Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay)
VUE D'ENSEMBLE DE L'AFFAIRE
Le 4 mai 2006, l’Argentine a déposé une requête introductive d’instance contre l’Uruguay au sujet de prétendues violations par l’Uruguay des obligations découlant pour celui-ci du statut du fleuve Uruguay, traité signé entre les deux Etats le 26 février 1975 (ci‑après « le Statut de 1975 ») aux fins d’établir les mécanismes communs nécessaires à l’utilisation rationnelle et optimale de la partie du fleuve qui constitue leur frontière commune. Dans sa requête, l’Argentine reprochait à l’Uruguay d’avoir autorisé de manière unilatérale la construction de deux usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay, sans respecter la procédure obligatoire d’information et de consultation préalables prévue par le statut de 1975. Elle soutenait que ces usines constituaient une menace pour le fleuve et son environnement, qu’elles risquaient d’altérer la qualité des eaux du fleuve et de causer un préjudice transfrontalier sensible à l’Argentine. Pour fonder la compétence de la Cour, l’Argentine invoquait le paragraphe 1 de l’article 60 du statut de 1975, qui stipule que tout différend concernant l’interprétation ou l’application du statut qui ne pourrait être réglé par négociation directe peut être soumis par l’une ou l’autre des parties à la Cour.
La requête de l’Argentine était accompagnée d’une demande en indication de mesures conservatoires tendant à ce que l’Uruguay suspende les autorisations pour la construction des usines et les travaux de construction de celles‑ci dans l’attente d’une décision finale de la Cour ; coopère avec l’Argentine afin de protéger et préserver le milieu aquatique du fleuve Uruguay ; s’abstienne de prendre toute autre mesure unilatérale relative à la construction des deux usines qui soit incompatible avec le statut de 1975 ; et s’abstienne également de toute autre mesure susceptible d’aggraver le différend ou d’en rendre le règlement plus difficile. Des audiences publiques ont eu lieu les 8 et 9 juin 2006 sur cette demande en indication de mesures conservatoires. Par ordonnance du 13 juillet 2006, la Cour a dit que les circonstances, telles qu’elles se présentaient alors à elle, n’étaient pas de nature à exiger l’exercice de son pouvoir d’indiquer, en vertu de l’article 41 du Statut, des mesures conservatoires.
Le 29 novembre 2006, l’Uruguay a présenté à son tour une demande en indication de mesures conservatoires au motif que, depuis le 20 novembre 2006, des groupes organisés de citoyens argentins avaient mis en place des barrages sur « un pont international d’importance vitale » sur le fleuve Uruguay, que cette action lui faisait subir des dommages économiques considérables et que l’Argentine n’avait pris aucune mesure pour faire cesser le blocage. Au terme de sa demande, l’Uruguay priait la Cour d’ordonner à l’Argentine de prendre « toutes les mesures raisonnables et appropriées … pour prévenir ou faire cesser l’interruption de la circulation entre l’Uruguay et l’Argentine, notamment le blocage de ponts et de routes entre les deux Etats » ; de s’abstenir « de toute mesure susceptible d’aggraver ou d’étendre le présent différend ou d’en rendre le règlement plus difficile » et de s’abstenir « de toute autre mesure susceptible de porter atteinte aux droits de l’Uruguay qui sont en cause devant la Cour ». Des audiences publiques ont eu lieu les 18 et 19 décembre 2006 sur cette demande en indication de mesures conservatoires. Par ordonnance du 23 janvier 2007, la Cour a dit que les circonstances, telles qu’elles se présentaient alors à elle, n’étaient pas de nature à exiger l’exercice de son pouvoir d’indiquer, en vertu de l’article 41 du Statut, des mesures conservatoires.
Après avoir tenu des audiences publiques du 14 septembre 2009 au 2 octobre 2009, la Cour a rendu son arrêt le 20 avril 2010. S’agissant de l’argument de l’Argentine selon lequel des projets auraient été autorisés par l’Uruguay en violation du mécanisme de notification et de consultation préalables établi par les articles 7 à 13 dudit statut (les violations de nature procédurale), la Cour a relevé que l’Uruguay n’avait pas informé la commission administrative du fleuve Uruguay de ces projets, contrairement à ce que prescrit le statut. La commission administrative du fleuve Uruguay — communément appelée « CARU » selon son acronyme espagnol — est un organe établi en vertu du statut aux fins de surveiller les eaux du fleuve, et notamment d’évaluer l’impact des projets proposés. La Cour a conclu que, en n’informant pas la CARU des travaux projetés avant la délivrance de l’autorisation environnementale préalable pour chacune des usines et pour le terminal portuaire adjacent à l’usine Orion (Botnia), et en ne notifiant pas les projets à l’Argentine par l’intermédiaire de la CARU, l’Uruguay avait violé le statut de 1975.
S’agissant de l’argument de l’Argentine selon lequel les activités industrielles autorisées par l’Uruguay avaient, ou auraient, un effet négatif sur la qualité des eaux du fleuve et de sa zone d’influence, et qu’elles avaient causé un préjudice sensible à la qualité de ces eaux, ainsi qu’un préjudice transfrontalier sensible à l’Argentine (les violations de fond), la Cour, après un examen détaillé des arguments des Parties, a jugé que
« les éléments de preuve versés au dossier ne permettent pas d’établir de manière concluante que l’Uruguay n’a pas agi avec la diligence requise ou que les rejets d’effluents de l’usine Orion (Botnia) a eu des effets délétères ou ont porté atteinte aux ressources biologiques, à la qualité des eaux ou à l’équilibre écologique du fleuve depuis le démarrage des activités de l’usine en novembre 2007 ».
La Cour a par conséquent conclu que l’Uruguay n’avait pas violé les obligations de fond découlant du statut. Après avoir énoncé cette conclusion, cependant, la Cour a insisté sur le fait que, en vertu du statut de 1975, « les Parties sont juridiquement tenues de poursuivre leur coopération par l’intermédiaire de la CARU et de permettre à cette dernière de développer les moyens nécessaires à la promotion de l’utilisation équitable du fleuve, tout en protégeant le milieu aquatique ».
Cette vue d’ensemble de l’affaire est donnée uniquement à titre d’information et n’engage en aucune façon la Cour.