Réponse de l'Ouganda aux questions posées par la Cour

Document Number
116-20181101-OTH-01-00-EN
Document Type
Date of the Document
Document File

Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
AFFAIRE DES ACTIVITÉS ARMÉES SUR LE TERRITOIRE DU CONGO (RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO c. OUGANDA)
RÉPONSES DE L’OUGANDA AUX QUESTIONS DE LA COUR EN DATE DU 11 JUIN 2018
1ER NOVEMBRE 2018
[Traduction du Greffe]
TABLE DES MATIÈRES
Page
Question 6 .......................................................................................................................................... 1
Question 7 .......................................................................................................................................... 5
Question 17 ........................................................................................................................................ 7
___________
Question 6
«L’Ouganda pourrait-il indiquer s’il disposait, entre 1998 et 2003, d’une quelconque procédure lui permettant de déterminer l’origine de l’or, des diamants, du bois, ou du coltan dont il faisait commerce ou qu’il exportait ?»
Réponse
1. Entre 1998 et 2003, l’Ouganda ne disposait que de procédures permettant de déterminer l’origine de l’or et des diamants avant leur importation sur son territoire ou leur exportation depuis celui-ci. Ces procédures étaient énoncées dans la Loi sur l’exploitation minière de 1949 (chapitre 148)1 et dans le Règlement sur l’exploitation minière de 1949 (instrument règlementaire 148-1)2, comme cela sera développé ci-après.
2. La Loi sur l’exploitation minière, qui régissait la possession, l’acquisition et la vente de minéraux, restreignait l’importation de certains d’entre eux3. Toute personne désireuse d’importer en Ouganda des minéraux de ce type était tenue de faire une déclaration devant un fonctionnaire des douanes et d’obtenir un certificat d’importation. Les exigences en matière de déclaration et de certification étaient énoncées comme suit au paragraphe 2 de l’article 71 de ladite loi :
«Nul ne peut importer en Ouganda quelque métal précieux sous forme brute ou pierre précieuse que ce soit ... à moins de faire une déclaration devant un fonctionnaire des douanes et d’obtenir un certificat d’importation.»
3. Aux termes de la Loi sur l’exploitation minière, constituaient des «métaux précieux» «l’or, l’argent et les métaux du groupe des platinoïdes à l’état non manufacturé, y compris les minerais contenant de tels métaux»4. La définition des «métaux précieux sous forme brute» comprenait tout
«métal précieux sous quelque forme que ce soit, fondu ou non, affiné ou non, qui, quoique fondu, n’[était] pas manufacturé ni incorporé dans un quelconque article de commerce, dont les amalgames, boues, scories, concentrés aurifères, bains, fragments de bocardage, balayures de travaux de réduction et de raclages, et sous-produits de métaux précieux non affinés»5.
La définition des «pierres précieuses» englobait les «diamants, émeraudes, opales, rubis, saphirs, turquoises et toutes autres pierres que le ministre [pouvait] déclarer incluses dans la présente définition au moyen d’un instrument règlementaire»6.
1 Ouganda, Loi sur l’exploitation minière, chapitre 148 (1949) (ci-après la «Loi sur l’exploitation minière»), annexe S-1. Cette loi a été abrogée par la Loi sur l’exploitation minière de 2003, qui est entrée en vigueur le 14 décembre 2004.
2 Ouganda, Règlement sur l’exploitation minière, instrument règlementaire 148-1 (1949) (ci-après le «Règlement sur l’exploitation minière»), annexe S-2. Ce Règlement a été abrogé par le Règlement sur l’exploitation minière, instrument règlementaire 71, adopté le 2 septembre 2004.
3 Loi sur l’exploitation minière, partie VI, annexe S-1.
4 Ibid., art. 1 bb).
5 Ibid., art. 1 jj).
6 Loi sur l’exploitation minière, art. 1 cc).
- 2 -
4. Le respect des exigences en matière de déclaration et de certification énoncées au paragraphe 2 de l’article 71 de la Loi sur l’exploitation minière était garanti par le Règlement sur l’exploitation minière, qui prescrivait l’emploi de certains formulaires de déclaration et de certification aux fins de l’importation d’or ou de diamants. En particulier, l’article 82 dudit Règlement disposait ce qui suit :
«Toute personne désireuse d’importer en Ouganda quelque métal précieux sous forme brute ou pierre précieuse que ce soit doit fournir une déclaration au moyen du formulaire XXX figurant dans la première annexe du présent Règlement, ainsi qu’un certificat d’importation y afférent au moyen du formulaire XXXI figurant dans cette même annexe.»7
5. Le formulaire XXX, intitulé «Déclaration relative à l’importation d’un métal précieux à l’état brut ou de pierres précieuses» et le formulaire XXXI, intitulé «Certificat d’importation d’un métal précieux à l’état brut ou de pierres précieuses», sont joints à l’annexe S-2 de la présente pièce8.
6. Comme on peut le voir dans le formulaire XXX, toute personne désireuse d’importer des métaux précieux à l’état brut ou des pierres précieuses, y compris de l’or et des diamants, était tenue de remplir une déclaration d’importation dans laquelle elle indiquait «solennellement et en toute sincérité» l’origine de ces minéraux, en précisant le «lieu» et la «date» de leur obtention, ainsi que le nom de la «personne» qui les leur avait fournis. De même, le formulaire XXXI imposait de déclarer sur un certificat d’importation l’origine des métaux précieux à l’état brut ou des pierres précieuses, y compris l’or et les diamants, conformément aux informations fournies dans une déclaration y afférente.
7. S’agissant de la détermination de l’origine de l’or et des diamants avant leur exportation depuis l’Ouganda, le paragraphe 3 de l’article 71 de la Loi sur l’exploitation minière exigeait que, «[a]vant que l’un quelconque de ces métaux précieux à l’état brut ou l’une quelconque de ces pierres précieuses ne soit réexporté(e) depuis l’Ouganda, le certificat [d’importation] [fût] remis à un fonctionnaire des douanes»9. Puisque, comme il a été indiqué, l’origine des métaux précieux à l’état brut ou des pierres précieuses, y compris l’or et les diamants, devait être précisée dans une déclaration relative à l’importation et dans un certificat d’importation, l’origine de ces minéraux était nécessairement aussi déterminée aux fins de leur exportation depuis l’Ouganda.
8. Par conséquent, entre 1998 et 2003, l’Ouganda disposait de procédures permettant de déterminer l’origine de l’or et des diamants importés sur son territoire ou exportés depuis celui-ci10.
7 Règlement sur l’exploitation minière, annexe S-2.
8 Ibid., [PDF], p. 94-95.
9 Loi sur l’exploitation minière, art. 71 3), annexe S-1.
10 L’Ouganda relève que, juridiquement parlant, la question de savoir s’il disposait de telles procédures n’a aucune pertinence aux fins de la question des réparations dont la Cour est actuellement saisie. Cette dernière a précisé qu’il n’était tenu d’apporter réparation à la RDC qu’à raison des actes illicites recensés dans l’arrêt de 2005. Ainsi qu’il est démontré dans le contre-mémoire de l’Ouganda, la Cour n’a pas constaté que celui-ci avait manqué à une quelconque obligation internationale lui incombant à l’égard de la RDC en ne déterminant pas ou en manquant de diligence pour déterminer l’origine des ressources naturelles dont il avait fait commerce sur son territoire ou qu’il avait exportées entre 1998 et 2003. Selon l’Ouganda, cela constitue une limitation ratione materiae de la portée de l’obligation qui est la sienne d’apporter réparation en fonction de l’existence ou de l’absence de telles procédures.
- 3 -
9. Au cours de ces dernières années, les Etats de la région des Grands Lacs ont en outre davantage pris conscience de l’importance qu’il y avait à mettre en place des procédures exhaustives de certification de l’origine. Le 30 novembre 2006, reconnaissant que seuls les efforts coordonnés de tous les Etats intéressés pouvaient enrayer l’exploitation illégale des ressources naturelles dans la région, les Etats membres de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (ci-après la «CIRGL»)11, dont l’Ouganda, ont conclu le Protocole sur la lutte contre l’exploitation illégale des ressources naturelles12. Ce faisant, ils sont convenus de «mettre en place un mécanisme régional de certification de l’exploitation, de l’évaluation et du contrôle des ressources naturelles dans la région des Grands Lacs»13. Aux termes de l’article 11 dudit Protocole, les Etats membres se sont engagés à créer «un mécanisme régional dont le but [était] de servir d’outil de lutte contre l’exploitation illégale des ressources naturelles» en «institu[ant d]es normes agréé[e]s en matière d’exploitation des ressources naturelles» et en prévoyant «des dispositions relatives à la certification d’origine»14.
10. En 2009, les Etats membres de la CIRGL ont lancé l’«Initiative régionale contre l’exploitation illégale des ressources naturelles» (ci-après l’«IRRN»), qui «vise ... à briser le lien entre les recettes minières et le financement des rebelles»15. Pour mettre en oeuvre les dispositions de l’IRRN et du Protocole, les Etats membres de la CIRGL ont approuvé, le 15 décembre 2010,
«six outils visant à lutter contre l’exploitation illégale des ressources naturelles ..., à savoir, (1) le mécanisme [régional] de certification ..., (2) l’harmonisation des législations nationales, (3) la base de données régionales sur le flux des minéraux, (4) la formalisation du secteur minier artisanal, (5) la promotion de l’Initiative de transparence dans l’industrie extractive (ITIE) et (6) le mécanisme d’alerte précoce, avec la compréhension que certains outils [étaient] encore en préparation et requ[éraient] plus de réflexion et d’affinement»16.
11. Le mécanisme régional de certification (ci-après le «MRC») est consacré à la certification de l’origine de «quatre minéraux, à savoir l’étain, le tantale, le tungstène et l’or (les «3TGs» en anglais), appelés «minéraux des conflits» dans la loi Dodd-Frank sur la protection du
11 La Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (ci-après la «CIRGL») est une organisation intergouvernementale regroupant des pays de cette partie de l’Afrique. Elle est composée de douze Etats membres, à savoir l’Angola, le Burundi, la République centrafricaine, la République du Congo, la République démocratique du Congo, le Kenya, l’Ouganda, le Rwanda, la République du Soudan du Sud, le Soudan, la Tanzanie et la Zambie. CIRGL, accessible à l’adresse suivante : http://www.icglr.org/index.php/fr/ (dernière consultation le 30 octobre 2018).
12 CIRGL, Protocole sur la lutte contre l’exploitation illégale des ressources naturelles (ci-après le «Protocole»), accessible à l’adresse suivante : https://ungreatlakes.unmissions.org/sites/default/files/cirgl_protocole… contre_lexploitation_illegale_des_ressources_naturelles.pdf (30 novembre 2006) (dernière consultation le 30 octobre 2018).
Il s’agit de l’un des dix protocoles au Pacte sur la sécurité, la stabilité et le développement dans la région des Grands Lacs, qui a été signé le 15 décembre 2006 et est entré en vigueur en juin 2008 (avant d’être modifié en novembre 2012 pour inclure la République du Soudan du Sud). Voir CIRGL, Pacte sur la sécurité, la stabilité et le développement dans la région des Grands Lacs, accessible à l’adresse suivante : http://www.icglr.org/images/Pact% 20amended%202012%20French%20version1.pdf (décembre 2006, modifié en novembre 2012) (dernière consultation le 30 octobre 2018). Le Protocole est entré en vigueur à l’égard des Etats membres en même temps que le Pacte.
13 [Pacte sur la sécurité, la stabilité et le développement dans la région des Grands Lacs, art. 9 c).]
14 Protocole, art. 11.
15 Secrétariat exécutif de la CIRGL, «The Regional Initiative on the Fight Against Illegal Exploitation of Natural Resources of the International Conference on the Great Lakes Region», p. 1, annexe S-3.
16 Ibid., «Déclaration du Sommet spécial de la CIRGL sur la lutte contre l’exploitation illégale des ressources naturelles dans la région des Grands Lacs», faite à Lusaka le 15 décembre 2010, par. 2.
- 4 -
consommateur ... et «minéraux désignés» dans le mécanisme de certification de la CIRGL»17. La procédure de certification au titre du MRC se compose de six éléments : inspection et certification des sites miniers ; suivi de la chaîne de possession des minéraux ; exportation et certification des minéraux ; base de données relative au suivi des minéraux ; audits tierce partie ; et Auditeur indépendant de la chaîne des minéraux18. Par cette procédure, le MRC vise à «créer des chaînes d’approvisionnement en minéraux responsables et sans lien avec les conflits dans et entre les Etats membres de la CIRGL» afin d’«éliminer les circuits financiers de soutien à des groupes armés qui alimentent ou prolongent les conflits ou commettent par ailleurs des violations graves des droits de l’homme»19.
12. L’Ouganda est l’un des trois Etats, parmi les douze qui composent la CIRGL, à avoir déjà incorporé le Protocole sur la lutte contre l’exploitation illégale des ressources naturelles dans son droit interne20.
___________
17 Ibid., «The Regional Initiative on the Fight Against Illegal Exploitation of Natural Resources of the International Conference on the Great Lakes Region», p. 3, annexe S-3.
18 Ibid.
19 Ibid.
20 Le 12 décembre 2017, le président de l’Ouganda a approuvé le projet de loi du Parlement intitulé «Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (mise en oeuvre du Pacte sur la sécurité, la stabilité et le développement dans la région des Grands Lacs)», qui a pour but de «donner force de loi, en Ouganda, au[dit] Pacte», lequel inclut également le Protocole sur la lutte contre l’exploitation illégale des ressources naturelles. Voir Ouganda, Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (mise en oeuvre du Pacte sur la sécurité, la stabilité et le développement dans la région des Grands Lacs), Loi de 2017 (2017), annexe S-4. Les deux autres Etats à avoir incorporé le Protocole sont la RDC et le Rwanda.
- 5 -
Question 7
«Est-ce que l’Ouganda ou la RDC a, à ce jour, ouvert des enquêtes ou engagé des poursuites à l’encontre d’individus au sujet de violations du droit international humanitaire commises en RDC pendant la période comprise entre 1998 et 2003 ?»
Réponse
1. L’Ouganda a mené un certain nombre d’enquêtes et poursuivi plusieurs individus à raison de faits illicites commis sur le territoire de la RDC pendant la période comprise entre 1998 et 2003. Ces enquêtes et poursuites n’ont toutefois pas abouti en raison de problèmes juridiques et logistiques, auxquels les modifications apportées en 2005 à la législation régissant le comportement des Forces de défense du peuple ougandais (ci-après les «UPDF») ont permis de remédier.
2. En 2001, les instances dirigeantes des UPDF ont ainsi reproché au soldat Okello Otim Tonny d’avoir assassiné six citoyens congolais au poste de police de la ville de Gemena21. Après avoir plaidé non coupable des accusations portées contre lui22, l’intéressé a été jugé par une cour martiale générale des UPDF située à Gemena23. L’accusation, dirigée par Moses Wandera, capitaine des UPDF, a fait comparaître six témoins, dont le Dr. Mubeta Temoyla, médecin congolais travaillant à l’hôpital de Gemena qui avait établi les rapports d’autopsie et les certificats de décès24. Le soldat Tonny a finalement été reconnu coupable de tous les chefs d’accusation et condamné à la mort par pendaison25.
3. La condamnation a cependant été annulée en appel, au motif que, s’il prévoyait la possibilité d’engager des poursuites à raison d’actes commis en dehors du territoire ougandais26, le droit alors en vigueur (le Statut de l’Armée de résistance nationale (ci-après la «NRA») de 1992) ne permettait en revanche pas la création de cours martiales générales hors dudit territoire. Plus précisément, le paragraphe 3 de l’article 80 du Statut de la NRA disposait que pareilles cours «pouvai[en]t siéger n’importe où en Ouganda» (autrement dit, pas en dehors du pays). La cour martiale ayant condamné le soldat Tonny n’a donc pas été considérée comme conforme à la loi.
4. Les instances compétentes ont jugé qu’elles seraient incapables de monter un dossier solide à l’encontre du soldat Tonny en Ouganda compte tenu des difficultés d’ordre logistique que poseraient de telles poursuites. Les témoins étaient principalement des citoyens de la RDC résidant à Gemena, comme le Dr. Temoyla, et n’étaient pas en mesure de déposer en Ouganda. Les autorités n’ayant donc pas pu juger de nouveau l’intéressé, celui-ci a été chassé des rangs des UPDF pour conduite déshonorante27.
21 Forces de défense du peuple ougandais devant la cour martiale générale, Uganda Prosecutor v. RA 134917 PTE Okello Otono Tonny, affaire n° UPDF/GCM/017/2001, ouverture du procès (7 janvier 2001), annexe S-5.
22 Forces de défense du peuple ougandais devant la cour martiale générale, Uganda Prosecutor v. RA 134917 PTE Okello Otono Tonny, affaire n° UPDF/GCM/017/2001, audience du 7 janvier 2001, annexe S-6.
23 Forces de défense du peuple ougandais devant la cour martiale générale, Uganda Prosecutor v. RA 134917 PTE Okello Otono Tonny, affaire n° UPDF/GCM/017/2001, décision finale du 3 juillet 2001, p. 25, annexe S-7.
24 Ibid., p. 25-26.
25 Ibid., p. 27.
26 Ouganda, Statut de l’Armée de résistance nationale (20 mars 1992), annexe S-8.
27 Forces de défense du peuple ougandais, direction des dossiers, Discharge of RA 134917 PTE Okello Otono Tonny (14 octobre 2004), annexe S-9.
- 6 -
5. D’autres enquêtes menées sur les actes commis en RDC par des soldats des UPDF ont échoué pour des raisons analogues. En pareils cas, plutôt que d’être jugés en Ouganda avec toutes les difficultés qu’auraient comporté de tels procès, les intéressés ont, comme le soldat Tonny, été exclus des UPDF.
6. L’Ouganda a ultérieurement modifié la législation applicable aux UPDF afin d’autoriser la création de cours martiales générales en dehors de son territoire. En 2005, le Statut de la NRA de 1992 a été remplacé par la Loi sur les UPDF, dont le paragraphe 3 de l’article 41 prévoit expressément que les suspects peuvent désormais être jugés «sur les lieux du crime»28.
___________
28 Ouganda, Loi sur les forces de défense du peuple ougandais (2 septembre 2005), annexe S-10.
- 7 -
Question 17
«Les deux Parties peuvent-elles exposer leurs vues en ce qui concerne les réparations collectives, y compris la forme que celles-ci devraient prendre ?»
Réponse
1. De l’avis de l’Ouganda, il n’existe aucun fondement pour l’octroi de réparations collectives dans la présente affaire.
2. Premièrement, quelle que soit la définition que l’on puisse donner à des «réparations collectives», la RDC n’a ni réclamé pareilles réparations ni produit le moindre élément de preuve susceptible de justifier leur octroi en l’espèce. Dans son ordonnance du 1er juillet 2015, la Cour a précisé que «chacune des Parties d[evait] exposer dans un mémoire l’ensemble de ses prétentions concernant l’indemnisation qu’elle estim[ait] lui être due par l’autre Partie et joindre à cette pièce tous les éléments de preuve sur lesquels elle entend[ait] s’appuyer»29. Dans son mémoire sur la question des réparations, la RDC ne fait aucune référence à des «réparations collectives», et présente encore moins une demande à ce titre. Elle n’a pas davantage endossé les réclamations de certains de ses nationaux ou de «collectifs» de ceux-ci. Au lieu de cela, la RDC n’a présenté que des demandes à raison de préjudices portés à elle-même, qu’elle cherche en partie à évaluer au moyen de calculs fondés sur des dommages non étayés causés à des personnes non précisées. Au surplus, à supposer même que l’on puisse dire que la RDC prenait fait et cause pour un grand nombre de ses nationaux, cela ne constituerait pas pour autant un «collectif» clairement défini aux fins de «réparations collectives».
3. La Cour se souviendra en effet que, dans son mémoire sur la question des réparations, la RDC exprime son souhait de créer une commission «chargée de la mise sur pied de la procédure par laquelle les victimes pourront présenter leurs demandes de réparation individuelles, de l’examen de ces demandes et de la répartition des sommes dues à titre d’indemnisation»30. La déclaration selon laquelle les intéressés devront étayer leurs «demandes individuelles» pour obtenir une indemnisation démontre elle aussi que la RDC n’a pas envisagé de recevoir une réparation dont elle ferait un usage collectif.
4. Deuxièmement, si la RDC avait réclamé des réparations collectives dans son mémoire, l’Ouganda aurait avancé des arguments juridiques circonstanciés démontrant que pareilles réparations ne sont pas appropriées ni accordées dans les procédures interétatiques. A titre d’exemple, le projet d’articles de la Commission du droit international sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite traite de manière exhaustive la question des réparations. Or, il n’est mentionné nulle part, ni dans le texte des articles ni dans les commentaires y afférents, que les réparations collectives constitueraient une forme ou une méthode de réparation susceptible d’être accordée dans une procédure interétatique.
5. Troisièmement, au stade de l’examen au fond de la présente affaire, la Cour n’a nullement indiqué à l’une ou à l’autre Partie qu’elle envisageait l’octroi de réparations collectives. Elle n’a en effet fait mention d’une telle possibilité ni dans le raisonnement ni dans le dispositif de son arrêt de 2005. En revanche, comme l’Ouganda l’a rappelé dans son contre-mémoire sur la question des
29 Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), ordonnance du 1er juillet 2015, C.I.J. Recueil 2015, p. 580, par. 8.
30 Mémoire de la République démocratique du Congo (septembre 2016), par. 7.51 (les italiques sont de nous).
- 8 -
réparations, cet arrêt prescrivait à la RDC de «démontrer, en en apportant la preuve, le préjudice exact qu’elle a[vait] subi du fait des actions spécifiques de l’Ouganda constituant des faits internationalement illicites dont il [était] responsable»31. L’obligation imposée à la RDC d’établir le «préjudice exact» qu’elle avait subi «du fait des actions spécifiques de l’Ouganda» souligne que la Cour n’envisageait pas de «réparations collectives» en l’espèce. De même, au point 5 du dispositif de son arrêt, celle-ci a jugé que l’Ouganda «a[vait] l’obligation, envers la République démocratique du Congo, de réparer le préjudice causé»32.
6. Pour ces motifs, l’Ouganda soutient respectueusement que des réparations collectives ne peuvent être accordées dans la présente affaire. Si la RDC devait présenter une nouvelle demande en ce sens à ce stade tardif de la procédure, cette demande serait irrecevable en raison de la règle non ultra petita, qui est de nature juridictionnelle33.
___________
31 Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt, C.I.J. Recueil 2005, p. 168, par. 260 (les italiques sont de nous).
32 Ibid., par. 345.
33 Affaire du Détroit de Corfou (fixation du montant des réparations dues par la République populaire d’Albanie au Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord), C.I.J. Recueil 1949, p. 249 ; Demande d’interprétation de l’arrêt du 20 novembre 1950 en l’affaire du droit d’asile, C.I.J. Recueil 1950, p. 402 (la Cour a jugé qu’elle avait «le devoir de répondre aux demandes des parties telles qu’elles s’exprim[ai]ent dans leurs conclusions finales, mais aussi celui de s’abstenir de statuer sur des points non compris dans lesdites demandes ainsi exprimées») ; Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited (Belgique c. Espagne), C.I.J. Recueil 1970, p. 37, par. 49 (la Cour a jugé qu’«elle ne saurait aller au-delà de la demande telle qu’elle a[vait] été formulée par le Gouvernement belge»). Voir également S. Rosenne, The Law and Practice of the International Court, 1920–1996, vol. II (3e éd., 1997), p. 595. («Sans vouloir contester le point de vue selon lequel la règle non ultra petita peut être dûment considérée comme une règle de procédure, dans le domaine du contentieux international, il est également opportun de la considérer comme un aspect de la compétence. En tant que tel, elle a toutefois un effet quantitatif, et non qualitatif. Elle ne donne pas de compétence à la Cour ni ne lui retire sa compétence. Elle limite la Cour dans la portée de sa décision.»)

Document file FR
Document Long Title

Réponse de l'Ouganda aux questions posées par la Cour

Links