Procès-verbal de l'audience publique tenue le vendredi 5 avril 1991, à 10 heures, au Palais de la Paix, sous la présidence de sir Robert Jennings, président

Document Number
082-19910205-ORA-01-00-BI
Document Type
Number (Press Release, Order, etc)
1991/4
Date of the Document
Bilingual Document File
Bilingual Content

CR 91/4
Cour internationale International Court
de Justice of Justice
LA HAYE THE HAGUE
ANNEE l991
Audience publique
tenue le vendredi 5 avril 1991, à 10 heures, au Palais de la Paix,
sous la présidence de sir Robert Jennings, Président
en l'affaire relative à la Sentence arbitrale du 31 juillet 1989
(Guinée-Bissau c. Sénégal)

COMPTE RENDU

YEAR 1991
Public sitting
held on Friday 5 April 1991, at 10 a.m., at the Peace Palace,
President Sir Robert Jennings presiding
in the case concerning the Arbitral Award of 31 July 1989
(Guinea-Bissau v. Senegal)

VERBATIM RECORD

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Présents:
Sir Robert Jennings, Président
M. Oda, Vice-Président
MM. Lachs
Elias
Ago
Schwebel
Ni
Evensen
Tarassov
Guillaume
Shahabuddeen
Aguilar Mawdsley
Weeramantry
Ranjeva, Juges
MM. Mbaye
Thierry, Juges ad hoc
M. Valencia-Ospina, Greffier

- 3 -
Present:
President Sir Robert Jennings
Vice-President Oda
Judges Lachs
Elias
Ago
Schwebel
Ni
Evensen
Tarassov
Guillaume
Shahabuddeen
Aguilar Mawdsley
Weeramantry
Ranjeva
Judges ad hoc Mbaye
Thierry
Registrar Valencia-Ospina

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Le Gouvernement de la Guinée-Bissau est représenté par :
S.Exc. M. Fidélis Cabral de Almada, ministre d'Etat à la
Présidence du Conseil d'Etat,
comme agent;
S.Exc. M. Fali Embalo, ambassadeur de la Guinée-Bissau auprès
du Benelux et de la Communauté économique européenne,
comme coagent;
Mme Monique Chemillier-Gendreau, professeur à l'Université
de Paris VII,
M. Miguel Galvao Teles, avocat et ancien membre du Conseil d'Etat,
M. Keith Highet, professeur adjoint de droit international à
la Fletcher School de droit et diplomatie et membre des barreaux
de New York et du District de Columbia,
M. Charalambos Apostolidis, maître de conférences à l'Université
de Bourgogne,
M. Paulo Canelas de Castro, assistant à la faculté de droit de
l'Université de Coimbra,
M. Michael B. Froman, Harvard Law School,
comme conseils;
M. Mario Lopes, procureur général de la République,
M. Feliciano Gomes, chef d'état-major de la marine nationale
comme conseillers.
- 5 -
The Government of Guinea-Bissau is represented by:
H.E. Mr. Fidélis Cabral de Almada, Minister of State attached to the
Presidency of the Council of State,
as Agent;
H.E. Mr. Fali Embalo, Ambassador of Guinea-Bissau to the Benelux
Countries and the European Economic Community,
as Co-Agent;
Mrs. Monique Chemillier-Gendreau, Professor at the University
of Paris VII,
Mr. Miguel Galvao Teles, Advocate and former Member of the Council
of State,
Mr. Keith Highet, Adjunct Professor of International Law at The
Fletcher School of Law and Diplomacy and Member of the Bars of
New York and the District of Columbia,
Mr. Charalambos Apostolidis, Lecturer at the University of Bourgogne,
Mr. Paulo Canelas de Castro, Assistant Lecturer at the Law Faculty of
the University of Coimbra,
Mr. Michael B. Froman, Harvard Law School,
as Counsel;
Mr. Mario Lopes, Procurator-General of the Republic,
Mr. Feliciano Gomes, Chief of Staff of the National Navy,
as Advisers.
- 6 -
Le Gouvernement du Sénégal est représenté par :
S.Exc. Me Doudou Thiam, avocat à la Cour, ancien bâtonnier, membre
de la Commission du droit international,
comme agent;
M. Birame Ndiaye, professeur de droit,
M. Tafsir Malick Ndiaye, professeur de droit,
comme coagents;
M. Derek W. Bowett, Q.C., professeur de droit international,
titulaire de la chaire Whewell, Queen's College, Cambridge,
M. Francesco Capotorti, professeur de droit international à
l'Université de Rome,
M. Ibou Diaite, professeur de droit,
M. Amadou Diop, conseiller juridique à l'ambassade du Sénégal
auprès du Benelux,
M. Richard Meese, conseil juridique, associé du cabinet Frère
Cholmeley, Paris,
comme conseils.
- 7 -
The Government of Senegal is represented by:
H.E. Mr. Doudou Thiam, Advocate, former Bâtonnier, Member of the
International Law Commission,
as Agent;
Mr. Birame Ndiaye, Professor of Law,
Mr. Tafsir Malick Ndiaye, Professor of Law,
as Co-Agents;
Mr. Derek W. Bowett Q.C., Queen's College, Cambridge; Whewell
Professor of International Law, University of Cambridge,
Mr. Francesco Capotorti, Professor of International Law, University
of Rome,
Mr. Ibou Diaite, Professor of Law,
Mr. Amadou Diop, Legal Advisor, Embassy of Senegal to the Benelux
countries,
Mr. Richard Meese, Legal Advisor, partner in Frere Cholmeley, Paris,
as counsel.
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The PRESIDENT: Please be seated.
This morning we are going to hear the pleading of Senegal.
I call Mr. Thiam first.
Me DOUDOU THIAM : Je vous remercie, Monsieur le Président, Monsieur le
Vice-Président, Messieurs les Juges.
Tout d'abord, je voudrais dire combien je me sens honoré d'avoir à diriger la délégation
sénégalaise devant une instance aussi prestigieuse que la vôtre, et combien la patience et la sérénité
dont vous avez fait preuve au cours des premières plaidoiries ont été pour moi une source précieuse
d'inspiration.
Aussi, je voudrais déclarer d'emblée que le Sénégal évitera toute polémique, tout échange de
propos désagréables devant la Cour. Il ne répondra pas à certains propos, peu courtois, prononcés ici
même.
Je crois qu'il ne faut pas passionner les débats, et qu'il ne faut ni abuser de la liberté
d'expression, ni tomber dans le travers qui consiste à se croire partout dans un amphi, et à considérer
tout prétoire comme un prétoire d'étudiants.
Il ne faut tout de même pas se tromper d'auditoire.
Nous voici arrivés à ce que j'espérais être le dernier acte de ce drame, de cette pièce pleine de
péripéties et d'imprévus, où la Partie adverse nous a promenés, d'une scène à l'autre, à travers un
dédale de procédures.
Mais la Guinée-Bissau nous annonce déjà une nouvelle procédure.
La Guinée-Bissau aurait pu nous éviter ces longs détours puisqu'elle savait qu'elle ne se
soumettrait pas, de toute façon, à une sentence défavorable du juge arbitral. Elle aurait pu suivre
notre proposition initiale de soumettre directement ce différend à la Cour internationale de Justice,
proposition que le Sénégal avait faite dès l'origine du différend dans une lettre où le Président de la
République du Sénégal disait notamment :
"Pour nous, le problème est donc simple. Ou bien on applique à la lettre les conventions
franco-portugaises d'avant l'indépendance du Sénégal, ou bien nous portons l'affaire devant la
Cour internationale de Justice. Nous nous sommes engagés par avance, à accepter l'arbitrage
de cette haute juridiction, quel qu'il puisse être."
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Notre surprise est grande de voir la Partie adverse adorer aujourd'hui ce qu'elle avait brûlé
hier en repoussant sans ménagement la proposition qui lui avait été faite.
Monsieur le Président, Monsieur le Vice-Président, Messieurs les Juges, bien qu'elle s'en
défende, la Guinée-Bissau vous demande de prendre une énorme responsabilité, celle de déclarer
nulle ou inexistante la décision d'un juge arbitral. Une telle demande, si elle était accueillie
favorablement, constituerait une véritable secousse tellurique et ébranlerait le droit international tout
entier. C'est pourquoi on doit espérer que la Cour, gardienne du droit international, ne la considérera
- cette demande - qu'avec réserve et circonspection.
Cette première intervention du Sénégal sera consacrée à un bref examen des faits et à la tâche
de la Cour dans la présente affaire.
I. Les faits
L'exposé des faits par la Guinée-Bissau frappe par le luxe de détails qu'il comporte, dans un
recours où seules sont en cause les questions juridiques.
Ainsi, la Guinée-Bissau aurait pu nous dispenser du rappel, dans son mémoire, de sa position
à l'égard de la succession aux traités conclus par le Portugal. Ce rappel ne semble avoir aucune
pertinence, à partir du moment où la sentence, aujourd'hui définitive, a tranché le problème soulevé
devant le juge arbitral de savoir si la Guinée-Bissau devait ou non succéder à l'accord conclu entre la
France et le Portugal.
De même, ne semble plus avoir aucune pertinence la prétendue ignorance par les Parties de
l'inexistence de l'accord de 1960, ignorance encore longuement évoquée par la Guinée-Bissau dans
son mémoire. La Guinée-Bissau soutenait cet argument devant le Tribunal pour démontrer que ledit
instrument était né d'un complot ourdi par le Portugal et la France à son encontre, complot auquel le
Sénégal aurait participé comme complice. Dans son souci constant de politiser cette affaire à
l'extrême devant le juge du fond, la Guinée-Bissau avait transformé le procès contre l'accord en
procès du colonialisme.
Elle avait poussé cet artifice jusqu'à son comble, ne craignant pas au passage des
contradictons manifestes. Pour soutenir la thèse d'un complot contre elle, la Guinée-Bissau monta un
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drame entre trois acteurs : le Portugal, la France et le Sénégal (qui n'avait pas encore la capacité
juridique pour conclure des traités puisqu'il n'était pas encore indépendant), entre trois acteurs
imaginant le moyen de la dépouiller d'une partie de ses prétendues possessions maritimes par le
moyen diabolique d'un accord de délimitation.
Pour échapper à l'accord, la Guinée-Bissau échafauda la thèse de l'ignorance. Selon elle, cet
accord ne lui était pas opposable parce qu'elle n'en a eu connaissance que plusieurs années après son
indépendance. La décision du juge arbitral confirmant la validité de l'accord et son opposabilité à la
Guinée-Bissau rend inutile tout nouveau débat sur ce point.
Quant à l'ignorance de l'accord par le Sénégal, elle est aussi surprenante qu'elle manque de
pertinence.
Elle est surprenante dans la mesure où la Guinée-Bissau avait soutenu que le Sénégal avait
participé en tant que complice des puissances coloniales, à sa préparation et à sa conclusion. A
moins d'être frappé d'amnésie, comment le Sénégal pouvait-il ignorer l'existence d'un instrument à
l'élaboration duquel il aurait participé comme complice ?
Mais cette thèse de la prétendue ignorance de l'accord par le Sénégal est inopportune et sans
pertinence. Pour le présent débat la seule question posée est celle de l'existence de l'accord et de sa
validité, thèse qui n'a rien à voir avec une prétendue ignorance dudit accord. On se demande en
passant comment la Guinée-Bissau peut prétendre que le Sénégal ignorait encore l'existence de
l'accord de 1960, et rappeler en même temps que dès le 26 octobre 1977 une patrouille de guerre
sénégalaise avait arraisonné un bateau de pêche dans la zone appartenant au Sénégal en vertu des
droits qu'il tenait de cet accord (article 29, paragraphe 29, du mémoire guinéen devant la Cour).
Les faits qui furent à l'origine de l'accord de 1960 sont loin d'un complot. Ils résultent d'un
désaccord entre la France et le Portugal au sujet de l'octroi de permis de concessions pétrolières dans
la zone. Ce fait est confirmé de façon indiscutable par la sentence arbitrale relative au différend entre
la Guinée-Bissau et la République de Guinée, autre ancienne colonie française voisine de la
Guinée-Bissau. Dans cette sentence qui portait, elle, sur la délimitation maritime entre les deux
Etats, il est dit expressément ceci :
"Le Gouvernement français, alors responsable des affaires extérieures du Sénégal,
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proposa, pour éviter les risques de chevauchement entre concessions, de négocier une
délimitation de la mer territoriale et du plateau continental entre la Guinée portugaise et le
Sénégal. A la suite de conversations tenues à Lisbonne du 8 au 10 septembre, le président du
Conseil du Portugal et l'ambassadeur de France à Lisbonne convinrent par un échange de
lettres du 26 avril 1960 que la frontière de la mer territoriale, puis la délimitation de la zone
contiguë et du plateau continental suivraient l'azimut de 240° à partir du Cap Roxo."

1
Recueil des sentences arbitrales, vol. XIX, p. 160, par. 26.
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Il est donc établi que les faits qui sont à l'origine de l'accord n'avaient rien de politique. C'est
un acte d'administration, normal, pour un Etat, que de fixer les limites de ses compétences
territoriales. La France et le Portugal, en tant que puissances administrantes, ne faisaient là rien
d'anormal, même dans le contexte de l'époque.
De plus la Guinée-Bissau, voulant se faire passer pour la victime du colonialisme et faire
passer le Sénégal pour l'allié de ce colonialisme, quelle aberration! avait fait feu de tout bois, allant
même jusqu'à nier, contre toute évidence, la contribution importante du Sénégal à sa lutte de
libération nationale.
Mais la Cour se rappellera sans doute les résolutions du Conseil de sécurité qui, à l'époque,
avaient suffisamment fait ressortir les relations difficiles qui existaient alors entre le Portugal et le
Sénégal. Notre territoire a été l'objet de bombardements de la part du voisin portugais, en raison de
la participation de notre pays à la lutte de libération nationale de la Guinée-Bissau. On ne reviendra
pas sur cette contribution que personne ne peut nier, ne peut plus nier en tout cas.
*
* *
Je voudrais maintenant en venir aux phases ultérieures du déroulement des faits.
LES PRETENTIONS DE LA GUINEE-BISSAU
En 1982, rappelant qu'elle avait fait une réserve générale à l'égard des traités conclus par le
Portugal, la Guinée-Bissau voulut, en conséquence, faire table rase de l'accord de 1960, et obtenir
une nouvelle délimitation. Mais de cet accord, la Guinée-Bissau ne veut pas en entendre parler;
même devant vous elle n'a évoqué, je le dirai tout à l'heure, que le problème de la délimitation (la
validité de la délimitation), c'est véritablement faire la politique de l'autruche. Elle rejeta, à cette fin,
la convention de Vienne sur la succession d'Etats en matière de traités, en prétendant que celle-ci
n'était applicable qu'aux frontières terrestres, excluant ainsi du débat les frontières maritimes. Et
pour la première fois, elle montra le bout de l'oreille, en cherchant à faire repousser la frontière vers
le nord, à partir de la limite extérieure de la mer territoriale, au-dessus de la ligne des 240° établie
par l'accord en 1960. Le Sénégal ayant rejeté cette prétention, il n'y eut donc pas de négociations sur
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ces bases. Contrairement aux affirmations de la Guinée-Bissau, il n'y a pas eu de négociations sur
le fond du différend, après l'exposé par la Guinée-Bissau de ses prétentions.
LES NEGOCIATIONS EN VUE DU COMPROMIS
On décida de recourir à un règlement judiciaire pour éviter un affrontement.
Faillait-il saisir la Cour internationale de justice ?
Ici, la Guinée-Bissau nous a promenés dans un océan de fantaisies. On ne reviendra pas sur
les différentes péripéties évoquées tout à l'heure, dans notre introduction. Il suffit de renvoyer à la
lettre du premier ministre sénégalais donnant, malgré lui, son accord à la Guinée-Bissau pour le
mode de règlement que celle-ci préférait, c'est-à-dire le mode arbitral.
Mais le Sénégal ne l'avait pas accepté sans avoir averti la Guinée-Bissau sur les
responsabilités qu'elle prenait en choisissant une voie difficile, longue et onéreuse. On est surpris de
voir la Guinée-Bissau se plaindre aujourd'hui de ne pas pouvoir saisir ce Tribunal disparu, comme si
elle n'était pas pour quelque chose dans le fait dont elle se plaint, et comme si la prétendue omission
du Tribunal était un mal irréparable. La Guinée-Bissau est trop avertie des procédures
internationales - elle en use et en abuse - pour ignorer les voies et moyens permettant de délimiter une
zone économique exclusive. Elle pourrait négocier avec le Sénégal. Elle pourrait saisir le tribunal
qui a rendu la sentence. Elle pourrait confier cette tâche à un autre tribunal. Elle pourrait aussi
saisir la Cour internationale de justice.
Mais revenons à la négociation du compromis. Celle-ci prit beaucoup de temps, la
désignation du président également. Même le choix de l'arbitre du Sénégal, acte qui relevait de la
compétence exclusive de ce pays, fut l'objet de contestations de la part de la Guinée-Bissau qui
exigea de cet arbitre une déclaration selon laquelle il n'avait pas traité le dossier lorsqu'il exerçait, au
quai d'Orsay, les fonctions de conseiller juridique du département français des affaires étrangères.
Le Sénégal aurait pu, lui aussi, soulever une objection sur le choix de l'arbitre de la
Guinée-Bissau qui venait de participer, récemment, à un arbitrage entre deux Etats voisins, la
Guinée-Bissau et la République de Guinée, arbitrage au cours duquel la présente affaire avait été
évoquée à plusieurs reprises (je viens de vous donner lecture de quelques passages qui le prouvent),
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arbitrage où les arbitres auraient pu être liés par les positions qu'ils avaient prises précédemment
dans cette affaire que je viens d'évoquer.
Nous nous excusons d'avoir été obligés d'évoquer ce détail, mais la Guinée-Bissau a
elle-même évoqué le choix de notre arbitre, sous la forme d'une insinuation inacceptable.
Quant à la rédaction du compromis, on se heurta, principalement, à deux difficultés majeures.
La première était celle de la question à poser, la seconde était celle du statut de la zone litigieuse au
cours de l'arbitrage.
La Guinée-Bissau proposa une "question" qui éludait complètement l'accord de 1960, faisant
une impasse complète sur la question de sa validité. Aurait-elle subitement douté de sa position ?
Ne voulant manifestement plus se placer sur ce terrain mouvant, elle invitait le Tribunal à une
délimitation ex novo, excluant toute référence à l'accord de 1960.
Une telle démarche était évidemment inacceptable pour le Sénégal, dans la mesure où elle
écartait des débats devant le Tribunal l'Accord de 1960 dont elle ne faisait même pas mention. En
plus, il n'eût pas été honnête vis-à-vis de la juridiction saisie, de masquer l'existence d'un accord que,
de toute façon elle aurait découvert, et sur la validité duquel elle n'aurait pas pu se prononcer.
La Guinée-Bissau ne dut finalement accepter de poser la question de la validité de l'accord que
sous réserve d'une question subsidiaire, qu'elle proposa, et que le Sénégal finalement accepta. Cette
question subsidiaire était la suivante :
"En cas de réponse négative à la première question (celle de la validité de l'accord), quel
est le tracé de la ligne délimitant les territoires maritimes qui relèvent respectivement de la
République de Guinée-Bissau et de la République du Sénégal ?"
Telle est la question subsidiaire qui a été posée, mais subsidiairement).
La Guinée-Bissau persiste aujourd'hui encore, contre toute évidence, à soutenir que la tâche
confiée au Tribunal était une tâche de délimitation (mémoire, par. 27). Mais si le Tribunal était saisi
d'une délimitation, il ne l'était que subsidiairement. Il était d'abord saisi directement de la validité
d'un accord. A écouter la Guinée-Bissau pendant tous ces jours-ci, on a même l'impression que le
Tribunal n'était saisi que d'une seule question, celle de la délimitation d'une frontière. Or le Tribunal
était d'abord saisi de la validité d'un accord, question sur laquelle la Guinée-Bissau a jeté un voile
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pudique, parce qu'elle est embarrassante pour elle. Que la validité de cet accord eut pour
conséquence de confirmer l'existence de la frontière que celui-ci avait défini n'est pas contestable. Il
n'empêche que la question posée à titre principal, qui est celle de la validité de l'accord, soulevait un
débat juridique d'un autre ordre que celui d'une délimitation maritime, et que c'est à tort que la
Guinée-Bissau reproche au Tribunal de ne pas avoir procédé à une délimitation complète, incluant
celle de la zone économique exclusive. Il ne faut pas faire de l'amalgame.
Certes, il est encore loisible à la Guinée-Bissau, si elle le souhaite, de demander l'ouverture de
nouvelles négociations sur la délimitation de cette zone économique exclusive, par les procédures qui
lui sont ouvertes. De toute manière, le Sénégal restera toujours disponible et fera preuve d'esprit
d'ouverture, de fraternité et de dialogue. Contrairement à ce que l'on croit, et à ce que la Partie
adverse a tenté de faire croire, c'est également l'intérêt du Sénégal de faire délimiter cette zone.
Nous sommes également intéressés par la pêche qui est la deuxième activité économique du
Sénégal, comme cela résulte d'une note que nous avions déposé devant le Tribunal arbitral, à la
demande de celui-ci. C'est par ignorance que la Partie adverse avait soutenu que le Sénégal n'était
intéressé que par les ressources du plateau continental. Et de toutes ces ressources, la Guinée-Bissau
en est autant pourvue que le Sénégal, sinon plus, et elle le sait. Mais pendant que le Sénégal faisait
des recherches, la Guinée-Bissau chantait et dansait bercée par l'insouciance. C'est ici le lieu de
répondre à l'argument de l'équité invoqué par un conseil de la Guinée-Bissau, M. Keith Highet. Si
mon confrère n'avait pas pris trop tard le train en marche, il aurait eu le temps de lire attentivement
les procès-verbaux des débats devant le tribunal et il aurait découvert que le Sénégal avait démontré
que même une délimitation ex novo aurait abouti à un résultat sensiblement identique à celui de
l'accord. Il aurait découvert, avec surprise, qu'au moment des négociations de l'accord avec le
Portugal, c'est la France qui avait fait les concessions les plus importantes, notamment sur les lignes
de base. Cela résulte du document que la Guinée-Bissau avait imprudemment produit devant le
Tribunal arbitral. Tout cela a été débattu.
Ce n'est pas parce que la Guinée-Bissau attaque ce que la Partie adverse appelle un "accord
colonial" qu'il faut lui accorder à priori un préjugé favorable. Nous sommes tous des Etats
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anciennement colonisés, et à ce titre, nous avons droit à une égalité de traitement. En plus, le
Sénégal s'appuie sur le principe de l'intangibilité des frontières coloniales. Il ne change pas d'attitude
à l'égard des principes suivant que ceux-ci lui sont ou non favorables.
Mais la Guinée-Bissau tente de faire oublier que la délimitation de la frontière maritime n'était
qu'une tâche subsidiaire que le Tribunal ne devait entreprendre qu'en cas de réponse négative à la
question principale qui était celle de la validité de l'accord.
La deuxième difficulté était relative au statut de la zone litigieuse pendant la durée de
l'arbitrage.
Jusqu'à la naissance du différend, le Sénégal avait exercé sur cette zone des activités paisibles
et continues. Même pendant la guerre de libération nationale de la Guinée-Bissau où le Sénégal
avait pris part activement aux côtés de la Guinée, le Portugal n'avait jamais tenté de remettre en
cause ces activités.
La Guinée-Bissau, pour tous remerciements, tenta au contraire de remettre en question
l'effectivité dont bénéficiait le Sénégal, et, pour cela, proposa une disposition selon laquelle les
activités que le Sénégal exerçait dans la zone depuis longtemps ne préjugeaient pas de ses droits sur
cette zone.
Elle fit de l'insertion de cette disposition une condition irréfragable et c'est dans ces conditions
que fut signé le compromis d'arbitrage dont le texte est clair. Il posait au Tribunal deux questions.
La deuxième question n'ayant qu'un caractère subsidiaire, le Tribunal ne devait y répondre qu'en cas
de réponse négative à la première question, celle de la validité de l'accord. "En cas de réponse
négative", le sens cette expression est clair et, conformément aux règles d'interprétation des traités,
elle ne présente aucune ambiguité qui nécessiterait une interprétation quelconque. J'ai admiré les
efforts de notre collègue de langue anglaise qui essayait, hier, d'interpréter le sens d'un texte rédigé
en français par référence à l'expresion anglaise "in the event". En ce qui me concerne, je ne trouve
pas utile de me livrer à un tel exercice. Il n'est pire sourd que celui qui ne veut point entendre.
Encore une fois, l'expression "En cas de réponse négative" est claire. Elle se suffit à elle-même. Le
compromis ne demandait pas au Tribunal de répondre nécessairement à toutes les deux questions en
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même temps, ce qui eut été absurde, mais de ne répondre à la deuxième question qu'en cas de
réponse négative à la première.
La Guinée-Bissau tenta cependant, au cours des débats devant le Tribunal arbitral, de nier,
contre toute évidence, le caractère subsidiaire de la deuxième question. Selon elle, cette deuxième
question commençant par les termes : "En cas de réponse négative...", n'était pas une question
subsidiaire mais une question autonome, indépendante et non subordonnée à la réponse donnée à la
première question et qui permettrait au Tribunal de répondre par un "oui, mais...", autrement dit de
façon partiellement négative et partiellement positive. Curieux procédé que celui qui consiste à
poser une question en suggérant la réponse ! Car, dans l'esprit de la Guinée-Bissau la réponse devait
nécessairement aboutir à faire relever la frontière vers le nord, au-dessus de la ligne définie par
l'accord de 1960, à partir de la limite extérieure de la mer territoriale. Cela était la préoccupation
constante de la Guinée-Bissau.
Mon collègue, M. Bowett, parlera tout à l'heure de l'interprétation du compromis, sur laquelle
la Partie adverse revient encore longuement bien qu'elle déclare ne pas remettre en cause le fond de
l'affaire et donc l'interprétation qui a été faite par le Tribunal de ce compromis.
Mais je voudrais maintenant passer au prononcé de la sentence et aux phases postérieures.
LE PRONONCE DE LA SENTENCE
La Guinée-Bissau feint de s'étonner de l'absence d'un arbitre à l'audience même où la sentence
fut communiquée aux Parties. Mais elle passe sous silence le fait que l'arbitre avait préalablement
délibéré et voté comme cela résulte de la sentence même et n'est contesté par personne. Il est vrai
que la Guinée-Bissau a tenté ici même, au cours des débats oraux, de diminuer la portée du vote du
président Barberis par une distinction hasardeuse (et tellement artificielle qu'elle fait sourire), entre
l'opinion d'un juge et son vote. On ne peut cependant pas contester que le vote est l' expression
décisive de la conviction du juge. Il n'y en a pas d'autre.
Sur quoi serait donc fondée la prétention d'obtenir de explications sur cette absence formulée
au paragraphe 37 de son mémoire lorsqu'elle dit : "Aucune explication de son absence ne fut
fournie." Un tribunal doit-il expliquer officiellement et publiquement, à l'audience même, les raisons
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de l'empêchement d'un juge ? Au demeurant, à moins que le compromis n'en dispose autrement, rien
n'oblige un Tribunal arbitral à tenir une audience publique pour le prononcé de sa sentence. Il peut
même la communiquer par lettre aux parties. Ce qui est essentiel encore une fois, c'est le délibéré et
l'expression par les arbitres de leur vote.
APRES LA SENTENCE
Dès le prononcé de la sentence, il n'était point nécessaire d'être grand clerc pour deviner que la
Guinée-Bissau allait aussitôt contester celle-ci. Les questions que son agent a posées, et les réserves
qu'il a formulées publiquement lors de l'audience où fut communiquée la sentence sans la moindre
courtoisie, ne laissèrent aucun doute sur ses intentions. La Guinée-Bissau vient d'admettre devant la
Cour qu'elle avait exprimé publiquement des réserves à l'égard de la sentence. Elle n'avait pas
harcelé le Tribunal dit-elle, mais elle avait exprimé publiquement des réserves, ce n'est pas mieux.
Ce qui avait surpris, c'était plutôt la voie qu'allait choisir la Guinée-Bissau, c'est-à-dire
l'acceptation subite de la compétence de la Cour, compétence, faut-il le rappeler que la
Guinée-Bissau avait également exclue de son adhésion à la convention de Montego Bay en
novembre 19862
.
Elle a de la suite dans les idées, du moins elle en a eu jusqu'au prononcé de la sentence. Mais
la sentence rendue le 31 juillet 1989, la Guinée-Bissau déclara le 8 août 1989, soit une semaine
après, son acceptation de la compétence obligatoire de la Cour. Etrange.
A partir de là, le Sénégal n'avait plus aucun doute sur le fait que la Cour allait être saisie d'une
requête contre la sentence. Le Gouvernement du Sénégal tînt immédiatement un conseil à l'effet de
déterminer sa position à l'égard de cette nouvelle situation aussi étrange qu'imprévue.
Parmi les différentes positions possibles, était celle d'une limitation du champ d'application de
son acceptation de la clause facultative de juridiction obligatoire. Le Président de la République du
Sénégal n'opta pas pour cette solution. Il fallait au contraire accepter d'aller devant la Cour. C'était
plus conforme à notre ligne de conduite fondée sur le respect de la primauté du droit. Il fallait aussi
laisser la Guinée-Bissau aller jusqu'au bout de ses intentions afin de rendre encore plus évidentes les
inconséquences et les manoeuvres dont une des parties était capable.
- 19 -

2
Law of the Sea Bulletin, n° 8, novembre 1986.
- 20 -
Dans une affaire aussi sérieuse que celle-ci, la Guinée-Bissau nous a promenés dans un océan
de fantaisies, allant d'une juridiction à l'autre sans jamais se lasser. Cela n'est pas raisonnable, cela
n'est pas sérieux, et cela ressemble fort, bien qu'elle s'en défende, à un abus de procédure.
Mais, suivons le déroulement des faits.
Quarante-huit heures seulement après la communication de la sentence, mon distingué
collègue, agent de la Guinée-Bissau, se rendit à Dakar, alors que l'agent du Sénégal était encore
retenu à Genève. Son voyage était aussi inattendu que surprenant. Il voulait informer, à la place de
l'agent du Sénégal, seul habilité à le faire, le chef de l'Etat sénégalais du résultat de la sentence et lui
apprendre, texte à l'appui que :
"la prétendue sentence n'avait pas consacré les thèses sénégalaises dans leur intégralité, que la
délimitation complète demandée par les deux parties n'avait pas eu lieu, que la présence d'une
opinion dissidente, mais surtout d'une déclaration du président du Tribunal remettait en cause
l'existence même de la sentence"
et elle poursuit
"Rien de tout cela n'avait jusqu'alors été porté à la connaissance du Président du
Sénégal (mémoire de la Guinée-Bissau, par. 44)."
Je remercie mon collègue de la Guinée-Bissau pour ce bel empressement, quel savoir faire !
Et quelle étrange mission ! Je remercie l'agent guinéen de son zèle et de son dévouement à l'égard de
mon pays. Mais, je suis obligé de contester sa relation des faits. Comment une opinion dissidente
d'un arbitre peut-elle remettre en cause la validité d'une sentence arbitrale ?
Quant à la déclaration évoquée, mes collègues en discuteront le sens et la portée. Je me
bornerai quant à moi à quelques brèves remarques.
L'exégèse de la déclaration du président du Tribunal arbitral, exposée dans les
paragraphes 174 à 185 du mémoire adverse, traduit un effort trop laborieux et trop habile pour être
convaincant.
A la place de la formule de la sentence selon laquelle :
"L'accord fait droit entre la République de Guinée-Bissau et la République du Sénégal,
pour ce qui concerne les seules zones mentionnées dans l'accord à savoir la mer territoriale, la
zone contiguë et le plateau continental"
le président Barberis aurait préféré une formule différente, exprimant la même idée, en disant que
"l'accord fait droit entre les parties, mais il ne fait pas droit quant aux eaux de la zone
- 21 -
économique exclusive ou de la zone de pêche".
En d'autres termes, il aurait remplacé le mot seules par le mot mais. Contrairement aux dires
de la Guinée-Bissau, cette différence d'expression ne traduit pas une différence de fond. Les deux
formules disent strictement la même chose, à savoir que l'accord s'applique aux trois zones qui
étaient les seules connues du droit de la mer à l'époque de sa conclusion, la mer territoriale, la zone
contiguë et le plateau continental. Une même idée peut s'exprimer sous une forme positive ou sous
une forme négative.
En disant "l'accord fait droit en ce qui concerne les seules zones mentionnées dans l'accord",
ou en disant "l'accord fait droit, mais il ne fait pas droit quant aux eaux de la zone économique
exclusive ou de la zone de pêche", on exprime de toute façon la même idée, qui consiste à exclure du
champ de l'accord la zone considérée. L'effort de semantique auquel se livre la Guinée-Bissau ne
traduit que son embarras. Il est difficile de transformer la vérité en mensonge.
Le président du Tribunal, le président Barberis, est un homme consciencieux et méthodique,
d'une grande intégrité (c'est pourquoi nous avons été d'accord tous les deux pour le choisir) d'une
grande fermeté de caractère, et si son intention avait été de dire le contraire de ce qu'il a écrit, il
aurait évidemment voté contre la sentence, et je m'indigne qu'on le fasse passer ici pour une
girouette. Le mot mais n'a jamais signifié non, et l'on peut s'étonner que la distinguée représentante
de la langue de Voltaire qu'est Mme Chemillier-Gendreau se compromette à ce point avec les mots.
L'idée d'une validité partielle de l'accord et dont le but est de relever partiellement la ligne à partir
d'une certaine distance de la côte est une idée que poursuit inlassablement la Guinée-Bissau depuis la
naissance du différend. De là à prêter ses propres intentions au président Barberis, il y avait qu'un
pas que la Guinée-Bissau a allégrement franchi. L'opinion que prête la Guinée-Bissau au
président Barberis est l'idée de la Guinée-Bissau seule, pas celle du président du Tribunal arbitral.
*
* *
- 22 -
II. LA TACHE DE LA COUR
Je voudrais maintenant examiner le problème de la compétence de la Cour avant de dire
comment nous concevons sa tâche dans la présente affaire. Et d'abord la compétence de la Cour.
On se rappelle certainement qu'au cours de la procédure relative à la demande en indication de
mesures conservatoires, le Sénégal avait formulé des réserves quant à la compétence de la Cour. La
Guinée-Bissau n'avait pas encore développé sa requête, ni exposé ses moyens et on ignorait encore si
cette requête ne tendait pas à remettre en cause l'autorité de la chose jugée. Comme l'écrivait un
éminent juge de cette Cour, Charles de Visscher :
"L'autorité de la chose jugée est le trait spécifique de l'acte juridictionnel... Le
fondement de l'autorité de la chose jugée réside dans sa nécessité sociale. Il est de l'intérêt
général que les litiges ne recommencent pas indéfiniment relativement au même objet. La
présomption de vérité qui s'y attache est, s'il se peut, plus impérative encore dans les relations
entre Etats que dans l'odre interne3
."
Les réserves que le Sénégal avait énergiquement formulées au cours de l'audience devant la
Cour, ont probablement amené la Guinée-Bissau à changer son fusil d'épaule. Quoi qu'il en soit,
nous prenons acte de sa déclaration, maintes fois formulée dans ses écrits, selon laquelle son action
se cantonne à la question de l'inexistence ou de la nullité de la sentence, qu'elle n'est ni un appel ni
une demande en revision. Qu'elle est limitée au seul terrain du droit. Si tel est réellement le cas, nos
réserves n'ont plus d'objet. Encore faut-il dire que certains pourvois en prétendant se limiter aux
seules questions de droit, en fait, tendent à remettre en cause l'interprétation des faits par le premier
juge même de la décision attaquée, et l'action de la Guinée-Bissau ressemble fort à celles-là.

3
Charles de Visscher - Aspects récents du droit procédural de la Cour internationale de Justice,
Paris - Pedone, 1966.
- 23 -
Cette tentative est à nouveau confirmée par la nouvelle requête du 12 mars 1991 tendant à
obtenir une délimitation autre que celle définie par l'accord de 1960 et confirmée par la sentence du
31 juillet 1989. Une telle tentative, par son caractère prématuré, anticipe sur votre décision dans la
présente affaire, mais nous attendons d'en savoir plus, en tout cas je le répète encore, le Sénégal est
ouvert à toute solution qui permettrait d'en finir avec cette affaire, y compris celle qui consisterait à
faire délimiter la zone économique exclusive, à condition, bien entendu, qu'elle respecte les voies de
droit qui sont ouvertes.
Quoi qu'il soit, ainsi que nous l'avons dit tout à l'heure, le jeu auquel se livre la Guinée-Bissau
a l'allure d'un abus de procédure. Les actions entreprises, les unes après les autres, tendent toutes, à
retarder la solution définitive du litige : rejet de la sentence arbitrale
après avoir choisi et imposé ce mode de règlement; saisine de la Cour en contradiction manifeste
avec ce choix initial; procédure en indication de mesures conservatoires tendant à faire suspendre les
effets de la sentence. Nul ne conteste à la Guinée-Bissau le droit d'user de toutes les voies de droit
qui lui sont légalement ouvertes. Mais c'est dans la manière dont on exerce un droit que réside
souvent l'abus. La jurisprudence internationale connait l'abus de procédure, comme cela est exposé
aux paragraphes 42 à 44 du contre-mémoire, exposé auquel je ne reviendrai pas. Mais la présente
action semble s'apparenter à un abus de procédure, ne serait-ce que par l'énorme disproportion entre
les moyens invoqués et la demande, entre la légèreté de ces moyens et l'importance de la demande,
son caractère exorbitant.
Mes collègues examineront avec vous ces moyens.
Pour essayer de dissiper l'énorme confusion qui règne entre ses différentes initiatives,
confusion qui n'est pas de notre fait, il faut bien l'avouer, la Guinée-Bissau vous a soumis une
classification de ses différentes initiatives : affaire A, affaire B et affaire C. Le Sénégal ne rentrera
pas dans ce débat, car l'affaire qui préoccupe la Cour en ce moment, c'est bien l'affaire relative à la
sentence arbitrale, et celle-ci est bien définie.
Mon propos sera plutôt de souligner la différence radicale qui oppose les deux Parties quant à
leurs conceptions du rôle de la Cour.
- 24 -
Au paragraphe 72 de son mémoire, la Guinée-Bisssau s'est déclarée : "convaincue de
l'inexistence et de la nullité absolue de cette sentence" dès l'examen auquel elle a procédé dans les
jours qui ont suivi le 31 juillet 1989. Elle poursuit en prétendant qu' :
"elle sait que ce type de nullité opère de plein droit et n'est pas subordonnée à la décision d'un
organe donné, car une sentence ainsi affectée, se trouve dès le début, dépourvue de tout effet".
Le Gouvernement de la Guinée-Bissau en a conclu : qu'"il n'est donc pas soumis à une
obligation générale de soumettre au règlement judiciaire son différend avec le Sénégal, au sujet de la
validité de la sentence". La Guinée-Bissau ne se considère pas comme tenue de comparaître devant
une juridiction quelconque pour faire apprécier la validité de la sentence.
Cette affirmation est pour le moins audacieuse dans la mesure où elle implique que la
Guinée-Bissau pourrait se suffire de sa propre déclaration unilatérale de nullité, mais qu'elle vient à
la Cour par simple bienséance, courtoisie, et par souci de préserver les relations pacifiques entre nos
deux pays (je la remercie) la Cour ne pouvant que constater l'inexistence ou la nullité.
Cette conception est erronée et dangereuse.
Elle est erronée dans la mesure où elle simplifie jusqu'à la caricature le rôle du juge, en le
transformant en une sorte d'automate et en transformant la Cour en une chambre d'enregistrement.
Dans toute affaire portée devant lui, le juge exerce nécessairement son esprit critique. Il conserve
son droit d'appréciation et de jugement. Les actions juridiques, comme celle-ci, confient au juge une
mission déclaratoire, mission qui exige de la part de celui-ci jugement et sagacité. Ayant pour but de
faire constater l'existence ou l'inexistence d'une situation juridique ou de solliciter l'interprétation d'un
traité ou la définition d'une ligne de conduite à tenir par les parties, ces actions déclaratoires se
situent à un haut niveau d'intelligence et de responsabilité, exigent une connaissance approfondie de
la règle de droit et une grande sagesse dans l'application de celle-ci, toutes choses qui ne vont pas
sans une grande liberté de jugement. La thèse de la nullité automatique soutenue par la
Guinée-Bissau existe peut-être dans les livres, mais elle n'existe pas dans la réalité.
Cette thèse est également dangereuse parce qu'elle introduit une insécurité permanente dans les
relations internationales, toute partie qui conteste une sentence arbitrale se considérant autorisée à se
faire justice à elle-même. Elle déclencherait une avalanche de refus et de rebellions de la part de
- 25 -
toute partie qui succomberait devant un tribunal arbitral.
Enfin, une telle conception réduirait à néant le principe de la bonne foi, principe cardinal du
droit international, car il est toujours plus facile de trouver un bon prétexte qu'une bonne raison pour
ne pas se soumettre à une décision dont on aurait lieu de ne pas être satisfait.
On le voit, les conceptions des deux Parties sur la tâche de la Cour sont radicalement
différentes et même opposées. Cet antagonisme plonge ses racines dans les philosophies profondes
dont chacune d'elles s'inspire. Il y a en Afrique deux écoles de pensées. Il y a celle qui croit à la
primauté du droit et il y a l'autre.
La présente affaire sera pour la Cour l'occasion de remettre les pendules à l'heure et de
montrer que le respect du droit s'impose partout dans le monde avec la même rigueur.
Je disais en commençant qu'on vous demande de prendre une grande responsabilité, celle, par
votre décision, de rendre fragile une grande conquête du droit international : la sentence arbitrale.
C'est pour la protéger que les causes de nullité d'une sentence sont d'une rigueur exceptionnelle et
sont enfermées dans des limites étroites, et que les faits invoqués doivent être d'une gravité
exceptionnelle.
Selon le Sénégal, il n'y a ici, ni corruption, ni contrainte, ni ultra vires, ni infra petita, ni
ultra petita, ni violation d'une règle impérative de international.
La Cour considère-t-elle qu'elle est vraiment devant l'une de ces causes pour créer un
précédent dont l'histoire parlera à travers les âges ? Votre décision le dira.
Avant de terminer, je voudrais indiquer à la Cour les orateurs qui vont intervenir et l'ordre
dans lequel ils vont intervenir : M. Derek W. Bowett parlera de l'interprétation du compromis;
M. Capotorti parlera de la prétendue nullité de la sentence; M. Derek W. Bowett parlera ensuite de
la prétendue inexistence de la sentence; et à un moment opportun, je prendrai à nouveau la parole
pour donner lecture de nos conclusions.
Je vous remercie, Monsieur le Président, Messieurs de la Cour.
The PRESIDENT: Thank you, Mr. Thiam and now Mr. Bowett please.
- 26 -
Mr. BOWETT: Mr. President, Members of the Court, it is my task to address two issues.
The first is the interpretation of the compromis of 12 March 1985; the second is the alleged
"inexistence" of the Arbitral Award of 31 July 1989. I shall at this stage deal only with the first of
these issues. My colleague Professor Caportorti will then deal with Guinea-Bissau's subsidiary
argument on the alleged nullity of the Award, and I will then conclude by dealing with
Guinea-Bissau's primary argument on the alleged "inexistence" of the Award.
I. The Interpretation of the Compromis d'Arbitrage of 12 March 1985
Guinea-Bissau alleges an excès de pouvoir by the Arbitral Tribunal. It is common ground
between the Parties that the powers of the Tribunal are established by the compromis. Necessarily,
therefore, if it is alleged that the Tribunal has exceeded its powers, it is to the compromis that one
must turn, for it is the compromis which will determine the extent of those powers, and therefore
govern the question of whether an excess has been committed, or not.
But here I would introduce a word of caution. A compromis may well contain an express
limitation on the powers of the Tribunal, a limitation so clear that an excess is absolutely clear.
Most provisions of a compromis are, however, not drafted in that clear and restrictive way. They
are drafted as a positive grant of power, and it is an essential part of the Tribunal's task to interpret
the compromis, to come to its own decision about the extent of its powers: this is "la compétence de
la compétence". This is the principle embodied in Article 36, paragraph 6, of the Court's Statute.
But it is a principle applicable to all judicial or arbitral bodies. As the Court stated in ruling on the
Preliminary Objection in the Nottebohm case:
"Paragraph 6 of Article 36 merely adopted, in respect of the Court, a rule consistently
accepted by general international law in the matter of international arbitration ... an
international tribunal has the right to decide as to its own jurisdiction and has the power to
interpret for this purpose the instruments which govern that jurisdiction." (Judgment of
18 November 1953, pp. 119-120.)
Thus, every Tribunal has this interpretative function: it is an inevitable and necessary part of the
judicial or arbitral function. It is equally inevitable that, in exercising this interpretative function, the
Tribunal may face two parties with different views on how the compromis should be interpreted.
- 27 -
This kind of difference will arise most commonly over the interpretation of that provision in
the compromis which defines the task of the Tribunal. And this for the very obvious reason that, as
we all know, the greatest difficulty in drafting any compromis is to find a form of words which will
embrace the views of both parties as to how the dispute - and therefore the task of the Court - is to
be defined.
Thus, quite frequently, the tribunal in question is forced to interpret the compromis and,
almost inevitably, to take a decision which will displease one or other party. But does that mean its
award is a nullity? Certainly not. It means only that the aggrieved party then has to consider
whether the tribunal's interpretation falls legitimately within that margin of interpretative discretion
which every tribunal has - la compétence de la compétence. Or whether the tribunal's interpetation
of its task under the compromis is so manifestly untenable that, in effect, the tribunal has assumed a
role the parties never intended to confer upon it: in short, that the tribunal has committed an excès
de pouvoir.
In the case before you, Guinea-Bissau has taken this second, extreme view. And so it falls to
this Court to basically decide whether the Arbitral Tribunal's interpretation of Article 2 was not that
intended by either Party, and was so manifestly untenable that it was an excès de pouvoir.
Specifically, you have to decide whether the Tribunal committed a manifest and serious error in
interpreting Article 2 as posing two alternative questions. Or whether, as Guinea-Bissau argues, the
Tribunal was bound to proceed to Question 2, even after having given an affirmative answer to
Question 1.
In my submission, it is not enough for you to decide that Guinea-Bissau's interpretation of
Article 2 is equally tenable. It is not enough, even, that you should decide that both interpretations
of Article 2 are possible, and that, had the original case been before this Court, you would have
preferred the interpretation advanced by Guinea-Bissau. For the margin of appreciation rests with
the original Tribunal: that is la compétence de la compétence. You cannot simply substitute one
possible interpretation for another - for that would be to trespass upon the undoubted competence of
the original Tribunal.
- 28 -
What you have to decide is whether the Tribunal's interpretation was so manifestly wrong, so
clearly untenable, so clearly beyond the contemplation of both Parties, that it has exceeded its
powers, or refused to exercise a power of decision it was required to exercise. That is the question.
To answer that question we shall, of course, have to examine the travaux préparatoires to see
what the Parties intended. Then we shall have to analyse with care the actual texts of the provisions
adopted in the compromis. Then we shall have to analyse the interpretations adopted by the Tribunal
of the provisions in question - principally Article 2, but also, to some extent, provisions in Article 4
and Article 9. I will examine each of those questions in turn. But let me first say a word about the
relevant principles of interpretation.
1. The Principles of Interpretation
These principles are not, as such, controversial and are to be found expressed in Articles 31
and 32 of the Vienna Convention on the Law of Treaties. I need not bore the Court with any lengthy
discussion. Let me summarize them in a few, simple propositions.
- All principles or rules of interpretation have as their aim to elucidate the common will of the
Parties.
- The words used are to be given their plain and ordinary meaning.
- Intepretation must be in good faith. From this it follows that, where a formula of words is
proposed by Party A, Party B is entitled to construe those words in their ordinary meaning. It
is not permissible for A, subsequently, to argue that the words had some special meaning, a
meaning that had not been disclosed to Party B in the negotiations, for that would be a breach
of good faith. This is the so-called contra proferentem rule.
- A real obscurity, or ambiguity, can be clarified by reference to the travaux préparatoires.
Then there is another principle, for which Guinea-Bissau has argued in its Memorial
(paras. 116-121). This is a principle peculiar to compromissory clauses or treaties - such as a
compromis d'arbitrage - and it is to the effect that the powers conferred on a court or tribunal must
be strictly construed. Senegal has no quarrel with that. Certainly if a tribunal is required to answer
Questions 1 or 2, it has no business answering Questions 1 and 2, or even 1 and a part of 2.
- 29 -
The law on this is clear enough. In its Counter-Memorial, Senegal has referred to two
relevant cases, the Minquiers and Ecrehos case, and the Island of Palmas case (paras. 77-78). In
the Minquiers and Ecrehos case the Court noted that it was asked to decide whether the islands
belonged to France or the United Kingdom. The Court accepted this strict alternative. It held that it
had no power to decide that the islands belonged to neither, or to both.
Similarly, in the Island of Palmas case, the question was again posed in the alternative: did
the island belong to the United States or to the Netherlands? Judge Huber accepted that he was
bound by the alternative. He could not decide that the island belonged in part to the United States
and in part to the Netherlands.
My submission is that the differences between the Parties as to the principles governing the
interpretation of the compromis of 12 March 1985 are minimal, and in fact, do not affect the real
point at issue, so I need detain the Court no longer. I pass to the compromis itself.
2. The Compromis of 12 March 1985
(a) Its origins
A few words about the origins of this compromis may be helpful. Initially, Guinea-Bissau
proposed arbitration, and opposed Senegal's preference for submission to this Court. So it was left
to Guinea-Bissau to propose a draft compromis, and this it did on 23 June 1982, identifying the
question to be put to the Tribunal in the following terms:
"Quel est le tracé de la ligne délimitant les territoires maritimes qui relèvent
respectivement de la République du Sénégal et de la République de la Guinée-Bissau?"
This made two things clear. Guinea-Bissau wanted one, single line; and no mention of the
1960 maritime boundary agreement between Portugal and France. This first was acceptable.
Senegal also wanted a single line. But the second was not, and so on 1 February 1984 Senegal
proposed an alternative:
"L'Accord conclu par un échange de lettres, le 26 avril 1960, et relatif à la frontière en
mer, fait-il droit dans les relations entre la République de Guinée-Bissau et la République du
Sénégal?"
The Parties, when they began the second phase of negotiations in April 1984, thus had two
- 30 -
alternatives and very different formulations of the question. I want to stress the difference between
these two questions. Senegal's question did not ask for a delimitation. It simply asked a question
about the validity of the 1960 Agreement: did it bind the Parties? The Guinea-Bissau question
asked for a delimitation "quel est le tracé de la ligne...?" Obviously, there had to be a solution and
it was Guinea-Bissau who, at the meeting on 26 April 1984, proposed one. This solution consisted
in accepting Senegal's question, but then adding: "en cas de réponse négative, quel est le tracé de la
ligne délimitant les territoires maritimes etc.?"
Now there cannot be much doubt about what that meant. There were two questions, certainly.
But the first question was the Senegalese question; and only in the case of a negative reply to that
question did the second question, the Guinea-Bissau question, come before the Tribunal. The two
questions were mutually exclusive.
You may feel that this was bad drafting, and that it would have been more prudent to give the
Tribunal more flexibility in the sense of giving the Tribunal power to address both questions, in so
far as both questions might prove relevant. It could have been done. Instead of saying "In case of a
negative reply...", one could have said "In case of a reply to the first question which may be totally
or partially negative...". Or Guinea-Bissau might have been quite specific and, starting from the
premiss that even if the 1960 Agreement was binding, it concerned only the territorial sea,
contiguous zone and continental shelf, added a quite new question, what I might call Question 1 bis.
Something like the following:
"In case of an affirmative answer to the first question, and bearing in mind the fact that
the 1960 Agreement concerned only the territorial sea, contiguous zone and continental shelf,
what is the boundary for the superjacent waters? Is it the same line, or a different line?"
But that was not done, and we have to speculate over why Guinea-Bissau tied the Tribunal to two
alternative and mutually exclusive questions. Presumably the answer lies in the fact that
Guinea-Bissau wanted a single line. It did not want two different lines. So Guinea-Bissau was
content that the Tribunal should have a simple choice: either the 1960 line, or a new line. But it was
to be the same line throughout, and granted that in 1984 the law recognized that a shelf boundary
- 31 -
extended to 200 miles, if it had to be the 1960 line, then that would suffice for all purposes.
I make no criticism of that choice. It was a perfectly rational choice and quite understandable
when Guinea-Bissau remained confident that the Tribunal would reject the 1960 line. But it did
mean that the Tribunal had to decide between the two alternatives: if it answered Question 1
affirmatively, Question 2 simply did not arise.
Of course, this was not the end of the negotiations. But it was the origin of what became,
ultimately, Article II of the Compromis. In the negotiations that followed, Senegal initially rejected
the Guinea-Bissau proposal: that was in May 1984. By June, Guinea-Bissau seemed prepared to
reconsider Senegal's single question, but then by November reverted once again to the two questions.
But the second was still a strict alternative, being prefaced by the words, "en cas de réponse
négative à la première question". Moreover, this version did not, in terms of the second question,
ask the Tribunal to draw the line, but rather to indicate the principles and rules which would permit
the Parties to negotiate a line. So, in 1984, Guinea-Bissau did not envisage that either question
would produce a delimitation by the Tribunal.
This was a significant proposal, because it also showed how Guinea-Bissau regarded the two
questions as totally separate and mutually exclusive.
Either Question 1 was answered affirmatively - and the whole matter was assumed to be
resolved by the Tribunal; or the 1960 Agreement was rejected, and the line had to be negotiated by
the Parties in the light of the Tribunal's guidance on principles. It was impossible, under this
scheme, for the Tribunal to answer "yes" to the first question, and then go on to give partial answers,
let alone draw further lines, to the second question. Nothing could have been further from the minds
of the Guinea-Bissau's negotiators.
A real impasse then developed, broken only at the meeting of Heads of State in Dakar early in
1985, and from this meeting the final text emerged. We have no records of that meeting, nor has
Guinea-Bissau. Yet Guinea-Bissau simply asserts in its Memorial (para. 27) that the formula
adopted was a "double question", designed to ensure that the Tribunal proceeded to a complete
delimitation of the maritime zones, whatever its reply to the first question.
- 32 -
Mr. President, Senegal believes that assertion to be totally wrong. It is not backed by any
records of the meeting. It is quite contrary to the whole sense of the earlier proposals by
Guinea-Bissau. It is inconceivable that Senegal would ever have agreed to a proposal in that sense.
And it is plainly contrary to the words used. The words actually agreed, the agreed text of Article 2
is now on the board behind me, and I would like it to remain there, so that it is firmly in the minds of
the Court as I proceed with my argument.
Mr. President, maybe that would be better done after coffee.
The PRESIDENT: Thank you very much, Mr. Bowett.
We will resume in 10 minutes or thereabouts. Thank you.
The Court adjourned from 11.15 a.m. to 11.35 a.m.
The PRESIDENT: Please be seated. Professor Bowett, please.
Mr. BOWETT: Thank you, Mr. President.
I want now to turn to the discussions during the arbitral proceedings of the terms of the
compromis.
(b) Discussions during the Arbitral Proceedings
Not surprisingly, there was some discussion of the task of the Tribunal during the written and
oral proceedings before the Arbitral Tribunal.
In its initial Memorial, Guinea-Bissau envisaged two separate phases of the Tribunal's task.
Let me read you the crucial passages:
"The representatives of Guinea-Bissau maintained that, the question being an open one
in the sense that it admitted of a positive as well as a negative answer, one should go further
and, allowance being made for the possibility of an answer in the negative (i.e., that the
Franco-Portuguese Exchange of Letters of 26 April 1960 was not to be considered as a valid
basis for the delimitation of the maritime boundary between the two States), deal with the
substantive question",
and then, somewhat later, Guinea-Bissau said this:
"The Tribunal was requested to carry out a dual task: in the first place, to pronounce
itself on the validity of the Franco-Portuguese Exchange of Letters of 26 April 1960 as a
means of determining the maritime boundary between Guinea-Bissau and Senegal; and,
- 33 -
should this validity not be recognized, to lay down the course of the line delimiting the two
States in accordance with the pertinent norms of positive international law." (Guinea-Bissau,
Memorial, Annexes, Vol. II, p. 18.)
That interpretation of Article 2 of the compromis is clear, and it is correct. The second
question - la question de fond for Guinea-Bissau - is reached if, and only if, a negative answer is
given to the first question. There is not the slightest hint that a positive answer to the first question
might be followed by a partial answer to the second question. The two are mutually exclusive.
In its Counter-Memorial, Senegal agreed with that interpretation, adding only that, in its view,
if the Tribunal replied affirmatively to the first question, and the 240° azimuth fixed by the 1960
Agreement therefore became the boundary, this line would also serve as the boundary for the
exclusive economic zone.
However, when Guinea-Bissau filed its Reply, it changed its mind. For the first time it raised
the possibility that the 1960 Agreement might be partially applicable - to the territorial sea - and that
the Tribunal might then turn to the second question and thus draw the boundary line for the
remainder of the maritime boundary.
"que l'accord ne fait droit que partiellement ... seulement pour les eaux territoriales"
...
"qu'il faudrait bien appliquer le paragraphe 2 de l'article 2 du compromis et tracer la ligne de
délimitation pour la partie restant".
What caused this change of mind is anybody's guess. The most likely explanation is that,
having read Senegal's Counter-Memorial, Guinea-Bissau was no longer quite so sure, quite so
confident of a negative answer to Question 1. And so it shifted to the argument that, even with a
positive or affirmative answer to Question 1, there might still be scope for limiting that affirmative
answer, and moving to Question 2.
It will not surprise you that in its Rejoinder, Senegal opposed this new interpretation. It
insisted on the subordination of the second question to the first; on the complete separation of the
two questions; and on the view that an affirmative answer to the first question excluded any
reference to the second. So, the issue was clearly joined. The question we must now examine is
"How did the Tribunal resolve it?"
- 34 -
I turn now to the Tribunal's resolution of this issue.
(b) The Tribunal's resolution of the issue
The Tribunal responded affirmatively to the first question: of that, paragraph 88 of the
Award leaves no doubt.
As to the second question, in paragraph 87, the Tribunal stated quite simply "... la deuxième
question, de l'avis du Tribunal, n'appelle pas une réponse de sa part".
The question before this Court is whether that conclusion, as an interpretation of the
compromis, was so manifestly and patently wrong as to amount to an excès de pouvoir, in the form
of a refusal by the Tribunal to carry out the task assigned to it by Article 2 of the compromis.
We must therefore ask "What was it that the Tribunal is supposed to have refused to do?"
The answer, clearly, is that it refused to delimit the superjacent waters beyond the contiguous zone.
Necessarily, that is the result of the terms of the dispositif in paragraph 88, for the Tribunal found
expressly that, although the 1960 Agreement, and the loxodrome of 240°, was binding on the Parties,
this was true only for "la mer territoriale, la zone contigue et le plateau continental". Clearly, this
excluded the superjacent waters, the exclusive economic zone.
What is now clear is that both Parties wanted a delimitation of the superjacent waters. But
they differed fundamentally over how that was to be achieved.
Let me take first Senegal's argument. This is outlined quite clearly in the Tribunal's Award, at
paragraphs 80 to 85. Essentially, it consisted of the following propositions.
1. Both Parties wanted a single maritime boundary.
2. To confine the 1960 Agreement to the territorial sea, contiguous zone and continental shelf
would give to the Agreement - that is the 1960 Agreement - only a partial validity.
3. The subsequent practice of the Parties had treated the 1960 line - the 240° loxodrome - as a
fisheries boundary.
4. The evolution of the Law of the Sea had both extended the 1960 shelf boundary out to 200
miles and enlarged it into a general maritime boundary so as to cover the superjacent waters.
The Tribunal's reply in substance was that these were issues which went beyond the question
- 35 -
asked in Question 1. The Tribunal has been asked whether the 1960 Agreement was binding. It
found that it was. All that remained for the Tribunal was to define the scope of the 1960 Agreement.
It did so and it felt unable to accept the Senegalese arguments that a 1960 Agreement, which was by
its own terms confined to the territorial sea, contiguous zone and continental shelf, could be held to
cover the new economic zone.
You will note that the Tribunal's findings related not to the interpretation of the compromis,
but rather to the interpretation of the 1960 Agreement. Whether that interpretation was correct or
not is beside the point, because this is not an appeal.
As to the other Senegalese arguments based on the subsequent practice of the Parties, or the
impact on the 1960 Agreement of the evolution of the Law of the Sea, the Tribunal's answer was that
it could only answer the questions put in the compromis and the compromis had not put those
questions. Let me cite what the Tribunal said:
"The Tribunal is not attempting to determine at this point whether there exists a
delimitation of the exclusive economic zone based on a legal norm other than the 1960
Agreemnt, such as a tacit agreement, a bilateral custom or a general norm. It is merely
seeking to determine whether the Agreement in itself can be interpreted so as to cover the
delimitation of the whole body of maritime areas existing at present." (Para. 83.)
Thus, the Tribunal refused to go outside the compromis. It refused to commit an excés de
pouvoir by answering questions which had not been put by the compromis. Had the Parties asked
the additional question - the Question I bis, I referred to earlier - namely, if the 1960 Agreement was
binding in relation to the territorial sea, contiguous zone and continental shelf, what was the
boundary for the exclusive economic zone? the Tribunal could have given an answer. But it was not
asked that question and it had no power to answer it.
I do not suggest one should blame the Parties for defective drafting of the compromis. As I
suggested earlier, they both seemed to have assumed that whether it was the 240° line or some other
line, it would be the same line for all purposes. If both Parties had kept to that assumption, there
would be no problem. The Tribunal's Award would have fully resolved the matter. The fact that
there is now a problem is caused by Guinea-Bissau's own decision to abandon that assumption, and
so to pretend that the Tribunal had not resolved the matter.
- 36 -
But we certainly cannot blame the Tribunal for doing precisely what it was asked to do: no
more, and no less. The Tribunal had no business in dealing with a matter about which the Parties
had made mere assumptions. The assumption was no doubt correct. But that was not what the
Tribunal was asked.
My submission is, therefore, that the Arbitral Tribunal made a correct, a rigorously correct,
interpretation of Article II of the compromis. I would say, further, that even if this Court might
itself have been disposed to adopt a more liberal interpretation of Article II, that makes no difference.
Provided the Tribunal's interpretation was a possible interpretation; provided it was not patently
and fundamentally wrong, then the margin of discretion rested with the Tribunal. La compétence de
la compétence belonged to the Tribunal, and this Court should not nullify its decision.
I have gone over the ground analytically, and I hope with reasonable objectivity. Let me now
turn to what appear to be the current Guinea-Bissau arguments.
(d) The arguments of Guinea-Bissau
Guinea-Bissau argues for a strict interpretation of the Compromis. We agree, and so did the
Arbitral Tribunal. As I have just explained, the Tribunal's refusal to accept Senegal's arguments
was based upon the Tribunal's view that it was strictly bound to confine itself to the questions asked
in the compromis.
So the real issue is: what were the questions asked? I will not repeat the terms of Article 2 -
you have them on the board behind you - but I ask you to keep them in mind when I read out the text
of paragraph 138 of Guinea-Bissau's Memorial, in its English translation:
"138. Four conclusions are apparent, without any doubts being raised, from the terms
used:
- all the maritime boundaries were to be delimited by the
Tribunal;
- the hypothesis of two different lines for the continental
shelf and for the exclusive economic zone was ruled out in favour of a single line;
- the Parties asked the Tribunal for a full delimitation and not
for certain factors or a method with which to conduct the delimitation themselves;
- the two-fold question raised (tied up with the need to state
the reasoning) left it up to the Tribunal to choose a solution and the legal means for
obtaining it. All that was required was for the two questions to be settled, the reasons
- 37 -
given for the replies and the line drawn."
One wonders what has happened to this principle of strict interpretation. There is, of course,
no correlation whatsover between the Guinea-Bissau version of the task of the Tribunal and what
Article II actually said. Paragraph 1 of Article II - that is the first question - has simply disappeared.
And so have those crucial words prefacing paragraph 2 - "En cas de réponse négative à la première
question ...". The error made by Guinea-Bissau is clear and the same error has been repeated
endlessly during these oral proceedings. The error lies essentially in the assumption by
Guinea-Bissau that Question 1 was designed to produce a complete delimitation, in the same way as
Question 2.
But as we have seen, Question 1 simply asked about the validity of the 1960 Agreement: and
that is all. It is certainly true, as Guinea-Bissau says, that both Parties wished to have a definitive,
complete settlement of their boundary dispute. It is equally true that Senegal assumed that this
would be achieved, once the Tribunal affirmed the validity of the 1960 Agreement. That assmption
rested on the view that the practice of the Parties and the evolution of the law had, as it were,
extended the application of the 1960 line to cover the superjacent waters. And so Senegal argued
before the Tribunal. But, as we have seen, the Tribunal's reply was that it had not been asked to
decide whether this assumption was valid. It had simply been asked whether the 1960 Agreement
was valid, and it had replied that it was. And there its task ended.
Now maybe, in retrospect, the Tribunal ought to have been asked whether the assumptions
made by Senegal were correct. That could have been done, by posing the additional Question 1
bis that I referred to earlier. But that is wisdom after the event, and the fact is that the question was
not put and the Tribunal cannot be blamed for that. In fact in the succeeding pages of the
Guinea-Bissau Memorial we find a detailed analysis of the Senegal arguments before the Tribunal -
principally the argument that the 1960 Agreement and the line of 240° had, in practice and in law,
been subsequently extended to 200 miles and adopted as a single maritime boundary.
Guinea-Bissau suggests, on that basis, that Senegal itself had argued for a partially - positive and
partially - negative answer to Question 1.
- 38 -
But that is not true. Senegal always confined its arguments to the first question, even if they
were arguments about what an affirmative answer to Question 1 implied, based on State practice and
the evolution of the law. At no stage did Senegal concede that the second question arose at all, in
any form. And, in any event, what is in issue before this Court is not what Senegal argued, but what
the Tribunal decided, and, as we have seen, the Tribunal rejected Senegal's arguments.
And as to those troubling 11 words which precede the second question, Guinea-Bissau simply
asserts that they did not say "In the event of a totally negative answer to the first question". What an
extraordinary argument! Negative means negative only if you say totally negative! One begins to
think that the people negotiating this compromis for Guinea-Bissau were either exceptionally devious
or plain incompetent. Let me recall the obligation on the Arbitral Tribunal to seek a good faith
interpretation of the compromis. Would it have been a good faith interpretation of the compromis if
the Tribunal had said
"Well, yes, we know we can only address the second question if we give a negative
answer to the first question. But the compromis does not say totally negative. So we are
entitled to regard an affirmative answer as equivalent to a not totally negative answer, and so
proceed to the second question."
Now that really would have been a clear distortion of the language. And if the Tribunal had adopted
that interpretation you might well have a real basis for a claim to nullify the award.
And let us remember the contra proferentem rule. Those 11 preambular words (9 in the
French text) came from Guinea-Bissau. It is not open to Guinea-Bissau now to say "Oh, but by
'negative' we meant 'partially negative'": even if there were the slightest possibility of such an
interpretation - which we deny - it does not now lie with Guinea-Bissau to advance it.
But, in a sense, Mr. President all of this argument by Guinea-Bissau is simply playing with
words. What is more to the point is the basic assumption made by Guinea-Bissau in pursuing this
line of argument. At the root of the argument lies the assumption by Guinea-Bissau that the
Tribunal's affirmative answer to Question 1 was only a partial answer. Therefore Guinea-Bissau
argues the Tribunal was bound to complete the answer by proceeding to Question 2.
There lies the fallacy! In fact the Tribunal's answer was a complete answer to Question 1.
Guinea-Bissau simply assumes that Question 1 was designed to secure from the Tribunal a complete
- 39 -
delimitation, a delimitation of all the maritime spaces - and on that basis assumes that the answer
was incomplete.
But let the Court look again at Question 1. In fact it does not ask for any delimitation. It asks
whether the 1960 Agreement was binding or not. The Tribunal replied that it was binding. That is
not a partial or incomplete answer. On the contrary it is a complete answer to the question actually
put.
There are two further points raised by Guinea-Bissau as an aid in construction which can be
dealt with quite briefly. The first is the suggestion that, since the Preamble to the compromis refers
to a "dispute relating to the determination of their maritime boundary", in quite general terms, it
therefore follows that the Tribunal must resolve the whole dispute. There is a short answer to that.
The questions put to the Tribunal are set out in Article 2, not the Preamble: and, since they are
clear, there is no basis for a reference to the Preamble.
The second argument turns on the fact that the first sentence in Article 2 refers to the
"folllowing questions": i.e., questions in the plural. It is suggested that, somehow, this obliges the
Tribunal to reply to both questions. There are, of course, two questions. But they are put as
alternatives, and the preliminary 11 words to the second question make clear that they are
alternatives. So there is no substance in the argument that despite those clear words "In the event of
a negative answer...", one can deduce from the use of the plural questions an obligation to respond to
both questions.
My submission is, therefore, that the arguments of Guinea-Bissau on Article 2 are entirely
devoid of substance. They fly in the face of the clear meaning of that Article.
I place great stress on this point. Once the Tribunal had given an affirmative answer to
Question 1, it was precluded from proceeding to Question 2 by those preliminary 11 words to the
second question. The Tribunal's decision was dictated by the very terms of the compromis.
Yesterday we were told that the Tribunal's reasoning on this point was "delphic"; that paragraph 87
of the Award contained no sufficient reasons to justify the decision not to proceed to Question 2.
- 40 -
But, Mr. President, the Tribunal was compelled to take that decision by the terms of the compromis
itself. Should we expect the Tribunal to justify the compromis, to give a reasoned explanation for
those preliminary 11 words?
No, Mr. President, we should not. It is not for the Tribunal to justify the way the Parties had
drafted the compromis. The Tribunal must take the compromis as it finds it - for better or worse
(rather like the marriage ceremony). They may regret that drafting. President Barberis obviously
did. But the Tribunal cannot depart from the compromis and is not required to rationalize or justify
the compromis.
The heart of the matter does not lie in Guinea-Bissau's dissatisfaction with the Tribunal's
interpretation of Article 2. It lies in Guinea-Bissau's refusal to accept the affirmative answer given
by the Tribunal to the first question. If an appeal to this Court were possible, we would be hearing
an appeal: we would hear nothing of this extraordinary argument of nullity.
But the Tribunal's Award is final and binding, and there is no appeal. So what we are now
witnessing is a highly artificial - and quite misguided - attempt to construct an argument to nullify
the Award.
I must now turn to two final, and I think subsidiary, bases upon which Guinea-Bissau seeks to
challenge the Award. These, too, involve the interpretation of the compromis, so I can deal with
them conveniently now.
I deal first with the matter of the map.
(e) The Matter of the Map
Article 9 of the compromis requires the Tribunal to inform the two Governments of its
decision, and then, in a second paragraph, provides as follows:
"That decision shall include the drawing of the boundary line on a map. To that end,
the Tribunal shall be empowered to appoint one or more technical experts to assist it in the
preparation of such map."
Guinea-Bissau sees in this an absolute requirement: no map, no decision. But the Tribunal's
power - indeed its duty - to interpret the compromis is to give to it a reasonable interpretation.
Let us consider the following facts. Article 9, paragraph 2, refers to "the boundary line": that
- 41 -
is the "line" to be drawn on the map. But there is no reference to any line in Question 1. All that
asks is whether the 1960 Agreement is binding. The only reference to a "line" is in Question 2:
"quel est le tracé de la ligne?"; that is where you will find the reference to a line. So a perfectly
reasonable interpretation of Article 9, paragraph 2, is that the Tribunal's obligation to provide a
map, with a line on it, would arise only in the context of a reply to Question 2. For only that
question refers to a line.
That is the common-sense interpretation. The idea that the obligation to produce a map and a
line arose in the context of an affirmative answer to Question 1 is, frankly, rather absurd. The
Tribunal, in rather more restrained language, declared it to be "not expedient".
After all, the straight loxodromic line of 240° had been in existence since 1960. Senegal was
well aware of that line, and had drawn it on its own maritime charts without difficulty. Senegal had
provided maps, showing the 240° line, to the Arbitral Tribunal, and Guinea-Bissau was fully aware
of these maps. It is inconceivable that Guinea-Bissau had not drawn the same line on its own maps -
if only to decide that it could not accept such a line as an equitable result. At no stage does
Guinea-Bissau appear to have suggested that it had any difficulty in drawing the 240° line: its
objection was to the line as such.
So what was the Tribunal expected to do? Engage one or more technical experts to present
the Parties with a map, and a line, which they already possessed? That scarcely strikes one as a
reasonable interpretation. Even the dissenting opinion of Judge Bedjaoui did not suggest that the
Award was defective in not producing a map. Accordingly, in my submission, the lack of a map
cannot be a ground of nullity in this case.
Even if this Court takes the view that the Tribunal ought to have provided the Parties with a
map, with the 240° line drawn upon it, that would still not provide a ground for nullifying the whole
Award. For, as my colleague, Professor Capotorti, will shortly demonstrate, the law requires that
the error in interpreting the compromis must be grave and manifest.
In this case, this cannot be so. If we suppose that Guinea-Bissau can assure the Court that it
possesses no map with the 240° line drawn upon it, that it has difficulty in drawing such a line, the
- 42 -
matter is easily remedied. This Court must surely have the inherent power to appoint an expert to
remedy the deficiency. And within 24 hours any reputable expert could draw such a line and
produce the map. A defect - if there be one - so easily remedied, is scarcely a reason for nullifying
the whole Award.
Let me say finally, that I simply do not understand the arguments made yesterday concerning
the absence of a map. To pretend that the difficulties between the Parties, experienced since the
Award, would have been avoided by a map is to delude oneself. And no map drawn by the Tribunal
would have made a scrap of difference to the current dispute over the exclusive economic zone. The
line on the map would not have indicated which maritime zones were covered by the line, and the
Tribunal had already told the Parties, in express terms, that any line of 240° reflecting the 1960
Agreement did not, as such, cover the exclusive economic zone.
(f) The absence of Judge Gros
Article 4 of the compromis requires that:
"1. The Tribunal shall take its decisions only in its full composition".
It is common ground that when the Award was communicated to the Parties on 31 July 1989, Judge
Gros was not present. So this, in the view of Guinea-Bissau, not only violates the compromis, but
also nullifies the Award.
I will not enter into a debate over the purely speculative, and rather disparaging, explanations
which Guinea-Bissau offers to explain the absence of Judge Gros. Senegal believes that
Guinea-Bissau knows full well the reasons for that absence.
But I will say a word about this extraordinary misinterpretation of Article 4. The "decision"
of the Tribunal to which Article 4 refers was the final vote of the Arbitrators, followed by the act of
signing the original text of the Award. Naturally, this crucial stage of the process took place in
closed session, in the absence of the Parties. M. Gros took full part in that decision, and
Guinea-Bissau does not allege otherwise.
The communication of the decision to the Parties is a quite different matter. Article 10
requires that the Registrar shall hand to each Agent a certified copy. So there is no need for the
- 43 -
Tribunal to meet at all for this purpose. The fact that it did so was an act of courtesy, not a
requirement of the compromis, and certainly no "decision" was taken at that meeting.
The argument has so little merit that it need not detain us any further.
Mr. President, this brings me to the conclusion of my statement on the interpretation of the
compromis. I can state those conclusions quite shortly.
First, there is no basis for any allegation that the Tribunal committed an excès de pouvoir.
Not only did the Tribunal stay well within the limits of its competence in interpreting its powers - la
compétence de la compétence - it in fact adopted a strict interpretation of those powers. It saw
Article II as posing two alternative questions, and that was in reality the only reasonable
interpretation for the Tribunal to adopt. Moreover, the Tribunal was entirely correct to read Article
II as precluding any response to the second question unless it returned a negative response to the
first question.
Guinea-Bissau's real complaint is that the Tribunal failed to answer a question that was never,
in fact, put to the Tribunal.
As to the map, the common-sense interpretation of the compromis - and the one the Tribunal
adopted - was that this would be required only if the Tribunal answered Question 2, and drew a new
line.
As to the absence of Judge Gros, here Guinea-Bissau is truly "clutching at straws".
Guinea-Bissau simply confuses the decision-making process, in which Judge Gros took full part,
with the purely formal act of communication of the Award.
Mr. President, that concludes my statement. I would be obliged if you would call on Professor
Capotorti.
The PRESIDENT: Thank you, Professor Bowett.
I call Professor Capotorti.
M. CAPOTORTI : Monsieur le Président, Messieurs les Juges,
Permettez-moi d'exprimer tout d'abord mon hommage à votre Cour et à la justice
internationale dont elle est la plus haute expression. Qu'il me soit permis d'ajouter que je suis très
- 44 -
sensible à l'honneur de plaider pour la deuxième fois dans cette salle.
1. Vous savez bien que le Gouvernement de la Guinée-Bissau, qui est le requérant dans cette
affaire, a affirmé d'abord l'inexistence et ensuite à titre subsidiaire l'invalidité de la sentence arbitrale
du 31 juillet 1989, en invoquant essentiellement trois motifs.
En premier lieu, cette sentence devrait être considérée inexistante, parce que la volonté
collégiale du Tribunal ne se serait jamais formée. Dans ses conclusions, notre adversaire soutient
que
"des deux arbitres ayant constitué en apparence une majorité en faveur du texte de la sentence
l'un a, par une déclaration annexe, exprimé une opinion en contradiction avec celle
apparemment votée".
Mon éminent collègue M. Bowett va examiner ce point qui présente non seulement un aspect
essentiellement théorique et général mais aussi un aspect spécifique et particulier, fondé sur
l'interprétation de la déclaration de M. Barberis, qui était le président, en 1989, du Tribunal arbitral
dont il s'agit. Pour ma part, je me limite à remarquer ici que, si la nullité des sentences arbitrales est
bien connue et généralement acceptée en théorie depuis longtemps (mais d'ailleurs jamais appliquée
en fait par les tribunaux), l'admissibilité de l'inexistence d'une décision arbitrale internationale a
soulevé par contre l'opposition en principe de plusieurs auteurs et n'a laissé aucune trace dans le
célèbre projet du professeur George Scelle sur la procédure arbitrale. En ce qui concerne la doctrine,
permettez-moi de vous rappeler seulement la position critique du professeur Brierly et du
juge Morelli, dont les noms illustres ont été cités dans le contre-mémoire du Sénégal.
En deuxième lieu, le plaignant avance le grief - à titre subsidiaire - que la sentence en question
serait frappée de nullité absolue, pour excès de pouvoir du Tribunal; en effet, celui-ci aurait négligé
de répondre à la seconde question posée par le compromis d'arbitrage, alors que sa réponse à la
première question - c'est le Gouvernement de la Guinée-Bissau qui le dit - "ouvrait la nécessité d'une
réponse à la seconde". En outre, l'excès de pouvoir se serait concrétisé également dans le fait que le
Tribunal ne se serait pas prononcé sur la délimitation de l'ensemble des espaces maritimes, ne l'aurait
pas indiquée par une ligne unique et n'en aurait pas porté le tracé sur une carte : tout cela,
- 45 -
contrairement aux dispositions du compromis arbitral.
En troisième lieu, la sentence serait entâchée d'un défaut de motivation, le Tribunal n'"ayant
pas motivé les restrictions abusivement apportées à sa compétence" : restrictions correspondant à
l'absence d'une décision sur les points signalés ainsi qu'au fait que le Tribunal n'a pas reporté, sur
une carte, la ligne de délimitation de l'ensemble des espaces maritimes.
2. Ma tâche se bornera maintenant à discuter le grief subsidiaire du requérant et donc sa thèse
de la nullité de la sentence arbitrale. Pour la Partie adverse, cette décision serait entâchée - bien
entendu, à condition qu'elle soit considérée existante - des deux vices, auxquels je viens de me référer
(l'excès de pouvoir du Tribunal et le défaut de motivation de l'arrêt). Il faudra donc examiner l'une et
l'autre de ces allégations.
3. Dans le mémoire déposé par le plaignant le 2 mai 1990, la première section du chapitre V
est consacrée à l'examen des fondements théoriques de la nullité d'une sentence arbitrale.
A ce propos, le Sénégal partage en principe ce qui a été affirmé en 1939 par Hertz, c'est-à-dire
qu'à l'égard de tout acte ayant des conséquences juridiques - y compris évidemment les sentences
arbitrales - "le problème de la nullité ne peut pas être évité". Ceci découle logiquement du fait que le
droit subordonne l'existence de tels actes à certaines conditions essentielles. Dès lors, se pose la
question "de savoir ce qui arrive si ces conditions ne sont pas remplies1
". Plus récemment un auteur
qui a étudié le problème des nullités du droit des gens - M. Verhoeven - a remarqué très justement :
"Il ne paraît jamais avoir été doctrinalement contesté que la sentence (arbitrale) puisse
être nulle. La difficulté est seulement de s'entendre sur les causes et les procédures de la
nullité2
."
Selon le droit de la procédure arbitrale internationale, chacun des Etats parties à un procès
arbitral a le pouvoir de contester la validité de la sentence. La base juridique de ce pouvoir se trouve
dans les principes généraux de droit reconnus par les Nations civilisées : une source que le regretté
M. Georges Scelle avait indiquée comme réglant les aspects fondamentaux de la procédure arbitrale.
En 1955, le contenu du principe en question avait été repris par l'article 30 du projet de
convention sur la procédure arbitrale, adopté par la Commission du droit international des
- 46 -
Nations Unies à sa cinquième session3
. Son texte a été reproduit presque intégralement par
l'article 36 du "Modèle de règles sur la procédure arbitrale", que la Commission décida d'adopter en
1958 (après avoir abandonné l'idée de proposer à l'Assemblée des Nations Unies

1Voir Revue de droit international et de la législation comparée, 1939, p. 455.
2Voir Institut des Hautes études internationales de Paris, Cours et travaux, I, 1981, p. 36.
3
Commentaire sur le projet de convention sur la proeçdure arbitrale, adopté par la Commission
du droit international à sa cinquième session, New York, 1955, p. 106 et suiv.
la convocation d'une conférence de plénipotentiaires, afin de conclure une convention4
). Cet
article 36 mérite d'être intégralement cité.
Il prévoit que :
"La validité d'une sentence peut être contestée par toute partie pour l'une ou plusieurs
des raisons suivantes :
a) excès de pouvoir du Tribunal;
b) corruption d'un membre du Tribunal;
c) dérogation grave à une règle fondamentale de procédure, notamment absence totale ou
partielle de motivation de la sentence."
4. Examinons d'abord la première des causes invoquées par le requérant dans le cadre de son
grief subsidiaire de nullité de la sentence arbitrale. Il s'agit de l'excès de pouvoir que le Tribunal
aurait commis en ayant négligé de répondre à la seconde question posée par le compromis, car, de
l'avis du plaignant, "sa réponse à la première question" aurait ouvert "la nécessité d'une réponse à la
seconde".
5. Nous sommes conscients du fait qu'en tête de toutes les listes des causes de nullité d'une
sentence arbitrale élaborées par la doctrine, on trouve toujours l'excès de pouvoir du Tribunal. La
vérité de cette constatation ressort déjà de la lecture d'un des auteurs classiques du droit international
: je me réfère à Vattel, qui notait en 1758 : "Il peut arriver ... que les arbitres passent leurs pouvoirs,
et prononcent sur ce qui ne leur a point été véritablement soumis5
."
- 47 -
Plus de 100 ans après, Heffter affirmait :

4Voir Annuaire de la Commission du droit international, 1958, II, p. 115.
5Vattel, Droit des gens ou principes de la loi naturelle appliqués à la conduite et aux affaires des
nations et des souverains, Leyde 1758, cité par Balasko, cause de nullité de la sentence arbitrale en
droit international public, Paris, 1938, p. 9.
"La décision arbitrale est susceptible d'être attaquée dans les cas suivants : 1) si elle a
été rendue sans compromis valable ou hors des termes du compromis...
6
"
Et Bluntschli, à son tour :
"La décision du Tribunal arbitral peut être considérée comme nulle : a) dans la mesure
en laquelle le Tribunal arbitral a dépassé ses pouvoirs...
7
"
Il y a encore d'autres citations, peut-être sont-elles superflues, mais je vous rappelle que
Carlos Calvo décrivait les cas dans lesquels les parties à un arbitrage seraient autorisées à refuser
d'accepter une sentence et il considérait essentiellement l'hypothèse où la sentence a statué "en dehors
ou au-delà des termes du compromis8
". Encore à la fin du XIXe
siècle, sir Travers Twiss soulignait
l'obligation d'obéir à la décision d'un arbitre nommé d'accord par les parties, "à moins que cette
décision n'implique une dérogation manifeste aux termes du compromis9
". Au début de notre siècle,
Mérignhac remarquait, à propos des excès de pouvoir d'un arbitre, que "en général, ils se vérifient en
rapprochant la sentence rendue des pouvoirs confiés au juge par le compromis10". Au même
moment, Hall écrivait : "An arbitral decision may be disregarded ... when the tribunal has clearly
exceeded the powers given to it by the instrument of submission11."

6
Le droit international de l'Europe, traduit par Jules Bergeon, Paris, 1873, p. 21 et suiv., cité par
Balasko, op. cit., p. 9.
7Droit international codifié, traduit par M.C. Lardy, Paris, 1881, p. 289, cité par Balasko, op. cit.,
p. 11.
8
Traité 1888, p. 485, cité par Balasko, op. cit., p. 12.
9
Le droit des gens ou des nations, Paris, 1889, II, p. 7, cité par Balasko, op. cit., p. 13.
- 48 -
10Traité de droit public international, Paris, 1905, I, p. 530, cité par Balasko, op. cit., p. 14.
11A Treatise of international law, Oxford, 1904, cité par Balasko, op. cit., p. 15.
- 49 -
L'attitude de la doctrine à cet égard est tellement constante, qu'on peut aisément compléter la
liste des auteurs, en y ajoutant des noms d'internationalistes modernes ou contemporains; notamment
ceux de Fauchille, Giraud, Strupp, Verdross12. Ils sont tous d'accord dans la constatation que l'excès
de pouvoir du Tribunal arbitral se vérifie lorsque celui-ci a violé les normes du compromis, en
dépassant les pouvoirs qu'il a reçus par ces normes.
6. Ceci dit, il est important de clarifier une question qui nous semble particulièrement
importante. Je me réfère aux cas dans lesquels une obligation imposée par le compromis a été
négligée par le Tribunal arbitral, en ce sens qu'il a jugé infra petita, c'est-à-dire qu'il a omis de
décider sur un point que les parties lui avaient soumis. Est-ce que ces cas méritent d'être qualifiés
d'excès de pouvoir, comme les cas dans lesquels le Tribunal se prononce ultra petita ?
En effet, ces deux hypothèses n'ont en commun que la violation des règles du compromis.
Dans son cours sur "L'excès de pouvoir dans la justice internationale", donné ici à La Haye en 1931,
Castberg avait exactement noté :
"Le pouvoir d'un organe, d'une autorité veut dire sa compétence, le domaine de son
droit. Un excès de pouvoir dans ce sens du mot est commis dans tous les cas où l'organe en
question aura violé une des normes qui lui prescrivent ses devoirs."
Par conséquent, Casterg employait les termes "excès de pouvoir", "pour désigner toute
manière d'agir d'un tribunal international, contraire aux normes sur lesquelles se fonde son autorité et
qui règlent ses fonctions".
Néanmoins, le même auteur avait refusé d'accepter la doctrine selon laquelle tout excès de
pouvoir de la part d'un tribunal international entraîne la nullité de la sentence. Sa conclusion était :
"Ce n'est que dans les cas d'excès de pouvoir flagrants - ou plus précisément dans les
cas où il y a eu usurpation de pouvoir - que l'effet en est que la sentence est frappée de
nullité13."

12Ils sont tous cités par Balasko, p. 17-18.
13Castberg, L'excès de pouvoir dans la justice internationale, RCADI, Vol. 35, 1931, I, p. 357 et
- 50
-
suiv.
- 51 -
7. Cet enseignement ne doit pas être oublié lorsque l'on constate que l'excès de pouvoir du
Tribunal est la première des causes de nullité de la sentence mentionnées par l'article 36 du Modèle
des règles sur la procédure arbitrale élaboré et adopté par la Commission du droit international des
Nations Unies en 1958.
Mais un autre aspect de l'excès de pouvoir mérite également d'être souligné : c'est que l'excès
de pouvoir, pour avoir l'effet de rendre invalide la sentence arbitrale doit être manifeste et grave.
A cet égard, il convient de consulter le commentaire qui avait été préparé en 1955 par le
Secrétariat des Nations Unies. Il se réfère à l'article 30, alinéa a), du projet de convention sur le
procédure en ????? adopté la même année, qui a un contenu identique à l'article 36 a) du Modèle de
règles approuvé trois ans après. Ce commentaire affirme en premier lieu que : "la maxime romaine :
arbiter nihil extra compromissum facera potest a été reprise par le droit international".
Et il arrive à la conclusion que : "pour qu'il puisse être retenu, l'excès de pouvoir doit être
manifeste et grave, et non pas douteux ou peu important".
Dans la même ligne de pensée s'inscrivent plus récemment les considérations de Carlston14
;
dans son livre concernant le procès d'arbitrage international il a mis en évidence :
"not all departures from the terms of the compromis will lead to nullity. It is a matter of the
substantial character of the departure, the prejudice involved, the importance of the departure
from the standpoint of the practice of tribunals and whether the injured party had ... waived its
rights to contest validity."
De son côté, le Gouvernement de la Guinée-Bissau a reconnu lui-même dans son mémoire
(par. 199) que le vice de l'excès de pouvoir "ne s'entend pas de n'importe quelle erreur dans
l'interprétation du compromis" et "qu'il faut une méconnaissance d'une clause essentielle de celui-ci".
Pour pouvoir imputer au Tribunal un excès de ses pouvoirs, on doit donc constater qu'il a violé une
clause essentielle du compromis.
8. Dans la présente affaire, nous avons déjà dit que le requérant reproche à la sentence une
omission : le Tribunal aurait manqué de répondre à la seconde question posée par le compromis.
Une omission, c'est tout à fait le contraire d'une usurpation. Au lieu d'avoir excédé

14 Carlston, The Process of International Arbitration, New York, Columbia University Press, 1972,
p. 85.
- 52 -
ses pouvoirs dans le sens précis d'avoir agi en allant au-delà de la sphère des pouvoirs reçus des
Parties en vertu du compromis - donc en abusant de sa compétence - le Tribunal n'aurait, selon le
point de vue du requérant, pas exercé un pouvoir qui avait été prévu. Il est évident que, si l'on
partage le point de vue d'un grand expert en la matière, le professeur Castberg, aucun excès de
pouvoir n'aurait été commis dans le cas d'espèce.
9. Je me propose maintenant d'approfondir l'examen du compromis, pour voir de plus près le
contenu de la question à laquelle le Tribunal n'a pas répondu. Il s'agit de la question posée à
l'article 2, paragraphe 2, du compromis d'arbitrage. Cette question était formulée, (vous pouvez la
lire évidemment sur le texte affiché derrière moi, mais je vous la relis) :
"En cas de réponse négative à la première question, quel est le tracé de la ligne
délimitant les territoires maritimes qui relèvent respectivement de la République de
Guinée-Bissau et de la République du Sénégal ?"
La Cour sait bien que la réponse à la première question a été affirmative, et non pas négative :
le Tribunal a dit clairement que l'accord franco-portugais du 26 avril 1960 fait droit dans les
relations entre la République de Guinée-Bissau et la République du Sénégal. Malgré la nature de
cette réponse - qui, de toute évidence, imposait au Tribunal de ne pas s'occuper de la seconde
question - le plaignant dit qu'il était nécessaire d'y répondre. Comment expliquer un tel point de
vue ?
10. Afin d'éclaircir ce point, il convient de tenir compte d'une phrase que le Tribunal a
formulée à la fin de sa réponse à la première question. Elle précise la sphère territoriale à laquelle
l'accord du 26 avril 1960 s'applique, et elle le fait en s'exprimant ainsi :
"en ce qui concerne les seules zones mentionnées dans cet accord, à savoir la mer territoriale,
la zone contiguë et le plateau continental".
Or, c'est précisément cette phrase qui a fait l'objet de la déclaration jointe par le président du
Tribunal, M. Barberis, à la sentence en question. En effet, le président a déclaré qu'il aurait préféré
qu'on réponde à la première question du compromis, en remplaçant la phrase que je viens de citer par
les mots suivants : "mais l'accord ne fait pas droit quant aux eaux de la zone économique exclusive
ou de la zone de pêche". M. Barberis exprime dans sa déclaration l'avis que le nouveau texte du
dispositif, qu'il a proposé, aurait eu l'avantage de donner aux questions du compromis une réponse
- 53 -
"partiellement affirmative et partiellement négative" par laquelle on aurait obtenu "la description
exacte de la situation juridique existant entre les parties".
Que cela soit clair : je n'ai pas l'intention d'aborder tous les problèmes inhérents à la
déclaration jointe à la sentence, sur laquelle la Guinée-Bissau a édifié la thèse principale de
l'inexistence de l'arrêt. M. Bowett va vous soumettre bientôt l'analyse de ces problèmes. Ce qui
m'intéresse ici c'est d'abord d'examiner le rôle que le membre de phrase en question a joué dans
l'économie de la sentence - et donc par rapport à l'obligation du Tribunal de se conformer au
compromis - et ensuite de commenter le rapport existent entre la sentence, la déclaration de
M. Barberis et le grief.
11. Sur le premier point, on note le caractère additionnel, et non pas strictement
indispensable, des mots qui suivent dans la sentence la phrase constatant que l'accord de 1960 "fait
droit" dans les relations entre la Guinée-Bissau et le Sénégal. L'article 2, paragraphe 1, du
compromis, vous le savez bien, avait demandé au Tribunal de statuer, conformément au droit
international, sur la question : "est-ce que l'accord conclu par un échange de lettres le 26 avril 1960
et relatif à la frontière en mer fait droit dans les relations indiquées ?"
Il aurait suffi de donner simplement une réponse affirmative à cette question.
Le domaine d'application de l'accord en question avait été bien précisé dans son texte : celui-ci
déterminait clairement la frontière maritime pour ce qui avait trait à la mer territoriale, à la zone
contiguë et au plateau continental (ainsi qu'il est rappelé dans le paragraphe 80 de la sentence).
D'autre part, il était clair que l'accord devait être interprété à la lumière du droit en vigueur à
la date de sa conclusion : le paragraphe 85 de la sentence invoque à cet égard un principe général
bien établi.
Il était également indubitable que l'accord ne pouvait pas délimiter les espaces maritimes qui
n'existaient pas à la date de sa conclusion, c'est-à-dire la "zone économique exclusive" ou la zone de
pêche. Par conséquent, à supposer que la sentence arbitrale se soit bornée à statuer que l'accord du
26 avril 1960 "fait droit" dans les rapports entre la Guinée-Bissau et le Sénégal, elle aurait déjà
rempli son mandat de répondre à la première des questions posées par le compromis.
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12. En ce qui concerne le deuxième point (rapport existant entre la sentence, la déclaration et
le grief), il faut signaler que le mémoire déposé devant la Cour par notre adversaire, le 2 mai 1990,
s'efforce aux paragraphes 216 à 218 d'expliquer en quoi consiste la violation du compromis que le
Tribunal aurait commise. Dans sa plaidoirie, Mme Chemillier-Gendreau a longuement repris le
même point. La Guinée-Bissau est obligée de reconnaître le lien logique qui existait réellement entre
la première question du compromis et la seconde (paragraphe 216, "En cas de réponse négative à la
première, quel est le tracé de la ligne délimitant les territoires maritimes ?"). Néanmoins,
immédiatement après, elle prétend constater que la première question aurait reçu une réponse
partiellement négative. Une telle constatation dériverait du fait que le dispositif contient les mots
"les seules zones" et que dans le paragraphe 85 des motifs, le Tribunal dit estimer "que l'accord
de 1960 ne délimite pas les espaces maritimes qui n'existaient pas à cette date". Vu le caractère
"partiellement négatif" de la réponse à la première question, les arbitres n'auraient pas pu refuser
- d'après notre adversaire - de considérer la seconde. Ce serait donc en violation du compromis que
le Tribunal se serait borné à délimiter la mer territoriale, la zone contiguë et le plateau continental; ce
faisant, il aurait omis de statuer sur une question qui énoncée dans le compromis. Il n'aurait pas
violé le compromis s'il avait statué sur la délimitation maritime complète qui représentait selon notre
adversaire (mais uniquement selon lui) l'objectif essentiel de l'arbitrage.
Nous ne pouvons absolument pas partager ce raisonnement du requérant.
Il est erroné de prétendre que dans la sentence la première question ait reçu une réponse
partiellement négative : nulle part il n'est dit que l'accord de 1960 doit, partiellement, être considéré
comme ne faisant pas droit entre la Guinée-Bissau et le Sénégal. Le fait d'avoir précisé les zones
d'application de l'accord et d'avoir pris acte de l'impossibilité qu'il s'étende aux espaces maritimes
inexistants en droit international à l'époque de sa conclusion, résulte clairement de l'interprétation de
cet instrument juridique et n'implique pas la négation de son applicabilité aux relations entre les deux
Parties, la prétendue négation partielle.
C'est la déclaration de M. Barberis qui suggère qu'une réponse partiellement négative à la
première question du compromis aurait habilité le Tribunal à répondre à la seconde. La sentence ne
- 55 -
l'a jamais affirmé.
Enfin, s'il est vrai que les questions de la mer territoriale, de la zone contiguë et du plateau
continental n'étaient pas directement évoquées par le compromis, ceci n'empêchait pas le Tribunal
d'interpréter l'accord de 1960 en précisant son champ d'application. L'indication des zones maritimes
dont le statut est réglé par l'accord représente en premier lieu le fruit d'un souci de clarté démontré
par le Tribunal. En deuxième lieu, cette indication est fournie afin de renforcer le rejet de la thèse du
Sénégal, selon laquelle l'accord de 1960 était capable de régler même le statut de la zone économique
exclusive. Ceci n'empêche que le noyau du différend soumis à l'arbitrage par les Parties consiste
dans leur divergence quant à la valeur juridique actuelle de l'accord franco-portugais de 1960, et
en cela seulement.
13. Par ailleurs, la thèse de la Guinée-Bissau - énoncée dans les conclusions de son mémoire
du 2 mai 1990 - selon laquelle la réponse du Tribunal à la première question "ouvrait la nécessité
d'une réponse à la seconde" révèle la méconnaissance radicale du texte de celle-ci, tel qu'il est fixé
dans l'article 2, paragraphe 2, du compromis. Relisons encore une fois ce texte. Il commence par les
mots "En cas de réponse négative à la première question", ce qui signifie sans aucun doute : dans
l'hypothèse où le Tribunal considèrerait que l'accord du 26 avril 1960 ne fait pas droit dans les
relations entre la Guinée-Bissau et le Sénégal.
Remarquons qu'au fond il y a coïncidence de cette hypothèse avec la première conclusion de la
Guinée-Bissau, conclusion présentée à l'audience qui eut lieu le 26 mars 1988 lors de la procédure
arbitrale (et transcrite au paragraphe 16 de la sentence). Mais cette conclusion a été rejetée par le
Tribunal qui a jugé que l'accord fait droit dans les relations Guinée-Bissau/Sénégal. La réponse à la
première question a donc été totalement positive et totalement contraire à la condition figurant au
début de la seconde question posée par le compromis.
14. Il était important d'attirer l'attention de votre Cour sur le fait que l'absence de réponse à la
seconde question est justifiée dans la sentence arbitrale elle-même.
Son paragraphe 87, premier alinéa, affirme :
"En tenant compte des 'conclusions ci-dessus' auxquelles le Tribunal est parvenu et du
libellé de l'article 2 du compromis arbitral, la deuxième question, de l'avis du Tribunal,
n'appelle pas une réponse de sa part." (Guillemets et italiques du Sénégal.)
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Le Tribunal, lorsqu'il s'est référé aux "conclusions ci-dessus", visait essentiellement les
affirmations contenues aux paragraphes 80 et 85 de la sentence. Le paragraphe 80, après avoir
rappelé l'analyse faite par le Tribunal dans les sections I à IV de la sentence - desquelles se dégage
la conclusion "que l'accord de 1960 est valable et opposable au Sénégal et à la Guinée-Bissau -, cite
les dispositions de cet accord concernant la frontière maritime et note que les trois domaines de la
mer territoriale, de la zone contiguë et du plateau continental "constituaient le droit de la mer
en 1960, date de la signature de l'accord". Le paragraphe 85, à son tour, affirme d'abord que,
conformément à un principe général bien établi, "l'accord de 1960 doit être interprété à la lumière du
droit en vigueur à la date de sa conclusion". Par conséquent, le Tribunal exprime son opinion
motivée que l'accord en question "ne délimite pas les espaces maritimes qui n'existaient pas à cette
date, qu'on les appelle zone économique exclusive, zone de pêche ou autrement".
Le même paragraphe ajoute que :
"par contre, en ce qui concerne la mer territoriale, la zone contiguë et le plateau continental ...
ces trois notions sont expressément mentionnées dans l'accord de 1960 et elles existaient à
l'époque de sa conclusion".
15. Le paragraphe 87 de la sentence confirme donc, d'une façon explicite, qu'une réponse
entièrement négative à la première question du compromis - c'est-à-dire une réponse qui aurait été
tout à fait contraire à celle contenue dans la sentence - constituait une condition indispensable pour
que la seconde question puisse être abordée. La thèse de la Guinée-Bissau selon laquelle la réponse
donnée concrètement à la première question impliquait une réponse à la seconde question est
évidemment erronée. Il suffit d'ailleurs de réfléchir à la logique suivie par M. Barberis dans sa
déclaration. Il aurait souhaité que le Tribunal donne une réponse "partiellement affairmative et
partiellement négative" à la première question, précisément afin de l'habiliter à traiter dans la
sentence la deuxième question. Ceci implique que la réponse totalement affirmative donnée par le
Tribunal à la première question éliminait toute possibilité de répondre à la deuxième question.
16. Le grief de la Guinée-Bissau se fonde sur le fait que la deuxième question n'a pas reçu de
réponse et sur la prétention que la réponse à la première question rendait nécessaire une réponse à la
seconde. L'ensemble des arguments que j'ai exposé montre à suffisance que ce grief de l'excès de
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pouvoir du Tribunal est dépourvu de fondement. Il doit donc être rejeté.
Me permettez-vous, Monsieur le Président, de compléter ma plaidoirie ?
The PRESIDENT: How much longer have you, Mr. Capotorti?
Mr. CAPOTORTI: I have still seven or eight pages.
The PRESIDENT: Please proceed.
17. La thèse d'après laquelle la sentence arbitrale est entâchée du vice d'un excès de pouvoir
du Tribunal et devrait par conséquent être réputée nulle ne se limite pas à invoquer le défaut d'une
réponse à la seconde question posée par le compromis. En effet, dans les conclusions de son
mémoire du 2 mai 1990, le Gouvernement de la Guinée-Bissau élargit le même grief en affirmant que
par le compromis
"il était demandé au Tribunal de décider sur la délimitation de l'ensemble des espaces
maritimes, de le faire par une ligne unique et d'en porter le tracé sur une carte".
Comme le Tribunal ne se serait pas conformé aux dispositions du compromis, il aurait
commis un excès de pouvoir également sur les trois points indiqués, causant ainsi la nullité de la
sentence.
18. Le dénominateur commun des points mentionnés consiste évidemment en ce qu'ils se
réfèrent tous au problème de la délimitation globale des espaces maritimes entre la Guinée-Bissau et
le Sénégal. Or, un tel problème ne faisait l'objet que de la seconde question du compromis;
précisément de l'article 2, paragraphe 2, du compromis signé à Dakar le 12 mars 1985. Nous
n'avons guère besoin de répéter que par la première question les Parties avaient demandé au Tribunal
si l'accord du 26 avril 1960, et relatif à la frontière en mer, faisait droit dans les relations entre les
deux pays; tandis que le tracé de la ligne délimitant les territoires maritimes des deux pays devait être
déterminé par le Tribunal dans le cadre d'une réponse négative à la seconde question. Pourtant
celle-ci n'exigeait de réponse qu'"en cas de réponse négative à la première", c'est-à-dire dans une
hypothèse contraire à celle qui s'est réellement vérifiée. Bref, la réponse à la première question ayant
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été positive, il était exclu que le Tribunal s'occupe de la seconde question. Tout interprète de bonne
foi était en mesure de comprendre cette exclusion !
Or, comme on l'a vu, le défaut de réponse à la seconde question a déjà été invoqué en tant que
manifestation principale de l'excès de pouvoir du Tribunal. On y a longuement répondu et ce
prétendu vice de la sentence doit être écarté parce qu'il n'existe pas. Faut-il à nouveau débattre,
maintenant, de ces trois prétendues omissions qui représentent en fait trois aspects particuliers de
l'excès de pouvoir reproché au Tribunal en tant que premier grief du requérant ? Puisque nous avons
montré que le silence du Tribunal sur la seconde question était pleinement justifié, il nous semble que
nous n'avons aucun besoin d'insister sur le point que l'absence d'une délimitation maritime globale,
l'absence d'une ligne unique de délimitation des espaces maritimes, le fait de n'avoir pas porté sur la
carte le tracé d'une telle ligne, ne constituent pas des excès de pouvoir du Tribunal.
19. En tout cas, à supposer que votre Cour nous permette de répéter des arguments qui ont été
déjà présentés en détail et faisant donc appel à votre indulgence, nous aimerions redire très
brièvement : 1) que l'omission de traiter certains aspects du différend sur lesquels le compromis
n'avait pas exigé obligatoirement une réponse est étrangère à la notion d'excès de pouvoir; 2) que,
lorsqu'une question est soumise à une condition qui ne s'est pas réalisée, on ne saurait considérer
l'absence de réponse à cette question comme un cas d'excès de pouvoir.
20. Avant de terminer notre analyse, il nous semble nécessaire de contester une critique que la
requérante formule contre la sentence arbitrale - ou plutôt contre le Tribunal qui l'a prononcée -
quand elle affirme au paragraphe 220 de son mémoire :
"la non-réponse à la seconde question et la non-délimitation complète, pourtant demandée,
outre qu'elles sont en rupture avec les termes du compromis, constituent un non liquet
contraire aux principes du judiciaire".
Ensuite
"Le Tribunal a développé une attitude négative (totale ou partielle). Tout tribunal doit
avoir une attitude positive. Cela consiste à répondre par l'affirmative ou la négative à toutes
les questions que lui posent les Parties et qui constituent le différend. Refuser de répondre
c'est pour un Tribunal manquer à sa fonction."
Une telle critique nous semble particulièrement hors de propos. Que le Tribunal arbitral, dans
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l'espèce, ait "manqué à sa fonction" représente une critique imméritée et certainement dépourvue
d'objectivité. A notre avis, la lecture de la sentence suffit à prouver le contraire. Elle met en
évidence le scrupule avec lequel le Tribunal a travaillé.
En tout cas, il est faux de prétendre que la délimitation complète de l'espace maritime ait été
demandée par les Etats parties au compromis. La Partie adverse ignore constamment le fait que la
seconde question était soumise à une condition et que celle-ci n'a pas été remplie.
Il est faux également de dire que l'absence de réponse à la seconde question et la
non-délimitation complète aient été "en rupture avec les termes du compromis". Au contraire, il a été
dûment tenu compte du fait que la condition convenue ne s'était pas réalisée.
Enfin, il est faux en principe d'affirmer qu'un tribunal est tenu de répondre à toutes les
questions posées par les parties. Là où une question est assortie d'une condition, il faut
préalablement vérifier que la situation de fait correspond à la condition établie par les parties.
21. A propos du motif de l'excès de pouvoir qui serait dû à l'absence de la carte, notre
adversaire se dit convaincu que "le tracé sur une carte devait faire partie de la décision" (par. 221).
Evidemment, il lui est facile de s'en tenir aux apparences, soit au libellé de l'article 9, paragraphe 2,
du compromis, selon lequel "cette décision doit comprendre le tracé de la ligne frontière sur une
carte" (il s'agissait, selon le paragraphe 1 du même article, de la décision du Tribunal "quant aux
questions énoncées à l'article 2 du présent compromis"). En réalité, nous sommes ici en présence
d'une obligation qui est clairement liée à l'hypothèse que la seconde question ait reçu une réponse du
Tribunal, parce qu'elle lui demandait d'établir "le tracé de la ligne délimitant les territoires
maritimes".
Par contre, si la seconde question ne recevait aucune réponse du fait que la première question
avait reçu une réponse positive, on se trouve alors dans une situation contraire à la condition figurant
au début de la seconde question. Comment peut-on penser que le tracé de la ligne frontière de la
soi-disant ligne globale de délimitation doit être reportée sur une carte alors que la sentence n'a même
pas déterminé la ligne frontière globale visée à la question n° 2 ?
Bien entendu, il est nécessaire d'interpréter l'article 9, paragraphe 2, du compromis. Je reviens
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là à un des points qui ont été déjà été traités d'une façon complète et entièrement satisfaisante par
mon éminent collègue, M. Bowett. A première vue, l'article 9, paragraphe 2, obligeait purement et
simplement le Tribunal à assortir sa décision d'une carte reproduisant le tracé de la ligne frontière.
Mais on ne saurait négliger le fait que l'établissement du tracé de la ligne frontière en mer, entre la
Guinée-Bissau et le Sénégal, faisait l'objet de la seconde question posée par le compomis. Or, il est
évident que le report de cette ligne sur une carte supposait la détermination de son tracé par la
sentence. Puisque cette détermination entrait dans le cadre de la seconde question posée par le
compromis, elle n'était nécessaire que si la réponse à la première question avait été négative.
La conclusion est claire : l'interprétation "systématique" de l'article 9, paragraphe 2, du
compromis - c'est-à-dire la nécessité de l'interpréter conformément à l'article 31 de la convention de
Vienne, et donc dans le contexte de toutes les dispositions du compromis - montre que la clause
relative au tracé sur une carte de la ligne frontière était nécessairement liée à la disposition
concernant la détermination du tracé de cette ligne. Par conséquent, si le Tribunal n'était pas tenu de
déterminer ce tracé - ayant répondu affirmativement à la première question - il n'était pas davantage
obligé d'en reporter le tracé (lequel aurait-il pu reporter ?) sur une carte.
Il en découle finalement que la violation du compromis, que la Guinée-Bissau voit dans
l'omission de reproduire la frontière maritime sur une carte, n'a jamais été commise.
22. Au-delà de toutes les considérations que le requérant expose à l'appui de sa thèse selon
laquelle la sentence arbitrale serait nulle par excès de pouvoir du Tribunal - des considérations dont
nous croyons avoir montré la nature tout à fait fallacieuse - la Guinée-Bissau avance, par sa dernière
conclusion, un autre grief concernant la forme de la sentence : le Tribunal n'aurait pas motivé "les
restrictions abusivement apportées à sa compétence". Par "restrictions", notre adversaire entend tous
les prétendus vices décrits sous l'appellation "excès de pouvoir" : omission de réponse à la seconde
question, absence de délimitation de l'ensemble des espaces maritimes, absence de détermination
d'une ligne frontière unique, absence de reproduction de cette ligne sur la carte.
On sait qu'à l'article 36, alinéa c), de son Modèle de règles concernant la procédure arbitrale,
la Commission du droit international des Nations Unies a admis que la validité d'une sentence puisse
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être contestée à cause d'une "dérogation grave à une règle fondamentale de procédure, notamment
absence totale ou partielle de motivation de la sentence". De son côté l'article 9, paragraphe 3, du
compromis arbitral dipose : "La décision sera pleinement motivée." Une telle règle semble impliquer
que l'absence même partielle de motivation, c'est-à-dire l'absence de motivation sur certains points du
dispositif, puisse être également une cause de nullité de la sentence. Mais quoi qu'il en soit, il faut se
souvenir de ce qu'écrivait Balasko en 1938, en soulignant la nécessité de distinguer entre l'absence et
l'insuffisance de motifs : l'insuffisance des motifs n'est pas une cause de nullité de la sentence
arbitrale; ce n'est qu'un défaut15" (les italiques sont de moi). Plus récemment, Castberg a affirmé
lui aussi : "on ne peut pas dire que le

15 Balasko. op. cit., p.128.
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Tribunal ait violé la règle que la sentence doit être motivée seulement parce que les motifs sont peu
détaillés16".
23. Ce qui est indiscutable, c'est que des motifs sont exigés puisqu'ils indiquent l'itinéraire
logique et juridique que les arbitres ont suivi pour parvenir à leur décision. En l'espèce, la décision
arbitrale est nette et courte : elle donne une réponse positive à la première question formulée à
l'article 2 du compromis arbitral - l'accord du 26 avril 1960 fait droit dans les relations entre les
Parties - et elle la fait suivre d'une précision sur le "domaine de validité matériel" de cet accord.
Tout cela est largement motivé aux sections I à V de la sentence, recouvrant les paragraphes 36 à 87
(à peu près 44 pages).
D'ailleurs la Guinée-Bissau a reconnu parfaitement - au paragraphe 223 de son mémoire - que
la motivation est suffisante et couvre l'essentiel du dispositif, lorsqu'elle a affirmé textuellement :
"Ne sont motivés ... que la confirmation de l'échange de lettres franco-portugais,
la restriction dans l'application de ce texte aux seules zones y mentionnées à l'exclusion
de son champ d'application des zones maritimes qui n'existaient pas à cette époque."
Donc, tous les éléments essentiels du dispositif sont motivés, de l'aveu même de la
Partie adverse.
24. Quels sont alors les points sur lesquels il y aurait peut-être "défaut de
motivation" ? La requérante mentionne trois passages qui, logiquement, n'ont pas besoin de
motivation : la décision de ne pas passer à la seconde question, le fait pour le Tribunal de ne
pas avoir produit une ligne unique, et le refus d'indiquer le tracé de la ligne sur une carte
géographique.

16Castberg, op. et loc. cit.
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On notera à ce propos que le premier et le deuxième point ont été tranchés par
implication et qu'ils n'avaient donc pas à être expressément formulés dans le dispostif de la
sentence. Pour ce qui est du troisième grief que le plaignant soulève, la question d'une annexe
cartographique : une telle carte serait évidemment toujours restée en dehors du dispositif.
En outre, il convient quand même de remarquer que le premier et le troisième points
font l'objet de motivations précises, contenues au paragraphe 87 de la sentence. A propos du
premier point, il est dit :
"En tenant compte des conclusions ci-dessus, auxquelles le Tribunal est
parvenu, et du libellé de l'article 2 du compromis arbitral, la deuxième question, de
l'avis du Tribunal, n'appelle pas une réponse de la part."
A propos du troisième point, le même paragraphe affirme : "le Tribunal n'a pas jugé
utile étant donné sa décision de joindre une carte comprenant le tracé de la ligne frontière".
Mis à part les observations que nous venons de faire, la question qui se pose par
rapport au premier et au deuxième points est celle de savoir s'il était nécessaire de motiver
deux décisions qui ne faisaient que suivre le texte de l'article 2 du compromis arbitral.
Nous avons rappelé maintes fois que la seconde question était précédée de la phrase :
"En cas de réponse négative à la première question." Les termes mêmes de l'article 2
indiquaient donc que si la réponse donnée à la première question était affirmative, le Tribunal
aurait eu non pas à répondre à la seconde, mais uniquement à motiver la réponse à la
première. C'était donc seulement la réponse par laquelle il a été affirmé que l'accord de 1960
faisait droit dans les rapports Guinée-Bissau/Sénégal qui nécessitait une motivation; mais les
motifs de cette réponse affirmative à la première question sont largement indiqués dans la
sentence. L'absence de réponse à la question de la délimitation des territoires maritimes des
deux Etats ne nécessitait pas de motivation.
Quant à l'omission de tracer la ligne de délimitation pour l'ensemble des espaces
marins, elle n'était que la conséquence logique du fait que la deuxième question avait eu un
sort contraire à la condition prévue par le compromis. C'est donc une omission qui ne
demandait pas de motivations.
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25. Monsieur le Président, Messieurs les Juges, notre ligne de raisonnement, telle que
nous venons de l'exposer, mène au rejet de l'argumentation subsidiaire de notre adversaire.
Par conséquent, ses efforts en vue de contester la validité de la sentence, pourvue qu'elle soit
considérée existante, doivent être considérés comme entièrement vains.
Merci Monsieur le Président.
THE PRESIDENT : Thank you very much Professor Capotorti. We will resume then
at 10.00 a.m. on Monday morning. Thank you.
L'audience est levée à 13 h 15.

Document Long Title

Procès-verbal de l'audience publique tenue le vendredi 5 avril 1991, à 10 heures, au Palais de la Paix, sous la présidence de sir Robert Jennings, président

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