Uruguay aurait-il dû attendre la décision finale de la Cour l’y autorisant ?
25. Monsieur le président, Messieurs les juges, la première remarque à faire à ce sujet est que
le texte du statut de1975 est muet sur le poi nt: nulle part ses dispositions n’indiquent
explicitement quelle réponse il faut donner à la qu estion posée. A l’article12 on vous dit bien
qu’une fois écoulé sans succès le temps imparti aux négociations directes la Cour peut être saisie,
mais on ne vous dit, ni qu’entre-temps il est interdit de réaliser l’ouvrage, ni le contraire. C’est
donc à une interprétation permettant d’aller au-delà de la lettre du tra ité qu’il faut avoir recours, en
employant toutes les méthodes appropriées que nous suggèrent les principes pertinents codifiés aux
articles 31 et 32 de la convention de Vienne sur le droit des traités. Voilà une approche sur laquelle
il y a un accord de principe entre les Parties, qui par contre divergent profondément quant aux
conclusions auxquelles l’on doit parvenir.
26. Un nombre très important de pages ont été dédiées à ce thème dans les écritures des
Parties : la Cour en a pris connaissance. Il ne s’ agit donc pas maintenant, lors de la phase orale, de
reprendre en détail tous les arguments qui ont été abondamment discutés par écrit : ce serait inutile,
outre que contraire aux instructions de la Cour. Je vais en revanche m’efforcer d’identifier le cŒur
du différend qui oppose les deux Etats, l’essentiel de leurs positions en conflit, dans l’ambition
d’aider ainsi la Cour à s’acquitter de sa haute tâche.
27. En substance, la thèse que défend l’ Argentine se base fonda mentalement sur ce qu’on
appelle traditionnellement l’argumentum a contrario. Le raisonnement, en synthèse extrême, est le
suivant. On sait que, lorsqu’un désaccord se mani feste entre les Parties quant à la compatibilité
écologique d’un projet rentrant dans la prévision de l’ article 7, la Partie intéressée au projet doit le
notifier à l’autre et, d’après l’article 8, doit attendre pendant cent quatre-vingts jours que celle-ci se
détermine. Si finalement, à l’échéance, la Partie notifiée ne formule pas d’objection ou s’abstient
de répondre, il est explicité à l’article9 que la Partie intéressée peut exécuter le projet. En - 25 -
revanche, en cas d’objection, la Partie intéressée en est informée (art.11), ce qui ouvre alors une
nouvelle période de cent quatre-vingts jours de négoc iations au bout de quoi, d’après l’article12,
soit les Parties aboutissent à un accord, soit la pr océdure de règlement judiciaire du différend
devient applicable. Pour l’Argentine, comme l’ar ticle9 prescrit expressément que le projet peut
être exécuté en cas d’accord (ou d’absence de désaccord) à l’issue des premiers cent quatre-vingts
jours, ceci comporterait alors a contrario, «implicitement mais nécessairement» 26, que s’il y a
désaccord, et si ce désaccord persiste encore après l’écoulement du second délai de cent quatre-
vingts jours, le projet ne peut pas être réalisé ta nt que la Cour n’aura pris une décision favorable à
l’issue de la procédure judiciaire régie par l’artic le60. En somme, pour le demandeur tout projet
couvert par l’article 7 requiert, pour pouvoir être exécuté, soit l’accord préalable entre les Parties au
conflit, soit le jugement favorable de fond du juge international.
28. La Cour sait bien que cette conception est vivement critiquée par l’Uruguay. Le
défendeur, en effet, concorde bien sûr quant à l’ idée que le statut met en place une procédure en
étapes destinée à permettre, voire même à favoriser dans toute la mesure du possible, la formation
d’un accord préalable. Mais le statut ne s’arrête pas à cela: il prévoit aussi comment sortir de
l’impasse au cas où il s’av érerait, suite à l’épuisement défin itif des étapes de la procédure des
négociations directes, que la conclusion de l’accord est impossible. Cependant, il n’énonce pas que
dans ce cas la position de la Partie qui s’est opposée à l’accord doit être privilégiée par rapport à
celle de l’autre Partie : en effet, pourquoi cette dernière serait empêchée d’affronter le risque d’une
éventuelle issue défavorable pour elle de la procédure judiciaire si elle est convaincue bona fide
que la réalisation de l’ouvrage est parfaitement en règle avec le statut, al ors que l’opposition n’a à
sa base aucune justification valable ? La thèse de l’Argentine apparaît inacceptable à l’Uruguay en
ce qu’elle implique que le statut reconnaîtrait à chaque haute partie contractante un véritable droit
de veto, quant à la réalisation par l’autre Partie de projets tombant sous la prévision de l’article 7 et
suivants; et ce tant que votre Cour n’aura pas pris tout le temps (plusieurs années, nous sommes
bien placés pour le savoir !) qui lui est nécessaire pour se prononcer là-dessus en vertu de la clause
compromissoire de l’article 60. Ce droit de veto subsisterait ⎯ j’insiste sur ce point ⎯ même si la
26
RA, p. 120, par. 1.138. - 26 -
Partie sur le territoire de laquelle le projet doit être réalisé est persuadée qu’elle s’est acquittée de
bonne foi de toutes ses obligations substantielles et procédurales imposées par le statut en matière
de prévention, d’information et de négociation (comme c’est d’ailleurs effectivement le cas en
l’espèce, ainsi que les plaideurs uruguayens viennent de le démontrer), et même si elle était
convaincue que l’opposition de l’autre Partie se base en substance sur des préjugés ou des
motivations insuffisantes ou contestables, et s’explique en fait à cause des pressions d’une opinion
publique peu informée et hostile par principe.
29. Il est vrai, Monsieur le président, que l’Argentine s’inscrit en faux contre cette
terminologie: aucun droit de véto n’existe, s’écrie -t-elle, la Cour étant habilité à trancher et à
donner tort, le cas échéant, à l’Etat qui s’oppose à la réalisation de l’ouvrage. Toutefois, que l’on
utilise ou non le terme «droit de véto» (en le re mplaçant le cas échéant par la «no construction
27
rule» chère au professeur Sands) , les conséquences de la thèse de l’Argentine sont extrêmement
lourdes. Cette thèse accorde en effet à chac une des Parties une sorte de pouvoir hautement
discrétionnaire qui pourrait être exercé le cas échéant sans raison valable et, par-dess
us le marché,
sans frais: le pouvoir de bloquer pendant des an nées et des années un projet écologiquement
impeccable et vital pour le développement soutenab le de l’autre Partie, en engendrant pour celle-ci
un préjudice injuste très grave et peut être irréparable, que personne ne serait appelé à effacer par la
suite, quand bien même à l’issue de la procédure judiciaire on devait constater que le véto (pardon !
le «blocage») ne se justifiait pas.
30. Certes, ainsi qu’un brocard classique le suggère, «adducere inconvenientes non est
solvere argumentum» : autrement dit, les inconvénients très préoccupants qui découlent d
e la thèse
défendue par l’Argentine ne seraient pas suffisants en soi pour en réfuter la validité en droit, si une
telle thèse était clairement consacrée par les normes du statut de 1975. Mais tel n’est pas le cas : le
statut est silencieux sur ce sujet. Ce qui, dis ons-le en passant, n’est pas une donnée jouant en
faveur de l’Argentine, celle-ci insistant sur l’idée suivant laquelle le statut prescrirait des
obligations détaillées et précises, al ors que de toute évidence ce n’est pas le cas dans notre affaire.
Quant à l’argumentum a contrario, il apparaît, sinon simpliste, tout au moins fort peu persuasif en
27
CR 2009/13, p. 70, par. 19 (Sands). - 27 -
soi s’il n’est pas validé dans le cadre d’une in terprétation satisfaisante et complète des normes
pertinentes, opérée en utilisant l’en semble des principes interprétatifs applicables. Or justement la
thèse que l’Uruguay soumet à votre Cour se base sur l’interprétation objective du statut à la lumière
de son objet et de son but, et prend en compte tous les éléments utiles qui se dégagent, d’après
l’article 31, paragraphe 3, de la convention de Vienne de 1969,
«a) [d]e tout accord ultérieur intervenu entre les parties au sujet de l’interprétation du
traité et de l’application de ses dispositions; b) [d]e toute pratique ultérieurement
suivie dans l’application du traité par laque lle est établi l’accord des parties à l’égard
de l’interprétation du traité; c) [d]e toute règle pertinente de droit international
applicable dans les relations entre les parties».
31. Quant aux accords ultérieurs et à la pratique ultérieurement suivie, il est aisé de
reconnaître qu’effectivement, au cours des années 2004 et 2005, les Parties se sont entendues quant
à un aspect ⎯ certes délimité, mais précis ⎯ de l’application des articles 7 et suivants du statut au
cas d’espèce: je n’ai pas besoin d’en dire beaucoup pour le démontrer, après tous les
développements qui ont été présentés à la Cour par M e Martin hier, et par moi-même aujourd’hui.
Il suffit de rappeler, d’une part, l’entente entre les ministres des affaires étrangères des deux pays
du 2 mars 2004 28 et, d’autre part, l’accord entre les deux présidents de la République qui est
29
consignée dans le communiqué de presse du 31 mai 2005 . Ces deux accords indiquent clairement
et de façon parfaitement cohérente que les parties au statut de1975 se sont entendues au sujet de
l’application au cas d’espèce de l’article 7 et suivan ts, dans le sens de considérer clos le différend
entre elles relatif à l’«installation» des usines : da ns cette mouvance, en particulier, les deux chefs
d’Etat ont confirmé qu’il fallait regarder comme acquis le fait que les usines étaient «en cours de
construction» au moment de la création du GTAN et ont concordé quant à la nécessité de surveiller
leur «fonctionnement» en échangeant toute l’information appropriée pour évaluer les
30
«conséquences» d’un tel fonctionnement . En revanche, restaient bien sûr les divergences
relatives au caractère complet ou non de l’informati on déjà échangée et au mode de la compléter,
ainsi que celles concernant l’évaluation précise des risques environnementaux susceptibles d’être
engendrés par l’activité des usines et concernant la manière de les neutraliser : des divergences que
28
CMU, vol. IV, annexe 99.
29
DU, vol. II, annexe R14.
30Ibid. - 28 -
les consultations via GTAN n’ont pas pu aplanir. Pour le défendeur, c’est bien celui-là le
contentieux sur lequel l’attention de votre Cour devrait être centrée et qu’elle est appelée à
trancher.
32. Les éléments de la pratique ultérieureme nt suivie dans l’application du statut, que je
viens d’évoquer, jouent de l’avis de l’Uruguay un rôle important pour le règlement du différend qui
est présentement soumis à la Cour, puisqu’ils révèlent que les Parties se sont accordées quant à la
manière d’appliquer les dispositi ons procédurales du statut dans le cas d’espèce. Cette pratique,
cependant, ne dit rien de décisif quant à l’inte rprétation qu’il convient de donner en général des
dispositions pertinentes du statut, notamment de l’article 12. Reste à résoudre, en effet, la question
de savoir si ⎯ une fois écoulé sans succès le délai impar ti pour parvenir à un accord dans le cadre
des négociation directes ⎯ la Partie intéressée est autorisée ou non à réaliser et mettre en Œuvre
l’ouvrage projeté sans devoir attendre la décision de la Cour. Quelle interprétation faut-il retenir de
l’article12 à la lumière des règles de droit international applicables dans les relations entre les
parties, dont il est question à l’article 31, paragraphe 3, littera c, de la convention de Vienne ?
33. Voilà le point litigieux qui est peut-être le plus largement débattu des deux côtés de la
barre, comme la Cour a pu le constater en parcouran t leurs écritures et en les écoutant. Ici plus
qu’ailleurs il convient donc que je me limite à mettre en lumière le nŒud essentiel du différend.
Pour l’Uruguay, deux sous-questions sont à poser pour dégager la réponse appropriée. La première
peut être formulée ainsi : puisque le statut de 1975, comme d’ailleurs tout traité international, met
en place un jus speciale liant les Parties, qui est en principe (sous réserve des normes de jus
cogens) idoine à déroger au jus generale représenté par les principes de droit international général,
dans quelle mesure et à quelles conditions est-il jus tifié de recourir au dr oit international général
pour combler les lacunes du traité? La deuxièm e sous-question est la suivante: le droit
international général contient-il un principe en matière de cours d’eau internationaux offrant des
éléments utiles pour résoudre l’interrogation évoquée ?
34. La première sous-question met en év idence une interrogation d’ordre méthodologique
sur laquelle la jurisprudence de votre Cour offre de riches enseignements. Spécialement approprié
me semble ici celui qu’on peut dégager de l’arrê t de1989 de la Chambre de la Cour ayant réglé
l’affaire Elettronica Sicula S.p.A. (ELSI) (Etats-Unis d’Amérique c.Italie) . Le passage qui nous - 29 -
intéresse est celui dans lequel la Chambre se prononce sur la question de savoir si la règle de droit
international général relative à l’épuisement des recours internes doit ou non trouver application
dans une affaire introduite en vertu d’un traité bilatéral donnant compétence à la Cour pour le
règlement de différends relatifs au traitement accordé par une partie aux ressortissants de l’autre, et
ce au moyen d’une clause compromissoire «rédig ée en termes catégoriques» et ne soumettant
l’accès à la Cour à aucune sorte de condition. Le dictum du juge mérite une citation :
«La Chambre ne doute pas que les parties à un traité peuvent convenir, dans son
texte, soit que la règle de l’épuisement des recours internes ne s’appliquera pas aux
demandes fondées sur de prétendues violations de ce traité, soit confirmer qu’elle
s’appliquera. Mais la Chambre ne saur ait accepter qu’on considère qu’un principe
important du droit international coutumier a ét é tacitement écarté sans que l’intention
de l’écarter soit verbalement précisée.» ( Elettronica Sicula S.P.A. (ELSI) (Etats-Unis
d’Amérique c. Italie), arrêt, C.I.J. Recueil 1989, p. 42, par. 50.)
35. Le principe mis en valeur par la Cour est très pertinent, me semble-t-il, pour notre
affaire. Il est certain, en effet, que les Parties ay ant négocié le statut de 1975 auraient pu librement
convenir que des principes «importants» du droit in ternational général régissant la question posée
ne seraient pas utilisables dans les cas couverts par le statut. Mais ⎯ je reprends les mots de votre
Chambre ⎯ on ne saurait accepter que l’on considère que ces principes ont été tacitement écartés
par le statut sans que l’intention de les écarter a it été verbalement précisée. Or justement dans le
statut cette intention dérogatoire n’a pas été préc isée «verbalement», ni d’ailleurs d’aucune autre
manière. Il s’ensuit alors qu’il est parfaitement légitime de recourir au dr oit international général
pour interpréter le statut afin de résoudre la question de savoir si, quand la Cour est saisie sur le
fondement de l’article 12 suite à l’échec des négocia tions directes, la Partie intéressée peut aussitôt
réaliser et mettre en service l’ouvrage projeté, ou bien si elle doit attendre pour ce faire une
décision favorable de la Cour.
36. Qu’en est-il des principes de droit intern ational? Offrent-ils des éléments utiles pour
répondre à notre interrogation ? C’est là la deuxi ème sous-question que j’avais annoncée il y a un
instant. Ce n’est pas difficile de dire ce qu’il en est, et ce pour la raison très simple qu’il n’y a en
vérité aucun réel désaccord entre les Parties à ce sujet. De leurs écritures et de leurs paroles se
dégage qu’au fond toutes deux voient les grands principes proclamés dans la convention de1997
sur le droit relatif aux utilisations des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation - 30 -
comme codifiant bien fidèlement les principes de dr oit international général en la matière. Il est
remarquable que cette identité substantielle entre les uns et les autres n’est rejetée par l’Argentine
même pas pour ce qui est du principe, résultant des articles 17, paragraphe 3, et 19 de la convention
de 1997, prévoyant qu’une fois écoulée la période de temps raisonnable réservée aux consultations
et aux négociations entre les Parties quant à la compatibilité écologique du projet, la Partie
intéressée peut décider de procéder à la réalisati on de son projet même si aucun accord n’a pu être
atteint (pourvu qu’elle respecte cer tains délais et conditions), et sans que sa décision soit
subordonnée à l’aboutissement de procédures de rè glement des différends. Certes, par prudence
l’Argentine se garde bien de proclamer cela haut et fort. Cependant, on a beau lire et relire ses
écritures, on a beau écouter ses plaideurs, nulle part on ne la voit contester que ce principe inscrit
dans la convention (et confirmé dans le projet d’articles de 2001 de la Commission du droit
international sur la prévention des dommages tran sfrontières résultant d’activités dangereuses) est
aussi un principe de droit international général. Tout ce que l’Argentine conteste, et avec
acharnement, est qu’il puisse être utilisé pour l’interprétation du statut de 1975 : un point c’est tout.
37. Pourquoi un tel principe, indéniablement important, du droit inte rnational général ne
serait-il pas utilisable pour interpréter convenablement une disposition lacunaire du statut, tel
l’article12, et ce malgré que le principe en question n’ait pas été écarté «verbalement» par cet
instrument ? Pour l’Argentine, la raison est qu’ il serait radicalement incompatible avec le régime
conventionnel mis en place par le statut. Mais incompatible pourquoi? Si l’on cerne à fond le
raisonnement proposé par le dema ndeur pour démontrer cette prét endue incompatibilité radicale,
on s’aperçoit que tout se réduit finalement à un seul argument. L’Argentine le propose par le
soulignement de la «grande différence» entre, d’une part, l’article12 du statut et, d’autre part, les
principes inscrits dans la convention de 1997 (qui correspondent d’ailleurs, on l’a vu, à ceux du
droit international général). Cette «grande diffé rence» est que le statut «prévoit un mécanisme
obligatoire qui garantit le déblocage de la situa tion», alors que la convention de1997 (à l’instar,
ajouterai-je, du droit international général), laisse «totalement ouverte la possibilité d’une impasse
dont le résultat serait que…la Partie souha itant mener à bien une opération ne causant
objectivement pas un préjudice sensible à l’autre Par tie ne pourrait la mener à bien puisque, dans - 31 -
ces systèmes, rien ne garantit que le blocage puisse être surmonté» 31. Je signale en passant que je
me suis permis d’enlever quelques petites fautes de frappe qui s’étaient glissées dans le passage
cité de la réplique du demandeur.
38. Messieurs les juges, la «grande différence» entre le statut de 1975 et le droit international
général à notre sujet est indiscutable : effectivement, seul le premier, le statut, et non pas le second,
le droit international général, prévoit un mécanis me obligatoire de règlement judiciaire pouvant
être déclenché par chacune des Parties et amenan t à une décision astreignante quant à la question
de savoir si l’ouvrage est conforme ou non a ux règles applicables. Mais ce que l’Argentine
n’explique pas est pourquoi la présence d’un tel méca nisme dans le statut devrait privilégier la
position de la Partie qui s’oppose à la constructio n de l’ouvrage, par rapport à la position de la
Partie souhaitant mene r à bien une opération ⎯vitale le cas échéant pour son développement
soutenable -⎯ dont celle-ci est persuadée qu’objectivem ent elle ne causera aucun préjudice
sensible à la première, pour utiliser le vocabulaire de nos contradicteurs. Au contraire, on peut très
bien voir la présence dans le statut du mécanisme obligatoire de règlement des différends comme
complétant harmonieusement un système qui permet à la Partie intéressée de réaliser l’ouvrage à
l’issue de l’écoulement sans succès de la période réservée aux consultations et négociations, mais
en lui refusant l’avantage d’être le seul juge de son bon droit. En effet, la Partie qui s’oppose à
l’ouvrage, tout en ne pouvant pas en empêcher la réalisation suite à l’échec des négociations
directes, jouit d’après le statut d’une garantie tr ès importante pour ses intérêts, que les principes de
droit international général ne lui confèrent pas : e lle se voit accorder par le statut le droit d’obtenir
un jugement de votre Cour contrôlant avec force ob ligatoire si l’autre Partie a agi légalement ou
pas, et décidant quelles conséquences doivent en être tirées, le cas échéant, en termes de réparation,
de restitutio in integrum , etc. De surcroît, la Partie s’op posant à l’ouvrage dispose aussi de la
possibilité d’obtenir l’adoption immédiate par la Cour d’une mesure provisoire urgente ⎯ à
caractère également obligatoire ⎯ stoppant la construction et la mise en service de l’ouvrage
contesté, si elle peut prouver que l’ouvrage en question risque d’engendrer un préjudice irréparable
déconseillant d’attendre la décision judiciaire finale. Voilà donc une solution qui s’accorde
31
RA, p. 128, par. 1.151 et CR 2009/13, p. 70, par. 19 (Sands). - 32 -
parfaitement avec les grands principes du droit in ternational de l’environnement; une solution
respectueuse, en particulier, des principes fonda mentaux relatifs à la souve raineté permanente des
Etats sur leurs ressources naturelles et au dével oppement durable ; mais une solution qui compose
de manière équilibrée entre les intérêts en jeu, en les protégeant tous convenablement sans en
sacrifier aucun.
39. En somme, il est certain que le droit international général cont emporain contient un
principe, que codifient tant la convention de l’ONU de1997 que le projet de la CDI de2001,
d’après lequel, une fois écoulée la période de te mps réservée aux consultations et aux négociations
entre les Parties quant à la compatibilité écologique du projet, la Partie intéressée peut décider de
procéder à sa réalisation même si aucun accord n’a pu être atteint, et cela sans que sa décision soit
subordonnée à l’aboutissement des procédures de règlement des différends. Or ce principe, non
seulement n’a pas été écarté par le statut du fl euveUruguay ni «verbalement» ni d’aucune autre
manière, mais de surcroît il n’est aucunement en contradiction avec ses dispositions et réalise au
contraire pleinement l’objet et le but du traité. Il s’ensuit que l’article12 du statut doit être
interprété, et ses lacunes résolues, conformément aux prescriptions dudit principe et à la lumière de
celui-ci.
VII. CONCLUSION
40. Monsieur le président, Messieurs les juges, ceci conclut ma plaidoirie, par laquelle
j’espère avoir contribué à vous convaincre que l’Uruguay n’a pas violé ses obligations procédurales
prévues aux articles7 à 12 du statut. Je laisse maintenant à M eReichler le soin de présenter les
conclusions du défendeur quant au rôle de votre Cour dans le règlement du présent différend et je
vous prie, Monsieur le président, de bien vouloir lui donner la parole.
Le VICE-PRESIDENT: Merci, Monsieur le professeur de votre présentation. And I shall
give the floor to Mr. Reichler. - 33 -
RMEr. HLER:
T HE TREATMENT OF EVIDENCE PRODUCED BY EXPERTS
1. Mr. President, Members of the Court, I am privileged again to appear before you. Today,
I will discuss a subject that appears to have acqui red a special pertinence to these proceedings, and
that is the treatment that should be given to th e evidence submitted by the Parties that has been
produced by experts.
2. There is a vast amount of it, almost all of a highly technical nature. As is to be expected,
the evidence on almost every issue is in conflic t. Expert reports submitted by Uruguay conclude
that the Botnia plant is performing to the highest international standards and causing no harm to the
Uruguay river, the quality of its wa ters, its aquatic organisms or its ecosystem as a whole. Expert
reports submitted by Argentina say the opposite. How is the Court to decide which of this evidence
is most credible and how much weight to give it?
3. I respectfully suggest that a good starting-point would be to differentiate between the
kinds of experts whose reports, statements and speeches to the Court are part of the record.
Perhaps the first and most important distinction to be made is between experts who are independent
and experts who are partisan. All else being equa l, the former would normally be entitled to more
credibility, and their reports entitled to more weight, th an the latter. This brings me directly to the
questions put to the Parties by Judge Bennouna on Tuesday 32. There were two questions. With the
Court’s permission, I will provide Uruguay’s answer to the second question first.
4. Judge Bennouna asked, in our unofficial English translation, “[W]ithin the context of this
case, can an expert being commissioned by one or other of the Parties qualify as an independent
expert?” Uruguay’s answer to this question is “No”. Indeed, it is an emphatic “No”. In Uruguay’s
view, an expert who is commissioned or retained by one of the Parties is, by definition, not
independent. As a consequence, a report prepared by a retained expert for this litigation and
submitted as part of the record is not an indepe ndent report. Nor can the statements of experts
retained by a party as its counsel or advocate be considered independent. This has been Uruguay’s
32
CR 2009/17, p. 59 (Bennouna). - 34 -
consistent position throughout this case. Ur uguay has studiously avoided characterizing the
reports, statements or speeches by its retained experts as “independent”. They are not. By contrast,
Argentina has continuously charact erized the reports submitted by its retained experts as
“independent reports”. For Uruguay, this is an oxymoron. There is, and can be, no such thing as
an independent retained expert.
5. JudgeBennouna’s other question, again in our unofficial English translation, was:
“Which of the ‘experts’ so far used and referre d to by the Parties in this case do these Parties
consider to be ‘independent’?” This question requires a longer answer. The Parties disagree about
the answer. In its written pleadings, Argentina characterizes as “independent” the experts it has
retained especially for these proceedings a nd their reports. These include Latinoconsult 33,
34 35
Rabinovich and Tournier , and Drs.Wheater and McIntyre , the so-called “Independent
36
Argentinian Environmental Scientific Team” , and their various reports. In the Memorial,
Argentina described these as “independent reports presented by Argentina” 37. Argentina again
38
characterized its retained experts as “independent” in the Reply . There, Argentina referred to the
“technical review” that had been conducted on its behalf by “independent experts retained by
Argentina” 39, independent experts retained by Argentina. Its Reply also stated that “[t]he second
Wheater report is an independent report in wh ich Argentina has complete confidence” that was
40
“written at the request of Argentina for the purpose of providing an independent evaluation” , at
the request of Argentina for an independent evaluation.
33Latinoconsult S.A., Assessment of the Fluvial Environm ent of the Proposed Botnia Pulp Mill on Río Uruguay
at Fray Bentos, Uruguay, 20 Nov. 2006, MA, Vol. V, Ann. 3.
34J.Rabinovich & L.Tournier, Scientific Report to the Ar gentina Ministry of Foreign Affairs with Replies to
Uruguay’s Counter-Memorial Concerning Environmental Aspects of the Botnia Pulp Mill Near FrayBentos, Uruguay,
not dated, RA, Vol. III, Ann. 43.
35H.Wheater and N.McIntyre, Review of the IFC Fina l Cumulative Impacts Study for Botnia’s Uruguay Pulp
Mill, 4 Dec. 2006, MA, Vol. V, Ann. 5; H. Wheater and N. McIntyre, Technical Commentary on the Counter-Memorial
of Uruguay Concerning Pulp Mills on the River Uruguay, not dated, RA, Vol. III, Ann. 44.
36
MA, para. 7.5.
37MA, para. 5.52.
38See RA, para. 3.7.
39RA, para. 3.7.
40
RA, para. 3.12. - 35 -
6. None of these experts or reports can be called “independent”, as Uruguay observed in its
41 42
Counter-Memorial and its Rejoinder . Nor is Dr.Colombo’s 30June2009 Scientific and
Technical Report in any way independent. It is undisputed that Dr.Colombo and his team were
retained by the Argentine Foreign Ministry solely to produce evidence for this case.
Dr. Colombo’s statements in Court last week, likewise, are not independent. Like Dr. Wheater, he
is here as a member of Argentina’s delegation. When they addressed the Court, they did so as
advocates, not independents.
7. Of course, Uruguay also has retained experts to prepare technical reports specifically for
this litigation. The difference is, Uruguay has not attempted to portray these experts or their reports
43
as independent. Uruguay’s retained experts, a nd authors of expert reports, include Dr.Menzie ,
Dr.Deardorff and Mr.Pryke 44, Mr.Sheate 45, Mr.Booth 46, Dr.Swanson and Dr.Yassuda 47, and
48
Exponent . Mr.McCubbin, who spoke as an advocate and member of Uruguay’s delegation on
Tuesday (CR2009/17), was retained by Uruguay in August2009, just last month. Uruguay has
does not claim that any of these experts is independent.
8. Evidence produced by retained experts is not inadmissible in this Court. Depending on
their quality, they could be of assistance to the Court and entitled to considerable weight. But,
when the Court evaluates them, it does so bearing in mind that they were prepared for the purpose
41
CMU, para. 5.7 (In its Counter-Memorial, Uruguay stated that “Argentina has commissioned or retained several
‘expert’ reports solely for purposes of these proceedings. The authors of these reports are not independent; they are being
paid by Argentina and are acting on its behalf. The Court’s jurisprudence is clear that such reports are accorded less
weight . . . The Court’s scepticism is particularly appropriate for the reports offered by Argentina in this case . . .”).
42
RU, para.6.9 (“[T]he authors of Argentina’s reports ar e in no sense of the word ‘independent’. Indeed,
Argentina’s curious failure to provide a C.V. or indeed an y background about them may be explained by the fact that
these ‘experts’ are, in fact, employees of Argentina.”).
43C.A. Menzie (Exponent, Inc.), Evaluation of the Final Cumulative Impact Study for the Botnia S.A.’s Bleached
Kraft Pulp Mill (FrayBentos, Uruguay) with Respect to Impacts on Water Qu ality and Aquatic Resources and with
Respect to Comments and Issues Raised by the Government of Argentina, July 2007, CMU, Vol. X, Ann. 213.
44T.L. Deardorff and D.C. Pryke (Exponent, Inc.), Available Technologies a nd Best Environmental Management
Practices for Botnia S.A.’s Bleached Kraft Pulp Mill, Fray Bentos, Uruguay, 8 July 2007, CMU, Vol. X, Ann. 215.
45W.Sheate (Collingwood Environmental Planning), Comme nts on the EIA Process, J une 2007, CMU, Vol.X,
Ann. 216.
46P.Booth (Exponent, Inc.), Sufficie ncy of EIA and GTAN Information fo r Determination of Environmental
Impacts ⎯ Botnia, S.A., Fray Bentos, Uruguay, June 2007, CMU, Vol. X, Ann. 217.
47J.C.Swanson and E.A.Yassuda (App lied Science Associates, Inc.), Hydrologic Analysis for the Proposed
Botnia Cellulose Plant on the Uruguay River, June 2007, CMU, Vol. X, Ann. 214.
48Exponent, Inc., Response to the Government of Ar gentina’s Reply: Facil ity Design Technology and
Environmental Issues Associated with the Orion Pulp M ill, FrayBentos, UruguayRiver, Uruguay, July2008, RU,
Vol. IV, Ann. R83. - 36 -
of supporting a party’s claims. This requires that th ey be treated with caution. As the Court stated
in Armed Activities on the Territory of th e Congo (Democratic Republic of the Congo v. Uganda),
and repeated in the Genocide case, “[t]he Court will treat with caution evidentiary materials
specially prepared for this case” (Application of the Convention on the Prevention and Punishment
of the Crime of Genocide (Bosnia and Herzegovina v. Serbia and Monten egro), Judgment,
I. C .J. Reports 2007, p.130, para.213. Armed Activities on the Territory of the Congo
(Democratic Republic of the Congo v. Uganda), Judgment, I. C .J. Reports 2005 , p. 201, para. 61).
According to one learned commentary, “[t]he expert’s association with a party may bear upon the
weight to be given to the evidence; it does not affect its admissibility” 49(the citations will of
course appear in the footnotes of the compte re ndu). SirArthur Watts made an interesting
comment on a situation that is quite familiar to us in these proceedings the past two weeks. Sir
Arthur addresses the
“choice which has to be made by the party wi shing to make use of experts’ opinions.
Should the party call them as witnesses, and thereby subject them to
cross-examination by the other party, or should they be included as part of the party’s
own legal team, in effect as an advocate or counsel ⎯ in which case they are not
subject to cross-examination but, of course, are then seen, however eminent they may
be, to be clearly partisan. [And the citation c ontinues] As a matter of forensic tactics,
it is a difficult balance for States to draw.”0
9. “As a matter of forensic tactics.” Well, Mr. President, Sir Arthur could not have described
it better. Argentina chose its tactics. It c hose to insulate Dr.Co lombo’s testimony, and
Dr. Wheater’s testimony ⎯ and, make no mistake, testimony is exactly what it was ⎯ from
cross-examination by Uruguay’s counsel, and questi oning by the Court, by cloaking them in the
garb of advocates. Even without the benefit of cross-examination, however, Uruguay believes that
it demonstrated the inadvisability of the Court’s reliance on anything that Dr.Colombo or
Dr. Wheater has produced.
10. Fortunately, the Court has options other than to rely on the reports, statements, testimony
and speeches of the Parties’ retained experts. The Court may choose to rely instead on the expert
statements and evaluations issued by a competen t international organization, and by the expert
49
A. Zimmermann et al., The Statute of the International Court of Justice: A Commentary, p. 120.
5SirArthurWatts, “Burden of Proof, and Ev idence before the ICF”, in Friedl Weiss, Improving WTO Dispute
Settlement Procedures: Issues and Lessons from the Practice of Other International Courts and Tribunals, p. 299. - 37 -
reports issued by the independent consultants e ngaged by that organization to assess and evaluate
the environmental impact and performance of the Bo tnia plant. The international organization is
the International Finance Corporation or IFC, a component of the World Bank group. It is the
pre-eminent multilateral institution that finances priv ate sector projects in developing countries.
There can be no doubt of its independence from the Parties. Nor can its expertise in evaluating
environmental risk, and monitoring environmental performance, be questioned. Nor can anyone,
today, in this first decade of the twenty-first cen tury, seriously challenge its commitment to what it
calls “social and environmental sustainability” 5.
11. By now, the Court is well aware of the IF C’s studied findings about the Botnia plant.
My colleagues ProfessorsBoyle and McCaffrey have reviewed them with you. Uruguay submits
that there are three reasons why the findings of the IFC and its expert consultants should be
afforded considerable deference by the Court.
Mr. President, I know we are approaching the traditional time for a coffee break, but if I may
continue for a couple of minutes?
The VICE-PRESIDENT, Acting President: Yes, I think it is better for you to continue and
complete your statement.
Mr. REICHLER: Thank you.
12. As I said, there are three reasons why the findings of the IFC and its expert consultants
should be afforded considerable deference by th e Court. First, the Court has given similar
treatment to evidence, especially of a technical nature, that is obtained by independent and
disinterested fact finders, and by international organizations like the IFC. Second, the IFC’s factual
findings were made in relation to its own exacting environmental standards, which in turn bear
directly on the central question at issue in this case: will the Botnia plant cause significant harm to
the Uruguay river and its aquatic environment? Th ird, the IFC’s review was particularly thorough
and involved not only multiple layers of review w ithin the IFC, but also the consultation with
51
See CMU, paras. 5.8-5.9. - 38 -
experts, specially chosen by the IFC and specializ ing in the precise issues at hand. I will discuss
each of these three reasons in turn.
13. Turning to the first: the IFC’s findings are entitled to special weight. In the Democratic
Republic of the Congo v. Uganda case, the Court observed that “evidence obtained” by
independent persons “experienced in assessing large amounts of factual information, some of it of a
technical nature, merits special attention [merits special attention]” (op. cit., p. 201, para. 61) 52. In
the Genocide case, the Court found that the United Nations Secretary-General’s report on “The Fall
of Srebrenica” had “considerable authority” because of the “care taken in preparing the report, its
comprehensive sources and the independence of those responsible for its preparation” (op. cit.,
pp. 135-137, paras. 228-230). As the Court observed in the case concerning Military and
Paramilitary Activities in and against Nicaragua (Nicaragua v. United States of America) ,
“evidence of a disinterested witness ⎯ one who is not a party to the proceedings and stands to gain
nothing from its outcome” is “regarded as prima f acie of superior credibility” as compared to
evidence prepared on behalf of a party ( Military and Paramilitary Activities in and against
Nicaragua (Nicaragua v. United States of America), Merits, Judgment, I.C.J. Reports 1986 , p. 43,
para.69). Uruguay submits that the IFC’s valid ation of the Botnia project and the plant’s
performance is precisely the sort of evidence to which considerable weight should be given.
14. Turning to the second reason for attributin g weight to the reports of the IFC and its
experts: The conclusions of the IFC are especially relevant to the substantive issues before the
Court, because they are findings of compliance with the IFC’s exacting environmental standards.
As a matter of policy, the IFC treats environmental concerns with the utmost seriousness 53. The
IFC’s investment activities must be carried out in “a manner that ‘do no harm’ to people or the
52
The report under consideration was the report of the Po rter Commission, which examined persons involved in
the actions at issue in the case.
53
Multilateral financial institutes, such as the IFC and MI GA, are obligated under general international law to
ensure that their activities are adequately protective oenvironment. As one commentator has stated, “multilateral
development banks” have a “sufficient degree of international personality to subject them to certain duties under
international law, including duties which arise under the operation of general and specific rules of international
environmental law”, Sands, Philippe, Principles of International Environmental Law , 2nd ed., Cambridge University
Press, 2003, pp.1024-1025. As a result, “[m]ultilateral dvelopment banks are under an obligation to comply with
general principles of international law relating to the protection of the environment, and any failure to comply with such
obligations might entail their international responsibility, as well as liability for damages” (ibid.). - 39 -
environment” . Thus, IFC policy forbids the financing of any “new business activity that cannot
55
be expected to meet” the IFC’s comprehensive environmental performance standards , and
requires project sponsors to provide a rigorous “assessment” of the “environmental risks and
impacts of their projects” and to implement “measures to meet the requirements” of its
56
performance standards . It then reviews the borrower’s assessment, assists it in developing
“measures to avoid, minimize, mitigate or comp ensate for . . . environmental impacts”, and it
monitors its “environmental performance throughout the life of IFC’s investment” 57 . The
performance standards, to which I just re ferred, address environmental assessment and
management, pollution prevention and abatement, co mmunity health and safety, biodiversity, and
sustainable natural resource management. The standards of the IFC also incorporate assessment of
obligations under internat ional environmental law. In other words, they address issues central to
the resolution of the substantive issues in this case.
15. I now turn to the third reason to respect the IFC’s findings: the conclusions of the IFC
are all supported by the detailed evaluation of inde pendent technical consultants. The Court has
heard the names of these consultants: Hatfield, AMEC, and EcoMetrix, the Canadian company
that prepared the Final Cumulative Impact Stud y, and follow-up reports assessing the operational
58
performance of the plant. Argentina rep eatedly referred to Hatfield as “independent” , and
59
referenced their work no less than 13times in its Memorial . The IFC described AMEC as an
“independent external consultant” 60. The IFC reported that EcoMetrix was selected from a group
5International Finance Corporation (hereinafter “IFC”), Policy on Social and
Environmental Sustainability , para. 8, 30 Apr. 2006, available at
http://www.ifc.org/ifcext/enviro.nsf/AttachmentsByTitle/pol_SocEnvSusta…
(last visited on 24Sep.2009). The IFC has a long and distin guished history of promoting sustainable development by
participating only in projects that it determines will not be ha rmful to the environment. Even prior to the adoption of the
current Policy on Social and Envir onmental Sustainability, the IFC’s policies in this regard were manifested in its
Operational Policies on Environmental Assessment , including Operational Policy4.01, which governed Environmental
Assessment, and Operational Policy7.50, which governed Pr ojects on International Waterways. These operational
policies, now superseded by the Policy on Social and Envir onmental Sustainability , imposed strict requirements
regarding the assessment of potential environmental impacts, including those of a transboundary nature.
55
Ibid., para. 17.
56
Ibid., para. 10.
5Ibid., para. 11.
5MA, paras. 5.58, 7.1.
5MA, paras. 4.78, 5.17, 5.34, 5.39, 5.58, 5.59, 5.71, 7.5, 7.7, 7.42, 7.96, 7.107, 7.108.
60
RU, Vol. III, Ann. R80. - 40 -
61
of “independent consulting firms having no previous relationship with” Botnia . The IFC selected
EcoMetrix from a “large pool of consultancies” due to its “demonstrated experience and expertise
in the environmental . . . impact assessment for pulp and paper projects” 62. The work performed by
these experts provides assurance that the findings and conclusions of the IFC were thoroughly
supported by intensive and impartial technical review.
16. Mr.President, Members of the Court, you have heard from ProfessorsBoyle and
McCaffrey the conclusions of the experts the IFC itself has defined as “independent”, but, if you
will indulge me, as we approach the conclusion of Uruguay’s first round pleadings, I will very
briefly summarize them. In October2006, after the CIS had been completed by EcoMetrix and
reviewed by Hatfield, the IFC determined that the Botnia project would not only “generate
significant economic benefits for Uruguay”, it would also “cause no environmental harm” 63.
17. The IFC required Botnia, as a condition of financing, to “engage consultants acceptable
to IFC to undertake independent monitoring of the environmental, health, safety, and social
performance of the mill operations” 64. Botnia did so, and on 13 November 2007, the IFC released
two reports, prepared by what the IFC referred to as “independent external consultants” who had
65
been tasked with reviewing the plant’s final preparations for operations . These reports, one
prepared by EcoMetrix and one by AMEC, concl uded that Botnia was on target to meet all
expectations. That was also the conclusion of the IFC itself which, upon the reports’ release, stated
that they demonstrated “that Botnia’s Orion pulp mill in Uruguay is ready to operate in accordance
with IFC’s environmental and social requirements and international BAT standards” 66. The IFC
concluded that the reports “confirm[ed] that th e Orion pulp mill will generate major economic
67
benefits for Uruguay and will not cause harm to the environment” .
61
IFC Web Site, Latin America & the Caribbean, “Orion Pulp Mill ⎯ Uruguay”, RU, Vol. III, Ann. R80.
62
EcoMetrix Selected to revise Cumulative Impact Study of Pulp Mills in Uruguay, July2006, available at
http://www.ifc.org/ifcext/lac.nsf/Content/Uruguay_PulpMills_Ecometrix_B… (last visited on 24 Sep. 2009).
63IFC, Press Release, “IFC and MIGA Board Approves Orion Pulp Mill in Uruguay, 2,500 Jobs to be Created, No
Environmental Harm”, p. 1, 21 Nov. 2006. CMU, Vol. IX, Ann. 206.
64See RU, Vol. III, Ann. R50, pp 10.1-10.16.
65IFC Web Site, Latin America & the Caribbean, “Orion Pulp Mill ⎯ Uruguay”, RU, Vol. III, Ann. R80.
66Ibid.
67
Ibid. (emphasis added). - 41 -
18. The IFC required continued, ongoing revi ew of the plant’s performance by the same
independent experts. On 10July2008, the IFC ⎯ the IFC ⎯ published a report authored by
EcoMetrix that provided an evaluation of the Botn ia plant’s environmental performance during its
first six months of operations 68. EcoMetrix concluded in that report
“all indications are that the mill is performing to the high environmental standards
predicted in the EIA and CIS, and in compliance with Uruguayan and IFC standards. 69
These results are also consistent with the measures for other modern mills.”
19. As you have heard, EcoMetrix prepared another report, covering all of 2008. The report
contained similarly strong conclusions. According to the IFC’s March 2009 public statement about
the mill’s operation through 2008:
“the mill is performing to the air and water quality standards projected in the
Cumulative Impact Study and Environmental Impact Assessment, as required by IFC,
and well within the limits established by the environmental permits issued by the
Uruguayan regulator, DINAMA” 70.
20. It is, of course, for the Court to determine which of the materials submitted by the Parties
“have probative value with regard to the alleged fact s” and it is for the Court to “make its own . . .
assessment of their weight, reliab ility and value” (that is to the Democratic Republic of Congo v.
Uganda case, op. cit., p.200, paras. 58-59) 71. In the present case, the Court has before it not just
the Parties’ own assessments of the facts. It also has the benefit of comprehensive technical
assessments prepared by the IFC and its consultants ⎯ who are regarded by the IFC as truly
independent and impartial experts ⎯ that fully and without qualification conclude that the plant is
performing to the highest international standards and is having no impacts on the environment: No
impacts on the Uruguay river, no impacts on the quality of its waters, no impacts on the well-being
of aquatic organisms and fish, and no impacts on the ecosystem.
21. Mr.President, let me return then full circ le to JudgeBennouna’s question. It is the
position of Uruguay that, of the many expert report s the Court has before it, there is only one
category of reports that can, in fact, be considered independent. It consists of the reports prepared
68
RU, Vol. IV, Ann. R98, p. ES.i.
69Ibid., p. ES.ii.
70IFC, Orion Pulp Mill ⎯ Uruguay, available at http://www.ifc.or g/ifcext/lac.nsf/Content/Uruguay_Pulp_Mills,
(last visited on 24 Sep. 2009).
71See also Genocide case, Judgment, op.cit. , p.130, para.212 (“The Court must itself make its own
determination of the facts which are relevant to the law which the Applicant claims the Respondent has breached.”). - 42 -
by, and at the direction of, the IFC. Accordingly, and in conformity with the Court’s case law, the
reports of those experts are entitled to the greatest weight when the Court makes its assessment of
the facts pertaining to the substantive environmental issues in this case.
22. Mr.President, Uruguay’s next speaker, and last in this round, will be my colleague
Professor Condorelli, who will discuss what Uruguay believes to be an entirely academic issue, and
that is the question of remedies requested by Argentina. Uruguay respectfully submits that
Argentina has not demonstrated ⎯ or come close to demonstrating ⎯ an entitlement to remedies,
because it has failed to establish a violation by Uruguay of any of its obligations under the
1975Statute. ProfessoC r ondorelli will, ne vertheless, respond to his and my friend
Professor Pellet’s presentation on this subject.
23. Mr.President, there is onl y one remedy that is called for in the circumstances of this
case. That is the request contained in the Subm issions to Uruguay’s Rejoinder that the Court
affirm “Uruguay’s right to continue operating the Botnia plant in conformity with the provisions of
the 1975 Statute” 72. Uruguay set forth the grounds for its request in the Rejoinder 73, so there is no
need for me to rehearse them all here. The e ssential point which I respectfully submit to your
consideration now is that the Court has an unique opportunity to perform an invaluable service to
the peaceful resolution of disputes, and help bring this whole unnecessary and unpleasant affair to a
close, and facilitate an early return to the fratern al and harmonious bilateral relationship that these
two South American brother nations have histori cally enjoyed, by issuing the clearest possible
declaration of the Parties’ respective rights and duties.
24. The Court is well aware that Argentine pr otesters have been blockading the main transit
route between Uruguay and Argentina over the General San Martín Bridge almost without
interruption for more than three years. Urugua y has suffered literally hundreds of millions of
dollars in economic damage as a consequence. Last week, ProfessorKohen expressed concern
74
about the levels of unemployment in Fray Bentos on several occasions . If he is wondering about
the cause, I suggest he look to the blockades. The protesters have threatened to maintain these
7RU, Submissions.
73
RU, paras. 7.30-7.40.
7See, for example, CR 2009/15, pp. 63-64, paras. 29-23 (Kohen). - 43 -
blockades into the future, for at least as long as this case continues. Whether it extends, or is
allowed to extend, beyond may depend upon what the Court decides and on what it says.
25. As Ambassador Gianelli pointed out in hi s opening speech, Argentina’s failure to act to
reopen traffic over the bridge has already been declared a violation of international law by a
75
Mercosur arbitral tribunal . Argentina’s failure to act after th e award is all the more remarkable
because in its decision, the Tribunal specifically st ated that it expected Argentina to conform its
behaviour to the law. It stated unanimously:
“The establishment of clear rules which the parties must abide by after the
decision rendered in this case, will sharply determine the boundaries between what is
permitted and what is prohibited, so that it is to be expected that this type of conflict
76
will not recur.”
It did recur and it continues.
26. In light of the truly extraordinary facts present here, which dramatically distinguish this
case from prior cases in which the Court has consider ed this form of remedy, extraordinary facts,
by the way, which Argentina has never once tr ied to deny, the danger of the controversy ⎯ not to
mention a situation of open illegality ⎯ persisting, even after the Court’s judgment on the merits,
is quite real. Given this unprecedented situ ation, Uruguay submits that the Court would
significantly advance the goal, which I am quite sure all here share, of putting a full, final and long
overdue end to this dispute, and facilitating the r esumption of the friendliest of relations between
Argentina and Uruguay, by expressly affirming the right of Uruguay at issue in this case; namely,
77
the right to operate the Botnia plant in conformity with the 1975 Statute . The risks of leaving any
ambiguity on this issue are simply too great.
27. Mr. President, that concludes my comments this morning. I thank you again very much
for your courteous and patient attention. I ask that you invite ProfessorCondorelli back to the
podium, perhaps after the coffee break.
75
CR 2009/16, p. 16, para. 29 (Gianelli).
76
CR 2009/16, fn. 1, Award, para. 192.
77Para. 29, 23 Jan. 2007. - 44 -
The VICE-PRESIDENT, Acting President: Thank you, Mr.Reichler. You are right.
Mr.Condorelli after 67minutes pleading this morning deserves a break and a coffee, as do
Members of the Court and Judges as well. The sitting is suspended for 15 minutes.
The Court adjourned from 11.40 to 11.55 a.m.
Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de président : Veuillez vous asseoir. L’audience est
reprise et la parole est de nouveau à vous Monsieur le professeur Condorelli.
M. CONDORELLI :
L ES REMEDES DEMANDES PAR L ’A RGENTINE :POURQUOI LA COUR DEVRAIT LES REJETER
I. NTRODUCTION
1. Merci beaucoup Monsieur le pr ésident. Monsieur le président, Messieurs les juges, le but
de la présente plaidoirie est d’examiner quelles devraient être les conséquences des faits
internationalement illicites que l’Uruguay aurait prétendument commis en violation des obligations
prescrites par le statut de1975, en engageant pa r là sa responsabilité internationale envers
l’Argentine. Il va sans dire que, comme l’Uruguay vous a déjà démontré, à plusieurs reprises, qu’il
n’a violé aucune de ses obligations, les propos que je vais maintenant vous présenter ont un rôle
purement subsidiaire ⎯académique nous a-t-on dit ⎯c’est très bien pour un professeur de faire
des propos de caractère académiques: autrement d it, la Cour devrait les prendre en compte
seulement au cas où, par impossible, elle devait se convaincre que l’Uruguay a agi de façon non
respectueuse du statut.
2. L’Argentine demande à la Cour de rec onnaître qu’elle aurait droit à quatre types de
remèdes 78. Premièrement, la cessation des violations continues attribuables à l’Uruguay et la
reprise de l’exécution des obligations violées. Deuxièmement, la réparation sous forme de
restitutio in integrum. Troisièmement, la réparation sous fo rme d’indemnisation. Quatrièmement,
les garanties et assurances de non-répétition.
78
CR 2009/15, p. 45, par. 3 (Pellet). - 45 -
3. Je souligne d’entrée de jeu que je vais cen trer les considérations suivantes exclusivement
sur la seconde, la troisième et la quatrième requête de l’Argentine, et ce pour des raisons
évidentes: l’Uruguay admet en effet sans la moindre difficulté que, si jamais la Cour devait
hypothétiquement reconnaître sa responsabilité internationale pour des comportements constitutifs
de violations continues d’obligations prescr ites par le statut, il lui incomberait alors
indiscutablement de cesser ces conduites et de revenir au respect des règles violées, et ceci sans
besoin que le dispositif de l’arrêt le dise explicitement. Comme votre Cour l’a relevé tout
récemment,
«[i]l n’est pas nécessaire, et il n’est pas utilen règle générale, que la Cour rappelle
l’existence de cette obligation dans le dis positif des arrêts qu’elle rend: du seul fait
que la Cour constate l’existence d’une vi olation qui présente un caractère continu, il
découle de plein droit l’obligation de la faire cesser, à la charge de l’Etat concerné»
(Différend relatif à des droits de navigati on et des droits connexes (Costa Rica
c. Nicaragua), arrêt du 13 juillet 2009, par. 148).
Dans ce contexte, l’Uruguay prend acte de ce que l’Argentine affirme dans son mémoire: les
(prétendues) violations d’ordre procédural portant sur les articles7 à12 du statut seraient en tout
cas à qualifier comme de caractère instantané 79. L’obligation de cessation ne serait donc pas de
mise pour celles-ci, alors qu’elle pourrait être éventuellement pertinente en cas de conduites
évaluées comme contraires à des obligations substantielles et se poursuivant dans le temps.
4. Il est par ailleurs entendu que, la où l’ obligation de cessation serait éventuellement
pertinente ⎯à savoir, au cas où la Cour déciderait que l’Uruguay s’est rendu responsable de
violations de prescriptions à caractère substantiel du statut de façon continue ⎯ une telle obligation
de cessation pourrait fort bien comporter la nécessité pour l’Uruguay d’adopter de nouvelles
mesures visant, par exemple, une meilleure prév ention de la pollution. L’Uruguay ne conteste
nullement le pouvoir de votre Cour de prescrire le cas échéant la mise en Œuvre de mesures d’un tel
genre en tant qu’élément de la cessation, si pa r impossible elle devait cons tater que la conduite du
défendeur n’a pas été en harmonie avec le statut.
II.Q UELQUES REMARQUES PRELIMINAIRES
5. Trois remarques préliminaires s’imposent avant que j’entre dans le vif du sujet.
79MA, par. 8.12 et suiv. - 46 -
6. La première concerne l’identification d es principes internationaux auxquels il faut faire
appel s’agissant de déterminer quelles sont les conséquences juridiques des faits illicites consistant
en des violations des dispositions du statut. L’Uruguay concorde bien sûr avec l’Argentine quant à
la nécessité d’appliquer les règles «secondaires» de droit international général sur la responsabilité
des Etats, qui sont transcrites dans le texte des ar ticles en la matière, mis au point en2001 par la
80
Commission du droit international . Toutefois, il ne faut pas oublier ici le concept que la
Commission du droit international a mis en exergue au moyen de l’article 55 de son texte de 2001,
relatif à la «Lex specialis», où il est rappelé que « Les présents articles ne s’appliquent pas dans les
cas et dans la mesure où les c onditions de l’existence d’un fait internationalement illicite ou le
contenu ou la mise en Œuvre de la responsabilité internationale d’un Etat sont régis par des règles
81
spéciales de droit international.» Or, justement, l’Argentine semble carrément oublier que le
statut contient bien des normes spécifiques porta nt sur les conséquences des faits illicites. Les
articles 42 et 43 contemplent explicitement l’indemnisation en tant que remède approprié en cas de
préjudices causés par la pollution du fleuve en violation du statut. L’importance de ces dispositions
ne saurait être sous-estimée: elles indiquent clairement que si des dommages sont causés en
polluant le fleuve, d’après le statut, l’indemnisation est à envisager en principe comme une forme
parfaitement adéquate de réparation. C’est là un profil important sur lequel il faudra revenir plus
loin.
7. La deuxième remarque concerne la distinc tion entre les obligations à caractère procédural
et substantiel. Il faut souligner d’emblée qu’il n’est certainement pas correct de traiter de façon
indifférenciée les questions des remèdes à appliquer s’agissant de sanctionner la violation de ces
deux catégories d’obligations. Les mêmes remèdes ne sauraient être jugés comme indistinctement
appropriés dans les deux cas. Le contenu de la norme primaire en jeu doit bien évidemment être
pris en compte pour identifier et calibrer le re mède davantage approprié en l’espèce. Comme le
souligne pertinemment le commentaire de la Commission du droit international des articles sur la
responsabilité de l’Etat, «l’obligation primaire violée peut aussi jouer un rôle important en ce qui
80
RA, p. 17, par. 0.16.
81Article 55 des articles de la CDI sur la responsabé de l’Etat (résolution56/83 de l’Assemblée générale,
12 décembre 2001, annexe). - 47 -
concerne la forme et la portée de la réparation» . Ces concepts sont d’ailleurs clairement reconnus
par votre Cour. Ainsi, par exemple, da ns l’arrêt du 31mars2004 en l’affaire Avena, après avoir
cité ce locus classicus qu’est le célèbre dictum Chorzów d’après lequel «C’est un principe de droit
international que la violation d’un engagement entraîne l’obligation de réparer dans une forme
adéquate» (Usine de Chorzòw, compétence, arrêt n o8, 1927, C.P.J.I. série A n° 9 , p.21), votre
Cour précise :
«Quant à savoir ce qui constitue «une réparation en forme adéquate», cela
dépend, manifestement, des circonstances conc rètes de chaque affaire ainsi que de la
nature exacte et de l’importance du préjudice, puisqu’il s’agit de déterminer quelle est
la «réparation dans une forme adéquate» qui correspond à ce préjudice.» ( Avena et
autres ressortissants mexicains (Mexique cE .tats-Unis d’Amérique), arrêt,
C.I.J. Recueil 2004, p. 59, par. 119.)
De même en la présente affaire, pour déterminer quelle est la forme adéquate de réparation
qui correspondrait au préjudice, il faudrait nécessairement apprécier les divers contenus des
obligations prétendument violées par l’Uruguay et faire la distinction entre les dommages pouvant
découler d’infractions à caractère procédural ou à caractère substantiel. Il s’impose donc de traiter
séparément ces deux aspects.
8. Mais j’ai encore une rema rque liminaire, la dernière, à présenter à la Cour. Comme la
Cour a pu le lire et l’entendre à plusieurs reprises, pour l’Argentine une seule solution du différend
qui l’oppose à l’Uruguay est acceptable: celle qui ne comporterait rien de moins que le
démantèlement de Botnia, voire au maximum sa réaffectation à d’autres usages industriels, sans
que la moindre considération puisse être accord ée au dommage colossal en termes économiques et
sociaux qu’une telle mesure causerait à l’Uruguay et à ses programmes souverains de
développement soutenable. Aucune considération ne mériterait non plus l’énorme effort fait du
côté uruguayen pour que soient adoptées toutes les mesures, y compris les plus sophistiquées et les
plus coûteuses, afin de préserver pleinement l’environnement fluvial : un effort dont la remarquable
82
Voir rapport de la Commission du droit international, cinquante-troisième session, doc. A/56/10, p. 254. Voir
aussi, dans le même sens, par exemple, J. Combacau etD. Alland, ««Primary» and «Secondary» Rules in the Law of
State Responsibility: Categorizi ng International Obligations», 16 Netherlands Yearbook of International Law (1985),
p.108 («it is above all the consideration of «content» of the primary obligation in its widest meaning...which explains
why a certain consequence is attached specifically and ab initio to its breach») ; I. Brownlie, State Responsibility, Oxford,
1983, p.234 («the interaction of substantive law and issues of reparation should be stressed») ; Ch. Tomuschat,
«International Law: Ensuring the Survival of Mankind on the Eve of a New Century», 282 Recueil des cours (1999),
p.273 («The actual consequences may not be separated so easily from the substance of the obligation breached»);
Ch.Gray, «The Choice between Restitution and Compensation», 10 European Journal of International Law (1999),
p. 413 et suiv. - 48 -
réussite a été appréciée sans réserve par les organisa tions internationales compétentes et par la fine
fleur des experts indépendants. Mais qu’à cela ne tienne! Le demandeur proclame sans la
moindre retenue que le démantèlement se justifiera it de toute façon, même «si l’usine Orion ne
causait aucun préjudice au fleuve Uruguay» 83, même si «par impossible, la Cour décidait que la
construction de l’usine Orion et sa mise en servi ce ne sont pas de nature à susciter un risque de
préjudice sensible» 84. L’Uruguay ne peut ne pas s’étonner face à une telle attitude, qui semble
laisser transparaître du côté argentin, plus qu’ un réel souci pour la préservation du fleuve, une
incompréhensible animosité vers un pays frère, dont l’engagement et les performances en matière
de développement durable et de protection de l’environnement jouissent pourtant d’une
reconnaissance incontestée au niveau mondial. L’Uruguay espère de tout cŒur que la décision de
la Cour contribuera à remettre sur de bons rails d’amitié et de coopération les relations entre les
deux pays.
III. LA QUESTION DES REMEDES POUR LES VIOLATIONS SUPPOSEES
DES OBLIGATIONS PROCEDURALES
9. J’en viens maintenant à la question des remèdes pour les violations supposées des
obligations procédurales prescrites par le statut qui seraient imputables à l’Uruguay. Dans ses
écritures, l’Argentine insiste sans cesse sur l’existence d’un lien indissoluble entre les obligations
85
procédurales et substantielles . Le but ⎯ on le sait ⎯ est de tenter de démontrer que, même si la
Cour devait reconnaître que la construction et le fonctionnement de l’usine Orion ne sont pas en
mesure de causer des risques de préjudice sensible à l’Argentine, la violation par l’Uruguay de ses
engagements procéduraux donnerait en tout cas naissance ⎯ à titre de remède ⎯ à l’obligation de
démanteler l’usine. La stratégie du demandeur est claire : ne pouvant pas prouver que Botnia cause
ou risque de causer un préjudice environnemental sensible au fleuve Uruguay, l’Argentine met tout
son dévolu sur les violations prétendues des obligations procédurales, espérant convaincre votre
Cour que, même si elle lui donne raison sur ce seu l point, de toute façon un seul et unique remède
serait à accorder : la restitutio in integrum.
83
RA, p. 45, par. 1.41.
84
RA, p. 141, par. 1.172.
85RA, p. 115, par. 1.28, p. 141, par. 1. 172 et p. 503, par. 5.40. - 49 -
10. La prétention de l’Argentine est claire ment dépourvue de fondement. Bien entendu,
l’Uruguay reconnaît que le mécanisme procédural prévu par le statut joue un rôle important dans le
système créé par cet instrument. Il reconnaît aussi que, si jamais la Cour devait décider que
l’Uruguay s’est rendu responsable de violations de s dispositions en question, celui-ci devrait en
supporter les conséquences. L’Uruguay en re vanche considère radicalement inacceptable et
infondée la thèse argentine d’après laquelle le dé mantèlement de l’usine serait le seul remède
approprié en tant que riposte, même à des infractions de cet ordre, et ceci pour diverses raisons.
11. Premièrement, l’Argentine n’a aucun titre pour invoquer la respon sabilité internationale
de l’Uruguay pour des conduites qui dans l’abst rait pourraient être éventuellement qualifiées
comme autant de violations des dispositions pro cédurales du statut, dans la mesure où elle les a
acceptées, renonçant de ce fait même à en faire valoir le caractère illicite. Je ne vais pas revenir
encore sur les accords de 2004 et 2005 que nous a vons abondamment discutés, hier et aujourd’hui,
le professeurMcCaffrey, M eMartin et moi-même. Je me bornerai à rappeler que ces accords
révèlent de manière claire et non équivoque qu e l’Argentine a renoncé à invoquer d’éventuelles
violations d’obligations de procédure que l’ Uruguay aurait pu commettre auparavant. Comme
l’indique l’article45 du texte de 2001 des ar ticlesde la CDI sur la responsabilité, «[l]a
responsabilité de l’Etat ne peut pas être invoquée si: a)L’Etat lésé a valablement renoncé à la
demande…» 86.
12. Toutefois, même si l’on faisait abstraction de ce qui vient d’être remarqué, il n’en reste
pas moins que d’après les principes de droit international le remède de la restitutio revendiqué par
le demandeur ne serait pas applicable. Ceci du fait même de la disproportion frappante entre la
gravité des conséquences du fait illicite reproché et celles du remède demandé. Dans ces
87
conditions, la restitution ne reposerait pas sur ces «critères d’équité et d’acceptabilité» dont le
rôle central en la matière est souligné avec force par la Commission du droit international.
13. Dans son commentaire du projet d’artic lessur la responsabilité des Etats adopté en
première lecture, la CDI a souligné que : «il serait inexact d’un poin t de vue théorique et pratique
86
Article 45 des articles de la CDI sur la responsabé de l’Etat (résolution56/83 de l’Assemblée générale,
12 décembre 2001, annexe).
87Voir rapport de la Commission du droit international, cinquante-troisième session, doc. A/56/10, p. 262. - 50 -
de définir la restitution en nature comme le mode de réparation inconditionnellement ou
invariablement idéal ou le plus approprié auquel il faut recourir dans tous les cas et en toutes
88
circonstances» .
14. Concernant la possibilité d’appliquer le re mède de la restitution lorsqu’il est question de
violations d’obligations à caractère procédural , en 2001 la CDI a formulé les observations que
voici :
«En particulier, en cas de restitution ne donnant pas lieu à restitution de
personnes, de biens ou de territoire de l’Etat lésé, la notion de retour au statu quo ante
doit être appliquée en tenant compte des droits et compétences respectifs des Etats
concernés. Tel peut être le cas, par exemple, lorsque c’est une obligation procédurale
conditionnant l’exercice des pouvoirs substantiels d’un Etat qui est en jeu. Dans de
tels cas, la restitution ne devrait pas permettre à l’Etat lésé d’obtenir plus que ce à quoi
il aurait pu prétendre si l’obligation avait été exécutée.» 89
15. Ces remarques sont à l’évidence très pertinentes dans notre cas: elles suggèrent à
l’unisson que, en demandant le démantèlement de l’ usine Botnia sur la seule base de la violation
d’obligations procédurales, le demandeur tente d’obtenir ⎯ je cite à nouveau les mots de la CDI ⎯
«plus que ce à quoi il aurait pu prétendre si l’obligation avait été exécutée». Le caractère
totalement disproportionné du remède de la restitution ⎯notamment dans la forme indiquée par
l’Argentine ⎯ saute aux yeux.
16. Cette disproportion radicale ressort d’autant pl us si l’on prend en compte la lourdeur de
la charge économique et sociale que le démantèl ement de l’usine Botnia imposerait à l’Uruguay.
L’élimination de l’usine en tant que remède à des violations d’obligations procédurales aurait un
coût extrêmement élevé, tout en n’engendrant aucun bénéfice pour l’environnement fluvial. Il
s’agirait, en somme, typiquement de ce que l’ar ticle35 des articlesde la CDI de 2001 sur la
responsabilité de l’Etat définit comme «une char ge hors de toute proportion avec l’avantage qui
90
dériverait de la restitution pl utôt que de l’indemnisation» . Justement, l’un des deux cas dans
lesquels, d’après l’article 35 à peine cité, la restitution doit être exclue.
88
Voir Annuaire de la Commission du droit international, 1993, vol. II, partie 1, p. 65.
89Voir rapport de la Commission du droit international, cinquante-troisième session, doc. A/56/10, p. 254.
90Article 35 b) des articles de la CDI sur la responsabilité de l’ Etat (résolution56/83 de l’Assemblée générale,
12 décembre 2001, annexe). - 51 -
17. Mais il y a encore un autre élément à prendre en considération, s’agissant d’identifier le
remède que votre Cour pourrait considérer approprié en cas de violation d’obligations procédurales
prévues par le statut. Comme j’ai eu l’honneur de vous le démontrer ce matin même, il est
incontestable que votre Cour a été saisie par l’Arge ntine «sur le fondement de l’article 12», suite à
l’échec des négociations directes prévues par cette di sposition. Il s’ensuit alors inévitablement que
le rôle de la Cour en la présente affaire doit être reconnu comme étant justement celui de porter
l’appréciation finale que lui c onfie l’article12 du statut, à savoir décider si les ouvrages en
discussion risquent, oui ou non, de porter un préjudice sensible à la qualité des eaux du
fleuve Uruguay.
18. Monsieur le président, les implications sont évidentes: si, à l’issue de la présente
procédure, la Cour parvient à la conclusion que l’Uruguay ne s’est pas rendu responsable de
violations des dispositions substantielles du stat ut, aucune base ne s ubsisterait pour qu’elle
considère comme approprié le remède de la restitu tion sous la forme du démantèlement de l’usine.
Certes, le fait que la saisine de la Cour soit inte rvenue sur le fondement de l’article12 ne saurait
exclure per se que, lors des étapes précédant la négociation directe entre les Parties, des violations
d’obligations procédurales soient intervenues, et la compétence de la Cour pour le vérifier est
incontestable. Mais en aucun cas ces violations ne pourraient justifier un re mède aussi radical, qui
réduirait à néant le droit souverain de l’Urugua y d’exploiter ses ressources naturelles dans le
respect de ses obligations internationales relatives à la protection de l’environnement du
fleuveUruguay. La mission de la Cour est d’assurer un équilibre équitable entre les droits et les
obligations des Parties, prenant dûment en compte tant les droits procédur aux de l’Argentine que
les droits substantiels de l’Uruguay. Or, le remède demandé sacrifierait entièrement les droits
substantiels de l’Uruguay sur l’autel du respect intégral des droits procéduraux de l’Argentine,
alors que ⎯répétons-le encore une fois avec la CDI ⎯ «la restitution, si tant est qu’elle est
possible, ne peut conduire à donner à l’Etat lésé après l’événement davantage que ce à quoi il aurait
eu droit si l’obligation avait été exécutée». - 52 -
IV. L A QUESTION DES REMEDES A APPLIQUER EN CAS DE VIOLATION PAR L ’U RUGUAY DE SES
OBLIGATIONS SUBSTANTIELLES PRESCRITES PAR LE STATUT DE 1975
19. J’en viens maintenant, Monsieur le prési dent, Messieurs les juges, aux conséquences
juridiques à rattacher aux prétendues violations pa r l’Uruguay d’obligations substantielles établies
par le statut de 1975. La requête de l’Argentine visant à obtenir à titre de remède le démantèlement
de l’usine de pâte à papier prend appui essen tiellement sur deux arguments, qui se rattachent à
l’objectif principal du statut : celui «de prévenir les dommages à l’écosystème du fleuve, et non pas
simplement de les guérir» 91. Premièrement, l’Argentine fait valoir que, comme l’Uruguay a violé
ses obligations procédurales, il ne serait plus possible désormais de réaliser un tel objectif
substantiel (la prévention) sinon en revenant au statu quo ante , et ce au moyen, toujours, du
92
démantèlement de l’usine . Deuxièmement, l’Argentine exclut que, si des dommages sont infligés
à l’écosystème du fleuve, ils puissent être réparés moyennant une indemnisation (s’ajoutant, bien
entendu, à la cessation) : ceci toujours à cause du but essentiel du statut, qui est de prévenir et non
pas de guérir.
20. Concernant le premier argument, encore une fois l’Argentine adopte l’artifice de
mélanger les questions de procédure et celles de subs tance, cherchant à faire croire que la violation
des obligations procédurales se traduirait nécessai rement dans la violation de celles à caractère
substantiel. En fin de compte, c’est aux aspects procéduraux que le demandeur accorde toujours la
priorité, alors que l’intérêt fondamental qui est à la base du statut est sans aucun doute celui ⎯ bien
substantiel ⎯ de la protection et de la préservation de l’écosystème fluvial. La Cour ne peut pas
avaliser une telle approche. Si des agissements d’un e Partie violent le statut en portant atteinte à
l’environnement protégé, alors le dommage causé est à déterminer en évaluant le préjudice (ou le
risque de préjudice) souffert par l’autre Partie du fa it de tels agissements. Quant aux remèdes, ils
doivent de toute évidence être choisis justement en fonction de la nécessité de réparer le dommage
infligé. Ici la référence aux obligations procé durales n’a aucune sorte de pertinence : son seul but
est de dévier l’attention de la Cour du fait qu’aucune preuve sérieuse n’a été apportée par
l’Argentine quant au préjudice environnemental que l’Uruguay aurait causé au demandeur.
91
RA, p. 486, par. 5.9. Voir aussi p. 497, par. 5.26 et CR 2009/15, p. 47, par. 8 (Pellet).
92RA, p. 487, par. 5.10. - 53 -
21. Le deuxième argument de l’Argentine est que l’indemnisation ne saurait être conçue
comme un remède approprié pour la violation d’obli gations substantielles prescrites par le statut
parce que ce dernier a mis en place un régime entiè rement orienté vers la prévention, plutôt que
93
vers la réparation . Il s’agit, Monsieur le président, d’un faux syllogisme, construit sur des a
priori purement abstraits, mais qui ignore les données positives : l’Argentine le propose à la Cour
en passant sous silence ce que le statut affirme explicitement, lorsqu’il indique en toutes lettres que
le remède ordinaire, en cas de dommages causés par la pollution du fleuve, est le dédommagement.
o
[Projection n 1.] Il convient de relire à ce propos les articles42 et 43 du statut, et plus
particulièrement l’article 43 : «La juridiction de chacune des Parties à l’égard de toute infraction en
matière de pollution s’exerce sans préjudice des dro its de l’autre Partie à être indemnisée des
dommages qu’elle a également subis par suite de cette infraction.» Indéniablement, cette
disposition joue un rôle de tout premier plan, s’ag issant d’établir si le remède approprié, au cas où
la Cour devait décider que l’Uruguay a violé ses ob ligations substantielles, est la restitution ou
l’indemnisation.
22. Il est clair que la présence même dans le statut des articles 42 et 43 porte un coup sérieux
à la crédibilité de la thèse argentine d’après laquelle le seul remède utilisable serait la restitution.
D’où l’effort désespéré de la Partie adverse, qui a essayé la semaine dernière de convaincre la Cour
qu’il faudrait, pour ainsi di re, «oublier» ces dispositions 94. L’argument, bien hardi, est que
celles-ci ne concerneraient aucunement les faits illicites découlant de violations des obligations
substantielles relatives à la pollution du fleuve, mais seulement les cas de «liability», c’est-à-dire de
responsabilité «objective» pour dommage. Sans doute, le conseil de l’Argentine, M. Müller, s’est
laissé séduire par un mot, un seul mot, figurant da ns la traduction anglaise non officielle du texte
du statut, où l’on peut lire à l’article42 le term e «liable»: «Each party shall be liable to the
other…» Malheureusement pour lui, le texte authen tique de l’article42 parle de «responsabilité»
des Parties: «cada Parte serà responsable, frente a la otra, por los daños inferidos …» («Chaque
Partie est responsable envers l’autre des dommages…»). Et qu’une telle responsabilité couvre les
dommages causés à une Partie par les faits illicites de l’autre est mis par ailleurs explicitement au
93
MA, p. 361 et suiv., par. 8.28 et suiv.
94CR 2009/15, p. 41, par. 15 (Müller). - 54 -
clair à l’article43, où l’on trouve justement la référence aux préjudices causés par «toda
infracción» («toute infraction»). Tout type d’in fraction, donc, et tout genre de responsabilité, y
o
compris la responsabilité internationale d’Etat à Etat pour fait illicite. [Fin de la projection n 1.]
23. Le fait qu’à mots ouverts le statut accorde à la compensation le rôle de remède ordinaire
en cas de pollution du fleuve a de toute évidence d’importantes implications.
24. La première relève de l’évidence même : l’article 43 met au clair de façon incontestable
que l’Argentine a tort quand elle prétend que l’in demnisation serait à considérer comme un mode
de réparation per se inadéquat, dans la logique du statut, pour répondre aux éventuelles violations
d’obligations substantielles qui sont prescrites par celui-ci, puisqu’au contraire, ainsi qu’on vient de
le voir, le statut accorde à l’indemnisation le rôle de remède ordinaire à utiliser pour faire face aux
violations des obligations relatives à la pollution du fleuve.
25. Enfin, voilà la deuxième implication : la présence même dans le statut d’une disposition
accordant explicitement à l’indemnisation le rôle de mode ordinaire de réparation suggère qu’en
général l’indemnisation est à considérer comme ayant priorité sur la restitution. Suivant la logique
du statut, la restitution ne saurait être prescr ite que lorsque l’indemnisation se révélerait
manifestement incapable de restaurer le respect des obligations conventionnelles et d’effacer les
effets de leurs violations.
26. Ces considérations mettent encore dava ntage en évidence le caractère véritablement
outrancier de la demande de restitution présentée par l’Argentine. Le démantèlement de l’usine de
pâte à papier pourrait être vu comme un remède appr oprié pour réparer les violations d’obligations
substantielles qui seraient prétendument applicables à l’Uruguay dans un seul cas de figure : si par
impossible la Cour devait se convaincre qu’aucun au tre mode de réparation ne serait en mesure
d’éliminer les préjudices causés ou risquant d’être infligés à l’écosystème fluvial, ainsi qu’en
mesure d’éviter que de tels préjudices ne continue nt de se produire à l’avenir. Or l’Argentine n’a
pas démontré (comment l’aurait-elle pu?) que les dommages ou les risques de dommages
imputables à l’Uruguay ⎯pour autant qu’ils subsistent ⎯ auraient une gravité telle que la seule
solution envisageable pour y porter remède serait l’ élimination de l’usine Botnia. Le demandeur
est convaincu qu’en aucun cas une demande tellement exorbitante ne saurait être prise au sérieux
par la Cour. - 55 -
27. Ayant sans doute pris conscience du caractèr e irrémédiablement disproportionné de sa
demande visant à obtenir le démantèlement de l’usine, l’Argentine a confié au professeur Pellet la
charge de bâtir une thèse toute neuve, qu’il a présentée avec beaucoup d’éloquence lors des
plaidoiries de la semaine dernière. L’idée qu’il a lancée est que le caractère proportionné ou non de
la restitution devrait être mesuré non pas en fonction de la situation d’aujourd’hui, mais de celle qui
prévalait au moment du dépôt de la requête, lorsqu e l’usine n’était pas encore réalisée ; cependant
le professeur Pellet envisage également la possib ilité, au choix, d’identifier comme «date critique»
celle de votre ordonnance du 13 juillet2006, par laquelle votre Cour a rappelé que l’Uruguay
«assume nécessairement l’ensemble des risques liés à toute décision au fond que la Cour pourrait
rendre à un stade ultérieur…» 9. Tout serait en somme «congelé» à l’une ou à l’autre de ces dates,
alors que ce qui a eu lieu par la suite, à savoir l’ach èvement de l’ouvrage, sa mise en fonction, etc.,
n’entreraient pas en ligne de compte.
28. Monsieur le président, Messieurs les juges, cette thèse inédite ne saurait emporter la
conviction de la Cour. Il faut d’abord signaler, que l’Uruguay a d écidé de permettre l’installation
de l’usine et sa mise en service, non pas dans le but de placer l’Argentine et la Cour devant un fait
accompli, mais parce qu’il était et reste convaincu que, une fois épuisée sans succès la période de
temps réservée aux consultations d’après l’artic le12 du statut, celui-ci lui donnait le droit de
procéder ainsi. Certes, la Cour aurait pu, au titre des mesures provisoires demandées par
l’Argentine, imposer il y a trois ans l’arrêt de la construction de l’usine ; cependant, la Cour ne l’a
pas fait, considérant qu’aucun risque de préjudice irréparable ne subsistait pour l’Argentine et pour
le fleuve Uruguay. La question tout entière a donc été remise à la décision finale de fond.
29. C’est donc au moment de cette décision fi nale que se poserait la question de comparer la
lourdeur de la charge qui découlerait de la res titution par rapport à l’indemnisation, si jamais la
Cour devait décider, par impossible, que l’Urugua y s’est rendu responsable de violations graves de
ses obligations. Or, une telle pondération ne saurait être effectuée en remontant le temps. En effet,
il faut indiscutablement se tourner vers le passé, ainsi que le rappelle l’artic le 35 des articles sur la
responsabilité de l’Etat, mais ceci dans le seul but de déterminer quelle éta it la situation existant
95
CR 2009/15, p. 49, par. 13 (Pellet). - 56 -
avant que le fait illicite ne soit commis, qu’il s’agirait de rétablir moyennant la restitution.
Cependant, le coût d’un tel rétablissement, afin de vérifier s’il est ou non hors de proportion par
rapport à l’avantage qui dériverait de l’indemni sation, ne saurait être calculé qu’au présent,
c’est-à-dire au moment où votre Cour aurait à choisir lequel des deux remèdes est le plus approprié
par rapport au cas d’espèce.
V. LA QUESTION DE L ’INDEMNISATION «ANCILLAIRE »
30. J’en viens maintenant à la troisième dema nde de l’Argentine. Dans son mémoire, le
demandeur fait valoir qu’il aurait le droit d’obtenir de la Cour l’application à son avantage d’un
remède réparateur supplémentaire, que j’aimerais qualifier d’ancillair e à la restitution. D’après le
demandeur, en effet, votre Cour devrait imposer à l’Uruguay d’indemniser les dommages causés à
l’Argentine dans la mesure où le démantèlement de l’usine ne serait pas suffisant pour effacer
96
toutes les conséquences des faits illicites prétendument perpétrés par le défendeur . L’Argentine a
même dressé une liste des dommages pour lesque ls l’indemnisation serait due: cette liste
comprend les pertes financières souffertes par le tourisme, les dommages résultant du déclin des
valeurs immobilières, les pertes et surcoûts dans le secteur de l’agriculture, de l’apiculture, de la
97
pêche, etc.
31. Il va de soi qu’il s’agit là de propos sans fondement juridique sérieux. L’Argentine sait
bien, en effet, qu’elle ne saurait prétendre à de telles indemnisations que dans la mesure où elle
prouverait l’existence d’un lien causal suffisamment direct entre des faits illicites imputables à
l’Uruguay et les dommages qu’elle évoque. C’est en effet à l’Argentine qu’incombe
indiscutablement le fardeau de prouver, d’une part, que le tourisme, les valeurs immobilières,
l’agriculture et la pêche ont effectivement subi des pertes depuis que l’usine de pâte à papier a été
construite et mise en service et, d’autre part, que ces pertes ont été engendrées directement par des
violations par l’Uruguay de ses obligations conventionnelles de ne pas causer de préjudice sensible
à la qualité des eaux du fleuve Uruguay. Or, l’Arge ntine n’a offert même pas un vague début de
preuve quant aux faits qu’elle allègue et quant à l’existence d’un lie n de causalité suffisant. On ne
96
MA, p. 361-362, par. 8.28-8.31. Voir aussi CR 2009/15, p. 53, par. 21 (Pellet).
97MA, p. 361-362, par. 8.28-8.31. - 57 -
voit pas, dans ces conditions, comment sa demande d’indemnisation pourrait être prise en
considération par la Cour.
VI. L ES GARANTIES ET ASSURANCES DE NON REPETITION DEMANDEES PAR L ’A RGENTINE
32. Tant dans son mémoire que dans sa répli que, l’Argentine a demandé à la Cour de dire
que l’Uruguay doit lui donner «des garanties adéqua tes qu’[il] s’abstiendra à l’avenir d’empêcher
l’application du statut du fleuve Uruguay de 1975 et, en particulier, du mé canisme de consultation
institué par le chapitreII de ce traité» 98. Dans le mémoire, il est spécifié que les garanties et
assurances demandées devraient comporter, première ment, une déclaration formelle faite par une
autorité compétente de l’Uruguay et exprimant l’engagement à respecter à l’avenir les dispositions
de l’article 7 et suivants du statut, déclaration dont la Cour devrait prendre note dans le dispositif de
son arrêt ; deuxièmement, l’Uruguay devrait s’engager à créer, en concertation avec l’Argentine, un
fonds de soutien à la préservation et à l’améliora tion de l’environnement du fleuve, qui serait géré
99
conjointement .
33. Monsieur le président, l’Uruguay rec onnaît que dans certains cas des assurances de
non-répétition peuvent aider à restaurer la confianc e dans les relations entre deux Etats, troublées
par un différend les ayant opposés. Toutefois, ainsi que l’a noté la Commission du droit
international,
«les assurances et garanties de non-répétiti on ne sont pas toujours appropriées même
si elles sont exigées. Beaucoup dépendra de s circonstances de l’espèce, y compris de
la nature de l’obligation et de la violation. Le caractère plus ou moins exceptionnel de
ces mesures est indiqué par les mots «si les circonstances l’exigent» à la fin de
l’alinéa b).» 100
La Commission se réfère par ces mots à l’article30 b) des articles sur la responsabilité de l’Etat,
qui prévoit que «L’Etat responsable du fait internationalement illicite a l’obligation : … b) D’offrir
101
des assurances et des garanties de non-répétition appropriées si les circonstances l’exigent.»
98
MA, p. 361, par. 9.1 ; RA, p. 509, par. 6.2. Voir aussi CR 2009/15, p. 54, par. 24 (Pellet).
99
MA, p. 365, par. 8.39.
100Voir rapport de la Commission du droit international, cinquante-troisième session, doc. A/56/10, p. 239-240.
101Article30 b) des articles de la CDI sur la responsabilité de l’Etat (résolution56/83 de l’Assemblée générale,
12 décembre 2001, annexe). - 58 -
Quant à la Cour de céans, votre jurisprudence récente apporte d’intéressantes précisions sur ce
thème. Ainsi dans votre dernier arrêt on peut lire ceci :
«si la Cour peut, comme il lui est arrivé de le faire, ordonner à un Etat responsable
d’un comportement internationalement illicite d’offrir à l’Etat lésé des assurances et
des garanties de non-répétition, c’est seulement si les circonstances le justifient, ce
qu’il lui appartient d’apprécier».
Et votre Cour d’ajouter aussitôt : «(e)n règle géné rale, il n’y a pas lieu de supposer que l’Etat dont
un acte ou un comportement a été déclaré illicite par la Cour répétera à l’avenir cet acte ou ce
comportement, puisque sa bonne foi doit être présumée» ( Différend relatif à des droits de
navigation et des droits connexes (Costa Rica c. Nicaragua), arrêt du 13 juillet 2009, par. 150).
34. Dans le cas présent, justement, même si par impossible la Cour devait arriver à la
conclusion d’après laquelle l’Uruguay aurait commis des faits illicites en violation du statut, il
apparaît évident aux yeux du défendeur que les assurances demandées ne sauraient être considérées
ni pertinentes ni utiles.
35. Concernant en particulier la déclarati on formelle demandée par l’Argentine, il s’impose
de souligner que l’Uruguay a déjà fait état d’innombrables fois de sa ferme intention de continuer à
respecter ses obligations tant procédurales que substantielles découlant du statut, et a assuré qu’il se
conformera scrupuleusement à l’arrêt de la Cour. L’Uruguay aurait d’ ailleurs beaucoup souhaité
entendre l’agent de l’Argentine exprimer la même ferme intention au début des plaidoiries, mais ne
doute pas que ce sera le cas lors de la clôture de celles-ci. Bien sûr, il y a actuellement un différend
en cours, portant notamment sur l’interprétati on qu’il faut donner des diverses dispositions du
statut. La Cour va bientôt trancher: les Par ties auront alors devant elles un jugement final
établissant avec force obligatoire quelle est la bonne interprétation à d onner des dispositions
qu’elles entendaient jusqu’ici de manière différente. Un tel jugement enlèvera tout doute quant aux
droits et obligations respectifs des Parties : tant l’Uruguay que ⎯ cela va sans dire ⎯ l’Argentine
sauront alors très exactement à quoi s’en tenir. Même si la Cour devait par impossible parvenir à
une décision défavorable à l’Uruguay, celui-ci s’y conformerait intégralement, comme il en a
l’obligation et comme il l’a de surcroît assuré so lennellement à maintes reprises, notamment au
moyen de déclarations officielles émises par son agent dans ce prétoire. Rien ne saurait justifier les - 59 -
doutes bien désobligeants exprimés par l’Argentin e quant au «sérieux de l’engagement ainsi
102
exprimé» .
36. L’Uruguay est convaincu que la Cour voudra repousser la requête d’assurances de
l’Argentine en la qualifiant de totalement infondée, outre qu’inutile, inopportune et injuste (pour ne
pas dire plus); et cela non seulement parce que (pour reprendre votre dictum récent que je citais il y
a un instant) la bonne foi de l’Uruguay «doit être présumée», à l’instar d’ailleurs de celle de tout
Etat souverain; mais surtout parce que, tout au long de ce procès même, la Cour a pu prendre
connaissance de preuves incontournables témoignant de cette bonne foi, ainsi que du sérieux
universellement reconnu à l’engage ment du l’Uruguay pour la prot ection de l’environnement.
Cette bonne foi est démontrée au-delà de tout dout e par le fait notoire que l’Uruguay a conduit et
continue de conduire des contrôles fréquents et scrupuleux portant sur la qualité de l’eau du fleuve,
de façon à assurer un plein respect tant de son droit interne en la matière que de toutes les
prescriptions de la CARU. Que cela soit rappelé encore une fois, ces contrôles sont menés
actuellement sans la coopération de la CARU, que l’Argentine persiste à empêcher d’agir. En
somme, votre Cour prendrait assurément en grande considération l’indiscu table engagement que
l’Uruguay professe ⎯par les mots et par l’action ⎯ quant à la prévention de tout préjudice à
l’écosystème fluvial, et considérerait un tel engagement comme une garantie plus que suffisante. Il
va de soi que, dans ces conditions, les formes d’assurances demandées par l’Argentine apparaissent
clairement inappropriées et superflues.
37. Monsieur le président, Messieurs les juges, j’en suis à la fin de ma plaidoirie. Une
plaidoirie, vous l’avez bien compris, purement théorique ⎯ académique ⎯, l’Uruguay étant
convaincu avoir apporté toutes les preuves nécessaires pour que vous puissiez établir qu’il n’a violé
ni ses obligations substantielles ni ses obligations procédurales prescrites par le statut de1975, et
qu’au contraire il a agi et continuera d’agir de façon exemplairement respectueuse tant de celui-ci
que de tous les principes pertinents du droit inte rnational. Je vous remercie beaucoup de votre
patience et de votre attention et je vous prie, Monsieur le président, de bien vouloir considérer clos
le premier tour de plaidoiries en la présente affaire.
102
MA, p. 365, par. 8.38. - 60 -
Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de président: Je vous remercie, Monsieur le
professeur.
Voilà qui met fin à l’audience d’aujourd’hui. Je tiens à remercier chacune des Parties pour
les exposés présentés au cours du premier tour de plaidoiries. La Cour se réunira de nouveau le
lundi28septembre, de 15heures à 18heures, et le mardi29septembre, de 10heures à 13heures,
pour entendre la République argentine en second tour de plaidoiries. A la fin de l’audience de
mardi, l’Argentine présentera ses conclusions finales.
Pour sa part, la République orientale de l’Uruguay présentera sa réplique orale le
jeudi 1eroctobre, de 15 heures à 18 heures, et le vendredi 2 octobre, de 10 heures à 13 heures. A la
fin de l’audience de vendredi, l’Uruguay présentera à son tour ses conclusions finales.
Chacune des Parties disposera donc de deux séances complètes de trois heures pour
l’intégralité de sa réplique orale. Je souli gnerai néanmoins que, conformément au paragraphe
premier de l’article 60 du Règlement de la Cour, les exposés oraux devront être aussi succincts que
possible. J’ajouterai que le second tour de pl aidoiries a pour objet de permettre à chacune des
Parties de répondre aux arguments avancés oralement par la Partie adverse ainsi qu’aux questions
qui n’ont pas fait l’objet d’une réplique. Le second tour ne doit donc pas constituer une répétition
des arguments déjà formulés, et je vous saurais gré de votre collaboration à cet effet. Il va donc
sans dire que les Parties ne sont pas tenues d’utili ser l’intégralité du temps de parole qui leur est
alloué. Je vous remercie et je me réjouis de vous revoir ce soir dans un contexte moins formel de
l’autre côté du Palais de la Paix.
L’audience est levée.
L’audience est levée à 12 h 50.
___________
Audience publique tenue le jeudi 24 septembre 2009, à 10 heures, au Palais de la Paix, sous la présidence de M. Tomka, vice-président, faisant fonction de président en l'affaire relative à des Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay)