12 NOVEMBER 2024
JUDGMENT
APPLICATION OF THE INTERNATIONAL CONVENTION ON THE ELIMINATION OF ALL FORMS OF RACIAL DISCRIMINATION (ARMENIA v. AZERBAIJAN)
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APPLICATION DE LA CONVENTION INTERNATIONALE SUR L’ÉLIMINATION DE TOUTES LES FORMES DE DISCRIMINATION RACIALE (ARMÉNIE c. AZERBAÏDJAN)
12 NOVEMBRE 2024
ARRÊT
TABLE DES MATIÈRES
Paragraphes
QUALITÉS 1-30
I. INTRODUCTION 31-37
II. PREMIÈRE EXCEPTION PRÉLIMINAIRE : LA CONDITION PRÉALABLE DE NÉGOCIATION REQUISE À L’ARTICLE 22 DE LA CIEDR 38-59
III. SECONDE EXCEPTION PRÉLIMINAIRE : LA COMPÉTENCE RATIONE MATERIAE 60-104
A. Introduction 60-68
B. La portée de la CIEDR et son applicabilité dans un conflit armé 69-78
C. Violations alléguées de la CIEDR 79-103
1. Faits de meurtre, de torture et de traitement inhumain 79-95
2. Détention arbitraire et disparition forcée 96-103
DISPOSITIF 105
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COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
ANNÉE 2024
2024
12 novembre
Rôle général
no 180
12 novembre 2024
APPLICATION DE LA CONVENTION INTERNATIONALE SUR L’ÉLIMINATION DE TOUTES LES FORMES DE DISCRIMINATION RACIALE
(ARMÉNIE c. AZERBAÏDJAN)
EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES
Contexte historique Requête déposée par l’Arménie le 16 septembre 2021 Arménie et Azerbaïdjan étant parties à la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (ci-après, la « CIEDR ») Article 22 de la CIEDR invoqué comme base de compétence Azerbaïdjan ayant soulevé deux exceptions préliminaires d’incompétence de la Cour.
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Première exception préliminaire Condition préalable de négociation requise à l’article 22 de la CIEDR.
Sens du terme « négociation » Condition préalable de négociation remplie dès lors que les négociations ont échoué, sont devenues inutiles ou ont abouti à une impasse Arménie ayant véritablement tenté de négocier Négociations entre les Parties étant devenues inutiles ou ayant abouti à une impasse avant que l’Arménie dépose sa requête Condition préalable de négociation remplie Rejet de la première exception préliminaire.
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Seconde exception préliminaire Compétence ratione materiae.
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Exception limitée aux demandes de l’Arménie concernant des faits de meurtre, de torture et de traitement inhumain et à celles concernant la détention arbitraire et la disparition forcée Actions ou omissions alléguées devant entrer dans le champ d’application de la CIEDR et faits, à les supposer établis, devant être susceptibles de constituer des violations de la CIEDR Définition de la discrimination raciale donnée au paragraphe 1 de l’article premier de la CIEDR.
Applicabilité de la CIEDR dans les situations de conflit armé Applicabilité du droit international humanitaire n’excluant pas celle de la CIEDR en temps de conflit armé CIEDR et droit international humanitaire étant complémentaires CIEDR ne faisant pas de distinction entre les membres des forces armées et les civils Demandes de l’Arménie relatives aux deux groupes entrant dans le champ d’application de la CIEDR.
Faits allégués de meurtre, de torture et de traitement inhumain Faits susceptibles d’être constitutifs de discrimination « fondée sur » l’origine nationale ou ethnique arménienne ayant eu pour but ou pour effet de porter atteinte à des droits protégés par le paragraphe 1 de l’article 2, l’alinéa a) de l’article 4 et l’alinéa b) de l’article 5 de la CIEDR Cour devant seulement déterminer si les faits allégués sont susceptibles de constituer des violations de la CIEDR et entrent donc dans son champ d’application Caractère contextuel de la discrimination raciale Climat général empreint de sentiments et de discours exprimant une discrimination raciale étant un élément pertinent pour évaluer si des actes sont susceptibles d’emporter violation de la CIEDR Question de savoir si les faits allégués constituent effectivement une discrimination raciale devant être tranchée au stade du fond Demandes concernant des faits de meurtre, de torture et de traitement inhumain qui auraient été commis contre des personnes d’origine ethnique arménienne sur le fondement de considérations raciales relevant du paragraphe 1 de l’article 2, de l’alinéa a) de l’article 4 et de l’alinéa b) de l’article 5 de la CIEDR.
Faits allégués de détention arbitraire et de disparition forcée Pour statuer sur les demandes concernant ces faits, prise en considération du raisonnement suivi s’agissant des faits allégués de meurtre, de torture et de traitement inhumain Faits susceptibles d’être constitutifs de discrimination « fondée sur » l’origine nationale ou ethnique arménienne ayant eu pour but ou pour effet de porter atteinte à des droits protégés par l’article 2 et l’alinéa a) de l’article 5 de la CIEDR Demandes concernant la détention arbitraire et la disparition forcée alléguées de personnes d’origine ethnique arménienne sur le fondement de considérations raciales relevant de l’article 2 et de l’alinéa a) de l’article 5 de la CIEDR.
Rejet de la seconde exception préliminaire.
ARRÊT
Présents : M. SALAM, président ; Mme SEBUTINDE, vice-présidente ; MM. TOMKA, ABRAHAM, YUSUF, Mme XUE, MM. BHANDARI, IWASAWA, NOLTE, Mme CHARLESWORTH, MM. BRANT, GÓMEZ ROBLEDO, Mme CLEVELAND, MM. AURESCU, TLADI, juges ; MM. DAUDET, KOROMA, juges ad hoc ; M. GAUTIER, greffier.
En l’affaire relative à l’application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale,
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entre
la République d’Arménie,
représentée par
S. Exc. M. Yeghishe Kirakosyan, représentant de la République d’Arménie chargé des affaires juridiques internationales,
comme agent ;
M. Sean Murphy, professeur de droit international titulaire de la chaire Manatt/Ahn à la faculté de droit de l’Université George Washington, membre associé de l’Institut de droit international, membre du barreau du Maryland,
M. Linos-Alexandre Sicilianos, professeur de droit international, doyen de la faculté de droit de l’Université d’Athènes, membre de l’Institut de droit international, membre de la Cour permanente d’arbitrage,
Mme Alison Macdonald, KC, barrister, Essex Court Chambers, Londres,
M. Pierre d’Argent, professeur titulaire à l’Université catholique de Louvain, membre de l’Institut de droit international, cabinet Foley Hoag LLP, membre du barreau de Bruxelles,
M. Constantinos Salonidis, avocat au cabinet Foley Hoag LLP, membre du barreau de l’État de New York et du barreau de Grèce,
M. Joseph Klingler, avocat au cabinet Foley Hoag LLP, membre des barreaux du district de Columbia et de l’État de New York,
comme conseils et avocats ;
M. Lawrence H. Martin, avocat au cabinet Foley Hoag LLP, membre des barreaux du district de Columbia et du Commonwealth du Massachusetts,
M. Peter Tzeng, avocat au cabinet Foley Hoag LLP, membre des barreaux du district de Columbia et de l’État de New York,
Mme Iulia Padeanu Mellon, avocate au cabinet Foley Hoag LLP, membre des barreaux du district de Columbia et de l’Illinois,
M. Amir Ardelan Farhadi, avocat au cabinet Foley Hoag LLP, membre du barreau de l’État de New York,
Mme Yasmin Al Ameen, avocate au cabinet Foley Hoag LLP, membre du barreau de l’État de New York,
Mme Diem Huong Ho, avocate au cabinet Foley Hoag LLP, membre du barreau d’Angleterre et du pays de Galles et du barreau de l’État de New York,
M. Harout Ekmanian, avocat au cabinet Foley Hoag LLP, membre du barreau de l’État de New York,
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Mme María Camila Rincón, avocate au cabinet Foley Hoag LLP, membre du barreau de Colombie,
comme conseils ;
S. Exc. M. Viktor Biyagov, ambassadeur de la République d’Arménie auprès du Royaume des Pays-Bas,
S. Exc. M. Andranik Hovhannisyan, représentant permanent de la République d’Arménie auprès de l’Office des Nations Unies et des autres organisations internationales à Genève,
M. Liparit Drmeyan, chef du bureau du représentant de la République d’Arménie chargé des affaires juridiques internationales, cabinet du premier ministre de la République d’Arménie,
M. Aram Aramyan, directeur du département de la protection des intérêts de la République d’Arménie dans les différends interétatiques, bureau du représentant de la République d’Arménie chargé des affaires juridiques internationales, cabinet du premier ministre de la République d’Arménie,
Mme Kristine Khanazadyan, directrice du département chargé de la représentation des intérêts de la République d’Arménie devant les tribunaux arbitraux internationaux et les juridictions étrangères, bureau du représentant de la République d’Arménie chargé des affaires juridiques internationales, cabinet du premier ministre de la République d’Arménie,
Mme Zoya Stepanyan, cheffe de la division de la coopération internationale en matière de droits de l’homme, département des droits de l’homme et des affaires humanitaires, ministère des affaires étrangères,
Mme Viviana Kalaejian, troisième secrétaire, ambassade de la République d’Arménie au Royaume des Pays-Bas,
Mme Nanami Hirata, avocate au cabinet Foley Hoag LLP,
M. Levon Gevorgyan, directeur de la fondation International Law and Policy Centre, expert en droit pénal international et en droit international des droits de l’homme,
comme conseillers ;
Mme Jennifer Schoppmann, cabinet Foley Hoag LLP,
Mme Deborah Langley, cabinet Foley Hoag LLP,
comme assistantes,
et
la République d’Azerbaïdjan,
représentée par
S. Exc. M. Elnur Mammadov, ministre adjoint aux affaires étrangères de la République d’Azerbaïdjan,
comme agent ;
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S. Exc. M. Rahman Mustafayev, ambassadeur de la République d’Azerbaïdjan auprès du Royaume des Pays-Bas,
comme coagent ;
M. Samuel Wordsworth, KC, Essex Court Chambers, membre du barreau d’Angleterre et du pays de Galles et du barreau de Paris,
Mme Laurence Boisson de Chazournes, professeure de droit international et organisation internationale à l’Université de Genève, membre de l’Institut de droit international, membre de Matrix Chambers,
M. Stefan Talmon, professeur de droit international à l’Université de Bonn, barrister, Twenty Essex Chambers,
comme conseils et avocats ;
M. Stephen Fietta, KC, cabinet Fietta LLP, avocat et solicitor près les juridictions supérieures d’Angleterre et du pays de Galles,
Mme Oonagh Sands, cabinet Fietta LLP, membre des barreaux de l’État de New York et du district de Columbia, avocate et solicitor près les juridictions supérieures d’Angleterre et du pays de Galles,
Mme Eileen Crowley, cabinet Fietta LLP, membre du barreau de l’État de New York, solicitor près les juridictions supérieures d’Angleterre et du pays de Galles,
M. Gershon Hasin, JSD, cabinet Fietta LLP, membre du barreau de l’État de New York,
Mme Mercedes Roman, cabinet Fietta LLP, membre du barreau de la République bolivarienne du Venezuela,
M. Sean Aughey, Essex Court Chambers, membre du barreau d’Angleterre et du pays de Galles,
M. Aditya Laddha, doctorant et assistant à la faculté de droit de l’Université de Genève,
comme conseils ;
M. Nurlan Aliyev, conseiller, ambassade de la République d’Azerbaïdjan au Royaume des Pays-Bas,
Mme Sabina Sadigli, première secrétaire, ambassade de la République d’Azerbaïdjan au Royaume des Pays-Bas,
M. Vusal Ibrahimov, premier secrétaire, ambassade de la République d’Azerbaïdjan au Royaume des Pays-Bas,
M. Badir Bayramov, deuxième secrétaire, ministère des affaires étrangères de la République d’Azerbaïdjan,
M. Shahriyar Hajiyev, deuxième secrétaire, ministère des affaires étrangères de la République d’Azerbaïdjan,
comme conseillers,
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LA COUR,
ainsi composée,
après délibéré en chambre du conseil,
rend l’arrêt suivant :
1. Le 16 septembre 2021, la République d’Arménie (ci-après, l’« Arménie ») a déposé au Greffe de la Cour une requête introductive d’instance contre la République d’Azerbaïdjan (ci-après, l’« Azerbaïdjan ») à raison de violations alléguées de la convention internationale du 21 décembre 1965 sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (ci-après, la « CIEDR » ou la « convention »).
2. Dans sa requête, l’Arménie entend fonder la compétence de la Cour sur le paragraphe 1 de l’article 36 du Statut de la Cour, lu conjointement avec l’article 22 de la CIEDR.
3. La requête était accompagnée d’une demande en indication de mesures conservatoires, présentée sur le fondement de l’article 41 du Statut de la Cour et des articles 73, 74 et 75 de son Règlement.
4. Le greffier a immédiatement communiqué au Gouvernement de l’Azerbaïdjan la requête et la demande en indication de mesures conservatoires, conformément au paragraphe 2 de l’article 40 du Statut de la Cour et au paragraphe 2 de l’article 73 de son Règlement. Il a également informé le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies du dépôt par l’Arménie de cette requête et de cette demande.
5. En outre, par lettre datée du 22 septembre 2021, le greffier a informé tous les États admis à ester devant la Cour du dépôt desdites requête et demande.
6. En application du paragraphe 3 de l’article 40 du Statut, le greffier a informé les États Membres de l’Organisation des Nations Unies, par l’entremise du Secrétaire général, ainsi que tous autres États admis à ester devant la Cour, du dépôt de la requête en leur transmettant le texte bilingue imprimé de celle-ci.
7. La Cour ne comptant sur le siège aucun juge de la nationalité de l’une ou l’autre Partie, chacune d’elles s’est prévalue du droit que lui confère le paragraphe 3 de l’article 31 du Statut de désigner un juge ad hoc pour siéger en l’affaire. L’Arménie a désigné M. Yves Daudet et l’Azerbaïdjan, M. Kenneth Keith.
8. Par ordonnance en date du 7 décembre 2021, la Cour, après avoir entendu les Parties, a indiqué les mesures conservatoires suivantes :
« 1) La République d’Azerbaïdjan doit, conformément aux obligations que lui impose la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale,
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a) Protéger contre les voies de fait et les sévices toutes les personnes arrêtées en relation avec le conflit de 2020 qui sont toujours en détention et garantir leur sûreté et leur droit à l’égalité devant la loi ;
b) Prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher l’incitation et l’encouragement à la haine et à la discrimination raciales, y compris par ses agents et ses institutions publiques, à l’égard des personnes d’origine nationale ou ethnique arménienne ;
c) Prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher et punir les actes de dégradation et de profanation du patrimoine culturel arménien, notamment, mais pas seulement, les églises et autres lieux de culte, monuments, sites, cimetières et artefacts ;
2) Les deux Parties doivent s’abstenir de tout acte qui risquerait d’aggraver ou d’étendre le différend dont la Cour est saisie ou d’en rendre le règlement plus difficile. » (Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Arménie c. Azerbaïdjan), mesures conservatoires, ordonnance du 7 décembre 2021, C.I.J. Recueil 2021, p. 393, par. 98.)
9. Conformément au paragraphe 1 de l’article 43 du Règlement de la Cour, le greffier a adressé aux États parties à la CIEDR la notification prévue au paragraphe 1 de l’article 63 du Statut. En outre, conformément au paragraphe 3 de l’article 69 du Règlement, il a adressé à l’Organisation des Nations Unies, par l’entremise de son Secrétaire général, la notification prévue au paragraphe 3 de l’article 34 du Statut.
10. Par ordonnance en date du 21 janvier 2022, la Cour a fixé au 23 janvier 2023 et au 23 janvier 2024, respectivement, les dates d’expiration des délais pour le dépôt d’un mémoire par l’Arménie et d’un contre-mémoire par l’Azerbaïdjan. Le mémoire a été déposé dans le délai ainsi prescrit.
11. Par lettres en date des 16 et 19 septembre 2022, toutes deux reçues au Greffe le 19 septembre 2022, l’Arménie, se référant à l’article 76 du Règlement de la Cour, a prié celle-ci de modifier son ordonnance du 7 décembre 2021. Par communication en date du 27 septembre 2023, l’Azerbaïdjan a soumis ses observations écrites sur cette demande dans le délai prescrit à cet effet.
12. Par ordonnance en date du 12 octobre 2022, la Cour a dit que « les circonstances, telles qu’elles se présent[ai]ent [alors] à elle, n[’étaie]nt pas de nature à exiger l’exercice de son pouvoir de modifier les mesures indiquées dans l’ordonnance du 7 décembre 2021 ». Elle a également réaffirmé les mesures conservatoires indiquées dans ladite ordonnance, en particulier celle enjoignant aux Parties de s’abstenir de tout acte qui risquerait d’aggraver ou d’étendre le différend dont elle était saisie ou d’en rendre le règlement plus difficile (Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Arménie c. Azerbaïdjan), demande tendant à la modification de l’ordonnance en indication de mesures conservatoires du 7 décembre 2021, ordonnance du 12 octobre 2022, C.I.J. Recueil 2022 (II), p. 583-584, par. 23).
13. Le 28 décembre 2022, l’Arménie, se référant à l’article 41 du Statut de la Cour et à l’article 73 de son Règlement, a présenté une nouvelle demande en indication de mesures conservatoires et, par lettre en date du 26 janvier 2023, elle a communiqué à la Cour le texte d’une mesure conservatoire supplémentaire qu’elle sollicitait.
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14. Par ordonnance en date du 22 février 2023, la Cour, après avoir entendu les Parties, a indiqué la mesure conservatoire suivante :
« La République d’Azerbaïdjan doit, dans l’attente de la décision finale en l’affaire et conformément aux obligations qui lui incombent au titre de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, prendre toutes les mesures dont elle dispose afin d’assurer la circulation sans entrave des personnes, des véhicules et des marchandises le long du corridor de Latchine dans les deux sens. » (Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Arménie c. Azerbaïdjan), mesures conservatoires, ordonnance du 22 février 2023, C.I.J. Recueil 2023, p. 30, par. 67.)
15. Le 21 avril 2023, dans le délai prescrit au paragraphe 1 de l’article 79bis du Règlement de la Cour, l’Azerbaïdjan a soulevé des exceptions préliminaires d’incompétence de la Cour à l’égard de certaines demandes présentées dans la requête. En conséquence, par ordonnance en date du 25 avril 2023, la Cour, notant que la procédure sur le fond était suspendue en application du paragraphe 3 de l’article 79bis du Règlement, et compte tenu de l’instruction de procédure V, a fixé au 21 août 2023 la date d’expiration du délai dans lequel l’Arménie pourrait présenter un exposé écrit de ses observations et conclusions sur les exceptions préliminaires soulevées par l’Azerbaïdjan. L’exposé écrit a été déposé dans le délai ainsi fixé.
16. À la suite de la démission de M. le juge ad hoc Keith le 21 avril 2023, l’Azerbaïdjan a désigné M. Abdul G. Koroma pour siéger en qualité de juge ad hoc en l’affaire.
17. Par lettre en date du 12 mai 2023 et reçue au Greffe le 15 mai 2023, l’Arménie, se référant à l’article 76 du Règlement de la Cour, a sollicité une modification de l’ordonnance rendue par celle-ci le 22 février 2023. Par communication en date du 25 mai 2023, l’Azerbaïdjan a soumis ses observations écrites sur cette demande dans le délai prescrit à cet effet.
18. Par ordonnance en date du 6 juillet 2023, la Cour a dit que « les circonstances, telles qu’elles se présent[ai]ent [alors] à elle, n[’étaie]nt pas de nature à exiger l’exercice de son pouvoir de modifier l’ordonnance du 22 février 2023 indiquant une mesure conservatoire ». Elle a réaffirmé la mesure conservatoire prescrite dans son ordonnance du 22 février 2023 (Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Arménie c. Azerbaïdjan), demande tendant à la modification de l’ordonnance du 22 février 2023 indiquant une mesure conservatoire, ordonnance du 6 juillet 2023, C.I.J. Recueil 2023, p. 410-411, par. 33).
19. Par lettre en date du 25 août 2023, le greffier, en application du paragraphe 3 de l’article 69 du Règlement de la Cour, a transmis au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies des exemplaires des écritures déposées jusqu’alors en l’affaire, en le priant de lui faire savoir si l’Organisation entendait présenter, en vertu de cette disposition, des observations écrites concernant les exceptions préliminaires soulevées par l’Azerbaïdjan. Par lettre en date du 30 août 2023, le bureau des affaires juridiques a informé la Cour que l’Organisation des Nations Unies n’entendait pas présenter d’observations écrites au titre du paragraphe 3 de l’article 69 du Règlement.
20. Le 28 septembre 2023, l’Arménie, se référant à l’article 41 du Statut de la Cour et à l’article 73 de son Règlement, a déposé une nouvelle demande en indication de mesures conservatoires.
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21. Par ordonnance en date du 17 novembre 2023, la Cour, après avoir entendu les Parties, a indiqué les mesures conservatoires suivantes :
« 1) La République d’Azerbaïdjan doit, conformément aux obligations qu’elle tient de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, i) veiller à ce que toute personne qui aurait quitté le Haut-Karabakh après le 19 septembre 2023 et qui souhaiterait y retourner soit en mesure de le faire en toute sécurité, librement et rapidement ; ii) veiller à ce que toute personne qui serait restée au Haut-Karabakh après le 19 septembre 2023 et qui souhaiterait en partir soit en mesure de le faire en toute sécurité, librement et rapidement ; et iii) veiller à ce que toute personne qui serait restée au Haut-Karabakh après le 19 septembre 2023 ou qui y serait retournée et qui souhaiterait y rester ne fasse pas l’objet de recours à la force ou d’intimidation susceptible de l’inciter à fuir ;
2) La République d’Azerbaïdjan doit, conformément aux obligations qu’elle tient de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, protéger et préserver les documents et registres liés à l’enregistrement, à l’identité, et à la propriété privée relatifs aux personnes désignées au point 1) et en tenir dûment compte dans sa pratique administrative et législative ;
3) La République d’Azerbaïdjan doit présenter à la Cour un rapport sur les dispositions qu’elle aura prises pour donner effet aux mesures conservatoires indiquées ainsi qu’aux engagements pris par son agent, en son nom, lors de l’audience publique qui s’est tenue l’après-midi du 12 octobre 2023, dans un délai de huit semaines à compter de la date de la présente ordonnance. » (Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Arménie c. Azerbaïdjan, mesures conservatoires, ordonnance du 17 novembre 2023, par. 74.)
22. En application du point 3 du dispositif de l’ordonnance du 17 novembre 2023, l’Azerbaïdjan a soumis le 12 janvier 2024 un rapport sur les dispositions qu’il avait prises pour donner effet à ladite ordonnance. L’Arménie a soumis ses observations sur ce rapport le 26 janvier 2024, dans le délai fixé à cet effet. Par lettre en date du 4 mars 2024, l’Azerbaïdjan a envoyé une communication au sujet de ces observations.
23. Conformément au paragraphe 2 de l’article 53 de son Règlement, la Cour, après avoir consulté les Parties, a décidé de rendre accessibles au public les exceptions préliminaires de l’Azerbaïdjan et l’exposé écrit de l’Arménie sur lesdites exceptions, ainsi que les documents y annexés, tels qu’expurgés par les Parties aux fins de la protection des informations sensibles et à caractère personnel.
24. Des audiences publiques sur les exceptions préliminaires soulevées par l’Azerbaïdjan se sont tenues les 15, 16, 17 et 19 avril 2024, au cours desquelles ont été entendus en leurs plaidoiries et réponses :
Pour l’Azerbaïdjan : S. Exc. M. Elnur Mammadov,
M. Stefan Talmon,
M. Samuel Wordsworth,
Mme Laurence Boisson de Chazournes,
M. Sean Aughey,
S. Exc. M. Rahman Mustafayev.
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Pour l’Arménie : S. Exc. M. Yeghishe Kirakosyan,
M. Constantinos Salonidis,
M. Pierre d’Argent,
M. Sean Murphy,
Mme Alison Macdonald,
M. Joseph Klingler,
M. Linos-Alexandre Sicilianos.
*
25. Dans sa requête, l’Arménie a formulé les demandes suivantes :
« L’Arménie prie respectueusement la Cour de dire et juger que :
1. l’Azerbaïdjan est responsable de violations de la CIEDR, notamment des articles 2, 3, 4, 5, 6 et 7 ;
2. l’Azerbaïdjan, pour avoir engagé sa responsabilité internationale du fait de ces violations, doit :
A. immédiatement mettre fin à tout fait internationalement illicite de cette nature qui se poursuit et se conformer pleinement aux obligations qui lui incombent au regard des articles 2, 3, 4, 5, 6 et 7 de la CIEDR, notamment :
en s’abstenant de se livrer à des pratiques de nettoyage ethnique contre les Arméniens ;
en s’abstenant de commettre, de glorifier, de récompenser ou de cautionner des actes de racisme contre les Arméniens, y compris les prisonniers de guerre, les otages et d’autres détenus ;
en s’abstenant de tenir ou de tolérer des discours haineux visant les Arméniens, y compris dans les ouvrages pédagogiques ;
en s’abstenant de bannir la langue arménienne, de détruire le patrimoine culturel arménien ou d’éliminer de toute autre manière l’existence de la présence culturelle historique arménienne, ou d’empêcher les Arméniens d’avoir accès à celle-ci et d’en jouir ;
en punissant tout acte de discrimination raciale contre les Arméniens, qu’il soit commis dans la sphère publique ou privée, y compris lorsqu’il est le fait d’agents de l’État ;
en garantissant aux Arméniens, y compris les prisonniers de guerre, les otages et d’autres détenus, la jouissance de leurs droits dans des conditions d’égalité ;
en adoptant la législation nécessaire pour s’acquitter des obligations que lui fait la CIEDR ;
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en garantissant aux Arméniens un traitement égal devant les tribunaux et tout autre organe administrant la justice ainsi qu’une protection et une voie de recours effectives contre les actes de discrimination raciale ;
en s’abstenant d’entraver l’enregistrement et les activités des ONG et d’arrêter, de détenir et de condamner les militants des droits de l’homme ou toute autre personne oeuvrant pour la réconciliation avec l’Arménie et les Arméniens ; et
en prenant des mesures efficaces pour combattre les préjugés contre les Arméniens et des mesures spéciales pour assurer comme il convient le développement de ce groupe.
B. réparer le préjudice causé par tout fait internationalement illicite de cette nature, notamment :
par voie de restitution, en permettant aux Arméniens déplacés de regagner leur foyer en toute sécurité et dans la dignité, et en restaurant ou en restituant tout bâtiment, site, artefact ou objet religieux ou culturel arménien ;
en offrant des formes additionnelles de réparation pour toute perte ou tout dommage ou préjudice subi par les Arméniens qui ne pourrait être pleinement réparé par la restitution, y compris le versement d’une indemnisation aux Arméniens déplacés jusqu’à ce qu’ils puissent retourner chez eux en toute sécurité.
C. reconnaître les violations de la CIEDR qu’il a commises et offrir des excuses à l’Arménie et aux Arméniens victimes, de son fait, de discrimination raciale.
D. donner des assurances et garanties de non-répétition en ce qui concerne les manquements aux obligations qu’il tient des articles 2, 3, 4, 5, 6 et 7 de la CIEDR. »
26. Dans la procédure écrite sur le fond, les conclusions ci-après ont été présentées au nom du Gouvernement de l’Arménie dans le mémoire :
« Pour les raisons exposées dans le présent mémoire, l’Arménie prie respectueusement la Cour internationale de Justice de dire et de juger que :
CONSTAT DE MANQUEMENTS
1) l’Azerbaïdjan a manqué à ses obligations au regard des articles 2 et 7 de la CIEDR en commettant de manière généralisée et en grand nombre des actes graves de discrimination raciale contre les personnes d’origine ethnique arménienne ;
2) l’Azerbaïdjan a également manqué à ses obligations au regard du paragraphe 1 de l’article 2, de l’alinéa a) de l’article 4 et de l’alinéa b) de l’article 5 de la CIEDR à raison de faits discriminatoires de meurtre, de torture et de traitement inhumain contre les personnes d’origine ethnique arménienne ;
3) l’Azerbaïdjan a manqué à ses obligations au regard du paragraphe 1 de l’article 2, de l’alinéa c) de l’article 4 et de l’alinéa b) de l’article 5 en glorifiant, en récompensant et en cautionnant les actes mentionnés au point 2) ci-dessus ;
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4) l’Azerbaïdjan a manqué à ses obligations au regard de l’article 2 et de l’alinéa a) de l’article 5 de la CIEDR en recourant à des pratiques de détention arbitraire et discriminatoire contre les personnes d’origine ethnique arménienne ;
5) l’Azerbaïdjan a manqué à ses obligations au regard de l’article 2 et de l’alinéa a) de l’article 5 de la CIEDR en recourant à des pratiques de disparition forcée et discriminatoire contre les personnes d’origine ethnique arménienne ;
6) l’Azerbaïdjan a manqué à ses obligations au regard du paragraphe 1 de l’article 2 et des articles 4, 6 et 7 de la CIEDR en soutenant, en tolérant et en encourageant les discours haineux visant les personnes d’origine ethnique arménienne et en s’abstenant de prévenir et de punir de tels discours ;
7) l’Azerbaïdjan a manqué à ses obligations au regard du paragraphe 1 de l’article 2 et de l’article 5 de la CIEDR en ne garantissant pas, sans discrimination, les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels des personnes d’origine ethnique arménienne, notamment du fait de la destruction du patrimoine culturel de ces personnes ;
8) l’Azerbaïdjan a manqué à ses obligations au regard des paragraphes 1 et 2 de l’article 2 et de l’article 7 de la CIEDR en ne prenant pas les mesures efficaces nécessaires pour éliminer la discrimination raciale à l’égard des personnes d’origine ethnique arménienne et lutter contre les préjugés qui conduisent à cette discrimination ;
9) l’Azerbaïdjan a manqué à ses obligations au regard des alinéas c) et e) du paragraphe 1 de l’article 2 de la CIEDR en exerçant une répression contre les personnes et les organisations qui luttent contre la discrimination raciale à l’égard des personnes d’origine ethnique arménienne, ainsi que contre quiconque présente ces personnes sous un jour favorable ;
10) l’Azerbaïdjan a manqué à ses obligations au regard des articles 2 et 6 de la CIEDR en manquant d’assurer aux personnes d’origine ethnique arménienne une protection et une voie de recours effectives et de garantir leur droit de demander une satisfaction ou une réparation juste et adéquate pour tout dommage subi par suite d’actes de discrimination raciale ;
11) l’Azerbaïdjan a manqué à ses obligations au regard du dispositif (par. 98) de l’ordonnance du 7 décembre 2021, comme il est dit dans l’ordonnance du 12 octobre 2022 :
a) en ne protégeant pas contre les voies de fait et les sévices toutes les personnes arrêtées et placées en détention en relation avec le conflit de 2020 et les hostilités constituant une résurgence de celui-ci, notamment celles survenues en septembre 2022, tant les personnes qui ont été détenues que celles qui le sont toujours, et en ne garantissant pas leur sûreté et leur droit à l’égalité devant la loi ;
b) en ne prenant pas toutes les mesures nécessaires pour empêcher l’incitation et l’encouragement à la haine et à la discrimination raciales, notamment par ses agents et ses institutions publiques, à l’égard des personnes d’origine nationale ou ethnique arménienne ;
c) en ne prenant pas toutes les mesures nécessaires pour empêcher et punir les actes de dégradation et de profanation du patrimoine culturel arménien ;
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d) en aggravant et étendant le présent différend et en rendant son règlement plus difficile ;
CESSATION
12) l’Azerbaïdjan doit mettre fin immédiatement à toutes ses violations persistantes de la CIEDR énumérées aux paragraphes 1 à 10 ci-dessus ;
ASSURANCES ET GARANTIES DE NON-RÉPÉTITION
13) l’Azerbaïdjan doit offrir à l’Arménie et aux personnes d’origine ethnique arménienne des assurances et garanties de non-répétition de ses violations passées et continues de la CIEDR, sous la forme que la Cour jugera appropriée ;
RESTITUTION
14) l’Azerbaïdjan doit offrir une réparation, par voie de restitution, à l’Arménie et à toutes les personnes d’origine ethnique arménienne qui sont victimes de ses violations de la CIEDR et de l’ordonnance du 7 décembre 2021. En particulier, il doit :
a) permettre aux personnes d’origine ethnique arménienne qui ont été déplacées de regagner leur foyer et leur lieu d’origine en toute sécurité et dans la dignité ;
b) restituer aux personnes d’origine ethnique arménienne leurs terres agricoles, champs, maisons et autres biens, ainsi que leurs lieux de culte ;
c) libérer tous les prisonniers de guerre et détenus civils d’origine ethnique arménienne ;
d) garantir aux personnes d’origine ethnique arménienne qui relèvent de sa juridiction le droit à l’égalité devant la loi, notamment dans la jouissance des droits de l’homme et des libertés fondamentales protégés par la CIEDR, y compris leur assurer une protection et une voie de recours effectives contre les actes de discrimination raciale ;
e) prendre des mesures immédiates et efficaces dans les domaines de l’enseignement, de l’éducation, de la culture et de l’information pour lutter contre les préjugés conduisant à la discrimination raciale à l’égard des personnes d’origine ethnique arménienne ;
f) faciliter la recherche des personnes disparues et aider à retrouver, identifier et inhumer de nouveau selon les rites religieux arméniens les dépouilles des personnes tuées ;
g) restituer tout artefact ou objet culturel arménien saisi ;
h) rétablir dans sa forme et son état d’origine, sous la direction d’experts de l’UNESCO, tout édifice culturel et religieux arménien ou autre élément du patrimoine arménien, notamment les églises, cimetières, khachkars et autres monuments ;
i) amnistier quiconque a été puni pour avoir lutté directement ou indirectement contre la discrimination raciale à l’égard des personnes d’origine ethnique arménienne, ou pour avoir présenté ces personnes sous un jour favorable ;
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INDEMNISATION
15) l’Azerbaïdjan doit offrir une réparation, par voie d’indemnisation, à l’Arménie et à toutes les personnes d’origine ethnique arménienne qui sont victimes de ses violations de la CIEDR et de l’ordonnance du 7 décembre 2021, pour tous les préjudices, pertes ou dommages subis qui ne peuvent être réparés par voie de restitution ; et
16) à défaut d’accord entre les Parties sur le montant de l’indemnisation dans les neuf mois suivant le prononcé de l’arrêt, la question sera tranchée par la Cour à une phase ultérieure de la procédure en l’affaire.
La République d’Arménie se réserve le droit de compléter ou de modifier en tant que de besoin les présentes conclusions à la lumière d’exposés ultérieurs. »
27. Dans les exceptions préliminaires du défendeur, les conclusions ci-après ont été présentées au nom du Gouvernement de l’Azerbaïdjan :
« 71. Pour les raisons qui précèdent, l’Azerbaïdjan prie respectueusement la Cour de :
a) rejeter la requête de l’Arménie dans son intégralité au motif qu’aucune des demandes qu’elle contient n’est soumise à la Cour dans les règles, l’Arménie n’ayant pas satisfait à la condition préalable de négociation énoncée à l’article 22 de la CIEDR ; et
b) à titre cumulatif ou subsidiaire, rejeter les demandes ci-après, telles que recensées à l’annexe 46, au motif que la Cour n’a pas compétence ratione materiae pour en connaître car elles n’entrent pas dans le champ d’application de la CIEDR :
i) chacune des demandes formulées à la section I du chapitre 3 de la partie VI du mémoire de l’Arménie ;
ii) chacune des demandes formulées à la section III du chapitre 3 de la partie VI du mémoire de l’Arménie ; et
iii) chacune des demandes formulées à la section IV du chapitre 3 de la partie VI du mémoire de l’Arménie.
72. L’Azerbaïdjan réserve tous les droits que lui confèrent le Statut et le Règlement de la Cour, notamment celui de modifier ou de compléter les présentes conclusions et celui de contester la compétence et la recevabilité sur la base des motifs précités et d’autres motifs dans le cas où l’affaire serait examinée au fond. »
28. Par lettre datée du 5 avril 2024, l’agent de l’Azerbaïdjan a informé la Cour que
« l’Azerbaïdjan a décidé d’abandonner certains volets du chef d’exception énoncé à l’alinéa i) de la litt. b) du paragraphe 71 de ses exceptions préliminaires pour ce qui est des allégations de violation du paragraphe 1 de l’article 2, de l’alinéa a) de l’article 4 et de l’alinéa b) de l’article 5 de la CIEDR à raison de mauvais traitements infligés à des civils d’origine ethnique arménienne pendant le conflit armé. Plus précisément, l’Azerbaïdjan ne maintiendra pas ses exceptions à l’égard des allégations que l’Arménie a particularisées en produisant des preuves précises qui témoigneraient d’un
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comportement répréhensible “susceptible” de relever de la CIEDR. Cette décision d’abandonner ce volet des exceptions préliminaires est sans préjudice de l’intention qu’a l’Azerbaïdjan de réfuter les demandes concernées au stade du fond.
L’Azerbaïdjan maintient pour le reste des demandes le chef d’exception énoncé à l’alinéa i) de la litt. b) du paragraphe 71 de ses exceptions préliminaires. En particulier, il continue de faire valoir que :
i) les demandes présentées par l’Arménie au titre de la CIEDR relativement à des mauvais traitements qui auraient été infligés à des membres des forces armées arméniennes pendant la phase d’hostilités actives du conflit armé ; et
ii) le reste des demandes présentées par l’Arménie au titre de la CIEDR relativement à des mauvais traitements qui auraient été infligés à des civils pendant la phase d’hostilités actives du conflit armé, au sujet desquelles l’Arménie n’a produit aucune preuve précise qui témoignerait d’un comportement répréhensible fondé sur l’origine nationale ou ethnique ;
ne sont pas “susceptibles” d’entrer dans le champ d’application de la CIEDR. »
29. Dans l’exposé écrit des observations et conclusions de la demanderesse sur les exceptions préliminaires, les conclusions ci-après ont été présentées au nom du Gouvernement de l’Arménie :
« Pour les motifs qui précèdent, l’Arménie prie respectueusement la Cour de :
a) rejeter la première exception préliminaire soulevée par l’Azerbaïdjan ;
b) rejeter la deuxième exception préliminaire soulevée par l’Azerbaïdjan ; à titre subsidiaire, déclarer que cette deuxième exception n’a pas un caractère exclusivement préliminaire. »
30. Au terme de la procédure orale sur les exceptions préliminaires, les conclusions ci-après ont été présentées par les Parties :
Au nom du Gouvernement de l’Azerbaïdjan,
à l’audience du 17 avril 2024 :
« La République d’Azerbaïdjan prie la Cour de :
1. rejeter la requête de l’Arménie dans son intégralité au motif qu’aucune des demandes qu’elle contient n’est soumise à la Cour dans les règles, l’Arménie n’ayant pas satisfait à la condition préalable de négociation énoncée à l’article 22 de la CIEDR ;
2. à titre cumulatif ou subsidiaire, déclarer qu’elle n’a pas compétence ratione materiae pour connaître des demandes de l’Arménie concernant des manquements présumés par l’Azerbaïdjan à ses obligations au regard :
i) du paragraphe 1 de l’article 2, de l’alinéa a) de l’article 4 et de l’alinéa b) de l’article 5 de la CIEDR à raison de faits discriminatoires de meurtre, de torture et de traitement inhumain contre des membres des forces armées arméniennes pendant la phase d’hostilités actives du conflit armé ;
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ii) du paragraphe 1 de l’article 2, de l’alinéa a) de l’article 4 et de l’alinéa b) de l’article 5 de la CIEDR à raison de faits discriminatoires de meurtre, de torture et de traitement inhumain contre des civils arméniens pendant la phase d’hostilités actives du conflit armé, hormis s’agissant des allégations que l’Arménie aurait particularisées en produisant des preuves précises qui témoigneraient d’un comportement répréhensible “susceptible” de relever de la CIEDR ;
iii) de l’article 2 et de l’alinéa a) de l’article 5 de la CIEDR à raison de pratiques de détention arbitraire et discriminatoire contre les personnes d’origine ethnique arménienne ; et
iv) de l’article 2 et de l’alinéa a) de l’article 5 de la CIEDR à raison de pratiques de disparition forcée et discriminatoire contre les personnes d’origine ethnique arménienne. »
Au nom du Gouvernement de l’Arménie,
à l’audience du 19 avril 2024 :
« Sur la base de ses écritures et de ses plaidoiries, la République d’Arménie prie respectueusement la Cour de :
a) rejeter la première exception préliminaire soulevée par l’Azerbaïdjan ; et
b) rejeter la deuxième exception préliminaire soulevée par l’Azerbaïdjan ; ou, à titre subsidiaire, déclarer que cette deuxième exception n’a pas un caractère exclusivement préliminaire. »
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I. INTRODUCTION
31. L’Arménie et l’Azerbaïdjan, deux républiques de l’ancienne Union des Républiques socialistes soviétiques (ci-après, l’« Union soviétique »), ont accédé à l’indépendance les 21 septembre 1991 et 18 octobre 1991 respectivement.
32. La région que l’Arménie dénomme Haut-Karabakh et l’Azerbaïdjan, Garabagh, était dans l’Union soviétique une entité autonome (« oblast ») majoritairement peuplée de personnes d’origine ethnique arménienne, située sur le territoire de la République socialiste soviétique d’Azerbaïdjan. Les revendications concurrentes des Parties sur cette région ont déclenché des hostilités, désignées sous le nom de « première guerre du Haut-Karabakh » par l’Arménie et de « première guerre du Garabagh » par l’Azerbaïdjan, qui ont pris fin avec la conclusion d’un cessez-le-feu en mai 1994. De nouvelles hostilités ont éclaté en septembre 2020, donnant lieu à ce que l’Arménie appelle la « deuxième guerre du Haut-Karabakh » et l’Azerbaïdjan, la « deuxième guerre du Garabagh » (ci-après, le « conflit de 2020 »).
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33. Le 9 novembre 2020, le président de l’Azerbaïdjan, le premier ministre de l’Arménie et le président de la Fédération de Russie ont signé une déclaration, dite « déclaration trilatérale », par laquelle étaient proclamés, à compter du 10 novembre 2020, « [u]n cessez-le-feu complet et la cessation de toutes les hostilités dans la zone de conflit du Haut-Karabakh ». La situation entre les Parties est cependant demeurée instable et de nouvelles hostilités ont éclaté en septembre 2022, puis encore en septembre 2023.
34. Le 16 septembre 2021, l’Arménie a introduit la présente instance au titre de la CIEDR, à la suite du conflit de 2020. Dans sa requête, elle affirme que l’Azerbaïdjan a violé plusieurs dispositions de la CIEDR en ayant mis en oeuvre pendant des décennies une politique de discrimination raciale. Plus précisément, elle soutient qu’« [e]n conséquence de cette politique de haine que promeut l’État contre les Arméniens, ceux-ci [ont été] victimes d’une discrimination systémique, de massacres, de torture et d’autres violences ».
35. Dans sa requête, l’Arménie entend fonder la compétence de la Cour sur le paragraphe 1 de l’article 36 du Statut de la Cour, lu conjointement avec l’article 22 de la CIEDR (voir ci-dessus, paragraphe 2). Ledit article 22 se lit comme suit :
« Tout différend entre deux ou plusieurs États parties touchant l’interprétation ou l’application de la présente Convention, qui n’aura pas été réglé par voie de négociation ou au moyen des procédures expressément prévues par ladite Convention, sera porté, à la requête de toute partie au différend, devant la Cour internationale de Justice pour qu’elle statue à son sujet, à moins que les parties au différend ne conviennent d’un autre mode de règlement. »
36. L’Arménie et l’Azerbaïdjan sont tous deux parties à la CIEDR. La première y a adhéré le 23 juin 1993 et le second le 16 août 1996. La convention est entrée en vigueur à l’égard de chacune des Parties le trentième jour suivant la date du dépôt de son instrument d’adhésion, soit le 23 juillet 1993 et le 15 septembre 1996, respectivement. Aucune des Parties n’a formulé de réserve à la convention.
37. L’Azerbaïdjan soulève deux exceptions d’incompétence de la Cour. Premièrement, il fait valoir que la Cour n’a pas compétence en vertu de l’article 22 de la CIEDR parce que la condition préalable de négociation n’a pas été remplie. Deuxièmement, il affirme que certaines demandes de l’Arménie ne relèvent pas de la compétence ratione materiae que la Cour tient de l’article 22 de la CIEDR. La Cour examinera chacune de ces exceptions successivement.
II. PREMIÈRE EXCEPTION PRÉLIMINAIRE : LA CONDITION PRÉALABLE DE NÉGOCIATION REQUISE À L’ARTICLE 22 DE LA CIEDR
38. La Cour examinera à présent si la condition préalable de négociation requise à l’article 22 de la CIEDR a été remplie en l’espèce.
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39. L’Azerbaïdjan soutient que la Cour n’a pas compétence à l’égard des demandes de l’Arménie parce que la condition préalable de négociation requise à l’article 22 de la CIEDR n’a pas été remplie. Il considère que l’Arménie n’a pas satisfait à cette condition préalable parce qu’elle n’a pas cherché sérieusement à engager un dialogue avec lui pour régler le différend.
40. L’Azerbaïdjan indique que les Parties ont discuté pendant plus de six mois des modalités de procédure, de la portée et du calendrier de leurs négociations futures sur le fond des griefs de l’Arménie en lien avec la CIEDR. Il affirme que de telles « prénégociations » ne sont pas des négociations au sens de l’article 22 de la convention.
41. L’Azerbaïdjan fait valoir que l’Arménie a mis fin aux négociations après seulement deux séries de réunions consacrées au fond des griefs en cause, dont la première a eu lieu les 15 et 16 et les 27 et 28 juillet 2021, et la seconde, les 30 et 31 août et les 14 et 15 septembre 2021. Selon lui, l’Arménie n’a donc pas permis aux négociations relatives aux questions de fond de progresser. Le défendeur rappelle que l’Arménie lui a exposé ses griefs et les remèdes qu’elle sollicitait à la réunion des 15 et 16 juillet 2021, et qu’il a donné ses réponses à la réunion des 30 et 31 août 2021, au cours de laquelle il a également proposé à l’Arménie une liste de 13 mesures que les Parties pourraient adopter conjointement pour régler le différend. Il affirme qu’au lieu d’examiner ces propositions, l’Arménie les a rejetées d’emblée, à la réunion tenue les 14 et 15 septembre 2021.
42. L’Azerbaïdjan affirme que, à ce stade, l’Arménie a déclaré unilatéralement que les négociations avaient échoué. Il fait observer en outre qu’elle a déposé sa requête et sa première demande en indication de mesures conservatoires moins de 24 heures après la fin de cette réunion. Or, selon lui, les négociations sur les questions de fond, loin d’être dans une impasse, venaient à peine de commencer, très peu de temps seulement leur ayant été consacré. L’Azerbaïdjan affirme qu’auparavant les Parties n’avaient pas tenu de réunion bilatérale, sans médiateur, depuis près de 30 ans et qu’il aurait donc été irréaliste de croire que les griefs en cause pouvaient être réglés en deux séries de rencontres.
43. L’Azerbaïdjan soutient que nombre de ses 13 propositions de mesures, que l’Arménie a toutes rejetées, correspondaient aux remèdes que la demanderesse souhaitait obtenir et qu’elle sollicite aujourd’hui devant la Cour. Il ajoute que d’autres de ses propositions faisaient écho à certaines des demandes de l’Arménie sur le fond. C’est pourquoi, selon lui, il restait possible de remédier aux griefs de l’Arménie.
44. L’Azerbaïdjan avance que permettre aux demandes de l’Arménie d’être examinées au fond dans ces circonstances viderait essentiellement de son sens l’obligation de négociation prévue à l’article 22 de la CIEDR.
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45. Pour sa part, l’Arménie fait valoir que, lorsqu’elle a déposé sa requête le 16 septembre 2021, les Parties avaient déjà échangé plus de 40 pièces de correspondance et participé à sept séries de réunions bilatérales, toutes en vue de régler amiablement le présent différend.
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46. L’Arménie affirme qu’elle a entamé ces négociations en ayant véritablement l’intention de régler le différend à l’amiable. Elle assure avoir eu de nombreux échanges avec l’Azerbaïdjan, alors même que celui-ci continuait, selon elle, à violer la CIEDR. Elle soutient que l’Azerbaïdjan a dès le départ catégoriquement rejeté ses demandes, même s’il se déclarait disposé à négocier un éventuel règlement, et qu’il n’a pas modifié sa position d’un bout à l’autre des négociations.
47. Selon l’Arménie, rien ne justifie que des échanges portant sur des questions procédurales ou techniques soient exclus des négociations telles qu’elles sont envisagées à l’article 22 de la CIEDR, dès lors que ces échanges ont pour objectif le règlement du différend. L’Arménie rappelle qu’en réponse aux griefs tirés de la convention dont elle lui avait fait part dans une lettre en date du 11 novembre 2020, l’Azerbaïdjan, dans une lettre en date du 8 décembre 2020, a rejeté ses demandes. Elle a réitéré celles-ci dans une lettre en date du 22 décembre 2020, et l’Azerbaïdjan a réaffirmé qu’il les rejetait dans une lettre en date du 15 janvier 2021. L’Arménie dit que les positions des Parties n’ont pas changé au cours des mois suivants. Elle affirme, en particulier, que l’Azerbaïdjan a rejeté ses demandes à la réunion que les Parties ont tenue les 30 et 31 août 2021. Elle estime que l’Azerbaïdjan cherchait à « prolonger les négociations le plus longtemps possible ».
48. L’Arménie soutient avoir étudié pendant deux semaines les 13 mesures conjointes proposées par l’Azerbaïdjan à la réunion des 30 et 31 août 2021. Elle note en outre que ces propositions étaient formulées à titre de suggestion et ne faisaient écho à aucune de ses propres demandes sur le fond. Selon elle, l’Azerbaïdjan y réfutait tout manquement à la CIEDR, n’offrait pas d’assurances ni de garanties de non-répétition, ni de réparation, et ne tenait aucun compte de certains des remèdes les plus importants qu’elle demandait. L’Arménie affirme également que ces propositions reposaient sur une réciprocité d’action entre les Parties. Pour elle, ces propositions ne montrent pas qu’un accord demeurait possible, contrairement à ce que l’Azerbaïdjan laisse entendre.
49. L’Arménie fait observer que la Cour a jugé que la condition préalable de négociation était remplie dans des situations où les échanges entre les parties avaient été moins nourris que dans la présente espèce.
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50. La Cour a dit que « les termes de l’article 22, à savoir “[t]out différend … qui n’aura pas été réglé par voie de négociation ou au moyen des procédures expressément prévues par ladite Convention”, établissent des conditions préalables auxquelles il doit être satisfait avant toute saisine de la Cour » (Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 128, par. 141 ; voir aussi Application de la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme et de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Ukraine c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J Recueil 2019 (II), p. 598, par. 106).
51. La Cour s’est aussi déjà interrogée sur le sens du terme « négociation » qui figure à l’article 22 de la CIEDR. Dans l’affaire relative à l’Application de la convention internationale sur
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l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), elle a dit ce qui suit :
« [Les négociations] se distinguent de simples protestations ou contestations. [Elles] ne se ramènent pas à une simple opposition entre les opinions ou intérêts juridiques des deux parties, ou à l’existence d’une série d’accusations et de réfutations, ni même à un échange de griefs et de contre-griefs diamétralement opposés. En cela, la notion de “négociations” se distingue de celle de “différend” et implique, à tout le moins, que l’une des parties tente vraiment d’ouvrir le débat avec l’autre partie en vue de régler le différend. » (Exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 132, par. 157 ; voir aussi Application de la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme et de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Ukraine c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J Recueil 2019 (II), p. 601-602, par. 116.)
52. Pour que la condition préalable de négociation contenue dans la clause compromissoire d’un traité soit remplie, la négociation doit avoir « concern[é] l’objet du différend, qui doit lui-même se rapporter aux obligations de fond prévues par l’instrument en question » (Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 133, par. 161). En outre, s’il y a tentative ou début de négociations, il n’est satisfait à la condition préalable que lorsque les négociations ont échoué, sont devenues inutiles ou ont abouti à une impasse (ibid., p. 133, par. 159 ; voir aussi Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 446, par. 58-59).
53. La question de savoir si des négociations ont eu lieu ou si elles ont échoué, sont devenues inutiles ou ont abouti à une impasse dépend des faits et des circonstances propres à chaque affaire. La Cour note que les Parties ont commencé à échanger par écrit au sujet du présent différend concernant la CIEDR en novembre 2020. L’Arménie a entamé une correspondance avec l’Azerbaïdjan par lettre en date du 11 novembre 2020, dans laquelle elle lui faisait grief de violer de manière continue de multiples dispositions de la CIEDR. Dans sa réponse, en date du 8 décembre 2020, l’Azerbaïdjan a « rejet[é] les allégations formulées par l’Arménie dans sa lettre du 11 novembre 2020 », déclarant cependant « rest[er] ouvert aux négociations sur cette question ». L’Arménie a réitéré ses demandes au titre de la CIEDR dans une lettre qu’elle a adressée le 22 décembre 2020 à l’Azerbaïdjan, et celui-ci a réaffirmé qu’il rejetait les allégations de l’Arménie dans la réponse qu’il lui a faite le 15 janvier 2021. De l’avis de la Cour, ces références précises à la CIEDR montrent que l’objet de ces échanges portait sur l’objet de la convention.
54. La Cour relève qu’au cours des mois suivants, les Parties ont eu de multiples échanges par écrit et tenu deux séries de réunions en ligne au sujet des modalités, de la portée et du calendrier de leurs négociations sur le fond des allégations de violations de la CIEDR. Elles ont poursuivi leur correspondance sur les modalités de procédure jusqu’à conclure un accord à cet égard par un échange de notes verbales le 3 mai 2021. Elles ont continué d’échanger sur la portée des négociations et, à une réunion tenue le 31 mai 2021, chacune a présenté une liste de questions à débattre aux réunions qui suivraient. Les Parties ont eu encore d’autres échanges pour déterminer sous quelle forme et selon quel échéancier chacune présenterait ses demandes. De l’avis de la Cour, tous ces échanges faisaient partie des négociations entre les Parties concernant un possible règlement du présent différend.
55. Les négociations sur le fond des allégations de violations de la CIEDR ont commencé par la réunion que les Parties ont tenue en personne les 15 et 16 juillet 2021, au cours de laquelle
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l’Arménie a exposé ses griefs et les remèdes qu’elle sollicitait. Les Parties ont tenu deux séries de réunions en personne pour discuter des griefs et négocier les remèdes, la première les 15 et 16 et les 27 et 28 juillet 2021, et la seconde, les 30 et 31 août et les 14 et 15 septembre 2021. La Cour note que les positions respectives des Parties sont restées foncièrement inchangées entre le moment où l’Azerbaïdjan a rejeté une première fois les demandes de l’Arménie, en décembre 2020, et celui où il a réaffirmé qu’il rejetait lesdites demandes, à la deuxième réunion sur le fond tenue en septembre 2021.
56. La Cour prend note en outre des propositions que l’Azerbaïdjan a faites à l’Arménie à la réunion des 30 et 31 août 2021 et qu’il lui a renouvelées par lettre en date du 9 octobre 2021. Ces propositions portaient sur des mesures que l’Azerbaïdjan et l’Arménie pourraient prendre conjointement, et non sur des mesures susceptibles de régler le différend qui les oppose concernant la CIEDR. Dans ces conditions, la Cour n’est pas convaincue qu’il soit possible, comme le soutient l’Azerbaïdjan, de conclure au vu de ces propositions que les négociations venaient seulement de commencer et que leur poursuite aurait encore pu conduire à un règlement.
57. La Cour est d’avis que l’Arménie a vraiment tenté d’engager des discussions avec l’Azerbaïdjan en vue de régler le différend, conformément à l’article 22 de la CIEDR.
58. La Cour est aussi d’avis que les négociations entreprises étaient devenues inutiles à la date où l’Arménie a déposé sa requête. Elle rappelle qu’il n’est pas nécessaire, pour prouver qu’il y a vraiment eu tentative de négociation, ou conduite de négociations, que les parties au différend soient en fait parvenues à un accord (voir Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 132-133, par. 158) ; voir aussi Trafic ferroviaire entre la Lithuanie et la Pologne, avis consultatif, 1931, C.P.J.I. série A/B no 42, p. 116). Dans de précédentes affaires, la Cour a conclu que la condition préalable de négociation était remplie lorsque les « positions de[s parties] n’a[vai]ent, pour l’essentiel, pas évolué par la suite » malgré plusieurs échanges de correspondance diplomatique ou de réunions (Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 446, par. 59 ; voir aussi Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2018 (I), p. 317, par. 76). Elle a en outre jugé que le nombre et la durée exacts des échanges n’étaient pas déterminants à cet égard (Concessions Mavrommatis en Palestine, arrêt no 2, 1924, C.P.J.I. série A no 2, p. 13). En l’espèce, les positions respectives des Parties sont restées foncièrement inchangées entre la fin 2020 et septembre 2021. Dans ces conditions, la Cour considère que les négociations étaient devenues inutiles puisqu’il n’était pas réaliste de penser que le désaccord entre les Parties pouvait être réglé à ce stade par la voie de négociations bilatérales.
59. Pour ces raisons, la Cour conclut que la condition préalable de négociation requise à l’article 22 de la CIEDR est remplie dans les circonstances de l’espèce. En conséquence, elle conclut que la première exception préliminaire soulevée par l’Azerbaïdjan doit être rejetée.
III. SECONDE EXCEPTION PRÉLIMINAIRE : LA COMPÉTENCE RATIONE MATERIAE
A. Introduction
60. La Cour examinera à présent la seconde exception préliminaire de l’Azerbaïdjan, qui porte sur sa compétence ratione materiae. Elle rappelle que, conformément à l’article 22 de la CIEDR, sa compétence ratione materiae s’étend à « [t]out différend entre deux ou plusieurs États parties touchant l’interprétation ou l’application de la … Convention ».
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61. La Cour note que l’Azerbaïdjan ne conteste pas sa compétence ratione materiae à l’égard de la plupart des demandes présentées par l’Arménie au titre de la CIEDR. La seconde exception préliminaire est limitée aux demandes formulées à la section I du chapitre 3 de la partie VI du mémoire de l’Arménie, concernant le manquement présumé de l’Azerbaïdjan à ses obligations au regard du paragraphe 1 de l’article 2, de l’alinéa a) de l’article 4 et de l’alinéa b) de l’article 5 de la CIEDR à raison de faits de meurtre, de torture et de traitement inhumain ayant visé des personnes d’origine ethnique arménienne, et aux demandes formulées aux sections III et IV du chapitre 3 de la partie VI dudit mémoire, concernant le manquement présumé de l’Azerbaïdjan à ses obligations au regard de l’article 2 et de l’alinéa a) de l’article 5 de la CIEDR à raison de pratiques de détention arbitraire et de disparition forcée, respectivement, de personnes d’origine ethnique arménienne pendant le conflit de 2020 et les hostilités qui ont suivi.
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62. L’Azerbaïdjan fait valoir que les faits auxquels se réfère l’Arménie dans les demandes à l’égard desquelles il soulève sa seconde exception préliminaire ne sont « fondé[s] sur » aucun des motifs prohibés énumérés au paragraphe 1 de l’article premier de la CIEDR. Selon lui, ces demandes échappent donc au champ d’application de la CIEDR et, partant, à la compétence ratione materiae de la Cour.
63. L’Azerbaïdjan affirme que le comportement dont l’Arménie tire grief, même s’il était avéré, n’est tout au plus qu’un non-respect du droit international humanitaire et le reflet de l’animosité générale entre les ressortissants de deux États engagés dans un conflit armé, et non d’une hostilité motivée par l’origine ethnique des victimes. Il fait valoir que, par conséquent, les demandes concernées « ne p[euve]nt entrer dans les prévisions de la CIEDR ». Il fait observer que « le simple fait que les peuples de deux États en guerre soient, et c’est fréquent, majoritairement d’origines ethniques différentes ne transforme pas, sans autre facteur, chaque acte de guerre en une distinction “fondée sur” l’origine ethnique ». Selon lui, pour invoquer une violation de la CIEDR, l’Arménie doit montrer qu’il existe un « autre facteur » que des violations du droit international humanitaire, afin de relier les « mauvais traitements allégués à quelque preuve spécifique de discrimination raciale ». À cet égard, l’Azerbaïdjan souligne que la discrimination fondée sur la nationalité actuelle n’entre pas dans le champ d’application de la CIEDR.
64. L’Azerbaïdjan souligne en outre que l’Arménie ne peut établir l’existence des considérations ethniques nécessaires pour que ses demandes relèvent de l’article premier de la CIEDR en se référant uniquement à un supposé sentiment « arménophobe » généralisé émanant de hauts responsables de l’État azerbaïdjanais et d’autres membres de la société.
65. Par conséquent, le défendeur soutient que les demandes visées par sa seconde exception préliminaire ne relèvent pas de la CIEDR et que la Cour devrait dire qu’elles échappent à sa compétence ratione materiae.
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66. L’Arménie affirme que tous les faits dont elle tire grief entrent dans la définition de la discrimination raciale énoncée au paragraphe 1 de l’article premier de la CIEDR. Elle dit avoir produit « des preuves accablantes » montrant que les faits en question sont susceptibles d’être constitutifs de discrimination raciale et relèvent dès lors de la compétence ratione materiae de la Cour.
67. L’Arménie soutient que, si les actes emportant violation du droit international humanitaire dans le contexte d’un conflit armé ne sont pas nécessairement constitutifs de discrimination raciale, un même acte peut néanmoins relever à la fois de la CIEDR et du droit international humanitaire. Elle affirme que le comportement de l’Azerbaïdjan en temps de guerre et lié à la guerre était en grande partie associé à « des manifestations explicites de racisme » et qu’il convient d’examiner ses demandes à la lumière « de la haine des Arméniens qu[e l’Azerbaïdjan] fomente depuis des décennies ».
68. L’Arménie conclut par conséquent que la seconde exception préliminaire de l’Azerbaïdjan devrait être rejetée. À titre subsidiaire, pour autant que l’Azerbaïdjan conteste les éléments de preuve qu’elle a présentés, elle fait valoir que cette exception n’a pas un caractère exclusivement préliminaire et ne peut donc faire l’objet d’une décision à ce stade de la procédure.
B. La portée de la CIEDR et son applicabilité dans un conflit armé
69. Lorsque la Cour est saisie, sur la base d’une clause compromissoire d’un traité, par un État qui met en cause la responsabilité internationale d’un autre État partie pour manquement aux obligations découlant dudit traité, elle doit
« rechercher si les actions ou les omissions dont le demandeur fait grief au défendeur entrent dans le champ d’application du traité dont la violation est alléguée, c’est-à-dire si les faits en cause, à les supposer établis, sont susceptibles de constituer des violations des obligations découlant du traité » (Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Ukraine c. Fédération de Russie : 32 États intervenants), exceptions préliminaires, arrêt du 2 février 2024, par. 136).
70. Afin d’établir si elle a compétence ratione materiae, la Cour n’a pas besoin de déterminer si les actes dont l’Arménie tire grief constituent effectivement une « discrimination raciale » au sens du paragraphe 1 de l’article premier de la CIEDR. Une telle détermination porte sur « des points de fait, largement tributaires des éléments de preuve relatifs au but ou à l’effet des mesures alléguées par l[a demanderesse], et relève donc de l’examen au fond si l’affaire devait se poursuivre jusqu’à ce stade » (Application de la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme et de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Ukraine c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J Recueil 2019 (II), p. 595, par. 94). Au présent stade, la Cour doit simplement s’assurer que les faits allégués de meurtre, de torture, de traitement inhumain, de détention arbitraire et de disparition forcée, à les supposer établis, sont susceptibles de constituer des violations de la CIEDR et entrent donc dans son champ d’application.
71. Aux termes du paragraphe 1 de l’article premier de la CIEDR,
« l’expression “discrimination racialeˮ vise toute distinction, exclusion, restriction ou préférence fondée sur la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou
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ethnique, qui a pour but ou pour effet de détruire ou de compromettre la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice, dans des conditions d’égalité, des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social et culturel ou dans tout autre domaine de la vie publique ».
72. Par conséquent, pour que ses demandes relèvent de la compétence ratione materiae de la Cour au titre de la CIEDR, le demandeur doit alléguer des faits qui, à les supposer établis, sont susceptibles de constituer une différence de traitement fondée sur l’un des motifs prohibés par le paragraphe 1 de l’article premier, ayant pour but ou pour effet de détruire ou de compromettre la jouissance de droits, dans des conditions d’égalité, par des membres du groupe protégé. La Cour rappelle que, selon le paragraphe 2 de l’article premier de la CIEDR, les distinctions fondées sur la citoyenneté ou la nationalité actuelle, par opposition à l’origine nationale ou ethnique, n’entrent pas dans le champ d’application de la convention (Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Qatar c. Émirats arabes unis), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2021, p. 106, par. 105). En la présente espèce, cependant, les Parties conviennent que l’origine nationale ou ethnique arménienne est un motif de discrimination prohibé par la convention, ce à quoi la Cour souscrit.
73. La Cour examinera à présent l’applicabilité de la CIEDR dans les situations de conflit armé. Les Parties conviennent que la CIEDR s’applique dans de telles situations et que son applicabilité aux comportements en temps de conflit armé n’est pas exclue par celle du droit international humanitaire. En particulier, les Parties admettent toutes deux qu’un comportement qui peut être incompatible avec le droit international humanitaire peut en même temps mettre en jeu des obligations découlant de la CIEDR, dès lors que ce comportement remplit les conditions aux fins de la formulation d’un grief au titre de la convention.
74. La Cour fait observer que l’interdiction de la discrimination raciale, élément essentiel du droit international des droits de l’homme, est aussi un élément fondamental du droit international humanitaire. L’article 16 de la troisième convention de Genève de 1949, par exemple, dispose que les prisonniers de guerre doivent tous être traités de la même manière par la puissance détentrice, sans aucune distinction de caractère défavorable, notamment de race ou « fondée sur des critères analogues ». Le paragraphe 3 de l’article 27 de la quatrième convention de Genève n’autorise quant à lui aucune distinction défavorable, notamment de race, dans le traitement des personnes protégées (voir aussi l’article 13 de cette convention).
75. La Cour a déjà dit par le passé que des actes supposément discriminatoires commis dans le contexte d’un conflit armé « paraissent pouvoir porter atteinte à des droits conférés par la CIEDR, même si certains de ces actes pourraient également être couverts par d’autres règles de droit international, notamment de droit humanitaire » (Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du 15 octobre 2008, C.I.J. Recueil 2008, p. 387, par. 112 ; voir aussi Application de la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme et de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Ukraine c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J Recueil 2019 (II), p. 592, par. 86, et p. 595, par. 96).
76. La Cour rappelle que « la protection offerte par les conventions régissant les droits de l’homme ne cesse pas en cas de conflit armé » (Conséquences juridiques découlant des politiques et pratiques d’Israël dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, avis consultatif
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du 19 juillet 2024, par. 99 ; Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt, C.I.J. Recueil 2005, p. 242-243, par. 215-216 ; Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 178, par. 106 ; voir aussi Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 240, par. 25). Elle fait également observer que la CIEDR a pour objet et pour but d’éliminer « toutes les formes et toutes les manifestations » de discrimination raciale (cinquième et dixième alinéas du préambule ; voir aussi Application de la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme et de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Ukraine c. Fédération de Russie), arrêt du 31 janvier 2024, par. 194). La définition de la discrimination raciale donnée au paragraphe 1 de l’article premier de la convention interdit ainsi « toute distinction, exclusion, restriction ou préférence » fondée sur un motif prohibé, et les États parties s’engagent à « interdire et à éliminer la discrimination raciale sous toutes ses formes » (article 5 ; voir aussi le paragraphe 1 de l’article 2). La convention ne prévoit aucune restriction générale à son applicabilité dans les situations de conflit armé, ni de dérogation en pareilles circonstances. De fait, certaines des formes les plus extrêmes de discrimination raciale se produisent dans le contexte d’un conflit armé.
77. Par conséquent, la Cour conclut que la protection contre la discrimination raciale offerte par la CIEDR continue de s’appliquer dans un conflit armé. Ainsi, la convention et le droit international humanitaire sont complémentaires. Il est bien établi que « [c]ertains actes peuvent entrer dans le champ de plusieurs instruments et un différend relatif à ces actes peut avoir trait “à l’interprétation ou à l’application” de plusieurs traités ou autres instruments » (Violations alléguées du traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires de 1955 (République islamique d’Iran c. États-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2021, p. 27, par. 56). La Cour souligne cependant que l’article 22 de la CIEDR circonscrit sa compétence en l’espèce aux demandes formulées par l’Arménie au titre de cette convention.
78. Pour ces raisons, la Cour est d’avis que des faits de meurtre, de torture, de traitement inhumain, de détention arbitraire et de disparition forcée qui auraient été commis sur le fondement de l’origine nationale ou ethnique de la victime sont susceptibles de constituer des manquements aux obligations découlant de la CIEDR, y compris dans un conflit armé. C’est pourquoi elle doit rechercher si les faits spécifiques dont l’Arménie tire grief sont susceptibles d’attester un traitement discriminatoire fondé sur l’origine nationale ou ethnique arménienne des victimes.
C. Violations alléguées de la CIEDR
1. Faits de meurtre, de torture et de traitement inhumain
79. La Cour examinera à présent les arguments opposés par l’Azerbaïdjan aux griefs que lui fait l’Arménie d’avoir commis des faits de meurtre, de torture et de traitement inhumain contre des personnes d’origine nationale ou ethnique arménienne, sur le fondement de cette origine, en violation du paragraphe 1 de l’article 2, de l’alinéa a) de l’article 4 et de l’alinéa b) de l’article 5 de la CIEDR.
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80. L’Azerbaïdjan soutient que les griefs concernant des membres des forces armées arméniennes dans le contexte des « hostilités actives » ne peuvent constituer une discrimination
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raciale au sens de la CIEDR, et que seules les demandes concernant des civils dans ce même contexte, qui ont été « particularisées » par des preuves précises de discrimination raciale, sont « susceptibles » de relever de la convention, et donc de la compétence ratione materiae de la Cour (voir ci-dessus, paragraphe 28).
81. L’Azerbaïdjan affirme que l’Arménie n’a présenté aucun fait susceptible de démontrer que le comportement en cause était fondé sur l’origine nationale ou ethnique des victimes présumées. Il avance au contraire que ces actes ont pu être motivés par le fait que les personnes en question étaient des ressortissants ou des membres des forces armées d’un État ennemi, ou étaient perçues comme étant responsables des « crimes de guerre passés commis par les forces armées arméniennes » ou comme étant associées à « ceux qui avaient occupé le territoire de l’Azerbaïdjan et commis des atrocités contre les Azerbaïdjanais ».
82. L’Azerbaïdjan avance également que, pour de nombreux faits, l’Arménie s’appuie exclusivement sur l’existence d’un supposé « sentiment arménophobe » général ou d’une prétendue « animosité raciale globale » qui ne saurait selon lui prouver qu’un acte particulier était motivé par des considérations raciales. Il soutient qu’une telle « antipathie généralisée » ne suffit pas à faire entrer les demandes spécifiques de l’Arménie dans le champ d’application de la CIEDR. Il souligne aussi que « la grande majorité » des déclarations citées par l’Arménie pour illustrer le supposé sentiment arménophobe général dénote une critique de l’État arménien et de son armée, et non des personnes d’origine ethnique arménienne.
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83. L’Arménie, pour sa part, conteste les tentatives de l’Azerbaïdjan pour différencier les soldats des civils, ainsi que les périodes avec ou sans « hostilités actives », car ce sont là des distinctions du droit international humanitaire qui ne trouvent aucun fondement dans la CIEDR. Elle affirme avoir présenté de nombreuses preuves relatives à des actes de violence commis par les forces armées azerbaïdjanaises contre des militaires et des civils d’origine ethnique arménienne, lesquels sont susceptibles de constituer des violations de la CIEDR. Elle s’appuie sur plus d’une centaine de vidéos ainsi que sur des photographies et d’autres informations dont elle estime qu’elles démontrent que des faits de meurtre, de torture et de traitement inhumain ont été motivés par une animosité à l’égard des personnes d’origine ethnique arménienne. L’Arménie affirme également qu’elle a soumis les témoignages de plus de 60 anciens prisonniers de guerre et détenus civils arméniens ayant tous affirmé avoir subi des sévices pour des motifs raciaux.
84. L’Arménie dénonce en outre des actes spécifiques, tels que le meurtre de civils âgés d’origine ethnique arménienne dans le Haut-Karabakh. Elle affirme qu’il s’agissait de ressortissants azerbaïdjanais qui ont été pris pour cible en raison de leur origine ethnique arménienne, et que ces cas démontrent que les mauvais traitements allégués ne peuvent s’expliquer par la haine envers les ressortissants arméniens.
85. Au sujet des mauvais traitements infligés à des civils arméniens qui auraient illégalement franchi la frontière ou la « ligne de contact », terme employé par les Parties pour désigner la limite séparant les territoires contrôlés par leurs forces armées respectives, l’Arménie renvoie à plusieurs décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, qui a jugé que l’Azerbaïdjan avait manqué de rechercher « si la haine ethnique avait joué un rôle » dans le décès de détenus ayant subi des sévices graves pendant leur détention.
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86. L’Arménie affirme également que les « innombrables » cas individuels de mauvais traitements imputables à l’Azerbaïdjan ne peuvent être pleinement compris qu’à la lumière de la haine à l’égard des personnes d’origine ethnique arménienne qui est systématiquement propagée dans l’ensemble de la société azerbaïdjanaise. Selon elle, cette « politique publique de haine raciale établie de longue date » se manifeste dans des déclarations de hauts responsables du Gouvernement azerbaïdjanais et dans les manuels scolaires, ainsi que par l’existence de timbres-poste racistes et du dénommé « parc des trophées militaires ». L’Arménie relève en outre que des préoccupations concernant le sentiment arménophobe en Azerbaïdjan ont été exprimées par le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale (ci-après, le « Comité de la CIEDR) et dans de nombreux rapports indépendants.
87. L’Arménie soutient que des soldats azerbaïdjanais ont maintes fois commis des atrocités contre des personnes d’origine ethnique arménienne en reprenant des propos, comme le terme « chiens », popularisés par le chef de l’État azerbaïdjanais, et qu’il est « notoire que la population azerbaïdjanaise … reprodui[t] les discours de haine cautionnés par ses dirigeants ». Selon elle, on ne peut dire de ces propos qu’ils visent l’Arménie en tant que puissance occupante ou qu’il s’agit de simples critiques à l’égard d’un État étranger. L’Arménie argue en outre qu’on ne peut considérer que les innombrables violations dont elle affirme que des personnes d’origine ethnique arménienne ont été victimes sont « sans rapport » avec le discours arménophobe raciste qui imprègne la société azerbaïdjanaise. Elle maintient que ses demandes au titre de la CIEDR ne reposent pas uniquement sur les préjugés arménophobes généralisés qui sont omniprésents dans la société azerbaïdjanaise, et que l’Azerbaïdjan a tort de prétendre qu’une telle animosité n’est pas pertinente pour analyser certains griefs spécifiques.
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88. La Cour rappelle que la CIEDR, contrairement au droit international humanitaire, ne fait pas de distinction entre les membres des forces armées et les civils. Compte tenu de cela, elle estime que les demandes de l’Arménie concernant des traitements discriminatoires infligés aux membres des forces armées comme aux civils sur le fondement de leur origine nationale ou ethnique entrent dans le champ d’application de la convention.
89. La Cour est d’avis que les faits allégués par l’Arménie sont susceptibles d’être constitutifs de discrimination à l’égard des membres des forces armées et des civils « fondée sur » leur origine nationale ou ethnique arménienne, ayant pour but ou pour effet de porter atteinte à des droits protégés par le paragraphe 1 de l’article 2, l’alinéa a) de l’article 4 et l’alinéa b) de l’article 5 de la CIEDR. Parmi ces faits figure le traitement qu’auraient subi des personnes d’origine ethnique arménienne résidant dans le Haut-Karabakh.
90. La Cour note que, si les arguments de l’Azerbaïdjan étaient fondés, il s’ensuivrait qu’une demande serait exclue de sa compétence ratione materiae au titre de la CIEDR s’il existait une quelconque autre explication ou interprétation du préjudice allégué par l’Arménie dans cette demande. Cependant, au stade de la compétence, la Cour doit déterminer seulement si les faits allégués sont susceptibles de constituer des violations de la convention et entrent donc dans son champ d’application.
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91. La Cour observe que la discrimination raciale est un phénomène qui peut être étroitement lié au contexte dans lequel il s’inscrit, et qu’il peut être nécessaire, pour en établir l’existence, de procéder à un examen attentif des faits et de leurs implications. La question de savoir si les éléments soumis par l’Arménie à l’appui de ses demandes suffisent à démontrer que les actes allégués de discrimination étaient effectivement fondés sur l’origine nationale ou ethnique des victimes est une question qui relève du fond et qui ne peut être tranchée au stade actuel de la procédure.
92. De même, il n’y a pas lieu pour la Cour, à ce stade, d’examiner les déclarations ou autres éléments de preuve spécifiques présentés par l’Arménie pour déterminer si les propos tenus par des ressortissants azerbaïdjanais dans un contexte particulier attestent une hostilité à l’égard des Arméniens fondée sur leur origine ethnique ou un autre motif prohibé. Il appartient à l’Arménie de produire, au stade du fond, des éléments convaincants pour établir que les actes en cause sont constitutifs de discrimination raciale au sens du paragraphe 1 de l’article premier de la CIEDR, ce que l’Azerbaïdjan sera ensuite en droit de contester (Application de la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme et de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Ukraine c. Fédération de Russie), arrêt du 31 janvier 2024, par. 171).
93. En ce qui concerne les éléments dont l’Arménie prétend qu’ils prouvent l’animosité généralisée à l’égard des Arméniens, la Cour a déjà conclu qu’une rhétorique « encourageant la haine raciale ainsi que l’incitation à la discrimination raciale » pouvaient propager « un climat imprégné de racisme », d’autant plus lorsqu’elles sont le fait de « hauts responsables de l’État », et accroître le risque d’atteinte à l’intégrité physique de membres du groupe protégé (voir Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Arménie c. Azerbaïdjan), mesures conservatoires, ordonnance du 7 décembre 2021, C.I.J. Recueil 2021, p. 389, par. 83).
94. La Cour note que l’Azerbaïdjan ne conteste pas sa compétence à l’égard des demandes de l’Arménie concernant la glorification qu’il aurait faite de la violence raciale ou les discours haineux qui auraient visé les personnes d’origine ethnique arménienne. Elle considère que l’existence présumée d’un climat général empreint de sentiments et de discours exprimant une discrimination raciale est un élément pertinent pour évaluer si, comme l’affirme l’Arménie, certains des actes dont celle-ci tire grief sont susceptibles d’emporter manquement aux obligations imposées par la CIEDR. Il n’y a pas lieu pour la Cour, à ce stade de la procédure, de déterminer dans quelle mesure un tel sentiment « arménophobe » généralisé, s’il est avéré, peut servir à démontrer que des actes donnés étaient « fondé[s] sur » des motifs prohibés par le paragraphe 1 de l’article premier de la convention.
95. En conséquence, la Cour conclut que les demandes de l’Arménie concernant des faits allégués de meurtre, de torture et de traitement inhumain qui auraient été commis contre des personnes d’origine ethnique arménienne sur le fondement de considérations raciales relèvent du paragraphe 1 de l’article 2, de l’alinéa a) de l’article 4 et de l’alinéa b) de l’article 5 de la CIEDR.
2. Détention arbitraire et disparition forcée
96. Au sujet des demandes de l’Arménie relatives à la supposée détention arbitraire de personnes d’origine ethnique arménienne, l’Azerbaïdjan affirme que les ressortissants arméniens qui ont franchi la ligne de contact ont été arrêtés uniquement parce qu’ils étaient des ressortissants d’un « État occupant hostile » entrés « illégalement » sur un territoire qu’il contrôlait. Il soutient que ces demandes échappent par conséquent à la compétence ratione materiae de la Cour au titre de la
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CIEDR. S’agissant des prisonniers de guerre qui auraient été détenus en raison de leur origine ethnique, l’Azerbaïdjan argue que leur détention et leur libération sont régies par le droit international humanitaire et que les prisonniers qui sont toujours sous sa garde ont été déclarés coupables de crimes graves, notamment de torture et de meurtre. Il maintient que les personnes d’origine ethnique arménienne sont jugées par ses tribunaux conformément aux exigences d’une procédure régulière. Par conséquent, du point de vue de l’Azerbaïdjan, l’Arménie n’a présenté aucun fait susceptible d’établir des détentions arbitraires « fondée[s] sur » l’origine ethnique arménienne des intéressés, et ses demandes à ce sujet échappent à la compétence de la Cour au titre de l’article 22 de la CIEDR.
97. L’Azerbaïdjan avance de même que les demandes de l’Arménie portant sur la supposée disparition forcée de personnes d’origine ethnique arménienne pendant le conflit de 2020 et les hostilités qui ont suivi échappent au champ d’application de la CIEDR et, partant, à la compétence ratione materiae de la Cour. Selon lui, l’Arménie a pour seul argument que ces demandes s’inscrivent « dans le contexte de l’incessante rhétorique haineuse de l’Azerbaïdjan à l’endroit des personnes d’origine ethnique arménienne ». L’Azerbaïdjan fait valoir qu’une telle « rhétorique » ne peut servir de prétexte pour convertir en violations de la CIEDR des griefs de l’Arménie qui en soi sont sans rapport avec cet instrument. Il maintient que la convention ne s’applique pas à la disparition forcée en l’absence d’éléments de preuve spécifiques mettant en évidence une différence de traitement fondée sur l’origine ethnique.
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98. Pour sa part, l’Arménie affirme que ses demandes concernant la détention arbitraire de personnes d’origine ethnique arménienne sont étayées par les nombreuses preuves relatives aux cas de telles personnes ayant été maltraitées en détention. Selon elle, le fait de priver des personnes d’origine nationale ou ethnique arménienne d’une procédure régulière ou de leur réserver, à tout moment de leur détention, quelque autre traitement injuste en lien avec cette détention, sur le fondement de leur origine, constitue une détention arbitraire qui emporte violation de la CIEDR. L’Arménie fait valoir que certains des cas qu’elle dénonce concernent des personnes d’origine ethnique arménienne qui n’ont pas la nationalité arménienne et qui ont été arrêtées à l’entrée du territoire azerbaïdjanais pour la simple raison qu’elles avaient un patronyme arménien. Elle estime que ces exemples décrédibilisent la thèse de l’Azerbaïdjan qui voudrait que tout comportement répréhensible ait été motivé uniquement par la nationalité actuelle des personnes visées et par l’hostilité générale entre deux États engagés dans un conflit armé. S’appuyant également sur le témoignage de détenus d’origine ethnique arménienne, l’Arménie avance que « chacune des personnes d’origine ethnique arménienne détenues par l’Azerbaïdjan … a subi des actes de torture ou d’autres sévices pendant sa détention, aussi bien au cours des hostilités armées qu’en temps de paix ».
99. L’Arménie soutient que ses demandes relatives à la détention arbitraire sont liées au grief exposé dans son mémoire au sujet de l’inégalité de traitement que subissent les personnes d’origine ethnique arménienne dans le système judiciaire azerbaïdjanais, que l’Azerbaïdjan ne conteste pas dans ses exceptions préliminaires. Selon elle, les personnes d’origine arménienne sont systématiquement, de façon discriminatoire, privées du droit à un procès équitable et jugées à l’issue de « simulacres de procès », et un « climat général hostile aux Arméniens » règne dans le système judiciaire azerbaïdjanais. À cet égard, l’Arménie renvoie à des décisions de la Cour européenne des droits de l’homme et à des rapports de la commission européenne contre le racisme et l’intolérance, du département d’État américain et d’autres organismes.
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100. En ce qui concerne ses demandes relatives à la disparition forcée, l’Arménie fait valoir que la plupart des éléments qu’elle a produits en lien avec des faits discriminatoires de violence et de détention arbitraire sont également pertinents à cet égard. S’appuyant sur certains cas précis, elle avance que de nombreuses personnes d’origine ethnique arménienne ayant subi des sévices sous la garde de l’Azerbaïdjan ont aussi été victimes de disparition forcée, puisque l’Azerbaïdjan refuse d’admettre qu’il les a détenues ou tuées. Il s’agit notamment de personnes d’origine ethnique arménienne que l’Azerbaïdjan considère comme des citoyens azerbaïdjanais.
101. À l’appui de ses allégations, l’Arménie invoque les inquiétudes exprimées dans des rapports d’organismes des Nations Unies, ainsi que par le Comité de la CIEDR, qui s’est dit « profondément préoccupé » par des informations faisant état de « prisonniers de guerre et d’autres personnes protégées » ayant fait l’objet en Azerbaïdjan de « détentions arbitraires ». Le Comité a également exhorté l’Azerbaïdjan à, entre autres, mener des enquêtes efficaces sur les « disparitions forcées » de personnes protégées perpétrées « par les forces militaires azerbaïdjanaises » (Nations Unies, Comité de la CIEDR, observations finales concernant le rapport de l’Azerbaïdjan valant dixième à douzième rapports périodiques, doc. CERD/C/AZE/CO/10-12 (22 septembre 2022), par. 4 a) et 5 a)). L’Arménie en conclut que la détention arbitraire et la disparition forcée de personnes d’origine ethnique arménienne dont elle tire grief sont susceptibles d’être constitutives de discrimination raciale au sens de la CIEDR.
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102. Sur le fondement de ce qui précède, et compte tenu notamment des raisons exposées aux paragraphes 90 à 94, la Cour est d’avis que les faits allégués par l’Arménie concernant la détention arbitraire et la disparition forcée de civils d’origine ethnique arménienne sont susceptibles de constituer un traitement discriminatoire « fondé[] sur » l’origine nationale ou ethnique arménienne ayant pour but ou pour effet de porter atteinte à des droits protégés par l’article 2 et l’alinéa a) de l’article 5 de la CIEDR. Parmi ces faits figure le traitement qu’auraient subi des personnes d’origine ethnique arménienne résidant dans le Haut-Karabakh.
103. En conséquence, la Cour conclut que les demandes de l’Arménie concernant la détention arbitraire et la disparition forcée alléguées de personnes d’origine ethnique arménienne sur le fondement de considérations raciales relèvent de l’article 2 et de l’alinéa a) de l’article 5 de la CIEDR.
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104. À la lumière de tout ce qui précède, la Cour juge que les demandes présentées par l’Arménie aux sections I, III et IV du chapitre 3 de la partie VI de son mémoire (voir ci-dessus, paragraphe 27) entrent dans le champ d’application de la CIEDR. En conséquence, elle conclut que la seconde exception préliminaire d’incompétence soulevée par l’Azerbaïdjan doit être rejetée.
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105. Par ces motifs,
LA COUR,
1) Par seize voix contre une,
Rejette la première exception préliminaire soulevée par la République d’Azerbaïdjan ;
POUR : M. Salam, président ; Mme Sebutinde, vice-présidente ; MM. Tomka, Abraham, Yusuf, Mme Xue, MM. Bhandari, Iwasawa, Nolte, Mme Charlesworth, MM. Brant, Gómez Robledo, Mme Cleveland, MM. Aurescu, Tladi, juges ; M. Daudet, juge ad hoc ;
CONTRE : M. Koroma, juge ad hoc ;
2) Par quinze voix contre deux,
Rejette la seconde exception préliminaire soulevée par la République d’Azerbaïdjan ;
POUR : M. Salam, président ; Mme Sebutinde, vice-présidente ; MM. Tomka, Abraham, Mme Xue, MM. Bhandari, Iwasawa, Nolte, Mme Charlesworth, MM. Brant, Gómez Robledo, Mme Cleveland, MM. Aurescu, Tladi, juges ; M. Daudet, juge ad hoc ;
CONTRE : M. Yusuf, juge ; M. Koroma, juge ad hoc ;
3) Par quinze voix contre deux,
Dit qu’elle a compétence, sur la base de l’article 22 de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, pour connaître de la requête déposée par la République d’Arménie le 16 septembre 2021.
POUR : M. Salam, président ; Mme Sebutinde, vice-présidente ; MM. Tomka, Abraham, Mme Xue, MM. Bhandari, Iwasawa, Nolte, Mme Charlesworth, MM. Brant, Gómez Robledo, Mme Cleveland, MM. Aurescu, Tladi, juges ; M. Daudet, juge ad hoc ;
CONTRE : M. Yusuf, juge ; M. Koroma, juge ad hoc.
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Fait en anglais et en français, le texte anglais faisant foi, au Palais de la Paix, à La Haye, le douze novembre deux mille vingt-quatre, en trois exemplaires, dont l’un restera déposé aux archives de la Cour et les autres seront transmis respectivement au Gouvernement de la République d’Arménie et au Gouvernement de la République d’Azerbaïdjan.
Le président,
(Signé) Nawaf SALAM.
Le greffier,
(Signé) Philippe GAUTIER.
M. le juge YUSUF joint à l’arrêt l’exposé de son opinion dissidente ; M. le juge IWASAWA joint à l’arrêt l’exposé de son opinion individuelle ; M. le juge ad hoc KOROMA joint à l’arrêt l’exposé de son opinion dissidente.
(Paraphé) N.S.
(Paraphé) Ph.G.
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Exceptions préliminaires soulevées par l'Azerbaïdjan
Arrêt du 12 novembre 2024