Audience publique de la Chambre tenue le vendredi 31 mai 1991, à 10 heures, au Palais de la Paix, sous la présidence de M. Sette-Camara, président de la Chambre

Document Number
075-19910531-ORA-01-00-BI
Document Type
Number (Press Release, Order, etc)
1991/36
Date of the Document
Bilingual Document File
Bilingual Content

C 4/CR 91/36
Cour internationale International Court
de Justice of Justice
LA HAYE THE HAGUE
YEAR 1991
Public sitting of the Chamber
held on Friday 31 May 1991, at 10 a.m., at the Peace Palace,
Judge Sette-Camara, President of the Chamber, presiding
in the case concerning the Land, Island and Maritime Frontier Dispute
(El Salvador/Honduras: Nicaragua intervening)
___________________
VERBATIM RECORD
__________________
ANNEE l991
Audience publique de la Chambre
tenue le vendredi 31 mai 1991, à 10 heures, au Palais de la Paix,
sous la présidence de M. Sette-Camara, président de la Chambre
en l'affaire du Différend frontalier terrestre, insulaire et maritime
(El Salvador/Honduras; Nicaragua (intervenant))

COMPTE RENDU

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Present:
Judge Sette-Camara, President of the Chamber
Judges Sir Robert Jennings, President of the Court
Oda, Vice-President of the Court
Judges ad hoc Valticos
Torres Bernárdez
Registrar Valencia-Ospina

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Présents :
M. Sette-Camara, président de la Chambre
Sir Robert Jennings, Président de la Cour
M. Oda, Vice-Président de la Cour, juges
M. Valticos
M. Torres Bernárdez, juges ad hoc
M. Valencia-Ospina, Greffier

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The Government of El Salvador is represented by:
Dr. Alfredo Martínez Moreno,
as Agent and Counsel;
H. E. Mr. Roberto Arturo Castrillo, Ambassador,
as Co-Agent;
and
H. E. Dr. José Manuel Pacas Castro, Minister for Foreign Relations,
as Counsel and Advocate.
Lic. Berta Celina Quinteros, Director General of the Boundaries'
Office,
as Counsel;
Assisted by
Prof. Dr. Eduardo Jiménez de Aréchaga, Professor of Public
International Law at the University of Uruguay, former Judge and
President of the International Court of Justice; former President
and Member of the International Law Commission,
Mr. Keith Highet, Adjunct Professor of International Law at The
Fletcher School of Law and Diplomacy and Member of the Bars of
New York and the District of Columbia,
Mr. Elihu Lauterpacht C.B.E., Q.C., Director of the Research Centre
for International Law, University of Cambridge, Fellow of Trinity
College, Cambridge,
Prof. Prosper Weil, Professor Emeritus at the Université de droit,
d'économie et de sciences sociales de Paris,
Dr. Francisco Roberto Lima, Professor of Constitutional and
Administrative Law; former Vice-President of the Republic and
former Ambassador to the United States of America.
Dr. David Escobar Galindo, Professor of Law, Vice-Rector of the
University "Dr. José Matías Delgado" (El Salvador)
as Counsel and Advocates;
and
Dr. Francisco José Chavarría,
Lic. Santiago Elías Castro,
Lic. Solange Langer,
Lic. Ana María de Martínez,
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Le Gouvernement d'El Salavador est représenté par :
S. Exc. M. Alfredo Martínez Moreno
comme agent et conseil;
S. Exc. M. Roberto Arturo Castrillo, Ambassadeur,
comme coagent;
S. Exc. M. José Manuel Pacas Castro, ministre des affaires
étrangères,
comme conseil et avocat;
Mme Berta Celina Quinteros, directeur général du Bureau des
frontières,
comme conseil;
assistés de :
M. Eduardo Jiménez de Aréchaga, professeur de droit international
public à l'Université de l'Uruguay, ancien juge et ancien
Président de la Cour internationale de Justice; ancien président
et ancien membre de la Commission du droit international,
M. Keith Highet, professeur adjoint de droit international à la
Fletcher School de droit et diplomatie et membre des barreaux de
New York et du District de Columbia,
M. Elihu Lauterpacht, C.B.E., Q.C., directeur du centre de recherche
en droit international, Université de Cambridge, Fellow de Trinity
College, Cambridge,
M. Prosper Weil, professeur émérite à l'Université de droit,
d'économie et de sciences sociales de Paris,
M. Francisco Roberto Lima, professeur de droit constitutionnel et
administratif; ancien vice-président de la République et ancien
ambassadeur aux Etats-Unis d'Amérique,
M. David Escobar Galindo, professeur de droit, vice-recteur de
l'Université "Dr. José Matías Delgado" (El Salvador),
comme conseils et avocats;
ainsi que :
M. Francisco José Chavarría,
M. Santiago Elías Castro,
Mme Solange Langer,
Mme Ana María de Martínez,
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Mr. Anthony J. Oakley,
Lic. Ana Elizabeth Villata,
as Counsellors.
The Government of Honduras is represented by:
H.E. Mr. R. Valladares Soto, Ambassador of Honduras to the
Netherlands,
as Agent;
H.E. Mr. Pedro Pineda Madrid, Chairman of the Sovereignty and
Frontier Commission,
as Co-Agent;
Mr. Daniel Bardonnet, Professor at the Université de droit,
d'économie et de sciences sociales de Paris,
Mr. Derek W. Bowett, Whewell Professor of International Law,
University of Cambridge,
Mr. René-Jean Dupuy, Professor at the Collège de France,
Mr. Pierre-Marie Dupuy, Professor at the Université de droit,
d'économie et de sciences sociales de Paris,
Mr. Julio González Campos, Professor of International Law,
Universidad Autónoma de Madrid,
Mr. Luis Ignacio Sánchez Rodríguez, Professor of International Law,
Universidad Complutense de Madrid,
Mr. Alejandro Nieto, Professor of Public Law, Universidad
Complutense de Madrid,
Mr. Paul De Visscher, Professor Emeritus at the Université de
Louvain,
as Advocates and Counsel;
H.E. Mr. Max Velásquez, Ambassador of Honduras to the United Kingdom,
Mr. Arnulfo Pineda López, Secretary-General of the Sovereignty and
Frontier Commission,
Mr. Arias de Saavedra y Muguelar, Minister, Embassy of Honduras to
the Netherlands,
Mr. Gerardo Martínez Blanco, Director of Documentation, Sovereignty
and Frontier Commission,
Mrs. Salomé Castellanos, Minister-Counsellor, Embassy of Honduras to
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the Netherlands,
M. Anthony J. Oakley,
Mme Ana Elizabeth Villata,
comme conseillers.
Le Gouvernement du Honduras est représenté par :
S. Exc. M. R. Valladares Soto, ambassadeur du Honduras à La Haye,
comme agent;
S. Exc. M. Pedro Pineda Madrid, président de la Commission de
Souveraineté et des frontières,
comme coagent;
M. Daniel Bardonnet, professeur à l'Université de droit, d'économie
et de sciences sociales de Paris,
M. Derek W. Bowett, professeur de droit international à l'Université
de Cambridge, Chaire Whewell,
M. René-Jean Dupuy, professeur au Collège de France,
M. Pierre-Marie Dupuy, professeur à l'Université de droit,
d'économie et de sciences sociales de Paris,
M. Julio González Campos, professeur de droit international à
l'Université autonome de Madrid,
M. Luis Ignacio Sánchez Rodríguez, professeur de droit international
à l'Université Complutense de Madrid,
M. Alejandro Nieto, professeur de droit public à l'Université
Complutense de Madrid,
M. Paul de Visscher, professeur émérite à l'Université catholique de
Louvain,
comme avocats-conseils;
S. Exc. M. Max Velásquez, ambassadeur du Honduras à Londres,
M. Arnulfo Pineda López, secrétaire général de la Commission de
Souveraineté et de frontières,
M. Arias de Saavedra y Muguelar, ministre de l'ambassade du Honduras
à La Haye,
M. Gerardo Martínez Blanco, directeur de documentation de la
Commission de Souveraineté et de frontières,
Mme Salomé Castellanos, ministre-conseiller de l'ambassade du
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Honduras à La Haye,
Mr. Richard Meese, Legal Advisor, Partner in Frère Cholmeley, Paris,
as Counsel;
Mr. Guillermo Bustillo Lacayo,
Mrs. Olmeda Rivera,
Mr. José Antonio Gutiérrez Navas
Mr. Raul Andino,
Mr. Miguel Tosta Appel
Mr. Mario Felipe Martínez,
Mrs. Lourdes Corrales,
as Members of the Sovereignty and Frontier Commission.
The Government of Nicaragua is represented by:
H. E. Mr. Carlos Argüello Gómez
as Agent and Counsel;
H. E. Mr. Enrique Dreyfus Morales, Minister for Foreign Affairs;
Assisted by
Mr. Ian Brownlie, Q.C., F.B.A., Chichele Professor of Public
International Law, University of Oxford; Fellow of All Souls
College, Oxford,
as Counsel and Advocate;
and
Dr. Alejandro Montiel Argüello, Former Minister for Foreign Affairs,
as Counsel.
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M. Richard Meese, conseil juridique, associé du cabinet Frère
Cholmeley, Paris,
comme conseils;
M. Guillermo Bustillo Lacayo,
Mme Olmeda Rivera,
M. José Antonio Gutiérrez Navas
M. Raul Andino,
M. Miguel Tosta Appel,
M. Mario Felipe Martínez,
Mme Lourdes Corrales,
comme membres de la Commission de Souveraineté et des frontières.
Le Gouvernement du Nicaragua est représenté par :
S. Exc. M. Carlos Argüello Gómez
comme agent et conseil;
S. Exc. M. Enrique Dreyfus Morales, ministre des affaires étrangères;
assisté par
Mr. Ian Brownlie, Q.C., F.B.A., professeur de droit international
public à l'Université d'Oxford, titulaire de la chaire Chichele,
Fellow de l'All Souls College, Oxford,
comme conseil et avocat;
et
Dr. Alejandro Montiel Argüello, ancien ministre des affaires
étrangères,
comme conseil.
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The PRESIDENT: Please be seated. The sitting is open. We proceed with our hearings on
the legal situation of the islands and I give the floor to Professor Sánchez Rodríguez.
M. SANCHEZ RODRIGUEZ : Monsieur le Président, Messieurs les Juges, j'ai le plaisir de
comparaître à nouveau devant vous, cette fois-ci pour réfuter les thèses de mes contradicteurs à
propos du différend insulaire. A cette fin, je diviserai mon intervention en deux parties clairement
différenciées : dans la première, je répondrai aux observations d'ordre historique que M. Lima a
formulées à propos de la période de la domination espagnole, en établissant à cette occasion une
distinction entre les arguments d'ordre écclésiastique puis les documents d'ordre laïque. La deuxième
partie de mon intervention sera consacrée à ma réponse à certains arguments exposés à l'audience
d'hier et d'avant-hier par M. Highet, portant essentiellement sur les questions du droit applicable, de
l'objet du différend et des effectivités.
* * *
En ce qui concerne les thèses soutenues à propos de l'historique du différend par M. Lima, je
dois signaler, à titre préliminaire, qu'elles ne contiennent aucun nouvel élément. Aussi, épargnerai-je
à Messieurs les Juges la redite du débat historique général et je me concentrerai sur certains
documents que j'estime offrir un certain intérêt.
Passons tout d'abord à l'examen des documents d'origine écclésiastique.
S'agissant de la cure de Choluteca avant 1672, nous avons déjà fait la preuve de la
compétence accordée par le "Real Patronato de la Audiencia" à chaque curé dans sa juridiction.
Jamais aucun titre de curé n'a été octroyé pour couvrir plusieurs cures. Au contraire, lorsqu'un curé
ne pouvait visiter sa cure, on nommait un curé coadjuteur à la demande du premier, un rôle qui
pouvait revenir à un religieux d'un quelconque ordre existant dans la province. Ce fut par exemple le
cas de Fray Manuel de Bendaña de l'ordre de la Merced du couvent de Choluteca dont les religieux
étaient autorisés par le curé de Nacaome, compte tenu de l'étendue de sa cure, à visiter les îles. La
cure de Choluteca disposait en effet d'embarcadères, comme nous le dit un autre religieux de la
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Merced, Fray Jacinto Diaz de la Paz, en 1802, qui nous parle de l'embarcadère du Pedregal et de la
visite à laquelle il a procédé dans les îles d'El Tigre, de Meanguera et de Meanguerita et de
San Cristobal, avec l'autorisation du curé de Nacaome dont ont toujours dépendu les îles décrites
(document présenté lors de la phase orale).
Pour ce qui est de la question de l'appartenance des îles du golfe au couvent franciscain de
Nacaome (chap. 5.22), la juridiction de ce couvent a été établie pour la période allant du rapport du
Padre Ponce en 1586, supérieur de l'Ordre du Santísimo Nombre de Jesus de Guatemala et son
"visitador" (CMH, ann. IX.3, p. 270) jusqu'à 1816 date de la visite de Fray Manuel de Bendaña
(CMH, annexes XIII.2, p. 2296).
L'attribution des îles au Honduras est également établie dans la chronique de la province du
Santísimo Nombre de Jesus de Guatemala, écrite en 1642 par Fray Francisco Vasquez, "visitador"
lui-aussi de l'Ordre franciscain (MH, annexes, vol. I, annexe VII.10, p. 404).
La résolution de 1675, qui stipule que la "Guardania Franciscana" de Nacaome ne revient pas
à l'évêché de Comayagua au plan religieux, ne dit absolument pas que celle-ci serait administrée à
partir de San Miguel, une fonction que n'avait aucun curé séculier sur une "Guardanía" de réguliers
comme c'était le cas de celle de San Francisco de Nacaome. Cette fonction de visite de ces
"Guardanias" revenait exclusivement à l'évêque in situ ou à distance. Au demeurant, la "Real
Cedula" de 1672 jette un jour définitif sur ces questions (RH, vol. II, p. 952 et croquis annexé,
p. 955).
Pour ce qui est du document de 1733 qui indique que l'évêque de Gautemala a effectué une
visite à partir de San Miguel dans la cure de Nacaome, cela n'a pas pu se passer aux dates citées,
étant donné que ce couvent de Nacaome, cette Guardianía avait disparu depuis des années après
qu'on en ait fait une cure séculière de l'évêché de Comayagua au moment où en 1678 Fray Alonso de
Vargas y Abarca a été nommé évêque du Honduras et de la ville de Jerez de la Choluteca (MH,
vol. II, p. 541).
A cette date, l'évêque de Guatemala ne se rend pas en visite à Nacaome mais à Goascorán qui
était une "Guardianía" franciscaine, puisqu'il était évêque de Guatemala et appartenait au même
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ordre.
El Salvador, d'autre part, passe sous silence certaines données et même si dans son propre
contre-mémoire il cite, aux chapitres 5.22 et 5.24, il reconnaît que Nacaome était une cure de
l'évêché du Honduras (CMES, p. 139).
En 1678, l'évêque Vargas y Abarca, évêque du Honduras et de la ville de Jerez de la
Choluteca, divise l'ancienne "Guardiania" de Nacaome en deux, Nacaome avec ses villages devenant
une cure séculière et Goascorán demeurant une "Guardiania" franciscaine avec sept villages
d'Indiens (MH, vol. II, p. 541). Cette "Guardianía" même si elle est administrée à partir de
Guatemala du point de vue religieux, continuait, du point de vue civil, d'appartenir à
l'"Alcaldia Mayor de Minas" de Tegucigalpa puis à partir de 1787-1791 à l'Intendance de
Comayagua. Cela est facile à démontrer grâce aux documents invoqués ci-après :
a) L'"Alcalde Mayor" de Tegucigalpa, Fernando Alfonso de Salvatierra, a ouvert en 1677 un
procès dans le village de Goascorán de sa juridiction à l'encontre de Juan Llanos y Valdez pour avoir
occupé des Indiens à la fabrication de teinture indigo (RH, p. 323, par. 38, version espagnole); ce
même maire déclare avoir procédé à l'inspection de la fabrique d'indigo à Tegucigalpa et à Choluteca
(RH, p. 224, par. 38); le 30 juin 1682, le capitaine Antonio de Ayala, "Alcalde Mayor" de Minas de
Tegucigalpa et de la ville de Jerez de la Choluteca, indique qu'il a été informé du peu de maïs et de
blé qu'il y a dans cette juridiction (RH, annexes, vol. I, annexe VII.8.D, p. 399); en 1692, le curé de
Choluteca poursuit le curé de Goascorán pour un litige foncier entre les habitants de Nacaome (RH,
annexe VII.9, p. 401).
Il est donc incontestable que Goascorán, Nacaome et Choluteca appartenaient à la juridiction
des Minas de Tegucigalpa dans la juridiction de la "Gobernación" et de l'"Intendencia" de
Comayagua et de l'évêché du même nom.
Si les îles avaient appartenu à un moment quelconque à l''Alcaldia" de San Miguel du point de
vue civil, administratif ou religieux, un quelconque maire, intendant ou curé de Yayantique, Gotera
et Conchagua, si proches d'elles, jamais ne les auraient mentionnées (MH, annexes XIII.2.29.A,
p. 2320) ?
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La vicairie même de San Miguel, une fois qu'El Salvador a son propre évêché, ne fait aucune
mention des îles (MH, annexe XIII.2.25, p. 2332).
En ce qui concerne les documents et arguments liés à la juridiction laïque ou civile, il n'existe
pas davantage de nouveaux éléments. Aussi ne répéterai-je pas les arguments invoqués par le
Honduras au cours de la phase écrite et lors de mon intervention devant la Cour. L'histoire n'a pas
changé au cours de ces derniers jours et la position des Parties n'a pas davantage évolué. Je voudrais
néanmoins adresser quelques commentaires à M. Lima à propos de certains éléments concrets de son
intervention.
En premier lieu, M. Lima a consacré la majeure partie de son exposé à l'analyse des "Reales
Cédulas" de 1563 et 1564, et est arrivé à la conclusion que le golfe de Fonseca a été attribué à
Guatemala. Le Honduras a déjà affirmé qu'il ne pouvait admettre semblable thèse. Néanmoins,
j'adresserai deux questions à mon distingué collègue. La première est la suivante : dans l'hypothèse
où la thèse d'El Salvador serait la bonne, sur quelle base juridique El Salvador réclamerait-il la
totalité du golfe de Fonseca, étant donné la création en 1580 de l'Alcaldía Mayor de Minas" du
Honduras, avec l'incorporation de Nacaome et des îles du golfe de Fonseca ? La deuxième question
appelle une réponse encore plus difficile que la première : la proposition de M. Lima est-elle
compatible avec le texte de l'article 84 de la Constitution salvadorienne en vigueur, laquelle ne
considère comme îles salvadoriennes que celles visées par l'arrêt de la cour centraméricaine
de 1917 ? En effet, si la thèse de M. Lima était exacte, El Salvador aurait succédé à l'Espagne dans
toutes les îles du golfe, et non pas dans celles visées indirectement dans texte constitutionnel.
La deuxième question porte sur l'Alcaldía Mayor" de Tegucigalpa. Je ne reviendrai pas sur
cette question, Messieurs les Juges; je me bornerai simplement à poser une question à mon
contradicteur sur laquelle j'attends avec intérêt son aimable réponse. Comment pourrait-il expliquer
devant la Cour la référence contenue dans la sentence arbitrale rendue par le roi d'Espagne le
23 décembre 1906, laquelle a été confirmée ultérieurement par la Cour devant laquelle nous nous
trouvons (C.I.J. Mémoires, Sentence arbitrale rendue par le roi d'Espagne le 23 décembre 1906,
vol. I, p. 355-357) ? La réponse est très simple, Messieurs les Juges. Deux tribunaux
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internationaux ont résolu de manière définitive, en 1906 et en 1960, le problème sur lequel la Partie
adverse insiste tant. Et pour donner satisfaction à nos contradicteurs, je me permets d'ajouter une
liste de documents qui établissent le bien-fondé de la position du Honduras (MH, annexe XIII.2.16,
p. 2032; annexe XIII.2.28; annexe XIII.2.24; MM, vol. I, p. 24; annexe VII.8; annexe VII.8B;
annexe VII.8C; annexe VII.8D; MH, vol I, p. 28; MH, annexe I.1.1; annexe I.1.5).
Enfin M. Lima a reconnu une certaine importance au document de 1766 de M. Lorenzo Irala
mais sans ajouter aucun nouvel argument aux positions soutenues par El Salvador dans ses écrits. Il
paraîtrait donc juste que je renvoie à la position soutenue par le Gouvernement du Honduras (RH,
vol. II, p. 986-988), attendu que le document est totalement dépourvu, en soi, de toute force
probante.
* * *
Passons sans plus tarder, Monsieur le Président, à la question du droit applicable au différend
insulaire. Selon ce qu'a indiqué M. Lima dans son intervention, que l'on applique l'uti possidetis
juris de 1821 ou le critère de l'exercice pacifique et continu de la souveraineté étatique, le résultat
serait le même : les îles reviendraient à El Salvador. De son côté, M. Highet s'est livré à une
formulation qui tendrait plutôt à retenir le critère de l'exercice pacifique et continu de la souveraineté
étatique sur les îles comme base de la ratio decidendi, en prenant comme leader case l'affaire des
Minquiers et Ecréhous. Il a d'autre part rappelé que le Honduras est tenu de respecter l'article 26 du
traité général de paix de 1980 et a mis en avant la contradiction qu'il dit déceler dans la position
juridique hondurienne, selon laquelle ce qui serait utile pour Meanguera et Meanguerita, serait en
revanche tout à fait contreproductif pour l'île d'El Tigre.
Fondamentalement, la position de la Partie adverse sur ce point ne présente pas d'éléments
nouveaux en ce qui concerne les écrits soumis, ne ne répond à aucune des questions formulées dans
la précédente intervention (voir C 4/CR 91/31, p. 64 à 78). Je ne me répéterai pas sur cette question
précise et je me bornerai à poser les questions suivantes, auxquelles j'attends avec le plus grand
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intérêt une réponse de l'autre côte de la barre :
S'agit-il, dans le présent litige, de déterminer qui du Honduras ou d'El Salvador a succédé à
l'Espagne dans la souveraineté territoriale sur les îles contestées ?
Dans l'affaire qui nous occupe, la distinction entre acquisition originelle et acquisition dérivée
de la souveraineté territoriale a-t-elle une raison d'être ?
La distinction entre conflits d'attribution et conflits de délimitation de la souveraineté
territoriale se justifie-t-elle pour déterminer le droit applicable à un différend territorial concernant la
succession d'un Etat émancipé sur le territoire de l'ancien souverain territorial, lorsque ledit territoire
est constitué par une ou plusieurs îles ?
Existe-t-il des règles générales dans le droit international qui régissent la succession d'Etats
sur un territoire insulaire, qu'on les considère ou non comme principe de l'uti possidetis juris ?
Le principe de l'uti possidetis juris est-il substantiellement différent, en termes juridiques, des
principes qui régissent la succession d'Etats sur un territoire soumis à la domination coloniale ?
Existe-t-il en droit international une quelconque règle qui place hiérarchiquement le critère de
l'effectivité de la possession au-dessus du principe de la succession d'Etats sur le territoire ?
Comment peut-on expliquer, du point de vue juridique, la non-application des règles générales
de droit international qui régissent la succession des Etats sur un territoire donné dérivée d'un cas
d'émancipation colonial ?
Comment justifier, d'un point de vue juridique, que l'on applique les règles générales de droit
international concernant l'acquisition de la souveraineté territoriale de territoires nullius aux îles de
Meanguera et Meanguerita, tout en reconnaissant que ces îles étaient incontestablement placées sous
la souveraineté de la Couronne espagnole ?
Comment se justifie, du point de vue juridique en général et du point de vue du droit des
traités en particulier, la prétention d'El Salvador de faire prévaloir l'article 26 du traité général de
paix de 1980 sur le renvoi aux principes et aux normes du droit international visés à l'article 5 du
compromis, lequel date de 1986 (donc est postérieur à 1980) et lie également El Salvador ?
Je suis sûr que Messieurs les juges conviendront avec moi qu'une réponse précise de la part
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d'El Salvador aux questions que je viens de formuler contribuerait notablement à dissiper tout doute
à propos du problème du droit applicable. Aussi inviterai-je instamment la Partie adverse à bien
vouloir nous apporter ladite réponse.
Mais arrêtons-nous un instant sur l'hypothèse de la possession effective. El Salvador a
reconnu expressément qu'il ne dispose d'aucune preuve sur les effectivités dans l'île de Meanguerita.
Comment déterminer donc, en dehors de l'uti possidetis juris, à qui revient la souveraineté sur l'île de
Meanguerita ? Il n'y a pas de réponse possible, Messieurs les Juges, et El Salvador s'en est
parfaitement rendu compte. En ouvrant le flacon, on a laissé échapper le génie et, du même coup,
cette fois-ci, on a laissé Meanguerita sans aucun titre. C'est la raison pour laquelle mon éminent et
habile contradicteur a ébauché pour la première fois la thèse qui veut que Meanguerita suive le sort
de Meanguera, qu'il s'agisse d'un archipel dans lequel l'occupation de l'île principale suppose
l'occupation des îles plus petites. Cette thèse appelle certaines critiques.
De quel archipel veut parler mon honorable contradicteur ? Au plan géographique, et en ce
qui concerne l'affaire actuelle, l'archipel serait constitué par l'ensemble des îles et îlots existant dans
le golfe de Fonseca, y compris les Farallones. Mais il est évident qu'il serait exagéré d'étendre ce
principe à des îles qui appartiennent à trois Etats, car l'île de Zacate Grande tout au moins est
reconnue comme appartenant au Honduras. Quel est donc cet archipel ? Celui constitué par
Meanguera et Meanguerita ? Celui constitué par Meanguera, Meanguerita et on ne sait quelles
autres îles ? La Partie adverse devrait admettre que dans le cas de Meanguerita, la thèse de
l'occupation effective la mène à une impasse, étant donné que le principe juridique présumé selon
lequel en matière de souveraineté, la petite île accompagne fatalement la grande île, n'est un principe
sanctionné ni par le droit international ni par le droit de la mer. Or la Cour est composée de juges
qui pourront apprécier le fondement, justifié ou non, de la thèse de la Partie adverse. Faut-il en
déduire que Meanguerita n'appartient à aucun Etat ? Non, l'uti possidetis juris nous donne une
réponse sûre sur ce point.
Passons maintenant à une autre question directement liée à la précédente. M. Highet m'a
accusé, sur un ton apparemment ironique, d'avoir proposé à la Cour cinq dates critiques possibles :
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1821, 1854, 1969, 1980 et 1981. En réalité, sa remarque revêt une importance juridique qui va
au-delà de la simple ironie. Et je m'explique. La notion jurisprudentielle de date critique est
étroitement liée aux contentieux relatifs à l'acquisition originelle d'un territoire nullius comme il
ressort clairement des cas de l'Ile de Palmas, du Groënland oriental et des Minquiers et Ecréhous.
Aussi la République du Honduras ne peut-elle accepter que le débat actuel soit amené sur le terrain
du choix d'une date critique, étant donné que dans le cas d'une succession d'Etats par suite d'une
émancipation coloniale, une seule date peut être considérée comme juridiquement pertinente : celle de
l'accession à l'indépendance des nouveaux Etats. Or, dans notre cas, cette date ne fait aucun doute :
il s'agit de 1821. Avec une grande habileté et apparemment sans y attacher d'importance, M. Highet
s'est accroché à la date critique présumée - et dans le cas présent inadmissible - de 1986. Le tour est
habile, Monsieur Highet, car il poursuit un double objectif : préjuger le droit applicable et prolonger
le temps de la preuve; mais il ne m'est pas passé inaperçu, comme d'ailleurs, j'en suis sûr, il n'est pas
passé inaperçu de Messieurs les juges. Non, dans notre affaire, il n'y a pas de date critique autre que
celle de 1821.
Dans cette même affaire qui nous occupe, les dates de 1854, 1969, 1980 et 1986 jouent un
rôle du point de vue juridique, mais ne représentent en aucune manière des dates critiques possibles.
Ce fait a été expressément reconnu de l'autre côté de la barre; ce n'est pas une simple affirmation
rhétorique de ma part. M. Oakley a rappelé l'obligation à laquelle nous sommes tous tenus, de
respecter le statu quo de 1982 (cf. C 4/CR 91/30, p. 19), c'est-à-dire un statu quo qui produit des
effets juridiques concrets et la note du ministre des relations extérieures salvadorien du
31 janvier 1991, versée au dossier le 9 avril dernier, fait référence à cette même notion. 3l Salvador
considère donc certaines de ces dates non pas comme des dates critiques, mais comme des dates
relatives au statu quo. Pour quelle raison, tout d'un coup - à notre grande surprise M. Highet
cherche-t-il à en faire des dates supposément critiques ?
En fin de compte, la Partie adverse n'a avancé jusqu'à cette heure, aucune raison, aucun
argument juridiquement convaincant, pour expliquer la raison qui ferait que l'exercice pacifique et
continu des fonctions étatiques devrait être le principe applicable à la solution du différend insulaire,
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ce qui revient à déplacer le droit international relatif aux successions d'Etats sur des territoires par
suite d'une émancipation coloniale, c'est-à-dire l'uti possidetis juris, comme le réclame le Honduras,
comme il a été accepté par les deux Parties d'une manière générale pour la solution du présent
différend et comme il découle, sans l'ombre d'un doute, des articles 5 du compromis et 26 du traité
général de paix de 1980. Oui, Monsieur le Président, également - et surtout - de l'article 5 du
compromis, qui semble toujours se trouver hors du champ de vision de M. Highet.
Selon mon éminent collègue, ce droit applicable semble se répartir entre ancien et moderne :
"La Chambre serait de toutes façons tenue d'appliquer le droit moderne de l'acquisition de territoire.
Ce qui signifie tenir compte des faits réels relatifs à l'exercice pacifique et continu de la souveraineté
et du contrôle sur le territoire, ainsi que des titres sur papier ou des actes coloniaux. L'exception, et
non pas la règle, sera représentée par des situations telles que celle de Burkina Faso/Mali" dans
laquelle la Cour a statué, conformément au compromis, sur la base du "principe de l'intangibilité des
frontières héritées de la décolonisation".
Ce paragraphe appelle certains commentaires. Tout d'abord, le droit moderne sur l'acquisition
du territoire serait la possession effective, d'où il découle que l'uti possidetis juris serait le "droit
ancien". Rien de plus éloigné de la réalité, Messieurs les Juges, puisque, comme vous le savez mieux
que quiconque, le principe est né au siècle dernier, qu'il a été adopté comme règle générale en
Afrique il y a moins de trente ans et qu'il prend tout son sens avec l'émancipation coloniale qui
approche précisément en ce moment de son terme. C'est-à-dire qu'il s'agit d'un principe de la plus
grande actualité, que les Etats latino-américains ont adopté très tôt le siècle passé. Et les règles sur
la possession effective, M. Highet, de quand datent-elles ? Ne sont-elles pas le résultat de la
jurisprudence internationale élaborée au cours du XIXe
siècle et au début du siècle actuel ?
La Partie adverse affirme ensuite que l'uti possidetis juris est l'exception à la règle générale.
Le problème est tout autre, Messieurs les Juges, car le droit international prévoit des règles
juridiques différentes selon qu'il s'agit de l'attribution originelle d'un territoire nullius ou de
l'attribution dérivée d'un cas de succession d'Etats. Il ne s'agit donc absolument pas d'une exception;
il s'agit de prévoir des règles différentes pour des situations juridiquement différentes. Enfin, le
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paragraphe cité nous offre paradoxalement la clé du problème, puisqu'il y est dit que l'uti possidetis
juris s'applique précisément comme principe "de l'intangibilité des frontières héritées de la
colonisation", ce qui est la thèse du Honduras et correspond au cas qui nous intéresse dans lequel
nous débattons - ni plus ni moins - des frontières héritées de la colonisation espagnole en Amérique.
Compte tenu de tout ce qui précède, M. Highet, maintenez-vous votre paragraphe dans tous ses
points ?
Puis, mon éminent contradicteur justifie l'application du critère de la possession effective sur
la base de motifs de pure utilité pratique, dans la mesure où il est plus facile de déterminer l'exercice
des fonctions étatiques dans une île que sur un autre type de territoire. Mon contradicteur pourrait-il
nous citer une seule décision, un seul principe, une seule norme écrite de droit international où il est
dit que le critère devant servir à l'attribution de la souveraineté sur les îles est celui de l'utilité ?
Peut-il donc nous expliquer la ratio decidendi dans l'affaire de l'île d'Avès ? Par ailleurs, il faut
ajouter que la détermination de ce qui exerce la souveraineté effective sur une île n'est pas aussi
facile qu'on veut bien nous le laisser entendre, comme il ressort, par exemple, de l'affaire de l'île
Clipperton ou du cas des Minquiers et Ecréhous.
Tout cela démontre une conception surprenante du droit international, mais beaucoup plus
surprenante encore est l'affirmation de M. Highet selon laquelle si la Cour établissait la souveraineté
sur Meanguera et Meanguerita, supposément en vertu de l'uti possidetis juris ou des règles de
succession d'Etats émancipés sur un territoire, cela reviendrait à violer les droits de l'homme
fondamentaux des habitants et les normes en matière d'autodétermination. L'affirmation est
tellement catégorique qu'elle mérite quelques observations.
En premier lieu, la Partie adverse n'indique pas qui violerait ces droits présumés : est-ce la
Cour, en établissant la souveraineté ou l'Etat successeur ? Par ailleurs, pourrions-nous savoir dans
quel texte international des Nations Unies, du système interaméricain ou de tout autre système de
protection des droits de l'homme est envisagé le droit des habitants d'un territoire à demeurer à
jamais sous la même juridiction et le même contrôle ? Ce dont nous sommes en train de parler ici,
c'est d'Etats souverains et indépendants et de leurs droits sur le territoire. Si la Cour déclarait que
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Meanguera et Meanguerita sont territoires honduriens, cela n'aurait absolument aucune répercussion
sur la nationalité de leurs habitants. Et si - pure hypothèse - le Honduras se livrait par la suite à des
violations des droits de l'homme, cela serait une tout autre question; mais le simple fait de déclarer à
qui appartient la souveraineté sur un territoire ne porte en rien atteinte, en principe, aux droits de
l'homme fondamentaux de ses habitants.
D'autre part, tant la Constitution hondurienne que la Constitution salvadorienne sont des
textes modernes, démocratiques et dotés de systèmes de protection des droits fondamentaux des
personnes. Je dois avouer que d'un point de vue strictement personnel, je ne peux que comprendre la
sensibilité salvadorienne en matière de droits de l'homme, une question délicate sur le plan intérieur
et à propos de laquelle les Nations Unies interviennent depuis plusieurs années.
Nous en arrivons de la sorte au droit à l'autodétermination. Mais l'autodétermination de qui ?
S'agit-il de l'autodétermination visée par la Charte des Nations Unies, entre autres, dans les
résolutions 1514 (XV), 1541 (XV) et 2625 (XXV) de l'Assemblée générale ? Monsieur le Président,
j'ignorais jusqu'à présent que nous nous trouvions en présence d'une situation coloniale, étant donné
que la colonisation espagnole a disparu de la scène depuis cent soixante-dix ans. Or, d'après ce que
je sais du droit de la décolonisation, je ne vois pas sur quoi la Partie adverse s'appuie pour laisser
entendre que les habitants des îles sont titulaires d'un droit à l'autodétermination. Bref, M. Highet,
maintenez-vous toujours votre déclaration ?
Arrivons-en maintenant à l'objet du différend. Dans ce cas, le différend inclut son propre
objet. C'est-à-dire que nous nous trouvons face à un différend complémentaire sur l'objet du
différend. La Partie adverse a reproché au Honduras son interprétation de l'article 2 du compromis,
sur lequel le Honduras en effet fait reposer son opinion que le différend insulaire porte exclusivement
sur deux îles.
El Salvador, pour autant, n'a pas expliqué sur quelle règle d'interprétation des traités il s'appuie
pour étendre la controverse à toutes les îles, étant donné que ce terme n'apparaît pas dans le
compromis et que la limitation à la souveraineté des Etats ne se présume pas, selon la formule
jusrisprudentielle bien connue. La controverse ne peut s'étendre à toutes les îles pour diverses
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raisons : tout d'abord, parce que le Honduras ne revendique pas la totalité des îles du golfe;
deuxièmement, parce qu'il n'y a jamais eu jusqu'à présent de revendication sur l'île d'El Tigre, étant
donné que l'uti possidetis juris a été suivi, à partir de 1821, par la possession pacifique et continue
des îles de la part du Honduras, avec une correspondance parfaite entre le titre et l'effectivité;
troisièmement, la Partie adverse doit expliquer comme il convient la raison pour laquelle elle n'a pas
revendiqué, à l'époque, l'île de Zacate Grande, à moins qu'elle ne soutienne que la continuité physique
représente un titre juridique valable et incontestable.
Je laisse maintenant de côté l'objet de la controverse auquel les Parties ont déjà consacré les
efforts que connaissent bien Messieurs les Juges, en me réservant de revenir à la fin de mon
intervention, sur cette question pour la clore une bonne fois pour toutes. Ceci dit, je tiens à rappeler
à nos contradicteurs que lorsque le Honduras soutient cette thèse, il n'y a pas de contradiction avec le
principe de l'uti possidetis juris à propos de l'île d'El Tigre, attendu que le pays que je représente ne
fonde pas sa souveraineté sur l'île d'El Tigre sur l'exercice pacifique et continu des fonctions
étatiques, mais bien, comme je viens de l'indiquer il y a quelques instants, sur la parfaite harmonie
entre le titre colonial et l'effectivité ultérieure sur ladite île.
Mon honorable contradicteur cherche à m'amener ensuite sur un terrain qu'il considère plus
sûr, celui des effectivités salvadoriennes dans l'île de Meanguera. Comme il est bien naturel, il
s'attaque, non sans courage, aux effectivités honduriennes du siècle dernier dans l'île, étant donné que
compte tenu de ses objectifs tactiques, la Partie adverse a à tout prix besoin d'effacer du monde des
documents tout vestige d'exercice de juridiction sur les îles. Dans cet effort laborieux, elle va même
jusqu'à recourir au document de 1852, présenté par le Honduras le ler mai dernier, lequel établit la
juridiction hondurienne au moment en question, comme Messieurs les Juges l'auront constaté à sa
lecture, indépendamment des hypothèses et des lectures intéressées auxquelles peut se livrer la Partie
adverse.
Ensuite, mon contradicteur rappelle les nombreux exercices de compétences étatiques
auxquels El Salvador prétend s'être livré, puis il revient une fois encore sur la question
constitutionnelle et sur l'affaire Chatfield. Les positions des Parties sont claires sur ce point et il n'y
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a pas lieu d'abuser inutilement de la patience de Messieurs les Juges. Néanmoins, s'agissant
d'effectivités, j'aimerais faire quelques remarques marginales, puisque j'ai déjà procédé à la critique
proprement dite de ces effectivités lors d'une audience antérieure (cf.C4/CR 91/32, p. 27 à 47).
La première remarque, comme déjà dit, est que mon distingué contradicteur ne mentionne de
présumées effectivités que dans le cas de Meanguera, en laissant de côté l'île d'El Tigre. J'ai déjà fait
ressortir ce fait à propos de Meanguerita, mais il pourrait être étendu aux autres îles puisqu'à ce qu'il
paraît, elles sont toutes sujettes à controverse. Si c'est le cas, pourquoi ne dit-on pas un mot sur les
effectivités dans les autres îles ? Pourquoi l'autre Partie garde-t-elle le silence sur toute île qui ne
soit pas Meanguera ? Pour une raison bien simple, Messieurs les Juges, tout bonnement parce que
la controverse sur les îles restantes est purement artificielle.
La deuxième remarque, concerne le nombre et la qualité des effectivités supposées sur
Meanguera. Comme j'ai déjà eu l'occasion de le faire valoir dans mon intervention antérieure, pour
un Etat qui se dit possesseur de Meanguera depuis plus d'un siècle et demi, les effectivités
documentées ne peuvent offrir un bilan plus décevant et décourageant. On en arrive à affirmer, de
l'autre côté de la barre, que l'exercice d'autorité accompli par El Salvador est de loin supérieur à
celui exigé du Royaume-Uni dans l'affaire des Minquiers et Acréhous. Mais, est-ce que la Partie
adverse prétendrait comparer les deux cas du point de vue du temps, de l'espace, de la population et
du milieu physique ?
Ce qu'il convient de souligner ce sont les efforts effrénés déployés par El Salvador pour
améliorer ses effectivités à Meanguera, par un El Salvador conscient de la faiblesse intrinsèque de sa
position qui repose sur tellement peu d'actes d'autorité dûment accrédités. C'est dans cet esprit qu'a
été présenté le dossier du 9 avril dernier, juste à la veille du début de la phase orale.
Et c'est également dans cet esprit qu'a été présenté un témoin à l'avant dernière audience, un
fait véritablement insolite. A comparu devant nous un honorable citoyen pour faire des déclarations
sur la vie à Meanguera, une personne qui tout en reconnaissant être un profane en ce qui concerne
l'histoire de son île, se souvenait avec un grand luxe de détails, des dates de tenue des élections,
d'établissement d'archives, d'édification d'écoles, etc., depuis le début du siècle. Fils d'une citoyenne
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hondurienne, il n'a pas réussi à expliquer à la Cour la raison pour laquelle sa mère ne s'est jamais vu
octroyer la nationalité salvadorienne bien qu'elle en est fait la demande et qu'elle ait résidé dans l'île
depuis le moment même de son mariage. Un cas vraiment étonnant dans le panorama du droit
comparé de la nationalité où un étranger marié à un national et résidant depuis une longue période
sur le territoire d'un Etat, ne se voit à aucun moment concéder la nationalité de l'Etat en question. Je
ne sais pas si le droit salvadorien de la nationalité est à ce point rigoureux dans ses exigences pour
l'obtention de la nationalité vis-à-vis de tous les étrangers ou s'il opère de manière sélective en
réservant ladite rigueur à certaines personnes originaires de pays voisins.
Mais allons au fond du problème. Pourquoi El Salvador présente ce témoin, malgré la totale
absence d'intérêt de ses déclarations du point de vue juridique ? A mon avis, Monsieur le Président,
pour deux raisons différentes : d'abord, pour faire jouer le facteur émotionnel, employé à maintes
reprises dans ses écrits et qui est à la base de ce qui a été appelé l'"argument humain", employé par
mon contradicteur lui-même lorsqu'il fait référence aux droits de l'homme des habitants de
Meanguera. La deuxième raison, la raison fondamentale, est que nos contradicteurs s'efforcent
d'améliorer indirectement leurs éléments de preuve concernant l'exercice pacifique et continu des
fonctions étatiques, en faisant décrire par le témoin, lequel fait montre d'une mémoire qu'on ne peut
que lui envier, les travaux et les interventions du Gouvernement salvadorien.
Mais quelle valeur probante peut avoir le témoignage que nous avons entendu avant-hier,
Monsieur le Président, Messieurs les Juges, je me bornerai sur ce point à rappeler l'intéressante
jurisprudence établie en la matière par la Cour dans l'affaire des Activités militaires et
paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci.
Dans cette affaire, la Cour a fait la déclaration de portée générale qui suit :
"Dans la pratique générale des tribunaux, deux types de dépositions sont considérées
comme ayant à priori une valeur probatoire élevée : tout d'abord celles de témoins
désintéressés - qui ne sont pas parties au litige et n'ont rien à y gagner ni à y perdre - et ensuite
celles d'un des plaideurs qui vont à l'encontre de ses propres intérêts." (C.I.J. Recueil 1986,
p. 43.)
Mais la Cour s'est également prononcée sur des questions plus concrètes qui présentent, de
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l'avis du Honduras, le plus grand intérêt pour l'affaire qui nous occupe. Ainsi, la Cour a affirmé
dans l'affaire précitée Nicaragua c. Etats-Unis (fond) que :
"La Cour n'a pas retenu ce qui, dans les témoignages reçus, ne correspondait pas à
l'énoncé des faits, mais à de simples opinions sur le caractère vraisemblable ou non de
l'existence de ces faits, dont le témoin n'avait aucune connaissance directe. De telles
déclarations, qui peuvent être fort empreintes de subjectivité, ne sauraient tenir lieu de
preuves. Une opinion exprimée par un témoin n'est qu'une appréciation personnelle et
subjective dont il reste à établir qu'elle correspond à un fait; conjuguée à d'autres éléments,
elle peut aider la Cour à élucider une question de fait, mais elle ne constitue pas une preuve en
elle-même. De même, un témoignage sur des points dont le témoin n'a pas eu personnellement
connaissance directe, mais seulement par 'ouï-dire', n'a pas grand poids; ainsi que la Cour l'a
constaté à propos d'une déposition particulière dans l'affaire du Détroit de Corfou :
'Quant aux propos attribués par le témoin à des tiers, la Cour n'en a pas reçu
confirmation personnelle et directe et elle ne peut y voir que des allégations sans force
probante suffisante (C.I.J. Recueil 1949, p. 17).' (C.I.J. Recueil 1986, p. 42.)
Voilà, Monsieur le Président, toute la valeur accordée par la jurisprudence internationale à ce
genre de témoignages individuels, lorsque la personne du témoin et l'objet du témoignage sont hors de
propos avec la solution du litige. Or, c'est exactement le cas du témoignage que nous avons entendu
avant-hier, puisque, selon l'écrit soumis à la Cour par l'agent d'El Salvador en date du 22 mai 1991,
ce témoignage avait pour objet - ni plus ni moins - que "[his] country's territorial rights in the Gulf
of Fonseca". Autrement dit, le témoin assumerait les fonctions qui reviennent théoriquement aux
avocats-conseils d'El Salvador.
Monsieur le Président, Messieurs les Juges, puisque nous sommes sur le terrain des
effectivités, j'aimerais me livrer à une réflexion d'ordre méthodologique. Depuis ce côté de la barre,
j'ai l'impression d'assister en tant qu'avocat-conseil, à deux jugements différents en ce qui concerne le
différend insulaire. Tout d'abord, je suis entré dans une polémique avec M. Lima à propos des titres
historiques, c'est-à-dire sur l'uti possidetis juris de 1821; puis avec M. Highet sur les effectivités.
Or, cette méthodologie imposée par la Partie adverse crée en moi une certaine sensation de dualité.
En effet, mes contradicteurs m'ont amené sur leur propre terrain à savoir l'exercice pacifique et
continu des fonctions étatiques, corroboré par les titres historiques comme "élément conjoint de
preuve". Mais ce n'est pas là la position soutenue par le Honduras. Le pays que je représente a
constamment soutenu que le seul principe applicable est celui de l'uti possidetis juris de 1821.
Aussi les critiques avancées par M. Highet au sujet des effectivités honduriennes me
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paraissent-elles totalement injustifiées. Mon contradicteur fait montre d'une sensibilité bien
compréhensible face aux critiques que le Honduras a formulées au sujet des effectivités
salvadoriennes, des critiques justifiées, du moment que la Partie adverse fait reposer sa position
juridique sur lesdites effectivités. Mais sa sensibilité devrait être réciproque et s'appliquer également
au Honduras qui a exclusivement utilisé ses propres effectivités pour corroborer ou confirmer le
principe juridique cité, jamais pour les présenter comme constituant un titre autonome. De ce fait,
cette même compréhension que réclame M. Highet vis-à-vis de la position du pays qu'il représente,
je la réclame maintenant moi aussi en faveur du pays que j'ai l'honneur de représenter. Je conçois
que pour un esprit anglo-saxon, il soit difficile de saisir ce qu'est l'uti possidetis juris, mais ce
principe juridique n'en est pas moins bien présent dans la réalité de la vie comme dans la réalité de
l'ordre juridique.
Cette prémisse méthodologique a son importance au moment d'expliquer le reste de ma
réponse à mon brillant, honnête mais dur contradicteur. La récapitulation à laquelle j'ai procédé
concernant la pratique relative aux îles, depuis 1854 jusqu'à aujourd'hui, laissait de côté un point
essentiel : le Honduras ne fait pas dépendre sa prétention sur Meanguera et Meanguerita des
effectivités, comme le fait El Salvador compte tenu de l'absence de titres coloniaux convaincants en
sa faveur, mais le Honduras utilise l'uti possidetis colonial espagnol. C'est donc à mon contradicteur
qu'il incombe la lourde tâche de prouver ses propres effectivités. A cet égard, je suis tenu de
formuler quelques observations sur divers points abordés à l'audience d'hier.
Pour ce qui est du traité non nato Cruz-Letona, M. Highet reproche au Honduras l'absence
d'une plus grande opposition au traité et au commissionné lui-même. Or existe-t-il une donnée
juridiquement plus pertinente, aux fins de l'inopposabilité de cet argument, que la non-ratification
dudit traité ? Il s'agit de la donnée décisive du point de vue juridique, mon cher collègue. Et il s'agit
d'une donnée objective et absolue, en ce qui concerne la manifestation de la volonté souveraine d'un
Etat.
S'agissant de la ligne de 1900 tracée entre l'extrémité méridionale de l'île d'El Tigre et la partie
septentrionale de la Punta Cosigüina, je souhaiterais rappeler trois choses à M. Highet. La première
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c'est que le point médian retenu est en réalité un tripoint parfait et exact entre l'île de Meanguera, la
Punta Cosigüina et l'île d'El Tigre, soit un point équidistant de tous les points antérieurs, comme il
ressort sans le moindre doute de la carte maritime officielle que j'ai utilisée le jour de mon exposé
oral et qui a été soumise à la Cour et à l'agent de la République d'El Salvador. C'est là une donnée
soigneusement vérifiée par les cartographes honduriens, même s'il ne s'agit pas d'une donnée qui
ressorte de la carte montrée hier par El Salvador, beaucoup plus imprécise que la carte du Honduras.
Je ne peux que répéter une fois de plus à mon contradicteur que s'il n'apprécie pas les évaluations
censurant les documents présentés par le pays qu'il représente, il est tenu de montrer une attitude
identique vis-à-vis de ceux présentés par la Partie adverse. La deuxième chose qui mérite d'être
soulignée peut se résumer en une seule question : est-ce qu'El Salvador accepte, avec son
interprétation de ladite ligne, la souveraineté hondurienne sur l'île d'El Tigre ? Oui ou non ? La
troisième chose est qu'en raisonnant en termes d'une éventuelle prolongation de la ligne (entre
Farallones et Meanguera), il raisonne selon la logique propre à 1991, à la lumière du nouveau droit
de la mer et des grands espaces océaniques. Or, nous devons nous replacer dans le contexte
historique exact, celui de 1900, lorsque les Parties étaient tout à fait indifférentes à des intérêts de ce
genre et avaient pour ratio de situer la ligne divisoire exactement au centre de la baie (RES, p. 202).
L'argumentation que nous avons entendue de l'autre côté de la barre ne sert absolument pas aux fins
recherchées.
La troisième observation de mon éminent contradicteur porte, en général, sur le dossier
présenté par El Salvador sur Meanguera au sujet duquel la Partie adverse déclare considérer
totalement injustifiées et inacceptables les remarques critiques formulées par le Honduras sur cette
question. Il nous a rappelé qu'en plus des documents effectivement présentés - les plus pertinents de
l'avis de la Partie adverse - en apparaissent d'autres dûment attestés qui n'ont pas été versés au
dossier mais dont il y a lieu de tenir compte. Mon contradicteur doit reconnaître, pour le moins, le
peu de valeur probante qu'ont ces attestations. Et pour justifier que mes observations critiques
n'étaient pas tellement injustifiées, je vais lui citer quelques exemples, que, j'en suis sûr, il acceptera
comme suffisants. Dans les extraits d'actes de naissance, la nationalité du nouveau-né et de ses
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parents est-elle vraiement hors de propos ? Dans un procès civil ou criminel, les données relatives à
la nationalité et au domicile des inculpés ou des intervenants sont-elles sans objet ? Dans un acte de
décès, la nationalité de la personne décédée est-elle sans intérêt ? Dans les inscriptions aux registres
ou dans les documents de caractère foncier, la nationalité ou le domicile des intervenants n'ont-elles
aucune importance ? Et dans les listes électorales, la nationalité des électeurs inscrits est-elle sans
objet ? Par exemple, quelqu'un qui paraît être la mère du témoin qui avant-hier a déposé devant cette
Cour apparaît comme ayant voté lors des élections de 1952, bien qu'elle n'ait pas eu la nationalité
salvadorienne, une donnée qui appelle une explication. En résumé, M. Highet doit reconnaître avec
moi que la force probante de simples attestations n'atteint pas ce niveau-là et que la position
hondurienne était justifiée lorsqu'elle les traitait de faibles - voire de quasi-inexistantes - du point de
vue de la preuve.
La quatrième remarque a trait à l'île d'El Tigre. Nous n'avons pas entendu un seul mot hier
sur les preuves de l'exercice des fonctions étatiques de la part d'El Salvador à propos de ladite île,
alors que c'est sur ce titre que repose sa prétention. Vu que M. Highet a qualifié la réclamation par
le Honduras des îles de Meanguera et de Meanguerita de simple "paper claim", a-t-il voulu nous
laisser entendre de manière élégante et subtile que la prétention salvadorienne sur l'île d'El Tigre
serait une autre "paper claim" ? Si c'est le cas, je remercie mon collègue de l'élégance de son geste.
La dernière remarque est, en fait, une redite de ce que j'ai déjà dit auparavant, mais que je
considère d'une importance primordiale, ce qui m'amène à demander respectueusement à Messieurs
les Juges de bien vouloir en prendre bonne note. L'absence de tout document à l'appui de l'exercice
pacifique et continu de la part d'El Salvador sur l'île de Meanguerita, qui était et est hondurienne
depuis la date même de 1821, en vertu de l'uti possidetis juris.
* * *
Monsieur le Président, Messieurs les Juges, je ne voudrais pas achever ma dernière
intervention sur la controverse insulaire sans traiter de deux questions précises que j'estime du plus
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grand intérêt dans la mesure où elles touchent au coeur même du problème dont nous sommes en
train de nous occuper en ce moment.
La première question est d'ordre constitutionnel puisque liée à la Constitution actuellement en
vigueur à El Salvador. En effet, conformément à l'article 84 du texte de cette Constitution :
"Le territoire de la République sur lequel El Salvador exerce sa juridiction et sa
souveraineté est irréductible et comprend, outre la partie continentale :
Le territoire insulaire composé par les îles, les îlots et les 'cayos' qu'énumère la sentence
de la cour de justice centraméricaine, rendue le 9 mars 1917.
Les limites du territoire national sont les suivantes :
AU LEVANT, AU NORD ET A L'ORIENT, A L'ORIENT ET AU SUD." (Les
italiques sont de nous.)
De ce qui précède il découle trois données incontestables. En premier lieu, que le territoire
national est irréductible ("Qui ne peut être réduit", selon le Diccionario de la Lengua Española, de
la Real Academia Española, XXe
éd., Madrid, 1984, t. II); en deuxième lieu, que les îles font partie
du territoire national; en troisième lieu, que seules peuvent être soumises à une solution pacifique des
controverses, les limites du territoire national, notamment, en ce qui concerne celles longeant le
Honduras, les limites restant à délimiter conformément aux dispositions du traité général de paix
de 1980.
En effet, parce qu'il se réfère au Honduras, l'article 84 de la constitution salvadorienne
signale :
"AU NORD ET A L'ORIENT, en partie, avec la République du Honduras, sur les
tronçons délimités par le traité général de paix conclu à Lima, Pérou, le 30 octobre 1980.
Quant aux tronçons restant à délimiter, leurs limites seront celles qui s'établiront
conformément audit traité ou, le cas échéant, conformément à tout autre moyen de solution
pacifique des controverses internationales."
L'article 146 du texte constitutionnel salvadorien, quant à lui, interdit les traités qui ont pour
objet de "porter atteinte à l'intégrité du territoire ou de le réduire", bien qu'il soit possible que "l'Etat
salvadorien, en cas de controverse, soumette la décison à un arbitrage ou à un tribunal international".
Dans ce cas, conformément à l'article 147 de cette même Constitution concernant la ratification "de
tout traité ou pacte en vue duquel sera soumis à arbitrage toute question liée aux frontières de la
République, un vote favorable des trois quarts pour le moins des députés élus sera nécessaire", soit
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la même majorité que celle exigée pour tout "traité ou convention que conclut le pouvoir exécutif en
matière de territoire national".
Voilà donc, Monsieur le Président, le libellé de la Constitution politique d'El Salvador en
vigueur à l'heure actuelle. Or une lecture élémentaire des dispositions mentionnées amène à
conclure : primo, tout traité ou convention internationale qui suppose la réduction du territoire
national est contraire à la Constitution; secundo, il n'est pas inconstitutionnel néanmoins de conclure
des traités visant à soumettre à un règlement juridictionnel une question de frontières qui concerne le
territoire national, mais non pas la définition de ce même territoire telle que figurant à l'article 84;
tertio, en ce qui concerne le Honduras, la Constitution prévoit expressément le recours à un traité ou
une convention pour résoudre les controverses territoriales relatives à la délimitation non résolue
dans le cadre du traité général de paix de 1980.
Les conclusions qui précèdent revêtent une importance fondamentale dans le cas de la question
insulaire dont nous débattons à l'heure actuelle et ce sur deux points différents.
D'une part, la thèse officielle de la République d'El Salvador, lorsqu'elle affirme que le
contentieux insulaire est un contentieux d'attribution et non pas de délimitation du territoire, est sans
intérêt du point de vue du droit international public pour ce qui est de la détermination du droit
applicable, comme nous avons déjà eu l'occasion de l'expliquer. Mais, ce qui est plus grave, elle
entre de front en conflit avec la Constitution salvadorienne elle-même puisqu'il peut difficilement
s'agir d'un conflit d'attribution d'un territoire que l'article 84 considère comme faisant partie
intégrante du territoire national d'El Salvador. Si le texte constitutionnel considère au deuxième
alinéa de l'article précité que Meanguera et Meanguerita font déjà partie d'El Salvador, il sera
difficile d'admettre - du point de vue constitutionnel - un traité international qui reconnaisse la
compétence de la Cour internationale de Justice pour "attribuer" (selon la terminologie des écrits
salvadoriens) la souveraineté territoriale sur les îles en question; si la décision de la Cour - comme
nous l'espérons - est que la souveraineté sur ces deux îles revient au Honduras, il se sera produit une
"réduction" du territoire national du point de vue de la logique constitutionnelle de la Partie adverse.
Aussi, la thèse selon laquelle la controverse insulaire doit être qualifiée de controverse d'attribution
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est-elle contraire, du point de vue matériel et formel, à la Constitution d'El Salvador. Qu'il me soit
donc permis, Monsieur le Président, d'exprimer ma perplexité face à la qualification que la Partie
adverse a, à maintes reprises, attribuée à notre controverse dans sa thèse.
Mais cela ne s'arrête pas là.
En effet, par ailleurs et à titre de pure hypothèse, si l'on admettait que le compromis de 1986
n'est pas contraire à la Constitution, on déboucherait immédiatement sur une autre conclusion tout à
fait surprenante : à savoir qu'El Salvador ne considère pas Meanguera et Meanguerita comme faisant
partie du territoire national salvadorien et qu'en conséquence, ces îles ne sont pas couvertes par
l'article 84 précité de la Constitution. Mais cette conclusion est difficilement conciliable avec
l'affirmation répétée d'El Salvador concernant l'exercice pacifique et continu de la souveraineté
étatique sur Meanguera et Meanguerita (cf. RES, p. 144 à 147, par. 5.33 à 5.35). Comment
pourrait-on alors expliquer que puisse s'exercer une souveraineté sur des îles qui ne font pas partie
intégrante du territoire national ?
Ce qui se passe, Monsieur le Président, c'est qu'El Salvador une fois de plus a cherché à
"souffler le froid et le chaud". Mes distingués collègues de l'autre côté de la barre doivent admettre
que la position salvadorienne au sujet de la controverse insulaire ne s'harmonise pas facilement avec
le texte constitutionnel de leur pays. En effet, si l'on admet que Meanguera et Meanguerita font
partie intégrante du territoire national salvadorien, conformément à l'article 84 de ladite Constitution,
il en découle logiquement qu'un compromis visant à soumettre à un règlement judiciaire la
souveraineté sur une partie intégrante du territoire national irait à l'encontre de la Constitution. La
Constitution permet que soit soumise à un règlement judiciaire ou arbitral la question des frontières
du territoire mais non pas la définition de ce dernier. Si l'on admet, en revanche, que Meanguera et
Meanguerita ne font pas partie du territoire national, le compromis serait tout à fait acceptable du
point de vue du droit constitutionnel.
Dans ce contexte, je me permets de poser trois questions à mes honorables collègues de la
Partie adverse :
Considèrent-ils que le contenu du compromis de 1986 est compatible avec les dispositions des
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articles 84, 146 et 147 de la Constitution salvadorienne ? Pour quelle raison ?
Continuent-ils de soutenir que la controverse insulaire est un conflit d'attribution territoriale
originaire du point de vue de leur propre Constitution ?
Reconnaissent-ils que les îles de Meanguera et Meanguerita (et à plus forte raison l'île
d'El Tigre) n'ont jamais été considérées comme faisant partie intégrante du territoire national du
point de vue constitutionnel ?
Monsieur le Président, Messieurs les Juges de la Cour, la seule conclusion possible est
qu'El Salvador n'a jamais considéré que les îles Meanguera, Meanguerita et El Tigre faisaient partie
intégrante du territoire national, contrairement à ce qui a été affirmé tout au long de la phase écrite.
Et cette conclusion n'est pas simplement corroborée par une analyse juridico-formelle de la
Constitution d'El Salvador. Non, cette conclusion est corroborée par la reconnaissance expresse de
la part de M. Lima, ancien Vice-Président de la République d'El Salvador, ancien agent dans la
présente affaire devant la Cour et actuellement conseil et avocat précisément pour la question de la
controverse insulaire.
En effet, dans certaines déclarations avec notoriété publique - pour utiliser les termes
employés dans l'affaire du Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran - dans
certaines déclarations rendues publiques le 16 avril dernier à la télévision salvadorienne, M. Lima a
déclaré des choses très intéressantes à propos des questions que nous sommes en train de discuter.
Dans ces déclarations, dont la transcription littérale ainsi qu'une copie vidéo sont à la disposition de
la Cour, M. Lima a dit ce qui suit :
- en premier lieu, que la stratégie sur les îles était son oeuvre, que c'était lui qui avait mis au
point la stratégie concernant leur défense;
- en deuxième lieu, que le fait d'étendre la controverse à l'ensemble des îles n'était qu'une
question purement stratégique, notamment en ce qui concerne la revendication de l'île d'El Tigre qui,
au Honduras, "a presque provoqué un évanouissement général";
- en troisième lieu, qu'El Salvador seulement possède Meanguera, mais ne dispose d'aucun
titre sur elle;
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- en quatrième lieu, que les effectivités présentées par El Salvador démontrent uniquement une
possession, "mais qu'il s'agit d'un titre qui ne prouve pas la souveraineté";
- enfin, que - et en cela se trouve souligné le caractère éminemment politique du contexte dans
lequel s'est produite l'intervention du Nicaragua : "je vous dirai ... parce qu'à l'époque il y avait
Ortega et Ortega ne s'entendait pas très bien avec les Honduriens et je crois que nous aurions pu
profiter de cette aide du Nicaragua parce que le Nicaragua et El Salvador à eux deux ferment le
golfe, ce sont eux qui sont dehors", mais "ils n'ont rien à voir avec la fonction terrestre ni avec les
îles, étant donné que le Nicaragua ne réclame pas d'îles...".
Voici donc l'essentiel des déclarations de M. Lima à propos des îles sur le point qui nous
intéresse à l'heure actuelle mais pas tout leur contenu, étant donné qu'outre ce que j'ai cité, elles
portent également sur d'autres questions délicates et incluent d'autres passages d'une légèreté
surprenante.
Monsieur le Président, Messieurs les Juges de la Cour, je souhaiterais à ce stade attirer
respectueusement votre attention sur un fait paradoxal et surprenant : la coïncidence des plus
intéressantes entre les manifestations exubérantes et indiscrètes de M. Lima et les thèses soutenues à
maintes reprises par le Honduras tout au long de la phase écrite. En effet, le pays que j'ai l'honneur
de représenter à l'heure actuelle n'a cessé d'insister sur le caractère excessif et extravagant de
l'extension de la controverse à toutes les îles du golfe (ce qui a été reconnu par M. Lima), notamment
en ce qui concerne l'île d'El Tigre (ce qu'il a également admis). Encore plus intéressante est
l'affirmation selon laquelle le véritable objet de la controverse est constitué par les îles de Meanguera
et Meanguerita, îles au sujet desquelles l'avocat et conseil d'El Salvador reconnaît que ce pays ne
dispose d'aucun titre colonial et qu'il ne fait reposer ses prétentions que sur la simple possession de
fait.
Compte tenu de tout ce qui précède, il semble qu'il y ait lieu d'adresser quelques questions à
mon éminent contradicteur :
Comment justifiez-vous l'extension de la controverse à l'ensemble des îles du golfe et, plus
particulièrement, à l'île d'El Tigre ?
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Continuez-vous de soutenir qu'El Salvador dispose de titres coloniaux historiques sur
Meanguera et Meanguerita.
Continuez-vous de soutenir que les faibles manifestations de possession de facto dans l'île de
Meanguera constituent une preuve autonome et suffisante d'un titre de souveraineté, à défaut de
titres convaincants tirés de l'uti possidetis juris de 1821 ?
Monsieur le Président, Messieurs les Juges, je dois avouer que je serais sincèrement des plus
heureux d'entendre venant de l'autre côté de la barre une réponse raisonnable à la série de questions
précises que je viens de formuler. Et je suis convaincu de ce que vous-même les considéreriez
comme bienvenues afin de pouvoir vous former une opinion claire en vue de la décision qu'il vous
incombe de prendre.
Depuis un certain temps, nos honorables contradicteurs sont en train de suggérer à la Cour le
renversement de la règle établie par une autre Chambre de cette même Cour, à savoir, celle qui a
connu de l'affaire Burkina Faso/Mali.
Or, il suffira de rappeler à ce sujet que le Honduras croit avoir prouvé qu'il possède un titre
juridique sur Meanguera et Meanguerita. Le droit international régissant la souveraineté territoriale
des Etats établit bien clairement que le titre juridique territorial ne peut être contesté que de deux
manières : soit par accord des deux Etats concernés, soit par preuve concluante - je répète -
concluante de l'acquiescement de l'un de ces Etats. Or dans la présente affaire on ne trouve aucune
preuve concluante présentée par El Salvador à l'appui d'un prétendu acquiescement du Honduras.
J'en ai fini, Monsieur le Président, Messieurs les Juges. Je mets donc un terme du même coup
à mon intervention d'aujourd'hui et à l'ensemble de ma comparution devant cette Chambre de la
Cour. C'est avec un sentiment de profond respect vis-à-vis de ce tribunal que j'ai entamé la défense
du pays que j'ai été amené à représenter dans cette affaire et c'est avec un respect encore plus grand
que j'achève ma tâche aujourd'hui après avoir d'une part réalisé à quel point votre labeur, Messieurs
les Juges, est ardu et d'autre part à quel point il requiert patience et endurance face à des plaidoiries
qui, comme les miennes, ont le défaut peut-être à vouloir tout prouver de vouloir tout dire.
Je ne saurais cette salle sans exprimer toute ma gratitude au Gouvernement de la République
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du Honduras pour la confiance qu'il a placée en moi et que j'espère ne pas avoir trahie.
A la République d'El Salvador en la personne de son agent devant cette Cour et de ses
avocats-conseils, je présente mes respects pour le traitement amical et compréhensif qui m'a été
réservé. Merci, Monsieur le Président.
The PRESIDENT: Thank you, Professor Sánchez Rodriguez. I would like to know from the
delegation of El Salvador when they intend to reply?
Mr. MARTINEZ MORENO: Thank you, Mr. President. El Salvador would like to reply this
afternoon but it would like to do it at 4 p.m. or 4.30 p.m. in order to have a little more time to
answer.
The PRESIDENT: So, I will adjourn until this afternoon at 4.30 p.m.
The Chamber rose at 11.25 p.m.
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Audience publique de la Chambre tenue le vendredi 31 mai 1991, à 10 heures, au Palais de la Paix, sous la présidence de M. Sette-Camara, président de la Chambre

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