C5/CR 2005/4
Cour internationale International Court
de Justice of Justice
LAAYE THAEGUE
ANNÉE 2005
Audience publique
tenue le mardi 8 mars 2005, à 15 heures, au Palais de la Paix,
sous la présidence de M. Ranjeva, président de la Chambre,
en l’affaire du Différend frontalier
(Bénin/Niger)
________________
COMPTE RENDU
________________
YEAR 2005
Public sitting
held on Tuesday 8 March 2005, at 3 p.m., at the Peace Palace,
Judge Ranjeva, President of the Chamber, presiding,
in the case concerning the Frontier Dispute
(Benin/Niger)
____________________
VERBATIM RECORD
____________________ - 2 -
Présents : M. Ranjeva, président de la Chambre
KooMiMa.ns
Ajbresam,
BedMjou.i,
Bjngnosuna, ad hoc
Cgoefferr,
⎯⎯⎯⎯⎯⎯ - 3 -
Present: Judge Ranjeva, President of the Chamber
Judges Kooijmans
Abraham
Judges ad hoc Bedjaoui
Bennouna
Registrar Couvreur
⎯⎯⎯⎯⎯⎯ - 4 -
Le Gouvernement de la République du Bénin est représenté par :
M. Rogatien Biaou, ministre des affaires étrangères et de l’intégration africaine,
comme agent;
M. Dorothé C. Sossa, ministre de la justice, de la législation et des droits de l’homme,
comme coagent;
M. Euloge Hinvi, ambassadeur de la République du Bénin auprès des pays du Benelux,
comme agent adjoint;
M.Robert Dossou, ancien bâtonnier, doyen honor aire de la faculté de droit de l’Université
d’Abomey-Calavi,
M. Alain Pellet, professeur de droit à l’Université de Paris X-Nanterre, membre et ancien président
de la Commission du droit international,
M. Jean-Marc Thouvenin, professeur de droit à l’Université de Paris X-Nanterre, avocat au barreau
de Paris, associé au sein du cabinet Lysias,
M.Mathias Forteau, professeur de droit à l’Univers ité Lille2 et à l’Institut d’études politiques de
Lille,
comme conseils et avocats;
M. Francis Lokossa, directeur des affaires juridi ques et des droits de l’homme du ministère des
affaires étrangères et de l’intégration africaine,
comme conseiller spécial;
M. François Noudegbessi, secrétaire permanent de la commission nationale de délimitation des
frontières,
M. Jean-Baptiste Monkotan, conseiller juridique du président de la République du Bénin,
M. Honoré D. Koukoui, secrétaire général du ministère de la justice, de la législation et des droits
de l’homme,
M. Jacques Migan, avocat au barreau de Coto nou, conseiller juridique du président de la
République du Bénin,
Mme Héloïse Bajer-Pellet, avocat au barreau de Paris, cabinet Lysias,
M. Luke Vidal, juriste, cabinet Lysias,
M. Daniel Müller, attaché temporaire d’enseignement et de recherches à l’Université de
Paris X-Nanterre, - 5 -
The Government of the Republic of Benin is represented by:
Mr. Rogatien Biaou, Minister for Foreign Affairs and African Integration,
as Agent;
Mr. Dorothé C. Sossa, Minister of Justice, Legislation and Human Rights,
as Co-Agent;
Mr. Euloge Hinvi, Ambassador of the Republic of Benin to the Benelux countries,
as Deputy Agent;
Mr.Robert Dossou, former Bâtonnier , Honorary Dean of the Law Faculty, University of
Abomey-Calavi,
Mr. Alain Pellet, Professor of Law, University of Paris X-Nanterre, member and former Chairman
of the International Law Commission,
Mr.Jean-Marc Thouvenin, Professor of Law, University of ParisX-Nanterre, Avocat at the Paris
Bar, member of the Lysias law firm,
Mr.Mathias Forteau, Professor of Law at the University of Lille2 and at the Lille Institute of
Political Studies,
as Counsel and Advocates;
Mr. Francis Lokossa, Director of Legal Affairs and Human Rights, Ministry of Foreign Affairs and
African Integration,
as Special Adviser;
Mr. François Noudegbessi, Permanent Secretary, National Boundaries Commission,
Mr. Jean-Baptiste Monkotan, Legal Adviser to the President of the Republic of Benin,
Mr. Honoré D. Koukoui, Secretary General, Ministry of Justice, Legislation and Human Rights,
Mr. Jacques Migan, Avocat at the Cotonou Bar, Legal Adviser to the President of the Republic of
Benin,
Ms Héloïse Bajer-Pellet, Avocat at the Paris Bar, Lysias law firm,
Mr. Luke Vidal, Lawyer, Lysias law firm,
Mr. Daniel Müller, temporary Teaching and Research Assistant, University of Paris X-Nanterre, - 6 -
Mme Christine Terriat, chercheuse à l’Université Paris XI-Paris Sud,
M. Maxime Jean-Claude Hounyovi, économiste,
M. Edouard Roko, premier secrétaire de l’ambassade du Bénin auprès des pays du Benelux,
comme conseillers;
M. Pascal Lokovi, expert cartographe,
M. Clément C. Vodouhe, expert historien,
comme conseils et experts;
Mme Collette Tossouko, secrétaire à l’ambassade du Bénin auprès des pays du Benelux,
comme secrétaire.
Le Gouvernement de la République du Niger est représenté par :
Mme Aïchatou Mindaoudou, ministre des affaires ét rangères, de la coopération et de l’intégration
africaine,
comme agent;
M. Maty El Hadji Moussa, ministre de la justice, garde des sceaux,
comme coagent;
M. Souley Hassane, ministre de la défense nationale;
M. Mounkaïla Mody, ministre de l’intérieur et de la décentralisation;
M. Boukar Ary Maï Tanimoune, directeur des affaires juridiques et du contentieux au ministère des
affaires étrangères, de la coopération et de l’intégration africaine,
comme agent adjoint, conseiller juridique et coordonnateur;
M. Jean Salmon, professeur émérite de l’Université libre de Bruxelles,
comme conseil principal;
M. Maurice Kamto, professeur à l’Université de Yaoundé II,
M. Gérard Niyungeko, professeur à l’Université du Burundi, - 7 -
Ms Christine Terriat, Researcher, University of Paris XI-Paris Sud,
Mr. Maxime Jean-Claude Hounyovi, Economist,
Mr. Edouard Roko, First Secretary, Embassy of Benin to the Benelux countries,
as Advisers;
Mr. Pascal Lokovi, Cartographer,
Mr. Clément C. Vodouhe, Historian,
as Counsel and Experts;
Ms Collette Tossouko, Secretarial Assistant, Embassy of Benin to the Benelux countries,
as Secretary.
The Government of the Republic of Niger is represented by :
Ms Aïchatou Mindaoudou, Minister for Foreign Affairs, Co-operation and African Integration,
as Agent;
Mr. Maty El Hadji Moussa, Minister of Justice, Keeper of the Seals,
as Co-Agent;
Mr. Souley Hassane, Minister of National Defence,
Mr. Mounkaïla Mody, Minister of the Interior and Decentralization,
Mr. Boukar Ary Maï Tanimoune, Director of Legal Affairs and Litigation, Ministry of Foreign
Affairs, Co-operation and African Integration,
as Deputy Agent, Legal Adviser and Co-ordinator;
Mr. Jean Salmon, Professor Emeritus, Université libre de Bruxelles,
as Lead Counsel;
Mr. Maurice Kamto, Professor, University of Yaoundé II,
Mr. Gérard Niyungeko, Professor, University of Burundi, - 8 -
M. Amadou Tankoano, professeur à l’Université Abdou Moumouni de Niamey,
M. Pierre Klein, professeur à l’Université libre de Bruxelles,
comme conseils;
M. Sadé Elhadji Mahamane, conservateur en chef des bibliothèques et archives, membre de la
commission nationale des frontières,
M. Amadou Maouli Laminou, magistrat, chef de section au ministère de la justice,
M. Abdou Abarry, ambassadeur du Niger auprès du Royaume des Pays-Bas,
M. Abdelkader Dodo, hydrogéologue, maître assist ant à la faculté des sciences de l’Université
Abdou Moumouni de Niamey,
M. Belko Garba, ingénieur géomètre principal, membre de la commission nationale des frontières,
M. M. Hamadou Mounkaïla, ingénieur géomètre principal, chef de service au secrétariat permanent
de la commission nationale des frontières,
M. Idrissa Y Maïga, conservateur en chef des bi bliothèques et archives, directeur des archives
nationales, membre de la commission nationale des frontières,
M. Mahaman Laminou, directeur général de l’Institut géographique national du Niger, membre de
la commission nationale des frontières,
M. Mahamane Koraou, secrétaire permanent de la commission nationale des frontières,
M. Soumaye Poutia, magistrat, conseiller technique au cabinet du premier ministre,
Colonel Yayé Garba, secrétaire général du ministère de la défense nationale,
M. Moutari Laouali, gouverneur de la région de Dosso,
comme experts;
M. Emmanuel Klimis, assistant de recherche au centre de droit international de l’Université libre de
Bruxelles,
M. Boureima Diambeïdou, ingénieur géomètre principal,
M. Bachir Hamissou, assistant administratif,
M. Ouba Adamou, ingénieur géomètre principal, Institut géographique national du Niger,
comme assistants de recherche;
M. Salissou Mahamane, agent comptable,
M. Adboulsalam Nouri, secrétaire principal, - 9 -
Mr. Amadou Tankoano, Professor, Abdou Moumouni University, Niamey,
Mr. Pierre Klein, Professor, Université libre de Bruxelles,
as Counsel;
Mr.SadéElhadjiMahamane, Chief Curator of Li braries and Archives, member of the National
Boundaries Commission,
Mr. Amadou Maouli Laminou, magistrat, Head of Section at the Ministry of Justice,
Mr. Abdou Abarry, Ambassador of the Republic of Niger to the Kingdom of the Netherlands,
Mr. Abdelkader Dodo, Hydrogeologist, Lecturer at the Faculty of Sciences, Abdou Moumouni
University, Niamey,
Mr. Belko Garba, Chief Surveyor, member of the National Boundaries Commission,
Mr. M. Hamadou Mounkaïla, Chief Surveyor, Head of Department, Permanent Secretariat of the
National Boundaries Commission,
Mr.IdrissaYMaïga, Chief Curator of Libraries and Archives, Director of National Archives,
member of the National Boundaries Commission,
Mr. Mahaman Laminou, Director-General of the National Geographical Institute of Niger, member
of the National Boundaries Commission,
Mr. Mahamane Koraou, Permanent Secretary to the National Boundaries Commission,
Mr. Soumaye Poutia, magistrat, Technical Adviser to the Prime Minister,
Colonel Yayé Garba, Secretary General of the Ministry for National Defence,
Mr. Moutari Laouali, Governor of the Dosso Region,
as Experts;
Mr. Emmanuel Klimis, Research Assistant at the Centre for International Law, Université libre de
Bruxelles,
Mr. Boureima Diambeïdou, Chief Surveyor,
Mr. Bachir Hamissou, Administrative Assistant,
Mr. Ouba Adamou, Chief Surveyor, National Geographic Institute of Niger,
as Research Assistants;
Mr. Salissou Mahamane, Accountant,
Mr. Adboulsalam Nouri, Principal Secretary, - 10 -
Mme Haoua Ibrahim, secrétaire,
M. Amadou Gagéré, agent administratif,
M. Amadou Tahirou, agent administratif,
M. Mamane Chamsou Maïgari, journaliste, directeur de la Voix du Sahel,
M. Goussama Saley Madougou, cameraman à la télévision nationale,
M. Ali Mousa, journaliste à l’agence nigérienne de presse,
M. Issoufou Guéro, journaliste,
comme personnel administratif et technique. - 11 -
Ms Haoua Ibrahim, Secretary,
Mr. Amadou Gagéré, Administrative Officer,
Mr. Amadou Tahirou, Administrative Officer,
Mr. Mamane Chamsou Maïgari, journalist, Director of Voix du Sahel,
Mr. Goussama Saley Madougou, cameraman for national television,
Mr. Ali Mousa, journalist with the Niger Press Agency,
Mr. Issoufou Guéro, journalist,
as Administrative and Technical Staff. - 12 -
Le PRESIDENT de la CHAMBRE: Veuillez vous asseoir. L’audience est reprise, et
j’appelle à la barre le recteur Niyungeko. Monsieur le recteur, vous avez la parole.
M. NIYUNGEKO :
L E CONTENU DE LA LETTRE DU 27 AOÛT 1954 S’AVÈRE FANTAISISTE
1. Monsieur le président, Messieurs les Me mbres de la Cour, la République du Niger a
montré en fin de matinée par la voix du prof esseur Pierre Klein que la lettre du gouverneur par
intérim de la colonie du Niger en date du 27 août1954 était dépourvue de toute validité dans
l’ordre juridique colonial et que, par suite, elle ne pouvait pas faire partie du legs colonial. C’est
donc en vain que la République du Bénin cherche à en faire le titre juridique fondant sa
revendication d’une limite sur la rive gauche du fleuve Niger.
2. La République du Niger voudrait montrer ma intenant, pour le surplus, qu’un examen
attentif du contenu même de cette lettre révèle son caractère fantai siste, qui en rend l’application
très problématique. D’une part, en effet, la notion de «ligne des plus hautes eaux côté rive gauche»
à laquelle elle renvoie est à la fois imprécise et déraisonnable et n’est confortée par aucun élément
de la pratique coloniale (A). D’autre part, une limite entre les deux colonies valant uniquement à
partir de Bandofay n’a pas de sens (B). En réalité, le caractère insensé du contenu de la lettre
de 1954 s’explique par la précipitation et la légèreté avec lesquelles elle a été signée (C).
I. Une limite suivant «la ligne des plus hautes eaux côté rive gauche» est une ligne
imprécise et déraisonnable et elle manque de fondement dans la pratique
3. Dans le sens courant de l’expression, «la ligne des plus hautes eaux» signifie «le niveau le
plus élevé qu’atteignent les eaux du fleuve duran t les périodes de crue exceptionnelle, sur les
1
rives» . Cette définition, le Niger ne l’a pas inventée; elle se trouve sur le site Internet du ministère
français de l’environnement.
Dans son contre-mémoire, la République du Niger a clairement montré que la ligne des plus
hautes eaux est une ligne nettement distincte d’une limite à la rive, et en quoi, dans la présente
espèce, elle était à la fois imprécise et déraisonna ble. Elle est imprécise parce qu’il apparaît que
1
http ://www2.environnement.gouv.fr/dossiers/eau/pages/politique/bassin/bassin2.htm - 13 -
l’auteur de la lettre ne s’est fondé sur aucune donnée technique pour la déterminer, et que cette
lettre a décrit une ligne abstraite dont le concep teur n’avait manifestement aucune représentation
exacte 2. Elle est déraisonnable, parce qu’elle se trouve rait aujourd’hui à plus d’un kilomètre de la
rive du fleuve, en plein territoire terrestre du Niger, ce qui, pour une limite fluviale, est totalement
3
aberrant . Et c’est sans doute ce caractère déraisonnable qui a poussé la République du Bénin à
revendiquer une limite à la rive qui ne résulte cependant d’aucun texte, plutôt qu’une limite suivant
«la ligne des plus hautes eaux côté rive gauc he» que désigne expressément la lettre du
4
27 août 1954, et donc à assimiler les deux limites, malgré qu’elles soient totalement différentes .
4. Dans sa réplique, la République du Béni n considère que la ligne des plus hautes eaux
correspondrait à «la ligne que matéri alise la rencontre entre la rive et les eaux les plus hautes du
fleuve lors des périodes annuelles de hautes eaux» 5.
5. En réalité, la République du Bénin fait ici une nouvelle confusion entre deux notions
différentes : la notion de «ligne des plus hautes eaux» et la notion de «ligne des hautes eaux». Ce
que le Bénin définit comme étant la ligne des «plus hautes eaux» correspond en fait à la définition
de la ligne des «hautes eaux».
La ligne des «plus hautes eaux» renvoie, on vient de le voir, au «niveau le plus élevé
qu’atteignent les eaux du fleuve durant les périodes de crue exceptionnelle, sur les rives» 6.
La ligne des «hautes eaux», quant à elle, correspond, comme cela découle notamment du
décret du 29 septembre 1928 portant réglementati on du domaine public et des servitudes d’utilité
publique en Afrique occidentale française, au niveau de «la hauteur des eaux coulant à pleins bords
7
avant de déborder» .
2
Contre-mémoire du Niger, p. 89-91, par. 3.4-3.7.
3
Ibid., p. 91-93, par. 3.8-3.10.
4Mémoire du Bénin, par. 5.13 : «[l]a limite à la rive gauche est identifiée, en l’espèce, par la ligne des plus hautes
eaux». Voir aussi : ibid., par. 5.19 et 5.40-5.42.
5Réplique du Bénin, p. 161, par. 5.12. Voir également : p. 163, par. 5.17 et p. 164, par. 5.18.
6Supra, note 1.
7 o
Mémoire du Niger, annexes, série B, n 51, article premier. - 14 -
o
[Image projetée ⎯ dossier des juges, n 23]
Arrêtons-nous un instant, si vous le permettez, Monsieur le président, à l’image que vous
avez sous les yeux, pour voir ensemble ce que donne rait concrètement la matérialisation de ces
deux lignes. Nous sommes ici aux environs de Tara , localité située à une vingtaine de kilomètres
en amont de Gaya. Si la limite était placée à la ligne des hautes eaux telle que définie au sens du
décret du 29 septembre 1928, une bande de terre de la rive gauche, pouvant aller jusqu’à plusieurs
centaines de mètres de largeur, se retrouverait en terr itoire béninois. Si la limite était placée à la
ligne des plus hautes eaux conformément à la lettre du 27 août 1954, c’est une bande de terre de la
rive nigérienne allant jusqu’à un kilomètre de la rgeur qui passerait sous la souveraineté du Bénin.
Dans les deux cas, les populations nigériennes de la rive gauche n’auraient plus aucun droit d’accès
à l’eau du fleuve, et devraient chaque fois demander des autorisations aux autorités béninoises pour
y accéder. Voilà à quels types de situations condui rait la mise en Œuvre de la solution aujourd’hui
préconisée par le Bénin, et à fortiori de celle contenue dans la lettre du 27 août 1954.
Pour revenir à la distinction que nous étions en train de faire, la ligne des hautes eaux est
donc une limite à la rive du fleuve avant le débordement des eaux, alors que la ligne des plus hautes
eaux est une ligne qui, comme en l’espèce, se retrouve en plein territoire terrestre, loin des rives.
Contrairement à ce que prétend le Bénin 8, la ligne des plus hautes eaux correspond
exactement à ce qu’il appelle «ligne d’inondation», concept d’ailleurs inconnu en hydrologie, qu’il
invente de toutes pièces, sans doute pour tenter de marquer la prétendue différenciation avec la
9
ligne des plus hautes eaux . La ligne des plus hautes eaux ne correspond nullement à la ligne des
hautes eaux correctement définie.
6. Il en résulte que la lettre de 1954 vise clairement la ligne des plus hautes eaux et pas une
ligne des hautes eaux. Et la République du Bénin doit ⎯ répétons-le ⎯ pouvoir expliquer
pourquoi elle renonce à une limite que pourrait lui donner la lettre de 1954, et pourquoi elle
demande une limite différente.
7. Par ailleurs, comme la République du Niger l’a amplement expliqué dans son
contre-mémoire, «la ligne des plus hautes ea ux côté rive gauche» dont parle la lettre du
8
Réplique du Bénin, p. 160, par. 5.9 : «Le Niger confond d’abord ce qu’il est convenu d’appeler la ligne des plus
hautes eaux, et la ligne dite d’«inondation», qui correspond à la ligne formée par les eaux lors des crues exceptionnelles.»
9Voir l’illustration figurant dans le contre-mémoire du Niger, p. 89. - 15 -
27 août 1954 n’est confortée par aucun élément de la pratique coloniale 1. Cette ligne n’aurait eu
quelque fondement que si la colonie du Dahomey avait exercé une emprise quelconque sur la rive
gauche du fleuve et les espaces immédiatement attenants à cette rive, ce qui n’est évidemment pas
le cas en l’occurrence.
II. Une limite entre les colonies du Dahomey et du Niger valant
uniquement à partir de Bandofay n’a pas de sens
8. On a vu en effet que la lettre du 27 août 1954 faisait curieusement partir la limite entre les
colonies du Dahomey et du Niger à partir de la localité de Bandofay, alors que dans ce secteur,
cette limite part du confluent du fleuve Nige r avec la rivière Mékrou, comme le montre
l’illustration ci-après.
o
[Image projetée ⎯ dossier des juges, n 24]
C’est à la fois curieux et justifié. Mais c’ est très précis; sauf apparemment pour le Bénin.
Car en effet, sans explication valable, la Partie a dverse extrapole et étire en sens inverse la limite
ainsi déterminée, en l’étendant jusqu’à l’intersection du fleuve Niger avec la Mékrou, faisant ici
dire à la lettre de Raynier ce qu’elle ne dit ni ne suggère même, c’est-à-dire qu’elle fixerait la limite
entre les deux colonies, sur l’ensemble du bief front alier de ladite intersection, jusqu’à la frontière
11
du Nigéria .
9. On peut imaginer aisément l’embarras de la Partie adverse: car voici que la lettre du
27août1954, le sésame, l’arme juridique absolue crée en réalité plus de problèmes qu’elle n’en
résout. De ce fait, le Bénin s’est embrouillé da ns plusieurs explications successives, tout aussi
spéculatives les unes que les autres.
10. Revisitons brièvement, avec votre permission, Monsieur le président, les écritures de nos
contradicteurs sur ce point.
11. Dans son mémoire, le Bénin explique que «la précision «de Bandofay jusqu’à la frontière
du Nigéria» était destinée à rassurer le chef de la subdivision de Gaya sur les limites de sa
10
Mémoire du Niger, p. 94-100, par. 3.13-3.39.
11Contre-mémoire du Niger, p. 62 et suiv, par. 2.39 et suiv. - 16 -
juridiction» et que «[l]a localité de Bandofay a été visée par le gouverneur en raison de ce que
12
Bandofay semble être la plus importante localité à l’ouest dans la subdivision de Gaya» .
Mais, comme la République du Niger l’a déjà e xposé dans ses écritures, cette explication ne
tient pas, puisque, depuis 1932 ⎯et en tout cas en 1954 ⎯, Bandofay ne faisait plus partie de la
13
subdivision de Gaya, mais était rattaché à la subdivision de Dosso .
12. Dans son contre-mémoire, le Bénin change légèrement d’ explication et expose que «le
gouverneur du Niger a clairement visé Bandofay situé à la pointe ouest de l’île de Lété, afin de bien
fixer le chef de la subdivision de Gaya sur les limites de sa circonscription» 14et que «la question
qui préoccupait les administrateurs de Gaya et de Kandi concernait tout spécialement
15
l’appartenance de l’île de Lété» .
Il convient tout d’abord de répéter que Bandof ay ne se trouvait pas dans la subdivision de
Gaya; il est donc inexact, sur le plan administratif, de rattacher cette localité à l’île de Lété, comme
le fait le Bénin, en la situant «à la pointe ouest de l’île». Par ailleurs surtout, les îles dont il est
question dans la correspondance initiale du chef de subdivision de Gaya 16 étaient les îles en face de
Gaya, et nullement l’île de Lété. Bandofay était donc d’autant moins pertinent en l’occurrence.
13. Devant cette nouvelle impasse, le Bénin, dans sa réplique change complètement
d’explication en se fondant sur deux éléments nouveaux : l’ignorance dans laquelle auraient été les
administrateurs coloniaux en 1954 sur l’existence d’îles en amont de l’île de Sansangoungou située
17
en face de Bandofay d’une part , et l’ignorance qui en aurait découlé pour eux, de l’existence d’un
18
autre repère en amont de Bandofay et de cette île d’autre part .
14. L’argument tiré de la prétendue ignorance par les administrateurs coloniaux de
l’existence d’îles en amont de Bandofay est tout à fait effarant. L’année 1954 ne correspond pas
12
Mémoire du Bénin, p. 127, par. 5.44.
13
Voir e.a. le répertoire alphabéti que des villages, tribus et quartiers par canton ou groupement du territoire du
Niger, mis à jour au 1 erjanvier, p. 6 (sous la mention de Fondafeye ⎯cercle de Dosso ⎯ secteur de Sambera)
(contre-mémoire du Niger, annexes, série C, n 119). Dans sa réplique, le Bénin reconnaît ce fait mais reproche au Niger
d’avoir omis d’annexer la partie du répertoire relative au secteur de Samber a dans le cercle de Dosso. La République du
Niger a ultérieurement complété cette pièce.
14Contre-mémoire du Bénin, p. 130, par. 2.261.
15Ibid., p. 130, par. 2.260.
16Contre-mémoire du Niger, annexes, série C, n 120.
17
Réplique du Bénin, p. 168-169, par. 5.29-5.30.
18
Ibid., p. 168, par. 5.28. - 17 -
exactement au début de la période coloniale, où l’ignorance de la topographie exacte du fleuve par
les administrateurs coloniaux aurait pu encore se c oncevoir. Tel n’est évidemment pas le cas près
de soixante ans plus tard. Plusieurs cartes antérieures à 1954 et qui ne pouvaient être ignorées des
administrateurs coloniaux, contredisent d’ailleurs cette affirmation puis qu’elles font apparaître
clairement des îles situées en amont de Sansangoungou 19. Il est évident que les autorités de la
colonie du Niger étaient en 1954 parfaitement au courant de l’existence de toutes les îles sur
l’ensemble du bief qui relevait de leur territoire.
15. En ce qui concerne l’argument tiré de la prétendue ignorance par les administrateurs de
tout autre repère en amont de Bandofay et de Sansangoungou, il est carrément surréaliste, dès lors
qu’il est manifeste qu’un tel repère connu de tous existe bel et bien. C’est la Mékrou, dont il a été
clairement établi dès le début de la période coloni ale que la confluence avec le fleuve constituait le
point double qui marquait le point de départ du bief sur lequel le fleuve constituait la limite entre
les colonies du Dahomey et du Niger.
16. Le Bénin ne parvient donc absolument p as à justifier pourquoi la limite entre les deux
colonies devait partir de Bandofay aux termes de la lettre de 1954. Mais ce n’est pas là son seul
problème à cet égard, car il ne parvient pas davant age à expliquer pourquoi la limite à la rive qu’il
revendique doit se prolonger en amont du fleuve au-delà de Bandofay, à la totalité du bief
frontalier.
Pour essayer de se tirer d’affaire, le Bénin soutient dans son contre -mémoire, en sollicitant
abusivement la jurisprudence de la Cour permanen te de Justice internationale, qu’un acte destiné à
fixer une frontière doit être interprété, si possible, «de telle sorte que par son application intégrale,
une frontière précise, complète et définitive soit obtenue» 20.
On ne peut qu’être surpris par la manière dont le Bénin essaie de tirer parti de cet avis de la
Cour. Le problème, dans cette affaire, n’était pas d’étendre ⎯comme essaie de le faire la partie
adverse ⎯ le tracé de la frontière à un secteur non expr essément visé dans le document relatif aux
limites, (comme c’est le cas du secteur de Bandofay à l’intersection de la Mékrou). Il s’agissait
plutôt de dégager, au regard des dispositions d’un traité existant, en l’occurrence celles de
19
Carte de la mission Hourst, mémoire du Niger, D 1 et D 2; mission Beneyton, D 42.1 à D 42.7.
20Voir contre-mémoire du Bénin, p.131, par. 2.262. - 18 -
l’article3, paragraphe 2, du tr aité de Lausanne, les modalités de détermination des différents
21
segments de la frontière de la Turquie, de la mer Méditerranée à la frontière avec la Perse .
Dans sa réplique, le Bénin soutient que la lettre du 27 août 1954 a été interprétée comme
22
réglant le problème de limite dans sa totalité et que «la logique, le bon sens, la raison [combinée]
avec des considérations de commodité…» conduisent à la même solution 23. Il ne suffit pas de faire
une telle allégation; il faut encore prouver ce que l’on soutient, étayer le raisonnement que l’on
essaye de bâtir. Car si le sens que le Bénin tente de donner à la lettre était aussi clair et évident
qu’il le laisse ainsi entendre, il aurait été plus simp le de le dire dans ce document, en visant le
secteur allant du confluent du Niger et de la Mékr ou jusqu’à la frontière du Nigéria, côté rive
gauche; ce n’est pas le cas.
17. Mais il faut surtout souligner que les termes mêmes de la lettre du 27 août 1954
interdisent l’interprétation soutenue par le Bénin. Que lit-on en effet dans cette lettre? On y lit
ceci: «en conséquence, toutes les îles dans cette partie du fleuve font partie du territoire du
Dahomey». Dans cette partie du fleuve, Monsieur le président, Messieurs les Membres de la Cour,
ce qui signifie incontestablement que la lettre de M. Raynier ne visait que la partie du fleuve entre
Bandofay et la frontière avec le Nigéria. En défi nitive, la référence à Bandofay souligne encore un
peu plus le caractère fantaisiste de la lettre du 27 août 1954, la méconna issance du terrain par son
auteur et le peu d’importance qu’il attachait à sa propre lettre.
III. Le caractère insensé du contenu de la lettre du 27 août 1954 s’explique par
la précipitation et la légèreté avec lesquelles elle a été signée
18. Monsieur le président, Messieurs les Membres de la Cour, en troisième lieu, les
aberrations que contient la lettr e du 27 août 1954 ne peuvent s’exp liquer que par les circonstances
dans lesquelles cette lettre a été signée, caractérisées par la précipitation et la légèreté.
Retraçons, si vous le voulez bien, le fil des événements. Le 23 juillet 1954, le chef de la
subdivision de Gaya adresse au gouverneur du Niger une lettre par laquelle il sollicite «tous
21Pour les détails, voir réplique du Niger, p. 66-67, par. 1.92-1.93.
22
Réplique du Bénin, p. 170, par. 5.33.
23Ibid., p. 171, par. 3.35. - 19 -
renseignements utiles sur les îles du fleuve appartenant au Niger ou au Dahomey ⎯ quelques
24
contestations sans … gravité d’ailleurs ⎯ s’étant élevées à ce sujet avec le cercle de Kandi» .
Le projet de réponse à cette lettre attend sans doute déjà sur le bureau du gouverneur du
Niger quand, un mois plus tard, le 23 août 1954, l’inspecteur des affaires administratives, chargé de
l’expédition des affaires courantes du territoir e du Niger, annonce au commandant de cercle de
Niamey l’arrivée, pour le 25août, de M.Rayn ier, nommé secrétaire général du territoire du
Niger 25.
M.Raynier arrive effectivement le mercredi 25août1954 en fin d’après-midi. Le jeudi
26août, il reçoit la visite des corps constitués 26. Le vendredi 27août, en réponse à la lettre du
23juillet1954 sus-citée, il adresse au chef de la subdivision de Gaya, sa fameuse lettre faisant
valoir que «la limite du territoire du Niger est constit uée par la ligne de plus hautes eaux, côté rive
27
gauche du fleuve, à partir du village de Bandofay, jusqu’à la frontière du Nigéria…»
La précipitation avec laquelle la réponse de Rayn ier à la lettre du chef de la subdivision de
Gaya fut faite laisse totalement perplexe.
19. A l’évidence, cette analyse n’est pas partagée par le Bénin qui n’est pas loin de présenter
cette lettre comme l’illustration du fonctionnement exemplaire de l’administration coloniale.
20. Le Bénin fait en effet d’abord valoir que «l’administration coloniale française était une
institution bien établie composée d’un corps de fonctionnaires compétents et agissant non à titre
personnel mais au nom du territoire dont ils avaient la charge» 28. Il ajoute que «[l]es services
compétents (en l’occurrence la direction des a ffaires politiques et administratives du territoire du
Niger…) ont … disposé de plus de trois semaines po ur préparer la lettre soumise à la signature du
gouverneur général (sic) p.i.» 29.
Certes, l’administration a pu disposer d’un peu de temps pour préparer la lettre du
27août1954. Mais qu’a-elle-fait de ce temps ? Manifestement pas grand-chose, puisqu’on ne
24 o
Contre-mémoire du Niger, annexes, série C, n 120.
25Contre-mémoire du Niger, annexes, série C, n 123.
26Contre-mémoire du Niger, annexes, sérieC, n 121 et122. Lettres n os3650 et3651/CAB du 23août1954 de
M. Augias à MM. les députés Condat Georges et Zodi Ikhia, et à MM. les sénateurs Fourrier Gaston et Yacouba Siddo.
27Mémoire du Niger, annexes, série C, n 58.
28Réplique du Bénin, p. 40, par. 3.6.
29
Ibid. - 20 -
trouve dans les archives, aucune trace d’un dossier qui aurait accompagné le projet de lettre soumis
à la signature du gouverneur par intérim. Si l’administration coloniale avait été aussi organisée et
efficace que le prétend le Bénin, un tel dossier devrait non seulement exister, mais également
comprendre les documents et textes de référence f ondant le contenu du projet de correspondance.
Par conséquent, la lettre elle-même aurait porté la mention des références les plus importantes. Or,
comme on l’a vu, la lettre ne se réfère à auc un document, ce qui confirme qu’aucun dossier
technique digne de ce nom n’a été soumis à Raynier avant la signature de la lettre.
L’eût-il été, que le gouverneur par intéri m lui-même se devait de prendre le temps
d’examiner sérieusement le dossier pour trois raisons cruciales au moins. Premièrement, il ignorait
tout de la colonie à laquelle il venait d’être nouve llement affecté. Deuxièmement, la question à
régler ⎯ celle des limites territoriales ⎯, était une des plus sérieuses qu’eût à traiter un gouverneur
de colonie. Troisièmement, il n’était pas lui-même gouverneur titulaire, mais seulement
intérimaire. Or il résulte de la succession des événements que Raynier n’a pu disposer que de la
journée même du 27 août 1954 pour étudier la question, trancher et signer sa fameuse lettre. Ce qui
⎯on en conviendra ⎯ laisse peu de temps à quelqu’un qui ve nait de débarquer, pour prendre la
mesure exacte de la question à laquelle il devait donner réponse.
21. Le Bénin fait ensuite valoir que
«le signataire de la lettre a, visiblement, estimé avoir été suffisamment informé des
tenants et aboutissants de celle-ci puisque, [selon le Bénin], appelé quelques mois plus
tard par son homologue du Dahomey à expliciter les motifs de sa ferme position, il se
30
borne à écrire en marge de la demande : «Laissons tomber il y a plus pressant.»»
Sans doute cette formulation est-elle énigmatique . Pour autant cependant, la lecture qu’en
fait le Bénin n’est pas fondée. En effet, co mment Raynier pouvait-il considérer qu’il était
suffisamment informé, alors que le gouverneur du Dahomey lui demandait toujours une explication
sur les fondements de cette lettre, explication qu’il n’était visiblement pas en mesure de lui
fournir ?
En réalité, cette annotation signifiait dans le meilleur des cas pour le Bénin, que M. Raynier
voulait geler la question, ne pas la pousser plus avant et la laisser en l’état; et dans le pire des cas,
30Réplique du Bénin, p.40-41, par.3.6. Voir encore, ibid., p.49, par.3.24. Sur le texte la lettre, voir
contre-mémoire du Niger, annexes, série C, n8. - 21 -
pour le Bénin toujours, qu’il ne voulait pas en parler, qu’il y opposait une fin de non recevoir. L’on
sait en effet que le silence persistant de l’admi nistration face à une demande précise, s’interprète
généralement comme une réponse négative à la demande en question.
22. Il est donc clair que M.Raynier a signé cette lettre, soit les yeux fermés, soit avec une
légèreté incroyable, et en tout cas dans la précipitation absolue.
Dans ces conditions, il n’est guère étonnant que dans le témoignage qu’il donne dix ans plus
tard en 1964, M. Raynier ne se souvienne plus apparemment de l’épisode de la lettre de 1954 31.
23. Monsieur le président, Messieurs les Memb res de la Cour, il ressort des développements
qui précèdent, que le contenu de la lettre du 27 août 1954 est purement fantaisiste. Ecrite dans des
conditions extraordinaires de précipitation et avec une incroyable légèreté, elle ne pouvait
sérieusement fonder un titre juridique quelconque.
A vrai dire, on se trouve ici en présence d’un document qui n’avait ni passé, ni avenir. Ni
passé, parce que jusque-là, personne n’avait jamais entendu parler d’une limite suivant la ligne des
plus hautes eaux, côté rive gauche, pas plus d’ ailleurs que d’une limite à la rive gauche, et
jusque-là, personne n’avait jamais entendu parler d’une limite entre les colonies du Dahomey et du
Niger valant uniquement à partir de Bandofay. Ni avenir, parce que comme on l’a vu, ce document
n’a été suivi d’aucune mise en Œuvre, ni d’aucun effet pratique.
24. La lettre du 27 août 1954 n’ayant donc pas pu remettre en cause la limite établie par les
autorités coloniales au principal chenal naviga ble du fleuve Niger, il revient maintenant au
professeur Jean Salmon de montrer le cheminement de ce chenal d’un bout à l’autre de la frontière,
et l’attribution des îles aux deux Etats, qui en résu lte. Je vous serais reconnaissant, Monsieur le
président, de bien vouloir lui passer la parole, et je remercie la Cour pour son attention.
Le PRESIDENT de la CHAMBRE: Je vous remerc ie Monsieur le recteur. Monsieur le
professeur Salmon, je vous invite à venir à la barre. Monsieur le professeur, vous avez la parole.
31Lettre de Pierre Raynier, gouverneur honoraire de la France d’Outre-Mer à S.Exc.le président de la
République du Niger, 24janvier 1964, contre-mémoire du Nige r, annexes, sérieC, n152. M.Raynier qui considère,
citation à l’appui, que la limite suit le cours princidu fleuve écrit notamment: «D urant mes séjours au Niger
(1954-1957), je n’ai pas été informé de complication au sujet de l’île de Lété.» - 22 -
M. SALMON : Monsieur le président, Messieurs de la Cour,
L’ IDENTIFICATION DU CHENAL PRINCIPAL ET LA DISTRIBUTION DES ÎLES
1. Ainsi qu’il a été montré ce matin, le concept du chenal le plus profond s’est dégagé, au
cours de la période coloniale, comme le critère le mieux adapté pour définir la limite entre les deux
colonies et, par conséquent, pour déterminer le rattachement des îles à l’une ou l’autre des
administrations coloniales.
Il m’appartient de traiter maintenant, de la stabilité du chenal navigable principal ainsi que
de la pérennité des îles, d’une part, et, du cheminement de ce chenal, avec pour conséquence
l’attribution des îles aux deux Etats riverains, d’autre part.
I. La stabilité du chenal principal et la pérennité des îles
2. Pour contester la démonstration du Niger, le Bénin utilise deux types d’arguments. D’une
part, il soutient que le critère du chenal navigable ne pouvait être retenu à des fins de délimitation
32
par le colonisateur en raison de l’instabilité du cours du fleuve . D’autre part, il tente de montrer
que les îles elles-mêmes n’auraient pas connu de pérennité et que la répartition opérée par le Niger
serait, partant, arbitraire33.
Envisageons successivement ces deux propositions.
A. La stabilité du chenal principal
3. En ce qui concerne la pérennité du chenal pr incipal, celle-ci n’est pas remise en cause par
une prétendue instabilité du cours du fleuve. Les af firmations du Bénin tendant à nier la stabilité
du chenal principal reposent sur plusieurs argument s qu’il convient d’examiner tour à tour. Ils
s’avèrent tous sans fondement.
4. Le Bénin a tout d’abord invoqué le phé nomène d’ensablement dont souffrirait le fleuve
Niger 34. L’ensablement du fleuve est certes un phénomène incontestable 35, mais il n’affecte le
32
Contre-mémoire du Bénin, p. 100, par. 2.171.
33
Contre-mémoire du Bénin, p. 103, par. 2.178.
34Contre-mémoire du Bénin, p. 101, par. 2.173-2.175.
35Mémoire du Niger, p. 63, par. 2.1.10. - 23 -
plus souvent que le lit majeur du fleuve. Le lit mineur repose sur un socle rocheux et les
ensablements y ont un caractère temporaire. Ils sont normalement emportés par les deux crues
annuelles qui nettoient le lit du fleuve. C’est pour quoi, de 1900 à nos jours en passant par la date
36
des indépendances, à une exception près, le chenal principal est resté stable . On le montrera de
façon détaillée dans la suite de cette plaidoirie.
37
5. A une exception près. Comme le Niger l’a exposé dès son mémoire , un seul
ensablement obstrue aujourd’hui un bras qui était principal à la date de l’indépendance: à la
hauteur de Dolé.
[Projection planche 19 ⎯ dossier des juges, pièce n° 26]
Cet ensablement est dû selon toute vraisembla nce à des travaux d’endiguement qui ont été
effectués en amont sur la rive nigérienne. Cela a eu pour conséquence une accélération du débit et
un creusement du bras gauche, qui est devenu, de ce fait, le plus profond. Nous reviendrons plus
loin sur l’impact de cette situation concernant l’attribution de cette île.
6. Le Bénin a aussi prétendu que la rive gauche était plus stable que la rive droite. Et que
cette particularité avait conduit le colonisateur à placer, en 1900, la frontière sur la rive gauche 38.
Cette affirmation est doublement fantaisiste: d’ une part, parce que les missions hydrographiques
ont montré que les deux rives sont aussi instables l’une que l’autre. Nous reviendrons sur ce point
vendredi car il a été abordé hier. Et d’autre pa rt, qu’aucun document d’époque ne témoigne, en
1900, d’une telle préoccupation ou d’une telle intention de la part du colonisateur 39.
7. Le Bénin a également fait grand cas d’une étude de l’IGN de 2003 ⎯qui compare les
e
images spot prises en 2002 et 2003 avec les cartes au 1/50 000 établies en 1960 par l’IGN ⎯ pour
montrer des modifications de la largeur des bras ou de la configuration des îles 40. Néanmoins un
examen attentif de cette étude révèle que ses conclusions sont assorties de prudentes réserves qui
lui ôtent, en définitive, toute pertinence. De l’aveu des auteurs de l’étude :
36Réplique du Niger, p. 161, par. 3.65.
37
Mémoire du Niger, p. 174-175, par. 2.3.64.
38
Contre-mémoire du Bénin, p. 42, par. 2.12.
39Réplique du Niger, p. 163, par. 3.67.
40Contre-mémoire du Bénin., p. 103, par. 2.179. - 24 -
1) on ne peut adopter de conclusions sérieuses en matière de profondeur des eaux sans effectuer
41
des relevés bathymétriques au sol ;
e
2) les cartes au 1/50000 ne sont pas nécessairement fiables pour une comparaison avec les
images spot. L’étude de l’IGN relève qu’il «e xiste une dérive géométrique d’un document par
42
rapport à l’autre, certainement dû à la mauvaise qualité de la carte» ;
3) les scènes spot (qui ont été enregistrées en août 2002, octobre 2002 et janvier 2003) n’ont pas
été prises à la même période que les photos aériennes ayant servi de base pour les cartes au
1/50 000 e(lesquelles avaient été prises en décembre 1955 et décembre 1960). Or les niveaux
43
d’eau sont différents à ces périodes ;
44
4) les trois scènes spot ont été prises à des périodes différentes de l’état de la crue du fleuve , ce
qui implique qu’ici aussi les niveaux d’eau ne sont pas les mêmes.
45
Enfin, et surtout, l’étude ne se prononce en rien sur le chenal navigable , la profondeur des
eaux n’étant pas détectable sur ce type d’images spot, qui ne sont, par ailleurs, pas à même
d’interpréter si une formation apparaissant sur un cliché est une île, un banc de sable, un rocher,
un banc de jacynthes ou même un troupeau d’hippopotames 46, comme le reconnaissent les
47
experts de l’IGN eux-mêmes .
8. Enfin, il est piquant de noter que les experts consultés par le Bénin, aussi bien M.
Lokovi 48 que M.Afouda 49, sont d’accord avec le Niger sur le fait que le cours du fleuve n’a pas
subi d’altération significative dans la section concernée. Voici ce qu’écrit M. Afouda : «C’est ainsi
qu’il a été relevé qu’au niveau des principales îles du fleuve Niger dont l’île de Lété en particulier,
41
Ibid., annexe n° 28, p. 5/14 et 12/14 et réplique du Niger, par. 3.69.
42
Ibid., annexe n° 28, p. 13/14 et réplique du Niger, par. 3.73.
43
Ibid., annexe n° 28, p. 12/14 et réplique du Niger, par. 3.71.
44Ibid., annexe n° 28, p. 5/14 et réplique du Niger, par. 3.72.
45Réplique du Niger, p. 166, par. 3.74.
46Ibid., p. 163-168, par. 3.68-3.76.
47
Contre-mémoire du Bénin, annexe n° 28, p. 14/14.
48
Qui n’envisage qu’une seule dévia tion du cours du fleuve, autour de l’île de Lété, pour reconnaître ensuite
qu’elle est improbable, contre-mémoire du Bénin, annexe n° 30, p. 573-574.
49
Contre-mémoire du Bénin, annexe n° 27, p. 506-551 et réplique du Niger, p. 176-177, par. 3.89. - 25 -
les bras navigables n’ont pas connu de grande variation depuis les cent dernières années comprises
entre 1899 et 1998.» 50 Ce qui clôt, on le reconnaîtra, la question.
Comme on l’a déjà signalé, l’étude de l’IGN ne se prononce pas sur la question du chenal
principal, estimant que l’identification de celui -ci doit faire l’objet d’études bathymétriques au
sol51.
9. C’est précisément vers de telles sources que le Niger s’est tourné pour identifier le
principal chenal navigable 52, c’est-à-dire :
⎯ la mission Hourst de 1896;
⎯ la mission Beneyton de 1929-1930;
⎯ le rapport de reconnaissance de la régie Bénin-Niger de 1949;
⎯ la mission du service topographique du Niger de 1965;
⎯ la mission NEDECO de 1969-1970;
⎯ les planches IGN de 1979;
⎯ la mission conjointe Bénin/Niger de1998; et
⎯ enfin, la mission de vérification menée unilatéralement par le Niger en 2002.
10. Il convient à ce stade de réfuter certa ines objections de caractère méthodologique
soulevées par le Bénin. Ce dernier tente de di squalifier les principales missions hydrologiques
opérées des origines de la période coloniale à nos jo urs, sous divers prétextes aussi vains les uns
que les autres.
11. La Partie béninoise prétend tout d’abor d que le but de ces missions n’était pas d’opérer
53
une délimitation . Ceci est évident. Le Niger n’a jamais prétendu que ces missions avaient pour
but de procéder à une telle opération. Leur fonctio n était d’identifier le chenal navigable, mais les
opérations qui en ont résulté ont justement permis de préciser quel était ce chenal navigable qui par
ailleurs avait une importance 54.
50Ibid., annexe n° 27, p. 533.
51
Ibid., annexe n° 28, p. 14/14 et réplique du Niger, p. 167-168, par. 3.74.
52
Réplique du Niger, p. 177-179, par. 3.90.
53Contre-mémoire du Bénin, p. 75, par. 2.108.
54Réplique du Niger, p. 136, par. 3.22 et p. 173, par. 3.85. - 26 -
12. Le Bénin s’efforce ensuite de disqualifier les sources utilisées par le Niger au
moyen
55
d’arguments relatifs à la manière dont les missions hydrographiques auraient été menées . Dans
chaque cas, la critique repose sur des erreurs d’appréciation 56.
57
13. Le Bénin invoque ainsi des divergences entre sources . A l’analyse, il apparaît que de
telles divergences sont ou bien inexistantes ou bien peuvent se régler en choisissant la source la
plus proche de l’indépendance. Le Niger l’a montré de façon systématique dans sa réplique 58. On
le verra au demeurant dans l’analyse secti on par section du bief frontalier à laquelle nous
procéderons dans quelques instants.
14. Le Bénin soutient encore que le Nige r donne systématiquement la prééminence aux
59
résultats de sa mission unilatérale de 2002 . Ceci est totalement inexact. Cette étude est citée
pour confirmer la pérennité des constats antérieurs 60 et ne se voit accorder aucune prééminence. Le
seul cas où il n’existait pas d’autres relevés et où le Niger s’est donc fondé seulement sur sa propre
o
mission de 2002 est celui de l’île n 14 (Sandi Tounga Barou, que l’on vous montrera tout à
l’heure), qui n’avait été signalée comme île sur aucune carte antérieure . Cette île apparaît
néanmoins sur les photographies aériennes de 1973 et de 1985 ainsi que sur la planche16 de
spot 5.
[Projection planche 16 ⎯ dossier des juges, pièce n o 27]
Au demeurant, je signale que cette île devrait revenir au Bénin, car le bras le plus profond à
cet endroit est le bras gauche.
Nous pouvons passer maintenant au second point faisant l’objet de contestation.
55 Contre-mémoire du Bénin, p. 99, par. 2.170.
56 Pour la mission Hourst, voir contre-mémoire du Bénin, p. 99, par. 2.170 et p. 53, par. 2.51 et réponses du Niger
Réplique du Niger, p. 172, par. 3.82; pour la mission Beneyton, voir contre-mémoire du Bénin, p. 99, par. 2.170 et p. 53,
par. 2.52 et réponses Niger, Réplique du Niger, p. 172, par. 3.83 et enfin pour mission NEDECO, voir contre-mémoire du
Bénin, p. 99, par. 2.170 et p. 54, par. 2.53 et 2.54 et réponses du Niger : réplique du Niger, p. 172-173, par. 3.84.
57
Contre-mémoire du Bénin, p. 103 et suiv., par. 2.180.
58 Réplique du Niger, p. 174, par. 3.86.
59 Contre-mémoire du Bénin, p. 105-106, par. 2.185 et 2.186.
60
Voir réplique du Niger, p. 174, par. 3.87. - 27 -
B. La pérennité des îles du fleuve
1. Définition d’une île
15. Il s’impose tout d’abord de définir avec précision ce que l’on entend par île. Dans une
définition qui englobe toutes les surfaces aquatiqu es, le dictionnaire Cornu définit l’île comme
suit : «Etendue de terre émergée d’une manière durable des eaux d’un océan, d’une mer, d’un lac
61
ou d’un cours d’eau» . Selon le Dictionnaire de droit international public , une île fluviale ou
lacustre est une «[s]urface terrestre située dans un cours d’eau international de surface ou dans un
62
lac et entièrement entourée d’eau» .
Ces définitions ont un trait commun: l’île est une étendue de terre émergée d’une manière
durable. Pour constater l’existence d’une île, il convient donc de se placer aux hautes eaux.
Toutefois, afin de pouvoir déterminer si l’on est en présence d’une ou de plusieurs îles à un endroit
donné, la situation en période d’étiage est aussi pertinente. En effet ce qui peut apparaître en
hautes eaux comme deux ou plusieurs îles distinctes, peut se révéler, en période d’étiage, comme
ne constituant qu’une seule île. En l’occurrence, les relevés opérés par le Niger l’ont été à la fois
en période de basses eaux et de hautes eaux. C’ est en faisant une application cumulative de ces
critères que le Niger a abouti au nombre de vingt-cinq îles.
2. Distinction d’avec les bancs de sable
16. Pour décompter le nombre d’îles, il convient de ne pas retenir les bancs de sable. Ceci se
justifie par le fait que les bancs de sable sont mouvants et temporaires; ils ne présentent donc pas
suffisamment de stabilité et de permanence pour être assimilés à une île. Déposés en période
d’étiage, ils disparaissent normalement ou changent de place en période de crue. Les bancs de
sable ne sont en règle générale que des phénomènes conjoncturels réversibles liés à la dynamique
du fleuve. Plusieurs exemples de leur dispariti on seront donnés plus loin dans l’analyse du bief
fluvial, section par section.
61 e
Vocabulaire juridique, 4 éd., Paris, P.U.F., 2003, p. 442.
62Bruxelles, Bruylant/AUF, 2001, p. 554. - 28 -
3. Distinction d’avec les petits rochers
17. Il en va de même pour les petits rochers. Le fleuve Niger est pa rsemé de rochers plus ou
moins importants. Ils sont répe rtoriés par les cartographes, car ils constituent des obstacles qui
peuvent s’avérer dangereux pour la navigation, mais ils ne sont p as considérés comme îles dans le
cadre de la présente instance. Seules ont été retenues comme îles les terres émergées qui
permettaient une activité humaine (laquelle a été mentionnée à cha que fois dans le relevé donné
dans le mémoire 63 : agriculture, pâturage, etc.).
4. Méthode d’identification
64
18. Comme on l’a déjà exposé plus haut à propos du chenal navigable , la méthode suivie
par le Niger pour l’identification des îles a consisté à rechercher si l’hypothèse d’une pérennité du
socle rocheux se concrétisait en ce qui concerne les îles. C’est pourquoi, dans son mémoire, le
Niger a rassemblé toutes les données existant e:scartographiques, hydrographiques,
photographiques et administratives sur la période 1896 à 2002.
65
C’est ainsi qu’en plus des documents cités plus haut, le Niger s’est servi :
⎯ de cartes de l’Afrique de l’Ouest au 1/50 000 e66;
67
⎯ des photos aériennes de 1973 ; et
68
⎯ des images du satellite spot 5 de 2003 .
19. Ces informations ont systématiquement été recoupées par une mission du Niger sur le
terrain, afin de déterminer la nature exacte des formes identifiées dans le cours du fleuve. Ceci a
permis de ne pas retenir comme îles des bancs de sab le, instables par nature, ni les petits rochers.
Ont été considérées également comme sans pe rtinence les îles qui se seraient accolées
définitivement à une berge.
63Mémoire du Niger, p. 141 et suiv., par. 2.2.36 et suiv.
64Par. 10.
65
Ibid.
66 o
Mémoire du Niger, annexes, série D, n 47/1-10.
67
Voir atlas cartographique des îles dans la section frontalière du fleuve entre la République du Niger et la
République du Bénin.
68 e
Des planchos au 1/50 000 étaient mentionnées dans l’étude IGN-France international de 2003 (contre-mémoire
du Bénin, annexes, n 28, p. 9/14 du rapport) mais n’ont pas été jointes à ladite étude. - 29 -
20. Il en est allé de même pour les apparentes modifications des îles en largeur ou en
longueur ou leur apparent déplacement. Les îles, contrairement aux bancs de sable, ne se déplacent
pas, car leur socle est rocheux; c’est ce qui expli que leur pérennité. Leur rétrécissement apparent
n’est que l’effet d’une prise de vue aérienne en période de crue. Compter pour deux une île qui se
divise en période de crue et qui n’en fait qu’ une à l’étiage relève, vous en conviendrez, du
nominalisme.
Enfin, il faut conserver à l’esprit les raisons du présent exercice. Si une île a changé de
forme, si elle semble s’être divisée ou avoir fusi onné avec une autre, ceci est sans conséquence en
ce qui concerne la mission d’attribution qui revient à la Cour, pourvu que l’île se situe toujours du
même côté de la ligne des sondages les plus profonds retenue comme ligne frontière.
21. C’est au bénéfice de ces remarques méthodologiques que l’on peut écarter les prétendus
changements avancés par le Bénin.
a) Iles nouvelles soi-disant apparues entre 1960 et 2002
On ne fatiguera pas la Cour avec un exposé de ces prétendus changements dont on peut se
rendre compte chaque fois par un examen in situ qu’ils sont inexistants, qu’ils concernent des bancs
de sable, des îles qui se divisent aux basses eaux, de s rochers ou encore de la végétation aquatique.
On se permettra de renvoyer la Cour sur ce poi nt aux explications dé taillées données dans la
69
réplique du Niger .
b) Disparition d’îles
Ici encore, l’absence d’observation sur le terrain amène le Bénin à des conclusions
hasardeuses.
[Projection planche 15 ⎯ dossier des juges, pièce n o 28]
70
⎯ Ainsi, selon le Bénin, une île proche de Kata Goungou aurait disparu .
En réalité, il s’agit d’une bande de terre qui fa it corps avec la rive et qui n’en a jamais été
distincte.
⎯ Autre exemple de disparition d’île selon le Bénin : Barou el Hadj dan Djoda
69
Voir détails, réplique du Niger, p. 212-216, par. 4.18-4.20.
70Voir illustration dans contre-mémoire du Bénin, p. 595 et annexe n 26, planches spot 2002 n 15 et 16. - 30 -
[Projection planche 18 ⎯ dossier des juges, pièce n 29] o
71
Selon M. Lokovi, cette île aurait disparu . En réalité, l’île est toujours bien présente, mais
des herbes aquatiques recouvrent le chenal qui la sépare de la rive : elle est très visible si on veut
bien se donner la peine d’aller voir sur place.
⎯ L’île de Pékinga.
[Projection planche 3 ⎯ dossier des juges, pièce n° 30]
Le Niger, au départ, avait cru lui aussi ⎯ à tort ⎯ que cette île s’était accolée à la rive droite
et n’existait plus en tant qu’île. En fait, il n’en est rien 72. Et la planche que vous venez de voir, qui
émane de spot 3, vous le montre à suffisance.
73 74
D’autres formations, prises par le Bénin pour des îles , ne sont que des bancs de sable . Si
ces bancs de sable ont disparu, cela n’affecte donc en rien le constat de la pérennité des îles.
c) Fusion d’îles
Troisième type de question soulevée par le Béni n, les fusions d’îles. De la même manière,
75
comme le Niger l’a exposé dans sa réplique ⎯la Cour me permettra d’y renvoyer ⎯, des
conclusions hâtives sont atteintes par le Bénin en ce qui concerne la prétendue fusion d’îles 76. La
Partie béninoise ne tient aucun compte, à cet égard, de la configuration des îles selon le niveau des
crues du fleuve. En réalité aucune fusion d’île n’est intervenue sur toute la période considérée.
22. En conclusion, aucune île nouvelle n’est apparue dans le bief fluvial frontalier
depuis1960. Les phénomènes marginaux montés en épingle par le Bénin concernent des
formations (rochers, ou éphémères bancs de sable) qui ne peuvent pas être qualifiées d’îles. Il n’y
a pas eu non plus de disparition d’îles. Les cas de semblables disparitions que le Bénin a cru
pouvoir révéler concernent en réalité des dépôts de sable anciens ou récents qui ont pu apparaître
de temps à autre dans le fleuve et ont disparu pa r la suite. Quant aux prétendues fusions d’îles, il
s’agit en réalité de configurations différentes de la même île à des moments distincts des crues.
71 o o
Ibid., livre III, p. 596 et annexe n 26, planche spot 2002 n 18.
72 Voir contre-mémoire du Bénin, annexe n 26, planche spot 2002 n 3.
73 Contre-mémoire du Bénin, p. 101, par. 2.175.
74 Voir réplique du Niger, p. 216-217, par. 4.21.
75
Ibid., p. 218, par. 4.22.
76
Voir illustration dans contre-mémoire du Bénin, livre III, p. 594 et annexe n° 26, planche spot 2002 n° 15. - 31 -
23. A la lumière de toutes ces observations, on peut affirmer qu’auc une situation nouvelle
permettant de conclure à l’instabilité du princi pal chenal navigable du fleuve n’a été observée
entre1960 et ce jour à la suite de la comparai son des données anciennes et des données récentes.
Au contraire, on peut affirmer que la configuration générale du fle uve est restée la même en raison
de la pérennité de son socle rocheux.
A part l’île de Pekinga, île importante et c onnue de longue date dans la mémoire collective
des habitants, que le Niger croyait définitivemen t fusionnée à la rive droite et qui doit être
réintégrée dans la liste des îles à attribuer produite dans son mémoire, cette liste ne subit donc
aucun changement. [Vous voudrez bien en trouver copie dans le dossier des juges, au n o 31.]
II. La détermination du tracé du principal chenal navigable et l’attribution des îles
24. J’en viens maintenant, Monsieur le prési dent, Messieurs de la Cour, dans une seconde
partie qui est la détermination du tracé du principal chenal navigable et l’attribution des îles. Si
j’avais affaire à un public d’étudiants, c’est le ge nre d’exposé où je leur dirais voilà, maintenant,
référez-vous aux notes. Faites ça tranquillement chez vous. Hélas, je suis ici devant une autre
partie qui mérite tout le respect, devant une Cour qui en mérite encore plus et je suis donc dans la
pénible situation de vous emmener dans ce marécage pendant encore une bonne vingtaine de
minutes. Il s’agit en effet de passer à l’identif ication du chenal navigable section par section et à
montrer l’attribution concomitante des îles.
Si l’on descend le fleuve d’amont en aval, le point de départ du bief frontalier tel qu’il
77
résulte des arrêtés du 8 décembre 1934 et du 27 octobre 1938 portant réorganisation des divisions
territoriales de la colonie du Dahomey 78 se situe au point de confluence de la rivière Mékrou et du
79
fleuve Niger. Les coordonnées exactes de ce point ont été données dans les écritures du Niger et
80
elles correspondent à celles relevées par le comité technique mixte paritaire Bénin/Niger en 1998 .
Nous allons maintenant envisager l’ensemble du cours du fleuve sur quinze sections.
77 o
Mémoire du Niger, annexes, série B, n 59.
78 Ibid., annexes, série B, n 61.
79 Contre-mémoire du Niger, p. 128-129, par. 3.77 et 3.78.
80 o
Mémoire du Bénin, annexe n 106, annexe II, p. 598. - 32 -
81
Première section (Boumba) du kilomètre 1446 au kilomètre 1441
[Projection ⎯ section 1 ⎯ dossier des juges, pièce n° 32]
Dans cette première section, on remarquera que le chenal principal est, du début de la
période coloniale à nos jours, toujours passé dans le bras droit du fleuve à la hauteur des deux îles
de Boumba (Boumba barou Béri n o 1 et Boumba barou Kaïna n 2) . En effet, vous voyez que ce
que nous avons fait ici, c’est que nous avons repr is les descriptions dans Hourst, dans Beneyton,
dans Topo65, dans NEDECO et dans IGN 1979, ce qui vous donne une possibilité de voir,
entre1896 et1979, s’il y a eu des variations ou non. Aussi bien, quant au chenal navigable que
quant à l’existence d’îles. Donc ici, vous voy ez clairement que les deux îles de Boumba, Boumba
barou Béri et Boumba barou Kaïna, n’ont pas subi de changement depuis la période de la
colonisation et le chenal navigable passe dans le bras droit, la souveraineté sur ces deux îles revient
donc au Niger.
Deuxième section (Djébou Kiria) du kilomètre 1441 au kilomètre 1433 83
o
[Projection ⎯ section 2 ⎯ dossier des juges, pièce n 32]
S’agissant des figures apparaissant sur les quatre derniers croquis, vous noterez les rochers
de DjébouKiria. Le chenal principal les traverse ou les longe au sud. Sur le croquis Beneyton
apparaissait en plus, au kilomètre 220, ce qui ét ait très vraisemblablement un banc de sable qui
avait été pris pour une île, et, au kilomètre 225, un autre banc de sable. Tous deux ont disparu
postérieurement. Il n’y a néanmoins aucun change ment du tracé du chenal principal sur toute la
période pertinente. Et, en application des critères que je vous rappelais il y a un instant, le Niger ne
considère pas les affleurements rocheux de Djébou Kiria comme un groupe d’îles attribuable.
Troisième section (Pékinga) du kilomètre 1433 au kilomètre 1423 84
o
[Projection ⎯ section 3 ⎯ dossier des juges, pièce n 32]
La seule île pérenne dans cette se ction est l’île de Pékinga (île n o 2bis). Elle est presque
collée à la rive droite. Elle est complètement dessinée sur les croquis de la mission Hourst et
81
Voir réplique du Niger, p. 184, par. 3.97.
82Ibid., p. 223, par. 4.28.
83Voir réplique du Niger, p. 185, par. 3.98.
84
Ibid., p. 186, par. 3.99. - 33 -
IGN1979, elle est seulement amorcée sur les autres croquis mais cela, c’est compte tenu de leur
échelle qui ne permettait pas de reprendre l’image totale. Le chenal principal passe dans le bras
gauche du fleuve à cette hauteur et l’île de Pékinga relève incont establement de la souveraineté du
Bénin.
85
Quatrième section (Kouassi) du kilomètre 1423 au kilomètre 1415
[Projection ⎯ section 4 ⎯ dossier des juges, pièce n 32] o
o
Les seules formations apparaissant sur ces croquis sont l’île de Kouassi (île n 3) et, sur le
seul croquis Beneyton, un banc de sable collé à la ri ve droite qui a disparu ensuite. Il n’y a pas eu
de changement d’emplacement du chenal de 1896 à nos jours : il passe dans le bras droit du fleuve
à hauteur de l’île de Kouassi, qui, de ce fait, relève de la souveraineté du Niger.
86
Cinquième section (Doubal) du kilomètre 1415 au kilomètre 1409
o
[Projection ⎯ section 5 ⎯ dossier des juges, pièce n 32]
Les rochers et bancs de sable de Doubal sont très visibles sur les croquis Beneyton, Topo 65
et NEDECO. Le croquis Beneyton mentionne en pl us une formation désignée comme «île». Mais
ici encore il doit s’agir en réa lité d’un banc de sable car cette formation a disparu ensuite et
n’apparaît sur aucune autre carte. Aucun changement du principal chenal navigable n’est apparu
de1896 à nos jours. Les rochers et bancs de sab le de Doubal n’ont pas été comptabilisés par le
Niger comme îles. Mais en tout état de cause, ils sont du côté nigérien de la limite.
87
Sixième section (Sansan Goungou) du kilomètre 1409 au kilomètre 1404
[Projection ⎯ section 6 ⎯ dossier des juges, pièce n 32] o
Dans cette section du fleuve, il n’y a qu’une île importante, celle de Sansan Goungou (île
no 4), flanquée d’un îlot dans le bras gauche, lequel n’apparaît que sur le croquis NEDECO. Le
chenal principal est toujours passé dans le bras droit du fleuve à cette hauteur de 1896 à nos jours.
L’île de Sansan Goungou relève donc de la souveraineté du Niger.
85
Ibid., p. 187, par. 3.100.
86Ibid., p. 188, par. 3.101.
87Ibid., p. 189, par. 3.102. - 34 -
88
Septième section (Lété) du kilomètre 1404 au kilomètre 1385
[Projection section 7 ⎯ dossier des juges, pièce n 32] o
Tous les croquis concordent : le chenal principa l passe dans le bras droit du fleuve à hauteur
o
de l’île de Lété (île n 5). Compte tenu de l’échelle, les croquis Beneyton, Topo 1965 et IGN 1979
ne reproduisent que les pointes amont et aval de l’ île. Il n’y a pas eu de changement du chenal
principal de1896 à nos jours. Dans ces conditions, la souveraineté sur l’île de Lété revient au
Niger.
89
Huitième section (Tondi Kouaria) du kilomètre 1385 au kilomètre 1374
[Projection section 8 ⎯ dossier des juges, pièce n 32] o
Sur tous les croquis le chenal principal passe da ns le bras gauche du fleuve à la hauteur de
o o
l’île de Tondi Kouaria (île n 6). L’île de Momboye Tounga (île n 7) apparaît à peine en filigrane
sur le croquis Hourst (elle n’est pas visible ici vu l’échelle ⎯ pour la distinguer, il convient de se
o
reporter à la feuille39, mémoire du Niger, annexes, sérieD, n 3). Momboye Tounga est
quasiment formée sur le croquis Beneyton et bien visible sur les croquis NEDECO et IGN1979.
Le chenal principal passe dans le bras droit du fleuve à la hauteur de cette seconde île. En
conséquence, la première, Tondi Kouaria, re lève de la souverainet é du Bénin, la seconde,
Momboye Tounga, de celle du Niger.
90
Neuvième section (Sinigoungou) du kilomètre 1374 au kilomètre 1365
[Projection section 9 ⎯ dossier des juges, pièce n 32] o
Le chenal principal passe dans le bras droit du fleuve à la hauteur de l’île de Sinigoungou (île
o
n 8), laquelle se trouve donc sous souveraineté du Niger. Il n’y a pas eu de changement de
l’emplacement du chenal de 1896 à 1979.
Les contestations du Bénin en ce qui concer ne la détermination du bras navigable à la
hauteur de Sinigoungou ne sont guère convaincantes. Elles reposent sur une interprétation
à contrario de la mention qui se trouve dans le rapport de la mission de 1998 9. Ce rapport déclare
88
Voir réplique du Niger, p. 190, par. 3.103.
89Ibid., p. 191, par. 3.104.
90Ibid., p. 192, par. 3.105.
91 o
Mémoire du Bénin, annexe n 106, annexe II, p. 598. - 35 -
en effet : «bras droit navigable (face embouchure Alibori)». Selon le Bénin, le bras droit ne serait
dès lors navigable que face à l’embouchure de l’Ali bori et il ne le serait pas en amont de cette
embouchure. Le Bénin en conclut que «l’île étai t du côté droit du chenal navigable à la date
critique 92». Cette affirmation est pourtant clairement contredite par les constatations de l’ensemble
des missions hydrologiques que vous pouvez voir sur le tableau projeté et qui sont, comme vous le
voyez, unanimes à considérer que c’est le bras droit qui est navigable.
93
Dixième section (Lama Barou) du kilomètre 1365 au kilomètre 1352
o
[Projection section 10 ⎯ dossier des juges, pièce n 32]
Le principal chenal navigable passe dans le bras droit du fleuve à la hauteur de Lama Barou
(île no9) (celle-ci n’est qu’amorcée sur le croquis Hour st, mais elle est parfaitement visible sur les
trois autres croquis). Il n’y a pas eu de changement du chenal de1896 à1979. L’île de
Lama Barou relève donc de la souveraineté du Niger.
Onzième section (Gagno, Kotcha, Koki et Kata) du kilomètre 1352 au kilomètre 1340 94
o
[Projection section 11 ⎯ dossier des juges, pièce n 32]
La situation est beaucoup plus complexe pour la section qui vous est maintenant présentée.
Elle comporte en effet un groupe de différentes îles. Sur le croquis de la mission Hourst, l’île de
Kotcha n’est pas représentée. Le principal chenal navigable passe dans le bras gauche du fleuve à
la hauteur des trois îles qui sont en dessous, que l’on appelle souvent «les îles de Gaya» (quand on
parle des îles de Gaya, ce sont ces trois îles-là auxquelles on fait allusion) mais elles ont chaque
fois un nom : la plus importante Gagno, Koki la petite, et puis Kata.
La mission Beneyton ayant eu pour terminus le débarcadère de Gaya, c’est-à-dire le
débarcadère de la ville de Gaya, situé à mi-haute ur de l’île de Gagno, n’a relevé le chenal que
jusqu’à ce point, c’est-à-dire le point le plus di rect conduisant au débarcadère. Elle n’a pas été
au-delà. En conséquence, le chenal naviga ble est représenté sur le croquis Beneyton comme
92
Contre-mémoire du Bénin, p. 113, par. 2.212.
93Voir réplique du Niger, p. 193, par. 3.106.
94Ibid., p. 194, par. 3.107. - 36 -
passant dans le bras gauche du fleuve à la hauteur de l’île de Kotcha et il n’a pas fait de levée pour
les îles de Koki et de Gagno.
Selon la mission NEDECO en revanche, le [p rincipal] chenal navigable passe dans le bras
droit du fleuve à la hauteur de l’île de Kotcha. Contrairement à ce qu’à affirmé hier M. Thouvenin,
ce n’est nullement parce que le chenal principal a changé de bras, mais parce que Beneyton n’avait
pas fait la comparaison. Toujours selon la mission NEDECO, le [principal] chenal navigable passe
dans les deux bras à la hauteur de Gagno. Autrement dit, à première vue, NEDECO n’a pas décidé
quel serait le bras principal. Et dans le bras gauche à la hauteur de l’île de Koki, à la hauteur de
l’île de Kata, le chenal navigable passe dans le bras droit du fleuve.
Bien que la mission «étude du fleuve Niger, IGN79» se soit en fait poursuivie jusqu’à la
frontière avec le Nigéria, il n’y a néanmoins plus de profils disponibles sur ces cartes à partir du
débarcadère de Gaya.
En conclusion, on le constate, les relevés de viennent rares pour cette section du fleuve et
pour celles d’ailleurs qui suivent. Seules les missions Hourst et NEDECO poursuivent leurs
relevés au-delà du débarcadère de Gaya. Et il fa ut alors pratiquement se fonder sur NEDECO qui
est la plus proche de l’indépendance. Celle-ci indique que les deux bras du fleuve autour de l’île de
Gagno sont navigables. Toutefois, si l’on examin e les profils des bras gauche et droit qui sont
indiqués en dessous de l’île de Gagno, on voit que le bras droit est plus profond. C’est quelque
chose qui est probablement difficilement visi ble sur cet écran et même sur un de ces
agrandissements mais vous pouvez en faire l’ expérience vous-mêmes en reprenant la carte
spécifique de NEDECO et en regardant avec une bonne loupe, vous verrez en effet qu’il y a deux
traits, un trait pour le bras gauche et un trait pour le bras droit. Le bras droit étant plus profond 95.
La mission de 1998 avait relevé qu’à la hauteur de l’île de Kotcha, le «bras droit [était]
navigable (face embouchure Sota)» et qu’à la hauteu r de Gaya (île de Gagno), «les deux bras sont
96
navigables» . La mission de 2002est arrivée à la mê me conclusion pour ces deux îles, tout en
95
Voir feuille NEDECO, mémoire du Niger, annexes, série D, carte 43/36.
96Mémoire du Bénin, annexe n 106, annexe II, p. 598. - 37 -
constatant par des mesures bath ymétriques que le bras droit était néanmoins plus profond à la
97
hauteur de l’île de Gagno .
Il découle de cette analyse que le principal ch enal navigable est situé dans le bras droit du
o
fleuve à la hauteur de l’île de Kotcha (île n 10), dans le bras gauche du fl euve à la hauteur de l’île
o o
de Koki (île n 11) dans le bras droit à la hauteur de l’île de Gagno (île n 12) et de l’île de Kata
Goungou (île n o13). Et donc en conséquence relèveraie nt de la souveraineté du Niger les îles de
Gagno, Kotcha et Kata, alors que Koki relèverait de celle du Bénin.
Douzième section (Gandégabi Barou Kaïna et Gandégabi Barou Béri) du kilomètre 1340 au
98
kilomètre 1330,5
o
[Projection section 12 ⎯ dossier des juges, pièce n 32]
Selon la mission Hourst, le principal chenal navigable passe dans le bras gauche du fleuve à
la hauteur de l’île de Gandégabi Kaïna (île n o 15) et dans le bras droit du fleuve à la hauteur de l’île
o
de Gandégabi Béri (île n 16). La mission NEDECO a abouti aux mêmes conclusions: il n’y a
donc pas eu de changement du chenal de 1896 à 19 69. En conséquence l’île de Gandégabi Kaïna
relève du Bénin et celle de Gandégabi Béri du Niger.
Le Bénin a contesté cette conclusion par de ux arguments. En vertu du premier, selon
o
l’image spot n 17, le bras gauche du fleuve au niveau de Gandégabi Béri serait d’une largeur très
appréciable.
[Projection planche 17 ⎯ dossier des juges, pièce n° 34]
Et par ailleurs, la mission de 1998 aurait simplement indiqué qu’au niveau de l’île, «le bras
droit est navigable 99». Selon le Bénin, ceci «ne veut pas dire que le bras gauche ne le soit pas» 100.
L’interprétation que fait la partie adverse desdites informations s’avère tout à fait
contestable. Le fait qu’un bras du fleuve soit plus large ne veut évidemment pas dire qu’il est plus
profond. Les images spot produites par le Bénin ont été prises en période de hautes eaux, ce qui ne
contredit pas le fait que le fleuve soit sec à l’étiage.
97
Mémoire du Niger, p. 152-162, par. 2.3.51 et suiv.
98 Voir réplique du Niger, p. 195, par. 3.108.
99 Mémoire du Bénin, annexe n 106, annexe II, p. 598.
100
Contre-mémoire du Bénin, par. 2.203. - 38 -
Quant à l’hypothèse relative à la mission de 1998, elle n’est tout simplement pas plausible.
Chaque fois que la mission a constaté que les deux bras du fleuve étaient navigables, elle l’a
mentionné expressément. Lorsque ce n’était pas le cas ⎯ comme ici ⎯ elle s’est simplement
bornée à désigner quel bras était navigable. C’est donc bien le bras droit qui doit être considéré
comme seul navigable.
Il convient encore d’ajouter dans cette section du fleuve l’île de Sandi Tounga, à laquelle je
o
faisais allusion tout à l’heure (île n 14), qui est cette île qui n’apparaissait sur aucun des
deux croquis mais qui se trouve en réalité en amont de l’île de Gandégabi Kaïna au kilomètre 1337
de NEDECO, comme on l’a relevé plus haut (par. 15).
Le principal chenal navigable empruntant à ce tte hauteur le bras gauche du fleuve, cette île
revient au Bénin.
Treizième section (Guirawa) du kilomètre 1330,5 au kilomètre 1326,5 101
o
[Projection section 13 ⎯ dossier des juges, pièce n 32]
Sur les deux croquis, le principal chenal navi gable passe dans le bras droit du fleuve à la
o
hauteur de l’île de Guirawa (île n 17). Il n’y a pas eu de changement du chenal entre 1896 et 1969.
La souveraineté sur cette île appartient donc au Niger.
Quatorzième section (Dan K102 Guirawa et Ba rou El Hadj Dan Djoda) du kilomètre 1326,5
au kilomètre 1321,7
[Projection section 14 ⎯ dossier des juges, pièce n 32]o
Selon la mission Hourst, le principal chenal na vigable passe à travers l’île en formation (qui
deviendra Dan Koré Guirawa) collée contre la rive droite et dans le bras gauche du fleuve à la
hauteur de Dan Djoda. La mission NEDECO, pour sa part, a relevé que le principal chenal
navigable passe dans le bras gauche du fleuve à la hauteur tant de l’île Dan Koré Guirawa (île
no 18) que de l’île de Dan Djoda (île n o 19). Les deux îles relèvent donc de la souveraineté du
Bénin.
101Voir réplique du Niger, p. 196, par. 3.109.
102Ibid., p. 197, par. 3.110. - 39 -
Quinzième section (Koundou Barou, El Hadj Chaïbou Béri et El Hadj Chaïbou Kaïna,
Goussou Barou et Beyo Barou) du kilomètre 1321,7 au kilomètre 1317 103
o
[Projection section 15 ⎯ dossier des juges, pièce n 32]
Le principal chenal navigable passe dans le br as gauche du fleuve à la hauteur de l’île de
o
Koundou Barou (île n 20) et dans le bras droit à la hauteur de toutes les autres îles Goussou Barou
o o o
(île n 23), Beyo Barou (île n 24), El Hadji Chaïbou Béri (île n 21) et El Hadji Chaïbou Kaïna (île
no 22).
Il n’y a pas de divergence entre les sources pour le tracé du chenal dans cette section même
si l’identification des îles sur la carte de la mission Hourst n’est pas des plus aisée. Il n’y a donc
pas de changement du chenal de 1896 à 1969. La situation est restée inchangée jusqu’à nos jours.
Relèvent donc de la souverainet é du Bénin Koundou Barou et El Hadji Chaïbou Kaina, alors que
les trois autres (El Hadji Chaïbou Béri, Goussou Barou et Beyo Barou) relève nt de la souveraineté
du Niger.
104
Seizième section (Dolé Barou, du kilomètre 1317 au kilomètre 1313,5
o
[Projection section 16 ⎯ dossier des juges, pièce n 32]
Aussi bien selon la mission Hourst que sel on la mission NEDECO, le principal chenal
navigable passe dans le bras droit à la hauteur de Dolé (île n o25). Il n’y a donc pas eu de
changement du chenal entre 1896 et 1969.
Par contre, ainsi que je l’ai déjà signalé à la Cour ce matin, selon les relevés les plus récents
(ceux de 1998 et 2002), le bras gauche est plus navigable que le bras droit en raison de la présence
d’un important banc de sable dans le bras droit. Si l’on devait se placer à l’heure actuelle pour
déterminer le statut des îles, cela aurait pour effet d’ attribuer l’île de Dolé au Bénin. Et comme je
vous le disais ce matin, c’est la position qu’avait cr u pouvoir adopter le Niger au moment de la
105
rédaction de son mémoire . Convaincu, néanmoins, par l’argum ent de la partie adverse selon
lequel c’est à la date de l’indépendance qu’il faut se placer pour déterminer quel était le principal
chenal navigable, le Niger, depuis sa réplique 106, a décidé de s’en tenir à une application rigoureuse
103
Ibid., p. 198, par. 3.111.
104Ibid., p. 199, par. 3.112.
105Ibid.
106
Réplique du Niger, p. 174, par. 3.87. - 40 -
de l’uti possidetis : le chenal le plus profond à la date de l’indépendance se trouvait dans le bras
droit et la limite doit donc y rester. Ceci a dès lors pour conséquence que l’île de Dolé revient au
Niger.
25. Il ne reste donc plus qu’à identifier le point d’aboutissement de la frontière en aval.
[Projection point triple ⎯ dossier des juges, pièce n 35]
On ne reviendra pas ici sur les prétentions du Bénin relatives à un point triple se situant sur
la rive gauche du fleuve dès lors que cette idée d’une frontière à la rive est totalement dépourvue de
fondement.
En conséquence, le Niger n’estime pas devoir modifier les termes de l’exposé fait à ce
propos dans son mémoire, qui se terminait par la phrase suivante :
«Le dernier point de la frontière Béni n-Niger se trouvera donc à l’intersection
de la ligne des sondages les plus profonds du fleuve Niger avec la ligne qui constitue
107
la frontière de ces deux Etats avec le Nigéria.»
Le seul point qui se trouve modifié par rapport au mémoire, c’est le tracé du cheminement
final de la ligne des sondages les plus profonds qui, pour respecter la situation de 1960, passe non
dans le bras gauche du fleuve, ma is dans son bras droit à la hauteur de l’île de Dolé avant de
rejoindre la frontière avec le Nigéria. C’est ce qui nous a amené à modifier le croquis et à oublier
d’ailleurs de vous l’envoyer ⎯nous nous en excusons encore ⎯ et de vous l’envoyer
ultérieurement; et qui montre que maintenant c’est dans le bras droit à la hauteur de Dolé que se
situe le bras le plus profond.
26. Nous ne serions pas complets si nous n’évoquions pas brièvement la situation
particulière de la limite sur les ponts de Gaya-Malanville. Dans son contre-mémoire, le Niger a
soutenu que cette limite passe au milieu de ces deux ponts. Dans sa réplique, le Bénin prétend que
la Cour n’est pas compétente pour trancher cette question et, à titre subsidiaire, que la limite passe
sur le pont à la verticale de la rive gauche du fleuve.
En ce qui concerne la compétence de la Cour, en vertu du compromis, la Cour a pour
mission de «déterminer le tracé de la frontière … dans le secteur du fleuve Niger».
107
Mémoire du Niger, p. 180, par. 2.3.67. - 41 -
Aux yeux du Niger, les ponts qui enjambent un fleuve sont dans le secteur du fleuve.
L’argument secondaire du Bénin, selon lequel il n’y aurait pas de différend sur ce point vaudrait, si
on devait le retenir, à la limite , pour toutes les îles sauf Lété (parce qu’il n’y a pas de contestation
en général, sauf pour Lété) et, dès lors, no us pensons que ce second argument relatif à la
compétence ne peut pas davantage être retenu.
Quant au fond, on ne reviendra pas sur le ma nque de fondement de la frontière à la rive
revendiquée par le Bénin. Le Niger, quant à lu i, appuie sa revendication sur les éléments de la
pratique qui ont été développés dans son contre-mémoire, et ne peut donc que confirmer sa position
à cet égard.
27. Il me reste, Monsieur le président, Messieurs de la Cour à aborder la question des
effectivités relatives à l’île de Lété. Mais vous jugerez sans doute approprié que l’on s’interrompe
maintenant pour la pause traditionnelle.
Le PRESIDENT de la CHAMBRE: Je vous remercie Monsieur le professeur. Je pense
qu’il est opportun que la pause soit organisée pour dix minutes, comme d’habitude. Merci
Monsieur. La séance est suspendue.
L’audience est suspendue de 16 h 15 à 16 h 35.
Le PRESIDENT de la CHAMBRE : Veuillez vous asseoir. Monsieur le professeur Salmon,
si vous voulez bien reprendre la parole.
M. SALMON :
E FFECTIVITÉS SUR L ÎLE DE LÉTÉ
Monsieur le président, Messieurs de la C our, j’en viens maintenant à la question des
effectivités sur l’île de Lété. - 42 -
Introduction
1. Il convient tout d’abord de préciser dans quel contexte général le Niger invoque les
108
effectivités de son administration sur l’île de Lété . Bien entendu, il ne s’agit pas de présenter ces
effectivités comme un titre originaire à opposer à un titre du Bénin; ce dernier n’en a aucun. Il n’a
que des illusions. L’arrêté de1990 est un fantasm e; la lettre de1954 une invalidité. Le Niger
invoque des effectivités comme une preuve additio nnelle qui vient à l’appui du titre qu’il possède
depuis le début du XX e siècle.
Comme l’a dit la Chambre dans l’affaire Burkina Faso/République du Mali :
«Il est … des cas où le titre juridique n’est pas de nature à faire apparaître de
façon précise l’étendue territoriale sur laque lle il porte. Les «effectivités» peuvent
alors jouer un rôle essentiel pour indiquer co mment le titre est interprété dans la
pratique.» 109
Les effectivités sont donc appelées à jouer un rôle confirmatif. Pour la même raison, les
réserves exprimées par le Bénin sur l’usage par le Niger d’effectivités postcoloniales 110, d’une
manière d’ailleurs très limitée, qui, à son est ime, seraient contraires au principe de l’ uti possidetis,
ne peuvent être acceptées 111. Comme l’a déjà évoqué notre collègue GérardNiyungeko, les
effectivités invoquées par le Niger le sont à titre confirmatif de la situation existante durant la
période coloniale. La Chambre de la Cour , a reconnu cette possibilité dans l’affaire du Différend
frontalier terrestre, insulaire et maritime (El Salvador/Honduras; Nicaragua (intervenant)) 112.
2. On voit mal, par ailleurs, comment on po urrait accorder quelque crédit à l’argumentation
développée incidemment par le Bénin 113 selon laquelle les effectivités devraient être le fait des
autorités supérieures d’une colonie, ou que pareilles effectivités auraient en tout cas plus de poids
que si elles émanaient d’une auto rité «subalterne». On ne voit guère sur quoi cette proposition est
108
Lété a été également orthographié Laté, Lathé, Léthé ou Lethay dans différents documents de l’époque
coloniale.
109
C.I.J. Recueil 1982, p. 37, par. 63.
110Comme il le fait au par. 4.53 et suivants de sa réplique.
111On remarquera que le Bénin qui a un sens très relatif du deux poids deux mesures , ne se prive pas, pour
lui-même, invoquer des effectivités post-coloniales, voir par. 6 infra.
112Arrêt du 11 septembre 1992, C.I.J. Recueil 1992, p. 399 :
«La Chambre peut aussi tenir compte, dans certain s cas, d’éléments de preuve documentaire qui
découlent d’effectivités postérieures à l’indépendance quand elle estime que ce s éléments apportent des
précisions sur la frontière de l’ uti possidetis juris de 1821, à condition qu’il existe une relation entre les
effectivités en cause et la détermination de cette frontière.»
113Par. 4.30 de sa réplique. - 43 -
fondée; les effectivités sont des éléments de pra tique des autorités (ici, coloniales), sans qu’aucune
exigence soit jamais formulée quant au rang hiérarchique de ces autorités. Au contraire, il est
évident que la pratique concrète de terrain, constitutive des effectiv ités, sera très souvent le fait des
autorités locales. La prise en compte de cette pratique est donc pleinement justifiée ici.
3. Cette mise au point étant faite, on peut passer à l’examen des prétentions que le Bénin fait
valoir sur l’île de Lété avant de rappeler que le Niger a toujours administré l’île. Les prétentions
béninoises se sont d’ailleurs toutes effondrées au cours de la procédure écrite.
I. L’absence de fondement des prétentions du Bénin sur l’île de Lété
A. Le titre traditionnel
4. Le Bénin a soutenu dans un premier temps que l’île aurait de tout temps relevé du
royaumedendi, lequel serait incarné par le Dahomey en conséquence de la conclusion d’un traité
114
de protectorat avec l’Amirou de Karimama. C eci fut défendu dans le mémoire du Bénin , avant
de faire l’objet d’une courbe rentrante. Même si le Bénin, continuait à prétendre dans son
115
contre-mémoire qu’«avant la colonisation, l’île relevait indiscutablement de la rive droite » , il a
116
renoncé, dans ce contre-mémoire à tirer tout argument fondé sur tout titre historique . On ne s’y
attardera donc plus ici 117.
B. L’occupation de l’île
5. Le Bénin a aussi soutenu
118
⎯ dans son mémoire qu’aucune des îles n’était habitée avant la colonisation ,
⎯ dans son mémoire encore que l’île recevait des troupeaux de Peuhls nomades nigériens,
119
dahoméens et nigérians . Le contre-mémoire du Bénin présente encore les Peuhls comme
des personnes qui «viennent faire paître leurs troupeaux sur l’île de Lété» 120;
114Mémoire du Bénin, par. 6.03.
115
Contre-mémoire du Bénin, par. 3.6 et 3.8.
116
Ibid., p. 27, par. 1.36.
117Pour les détails, voir le contre-mém oire du Niger, p..21 à 35, par.1.1 à 1.44 et réplique du Niger, p.25-26,
par. 1.4 à 1.8.
118Mémoire du Bénin, p. 24, par. 1.28.
119Ibid., p. 24, par. 1.28.
120
Contre-mémoire du Bénin, p. 139, par. 3.10. - 44 -
⎯ toujours dans son mémoire, que l’île de Lété abritait des champs de culture des gens de
121
Karimama et que «le Bénin pouvait se prévaloir d’un titre ancien appartenant aux
populations de la rive droite du fleuve» 122il évoquait «le titre coutumier traditionnel» 123. Le
contre-mémoire soutient encore «qu’avant la colonisation de la région par la France, l’île
124
relevait indiscutablement des ha bitants de la rive droite» ; et qu’il en était encore de même
«avant l’adoption du modus vivendi de 1914» 125.
Tout ceci s’est avéré inexact.
⎯ L’idée que l’île de Lété n’était pas habitée avant la colonisation était contredite par l’historien
béninois NassirouBako-Arifari, qui soutient que l’île de Lété était déjà habitée par des
Koumaté au XIV esiècle 126.
⎯ L’île était habitée par les Peuhls nigériens sédentaires au moment de la colonisation; ceci est
127
avéré notamment par Hourst en 1896 (non seulement sa carte mais également le relevé qu’il
en a fait dans un ouvrage). Dès lors l’affirmation par le Bénin ⎯et en particulier dans la
128
consultation de M. Bako-Arifari de novembre 2004 que l’île de Lété ne serait habitée par les
e
Peuhls que depuis 1908 ou la première décennie du XX siècle ne résiste pas à l’examen.
⎯ Enfin, la culture de champs sur l’ île par des Dahoméens de Karimama ⎯ à la supposer
prouvée ⎯ne conférerait aucun titre historique au Bénin sur l’île. Déjà dans son
contre-mémoire, la République du Bénin tenait à préciser «qu’elle ne fai[sai]t pas des droits
traditionnels des habitants de la rive droite … le fondement du titre juridique qu’elle détient sur
121
Mémoire du Bénin, p. 24, par. 1.28.
122
Ibid., p. 158, par. 6 .37.
123
Ibid..
124Contre-mémoire du Bénin, p. 137, par. 3.6.
125Ibid., p. 138, par. 3.8.
126 N.BAKO-ARIFARI, «Peuplement et populations dendi du Bénin…», op. cit., p.132 (contre-mémoire du
Niger, annexes, série E, n° 30).
127Feuille n°2 Kompa et feuille n° 3 Karimama (mémoire du Niger, annexes, série D, n°2 et3). Voir aussi
Hourst, La mission Hourst, op. cit., p. 397 (contre-mémoire du Niger, annexes, série E, n° ); les italiques sont de nous.
128Réplique du Bénin, livre II, annexe 26, p. 217 et 218. - 45 -
129
l’île» . Dans sa réplique le Bénin a confirmé qu’il abandonnait tout titre de ce type en
déclarant solennellement qu’il «ne se prévaut pas d’un titre coutumier traditionnel» 130.
C. Territorialité du groupement peuhl
6. Un autre argument invoqué par le Bénin est que l’autorité exercée par l’administration du
131
Niger sur les Peuhls de Lété l’aurait été non sur une base territoriale mais sur une base ethnique .
Cette théorie a pour but de relativiser les pre uves d’administration apportées par le Niger en
prétendant que cette administration n’avait pas un caractère territorial mais bien personnel à l’égard
des groupes nomades peuhls sur l’île. Cette nouvelle vision, développée par le Bénin pour la
première fois dans sa réplique, est habile ⎯il faut bien le reconnaître, nos adversaires sont très
intelligents ⎯ mais elle n’est guère convaincante.
Certes, les groupements peuhls étaient recensés ethniquement, mais ils l’étaient aussi
territorialement. Les recensements étaient toujours effectués sur une base territoriale et par localité
dépendant d’une subdivision territoriale, relevant elle-même d’une colonie déterminée. On en a vu
des illustrations dans le contre-m émoire de la République du Niger 132. Tous les actes relatifs aux
populations habitant l’île de Lété, qui sont résidents peuhls, sont donc bien révélateurs de l’exercice
d’une compétence territoriale par la colonie du Niger.
D. Prétendue administration de l’île par le Dahomey
7. Le Dahomey prétend avoir administré l’île. L’île aurait de tout temps été administrée par
le Dahomey : «l’administration effective de l’île , dont la continuité, av ant comme immédiatement
après la période coloniale, a toujours été le fait des autorités du Dahomey» 133.
Cette assertion prétendument indiscutable du Bénin est néanmoins contredite par
l’administration continue exercée par la subdivision de Gaya, ainsi que l’ont fréquemment reconnu
⎯ on va le voir plus loin ⎯ les autorités dahoméennes elles-mêmes.
129
Contre-mémoire du Bénin, p. 139, par. 3.10.
130
Réplique du Bénin, p. 12, par. 1.2. Voir encore ibid., p. 23, par. 1.40.
131Ibid., par. 4.106.
132Contre-mémoire du Niger, par. 4.18.
133Mémoire du Bénin, par. 6.45; voir aussi ibid., par. 6.61. - 46 -
8. Toutefois, le scénario béninois ne repose sur aucun début d’élément de preuve. On ne
reviendra pas, par charité, sur la prétention du Béni n d’avoir fourni une preuve de l’administration
constante de l’île par la colonie du Dahomey en se référant au répertoire général des localités de
l’Afrique occidentale française de 1927 qui citait un autre village de Lété, situé à 130 kilomètres de
134
là . Cette négligence dans l’examen des textes, cette méconnaissance de son propre territoire,
voire cette représentation fallacieuse des faits, avaient quelque chose d’affligeant.
9. Le seul document administratif du Dahomey faisant allusion à l’île de Lété, d’ailleurs en
des termes ambigus, est le rapport du 25 avril 1919 établi par un inspecteur adjoint des colonies sur
le cercle du Moyen-Niger 135. Ce document est incontestable. Ce dernier donne les limites du
cercle du Moyen-Niger en mentionnant les îles de Madécali, de Lété 136 quoiqu’il n’atteste en
aucune manière d’ailleurs de l’administration effective de l’île par le Dahomey.
On notera incidemment que ce texte ne fait pas la moindre allusion à la rive gauche du fleuve
comme limite dans ce secteur. Je ferme la parenthèse. En tout état de cause, ce document de 1919
est en complète contradiction avec des documents contemporains auxquels je vais faire allusion
dans quelques instants.
10. Les seules «preuves» apportées par le Bénin de l’«
administration c onstante» de l’île par
la colonie du Dahomey sont les fameuses «sommations interpellatives» dont la légèreté a été
137
démontrée dans l’annexe II au contre-mémoire du Niger . Il s’agit d’informations obtenues par
ouï-dire; les faits rapportés ont un caractère imprécis ou sont des souvenirs lointains; les
informations sont incohérentes et non pertinentes. On épargnera à la Cour le relevé de ce tissu
d’approximations et de fantasmes. On se permettra de renvoyer à l’annexe précitée.
11. Restent les témoignages de deux anciens administrateurs du Dahomey, MM.Rose 138
139
et Daguzay , qui sont présentés dans le contre-mémoire du Bénin et qui sont, au demeurant, de
134
Voir contre-mémoire du Bénin, par. 4.9.
135Réplique du Bénin, livre II, annexe 5.
136Ibid., n 5.
137Voir contre-mémoire du Niger, anne xe II, «Analyse critique des «sommations interpellatives» présentées par
le Bénin», p. 208-220.
138Mémoire du Bénin, livre I, par. 3.27 (Lucien Rose) et livre II, annexe n 85.
139 o
Ibid., livre I, par. 3.27 (Paul Daguzay), annexe n 87. - 47 -
simples témoignages, et non des preuves d’eff ectivités. Rose se contente d’affirmations sans
preuve, on peut passer; Daguzay est plus prolixe, citons-le :
«J’ai également administré le cercl e de Kandi, dont dépendait Malanville
en 1954-1955. A cette époque, le territoire du Niger et les habitants de la subdivision
de Gaya considéraient bien que l’île de Lété appartenait au Dahomey; pour prouver
leurs sentiments amicaux les habitants de Ma lanville permettaient à ceux de Gaya d’y
faire paître leurs troupeaux. Il n’y ava it donc, à l’époque, aucune contestation.
D’ailleurs les cartes établies par le service géographique indiquent que la limite des
deux territoires était fixée entre l’île et la rive gauche du fleuve.» 140
Comme on l’a déjà signalé dans la réplique, son auteur n’y énonce que des contrevérités. On
sait maintenant clairement que le territoire du Niger, et Gaya en particulier, administrait l’île, ceci
depuis l’origine, et ne pouvait donc considérer qu’ elle appartenait au Dahomey. Les Peuhls de
l’île, dont il est prouvé qu’ils avaient déjà un village sédentaire sur place en 1896 et dont le rouga
⎯M.Thouvenin ignore que «cet individu» est le chef du village de père en fils depuis le
XIX esiècle et paye ses impôts au Niger depuis la même période ⎯ a toujours été le chef
coutumier, et il n’avait de permission à recevoi r de personne pour faire paître ses troupeaux dans
e
l’île. Quant aux cartes de l’époque ⎯il ne peut s’agir que des cartes au 1/200000 ⎯, la feuille
Sabongari indique des croisillons dans le bras droit aussi bien à la pointe amont qu’à la pointe aval
141
de l’île de Lété ! On remarquera au surplus ⎯ ce qui est très significatif ⎯ que Daguzay ne fait
allusion ni à l’arrêté de 1900, ni même à la lettre de 1954 ⎯alors qu’il était en poste à Kandi
en 1954-1955 ! ⎯ et qu’en outre il situe la limite intercol oniale dans le cours du fleuve entre l’île
et la rive gauche et non du côté de cette rive aux plus hautes eaux. Nous remercions donc le Bénin
de cette superbe pièce.
12. Il résulte de tout ceci qu’il est probable que les gens de Goroubéri aient pu venir cultiver
sur cette île. Mais il faut bien comprendre ce qui suit : que ce fait se soit produit avant ou après le
142
début de la colonisation, est en soi sans pertinence . En effet, ce qui compte, c’est le point de
savoir comment le colonisateur a réparti les espaces entre les colonies en présence.
Cette distinction capitale a été reconnue aussi bien en 1919-1920 qu’en 1954 comme on le
montrera plus loin. Le fait que les gens du Da homey pouvaient posséder des droits de propriété ou
140 o
Ibid., livre I, par. 3.27 (Paul Daguzay), annexe n 87.
141Mémoire du Niger, annexes, série D, carte n 40.
142Contre-mémoire du Niger, par. 4.7. - 48 -
d’usage coutumiers sur des terrains à Lété ne pouva it remettre en cause l’appartenance de l’île au
Niger, qui était attestée par une gestion administrati ve effective et constante depuis le début de la
colonisation.
13. Ce qui se passe postérieurement à 1954 est aussi significatif de la prétendue
administration de l’île de Lété par le Dahomey. Après la lettre de 1954 ⎯ qui, aux dires du Bénin,
clarifie définitivement les choses ⎯, on s’attendrait à ce que l’administration de Malanville, non
pas simplement écrive dans des lettres que ça devrait leur revenir, mais administre concrètement
l’île. Qu’elle investisse, que l’administration de Malanville investisse l’île! Or, quelle est la
situation dans les dernières années de la période coloniale? La lecture du Journal de poste de
Malanville est édifiante à cet égard.
On s’attendrait à ce que le chef de poste de Malanville fasse de nombreuses références à l’île
de Lété en tant que partie de «sa» circonscription, qu’il relève les tournées qu’il y a faites, etc. Or,
on ne trouve pas, dans ce Journal, une seule référence à l’île de Lé té pendant l’année 1958. Ceci
ne manque pas de surprendre pour une population imposable de quelque trois cents âmes. Pour
l’année1959, la première mention de l’île de Lété date des 12 et 13 juin et se présente sous la
forme suivante ⎯c’est donc le chef de poste de Malanville qui parle ⎯: «vendredi 12juin
Arrivée de M. le chef de subdivision de Gaya accompagné du chef village peuhl de Lété. [C’est
l’individu en question.] Le chef de subdivision de Gaya proteste contre les habitants du village de
Goroubéri qui entreprennent des champs de culture sur l’île de Lété.»
«samedi 13 juin [le lendemain]. Reçu une lettre n o 131 datée du 12 juin de M. le chef
de subdivision de Gaya faisant connaître les dispositions prises pour empêcher les
habitants du Dahomey de procéder à des champs de culture dans l’île de Lété.» 143
C’est donc en juin1959 que les habitants de Lété, conduits par leur rouga et leur
administrateur, viennent se plaindre des éléments perturbateurs que sont les gens de Goroubéri. On
relève ainsi, d’une part, que les troubles de cette période ont une cause inverse de celle présentée
144
par le Bénin et, d’autre part, que c’est toujours Gaya qui administre l’île, cinq ans après la lettre
de Raynier !
143 o
Réplique du Niger, annexes, série C, n 178, verso p. 37.
144Contre-mémoire du Bénin, p. 6-8, par. 0.14-0.19. - 49 -
Les visites faites par deux fois ultérieurement d’autorités du Dahomey dans le village, dans
les mois qui suivirent, furent de brèves intrusi ons sans suite, comme nous le montrerons peut-être
plus à loisir vendredi, si l’autre Partie nous en laisse le temps.
14. Il découle de tout ceci que le Dahome y n’a pas le moindre commencement de preuve
qu’il aurait administré l’île de Lété pendant l’ép oque de la colonisation et ses prétentions à cet
égard ne sont que des affirmations infondées. Il pourrait difficilement en être autrement dès lors
e
que la colonie du Niger a, elle, toujours administré cette île du début du XIX siècle à nos jours.
II. Le Niger a toujours administré l’île de Lété
15. L’administration de l’île a toujours dépendu du Niger. Ceci peut être démontré, d’une
part, par les positions prises dans les deux colonies à ce propos et, d’autre part, par les multiples
actes d’administration exercés par le Niger sur l’île.
A. Les positions prises par les deux colonies co nfirmant l’appartenance de l’île de Lété au
Niger
16. Chaque fois que la question a été soulevée dans les relations intercoloniales, elle s’est
toujours résolue au profit du Niger.
a) L’arrangement du 3 juillet 1914
17. Nous ne reviendrons pas sur ce qui a ét é exposé par notre collègue Gérard Niyungeko à
propos de l’arrangement du 3juille t1914 —dont vous trouverez copie dans le dossier des juges,
pièce n o20— entre les autorités coloniales locales du Dahomey et du Niger. Qu’il suffise de
rappeler que l’annexe jointe à la lettre de l’administrateur Sadoux en date du 3juillet1914
indiquait au regard de l’île de Lété la mention : «Territoire», donc Lété relevait à ce moment-là du
«Territoire», c’est-à-dire le troisième territoire.
b) L’épidémie de peste bovine
18. En 1916 le Dahomey s’inquiète auprès du territoire d’une épidémie de peste bovine sur
l’île de Lété. Il apparaît clairement de cette correspondance, quoi qu’en dise le Bénin, que la - 50 -
vérification de la santé du cheptel sur l’île de Lété était bien exercée par Gaya 145. Et Gaya, le
Niger, calme les appréhensions du Dahomey à cet égard.
c) L’échange de correspondances de 1919
19. En1919, un échange de correspondances extrêmement intéressant a lieu entre le
commandant du territoire du Niger et le commanda nt de cercle de Niamey, concernant la
possession de l’île de Lété. Selon le Bénin, il s’agit de documents purement internes au Niger
146
n’impliquant aucune reconnaissance par le Dahomey . Le texte reflète cependant que «le
Dahomey mis en demeure de prouver ses droits n’a rien pu répondre» 147. Nous n’avons pas les
lettres auxquelles il est fait allusion par le commandant du territoire du Niger, nous ne les avons pas
retrouvées, mais apparemment, elles ont existé.
Par une lettre du 22 avril 1920, le lieutenant-colonel Lefebvre réitère la même information au
o
commandant du cercle de Niamey [dossier des juges, pièce n 36] :
«2. Questions des îles du Niger. La qu estion de la possession de l’île de Lété,
qui avait été soulevée l’année dernière pa r la colonie du Dahomey, a été solutionnée
par le fait que cette colonie, invitée à four nir des documents sur lesquels elle étayait
ses prétentions sur l’île, n’a pu en produire aucun.» 148
d) L’incident Moretti en 1925 est encore plus parlant
149
20. Les propos embarrassés du Bénin ne permettent pas d’occulter l’évidence: dans une
lettre du 10 mars 1925 [dossier des juges, pièce n o 37], le chef de subdivision de Guéné, Moretti
propose à son supérieur, le commandant de cercle du Moyen-Niger à Kandi que
«[d]es pourparlers soient engagés avec la colonie du Niger pour que l’île de Lété, qui
avant notre occupation appartenait aux gens de Carimama, retourne au Dahomey. En
compensation, le groupe des trois îles en face de l’agglomération de Gaya et qui
appartenait avant notre occupation aux gens de Gaya retournent [sic] aux gens de
150
Gaya…»
145 o
Mémoire du Niger, annexes, série C, n 31; les italiques sont de nous.
146
Réplique du Niger, p. 132, par. 4.78.
147Mémoire du Niger, annexes, série C, n 35.
148Ibid., annexes, série C, n 36.
149Réplique du Niger, p. 132, par. 4.77.
150 o
Mémoire du Niger, annexes, série C, n 38. - 51 -
L’administrateur de cercle du Moyen-Niger ⎯je vous le rappelle, le Dahomey ⎯ lorsqu’il
transmet la lettre de son subordonné au gouve rneur du Dahomey par une lettre du 20mars1925
[dossier des juges, pièce n o38], propose au gouverneur du Dahomey «je vous serais reconnaissant
de vouloir bien entamer des pourparlers utiles avec M. le gouverneur du Niger pour l’ échange des
151
trois îles de Gaya contre l’île de Lété» .
Le lieutenant-gouverneur du Dahomey, par une lettre du 11 avril 1925 ⎯ elle a déjà été citée
par mon collègue Pierre Klein, mais je crois qu’el le vaut la peine que je vous la cite à nouveau ⎯
confirme ce point de vue en proposant alors à son homologue du Niger la «modification
territoriale» envisagée. Et il écrit : «Dans le cas, où vous n’auriez aucune objection de principe à
cette modification territoriale, je vous serais obligé de bien vouloir me le faire connaître afin de me
152
permettre de saisir utilement M. le gouverneur général de la question.»
21. On ne saurait assez insister sur le caractère tout à fait capital de cette lettre du gouverneur
du Dahomey. Elle indique
1) que Lété fait bien partie du territoire du Niger, tel que l’entend le Dahomey;
2) que cet état de droit ne pouvait être modifié qu’en faisant intervenir le gouverneur général de
l’AOF.
Or, la proposition du Dahomey ne fut nullement acceptée par le lieutenant-gouverneur du Niger,
Brévié (Brévié n’était pas une personne à se laisser faire), qui se borna à faire prescrire une enquête
sur les droits de propriété des indigènes en sp écifiant qu’il n’était «pas douteux que l’existence
d’une limite administrative séparant deux colonies françaises n’[était] pas une raison suffisante de
153
frustrer des indigènes de dro its anciens qu’ils possèdent» . Il fut répondu en ce sens au
gouverneur du Dahomey le 9 juillet 1926 154. Et là encore, nous n’avons pas cette communication,
mais elle est attestée par les documents que nous possédons.
151Ibid., annexes, série C, n 39.
152Ibid., annexes, série C, n 40.
153Ibid., annexes, série C, n 45.
154 o o
Pièce n 19 jointe au livre blanc du Niger; mémoire du Niger, annexes, série C, n 46. - 52 -
e) La lettre du 9 septembre 1954
22. L’annexe à la lettre du 9 septembre 1954 signalait «En face de Karimama, île Lété qui, le
bras principal étant côté Dahomey, appartient au Ni ger, mais la coutume veut qu’elle soit occupée
par les gens du Dahomey…» 155 Il s’agit là, encore une fois, et, notons-le, postérieurement à la
lettre de 1954, d’une claire admission par les autorités du Dahomey que l’île appartient au Niger.
f) Le rapport du 19 juillet 1960
23. Même au cŒur des événements de 1960, un rapport du 19 juillet 1960 du groupement de
gendarmerie du Dahomey ⎯compagnie de Parakou ⎯ brigade de Malanville, transmet
l’information suivante aux autorités supérieures: «L’île de Lété est occupée par un village peuhl.
Ses habitants se prévalent de la nationalité nigéri enne et sont administrés par la subdivision de
Gaya.» 156 Je vous en prie, où est l’administration dont on nous parlait hier, constante depuis 1954
par le Dahomey si les policiers de Parakou ne sont pas au courant ?
Cet ensemble de correspondance impliquant les autorités des deux colonies est clair sur le
fait que l’île de Lété relevait, du point de vue administratif, de la circonscription de Gaya. Ceci
reposait, en effet, sur une longue pratique admi nistrative dont la République du Niger rappellera
maintenant brièvement— je dis brièvement car tout cela est exposé très longuement dans nos
écritures — les principaux éléments.
B. Actes d’administration exercés par le Niger sur l’île
24. La pratique administrative indique que l’île de Lété, de l’origine de la colonie du Niger à
nos jours, a toujours été administrée par le Ni ger. La République du Niger en a donné de
nombreuses illustrations. Il ne saurait être question ici d’accabler la Cour de force détails
fastidieux. Elle se souviendra que le Niger a donné dans ses annexes, et commenté dans ses
écritures, les preuves suivantes de l’administration de l’île par Gaya :
a) des relevés de localités du Niger ou du secteur de Gaya faisant mention de l’île de Lété pour les
157
années 1900, 1932, 1945, 1946, 1950, 1954 ;
155 o
Mémoire du Niger, annexes, série C, n 59.
156Mémoire du Niger, annexes, série C, n 67.
157Contre-mémoire du Niger, par. 4.18. - 53 -
b) les rôles d’impôts relatifs à l’île de Lété: sans interruption de1923 à1964, signalant chaque
fois l’individu en question d’ ailleurs, Rouga, nommément Garbo, jusqu’au moment où il a été
assassiné, bien entendu, par les gens de Goroubéri en1960. Les gens du Goroubéri qui n’ont
évidemment pas été jugés par les tribunaux du Bé nin. Ceci dit en passant quant à l’exercice de
la juridiction pénale dahoméenne. Les rôles d’impôts, disais-je, relatifs à l’île de Lété sans
interruption de 1923 à 1964 et de 1970 à 1974; ces derniers sont mentionnés comme exemples
158
d’effectivités postcoloniales , pour qu’on ne me tape pas sur les doigts;
159
c) la collecte des droits de pacage sur l’île par les administrateurs de Gaya : différentes lettres
en attestant;
d) les rapports de tournée des administrateurs de la subdivision de Gaya ou du commandant de
cercle de Dosso en 1937, 1944, 1945, 1951 160;
e) les recensements divers en 1941, 1944, 1945, 1951 161
f) l’exploitation des rôniers, que l’on coupait sur l’île: correspondances diverses de1944
à 1947 162;
g) la surveillance sanitaire du cheptel : pièces de 1916, 1937, 1959 163;
164
h) différents cas d’exercices de compétence judiciaire ; et — ceci me paraît tout à fait capital —
i) toutes les opérations électorales qui ont pu être exercées à partir du moment où les Nigériens
ont eu le droit de vote, à partir du moment où la France, par différentes lois, leur a accordé le
droit de vote. C’est-à-dire dans les années qui ont précédé l’indépendance, et après, je le
signale, 1954.
25. Le Bénin s’échine à contester la pertinence de chacun de ces actes. Son argumentation
est fondamentalement que les actes d’administra tion en question toucheraient les Peuhls à titre
personnel et non l’île de Lété comme espace territorial. On a montré plus haut que ceci ne résiste
158Ibid., par. 4.19.
159
Ibid., par. 4.20.
160
Ibid., par. 4.21.
161
Ibid., par. 4.22.
162Ibid., par. 4.23.
163Ibid., par. 4.24.
164
Ibid., par. 4.25. - 54 -
pas à l’analyse 16. L’argumentation béninoise relative aux groupements peuhls ne peut s’appuyer
sur aucune pièce de l’époque, qui permettrait d’établir que des compétences exercées par le Niger
sur ces derniers à Lété s’exerceraient sur une base «personnelle» pas plus qu’elle ne peut démontrer
que les autorités du Dahomey exerçaient une compétence territoriale sur des populations
dahoméennes, soi-disant présentes sur l’île.
Les relevés de localités sont des relevés de localités situées en territoire nigérien et les
groupements peuhls sédentaires désignés sont recens és parce qu’ils se trouvent sur le territoire du
Niger. Lété y est spécifiquement désignée comme localité nigérienne.
Les impôts sont collectés sur une base territoriale et non personnelle. Il en est ainsi a fortiori
des droits de pacage perçus sur l’île.
Les rapports de tournée des administrateurs c oncernent par définition la circonscription où
ils exercent leur compétence territoriale, et ceci est à distinguer des visites qu’un administrateur
peut faire dans une circonscription voisine. A cet égard, je dirai encore une fois que la lecture du
Journal de Malanville est d’un intérêt particulier. On s’aperçoit qu’il y a des visites extrêmement
fréquentes du chef de circonscription de Gaya qui vien t voir, je dirais, son copain de l’autre côté à
Goroubéri et ils ont des visites au minimum d’une ou deux par mois. Autrement dit, les visites que
l’on nous présente maintenant de l’autre côté co mme étant des preuves d’effectivités sur l’île de
Lété étaient en fait des visites de courtoisie qui étaient tout à fait fréquentes à condition, bien
entendu, qu’on les annonce à l’avance. Les rece nsements sont aussi effectués sur une base
territoriale.
166
L’exploitation des rôniers conduit le Bénin à des explications tout à fait surréalistes . Ce
n’est pas parce que le Dahomey a autorisé des c oupes sur son territoire que toute coupe effectuée
par le Niger, en quelque lieu que ce soit, devra it être présumée opérée en territoire du Dahomey.
La thèse béninoise sur ce point ne repose ⎯ encore une fois ⎯ sur aucun document quelconque.
La surveillance du cheptel est assurée sur l’île par les servic es centraux de la colonie du
Niger.
L’exercice de la compétence des tribunaux nigériens est aussi clairement territoriale.
165
Voir déjà supra par. 6.
166Réplique du Bénin, p. 140, par. 4.101. - 55 -
Enfin les opérations électorales concernent les seuls habitants sédentaires de l’île
(exclusivement peuhls) puisque les Dahoméens de Goroubéri ne sont que des étrangers de passage
au même titre que les pêcheurs nigérians.
26. Ces combats d’arrière-garde ne peuvent cach er la vacuité totale du dossier béninois en
matière d’effectivités sur le territoire contestéEn revanche, il résulte de ce qui précède que le
Niger a apporté à la Cour un dossier substantiel de preuves que l’île de Lété a été administrée du
début de l’ère coloniale à nos jours par les autorités du territoire et de la colonie, puis de l’Etat
indépendant du Niger.
Je remercie la Cour de son attention et je vous prie, Monsieur le président, de bien vouloir
passer la parole au professeur Pierre Klein qui est chargé du dernier exposé de cette journée.
Le PRESIDENT de la CHAMBRE: Je vous re mercie, Monsieur le professeur Salmon.
Monsieur le professeur Pierre Klein, vous avez la parole.
M. KLEIN : Merci, Monsieur le président.
L A FRONTIÈRE DANS LE SECTEUR DE LA RIVIÈRE M ÉKROU RESTE DÉTERMINÉE
PAR LE DÉCRET DU 2 MARS 1907
1. Monsieur le président, Messieurs les Me mbres de la Cour, il me revient maintenant
d’aborder le dernier volet du présent litige, celui de la détermination de la frontière entre le Bénin
et le Niger dans le secteur de la rivière Mékrou. Les deux Parties sont d’accord pour constater que
la frontière dans ce secteur trouve son origine dans le décret du 2 mars 1907 rattachant à la colonie
du Haut-Sénégal et Niger les cercles de Fada-N’Gourma et de Say 167. La carte projetée derrière
moi, que vous trouverez également dans vos dossiers de juge sous le numéro 39 vous permettra de
vous faire une idée plus concrète du tracé énoncé dans l’article premier de ce décret, qui dispose
que :
«La limite entre la colonie du Haut-Sénégal et Niger et celle du Dahomey est
constituée à partir de la frontière du Togo, par les limites actuelles du cercle de
Gourma jusqu’à la rencontre de la chaîne montagneuse de l’Atacora dont elle suit le
sommet jusqu’au point d’intersection avec le méridien de Paris, d’où elle suit une
ligne droite dans la direction nord-est et aboutissant au confluent de la rivière Mékrou
avec le Niger.»
167Mémoire du Niger, annexes, série B, n 23. - 56 -
2. Cette limite a été légèrement modifiée à la suite de l’adoption de deux décrets, en 1909 et
en 1913 168, qui ont eu pour effet de déplacer de que lques kilomètres vers le nord la limite qui
suivait auparavant le sommet de la chaîne de l’Atacora. Ce léger déplacement a eu pour
conséquence de créer un second segment de limite dans cette zone, reliant le point d’intersection de
l’extrémité du sommet de l’Atacora avec le méridien de Paris, défini par le décret de 1907, à un
point situé à une petite dizaine de kilomètres vers le nord, sur le cours de la rivière Mékrou ⎯ que
vous voyez illustrée sur ce croquis selon le cours qu’on lui prêtait à l’époque. Une mise au point
s’impose d’emblée à cet égard. Le Bénin, dans son contre-mémoire, et hier encore dans le cadre de
sa présentation orale, a dénoncé avec virulence le caractère artificiel de la thèse défendue par le
Niger sur ce second segment de limite. La Répub lique du Niger tient seulement à préciser, à ce
stade de son argumentation, que, comme l’a ra ppelé le professeur Jean Salmon ce matin même, sa
démarche a été fondée sur une analyse aussi scientifique et rigour euse que possible de tous les
textes de l’époque. Le Niger s’est constamment efforcé d’écarter toute approche marquée par les à
priori en vue de conforter à tout prix ses thèses. C’est ainsi la volonté de comprendre l’évolution
des limites dans ce secteur qui a guidé l’approche du Niger dans l’analyse de textes au contenu
souvent complexe et à la compré hension malaisée. C’est cette analyse qui a conduit le Niger à
conclure à l’apparition de ce second segment de limite. Il apparaît donc particulièrement mal fondé
de qualifier cette approche d’artificielle.
3. Quoi qu’il en soit de ce dernier point, les deux Parties à la présente instance ont développé
des visions totalement opposées quant à la pérennité de cette délimitation. Alors que, pour le
Niger, c’est la ligne résultant du décret de 1907 qui est, dans son essence, demeurée d’application
tout au long de la période coloniale, le Béni n affirme que cette ligne a été remplacée à un moment
non clairement précisé par une limite suivant la ri vière Mékrou. La Partie béninoise avance trois
ordres d’arguments à cet égard :
1) tous les textes postérieurs à 1907 feraient référence à la Mékrou comme limite intercoloniale 169;
170
2) il en irait de même de toutes les cartes postérieures à 1922 ; et enfin
168 o o
Ibid., annexes, série B, n 26 et n 33, respectivement.
169Réplique du Bénin, p. 191, par. 6.3; p. 196, par. 6.12.
170Contre-mémoire du Bénin, p. 171, par. 4.38. - 57 -
3) le Niger serait en tout état de cause tenu pa r les positions adoptées par les autorités nigériennes
en 1973-1974 dans le cadre de né gociations avec le Dahomey sur un projet de construction de
171
barrage sur le cours de la Mékrou au site de Dyodyonga .
Comme on va le voir maintenant, cependant, même si ce sera fait de façon très limitée à ce
stade pour le troisième de ces points, aucun de ces arguments ne se révèle fondé.
I. L’affirmation selon laquelle tous les textes coloniaux se référeraient à la Mékrou
comme limite intercoloniale est inexacte
4. Si vous le permettez, je montrerai dans un premier temps que l’affirmation du Bénin selon
laquelle tous les textes postérieurs à 1907 se référeraient à la Mékrou comme limite dans ce secteur
est tout à fait inexacte pour ce qui est des textes re latifs à la création de colonies ou à la définition
de limites de circonscriptions administratives (A ). Nous verrons dans un deuxième temps que
l’apparente consécration de cette référence à la Mékrou comme limite par les arrêtés relatifs à la
création de réserves de chasse et de parcs de refuge appelle en réalité une lecture beaucoup plus
complexe que celle que propose le Bénin (B).
A. Aucun texte relatif à la création de colonies ou à la définition de limites de circonscriptions
territoriales ne fixe la limite dans ce secteur à la rivière Mékrou
172
5. Ainsi que le Niger l’a déjà exposé dans ses écritures , aucun des textes visant à créer de
nouvelles colonies ou à définir les limites de co lonies ou de circonscriptions administratives
adoptés après 1907 ne fait référence à la Mékrou comme limite dans ce secteur. Examinons, si
vous le voulez bien, les textes sur lesquels le Bénin tente de fonder sa position à cet égard.
6. Le premier d’entre eux est le décret du 1 ermars 1919 portant création de la colonie de la
Haute-Volta, constituée par un regroupement de cerc les relevant jusque-là d’autres colonies de
l’AOF 173. Deux des cercles incorporés dans la nouvelle colonie, ceux de Fada-N’Gourma et de
Say, sont ainsi retirés par le décret de 1919 à la colonie du Haut-Sénégal et Niger, à laquelle ils
avaient été transférés par le décret du 2 mars 1907. En procédant de la sorte, la puissance coloniale
opérait selon un modus operandi bien établi, et dont on retrouve de nombreux exemples dans les
171
Ibid., p. 177 et suiv., par. 4.51 et suiv.
172Voir e.a. contre-mémoire du Niger, p. 183, par. 5.9.
173Mémoire du Bénin, annexes n 29; voir en dernier lieu réplique du Bénin, p. 199, par. 6.17. - 58 -
recompositions de colonies intervenues au fil du te mps dans toute l’Afrique occidentale. Elle
transfère simplement, d’une colonie à une autre, des circonscriptions administratives préexistantes,
comme autant de blocs, simplement réagencés de façon différente en fonction des objectifs
poursuivis.
7. En l’occurrence, le Bénin entend tirer argument du fait que le décret du 1 ermars 1919
abroge le décret du 2 mars 1907 pour en conclure que la limite fixée par ce dernier aurait disparu
au plus tard en 1919 174, voire même plus tôt 17. Mais que dit exactement le décret de 1919 sur ce
point ? Il prévoit en fait l’abrogation de plusieur s textes législatifs antérieurs «en ce qu’ils ont de
contraire aux présentes dispositions» 176. L’abrogation du décret de 1907 par celui de1919
s’imposait donc, puisque le rattachement des cercles de Fada-N’Gourma et de Say à la colonie du
Haut-Sénégal et Niger, qu’opérait le premier de ces textes, celui de 1907, était évidemment
incompatible avec leur intégration dans la nouve lle colonie de la Haute-Volta, qui résultait du
second de ces textes, celui de 1919. Mais c’est sur ce point, et sur ce point seulement, que le décret
de 1907 était incompatible avec celui de 1919. Comme le Niger l’a souligné d’emblée, cette
abrogation formelle ⎯ et, on vient de le voir, indispensable ⎯ du décret de 1907 ne signifie pour
autant nullement que les limites fixées par ce dé cret aux deux cercles en cause ont également été
abrogées, ou d’une quelconque manière remises en cause, au même moment 177. Le décret du 1 er
mars 1919 ne dit en effet absolument rien sur le s limites du nouveau territoire qu’il crée. On voit
donc assez mal en quoi ce texte remettrait en cause les limites décidées antérieurement. Il ne fait
aucun doute que les cercles détachés des autres co lonies existantes pour constituer la Haute-Volta
l’ont été dans leurs limites de l’époque, qui sont par suite devenues celles de la Haute-Volta. Et dès
lors que le décret de 1919 ne dit rien sur de nouvelles limites, il ne peut, par définition, fixer celles
du cercle de Say à la Mékrou. C’est donc en vain que l’on cherchera dans ce décret le moindre
indice du fait que la limite entre les colonies dans cette zone aurait, en 1919 ou même avant cette
date, été fixée à cette rivière. Le Bénin tire donc des conclusions erronées de l’abrogation formelle
174
Mémoire du Bénin, p. 91, par. 4.08; contre-mémoire du Bénin, p. 158, par. 4.11 et 4.12.
175
Mémoire du Bénin, p. 91, par. 4.09.
176Art. 5; cette abrogation concerne aussi, dans la même mesure, les décrets de 1909 et 1913 susmentionnés.
177Mémoire du Niger, p. 208, par. 3.1.36. - 59 -
du décret de 1907 par celui de 1919, qui ne saura it en aucune manière constituer le titre juridique
sur lequel la partie adverse pourrait fonder sa reve ndication d’une limite à la Mékrou dès lors qu’il
ne dit rien sur de telles limites.
178
8. Le décret du 28 décembre 1926 par lequel le cercle de Say est à son tour détaché de la
colonie de la Haute-Volta pour être rattaché à celle du Niger confirme bien la lecture des textes
soutenue par le Niger. Son article 2 prévoit en effet que sera dorénavant rattaché à la colonie du
Niger «le cercle de Say, à l’exception du canton Gourmantché-de-Botou». Ce texte procède donc à
une modification des limites du cercle en cause, en en retirant l’une de ses composantes. En
l’absence de toute référence aux autres limites du cercle, l’on ne peut évidemment que conclure
qu’à l’exception du canton Gourmantché-de-Botou, c’est dans ses limites antérieures que la
circonscription territoriale est rattachée à la colonie du Niger. Or, ces limites n’ont jamais été
fixées que par un seul texte antérieur, le décret du 2 mars 1907. L’absence de toute mention de ce
texte dans les visas du décret de 1926 dont il est question ici n’a donc en rien pour effet de faire
disparaître la ligne fixée par le décret de 1907. On retrouve clairement ici la même logique de
déplacement de blocs de territoires que pour le décret de1919. Le décret de 1926 montre
cependant bien qu’à cette occasion, le législateur pouvait modifier une partie des limites du «bloc»
⎯c’est-à-dire du cercle ⎯ en cause. Mais en l’absence de pareille modification expresse, les
limites pré-existantes restaient évidemment d’application.
Ce qu’il est en tout cas frappant de constater, c’est que le Bénin ne précise toujours pas, à ce
stade de son raisonnement, le texte qui lui tie ndrait lieu de titre pour fixer la limite à la
rivière Mékrou.
9. Ce titre ne saurait pas plus résulter d’un autre texte ayant pour objet de fixer des limites de
colonies ou de circonscriptions administratives sur lequel le Bénin appuie son argumentation:
l’arrêté du 31 août 1927 fixant les limites des colonies de la Haute-Volta et du Niger 179. La version
initiale de cet arrêté se réfère indéniablement à la Mékrou comme limite entre les deux colonies.
Mais cette mention résulte d’une erreur, même si le Bénin trouve éventuellement que le Niger
abuse de ce terme il s’agit bien en l’occurrence d’ une erreur commise par les auteurs de ce texte
178
Ibid., annexes, série B, n° 44.
179Ibid., annexes, série B, n° 47. - 60 -
quant à son objet. Alors qu’il était supposé préciser les limites de la Haute-Volta et du Niger,
l’arrêté du 31 août 1927 a énoncé ce que ses auteurs pensaient être les limites du cercle de Say dans
son ensemble. C’est ce qui a conduit à l’adoption d’un erratum, en date du 5 octobre 1927, visant à
recentrer l’arrêté sur son véritable objet 180. Le texte de cet erratum fait simplement aboutir la
limite des colonies du Niger et de la Haute-Volta (c ’est-à-dire la limite des cercles de Say et de
Fada) à un point situé sur la Mékrou. Mais id entifier un point sur la Mékrou, la Cour en
conviendra, ce n’est évidemment pas la même chose que de faire courir une limite le long de cette
rivière. Et contrairement à ce qu’affirme le Bénin 181, ce résultat n’est nullement incompatible avec
l’argumentation du Niger. Ainsi qu’on l’a exposé plus haut, en effet, les décrets de 1909 et
de1913 ont précisément eu pour résultat de déplacer la limite entre les cercles de l’Atacora qui
relevait alors du Dahomey et de Fada-N’Gourma qui relevait alors du Niger, puis de la
Haute-Volta, en faisant aboutir son extrémité sur la rivière Mékrou, où se trouvera dorénavant fixé
le point triple entre les trois colonies dans cette zone. Le Niger a d’ailleurs eu l’occasion d’exposer
de façon approfondie dans sa réplique que c’ est précisément l’ignorance délibérée des textes
de 1909 et 1913 par le Bénin qui le conduit à adopter une position e rronée sur la manière d’arriver
182
à la détermination du point triple dans cette zone . Et ce n’est pas la prise en compte tardive de
ces textes, au moment de la phase orale, qui permet au Bénin d’arriver à des conclusions plus
satisfaisantes sur ce point, comme le Niger le montre ra de façon plus détaillée lors de sa réplique
orale de vendredi. Quoi qu’il en soit de ce dernier élément, au vu de son objet, l’arrêté de 1927, tel
qu’il a été corrigé, ne pouvait donc en aucune manière fixer la limite entre les colonies du
Dahomey et du Niger au cours de la Mékrou. Ayant fait l’objet d’un erratum, sur ce point précis,
un mois après son adoption, cet arrêté pouvait très difficilement «fixer définitivement» la limite
dans cette zone à la Mékrou, comme l’affirmait pourtant avec beaucoup d’assurance hier le Bénin.
Ce n’est, de ce fait, certainement pas non plus sur ce texte que la Partie béninoise pourrait fonder sa
revendication.
180
Ibid., annexes, série B, n° 48.
181
Contre-mémoire du Bénin, p. 162, par. 4.20; réplique du Bénin, p. 201, par. 6.23.
182Réplique du Niger, p. 989. - 61 -
10. La position défendue par le Bénin ne trouve pas plus d’appui dans les derniers des textes
pertinents fixant des limites de colonies ou de circonscriptions administratives. Les arrêtés du
8décembre1934 et du 27 octobre 1938 portant ré organisation des divisions territoriales de la
colonie du Dahomey disposent en effet que le cercle de Kandi est limité « Au Nord-Ouest, [par] la
limite Dahomey colonie du Niger, du fleuve Niger au confluent de la Pendjari avec le marigot Sud
183
de Kompongou.»
Un constat s’impose d’emblée à la lecture de cet énoncé : l’absence totale de toute référence
à la Mékrou. Le Bénin prétend cependant que les textes de 1934 et 1938 opèrent une référence
implicite, mais certaine, à ce cours d’eau comme limite intercoloniale et qu’il était inutile d’y faire
184
une mention explicite de la Mékrou, car la limite était bien connue de tous à l’époque . Pourtant,
les arrêtés de1934 et1938 mentionnent expressément le fleuve Niger comme limite nord-est du
cercle de Kandi. A suivre l’argumentation du Bé nin, on ne pourrait donc qu’ en conclure que la
limite intercoloniale était moins bien connue à l’époque dans le secteur du fleuve que dans celui de
la Mékrou, qui coulait pourtant alors dans une région totalement sauvage… Plus sérieusement,
cette absence totale de menti on de la Mékrou comme limite da ns cette zone vient donc une
nouvelle fois contredire l’affirmation de la République du Béni n selon laquelle tous les textes
coloniaux postérieurs à 1907 font référence à ce c ours d’eau comme limite. Et l’argument avancé
par le Bénin pour tenter d’expliquer le silence de ce texte à cet égard, en faisant valoir le
rattachement à l’époque du cercle de Fada à la colonie du Niger, reste, en tout état de cause, sans le
moindre effet sur ce constat: les textes de 1934 et de 1938 ne font aucune mention d’une limite
suivant la Mékrou. A moins de développer un no uveau concept, celui de titre implicite, ce n’est
donc toujours pas dans ces arrêtés que le Bénin pe ut trouver un titre fondant sa revendication dans
ce secteur.
11. Au total, dans aucun de ces textes ayant pour objet de délimiter les colonies ou les
cercles concernés dans la zone en cause ne tr ouve-t-on de mention explic ite de la Mékrou comme
183
Mémoire du Niger, annexes, série B, n° 59 et n° 61, respectivement.
184Mémoire du Bénin, p. 94, par.4.13; contre-mémoire du Bénin, p. 164, pa r.4.23; réplique du Bénin, p. 201,
par. 6.24. - 62 -
limite. Il paraît donc pour le moins singulier que le Bénin continue néanmoins à prétendre que
c’est le cas, à l’encontre des textes eux-mêmes.
Il reste que les textes coloniaux relatifs à la création de colonies ou à la fixation des limites
de circonscriptions administratives ne sont pas les seuls textes invoqués dans la présente affaire.
Un certain nombre de textes relatifs à la création de réserves de chasse ou de parcs naturels
contiennent en effet des dispositions relatives aux limites de ces réserves et parcs, auxquelles le
Bénin a cru pouvoir accorder un poids tout particulie r. Il convient donc de s’y arrêter maintenant,
pour constater que ces textes appellent une lecture plus complexe que celle proposée par le Bénin.
B. Les textes relatifs à la création de réserves de chasse et de parcs nationaux appellent une
lecture plus complexe que celle proposée par le Bénin
12. Il est indéniable que, dans certains des text es portant création de réserves et de parcs
naturels, on trouve mention d’une limite suivant la Mé krou. C’est entre autres le cas de l’arrêté du
16 avril 1926 fixant certaines conditions d’exécution du décret du 10 mars 1925 portant
185
réglementation de la chasse et ins titution de parcs de refuge en AOF , et de l’arrêté du
30 septembre 1937 relatif à la création d’une réser ve naturelle intégrale dans le cercle de Kandi 186.
L’un et l’autre disposent que la limite de l’espace protégé qu’ils créent est fixée «à l’ouest, par la
rive droite du [sic] Mékrou sur 75 km à partir de son confluent». Pour autant, ces références à la
Mékrou comme limite ne sont, une nouvelle fois, pas constantes. Ainsi, l’arrêté du 25juin1953
portant classement en forêt domaniale et réserve de faune, dite «réserve totale de faune du W, du
Niger», se borne à un renvoi à «la frontière entre le territoire du Niger et celui du Dahomey»
187
comme limite sud du parc , sans faire aucune mention, donc, de la Mékrou comme limite. On le
voit, la prudence et la nuance s’imposent donc da ns l’analyse de ces textes, ne serait-ce qu’en
raison d’énoncés qui ne sont pas touj ours concordants. Il en est d’autant plus ainsi que, comme la
Partie béninoise l’a rappelé hier encore, les deux Parties à la présente instance s’accordent pour dire
que la définition des limites de parcs ne pouvait avoir pour effet de modifier les limites de colonies,
185 o
Mémoire du Niger, annexes, série B, n 42.
186Mémoire du Bénin, annexe n 46.
187Mémoire du Niger, annexes, série B, n 67. - 63 -
188
et devait se faire dans le cadre territorial préexistant . Dès lors que l’on a vu qu’aucun texte ayant
pareil objet n’a eu pour effet de déplacer la limite intercoloniale dans cette zone pour la fixer à la
Mékrou, il semble permis de se poser la question de la validité ou de la portée qu’il convient de
reconnaître à ceux de ces textes qui font mention de la Mékrou comme limite de parc, voire parfois
comme limite intercoloniale.
13. En tout état de cause, il est loin d’être évident que ces références à la Mékrou comme
limite doivent se comprendre de la façon dont l’ entend le Bénin, à savoir comme des renvois au
cours réel de la Mékrou, tel qu’il est aujourd’hui connu. Il est indispensable, à ce sujet, de replacer
cette question dans le contexte de l’époque, en se fondant sur les documents (cartographiques en
particulier), dont disposaient alors les administrate urs coloniaux. Leur perception de la réalité du
terrain s’en est, à l’évidence, trouvée singulièrement affectée. Un examen attentif de ce matériau
cartographique permet en effet de constater aisément qu’il ne conforte pas la thèse du Bénin.
II. Le matériau cartographique de l’époque coloniale ne conforte pas la thèse du Bénin
14. Cherchant à conforter son argumentation par des éléments tirés des dossiers
cartographiques présentés par les deux Parties, le Bénin avance que toutes les cartes postérieures
à 1919 font figurer la limite sur ou le long de la Mékrou 189et que ce matériau cartographique aurait
190
donc pour effet de confirmer son titre . Mais, Monsieur le président, Messieurs les Membres de
la Cour, pour qu’il y ait confirma tion, encore faudrait-il qu’il y ait un titre à confirmer. Or, on l’a
déjà signalé plus tôt, le Bénin n’a jamais identif ié ce titre avec précision. De plus, le premier
constat qui se dégage de l’examen des dossiers cartographiques est, ici encore, que l’affirmation
péremptoire du Bénin selon laquelle toutes les car tes postérieures à 1919 ne font plus aucune
référence à la ligne de 1907 est inexacte. Deux cartes au moins, établi es respectivement en 1922
et 1928 ⎯ et dont un agrandissement de la première est actuellement sous vos yeux ⎯, continuent
à faire référence au décret du 2 mars 1907, tel qu’il a été modifié par celui de 1909, comme
191
fondement du tracé frontalier dans la région . On ne saurait voir là, comme le fait le Bénin,
188Contre-mémoire du Niger, p. 185-186, par. 5.11; réplique du Bénin, p. 203, par. 6.27.
189
Contre-mémoire du Bénin, p. 170, par. 4.35; réplique du Bénin, p. 203, par. 6.25 in fine.
190Ibid., p. 173, par. 4.44-4.45.
191Ibid., p. 171, par. 4.38. - 64 -
l’effet d’un retard dans la circul ation de l’information, qui expliq uerait que les auteurs de la carte
de 1922 n’auraient pu prendre en compte le change ment de définition de la limite dans ce secteur,
192
prétendument intervenu en 1919 . Bien au contraire, ces deux cartes publiées par les autorités de
l’AOF ont été établies avec une grande minutie. On y trouve en effet une mention du texte qui
constitue le fondement de chaque limite qui y est représentée, traduisant ainsi le souci de leurs
auteurs d’y inclure une dimension politique et juridique. La thèse de l’inadvertance ou de l’erreur
apparaît de ce fait bien mal fondée en l’espèce. N’en déplaise à la Partie adverse, ce que ces deux
cartes confirment, c’est tout simplement la pére nnité des références au tracé de 1907, plus de
vingt ans après son adoption.
15. Mais il est vrai que, dès les années 1910, des cartes, de plus en plus nombreuses par la
suite, font courir la limite entre les colonies dans cette zone le long de la rivière Mékrou. Le Bénin
y voit l’éclatante confirmation de sa thèse. Pourtant, ce matériau cartographique paraît plutôt
inviter à des conclusions nettement plus prudentes. Il reflète en effet à l’évidence une perception
profondément faussée des réalité s géographiques de la région, qui était alors impénétrable et
inexplorée. Ceci se traduit, sur les cartes, par des représentations particulièrement fantaisistes et
approximatives du cours de la Mékrou, qui ne présen tent que bien peu de rapports avec les réalités
géographiques telles qu’elles sont connues aujourd’hui. Pour le Niger, cette perception faussée du
cours de la Mékrou est lourde de conséquences. Elle implique en effet que les références opérées à
la Mékrou dans certains des textes qui ont été me ntionnés plus tôt renvoient à un cours imaginaire
de la Mékrou, bien plus proche de la ligne de 1907 que du cours réel de cette rivière. Le Bénin
ironise sur ce qu’il appelle ce «leitmotiv» de l’argumentation du Niger, utilisé «sans retenue», pour
193
reprendre ici encore les termes de la Partie adverse . La Partie béninoise estime à cet égard qu’il
est impossible de confondre le cours d’une rivière avec une ligne droite et que, sur toutes les cartes,
la rivière «est dessinée avec des méandres plus ou moins marqués, pas toujours rigoureusement
fidèles à la réalité, mais dont l’existence est incontestable» 194. Permettez-moi, Monsieur le
président, Messieurs les Membres de la Cour, de vous soumettre quelques-unes des cartes de
192 o o
Mémoire du Niger, annexes, série D, n 18 et réplique du Niger, annexes, série D, n 18bis, respectivement.
193Réplique du Bénin, p. 192, par. 6.3.
194Contre-mémoire du Bénin, p. 171, par. 4.40. - 65 -
l’époque, afin d’apprécier pleinement la pertinence des termes utilisés par le Bénin pour définir le
tracé en cause. Voici donc les «méandres plus ou moins marqués» dont parle le Bénin, sur ces
cartes de 1908, de 1925, de 1928 et de 1938. Comme vous le constatez avec la superposition de ce
croquis qui fait apparaître le cours réel de la Mé krou, le moins que l’on puisse dire est que les
méandres en question ne sont en effet «pas touj ours rigoureusement fidèles à la réalité», pour
utiliser ici encore la terminologie de la Partie a dverse. Et il vaut incontestablement la peine de
relever que cette approximation a persisté jusqu’à la veille des indépendances, comme le montre
195
par exemple ce croquis joint par le gouverneur du Dahomey à un courrier de 1951 . Les
«méandres plus ou moins marqués» de la Mékrou dans son cours inférieur n’y sautent toujours pas
particulièrement aux yeux de l’observateur moyen. Il n’y a dans ce constat aucune «insulte à
l’intelligence des administrateurs coloniaux», comme s’en offusquait hier le Bénin. Il s’agit
simplement de prendre en compte ici le fait que la perception que ces derniers avaient développée
de la géographie de la région était inexacte, en raison des représentations particulièrement
approximatives du cours de la Mékrou que l’on retrouvait sur de nombreuses cartes et qui
s’expliquait par le caractère essentiellement inexplor é de la région traversée par le cours inférieur
de cette rivière.
16. On notera aussi que, contrairement à ce qu’écrit de manière particulièrement
inappropriée le Bénin dans sa réplique, cette re présentation n’est nullement le fruit «d’efforts
laborieux et vains déployés par le Niger pour faire ressembler au maximum le cours de la rivière
Mékrou à la ligne droite de 1907 sur les croquis illustratifs qu’il a joints à son contre-mémoire» 196.
Tout au contraire ⎯et la Cour vient de le vérifier sur pièce ⎯, ces représentations ressortent
clairement de nombre de documents d’époque, qui n’ont en rien été manipulés par le Niger. Il est
donc tout à fait évident que la perception de la géographie de la région en cause par les
administrateurs coloniaux était très significativem ent faussée. Le Bénin choisit de l’ignorer et
refuse de se replacer dans les circonstances de l’é poque. Il ne paraît donc faire aucun doute pour
lui que c’est le cours réel de la Mékrou, tel qu’il est connu aujourd’hui, qui a toujours été visé par
les autorités coloniales lorsqu’elles y faisaient réfé rence comme limite de pa rcs dans cette région.
195 o
Mémoire du Bénin, annexes, n 57.
196Réplique du Bénin, p. 192, par. 6.4. - 66 -
Pour le Niger, au contraire, ces éléments de contexte sont fondamentaux et imposent une
conclusion: c’est au cours de la Mékrou, tel qu’ il apparaissait sur les cartes de l’époque, que les
administrateurs coloniaux se référaient lorsqu’ils faisaient mention de cette rivière, et non à son
cours réel, alors totalement inconnu. Et ce qui est déterminant à cet égard, et que le Bénin se refuse
à accepter, c’est que ce cours figuré est, sur bien des cartes, étonnamment proche du tracé de la
ligne de1907, même si ce cours n’est évidemment jamais représenté pa r une ligne parfaitement
droite. Les éléments ne manquent donc pas pour conclure que, pendant une très grande portion de
la période coloniale, le cours de la Mékrou a été envisagé selon un tracé très proche de celui du
décret de 1907.
17. Un dernier élément vient d’ailleurs le confirmer avec éclat: celui de la superficie
attribuée aux réserves de faune créées en 1952 et 1953, au Dahomey et au Niger respectivement.
Comme le Niger a eu l’occasion de l’exposer dans ses écritures, les superficies attribuées à l’un et à
l’autre de ces parcs ne correspondent aucunement à celles qu’ils devraient avoir si l’on se référait
au cours réel de la Mékrou. Ainsi, ce n’est que si l’on prend en compte le cours de la rivière tel
qu’il apparaît sur la plupart des cartes de l’époque coloniale, c’est-à-dire très proche de la ligne
de 1907, qu’il est possible d’arriver, pour le parc créé en 1953 du côté nigérien, à la superficie de
197
330000 hectares que lui confère l’arrêté qui en porte création . Le Bénin a critiqué ce
raisonnement dans sa réplique, en l’estimant anachronique 198. On voit pourtant très mal en quoi il
le serait. Tout au contraire, le Niger s’est replacé dans les conditions de l’époque pour comprendre
comment les chiffres donnés dans ce s arrêtés pouvaient s’expliquer. Et seule l’explication qui
vient d’être avancée s’avère cohérente, à moins de se satisfaire, comme semble le proposer le
Bénin 19, d’un «décalage» de près de 33% entre la superficie réelle des réserves et celle qui leur
était fixée dans les deux arrêtés en cause. Ne parlons sans doute pas à cet égard d’insulte à
l’intelligence des administrateurs coloniaux. Ce serait évidemment très mal venu si cet argument
était soutenu par la Partie adverse.
197Contre-mémoire du Niger, p. 190-191, par. 5.16.
198
Réplique du Bénin, p. 207, par. 6.30.
199Ibid., point ii). - 67 -
18. Au total donc, pendant la période coloniale, la limite de 1907, telle qu’elle a été modifiée
en 1909 et en 1913, n’a jamais été remise en cause dans les textes ultérieurs qui avaient pour objet
la création de colonies ou la détermination des limites de circonscriptions administratives. On
trouve certes des références à la Mékrou dans plusieurs autres textes relatifs à la création de
réserves et de parcs, mais tout montre qu’il ne s’agissait aucunement de références au cours réel de
la Mékrou, qui est resté ignoré jusque très tard. Il convient plutôt d’y voir des références au tracé
imaginaire et approximatif de la rivière, tel qu’on le retrouvait sur les cartes, et en l’occurrence bien
plus proche de la ligne de 1907 que du cours réel de la Mékrou. C’est donc la position du Bénin, et
non celle du Niger, qui se révèle anachronique, dans toute la mesu re où elle consiste à tenter
d’analyser cette situation en ne se replaçant pas da ns le contexte de l’époque, mais en faisant
comme si la connaissance de la géographie de la région, et plus particulièrement du cours exact de
la Mékrou, avait de tout temps été parfaitement établie. De plus, les incertitudes du Bénin sur ce
point se traduisent de façon particulièrement évidente par le fait que la Partie adverse n’a jamais été
en mesure d’identifier avec pr écision le titre juridique colonial sur lequel elle fonde sa
revendication.
Mais l’histoire, en ce qui concerne ce volet du différend, ne s’est pas arrêtée avec l’accession
des deux Etats à l’indépendance. Il est en effet indispensable, pour traiter complètement de cette
partie du dossier, d’aborder encore un épisode impor tant survenu après cette date charnière. On
rappellera cependant seulement de manière sommaire, dans la dernière partie de cet exposé, que les
positions prises par les autorités nigériennes au début des années 1970 ne peuvent entraîner de
conséquences juridiques car elles sont entachées d’erreur.
III. Les positions prises par les autorités nigériennes au début des années 1970 ne peuvent
entraîner de conséquences juridiques car elles sont entachées d’erreur
19. Dans le cadre des négociations entamées avec le Dahomey à partir de la fin des
années1960 au sujet d’un projet de construction d’ un barrage sur la rivière Mékrou, les autorités
nigériennes ont adopté à plusieurs reprises la pos ition selon laquelle la Mékrou constituerait la
frontière entre les deux Etats dans ce secteur. En particulier, le procès-verbal de la réunion des
experts des deux pays tenue en 1974 au sujet de la réalisation de ce projet consigne l’accord des - 68 -
deux parties sur le fait que le thalweg de la Mékrou représenterait leur frontière commune dans
cette zone 200.
20. En dépit de la clarté de cette prise de position, le Niger estime qu’il n’est pas possible de
lui attacher des conséquences juridiques dans le cadre de la présente instance. Cette prise de
position a en effet été ent achée d’erreur, dès lors que les autor ités nigériennes ignoraient tout du
décret du 2 mars 1907 et de son contenu. Une note interne à la République du Niger montre que ce
dernier texte a été exhumé seulement à la fin de l’année 1974, dans le cadre de recherches relatives
à la frontière entre le Niger et la Haute-Volta 201. Ceci explique que, lorsque la question des limites
dans cette zone s’est à nouveau posée, dans le cad re des travaux de la commission paritaire mixte
de délimitation, le Niger a d’emblée pris position en ce sens, en revendiquant la limite résultant du
décret de 1907.
21. Selon le Bénin, cependant, la théorie de l’erreur ne pourrait être invoquée en l’espèce, car
les conditions de son invocation ne seraient pas ré unies. En particulier, il n’aurait pas existé
d’erreur au départ dans le chef des autorités nigé riennes, car ces dernières auraient été convaincues
que la frontière était située à la Mékrou, mais ignoraient son emplacement exact sur ce cours
d’eau 20. De plus, à supposer même qu’il y ait eu erre ur en l’espèce, les autorités nigériennes de
l’époque y auraient contribué et se seraient engagées à la légère à l’égard du Dahomey, en dépit des
doutes qui auraient subsisté 203. La conduite des autorités nigériennes de l’époque s’opposerait
donc à ce que l’erreur puisse jouer en l’espèce.
22. En réalité, il n’en est rien. Mais les arguments avancés par le Niger à la fin de la phase
écrite pour étayer sa position ont été évoqués de façon très détaillée et systématique par le Bénin en
toute fin de journée hier, au terme de son premier tour de plaidoiries. Dans la logique de
présentation simultanée qu’a rappelée ce matin le professeur Jean Salmon, il m’est évidemment
impossible d’y apporter une réponse détaillée dans le cadre de la présente plaidoirie. Si la Cour le
200 o
Mémoire du Niger, annexes, série A, n 11.
201Ibid., annexes, série C, n 71; p. 222-223, par. 3.1.58.
202Contre-mémoire du Bénin, p. 187, par. 4.74.
203Ibid., p. 186, par. 4.73, (i); p. 187-188, par. 4.76 et 4.77. - 69 -
permet, ce n’est donc qu’au cours de la réplique orale du Niger que je reviendrai sur l’ensemble des
points qui ont été soulevés par nos estimés contradicteurs hier sur ce dernier volet du dossier.
23. Ce qu’il importe en tout état de cause de retenir à ce stade de l’argumentation, c’est que
l’essence du décret de1907 n’a jamais été fondament alement remise en cause dans la pratique
coloniale, en dépit de l’abrogation formelle de ce texte en1919 en ce qu’ il avait de contraire aux
dispositions du décret portant création de la Haute-Volta. Même lorsqu’apparaissaient des
références à la Mékrou comme limite dans certains textes ou dans la pratique, il ne s’agissait pas
d’un renvoi au cours réel de la Mékrou, mais à un tracé supposé de cette rivière, bien plus proche
de la ligne de1907 que de son cours réel. Il est de ce fait très clair pour le Niger que c’est donc
cette ligne, telle qu’elle a été modifiée en 1913, qui doit continuer à déterminer la frontière entre les
deux Etats dans ce secteur.
*
Cette plaidoirie concluait la présentation orale de la République du Niger dans le cadre de ce
premier tour de parole. Je remercie la Cour pour son attention et sa patience.
Le PRESIDENT de la CHAMBRE : Je vous remercie, Monsieur le professeur. C’est par cet
exposé que prennent fin l’audience de ce jour et le premier tour de plaidoiries. Je tiens à remercier
chacune des Parties pour la qualité des exposés qui nous ont été présentés. Et la Chambre se
réunira à nouveau le jeudi 10mars, à 10heures, pou r entendre le second tour de plaidoiries de la
République du Bénin et le vendredi 11mars, à 15heures, pour entendre le second tour de
plaidoiries de la République du Niger. Chacune des Parties disposera à cet effet d’une séance de
troisheures. Je rappellerai toutefois que, confor mément au paragraphe 1 de l’article60 du
Règlement de la Cour, les présentations orales doivent être aussi succinctes que possible.
J’ajouterai que ce second tour de plaidoiries a pour objet de permettre à chacune des Parties de
répondre aux arguments avancés oralement par l’autr e Partie. Le second tour ne doit donc pas
constituer une répétition des présentations déjà faites par les Parties, qui ne sont au demeurant pas
tenues d’utiliser l’intégralité du temps qui leur est alloué. - 70 -
Avant de déclarer la séance levée, je souhaite informer les Parties que la Chambre leur fera
éventuellement tenir demain, en fin de journée, le texte de questions qu’elle pourrait vouloir leur
poser. J’indique déjà aux Parties que les réponses à de telles questions pourront être apportées, soit
oralement au cours du second tour de plaidoiries, soit par écrit, le lundi 21 mars 2005 au plus tard.
Si la Chambre décide de poser des questions aux Parties à ce stade, lecture en sera donnée à
l’ouverture du second tour de plaidoiries. La Chambre pourra également, si elle le souhaite, poser
d’autres questions au terme du second tour de plaidoiries.
Je vous remercie. La séance est levée.
L’audience est levée à 18 heures.
___________
Audience publique tenue le mardi 8 mars 2005, à 15 heures