Demande en indication de mesures conservatoires

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182-20220227-WRI-01-00-EN
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Incidental Proceedings
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Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
DEMANDE EN INDICATION DE MESURES CONSERVATOIRES PRÉSENTÉE PAR L’UKRAINE
[Traduction]
I. INTRODUCTION
1. Le 25 février 2022, l’Ukraine a déposé devant la Cour une requête introductive d’instance contre la Fédération de Russie au sujet d’un différend relatif à l’interprétation, l’application et l’exécution de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (ci-après la «convention sur le génocide»). L’Ukraine soumet à la Cour la présente demande urgente en indication de mesures conservatoires, conformément à l’article 41 du Statut de la Cour et aux articles 73, 74 et 75 de son Règlement. Au vu de l’extraordinaire urgence de la situation, elle prie respectueusement la Cour de convoquer une audience ou de prendre des mesures immédiates en réponse à sa demande dès le début de la semaine du 28 février 2022 ou le plus tôt possible après. De plus, en application du paragraphe 4 de l’article 74 du Règlement de la Cour, l’Ukraine prie la présidente de la Cour d’inviter la Fédération de Russie à cesser sur-le-champ toute action militaire sur son territoire dans l’attente de la tenue d’une audience, de manière que toute ordonnance de la Cour sur la demande en indication de mesures conservatoires puisse avoir les effets voulus.
2. Le 24 février 2022, à l’aube, la Fédération de Russie a engagé ce que le président Vladimir Poutine a appelé une «opération militaire spéciale» contre l’Ukraine. Le but déclaré de cette opération est, selon le président Poutine, de «faire cesser» le «génocide des millions de personnes qui vivent» dans les oblasts ukrainiens de Louhansk et de Donetsk (qui forment une région également appelée le Donbass)1. Le chef de l’Etat russe a plus précisément affirmé que «[l]e but de cette opération [était] de protéger les personnes soumises, depuis huit ans, aux exactions et au génocide du régime de Kiev»2. La Fédération de Russie soutient qu’elle entend «dénazifier l’Ukraine» et «traduire en justice ceux qui ont commis de nombreux crimes sanglants contre des civils»3. S’appuyant sur ces allégations de génocide, elle a immédiatement lancé, sans provocation préalable, une invasion de l’ensemble du territoire ukrainien, qui a déjà fait subir des préjudices désastreux à l’Ukraine et à sa population, tant au sein de l’armée que parmi les civils.
3. La Russie fonde ainsi expressément son «opération militaire spéciale» ⎯ qui est, dans les faits, une véritable et brutale invasion de l’Ukraine ⎯ sur un mensonge absurde : l’allégation dénuée de tout sens et de tout fondement selon laquelle un génocide serait en cours dans les oblasts ukrainiens de Louhansk et de Donetsk. La Russie et l’Ukraine sont toutes deux parties à la convention sur le génocide, qui définit celui-ci comme un crime du droit des gens et leur impose de s’engager à prévenir et à punir un tel crime. La Russie prétend que des actes de génocide ont eu lieu et qu’elle est fondée à entreprendre une action militaire en Ukraine afin de prévenir et de punir ces actes. L’Ukraine nie catégoriquement la survenance du moindre acte de génocide et maintient que la Russie ne dispose d’aucune base juridique valable pour entreprendre la moindre action contre l’Etat ukrainien et sur son territoire à des fins de prévention et de répression d’actes de génocide. Les Parties ont donc clairement un différend qui porte sur l’interprétation, l’application et l’exécution de la convention sur le génocide. Le président de la Fédération de Russie a ouvertement fondé son action militaire actuelle sur des questions qui relèvent de la convention sur le génocide : le déroulement
1 Allocution prononcée le 24 février 2022 par le président de la Fédération de Russie, http://en.kremlin.ru/ events/president/transcripts/statements/67843.
2 Ibid.
3 Ibid.
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d’un prétendu génocide sur le sol ukrainien, ainsi que les droits et obligations revendiqués par la Russie à l’égard de l’Ukraine du fait de ces actes allégués de génocide et dont elle se prévaut pour mener une opération militaire. Cette utilisation abusive de la notion de génocide pour justifier un comportement illicite et agressif est dégradante et avilissante eu égard à l’objet et au but de la convention, tout en mettant à mal les engagements solennels pris par les parties contractantes de prévenir et de punir de véritables cas de génocide.
4. La Cour doit instamment protéger l’Ukraine, dans l’attente du règlement du présent différend par ses soins. L’Ukraine fait actuellement face à des offensives militaires désastreuses et ce, en l’absence de la moindre provocation. Tant que ces actions se poursuivront, les droits de l’homme de la population ukrainienne continueront chaque jour d’être gravement bafoués. En ces circonstances inédites, l’Ukraine prie la Cour de bien vouloir indiquer de toute urgence des mesures conservatoires. Les allégations de la Russie concernant tant des actes de génocide qu’un droit d’agir pour prévenir et punir de tels actes constituent des prétentions juridiques qui relèvent de la convention sur le génocide. Le différend qui oppose les Parties au sujet des allégations russes doit être tranché par la Cour ou par d’autres moyens licites et pacifiques. En attendant qu’elle procède au règlement définitif de ce différend, la Cour doit préserver le statu quo et protéger la population ukrainienne en ordonnant à la Russie de suspendre son opération militaire insensée, laquelle est expressément fondée sur l’allégation mensongère et absurde selon laquelle elle chercherait à prévenir et à punir des actes de génocide.
II. LA COMPÉTENCE PRIMA FACIE DE LA COUR
5. La Cour a le pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires «si les dispositions invoquées par le demandeur semblent prima facie constituer une base sur laquelle sa compétence pourrait être fondée, mais n’a pas besoin de s’assurer de manière définitive qu’elle a compétence quant au fond de l’affaire» (Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar), mesures conservatoires, ordonnance du 23 janvier 2020, C.I.J. Recueil 2020, p. 9, par. 16).
6. L’article IX de la convention sur le génocide est ainsi libellé :
«Les différends entre les Parties contractantes relatifs à l’interprétation, l’application ou l’exécution de la présente Convention, y compris ceux relatifs à la responsabilité d’un Etat en matière de génocide ou de l’un quelconque des autres actes énumérés à l’article III, seront soumis à la Cour internationale de Justice, à la requête d’une partie au différend.»
7. L’Ukraine et la Fédération de Russie sont toutes deux parties à la convention sur le génocide et sont liées par son article IX.
8. «Conformément à la jurisprudence bien établie de la Cour, un différend est «un désaccord sur un point de droit ou de fait, une contradiction, une opposition de thèses juridiques ou d’intérêts» entre des parties» (Obligations relatives à des négociations concernant la cessation de la course aux armes nucléaires et le désarmement nucléaire (Iles Marshall c. Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (II), p. 849, par. 37 (citant Concessions Mavrommatis en Palestine, arrêt no 2, 1924, C.P.J.I. série A no 2, p. 11). L’Ukraine et la Fédération de Russie ont un différend qui porte sur l’interprétation, l’application et l’exécution de la convention sur le génocide.
9. Les allégations précises de la Fédération de Russie qui font référence à un génocide et l’invoquent comme fondement de son action militaire contre l’Ukraine sont notamment les suivantes :
a) Le 21 février 2022, le président de la Fédération de Russie a déclaré dans une allocution officielle qu’un «génocide» se déroulait en Ukraine, «auquel près de 4 millions de personnes [étaient] exposées»4.
b) Le 24 février 2022, le président de la Fédération de Russie a déclaré dans une allocution officielle, s’agissant des oblasts ukrainiens de Louhansk et de Donetsk : «Nous devions faire cesser ces atrocités, ce génocide contre les millions de personnes qui vivent là-bas et qui ont placé leurs espoirs en la Russie, en nous tous.»5
c) Le président de la Fédération de Russie a alors annoncé le lancement d’une «opération militaire spéciale», affirmant que «[l]e but de cette opération [était] de protéger les personnes soumises, depuis huit ans, aux exactions et au génocide du régime de Kiev»6. Il a ensuite déclaré : «Nous nous emploierons à démilitariser et à dénazifier l’Ukraine, ainsi qu’à traduire en justice ceux qui ont commis de nombreux crimes sanglants contre des civils, y compris des citoyens de la Fédération de Russie.»7
d) Parallèlement à l’allocution présidentielle russe du 24 février 2022, le représentant permanent de la Fédération de Russie auprès des Nations Unies a déclaré lors d’une réunion d’urgence du Conseil de sécurité de l’ONU que «[l]e but de cette opération spéciale [était] de protéger une population persécutée et exposée à un génocide par le régime de Kiev»8.
e) Au cours d’une conférence de presse donnée le 25 février 2022, le ministre russe des affaires étrangères, M. Sergey Lavrov, a lui aussi justifié les actions militaires de la Russie contre l’Ukraine par une volonté d’«empêcher les néo-nazis et les partisans des méthodes génocidaires de gouverner ce pays»9.
f) Dans un entretien accordé le 25 février 2022, l’ambassadeur de Russie auprès de l’Union européenne, interrogé à propos du «génocide» invoqué par le président Poutine à titre de justification des actes illicites russes contre l’Ukraine, a répondu : «Nous pouvons recourir au terme officiel de génocide tel qu’il a été conçu en droit international. A la lecture de sa définition, il se révèle bien adapté à la situation.»10
10. L’Ukraine nie catégoriquement qu’un quelconque acte de génocide se soit produit dans les oblasts ukrainiens de Louhansk et de Donetsk ou ailleurs sur le territoire ukrainien, et que la Russie dispose du moindre fondement juridique pour agir contre l’Etat ukrainien et sur son territoire dans le
4 Allocution prononcée le 21 février 2022 par le président de la Fédération de Russie, http://en.kremlin.ru/ events/president/transcripts/statements/67828.
5 Allocution prononcée le 24 février 2022 par le président de la Fédération de Russie, http://en.kremlin.ru/ events/president/transcripts/statements/67843.
6 Ibid.
7 Ibid.
8 Déclaration et réponse du représentant permanent, M. Vassily Nebenzia, lors du point de presse du Conseil de sécurité de l’ONU consacré à l’Ukraine, 23 février 2022, https://russiaun.ru/en/news/230222un.
9 TASS, “Kiev regime controlled by West, neo-Nazis, Lavrov says”, 25 février 2022, https://tass.com/ politics/1411139.
10 Georgi Gotev, EURACTIV, “Russian ambassador Chizhov: Nord Stream 2 is not dead, it’s a sleeping beauty”, 25 février 2022, https://www.euractiv.com/section/global-europe/interview/russian-ambass….
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but de prévenir et de punir des actes de génocide. En réponse aux prétentions russes, le ministère ukrainien des affaires étrangères a publié une déclaration selon laquelle l’Ukraine «ni[ait] vigoureusement les allégations de génocide formulées par la Russie et s’oppos[ait] à toute tentative de recours à de telles allégations sournoises pour justifier l’agression illicite de celle-ci», faisant observer que, au regard de la convention sur le génocide, «les prétentions russes sont infondées et absurdes»11.
11. Par conséquent, un différend d’ordre factuel oppose les Parties quant à la survenance actuelle ou passée d’un génocide, tel que défini à l’article II de la convention sur le génocide, dans les oblasts ukrainiens de Louhansk et de Donetsk. Un différend d’ordre juridique les oppose également quant à la question de savoir si, en conséquence de son affirmation unilatérale selon laquelle un génocide serait en cours, la Russie dispose d’un quelconque fondement juridique justifiant l’engagement d’une action militaire contre l’Etat ukrainien et sur son territoire pour prévenir et punir un génocide en vertu de l’article premier de la convention sur le génocide. Les Parties ont en outre un différend quant à l’application de l’article VIII de cette convention qui pose la question de savoir si la Russie est fondée à prendre unilatéralement de telles mesures militaires lorsque cette disposition prévoit que les parties contractantes peuvent saisir «les organes compétents de l’Organisation des Nations Unies afin que ceux-ci prennent, conformément à la Charte des Nations Unies, les mesures qu’ils jugent appropriées pour la prévention et la répression des actes de génocide» ; la Russie, du reste, n’agit pas d’une manière conforme à la Charte. Il s’ensuit que le différend opposant les Parties au sujet, premièrement, de la survenance d’actes de génocide et, deuxièmement, de la prétention de la Russie, qui soutient être fondée en droit à engager une action militaire contre l’Etat ukrainien et sur son territoire pour punir et prévenir le génocide allégué, concerne l’interprétation, l’application et l’exécution de la convention sur le génocide. Aussi la Cour doit-elle reconnaître sa compétence à titre prima facie aux fins de l’indication de mesures conservatoires.
III. LES DROITS DONT L’UKRAINE RECHERCHE LA PROTECTION
12. L’Ukraine sollicite des mesures conservatoires afin de protéger son droit de ne pas faire l’objet d’une allégation mensongère de génocide et celui de ne pas subir d’opérations militaires menées sur son territoire par un autre Etat sur le fondement d’un abus éhonté de l’article premier de la convention sur le génocide.
13. Selon l’article premier de la convention sur le génocide, le génocide est un crime du droit des gens, que les parties contractantes s’engagent à prévenir et à punir. Compte tenu de la gravité du crime de génocide et de la solennité de cet engagement, le fait, pour un Etat partie, de se livrer à des actions illicites qu’il prétend être fondé à entreprendre afin de prévenir et de punir des actes allégués de génocide qui, manifestement, n’existent pas sape l’objet et le but de l’article premier de la convention et entache le caractère solennel de l’engagement pris par les parties contractantes de prévenir et de punir de tels actes.
14. La Cour a déjà eu l’occasion de dire que si la convention «n’impose pas expressis verbis aux Etats de s’abstenir de commettre eux-mêmes un génocide», c’est ce que l’obligation de prévenir le génocide «implique nécessairement» (Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 113, par. 1[6]6). L’obligation de prévenir et de punir le génocide implique
11 Déclaration du ministère ukrainien des affaires étrangères sur les allégations fallacieuses et insultantes de génocide formulées par la Russie qui lui servent de prétexte pour son agression militaire illicite, 26 février 2022, https://mfa.gov.ua/en/news/zayava-mzs-ukrayini-shchodo-nepravdivih-ta-o…- rosiyi-v-genocidi-yak-privodu-dlya-yiyi-protipravnoyi-vijskovoyi-agresiyi.
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tout aussi nécessairement d’être exécutée de bonne foi et de ne pas être dévoyée, une partie contractante ne pouvant infliger à une autre une attaque armée sous le fallacieux prétexte de prévenir et de punir un génocide. Toute autre application de la convention méconnaîtrait ce que la Cour a qualifié de principes «de morale et d’humanité» qui sont à la base de celle-ci. L’Ukraine a le droit de ne pas subir les actions illicites et préjudiciables que la Russie a expressément justifiées comme tendant à prévenir et à punir un génocide, dès lors qu’il n’existe en réalité aucune allégation plausible d’un tel crime.
15. L’article VIII de la convention indique en outre qu’une partie contractante qui prendrait des mesures prétendument destinées à empêcher et à punir un génocide ne peut, ce faisant, violer la Charte des Nations Unies. Aux termes de cet article, «[t]oute partie contractante peut saisir les organes compétents de l’Organisation des Nations Unies afin que ceux-ci prennent, conformément à la Charte des Nations Unies, les mesures qu’ils jugent appropriées pour la prévention et la répression des actes de génocide ou de l’un quelconque des autres actes énumérés à l’article III». La Cour a également reconnu, s’agissant des actions entreprises conformément à l’obligation de prévenir le génocide énoncée dans la convention sur le génocide, qu’«il est clair que chaque Etat ne peut déployer son action que dans les limites de ce que lui permet la légalité internationale» (Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 221, par. 430). L’action militaire engagée par la Russie contre un Etat souverain sur le fondement d’une allégation manifestement mensongère de génocide n’est pas conforme à la convention ni aux dispositions de la Charte visées en son article VIII, et excède par conséquent les limites admises par le droit international.
16. L’invasion de l’Ukraine menée par la Fédération de Russie sur le fondement d’une allégation mensongère de génocide est donc incompatible avec la convention sur le génocide et viole les droits de l’Ukraine. Les droits revendiqués par l’Ukraine en l’espèce sont au moins plausibles, ce qui suffit à justifier l’indication de mesures conservatoires.
IV. LE RISQUE DE PRÉJUDICE IRRÉPARABLE ET LE CARACTÈRE D’URGENCE
17. Comme elle a eu l’occasion de le dire, la Cour estime qu’il y a lieu d’indiquer des mesures conservatoires lorsque la situation est «instable et pourrait changer rapidement» et, lorsque des «tensions» existent, en l’absence de «règlement global d[’un] conflit [en cours]» (voir Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du 15 octobre 2008, C.I.J. Recueil 2008, p. 396, par. 143). De même, des mesures conservatoires ont été prescrites dans des cas où des conflits ou d’autres «incidents [similaires] s[’étaient] produits à diverses reprises … causant des pertes en vies humaines, des blessés et des déplacements de populations» (Demande en interprétation de l’arrêt du 15 juin 1962 en l’affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande) (Cambodge c. Thaïlande), mesures conservatoires, ordonnance du 18 juillet 2011, C.I.J. Recueil 2011 (II), p. 550, par. 53).
18. L’urgence de la situation actuelle est évidente. L’Ukraine sollicite des mesures conservatoires afin de protéger sa population du dommage irréparable que pourraient causer les mesures militaires que la Russie a engagées en prenant prétexte d’un génocide, au mépris d’une application de bonne foi de la convention. Les mesures militaires prises par la Fédération de Russie pour punir l’Ukraine d’avoir commis un prétendu génocide dans les oblasts de Louhansk et de Donetsk constituent une invasion de grande ampleur de l’Ukraine aux fronts multiples. Si cette agression devait se poursuivre en toute impunité, il est à craindre que bon nombre de vies humaines et de biens soient irrémédiablement perdus et qu’une crise humanitaire se produise ; c’est même là une certitude. A l’heure où nous déposons la présente demande, l’invasion russe a fait de nombreuses
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victimes parmi les civils et les militaires ukrainiens, entraîné le bombardement de nombreuses villes sur l’ensemble du territoire ukrainien et provoqué le déplacement de dizaines de milliers de citoyens ukrainiens à l’intérieur et à l’extérieur des frontières internationales de l’Ukraine.
19. Il convient également de relever que l’agression actuellement menée par la Russie contre l’Ukraine s’inscrit dans le contexte du soutien que la Russie apporte depuis des années à des groupes armés illicites en Ukraine orientale, lesquels ont pris pour cible des civils et commis des actes terroristes, et de l’occupation illicite de la Crimée, laquelle a notamment donné lieu à une campagne de discrimination raciale et à d’autres violations des droits de l’homme. La population ukrainienne est vulnérable et a besoin de la protection de la Cour, et l’urgence de la situation est manifeste (voir Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du 15 octobre 2008, C.I.J. Recueil 2008, p. 396, par. 143). A mesure que les jours passent et que l’invasion russe se poursuit sur le fondement d’une prémisse mensongère, en violation de la convention, beaucoup d’autres vies humaines et biens seront perdus en Ukraine, et l’instabilité ne fera que s’accroître pour la population ukrainienne.
V. LES MESURES DEMANDÉES
20. Au vu des faits exposés ci-dessus, et afin d’éviter qu’un préjudice irréparable ne soit causé à ses droits et à ceux de sa population et que le différend qui oppose les Parties en ce qui concerne la convention sur le génocide ne s’aggrave ou ne s’étende, l’Ukraine prie respectueusement la Cour d’indiquer les mesures conservatoires suivantes :
a) La Fédération de Russie doit suspendre immédiatement les opérations militaires commencées le 24 février 2022 ayant pour but et objectif déclarés la prévention et la répression d’un prétendu génocide dans les oblasts ukrainiens de Donetsk et de Louhansk.
b) La Fédération de Russie doit veiller immédiatement à ce qu’aucune des unités militaires ou unités armées irrégulières qui pourraient relever de son autorité ou bénéficier de son appui, ni aucune organisation ou personne qui pourrait se trouver sous son contrôle, son autorité ou son influence ne prenne de mesures en soutien aux opérations militaires ayant pour but et objectif déclarés la prévention et la répression d’un génocide que commettrait l’Ukraine.
c) La Fédération de Russie doit s’abstenir de tout acte susceptible d’aggraver ou d’étendre le différend qui constitue l’objet de la requête ou d’en rendre le règlement plus difficile, et donner des assurances à cet égard.
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d) La Fédération de Russie doit rendre compte à la Cour des mesures prises pour exécuter l’ordonnance en indication de mesures conservatoires dans un délai d’une semaine à compter de la date de celle-ci, puis à intervalles réguliers, dans les délais qui seront fixés par la Cour.
Le représentant permanent du président de l’Ukraine en République autonome de Crimée,
agent de l’Ukraine,
(Signé) Anton KORYNEVYCH.
La directrice du département du droit international au ministère des affaires étrangères de l’Ukraine, coagente de l’Ukraine,
(Signé) Oksana ZOLOTARYOVA.
Le 26 février 2022.
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