Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
15762
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
AFFAIRE DES ACTIVITÉS ARMÉES SUR LE TERRITOIRE DU CONGO
(RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO c. OUGANDA)
OBSERVATIONS DE L’OUGANDA SUR LES RÉPONSES DE LA RDC
AUX QUESTIONS POSÉES PAR LA COUR
EN DATE DU 11 JUIN 2018
7 janvier 2019
[Traduction du Greffe]
TABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION ................................................................................................................................... 1
QUESTION 1 ........................................................................................................................................ 5
QUESTION 2 ...................................................................................................................................... 36
QUESTION 3 ...................................................................................................................................... 51
QUESTION 4 ...................................................................................................................................... 57
QUESTION 5 ...................................................................................................................................... 69
QUESTION 6 ...................................................................................................................................... 76
QUESTION 7 ...................................................................................................................................... 77
QUESTION 8 ...................................................................................................................................... 80
QUESTION 9 ...................................................................................................................................... 84
QUESTION 10 .................................................................................................................................... 86
QUESTION 11 .................................................................................................................................... 88
QUESTION 12 .................................................................................................................................... 94
QUESTION 13 .................................................................................................................................... 96
QUESTION 14 .................................................................................................................................. 102
QUESTION 15 .................................................................................................................................. 106
QUESTION 16 .................................................................................................................................. 110
QUESTION 17 .................................................................................................................................. 111
LISTE DES APPENDICES ................................................................................................................... 114
INTRODUCTION
Comme suite à la lettre no 151390 de la Cour en date du 4 décembre 2018, l’Ouganda soumet
respectueusement les présentes observations sur les réponses de la RDC aux questions que la Cour
a posées aux Parties en vertu de l’article 62 de son Règlement.
L’Ouganda est reconnaissant à la Cour de lui avoir accordé la possibilité de soumettre ces
observations. Il lui sait gré, également, de la souplesse dont elle a fait preuve en adaptant la date
d’expiration du délai fixé pour leur dépôt, compte tenu des difficultés rencontrées par la RDC pour
présenter ses réponses, et en particulier les annexes de celles-ci, en temps voulu et de manière
structurée. Les observations spécifiques de l’Ouganda sur chacune des réponses de la RDC aux
17 questions posées par la Cour seront exposées après la présente introduction. Il s’agit
d’observations de nature générale qui se rapportent aux réponses congolaises dans leur ensemble.
L’Ouganda commence par relever que, en dépit de la possibilité qui lui a été donnée de
traiter les points intéressant la Cour, la RDC ne répond pas, de manière générale, aux questions
réellement posées. Au lieu de cela, elle récapitule dans une large mesure les arguments déjà
avancés dans son mémoire, sur la base des éléments de preuve qu’elle y avait déjà inclus.
Lorsque la Cour sollicite des preuves supplémentaires, la RDC manque globalement de lui
en fournir, se contentant de reproduire nombre de documents qu’elle avait déjà joints à son
mémoire sous de nouveaux numéros d’annexes. Or, comme l’Ouganda l’a exposé dans son
contre-mémoire, ces documents sont dépourvus de valeur probante et ne présentent nullement le
degré de précision que la Cour avait déclaré nécessaire pour pouvoir faire droit aux demandes de
réparation de la RDC1.
S’agissant des nouveaux éléments de preuve que la RDC joint à ses réponses, il s’agit pour la
plupart des «fiches d’identification de victime» demandées par la Cour dans le cadre de sa première
question. Comme le montrera l’Ouganda dans ses observations y afférentes, ces fiches, examinées
individuellement et conjointement, ne constituent pas des preuves fiables susceptibles de servir de
base à l’octroi d’une indemnisation. La majeure partie d’entre elles ne précisent même pas
l’identité des victimes du préjudice allégué, se limitant à la mention «non signalé». En outre, aucun
document corroborant ne leur est jamais associé. A quoi s’ajoute encore, notamment, le fait que
quantité d’entre elles sont illisibles, mentionnent comme «auteurs présumés» d’autres protagonistes
que l’Ouganda ou ne contiennent aucune évaluation du préjudice allégué.
Outre les lacunes évidentes que présentent les fiches d’identification de victime fournies par
la RDC, il existe d’autres raisons, plus générales et d’ordre systémique, d’en mettre en doute la
fiabilité. Selon son mémoire, la RDC aurait créé, un peu après 2005, une «Commission d’experts»
ayant réalisé un «travail ... étendu de collecte de données» et dépêché des «équipes» en différents
endroits pour recueillir auprès des victimes des «formulaires de réclamation» signés faisant état des
préjudices qu’elles auraient subis2. Autrement dit, les fiches d’identification de victime ont été
spécialement établies aux fins de la présente affaire, des années après les faits en cause, par une
partie intéressée. La RDC reconnaît d’ailleurs elle-même que le «travail de collecte des
informations auprès des victimes ..., réalisé plusieurs années après la fin de la guerre, s’est révélé
1 Voir Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt,
C.I.J. Recueil 2005 (ci-après «Activités armées (2005)»), par. 2[60] (où il est indiqué que la RDC «aurait ainsi l’occasion
de démontrer, en en apportant la preuve, le préjudice exact qu’elle a subi du fait des actions spécifiques de l’Ouganda
constituant des faits internationalement illicites dont il est responsable»).
2 Mémoire de la République démocratique du Congo sur la question des réparations (septembre 2016) (ci-après
«MRDCR»), par. 1.30-1.35.
1
2
- 2 -
particulièrement difficile et délicat» en raison de la «difficulté pour ces dernières de se remémorer
les circonstances précises» et de «retrouver les documents officiels»3.
Abstraction faite de l’«explication» laconique susmentionnée, la RDC n’a, du reste, pas
fourni de description détaillée de la méthode qu’elle a suivie pour recueillir ses fiches
d’identification de victime. Cette omission soulève des préoccupations évidentes : lorsqu’un agent
de l’Etat prend contact avec quelqu’un et l’informe qu’une juridiction internationale pourrait
prescrire l’octroi d’une indemnisation en sa faveur à condition que l’intéressé remplisse un
formulaire, il est raisonnablement permis de douter de l’objectivité des informations qu’il
obtiendra. Ces préoccupations ne sont qu’avivées en l’absence d’éléments de preuve concordants,
surtout lorsque de tels éléments devraient exister, que ce soit sous la forme de photographies, de
factures, de dossiers médicaux, de devis des travaux de reconstruction, de rapports de police, etc.
La RDC cherche à se justifier de ne pas avoir produit de preuves plus solides en affirmant
que «l’Ouganda avait intérêt à effacer les traces d[e celles] qui pouvaient être utilisées en sa
défaveur»4 et que «l’occupation ougandaise n’[a] pas permis au gouvernement [congolais] de faire
un recensement exhaustif des personnes ayant subi un préjudice du fait de la guerre d’agression»5.
L’Ouganda rejette catégoriquement la première allégation. La RDC n’invoque aucun élément
attestant qu’il se serait effectivement comporté ainsi, et la Cour n’a formulé aucune conclusion en
ce sens dans son arrêt de 2005. L’assertion congolaise n’est rien d’autre que cela : une simple
assertion, dépourvue de fondement. Au surplus, aucune juridiction internationale n’a jamais retenu
une telle présomption.
S’agissant de la seconde justification avancée, l’Ouganda fait observer que, à compter de son
retrait définitif du territoire congolais (juin 2003), rien n’empêchait plus la RDC de recueillir
d’éventuelles preuves. La RDC aurait pu prendre des photographies. Elle aurait pu se procurer, au
moment des faits en cause ou à tout le moins peu après, des déclarations circonstanciées et signées.
Elle aurait pu obtenir des dossiers médicaux, des devis ou factures de travaux de reconstruction, ou
encore d’autres documents. Or, la RDC semble avoir attendu des années avant de prendre la
moindre initiative, alors même que la présente affaire était déjà pendante devant la Cour.
Le comportement congolais en l’espèce contraste fortement avec celui des requérants dans
les affaires engagées à la suite de la guerre du Golfe de 1990-1991 et du conflit entre l’Ethiopie et
l’Erythrée. Contrairement à la RDC, ces derniers sont en effet parvenus, tant devant la Commission
d’indemnisation des Nations Unies (ou CINU) que devant la Commission des réclamations entre
l’Erythrée et l’Ethiopie (ou CREE), à réunir des éléments de preuve détaillés et fiables du type
susmentionné.
Plus révélatrice encore est la comparaison, défavorable à la RDC, entre l’absence d’éléments
de preuve produits par celle-ci en la présente espèce et les efforts déployés devant la Cour pénale
3 MRDCR, par. 1.33 («Ce travail de collecte des informations auprès des victimes elles-mêmes, réalisé plusieurs
années après la fin de la guerre, s’est révélé particulièrement difficile et délicat. Plusieurs éléments ont rendu complexe la
récolte de preuves sur le terrain, comme :
le faible niveau d’instruction de la majorité des victimes ;
la difficulté pour ces dernières de se remémorer les circonstances précises d’événements à la fois
profondément traumatisants et parfois déjà anciens ;
les difficultés de retrouver les documents officiels comme les pièces d’identité, certificats de décès,
etc. pour toute la période de guerre qui s’est caractérisée par une désorganisation profonde de tous
les services administratifs et publics»).
4 Réponses de la République démocratique du Congo aux questions posées par la Cour (26 novembre 2018)
(ci-après «RRDCQ»), p. 2.
5 RRDCQ, par. 1.2.
3
4
- 3 -
internationale (ci-après la «CPI»), dans les affaires Lubanga et Katanga, par les victimes
congolaises de faits commis à peu près au même moment et au même endroit. Dans ces affaires,
qui se rapportaient toutes deux au conflit en Ituri, des personnes privées congolaises ont été à
même de produire des preuves documentaires fiables à l’appui de leurs demandes. En l’espèce, en
revanche, les preuves qu’apporte la RDC se résument au néant, alors même qu’elle dispose de
toutes les ressources d’un Etat. Selon l’Ouganda, s’il en va ainsi, c’est plutôt parce que les éléments
de preuve n’étayent pas ses demandes excessives que pour l’une quelconque des raisons qu’elle
invoque.
En plus de solliciter des éléments de preuve supplémentaires, la Cour a invité la RDC à
exposer ses méthodes en ce qui concerne certains points essentiels. Là encore, plutôt que de donner
les explications demandées, cette dernière répète largement les arguments avancés dans son
mémoire, que l’Ouganda a pourtant déjà réfutés dans son contre-mémoire.
De fait, les justifications apportées par la RDC ne font que confirmer que ses demandes
d’indemnisation ne sont pas fondées sur des éléments attestant le préjudice exact causé par des
actions illicites spécifiques attribuables à l’Ouganda. Au lieu de cela, comme l’illustrent les réponses
de la RDC aux questions 1, 2, 3, 4, 5, 9, 10, 11, 12, 13, 14 et 15, lesdites demandes reposent sur des
«pourcentages», «clefs de répartition», «multiplicateurs», «estimations», «généralisations»,
«approximations» et autres «montants forfaitaires». Autant d’éléments arbitraires dont la
combinaison donne lieu à des demandes d’indemnisation parfaitement exorbitantes et dénuées de
tout fondement factuel.
Les «méthodes» de la RDC semblent avoir été conçues pour tourner les exigences
habituellement posées en matière de preuve dans les procédures interétatiques, qui, comme
l’Ouganda l’a démontré dans son contre-mémoire, supposeraient de produire des éléments
apportant de manière claire, fiable et directe la preuve de préjudices spécifiques, de l’existence
d’un lien de causalité entre ceux-ci et telles ou telles actions internationalement illicites de
l’Ouganda, ainsi que du bien-fondé de l’évaluation avancée6.
En l’état, l’approche suivie par la RDC rappelle davantage les techniques spécialisées
typiquement employées dans le cadre d’actions collectives par la Commission d’indemnisation des
Nations Unies, par exemple. Cette approche permet à deux ou plusieurs Etats de convenir (ou au
Conseil de sécurité, de décider) de s’écarter des règles traditionnelles du droit international relatives
aux réparations au profit d’une procédure prévoyant l’octroi d’une somme forfaitaire à chaque
membre d’une catégorie globale de requérants, sans distinguer ceux-ci en fonction du préjudice
effectivement subi. Il peut être envisagé de faire varier les montants forfaitaires en question selon
les catégories de préjudice, en fixant par exemple des critères de preuve a minima pour les
montants plus faibles tout en ménageant la possibilité d’adjuger des montants plus élevés en cas de
démonstration plus poussée.
Il n’en demeure pas moins que l’approche suivie par la RDC en la présente affaire n’offre
pas les garanties associées aux procédures de recours collectifs, qui sont très élaborées et supposent
généralement que chaque requérant produise à tout le moins un minimum d’éléments de preuve.
Ceux-ci sont ensuite soigneusement organisés dans une base de données, puis vérifiés à l’aide de
procédés hautement spécialisés : couplage de données, échantillonnage statistique et analyse de
régression. Entre autres caractéristiques importantes, ces techniques spécialisées prévoient que, si
l’échantillonnage aléatoire des éléments de preuve relatifs à une catégorie de réclamations montre
qu’une part des éléments de l’échantillon est impropre à établir le bien-fondé des réclamations
auxquelles il se rapporte, l’indemnisation accordée au titre de toutes les réclamations relevant de
cette catégorie est automatiquement réduite à proportion.
6 Contre-mémoire de l’Ouganda sur la question des réparations (6 février 2018) (ci-après «CMOR»),
par. 4.6-4.44.
5
6
- 4 -
Bien qu’elle semble vouloir adopter une approche du même type (sans toutefois reprendre
l’un quelconque des procédés ou garanties qui y sont en réalité associés), la RDC ne précise aucun
fondement juridique qui permettrait de le faire dans le cadre d’une procédure devant la Cour (et
pour cause : il n’y en a pas).
Si on la considère dans son ensemble, il apparaît clairement que la demande de la RDC est
dépourvue de fondement juridique et revient à inviter la Cour à statuer sur l’affaire ex aequo et
bono ou à imposer à l’Ouganda des dommages-intérêts punitifs sans lien aucun avec le préjudice
effectivement subi, ce qui serait dans les deux cas inadmissible. La demande congolaise est donc
incompatible avec les règles traditionnelles relatives à la responsabilité de l’Etat, le Statut de la
Cour et les termes exprès de l’arrêt de 2005.
L’Ouganda répète qu’il est conscient de la solennité des conclusions que la Cour a formulées
dans son arrêt de 2005 et ne cherche nullement à les remettre en cause. Dans le même temps, leur
solennité même montre que la Cour a, de fait, déjà accordé à la RDC une importante réparation sous
forme de satisfaction. Et si elle a bel et bien dit que l’Ouganda était tenu de réparer le préjudice
causé, la Cour a toutefois expressément subordonné cette obligation à l’instruction qu’elle a donnée
à la RDC d’apporter la preuve du préjudice exact qu’elle a subi du fait d’actions illicites
spécifiques de l’Ouganda.
Bien qu’elle ait disposé de plus de douze ans pour ce faire et qu’elle se soit vu accorder la
possibilité d’amender son argumentation, la RDC n’a toujours pas fourni à la Cour les éléments de
preuve ou d’explication requis pour justifier le montant exorbitant qu’elle réclame à titre
d’indemnisation.
7
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QUESTION 1
«La République démocratique du Congo (ci-après, la RDC) pourrait-elle
produire les «fiches d’identification de victime» qui ont été établies et rassemblées par
sa commission d’experts, et fournir tout autre renseignement dont elle pourrait
disposer au sujet de chaque victime ?»
OBSERVATIONS DE L’OUGANDA SUR LA RÉPONSE DE LA RDC
1.1. La réponse apportée par la RDC à la question 1 s’accompagne de quarante-cinq annexes,
dont six contiennent notamment les «fiches d’identification de victime» établies et rassemblées par
sa commission d’experts7. Aucune de ces quarante-cinq annexes ne comporte toutefois le moindre
élément de preuve justifiant les réparations que la RDC sollicite.
1.2. Les deux premières annexes (1.0.1 et 1.0.2) sont des résolutions de l’Assemblée
générale des Nations Unies citées dans la réponse de la RDC à la question 1. Les quarante-et-une
suivantes (1.1 à 1.10 F) contiennent soit les fiches d’identification de victime soit des listes ou
tableaux censés en résumer le contenu. Les deux dernières présentent un enregistrement vidéo
concernant les hostilités qui ont secoué Kisangani (annexe 1.11) et un rapport établi par la RDC
(annexe 1.12).
1.3. Dans la première partie des présentes observations, l’Ouganda expose les raisons pour
lesquelles les fiches d’identification de victime et documents y afférents présentés par la RDC ne
constituent pas des éléments de preuve fiables susceptibles de justifier les réparations qu’elle
sollicite. Dans la seconde partie, il démontre succinctement qu’il en va de même de
l’enregistrement vidéo et du rapport que la RDC a soumis.
I. Les fiches d’identification de victime ne fournissent pas les renseignements
requis pour justifier la réparation demandée par la RDC
A. Annexes de la RDC
1.4. Ainsi qu’il est mentionné plus haut, la réponse de la RDC à la question 1 est assortie de
quarante-et-une annexes (1.1 à 1.10 F) se rapportant aux fiches d’identification de victime. La RDC
ne précise toutefois pas comment ces annexes sont organisées8. L’Ouganda se propose donc de le
faire ci-après.
1.5. Les six premières annexes (1.1 à 1.5.1) sont des répertoires de fichiers électroniques9
contenant les fiches d’identification de victime. Chacune concerne une localité ou zone
géographique :
7 Il s’agit des annexes 1.1, 1.2, 1.3, 1.4, 1.5 et 1.5.1.
8 Dans sa réponse, la RDC se contente d’affirmer que les fiches relatives aux victimes figurent aux annexes 1.1
à 1.5 (RRDCQ, par. 1.8) ; elle omet de mentionner que l’annexe 1.5.1 en contient également, et ne se réfère pas du tout
aux trente-cinq annexes restantes.
9 Aux fins de la présente analyse, l’Ouganda n’a examiné en détail que les fichiers électroniques présentés par la
RDC, mieux organisés et donc plus aisés à consulter que les volumes reliés de documents que la RDC a également
soumis à la Cour.
9
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Annexe 1.1 : Beni
Annexe 1.2 : Butembo
Annexe 1.3 : Gemena
Annexe 1.4 : Ituri
Annexe 15. : Kisangani
Annexe 1.5.1 : fiches complémentaires relatives à Kisangani (obtenues auprès d’associations
de victimes)10.
1.6. Si elle a, dans son mémoire, indiqué que «près de 10 000 fiches (en réalité des
documents comprenant de deux à quatre pages) [avaient] été établies»11, la RDC en a soumis
beaucoup moins dans le cadre de sa réponse à la question 1. Les annexes 1.1 à 1.5.1 n’en
contiennent que 464512 ; en outre, ces fiches ne comptent, pour la plupart, qu’une seule page, et non
deux à quatre, comme l’affirme la RDC dans son mémoire.
1.7. L’une des fiches d’identification de victime type que l’on trouve à l’annexe 1.1 est
reproduite ci-dessous :
10 RRDCQ, par. 1.11.
11 MRDCR, par. 1.35.
12 Ces 4645 fiches d’identification de victime sont réparties à travers 6295 fichiers électroniques. S’il y a plus de
fichiers que de fiches, c’est que celles-ci comportent dans certains cas plusieurs pages dont chacune constitue un fichier
distinct. L’annexe 1.1 contient 1003 fiches et 1027 fichiers, l’annexe 1.2, 301 fiches et 445 fichiers, l’annexe 1.3,
24 fiches et 40 fichiers, l’annexe 1.4, 1808 fiches et 1808 fichiers, l’annexe 1.5, 1499 fiches et 2610 fichiers, et
l’annexe 1.5.1, 10 fiches et 64 fichiers.
11
- 7 -
Annexe 1.1 («Fiches d’identification de BENI»)
Fichier intitulé «BENI_CCF05032016 (2)_002»
12
- 8 -
1.8. Les annexes 1.1 à 1.5.1 ne contiennent pas uniquement des fiches d’identification de
victime. Sont en effet intercalés (de manière apparemment aléatoire) 1120 documents
supplémentaires d’une page13, dont 230 réclamations sous forme de tableaux remplis à la main14,
sur lesquelles la RDC semble également fonder sa demande de réparation15, sans toutefois y avoir
fait référence dans son mémoire ou sa réponse à la question 1. Un exemple de ces réclamations
manuscrites est reproduit ci-dessous :
Annexe 1.5 («Fiches d’identification de KISANGANI»)
Fichier intitulé «Copie (2) de KISANGANI_SUITE_CCF05032016_056»
13 Les annexes 1.1 à 1.5.1 contiennent 7415 fichiers au total (l’annexe 1.1 en contient 1141, l’annexe 1.2, 672,
l’annexe 1.3, 41, l’annexe 1.4, 2442, l’annexe 1.5, 3045 et l’annexe 1.5.1, 74). Pour 6295 fichiers, il s’agit de pages de
fiches d’identification de victime ; 230 sont des tableaux de réclamations remplis à la main ; les 890 restants sont des
fichiers isolés.
14 L’annexe 1.2 contient 135 tableaux ; l’annexe 1.5 en contient 85, et l’annexe 1.5.1, 10.
15 Certains renseignements entrés dans les listes d’évaluation (voir ci-après) renvoient à des éléments manuscrits
figurant dans les tableaux.
13
- 9 -
1.9. Les 890 fichiers restants contenus dans les annexes 1.1 à 1.5.1 sont un ensemble
hétéroclite de fichiers isolés qui ne présentent de lien apparent avec aucune fiche d’identification de
victime. L’on trouve notamment des documents complètement vides, des listes manuscrites et
autres fichiers divers. Quelques exemples en sont reproduits ci-dessous :
Annexe 1.1 («Fiches d’identification de BENI»)
Fichier intitulé «BENI_SUITE2_CCF08032016_0006_001 - Copie»
14
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Annexe 1.2 («Fiches d’identification de BUTEMBO»)
Fichier intitulé «CCF22082016_0032_006»
15
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Annexe 1.3 («Fiches d’identification de GEMENA»)
Fichier intitulé «GEMENA_CCF05032016_0001_005»
16
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Annexe 1.4 («Fiches d’identification de l’ITURI»)
Fichier intitulé «ITURI_SUITE4_CCF07032016_0006_053»
17
- 13 -
1.10. Les trente-cinq annexes restantes relatives aux fiches d’identification de victime
(1.6 à 1.10.F) sont des listes et des tableaux censés en résumer le contenu, ainsi que des
réclamations sous forme de tableaux complétés à la main. Ces annexes ont déjà été soumises, sous
une autre numérotation, dans le cadre du mémoire de la RDC. Il existe sept annexes pour chacune
des cinq zones ou localités. Les annexes 1.6 à 1.6.F, par exemple, concernent Beni.
L’annexe 1.6 («Evaluation décès Beni») fournit une liste d’estimations relatives aux décès
allégués ;
l’annexe 1.6.A («Evaluation fuite Beni») fournit une liste d’estimations relatives aux
déplacements de population allégués ;
l’annexe 1.6.B («Evaluation lésions Beni») fournit une liste d’estimations relatives aux
dommages corporels allégués ;
l’annexe 1.6.C («Evaluation pertes biens Beni») fournit une liste d’estimations relatives aux
pertes de biens et dommages matériels allégués ;
l’annexe 1.6.D («Tableau synthèse des évaluations pertes des biens Beni») est un tableau
récapitulant les estimations relatives aux pertes de biens et dommages matériels allégués ;
l’annexe 1.6.E («Liste des biens perdus Beni») fournit une liste des pertes de biens et
dommages matériels allégués ; et
l’annexe 1.6.F («Tableau synthèse des effectifs pertes des biens Beni») est un tableau
synthétisant l’ensemble des biens qui auraient été perdus ou endommagés.
Les annexes 1.7 à 1.10.F sont organisées de façon similaire, mais pour les autres zones ou
localités, les annexes 1.7 à 1.7.F portant sur Butembo, les annexes 1.8 à 1.8.F sur Gemena, les
annexes 1.9 à 1.9.F sur l’Ituri et les annexes 1.10 à 1.10.F, sur Kisangani.
1.11. Parmi les plus importantes de ces annexes figurent les listes d’évaluation censées
regrouper les estimations établies à partir des renseignements figurant sur les fiches d’identification
de victime, qui ont permis à la RDC d’aboutir au montant qu’elle sollicite à titre de réparation, à
tout le moins pour ce qui concerne certaines de ses demandes16.
1.12. Les listes contiennent au total 8930 entrées, dont chacune reprend a priori l’estimation
du dommage trouvée dans une fiche d’identification de victime17 ou une réclamation manuscrite.
(Si les listes d’évaluation comptent davantage d’entrées qu’il n’y a de fiches d’identification de
victime, c’est principalement parce que certaines fiches rendent compte de plusieurs types de
préjudices, par exemple des dommages causés aux personnes et aux biens.)
16 Voir notamment MRDCR, par. 7.45-7.46.
17 Le contenu d’une fiche d’identification de victime peut se retrouver dans plusieurs listes, si, par exemple,
celle-ci fait état de différents types de dommages (décès, préjudices corporels, déplacement, perte de biens ou dommages
matériels).
18
19
- 14 -
1.13. Le nom du fichier électronique contenant la fiche d’identification de victime (ou la
réclamation manuscrite18) est précisé dans le coin supérieur droit de chaque entrée. Ainsi, la
première entrée relative aux décès de Beni (annexe 1.6) se présente comme suit :
Annexe 1.6 («Evaluation décès Beni»)
Entrée 1 (page 1)
1.14. La fiche d’identification de victime correspondant à cette entrée est contenue dans le
document «BENI_CCF05032016 (2)_027», soumis à l’annexe 1.1 («Fiches d’identification de
BENI»).
B. Analyse des annexes : méthode suivie par l’Ouganda
1.15. L’Ouganda a cherché à déterminer si les fiches d’identification de victime produites
par la RDC «démontr[aient], en en apportant la preuve, le préjudice exact [que celle-ci] a[vait]
subi du fait des actions spécifiques de l’Ouganda constituant des faits internationalement illicites
dont il [était] responsable»19. Il s’est en particulier attaché à vérifier si les entrées des listes
d’évaluation étaient bien fondées sur ces fiches.
1.16. Compte tenu du peu de temps disponible, l’Ouganda a décidé de procéder par
échantillonnage en retenant, pour chaque liste, une entrée sur dix (par exemple, les entrées 1, 11,
21, 31, etc.) et en examinant la fiche d’identification de victime correspondante20. L’ensemble des
entrées retenues dans l’échantillon, ainsi que les noms des fichiers électroniques contenant les
fiches correspondantes, sont énumérées aux appendices 1 (décès), 2 (déplacements de population),
3 (dommages corporels) et 4 (pertes ou dommages matériels). Au total, l’Ouganda a examiné 904
des 8930 entrées que comportent les listes d’évaluation de la RDC. Le nombre d’entrées retenues
dans l’échantillon pour chacune des 20 listes d’évaluation de la RDC est indiqué ci-dessous.
18 Pour simplifier, et étant donné que la grande majorité des entrées reposent sur des fiches d’identification de
victime, toute référence à celles-ci, dans la suite des présentes observations sur les réponses de la RDC aux questions
posées par la Cour, englobe les réclamations manuscrites.
19 Activités armées (2005), par. 260 (les italiques sont de nous).
20 L’Ouganda a constitué ses échantillons à partir des listes d’évaluation, et non des fiches d’identification de
victime, car, ainsi que la RDC l’a elle-même reconnu, les fiches produites aux annexes 1.1 à 1.5.1 ne sont pas toutes
pertinentes en l’espèce et n’ont donc pas toutes été reprises dans les listes d’évaluation (RRDCQ, par. 1.9). En outre,
comme mentionné ci-dessus, les annexes 1.1 à 1.5.1 contiennent de nombreux documents isolés, de sorte qu’il aurait été
très difficile de constituer des échantillons valables à partir des fichiers qui les composent.
20
- 15 -
Décès Déplacements de
population
Dommages
personnels
Pertes ou
dommages
matériels
Total
Beni 30 sur 292 45 sur 446 14 sur 133 84 sur 836 173 sur 1707
Butembo 3 sur 28 9 sur 90 8 sur 72 23 sur 221 43 sur 411
Gemena 1 sur 2 2 sur 12 1 sur 6 2 sur 18 6 sur 38
Ituri 75 sur 747 104 sur 1040 15 sur 143 132 sur 1311 326 sur 3241
Kisangani 40 sur 391 32 sur 313 43 sur 427 241 sur 2402 356 sur 3533
Total 149 sur 1460 192 sur 1901 81 sur 781 482 sur 4788 904 sur 8930
Nombre d’entrées retenues et examinées
1.17. Lorsqu’il a examiné ces 904 entrées et les fiches d’identification de victime
correspondantes, l’Ouganda a constaté trois grands problèmes : 1) il manque de nombreuses fiches
d’identification de victime (section I.C), 2) qui, lorsqu’elles existent, ne sont assorties d’aucun
élément de preuve (section I.D) ou 3) ne consignent pas certaines informations essentielles
(section I.E).
C. Il manque de nombreuses fiches d’identification de victime
1.18. En premier lieu, nombre de fiches d’identification de victime auxquelles font référence
les listes d’évaluation de la RDC ne sont pas reproduites dans les annexes qui ont été soumises.
Manquent ainsi les fiches correspondant à 166 (soit 18,4 %) des 904 entrées examinées par
l’Ouganda. A cet égard, on dénombre cinq cas de figure.
1.19. Premièrement, dans l’une des listes d’évaluation, l’annexe 1.6.B («Evaluation lésions
Beni»), les noms des fichiers associés aux entrées n’étaient pas indiqués. L’Ouganda a néanmoins
pu trouver les fiches d’identification de victime correspondant à toutes les entrées retenues dans
l’échantillon, à une exception près. La fiche en question, donc, demeure manquante21.
1.20. Deuxièmement, l’Ouganda a constaté que, pour nombre d’entrées, étaient indiqués des
noms des fichiers qui ne correspondent à rien dans l’annexe pertinente. Tel est le cas pour 119
(13,2 %) des 904 entrées retenues dans l’échantillon22. A titre d’exemple, la 91e entrée de
l’annexe 1.9 («Evaluation décès Ituri») renvoie au fichier «ITURI_SUITE3_CCF
07032016_0008_144 – COPIE», alors qu’il n’existe aucun fichier ainsi dénommé à l’annexe 1.4
(«Fiches d’identification de l’ITURI») (ou ailleurs).
21 L’Ouganda a trouvé ces fiches d’identification de victime en cherchant les noms des intéressés dans les listes
d’évaluation correspondant à d’autres types de préjudices que les déclarants avaient également rapportés.
22 Les noms des fichiers correspondants sont indiqués à l’appendice 5.
21
22
- 16 -
1.21. Troisièmement, l’Ouganda a relevé que trois entrées mentionnaient des noms de fichier
qui correspondent à des documents vierges23. Ainsi, la 141e entrée de l’annexe 1.9 («Evaluation
décès Ituri») renvoie au fichier «ITURI_SUITE4_CCF07032016_0008_012», mais voici à quoi
ressemble le document en question, qui figure à l’annexe 1.4 («Fiches d’identification de
l’ITURI») :
Annexe 1.4
Fichier «ITURI_SUITE4_CCF07032016_0008_012»
23 Il s’agit des fichiers dénommés ITURI_SUITE4_CCF07032016_0008_012, ITURI_SUITE4_CCF07032016_
0007_245 et ITURI_SUITE4_CCF07032016_0007_209 (RRDCQ, extraits de l’annexe 1.4).
23
- 17 -
1.22. Quatrièmement, pour 19 entrées, le nom de fichier indiqué ne correspond pas à la
bonne fiche d’identification de victime24. Par exemple, à la 261e entrée de l’annexe 1.10.A
(«Evaluation fuite Kisangani»), le déclarant, victime de déplacement, est dénommé Mbunga
Raphael, et le fichier correspondant est censé être le document «KISANGANI_SUITE2_
CCF06032016_0003 (2)_044». Or, la fiche qu’on y trouve concerne un certain Kisubi Luz
Nguluma, qui ne fait état d’aucun déplacement. Des captures d’écran de l’entrée et de la fiche
d’identification de victime en question sont reproduites ci-après.
Annexe 1.10.A (Evaluation fuite Kisangani)
Entrée 261 (page 21)
24 Il s’agit des fichiers dénommés : BENI_CCF05032016_0005 (2)_137 (RRDCQ, annexe 1.1) ;
ITURI_SUITE4_CCF07032016_0007_176 (RRDCQ, annexe 1.4) ; ITURI_SUITE3_CCF07032016_0012_010
(RRDCQ, annexe 1.4) ; CCF22082016_0057_004 (RRDCQ, annexe 1.2) ; CCF22082016_0038_004 (RRDCQ,
annexe 1.2) ; CCF22082016_0015_004 (RRDCQ, annexe 1.2) ; CCF22082016_0051_006 (RRDCQ, annexe 1.2) ;
ITURI_SUITE7_CCF08032016_004 (RRDCQ, annexe 1.4) ; OUGANDA 34 (RRDCQ, annexe 1.5.1) ;
KISANGANI_SUITE2_CCF06032016_0003 (2)_044 (RRDCQ, annexe 1.5) ; CCF22082016_0057_004 (RRDCQ,
annexe 1.2) ; CCF22082016_0034_002 (RRDCQ, annexe 1.2) ; CCF22082016_0007_002 (RRDCQ, annexe 1.2) ;
CCF22082016_0013_008 (RRDCQ, annexe 1.2) ; CCF22082016_0021_002 (RRDCQ, annexe 1.2) ;
CCF22082016_0007_008 (RRDCQ, annexe 1.2) ; CCF22082016_0054_008 (RRDCQ, annexe 1.2) ;
CCF22082016_0057_004 (RRDCQ, annexe 1.2) ; CCF22082016_0058_003 (RRDCQ, annexe 1.2).
Il s’agit des fichiers dénommés (RRDCQ, extraits de l’annexe 1.2) : CCF22082016_0051_004 ;
CCF22082016_0054_002 ; CCF22082016_0036_002 ; CCF22082016_0006_004 ; CCF22082016_0016_002 ;
CCF22082016_0016_004 ; CCF22082016_0008_004 ; CCF22082016_0054_006 ; CCF22082016_0045_002 ;
CCF22082016_0034_002 ; CCF22082016_0041_004 ; CCF22082016_0045_002 ; CCF22082016_0056_002 ;
CCF22082016_0051_002 ; CCF22082016_0016_006 ; CCF22082016_0017_002 ; CCF22082016_0032_004 ;
CCF22082016_0007_006 ; CCF22082016_0051_026 ; CCF22082016_0041_004 ; CCF22082016_0005_004 ;
CCF22082016_0050_002 ; CCF22082016_0010_002 ; CCF22082016_0044_002.
24
- 18 -
Annexe 1.5 (Fiches d’identification de KISANGANI)
Fichier «KISANGANI_SUITE2_CCF06032016_0003 (2)_044»
25
- 19 -
1.23. Cinquièmement, 24 des entrées retenues renvoient à des fichiers contenant une page qui
n’est pas la première d’une fiche d’identification qui en compte apparemment plusieurs25. Aussi
est-il impossible de vérifier si la fiche correspond véritablement à l’entrée concernée. Par exemple,
à la 1421e entrée de la liste figurant à l’annexe 1.10.C («Evaluation pertes des biens Kisangani»), le
montant des réparations demandées est de 11 010 dollars. Or la fiche d’identification de victime
correspondante (si c’est bien de cela qu’il s’agit) est la partie inférieure, vierge, d’une page portant
le numéro «3».
Annexe 1.10.C (Evaluation pertes des biens Kisangani)
Entrée 1421 (page 7)
Annexe 1.5 (Fiches d’identification de KISANGANI)
Fichier «CCF22082016_0032_004»
25 Il s’agit des fichiers dénommés (RRDCQ, extraits de l’annexe 1.2) : CCF22082016_0051_004 ;
CCF22082016_0054_002 ; CCF22082016_0036_002 ; CCF22082016_0006_004 ; CCF22082016_0016_002 ;
CCF22082016_0016_004 ; CCF22082016_0008_004 ; CCF22082016_0054_006 ; CCF22082016_0045_002 ;
CCF22082016_0034_002 ; CCF22082016_0041_004 ; CCF22082016_0045_002 ; CCF22082016_0056_002 ;
CCF22082016_0051_002 ; CCF22082016_0016_006 ; CCF22082016_0017_002 ; CCF22082016_0032_004 ;
CCF22082016_0007_006 ; CCF22082016_0051_026 ; CCF22082016_0041_004 ; CCF22082016_0005_004 ;
CCF22082016_0050_002 ; CCF22082016_0010_002 ; CCF22082016_0044_002.
26
27
- 20 -
1.24. Dans tous ces cas de figure, l’Ouganda n’a pu vérifier si l’entrée de la liste d’évaluation
était effectivement basée sur la fiche d’identification de victime correspondante. Il n’a donc pu
examiner que les fiches auxquelles renvoient les 738 entrées restantes26.
D. Les fiches d’identification de victime ne sont pas associées à des justificatifs étayant les
demandes de la RDC
1.25. Aucune des 738 fiches d’identification de victime de l’échantillon n’est assortie du
moindre justificatif à même d’étayer les estimations qu’elles consignent. Comme il a déjà été
indiqué, les annexes 1.1 à 1.5.1 contiennent bien des documents isolés, dont certains auraient pu
être soumis à ce titre, mais ces documents n’étant pas rattachés à des fiches d’identification de
victime, il ne saurait leur être reconnu la moindre valeur probante.
1.26. A titre d’exemple, l’un des fichiers de l’annexe 1.1 («Fiches d’identification des
victimes de BENI») reproduit un certificat d’immatriculation de véhicule :
Annexe 1.1 («Fiches d’identification de BENI»)
Fichier «BENI_SUITE2_CCF08032016_0007_057»
1.27. S’il était présenté dans son juste contexte, ce document pourrait constituer un élément
de preuve. Toutefois, l’on ignore s’il est associé à une fiche d’identification de victime et, le cas
échéant, laquelle.
1.28. Même s’il était possible de rattacher certains de ces documents épars à telles ou telles
fiches d’identification de victime, il reste qu’on n’en dénombre que 890 pour 4645 fiches et
230 tableaux contenant des entrées manuscrites, ce qui montre le décalage qui existe entre les
demandes de la RDC et les éléments de preuve censés les étayer.
26 Ce chiffre comprend 135 (sur 149) entrées concernant des décès, 187 (sur 192) concernant des déplacements de
population, 62 (sur 81) concernant des préjudices corporels et 354 (sur 482) concernant des pertes ou dommages
matériels.
28
- 21 -
E. Les fiches d’identification de victime ne consignent pas les informations nécessaires
1.29. Loin d’apporter les preuves nécessaires pour étayer une demande de réparation, les
fiches d’identification de victime ne présentent même pas les informations requises.
1. Nombre de fiches d’identification de victime sont illisibles
1.30. Dans certains cas, ces fiches sont tout simplement illisibles. C’est le cas notamment de
celles qui sont abîmées. Prenons à titre d’illustration le document suivant :
Annexe 1.5.1 («Fiches complémentaires des victimes de KISANGANI»)
Fichier «OUGANDA 19»
29
- 22 -
1.31. Il semble s’agir de la deuxième page d’une fiche d’identification de victime qui en
compte plusieurs. Son état empêche cependant d’en déchiffrer le contenu. Et il n’est pas non plus
possible de savoir de quelle fiche il pourrait s’agir.
2. Nombre de fiches d’identification de victime ne font pas état d’actions illicites spécifiques
imputables à l’Ouganda qui seraient à l’origine des préjudices allégués
1.32. En outre, nombre de fiches d’identification de victime ne font pas état d’actions illicites
spécifiques imputables à l’Ouganda qui seraient à l’origine des préjudices allégués. Cela s’explique
en grande partie par la manière dont elles ont été conçues. Comme le montre l’exemple ci-dessous,
il est demandé au déclarant de renseigner les rubriques «dommages subis», «nature» du préjudice,
«date» pertinente et «auteurs présumés», mais pas de préciser l’action à l’origine du préjudice
dénoncé.
Annexe 1.1 («Fiches d’identification des victimes de BENI»)
Fichier «BENI_CCF05032016 (2)_024»
30
31
- 23 -
1.33. Il en résulte que, ainsi qu’illustré par l’exemple ci-dessus, les déclarants tendent à ne
pas préciser l’acte à l’origine des préjudices dont ils se plaignent. Sur 738 fiches d’identification de
victime présentées, l’Ouganda n’en a trouvé que 62 (soit 8,4 %) contenant une précision de cet
ordre27.
1.34. Ces fiches tendent également à présenter des lacunes en termes d’attribution. Deux cent
quarante-six (soit 33,3 %) des 738 fiches présentées ne désignent pas même comme «auteurs
présumés» l’Ouganda ou ses soldats28, mais le Rwanda, telle force irrégulière ou tel autre acteur.
Prenons, par exemple, la 1871e entrée de la liste d’évaluation de l’annexe 1.10.C. («Evaluation
pertes des biens Kisangani»). Elle renvoie au fichier intitulé «KISANGANI_SUITE1_
CCF06032016_0009_028», reproduit ci-dessous :
Annexe 1.4 («Fiches d’identification des victimes de KISANGANI»)
Fichier «KISANGANI_SUITE1_CCF06032016_0009_028»
27 Les noms des fichiers correspondants sont indiqués à l’appendice 6.
28 Les noms des fichiers correspondants sont indiqués à l’appendice 7.
32
33
- 24 -
1.35. Dans la colonne «auteurs présumés» figure la mention «militaires rwandais». Dans sa
réponse à la question 1, la RDC reconnaît que les annexes 1.1 et 1.5 contiennent certaines fiches
dans lesquelles la responsabilité de l’action illicite est attribuée au Rwanda ; elle précise toutefois
que ces fiches «n’ont pas été prises en compte dans l’évaluation présentée par la RDC dans cette
cause»29. Cet exemple montre cependant le contraire. D’après l’entrée de la liste d’évaluation
correspondant à la fiche en question, la RDC demande à l’Ouganda 5580 dollars de
dommages-intérêts pour des actes commis par le Rwanda.
1.36. La 71e entrée de la liste d’évaluation figurant dans l’annexe 1.9 («Evaluation décès
Ituri») en offre un autre exemple ; elle renvoie au fichier «ITURI_SUITE_CCF05032016_0015
(3)_156», reproduit ci-dessous :
Annexe 1.4 («Fiches d’identification de l’ITURI»)
Fichier «ITURI_SUITE_CCF05032016_0015 (3)_156»
29 RRDCQ, par. 1.9.
34
35
- 25 -
1.37. Le signataire de la déclaration mentionne simplement «SALUM-SALE» dans la
rubrique «auteurs présumés», sans préciser de qui il s’agit.
1.38. Nombre d’autres fiches désignent comme «auteurs présumés» une force irrégulière. Or,
dans son arrêt de 2005, la Cour n’a jugé imputable à l’Ouganda la conduite d’aucune force
irrégulière30. Et si la Cour a considéré que l’Ouganda avait engagé sa responsabilité en manquant
de faire respecter les droits de l’homme et le droit international humanitaire en Ituri31, aucune des
fiches renvoyant aux agissements des forces irrégulières dans ce district ne donne à penser que
ceux-ci étaient dus à ce manquement.
1.39. Dans sa réponse à la question 8, la RDC énumère les forces irrégulières pour les actes
desquelles elle demande réparation à l’Ouganda32. Or, nombre des fiches désignent comme
«auteurs présumés» une force irrégulière qui ne figure pas sur la liste dressée par la RDC. A titre
d’exemple, certaines fiches, comme celle reproduite ci-dessous, visent les agissements de
combattants ngiti :
30 Voir CMOR, par. 1.6.
31 Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt,
C.I.J. Recueil 2005, p. 280, par. 345 3) ; voir CMOR, par. 1.6.
32 RRDCQ, par. 8.5.
36
- 26 -
Annexe 1.4 («Fiches d’identification de l’ITURI»)
Fichier «ITURI_SUITE4_CCF07032016_0007_058»
37
- 27 -
1.40. D’autres désignent comme «auteurs présumés» l’«APC» et l’«EFRP», à l’instar de
celle reproduite ci-dessous :
Annexe 1.4 («Fiches d’identification de l’ITURI»)
Fichier «ITURI_SUITE_CCF05032016_0026_027»
1.41. Or, dans sa réponse à la question 8, la RDC ne mentionne ni combattants ngiti, ni APC
ni encore l’EFRP parmi les forces irrégulières pour le comportement desquelles elle demande
réparation en l’espèce.
38
- 28 -
3. Dans nombre de fiches d’identification de victime, l’estimation associée au préjudice allégué
n’est pas justifiée
1.42. De surcroît, aucune des fiches d’identification de victime ne contient les informations
requises pour permettre une juste évaluation des préjudices subis à raison de décès, dommages
corporels, déplacements de populations, pertes de biens ou dommages matériels — ni, a fortiori, de
documents justificatifs.
a) Décès
1.43. S’agissant de décès, aucune des fiches d’identification retenues ne fournit les
informations nécessaires pour établir la juste valeur de la vie perdue, à savoir : 1) l’identité de la
victime, 2) le lieu et la date du décès ; 3) l’éventuel exercice d’une activité rémunérée ; 4) les
éventuels revenus ; et 5) le gain manqué, pour les héritiers, que représente le décès sur la base de
l’espérance de vie de la victime33.
1.44. En tout premier lieu, il ressort de l’examen de l’ensemble des entrées des listes
d’évaluation relatives aux décès (et pas des seuls cas échantillonnés) que 4644 (soit 84,4 %) des
5440 victimes supposées ne sont pas identifiées. La RDC se contente de la mention «non signalé».
Entre autres problèmes, il n’est ainsi nullement exclu que deux demandeurs fassent référence à un
seul et même défunt. Or, toute vérification est impossible en l’absence du nom complet de la
victime.
1.45. En outre, 134 des 135 (soit 99,3 %) fiches retenues concernant des décès ne
contiennent aucune information sur la situation professionnelle de la victime34, et 122 (soit 90,4 %)
d’entre elles ne précisent pas son âge35.
1.46. Dans son mémoire, la RDC réclamait un montant forfaitaire de 34 000 dollars pour
chaque décès résultant d’actes de violence délibérés (chiffre qu’elle prétend fondé sur les décisions
de ses propres tribunaux)36, et 18 913 dollars pour tous les autres décès (sur la base d’une formule
mathématique faisant intervenir l’âge et le revenu)37. Pourtant, à une exception près, les fiches
retenues par l’Ouganda (soit 99,3 % d’entre elles) ne précisent jamais si le décès résulte ou non
d’actes de violence délibérés38.
1.47. En outre, les évaluations figurant dans les listes de la RDC paraissent dissociées des
méthodes que celle-ci affirmait avoir utilisées dans son mémoire, des valeurs qui semblent
complètement arbitraires étant attribuées aux vies humaines supposément perdues. Observons par
exemple cette capture d’écran de la liste contenue à l’annexe 1.6 :
33 CMOR, par. 5.9.
34 Les noms des fichiers correspondants sont indiqués à l’appendice 8.
35 Les noms des fichiers correspondants sont indiqués à l’appendice 9.
36 MRDCR, par. 7.12-7.13.
37 MRDCR, par. 7.09, 7.14.
38 Les noms des fichiers correspondants sont indiqués à l’appendice 10.
39
40
- 29 -
Annexe 1.6 (Evaluation décès Beni)
Capture d’écran
1.48. Les première, deuxième et quatrième entrées reproduisent un même montant
forfaitaire : 19 845 dollars. On ignore d’où provient ce chiffre, les fiches d’identification
correspondantes ne contenant aucune indication.
1.49. Dans le cas de la deuxième entrée, la valeur attribuée à la vie perdue est moindre :
5205 dollars. Or, la fiche d’identification correspondante ne contient rien qui justifie cette
différence ; y figure seulement la mention «1 frère tué».
41
42
- 30 -
1.50. S’agissant des cinquième, sixième et septième entrées, les valeurs retenues sont plus
élevées : 122 890, 141 922 et 122 890 dollars, et toutes nettement supérieures aux montants
maximaux qui auraient, selon la RDC, été adjugés à titre d’indemnisation par ses juridictions dans
les cas de décès39. Là non plus, rien, dans les fiches d’identification correspondantes, n’explique
ces écarts.
1.51. Il convient également de relever que, dans le cas des deuxième, quatrième et sixième
entrées, des valeurs différentes sont attribuées aux vies de victimes dont l’identité est pourtant «non
signalé[e]».
1.52. Force est donc de conclure que la RDC a choisi au hasard les montants qui sont
reproduits dans ses listes.
b) Préjudices corporels
1.53. De la même manière, aucune des fiches d’identification de victime ne fournit les
informations requises pour permettre une juste évaluation des préjudices corporels rapportés, à
savoir 1) l’identité de la victime ; 2) le lieu et la date de survenance du préjudice corporel ; 3) la
nature de ce dernier ; 4) l’éventuel exercice d’une activité rémunérée ; 5) les revenus de la victime ;
6) la mesure dans laquelle le préjudice a occasionné un manque à gagner et 7) le coût des soins et
autres dépenses encourues par suite du préjudice40.
1.54. Les victimes de préjudices corporels sont plus fréquemment identifiées, dans les fiches
correspondantes, que celles de décès. Reste que beaucoup ne le sont pas : c’est le cas de 282 des
1062 (soit 26 %) victimes présumées auxquelles font référence les listes d’évaluation, dont le nom,
là aussi, n’est tout simplement pas «signalé». En outre, 41 (66,1 %) des 62 fiches retenues en ce qui
concerne les dommages corporels ne précisent pas la gravité, le type ou la nature du préjudice41, et
aucune ne fournit la moindre indication sur les revenus de la victime.
1.55. Dans son mémoire, la RDC demande à être indemnisée, pour les victimes de violences
délibérées, à hauteur de 3500 dollars en cas de «blessures lourdes» et de 150 dollars en cas de
«blessures légères»42 ; pour les victimes de blessures résultant de violences involontaires, à hauteur
de 100 dollars ; pour les victimes de viol, à hauteur de 12 600 dollars en cas de «viol simple» et de
23 300 dollars en cas de «viol aggravé»43, et pour les enfants-soldats enrôlés, à hauteur de
12 000 dollars44.
39 MRDCR, par. 7.12 («Les montants des indemnisations octroyées par les juridictions congolaises aux familles
des personnes tuées dans le contexte de la perpétration de crimes graves de droit international s’échelonnent entre 5000 et
100 000 dollars, la somme moyenne étant de 34 000 dollars.»).
40 CMOR, par. 6.5.
41 Les noms des fichiers correspondants sont indiqués à l’appendice 11.
42 MRDCR, par. 7.17.
43 Ibid, par. 7.23-7.24.
44 Ibid, par. 7.27.
43
- 31 -
1.56. Or, tout comme celles se rapportant à des décès, 37 (59,7 %) des fiches retenues pour
la catégorie des préjudices corporels ne précisent pas si les blessures alléguées sont le résultat
d’actes de violence délibérés45. En outre, ces fiches ne permettent souvent pas de savoir si la
blessure alléguée est «lourde» ou «légère», le viol rapporté «simple» ou «aggravé».
1.57. En outre, comme dans le cas des décès, les valeurs associées aux dommages corporels
reportées sur les listes d’évaluation sont très éloignées des montants avancés par la RDC dans son
mémoire. Prenons par exemple cette capture d’écran de la cinquième page de l’annexe 1.7.B
(«Evaluation lésions Butembo») :
Annexe 1.7.B (Evaluation lésions Butembo)
Capture d’écran (page 5)
45 Les noms des fichiers correspondants sont indiqués à l’appendice 12.
44
- 32 -
1.58. Dans les cinq premiers cas, le préjudice est évalué au taux forfaitaire de 13 500 dollars,
un chiffre différent de tous ceux qui viennent d’être mentionnés. La fiche d’identification
correspondant à la première entrée se borne à indiquer, dans la rubrique «nature du préjudice», la
mention : «extorsion coup et blessure». Rien ne permet de savoir de quel type d’«extorsion», de
«coup» ou de «blessure» il s’agit, ni — a fortiori — d’établir la matérialité du préjudice allégué. La
RDC n’en réclame pas moins à ce titre une indemnité d’un montant supérieur à celui qu’elle
associe à l’enrôlement d’enfants-soldats ou à un «viol simple».
1.59. De la même manière, la fiche correspondant à la deuxième entrée indique seulement
«tortures corporelles» dans la rubrique «nature du préjudice», sans plus de précision là encore. Et
pourtant, la RDC retient, pour évaluer le préjudice subi à ce titre, le même montant de
13 500 dollars. On ne sait pas davantage pourquoi une seule et même valeur est retenue pour les
chefs d’«extorsion coup et blessure» et de «tortures corporelles». Ces observations valent
également pour les autres entrées reproduites ci-dessus.
c) Déplacements de populations
1.60. En ce qui concerne les déplacements allégués, une fois de plus, aucune des fiches
d’identification échantillonnées ne fournit les informations requises pour permettre une juste
évaluation du préjudice qui en aurait découlé, à savoir : 1) l’identité de la victime ; 2) les lieux et
dates ; 3) l’éventuel exercice par la victime d’une activité rémunérée ; 4) la mesure dans laquelle le
déplacement a occasionné un manque à gagner46.
1.61. L’examen des listes d’évaluation fournies à cet égard révèle que 409 (35,7 %) des
1146 victimes ne sont pas identifiées, la RDC se contentant une nouvelle fois de la mention «non
signalé». En outre, 66 (35,3 %) des 187 fiches échantillonnées dans ce contexte ne donnent aucune
précision de lieu47, 181 (96,8 %) n’indiquent pas de dates exactes48, et il n’en est pas une seule qui
contienne des informations sur les revenus de la victime.
1.62. Dans son mémoire, la RDC réclame à titre d’indemnité un montant forfaitaire de
300 dollars pour certains déplacements, et de 100 dollars pour d’autres49. Comme l’Ouganda l’a
montré dans ses observations sur les réponses de la RDC à la troisième question de la Cour, elle ne
justifie pas le choix de ces montants. En outre, les chiffres mentionnés dans les listes fournies ne
correspondent ni à l’un ni à l’autre de ces montants, qui semblent eux aussi avoir été retenus au
hasard. Le montant indiqué est exactement le même pour la quasi-totalité des entrées relatives à des
déplacements en Ituri (annexe 1.9.A) : 2065 dollars, tandis que, pour tous les autres lieux —
comme cela ressort de la capture d’écran de la liste figurant à l’annexe 1.8.A («Evaluation fuite
Kisangani») reproduite ci-après —, la RDC tend à indiquer un montant légèrement supérieur à
2000 dollars.
46 Dans son contre-mémoire, l’Ouganda considère que les cas de déplacements relèvent de la catégorie plus large
des préjudices corporels. CMOR, par. 6.109-6.111. Ce sont donc les mêmes informations qu’il convient d’obtenir.
47 Les noms des fichiers correspondants sont indiqués à l’appendice 13.
48 Les noms des fichiers correspondants sont indiqués à l’appendice 14.
49 MRDCR, par. 7.30-7.31.
45
46
- 33 -
Annexe 1.10.A (Evaluation fuite Kisangani )
Capture d’écran (page 30)
d) Perte de biens ou dommages matériels
1.63. Enfin, aucune des fiches d’identification retenues s’agissant de pertes ou détériorations
de biens ne fournit les informations nécessaires pour permettre une juste évaluation du préjudice
causé à ce titre, à savoir : 1) l’identification du bien ; 2) les lieux et dates de la perte ou du
dommage subis ; 3) l’ampleur et la nature des pertes ou dommages subis ; et 4) une évaluation
chiffrée, sur la base, par exemple, de la valeur loyale et marchande, la valeur de remplacement ou
47
48
- 34 -
la valeur de liquidation50. Plus précisément, 346 (97,7 %) des 354 fiches retenues à cet égard
n’indiquent ni l’ampleur ni la nature des pertes ou dommages subis51 ; 173 (48,9 %) ne spécifient
aucun montant52 ; et 64 (18,1 %) ne font pas même mention du type de bien perdu ou
endommagé53.
1.64. Dans ses listes, la RDC a recours, pour certaines catégories de biens, à des montants
forfaitaires dont la base de calcul n’est pas précisée. Prenons, par exemple, cette capture d’écran
tirée de l’annexe 1.6.C ci-après («Evaluation pertes biens Beni») :
Annexe 1.6.C (Evaluation perte biens Beni)
Capture d’écran (page 30)
1.65. Les première et quatrième entrées mentionnent deux types d’habitations distinctes : les
habitations «moyennes» et «légères». La fiche d’identification correspondant à la première entrée
se contente d’indiquer, sous la rubrique «Perte des biens» : «Tous». Il n’est pas précisé que la
victime possédait une «habitation», encore moins une «habitation moyenne». Les deuxième et
cinquième entrées ne consignent que la perte de «meubles», au prix unitaire – dans les deux cas –
de 5000 dollars, soit cinq fois le prix d’une «habitation moyenne». Par ailleurs, la fiche
d’identification correspondant à la deuxième entrée attribue au bien perdu la valeur de 500 dollars ;
or la RDC a choisi de reporter, sur sa liste, le chiffre de 5000 dollars.
50 CMOR, par. 7.5.
51 Les noms des fichiers correspondants sont indiqués à l’appendice 15.
52 Les noms des fichiers correspondants sont indiqués à l’appendice 16.
53 Les noms des fichiers correspondants sont indiqués à l’appendice 17.
49
- 35 -
1.66. En conclusion, les «fiches d’identification de victime» soumises n’apportent pas les
éléments nécessaires pour établir le bien-fondé des demandes de réparation de la RDC. Nombre
d’entre elles n’ont pas été produites et celles fournies présentent de multiples lacunes. En outre, il
n’est pas rare de constater des écarts significatifs entre les informations reportées sur les listes
d’évaluation et celles consignées dans les fiches d’identification, ou que les premières spécifient
des montants forfaitaires qui ne reposent sur aucun fondement apparent. Mais indépendamment
même de ces failles, la méthode à laquelle la RDC a eu recours pour recueillir les informations et
établir les fiches compromet sérieusement la valeur probante de celles-ci. Par conséquent, les fiches
d’identification de victimes ne sont d’aucune aide à la RDC.
II. Les annexes 1.11 et 1.12 n’ajoutent rien aux moyens
présentés par la RDC
1.67. Sous l’annexe 1.11, la RDC a soumis une vidéo portant sur certains agissements de
l’armée ougandaise à Kisangani. Toutefois, celle-ci est très loin de pouvoir étayer ses demandes de
réparation. De même que les fiches d’identification de victime, elle n’apporte aucune preuve
spécifique que l’Ouganda porterait la responsabilité de préjudices causés à des personnes. Sa valeur
probante est elle aussi douteuse. Premièrement, la RDC ne précise pas qui a réalisé cet
enregistrement ; elle a très bien pu le produire elle-même pour les besoins de la présente procédure.
Deuxièmement, les déclarations filmées n’ont pas été faites sous serment. Troisièmement, la vidéo
semble avoir été réalisée des années après les faits, ce qui hypothèque davantage encore sa valeur
probante. Globalement, la vidéo présente donc les mêmes lacunes fondamentales que les fiches
d’identification de victime soumises par la RDC.
1.68. L’annexe 1.12 n’est, de même, d’aucune aide à la RDC. Le rapport, ainsi qu’indiqué
clairement en couverture, a été établi par le demandeur lui-même. Il n’est donc guère étonnant que
n’y soient citées que des sources allant dans le sens des thèses de la RDC. Dans son
contre-mémoire, l’Ouganda avait déjà contesté ces sources ; ce nouveau rapport, qui ne fait que les
reprendre, n’apporte donc rien de plus. Il convient par ailleurs de l’étudier à la lumière du rapport
Mapping de l’ONU, qui doit être considéré comme étant plus objectif et plus fiable que les sources
invoquées par la RDC54.
1.69. Les annexes 1.11 et 1.12 n’apportent donc rien aux moyens présentés par la RDC à
l’appui de ses demandes de réparation.
54 Voir, par exemple, CMOR, par. 2.53-2.54, 2.56.
50
51
- 36 -
QUESTION 2
«La RDC pourrait-elle présenter des éléments de preuve à l’appui de son
estimation du nombre de personnes ayant, pendant la période de l’occupation
ougandaise, trouvé la mort dans des attaques dirigées contre des civils, subi des
dommages corporels ou été victimes de viol dans le district de l’Ituri ?»
OBSERVATIONS DE L’OUGANDA SUR LA RÉPONSE DE LA RDC
2.1. Dans sa réponse à la question 2, la RDC ne présente aucun élément de preuve à l’appui
de son estimation du nombre de personnes ayant, pendant la période de l’occupation ougandaise,
1) trouvé la mort dans des attaques dirigées contre des civils, 2) subi des dommages corporels ou
3) été victimes de viol dans le district de l’Ituri. Elle se borne à répéter les assertions formulées
dans son mémoire, sur la base de documents que l’Ouganda a déjà réfutés dans son
contre-mémoire. En réalité, la RDC ne répond pas à la question 2.
I. La RDC ne présente aucun élément de preuve qui étaye son estimation du nombre
de personnes ayant trouvé la mort dans des attaques dirigées contre des civils
2.2. La RDC continue d’affirmer que, pendant la période de l’occupation ougandaise,
40 000 personnes ont trouvé la mort dans des attaques dirigées contre des civils en Ituri, sans
toutefois produire d’éléments à l’appui de cette estimation. Elle reconnaît de fait être parvenue à ce
chiffre non pas en se fondant sur de quelconques preuves spécifiques, mais en émettant la double
hypothèse que 60 000 personnes auraient été tuées en Ituri au cours de cette période et que deux
tiers (soit 40 000) d’entre elles l’auraient été à la suite de «violences délibérées dirigées contre les
populations civiles»55. Dans son contre-mémoire, l’Ouganda a montré pourquoi aucune de ces deux
hypothèses n’était justifiée (ni même crédible)56.
2.3. Toutes les sources que la RDC cite dans sa réponse à la question 2 avaient déjà été citées
dans son mémoire. Ces sources n’apportent donc aucun élément nouveau et ne font que souligner le
caractère arbitraire de la demande congolaise. Soit elles ne mentionnent aucun chiffre, soit elles
font état de chiffres nettement inférieurs57.
55 CMOR, par. 5.96-5.115 ; MRDCR, par. 3.23, 3.49, 7.13.
56 CMOR, par. 5.96-5.115.
57 La RDC cite le rapport Mapping (RRDCQ, annexe 2.1 ; MRDCR, annexe 1.4) ; le rapport du rapporteur
spécial Roberto Garreton (RRDCQ, annexe 2.2 ; MRDCR, annexe 1.5) ; le rapport spécial du Secrétaire général sur la
MONUC en date de septembre 2002 (RRDCQ, annexe 2.3.A ; MRDCR, annexe 3.2) ; le deuxième rapport spécial du
Secrétaire général sur la MONUC (annexe 2.3.B ; MRDCR, annexe 3.6) ; le sixième rapport du Secrétaire général sur la
MONUC (RRDCQ, annexe 2.3.C ; MRDCR, annexe 3.4) ; le rapport spécial sur les événements d’Ituri (janvier 2002-
décembre 2003) (RRDCQ, annexe 2.4.B) ; un rapport spécial de l’IRIN (RRDCQ, annexe 2.4.A ; MRDCR, annexe 3.7) ;
et un rapport de Human Rights Watch (RRDCQ, annexe 2.4.C ; MRDCR, annexe 3.5). Aucun de ces rapports ne donne
même à entendre que 40 000 personnes auraient trouvé la mort dans des attaques directes. Soit ils ne contiennent aucune
estimation du nombre total de décès, soit ils mentionnent des chiffres nettement inférieurs, allant de plusieurs centaines
au chiffre, non vérifié, avancé par la RDC à l’époque des faits, de 20 000 victimes. Voir Nations Unies, Conseil de
sécurité, rapport spécial sur les événements d’Ituri (janvier 2002-décembre 2003), doc. S/2004/573 (16 juillet 2004),
par. 1, 40 (RRDCQ, annexe 2.4.B). Et même lorsqu’ils renferment des estimations, les rapports ne précisent pas les
sources sur lesquelles celles-ci sont fondées. A cet égard, l’Ouganda relève que, dans son rapport, l’équipe Mapping a
examiné l’ensemble de ces autres sources et conclu, sur la base du critère relativement peu strict de la «suspicion
raisonnable», qu’au total 2300 décès environ étaient susceptibles de résulter d’activités auxquelles l’Ouganda avait pris
part. Voir CMOR, par. 5.72-5.76.
53
54
- 37 -
2.4. Les chiffres arbitraires de la RDC sont en outre clairement contredits par le contenu des
«fiches d’identification de victime». Comme l’Ouganda l’a expliqué dans ses observations sur la
question 1, la RDC a produit, sous formes imprimée et électronique, plusieurs milliers de fiches
organisées par région. Si les documents sur papier ne sont pas classés par type de préjudice, les
versions électroniques sont quant à elles regroupées dans des répertoires correspondant aux décès,
préjudices corporels, déplacements et pertes de biens ou dommages matériels. La RDC présente
également des tableaux et listes censés récapituler les données de différentes manières. L’Ouganda
a exposé nombre des problèmes que soulève le recoupement entre les fiches et les tableaux de
synthèse dans ses observations sur la question 1.
2.5. Selon l’annexe 1.9, qui présente une liste intitulée «Evaluation décès Ituri» et censée
synthétiser les fiches d’identification de victime faisant état de pertes en vies humaines dans le
district en question, 4164 personnes auraient trouvé la mort. Les fiches d’identification de victime
ne permettent toutefois pas d’établir une distinction entre les décès qui auraient résulté de violences
directes et les autres, ce qui confirme une nouvelle fois que l’hypothèse des «deux tiers» émise par
la RDC est dépourvue de fondement. Il est également frappant que les fiches d’identification de
victime que celle-ci a fournies fassent apparaître, pour le district de l’Ituri, un nombre total de
décès allégués plus de dix fois inférieur au chiffre de 60 000 qu’elle invoque. En outre, 3827 de ces
4164 prétendues victimes ne sont même pas identifiées, la RDC se contentant de la simple mention
«non signalé». Autrement dit, l’identité de 92 % des personnes prétendument tuées n’est pas
précisée. Or, comme l’a dit la Commission des réclamations entre l’Erythrée et l’Ethiopie, «[i]l ne
peut y avoir d’évaluation [rigoureuse] lorsque la réclamation porte sur des myriades de victimes
hypothétiques»58.
2.6. Sont reproduites ci-après les pages 5-13 de l’annexe 1.9, où la RDC récapitule sous
forme de tableau les informations figurant dans les fiches d’identification de victime :
58 CREE, Ethiopia’s Damages Claims, (Réclamations de dommages de l’Ethiopie), sentence finale, décision du
17 août 2009, reproduite dans Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales (RSA), vol. 26, p. 665 (2009), par. 64.
55
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2.7. S’agissant des 337 personnes nommément désignées, la RDC ne produit aucun élément
attestant qu’elles ont effectivement été tuées ou bien par qui. Ses fiches d’identification de victime
ne sont accompagnées que de deux documents justificatifs relatifs à de prétendues pertes en vies
humaines en Ituri. L’un est une attestation concernant un décès intervenu à Bunia le 12 mai 200359
et l’autre, un document signé à Butembo le 10 octobre 2004, faisant état de la décision d’une
famille de procéder au partage des biens d’un défunt. Ce second document ne fournit aucune
information sur la date et le lieu du décès (ne précisant pas si celui-ci a eu lieu en Ituri ou ailleurs),
l’âge ou la profession de la victime ou toute autre circonstance entourant sa mort, notamment qui
en serait responsable, le cas échéant60.
2.8. La RDC ne saurait se justifier de ne pas avoir avancé le moindre élément à l’appui en
affirmant que «les difficultés [ont] été immenses sur la voie de la collecte des preuves»61. Ce
qu’elle a produit en l’espèce contraste fortement avec ce que les victimes en l’affaire Katanga
étaient parvenues à soumettre à la CPI62. Alors même qu’elles ne disposaient pas des ressources
d’un Etat, celles-ci ont néanmoins versé au dossier le type d’éléments que l’on est en droit
d’attendre aux fins d’apporter la preuve de préjudices liés à des décès, dont 1) des attestations de
décès signées par des officiers d’état civil de la RDC ; 2) des attestations de lien de parenté
(permettant d’établir celui qui unissait le requérant au défunt) ; et 3) en cas d’indisponibilité d’une
attestation de lien de parenté, d’autres informations suffisant à prouver l’existence d’un tel lien (par
exemple l’identité entre le nom de famille indiqué sur la carte électorale du requérant et celui
figurant sur une attestation de décès)63. Ni dans son mémoire ni dans sa réponse à la question 2 la
RDC n’a-t-elle produit le moindre élément de preuve de cette nature.
2.9. L’affirmation de la RDC selon laquelle 40 000 personnes auraient, pendant la période de
l’occupation ougandaise, trouvé la mort dans des attaques dirigées contre des civils en Ituri n’est
donc nullement étayée.
II. La RDC ne présente aucun élément de preuve qui étaye son estimation du nombre
de personnes ayant subi des dommages corporels
2.10. La RDC continue d’évaluer à 30 000 le nombre de victimes de dommages corporels
pendant l’occupation ougandaise en Ituri. Or cette estimation est, elle aussi, fondée sur des
conjectures elles-mêmes basées sur des spéculations. Comme pour le nombre de décès résultant
d’attaques dirigées contre des civils, la RDC se fonde ici sur deux postulats erronés, à savoir :
1) que 60 000 personnes auraient été tuées en Ituri au cours de l’occupation ougandaise et 2) que le
nombre de blessés correspondrait à la moitié de ce nombre (soit 30 000 personnes)64. Tant le chiffre
de départ que le ratio retenus sont infondés et arbitraires65.
59 Evaluation décès Ituri, ITURI_SUITE_CCF04032016_0052_030 (RRDCQ, annexe 1.4).
60 Evaluation décès Ituri, ITURI_SUITE_CCF04032016_0052_028 (RRDCQ, annexe 1.4). Le nom du défunt
indiqué dans le document ne figure pas dans le tableau de la RDC synthétisant les pertes alléguées en vies humaines
(RRDCQ, annexe 1.9).
61 RRDCQ, par. 2.10.
62 CMOR, par. 5.11.
63 CMOR, par. 5.11.
64 MRDCR, par. 3.28 ; CMOR, par. 6.19-6.25.
65 MRDCR, par. 3.28 ; CMOR, par. 6.19-6.25.
65
66
- 48 -
2.11. En réponse à la question 2, dans le cadre de laquelle elle était priée de présenter des
«éléments de preuve» à l’appui de son estimation, la RDC se contente de faire référence à
l’annexe 2.3.B, qui reproduit le deuxième rapport spécial du Secrétaire général sur la mission de
l’Organisation des Nations Unies en République démocratique du Congo («MONUC»). Ce rapport
n’étaye toutefois pas son estimation, indiquant simplement qu’«un nombre incalculable de
personnes [ont été] mutilées, dont certaines très gravement» depuis le début des violences en juin
199966.
2.12. Le chiffre avancé par la RDC est également contredit par le contenu des fiches
d’identification de victime qu’elle a présentées. Selon l’annexe 1.9.B («Evaluation lésions Ituri»),
censée en dresser la synthèse, 454 personnes auraient subi des dommages corporels en Ituri. Ici
encore, dans la grande majorité des cas (326, soit 71 %), leur identité est «non signalé[e]». Et, à
l’instar de celles relatives aux décès, aucune des fiches d’identification de victime censées rendre
compte de dommages corporels subis en Ituri n’est accompagnée du moindre document permettant
d’établir les faits.
2.13. Le chiffre de la RDC est encore contredit par le contenu de l’annexe 1.3 du mémoire :
«Liste Type Lésion et leur fréquence ITURI: Rapport Fréquence Type Lésions de 1998 à 2003»
(que la RDC a choisi de ne pas reproduire dans le cadre de sa réponse aux questions de la Cour).
Cette liste consigne en théorie 513 cas de dommages corporels, dont 316 cas de viol. Le nombre
des victimes alléguées de viol étant traité séparément, ci-après, il y a lieu de le soustraire du chiffre
total. Or, le résultat de cette opération (513 – 316 = 197) ne représente que 0,6 % des victimes
alléguées de dommages corporels (à l’exclusion des viols) en Ituri au nom desquelles la RDC
demande à être indemnisée.
2.14. La comparaison avec les éléments de preuve soumis par les victimes en l’affaire
Katanga met une fois de plus en évidence les lacunes que comportent les moyens versés au présent
dossier par la RDC. La plupart des 341 demandeurs avaient remis à la CPI des rapports médicaux,
certains produisant une attestation médicale d’une organisation non gouvernementale basée en
Ouganda, un feuillet d’hospitalisation ou un rapport d’expertise médicolégale67. Du reste, malgré
ces justificatifs, dans les cas où les documents présentés par les demandeurs «ne précis[aient] pas
clairement que la blessure a[vait] eu lieu lors de l’attaque de Bogoro», la Cour pénale a conclu que
«le lien de causalité n’a[vait] pas été établi»68.
2.15. L’affirmation de la RDC selon laquelle 30 000 personnes auraient été blessées en Ituri
pendant la période de l’occupation ougandaise n’est donc nullement étayée.
66 Nations Unies, Conseil de sécurité, deuxième rapport spécial du Secrétaire général sur la mission de
l’Organisation des Nations Unies en République démocratique du Congo (MONUC), doc. S/2003/566 (27 mai 2003),
par. 10 (RRDCQ, annexe 2.3.B).
67 Le procureur c. Germain Katanga, affaire no ICC-01/04-01/07-3728, ordonnance de réparation en vertu de
l’article 75 du Statut (CPI, Chambre de première instance II, 24 mars 2017), par. 111.
68 Ibid.
68
67
- 49 -
III. La RDC ne présente aucun élément de preuve qui étaye
son estimation du nombre de victimes de viol
2.16. La RDC continue de chiffrer à 1710 les cas de viol en Ituri pendant la période de
l’occupation ougandaise, mais sans davantage fournir d’éléments de preuve à l’appui de cette
affirmation.
2.17. Dans sa réponse à la question 2, la RDC précise que ce chiffre est fondé sur deux
rapports de l’Organisation des Nations Unies, les éléments de preuve réunis par la Commission
nationale congolaise et les fiches d’identification de victime qu’elle a soumises en annexes 1.1
à 1.10B. A l’exception de ces dernières, qui sont effectivement nouvelles, la RDC a déjà cité toutes
ces sources dans son mémoire69, et aucune d’elles ne vient corroborer son estimation.
2.18. Le premier rapport de l’Organisation des Nations Unies est le rapport spécial sur les
événements d’Ituri (annexe 2.4.B), qui concluait à «[l’]impossib[ilité] de fournir [à l’époque de sa
rédaction] une estimation du nombre de femmes qui ont été violées ou mises en esclavage
sexuel»70. Le second est le rapport Mapping (annexe 2.1), qui ne présente, au paragraphe 414,
qu’un seul chiffre précis à cet égard, lorsqu’il fait état du viol, par des miliciens de l’UPC, d’«au
moins 50 femmes» à Zumbe entre le 15 et le 16 octobre 2002. Aucun autre chiffre ou estimation
n’est spécifié en ce qui concerne les cas de viol rapportés, a fortiori les cas de viol impliquant
l’Ouganda.
2.19. S’agissant des éléments réunis par sa commission nationale, la RDC ne mentionne
aucune source ou annexe spécifique dans sa réponse aux questions de la Cour71. L’Ouganda a
exposé dans son contre-mémoire les nombreuses lacunes que présentent ces éléments, relevant
notamment leur manque de précision et l’absence de preuves à l’appui des faits allégués72.
2.20. Enfin, la RDC se réfère à ses fiches d’identification de victime, mais, là encore, sans se
référer à aucune en particulier73. Même si elle fournit effectivement des tableaux censés contenir la
liste des personnes mortes, déplacées ou victimes de dommages corporels ou de pertes de biens,
aucun ne répertorie séparément les victimes présumées de viol. En outre, les fiches d’identification
de victime n’étant pas organisées par type de préjudices (ni, en réalité, de quelque autre manière
que l’Ouganda soit à même de comprendre), il est impossible de calculer le nombre total de viols
allégué sans passer en revue chacune des 1808 fiches qui se rapportent a priori à l’Ituri (ce qui n’a
pas été possible dans le temps limité imparti). L’Ouganda a cependant examiné toutes les fiches
d’identification de victime pour vérifier si elles étaient associées à tels ou tels éléments de preuve,
des dossiers médicaux, par exemple. Or, elles ne le sont jamais.
2.21. A cette absence totale d’éléments de preuve, l’on peut opposer les moyens produits
dans le cadre de la procédure devant la Commission des réclamations entre l’Erythrée et l’Ethiopie,
laquelle atteste qu’il est possible de réunir des preuves de violences sexuelles même dans des
69 MRDCR, par. 3.30-3.32.
70 Nations Unies, MONUC, rapport spécial sur les événements d’Ituri (janvier 2002-décembre 2003),
doc. S/2004/573, 16 juillet 2004, par. 1 (MRDCR, annexe 1.6).
71 RRDCQ, par. 2.13.
72 CMOR, par. 6.64.
73 RRDCQ, par. 2.13.
69
- 50 -
parties du territoire en proie aux hostilités et à la violence. A l’appui de leurs allégations de viol,
l’Erythrée et l’Ethiopie avaient présenté des témoignages oculaires, corroborés par les attestations
de médecins ayant eux-mêmes traité les victimes74. Même dans un tel contexte, la commission a
écarté les allégations de violences sexuelles «ne comportant tout au plus que des allusions ou des
références non détaillées aux viols» allégués75. Or les allégations de la RDC ne comportent même
pas cela.
2.22. En tout état de cause, il y a lieu de douter que les fiches d’identification de victime,
même à leur reconnaître une valeur probante, étayeraient l’estimation du nombre de viols commis
en Ituri que la RDC a avancée. Dans son mémoire, la RDC a affirmé que «[s]euls 342 cas de viols
[avaient] pu être répertoriés par les enquêteurs congolais» en Ituri, soit 20 % seulement des
1710 viols dont elle fait état76.
2.23. En outre, à l’annexe 1.3 de son mémoire («Liste Type Lésion et leur fréquence ITURI :
Rapport Fréquence Type Lésions de 1998 à 2003»), la RDC présente le viol comme une
sous-catégorie de «préjudices corporels». Elle y recense 201 cas de «viol aggravé» et 115 cas de
«viol simple», soit un total de 316 viols en Ituri77.
*
2.24. En dépit de la seconde chance qui lui a été donnée, la RDC ne fournit toujours aucun
élément de preuve à l’appui de ses estimations 1) du nombre de personnes ayant trouvé la mort
dans des attaques dirigées contre des civils ; 2) du nombre de victimes de dommages corporels ; ni
3) du nombre de victimes de viol en Ituri pendant la période de l’occupation ougandaise. A ce jour,
elle n’a donc pas fourni à la Cour matière à adjuger, sur la base d’éléments de preuve fiables, une
indemnisation au titre des dommages corporels subis en Ituri.
74 CREE, Eritrea’s Central Front Claims, sentence partielle, Front central Réclamations de l’Erythrée nos 2, 4,
6, 7, 8 et 22, décision du 28 avril 2004, par. 80. CREE, Ethiopia Western-Eastern Front Claims, sentence partielle, Fronts
oriental et occidental – Réclamations de l’Ethiopie nos 1 et 3, décision du 19 décembre 2005, par. 55.
75 CREE, Ethiopia Western-Eastern Front Claims, sentence partielle, Fronts oriental et occidental
réclamations de l’Ethiopie nos 1 et 3, décision du 19 décembre 2005, par. 55.
76 MRDCR, par. 3.32.
77 «Liste Type Lésion et leur fréquence ITURI : Rapport Fréquence Type Lésions de 1998 à 2003», MRDCR,
annexe 1.3.
70
- 51 -
QUESTION 3
«La RDC pourrait-elle présenter à la Cour les éléments de preuve sur lesquels
elle fonde l’indemnité de 300 dollars qu’elle réclame pour chaque personne contrainte
de fuir son domicile afin d’échapper à des actes de violence délibérés contre des
populations civiles, et l’indemnité de 100 dollars qu’elle réclame pour chaque
personne obligée de quitter son domicile en raison des combats ?»
OBSERVATIONS DE L’OUGANDA SUR LA RÉPONSE DE LA RDC
3.1. S’agissant de la question 3 posée par la Cour, la RDC n’y répond pas. Elle ne fournit
aucun élément de preuve justifiant les indemnités de 300 et de 100 dollars qu’elle réclame pour
chaque personne contrainte de fuir son domicile en raison, respectivement, d’actes de violence
délibérés contre les populations civiles ou de combats. Sa réponse confirme, au contraire, ce que
l’Ouganda a démontré dans son contre-mémoire : il s’agit de montants forfaitaires, qui ont été
choisis arbitrairement aux fins de la présente procédure, et qui ne se rapportent nullement à des
préjudices effectivement subis ni, a fortiori, à des préjudices dont l’Ouganda serait responsable78.
La RDC les qualifie d’ailleurs elle-même d’«indemnités forfaitaires»79.
3.2. La somme de 300 dollars correspond, selon la RDC, au préjudice moral causé par le
déplacement auquel la population a été contrainte du fait de violences délibérées. La RDC soutient
que ce préjudice moral consiste en «la suspension des activités professionnelles» des victimes, «le
traumatisme découlant pour les déplacés des atrocités commises par les belligérants», «l’angoisse
des faits qui se reproduisent», «la détresse due au manque d’assistance humanitaire», «l’absence
[de] poursuites [contre les] auteurs … de ces faits» et «l’inquiétude due à l’incertitude du
lendemain»80.
3.3. La somme de 100 dollars, affirme la RDC, correspond au préjudice moral subi par
chaque personne contrainte au départ en conséquence indirecte de violences. Selon elle, «ce cas de
figure concerne essentiellement les populations qui ont fui leurs domiciles pour les périodes plus
brèves»81. Elle soutient que «[c]e préjudice moral résulte de : l’inquiétude liée à l’abandon de son
domicile, la crainte de retrouver son domicile détruit, la souffrance née de la séparation imposée
par les hostilités aux membres d’une même famille, la crainte de perdre ses biens»82.
3.4. Ce sont là de simples allégations, et la RDC ne fournit aucun élément de preuve à
l’appui de chacun de ces dires83. Si elle se réfère, de manière générale, aux «fiches d’identification
de victime» sommaires jointes en annexes 1.1 à 1.5.1 de la réponse qu’elle a apportée à une autre
question, elle n’en cite aucune en particulier. L’Ouganda a soigneusement examiné les fiches et les
«listes d’évaluation» correspondantes soumises dans le cadre de ces annexes, afin de déterminer si
elles contiennent effectivement des éléments de preuve étayant les allégations de la RDC
concernant les déplacements de populations. Il n’en est rien. Si certaines fiches sont censées
78 CMOR, par. 6.115.
79 RRDCQ, par. 3.11.
80 Ibid., par. 3.13.
81 Ibid., par. 3.15.
82 Ibid.
83 Ibid., par. 3.11-3.25.
71
72
- 52 -
répertorier des cas de personnes déplacées, elles n’indiquent nullement, par exemple, pourquoi ces
déplacements ont eu lieu, ni si les membres de la famille ont été séparés ou encore si les personnes
concernées ont pu bénéficier d’une aide humanitaire. Aucune ne fait état de pertes de revenus, ni
même de traumatisme, d’anxiété, d’angoisse ou de détresse. En outre, aucune n’indique que les
déplacements en question auraient été la conséquence directe de violences dirigées contre les civils
ou celle, indirecte, de combats, ce qui permettrait de les ranger dans l’une ou l’autre des catégories
définies par la RDC.
3.5. Aux paragraphes 3.3 et 3.4 de sa réponse à la question 3, la RDC mentionne en outre
trois rapports émanant de l’ONU. Or, ces rapports n’étayent pas davantage ses allégations. Dans
son rapport spécial sur les événements d’Ituri (annexe 2.4.B), la MONUC fait état d’un certain
nombre de personnes déplacées sans toutefois préciser si ces déplacements ont été la conséquence
de violences dirigées contre les populations civiles ou celle, indirecte, des combats, ni encore
combien de temps ils ont duré, s’ils se sont accompagnés d’une perte de revenus, et quels
préjudices ils ont entraînés nulle référence, ainsi, au traumatisme, à l’anxiété, à l’angoisse ou à
la détresse décrits par la RDC84. En outre, ces incidents sont, pour certains, postérieurs au retrait de
l’Ouganda du territoire de la RDC le 2 juin 200385. Le rapport Mapping (annexe 2.1) mentionne lui
aussi des déplacements de populations sans apporter les précisions données par la RDC86. L’extrait
du rapport sur la situation des droits de l’homme en République démocratique du Congo présenté
par le rapporteur spécial (annexe 2.2) ne fait, quant à lui, pas la moindre mention de
déplacements87. Malgré la demande que lui a adressée la Cour à cet effet, la RDC n’a donc pas
fourni d’éléments de preuve à même de justifier les sommes forfaitaires qu’elle réclame.
3.6. Ce que fait, en revanche, la RDC, c’est présenter, pour la première fois, deux éléments
nouveaux dans le cadre de ses demandes relatives aux déplacements de population. Elle avance que
des «sommes forfaitaires» de 300 ou de 100 dollars, selon le cas, seraient à ajouter à une évaluation
«pren[ant] en compte le nombre de jours passés en forêt, multiplié par le PIB par habitant par jour
(équivalent de la dépense journalière par individu au Congo)»88. Ainsi, elle soutient maintenant que
l’évaluation totale relative aux déplacements de population doit être égale à : ([durée du
déplacement] x [coût journalier de la vie]) + [somme forfaitaire de 100 ou 300 dollars].
3.7. Cette formule est nouvelle. Elle ne figurait pas dans le mémoire de la RDC, qui ne
contenait aucune référence à ces éléments supplémentaires de durée et de coût journalier de la vie
dans sa demande d’indemnisation au titre des déplacements de populations89. Et même dans sa
réponse à la question 3, la RDC continue, semble-t-il, de fixer son évaluation relative aux
déplacements de populations à 300 ou 100 dollars (selon le cas) en se référant exclusivement aux
montants forfaitaires évoqués ci-dessus. Autrement dit, l’on voit mal à quoi la nouvelle formule de
la RDC est censée servir, concrètement. Quoi qu’il en soit, une chose est claire : les variables qui la
composent ne sont pas justifiées.
84 Nations Unies, Conseil de sécurité, rapport spécial sur les événements d’Ituri (janvier 2002-décembre 2003),
doc. S/2004/573 (16 juillet 2004), par. 1, 12, 26, 40, 42, 49, 52-54, 82 (RRDCQ, annexe 2.4.B).
85 Voir notamment ibid., par. 90.
86 Rapport Mapping, par. 362, 366, 413 (RRDCQ, annexe 2.1).
87 Nations Unies, Conseil économique et social, rapport sur la situation des droits de l’homme dans la République
démocratique du Congo, présenté par le Rapporteur spécial, M. Roberto Garretón, conformément à la résolution 1999/56
de la Commission des droits de l’homme, doc. E/CN.4/2000/42 (18 janvier 2000) (RRDCQ, annexe 2.2).
88 RRDCQ, par. 3.17.
89 MRDCR, chap. 2, 3, 4 et 7.
73
74
- 53 -
3.8. S’agissant de la durée du déplacement, la RDC présente un tableau fournissant des
durées «minimales» alléguées, par localité ou région90, une durée de 6 jours étant, par exemple,
indiquée pour les habitants de Kisangani. Ces estimations, comme les autres chiffres qu’elle
avance, seraient fondées sur les fiches d’identification de victime et le rapport Mapping.
3.9. Si elle affirme que les fiches d’identification de victime «renseignent suffisamment sur
le temps passé» loin de leur domicile par les populations déplacées91, la RDC n’en fournit toutefois
pas une seule indiquant une durée d’éloignement. L’Ouganda a, dans le délai limité dont il
disposait, examiné un échantillon de 187 fiches d’identification de victime se rapportant à des
déplacements92. Seules 10,7 % d’entre elles contenaient des informations sur la durée des
déplacements allégués93 ; parmi celles-ci, un grand nombre semblent rendre compte de durées
d’éloignement inférieures à la durée «minimale» avancée par la RDC94.
3.10. Les allégations de la RDC ne sont pas davantage étayées par le rapport Mapping
qu’elle invoque, celui-ci ne contenant aucun renseignement particulier concernant la durée d’un
quelconque déplacement, hormis une indication selon laquelle des attaques menées le 13 septembre
2002 par des éléments des FRPI ont entraîné le déplacement de milliers de personnes «pendant
plusieurs années»95.
3.11. Pour ce qui concerne le coût journalier de la vie, la RDC utilise un chiffre
(753,20 dollars), correspondant à son prétendu PIB par habitant en 2015, comme variable de
substitution96 (entendant sans doute diviser cette valeur par 365 pour obtenir le PIB par jour). Or,
elle est malvenue à se fonder sur ce chiffre, et ce, pour deux raisons au moins.
3.12. Premièrement, ce chiffre est inexact pour les motifs exposés par l’Ouganda dans son
contre-mémoire. Selon des données de la Banque mondiale que la RDC ne cite pas, son PIB par
habitant pour l’année 2015 était en fait de 475 dollars (exprimé en dollars actuels), soit près de
37 % de moins97. Il est en outre inapproprié d’utiliser le chiffre relatif à l’année 2015 pour la
90 RRDCQ, par. 3.7.
91 Ibid.
92 Les noms des 192 fichiers relatifs à des déplacements qui constituent l’échantillon pris en compte par
l’Ouganda sont indiqués à l’appendice 2. Toutefois, ainsi que précisé dans les observations de l’Ouganda relatives à la
question 1, cinq des fichiers répertoriés ne figuraient pas parmi les versions électroniques des fiches d’identification de
victime produites par la RDC, et il n’en a donc examiné que 187, s’agissant des déplacements de population.
93 Les noms des fichiers correspondants sont indiqués à l’appendice 18.
94 Voir notamment, allant à l’encontre de la durée minimale de déplacement fixée par la RDC à 30 jours pour les
habitants de Beni, les fichiers BENI_SUITE2_CCF08032016_0006_035 (durée d’éloignement alléguée de 3 jours),
BENI_SUITE2_CCF08032016_0007_083 (2 semaines) et BENI_SUITE2_CCF08032016_0004_006 (2 semaines)
(RRDCQ, annexe 1.1) ; et, allant à l’encontre de la durée minimale de déplacement fixée à 6 jours pour les habitants de
Kisangani, les fichiers KISANGANI_SUITE1_CCF06032016_0007_060 (durée de déplacement alléguée de 3 jours),
KISANGANI_SUITE1_CCF06032016_0011_212 (4 jours) et KISANGANI_SUITE1_CCF06032016_0011_124
(2 jours) (RRDCQ, annexe 1.5).
95 Extraits du rapport Mapping, par. 413 (RRDCQ, annexe 2.1).
96 RRDCQ, par. 3.8-3.9.
97 CMOR, par. 5.162.
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76
- 54 -
période 1998-2003. Selon la Banque mondiale, le PIB par habitant et par an de la RDC était de
139 dollars en 1998, et de 174 dollars en 2003 (les deux chiffres étant exprimés en dollars
actuels)98.
3.13. Deuxièmement et, plus important encore, le PIB par habitant ne peut être utilisé comme
variable de substitution pour représenter le coût journalier de la vie. Ainsi que l’Ouganda l’a
souligné dans son contre-mémoire, le PIB d’un pays correspond à «l’ensemble de la production
générée sur le territoire national», et inclut la valeur créée et les revenus engrangés par les sociétés
commerciales, et même par le gouvernement99. Il est donc largement supérieur au coût journalier
de la vie d’un citoyen congolais.
3.14. Ainsi, les chiffres avancés par la RDC ne sont pas justifiés. Et même s’ils l’étaient
quod non , le fait de recourir, pour quantifier le coût journalier de la vie, à une valeur
moyenne unique, ainsi qu’à une durée minimale de déplacement alléguée variant d’une localité à
l’autre n’est pas conforme aux exigences habituelles de la Cour. Si la RDC entend utiliser ces deux
éléments dans son équation, elle doit établir des chiffres fiables pour chaque victime alléguée. Elle
ne saurait appliquer une seule et même valeur à tout un groupe d’hypothétiques victimes. Ainsi que
l’Ouganda l’a évoqué en introduction à ses observations, et qu’il l’expliquera plus en détail dans les
développements relatifs à la question 11, il ne s’agit pas en l’espèce d’une procédure visant à
trancher des réclamations collectives, mais d’une procédure interétatique dans le cadre de laquelle
les dommages allégués doivent être établis par des éléments recevables apportant la preuve du
préjudice exact subi en conséquence de faits illicites spécifiques imputables à l’Ouganda.
3.15. A l’appui de sa démarche consistant à recourir à des sommes forfaitaires, la RDC se
réfère à l’affaire Diallo, à un certain nombre de procédures devant la Cour européenne des droits de
l’homme (CEDH), et aux décisions de la CINU. Or, ces sources ne lui sont d’aucune utilité.
3.16. L’affaire Diallo et les décisions de la CEDH sont dépourvues de pertinence car les
montants adjugés dans ces affaires étaient fondés sur des éléments prouvant clairement
1) l’existence d’un préjudice spécifique, 2) causé par l’Etat défendeur, 3) à un moment donné, 4) en
un lieu donné et 5) à une personne identifiée. Avaient ainsi été produits devant la Cour, en l’affaire
Diallo, d’abondants éléments de preuve démontrant directement que M. Diallo avait été soumis à
des mauvais traitements et placé en détention pendant un total de soixante-douze jours, avant d’être
expulsé de RDC, et que le préjudice ainsi causé résultait d’une violation du droit international
commise par celle-ci100. La logique adoptée par la Cour en l’affaire Diallo ne saurait s’appliquer
ici, compte tenu de l’absence totale d’éléments de preuve spécifiques concernant une victime
particulière.
3.17. De même, les sommes adjugées par la CEDH dans les affaires que cite la RDC
reposaient sur des éléments convaincants établissant l’existence d’un préjudice spécifique causé par
les Etats défendeurs, à un moment et en un lieu donnés, à une personne identifiée. Ainsi, en
l’affaire Selmouni, il était question de coups et blessures et de viol commis par des policiers
98 Ibid., par. 5.163.
99 Ibid., par. 5.166.
100 CMOR, par. 3.44. Bien que la Guinée ait demandé 250 000 dollars en réparation des préjudices causés, la
Cour, se fondant sur les éléments de preuve spécifiques soumis à l’égard d’une victime particulière, ne lui en a adjugé
que 85 000.
77
78
- 55 -
français contre un individu pendant sa garde à vue. M. Selmouni avait produit des examens
médicaux détaillés établis par cinq médecins différents, qui montraient qu’il avait été victime de
nombreuses blessures infligées pendant sa garde à vue101.
3.18. Les affaires Ostrovar, Labzov et Nazarenko concernaient elles aussi des traitements
inhumains et dégradants infligés à des personnes identifiées, pendant leur détention. Dans l’affaire
Ostrovar, par exemple, le requérant avait été détenu dans une cellule étroite, surpeuplée, infestée de
punaises, de poux et de fourmis, dépourvue de chauffage, de ventilation et de fenêtre, et sans
électricité, si ce n’est six heures par jour102. Le requérant, qui souffrait d’asthme, avait vu ses crises
s’aggraver car ses codétenus étaient autorisés à fumer dans la cellule103, et n’avait pu bénéficier de
la moindre assistance médicale104. En outre, dans chacune de ces trois affaires, le fait que le
préjudice établi subi par le requérant avait été causé par l’Etat défendeur n’était pas contesté.
3.19. Dans la présente espèce, en revanche, la RDC n’a fourni aucune preuve de l’existence
d’un préjudice spécifique subi par des personnes spécifiques en conséquence de faits
internationalement illicites imputables à l’Ouganda.
3.20. La RDC se réfère également à la CINU, lorsqu’elle affirme qu’«il n’était pas nécessaire
de produire de preuves des pertes effectives subies»105. Or, ainsi qu’il a été souligné, la logique
suivie par cet organe à l’égard de réclamations collectives ne saurait être appliquée dans le cadre
d’une procédure interétatique classique telle que la présente affaire. Les recours collectifs
nécessitent en général une infrastructure administrative très importante et sophistiquée pour le
traitement des demandes106, et notamment la production par chaque demandeur d’au moins un
minimum de preuves, qui sont ensuite regroupées dans une base de données, et dont la validité peut
être vérifiée au moyen de comparaisons, d’échantillonnages statistiques et d’analyses de régression.
3.21. En tout état de cause, et même à supposer qu’une telle manière de faire puisse être
admise par la Cour (quod non), la RDC n’a pas satisfait aux critères de preuve, moins stricts
pourtant, applicables dans les procédures de réclamations collectives. Elle admet elle-même que,
pour que les demandeurs de «première catégorie» — les personnes ayant été contraintes de quitter
l’Irak ou le Koweït — obti[nssent] réparation dans le cadre de la CINU, «il était nécessaire que
cette fuite», dans chaque cas, «ait eu lieu dans une période déterminée»107, à charge pour les
victimes, nommément désignées, de soumettre à la CINU, par l’entremise de leur gouvernement ou
d’une organisation internationale, à tout le moins «un simple document à l’appui des faits indiquant
la date du départ d’Iraq ou du Koweït»108. Sans cette documentation, la réclamation n’était pas
adressée par le gouvernement ou l’organisation internationale, ou pas accueillie par la CINU.
101 CEDH, affaire Selmouni c. France (requête no 25803/94), arrêt du 28 juillet 1999.
102 CEDH, Case of Ostrovar v. Moldova (requête no 35207/03), arrêt du 13 septembre 2005, par. 14, 17-21.
103 Ibid., par. 15.
104 Ibid., par. 16.
105 RRDCQ, par. 3.24.
106 CMOR, par. 3.54.
107 RRDCQ, par. 3.24.
108 Nations Unies, première session du conseil d’administration de la CINU, doc. S/AC.26/1991/1 (2 août 1991),
par. 11 [disponible sous la cote S/22885].
79
- 56 -
3.22. Au total, des documents ont été soumis pour quelque 923 000 réclamations de
«première catégorie» par soixante-dix-sept gouvernements et treize bureaux de trois organisations
internationales. Pour de nombreux pays, notamment des pays en développement tels que le
Bangladesh, le Soudan et le Yémen, ce n’était pas chose aisée, mais les documents n’en ont pas
moins été produits. Après analyse statistique, la CINU a estimé que 850 000 réclamations étaient
fondées, et que 73 000 ne l’étaient pas109.
3.23. En la présente affaire, en revanche, la RDC n’a pas fourni la moindre documentation de
cette nature indiquant le nom des personnes déplacées, ou les lieux et dates des déplacements en
cause. L’examen des fiches d’identification de victime qu’elle a produites réalisé par l’Ouganda
révèle qu’aucune ne s’accompagne de documents qui confirmeraient les dates et circonstances des
déplacements supposément répertoriés. Si les réclamations présentées par la RDC sur le fondement
des déplacements de population avaient été soumises à la CINU, elles auraient, à l’aune des critères
de preuve appliqués par cet organe, été jugées non étayées et aucune indemnité n’aurait été
adjugée.
3.24. La comparaison avec l’affaire Katanga, dans laquelle la CPI s’était vu soumettre des
informations et éléments de preuve autrement plus précis, est édifiante. Les personnes victimes de
déplacement avaient ainsi présenté à la Cour pénale des «carte[s] de réfugié» ou des attestations de
famille de réfugié110. Elles avaient en outre individuellement «all[égué] un préjudice psychologique
lié au vécu de l’attaque de Bogoro», et certaines «[avaient] présenté des attestations de santé
mentale»111. Et néanmoins, faute d’informations supplémentaires, la chambre de première instance
n’a pas été «en mesure de lier ce préjudice matériel et/ou psychologique à l’attaque de Bogoro»112
et n’a pas accordé de réparation.
*
3.25. Dans sa réponse à la question 3, la RDC ne fait donc guère plus que confirmer que les
montants forfaitaires qu’elle réclame au titre des déplacements de population sont infondés et,
partant, arbitraires. Les sommes demandées, ainsi que la logique applicable aux réclamations
collectives qui les sous-tend, n’ont pas leur place dans un différend interétatique concernant des
réparations. Dans l’arrêt de 2005, la Cour a indiqué que la RDC serait tenue de prouver le préjudice
précis subi en conséquence de faits illicites spécifiques attribuables à l’Ouganda. La RDC ne l’a
pas fait, et n’a donc, à ce jour, pas fourni à la Cour matière à adjuger une indemnisation au titre des
déplacements de populations.
109 Voir CINU, The Claims, Category A, accessible à l’adresse suivante : https//uncc.ch/category (dernière
consultation le 3 janvier 2019).
110 Le Procureur c. Germain Katanga, affaire no ICC-01/04-01/07-3728, ordonnance de réparation en vertu de
l’article 75 du Statut (Chambre de première instance II, 24 mars 2017), par. 138.
111 Ibid., par. 123.
112 Ibid., par. 138.
80
81
- 57 -
QUESTION 4
«La RDC pourrait-elle présenter à la Cour les éléments de preuve ainsi que la
méthode qu’elle a utilisés pour établir la valeur des établissements et bâtiments
scolaires, médicaux ou administratifs situés dans le district de l’Ituri qui ont été
endommagés du fait d’actes illicites imputables à l’Ouganda ?»
OBSERVATIONS DE L’OUGANDA SUR LA RÉPONSE DE LA RDC
4.1. Dans sa réponse à la question 4, la RDC ne présente ni les éléments de preuve ni la
méthode qu’elle a utilisés pour établir la valeur des établissements et bâtiments scolaires, médicaux
ou administratifs situés dans le district de l’Ituri qui ont été endommagés du fait d’actes illicites
imputables à l’Ouganda. En réalité, elle ne répond donc pas à la question de la Cour.
4.2. Avant d’examiner ce qu’elle dit concrètement, il est utile de rappeler que, dans son
mémoire, la RDC a allégué que la «valeur moyenne» de ces infrastructures publiques «p[ouvait]
être estimée» à :
75 000 dollars dans le cas d’un établissement scolaire113 ;
75 000 dollars dans le cas d’un établissement médical114 ; et
50 000 dollars dans le cas d’un bâtiment administratif115.
4.3. Dans sa réponse à la question 4, tout comme dans son mémoire, la RDC n’apporte
aucune explication, et encore moins d’éléments de preuve, justifiant ces prétendues «valeurs
moyennes». Il semble s’agir de montants forfaitaires choisis au juger aux fins de la présente
instance. La RDC ne se donne même pas la peine de les associer au moindre coût effectif de
réparation ou de reconstruction. Ce manquement est d’autant plus remarquable que pareilles
informations relèvent entièrement de son contrôle. S’il avait réellement été procédé à des
réparations ou reconstruction, comme l’affirme la RDC, celle-ci devrait disposer de documents
113 MRDCR, par. 7.39. Pour ce qui est des établissements scolaires, la RDC a affirmé que, «[g]lobalement, la
valeur moyenne d’une infrastructure d’enseignement p[ouvait] être estimée à 75 000 dollars». Le montant total de
l’indemnisation qu’elle réclame à ce titre «est donc de 200 x 75 000 dollars, soit 15 000 000 (quinze millions) dollars».
114 MRDCR, par. 7.40. Pour ce qui est des établissements médicaux, la RDC a affirmé que «la valeur moyenne
d’une infrastructure de santé p[ouvait] être estimée à 75 000 dollars». Le montant total de l’indemnisation qu’elle réclame
à ce titre «est donc de 50 x 75 000 dollars, soit 3 750 000 (trois millions sept cent cinquante mille) dollars».
115 MRDCR, par. 7.41. Pour ce qui est des immeubles de bureaux, la RDC a affirmé que, «[g]lobalement, la
valeur moyenne d’une infrastructure administrative p[ouvait] être estimée à 50 000 dollars». Le montant total de
l’indemnisation qu’elle réclame à ce titre «est donc de 50 x 50 000 dollars, soit 2 500 000 (deux millions cinq cent
mille) dollars».
83
84
- 58 -
attestant les frais engagés, et l’on serait en droit d’attendre qu’elle les produise à la Cour116. Or, elle
n’en a produit aucun.
4.4. Plutôt que de présenter des preuves spécifiques et d’expliquer la méthode d’évaluation
qu’elle a suivie, la RDC, dans sa réponse, se borne à faire une référence générale à des annexes
renfermant des «listes d’évaluation» et des «fiches d’identification de victime»117. La liste relative à
l’ensemble des dommages matériels en Ituri se trouve à l’annexe 1.9.C, intitulée «Evaluation pertes
des biens Ituri». Ce document de 193 pages est censé avoir été créé à partir de fiches
d’identification de victime qui établissaient les dommages causés et les valeurs correspondantes.
Chacune de ses entrées est supposément liée à une fiche spécifique contenue dans un document
électronique.
4.5. La RDC, cependant, n’a fait aucun effort pour classer, dans cette liste, les informations
de manière systématique, en fonction du type de bien dont il est question, par exemple des
établissements ou bâtiments scolaires, médicaux ou administratifs. Pour l’essentiel, cette liste est
un salmigondis presque inintelligible de données que l’on ne peut souvent rattacher à aucun bien de
cette nature. L’Ouganda n’en a pas moins examiné attentivement les 193 pages dont elle se
compose, parvenant ainsi à associer 33 références éparses à des fiches d’identification de victime
faisant état de dommages causés à des établissements publics en Ituri. Il ressort d’une analyse de
cet ensemble très limité d’informations concordantes que ni la liste d’évaluation ni lesdites fiches
ne permettent d’établir le bien-fondé des montants réclamés (non plus d’ailleurs que de toute autre
estimation), et ce, pour les motifs ci-après118.
4.6. S’agissant des établissements scolaires, l’Ouganda a pu rattacher 19 entrées de la liste
d’évaluation rendant compte de dommages allégués à ce titre aux fiches d’identification de victime,
lesquelles se rapportent quant à elles à 25 établissements de ce type119. L’une de ces entrées,
figurant à la page 47 et reproduite ci-après, renvoie aux dommages qui auraient été causés à une
école primaire et à un institut à Kabona :
116 Les deux seuls documents censés permettre de déterminer les valeurs de reconstruction des établissements
scolaires et hôpitaux figurent dans les annexes 4.2 et 4.3 des RRDCQ. Pourtant, comme le reconnaît la RDC, ces
documents ne sont pas mentionnés pour justifier les estimations effectives de la RDC mais parce qu’ils présentent des
«chiffres largement supérieurs à ceux avancés par la RDC dans la présente évaluation» (RRDCQ, par. 4.8.). Trois
observations s’imposent. Premièrement, cela confirme une fois de plus que la RDC ne possède aucun élément justifiant
les valeurs qu’elle allègue, en l’espèce, au titre de la reconstruction, accréditant l’idée d’une demande arbitraire et
dépourvue de fondement. Deuxièmement, les valeurs alléguées dans les documents présentés en annexes 4.2 et 4.3 des
RRDCQ sont également infondées. A titre d’exemple, l’annexe 4.2 contient seulement un tableau, établi le 17 octobre
2018, censé récapituler les coûts de reconstruction ou de réhabilitation, mais qui n’est accompagné d’aucun élément de
preuve. Quant à l’annexe 4.3, elle reproduit à l’identique les documents que la RDC avait présentés dans son mémoire
pour justifier sa demande d’indemnisation à raison de dommages causés à des lieux de culte à Kisangani. Or, l’Ouganda a
déjà démontré aux paragraphes 7.92 à 7.97 de son contre-mémoire toutes les failles en matière de preuve et de
méthodologie qui rendent ces documents impropres à établir l’un quelconque des dommages allégués. Troisièmement et
enfin, il faudrait être bien crédule pour accepter que les chiffres «supérieurs» indiqués dans les annexes 4.2 et 4.3 des
RRDCQ prouveraient en quelque sorte que les chiffres «inférieurs» avancés par la RDC sont raisonnables : celle-ci ne
saurait se servir de coûts de reconstruction/réhabilitation non démontrés pour justifier des estimations de la valeur de
reconstruction/réhabilitation qui ne sont pas davantage justifiées ni exemptes d’arbitraire.
117 RRDCQ, par. 4.2, 4.3.
118 Point important, la RDC ne se fonde même pas sur les «fiches d’identification de victime» pour prouver les
dommages qu’elle invoque. Comme l’Ouganda l’a démontré dans son contre-mémoire, elle se contente de présenter, sans
les justifier, des chiffres relatifs à de prétendus dommages causés à des établissements publics, chiffres qu’elle multiplie
ensuite par les montants forfaitaires qu’elle a arbitrairement fixés. Voir CMOR, par. 7.35-7.48.
119 A comparer aux 200 établissements scolaires à raison desquels la RDC réclame d’être indemnisée dans son
mémoire (MRDCR, par. 7.39.). Voir également CMOR, par. 7.36-7.38 (où il est démontré que l’assertion de la RDC
selon laquelle l’Ouganda serait responsable de la destruction de 200 écoles en Ituri est dépourvue de fondement).
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4.7. Les dommages sont censés être évalués à 860 000 dollars sur la base de la fiche
d’identification de victime figurant dans le document électronique «ITURI_SUITE_
CCF04032016_0054_018», et reproduite ci-après :
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4.8. Il n’y a apparemment là rien qui corresponde au montant forfaitaire de 75 000 dollars
par établissement scolaire endommagé auquel la RDC prétend avoir droit. En outre, cette fiche ne
contient rien de plus que des assertions sommaires ; aucune documentation n’est fournie à l’appui,
que ce soit sous la forme de déclarations sous serment circonstanciées, de photographies ou de
factures indiquant des coûts de reconstruction ou de réparation.
4.9. Or, ainsi que la Cour l’a récemment précisé dans une autre affaire, pareilles assertions
péremptoires ne sauraient à elles seules fonder une demande d’indemnisation120, a fortiori lorsque
des montants très importants sont réclamés au titre de dommages matériels pour lesquels des
éléments de preuve devraient être facilement accessibles. Dans son arrêt relatif à l’indemnisation en
l’affaire Costa Rica c. Nicaragua, la Cour a refusé d’accorder une indemnisation à raison de
dommages allégués dont le requérant n’avait pas précisé ni établi, pièces à l’appui, la nature ou
l’étendue, ni justifié l’évaluation121. En revanche, elle a jugé que des factures numérotées et datées,
détaillant les différents coûts et assorties de confirmations de paiement, par exemple, avaient une
valeur probante et justifiaient l’indemnisation demandée122. La RDC n’a cependant joint aucune
preuve de ce type à la fiche d’identification susmentionnée — ni, du reste, à aucune autre fiche
faisant état de dommages causés à des établissements publics en Ituri.
4.10. Une autre entrée figurant à la page 51 de la liste d’évaluation censée rendre compte des
dommages causés à un établissement scolaire illustre les failles récurrentes de ce document et des
fiches correspondantes, failles qui sapent la crédibilité de ce chef de demande de la RDC. L’entrée
en question est la suivante :
120 Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua),
indemnisation, arrêt, C.I.J. Recueil 2018 (I), p. 44, par. 103.
121 Ibid., par. 143.
122 Ibid., par. 99, 124.
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- 61 -
4.11 Il est fait référence à cet égard à une fiche d’identification de victime figurant dans le
document électronique «ITURI_SUITE_CCF04032016_0057_016» et reproduite ci-après :
4.12. Or, cette fiche ne contient pas les chiffres «résumés» dans la «liste d’évaluation» (ni,
d’ailleurs, le moindre chiffre). Les valeurs indiquées dans celle-ci semblent ainsi avoir été
inventées par la personne qui l’a établie, sans doute aux fins de la présente espèce.
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4.13. La Cour notera également que la fiche reproduite ci-dessus ne fait pas ne serait-ce
qu’allusion à une responsabilité de l’Ouganda s’agissant des dommages allégués ; il est indiqué que
les «auteurs présumés» sont les «FRPI» et l’«UPC». De même ne contient-elle aucun élément
donnant à penser que les dommages allégués auraient résulté d’un manquement, par l’Ouganda, à
son obligation d’exercer la diligence requise en tant que puissance occupante en Ituri. Ces
remarques valent pour les 17 autres fiches relatives à des établissements scolaires et, partant,
aucune d’elles ne saurait fonder l’octroi d’une indemnisation123.
4.14. L’on constate ce même type de lacunes s’agissant des entrées de la «liste d’évaluation»
présentée à l’annexe 1.9.C qui correspondent à trois fiches d’identification relatives à des
dommages causés aux infrastructures de santé retrouvées par l’Ouganda. Ces trois fiches
concernent deux hôpitaux et un dispensaire124. Ainsi, à la page 41 de la liste d’évaluation, on trouve
l’entrée suivante :
123 Voir les «fiches d’identification de victime» mentionnées dans l’annexe 1.9.C des RRDCQ :
ITURI_SUITE_CCF04032016_0053_002, p. 42 ; ITURI_SUITE_CCF04032016_0054_001, p. 46 ;
ITURI_SUITE_CCF04032016_0055_021, p. 46 ; ITURI_SUITE_CCF04032016_0054_010, p. 46 ;
ITURI_SUITE_CCF04032016_0059_008, p. 46 ; ITURI_SUITE_CCF04032016_0057_018, p. 47 ;
ITURI_SUITE_CCF04032016_0056_016, p. 47 ; ITURI_SUITE_CCF04032016_0054_005, p. 47 ;
ITURI_SUITE_CCF04032016_0054_012, p. 47 ; ITURI_SUITE_CCF04032016_0054_014, p. 47 ;
ITURI_SUITE_CCF04032016_0055_019, p. 47 ; ITURI_SUITE_CCF04032016_0054_008, p. 47 ;
ITURI_SUITE_CCF04032016_0057_006, p. 47 (cette fiche ne précisant pas la date à laquelle les dommages auraient été
causés, il est impossible de vérifier si ceux-ci entrent seulement dans le champ d’application ratione temporis de l’arrêt
de 2005 ; elle ne présente pas non plus, et encore moins ne justifie, la moindre estimation, ce qui montre que celles
«résumées» dans la «liste d’évaluation» sont infondées et arbitraires) ; ITURI_SUITE_CCF04032016_0054_003, p. 48 ;
ITURI_SUITE_CCF04032016_0059_002, p. 48 (cette fiche ne présente pas la moindre estimation, ce qui montre que
celles «résumées» dans la «liste d’évaluation» sont infondées et arbitraires) ; ITURI_SUITE_CCF04032016_0054_007,
p. 50 (entre autres lacunes, cette fiche n’est pas datée, de sorte qu’il est impossible de vérifier si les dommages allégués
entrent dans le champ d’application ratione temporis de l’arrêt de 2005) ; ITURI_SUITE_CCF04032016_0054_002,
p. 61 (RRDCQ, annexe 1.9.C).
124 Ce chiffre est à rapprocher de celui de 50 infrastructures de santé au titre desquelles la RDC demande une
indemnisation dans son mémoire (MRDCR, par. 7.40). Voir également CMOR, par. 7.41-7.42 (où il est démontré que
l’allégation de la RDC selon laquelle l’Ouganda serait responsable de la destruction de 50 infrastructures de ce type en
Ituri est infondée).
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4.15. Les dommages allégués sont censés être fondés sur une fiche d’identification de
victime figurant dans le document «ITURI_SUITE_CCF04032016_0056_018» et reproduite
ci-après :
4.16. Il n’y a apparemment là rien qui corresponde au montant forfaitaire de 75 000 dollars
par infrastructure de santé endommagée auquel la RDC prétend avoir droit. De surcroît, bien que,
contrairement à la précédente, cette fiche désigne les UPDF en tant qu’auteurs «présumés», elle en
mentionne également d’autres. L’on peine à savoir si cela est censé signifier que l’Ouganda
pourrait être l’un des auteurs, qu’il a agi avec d’autres parties ou encore autre chose. La RDC laisse
à l’Ouganda et à la Cour le soin de deviner ce qu’il en est.
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4.17. Par ailleurs, de même que toutes les autres fiches d’identification de victime, celle-ci
présente comme avérées des données qui ne sont corroborées par aucun document ni autre élément
justifiant le montant de l’évaluation avancé ou attestant l’identité de ou des auteurs allégués. Les
montants des dommages-intérêts demandés par la RDC ne reposent donc sur rien. Il en va de même
des deux autres fiches d’identification de victime, qui concernent un autre hôpital et un
dispensaire125.
4.18. En ce qui concerne les bâtiments administratifs, l’Ouganda a établi que la liste
d’évaluation figurant à l’annexe 1.9.C renvoyait à 11 fiches d’identification de victime faisant état
de dommages causés à des bâtiments de ce type, un complexe administratif, trois prisons et quelque
onze bâtiments ou bureaux non spécifiés126.
4.19. Ainsi, en page 21 de la liste, on trouve l’entrée suivante concernant un bâtiment
administratif :
125 Voir les «fiches d’identification de victime» mentionnées à l’annexe 1.9.C des RRDCQ :
ITURI_SUITE_CCF04032016_0053_006, p. 42 ; ITURI_SUITE_CCF05032016_0003 (2)_005, p. 58.
126 Ce chiffre est à rapprocher de celui de 50 bâtiments administratifs au titre desquels la RDC demande une
indemnisation dans son mémoire (MRDC, par. 7.41). Voir également CMOR, par. 7.43-7.44 (où il est démontré que
l’allégation de la RDC selon laquelle l’Ouganda serait responsable de la destruction de 50 institutions médicales en Ituri
est infondée).
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4.20. Les dommages allégués évalués à 900 000 dollars sont ceux mentionnés sur la fiche
figurant dans le dossier «ITURI_SUITE_CCF04032016_0053_015» et reproduite ci-dessous :
4.21. Il n’y a apparemment là rien qui corresponde au montant forfaitaire de 50 000 dollars
par bâtiment administratif endommagé auquel la RDC prétend avoir droit. De même que celles
relatives aux établissements d’enseignement et aux infrastructures de santé, cette fiche n’a de
valeur que déclarative. Il n’y est présenté aucune donnée ni, a fortiori, aucun élément de
preuve permettant d’établir l’ampleur des dommages ou l’identité des auteurs. Pas plus que n’y
est mentionné ni, a fortiori, justifié le montant prétendument «total» présenté dans la liste
d’évaluation. Par conséquent, le montant de 900 000 dollars réclamé par la RDC est dépourvu de
tout fondement127.
127 Voir également d’autres exemples dans l’annexe 1.9.C des RRDCQ : ITURI_SUITE_
CCF04032016_0059_024, p. 32 (bien que cette fiche d’identification ne comporte aucune évaluation et ne soit pas
davantage accompagnée d’éléments prouvant les dommages allégués, une valeur de 55 800 dollars est arbitrairement
attribuée à ceux-ci dans la liste d’évaluation) ; ITURI_SUITE_CCF04032016_0057_010, p. 57 (bien que cette fiche
d’identification ne comporte aucune évaluation et ne soit pas davantage accompagnée d’éléments de preuve, le chiffre de
10 150 dollars est consigné dans l’entrée correspondante de la liste d’évaluation).
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4.22. A la page 35 de la liste d’évaluation, on trouve l’entrée suivante, concernant un
«complexe administratif» :
4.23. Les dommages allégués, d’un montant de 18 000 dollars, sont ceux mentionnés dans la
fiche figurant dans le document «ITURI_SUITE_CCF04032016_0054_033», et reproduite
ci-dessous :
4.24. Une fois de plus, il n’y a là apparemment rien qui corresponde au montant forfaitaire
de 50 000 dollars par bâtiment administratif endommagé auquel la RDC prétend avoir droit. En
outre, cette fiche n’est pas davantage accompagnée d’éléments de preuve que ce soit quant à
l’ampleur des dommages allégués, à leur évaluation ou à l’identité des auteurs supposés que les
autres. S’il est vrai que les frais de «réhabilitation» dont il est fait état ont été engagés, on pourrait
s’attendre à ce que la RDC soit en mesure d’en apporter la preuve ; or, elle ne l’a pas fait.
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4.25. Fait important, il est également indiqué sur la fiche que les dommages allégués datent
du 13 août 2008, soit cinq ans après le retrait d’Ituri des soldats des UPDF. Une erreur aussi
grossière (l’attribution à l’Ouganda d’un comportement qui se serait produit alors qu’il n’était
même pas présent en RDC) non seulement sape la crédibilité de cette fiche-ci, mais fait également
peser de sérieux doutes sur tout le processus de constitution de ces «fiches d’identification».
4.26. Citons un autre exemple à la page 57 de la liste d’évaluation. L’entrée ci-après
répertorie ainsi les dommages prétendument causés à un «bâtiment», un «bureau» et une «prison» :
4.27. Les dommages allégués, évalués à 5000 dollars pour chacun de ces bâtiments
administratifs, sont censés être fondés sur une fiche d’identification de victime figurant dans le
document «ITURI_SUITE_CCF04032016_0057_020», laquelle se présente comme suit :
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4.28. Cette fiche lacunaire ne vient en rien étayer les allégations de la RDC. Outre le fait
qu’elle n’attribue pas à l’Ouganda (ni à qui que ce soit d’autre) les dommages allégués, elle ne
mentionne même pas les montants de «l’évaluation» que la liste est censée reprendre. Ces chiffres
semblent apparus comme par magie128. D’ailleurs, pour les trois prisons et les quelque onze
bureaux ou bâtiments non spécifiés mentionnés dans la liste, la même valeur 5000 dollars est
alléguée129. Or, il n’est a priori pas plausible que la valeur des dommages causés à des bâtiments
différents soit rigoureusement identique. De surcroît, ces chiffres décrédibilisent le montant
forfaitaire de 50 000 dollars arbitrairement demandé par bâtiment administratif.
*
4.29. En conclusion, la RDC, dans sa réponse à la question 4, n’a nullement expliqué, et
encore moins justifié, preuves à l’appui, les «coûts moyens» de réparation des dommages allégués
(75 000 dollars par établissement d’enseignement, 75 000 dollars par infrastructure de santé et
50 000 dollars par bâtiment administratif).
128 Voir également d’autres «fiches d’identification de victime» à l’annexe 1.9.C des RRDCQ :
ITURI_SUITE_CCF04032016_0057_026, p. 35 (la fiche en question ne mentionne aucun chiffre pour les différentes
catégories de dommages allégués, qui sont néanmoins estimés à 15 000 dollars dans la liste d’évaluation) ;
ITURI_SUITE_CCF04032016_0057_022, p. 57 (la fiche ne mentionne pas de valeur pour la prison ou le bureau faisant
seulement état de coûts de 20 000 dollars pour certaines structures, sans plus de précisions.)
129 Voir annexe 1.9.C des RRDCQ : ITURI_SUITE_CCF04032016_0054_033, p. 35 ; ITURI_SUITE_
CCF04032016_0055_015, p. 48, ibid ; ITURI_ SUITE_CCF04032016_0057_008, p. 56 ; ITURI_SUITE_
CCF04032016_0057_020, p. 57 ; ITURI_SUITE_CCF04 032016_0054_035, p. 57 (sur cette fiche d’identification de
victime, les dommages sont attribués à «UPC-APC-FRPI» ; un montant forfaitaire de 3000 dollars est indiqué à la suite
d’une liste de biens, alors que la liste d’évaluation «fait état» de dommages dont le total se monte à 3500 de dollars pour
trois types de bâtiments non spécifiés) ; ITURI_SUITE_CCF04032016_0054_029, p. 158 (la fiche d’identification
chiffre, sans aucun élément de preuve à l’appui, les dommages à 8300 dollars, mais la liste d’évaluation «fait état» de
dommages chiffrés à 10 000 dollars).
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QUESTION 5
«La RDC pourrait-elle présenter à la Cour des éléments de preuve concernant
l’emplacement, la propriété et la production moyenne de chacune des mines et forêts
— ainsi que les éventuels permis ou concessions y afférents — à raison de
l’exploitation illicite desquelles elle demande une indemnisation de la part de
l’Ouganda ?»
OBSERVATIONS DE L’OUGANDA SUR LA RÉPONSE DE LA RDC
5.1. La question 5 invite la RDC à présenter les types d’éléments normalement requis dans
une procédure interétatique pour démontrer l’existence de dommages dus à l’exploitation illicite de
ressources naturelles et justifier l’évaluation qui en est faite130. Or, dans sa réponse, la RDC ne fait
rien de tel. Elle ne fournit aucun élément de preuve spécifique concernant 1) l’emplacement, 2) la
propriété, 3) la production moyenne, ou 4) les éventuels permis ou concessions afférents à l’une
quelconque, et encore moins à l’ensemble, des mines et forêts à raison de l’exploitation illicite
desquelles elle demande une indemnisation.
I. La RDC ne présente pas les éléments de preuve requis
concernant les mines
5.2. Dans sa réponse à la question 5, la RDC ne présente d’éléments concernant
l’emplacement, la propriété ou la production moyenne d’aucune mine d’or, de coltan ou de
diamants exploitée par suite de faits illicites attribuables à l’Ouganda, non plus que les éventuels
permis ou concessions y afférents.
5.3. S’agissant de l’emplacement des différentes mines, la RDC aurait dû présenter, à tout le
moins, des pièces justificatives précisant celles qui, selon elle, auraient fait l’objet d’une
exploitation illicite dont l’Ouganda serait responsable. Elle aurait pu s’appuyer à cet effet sur des
cartes ou levés réalisés par l’Etat ou des sociétés minières indiquant leur emplacement exact,
pareils documents étant généralement disponibles à des fins d’achat ou de vente, de transport de
minerais ou d’appui logistique. Il lui aurait également été possible de rapporter les propos tenus à
l’époque par des personnes ayant une connaissance directe des faits, telles que le propriétaire,
l’exploitant ou l’ingénieur en chef, rendant compte de la saisie des différentes mines.
5.4. Au lieu de quoi, la RDC se réfère à deux cartes non authentifiées dressées par des tiers
sur la base de données invérifiables. La «carte no 1» (figurant à la page 17 de sa réponse) ne
comporte ni titre ni date, et semble avoir été réalisée par l’International Peace Information Service
(ci-après l’«IPIS»)131. La RDC présente également une «carte no 2A» (à la page 18 de sa réponse),
qui ne porte pas non plus de titre, et date apparemment de 2005132.
130 Pour un examen des conditions à remplir au regard du droit international afin d’établir la matérialité de
dommages dus à l’exploitation illicite de ressources naturelles, voir CMOR, par. 8.4-8.7.
131 RRDCQ, par. 5.3.
132 RRDCQ, par. 5.3. Le nom de l’auteur est illisible en raison de la mauvaise qualité de l’image produite par la
RDC.
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5.5. La RDC présente ces deux cartes à titre de preuve non pas de l’emplacement des mines à
raison desquelles elle réclame une indemnisation, mais seulement des «différents
minerais ... présents dans la zone qui était sous contrôle ou ... sous occupation ougandaise»133.
Même à les supposer fiables, ces cartes ne font ainsi qu’indiquer de manière générale les régions où
l’on pouvait trouver tel ou tel type de minerai, et non l’emplacement de mines bien précises, et
encore moins celui de mines exploitées par l’Ouganda ou pour son compte. Elles ne répondent
donc en rien à la demande de la Cour.
5.6. Ces deux cartes n’établissent pas non plus de recoupements, fussent-ils généraux, entre
l’emplacement approximatif de gisements minéraux et celui de soldats ougandais, contrairement à
ce que prétend la RDC134. Et quand bien même celle-ci aurait produit une carte à cet effet, il ne
s’agirait pas en soi d’une preuve que l’Ouganda a exploité de manière illicite des ressources
minérales congolaises. Le simple fait que des soldats des UPDF aient pu se trouver en un lieu
donné à un moment donné ne signifie pas que l’Ouganda soit nécessairement responsable de
chacune et de l’ensemble des pertes qui y ont été subies. Il en faut nettement plus pour prouver
l’existence d’une cause immédiate135.
5.7. S’agissant de la propriété des différentes mines, la RDC aurait dû présenter des pièces
justificatives établissant si chacune d’elles appartenait à l’Etat ou à une entité privée et, dans le
second cas, qui en était le propriétaire. Cette preuve pouvait aisément être apportée au moyen de
titres de propriété, permis, déclarations fiscales ou rapports officiels datant de l’époque des faits.
Or, là encore, la RDC ne présente aucun élément de preuve de ce type. Dans sa réponse à la
question 5, elle ne se donne d’ailleurs même pas la peine d’aborder de quelque manière que ce soit
la question de la propriété.
5.8. L’Ouganda considère qu’il est essentiel de savoir si une mine est propriété privée ou
publique pour déterminer comment évaluer les dommages qui lui ont été causés. Toute perte subie
par la RDC du fait de l’exploitation illicite de ressources minérales doit se mesurer à l’aune non
pas de la valeur commerciale des minerais en question, comme l’affirme à tort la RDC136, mais de
la perte nette de valeur que cette exploitation a occasionnée pour l’Etat. Dans le cas d’une mine
appartenant à la RDC, la perte subie par celle-ci correspondrait à la valeur des minerais extraits
diminuée des coûts d’extraction et de transport à des fins de vente137. Dans le cas d’une mine
appartenant à une partie privée, la perte subie par la RDC se limiterait au manque à gagner en
matière d’impôt sur le revenu, de redevances ou d’autres droits dus à l’Etat.
5.9. S’agissant de la production moyenne des différentes mines, la RDC aurait notamment dû
soumettre des livres comptables ou autres documents correspondant à l’exploitation antérieure et
attestant les volumes de production de chacune d’elles au cours des années ayant précédé la saisie
et, si possible, de l’année de cette saisie. Ces documents sont primordiaux, car l’évaluation du
133 RRDCQ, par. 5.4 («La carte no 1 présente les différents minerais que l’on rencontre à la partie Est de la RDC
et surtout, ceux qui sont présents dans la zone qui était sous contrôle ou simplement sous occupation ougandaise. La
légende énumère et vous ramène sur les zones précises où l’on peut rencontrer ces minerais. Ceci est la preuve que les
militaires ougandais occupaient des zones riches en minerais.»).
134 RRDCQ, par. 5.4.
135 CMOR, chap. 8.I.B-C.
136 MRDCR, par. 5.58.
137 Si la mine d’or appartient à une entreprise privée congolaise et est exploitée par cette dernière, la RDC doit
également établir que l’entreprise en question a toujours eu sa nationalité depuis la date du préjudice jusqu’à celle du
dépôt de sa réclamation, à tout le moins.
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106
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dommage occasionné par la perte de ressources peut être établie sur la base des années antérieures
d’exploitation de chaque mine, en déduisant les coûts d’extraction et en tenant compte de tout
changement de situation (par exemple lorsque l’état de la mine est dégradé par suite du conflit).
5.10. Au lieu de présenter les éléments de preuve demandés, la RDC formule une assertion
bien peu rigoureuse qui se rapporte exclusivement à la production de trois mines d’or (elle reste
muette sur la production de coltan ou de diamants). Elle allègue en particulier — sans aucune
précision de dates — que «la production moyenne» d’or était «de l’ordre de 5112 [k]g ... par an
répartie comme suit : 3600 [k]g par an pour la Mine de Gorumbwa, 432 [k]g par an pour les mines
de Durba et 1080 [k]g par an pour les mines d[’]Adidi»138.
5.11. A cet égard, la RDC s’appuie sur la version française d’un rapport de Human Rights
Watch139, qui ne contient toutefois pas les données qu’il est censé permettre d’établir ; ce document
ne fait ainsi mention d’aucun des chiffres de production allégués. (L’Ouganda a aussi consulté la
version anglaise de ce rapport, mais elle ne renferme pas non plus le moindre élément qui vienne
étayer les assertions de la RDC.) Il convient de relever que ce passage de la réponse de la RDC à la
question de la Cour est le seul dans lequel les mines de Gorumbwa, de Durba et d’Adidi sont ne
serait-ce que mentionnées. A aucun moment la RDC ne fait d’efforts sérieux pour produire le
moindre élément attestant l’emplacement et la propriété des mines, ou d’éventuels concessions ou
permis.
5.12. La RDC invoque par ailleurs des données statistiques distinctes concernant la
prétendue exportation d’or par l’Ouganda (là encore, sans dire un mot sur le coltan ou les
diamants)140. Premièrement, l’Ouganda fait observer que les nouvelles données que la RDC a
produites dans sa réponse sont tout aussi erronées que celles mentionnées dans son mémoire. Les
données correctes concernant la production et l’exportation ougandaises d’or ont été présentées
dans le contre-mémoire141. Deuxièmement, l’Ouganda a également expliqué dans cette pièce
pourquoi il y avait lieu de rejeter la tentative malavisée de la RDC de se servir des exportations
ougandaises d’or et d’autres minéraux pour établir le préjudice qu’elle aurait subi142. La RDC ne
faisant, dans sa réponse à la question 5, aucun effort pour réfuter ces explications, l’Ouganda se
gardera d’en infliger ici la répétition à la Cour.
5.13. Enfin, s’agissant des concessions ou permis afférents aux différentes mines, la RDC ne
produit pas non plus le moindre élément de preuve. Elle ne présente de copies de documents y
relatifs pour aucune mine, et encore moins pour toutes. Cette omission est d’autant plus flagrante
que, dans sa réponse à la question 5, elle a expressément admis avoir délivré à différentes entités
des autorisations d’exploiter certaines ressources minérales143. Si l’Ouganda considère la question
des concessions ou permis comme extrêmement importante, c’est aussi parce que, dans l’hypothèse
où les mines en cause étaient exploitées par des entités non publiques, le préjudice porté à la RDC
ne pourrait être mesuré qu’à l’aune du manque à gagner en matière d’impôt, de redevances ou de
droits, et non en fonction de la valeur commerciale des minerais extraits.
138 RRDCQ, par. 5.18 (citant Human Rights Watch, «Le fléau de l’or» (RRDCQ, annexe 5.5).
139 Human Rights Watch, «Le fléau de l’or» (RRDCQ, annexe 5.5).
140 RRDCQ, par. 5.10.
141 CMOR, par. 8.59-8-95.
142 Ibid.
143 RRDCQ, par. 5.17.
107
- 72 -
5.14. Plutôt que de produire, pour chaque mine, des preuves documentaires attestant
l’existence de concessions ou permis, la RDC présente un méli-mélo de cartes ou autres documents
dénués de toute pertinence. A l’annexe 5.1, elle soumet ainsi une carte incomplète intitulée «Carte
des concessions minières du Congo et du Rwanda-Burundi»144, censée représenter lesdites
concessions en juin 1960. Il va sans dire que cette carte vieille de près de 60 ans est sans pertinence
en l’espèce.
5.15. La RDC se réfère également à la carte 7A (figurant à la page 25 de ses réponses), qui
montrerait l’emplacement de trois supposées concessions de KILO-MOTO145. Cette carte est
présentée sans date, nom, source, documents à l’appui, n’est associée à aucune concession, et ne
fournit aucun renseignement sur la production moyenne de ressources minérales. Elle ne montre
même pas quelles sont les ressources présentes dans les zones des concessions alléguées. Cette
carte n’étaye donc en rien la demande de la RDC.
5.16. Il en va de même des documents que la RDC regroupe dans l’annexe 5.9 en tant
qu’annexes 3, 4, 5 et 6. Ils ne répondent pas non plus à la demande de la Cour.
5.17. Dans l’annexe 3, la RDC joint deux cartes non datées qui semblent avoir été dressées
par la société minière Barrick Gold Corporation. L’une, intitulée «Localisation des zones
exclusives de recherches et des concessions», représenterait les régions où sont situées les
«concessions», «zones exclusives» et «concessions rétrocédées» de Barrick, ainsi que la
«concession Kimin». L’autre, intitulée «Détails des limites sud-est des concessions et des zones
exclusives de recherches», est censée montrer les régions où se trouvent les «concessions», «zones
exclusives», «concessions rétrocédées» et «zones exclusives rétrocédées» de Barrick. La RDC ne
précise pas en quoi ces cartes ou le texte qu’elles contiennent seraient pertinents. Aucune d’elles
n’est associée à des justificatifs, ne désigne une quelconque mine ni ne documente la production de
minerais.
5.18. L’annexe 4, qui contient une carte censée représenter la «Localisation des zones
rétrocédées à l’OKIMO région Doko Durba», ne constitue pas, elle non plus, un élément de
réponse. Même à supposer que cette carte non datée, dressée par la société Barrick, représente de
manière exacte les zones «rétrocédées» à un moment ou à un autre à OKIMO, société minière
appartenant à l’Etat congolais, la RDC ne fournit pas d’informations sur l’emplacement des mines
proprement dites dans les zones en question, leur production moyenne non plus que sur les
concessions ou permis qui pourraient effectivement exister. Dissociée de tout élément de preuve
concret, cette carte lacunaire ne peut étayer aucun aspect de la demande congolaise.
5.19. Les annexes 5 et 6 ne sont, elles non plus, d’aucune utilité. L’annexe 5 contient un
«programme de travail quinquennal assorti d’une estimation des coûts d’exploration» d’un montant
de 23 millions de dollars et l’annexe 6, une liste d’experts sans date ni signature. L’on ignore qui
est l’auteur du programme de travail, la date à laquelle celui-ci a été établi ou encore quel(s)
minerai(s) ou zone(s) il couvre. Ce qui est clair, en revanche, c’est que ce programme ne comprend
qu’une estimation des coûts d’exploration. Il ne nous apprend rien sur les concessions ou permis
qui pourraient effectivement exister, et encore moins sur l’emplacement, la propriété ou la
production moyenne de telle ou telle mine.
144 Carte des concessions minières du Congo et du Rwanda-Burundi (RRDCQ, annexe 5.1).
145 RRDCQ, par. 5.18.
108
109
- 73 -
5.20. En conclusion, la RDC n’a présenté aucun des éléments de preuve demandés par la
Cour en ce qui concerne l’exploitation de minérais.
II. La RDC ne présente pas les éléments de preuve requis
concernant les forêts
5.21. De même, la RDC ne présente d’éléments concernant l’emplacement, la propriété ou la
production moyenne d’aucune des forêts qui auraient été exploitées de manière illégale par suite de
faits illicites imputables à l’Ouganda, ou les éventuels permis ou concessions y afférents.
5.22. La RDC se contente d’affirmer, de manière générale, que,
«[s]’agissant de l’emplacement des concessions forestières objet d’exploitation illicite,
la RDC renseigne que les forêts qui ont le plus subi les effets de la déforestation suite
à la guerre menée par l’Ouganda se trouvent dans les zones ci-après : Djugu,
Mambassa, Beni, Komanda, Luna, Mont Moyo et Aboro»146.
5.23. Outre que n’est pas mentionné d’emplacement précis, seules étant indiquées les
grandes «zones» géographiques dans lesquelles se trouveraient les forêts concernées, cette
affirmation n’est pas étayée par des éléments de preuve associant chacune de ces forêts à des
propriétaires, productions moyennes de bois d’oeuvre et permis ou concession spécifiques. De fait,
il n’a été fourni de pièces justificatives d’aucune sorte.
5.24. Au lieu de répondre à la demande de la Cour, la RDC adopte exactement la même
approche que dans son mémoire : elle se fonde sur des citations trompeuses du rapport de la
commission Porter et de rapports d’experts de l’ONU dans le vain espoir de justifier ses
allégations147.
5.25. La RDC, en particulier, continue à mettre en avant le cas de DARA-Forest :
«Au nombre des concessionnaires ayant bénéficié de l’exploitation illégale des
bois congolai[s], il y a lieu de citer DARA-Forest, identifiée société ougandothaï[
l]andaise, installée en Ituri à la fin de l’année 1998, ayant acheté le permis
d’exploitation [auprès] d’un groupe armé privé, le RCD-KML, après que le
Gouvernement de la RDC le lui ait refusé une année avant le déclenchement de la
guerre, et dont les activités pendant la période de l’occupation et du contrôle
ougandais sont rapportées notamment par la commission Porter (Annexe 5.8), par
l’Additif au Rapport du Groupe d’Experts sur l’Exploitation illégale des ressources
naturelles et autres richesses de la RDC (Annexe 5.2, paragraphe 48, p. 12-13), par le
rapport intérimaire du Groupe d’Experts sur l’Exploitation illégale des ressources
naturelles et autres richesses de la RDC (Annexe 5.3) et par le Rapport final du
146 RRDCQ, par. 5.24 (les italiques ont été omis).
147 RRDCQ, par. 5.19-5.25.
110
111
- 74 -
Groupe d’Experts sur l’Exploitation illégale des ressources naturelles et autres
richesses de la RDC (Annexe 5.4, pages 21 à 27)»)148.
5.26. La RDC reproduit ainsi des allégations dont l’Ouganda a déjà prouvé, dans son
contre-mémoire, qu’elles étaient infondées149. Alors même qu’elle revient sur DARA-Forest, elle
se garde, dans sa réponse à la question 5, d’évoquer les arguments développés par l’Ouganda, et a
fortiori d’en démontrer la fausseté. L’Ouganda se contentera donc ici pour l’essentiel d’appeler
l’attention de la Cour sur la réfutation précise qu’il a opposée aux allégations concernant
DARA-Forest dans son contre-mémoire150. Il n’en résumera que les principaux points.
5.27. S’agissant de l’affirmation selon laquelle DARA-Forest était une société
«ougando-thaïlandaise» qui exploitait et exportait du bois d’oeuvre, en particulier, la commission
Porter l’a réfutée, l’estimant dépourvue de tout fondement151.
5.28. Outre cette réfutation de la commission Porter, le groupe d’experts de l’ONU
lui-même, «[ayant] examiné de plus près le statut juridique de DARA Forest» et ses opérations en
RDC, est par la suite revenu sur l’allégation imputant à une hypothétique compagnie
«ougando-thaïlandaise» des activités illégales d’exploitation et d’exportation de bois d’oeuvre
congolais152. La nouvelle position du groupe d’experts sur ce point est exposée dans un additif au
rapport du 12 avril 2001, que la RDC elle-même avait joint à son mémoire (en annexe 1.8) et
abondamment cité dans le chapitre concernant les dommages causés à la flore153.
5.29. La RDC soumet de nouveau l’additif en annexe 5.2 de sa réponse à la question 5, mais
ne semble pas l’avoir vraiment lu. L’eût-elle fait qu’elle se serait rendu compte qu’il porte un coup
fatal à ses allégations, car il y est établi que :
148 RRDCQ, par. 5.25 (certains italiques sont de nous, d’autres ont été omis). La RDC avance également que «le
bois d’oeuvre traité à Mangina (Nord-Kivu) transitait par l’Ouganda, en direction de Mombassa, et était transporté par la
société de fret TMK» (RRDCQ, par. 5.24). Rien, dans les éléments soumis par l’Ouganda, ne montre que du bois
d’oeuvre du Nord-Kivu aurait été exploité illégalement par suite de faits illicites imputables à l’Ouganda. Rien n’indique
non plus que TMK entretenait le moindre lien avec l’Ouganda ou des ressortissants ougandais. Enfin, le seul transit de
marchandises congolaises à travers le territoire ougandais ne permet pas de conclure à une quelconque exploitation
illégale par l’Ouganda. Les entités opérant dans l’est de la RDC ne pouvaient importer ou exporter via Kinshasa, en
raison de l’absence d’infrastructures de transport. Le transit a pu être maintenu via l’Ouganda, par où il passait depuis
longtemps. L’interdire aurait eu des conséquences préjudiciables pour la population de l’est du Congo. C’est ce qu’a
confirmé dans son rapport du 16 octobre 2002 le groupe d’experts de l’ONU, qui déconseillait de fermer la frontière entre
la RDC et l’Ouganda et d’imposer un embargo sur le commerce transfrontalier (Nations Unies, rapport final du groupe
d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres formes de richesse de la République démocratique
du Congo, doc. S/2002/1146 (16 octobre 2002), par. 155 (CMOR, annexe 15)).
149 CMOR, chap. 8.C.
150 Voir CMOR, par. 8.151-8.165.
151 République de l’Ouganda, commission judiciaire d’enquête sur les allégations d’exploitation illégale des
ressources naturelles et autres formes de richesse en République démocratique du Congo, 2001, rapport final, novembre
2002, p. 62 (CMOR, annexe 52).
152 Additif au rapport du groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres richesses
de la République démocratique du Congo, par. 72 (CMOR, annexe 13).
153 MRDCR, par. 5.176.
112
113
- 75 -
DARA-Forest n’était pas une société «ougando-thaïlandaise» et ne comptait parmi ses
actionnaires ou au sein de sa direction aucun Ougandais, que ce soit à titre officiel ou privé154 ;
DARA-Forest exerçait ses activités d’exploitation forestière en vertu de concessions accordées
par les autorités congolaises, et exportait l’ensemble de son bois d’oeuvre à destination d’autres
pays que l’Ouganda155 ;
titulaire de concessions obtenues en juin 1998, DARA-Forest a poursuivi ses activités
d’exploitation pendant le conflit, au titre de nouvelles concessions octroyées par les autorités
congolaises locales, après que celles-ci eurent vérifié et confirmé que l’entreprise respectait les
conditions stipulées dans les permis accordés. Par ailleurs, et contrairement à ce qu’affirme la
RDC, le Gouvernement central du Congo a délivré à DARA-Forest un certificat
d’enregistrement, l’a autorisée à opérer dans les zones tenues par les rebelles, et a perçu des
paiements dans le cadre de la concession156.
5.30. Ainsi, les propres éléments de preuve soumis par la RDC contredisent les affirmations
de cette dernière.
5.31. Le plus frappant dans cette partie de sa réponse à la question 5 n’est pas seulement que
la RDC ne présente pas les éléments demandés ; c’est qu’elle reproduit tels quels des arguments
dont elle sait pertinemment qu’ils reposent sur des allégations qui sont erronées et ont été réfutées,
voire rétractées, dans les propres sources qu’elle a invoquées.
*
5.32. La question 5 offrait à la RDC l’occasion de fonder ses demandes d’indemnisation
relatives aux ressources naturelles sur le type d’éléments de preuve que l’on s’attend
habituellement à voir produits dans le cadre de procédures interétatiques. Elle ne l’a pas saisie. En
ne fournissant de preuves concernant l’emplacement, la propriété et la production moyenne
d’aucune mine ou forêt ou encore les éventuels permis ou concessions y afférents , la RDC
n’a pas apporté les éléments que la Cour lui demandait et, ainsi, ne lui a pas fourni matière à
adjuger une indemnisation.
154 MRDCR, par. 5.176 ; Additif au rapport du groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources
naturelles et autres richesses de la République démocratique du Congo, par. 72 (CMOR, annexe 13).
155 MRDCR, par. 5.176 ; Additif au rapport du groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources
naturelles et autres richesses de la République démocratique du Congo, par. 71-73 (CMOR, annexe 13).
156 Ibid.
114
- 76 -
QUESTION 6
«L’Ouganda pourrait-il indiquer s’il disposait, entre 1998 et 2003, d’une
quelconque procédure lui permettant de déterminer l’origine de l’or, des diamants, du
bois, ou du coltan dont il faisait commerce ou qu’il exportait ?»
OBSERVATIONS DE L’OUGANDA SUR LA RÉPONSE DE LA RDC
6.1. L’Ouganda a répondu à cette question le 1er novembre 2018157. Comme il l’a démontré à
cette occasion, il disposait effectivement de mécanismes lui permettant de déterminer l’origine de
l’or et des diamants importés sur son territoire et exportés depuis celui-ci entre 1998 et 2003158.
6.2. L’Ouganda ne juge pas nécessaire ni approprié de formuler de nouvelles observations à
ce stade, si ce n’est pour relever que, dans sa propre réponse à la question 6, la RDC invoque un
principe juridique — plus précisément, le principe de prévention159 — qui ne trouve nullement à
s’appliquer dans les circonstances de la présente affaire. Fait révélateur, la RDC n’avait encore
jamais avancé d’argument fondé sur ce principe, et pour cause : il ne s’agit pas d’une affaire dans
laquelle il serait allégué que des activités menées sur le territoire ougandais causeraient un
préjudice à l’environnement congolais160.
157 Réponses de l’Ouganda aux questions posées par la Cour (1er novembre 2018) (ci-après «ROQ»), question 6,
p. 1-5.
158 ROQ, question 6, par. 1-8.
159 Selon la RDC, «il pèse sur chaque Etat, en vertu du droit international général, l’obligation d’exercer un
contrôle effectif sur son territoire, de manière que les activités qui s’y exercent ne causent pas préjudice aux autres Etats».
RRDCQ, par. 6.1.
160 Voir Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), arrêt, C.I.J. Recueil 2010,
par. 101 (où la Cour dit qu’un Etat est «tenu de mettre en oeuvre tous les moyens à sa disposition pour éviter que les
activités qui se déroulent sur son territoire, ou sur tout espace relevant de sa juridiction, ne causent un préjudice sensible à
l’environnement d’un autre Etat»).
115
116
- 77 -
QUESTION 7
«Est-ce que l’Ouganda ou la RDC a, à ce jour, ouvert des enquêtes ou engagé
des poursuites à l’encontre d’individus au sujet de violations du droit international
humanitaire commises en RDC pendant la période comprise entre 1998 et 2003 ?»
OBSERVATIONS DE L’OUGANDA SUR LA RÉPONSE DE LA RDC
7.1. Dans sa réponse à la question 7, la RDC recense cinq affaires portées devant ses
juridictions dans lesquelles des individus ont fait l’objet d’enquêtes voire de poursuites en rapport
avec des violations du droit international humanitaire commises sur son territoire pendant la
période comprise entre 1998 et 2003161. Elle ne précise pas les tenants et les aboutissants de ces
rares affaires, mais certaines semblent avoir trait à des individus qui étaient recherchés par la CPI
(Germain Katanga, que la RDC a remis à cette juridiction en 2007, a ainsi été reconnu coupable en
2014 et purge actuellement sa peine en RDC)162, ou (à l’instar de Goda Sukpa) impliqués dans
l’attaque de 2005 contre des soldats de la paix de l’Organisation des Nations Unies en RDC dont le
Conseil de sécurité de l’Organisation a fait grand cas163.
7.2. Pour tenter d’expliquer cette paucité d’affaires, la RDC affirme que «les juridictions
congolaises n’ont pas encore, vraisemblablement[,] ouvert des enquêtes sur ces crimes, les
militaires étrangers ayant regagn[é] leurs pays respectifs»164. L’Ouganda ne juge pas crédible cette
spéculation («vraisemblablement») quant à la raison pour laquelle les juridictions congolaises n’ont
pas mené plus d’enquêtes.
7.3. L’Ouganda n’a connaissance, et la RDC ne fait état, d’aucune loi congolaise qui
empêcherait l’ouverture d’une enquête sur des crimes commis en territoire congolais ou l’émission
d’un acte d’accusation contre leurs auteurs présumés au simple motif que ceux-ci se trouveraient
dans un autre pays. Au contraire, le droit congolais semble ménager la possibilité d’enquêter sur
des crimes perpétrés en territoire congolais et d’exercer une compétence à l’égard de leurs auteurs,
qu’ils se trouvent ou non en RDC. Au surplus, cette dernière a conclu avec d’autres Etats nombre
de traités d’extradition qui l’habilitent à demander que lui soient remises des personnes qui ne
seraient pas sur présentes son territoire165.
7.4. Il existe des explications plus plausibles au nombre réduit d’affaires portées devant les
juridictions congolaises à propos de violations du droit international humanitaire commises en
161 RRDCQ, par. 7.3.
162 Voir Cour pénale internationale, Le Procureur c. Germain Katanga, ICC-01/04-01/07, accessible à l’adresse
suivante : https://www.icc-cpi.int/drc/katanga?ln=fr (dernière consultation le 1er janvier 2019).
163 Voir Nations Unies, Conseil de sécurité, déclaration du président du Conseil de sécurité, doc. S/PRST/2005/10
(17 février 2006).
164 RRDCQ, par. 7.3 (les italiques sont de nous).
165 Pour la législation nationale de la RDC régissant l’extradition, voir République démocratique du Congo,
décret du 12 avril 1886 relatif à l’extradition, accessible à l’adresse suivante : http://www.droitcongolais.info/
files/360_decret_du_12_avril_1886_extradition.pdf (dernière consultation le 1er janvier 2019).
117
118
- 78 -
RDC entre 1998 et 2003. Premièrement, par décret présidentiel promulgué en avril 2003166, la RDC
a accordé une amnistie générale, qui a été adoptée par le Parlement congolais en septembre 2004167.
L’Ouganda croit comprendre que cette amnistie s’appliquait à tous les ressortissants congolais,
qu’ils vivent en RDC ou à l’étranger, ayant pris part à des opérations militaires entre 1998 et 2003.
Elle ne s’étendait cependant pas aux individus qui auraient assassiné ou tenté d’assassiner le chef
de l’Etat, ou qui auraient perpétré des crimes de guerre, des actes de génocide ou des crimes contre
l’humanité168. Ce nonobstant, l’existence de cette loi d’amnistie pourrait en partie expliquer que des
violations prétendument commises en RDC pendant la période en question n’aient pas donné lieu à
des enquêtes ou poursuites des autorités congolaises.
7.5. Deuxièmement, si la RDC avait mené des enquêtes exhaustives sur les circonstances
ayant entouré les atrocités perpétrées au cours de cette période, ces enquêtes auraient probablement
mis en cause ses propres forces armées. Il est significatif que, dans sa réponse à la question 7, la
RDC ne mentionne aucune mise en cause de ce type, alors même qu’il a été amplement rapporté
que ses forces armées s’étaient rendues coupables de violations du droit international humanitaire
entre 1998 et 2003.
7.6. Troisièmement, au lendemain du conflit, la RDC a intégré dans son armée de nombreux
groupes rebelles et leurs chefs, qui ont vraisemblablement commis de telles violations. Là encore,
si elle avait mené des enquêtes, celles-ci auraient probablement compromis des officiers et soldats
ayant rejoint les rangs de ses propres forces armées.
7.7. A titre d’exemple, l’une des cinq affaires recensées par la RDC concerne Jérôme
Kakwavu Bukande169. Sauf erreur de la part de l’Ouganda, M. Kakwavu et son groupe rebelle (les
Forces armées populaires du Congo) ont été incorporés dans les forces armées congolaises en 2004,
et l’intéressé, promu au grade de général170. Ce n’est qu’après que le Comité du Conseil de sécurité
de l’Organisation des Nations Unies créé en application de la résolution 1533 (2004) l’eut inscrit
sur une liste de sanctions, et sous la pression de représentants des membres du Conseil de sécurité,
166 République démocratique du Congo, décret-loi n° 03-001 portant amnistie pour faits de guerre, infractions
politiques et d’opinion, accessible à l’adresse suivante : https://www.refworld.org/topic,50ffbce528c,50ffbce5304,
47305aae2,0,NATLEGBOD,,COD.html (15 avril 2003). Ce décret-loi temporaire a porté amnistie conformément à
l’accord global et inclusif de 2002. Etaient amnistiés les faits de guerre ainsi que les infractions politiques et d’opinion
commis pendant la période allant du 2 août 1998 au 4 avril 2003, à l’exception du génocide, des crimes de guerre et des
crimes contre l’humanité.
167 République démocratique du Congo, loi n° 05/023 d[e] 2005 portant amnistie pour faits de guerre,
infractions politiques et d’opinion, accessible à l’adresse suivante : https://www.refworld.org/topic,50ffbce528c,50ffbce
5304,47305d032,0,NATLEGBOD,LEGISLATION,COD.html (19 décembre 2005). Cette loi a été votée par le Parlement
congolais de transition et a abrogé le décret présidentiel de 2003. Tout en codifiant une amnistie pour les crimes
énumérés dans ce dernier, elle en a modifié la portée temporelle de manière à inclure les actes commis du 20 août 1996
au 20 juin 2003. Elle prévoyait également l’octroi de grâces à titre rétroactif et la commutation de peines prononcées
antérieurement à raison d’actes entrant dans son champ d’application.
168 Voir IRIN, «Amnesty law passed without MPs from Kabila’s party», accessible en anglais à l’adresse
suivante : http://www.irinnews.org/report/57408/drc-amnesty-law-passed-without-mps… (30 novembre
2005).
169 RRDCQ, par. 7.3.
170 Voir Trial International, Jérôme Kakwavu, accessible à l’adresse suivante : https://trialinternational.org/
fr/latest-post/jerome-kakwavu/ (dernière modification le 27 septembre 2016).
119
120
- 79 -
que M. Kakwavu a été placé en détention en vue d’être jugé171. En novembre 2014, la haute cour
militaire de la RDC à Kinshasa l’a déclaré coupable de crimes perpétrés en 2004172.
7.8. Une autre de ces affaires mettait en cause Justin Matata Banaloki (alias «Cobra
Matata»), ancien chef de la Force de résistance patriotique de l’Ituri, qui a rejoint l’armée
congolaise en 2007. Ce n’est qu’après avoir déserté et reconstitué un groupe rebelle en 2010 que
M. Banaloki a été arrêté par les autorités congolaises, en 2015, et accusé d’actes remontant à
2002173.
7.9. Bien qu’elle soit sans pertinence aux fins de la question de la Cour, la RDC consacre
quasiment la moitié de sa réponse à l’affaire mettant en cause Thomas Lubanga — ancien chef de
l’Union des patriotes congolais (ci-après l’«UPC») et des Forces patriotiques pour la libération du
Congo (ci-après les «FPLC») — devant la CPI. L’argument qu’elle avance à cet égard n’est pas
clair174, mais il l’amène à conclure «qu’il [existe] un lien direct entre les faits reprochés à
M. Thomas Lubanga et l’occupation ougandaise qui a attisé le conflit entre les ethnies Héma et
Lendu»175. Cette allégation est indéfendable. La RDC ne cite aucune source à l’appui, et pour cause
il n’y en a pas176. En effet, aucune des décisions rendues par la CPI, que ce soit en première
instance ou en appel, à propos de M. Lubanga n’atteste un quelconque lien entre les agissements
criminels de celui-ci et le comportement de l’Ouganda. Au contraire, la Chambre d’appel de la CPI
est parvenue à la conclusion qu’«aucun des éléments de preuve qui lui [avaient] été présentés ne
prouv[ait] que l’Ouganda a[vait] joué un rôle dans l’organisation, la coordination ou la
planification d’opérations militaires menées par l’UPC/FPLC»177.
171 Voir Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies, Jérôme Kakwavu Bukande, accessible à
l’adresse suivante : https://www.un.org/securitycouncil/fr/sanctions/1533/materials/summarie…
wavu-bukande (dernière consultation le 1er janvier 2019).
172 Radio France Internationale Afrique, Crimes de guerre en RDC : 10 ans de prison pour le général Kakwavu,
accessible à l’adresse suivante : http://www.rfi.fr/afrique/20141108-crimes-guerre-rdc-10-ans-prison-le-g…
(8 novembre 2014).
173 Nations Unies, Conseil de sécurité, rapport du Secrétaire général sur la Mission de l’Organisation des
Nations Unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo, doc. S/2015/172 (10 mars 2015), par. 19 ;
Daily Mail, DR Congo rebel chief Cobra Matata transfered to Kinshasa, accessible en anglais à
l’adresse suivante : https://www.dailymail.co.uk/wires/afp/article-2897707/DR-Congo-rebel-ch…-
Kinshasa.html (5 janvier 2015).
174 RRDCQ, par. 7.6-7.12.
175 Ibid., par. 7.12.
176 Voir CMOR, par. 6.72.
177 Le Procureur c. Thomas Lubanga Dyilo, affaire n° ICC-01/04-01/06, jugement rendu en application de
l’article 74 du Statut (Chambre de première instance I de la CPI, 14 mars 2012), par. 561 (les italiques sont de nous).
121
- 80 -
QUESTION 8
«Quelles sont les forces irrégulières pour les actes illicites desquelles la RDC
réclame une indemnisation de la part de l’Ouganda ?»
OBSERVATIONS DE L’OUGANDA SUR LA RÉPONSE DE LA RDC
8.1. Dans sa réponse à la question 8, la RDC précise qu’elle demande à être indemnisée par
l’Ouganda à raison des actes illicites commis par neuf forces irrégulières :
l’Union des patriotes congolais (UPC) ;
la milice des Maï-Maï Simba ;
la milice «Chui Mobil Force» ;
le Front de résistance patriotique en Ituri (FRPI) ;
le Rassemblement congolais pour la démocratie/Mouvement de libération (RCD/KML) ;
l’Union des démocrates congolais (UDC) ;
le RCD/N ;
les Forces armées du peuple congolais (FAPC) ; et
le PUSIC.
8.2. L’Ouganda fera tout d’abord observer que, parmi les forces irrégulières pour les actes
illicites desquelles elle réclame une indemnisation de sa part, la RDC n’a pas mentionné, dans sa
réponse, le Mouvement de libération du Congo (MLC), dirigé par Jean-Pierre Bemba178. Or,
estime-t-il, la RDC n’aura pas d’autres occasions d’exprimer sa position et il y a donc lieu de
conclure qu’elle a renoncé à toute indemnisation au titre des actes qu’aurait commis le MLC.
8.3. Par ailleurs, six des neuf forces irrégulières que la RDC désigne bel et bien dans sa
réponse ne sont mentionnées nulle part dans l’arrêt de 2005, soit :
la milice des Maï-Maï ;
la milice «Chui Mobil Force»179 ;
le FRPI180 ;
178 Lors de la phase du fond, la RDC a soutenu que l’Ouganda avait créé le MLC. La Cour a rejeté cette allégation
(Activités armées (2005), par. 158-160), estimant que les actes illicites du MLC ou de toute autre milice n’étaient pas
imputables à l’Ouganda et que ces groupes n’étaient pas «sous le contrôle» de cet Etat (ibid., par. 177).
179 Cette milice n’est pas non plus mentionnée dans le rapport Mapping de 2010. «Chui» signifie léopard en
kiswahili. Il s’agissait apparemment d’un groupe rebelle informel créé par Bosco Ntaganda, qui allait devenir l’un des
chefs de l’Union des patriotes congolais (UPC), et qui ferait par la suite l’objet de poursuites devant la CPI. Voir CPI,
Le Procureur c. Bosco Ntaganda, ICC-01/04-02/06, accessible à l’adresse suivante : https://www.icc-cpi.int/drc/ntaganda
(dernière consultation le 1er janvier 2019).
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l’UDC ;
les FAPC et
le PUSIC.
8.4. L’on comprend mal sur quel fondement juridique ou factuel la RDC prétend aujourd’hui
que l’Ouganda est responsable des actes illicites de ces six milices. Sa réponse à la question 8 n’est
accompagnée d’aucun élément de preuve et n’apporte aucune précision quant aux actes que ces
milices auraient commis pendant le conflit, aux dommages qu’elles auraient infligés ou au lien
qu’elles auraient entretenu avec l’Ouganda. La RDC se contente de présenter, sans l’assortir
d’aucun justificatif, une liste de noms et d’abréviations établie par ses seuls soins, qui ne repose sur
rien.
8.5. Dans son arrêt de 2005, la Cour a clairement indiqué qu’aucun des groupes irréguliers
qu’elle mentionnait ne se trouvait «sous le contrôle» de l’Ouganda181. Ceux qu’elle n’a pas
mentionnés ne peuvent donc, a fortiori, être considérés comme ayant été sous ce contrôle. Ajouter
ces groupes, à ce stade, reviendrait à remettre en cause de manière inacceptable l’arrêt de 2005, qui
a l’autorité de la chose jugée entre les Parties. (L’Ouganda souligne en outre que le groupe
dénommé UDC n’existe apparemment pas182, et que les activités des FAPC183 et du PUSIC184
dépassent la portée ratione temporis de l’arrêt de 2005.)
180 Le nom exact du Front de résistance patriotique en Ituri (FRPI) est Force de résistance patriotique d’Ituri
(même s’il a été traduit en anglais par Patriotic Resistance Front in Ituri). Voir Nations Unies, Conseil des droits de
l’homme, rapport de l’expert indépendant sur la situation des droits de l’homme en République démocratique du Congo,
Titinga Frédéric Pacéré, doc. A/HCR/7/25 (29 février 2008), p. 7, accessible à l’adresse suivante : http://undocs.org
/fr/A/HRC/7/25 (dernière consultation le 4 janvier 2019). Cette milice lendu était dirigée par Germain Katanga, qui serait
par la suite jugé et reconnu coupable par la CPI. Voir CPI, Le procureur c. Germain Katanga, ICC-01/04-01/07,
disponible à l’adresse suivante : https://www.icc-cpi.int/drc/katanga?ln=fr) (dernière consultation le 1er janvier 2019).
181 Activités armées (2005), par. 177.
182 L’Union des démocrates congolais (UDC) n’est pas mentionnée dans le rapport Mapping de 2010. Elle ne
constituait, semble-t-il, pas une faction, un groupe ou une milice au moment des événements auxquels la Cour s’intéresse
dans le cadre de la présente procédure. L’UDC ne figure pas non plus parmi les partis ou «regroupements» politiques
répertoriés par la Commission électorale nationale indépendante (CENI) de la RDC en 2018. Voir RDC, Commission
électorale nationale indépendante, PARTIS ET REGROUPEMENTS POLITIQUES EN RDC [année 2018], accessible à
l’adresse suivante : https://www.ceni.cd/partis_et_regroupements_politiques (dernière consultation le 1er janvier 2019). Si
la RDC entendait se référer à l’Union des démocrates chrétiens (UDC), ce groupe n’est pas non plus mentionné dans le
rapport Mapping de 2010.
183 Les Forces armées du peuple congolais (FAPC) ont été formées en mars 2003 par Jérôme Kakwavu, en tant
que faction de l’Union des patriotes congolais (UPC). L’Ouganda rappelle que la portée des conclusions énoncées dans
l’arrêt de 2005 et de la responsabilité qui lui a été imputée en vertu de celui-ci est limitée ratione temporis à la période
qui s’achève le 2 juin 2003. Voir CMOR, par. 1.6.
184 Le PUSIC, acronyme du Parti pour l’unité et la sauvegarde de l’intégrité du Congo, était une faction dirigée
par Kahwa Mandro qui a quitté l’Union des patriotes congolais (UPC). Au cours de l’année 2003, l’UPC s’est, de fait,
trouvée scindée en plusieurs groupes : le PUSIC, l’UPC-Kisembo (UPC-K), dirigée par Kisembo Bahemuka, et
l’UPC-Lubanga (UPC-L), à la tête de laquelle se trouvait Thomas Lubanga. L’UPC-L était de loin la plus puissante de
ces milices militaires. En 2004, bien après le départ des forces ougandaises de RDC, l’UPC-K a été intégrée au PUSIC.
Quoi qu’il en soit, la RDC ne mentionne aucun acte illicite qui aurait été commis par le PUSIC avant le retrait, le 2 juin
2003, des derniers soldats ougandais. Toute réclamation fondée sur des actes du PUSIC semble sortir du cadre temporel
de l’arrêt de 2005.
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8.6. Pour ce qui concerne les trois groupes irréguliers mentionnés par la RDC dont il était
effectivement question dans l’arrêt de 2005, l’UPC était un parti politique fondé par Thomas
Lubanga, lequel serait par la suite jugé et reconnu coupable par la Cour pénale internationale185.
L’UPC est désignée une fois dans l’arrêt de 2005 qui, au paragraphe 208, fait référence à un
rapport spécial de la MONUC sur les événements d’Ituri indiquant que, les 6 et 7 mars 2003, des
combats ont eu lieu à Bunia entre ce groupe et les UPDF186. Loin de rendre compte de l’existence
d’une quelconque forme de coopération entre l’Ouganda et l’UPC, l’arrêt renvoie ainsi à des
combats qui les ont opposés. L’on comprend donc mal sur quelle base l’Ouganda pourrait être tenu
pour responsable des actes illicites d’une milice qui, de fait, était soutenue par un autre Etat (le
Rwanda). De plus, l’UPC s’est battue contre les UPDF, et non à leurs côtés, à un moment et sur un
territoire où l’Ouganda avait les responsabilités d’une puissance occupante (c’est-à-dire, était
habilité à assurer le maintien de l’ordre public et à réprimer les activités des groupes armés). Ainsi
que l’Ouganda l’a relevé dans sa réponse à la question 7, en 2012, une chambre d’appel de la Cour
pénale internationale a, sans surprise, estimé qu’«aucun des éléments de preuve qui lui [avaient] été
présentés ne prouv[ait] que l’Ouganda a[vait] joué un rôle dans l’organisation, la coordination ou la
planification d’opérations militaires menées par l’UPC/FPLC»187.
8.7. Pour ce qui concerne les deux autres milices mentionnées dans la réponse de la RDC
le RCD/KML et le RDC/N , l’Ouganda relève que l’arrêt de 2005 fait référence a) au
Rassemblement congolais pour la démocratie (le «RCD»), b) au Rassemblement congolais pour la
démocratie-Kisangani (le «RCD-Kisangani», également appelé «RCD-Wamba») ou c) au
Rassemblement congolais pour la démocratie-Mouvement de libération (le «RCD/ML»)188 ; il n’y
est nullement question du «RCD/KML» ou du «RCD/N» en tant que tels. Il est donc difficile de
savoir à laquelle de ces factions la RDC se réfère aujourd’hui. L’Ouganda présume que, par
«RCD/KML», elle entend la milice dénommée RCD-Kisangani dans l’arrêt de la Cour, qui
prendrait ensuite le nom de Rassemblement congolais pour la démocratie-Mouvement de
Libération («RCD-ML»). Il suppose, de même, que le «RCD/N» est censé renvoyer au
«Rassemblement congolais pour la démocratie – National», issu d’une scission du RCD/KML189.
8.8. Sa réponse à la question 8 constituant la dernière occasion pour elle d’exprimer sa
position sur ce point, il y a lieu de considérer que la RDC ne demande pas à être indemnisée à
raison des actes illicites perpétrés par l’une quelconque des autres branches du RCD, à savoir :
le Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD), avant les différentes scissions ;
le RCD-Authentique («RCD-A», non mentionné dans l’arrêt de 2005) ;
le RCD-Originel («RCD-O», non mentionné dans l’arrêt de 2005) ;
le RCD-Goma (non mentionné dans l’arrêt de 2005) ;
185 Voir CPI, Le procureur c. Thomas Lubanga Dyilo, ICC-01/04-01/06, disponible à l’adresse suivante :
https://www.icc-cpi.int/drc/lubanga (dernière consultation le 1er janvier 2019).
186 Nations Unies, Conseil de sécurité, rapport spécial sur les événements d’Ituri (janvier 2002-décembre 2003),
doc. S/2004/573 (16 juillet 2004), par. 73 (RRDCQ, annexe 2.4.B).
187 CPI, Le procureur c. Thomas Lubanga Dyilo, jugement rendu en application de l’article 74 du Statut,
ICC-01/04-01/06, par. 561 (14 mars 2012).
188 Activités armées (2005), par. 27.
189 Voir, CMOR, par. 2.51, et rapport Mapping, par. 310 (CMOR, annexe 25).
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le RCD-Congo (issu d’une scission du RCD-Goma, qui n’est pas mentionné dans l’arrêt de
2005) ; ou
toute autre faction du RCD.
8.9. Au vu de ce qui précède, seules deux des forces irrégulières énumérées dans la réponse
de la RDC à la question 8 semblent susceptibles d’être concernées: le RCD-Kisangani (que la RDC
appelle le RCD/KML) et le RCD/N. Cela étant dit, la RDC ne fournit à la Cour aucun élément
supplémentaire permettant d’établir la matérialité des actes illicites auxquelles ces milices se
seraient livrées, des dommages qu’elles auraient causés et du lien qu’elles auraient entretenu avec
l’Ouganda. (L’Ouganda rappelle à cet égard que la question 8 figure sous l’intitulé «Demandes
d’éléments de preuve supplémentaires».)
8.10. Dans sa réponse à la question 8, la RDC allègue en outre que l’Ouganda est
responsable des actes illicites (indéterminés) qui auraient été commis par les forces irrégulières
qu’elle énumère, puisque la Cour lui a, dans son arrêt de 2005, attribué «deux types de liens»190
avec les groupes armés. Il aurait ainsi 1) manqué à son devoir de ne pas intervenir dans les affaires
intérieures d’un autre Etat ; et, 2) en tant que puissance occupante, failli à son obligation de prendre
des mesures en vue de respecter et de faire respecter le droit international des droits de l’homme et
le droit international humanitaire dans le district de l’Ituri191. Cet amalgame, peu sérieux, entre des
faits internationalement illicites distincts traduit une grave méconnaissance, de la part de la RDC,
de ce qu’elle est tenue de démontrer. Dans sa réponse à la question 8, celle-ci ne cherche, de fait,
même pas à répondre aux nombreux arguments que l’Ouganda a avancés à cet égard dans son
contre-mémoire192.
8.11. Le simple fait qu’il est intervenu en RDC ou qu’il avait qualité de puissance occupante
dans une partie du territoire de celle-ci ne suffit pas à engager la responsabilité de l’Ouganda pour
la totalité des pertes ou dommages aux personnes et aux biens causés par les forces irrégulières en
RDC, ni même sur le territoire occupé. Loin d’établir le bien-fondé de ses demandes de réparation
concernant les forces irrégulières, la RDC cherche à appliquer une forme simplifiée du critère du
«sine qua non» en se fondant sur les conclusions très générales énoncées dans l’arrêt de 2005. Or,
les conclusions de la Cour 1) ne mentionnaient pas la plupart des forces irrégulières auxquelles la
RDC affirme aujourd’hui que ses demandes se rapportent ; 2) ne comportaient, pour ce qui
concerne les rares groupes irréguliers qui y étaient mentionnés, aucun constat factuel quant à la
relation exacte qui les aurait liés à l’Ouganda ; et 3) n’en comportaient pas davantage quant à des
actes spécifiques de ces forces irrégulières ayant causé des dommages, à l’attribution de ces actes à
l’Ouganda ou à l’évaluation des préjudices en résultant. La RDC ne peut donc se fonder
aujourd’hui sur l’arrêt de 2005 pour justifier les réparations qu’elle demande à raison d’actes de
milices et, partant, ces demandes doivent être rejetées.
190 RRDCQ, par. 8.1.
191 Ibid.
192 CMOR, par. 4.48-4.61.
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QUESTION 9
«La RDC pourrait-elle expliquer sur quelle base elle impute à l’Ouganda 45 %
de la responsabilité des dommages causés par des Etats et groupes armés que celui-ci
ne soutenait pas ?»
OBSERVATIONS DE L’OUGANDA SUR LA RÉPONSE DE LA RDC
9.1. En réaction à la question 9, la RDC se lance essentiellement dans une longue digression
qui ne répond pas à la question posée. Elle n’ajoute par ailleurs pas grand-chose à ce qui figure déjà
dans son mémoire et que l’Ouganda a réfuté dans son contre-mémoire. Celui-ci ne commentera
donc sa réponse que dans la mesure limitée où elle se rapporte au point soulevé par la Cour.
9.2. L’essentiel de cette réponse se résume à trois brefs paragraphes (par. 9.26-9.28) et une
carte. En substance, l’«explication» fournie par la RDC est la suivante :
«Les 45 % ont été obtenus sur base de l’ampleur de l’action illicite de chacun
des acteurs. A ce sujet, les acteurs étatiques, desquels répondaient les groupes privés,
étaient essentiellement à trois (3), du côté des agresseurs. Il s’agit du Rwanda, de
l’Ouganda et du Burundi. Le rôle de ce dernier a été reconnu comme étant moindre.
Celui du Rwanda a été jugé comme presque aussi grand que celui de l’Ouganda.»193
9.3. L’Ouganda juge cette explication manifestement insuffisante. La responsabilité
internationale ne saurait être établie sur la base d’une évaluation à l’estime. La Cour a clairement
indiqué, dans son arrêt de 2005, que la RDC devrait, au présent stade des réparations, apporter la
preuve des préjudices spécifiques qu’elle avait subis en conséquence de faits illicites spécifiques
relevant de la responsabilité de l’Ouganda194. La prétendue explication que donne à présent la RDC
est très loin de constituer la preuve requise par la Cour.
9.4. La RDC ne fournit pas non plus d’éléments de preuve, même à caractère très général,
qui étayent ses extrapolations quant aux rôles joués, respectivement, par le Rwanda, le Burundi et
l’Ouganda. Entre autres nombreuses lacunes, la répartition qu’elle propose ne prétend nullement
tenir compte des six autres Etats et des 21 grands groupes armés irréguliers (au moins) qui ont été
mêlés au conflit195.
9.5. La RDC s’efforce également de justifier le pourcentage de 45 % à l’aide d’une carte. Au
paragraphe 9.28 de sa réponse, elle soutient que cette proportion est confirmée au vu de la part du
territoire congolais présentée comme occupée par l’Ouganda sur la carte no 8, intitulée «Etendue du
territoire congolais sous contrôle et occupation de l’Ouganda»196. L’Ouganda commencera par
193 RRDCQ, par. 9.26.
194 Activités armées (2005), par. 260.
195 Voir CMOR, par. 2.48-2.50.
196 RRDCQ, carte no 8, p. 37.
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relever que la carte no 8 est dénuée de valeur probante ; elle n’est pas datée et l’identité de son
auteur n’est pas connue. Il semble en outre qu’elle ait été modifiée a posteriori : dans l’encadré en
haut de la carte, les derniers chiffres des années «1998» et «2003», c’est-à-dire le 8 et le 3,
paraissent avoir été ajoutés à la main.
9.6. En tout état de cause, même à reconnaître à cette carte une valeur probante, il est clair
que les UPDF ne se sont jamais déployées dans une zone représentant 45 % du territoire de la
RDC. Dans l’encadré qui se trouve en bas à droite de la carte (et qui représente la RDC dans son
intégralité), la zone coloriée en rouge équivaut à bien moins de 45 % du territoire congolais.
9.7. Plus important encore, la réalité dont la carte no 8 est censée rendre compte ne cadre pas
avec ce que la Cour a dit dans son arrêt de 2005. La Cour avait alors expressément conclu que le
seul territoire «occupé» par l’Ouganda était le district de l’Ituri, qui constitue une toute petite partie
de la zone représentée sur la carte en question. La proportion de 45 % demeure donc en grande
partie inexpliquée, et elle est totalement infondée. En résumé, ce chiffre est complètement
arbitraire.
9.8. Pour répondre comme il se devait à la question 9 et s’acquitter de la charge de la preuve
qui lui incombait, la RDC aurait dû
établir l’existence d’un lien de causalité immédiat entre, d’une part, les faits internationalement
illicites dont la Cour, dans son arrêt de 2005, a jugé l’Ouganda responsable et, d’autre part, les
dommages spécifiques matériellement «causés par des Etats et groupes armés que [l’Ouganda]
ne soutenait pas» ; et
prouver que les faits illicites de l’Ouganda ont contribué à une partie quantifiable (et
quantifiée) de ces dommages.
9.9. En d’autres termes, la RDC aurait d’abord dû établir (plutôt que de supposer ou
d’affirmer) que les autres Etats et groupes armés non soutenus par l’Ouganda n’auraient pas infligé
tels dommages spécifiques et dûment constatés n’étaient les faits internationalement illicites
spécifiques dont il porte la responsabilité. Il s’agissait de faire une démonstration non pas abstraite
mais concrète, tenant compte des modes opératoires propres à ces autres Etats et groupes. Une fois
prouvée l’existence du lien de causalité requis, la RDC devait encore établir de manière
convaincante qu’une partie donnée des dommages constatés résultaient de faits illicites spécifiques
imputables à l’Ouganda.
9.10. C’est uniquement à ces deux conditions qu’il pourrait être considéré que les faits
internationalement illicites imputables à l’Ouganda ont contribué aux dommages infligés par
d’autres acteurs. Or, la RDC n’a apporté ni l’un ni l’autre de ces démonstrations, que ce soit dans
son mémoire ou dans sa réponse à la question 9. Elle n’a donc pas fourni à la Cour de moyens de
preuve ou d’éléments de droit justifiant d’attribuer à l’Ouganda, comme elle prétend le faire, la
responsabilité de 45 % des dommages causés par des Etats ou des groupes armés que celui-ci ne
soutenait pas.
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QUESTION 10
«La RDC pourrait-elle exposer la méthode qu’elle a utilisée pour établir la
moyenne des sommes accordées par certaines de ses juridictions dans les affaires de
meurtres, de dommages corporels, de viols ou d’utilisation d’enfants-soldats sur
lesquelles elle se fonde ? Pourrait-elle fournir à la Cour les décisions sur lesquelles
elle s’est appuyée pour calculer ces moyennes, ainsi que celles qu’elle a exclues ?»
OBSERVATIONS DE L’OUGANDA SUR LA RÉPONSE DE LA RDC
10.1. Dans les huit brefs paragraphes qu’elle consacre à la question 10, la RDC ne répond
pas vraiment aux questions posées par la Cour. Elle n’expose pas la méthode qu’elle a suivie et ne
fournit pas non plus les décisions sur lesquelles elle s’est appuyée (ni celles qu’elle a exclues).
10.2. Sans préciser plus avant en quoi consiste la méthode qu’elle a utilisée, la RDC se
contente de résumer ce qu’elle indiquait au paragraphe 7.08 de son mémoire, à savoir que, aux fins
de son «modèle forfaitaire», «la moyenne des sommes accordées à titre d’indemnisation dans les
jugements rendus par ses juridictions, [une fois] écarté[es] celles qui étaient dépourvues de
motivation, … lui avait servi au calcul des sommes à allouer par catégorie»197. La Cour a donc
affaire à une prétendue «méthode» de calcul basée sur des décisions dont le nombre n’est pas
connu, des indemnités dont le montant n’est pas connu, des dommages dont la nature n’est pas
connue et des raisonnements dont la teneur ne l’est pas davantage.
10.3. L’Ouganda expose dans son contre-mémoire les failles qu’aurait présentées cette
«méthode» quand bien même elle aurait été appliquée de manière rigoureuse198. Il se gardera de
répéter son analyse et se contentera de faire observer que la RDC n’a toujours pas expliqué sa
méthode, qui est fondamentalement viciée, en dépit de la possibilité qui lui a été donnée d’en
rétablir la crédibilité.
10.4. S’agissant des décisions de ses juridictions invoquées à l’appui de sa «méthode», la
RDC en soumet à présent deux, sur lesquelles elle affirme s’être fondée. Cela fait deux de plus que
dans son mémoire qui n’en contenait aucune. (C’est l’Ouganda qui a versé au dossier
sept décisions de tribunaux congolais en annexes à son contre-mémoire, afin de mettre en évidence
les failles intrinsèques qu’elles présentent et qui les rendent impropres à être utilisées par la
Cour199.)
10.5. Les deux décisions que la RDC a soumises font l’objet des annexes 10.1 et 10.2. Elles
ne viennent nullement étayer ses demandes. La première (annexe 10.1)200 semble se rapporter aux
poursuites engagées contre Jérôme Kakwavu Bukande (voir les observations de l’Ouganda sur la
réponse de la RDC à la question 7 ci-dessus), mais le demandeur n’en fournit que des extraits.
Manquent ainsi le dispositif de la décision, et les montants des indemnités adjugées par le tribunal
congolais.
197 RRDCQ, par. 10.2-10.3 (italiques omis).
198 CMOR, par. 4.73-4.84 ; voir aussi ibid., par. 5.152-5.155, par. 6.112-6.119.
199 CMOR, annexes 43 à 49.
200 L’extrait reproduit semble provenir du Bulletin des arrêts de la haute cour militaire (4e éd., 2016).
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10.6. La seconde décision (annexe 10.2) est celle rendue en l’affaire Kakado par le tribunal
militaire de garnison de l’Ituri, siégeant dans la ville de Bunia201. Cette décision avait déjà été
versée au dossier, l’Ouganda l’ayant jointe à son contre-mémoire202 en expliquant en quoi elle
posait problème203. En effet, dans cette décision, le tribunal a expressément indiqué statuer
ex aequo et bono pour toutes les catégories de préjudices, et sa décision ne saurait servir de base à
la décision que la Cour est appelée à prendre aujourd’hui204.
10.7. La RDC ne saurait justifier la méthode qu’elle a suivie par référence à l’une ou l’autre
de ces décisions.
10.8. Enfin, l’Ouganda estime révélateur que la réponse de la RDC à la question 10 ne tienne
compte d’aucune des sept décisions rendues par des tribunaux congolais qu’il a jointes à son
contre-mémoire. (Il semble que la RDC ignorait que la décision Kakado avait déjà été versée au
dossier.) La RDC n’explique pas non plus quelle pourrait être la valeur probante de ces décisions,
au vu des nombreuses lacunes mises en évidence par l’Ouganda dans son contre-mémoire.
10.9. Dans la question 10, la RDC était également invitée à «fournir à la Cour les
décisions … qu’elle a[vait] exclues» de son évaluation de la moyenne des sommes adjugées par les
juridictions congolaises. La RDC paraît avoir fait totalement abstraction de cette partie de la
question de la Cour. Loin de désigner ou de soumettre la moindre de ces décisions, la RDC se
contente de répéter ce qu’elle a dit dans son mémoire, à savoir qu’elle a «écarté celles qui étaient
dépourvues de motivation»205. Elle semble s’attendre à ce que la Cour la croie sur parole quand elle
affirme que ces décisions (qui, aussi bien, excluaient l’octroi d’indemnités ou n’en adjugeaient que
de modestes) ne sont pas pertinentes en l’espèce. Or, la Cour ne saurait procéder ainsi.
10.10. En ce qui concerne les décisions de ses tribunaux que la RDC aurait utilisées, et celles
qu’elle aurait exclues, aux fins du calcul des montants forfaitaires à octroyer aux personnes lésées,
l’Ouganda est en droit d’avoir connaissance des éléments de preuve invoqués, afin de pouvoir les
contester. En outre, il échet à la Cour d’apprécier ces éléments à la lumière des positions adoptées
par les deux Parties. La RDC n’ayant pas produit d’éléments relatifs à cette question, et ayant ainsi
privé l’Ouganda de la possibilité d’en vérifier la validité, les montants forfaitaires qu’elle prétend
avoir fixés sur la base de décisions de ses juridictions ne sauraient être retenus.
201 La décision semble provenir du Recueil de décisions de justice et de notes de plaidoiries en matière de crimes
internationaux (non daté).
202 Voir Kakado (MP et PC c. Kakado Barnaba), RP 071/09, 009/010 et RP 074/010 (tribunal militaire de
garnison de Bunia, 9 juillet 2010) (CMOR, annexe 46).
203 CMOR, par. 4.75, 4.79.
204 CMOR, par. 4.79, note de bas de page 438 («en conséquence, le Tribunal condamne, ex aequo et bono, seul, le
prévenu KAKADO BARNABA YOGA TSHOPENA à payer au titre du dédommagement pour tout préjudice subi
comme suit …») (les italiques sont de nous).
205 RRDCQ, par. 10.3. Voir MRDCR, par. 7.08.
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QUESTION 11
«La RDC pourrait-elle fournir davantage de détails au sujet de la méthode
qu’elle a utilisée pour fonder sur la perte de revenu futur ses demandes
d’indemnisation relatives aux décès qui n’ont pas résulté d’actes de violence
délibérés ?»
OBSERVATIONS DE L’OUGANDA SUR LA RÉPONSE DE LA RDC
11.1. Comme pour la question 10, la RDC ne fournit, dans sa réponse à la question 11,
aucune des précisions demandées par la Cour. Elle ne revient pas non plus sur la myriade de
problèmes, soulevés par l’Ouganda dans son contre-mémoire, que pose la méthode qu’elle prétend
appliquer206.
11.2. Premièrement, il convient de noter que la RDC n’explique pas pourquoi le montant de
l’indemnisation due dans le cas d’actes «délibérés» et de dommages «collatéraux» devrait être
fondé sur les sommes moyennes adjugées par les juridictions nationales congolaises, tandis que la
détermination des indemnités dues à raison de décès «collatéraux» devrait reposer sur une base
différente. En particulier, la RDC n’a à aucun moment précisé pourquoi les méthodes employées en
ce qui concerne les décès «collatéraux» et les dommages «collatéraux» ne sont pas les mêmes. Pour
autant que l’indemnisation au titre d’atteintes à des personnes doive être déterminée selon l’une ou
l’autre de ces méthodes (sachant toutefois qu’aucune d’elles ne résiste à l’examen), il est arbitraire
de ne pas appliquer la même à tous les préjudices de ce type. Le traitement différent que la RDC
réserve à ces catégories de préjudices donne également à penser que les montants plus élevés
qu’elle réclame à raison d’actes de violence délibérés sont censés avoir un caractère punitif, ce que
le droit international n’autorise pas207.
11.3. Deuxièmement, comme l’Ouganda l’a souligné dans son contre-mémoire, l’âge moyen
(27 ans) des victimes alléguées de décès n’ayant pas résulté d’actes délibérés qu’a avancé la RDC
est hautement problématique. Dans son mémoire, la RDC prétendait que ce chiffre avait été
«déterminé sur la base des fiches établies par [s]es enquêteurs»208. Dans son contre-mémoire,
l’Ouganda a relevé qu’elle n’avait toutefois nullement indiqué «quelles fiches, précisément,
[avaient] été utilisées, comment ces fiches [avaient] été établies ni comment cette moyenne
théorique a[vait] été calculée»209. Dans sa réponse, la RDC affirme maintenant avoir
«obt[enu] l’âge moyen de toutes les victimes des actes de violence non délibérés
(27 ans) en partant du calcul de la moyenne de leurs âges. Ces âges sont ceux déclarés
par les personnes enquêtées (voir annexes 1.1-1.[10]). La moyenne quant à elle est
obtenue après l’addition des âges avancés dans les fiches, celles indiquées par les
victimes enquêtées, et après avoir divisé cette somme par le nombre des victimes.
(Age de toutes victimes (:) divisé par le nombre des victimes déclarées.)»210
206 Voir CMOR, par. 5.08-5.14, 5.156-5.179.
207 Pour un examen des sources juridiques pertinentes, voir CMOR, chap. 4 III).
208 MRDCR, par. 7.09.
209 CMOR, par. 5.160.
210 RRDCQ, par. 11.2.
139
140
- 89 -
11.4. Il s’ensuit clairement que l’âge moyen déterminé par la RDC n’est pas celui des
personnes qui ont trouvé la mort du fait d’actes de violence non délibérés, mais se présente comme
l’âge moyen de toutes les victimes d’actes de cette nature. En outre, les «listes d’évaluation» ne
fournissent aucune information permettant d’établir l’âge moyen des dites victimes, et l’âge de
celles-ci n’est précisé que dans un faible pourcentage des «fiches d’identification». La plupart des
«victimes» ne sont même pas identifiées («non signalé»).
11.5. L’Ouganda a déjà eu l’occasion d’expliquer que les nouveaux éléments de preuve
présentés par la RDC — en grande partie des fiches d’identification de victime — étaient
lacunaires, brouillons et très souvent inexploitables. Aux fins du présent examen, il fera
simplement observer que ceux auxquels la RDC renvoie en réponse à cette question
(annexes 1.1-1.10), tels que présentés, n’intéressent pas directement cet aspect de ses demandes.
11.6. La RDC ne fournit toujours pas de liste des fiches spécifiques qu’elle affirme avoir
utilisées pour «addition[ner l]es âges [qui y sont] avancés», ni même la liste des âges indiqués dans
lesdites fiches, ce qui est problématique, car nombre de celles qui figurent aux annexes 1.1 à 1.10
ne se rapportent pas à des décès ou dommages corporels. Si elle se sert effectivement de l’ensemble
de ces fiches pour «addition[ner l]es âges [qui y sont] avancés», alors la RDC extrapole, selon toute
vraisemblance, l’âge moyen des personnes victimes de décès ou dommages corporels, à tout le
moins en partie, à partir des âges de personnes qui ne l’ont pas été elles-mêmes.
11.7. Troisièmement, l’Ouganda a fait observer dans son contre-mémoire que
«[l]e calcul de [l’âge moyen par] la RDC repos[ait] en outre sur une hypothèse
erronée, à savoir que toutes les victimes, quels que soient leur âge, leur situation de
famille ou les revenus qu’elles auraient effectivement pu escompter, auraient exercé
de manière ininterrompue une activité rémunérée à temps plein jusqu’à leur mort.
Cette affirmation apparaît immédiatement indéfendable pour d’évidentes raisons.»211
11.8. Dans sa réponse à la question 11, la RDC n’aborde pas la question frontalement. Elle
évoque simplement la nécessité «d’aplanir ses prétentions et ainsi éviter d’arriver à des chiffres
différents pour plusieurs milliers des victimes appelées à obtenir cette réparation»212. Elle aurait
toutefois dû expliquer à la Cour pourquoi il conviendrait de supposer que toutes les victimes de
décès «collatéraux» exerçaient une activité rémunératrice, alors qu’il est bien établi, dans la
pratique en matière de réclamations internationales, que tel n’est pas le cas des enfants, des
personnes à la retraite, ou de certains autres membres d’une famille, de sorte que l’indemnisation
ne saurait, dans leurs cas, être fondée sur la perte d’un revenu futur. Les données abondent sur le
pourcentage d’enfants ou de personnes âgées au sein de la population congolaise, et pourtant, la
RDC ne cherche nullement à expliquer pourquoi ces données n’auraient pas à être prises en compte
dans ses calculs. Du reste, les informations requises ne figurent même pas sur ses fiches
d’identification de victime ou listes d’évaluation, ce qui prive ses prétendus calculs de toute valeur
probatoire.
211 CMOR, par. 5.161.
212 RRDCQ, par. 11.7
141
142
- 90 -
11.9. A titre d’exemple, la division de la population du département des affaires
économiques et sociales de l’Organisation des Nations Unies estime que, en 2000, l’âge médian des
habitants de la République démocratique du Congo était de 17,2 ans213, ce qui signifie que toute
une moitié de la population n’avait pas atteint cet âge et n’était donc probablement pas active. Pour
ce qui est des plus de 17,2 ans, environ la moitié se révèleraient sans doute être des personnes âgées
ou occupées à élever des enfants, n’exerçant donc pas non plus d’activité rémunératrice. Dans ces
circonstances, les actifs ne représenteraient plus qu’un quart de la population totale. Par
conséquent, la Cour ne devrait pas cautionner la tactique de la RDC consistant à avancer sans
explication des éléments de preuve brouillons et inexploitables afin de faire passer l’ensemble des
membres de cette catégorie de victimes congolaises pour des membres de la population active.
11.10. Quatrièmement, dans son contre-mémoire, l’Ouganda a également relevé que le
chiffre retenu par la RDC comme revenu moyen des victimes alléguées posait plusieurs
problèmes : le montant de 753,20 dollars censé être tiré de statistiques de 2015 de la Banque
mondiale ne trouve, en réalité, pas de fondement dans les données de cette dernière214 ; il n’est pas
approprié d’utiliser un chiffre relatif à l’année 2015 pour déterminer le revenu moyen entre 1998 et
2003215 ; il ne l’est pas davantage d’utiliser un chiffre correspondant au produit intérieur brut par
habitant pour déterminer le revenu moyen par habitant216 ; et, s’agissant de la RDC, les estimations
de ce revenu sont en réalité bien inférieures à 753,20 dollars217 (voire sans doute à 100 dollars, pour
la période comprise entre 1998 et 2003218).
11.11. Là encore, la RDC ne traite aucun de ces points dans sa réponse à la question 11. Elle
se contente de répéter qu’elle emploie le produit intérieur brut par habitant de 2015, dont elle
réaffirme qu’il s’élevait à 753,20 dollars, en ajoutant désormais une référence à une base de
données de l’Université de Sherbrooke (sans toutefois la citer)219. En résumé, la RDC n’a pas
répondu à la question de la Cour pour ce qui est de cet aspect important de sa demande, ni n’est
revenue sur les failles mises en évidence par l’Ouganda.
11.12. Enfin, la RDC ne répond pas davantage à la question 11 dans la mesure où celle-ci
l’invite à expliquer plus en détail en quoi sa «formule mathématique» quoi qu’elle recouvre
se justifierait dans le cas des décès «collatéraux». Or il aurait été particulièrement pertinent qu’elle
le fasse compte tenu des points soulevés par l’Ouganda au chapitre 3 de son contre-mémoire, où
sont examinés les deux principales méthodes utilisées lorsque sont présentées des demandes de
réparation devant les cours et tribunaux internationaux.
213 Division de la population du département des affaires économiques et sociales de l’Organisation des
Nations Unies, «Median age by region, subregion and country, 1950-2100 (years)» in «World Population Prospects: The
2017 Revision», doc. POP/DB/WPP/Rev.2017/POP/F05 (juin 2017), accessible en anglais à l’adresse suivante :
https://population.un.org/wpp/Download/Standard/Population (dernière consultation le 4 janvier 2019) ; voir également
CIA, The World Fact Book, «Median Age: Democratic Republic of the Congo», accessible en anglais à l’adresse
suivante : https://www.cia.gov/library/publications/the-world-factbook/fields/2177… (dernière consultation le
27 décembre 2018) (en 2017, l’âge médian en RDC était de 18,6 ans).
214 CMOR, par. 5.162.
215 Ibid., par. 5.163.
216 Ibid., par. 5.164-5.168.
217 Ibid., par. 5.169-5.171.
218 Ibid., par. 5.172-5.179.
219 RRDCQ, par. 11.3.
143
144
- 91 -
11.13. La première méthode220 est celle qui est traditionnellement appliquée dans les
procédures interétatiques : l’Etat demandeur est censé présenter des éléments prouvant de manière
convaincante qu’un préjudice susceptible d’évaluation financière a été causé à des personnes ou
des biens spécifiques, et ce dans le but de réparer le préjudice effectivement subi par des personnes
ou des biens spécifiques. Cette méthode, illustrée par les arrêts rendus par la Cour au stade des
réparations dans l’affaire Diallo et dans celle du Détroit de Corfou, est celle qu’il conviendrait
d’employer en l’espèce.
11.14. Appliquer cette méthode supposerait, pour toute demande de réparation à raison de
décès ou de dommages corporels, d’établir certains éléments. Il faudrait ainsi : 1) identifier les
personnes supposées avoir été blessées ; 2) détailler le préjudice subi, notamment sa nature, en
précisant la date et le lieu où il été causé ; 3) démontrer l’existence d’un lien de causalité entre ce
préjudice et le comportement de l’Etat défendeur ; 4) identifier, parmi les victimes, les personnes
qui exerçaient une activité rémunérée et déterminer dans quelle mesure le préjudice subi a été pour
elles à l’origine d’un manque à gagner ; et 5) justifier les frais correspondant aux soins médicaux et
autres dépenses encourus en conséquence du préjudice.
11.15. Dans sa réponse à la question 11, la RDC prétend pouvoir s’appuyer sur des affaires
jugées par la Cour interaméricaine des droits de l’homme221, la CPI (que la RDC confond en
l’occurrence avec la CIJ)222 et la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples223. Elle
méconnaît cependant le fait que chacune de ces juridictions s’attendait à disposer, et a tranché sur
la base, des éléments susindiqués.
11.16. De fait, dans l’affaire Mtikila c. Tanzanie, la Cour africaine des droits de l’homme et
des peuples a jugé, lors de la phase consacrée aux réparations, que si le requérant avait été victime
d’une violation du droit international, «elle ne dispos[ait] pas d’éléments de preuve établissant un
lien de causalité entre les faits de l’espèce et la compensation [qu’il] réclam[ait] en rapport avec les
violations» et a, «[e]n conséquence, … dégag[é] la conclusion qu’elle ne saurait [lui] octroyer une
compensation … au titre du préjudice pécuniaire subi»224. De même, s’agissant du préjudice non
pécuniaire, la Cour africaine a jugé que «le Requérant n’a[vait] pas fourni d’éléments de preuve
pour étayer l’allégation selon laquelle le préjudice a[vait] été causé directement par les faits de la
220 CMOR, par. 3.27-3.51.
221 RRDCQ, par. 11.12 (renvoyant à la phase des réparations en l’affaire Gutierrez‐Soler c. Colombie). Cette
affaire concernait des actes ayant porté préjudice à un seul demandeur nommément désigné et nécessitait la présentation
d’éléments de preuve propres, notamment, au préjudice ou à la perte de ses revenus subis par l’intéressé.
222 RRDCQ, par. 11.14 (renvoyant à la phase des réparations de l’affaire Lubanga jugée par la CPI). Comme
l’Ouganda l’a exposé au paragraphe 6.11 de son contre-mémoire, les réparations demandées dans ce cadre l’étaient au
titre du recrutement d’enfants-soldats en Ituri et il n’était donc pas question, dans ce cadre, de perte de revenus découlant
d’une violation. En tout état de cause, l’affaire concernait 473 demandeurs précis qui avaient, pour établir leur identité et
ce qu’ils avaient enduré, présenté des déclarations signées, des dépositions de témoins corroborant leurs dires, des
photographies et des attestations de démobilisation. Pour établir le lien de causalité rattachant le préjudice au
comportement de M. Lubanga, les demandeurs devaient démontrer qu’ils avaient été enrôlés dans les rangs de l’UPC ou
des FPLC, ou avaient participé aux activités de celles-ci, entre le 1er septembre 2002 et le 13 août 2003, et qu’ils avaient
moins de 15 ans au cours de cette même période. Ils ont été nombreux à pouvoir apporter la preuve requise sous forme de
documents d’identité, de déclarations sous serment, de dépositions de témoins, de photographies et d’attestations de
démobilisation.
223 RRDCQ, par. 11.15 (citant la phase des réparations en l’affaire Mtikila c. Tanzanie). Cette affaire impliquait
un seul demandeur nommément désigné et nécessitait la présentation d’éléments de preuve propres, notamment, et à la
perte de revenus subis par l’intéressé.
224 Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, Mtikila c. Tanzanie, requête no 011/2011, arrêt sur la
réparation du 13 juin 2014, par. 32.
145
- 92 -
cause»225 et que la conclusion qu’elle avait tirée lors de la phase au fond, à savoir que l’Etat
défendeur avait commis une violation, «constitu[ait] une satisfaction équitable du préjudice non
pécuniaire allégué»226.
11.17. La seconde méthode227 utilisée lorsque des juridictions internationales sont saisies de
demandes de réparation consiste à appliquer les techniques spécialisées typiquement employées à
l’heure actuelle par les organes chargés de connaître d’actions collectives, tels que la Commission
d’indemnisation des Nations Unies. Comme l’Ouganda l’a expliqué en introduction des présentes
observations, cette approche permet aux Etats de convenir (ou au Conseil de sécurité de décider) de
s’écarter des règles du droit international traditionnellement appliquées par les cours et tribunaux
internationaux en matière de réparations (qui visent à réparer le préjudice effectivement subi) au
profit d’une procédure prévoyant l’octroi d’une somme forfaitaire à chaque membre d’une
catégorie globale de requérants, sans distinguer ceux-ci en fonction du préjudice effectivement
subi. Il peut être envisagé de faire varier les montants forfaitaires en question selon les catégories
de préjudice, en fixant par exemple des critères de preuve a minima pour les montants plus faibles
tout en ménageant la possibilité d’adjuger des montants plus élevés en cas de démonstration plus
poussée.
11.18. Si la «justice» rendue de cette manière est peut-être quelque peu «sommaire», la
procédure elle-même ne l’est pas. Les techniques utilisées par la CINU et d’autres organes chargés
de connaître d’actions collectives sont ainsi très élaborées, supposant généralement que chaque
requérant produise à tout le moins un minimum d’éléments de preuve. Ceux-ci sont ensuite
soigneusement organisés dans une base de données, puis vérifiés à l’aide de procédés hautement
spécialisés : couplage de données, échantillonnage statistique et analyse de régression. Entre autres
caractéristiques importantes, ces techniques prévoient que, si l’échantillonnage aléatoire des
éléments de preuve relatifs à une catégorie de réclamations montre qu’une part des éléments de
l’échantillon est impropre à établir le bien-fondé des réclamations auxquelles ils se rapportent,
l’indemnisation accordée au titre de toutes les réclamations relevant de cette catégorie est
automatiquement réduite à proportion.
11.19. S’agissant de l’indemnisation qu’elle réclame au titre des décès collatéraux (et de bien
d’autres de ses demandes), la RDC semble opter pour l’utilisation de la méthode correspondant aux
demandes collectives mais sans aucun des procédés ou garanties qui y sont en réalité associés, et
sans expliquer en quoi ce choix se justifierait dans le cadre d’une procédure devant la Cour.
Parallèlement, la RDC délaisse parfois certains aspects de cette méthode au profit d’éléments
(l’estimation de la perte de revenu futur, par exemple) caractéristiques des procédures
interétatiques classiques, obtenant ainsi des sommes forfaitaires (telles que calculées dans le cadre
de procédures collectives) à partir de la perte de revenu futur (telle qu’utilisée dans le cadre de
procédures entre Etats). Si un tel panachage pourrait lui permettre de gonfler ses demandes et de se
soustraire aux exigences associées à l’une ou à l’autre de ces méthodes, il ne saurait être reconnu en
droit international.
11.20. Si la RDC avait véritablement opté pour la méthode applicable aux demandes
collectives, elle aurait dû, à tout le moins, tenir compte des barèmes d’indemnisation qui ont été
pratiqués. A titre d’exemple, la CINU a établi une catégorie de réclamations (réclamations de la
225 Ibid., par. 37.
226 Ibid.
227 CMOR, par. 3.52-3.57.
146
147
- 93 -
catégorie B) concernant les personnes ayant subi un grave préjudice corporel ou dont le conjoint,
l’enfant ou le parent avait perdu la vie par suite de l’invasion et de l’occupation du Koweït par
l’Iraq228 : 2500 dollars étaient accordés à titre d’indemnisation par personne et 10 000 dollars au
maximum par famille, en cas de succès de ces réclamations. Autrement dit, la CINU n’a jamais
adjugé des sommes correspondant de près ou de loin aux 18 913 dollars que demande à présent la
RDC par décès «collatéral», et encore moins à celle de 34 000 dollars qu’elle réclame par décès
résultant de «violences délibérées».
11.21. Parallèlement, la CINU attendait de chaque demandeur de la catégorie B un minimum
d’éléments de preuve dont la validité était vérifiée au moyen d’un échantillonnage aléatoire. La
RDC n’a ni apporté ce minimum d’éléments de preuve pour chacune des victimes alléguées, ni
donné à l’Ouganda ou à la Cour les moyens de procéder à un examen en bonne et due forme de
telles preuves.
228 Voir CMOR, par. 3.56, note 264.
148
- 94 -
QUESTION 12
«La RDC pourrait-elle préciser si les dommages matériels et immatériels sont
inclus dans son évaluation des préjudices causés à des personnes, en particulier en ce
qui concerne les viols et l’utilisation d’enfants-soldats ?»
OBSERVATIONS DE L’OUGANDA SUR LA RÉPONSE DE LA RDC
12.1. Dans sa réponse à la question 12, la RDC semble reconnaître que les montants
forfaitaires qu’elle réclame à raison de viols et de l’utilisation d’enfants-soldats couvrent à la fois
des dommages matériels et des dommages immatériels229.
12.2. En revanche, elle ne traite pas expressément des décès et autres types de préjudices.
L’Ouganda croit néanmoins comprendre que les montants forfaitaires qu’elle réclame à ces titres
couvrent également des dommages immatériels. La RDC prétend fonder la plupart de ces montants
sur des décisions de ses juridictions. Or, si les précédents qu’elle a versés au dossier sont peu
nombreux (voir observations sur la question 10), les indemnités qui auraient été adjugées semblent
avoir été également destinées à réparer des dommages immatériels.
12.3. Le montant forfaitaire réclamé à raison de l’un des chefs de préjudice — les décès qui
n’ont pas résulté d’actes de violences délibérés (voir observations sur la question 11) — ne l’est pas
sur la base de décisions de justice congolaises. Cette évaluation n’en semble pas moins inclure, elle
aussi, les dommages immatériels. Ainsi, dans sa réponse à la question 11, la RDC indique que la
somme forfaitaire qu’elle demande pour ce type de préjudice vise notamment à couvrir les
«bouleversements de nature non pécuniaire»230, ainsi que le «préjudice moral», soit «les
souffrances et les dommages causés à la victime directe, l’angoisse causée chez ses proches et la
modification des conditions de vie de la victime et sa famille, lorsque la victime est encore
vivante»231.
12.4. L’Ouganda a expliqué pourquoi les divers montants forfaitaires que la RDC réclame au
titre de décès et de préjudices corporels ne pouvaient être retenus : ils sont arbitraires et n’ont pas
été justifiés, qu’ils soient censés chiffrer des dommages matériels ou immatériels232. S’agissant des
indemnités réclamées à raison de décès, la RDC n’explique nullement quelle portion de la somme
forfaitaire demandée est destinée à réparer le préjudice matériel, et quelle portion est destinée à
couvrir le préjudice immatériel causé aux victimes supposées, ni en quoi l’un ou l’autre de ces
montants serait justifié en fait ou en droit. S’agissant des indemnités réclamées à raison de
préjudices corporels, la RDC n’a guère tenté jusqu’à présent, et ne tente guère aujourd’hui, d’axer
sa démonstration sur des éléments spécifiques permettant d’établir la matérialité des dommages
matériels ou immatériels qui en relèveraient : les victimes ne sont nullement identifiées ; aucune
indication de lieu, d’âge ou de revenu n’est fournie à leur sujet ; et il n’est nullement cherché à
montrer que les préjudices subis leur auraient causé tel ou tel traumatisme ou angoisse.
229 Voir RRDCQ, par. 12.1-12.10.
230 RRDCQ, par. 11.12.
231 Ibid., par. 11.15 (citant un passage de l’arrêt Mtikila c. Tanzanie).
232 CMOR, par. 5.150-5.179.
149
150
- 95 -
12.5. La RDC a écrit dans son mémoire que l’on
«peut retenir au titre du préjudice moral le traumatisme résultant des atrocités
commises, l’angoisse que les faits se reproduisent, les souffrances résultant des
difficultés d’accès aux soins, la détresse résultant de l’absence d’intervention des
autorités en place et de l’absence de poursuite des auteurs des faits, la dégradation
permanente de la qualité de la vie des victimes de mutilations, de même que l’atteinte
irrémédiable à leur image et à leur estime de soi»233.
Or, aucun des éléments de preuve qu’elle produit ne rend compte plus spécifiquement de ce type
d’épreuves. Ainsi, les «fiches d’identification» que la RDC a établies ne comportent apparemment
aucune rubrique visant à établir que les victimes auraient souffert de telle ou telle forme d’angoisse,
de traumatisme ou de dégradation de leur qualité de vie justifiant une indemnisation au titre de
dommages immatériels. La RDC ayant elle-même admis234 que la Cour requiert l’établissement
d’«un lien de causalité suffisamment direct et certain entre le fait illicite … et le préjudice
subi … consistant en dommages de tous ordres, matériels et moraux»235, il est par ailleurs frappant
qu’aucun des éléments qu’elle a versés au dossier ne fournisse d’indications sur l’existence d’un tel
lien.
12.6. Ainsi, la démonstration que prétend faire la RDC s’agissant de ces chefs de préjudice
(et de ses réclamations, plus généralement) ne vise pas le moins du monde à établir la matérialité de
dommages susceptibles d’évaluation financière causés à des personnes. Sa demande semble, en
réalité, être dissociée des dommages causés à des individus, et viser au contraire de manière
globale la réparation du dommage moral qu’elle a elle-même subi. Or, pareille demande collective
ne serait pas susceptible d’évaluation financière et appellerait forcément un règlement par voie de
satisfaction, et non d’indemnisation236.
12.7. Si la demande de la RDC devait être considérée comme une demande globale de
satisfaction, il y aurait recoupements directs entre les montants forfaitaires qu’elle réclame au titre
des dommages causés aux personnes et les 125 millions de dollars qu’elle réclame à titre de
satisfaction pour «dommages immatériels». Ses demandes relatives aux pertes en vies humaines,
préjudices corporels, viols et utilisation d’enfants-soldats incluant déjà de tels «dommages
immatériels»237, la RDC n’a pas lieu de prier la Cour de prescrire à l’Ouganda le versement d’une
somme supplémentaire à ce titre. Comme l’a expliqué l’Ouganda dans son contre-mémoire, cette
réclamation met en cause un type de dommage déjà visé par les autres demandes d’indemnisation
de la RDC, de sorte que la décision d’accorder pareille mesure de «satisfaction» entraînerait un
double recouvrement238. En outre, le montant de 125 millions de dollars réclamé à ce titre est
lui-même arbitraire ; la RDC n’a nullement expliqué en quoi ce chiffre offrirait une juste mesure du
dommage immatériel qui lui a été causé.
233 MRDCR, par. 7.16.
234 MRDCR, par. 1.20.
235 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 462 (les italiques sont de nous).
236 CMOR, par. 3.47-3.51.
237 MRDCR, par. 7.76-7.84.
238 CMOR, par. 10.39-10.47.
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152
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QUESTION 13
«La RDC peut-elle exposer la méthode qu’elle a utilisée pour calculer les
dommages matériels causés à Kisangani (17 323 998 dollars), à Beni
(5 526 527 dollars) et à Butembo (2 680 000 dollars) ?»
OBSERVATIONS DE L’OUGANDA SUR LA RÉPONSE DE LA RDC
13.1. L’explication qu’elle donne de la méthode qu’elle a utilisée pour calculer les
dommages matériels causés à Kisangani, Beni et Butembo ne fait que confirmer que la RDC n’a
pas fourni à la Cour, en termes de preuves, de bases solides permettant de lui adjuger ce volet de
ses demandes.
13.2. La réponse de la RDC à la question 13 est très brève : deux pages à peine. Pour
sommaire qu’elle soit, elle montre néanmoins clairement que les montants réclamés reposent sur
des allégations infondées et sur des calculs douteux. La RDC déclare avoir basé ses calculs sur les
«listes de biens perdus» (annexes 1.6.D, 1.7.D et 1.10.D) et les estimations figurant dans des «listes
d’évaluation» (annexes 1.6.C, 1.7.C et 1.10.C)239, entrées puis additionnées dans son logiciel
«EVADO 1.1.», qu’elle admet avoir créé aux fins de la présente instance240.
13.3. La RDC ne détaille pas le fonctionnement de ce logiciel, non plus qu’elle n’en fournit
une copie à l’Ouganda ou à la Cour. Si l’on ne sait pas avec certitude comment EVADO 1.1.
fonctionne réellement, il est en revanche certain qu’il n’est pas fiable. La RDC le reconnaît du reste
lorsqu’elle indique, dans sa réponse à la question 13, avoir dû apporter des «corrections
matérielles»241 aux montants demandés dans son mémoire, montants qu’elle a «revus à la baisse»242
comme suit :
s’agissant de Kisangani : 15 197 287,33 dollars, contre 17 323 998 dollars initialement ;
s’agissant de Beni : 5 022 087 dollars, contre 5 526 527 dollars initialement ; et
s’agissant de Butembo : 2 616 444 dollars, contre 2 680 000 dollars initialement243.
13.4. Bien que la RDC n’explique pas pourquoi ni comment ces «corrections matérielles»
ont été apportées, le fait qu’elle réduise le montant demandé de plus de deux millions de dollars à
ce stade tardif de la procédure suscite de graves préoccupations quant à l’exactitude de ses
estimations et n’incite guère à considérer les chiffres qu’elle allègue désormais comme fiables.
13.5. Les erreurs de calcul ne sont pas le seul aspect de sa réponse de nature à laisser
sceptique. Des failles plus importantes encore remettent en cause les fondements des demandes de
la RDC, les rendant par là même arbitraires.
239 RRDCQ, par. 13.4.
240 Ibid., par. 13.4, 13.7.
241 Ibid., par. 13.1.
242 Ibid.
243 RRDCQ, par. 13.3.
153
154
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13.6. Ainsi qu’il a été indiqué, les calculs effectués par le logiciel «EVADO 1.1» sont
théoriquement fondés sur des chiffres provenant des listes d’évaluation fournies par la RDC,
elles-mêmes dressées à partir de «fiches d’identification de victime». Or, comme l’Ouganda l’a
démontré dans ses observations sur la réponse de la RDC à la question 1, lesdites fiches ne sont
accompagnées de justificatifs d’aucune sorte de nature à établir la matérialité des dommages
allégués ou le bien-fondé des estimations avancées. Nombre d’entre elles ne précisent d’ailleurs
même pas la nature des dommages allégués ou le moindre montant. Les sommes indiquées dans les
listes d’évaluation correspondantes sont des montants forfaitaires purement arbitraires244. Lorsque
ces chiffres, qui sont infondés, sont introduits dans le logiciel «EVADO 1.1», le calcul qui en
résulte l’est tout autant, ce que quelques exemples suffiront à illustrer.
13.7. La RDC attribue ainsi systématiquement des valeurs rigoureusement identiques à des
catégories données de biens perdus, sans tenir compte du lieu et du moment où le préjudice aurait
été causé, ni des spécificités de chaque cas245. Dans les annexes 1.6.C (Beni), 1.7.C (Butembo) et
1.10.C (Kisangani) de ses réponses, les dommages causés en différents endroits et à différentes
dates à des «habitations de luxe» sont évalués au même montant (10 000 dollars)246. Il en va de
même pour les «habitations moyennes» (5000 dollars) et les «habitations légères»
(1000/500/400/300/150 dollars)247. Sur la base de ces sommes forfaitaires arbitraires, la RDC
réclame au total quelque six millions de dollars à raison de dommages causés à des habitations à
Beni, Butembo et Kisangani248.
13.8. De la même manière, les listes d’évaluation de la RDC recensent en théorie 1118 cas
de bicyclettes endommagées. A chaque fois, la valeur avancée est exactement la même
(100 dollars)249. Cela vaut également pour les animaux. Les cas de dommages touchant 599 vaches
et 305 porcs sont uniformément évalués, respectivement, à 300 et 80 dollars250.
13.9. Le penchant de la RDC pour les évaluations forfaitaires l’amène à procéder de même
en ce qui concerne certaines grandes catégories de biens génériques. A titre d’exemple, les
dommages prétendument causés à des «meubles» sont souvent estimés à une valeur rigoureusement
identique de 5000 dollars251. Sur la seule base de ces montants forfaitaires arbitraires, la RDC
réclame une indemnisation totale de plus de deux millions de dollars à raison de dommages au
mobilier252. De même, la plupart des «marchandises» dont la nature n’est pas précisée sont
244 Voir, plus haut, les observations de l’Ouganda sur la question 1.
245 Voir CMOR, par. 7.58-7.83 ; 7.132-7.138.
246 Voir, par exemple, «habitation de luxe» in RRDCQ, annexe 1.6.C, p. 31 ; RRDCQ, annexe 1.7.C, p. 1 ;
RRDCQ, annexe 1.10.C, p. 2.
247 Voir, par exemple, «habitation moyenne» in RRDCQ, annexe 1.6.C, p. 1 ; RRDCQ, annexe 1.7.C, p. 2 ;
RRDCQ, annexe 1.10.C, p. 1 ; «habitation légère» in RRDCQ, annexe 1.6.C, p. 1 ; RRDCQ, annexe 1.7.C, p. 1 ;
RRDCQ, annexe 1.10.C, p. 7.
248 Voir RRDCQ, annexes 1.6.C, 1.7.C, 1.10.C. Voir également les observations de l’Ouganda sur la question 14,
par. 14.2-14.7, ci-après.
249 Voir, par exemple, «vélo» in RRDCQ, annexe 1.6.C, p. 1 ; RRDCQ, annexe 1.7.C, p.1 ; RRDCQ,
annexe 1.10.C, p. 2.
250 Voir, par exemple, «vache» in RRDCQ, annexe 1.6.C, p. 1 ; RRDCQ, annexe 1.7.C, p. 2 ; RRDCQ,
annexe 1.10.C, p. 20 ; «cochon» in RRDCQ, annexe 1.6.C, p. 1 ; RRDCQ, annexe 1.7.C, p. 5 ; RRDCQ, annexe 1.10.C,
p. 29.
251 Voir, par exemple, «meuble» in RRDCQ, annexe 1.6.C, p. 2 ; RRDCQ, annexe 1.10.C, p. 2.
252 Voir RRDCQ, annexes 1.6.C, 1.7.C, 1.10.C.
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- 98 -
indifféremment évaluées au prix unitaire de 1000 dollars253, la RDC réclamant ainsi près de
80 000 dollars au titre de dommages qui auraient été causés à une catégorie de biens totalement
hétérogène254.
13.10. Pour l’Ouganda, la remarquable uniformité des prix unitaires allégués jette le doute
sur la vraisemblance des évaluations avancées et discrédite fortement les assertions et demandes de
la RDC. Loin de s’employer à préciser la nature, et à établir la matérialité, de préjudices effectifs
dont l’Ouganda serait responsable, la RDC utilise une «méthode» basée sur des hypothèses et
spéculations dépourvues de fondement, avec, à la clef, des montants nullement prouvés.
13.11. La demande présentée au titre de diamants prétendument perdus (pour un total de près
de 1 100 000 dollars) offre une autre illustration des failles en matière de preuve et de
méthodologie qui vicient la démarche de la RDC. La liste d’évaluation concernant Beni
(annexe 1.6.C) fait référence à la perte alléguée d’un seul diamant, censé valoir 300 000 dollars255.
Cependant, la fiche d’identification de victime sur laquelle semble reposer cette évaluation (qui
figure dans le fichier «KISANGANI_SUITE1_CCF06032016_001&_004»), qui renvoie seulement
à un «diamant de 12 carats», ne comprend aucun élément justifiant le montant indiqué, non plus
qu’elle n’est accompagnée de documents justificatifs256.
13.12. La perte alléguée de 17 diamants à Kisangani n’est pas davantage établie. Les fiches
d’identification de victime produites à titre de preuves sont on ne peut plus lacunaires, comme
l’illustre celle censée consigner la perte d’un diamant évalué à 375 000 dollars (qui figure dans le
fichier «CCF22082016_0054_002»). Cette fiche incomplète, reproduite ci-après, ne fait pas même
mention de la perte de diamants (ni d’aucune autre perte matérielle spécifique) et ne vient
nullement justifier la somme importante que la RDC réclame sur cette base257 :
253 Voir, par exemple, «marchandise» in RRDCQ, annexe 1.6.C, p. 60 ; RRDCQ, annexe 1.7.C, p. 6 ; RRDCQ,
annexe 1.10.C, p. 1.
254 Voir, ibid.
255 Voir «diamant» in RRDCQ, annexe 1.6.C, p. 5.
256 Voir RRDCQ, annexe 1.6.C, p. 5 ; RRDCQ, annexe 1.5, KISANGANI_SUITE1_CCF06032016_001&_004.
257 Voir RRDCQ, annexe 1.10.C, p. 39 ; RRDCQ, annexe 1.2, CCF22082016_0054_002.
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13.13. Dans ses listes d’évaluation, la RDC prétend également répertorier des dommages qui
auraient été causés à des entreprises publiques et privées dont l’Ouganda a déjà montré, dans son
contre-mémoire, qu’ils n’étaient pas établis258. Sans répondre aux critiques qu’a formulées
l’Ouganda, la RDC continue d’inclure ces dommages (dont la matérialité a été réfutée) dans sa
demande. A la page 36 de sa liste d’évaluation relative à Kisangani, elle réclame, pour sa banque
centrale, les montants suivants259 :
258 Voir CMOR, par. 7.98-7.130.
259 RRDCQ, annexe 1.10.C, p. 36.
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13.14. Elle prétend se fonder sur la fiche d’identification de victime figurant dans le
document électronique «CCF05032016_2_002», et reproduite ci-après :
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13.15. Or, comme la Cour peut le constater, cette fiche ne comporte rien d’autre qu’une
mention des quatre mêmes éléments, et n’est accompagnée d’aucune pièce justificative sous forme
de factures, récépissés, photographies, etc. Il convient de relever que les auteurs présumés y sont en
outre décrits comme «[i]nconnus, sûrement les armées ougandaise et rwandaise»260.
13.16. La demande d’indemnisation de plus de 1 100 000 dollars à raison de dommages
prétendument causés à l’entreprise textile «SOTEXKI» (voir page 265 de la liste d’évaluation
relative à Kisangani261) doit également être rejetée faute de preuves. Comme l’Ouganda l’a exposé
dans son contre-mémoire, les documents sur lesquels la RDC se fonde en ce qui concerne cette
demande 1) n’attribuent pas les dommages allégués à l’Ouganda ; 2) ne contiennent aucun élément
attestant la matérialité de ces dommages ; et 3) font état de valeurs théoriques dont le total est en
réalité inférieur de 20 % à celui des montants allégués par la RDC dans sa liste d’évaluation262.
*
13.17. Les exemples qui précèdent montrent que les demandes soumises par la RDC au titre
de dommages matériels et de pertes de biens à Beni, Butembo et Kisangani sont dépourvues de tout
fondement. La RDC n’a nullement présenté les dommages qu’elle allègue, ni n’a établi leur
matérialité, comme il est de règle de le faire dans une procédure interétatique. Elle n’a par
conséquent pas donné à la Cour matière à lui adjuger les montants qu’elle réclame à raison de
dommages matériels causés à Beni, Butembo ou Kisangani.
260 Ibid., annexe 1.5, KISANGANI_SUITE_CCF05032016_2_002.
261 Ibid., annexe 1.10.C, p. 265.
262 CMOR, par. 7.125-7.130.
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QUESTION 14
«La RDC peut-elle exposer la méthode qu’elle a utilisée pour calculer la
proportion correspondant à chaque sorte d’habitations détruites en Ituri, ainsi que le
coût de reconstruction de celles-ci ?»
OBSERVATIONS DE L’OUGANDA SUR LA RÉPONSE DE LA RDC
14.1. La question 14 se compose de deux parties. Premièrement, il est demandé à la RDC
d’exposer la méthode qu’elle a utilisée pour calculer la proportion correspondant à chaque sorte
d’habitations détruites en Ituri. Deuxièmement, il lui est demandé d’exposer la méthode qu’elle a
utilisée pour calculer le coût de reconstruction de ces habitations. La réponse de la RDC ne fait que
mettre en évidence le caractère infondé et par conséquent arbitraire de ses calculs, s’agissant de la
proportion correspondant à chaque sorte d’habitations qui auraient été détruites comme des coûts
de reconstruction.
14.2. En ce qui concerne la proportion correspondant à chaque sorte d’habitations détruites,
la RDC allègue, dans son mémoire, qu’elle était de 80 % pour les habitations légères, 15 % pour les
habitations intermédiaires et 5 % pour les habitations de luxe263. Dans sa réponse, elle précise que,
pour déterminer ces pourcentages, elle s’est fondée sur : 1) la «localisation» des zones où les
destructions avaient eu lieu, en distinguant notamment à cet égard milieux ruraux et milieux
urbains264 ; 2) «des informations contenues dans des rapports élaborés par des missions d’enquête
mises en place par les organes de l’ONU»265 ; et 3) des témoignages consignés dans les fiches
d’identification de victime266. Pourtant aucune de ces sources ne fournit d’éléments justifiant les
proportions qu’elle a choisi de retenir.
14.3. S’agissant de la question de la localisation, la RDC ne présente aucun élément de
preuve montrant que les habitations en cause se trouvaient dans des zones urbaines, rurales ou
résidentielles mixtes. Du reste, nombre des fiches d’identification de victime que la RDC a
soumises à cet égard n’indiquent tout bonnement aucun emplacement. En outre, la RDC n’explique
pas en quoi le fait que les habitations soient situées à tel ou tel endroit, quand bien même leur
localisation aurait été dûment établie (quod non), viendrait justifier les proportions qu’elle invoque.
L’Ouganda croit comprendre (mais ce n’est là rien de plus qu’une supposition) que la RDC entend
ainsi signifier que les habitations en zones rurales sont plus ordinaires que celles situées en zones
urbaines. Or, même si cette hypothèse générale se révélait juste (ce qui semble improbable), et
même s’il était effectivement démontré que la destruction a touché davantage d’habitations en
zones rurales qu’en zones urbaines (ce qui n’est pas le cas), l’Ouganda ne comprend pas comment
ces seuls éléments permettraient d’aboutir à la répartition très précise avancée par la RDC. Celle-ci
semble plutôt relever de conjectures fondées sur de pures spéculations.
14.4. Quant aux prétendus rapports de l’ONU, la RDC n’en cite nommément aucun.
Comment pareils rapports non spécifiés pourraient-ils alors étayer sa prétention ?
263 RRDCQ, par. 14.2.
264 Ibid., par. 14.3-14.4.
265 Ibid., par. 14.3.
266 Ibid., par. 14.3.
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- 103 -
14.5. S’agissant des fiches d’identification de victime, la teneur en est en théorie résumée
dans la liste de «biens perdus» constituant l’annexe 1.9.E («Liste des Biens Perdus Ituri»). Or l’on
n’y trouve là encore rien qui vienne justifier les proportions invoquées.
14.6. La liste en question est censée rendre compte de la destruction de 13 384 habitations
légères, 199 habitations «moyennes» et 26 habitations de luxe267, ce qui revient, en pourcentage, à :
98,3 % d’habitations légères ;
1,5 % d’habitations intermédiaires ; et
0,2 % d’habitations de luxe.
14.7. Les proportions correspondant à chaque sorte d’habitations qui auraient été détruites en
Ituri alléguées par la RDC ne sont donc fondées sur aucune véritable méthode et ses allégations, en
fait, contredisent les sources mêmes sur lesquelles elle s’appuie.
14.8. En ce qui concerne le coût de reconstruction, la RDC l’a évalué, dans son mémoire, à
300 dollars par habitation légère, 5000 dollars par habitation intermédiaire et 10 000 dollars par
habitation de luxe268. Selon la réponse de la RDC à la question 14, ce coût est basé sur les fiches
identification de victime dans lesquelles «certaines victimes … décrivaient les bâtiments qu’elles
avaient perdus et les matières desquelles ils étaient faits»269. La RDC affirme également que,
«[c]onnaissant le coût de tels bâtiments dans cette région de la RDC», elle a choisi «le prix le
moins cher possible»270. Comme nous le verrons ci-dessous, aucun élément de preuve ne vient
étayer ces affirmations.
14.9. Premièrement, comme cela a déjà été relevé, nombre des fiches d’identification de
victime ne renseignent même pas sur la localisation des habitations, ne fût-ce qu’en les situant en
zones rurales ou urbaines, ni, à plus forte raison, n’indiquent quelques coûts de reconstruction que
ce soit ni ne les prouvent à l’aide de justificatifs tels que des factures, reçus, contrats de
construction ou relevés bancaires. La fiche d’identification de victime tirée du document
électronique intitulé «ITURI_SUITE_CCF05032016_0001(3)_008» (reproduit ci-dessous) illustre
bien ces lacunes récurrentes. Elle mentionne simplement : «1 maison brûlée + avec tous objets,
1 maison en tôle détolée»271. Elle ne précise pas la localisation des deux maisons en question, ni ne
contient ne fût-ce qu’une estimation du coût de leur reconstruction.
267 Liste des Biens Perdus Ituri, p. 3, réponse de la RDC aux questions de la Cour, annexe 1.9.E.
268 MRDCR, par. 7.35.
269 RRDCQ, par. 14.5 (les italiques sont de nous).
270 RRDCQ, par. 14.5.
271 ITURI_SUITE_CCF05032016_0001(3)_008, réponse de la RDC aux questions de la Cour, annexe 1.4.
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166
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14.10. A l’instar de celle-ci, nombre d’autres fiches d’identification de victime ne
contiennent aucune des informations qui pourraient permettre de rattacher les prétentions de la
RDC à des faits272. Aucune de ces fiches ne fournit le moindre élément de preuve permettant
d’établir ou ne serait-ce que d’évaluer les coûts de reconstruction. Cette absence de preuve est
particulièrement frappante s’agissant des habitations présentées comme «intermédiaires» ou «de
luxe» pour la destruction desquelles la RDC cherche à obtenir des sommes substantielles et dont on
peut penser qu’elles ont appartenu à des personnes susceptibles de conserver les devis ou autres
justificatifs mentionnés ci-dessus. Or, même pour ces habitations, la RDC n’a produit rien de tel en
réponse à la question de la Cour.
272 Voir, par exemple, les «fiches d'identification de victime» mentionnées dans la réponse de la RDC aux
questions de la Cour, annexe 1.9.C : ITURI_SUITE5_CCF07032016_003, p. 166 ; ITURI_SUITE5_CCF07032016_004,
p. 27 ; ITURI_SUITE5_CCF07032016_006, p. 140 ; ITURI_SUITE5_CCF07032016_008, p. 169 ; ITURI_SUITE5_
CCF07032016_010, p. 10 ; ITURI_SUITE5_CCF07032016_011, p. 150 ; ITURI_SUITE5_CCF07032016_015, p. 98 ; ITURI_
SUITE5_CCF07032016_017, p. 102 ; ITURI_SUITE5_CCF07032016_019, p. 3 ; ITURI_SUITE5_CCF07032016_023, p. 3 ;
ITURI_SUITE5_CCF07032016_025, p. 36 ; Ituri_CCF04032016 0015_022, p. 103 ; ITURI_SUITE_CCF04032016_0002_002,
p. 139 ; ITURI_SUITE_CCF04032016_0002_004, p. 88 ; ITURI_SUITE_CCF04032016_0002_008, p. 173 ; ITURI_SUITE_
CCF04032016_0002_012, p. 79 ; ITURI_SUITE_CCF04032016_0005_002, p. 150.
167
- 105 -
14.11. Deuxièmement, même si la RDC allègue qu’elle a procédé à une étude du coût de
reconstruction dans les différentes régions et choisi le moins élevé273, elle ne fournit littéralement
aucune précision sur sa démarche ou la manière dont elle a abouti aux estimations qu’elle présente.
Si pareille étude avait réellement été menée, on aurait pu s’attendre à ce que la RDC la soumette ou
présente à tout le moins des justificatifs tels que des factures, reçus ou autres documents
susceptibles de corroborer les coûts de reconstruction allégués.
14.12. Troisièmement, la RDC n’a produit aucun autre élément permettant d’établir les coûts
de reconstruction ou de justifier les sommes forfaitaires qu’elle a avancées. A titre d’exemple, elle
aurait pu obtenir de maires ou de chefs de village, d’urbanistes ou d’entrepreneurs qu’ils évaluent,
et indiquent dans des déclarations signées, le coût moyen de la reconstruction d’habitations situées
à tel ou tel endroit sur la base de leur connaissance des dommages causés et des matériaux
nécessaires à la reconstruction. Aucune information de ce type n’a cependant été fournie à la Cour.
14.13. Les allégations de la RDC concernant les coûts de reconstruction allégués sont par
conséquent infondées.
*
14.14. La RDC n’ayant établi ni la proportion d’habitations qui auraient été détruites ni le
coût de leur prétendue reconstruction, la demande d’indemnisation qu’elle soumet au titre de ce
chef de dommages est également infondée. La RDC n’a pas donné à la Cour matière, en droit, à lui
adjuger des indemnités.
273 RRDCQ, par. 14.4-14.5.
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- 106 -
QUESTION 15
«La RDC pourrait-elle expliquer davantage les éléments sur lesquels elle se
fonde pour demander que lui soit versée, à titre de mesure de satisfaction, la somme de
100 000 000 dollars pour les dommages immatériels que lui a causés l’Ouganda ?»
OBSERVATIONS DE L’OUGANDA SUR LA RÉPONSE DE LA RDC
15.1. Dans la question 15, la RDC était priée d’«expliquer davantage les éléments sur
lesquels elle se fonde pour demander que lui soit versée» la somme supplémentaire de
100 000 000 de dollars à titre de mesure de satisfaction en l’espèce. Or, ce n’est pas ce qu’elle fait :
dans sa réponse, elle ne propose aucune analyse d’éventuels éléments sur lesquels elle se serait
fondée. Au lieu de répondre à la question que la Cour a posée, la RDC se borne à formuler
certaines observations générales, dont aucune n’est pertinente au regard de la question à l’examen.
15.2. Tout au plus la RDC apporte-t-elle un semblant d’explication quand elle affirme que,
«[d]ans ce cas, le critère d’évaluation en vue de déterminer le montant à payer se trouve être la
gravité du fait illicite»274, ajoutant :
«En effet, l’occupation du territoire congolais n’était pas une simple invasion, ni
une entrée éclai[r] des troupes de ce pays sur le territoire congolais. Il s’agissait d’une
véritable occupation et prise de contrôle d’une partie du territoire. Cela justifie dans un
premier temps la revendication de la somme de 100 000 000 de dollars par la
RDC.»275
15.3. Ces affirmations ne sont naturellement en rien des «éléments» sur lesquels la RDC
pourrait fonder sa demande. Elles en révèlent toutefois les véritables desseins : obtenir que
l’Ouganda soit condamné à verser un montant supplémentaire de 100 millions de dollars au titre de
dommages-intérêts punitifs, au vu de la supposée «gravité du fait illicite». Or, comme l’Ouganda
l’a montré dans son contre-mémoire, il est établi que les dommage-intérêts punitifs ne sauraient
constituer un remède en droit international276. Et la Commission du droit international (CDI) l’a
affirmé avec force : «[L]a satisfaction n’est pas censée avoir un caractère punitif, et n’inclut donc
pas de dommages-intérêts punitifs»277.
15.4. Dans le reste de sa réponse, la RDC s’intéresse aux sources juridiques qui tendraient à
légitimer le versement d’une somme d’argent à titre de «satisfaction». Elle invoque par exemple le
paragraphe 2 de l’article 45 du projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait
internationalement illicite de 1996, qui indiquait que la satisfaction pouvait prendre une forme
financière278. Or cette disposition n’a pas lieu d’être invoquée, et ce, pour plusieurs raisons.
274 RRDCQ, par. 15.11.
275 Ibid., par. 15.14.
276 CMOR, chap. 4.III.
277 Projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite, art. 37, commentaire, par. 8.
278 RRDCQ, par. 15.7.
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- 107 -
15.5. Premièrement, comme le reconnaît la RDC elle-même, le paragraphe 2 du projet
d’article 45 prévoyait la possibilité de verser une «somme d’argent payée symboliquement» à titre
de compensation supplémentaire279.
15.6. Deuxièmement, comme la RDC le reconnaît également, «[d]ans le dernier rapport de la
CDI sur la responsabilité internationale des Etats pour fait internationalement illicite, la satisfaction
financière n’est pas reprise»280. En d’autres termes, dans la version définitive des articles adoptée
en 2001, la possibilité d’une satisfaction financière n’est plus envisagée.
15.7. Troisièmement, la référence à la satisfaction financière a finalement été abandonnée
précisément parce que la CDI avait exclu que les Etats puissent voir leur responsabilité pénale
engagée en droit international et écarté, avec cette possibilité, le concept de dommages-intérêts
punitifs281. Il s’ensuit que la satisfaction financière n’est pas un remède acceptable ; le serait-elle
qu’il y aurait confusion entre deux formes de réparation distinctes : la satisfaction et
l’indemnisation.
15.8. Quatrièmement, et en tout état de cause, la référence au projet d’articles de 1996
n’apporte en rien les éclaircissements demandés par la Cour quant aux «éléments» sur lesquels la
RDC fonderait la présente demande.
15.9. La RDC mentionne également les sentences rendues par certains tribunaux arbitraux
ayant octroyé une satisfaction financière282. Or, là encore, ce ne sont pas des références abstraites à
la jurisprudence que la Cour sollicitait, mais des précisions, de la part de la RDC, à propos des
éléments sur lesquels celle-ci s’est appuyée pour demander que lui soit adjugée la somme de
100 000 000 dollars. Ce n’est pas répondre à la question posée que se contenter d’énumérer des cas
de sommes versées à titre de satisfaction pour préjudice moral.
15.10. Par ailleurs, ces précédents — qui sont pour la plupart anciens et ne relèvent pas de
décisions de la Cour — confirment que toute somme de cette nature doit être symbolique283, un
aspect que la RDC reconnaît effectivement quand elle dit que «[l]a satisfaction … peut aussi se
manifester par le paiement d’une somme d’argent, à titre symbolique»284. En effet, à l’exception de
l’affaire I’m Alone (Canada c. Etats-Unis d’Amérique), les quelques précédents invoqués par la
RDC font intervenir le versement de sommes d’argent très modestes en contrepartie du préjudice
moral subi par des particuliers. Ainsi, en l’affaire Arends, il a été conclu ce qui suit :
«Les préjudices résultant de la détention du navire sont nécessairement minimes
mais, de l’avis du surarbitre, le gouvernement défendeur est disposé à reconnaître sa
responsabilité pour l’acte regrettable commis par ses fonctionnaires et à exprimer à
l’Etat souverain et frère auquel il est uni par des liens d’amitié et de commerce ses
regrets à l’égard de cet acte de la seule manière possible en l’espèce, à savoir que la
Commission décide d’allouer au demandeur une indemnité suffisante pour réparer
279 Ibid.
280 Ibid.
281 Voir par. 15.8, infra.
282 RRDCQ, par. 15.8-15.10.
283 Voir CMOR, par. 10.41.
284 RRDCQ, par. 15.5 (les italiques sont de nous) ; voir aussi ibid., par. 15.7.
171
172
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intégralement cette détention illégale. De l’avis du surarbitre, le montant de cette
indemnité peut être fixé à 100 dollars en pièces d’or des Etats-Unis d’Amérique, ou
l’équivalent en argent, au taux de change en vigueur au moment du paiement ; il peut
être jugé en conséquence.»285
15.11. De la même manière, dans l’affaire des Héritiers de Jean Maninat, la commission
mixte des réclamations France-Venezuela a relevé qu’il était difficile de quantifier précisément le
préjudice pécuniaire subi par le demandeur, ajoutant : «[L’]aspect le plus important de cette affaire
réside dans l’affront irréparable fait à une République soeur par suite de cet inexcusable outrage à
l’un de ses ressortissants qui avait établi son domicile en un lieu relevant de la juridiction du
gouvernement défendeur.»286 Toutefois, «le surarbitre [a] estim[é] que la somme de 100 000 francs
constituerait une juste compensation au titre des deux aspects de cette affaire»287.
15.12. Par ailleurs, si, en l’affaire I’m Alone, aucune indemnisation n’a été octroyée, il a été
conclu que
«l’acte des agents des garde-côtes des Etats-Unis, en coulant le bateau, était, comme
nous l’avons déjà indiqué, un acte illicite ; et les commissaires considèrent que les
Etats-Unis devraient formellement en reconnaître l’illégalité et présenter leurs excuses
à ce sujet au gouvernement de Sa Majesté au Canada ; et, en outre, comme satisfaction
matérielle pour le tort causé, les Etats-Unis devraient payer la somme de
25 000 dollars au gouvernement de Sa Majesté au Canada»288.
L’Ouganda estime que cet aspect de la décision n’est pas conforme au droit international moderne ;
cette «satisfaction matérielle» avait clairement un caractère punitif289.
15.13. La RDC fait également référence à l’affaire du Rainbow Warrior et au versement par
la France de 7 millions de dollars à la Nouvelle-Zélande290, écrivant que «[l]a qualification de cette
somme a toujours révélé qu’elle comprenait, en plus de quelques dépenses occasionnées par cet
incident, une satisfaction financière ou mieux, une indemnisation du dommage moral»291. Si la
RDC entend par là dire que cette somme de 7 millions de dollars constituait une forme de
satisfaction, elle a tort. Dans le règlement émis en 1986, le Secrétaire général avait souligné ce qui
suit :
285 Arends (commission mixte des réclamations France/Venezuela), sentence arbitrale, surarbitre Plumley (1903),
RSA, vol. 10, p. 730 (les italiques sont de nous). En réalité, 100 dollars en pièces d’or ne représentent pas une somme
totalement négligeable, mais équivalent tout au plus à 1000 dollars d’aujourd’hui, ce qui n’est pas proportionné au
montant réclamé par la RDC en l’espèce.
286 Heirs of Jean Maninat Case (France-Venezuela Mixed Claims Commission), Arbitral Award, 10 RIAA 55,
(31 July 1905), p. 81-82.
287 Ibid., p. 83 (les italiques sont de nous).
288 S.S. «I’m Alone» (Canada, Etats-Unis), sentence arbitrale (30 juin 1933 et 5 janvier 1935), RSA, vol. 3,
p. 1618.
289 Ibid., p. 1618.
290 RRDCQ, par. 15.16.
291 Ibid., par. 15.17 (les italiques sont de nous).
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- 109 -
«La Nouvelle-Zélande demande une indemnisation pour le préjudice subi par
elle et la France est prête à verser une certaine indemnité. … J’estime que le
gouvernement français devrait verser au gouvernement néo-zélandais une somme de
7 millions de dollars en réparation de l’ensemble des préjudices subis par la
Nouvelle-Zélande.»292
A ce propos, le tribunal arbitral relevait dans sa sentence de 1990 que «l’accord d’une forme de
réparation autre que la satisfaction a été reconnu et admis dans les relations entre les Parties par le
règlement émis le 9 juillet 1986 par le Secrétaire général, ce règlement ayant été accepté et
appliqué par les deux Parties en présence»293. Et effectivement, au deuxième paragraphe de
l’accord qu’elles ont conclu le 9 juillet 1986, les parties en question étaient convenues que
«le gouvernement français versera[it] au gouvernement de la Nouvelle-Zélande la somme de
sept millions de dollars américains à titre de compensation de tous les dommages qu’il a[vait]
subis»294.
*
15.14. La RDC n’ a donc pas répondu à la question posée par la Cour. Elle n’a fourni aucune
explication supplémentaire en ce qui concerne les éléments sur lesquels elle s’est fondée pour
aboutir à la somme de 100 000 000 dollars qu’elle réclame à titre de mesure de satisfaction. En
outre, sa réponse ne permet pas de pallier les failles que présente d’un point de vue juridique une
demande qui, sous le couvert de la «satisfaction», vise fondamentalement à lui permettre d’obtenir
des dommages-intérêts punitifs.
292 Affaire concernant les problèmes nés entre la Nouvelle-Zélande et la France relatifs à l’interprétation ou à
l’application de deux accords conclus le 9 juillet 1986, lesquels concernaient les problèmes découlant de l’affaire du
Rainbow Warrior, sentence arbitrale du 30 avril 1990, Règlement, point 2 : indemnisation, reproduite dans Revue
générale de droit international public, vol. XCIV, 1990, p. 842 (les italiques sont de nous).
293 Ibid., p. 873, par. 115 (les italiques sont de nous).
294 Ibid. (les italiques sont dans l’original).
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- 110 -
QUESTION 16
«La RDC pourrait-elle exposer sur quelle base juridique elle se fonde pour
demander que l’Ouganda, à titre de mesure de satisfaction, finance la création d’un
fonds destiné à favoriser la réconciliation entre les Hema et les Lendu en Ituri ?»
OBSERVATIONS DE L’OUGANDA SUR LA RÉPONSE DE LA RDC
16.1. La question 16 est simple et directe. Pourtant, au lieu d’y répondre, la RDC se contente
de répéter ce qu’elle a déjà dit dans son mémoire et mentionne encore une fois le précédent du
Rainbow Warrior295. L’Ouganda a traité de cette affaire dans son contre-mémoire, démontrant
qu’elle ne pouvait servir à justifier la demande de la RDC296.
16.2. En résumé, le tribunal arbitral n’a pas prescrit la création d’un fonds dans l’affaire du
Rainbow Warrior. Après et après seulement avoir examiné la question des réparations, et
séparément, il a émis une recommandation juridiquement non contraignante visant à constituer un
fonds destiné à la promotion «de relations étroites et amicales entre les citoyens des deux pays»297.
Vu l’état de la relation entre les parties en présence, la France n’a «en rien contredit la compétence
du Tribunal pour décider d’une recommandation qui aid[ait] à la solution du litige»298. En l’espèce,
l’Ouganda rejette au contraire l’existence de toute base juridique qui fonderait la Cour à prescrire la
création d’un fonds tel que le sollicite la RDC.
16.3. En dehors de sa référence (erronée) à l’affaire du Rainbow Warrior, la RDC ne met en
avant aucune source juridique qui viendrait légitimer sa demande et pour cause : il n’en existe
pas. La demande visant à établir un fonds de réconciliation est en un mot indéfendable.
16.4. La RDC saisit l’occasion qui lui est donnée pour affirmer même si cette affirmation
est sans rapport direct avec la question de la Cour que «[l]’Ouganda est à l’origine du conflit
ethnique sanglant ayant opposé les Hema et les Lendu. Depuis ce conflit, la réconciliation entre les
deux communautés n’est pas encore réellement scellée.»299 Pour ne laisser place à aucun doute,
l’Ouganda tient à s’élever une fois de plus contre la contre-vérité avancée par la RDC. Si
l’Ouganda souscrit pleinement à l’arrêt rendu par la Cour en 2005, l’idée, suggérée par la RDC,
qu’il serait seul responsable du conflit entre les Hema et les Lendu est aux antipodes de la réalité
historique. Comme l’Ouganda l’a montré dans son contre-mémoire, il s’agit d’un conflit ancien.
C’est l’un des drames qui minent l’est de la RDC depuis le début de l’ère coloniale, si ce n’est
avant300. Le conflit faisait déjà rage avant l’arrivée de l’Ouganda en RDC et a perduré après son
départ. Rien ne justifierait donc, du point de vue factuel, que l’Ouganda supporte seul le coût de la
réconciliation.
295 RRDCQ, par. 16.4-16.5.
296 CMOR, par. 10.42-10.44.
297 Affaire concernant les problèmes nés entre la Nouvelle-Zélande et la France relatifs à l’interprétation ou à
l’application de deux accords conclus le 9 juillet 1986, lesquels concernaient les problèmes découlant de l’affaire du
Rainbow Warrior, sentence arbitrale du 30 avril 1990, reproduite in Revue générale de droit international public,
vol. XCIV, 1990, p. 877, par. 127.
298 Ibid., par. 128.
299 RRDCQ, par. 16.2.
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- 111 -
QUESTION 17
«Les deux Parties peuvent-elles exposer leurs vues en ce qui concerne les
réparations collectives, y compris la forme que celles-ci devraient prendre ?»
OBSERVATIONS DE L’OUGANDA SUR LA RÉPONSE DE LA RDC
17.1. L’Ouganda a répondu à la question 17 le 1er novembre. La réponse de la RDC à cette
question montre que les Parties s’accordent au moins sur un point, à savoir que la définition des
«réparations collectives» n’est pas fixée. Comme la RDC le reconnaît elle-même, «en droit
international, il n’existe pas de définition de la notion de «réparations collectives» faisant
consensus»301.
17.2. Si elle l’a admis avec franchise, la RDC n’en indique pas moins à la Cour qu’elle
demande, à tout le moins en partie, des réparations collectives (quoi qu’on entende par là).
Pourtant, comme l’Ouganda l’a montré dans sa propre réponse à la question 17, les réparations
collectives ne constituent pas un remède susceptible d’être accordé au titre des règles de la
responsabilité de l’Etat applicables aux procédures interétatiques302. Et il est intéressant de
constater que, dans sa réponse, la RDC ne mentionne aucune base juridique qui justifierait l’octroi
de pareilles réparations en l’espèce. Elle n’explique pas non plus comment elle pourrait être fondée
à réclamer des réparations collectives à ce stade tardif de la procédure, alors qu’elle n’en a jamais
demandé auparavant, que ce soit lors de la phase destinée au fond ou dans le mémoire qu’elle a
consacrée à la question des réparations.
17.3. Même lorsqu’elle affirme avoir choisi «une double forme de réparation, individuelle et
collective»303, la RDC ne se départit pas d’une ambiguïté sciemment entretenue lorsqu’il s’agit
pour elle de préciser dans quelle mesure, et dans quels cas, elle demande des réparations collectives
par opposition à des réparations individuelles. Elle ne spécifie pas davantage le type de réparations
collectives qu’il s’agirait selon elle d’adjuger, les collectivités qui devraient en bénéficier ou les
catégories de dommages qu’elles devraient concerner.
17.4. La RDC ne fournit pas non plus d’éléments, fût-ce de nature générale, concernant tels
ou tels groupes ou communautés en particulier ni a fortiori de preuves que ces groupes ou
collectivités auraient subi un préjudice identifiable. Elle n’indique pas davantage de quelle manière
les réparations collectives qui pourraient être octroyées seraient réparties de manière à bénéficier à
des groupes ou communautés spécifiques.
17.5. Pour autant que sa réponse à la question 17 contienne la moindre allusion à ce que
recouvrent les réparations collectives qu’elle demande, la RDC semble suggérer et ce, pour la
première fois que le fonds qu’elle réclame en vue de promouvoir la réconciliation entre les
300 CMOR, par. 2.8-2.81.
301 RRDCQ, par. 17.4.
302 ROQ, p. 7.
303 RRDCQ, par. 17.3.
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Hema et les Lendu en Ituri constituerait une forme de réparation collective304. Pourtant, ainsi que
relevé eu égard à la question précédente, la RDC réclame que soient versés à ce fonds 25 millions
de dollars, à titre de réparation sous forme de satisfaction, et pour le compte de la RDC elle-même,
et non à titre de réparations collectives destinées à telle ou telle collectivité.
17.6. L’Ouganda soutient respectueusement que la RDC ne peut pas de manière subite et
opportuniste modifier sa demande à cet égard au seul motif que la Cour, dans le cadre de la
question 16, en a interrogé les fondements juridiques et s’est enquise, dans le cadre de la
question 17, des vues des Parties en ce qui concerne les réparations collectives.
*
17.7. Malgré les lacunes qu’elle présente, la réponse de la RDC à la question 17 est
significative en ce qui concerne à tout le moins un aspect important. Voici en effet ce qu’écrit plus
précisément la RDC dans ce contexte :
«On pourra aussi opposer à la RDC l’argument qu’en optant pour les
réparations individuelles pour réparer les dommages nés des meurtres, des dommages
corporels et des viols, l’on arrivera à des résultats discriminatoires, certaines victimes
qui n’étaient pas identifiées ni recensées par la commission seront mises de cȏté par
le partage des réparations individuelles.»305
17.8. L’Ouganda considère cette déclaration comme à la fois révélatrice et inquiétante. La
RDC admet ici que seules les victimes alléguées «identifiées [ou] recensées par la commission»
(c’est-à-dire celles qui figurent sur ses «listes d’évaluation») bénéficieront du «partage» de toute
indemnisation que la Cour pourrait prescrire.
17.9. La déclaration est révélatrice car le nombre des victimes inscrites sur les listes
d’évaluation est d’un tout autre ordre de grandeur que le nombre total de personnes à raison
desquelles la RDC demande à être indemnisée. A titre d’exemple, s’agissant des décès, la RDC
demande réparation, dans son mémoire, pour la mort de 180 000 personnes. Or, seuls 5440 décès
sont apparemment consignés sur les listes d’évaluation (dont 4644 se rapportent a priori à des
personnes qui n’ont pas même été identifiées)306. La RDC demande donc à être indemnisée à raison
du prétendu décès de 175 000 personnes qui, même dans sa propre optique, ne verront jamais un
centime des indemnités que la Cour pourrait adjuger.
304 La RDC écrit que «certains dommages, par exemple la haine ethnique qui s’est emparée des relations entre
deux ethnies, peuvent trouver satisfaction dans la création d’un fonds destiné à la réconciliation de deux communautés»,
RRDCQ, par. 17.16.
305 RRDCQ, par. 17.27 (les italiques sont de nous).
306 Voir RRDCQ, annexes 1.6, 1.7, 1.8, 1.9 et 1.10.
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17.10. La déclaration est inquiétante car si les personnes censées recevoir les indemnités
demandées ne sont pas celles qui ont effectivement subi un préjudice, force est de se demander qui
seront les véritables bénéficiaires.
Respectueusement,
L’ambassadeur et coagent de la République d’Ouganda,
(Signé) Mme Mirjam BLAAK.
Le 7 janvier 2019.
___________
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LISTE DES APPENDICES
Appendice 1 Entrées des listes d’évaluation retenues pour les cas de décès
Appendice 2 Entrées des listes d’évaluation retenues pour les cas de déplacements
Appendice 3 Entrées des listes d’évaluation retenues pour les cas de préjudices
corporels
Appendice 4 Entrées des listes d’évaluation retenues pour les cas de perte de biens ou
de dommages matériels
Appendice 5 Entrées des listes d’évaluation retenues qui mentionnent des noms de
fichiers ne correspondant à aucun fichier dans l’annexe en question
Appendice 6 Fiches d’identification de victime retenues spécifiant l’action en cause
Appendice 7 Fiches d’identification de victime retenues qui n’indiquent pas que les
«auteurs présumés» seraient l’Ouganda ou des soldats ougandais
Appendice 8 Fiches d’identification de victime retenues pour les cas de décès qui ne
contiennent aucune information quant à une éventuelle activité
professionnelle de la victime
Appendice 9 Fiches d’identification de victime retenues pour les cas de décès qui ne
contiennent aucune information sur l’âge de la victime
Appendice 10 Fiches d’identification de victime retenues pour les cas de décès qui ne
précisent pas si le décès est le résultat d’actes de violence délibérés
Appendice 11 Fiches d’identification de victime retenues pour les cas de préjudices
corporels qui n’indiquent pas la gravité, la nature ou le type de blessure
Appendice 12 Fiches d’identification de victime retenues pour les cas de préjudices
corporels qui ne précisent pas si le préjudice subi est le résultat d’actes de
violence délibérés
Appendice 13 Fiches d’identification de victime retenues pour les cas de déplacements
qui ne font état d’aucune destination spécifique
Appendice 14 Fiches d’identification de victime retenues pour les cas de déplacements
qui ne font état d’aucune date spécifique
Appendice 15 Fiches d’identification de victime retenues pour les cas de perte de biens
ou de dommages matériels qui n’indiquent pas l’ampleur ou la nature de la
perte ou du dommage
Appendice 16 Fiches d’identification de victime retenues pour les cas de perte de biens
ou de dommages matériels qui n’avancent pas d’estimations spécifiques
Appendice 17 Fiches d’identification de victime retenues pour les cas de perte de biens
ou de dommages matériels qui ne précisent pas le type de bien perdu ou
endommagé
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Appendice 18 Fiches d’identification de victime retenues pour les cas de déplacements
qui contiennent des informations quant à la durée du déplacement allégué
___________
Observations de l'Ouganda sur les réponses de la République démocratique du Congo aux questions posées par la Cour