Différend frontalier (Bénin/Niger)
VUE D'ENSEMBLE DE L'AFFAIRE
Le 3 mai 2002, le Bénin et le Niger, par la notification conjointe d’un compromis signé le 15 juin 2001 à Cotonou et entré en vigueur le 11 avril 2002, ont saisi la Cour d’un différend concernant « la délimitation définitive de l’ensemble de leur frontière ». Aux termes de l’article premier de ce compromis, les Parties sont convenues de soumettre leur différend frontalier à une chambre de la Cour, constituée en application du paragraphe 2 de l’article 26 du Statut, et de procéder chacune à la désignation d’un juge ad hoc. La Cour, par une ordonnance du 27 novembre 2002, a décidé, à l’unanimité, d’accéder à la demande des deux Parties tendant à former une chambre spéciale de cinq juges pour connaître de l’affaire.
Après avoir tenu des audiences publiques en mars 2005, la Chambre a rendu son arrêt le 12 juillet 2005. Elle a tout d’abord rappelé brièvement le cadre géographique et le contexte historique du différend entre ces deux anciennes colonies qui relevaient de l’Afrique occidentale française (AOF) jusqu’à leur accession à l’indépendance en août 1960 ; elle a ensuite examiné la question du droit applicable au différend. Elle a indiqué qu’il comprenait le principe de l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation, ou principe de l’uti possidetis juris, qui « vise, avant tout, à assurer le respect des limites territoriales au moment de l’accession à l’indépendance ». La Chambre a estimé que, en application de ce principe, elle devait déterminer en l’affaire la frontière héritée de l’administration française. Elle a noté que « les Parties [s’étaient] accord[ées] pour dire que les dates à prendre en considération à cet effet [étaient] celles auxquelles elles ont respectivement accédé à l’indépendance, à savoir les 1er et 3 août 1960 ».
La Chambre a examiné ensuite le tracé de la frontière dans le secteur du fleuve Niger. Elle a d’abord procédé à l’examen des divers actes réglementaires ou administratifs invoqués par les Parties à l’appui de leurs thèses respectives et conclu « qu’aucune [d’entre elles] n’a[vait] apporté la preuve de l’existence, durant la période coloniale, d’un titre issu » de tels actes. Conformément au principe selon lequel, dans l’éventualité où il n’existe aucun titre juridique, l’effectivité « doit inévitablement être prise en considération », la Chambre s’est ensuite penchée sur les éléments de preuve présentés par les Parties concernant l’exercice effectif d’autorité sur le terrain à l’époque coloniale, afin de déterminer le tracé de la frontière dans le secteur du fleuve Niger et d’indiquer auquel des deux Etats appartenait chacune des îles du fleuve, en particulier l’île de Lété.
Au terme de cet examen, la Chambre a conclu que la frontière entre le Bénin et le Niger dans ce secteur suit le chenal navigable principal du fleuve Niger tel qu’il existait à la date des indépendances, étant entendu que, au niveau des trois îles situées en face de Gaya, la frontière passe à gauche desdites îles. Il en résulte que le Bénin a un titre sur les îles situées entre la frontière ainsi définie et la rive droite du fleuve, et le Niger sur les îles situées entre cette frontière et la rive gauche du fleuve.
Aux fins de déterminer l’emplacement précis de la ligne frontière dans le chenal navigable principal, c’est‑à‑dire la ligne des sondages les plus profonds telle qu’elle existait à la date des indépendances, la Chambre s’est basée sur le rapport produit en 1970, à la demande des Gouvernements du Dahomey (ancien nom du Bénin), du Mali, du Niger et du Nigéria, par l’entreprise Netherlands Engineering Consultants (NEDECO). La Chambre a précisé dans l’arrêt les coordonnées de cent cinquante‑quatre points par lesquels passe la ligne frontière entre le Bénin et le Niger dans ce secteur. Elle a indiqué notamment que Lété Goungou appartient au Niger. La Chambre a considéré enfin que le compromis lui avait conféré compétence pour déterminer aussi la frontière sur les ponts reliant Gaya et Malanville. Elle a estimé que la frontière sur ces ouvrages suit le tracé de la frontière dans le fleuve Niger.
Se penchant, dans la deuxième partie de son arrêt, sur le tracé occidental de la frontière entre le Bénin et le Niger, dans le secteur de la rivière Mékrou, la Chambre a procédé à l’examen des différents documents invoqués par les Parties à l’appui de leurs thèses respectives. Elle a estimé que, nonobstant l’existence d’un titre juridique de 1907 invoqué par le Niger à l’appui de la frontière qu’il revendiquait, il était établi que,
« à partir de 1927 en tout cas, les autorités administratives compétentes [avaie]nt considéré le cours de la Mékrou comme la limite intercoloniale séparant le Dahomey du Niger, que ces autorités [avaie]nt traduit cette délimitation dans les actes successifs qu’elles [avaie]nt édictés à partir de 1927, lesquels indiqu[ai]ent, pour les uns, et suppos[ai]ent nécessairement, pour les autres, une telle limite, et que tel était l’état du droit à la date des indépendances en août 1960 ».
La Chambre a conclu que, dans le secteur de la rivière Mékrou, la frontière entre le Bénin et le Niger est constituée par la ligne médiane de cette rivière.
Cette vue d’ensemble de l’affaire est donnée uniquement à titre d’information et n’engage en aucune façon la Cour.