3. OBSERVATIONSET CONCLUSIONS DU GOUVERNEMENT
DE LA RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE DU CAMEROUNSUR
L'EXCEPTION PRÉLIMINAIREDU GOUVERNEMENT
DU ROYAUME-UNI
Dans son contre-mémoire déposé le14 août 1962 le Gouverne-
ment du Royaume-Uni, tout en énonçantses rkponses aux observa-
tions fo~muléessur le fond par la République fédéradu Cameroun
dans sa requêteintroductive d'instance et son mémoire,a contesté
la compétence dela Cour et présentéexpressément cette contesta-
tion comme une exception préliminaire au sens de l'article 62 du
Règlement de la Cour. En conséquencela Cour a décidé,par une
ordonnanceen datedu 3 septembre 1962,de suspendre la procédure
sur le fond et de demander au Gouvernement de la République
fédéraledu Cameroun de présenter un exposé écritcontenant ses
observations et conclusions sur l'exception préliminaire. Le délai
fixé àcet effet a étéprorogé jusqu'aurerjuillet 1963 par les ordon-
nances de la Cour en date des 27 novembre 1962et IIjanvier 1963.
En application de ces ordonnances, le Gouvernement de la Ré.
publique fédéraledu Cameroun a l'honneur de présenter ci-après
ses observations et conclusions sur l'exception préliminairesoulevée
par le Royaume-Uni.
Une remarque préalables'impose, en vue de déterminer la portée
exacte de cette exception. Celle-ci est présentéepar le Royaume-
Uni comme tendant à al'incompétencede la Cour en la matière 1)
(par. 7 du contre-mémoire). Or il apparaît à la lecture des para-
graphes 23 à 37 du contre-mémoire que ce sont en réalité deux
exceptions différentes qui sont soulevées par le Royaume-Uni.
Si la première, qui se trouve exposéeaux paragraphes 23 à 36,
constitue effectivement une exception d'incompétence, l'exception
soulevéeau paragraphe 37 concerne, non pas la compétence de la
Cour, mais la recevabilité de la requête introductive d'instance et
du mémoireeu égardaux dispositions de l'article 32, paragraphe 2,
du Règlement de la Cour. De cette constatation la République
du Cameroun n'entend cependant tirer aucune conséquence par-
ticulière, puisque aussi bien la jurisprudence considère comme des
exceptions préliminaires, non seulement l'exception d'incompétence,
mais atoute exception dont l'effet, sielle était retenue par la Cour,
serait de mettre finà la procédure de l'affaire en cours, et dont il
conviendrait, par conséquent, pour la Cour de s'occuper avant
d'aborder le fond» (Affairedu Cheminde fer Pane~e2~s-Saldz~tiskis.
C.P.J.I., sériAIE, no 56, p. 16. Cf. opinion dissidente du Prési-186 CAMEROUN SEPTENTRIONAL
dent IViniarski, affaires du Sud-Ouest africain, C.I.J. Rectieil
1962, p. 449).Toutefois, dans un souci de clarté, le Gouvernement
du Cameroun traitera séparémentde l'exception d'incompétence
proprement dite et de la fin de non-recevoir soulevée au para-
graphe 37 du contre-mémoirebritannique. PREMIÈRE PARTIE
L'EXCEPTION PR~I.IE~IINAIRE RELATIVE
A L'INCOMI'~'~ENCE DE LA COUR
La République du Cameroun a saisi la Cour sur le fondement
de l'article 36, paragraphe 1, du Statut de la Cour, qui dispose:
ciLa compétencede la Cour s'étend ...à tous les cas spécialement
prévus...dans les traités et conventions en b'gueur »,
et sur celui de l'article 19 de l'accord de tutelle pour le territoire
du Cameroun sousadministration britannique1, aux termes duquel:
n Tout différend, quel qu'il soit, qui viendrait à s'éleverentre
l'Autorité chargée de l'administration et un autre Membre des
Nations Unies relativement h l'interprétation ouà l'application des
dispositions du présent Accord, sera, s'il ne peut etre réglépar
négociationsou un autre nioveri. soumis à la Cour internationale de
Justice, prévue au Chapitre XIV de la Charte des Nations Unies. 11
Le Gouvernement du Royaume-Uni ne conteste pas que la Ré-
publique fédérale du Cameroun, qui a accédé à l'indépendance le
janvier 1960 et a étéadmise aux Nations Unies le 20 sep-
tembre 1960, jouit à compter de cette derniére date des avantages
accordés aux Membres des Nations Unies (par. zg du contre-
mémoire). II soutient cependant que la Cour n'est pas compétente
pour se prononcer sur la requête de la République du Cameroun,
pour les motifs qui se trouvent énoncésaux paragraphes 23 à
36 du contre-mémoire. Le Gouvernement du Cameroun pense ne
pas trahir la thèse du Royaume-Uni en groupant ces arguments de
la façon suivante:
I. la Cour n'est pas saisie d'un différendremplissant les conditions
requises par l'article9 de l'accord de tutelle;
2. la Cour est incompétente ratione temports en raison de ce que la
date du différend ou, du moins, celle des questions (malfers)
soulevéesestantérieureau zo septembre 1960,date de l'admission
de la République du Cameroun aux Kations Unies;
3. la République du Cameroun «ne poursuit aucun recours !,11ne
recherche pas une décisionquelconque de la Cour i,mais vise
nà obtenir de la Cour un avis consultatif sur l'exécution de l'ac-
cord de tutellei,.
On examinera successivement chacune de ces trois branches de
l'exception d'incompétence soulevée par le Royaume-Uni.
' Le textecomplet de l'accord dtutelleestreproduit en annexe1 au Contre-
mémoiredu Royaume-Uni.188 CAMEROUX SEPTEXTRIOXAL
Première branche del'exception d'incompétencesoulevke par le Gou-
vernement du Royaume-Uni: « la Cour n'est passaisie d'un différend
remplissant les conditions requises par l'article 19 de l'accord de
tutelle ».
L'article 19 de l'accord de tutelle subordonne la compétence
de la Cour à quatre conditions:
- il faut qu'il existe un différend;
- ce différend doit s'être élevé a entre l'Autorité chargée de
l'administration et un autre Membre des Nations Unies II;
- il doit s'être élevé«relativement à l'interprétation ou à
l'application des dispositions du présent Accord >I;
- il faut enfin qu'il ne puisse «êtreréglépar négociations ou
un autre moyen II.
L'exception préliminaire du Royaume-Uni concerne les trois
premières conditions. Dans les développements qui vont suivre,
la République du Cameroun démontrera que, contrairement aux
assertions du Royaume-Uni, ces conditions sont effectivement
remplies.
Quant à la quatrième condition, elle est absorbée pour le Gouver-
nement britannique par la négation de l'existence d'un différend;
mais le Gouvernement camerounais montrera plus loin, notamment
à propos de l'argument rationetemfioris, qu'il y est également sa-
tisfait (v.infra,1).220 et s.).
A - IL EXISTE US lDIFFERESD 1,.
Le Royaume-Uni contestant l'existencemême d'un différend
entre la République du Cameroun et lui-méme, le Gouvernement
camerounais croit nécessaire d'établir qu'un différend s'est bien
élevéentre les deux Gouvernements.
Ce faisant, la République du Cameroun ne se fonde pas sur le
fait qu'une requête introductive d'instance a étédéposéedevant la
Cour contre le Royaume-Uni. Le Gouvernement du Cameroun est
en effet conscient de ce que, comme l'a dit Ic juge Moore dans son
opinion dissidente sur l'affaire Maurommatis, « la seule présenta-
tion par un Gouvernement d'une requêteintroduisant une instance
devant cette Cour et dirigée contre un autre Gouvernement ne
suffit pas à satisfaire à ...l'existence d'un différend ... Il faut
qu'il y ait eu un différendpréétabli,tout au moins dans le sens et
dans la mesure suivante: le Gouvernement qui se plaint d'avoir
subi un préjudice doit avoir exposél'objet de sa réclamation et les
motifs qui y ont donnélieu, et l'autre Gouvernement doit avoir eu
l'occasion d'y répondre et, s'il rejette la réclamation, de donner
ses raisons pour ce faire. (C.P.I.J., sérieA Iroz, p. 61. - Dans
le mêmesens, opinions dissidentes des juges Spender, Fitzmaurice
et Morelli, affaires du Sud-Ouest africain, C.I.J. Recueil 1962,
p. 561, n. I,et 566. - Cf. Compagnied'Electricité deSofia,C.P.J.I..
sérieAIB IL'77, p. 83: riil appartenait au Gouvernement belge OBSERVATIOSS ET COSCLUSIOYS DU CA3lEROUS
1~9
d'établir que, dès avant le dépôt de la requête,un différends'était
élevéentre les Gouvernements ... ii).Le Gouvernement camerou-
nais n'ignore pas davantage que «l'existence d'un différend inter-
national demande à êtreétablie objectivement IIet que l'affirma-
tion de l'une des Parties que le différend existe, ou n'existe pas,
n'est pas suffisante à cet égard (Traités de paix, C.I.J. Reczieil
1950, p. 74. - Sud-Ouest africain, C.I.J. Reczieil 1962, p. 328).
Un différenda étédéfinipar une formule bien connue de la Cour
permanente comme «un désaccord sur un point de droit ou de
fait, une contradiction, une opposition de thèses juridiques ou
d'intérêtsentre deux personries i>(iMauromntatis, C.P.J.I., sérieA
no 2, p. II).Dans une autre décision,la Cour permanente a déclaré
qu'<cune divergence d'opinion se manisfeste dès qu'un des Gouver-
nements constate que l'attitude observéepar l'autre est contraire à
la manière de voir du premier » (Hante-Silésiepolonaise, C.P.J.I.,
série A no 6, p.14). La Cour internationale de Justice emploie des
expressions similaires. Dans son avis consultatif sur l'Interprétation
des traitésde paix, elle dit que ades différends internationaux se
sont produits » dès lors que sles points de vue des deux Parties,
quant à l'exécution ou à la no~i-exécutionde certaines obligations
découlant des traités, sont nettement opposés 1)(C.I.J. Reczieil
1950, p. 74). Dans son arrêt sur le Droit de passage sur territoive
indien (fond), elle parle de a positions de droit nettement définies
et s'opposant l'une à l'autreil(C.I.J. Recueil 1960, p. 34).
Que ces conditions se trouvent réaliséesen l'espèce, celarésulte,
entre autres, de deux sériesde documents. A la fin du mois de mars
1961, le Gouvernement camerounais a fait distribuer à tous les
membres de l'Assembléegénérale unebrochure éditéepar ses soins
et intitulée La position de la Républiqz<e dzi Camerotin ù la sziite
du plébiscitedes II et 12 février1961 dans la partie septentrionale
dzi Canievozil~sons adwiinistrrition du Royaume-Uni de Gratide-
Bretagne d d'Irlande du Nord (annexe 6). A ce ciLivre blanci)
camerounais le représentant du Royaume-Uni à la Quatrième
Commission répondit par une lettre en date du IO avril1961 adres-
sée au président dc la Quatrième Commission ct contenant les
observations du Royaume-Uni sur la brochure de la République du
Cameroun (Doc. A/C.4/479: annexe IO, p. 4). Un peu plus tard
intervint l'échangede notes en date des et 26 mai 1961 reproduit
en annexe au mémoire du Cameroun. Ces documents, dont la por-
tée sera analysée à l'occasion de l'examen de l'argument ratione
tentporis soulevé par le Royaume-Uni, contiennent l'exposé des
thèses contradictoires des deux Gouvernements quant à I'interpré-
tation et à l'application de l'accord de tuteue. 11straduisent le
cidésaccord ides Parties sur divers «points de droit ou de fait 11et
expriment des epositions de droit nettement définieset s'opposant
l'une à l'autreD.
A plusieurs reprises le Gouvernement hritannique a reconnu
qu'un différendl'opposait au Gouvernement camerounais. Au coursIgO CAZIEROUN SEPTESTRIOXAL
du débat qui s'est déroulé à l'Assembléegénérale le 21 avril
1961. le représentant du Royaume-Uni a déclaré, à propos de l'in-
tervention du délégué du Cameroun: rMa délégationet la sieiine
ont eu des différendset des discussions an cours de ces deux der-
nières semaines r (Doc. A/PV. 994, p. 101: annexe 9). De même,
dans sa note du 26 mai 1961(annexe no 2au mémoire),le Gouverne-
ment britannique exprimait son regret que l'exécution dcs veux
des Nations Unies quant au Cameroun septentrional il'ait entraîné
dans une divergence de vues avec le Gouvernement du Cameroun 1)
(« ..have involved them in any difference of view with the Canie-
roun Government n).
Les faits rappelés et les déclarations rapportées attestent l'exis-
tence certaine d'un différendentre les deux Parties. La République
du Cameroun estime dès lors devoir rappeler à nouveau l'objetde
ce différend. Pour cela, il suffira de résumer les thèses en présence
sur chacun des points énumérés à la page IS de la requête.La Rb-
publique du Cameroun se limitera aux seuls élémentsnécessaires à
l'exposéde l'objet du différend,sans aborder le fond mêmede I'af-
faire, dont l'examen a étésuspendu par la Cour jusqu'à la décision
qu'elle prendra sur l'exception préliminairesoulevéepar le Royau-
nie-Uni, et se réserve de procéder à un exposécomplet de son point
de vue sur les divers blémentsdu différendà un stade ultérieur dela
procédure.
Premier *oint: la dirision dzdterritoire dzr Cameroernsous tz~lelle
britanlziqzten deux 9arties.- D'aprèsla République du Canieroun,
I'autoritéadministrante n'avait pas le droit de diviser le territoire
sous tutelle en deux ou plusieurs. entités distinctes: or, le Came-
roun septentrional n'a pas étésculcment séparé duCameroun mé-
ridional, mais il a étélui-mêmediviséen trois parties, dont cha-
cune a étérattachée à unc province différentedu Nord de la Nigéria.
L'accord de tutelle emploie l'expression «le territoiren et ne pré-
voit pas sa division. L'article4 de l'accord stipule que ol'Autorité
chargéede l'administration ...devra veiller à ce qu'il [le territoire]
apporte sa contribution au maintien de la paix et de la sécurité
internationale r: comment cet objectif pourrait-il êtreatteint si le
temtoire n'existe plus en tant que tel? Parl'article 3 le Royaume-
Uni s'est engagéà a administrer le Territoire de manière à réaliser
les fins essentielles du liégime international de tutelle énoncécs à
l'article 76 de la Charte des Nations Unies ii:cet engagement.
ainsi que la poursuite du sdéveloppement d'institutions politiques
libres convenant an Territoire n (article 6), sont inconciliables
avec la dualité introduite par le Royaume-Uni dans la gestion du
territoire, le Cameroun méridional ayant reçu une impulsion
absolument différente du régime politique donné au Cameroun
septentrional.
Le Royaume-Uni a toujours affirmé son droit de diviser le
territoire en deux parties distinctes: les arguments à l'appui de la
thèse britannique se trouvent répétésaux paragraphes 44 à 46 OBSERVATIONS ET COXCLUSIONS DU CAMEROUN 191
du contre-mémoire britannique. La République du Cameroun
ne souscrit à aucun de ces arguments. Pour elle, le fait que
l'accord de tutelle n'a pas interdit la division n'implique en rien
qu'il l'autorise; lorsqu'un texte régit dans le détail une institution
juridique, on ne saurait ajouter des dispositions tacites à ce texte.
Les raisons d'opportunité invoquées ne correspondent pas à la
réalité,ainsi que la République du Cameroun se propose de le mon-
trer dans la phase de la procédure consacréeau fond; eues sont en
tout cas insuffisantes pour justifier une action contraire au droit.
Enfin, on ne saurait admettre qu'en organisant des plébiscites
distincts dans le nord et le sud,l'Assembléegénéraleaurait approu-
véaprès coup la division du territoire: la République du Cameroun
montrera plus loin que la mission de l'Assembléegénéraleet celle.
de la Cour sont fondamentalement différentes. L'Assemblée géné-
rale intervient sur le plan politique, alors que la Cour prononce le
droit: aussi, en organisant des plébiscites distincts dans le nord
et le sud, l'Assemblée a-t-elle cherché à résoudre un problème
politique donné, sans pour autant vouloir approuver sur le plan
juridique l'attitude de l'autorité administrante qui avait conduit
à créer leproblème politique qu'il s'agissait précisémentpour l'As-
sembléede résoudre (cf. infra, p. zoj-zo6 et zog).
Dezixiè~rzepoint: l'administration du Canieroun se$te~ztrional
cowzmepartie intégrantede la A'igéria. - 1lCsl'origine, le Cameroun
septentrional a étéconsidéré et traité par le Royaume-Uni comme
partie intégrante de la Nigéna. Cette union dépassait largement
le plan admiriistratif et revêtait un caractère nettement politique.
Sans mêmeparler, à ce stade de la procédure, de la « nigérianisa-
tion IIde fait de la vie politique dans le Cameroun septentrional,
on se contentera de rappeler ici certaines données fournies par les
textes eux-mêmes.
C'est ainsi que la constitution nigérienne de 1954 (The Nigeria
(Constitution) Order in Council, 1954)~qui marquait I'aboutisse-
ment d'une longue évolution, disposait, en sa section z:
"In this Order, unless it is other\r.ise expressly provided or
requireù by the context...
"Xigeria" means the Colony and the Protectorate together
with the Cameroons;
established by section3 of this Order...".Regionof Nigeria
Si l'on se reporteà la section 3, ony lit:
"3.-(1) The Northem Region of Sigeria, the \\'esteni Region
of Nigeria,the Eastem Regionof Sigena, the Southern Cameroons
and the Federal Territory of Lagosshall form a Federation, which
shall be styled the Federation ofNi-eria.
(2)(3)The SortIicrii RrgionofSigerinshall comprisetlie ter-
rirory sprcihrd in parngi.il)lofthe SecuiidSchediilcto rliisOrder."192 CA.\IEROUS SEPTESTRIOSAL
Or ce dernier texte précisequela GNorthern Region »se compose
de.
"Those parts of the Protectorate and the Cameroonsthat, imme-
diately hefore the commencement of this Order, were comprised
in the former Northern Region."
Il ressort de ces textes que le Cameroun septentrional était réelle-
ment considérécomme un territoire nigérien. Alors que le Came-
roun méridional était adniinistrk comme une entité séparéeau sein
de la Fédération de la Nigéria, le Cameroun septentrional perdait
toute autonomie et se trouvait confondu avec la région Nord de la
Nigéria.
Tels étant les faits - non contestés d'ailleurs par le Royaume-
Uni -, le différend porte sur la question de savoir si la politique
suivie par l'autorité administrante à l'égarddu Camerouii septen-
trional était. ou non, conforme aux dispositions de l'article 5 de
l'accord de tutelle.
û'a~rès le Gouvernenient hri~ - - ~e. ce,te ~olitioue trouvait
son fondement juridique dans l'alinéa a) de l'art'icle5,'aux termes
duquel l'autorité chargée de l'administration:
«a) Aura pleins pouvoirs de législation,d'administration et de
juridiction sur le Territoire et l'administrera conformément sa
propre législation,commepartie intégrantedeson territoire, avec les
modifications que pourraient exiger les conditions locales et sous
réservedes dispositionsde la Charte desNations Unieset du présent
Accord. n
Le Royaume-Uni estime en effet que cette disposition «exige
expressément l'administration du territoire sous tutelle comme
partie intégrante du Royaume-Uni (dont la Nigéria faisait alors
partie) »(par. 40 du contre-mémoire). Cette opinion a étéexpriméeà
plusieurs reprises devant les Nations Unies par les représentants
britanniques, qui ont nettement affirmé que c'est sur la base de
l'alinéa a) de l'article 5 que le Royaume-Uni fondait son action
(v. notamment la déclaration citée à la page 30 du mémoire de la
République du Cameroun).
La thèse du Royaume-Uni paraît à cet égard pouvoir êtrerésumée
comme suit: l'article 5 a) exige l'administration du territoire sous
tutelle comnie partie intégrante du territoire du Royaume-Uni;
or la Nigéria est assimilable au territoire britannique; donc le Ca-
meroun sous tutelle britannique doit pouvoir être adniinislrt?
comme partie intégrante de la Nigéria.
Le Gouvernement camerounais pense que ce raisonnement est
aussi fragile qu'erroné. D'une part, on ne saurait affirmer que I'ali-
néa a)pose une exigence: il permet, mais n'exige rien. Si l'on ad:
mettait le point de vue britannique, on ne verrait pas pourquoi
l'exigence de l'intégration au territoire adjacent n'aurait pas été
appliquée, au mêmetitre, au Cameroun méridional. En se préten-
dant soumis à une règle impérative, le Gouvernement du Royau-
me-Uni contredit au surplus la thèse, souvent répétée par lui OBSERVATIONS ET CONCLUSIOXS DU CAMEROUN 193
(v.par. 41 (c)du contre-mémoire). que c'est pour des raisons pra-
tiques, donc de pure opportunité, qu'il a déterminésa politique à
l'égard du Cameroun septentrional. Au demeurant, la République
du Cameroun ne pense pas que des considérations reposant sur
la commodité administrative constituent un fondement juridique
à une annexion politique.
D'autre part, il est inexact d'affirmer que la Nigéria faisait
partie avant son indépendance du Royaume-Uni. Le statut ju-
ridique de la Nigéria était celui d'un protectorat. En d'autres
termes la Nigéria était un territoire étranger par rapport à celui
du Royaunie-Uni, et le Royaume-Uni n'exerçait à son égardqu'une
fonction de protection, et non de souveraineté: la nature juridique
des protectorats en droit international est trop connue pour qu'il
soit nécessaire de s'appesantir sur ce point. Seul le territoire de
Lagos était colonie de la Couronne, et, lorsque les deux parties
(Lagos et Nigéria proprement dite) furent fédérées en 1906, l'en-
semble du territoire s'intitula aColony and Protectorate », cha-
cune des parties conservant les particularités de son statut propre
(notamment en ce qui concerne la citoyenneté ou, respectivement,
la protection britannique). Si l'union du Cameroun septentrio-
nal avait été réaliséeavec le territoire de Lagos, elle aurait peut-
étre étécompatible avec i'article 5 a), Lagos étant un «domaine »
de la Couronne; effectuéeavec la région Nord de la Nigéria, cette
union était à coup sûr contraire à cette disposition.
Enfin, quelle que soit la position que l'on adopte à l'égard du
problème que l'on vient d'évoquer, la République du Cameroun
estime que la formule de l'article 5 a),qui figure dans la quasi-
totalité des accords de tutelle, si elle n'interdit peut-être pas d'ac-
corder à un territoire sous tutellele bénéficedu statut de certaines
régions métropolitaines, ne donne certainement pas à l'autorité
administrante le droit de réaliser une annexion au profit d'un
territoire voisin.
Accessoirement, le Royaume-Uni fonde la politique d'union
avec la Nigéria, qu'il a suivie à l'égard du Cameroun septentri-
onal, sur l'alinéa b) de l'article5 aux termes duquel l'autorité
chargée de l'administration:
rb) Sera autoriséeà faire entrer le Territoire dans une union ou
fédérationdouanière, fiscale ou administrative constituée avecles
temtoires adjacents placéssous sa souverainetéou sa régieet à
établirdes services administratifs communs à ces temtoires et au
Territoire quand cesmesures seront compatibles avec les fins essen-
tiellesdu Régimeinternational detutelle et avrclesclauses duprésent
Accord. 1)
Le Royaume-Uni estime eu effet que cette disposition «permet
de faire entrer le territoire dans une union administrative avec
les territoires adjacents placés sous la souveraineté ou l'autorité
du Royaume-Uni (ce qui, en l'espèce, ne pouvait viser que lesI94 CAMEROUN SEPTESTRIOXAL
provinces de la h'igéria) » (par. 40 du coiitre-mémoire; une autre
allusion au problème des unions administratives se trouve au para-
graphe 43).
La République du Cameroun considère qu'à un double point
de vue l'alinéa b) ne peut être interprété comme constituant un
fondement satisfaisant à la politique suivie par le Royaume-Uni.
En premier lieu, les Nations Unies ont toujours pris soin de dis-
tinguer les unions administratives des unions politiques. Les ac-
cords de tutelle n'ont étéapprouvés par l'Assemblée généraledes
Nations Unies que sur l'assurance donnée par les Puissances char-
géesde l'administration qu'elles ne considéreraient pas les ternies
des articles pertinents des accords de tutelle scomme autorisant
les Autorités chargérs de l'administration à établirune jorn~eqzfel-
congtfe d'association fiolitiqzfe entre les Territoires sous Tutelle
qu'ils administrent respectivement, d'une part, et les territoires
avoisinants d'autre part, qui entraînerait l'annexion des Territoires
sous Tutelle sous quelque forme que ce soit ou qui aurait pour effet
d'effacer leur statut de Territoire sous Tutelle » ' (Ass. gén.,
]).O., rE sess., zme partie, qme Commission, 1" partie, p. 300).
Aussi, dès 1946, le Conseil de tutelle et l'Assemblée généralese
sont-ils préoccupésdu problèriie. La résolution 224 (III) de l'As-
senibléegénérale,en date du 16 novembre 1948 (annexe V (5) au
contre-mémoire du Royaume-Uni), recommande que le Conseil de
tutelle, aprèsavoir procédéà uiie enquête surles unions administra-
tives,
cib) Recommande, à la lumièrede cette enquête,les garanties
que le Conseil pourrait juger nécessaires pourpréserverle statut
Conseild'exercer efficacementses fonctions de surveillance sur ces
Territoires;
n c) Demande à la Cour internationale de Justice, chaque fois
qu'ilvaura lieu.un avisconsultatifsur lenoint desavoirsicesunions
intrcnt <I;iii-l.i-'cndictr:icépar les stiI>;ladcon1;Cli.irtcctles
diipositionsdes~\c:c:orc(llse~l'i~elsqiitccus.ci oiit étCnp~>roiivi's
var I':\ssciiibli.e(;éni'rnleet sCOIIIDJ~II~I 3~v~~cri iti~~ill:~tions
et cesdispositions.u
La réservede l'Assemblée général e l'égard des unions administra-
tives se manifeste à nouveau dans la résolution 326 (IV) du 15 no-
vembre 1949 (annexe V (8) au contre-mémoire). qui recommande
notamment la création dans chaque territoire sous tutelle d'une
organisation judiciaire et d'un organe législatif distincts, ainsi que
dans les résolutions 563 (IV) du 18 janvier 1952 (annexe V (15) au
contre-mémoire) et 649 (VII) du 20 décembre 1952 (annexe V (16)
au contre-mémoire), La position de l'Assemblée générale est claire:
les unions administratives, douanières et fiscales sont possibles OBSERV.4TIOSS ET COSCLUSIOKS DU CAblEROUN
'95
dans la mesure où elles sont profitables au territoire sous tutelle;
elles ne peuvent aller jusqu'à faire perdre au territoire sa person-
nalité politique. Or c'est ce qu'a fait le Royaume-Uni en condni-
sant le Camerouii septeritrional vers l'intégration politique totale
avec la Nigéria.
En second lieu, l'alinéab) subordonne l'union administrative à
.la condition que les mesures prises soient «compatibles avec les
fins essentielles du Régime international de Tutelle et avec les
clauses du présent Accord ».Or l'union du Cameroun septentrional
avec la région Nord de la Nigéria a gravement compromis le
Cprogrès politique r des populations ainsi que «leur évolutionpro-
gressive vers la capacité à s'administrer eux-mêmes oul'indépen-
dance >)L'absence de vie politique propre au Cameroun septentrio-
nal, l'état d'analphabétisme quasi total dans lequel l'administra-
tion britannique a laisséla population à la fin de la tutelle, la
nécessitédans laquelle le Royaume-Uni déclare s'étre trouvé le
octobre 1960, faute de personnel camerounais en nombre suf-
fisant, de continuer à faire appel aux fonctionnaires nigériens: au-
tant de preuves que l'union avec la Nigérian'était compatible ni
avec les fins essentielles du régime de tutelle telles qu'elles sont
définiespar l'article 76 de la Charte ni avec les articles 3 et 6 de
l'accord de tutelle. Cette union était donc, en tout état de cause,
contraire à l'alinéa b)de l'article 5 de l'accord.
Pour résumer ce second aspect du différend,on voit que, selon
la République du Cameroun, le Royaume-Uni a g~avement contre-
venu à l'accord de tutelle en administrant le Cameroun septen-
trional comme partie intégrante de la Nigéria,alors que, dans l'opi-
nion du Royaume-Uni, cette attitude trouvait sa justification à
la fois dans des considérations d'opportunité et dans les disposi-
tions de l'article5 de l'accord de tutelle. Le différend porte donc
essentiellement sur l'interprétation et l'application des alinéas a)
et b) de l'article 5 de l'accord.
Trotsiéme*oint: les buts de la tz~tellen'ont éténi $oursuivis ni
atteints$a7l'autoritéchavgéd eel'admi?iistration.11 n'est pas besoin
de s'étendreloiiguement sur l'objet du différend ence qui concerne
ce point. D'après la République du Cameroun, le Royaume-Uni n'a
pas poursuivi et, en tout cas, n'a pas atteint les objectifs assignés
à la tutelle par les articles3 et 6 de l'accord, ainsi que par l'arti-
cle 76 de la Charte auquel ces dispositions renvoient. D'après le
Royaume-Uni, au contraire, ces objectifs ont étépoursuivis et
atteints. Le différendporte donc sur l'application par le Royaume-
Uni des articles 3 et 6 de l'accord de tutelle.
La démonstration de la thèse du Gouvernement camerounais
ne pourra avoir lieu que dans la phase de la procédureconsacréeau
fond. La République du Cameroun ne peut cependant laisser sans
réponse l'observation très grave du contre-mémoire britannique,
d'après laquelle la République du Cameroun formule là une 11allé-
1419~ CAXEROUS SSEPTESTRlOS.4L
gation dans les termes les plus vagues et presque sans aucune preuve
à l'appui JI(par. 48). Sans vouloir entrer dans le fond du débat,
la République du Cameroun se permet simplement de renvoyer
A ce sujet aux observations faites par le commissaire des Nations
Unies aux plébiscites, M. Abdoh, dans son rapport du 3 avril 1961
(annexe j), sur l'analphabétisme. le niveau a extrêmement bas JIde
l'instruction et l'impossibilitédans laquelle s'est trouvéela Grande-
Bretagne, après quarante ans d'administration, de trouver des
fonctionnaires camerounais pour administrer le territoire à comp-
ter du 10' octobre 1960 (v. notamment par. 414 et 419 et S.). Le
même M. Abdoh précisait ailleurs que le système en vipeur dans
le Cameroun septentrional demeurait aencore pour l'essentiel
plus féodal que démocratique II(Ass. gén., D.O., xqme sess.,
qme Comm., Doc. A.C/4/SR. 881, p. 681, par. 17) et expliquait,
dans une réponse officiellà une question posée par le ministre
des Affaires étrangèresdu Cameroun lors de la 1144~~ séance de
la Quatrième Commission, le 14 avril 1961, que le plébiscite dans
la partie septentrionale du Cameroun avait dû se dérouler sur
deux jours parce qu'on ne trouvait pas, dans tout le Cameroun sep-
tentrional, plus de trois cents personnes capables de diriger un bu-
reau de vote (Doc. A/C. 4485: annexe 8).D'ailleurs, si l'Assemblée
généralea cru nécessairede recommander, par sa résolution 1473
(XII') du 12 décembre 1959, que Iles mesures voulues soient prises
sans retard en vue ...de la démocratisation effective du système
d'administration locale dans la partie septentrionale du temtoire
sous tutelle I>il faut croire qu'à la fin de 1959 cette« démocratisa-
tion effective iin'était pas encore une réalité.On rappellera égale-
ment que le droit de vote n'a étéaccordé aux femmes qu'au se-
cond plébiscite et sur la recommandation expresse de l'Assemblée
généraledans sa résolution 1473.
Qz~atrième etci?zqz~ièmpoipzts:la violationderLsoLzitiondseI'Assem-
bléegénérale et, par LAmême,de L'article7 de l'accord detzdelle. -
Par l'article 7 de l'accord de tutelle le Royaume-Uni s'est engagé à
appliquer au Territoire les stipulations ...des recommaiidations
..qui seront arrêtées par les Nations Unies ... II.Or le 12 décem-
bre 1959 l'Assemblée générale aadopté la résolution 1473 (XIV)
en vue de l'organisation du second plébiscite dans le Cameroun
septentrional; dans cette résolution, eile
« 6.Recommandequeles mesures vouluessoient prisessansretard
en vued'uneplus ampledécentralisation despouvoirsadministratifs
et de la démocratisationeffectivedu systemed'administration locale
dans la partie septentrionaledu Temtoire sous Tutelle;
o7. Recommandeque 1'Autorité administrante prenne sans retard
des mesurespour effectuerla séparationadministrativeduCameroun
septentrional et de la Nigéria,et que cette séparationsoit achevée
lerer octobre 1960. r OBSERVATIONS ET CONCLUSIOXS DU CAMEROUN I97
Le Royaume-Uiii soutient qu'il s'est entihrement conformé à
ces recommandations. La République du Cameroun contcstc cette
affirmation. Elle se réserved'établir, daiis la phase de la procédure
consacréeau fond, que I'administration du Cameroun septentrional
a continué,après le leroctobre 1960, à êtreassuréepar un person-
nel presque exclusivement nigérien.Ce point est d'ailleurs corroboré
par le rapport du commissaire des Nations Unies aux plébiscites,
qui l'explique en disant que, o étant donné que le niveau de I'ins-
truction est extrêmement bas dans le Territoire, il y avait au
moment de la séparation de I'administration un nombre négligeable
de Camerounais capables d'être recrutés pour l'administration
centrale de l'administration locale du Cameroun septentrional n
(rapport Abdoh, par. 419 et S.: annexe 5).
Sixiènte et septièmepoints: la préparationet le dérozcle?tte? dzets
opéralio~zsdu plébiscite. - La République du Cameroun pense
que la préparation et le déroulenient du plébiscite n'ont pas eu
lieu dans des conditions satisfaisantes, alors que le Royaume-
Uni soutient le contraire. Les irrégularitésquele Cameroun a citees
dans son mémoiredoivent d'ailleurs êtreenvisagées nonseulement
en elles-niêmes,mais surtout comme l'aboutissement et la consé-
quence de la violation par l'autorité administrante des articles
3, 5 et6 de l'accord de tutelle et de la résolution 1473 de l'Assem-
bléegénérale.
En définitive, le diférend sozimis à ln Cotir porte essentiellement
sur la qtiestionde savoir si le Royazime-Uni a correctenre~it terprété
etappliqziéles article3, 5, 6et 7 de l'accord detntelle. Le Royaume-
Uni et la République du Camerouii apportent à cette question des
réponses opposées.Pour reprendre les formules employéespar la
Cour dans son avis consultatif sur l'Interprétationdes traitésde
paix, ciil s'est produit une situation dans laquelle les points du vue
des deux Parties, quant à l'exécution ou à la non-exécution de
certaines obligations découlant des traités, sont nettement op-
posés.En présenced'une telle situation, la Cour doit conclure que
des différends internationaux se sont produits II(C.I.J.Recueil
1950.P. 74).
L'existence et l'objet du différendétant ainsi établis, la Républi-
que du Cameroun se propose à présent de démontrer que ce diffé-
rend répondauxautres conditions poséespar l'article rg de l'accord
de tutelle et relèvedonc de la compétence dela Cour.
B - LE DIFF~RESD S'EST ÉLEW? c EXTRE L'AUTORIT ÉHARGÉE DE
L'AD~~~~.~STRATION ET UN AUTRE &$E~~BHE DES NATIONS UXIES >J.
Le Royaume-Uni soutient, en second lieu, qu'à supposer qu'un
différendexiste, il ne s'est pas élevé rentre l'Autorité chargée de
l'administration et un autre hfembre des Nations Unies », au seus
que ces termes revêtent dans l'article 19. Cette thèse s'appuie sur
un double argument. Le Royaume-Uni avance, d'une part. quel'article19 ne concerne que les différends relatifs à des obligations
spécifiqueinent prévues par l'accord de tutelle en faveur des
Membres des Nations Unies, et, d'autre part, que la Cour est en
réalitésaisie d'un différend opposant la République du Cameroun,
non pas au Royaume-Uni,mais à l'organisation des Nations Unies.
011 examinera successivement chacun de ces arguments.
Prenzier argz$nze?z dtu Royatcme-Uni: lorsque l'article19 parle
d'un différend entre l'autorité administrante et un autre Membre
des Nations Unies, il entend par là un différend poitant sur la
manière dont l'autorité administrante a rempli les obli~ations
spCcifiquenienr :issiim;!espar cllc clans I':iccord d'ctutcl:iÏ';!gartl
des au~~e~ ~leml>res dc I'0"c:iiiiii<iuu clcleursrt.ss~~rti:s;i~~tiitellcs
les obligations prévues aux articles g ct 13);enrevanche, estime le
Gouvernement britannique, l'article 19 est inapplicable lorsque le
Membre se borne à discuter devant la Cour la manière dont I'au-
torité administrante a rempli ses obligatioris vis-à-vis des habitants
du territoire. sans faire état d'aucune atteinteà un intérêtpropre.
Le problème ainsi soulevépar le Royaume-Uni a fait l'objet de
débats approfondis devant la Cour à l'occasion des affaires du
Sud-Ouesl africain. Les enseignements qui découlent de l'arrêt
rendu par la Cour le 21 décembre 1962 (C.I.J. Recueil 1962,
p. 319 et S.)revêtent, en ce qui concerne la présente affaire,
une grande importance. La République du Cameroun pourra donc
sa contenter d'explications relativement brèves à ce sujet.
L'argumentation du Royaume-Uni est en effet celle-là même
que l'Union sud-africaine avait exposée devant la Cour dans les
affaires précitées. Il convient de la rappeler succinctement, afin
de déterminer dans quelle mesure la solution adoptée par la Cour
peut trouver application dans le préseiit litige.
Les Gouvernements de 1'Ethiopie et du Libéria ayant demandé
à la Cour de dire que l'Union sud-africaine avait violé certaines
obligations mises à sa charge par le Mandat pour le Sud-Ouest
africain (discrimination raciale, suppression des libertés publiques,
absence de rapports annuels à l'Assembléegénérale,etc.), le Gou-
vernement de la République sud-africaine a soulevé une exception
préliminaire ainsi conçue:
nLe confit ou désaccordque les Gouvernements de l'Ethiopie et
du Libériaprétendent exister entre eux et le Gouvernement de la
Républiquesud-africainen'est pas, eu égard à sa nature et à sa
teneur, un a différendncomme ilest prévu àl'article 7 du Mandat
pour le Sud-Ouest africain, et cela plus particulièrement en tant
qu'aucun intérêtconcret des Gouvernements de l'Ethiopie et/ou
du Libériaou de leurs ressortissantsn'est en cause ou n'est affecté
en I'espéce» (p. 327).
Selon l'Union sud-africaine, l'article 7 du Mandat - qui est
rédigéde façon pratiquement identique à l'article19 de l'accord
de tutelle - n'autorisait pas un Etat tiers à soumettre à la Cour OBSER\'ATIONS ET COXCLUSIOSS DU CAMEROUN
199
un désaccord portant sur la façon dont la Puissance mandataire
a rempli ses obligations à l'égard deshabitants du territoire; pour
que la Cour fût compétente, il fallait encore qu'il y eût un diffé-
rend portant sur des rintérêtsconcrets >i de 1'Etat requérant,
intérêts quel'action du Mandataire aurait compromis. En d'autres
termes, soutenait l'Afrique du Sud, les Membres de l'organisation
ne peuvent se faire les champions du respect du système des Man-
dats, car il s'agit là d'une mission politique qui incombe esclusive-
ment à l'organisation. La Cour peut connaître d'une requête
comme celle de la Grècedans l'affaire des ConcessionsMavro~nmatis
enPalestin6 - la Grèce seplaignait dans cette affaire des attcintes
portées par le Royaume-Uni aux intérêtsd'un citoyen hellénique
en violation du Mandat pour la Palestine -, mais ne saurait en
aucune façon statuer sur des requétes qui ne mettent en cause que
la manière dont le Mandataire a rempli ses obligations vis-à-vis
des habitants du territoire.
La thèse de l'Union sud-africaine, malgré les échos favorables
qu'eue a trouvés dans plusieurs opinions dissidentes (notamment
dans l'opinion dissidente commune des juges Spender et Fitzmau-
rice, p. 547 et S.). a étérejetée par la majorité de la Cour.
La Cour part d'une analyse générale des principes du système
des Mandats, conçu comme une institution établiepar voie coutrac-
tueue au profit des habitants du territoire et à laquelle tous les
Etats Membres sont intéressés commetels:
NLes droits du Mandataire concernant le territoire sous hlandat
ne sont, pour ainsi dire, que de simplesinstruments lui permettantils
de remplir ses obligations.Le fait est que, dans le systèmedes Man-
dats, chaqueMaiidal constitueune institr<tioninlernatioiralenouvelle
dont l'objectifp~iitcipalestdepromouvoir «le bien-êtretle développe-
ment n despeuplesdrcterritoire sousMandat D (p. 329)'.
Ce passage reprend, en les résumant, les analyses données par
la Cour dans son avis consultatif du II juillet 1950 au sujet du
Statut international du Sud-Ouest alricain (CI. Reci~eil 1950,
p. 128). Dans cet avis, la Cour avait déjà déclaréque le Mandat
était une «institution internationale iiqui a n'impliquait ni cession
de territoire ni transfert de souveraineté », et que le Mandataire
(idevait exercer une fonction d'adwzinistration internationale au
nom de la Sociétédes Nations, aux fins de favoriser le bien-être
et le développement des habitants II@. 132). Plus loin clle souli-
gnait que
ciLe hlandat a étécrééd , ans l'intkétdes habitni~tsdrrTmiloire
et de l'humanitéen généralc,omme une institution internationale à
laquelie était assignéun but international: une mission sacréede
civilisation (ibid.).
Sauf indication contraire. les italiques dans lei passages citésdes arrétset avis
de la Courontét6;ijoutées.200 CAhlEROUS SEPTESTRIOSAL
Sur le plan technique, l'arrèt de 1962 adopte l'analyse suivante:
aLe Mandat est en fait et en droit un engagementinternational
ayant le caractèred'un traitéou d'une convention ...(p. 330). [Il]
constitue un acte d'un type spécial,de nature composite,instituant
un régimeinternational nouveau. Il contient un accord précis por-
tant attribution et acceptation d'un Mandat ... C'esun instrument
qui présentele caractèred'un traitéou d'une conventionet qui in-
corpore les engagements internationaux du Mandataire définis par
le Conseil et :icceptéspar le Mandataire ...(p. 331). [Il] constitue
un acte international de caractère institutionnel auquel la Société
des Nations elle-mêmer ,eprésentée parle Conseil, était partie. 11
constitue la mise en ecrvred'uneiitstitntioià laquelletorrs les Etats
Membressont inte'ressésc,ommetels a (p. 332).
De cette analyse découlent plusieurs conséquences importantes,
destinées à rendre «effectif 11le caractère du statut iiiternationaldu
Mandat (sur ce point, v.Lauterpacht, The Deuelopn~entof Inter-
national Law by the Inter?ralional Coztrt, 1958, p. 277).
La première est l'importance du contrOle de la manière dont le
Mandataire remplit ses obligations. Cette importailce est soulignée
à plusieurs reprises par la Cour dans son avis consultatif de 1950:
ol'obligation incombant à un Etat mandataire de se prêter à
une surveillance iiiternationale...tient une place importante dans
Pacte ont eu la penséeque, pour assurer effectivementédacteul'accom-
vlissement de la missionsacrée de civilisationconfiée à la Puissance
A~~II<I~ Iili~~Ita~tCI<:si)un~t.~ietg~zst~ruer~~i~i~zrerir~iiii,~rir/e
l'~idrnriirslrar~es rerrrlojressorrs.Ilniid..(1)136).
Cette 1surveillance internationale 11 comporte deux aspects
distincts: d'une part, la surveillance du Conseil de la Société des
Nations, auquel le Mandatairedevaitprésenter des rapportsannuels;
d'autre part, le a fait que tout Membre de la Sociétédes Nations
pouvait, conformément à l'article 7 du Mandat, soumettre à la
Cour permanente de Justice internationale tout différend avec la
(Puissance mandataire) relatif à l'interprétation ou à l'application
des dispositions du Mandat JI(p. 133). Dans son arrêtde 1962, la
Cour emploie i cet effet les expressions de i~sztrveillanceadminis-
trativeiiet de rtprotectiolt iz~diciairei>(C.I.J. h'ecltcil1962, p. 336
et 344).
D'autre part - et c'est la seconde conséquence de la conception
adoptée -, la Cour estime que la disposition du Mandat aux ter-
mes de laquelle la Cour permanente peut étre saisie de tout diffé-
rend, quel qu'il soit, qui viendrait à s'éleverentre le Mandataire
et un autre Membre de la Sociétédes Nations relativement à l'in-
terprétation ou à l'application des dispositions du Mandat doit
recevoir l'interprétation la plus large, conforme au sens clair des
termes employés. La Cour rejette expressément la théorie des
n intérêtsconcrets iainsi que celle de la distinction des dispositions OBSERVATIOXS ET COSCLUSIONS DU CAAIEROUS 201
du Mandat selon qu'elles ont pour but l'intérêtdes habitants ou
celui des Etats tiers: un Membre peut certes, comme la Grhce dans
l'affaire Mavrommatis, porter devant la Cour un différend concernant
ses intérêts concrets ou ceux de l'un de ses ressortissants; mais
il peut aussi, comme l'ont fait I'Ethiopie et le Libéria dans les
affaires du Sud-Oaiest africain, agir en sa seule qualité de Membre:
<La thèse du défendeurva àl'encontre du sens naturel et ordinaire
des dispositions de l'article 7 du Mandat, lequel mentionne «tout
différend,quel qu'il soit »qui viendraàts'éleverentre le Mandataire
et un autre Membre de la Sociétédes Nations e relatià l'interpré-
tation ouà l'application desdispositions du hlandaiiLes termes em-
ployés sont larges, clairs ct précis: ils ne donnent lieuà aucune
ambiguïté et n'autorisent aucune exception. Ils se réfbrent à tout
différend, quel qu'il soit, relatif non pàune ou plusieurs disposi-
tions particulières maisiraux dispositions» du Mandat, entendant
par là, de toute évidence,l'ensemble ou une quelconque de ces dis-
positions,j :elle,aient trait aux obligations de fond du Mandataire
à l'égard e, habrtants du temtoire ou à l'égard desautres Alem-
bres de la Société desNations ou encore à l'obligation du Manda-
taire de se soumettre à la surveiliance de la Sociétédes Nations
aux termes de I'article 6 ou à la protection prévue par l'article 7
même.La portéeet l'objetma~tifeslesdes dispositions de cet article
indiqiient en effet qtr'on entendait par là que les iMembresde la
Société deNs ations eussent un droit ozun intéréjturidiqaàeceqare
dtr territoire soirs Alandat àtl'égard dlea SociétédesNatiolis etde
seuL'article 7 instaure en fait, avec l'accord exprès du Mandataire,
la protection judiciaire de la Cour permanente puisqu'il donne à
cliacardesaartresMembvesdela Société desNations ledroitd'inuoqarer
aux mêmesfins la jtcridictionobligatoirà l'encontredu Mandataire.
II va de soi que la protection desintéréconcretsdes Membresou de
leurs ressortissantsest comprisedans ce cadre,mais le bien-étreet le
déueloppeme~r dtes habitants du territoire sous Mandat ne sont pas
moins imfiortants> p. 344).
La République du Cameroun ne méconnait pas que les principes
que l'on vient de rappeler ont été posés par la Cour à propos du
systémc des Mandats et non pas du régime de la tutelle. Mais la
parenté des deux systèmes sur les points intéressant le présent
litige est telle que la transposition des principes posés de l'un à
l'autre s'impose de toute évidence. La Cour, on l'a vu, analyse le
Mandat comme un traité; or il est reconnu par le Gouvernement du
Royaume-Uni lui-rnèrno, conformément d'ailleurs à l'analyse COU-
ramment admise, que les parties à un accord de tutelle sont, d'une
part les Nations Unies, d'autre part l'Etat auquel la tutelle est
confiée (v. contre-mémoire du Royaume-Uni, par. 29; cf. Clive
Parry, The Legal hralzrre of Trusteeshifi Agreenzents, British Year
Book of Inter?iational Law, 1950, p. 164). Les fondements et les
traits esseiitiels du régime international de tutelle sont les m&mes
que ceux du système des Mandats: dans son avis consultatif sur le202 CAYEROUS SEPTESTRIOSAL
Stalzit~ Z Sz~d-Ouestafricain, la Cour, après avoir indiqué qu'en
instituant le système des Mandats riles rédacteurs du Pacte ont eu
la penséeque, pour assurer effectivement l'accomplissement de la
mission sacrée de civilisation confiéeà la Puissance mandataire,
il importait de soumettre à une surveillance internationale l'admi-
nistration des territoires sous Mandat »,préciseque «les rédacteurs
de la Charte ont eu la mêmepréoccupation lorsqu'ils ont organisé
un régimeinternational de Tutelle » (C.I.J. Recueil 1950, p. 136);
dans son arrêtsur les affaires du Sud-Ouest africain, la Cour con-
firme ce point de \me en parlant des textes de la Charte (irelatifs
au nouveau régime de tutelle qui incorporent des principes corres-
pondant à ceux de l'article 22 du Pacte sur les Mandats et du
système des Mandats lui-même >i(C.I.J. Reczieil 1962, 11.338).
C'est cette parenté des deux systèmes, tant dans leur inspiration
que dans leur aménagement technique, qui a permis à la Cour de
faire de l'Organisation des Nations Unies le successeur de la Société
des Nations dans l'exercice de la «surveillance administrative >i
du Mandat pour le Sud-Ouest africain, et de la Cour internationale
de Justice celui de la Cour permanente dans l'accomplissement de
la iprotection judiciaire 1).Enfin, on ne saurait négligerla quasi-
identité de rédaction de l'article 19 de l'accord de tutelle sur le
Cameroun britannique et de l'article 7 du Mandat pour le Sud-Ouest
africain (ainsi d'ailleurs que de l'article 26 du Mandat pour la
Palestine qui a donnélieu à l'affaire Mauronzmatis).La République
du Cameroun est donc fondée à invoquer à propos de la présente
affaire les principes posés par la Cour dans son avis coiisultatif
de 1950 et son arrêtde 1962 relatifs au Mandat pour le Sud-Ouest
africain.
11résulte de ce qui précèdeque la République du Cameroun
peut soumettre à la Cour un différend visant la manière dont le
Royaume-Uni a rempli les obligations résultant pour lui de l'ac-
cord de tutelle, sans qu'il n'y ait aucune distinction à faire entre
les diverses dispositions de cet accord. En sa qualité de Membre
des Nations Unies, la République du Cameroun a un e intérêtju-
ridique u (p. 343) au respect du régime international de tutelie
dans son ensemble et peut donc agir devant la Cour alors même
que ne seraient pas en cause ses intérêts aconcrets il,c'est-à-dire,
pour reprendre l'expression du juge Jessup, Iphysiques r ou ritan-
gibles n (p.425).
Ce n'est pas la première fois d'ailleurs que le droit international
reconnaît qu's un Etat peut avoir un intérêtjuridique à ce que
soient observéesdans les territoires d'un autre Etat les dispositions
conventionnelles relatives au bien-êtregénéralet qu'il peut faire
valoir un tel intérêtindépendamment de toute incidence sur ses
propres ressortissants ou sur ses intérèts directs n tangibles II ou
ciconcrets in (opinion individuelle du juge Jessup, p. 425). Si
l'on peut être tenté de rechercher dans la théorie des @cta in fa-
voremtertii l'explication de la facultépour les Etats Membres d'in- OBSERVATIONS ET CONCLUSIONS DU CAMEROUX 203
voquer les clauses des accords de tutelle concernant leurs intérêts
uconcrets i)(v. à ce sujet l'opinion individuelle du juge Jessup,
1). 408-411). il est inutile d'invoquer cette théorie - ou celle,
voisine, des régimes objectifs créés pour certains fleuves ou
territoires dans l'intérêtde la collectivité mondiale (cf. Lauter-
pacht, op. cil., p. 306; v. aussi l'opinion individuelle de sir Arnold
McNair sur le Stafzlt du Sud-Onest africain, C.I.J. Recueil Ig50,
p. 154) - pour montrer que tous les Etats Nembres des Xations
Unies ont en cette qualité un intérêtsuffisant à soumettre à la
Cour un différendconcernant l'exécution de toutes les dispositions
de l'accord de tutelle. L'analyse du Mandat - et, partant, celle
de la tutelle - donnée par la Cour, suffit à expliquer cet effet
original de la clause de compétence inséréedans l'accord de tutelle:
il s'agit, rappelons-le, d'un «acte international de caractère insti-
tutionnel »,d'une u convention internationale contenant des enga-
gements internationaux d'intérêtgénéral IIde la IImise eu Œuvre
d'une institution à laquelle tous les Etats Membres sont intéressés,
comme tels » (C.I.J. Heczleil1962, p. 331-332).
Du système ici analysé, on peut rapprocher celui institué par
les traités de minorités conclus à la fin de la première guerre mon-
diale. La quasi-totalité de ces traités contenait une clause ainsi
rédigée:
ciL'Etat X agréeen outre qu'en cas de divergence d'opinionsur
des questions de droit ou de fait concernant cesarticles,entre'Efat
X et l'une quelconquedes PrincipalesPuissancesalliéesou associees
ou toute autre Puissance,Membredu Conseilde la Société des ha-
tions,cette divergencesera considéréc eommeun différendayant un
caractère international... L'EtatS agréeque tout différendde ce
genre sera, si l'autre partie le demande, déféréla Courpermanente
de Justiceiiiternationale.u
Comme le souligne M. Feinberg (La jziridiction de ln Conr per-
inanenle de Justice dalis la protection internationale des szinorités,
1931, p. 59). K ce n'est pas pour défendre ses propres intérêts,ou
ceux de ses nationaux, que 1'Etat intervient ici, mais ce sont les
intér&tsde tiers, et qui sont par surcroît citoyens de 1'Etat dé-
fendeur, qu'il prend sous sa ~~rotectioii.L'Etat demandeur agit en
l'espèce, non à la manière d'un eavocat » plaidant pro domo, mais
d'un «procureur i)du ministère public défendant l'intérêtgénéral »
(du même auteur et dans le mêmesens, x7. La jziridiction et la
jurisprudence dela C.P.J.I. en matière demandats et de miitorifés,
Rec. des Coztrs de l'Académiede Droit i~~ternatioizal1 ,937/i. t. 59,
p. 601)'.
Sansdoute pourrait-on objecter que I'Etat demandeur ne défend
pas, en pareille circonstance, des intérêtsdifférents de ceux que
1 En matiérede mandats. hl. Feinbera soutenu l'opinion contraire, démentie,
second. Voir aussi. du mémeauteurLa.juridiclion de la C.P.J.I. dans le rystLffle
deshlandats. 1930p.zor-206).z04 CAMEROUS SEPTENTRIOSAL
pourrait défendre n'importe quel autre Etat Membre. La Cour
ne s'est cependant pas arrêtéed , ans lesaffairesuSzrd-Ouestafricain,
à l'argument que « demère le présent différend [entre 1'Ethiàpie
et le Libéria, d'une part, et I'Union sud-africaine, d'autre part]
existe un autre désaccord du même ordrc ...entre le défendeur,
d'une part, et les autres Membres des Nations Unies qui partagent
les vues des demandeurs, d'autre part 11 (C.I.J. Recueil 1962,
p. 345). La République du Cameroun montrera d'ailleurs plus
loin qu'elle se prévaut également d'intérêtspropres, qui distinguent
sa réclamation de celle qu'aurait pu formuler un Menibre quel-
conque des Nations Unies (v. infra, p. 206-207).
A la façon de voir du Gouvernement camerounais le Royaume-
Uni objecte en outre que, si la Cour pouvait avoir à se prononcer
sur la manière dont l'autorité chargéede l'administration a rempli
ses obligations vis-à-vis des habitants du territoire, son rôle ferait
double emploi avec les responsabilités confiées à l'Assemblée
généraleet au Conseil de tutelle: pour le Royaume-Uni, en effet,
l'autorité admitiistrante est responsable vis-à-vis des seules Na-
tions Unies, et non pas vis-à-vis de la Cour (contre-mémoirc. par.
31-32).
Cette objection ne saurait être retenue. D'une part, la Cour
a constitue l'organe judiciaire principal des Nations Unies « (art. 92
de la Charte), de sorte que la responsabilité de l'autorité adminis-
trante devant la Cour est en définitive une responsabilité devant
les Nations Unies. D'autre part, la Cour a affirméclairement quela
« surveiiiancc internationale »di1Mandat comportait deux éléments
distincts, qu'elle aqualiiïCs respectivement de «surveillance admi-
nistrative » et de iiprotection judiciaire »: elle a ainsi écartél'ob-
jection qui lui avait étéfaite par l'Union sud-africaine que la Cour
exercerait un coiitrôle appartenant déjà, de façon identique, au
Conseil de la Sociétédes Nations et risquerait d'entrer en contradic-
tion avec ce dernier; les craintes expriméesà cet égardpar les juges
Spender et l~itzmnurice (v. opinion dissidente jointe, p. 553 et S.)
n'ont pas convairicu la. majorité de la Cour. Ainsi que l'a montré
le juge Jessup (ibid., p. 432). la clause ci-dessus citée des traités
de minoritCs sonlevait une difficulté analogne, puisque l'on se
demandait comment la compétencede la Cour pouvait se conjuguer
avec le contrôle confié au Conseil de la Sociétédes Nations (v.
Feinberg. La jz6rirlictiovade la Conr fiernaaitente de Jz~sticedans la
protection internationale des minorités, précité, p.199 et S.). Or la
Cour permanente ne s'était pas arrêtée à l'objection, estimant
qu'il s'agissait de .deux compétences d'ordre différent >i(Ecoles
minoritaires en Hatrte-Silésie. C.P.I.J., série A no 15, p. 29) et
avait accepté de se prononcer sur un conflit dont 1'Etat défendeur
soutenait qu'il avait déjà étéréglépar le Conseil de la Sociétédes
Nations, car la juridiction de la Cour I(ne saurait être tenue en
échecque dans les cas exceptionnels où Ic différend que les Etats
voudraient lui soumettre rentrerait dans la compétence exclu- OBSERVATIOSS ET COSCLUSIOSS DU CAalEROUN 205
sive d'un autre orE-ne - ce q. .~récisémentn'était pas le cas
(ibid., p. 23).
Les compétences respectives de l'Assembléegénéraleet du Con-
seil de tuteile, d'une part, de la Cour, d'autre part, ne sont en
effet nullement contradictoires.
Le contrôle de 1'Assenibléegénéraleest un contrôle politique et
administratif, qui s'exerce d'une manihe permanente par I'entre-
mise du Conseil de tutelle, par l'envoi sur place de missions de
visite, par l'envoi de rapports des Puissances administraiites, par des
demandes de renseignements, etc.; mais, tout comme les repré-
sentants des Nations Unies à l'..\ssembléegénérale,les membres du
Conseil de tutelle - dont 1:c ~omposition est dosée dc telle sorte
qu'un équilibre soit assuréentre les membres non administrateurs
de territoires sous tutelle et les membres administrateurs - loin
d'êtredes juges, sont les porte-parole des Etats qu'ils représen-
tent. Dans le cadre légalprévu par la Charte. I'Asseinbléegéné-
rale demande des explications, suggère des solutions, fait des re-
commandations, au besoin adresse des critiques.
Le contrôle judiciairc a d'autres caractères. Il est exercépar des
juges, et non par des délkgu~sdiplomatiques ou quasi diplomatiques.
Il tend à tra~icher un problèine juridique, et non un problème
politique ou administratif. La Cour n'a pas à Nsurveiller Il'adn~i-
nistration d'un territoire sous tuteile: elle n'y enverra pas de
missions de visite et ne demandera aucun rapport; sa mission
est d'établir, lorsqu'elle se trouve en présence d'un différend, le
cadre juridique dans lequcl les organismes politiques situeront
leur action avec la liberté qui leur appartient à cet égard. Selon
l'expression de I'arrèt rendu dans les affaires du Szrd-Ouestnlricain,
la Cour est appelée à aservir d'ultime moyen de protection par voie
de recours judiciairc 11 (C.IJ. Reczreil 1962, p. 336) contre les
violations éventuelles du Mandat (et aujourd'hui dc l'accord de
de tutelle) par l'autorité chargée de l'administration.
1.a« surveillance administrative 11exercéepar les Nations Unies,
et la aprotection judiciairc IIqui incombe à la Cour, sont donc bien.
pour reprendre l'expression employée par la Cour permanente à
propos des minorités, <d'ordre différent 11.L'Assemblée générale
est saisie de manièrepermanente, et elle n'est saisie que des rapports
entre l'autorité chargée de l'administration et le territoire sous
tutelle. Elle n'est pas une instance judiciaire et ne peut prendre
des décisions revetues de l'autorité de la chose jugée. La Cour, en
revanche, est saisie lorsqu'un différend s'élèveentre l'autoriti:
administrante et un autre Membre des Nations Unies; elle seule
peut trancher ce différend avec force de chose jugée. Ni l'objet ni
les aparties 1)ne sont donc identiques devant YAssembléeet devant
la Cour. D'autre part, l'Assemblée généraleprend des décisions
d'ordre politique: elle décide, compte tenu des circonstances du
moment, de l'attitude à adopter par les Puissances administrantes;
en d'autres termes, clle +~zatérialise &oit en pourvoyant A I'exé-206 CAJIEROUS SEPTESTRIOS.4L
cution de la Charte par les directives que l'autorité adniinistrante
doit appliquer. La Cour, de son côté,dit ledroit,c'est-à-dire qu'elle
porte uiie appréciation sur la conformité d'un agissement passé
avec le droit en vigueur au moment où cet agissemeut s'est pro-
duit.L'Assenibléegénérale peut,pourdesraisons d'opportunité, juger
utile de changer à un moment donné certaines directives donnéesà
l'autorité chargée dc l'administration, tout en restant dans le
cadre de la Charte et de l'accord de tutelle: la Cour ne peut se
prononcer que par rapport aux règles en vigueur.
T-'Assembléegénérale a si bien compris la différence des points
de vue politique et judiciaire qu'elle a elle-m&me,dans sa résolu-
tion 224 (III) en datedu 18 novembre 1948 (annexe V (5) au contre-
mémoire), recommandé que le Conseil de Tutelle
<demande à la Cour internationale de Justice, chaque fois qu'il
y aura lieu, un avis consultatif sur le point de savoir si ces unions
(des Territoires sous Tutelle avec des territoires adjacents) entrent
dans le cadretracé parlesstipulations dela Charte et lesdispositions
des Accordsde Tutelle tels que ceux-ciont étéapprouvéspar l'As-
semblte Générale et sont compatibles avec ces stipulations et ces
dispositionsy.
Si l'Assemblée générale a estimé qu'iln'y aurait pas double
emploi entre son propre contrôle et les attributions consultatives
de la Cour, il en est plus forte raison ainsi lorsqu'il s'agit de l'inter-
vention contentieuse de la Cour, c'est-à-dire de la solution apportée
par l'autorité judiciaire à un différend qui oppose deux Etats
souverains quant à l'interprétation ou à l'application d'un accord
de tutelle.
En résumé,et conformément aux principes consacrés par l'ar-
rêt du 21 décembre 1962, la République du Cameroun soutient
que sa qualité de Membre des Nations Unies l'habilite à saisir
la Cour du différend qui l'oppose au Royaume-Uni quant à
l'interprétation et à l'application des articles 3, 5, 6 et7 de l'ac-
cord de tutelle, et ce alors mêmeque ce différend ne concernerait
que la façon dont le Royaume-Uni a rempli les obligations prévues
par l'accord à l'égard des habitants du territoire ou des Nations
Unies.
La République du Cameroun invoque cependant bien plus
que le seul intérêt d'un quelconque Membre des Nations Gnies.
Elle peut en effet se prévaloir d'intérêtsqui lui sont personnels
et qui distinguent sa situation de celle des autres Membres des
Nations Unies.
Sans mêmeparler de la situation géographique de la République
du Cameroun - limitrophe du territoire qui a donnélieu au diffé-
rend - on peut rappeler que la Cour conçoit le système des Ilan-
dats et celui de la tutelle comme établis essentiellement dans l'in-
térêtdes habitants du territoire; or, en l'espèce, les populations
dont il s'agit sont d'origine et de caractère camerounais, et la Ré- OBSERVATIOXS ET COSCLUSIOSS DU CAaIEROUN z07
publique du Cameroun a, plus qu'aucun autre Etat, qualité pour
invoquer' la violation de leurs droits et intérêtspar l'autorité
administrante. Avant la division du Cameroun en deux Mandats
séparés,ces populations étaient unies à celles de l'actuelle Républi-
que du Cameroun; lors du plébiscite de 1959 elles lui ont mani-
festé leur attachement en s'opposant à l'annexion à la Nigéria,
et, lors du plébiscite de 1961, 40% des électeurs se sont encore
prononcés pour l'union avec la République. S'il en était ainsi
aprèsquarante annéesd'adniinistratioii anglo-nigérienne.le Gouver-
nement camerounais n'a-t-il pas un intérêtspécial à se prévaloir
de la violation par l'autorité administrante des obligations niiseà
sa charge par l'accord de tuteiie, et notamment du fait que l'au-
torité administrante n'a pas créé lesconditions appropriées au
déroulement d'un plébiscitedont l'une des issues était précisément
la réunion de l'ensemble des populations camerounaises au sein de
la République du Cameroun? On peut enfin signaler que les multi-
ples eiitraves apportées pendant la campagne électorale aux per-
sonnes et aux véhicules en provenaricedu Cameroun ainsi qu'aux
partisans du rattachement du Cameroun septentrional à la Ré-
publique ont affecté lesintérets de celle-ci de façon personnelle et
spéciale.
Ces observations montrent que le Cameroun peut invoquer
des intéréts spécifiquesà l'appui de sa requête contrele Royaume-
Uni. Alors que les juges Spender et Fitzmaurice avaient pu repro-
cher à 1'Ethiopie et au Libéria, dans les affaires du Sud Ouest afvi-
cain, de nc pouvoir faire état d'un intérêt Kdifférent de celui de
beaucoup d'autres Membres, ni plus iniportant I)(p. 549). à tel
point que si l'instance avait étéintroduitepar n'importe quel autre
Etat nles écritl~reset les $l(iidoiries aziraien$ZL êtreidentiques,
au nom près des demandeurs D(ibid.), la République du Cameroun
se trouve, pour lcs raisons indiquées, dans une situation très dif-
férente de celle des autres Membres de l'organisation.
En conclusion, l'argument du Royaume-Uni tendant à I'inap-
plicabilité de l'artic19 à des différendsvisant la manière dont le
Royaume-Uni a rempli ses obligations vis-à-vis des habitants du
territoire ne saurait êtreretenu: la République du Cameroun tire
de sa seule qualité de Membre des Nations Unies un intérêtjuri-
dique suffisant pour soumettre à la Cour un différend relatif à
l'interl~rétationetà l'application des diverses dispositions de I'ac-
cord de tutelle; de plus eiie peut faire état d'un intérêtspécial
pour faire jouer l'articl19.
Second argzcntentdu Royaume-Uni: le différend oppose enréalité
la République du Cameroun aux Xatioiis Unies; d'aprèsle Gouver-
nement britannique, en effet, la requête camerounaise tend à
itsoumettre les décisions de ces organes (Assemblée généraleet
Conseil de tutelle)à la revision judiciaire de la Courà la demande
des Membres des Nations Unies pris individuellement » (contre-208 CANEROUX SEPTESTRIOSAL
mémoire, par. 32) et, plus précisément,à «renverser la décision
de l'Assembléegénérale JIcontenue dans la résolution 1608 (XV)
du zr avril 1961 (ibid., par. 34).
Si tel étaitbien l'objet de la requête,le Gouvernenient camerou-
nais serait d'accord avec le Royaume-Uni pour admettre qu'il y
aurait là «une interprétation d'une ampleur déraisonnable n,
a une interprétation insoutenable II(ibid., par. 32). En vérité,c'est
la façon dont le Gouvernement du Royaume-Uni comprend la
demande du Cameroun qui est erronée.
11est exact que la manière dont le Royaume-Uni a administré
le Cameroun septentrional pouvait être - et a effectivement été
- discutéedevant les Nations Unies. Mais l'on ne saurait en con-
clure que la requêtedu Cameroun devantla Cour tend à demander à
celle-ci d'invalider en quelque sorte les décisions prises par les
Nations Unies. On a montré plus haut que les contrôles politique
et judiciaire étaient «d'ordre différent » et que l'exercice de la
iisurveillance administrative r ne faisait pas obstacle à celui de la
c(protection judiciaire i),et ce alors mêmeque les questions débat-
tues devant la Cour auraient déjà étédiscutées, de façon plus ou
moins semblable, devant les Nations Unies. Qu'il soit seulement
permis au Gouvernement du Cameroun de rappeler que, dans l'af-
faire des Ecoles minoritaires en Hazite-Silésie,la Cour permanente
avait été confrontée avec uii argument de la Pologne tiré de ce
que le conflit soumis à la Cour avait déjàété créglépar le Conseil
de la Sociétédes Nations qui est souverain dans l'application des
mesures à prendre 11et que, asi l'affaire est régléedans une procé-
dure, il ne faudrait pas, après son règlement, entamer une autre
procédure pour la même affaire 1)(C.P.J.I., série C no 14-II,
1).79; v. aussi ibid., p. 60.61); or la Cour permariente avait expres-
sément rejeté cette exceptio rei jzfdicatae en considérant que les
compétencesdu Conseil et de la Cour étaient a d'ordre différent r.
Si toute critique portée contre l'autorité administrante devait
êtreinterprétée comme une critique des Kations Unies, si tout
différend opposant un Membre des Nations Unies à l'autorité ad-
ministrante devait ètre considéré comme un différend entre
I'Etat Membre et les Nations Unies, échappant par là à la compé-
tence de la Cour, l'article 19 de l'accord de tutelle se verrait privé
de tout effet. Adopter la conception du Royaume-Uni, ce serait,
pour reprendre des expressions de la Cour permanente, non pas
interpréter l'article 19, mais le adétruire D (Emprzmts serbes,
C.l'.J.l., sérieA nw zo/z~, p. 32),OU, tout au moins, le L dépouil-
ler d'une grande partie de sa valeur I(Acqc~isitionde la nationalité
polonaise. C.P. J.I., sérieB no 7, p. 17).
On ne voit d'ailleurs pas en quoi la République du Cameroun
aurait un différend avec les Nations Unies. C'est le Royaume-Uni,
chargéde l'administration, que la République du Cameroun a mis
en cause dès le début, et non l'Assembléegénéraledes Nations
Unies; cela est normal, le Royaume-Uni seul ayant des responsabi- OBSERVATIOSS ET CONCLUSIONS DU CA3fEROUX 209
lités directes dans I'administration du territoire, alors que les
Nations Unies n'exercent qn'une fonction de surveillance. La re-
quête du Gouvernement camerounais ne demande en rien à la
Cour de «reviser rou de a renverser a des décisionsde l'Assemblée
générale:loin de s'opposer à l'Assembléegénérale,le Gouverne-
ment du Cameroun s'appuie sur ses décisions, ainsi que sur la
Charte et l'accord de tutelle, pour faire trancher par la Cour le
différend qui l'oppose au Royaume-Uni. La résolution 1608 (XV)
du 21 avril 1961 (annexe V (40) au contre-mémoire) qui, après
avoir pris acte des résultats du plébiscite,a estiméque les popula-
tions avaient exprimé librement et par scrutin secret leiirs aspi-
rations au sujet de leur avenir et décidéque l'accord de tutelle
prendrait fin, en ce qui concerne le Cameroun septentrional, le
I~~ juin 1961, lors de sa réunion à la Fédérationde A'igéria,est
étrangèreau débat. Elle constitue uiie décisionde caractère politi-
que et ne coniporte aucune approbation d'ordre juridique de la
façon dont le Royaume-Uiii a administréle Cameroun septentrional
pendant qu'il setrouvait placé sous sa tutelle. Commele Gouverne-
ment camerounais a eu l'occasion de le souligner dans sa note du
mai 1961 (annexe no I au mémoire), iile rOle de l'Assemblée
n'est pas de prononcer le droit; or des griefs de nature juridique
ont étéprésentéspar le Cameroun et il souhaite que ces griefs
soient examinés par le juge n. L'Assemblée générale a très bien
pu, dans un esprit d'opportunité et de réalisme, et se plaçant sur
le plan de l'avenir, (prendre acte des résultats 1,du plébiscite; elle
n'a nullement jugé par là - et n'avait pas compétence pour le
faire - que l'administration antérieure du territoire était juridi-
quement correcte au regard des articles 3, 5, 6 et 7 de l'accord
de tutelle. La République du Cameroun demande à la Cour, non
pas de urenverser IIcette décisionde l'Assembléegénkrale,mais
seulement de dire et juger que, dans la période qui l'a prbcédée,
le Royaume-Uni n'a pas respectécertaines obligations découlant
de l'accord de tutelle. Le plébiscite - dont seul parle la résolution
1608 - n'a d'ailleurs eu les résultats que l'on sait qu'en raison des
événements qui l'ont précédé.Le Gouvernement camerounais
estime que si, dans les conditions où il a étépréparéet où il s'est
déroulé,le plébiscite a dégagé40% des suffrages en faveur du
rattachement au Cameroun., on peut admettre que les résultats
auraient étémassivement favorables à la République du Cameroun
dans le cas où le scrutin n'aurait pas étéfaiissé,avant mêmed'avoir
commencé,par une administration contraire à l'accord de tutelle.
La République du Cameroun pense ainsi avoir démontré quela
seconde condition requise par l'article 19 de l'accord de tutelle,
à savoir que le différend sesoit élevé 1entre l'Autorité chargée
de I'administration et un autre Membre des Nations Unies P, est
pleinement remplie.210 CAMEROUN SEPTESTRIOSAL
C - LE DIFFÉREND S'EST ÉLEVE « RELATIYEMEST A L'ISTERPRÉ-
TATIOS OU A L'APPLICATIOS DES DISPOSITIOSS ,iDE L'ACCORD DE
TUTELLE.
Le Gouvernement du Royaume-Uni soutient qu'un examen de
la requête et du mémoire montre qu'naucune c~uestionde droit
n'est posée, saufpeut-êtresurun point, et qu'il n'estpas demandé à
la Cour d'énoncerle droit, mais de se prononcer presque exclusive-
ment sur des questions de fait II(contre-mémoire, par. 36); puis,
passant en revue chacun des points figurant à la page 18 de la
requête,le Gouvernement du Royaume-Uni déclare à plusieurs re-
prises qu'il s'agit d'une «question de fait.qui ne touche pas à l'inter-
prétation ou à l'application de l'Accord de Tutelle ».
Pour définir un différend portant sur une question de droit,
il n'y a guère de meilleur moyen que de se reporter au paragraphe z
de l'article 36 du Statut de la Cour. Comme on le sait, ce texte
prévoit l'acceptation de la clause de juridiction obligatoire de la
Cour pour
<itous les différendsd'ordrejuridique ayant pour objet:
a. I'interprétatiorid'un traité;
... . .
c. la réalitdetout fait qui,s'ilétaitétabli,constitueraitla violation
d'un engagementinternational ».
Il ressort de cette disposition que tout différend qui aurait
pour objet l'interprétation d'un traité ou la réalité d'unfait ré-
pondant à la condition poséepeut êtreconsidérécomme un diffé-
rend d'ordre juridique'. Or tel est bien le cas pour le différend
actuellement soumis à la Cour.
Comme on l'a vu, le différendporte essentiellement sur l'inter-
prétation et l'application de divers articles de l'accord de tutelle.
La Iégalitéde l'administration de la partie septentrionale comme
partie intégrante de la Nigériadépend au premier chef de l'inter-
prétation des alinéas a) et b) de l'article j de l'accord. Or la Cour
a plusieurs fois déclaréque l'interprétation d'une disposition con-
ventionnelle était une question juridique (Article 4 de la Charte des
ATntions Unies, C.I. J. Recueil 1947-1948, p. 61. - Traités de
finix (firemièrephase), C.I.J. Recueil 1950, p. 71. - Certaines
defiensesdes Nalions Unies, C.I.J. Recueil 1962, p. 155). Cela est
si vrai que I'Assen~blée générale elle-mêmae, par sa résolution 224
(III) du 18 novembre 1948 (annexe V (5) au contre-mémoire),
En reprochant dans soncontre-mémoire(par. 28) à la Républiquedu Cameroun
d'avoirciteà la page 25de son mémoire,l'article 3(2)du Statut dela Cour,le
Royaume-Uni s'est inepris slesensde cette citation. II est bien Ovident que la
cornpetence de la Courne peut reposer dans la présenteaffairel'artic36 (1)
- lequelne limite pas cette cornpetenaux differends juridiques. Le Cameroun
estime cependantque. mème si l'article 19 ne donnait cornpetence à la Cour que
qu'il ressort deadéfinition du différendjuridique donnCe par l'articl(2)Alie. ainsi
propos de lu juridictionobligatoire de la Cour. OBSERVATIOXS ET CONCLUSIONS DU CALfEROUh' 211
recommandk au Conseil de tutelle de demander à la Cour un avis
consultatif sur le point de savoir si Urie union administrative en-
trait dans le cadre tract! par les stipulations de la Charte et les
dispositions des accords de tutelle. Quant à la question de savoir
si les dispositionsde l'accord de tutelle ainsi que celles de la réso-
lution 1473 ont étéappliquées par le Royaume-Uni, c'est à tort que
le coutre-mémoire la qualifie de irquestion de fait n.L'article 36 (2)
du Statut de la Cour montre que la réalitéd'un fait peut fort bien
constituer uiie cquestion de droit r.Il en est ainsi chaque fois
que le problème de savoir si un fait a existé ou présentéun certain
.. L~ .
roun septentrional et assuré aux habitants une part progressive-
ment croissante dans les services admiiiistratifs, une représenta-
tion suffisamment large dans les corps consultatifs et législatifs,
une participation au gouvernement du territoire; rechercher si le
progrès des populations du territoire et le développement de leur
instruction ont étéfavorisés; examiner si les mesures nécessaires
ont étéprises pour assurer, avant le leroctobre 1960, la séparation
administrative du Cameroun septentrional et de la Nigéria, la
décentralisation despouvoirsadininistratifset la démocratisation ef-
fective dusystème d'administration locale dans le Cameroun septen-
trional;recherchersi, dansle Cameroun septentrional, les conditions
d'un plébisciteont étécréé psar leRoyaume-Uni :toutes cesquestions,
que le Royaume-Uni qualifie de squestions de fait n, ont une in-
cidence juridique incontestable. L'existence et l'étendue d'une
violation de l'accord de tutelle dépendent en effet directement
de la réponse quela Cour donnera à ces questions. Or on ne saurait
soutenir sérieusement que la question de la violation d'un traité -
et l'accord de tutelle, cela n'est pas contesté par le Royaume-Uni,
revêtle caractère d'un traité - ne soit pas une question de droit '.
Deuxième branche de I'exception d'incompktence soulevéepar le
Gouvernement du Royaume-Uni: l'argument «ratione temporis*.
Le Gouvernement du Royaume-Uni soulève l'incompétence
ratione temeoris de la Cour dans les termes suivants:
«29. L'AccorddeTutelle a été passéentre le Royaume-Unid'une
part et les Nations Unies de l'autre. La Républiquedu Cameroun
n'a jamaisétépartie àl'Accordde Tutelle et ne jouit des avantages
accordésaux LfembresdesNations Unies que depuis le 20 septembre
1960. D
«30.S'ilest un fait que la Républiquedu Camerounavait ledroit,
à dater du 20 septembre 1960,d'invoquer l'article 19 de l'Accord,
Le Gouvernement du Royaume-Uni so metd'ailleurencontradictioavec lui-
rnéme,puisque, touten contestant le caracthre juridique des questions posées, il
fait grief ailleurs à la Républiquedu Cameroun de ne rechque ul'énoncédu
droitn(par. 35du contre-mémoire).
15 212 CAMEROUN SEPTENTRIONAL
le Rovaume-Uni estimeau'ellen'a nas le droit de faire étatde aues-
tionssurvenues pendant ia duréedél'Accordavant le 20 septembre
1060en vue d'établirl'existenced'un différend avecle Royaume-Uni
antérieur à cette date..~Aur donner comoétence à la Coin.LeRov-
aume-Uni estime que, dans le casd'un différend,néaprèsle zo sep-
tembre 1960,suffisantpour remplir les conditions de l'article 19,la
Kénubliouedu Camerounn'a Dasdavantage le droit de demander à
I:C'uiiril%>ci:proiioiiccr.;ir ri,.iliic;tii>n>quiic stiiit 1)osCcjav.int
ci ttc rlitc. Ln I<ipubliquc(lu i'.inicrouiiiiv 11lit,cn dc:\.cn:iiir\Iciii-
l~rcde, Sariun5Lnicj, w ~1rCc11ui r I,l:'.irtiit,(IVr~i~iiii;:,I~~IICIV~
1.1i.,iii~~t~:ii~'1,.In c:oiii p,~iii,<tntiiiiirds:i <Iiic..tioni propas
rleiriuclleiillc n'aurait [ni cu coiiiuir~iii~ .siIn rc~ili;tc;iv,,iCr;
présentée avant le 20 septembre 1~60. o
Sile Gouvernement de la République du Cameroun a bien compris
le sens de cette exception préliminaire, le Royaume-Uni estime
que, dans la mesure où l'article 19 donnerait à la République
du Cameroun un titre suffisant pour saisir la Cour, celle-ci serait
incompétente ratione temfioris pour connaître d'un difirend (dis-
pute) antérieur au zo septembre 1960 (date de l'admission de la
République du Cameroun aux Nations Unies) et pour se prononcer
sur des questions (matters) survenues avant cette date '.En d'au-
tres termes, le Gouvernement britannique pense que l'article 19 ne
peut fonder la compétence de la Cour que lorsque 1'Etat qui s'en
prévaut, d'une part invoque un diférend postérieur à la date de
son admission aux Nations Unies, et, d'autre part, fait état de
qzcestio*zpsostérieures à cette mêmedate.
Bieii que le contre-mémoire du Gouvernement britannique ne le
dise pas expressément, on peut supposer que, de l'avis du Royaume-
Uni, le différendsoumis à la Cour dans la présente espèceest anté-
rieur au zo septembre 1960 et a trait à des questions ellcs aussi
antérieures à cette date et que, à supposer même que le différend
soit postérieur au zo septembre 1960, il aurait en tout cas trait à
des questions antérieures à cette date.
L'objection soulevée par le Royaume-Uni évoque le problème
bien connu de la réserve des différends et des faits ou situations
passés exprimée dans divers traités d'arbitrage ainsi que dans
certaines déclarations d'acceptation dc la juridiction obligatoire de
la Cour (v. S. Rosenne, The Time Factor in the Jz~risdiction of
the International Coz~rtof Jzcstice, 1960; Soubeyrol, Validitédans
le ten~fisde la déclarationd'acceptationde la jzcridictioizobligatoire,
' En revanche, le paragraphe 29 du contre-mémoire ne parait pas devoir être
19tde l'accord de tutelleàau motif qu'elle n'était pas Partiàdcet accord.'aUnecle
telle interprétation équivaudraen effetà dénierà tout Etat Membre des Nations
Unies. àI'exceptionde la seule Puissance administrantele droit de se prévaloir de
l'article9, puisque aussi bien. de l'avis du Royaume-Uni lui-même, seules les
Nations Unies et l'autorité chargée de l'administration doivenEtre considérées
comme partios àl'accord. Telle ne peut évidemmentavoirétélapensée du Gouver-
nement du Royaume-Uni. OBSERVATIOXS ET COXCLUSIONS DU CADIEROUN 2r3
Ann. français de dr. intern., 1959, p. 232 et S.; Debbasch, La com-
pélence rratione ternporis)>de la Cozwinter?tationalede ftistice dans
le systèltzede la clat~sefacultafive de juridiction obligatoire,Rgén.
de dr. intern. pz~bl.,1960, p. 230 etS.).Or il convient, avant même
d'examiner les mérites de l'argument proposé par le Royaume-
Uni, de souligner que le problème posépar cette réserve est fonda-
mentalement différent de celui soulevé dans la présente affaire.
Dans le cas où un traité d'arbitrage ou une déclaration d'accep
tatiun de la juridiction obligatoire excliient de la compétence de la
Cour, soit les différends nésantérieurement à une certaine date,
soit les différends concernant des faits ou des situations antérieurs
à une certaine date, on est en présence d'une volonté clairement
affirméedes Etats intéressés de limiter la compétence de la Cour.
Or la Cour permanente et la Cour internationale ont maintes fois
répétéque leur compétence se fonde toujours sur le consentement
des Parties et ne saurait subsister en dehors des limites dans les-
quelles ce consentement a éti: donné (Concessions Mavrommatis
en Palestine,C.P. J.I., sérieA mo 2,p. 16; Carélie orientale, .P.J.I.,
série U fzO5, p. 27; Usine de Chorzdw, C.P.J.I., sériesA no 9,
p. 32, etno17, 11.37; Ecoles wcir~oritairsn Haute-Silésie,C.P.J.I.,
sérieA îz"15, 11.22; A?nbatielos,C.I.J. Recueil 1953, p. 19; etc.).
11 en résulte que, lorsqu'elle se trouve en présence d'un traité
ou d'une déclaration par lesquels un Etat accepte la compé-
tence de la Cour sous certaines réserves ratioîle temporis, la Cour
va tout naturellen~ent donner plein effet à ces réserves (cf. Lauter-
pacht, op. cit., p. 91, 95 et S.).C'est ainsi que, mise en présence
d'une déclaration excluant les différends fondés sur des faits ou
des situations anterieurs à sa ratification, la Cour permanente
a déclaréque, pour résoudre les questions posées par une telle
réserve, il faut toujours garder présente à l'esprit la volonté
de 1'Etat qui, n'ayant accepté la juridiction obligatoire de la Cour
que dans certaines limites, n'a entendu y soumettre que les seuls
différends qui sont réellemeut nésde situations ou de faits posté-
rieurs à son acceptation 11(Phos9hates dz~Maroc, C.P.J.I., série
AID no 74, p. 24). La Cour a préciséen conséquence que, lorsque
la réserve étaitexprimée en termes clairs, il n'y avait qu'à l'appli-
quer, mais que, dans le doute, l'interprétation restrictive«pourrait
se recommander à l'égard d'une clause dont l'interprétation ne
saurait en aucun cas dépasser l'expression de la volonté des Etats
qui l'ont souscriter (ibid., p. 23).
L'importance ainsi attachée à la volonté des Parties cx6lique
que la Cour interprète différemment les clauses qui excluent les
différends nésavant telle date ou portant sur des faits ou situations
antérieurs à cette date, et lesclauses attribzrànla Cour compétence
pour les différends nésaprès une date déterminéeou portant sur
des faits ou situations postérieursà cette date. C'est ainsi que dans
l'affaire du Droit de passage, la Cour tient compte de ce que la
déclaration indienne e ne procède pas en excluant ... tels ou tels214 CAIIEROUS SEPTESTRIOSAL
différerids, (mais) procède d'unc: façoii positive, en indiquant les
différends qui soiit compris danscette acceptation a;en conséquence
K la Cour doit se déclarer compétente si elle constate que le dif-
féreiid ... concerne une situatioii postérieure au ...ou concerne
des faits postérieurs à cette mênic date n (C.I.J. Reclieil 1960,
p. 34). Comme on l'a dit, ((cette importante règlc d'interprétation
semble ftre fondée sur la SE ré m iissseutablement exacte suivant
laquelle l'objet d'une déclaration d'acceptation dc la juridiction
obligatoire cst de conférer compétence à la Cour et nori de la priver
de compktence a (S. lioseiiiie, La Cou? interitationale de Jz~sticeeiz
1960, Kev. géiç.[Erilztern. pnbl.1961, 11449. Cf., du mêmeauteur,
The Tinte Factor in tlze Jtirisdiction o/ tlze International Cotirt,
précité,p. 56).
A plus forte raison, la considératioii de l'interprétation restrictive
de lavolonté des parties est-elle étraiigère au débat lorsque la
compétence de la Cour est fondée sur uiie disposition telle que celle
de l'article 19 de l'accord de ttitelle. On se trouve en ~~réseiiceici
d'une dispositionpositive ouvrant, dails les termes les plus généraux,
le recours devant la Cour à tous les Membres des Nations Unies
pour atout différend quel qu'il soit a. Il s'agit d'un recours de
caractère institutionnel ouvert aux Etats tiers par les Parties à
l'accord, ct non de l'acceptation par les Parties ou par un Etat
de soumettre à la Cour certains différends à l'exclusion de tous les
autres. Pour reprendre une expression de hl. Basdevant plaidant
pour la France dans l'affaire desIïhosfil~<rtdsu Maroc, les contesta-
tions de date doivent fléchir devant la. détermination de l'objet dit
litige (série Cno 84, p. 722-723). On 11esaurait mieux faire à cet
Cgard que de citer l'arrêt retidu par ln Cour permanente dans l'af-
faire hfavronlnzatis; l'exemple est d'autant plus éloquent qu'il se
réfère à un titre de compétence - l'article26 du Mandat pour
la Palestine -rédigé en des termes pratiquement identiques à ceux
de l'article19 et qu'il se rapporte au systCme des Mandats, dont on
a vu plus haut la parenté étroite, eii matière de (protection judi-
ciaire n, avec le régime de la tutelle. La Cour permanente a en
effet déclaré:
«La Cour est d'avis que, dans le doiite, une juridiction baséesur
uri accord international s'étendà tous les différends qui lui sont
soumis après son établissement. Dans le cas actuel, cette interpréta-
tion semble imposéepar les termes mêmesde l'article 26, d'après
lequel doit êtresoumis à la Cour <tout différendquel qu'il soit ...
qui viendraità s'éleverinLn réservefaite dans de nombreux traités
d'arbitrage au sujet de differends engendrés par des événements
antérieursà la conclusion dii traité, semble démontrer la nécessité
d'une limitation expresse de la juridiction et, par conséquent, l'exac-
titude de la règle d'interprétation énoncéeci-dessus. Le fait qu'un
différendsurgit à un moment doniiéeiitrc les Etats forme un critère
suffisamment précispour délimiter, dans le temps, la juridiction,
tandisque la détermination des t5véncmentsqui ont donnénaissance OBSERVATIONS liTCOKCI.USIONS DU CAIIEROUN
215
à un diffïrend se trouve clansbeaucoupde cas inestricablement liée
ail fond mêrne du litige1(C.I'.J.I., sériA n"z, p. 35).
Une seconde considération vient renforcer l'opinion du Gouver-
nement camerounais que Ic problèinc des réserves rntione temporis
contenues dans les traités oii déclaratioris d'acceptation de la juri-
diction obligatoire est ktrariger an pr6sent debat. La raison d'être
de ces réserves se trouve essentielleinent dans lc souci des Etats
de ne 1x1sressusciter dc vieilles cperelles. Ainsi que l'explique le
professeur Reuter, a comine il n'y a pas de prescription en droit
international, un Etat qui accepte la jiiridiction de la Cour pour-
rait ... voir porter devant le jugc tles litiges qui remontent dans
le passé k une date indéfinie s(Les ?iiodesde solntioirdes coizfliliii-
ternntioi~nl~x,Paris, Les Cozirsde droit, 1957-58, P. 204). La Cour
permanente a ainsi déclaré,dans I'affairc des I'hosfihntesilzrMaroc,
qu'en formulant la limitation rnliotie leniporis, les Etats ont en-
tendu enlever à I'acccptatioii (le la jiiridiction obligatoire tout
effet rétroactif, soit pour évitcr de façon généralc de réveiller
des griefs anciens, soit pour exclure la possibilité de voir déférer
par requéte à la Cour des situations ou tles faits qui renioriterit à
une époclueoù 1'Etat mis en cause ne serait pas à mêmede prévoir
le recours dont pourraient êtrel'objet ces faits et situations » (p.
24).Or cette préoccupatioii est totalement absente de la présente
affaire. Parler du souci des parties à l'accord de tutelle de limiter
le débat contentieus à des faits oit situations ne remontant pas
au-delà d'une ccrtaiiic date est dénuéde toute pertinence ou signi-
fication. ll'autre part, le Ko):iuine-Uni sait, clepuis 1946, que la
façon dont il interj>r&tect a1)~1liqiiel'accord de tutelle peut ètre
discutée, en cas de différend, par n'importe quel Xembrc des Xa-
tions Unics devant la Cour. Xi le souci dc ne pas a réveiller des
gricfs anciens I,ni celui de la sécuritbjuridique, nc jouent quelque
rôle que ce soit dans le cadre d'iiiie compétencc définiecomine elle
l'est par l'article19 de l'accord de tutellc.
II résulte de ces ol>servatioiis que, poiir résoudre le problEme
posépar l'argument ratione teinfiorissoule\~épar le Royaume-Uni,
aucun secours iic peut ètre trouvé dans la jurisprudence relative
aux réserves formuléesdans les traites d'arbitrage ou les déclara-
tions d'acceptation de la juridiction ol~ligatoire.Lesarrètsrenduspar
la Courpermanente dans les affaires des I~hosfilrntes dzlMnroc (préci-
tée)ou de la Co?iipngnie d'Electvicitéde Sofin (série AlB 72"77),
ceux rendus par la Coiir internationale clans les affaires de l'A?zglo-
Irnninit (C.I.J. Reczieil 1952, P. 93 et S.), de l'lnlerhaitilel (C.I.J.
Reczieilrg5g, p. zo et s.l ou du Droit de fiassage(C.IJ. Keczieils1957,
P. 151, et 1960, 11.33 et S.)ne peuvent êtreutilisésqu'avec la plus
grande circons~>ection.
C'est donc dans les termes mémesde l'article 19 et dans l'ensem-
ble du mécanisme que cette disposition institue qu'il convient de
recherclier si vraiment, coinme Ic soutient le Royaume-Uni, la216 CAYEROUS SEPTESTRIOSAL
~épublique'du Cameroun ne peut se prévaloir dc l'article 19 que
sous la réservede certaines limitations rationeteinporis.
Aux termes de l'article 19,la Cour peut êtresaisie de <<tout diffé-
rend, quel qu'il soit, qui viendrait à s'élever entre l'Autorité
chargéede l'administration et un autre Membre des Nations Unies
relativement à l'interprétation ou à l'application des dispositions
du présent Accord rn.
Le droit de saisir la Cour est attaché par cette disposition a
la qualité de Membre des Nations Unies. 11est ouvert, non pas à
un groupe d'Etats dont la composition serait fixéede façon rigide
une fois pour toutes, mais à un ensemble mouvant dont la composi-
tion varie suivant la dateà laquelle on se place (cf.les observations
du juge Jessup sur les affaires du Szid-Ouest ajricain, C.I.J.
Reczieil196z.p. 414 ,insi que cellesdes juges Spender et Fitzmaurice,
ibid., p. 508). 11en découleque, lorsqu'un Etat est admis aux A'a-
tions Unies à une date quelconque après l'approbation de l'accord
de tutelle, cet Etat acquiert par là même ledroit de recours prévu
par l'article 19. Le fait qu'il n'a pas étémembre des Kations Unies
lorsque l'accord a étéapprouvé ou est entréen vigueur ne fait pas
obstacle à ce qu'il bénéficidu droit que cette disposition accorde à
tous les Membres en tant que tels. L'admission aux Nations Unies
attribue ipso factoà 1'Etat admis l'ensemble des obligations et des
avantages corrélatifs qui s'attachent à la qualité de Membre de
l'organisation (cf. les observations du juge Jessup, ibid., p. 416).
Ce point ne parait d'ailleurs pas contesté par le Royaume-Uni,
qui, déclarant que la Républiquedu Cameroun e ne jouit des avan-
tages accordés aux Membres des A'ations Unies que depuis le
20 septembre 19Go n (contre-mémoire,par. zg), adniet implicitement
que, depuis cette date, la République du Cameroun jouit de tous
les avantages attachés à la qualité de Membre de l'organisation.
Celaétant, la compétencede la Cour rationetemporisdoit s'appré-
cier par rapport à deux éléments.
II faut, tout d'abord, que la requêteintroductive d'instance, qui
est la traduction de l'exercice, par 1'Etat nouvellement admis aux
Nations Unies, du droit que lui ouvre l'article 19, soit postérieure à
la date d'admission aux Nations Unies. Cela est à ce point évident
qu'il n'estpas nécessaired'insister sur ce point. Qu'il soit seulement
permis au Gouvernement camerounais de rappeler l'importance
que la Cour a attachée à la date du dépôt de la requêtedans une
hypothèse où le titre de compétence de la Cour expirait en cours
d'instance (~Vottebohnr C,.I.J.Reczieil 1953, p. 122-123; cf. Droit
de passage szrr territoire indien (exceptions prélinrinaires).C.I.J.
Reczieil 1957, 11.144-146). Dans la présente affaire, la requéte de
la République du Cameroun est postérieure au 20 septembre 1960,
et cette première condition se trouve donc satisfaite.
Mais il faut également, pour que la Cour soit compétente ratione
temporis, qu'il y ait eu un différend après l'admission de 1'Etat
aux Nations Unies. Pour qu'il y ait un rtdifférendentre l'Autorité OBSERVATIONS ET CONCLUSIOSS DU CAMEROUN z17
chargéede l'administration et un autre Membre des Nations Unies »,
il faut en effet qu'il y ait coexistence dans le temps, d'une part du
différend,d'autre part de la qualité de Membre des Nations Unies
de 1'Etat requérant, c'est-à-dire que le différend sesoit manifesté à
un moment quelconque apres que 1'Etat est devenu Nembre des
Nations Unies.
Telles sont les seules conditions qui découlent de l'article 19 de
l'accord de tutelle.
Le Royaume-Uni estime cependant qu'il faut aller plus loin.
Il déclare en effet que le différend doit satisfaire à deux autres
conditions pour rentrer dans la compétencede la Cour ratioae lem-
poris. Il faut d'abord, estime-t-il, que le différendsoit .né )Iaprès
l'entréede 1'Etat requérant aux Nations Unies. Il faut ensuite qu'il
concerne des cquestions isurvenues l)ostérieurementà cette entrée.
La République du Cameroun pense qu'une telle exigence, outre
qu'elle ne trouve aucun appui dans le texte mêmede l'article 19,
est contraire à la logique du systeme institué par cette disposition.
Celle-ci, on l'a vu, ouvre le droit d'invoquer la a protection judi-
ciaire 8de la Cour à tout Etat Membre de l'organisation. Or inter-
dire à un Etat récemmentadmis aux Nations Unies de soumettre à
la Cour des différends ou desquestions antérieursà son admission,
c'est réduire le contenu que l'article 19 accorde à la qualité de
Membre des Nations Unies et, en fin de compte, créer diversescaté-
gories de Membres, dont les droits et obligations varieraient selon
la date d'admission au sein de l'organisation.
Cela est vrai d'abord en ce qui concerne les« questions »(ilzatters)
soulevées.La signification de ce terme n'est d'ailleurs pas claire:
probablement le Royaume-Uni entend-il par là les faits et situa-
tions qui ont tlonnE lieu au différend,par opposition au différend
lui-même; peut-êtreaussi fait-il alliision aux arguments invoqués
par les parties. Quoi qu'il en soit, l'exigence du Royame-Uni ne
saurait êtreadmise. En effet, si la République du Cameroun ne
pouvait faire état d'événements antérieursà son admission aux
Nations Unies, elle serait en quelque sorte placéedevant un fait
accompli à la date de son admission, puisque toute discussion de
l'application antérieure de l'accord de tutelle lui serait interdite.
A partir du zo septembre 1960, le République du Cameroun a dû
respecter les obligations attacli&esà la qualité de Membre des Na-
tions Unies, fût-ce en vertu de textes ou de situations antérieurs;
on ne voit pas pourquoi ellene pourrait mettre en Œuvre dans toute
sa plénitude la aprotection judiciaire >ique l'article 19 attache à
cette mêmequalité en se voyant placéedans l'impossibilité dedis-
cuter la façon dont le Royaume-Uni a appliqué l'accord de tutelle
avant le 20 septembre 19Go.Choquante pour tout Membre des Na-
tions Unies, une telle capilis deieminz~tierait inconcevable dans le
cas d'un Etat qui, comme la République du Cameroun, peut se
prévaloird'intérêtstout particuliers à l'égard dela tutelle litigieu-
se. D'une façon générale, d'ailleurs,rien n'empêche unEtat, en218 CAMEROUS SEPTESTRIOSAL
l'absence de réserve formelle dans la disposition conférant cornpé-
tence à la Cour, de faire état d'événementsantérieurs à son acces-
sion à l'indépendance (v. Rosen~ie, The Tifiie Factor in the Jziris-
diction of the Infer?lationnl Colcrt of Jtlstice, 1960, p. 58). Il en
est à plus forte raison ainsi lorsqu'il s'agit d'un Etat né d'un ter-
ritoire sous tutelle: avant mêmed'accéder à l'indépendance, le
Cameroun sous tutelle française avait déjàla 1-ocationétatique, et
la République du Cameroun ne fait qu'cxcrccr des droits qui ont
appartenu virtuelleinent, dès l'origine, aus peuples de la future
entité étatique camerounaise, et qui sont devenus réelsavec l'ad-
mission de la République du Cameroun aux Nations Unies. 11
est donc hors de doute qu'une fois entrée aux Nations Unies la
République du Cameroun a acquis le droit dc discuter devant la
Cour la faqon dont, avant cette date, le Royauiiie-Gni a inter~~rété
ou appliqué l'accord dc tutelle. Sans doutc - peut-être est-ce là
cc que le Royauiiic-Ciii a voulu dire - les arguments qu'invoque
aujourd'hui la République du Cameroun, notamment à l'encontre
de la division du territoire et de l'administration de sa partie sep-
tentrionale comme partie intégrante de la Nigéria, auraient-ils
étéles mémessi le problème avait pu être débattu avant le 20 sep-
tembre 1960. Rlais une objection similaire a étéécartéepar la
Cour alors que 1'Etat qui l'invoquait, en I'esl>ècel'Inde, pouvait
faire état d'une déclaration formelle cxcluaiit les différends et
les faits ou situations postérieurs à une certaine date (Droit de
Passage(fond),C.I. J. Reczieil 1960, 11.36); ;tplus forte raison est-
elle dénuéede toiitc substance dans la présente affaire, où aucune
exclusion rntio~~ele~izporisn'est inscrite dans l'article 19. Aussi
bien la Cour permanente a-t-elle expressément reconnu à la Grèce,
dans l'affaire Mavrofiriilatis, le droit de critiquer l'application
par le Royaume-Uni du Mandat pour la Palestine en se fondant
sur des événements anlërietlrs <i l'eqttréeefi vigz~ezirdu Maiidat,
voire à la définition de ses termes par le Conseil de la Sociétédes
Nations (p. 35). A plils forte raison doit-on adrilettre le droit pour
un Etat qui est devenu Rlenibre des Nations Unies postérieuren~eiit
à l'entrée en vigueur de l'accord de tutelle de discuter devant la
Cour la manière dont l'autorité chargéede l'administration a inter-
prétéet appliqué l'accord de tutelle après la date de l'entrée en
vigueur de cet accord et avant celle où cet Etat a été admisaux
Nations Unies.
Quant àla datedu différend,s'il est exact, comme on l'a vu. que
celui-ci doit avoir existéaprèsl'admission du requérant aux Nations
Unies, on ne voit pas'sur quoi le Royaume-Uni pourrait se fonder
pour exiger qu'il soita né »après cette date. A supposer qu'un Etat
nouveau ait, avant son entréeaux Nations Unies, un différendavec
une Puissance administrante au sujet de l'interprétation ou de I'ap-
plication d'un accord de tutelle, il serait contraire Atoute logique
de lui interdire de soiinlettre ce différend h la Cour une fois qu'il
est entréaux Nations Unies. dèslors que ce diflérendpersisteericore OBSERVATIONS ET CONCLUSIOXS DU CAMEROUN 219
à la date de la requête.La solution contraire conduirait, ici encore,
à priver 1'Etat intéresséd'une prérogative importante attachée à
la qualité de Membre des Rations Vnies, en le plaçant dans l'im-
possibilité de faire trancher par la Cour un différend qui l'oppose à
l'autorité administrante sous le prétexte que ce différend existait
déjàavant son admission aux Nations Unies. Le différendconsistant
ici dans le désaccord sur la régularitéde l'exercice de la tutelle,
il suffit que ce désaccordse soit manifesté à un moment quelconque
après l'admission du demandeur aux Nations Unies. On peut exiger
que le différendait existéencore après l'entréedc 1'Etat demandeur
aux Nations Unies; on ne saurait demander qu'il n'ait en auciine
manière existéavant cette date. L'article 19 de l'accord ne procède
pas par erclusion de certains différends; il attribue compétence à
la Cour de façon $ositivc pour tous les différends répondant aux
conditions posées.Il s'agit ici, non pas d'exclure de la compétence
de la Cour les différends anciens, mais de lui permettre d'exercer
la mission que l'accord de tutelle lui confère à l'égard detous les
différends opposant un Membre des Nations Unies à l'autorité
chargée de l'administration. La date de naissance du différend,
oui rése enteune im~ortance ~rimordialc dans le cadre des réserves
. .
ratione terr~poriincluses dans les traités d'arbitrage ou les déclara-
tions d'acceptation de la juridictionol>l-gatoire,est indifférente dans
le cas présent.
Après avoir airisi examiné dans son ensemble le problème de la
compétence rationetemporis de la Cour dans lc cadre de l'article 19,
on est amené à conclure que cette disposition permet à la Républi-
que du Cameroun de soumettre à la Cour, par une requête posté-
rieure à la date de son admission aux Nations Unies, iin différend
qui, quelle que soit la date de sa naissance, a existé, ou persisté,
après cette date, et ce quelle que soit la date des questions(matters)
dont il est fait état.
Il n'est point besoin de longs développements pour établirque cet-
te condition est effectivement remplie en I'espAce.On se contentera
de citer, parmi bien d'autres, deux élémentsqui manifestent l'exis-
tence du différend postérieurement au 20 septembre 1960. Le pre-
mier est constitué par le Livre blanc publiépar le Gouvernement du
Cameroun à la fin de mars 1961 (annexe 6) et par la lettre adresséele
10 avril 1961 au président de la Quatrième Commission de l'Assem-
blée généralepar lereprésentant du Royaume-Uni à cette commis-
sion pour présenter les observations du Royaume-Uni sur le Livre
blanc camerounais (Doc.A/C.4/47y: arinexe 10, p. 4). Ces documents
contiennent l'essentiel des thèses des deux Parties et traduisent à
coup sûr ce cdésaccord sur un point de droit ou de fait n, cette
(icontradiction I),cette « opposition de thèses juridiques ou d'in-
térêts x qui constituent les caractéristiques mêmes du différend
international. On peut citer en second lieu l'échange de notes
entre le Gouvernement camerounais et le Gouvernement britanni-
que intervenu au moi5demai 1961(v. annexes nos Ietzaumémoire).220 CA>lEROUS SEPTESTRIOSAL
Un examen plus attentif permet mêmede constater que c'est à
cetteépoque-là -c'est-à-dire en avril-mai 1961 - qu'il est apparu
qu'aucune solution autre que le recours à la Cour internationale ne
pouvait êtretrouvée au différend et que s'est ainsi révélée remplie
la condition de l'échecdes négoci-tions poséepar l'article Ia, de
l'accord de tutelle.
La République du Cameroun pense qu'il n'est pas inutile de four-
nir quelques explications à ce sujet.
On sait que la Cour a toujours attaché une grande importance à
ce que l'échec des négociations soit certain avant tout recours
à la solution juridictionncllc. Dans l'affaire Maurommutis, la Cour
permanente a déclaré, à propos de la stipulation du Mandat pour
la Palestine rédigée, on lesait, de façon presque identique à celle
de l'article19 de l'accord de tutelle:
iLa Cour se rend bien compte de toute l'importance de la règle
suivaiit laquelle ne doivent êtreportéesdevant elle que des affaires
qui riesont pas susceptibles d'êtrerfgléespar négociations;elle
reconnaît, cn effet, qu'avant qu'un différendfasse l'objet d'un
recours en justice, il importe que son objet ait été nettementdéfini
ail moyen de pourparlers diplomatiques» (C.P.J.I., shie A no 2,
P. '5).
La question de savoir à quel moment la négociation est devenue
impossible ou a échouéest, comme l'a dit la Cour permanente dans
le mêmearrêt,une «question d'espèce n(ibid.). Elle peut, dans cer-
tains cas, dépendre ede l'appréciation des Etats intéresséseux-
mémes,qui sont le mieux placéspour juger des motifs d'ordre poli-
tique pouvant rendre impossible la solution diplomatique d'une
contestation déterminée » (zbid.). Ainsi que la Cour l'a déclarédans
son arrêt du Szid-Ouest alricain, les écritures et les plaidoiries des
Parties au cours mEmede la procédurejudiciaire peuvent constituer
une confirmation de ce que l'ciimpasse demeure (et) ...qu'il n'est
pas raisoiinableinent permis d'espérer que de nouvelles négociations
puissent aboutir à un règlement » (C.I.J. Recueil 1962, p. 345
et 346). Dans la plupart des cas, l'échec des négociations - et, par
consfquent, la cristallisation du différend - résultera de ce que la
négociationest parvenue àun point où aucune des Parties ne modifie
plus sa position. Les arrêts emploient à cet égard des expressions
imagéeset significatives: la Cour permanente dit que tel est le cas si
la négociation (ia rencontré un point mort, si elle s'est heurtée
finalement i un non fiossumzrs ou à un non volzfmtis péremptoire
de l'une des Parties n (Mavroncncatis,p. 13); la Cour internationale
dit qu'il en est ainsi lorsque l'on se trouve dans une «impasse 1,
(Interhandel, C.I.J. Recueil 1959, p. 21; Sud-Ouest africain, C.I.].
Recueil 1962, p. 345) et que Kl'on demeure inébranlable de part et
d'autre ii(ibid., p. 346).
Pour que l'échecdes négociations apparaisse, il n'est pas néces-
saire que ces dernières aient étélon~ues: ciune négociation ne OBSERYATIOSS ET CONCLUSIOSS DU C:~~IEROUS 221
suppose pas toujours et iiécessairenient une série plus ou moins
longue de notes et de dépêches;ce peut ètre assez qu'une conversa-
tion ait été entamée; cette conversation a pu ètre très courte:
tel est le cas si elle a rencontré un point mort ... >,(ik'avrommatis,
p. 13). 11 n'est pas non plus indispensable que la négociation ait eu
lieu directement entre les deux Parties, car «ce qui importe en la
matière, ce n'est pas tant la forme des négociations que l'attitude
et les thèses des Parties sur les aspects fondamentaux de la question
en litige II(Sud-Ouest africain, p. 346): aussi la Cour a-t-elle, dans
cette dernière affaire, estimé, à propos du différendentre 1'Ethiopie
et le Libéria, d'une part, l'Union sud-africaine, d'autre part, que
des négociations directes n'étaient pas nécessaires et que les dé-
bats au sein des Xations Unies étaient suffisants:
ccDepuis quarante ou cinquante ans, la diplomatie pratiquéeau
sein des conférencesou diplomatie parlementaire s'est fait recon-
naître comme l'un des moyeiisétal~lisde conduire des négociations
internationales.. Lorsqu'il s'agit d'une question affectant les
intérêtsmutuels de nombreux Etats, qu'ils fassent ou non partie
d'un corps organisé,il n'y a aucune raison pour que chacun d'eux
se conformeau formalismeet aux faux-semblants d'une négociation
directe avec 1'Etat auquel ils s'opposent s'ilspnt déjàpleinement
participéaux négociations collectivesavec cet Etat adverse »(ibid.).
La conclusion de ce rappel des principes est claire: c'est dans les
premiers mois de 1961 que le différendentre la République du Ca-
meroun et le Royaume-Uni a pris sa forme définitive. Les thèses
des Parties se trouvent exprimées dans les documents que l'on a
cités plus haut, ainsi que dans les débats qui ont eu lieu au sein
des Nations Unies et sur lesquels on reviendra plus loin. Les coiitours
du différend sont bien dessinés depuis lors. Il y a eu à la fois des
négociations directes entre les deux Parties (notes des et 26 mai
1961, citéesen annexe au mémoire)et des négociations au sein des
Nations Unies (notamment Livre blanc camerounais et lettre
britannique. citésen annexes6 et IO, p. 4).L'attitude des Parties et,
notamment, leurs écritures au cours de la présente procédure,
montrent bieii que l'on est resté a inébranlable de part et d'autre >i.
Le juge Jessup a dit, dans son opinion individuelle sur les affaires
du Szcd-Ozrestafricain, que N le point important est de savoir si le
défendeur a eu connaissance des plaintes des demandeurs, s'il a
eu l'occasion d'exprimer son point de vue, s'il l'a exprimé et si les
demandeurs n'ont pas étéconvaincus et ont maintenu leur position >)
@.436) :tel est à coup sûr le cas en l'espèce.
Ainsi, non seulement le différenda existé mais il a pris sa forme
définitive et a abouti à un n point mort il.à une iimpasse II,alors
que la République du Cameroun était déjà Rlembre des Nations
Unies. II en résulte que l'argument ratione telnporis soulevé par
le Royaume-Uni est sans fondement, la requkte de la République
du Cameroun satisfaisant entièrement aux conditions requises
par l'article 19 de l'accord de tutelle.222 CA>lEROUS SEPTENTRIOSAL
Le Gou\~eriicincnt du Cameroun pourrait arreter là ses obser\~a-
tions sur ce problème. II tient cependant à montrer que, mème si
l'article 19 exigeait, d'une part, que le différend soit ené r après
l'admission du demandeur aux Nations Unies, et, d'autre part,
que les faits et situations ayant engendré le différend soient égale-
ment post6rieurs i cette admission, cette double co~iditioii se
trouverait encore remplie en l'espèce.
En premier lieu, le différend entre la République du Cameroun
et le Royaume-Uni a effectivement pris naissance postérieurement
au 20 septembre 1960. Certes la détermination de la date de nais-
sance d'un différend donne-t-elle sou\reiit lien à des difficultés.
Les e désaccords a, les aoppositions de thèses nt les a divergences
d'opinion >I,les «points de vue opposés i),qui sont, d'après la
jurisprudeiicc de la Cour, constitutifs du différent1international,
se produisent généralement de façon progressive, voire insensible,
de sorte qu'il n'est Ilas toujours aisé d'assigner une date précise à
la naissance du différend. Rlais la Cour a eu récemment l'occasion
de creuser ce problème dans deux affaires où sa compétence était
subordonnée, par urie clause expresse de la cl6claration de l'une des
Parties acceptant la juridiction obligatoire de la Cour, ila condition
que seuls des différends néspostérieuremerit à une certaine date
pourraient faire l'objet du règlement judiciaire.
Dans l'affaire de l'lnterknndel, tout d'abord, le Gouvernement des
Etats-Unis soutenait que la Cour n'était pas compétente parce que
des «opinions divcrgcntes ...ont étééchangéesentre les autorités
américaines et suisses à plusieurs reprises avant le 26 aout 1946 I),
date à laquelle l'acceptation de la juridiction obligatoire de la
Cour par les Etats-Unis - acceptation se rapportant aux seuls
différends futurs - était entrée en vigueur (C.I.J. ReczieilIgjg,
p. 20). La question de savoir à quelle date ces échangesde vuesont
commencé à revêtirle caractère d'un différend ititernational était
malaisée à résoudre et a étévivement débattue par les Parties.
Aussi la décision de la Cour mérite-t-elle dc rctcnir l'attention.
La Cour a considéré que des échangesde vues entre fonctionnaires
ne sauraient etre interprétés comme un diffkrcnd et qiic seule la
prise de position c~définitiveades deux Gouvernements,aboutissant
à une a impasse IIpeut êtretenue pour le point de départ du diffé-
rend. La Cour s'est exprimée dans les termes sui\.aiits:
«Dans ces échangesde vues entre fonctioiinairesalliéset suisses,
la Cour ne peut voir un différenddéjà116eiitre gouverneinents au
sujet de la restitution des avoirs que réclame 1'Interhandel aux
Etats-Unis; lesficilset les siIlrationsqtii meiré<i iciditére~zd ?Le
satiraieiétreconfoirdtisavecle différenméme » (p.22).
«L'examen du dossier permet d'établirqu'une demande à cet
effet [enile de la restitution des avoirs de 1'Iiiterliandelséquestrés
aux Etats-Uiiis] a étéformulée parla Suisse pour la première fois
dans la note de la Légation deSuisseà \Vashingtonen date du 4 mai
1948. Lr réponsenégative, que le Département d'Etat qualifie OBSERVATIONS ET COKCLUSIOXS DU CAhlEROUN 2z3
d'opinion définitive,est du 26juillet 1948.Deux autres notes échan-
géesbientôt après (les 7 septembre et 12 octobre de la mêmeannée)
confirment que lesopinions divergelites desdeux Gouvernements ont
eu pour objet un problème de droit nettement défini, à savoir la
restitution des avoirs de 1'Interhandel aux Etats-Unis, et que les
négociations à cc sujet sont rapidement arrivées à une impasse.
Ainsi, le différendsoumisactuellement à la Cour sesitue au 26juillet
1948,date de la première réponse négativeque le Gouvernement des
Etats-Uiiis présente comme son opinion définitive consistant à
rejeter la demande de restitution des avoirs. Par conséquent, le
différends'est élevépostérieurement à la date de l'entréeen vigueur
de la déclaration desEtats-Unis 1(p.21).
Dans l'affaire du Droit de$assage s%irterritoire indien, le problème
étaitdifférent. L'Inde avait accepté la juridiction de la Cour «pour
tous différends nés après le j février 1930 II,et la question se posait
de savoir à quelle date ledifférend devait êtreconsidéré comnieétant
né i>dèslors qu'il comportait plusieurs éléments non concomitants.
La Cour a déclaré à ce sujet:
«...Le différendsoumis ila Cour a un triple objet:
1) Existence contestéed'un droit de passage au profit du Portugal;
2) Manquement que l'Inde aurait commis, en juillet 1954, à ses
obligations concernant ce droit de passage;
3) Redressement de la situation illégale résultant de ce manqne-
ment.
Le difirend soicmis à la Cour ayant ce triple obietn'a pic nattre
qnelorsquetoicssesélémentc so?zstitutijsont existé.Parmi ces éléments
se trouvent les obstacles que 1'Incleaurait, en 1954. apportés à
l'exercice du passage par le Portugal. Le différendtel qu'il est soumis
à la Cour n'a donc pu naître qu'en 1954.Ainsi répond-il à la condi-
tion relativeà la date de sa naissance qu'a poséela déclaration de
l'Inde portant acceptation de la juridiction de la Cour >,(C.I.J.
Xeciceil1960, p. 33-34). ,
De ces deux arrêts, une leçon commune se dégage. Lorsqu'il
s'agit d'un différend complexe, soit parce que les échanges de vues
se sont dérouléspendant un certain laps de temps, soit parce qu'il
a plusieurs objets, la Cour s'attache à la date la plus récente, c'est-
à-dire à celle où les pourparlers se sont achevés ou celle où tous les
élémentsdu différend se trouvent réunis. Par là mêmeelle est con-
duite, comme l'affaire de l'lnterliandel le montre clairement, à
considérer que le différendest snC.»au moment même où les négocia-
tions ont abouti à une impasse: la distinction entre la naissance du
différend et l'échecdes négociations s'estompe, la date de naissance
du différend étant appelée à coïncider avec celle de l'arrivée de la
négociation à un point mort. Ainsi la Cour manifeste-t-elle sa
volonté de donner un effet utile aux clauses prévoyant sa compé-
tence dès lors qu'il s'agit, comme c'était le cas dans ces deux af-
faires, de stipulations attribuant compétence à la Cour de façon
positive (cf. Dvoit de $assage, ibid., p. 34).224 CAYEROUS SEPTESTRIOSAL
A la lumière des solutions ainsi consacrées par la Cour, il est
possible d'établir sans difficultéà quelle date le différendentre le
Royaume-Uni et la République du Cameroun s'est élevé.
Sans doute le représentant de la France a-t-il, exprimant les
vues tant de la délégation françaiseque de la Républiquedu Came-
roun (qui n'avait pas encore étéadmise aux Xations Unies), fait
connaître au Conseil de tutelle. au mois de mai 1960,ses inquiétudes
et ses réserves à propos de la lenteur et de l'insuffisance des réfor-
mes entreprises par le Royaume-Uni (doc. T/SR.IOS~, par. 37,
et ~ogo, par. 36: annexes I et 2; v. résuméanalytique i?zdoc.
A/4404. p. 105. par. 40: annexe 3). Mais il convient de noter que
l'intervention du représentant de la France, ainsi que la réponsedu
représentant britannique (doc. A/4404, précité,p. 107, par. 48).
ne portaient que sur un seul aspect du différendactuel, à savoir
l'application- trop lente aux yeux du premier, suffisante d'après
le second - de la résolution 1473 de l'Assemblée générale.Les
autres aspects du différendactuel nc furent pas évoquésau cours
de ces interventions; à plus forte raison ne pouvait-il êtrequestion
au mois de mai 1960 des griefs que la République du Cameroun
a pu formuler à l'encontre de l'autorité administraiite en raison de
la continuation de la Knigérianisation » de fait du Cameroun sep-
tentrional après le ler octobre 1960 et pendant les quelques mois
qui ont précédé le plébiscitd ee 1961. L'échangede vues entre les
représentants francais et britannique ne saurait donc êtreconsidéré
comme la date de naissance du différend:d'une part, on ne peut y
voir l'expression de 1'.opinion définitive » de la République du
Cameroun et du Royaume-Uni, comme l'exige l'arrbt de I'l?iter-
handel ; d'autre part, tous lese élémentsconstitutifs du différend
n'existaient pas encore à cette date, ainsi que le requiert l'arrêt
dans l'affaire du Droit de fiassn~e.
Le différend se préciseaprès l'admission de la République du
Cameroun aux Nations Unies. Le g décembre 1960, la Quatrième
Commission de l'Assembléegénérale procédaà l'audition de pé-
titionnaires du Cameroiin septentrional, dont l'un exprima divers
griefs sur la façon dont le Royaume-Uni avait administré, et con-
tinuait Aadministrer, le Cameroun septentrional, rendant impossible
une consultation véritablement impartiale de lapopulation. Aucours
du bref débat qui suivit l'audition des pétitionnaires, le représen-
tant de la République du Cameroun indiqua que la qiicstion du
Cameroun septciitrioiial était urgente et que, si la Commission
était décidée à aborder les qiiestions soulevécs,le représentant du
Cameroun les examinera de façon plus détaillée.Le représentant
du Royaume-Uni répliqua en quelques mots pour dire que la sé-
paration complète du Cameroun septentrional d'avec la Nigéria
s'étaiteffectuéedepuis le octobre 1960 et que la préparation du
plébiscite sedéroulaitdans desconditions satisfaisantes (doc. A/C.4/
SR 1081: annexe 4). Peu de temps après, le Gouvernement de la
République fédéralefit connaitie son point de vue officielpar une OBSERVATIOSS ET COSCLUSIONS DU CAalEROUN 225
note verbale adressée le 4 janvier 1961 à l'ambassade de Grande-
Bretagne à Yaoundé, note à laquelle était joint un conimuniqué
du Gouvernement camerounais en datedu 31 décembre 1960 (textes
cités dans le rapport du commissaire des Nations Unies aux plé-
biscites, doc. Al15j6, par. 91 et 93: annexe j) ;dans ce communiqué
le Gouvernement camerounais constatait que, contrairement à la
résolution 1473. la séparation administrative du Cameroun septen-
trional d'avec la Nigéria n'avait pas étéréaliséele leioctobre 1960
et Kregrettait 11que e l'.4utorité administrante n'ait pas conduit
les peuples de la régionseptentrionale ...à la capacité de s'adminis-
trer eux-mêmes commele prévoit l'alinéa b) de l'article 76 de la
Charte des Nations Unies, et ce, surtout, pour n'avoir pas crééune
Chambre locale des représentants et un Gouvernement local res-
ponsable des intérétsde cette partie du Territoire II.
Le Gouvernement camerounais ne pense cependant pas que l'on
puisse faire remonter la naissance du différend ni au débat du
g décembre 1960 ni au communiqué du 31 décembre 1960. Les
points de vue des deux Gouvernements se trouvent exposés de
façon encore très fragmentaire et ne sont pas étayésjuridiquement;
la lecture de ces documents montre au surplus que les vues des
deux Gouvernements sont exprimées en quelque sorte incidemment
et non pour elles-mêmes,et qu'elles constituent des obiter dicta
au cours d'un débat dont l'objet direct n'étaitpasd'exposer lester-
mes d'un différend international.
La naissance du différend sesitue un peii plus tard. C'est en effet
dans les semaines et les jours qui précédèrentle plébiscite des rr
et 12 février 1961 que se révélèrentavec toute leur ampleur les
conséquences de l'administration du Cameroun septentrional par
le Royaume-Uni. L'absence d'une vie politique propre dans cette
partie du territoire sous tutelle, son intkgration dans la partie
Nord de la Nigéria,le maintien en fonctions, mêmeaprès le xer octo-
bre 1960, du personnel nigérien sous le prétexte - très révélateur
de l'état du territoire - que l'on ne pouvait trouver sur place du
personnel compétent en nombre suffisant, les mille et une ingérences
des autorités nigériennes oii pro-nigériennes, les brimades et
rebuffades infligéesaux personnalités ou aux partis favorables à
l'union avec la République du Cameroun: autant d'élémentsqui
ne se sont trouvés réunisque dans les premiers mois de l'année1961.
Ilès le 14 février 1961 le représentant permanent du Cameroun
auprès de l'organisation des Nations Unies adressa au Secrétaire
généralun télégrammefaisant état de diverses irrégularités rele-
véesau cours du plébiscite, protestant contre la violation par l'au-
torité administrante de la résolution 1473 et exprimant les réserves
les plus formelles du Gouvernernent camerounais sur les résultats
du scrutin; le représentant du Cameroiin demandait au Secrétaire
généralde considérer cette protestation comme un document des
Nations Unies et d'en assurer la diffusion parmi tous les Etats226 ChZlEROUN SEPTESTRIOSAL
membres (annexe IO, p. 2. - cf. le télégramme adresséau Secré-
taire généralen date du rg février 1961: ibid.).
Mais I'espressioii officielle et complète des vues du Gouveriie-
ment camerounais ne fut gu&refournie que par la distribution aux
membres de 1'Asseniblécgénérale,à la fin de mars 1961, du Livre
blanc intitulé aLa position de la République du Canieroun à
la suite du plébiscite desII et 12 février1961 dans la partie septen-
trionale du Cameroun sous administration du Royaume-Uni de
Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord >(annexe 6). Cet iml~ortaiit
document, éditépar le ministère des Affaires étrangères ct le
secrétariat à 1'Informatioii de la République du Cameroun,
comporte un exposé détail16des thèses camerouiiaises et des motifs
juridiques sur lesquels elles s'appuient. A cette brochure le Gouver-
nement du Royaume-Uni répondit par une lettre en date du IO
avril 1961 adresséeau président de la Quatrième Commission par le
représentant du Royaume-Uni à cette comniission et coiitcnant
les observations du Royaume-Uni sur la brochure de la République
du Cameroun (doc. A/C.q/47g: annexe IO, p. 4). Si la Cour veut
bien se référerau Livre blanc camerounais et aux observations
britanniques, elle constatera que ces deux documents expriment,
pour la première fois, les jmints de vue complets des deus I'arties
et définissent l'objet du différend tel qu'il se trouve souinis à la
Cour.
Les thèses des deux Gouvernemeiits furent à iiouveau exposées
au cours des débats des Nations Unies consécutifs aux p1Cbiscites
dans les deux parties du Cameroun. Dans une longue déclaration
devant la QuatriErne Commission, en date du 13 avril 1961, le
ministre des Affaires étraiigères du Cameroun expliqua de façon
détailléeque la politique suivie par le Royaume-Uni à l'égard du
Cameroun septentrional l'avait étéen violatioii des dispositions
de l'accord de tutelle - le ministrecita les articles j, 6, 7 etIO-
ainsi que de l'article 76 de la Charte et des résolutioiis de l'tlssein-
blée généraleauxquels l'accord se réfère(doc. A/C. 41484: annee
7).De nouveaux échanges de vues eurent lieu au cours du débat
à l'Assemblée généraledu 21 avril 1961; au cours de ce débat le
représentant du Royaume-Uiii déclara que les délégations britan-
nique et camerounaise a ont eu des différends et des discussions
au cours de ces dcux derniEres semaines >i(doc. A/PV.ggq, 11.101:
annexe 9).
Enfin, la négociation s'acheva par l'échange de notes en date
des ler et 28 mai 1961 (annexes nos Iet z au ménioire), qui confir-
me et précisel'objet du différend entre les deux Etats.
Ainsi se trouve démontré,si besoin en était, que le différendentre
la République du Cameroun et le Royaume-Uni a pris corps en
mars-avril 1961. Ce n'est qu'j cette date que, pour reprendre les
termes de l'arrét rendu dans l'affaire duDroi tefiassage, «tous les
élémentsconstitutifs du différend ont existé 11Les divers éléments
du différend, tels qu'ils se trouvent énumérés à la page 18 de la OBSERYATIOSS ET COXCLUSIOSS DU CAXEROUN 227
requbte, forment un tout indivisible, résultant d'un processus histo-
rique, et qui n'a étéentièrement constitué que dans les premiers
mois de l'année1961. D'autre part, ce n'est qu'à cette époqueque
les deux Parties ont expriméune a opinion définitiveodonnant corps
au différend.
En résumé,s'ilest permis de citer uiie nouvelle fois l'arrétrelatif
au Droit de passage, on peut dire qu'avant le 20 septembre 1960
nquelques incidents s'étaientproduits, niais sans amener les Parties
à prendre des positions de droit nettement définieset s'opposant
l'une à l'autre. L'r opposition de thèses juridiques»entre Parties,
que la Cour perniauente de Justice internationale. en l'affaire des
ConcessionsMavrommatisenPalestine, fait entrer dans sa définition
du différend.ne s'était pas encore produite (C.I.J. Reczreil1960,
p. 34). La date de naissance du différend est donc postérieure i
l'admission du Cameroun aux Xations Unies.
Quant aux faits et situations qui ont menéau différend, on ré-
pète que leur date était en l'espèce iiidifférentepour la détermina-
tion de la compétence dela Cour. Toutefois, s'il était exigéque ces
faits et situations fussent postérieurs au20 septembre 1960, date
de l'admission de la République du Cameroun aux Nations Unies,
cette condition serait également remplie.
D'une part, en effet, la situation antérieure à l'accession de la
Nigéria à l'indépendance a existéau moins du zo septembre au
leroctobre 1960. Non seulement la situation antérieure s'est main-
tenue pendant ces dix jours, mais des faits très graves se sont pro-
duits entre le20 septembre et le octobre 1960. C'est ainsi que le
Daily Times du 27 septembre 1960 annonçait la nomination dans
le secteur de Dikwa de six nouveaux chefs dedistrict pro-nigériens.
De mème c'est par un arrêtédu Gouvernement de la Nigéria du
Nord publié au journal officiel i Kaduna le 28 septembre 1960
que fut expulsé de la région de Gwaza le Galadima de Gwaza,
partisan affirméde la réunion detoutes les fractions de l'ancienne
colonie allemandedu Cameroun.
D'autre part, c'est dans la période postérieure au octobre
1960 que se sont produits de nombreux événements parmi ceux
qui ont mené au différend: non-exécution dela résolution 1473,
(inigérianisation» de fait maintenue, ingérences, pressions et
brimades, déroulement des opérations du plébiscite - ces événe-
ments formant eux-mêmesla résultante et le point d'aboutissement
de la division du territoire en deux parties, du démantèlementdu
Cameroun septentrional en trois parties rattachées à trois provinces
nigériennes, de l'absence de personnalité politique du Cameroun
septentrional, de l'analphabétisme et de l'état de sous-développe-
ment de cette partie du territoire.
Dans l'affaire du Droit de Passage. la Cour a déclaré: CIc'est de
cet ensemble qu'est néle différendsoumis à la Cour; c'est cet en-
semble que concerne le différend. Cet ensemble, quelle que soit
l'origine ancienne de l'une de ses parties, n'a existéqu'après le
16228 CAMEROUS SEPTENTRIONAL
5 février 19-30 u (c.I.J.Recueil 1960, p. 35): en remplaçant la
date citéepar celle du 20 septembre 1960, les termes employéspar
la Cour peuvent ètre appliqués intégralement au présent litige.
En conclusion, la République du Cameroun demande à la Cour
de rejeter l'argument rntionetemporis soulevépar le Royaume-Uni.
TroisiPme branche de l'exception d'incompétence soulevéepar le
Gouvernement du Royaume-Uni: la République du Cameroun
«ne poursuit aucun recours)), <<nerecherche pas une décision quel-
conque de la Cour», mais vise <<à obtenir de la Cour un avis
consultatif sur l'exécution de l'accord de tutelle* (par. 35 du
contre-mémoire).
La thèse du Gouvernement britannique s'appuie sur deux élé-
ments: d'une part deux phrases du mémoire canierounais, d'autre
part le libellédes conclusions du Gouvernement camerounais.
Les deux phrases en cause sont ainsi rédigées (p. 27 du mémoire):
i... c'est uniquement sur la base du droit qu'entend se placer le
Gouvernement camerounais D;
«Le Gouvernement du Cameroun entend seulement demander
la Cour dedire le droit, sans rien de plus.
Le Gouvernement du Royaume-Uni conclut de ces phrases que
IIla République du Cameroun ne recherche pas une décision quel-
conque de la Cour, mais simplement l'énoncédu droit II.
Si l'on se reporte au passage incriminé, on constatera aisément à
quel point le coutre-mémoire britannique a mal interprété les
phrases citées.Celles-ci font manifestement allusion àla distinction
entre ce que la Cour appellera en 1962 la isurveillance administra-
tive »et ce qu'elle qualifiera deKprotectioii judiciaire»;le Gouver-
nement camerounais y souligne qu'il demande à la Cour de se
prononcer en droit sur un différend qui l'oppose au Royaume-Uni,
alors que l'Assemblée générale a pris position sur le seul plan
politique. Le passage incriminé n'a donc rien à voir avec l'énoncé
de l'objet de la demandedans les conclusionsdu Cameroun. Il est sin-
gulier au demeurant de faire grief au Gouvernement camerounais
de demander à la Cour, aorgane judiciaire principal des Nations
Unies (art. 92dr la Charte), de dire le droit. Le reproche est d'au-
tant plus inattendu que, on l'a ru, le Royaume-Uni allègue en
mêmetemps que seules des questions de fait ont étéposéesdans la
présente affaire par le Cameroun.
En second lieu, le Royaume-Uni reproche aux conclusions du
Gouvernement de la République du Cameroun de ne viser à aucune
décision mais de cchercher à obtenir un avis consultatif sous le
masque d'un jugement déclaratoire 11.
Le Gouvernement de la République du Cameroun ne saurait
accepter une telle assertion. Sans doute certaines des questions sou-
levées auraient-elles pu faire l'objet d'une demande d'avis de la
part du Conseil de tutclle conformément i la résolution 224 (III) OBSERVATIONS ET COXCLUSIOSS DU CAnlEROUX 229
de l'Assemblée générale(annexe V (5) au contre-mémoire); niais
il est hors de doute que la République du Cameroun n'a pas qualité
pour solliciter la délivrance d'un tel avis. En I'espbcec'est la mise
en Œuvre de la compétence contentieuse de la Cour qui est deman-
dée.Le Cameroun s'appuie sur l'article 36 (1) du Statut de la Cour
et l'article19 de l'accord de tutelle pour solliciter de la Cour une
solution an différend qui l'oppose ail Royaume-Uni. Ce n'est pas
un avis sur une question juridique abstraite qui est demandé à
la Cour, mais une décisionappelée à trancher, avec force de chose
jugée, le différend précis qui s'est élevéentre le Royaume-Uni et
la République du Cameroun quant à l'interprétation et à I'applica-
tion de l'accord de tutelle. Certes est-ce sur la base du droit -
c'est-à-dire de la Charte et de l'accord de tutelle - que la Cour
est invitée à trancher le différend: mais on ne voit pas comment
il pourrait en être autrement.
Si l'on comprend bien l'argumentation du Royaume-Uni, ce
dernier fait grief aux conclusions de la République du Cameroun
de se borner àdemander à la Cour de a dire et jugeri)que le Royau-
me-Uni n'a pas respecté certaines de ses obligations, sans deman-
der quelque condamnation que ce soit du Royaume-Uni.
Le Gouvernement camerounais se propose d'établir que I'objec-
tion du Royaume-Uni va à l'encontre d'une jurisprudence bien
établie de la Cour et est dénuéede tout fondement.
La Cour s'est en effet toujours reconnue compétente pour pro-
noncer un jugement qui, se limitant à certains aspectsdu différend,
dise le droit sans en tirer toutes les conséquences pratiques.
L'un des exemples les plus célclbresest fourni par l'affaire relative
à Certains intérétsallemands en Haute-Silésiepolonaise. L'article 23
de la convention de Genèvede 1922 entre la Pologne et l'Allemagne
stipulait que la Cour permanente scrait cornpéterite en cas de
divergence d'opinion relative à l'interprétation et à l'application
de certains articles du traité. Le Gouvernement polonais ayant
pris certaines mesures à l'égard de biens, droits et intérêtsalle-
mands en Haute-Silésie polonaise, le Gouvernement allemand,
s'appuyant sur l'article 23, demanda à la Cour de Kdire et juger 1)
que l'attitude du Gouvernement polonais an'était pas conforme 11
à la convention de Genève (C.P.J. I.,sérieA no 7, p. 12).A cette
demande la Pologne opposait, entre autres, que .le caractère
abstrait de la décisiondemandée ne serait guère compatible avec
l'article59 du Statut de la Cour » (ibid., p. 16). A cette objection,
la Cour permanente répondit dans les termes suivants:
nPour ce qui concerneenfinl'objection tiréedu caractkre abstrait
de la question.. elle n'est pas non plus fondé...Des stipulations
nombreuses prévoient la juridiction obligatoire de la Cour pour
les questions d'interprétation et d'application d'un trait&, et ces
clauses, parmi lesquellesse trouve l'article de la Conventionde
Genève, semblent viser aussi des interprétations indépendantes
d'applications concrètes.Ilne manque d'ailleurs pasde clauses qui230 CA>IEROUS SEPTESTRIOSAL
parlent uniquement de l'interprétation d'un traité; c'est le cas,
par exemple,de la lettre a de l'aliné2 de l'article 36du Statut de la
Cour. On ne voit pas pourquoi les Etats ne pourraient pas demander
la Cour de donner une interprétation abstraite d'une convention;
il semble plutôt que c'est une des fonctions les plus importantes
qu'elle peut remplir. En fait, elle a déjàeu l'occasionde la remplir
par son Arrêt no 3.
L'article 59 du Statut ... n'exlut pas les jugements $uremenl
déclaratoires.Son but est seulement d'éviter que des principes
juridiques admis par la Cour dans une affaire déterminée.soient
obligatoires pour d'autres Etats ou d'autres litiges. Il y a lieu, par
contre, de rappeler que la possibilitéde jugements ayant un effet
purement déclaratifest prévue, à part l'article 36 déjàmentionné.
à l'article 63 du Statut» (Haute-Silésiepolonaise, C.P. J.I.sérieA
no7.p. 18-19).
Conformément à ces vues, le dispositif de l'arrêt estainsi rédigé:
<La Cour .. . décideet juge: 1) que l'application [de la loi polo-
naise de 19221eu Haute-Silésie polonaise...constitue ..une mesure
contraire aux articles 6 et suivants de cette Convention; 2) que
l'attitude du Gouvernement polonais ...n'était pas conforme aux
dispositions des articles et suivants de la Convention de Genève...
(ibid., p. 81).
Comme on le voit, la Cour s'appuie sur les articles 63 et 36 (2)
(a) du Statut de la Cour. L'article 63 permet l'intervention d'autres
Etats que les Parties en litige dès lors qu'«il s'agit de l'interpréta-
tion d'une convention ».Quant à l'article 36 (2). si sa lettre dcon-
cerne les différends ayant pour objet la nature et l'étendue d'une
réparation, - c'est-à-dire une condamnation, - la lettre a (et la
chose est vraie également des lettres b et c) prévoit expressé-
ment la compétence de la Cour pour les différends ayant un objet
autre qu'une condamnation, à savoir: l'interprétation d'un traité,
tout point de droit international, ou enfin la réalitéde tout fait
qui, s'il était établi, constituerait la violation d'un engagement
international. Certes l'article 36 (2) est-il relatifà la compétence
de la Cour dans le cadre de la clause facultative; mais si le juge-
ment déclaratoire est possible dans ce cadre particulier, il l'est a
fortiori dans le cadre plus généralde l'article 36 (1). Au surplus,
c'est à propos d'une compétence fondée sur un traité - donc
dans le cadre de l'article 36 (1) - que la Cour a énoncéles proposi-
tions que l'on vient de citer.
Les prolongements de l'arrêtno 7 ne sont pas moins intéressants
pour la présente affaire que l'arrêtlui-même. A la suite de ce der-
nier, la Pologne et l'Allemagne engagèrent des négociations en vue
de déterminer la réparation due à l'Allemagne en raison de la
violation par la Pologne de ses obligations internationales. Ces
négociations ayant échoué,l'Allemagne, se fondant à nouveau sur
l'article 23 de la convention de Genève, demanda à la Cour per-
manente de statuer sur cette question. La Pologne soutint que OBSERVATIOSS ET COSCLUSIOSS DU CA>IEROUS 231
l'article 23, qui prévoyait la compétence de la Cour pour les diver-
gences d'opinions relatives à l'interprétation et à l'application de
la convention, ne pouvait être étendu à un différend concernant
la réparation rfclamée par l'une des Parties en raison de la violation
de certaines de ses obligations par l'autre Partie. Rejetant la thèse
polonaise, la Cour a affirmé, dans un passage souvent citb, que:
«C'est un principe de droit international que la violation d'un
engayement entraine l'obligation deréparerdans uneformeadéquate.
La reparation est donc le complément indispensable d'un manque-
ment à l'application d'une convention. sans qu'il soit nécessaire
que cela soit inscrit dans la conventionmtme 1,(Usine de Chorzdw
(compéte~~ce C)..P.J.I. sérieA nog, p. 21).
Elle ajouta qu'une décision concernant l'existence d'une vio-
lation d'une convention étant plus importante qu'une décision
concernant la réparation due en cas de manquement, il serait
difficile de comprendre que, ayant compétence pour prendre
celle-Ià, elle ne l'ait pas pour prendre celle-ci (ibid., p. 23).
Par ailleurs, en raison également des difficultéssurgies entre les
Gouvernements allemand et polonais à la suite de l'arrêt no 7,
le Gouvernement allemand demanda à la Cour, en vertu de l'ar-
ticle 60 du Statut de la Cour, de procéder à l'interprétation de cette
sentence. La Cour eut ainsi I'occasioii de compléter sa théorie du
jugement déclaratoire:
«Ainsi qu'il a étérappelé ci-dessus, la Cour a, par ledit arrêt
de I'Oberschlesische n'était pas conforme aux dispositions de lais
Convention de Genève. Cettc concl~ision oui est maintenant. sans
suiitcstc. [i.,ish:cii iorx Je clioic ]ug;e. r~posai1,Cnrre:iurrç>.<l'uni:
part, ciir Incoiisr:ir;i~II':Ip~lnt dc \.II011cIr<~~iilr>rnationiille
C;uii\,eriic.ni:illi.iii:ivnitI>icnIcclrolrd';ili;iit.r I'desClior-
zbw,et,d'autrepart, sur la constatation qu'au point de vue du droit
civil. I'Oberschlesische avait valablenient acquis le droit de p~o-
priétésur l'usine - constatations qui constituent une condition
absolue de la décisionde la Cour. La constatation suivant laquelle,
au point de vue du droit civil, l'usine appartenàiI'Oberschlesische
fait, par conséquent, partie des points que I'Arrêtn" 7 a tranchés
avec force obligatoire aux termes de l'article du Statut ...
L'Arrêt no7 de la Cour est de la naturc d'un jugementdéclaratoire
qui, selon son idce, est destànfaim reconnaifreunesituationdedroit
unefois pour touteset aveceffet obligatoire entre les Parties, en sorte
que la situation juridique ainsi fixéene puisse plus êtremise en dis-
cussion, pour cequi est des conséquencesjuridiquesquien découlent »
(Interprétationdes Arrétsnm7 et 8.C.P.J.I. sérieA no 13, p. 20).
11ressort de ces divers arrêts que la Cour permanente a expres-
sément accepté de se prononcer sur des conclusions lui demandant
de dire et juger qu'un Etat n'a pas respecté certaines obligations
lui incombant en vertu d'un traité. La Cour n'a pas estimé qu'elle
se livraitlà à une tâche abstraite et sans utilité. Non seulement,232 CAMEROU': SEPTESTRIOS.AL
en disarit le droit à propos d'un différend concret, permet-eue
aux Parties de tirer les coriséquences qu'eues estimeraient devoir
découler de cette déclaration, mais les motifs sur lesquels cette
déclaration est fondée constituent autant de oconstatations ii
revetues elles-mêmesde la a force obligatoire » et destinées à ce
titre à inspirer, autant que le dispositif proprement dit, l'attitude
ultérieure des Parties. L'absence d'une demande concrète de con-
damnation, réparation ou injonction ne fait donc pas obstacle à
la compétence de la Cour. Bien au contraire, la Cour a souligné,
on l'a vu, que, lorsqu'un traité lui donne compétence pour statuer
sur les différendsrelatifsà son interprétation ou à son applicatioii,
c'est sa compétence pour dire si une interprétation ou une applica-
tion ont étéconformes au traité qiii est la compétence première,
celle pour prononcer une condamnation n'étant qu'une compétence
dérivée.
1.a jiirispruderice ultérieure n'a pas démeiitiles principes ainsi po-
sés.Dans l'affaire de l'Interprétationdu statut du Territoire deMe~nel,
la Cour permanente n'a pas accepté le point de vue du juge
Anzilotti d'aprèslcquel laCour aurait dû déclinersa compétence en
raison de ce que les conclusions ne comportaient aucune réclama-
tion concrkte (C.P.J.I. shie A/B ?zO 49, p. 311-312 et 349). Quelques
années auparavant, dans l'affaire du Lotz~s,la Cour permanente
avait déclaré,reprenant les termes de la question qui lui avait
étéposée,qu'en exerçant des poursuites contre un citoyen français
à la suite d'une collision survenue en haute mer, la Turquie .n'a
pas agi en contradiction avec les principes du droit internationl i)
(C.P.J.I. sérieA ?zo IO, p. 32).
Iles exemples peuvent égalementêtrerelevésdans la jurispruden-
ce de la Cour internationale de Justice.
C'est ainsi que, dans la dernière partie du dispositif, adoptée à
l'unaiiimité, de l'arrêt rendu dans l'affaire du Détroitde Cor/oz~.la
Cour
iiDit que ... le Royaume-Uni û violéla souverainetéde la Répu-
bliqiie populaired'Albanie,cette constatation par 1aCourconstitu:int
enelle-ménie une satisfactioiiapproprié»(C.I.J. Recueil1949p,. 36).
De même, dans l'affaire des Péclievies,la Cour seborne àdéclarcr,
dans le dispositif de l'arrêt, «que la méthode employée pour la
délimitation de la zone de pêchepar le décret royal norvégien du
12 juillet 1935 n'est pas contraire au droit international ... que
les lignes de base fixéespar ledit dkcret en application de cette
métliodc rie sont pas contraires au droit international r (C.I.J.
Reczieil1951, 11.143).
Un exemple plus éloquent encore est fourni par l'affaire Huyn de
la Torre. Ilans le dispositif de son arrêtdu 20 novembre 1950 dans
l'affaire du Droit d'asile, la Cour avait «dit que l'octroi de l'asile
par le Gouvernement de la Colombie à Victor Raiil Haya de la
Torre n'a pas été faiten conformité de l'article 2, par. 2, npremiè- OBSERVATIOSS ET COSCLUSIOSS DU CA31EROUN 233
rement 1)de ladite convention [de La Havane] a,reprenant ainsi les
termes mênies de la conclusion présentée par le Pérou dans le
cadre de sa demande reconve~itionnelle. Des difficultés s'étant
élevéespour l'éxécutionde cet arrêt,la Cour fut priéepar les deux
Etats de 1dire de quelle manière doit etre exécuté... l'arrêt du
20 novenihre 1950 >iLa Cour répoiiclit dans les termes suivants:
« La Cour rappelle que ledit arrêt s'estbornà définir..les rap-
povts, de droit que la Convention de La Havane avait établis entre
Parties.II +cecomporteaucuizei+cjonctio+azux Parties et n'entraîne
pour celles-cique l'obligation des'y conformer (Haya de la Torre.
C.IJ. Keci6eiIgjï, p. 79).
Elle ajoute qu'il ne lui appartenait pas de choisir aentre les
diverses voies par lesquelles l'asile peut prendre fin D,car «ces
voies sont conditionnées par des élémentsde fait et par des possi-
bilités que, dans une très large mesure, lcs Parties sont seules en
situation d'apprécier. Un choix eritrc ellesnepourrait êtrefondésur
des considérations juridiques, mais seulenient sur desconsidérations
de nature pratiqueou d'opportunité politique; ilne rentre pasdansla
fonction judiciaire de la Cour n(ibid .a).Cour précisa en consé-
quence qii'<iil n'est donc pas possible de déduire de l'arrèt du
20 novembre une conclusion quelcoiique relative à l'existence ou à
l'inexistence d'une obligation de remettre le réfugié a et refusa de
Y donner effet )aus conclusions prbsentées par les deux Gouverne-
ments (ibid )lrésulte clairement de cette décision - adoptée à
I'iinanimité- que la Cour est compéteritepour a définirdes rapports
de droit » sans en tirer elle-mêmeaucune conséquence pratique,
ce soin étant laissé aux Partics coinptc tenu des a considérations
de nature pratique ou d'opportunitk politique n.Le passage final
de l'arrêtconfirme ce point de vue en des termes dignes de retenir
l'attention:
<Ayaiit ainsi défini.conformémentà laConventiondeLa Havane,
les rapports de droit entre Parties relativement aux questions qui
lui ont étésoumises, la Cour a rempli sa mission. Elle ne saurait
donner aiiciin conseilpratique qiiaiit aux voiesqu'il conviendraitde
suivre pour mettrefin àl'asile, car,ce faisant, ellesortirait diicadre
dc sa fonction judiciaire(p. 83).
On voit ainsi que la notion de jugement déclaratoire est reçue
depuis longtenips dans la jurisl~rudencc de la Cour. Sans doute
sir Hersch Lauterpacht indique-t-il que la procédure du jugement
déclaratoire ne doit pas êtreutilisée envue de demander à la Cour,
fût-ce d'un commun accord des L'arties, un avis consultatif(O$.
cit., p. 250). Mais il ajoute aussitôt -etle contre-mémoire britan-
nique omet là l'essentiel du développement de l'auteur - que la
Cour accepte sans difficulté de prononcer des jugements tléçlara-
toires, sous la seule réserve que la Cour .refusera de répondre à
des questions abstraites et que tout jugement déclaratoire doit
se rapporter à une controverse relative àl'interprétation d'une clause234 CAhlEROUN SEPTENTRIONAL
douteuse d'un traité daris le cas où l'interprétation litigieuse a
conduit, ou a des chances de conduire, à des actes prétendus
illégaux » (the Court « will decline to answer abstract questions and
any declaratory judgment must refer to a controversy relating to
the interpretation of a disputed clause of a treaty in cases where
the disputed interpretation has resulted or is likely to result in
acts alleged to be illegal »)(p. 251). De façon similaire. BI.Rosenne
écrit,dans son ouvrage sur The I?cternatio?taC l ourtof Justice (1957,
p. 82), que la Cour peut prononcer un jugement qui déclarequ'une
action ou une attitude d'un Etat a étéo , u n'a pas été,en confor-
mitéavec le droit international (aNot every declaratory judgment
is executory, that is to say when the judgment states that an
action or an attitude of a State was or \vas not in conformity with
international la\v »).
Tels étant les principes, rien ne fait obstacle à la compétencede
la Cour pour se prononcer sur les conclusions de la requêteet du
mémoire. Pour reprendre la formule de Lauterpacht, la demande
camerounaise se réfère bienà une controverse relative à l'interpré-
tation d'une stipulation dont il est résultédes actes que le Gouver-
nement camerounais considère comme illégaux; la question n'a
pas étéposéeà la Cour in abstracto,mais à l'occasion d'un différend
précis.On notera en outre que le titre de compétencede la Cour est
rédigé endes termes qui rappeUent de près ceux sur lesquels la
Cour permanente a eu à se prononcer dans son arrêtno 7: comme
l'article 23 de la convention de Genève, l'article 19 de l'accord de
tutelle, pour définir lacompétencede la Cour, parle des différends
relatifsà l'interprétation et/ou à l'application de l'accord. Or, on
l'a vu, la Cour a estimé que, dans le cadre d'une telle clause, la
mission consistant à dire si une interprétation ou une application
du traité est conforme à ce dernier est plus importante que celle
consistant à prononcer une condamnation. une inionction ou une
rCparatii>ii.la SCCUIILC Iran1 ~iiiiplc.iiieiitiricliir-edans la prcniitlr~.
et n'(.ta11(luiici;inihisexcl~iii\.edc cc.llc-ci.1.:1figrr---'~~~-.---ti
est en tout état de cause suffisammeiit large pour que la compé-
tence de la Cour ne se limite pas aux seules conclusions tendant à
une réparation, une interdiction ou une injonction et que l'on
puisse tout aussi bien demander à la Cour de trancher un différend
portant sur l'interprétation d'une disposition de l'accord ou de
dire que l'autorité chargée de l'administration a mal appliqué
ou n'a pas appliquél'accord.
Lorsqu'un Etat agit devant la Cour sur le fondement d'une dis-
position du genre de celle de l'article 19 de l'accord de tutelle
pour le Cameroun sous administration britannique, il peut sans
doute, dans certains cas, demander à la Cour,outrelaconstatation
qu'une violation de l'accord de tutelle a étécommise, de déclarer
que la Puissance administrante a le devoir de mettre fin à cette
violation: ainsi, dans les affaires du Sud-Ozrestafricai?~I,'Ethiopie et
le Libériaont demandé à la Cour, dans leurs conclusions, à la fois OBSERYATIOSS ET COSCLUSIOSS DU CAhlEROUN
235
que la Cour constate certaines violations (politique d'apartheid,
absence d'envoi de rapports annuels, non-transmission de pétitions,
etc.) et qu'elle diseque l'Union sud-africaine a le dcvoir d'y mettre
un terme. Mais il ne peut en etre ainsi que lorsqu'il s'agit de ce
que l'on pourrait appeler une aviolation continue il,susceptible
d'êtreinterrompue à la suite de l'arrêtde la Cour. Lorsque, en
revanche, la violation de l'accord a été définitivementconsommée
et qu'il est matériellement impossible de revenir sur le passé,
1'Etat requérant ne peut plus demander à !a Cour que la constata-
tion, avec force de chose jugée,que l'accord de tutelle n'a pas été
respectépar la Puissance adrninistrante.
En l'espèce, les violations invoquées ont été,définitivement
consommées,et la République du Cameroun ne peut demander une
vestitz~tioil^integrwn tendant à ce que l'union avec la Nigériaet la
division du territoire n'aient pas eu lieu, ou que les objectifs
prévus à l'article 6 de l'accord aient été atteints, ou que la résolu-
tion 1473ait étérespectée;ellene peut demander que la constatation
par la Cour des violations de l'accord de tutelle commises pa?
l'autorité administrante. Dénierce droit à la République du Came-
roun serait vider l'articl19 de sa valeur pratique. Si l'on objectait
que les Membres ne doivent pas attendre que la violation soit
consomméepour agir devant la Cour, on rétorquerait qii'en l'es-
pèceil était impossible à la République du Cameroun d'agir avant
d'étreadmise aux Nations Unies en septembre 1960, quelques mois
après son accession à l'indépendance; ce serait amputer gravement
les attributs attachés à la qualité de Membre des Nations Unies
que de refuser aux nouveaux Etats, récemmentadmisauxNations
Unies, la possibilitéde faire constater par la Cour, à l'occasion d'un
différendavec une Puissance administrante. que celle-ci a méconnu
certaines obligations découlant de l'accord de tutelle auquel elle a
étépartie.
Pour les motifs sus-énoncés, laRépublique du Cameroun estime
que l'article19 de l'accord de tutelle donne compétence à la Cour
pour connaître du différendqui lui a étésoumis. Elle conclut au
rejet de l'exception d'incompétencesoulevéepar le Royaume-Uni. CAYEROUS SEPTENTRIOSAL
Au paragraphe 37 de son contre-mémoire, le Gouvernement du
Royaume-Uni allègue que la requête et le mémoire déposéspar le
Gouvernement du Cameroun ne satisfont pas aux exigences de
l'article32 (2)du Règlement dc la Cour.
Cette disposition est ainsi rédigée:
aLorsqu'une affaire est portéedevant la Cour par une requête,
celle-c...doit indiquer la partie requérante et la partie contre
laquelle la demande est formée,ainsi que l'objet du différend. Elle
contiendra en outre, autant que possible,la mention de la disposition
- par laquelle le requérant prétend établirla compétencede la Cour;
l'indication précisede l'objet de la demande; un exposé succinct
des faits et des motifs par lesquels la demande est prétendue justi-
fiée,sous réservedes développemcnts à fournir dans le mémoireet
des prcuves qui y seroiit annexées.ii
On remarquera en premier lieu que ce texte comportc deus séries
distinctes de dispositions. S'il exige de façon impérative que la
requête indique Ics parties et l'objet du différend, il lie requiert les
autiç; nientions qu'« autant que possible B.Cesderniers motss'appli-
quent en effet à tous les éléments de l'énumération, et pas seule-
ment au premier d'entre eus: ccla ri.sulte, d'uiie part, du sens
~iaturel ct de la ponctuation du teste français, et, d'autre part, de
la rédaction anglaise, qui phcc les mots 6as far as pssible »avant
les infinitifs objets de l'énumératioii ((It must also, as far ZE
possible, specify ... state ... and giw ..n). Si l'on ajoute que rtla
Cour, exerpnt 'une juridiction internationale, n'est pas tenue
d'attacher à des considérationsde forme la mêmeimportance qu'el-
les pourraient avoir dans le droit interne » (iMavromn~n!is C..P.J.I.,
sérierl ?zo2, 11.34). on admettra que les règles posées par la SC-
coiide phrase de l'article 32 (2) doivent êtreappliquées avec sou-
plesse et sans formalisme exagéré.
Cette observation, la République du Cameroun iie la fait pas
pour esci;ser un quelconque vice des pièces qu'elle a déposéesde-
vant la Cour, mais pour indiquer comment, à soi1avis, il convient
d'apprécier les griefs formulés par le Royaume-Uni. 1-e Gouverne-
ment cainerounais pense en effet avoir satisfait pleiiicment aux
exigences de l'article 32 (2) du Règlement de la Cour, ainsi que va
le montrer l'examen des griefs formulés par le Royaume-Uni.
En effet le Royaume-Uni invoque en premier lieu que la requête
et le niémoireconcluent àce que la Cour déclareque « le Royaume-
Uni n'a pas respecté certaines obligations i>découlant de L'accord OBSERVATIOSS ET COSCLUSIOSS DU CAllEROUS 237
de tutelle, sans pour autant spécifier quelles sont les obligations
découlant de l'accord que le Royaunie-Uni n'aurait pas res-
pectées. Ce reproche est dénué de fondement, puisque aussi
bien les conclusions du mémoire se réfèrent aux a divers points
relevés ci-dessus»,c'est-à-dire aux sept points énuméré s la page 18,
lesquels comportent précisément l'indication exacte des obligations
que le Royaunie-Uni n'a, selon la République du Cameroun, pas
respectées. C'est uniquement pour nc pas reproduire cette énuméra-
tiou in extenso que le Gouvernement can~erounais a eu recours,
dans ses conclusions, au procédédu renvoi. L'expression acertaines
obligations » bénéficied'ailleurs de la caution de la Cour, qui parle,
dans l'affaire des Traitésde paix ~preniièrefihase),des I<points de
\-ue des deux parties, quant à l'exécution ou à la non-exécution de
certaines obligations découlant des traités,) (C.I.J. Reczceil 1950.
p. 74). Toutefois, afin d'éviter toute discussion stérile sur cette
question de pure forme, le Gouvernement de la République du
Cameroun propose une légèremodification dans la rédaction de
ses conclusions; comme on le verra en se reportant à la fin du pré-
sent document, ccs conclusions énumèrent désormais les disposi-
tions de l'accord dont le demandeur invoque la violation par le
Royaume-Uni. Cette modification, il esti peirie besoin d'insister
sur ce point, ne touche eu rienà l'objet du différendni à celui de la
demande.
Eii second lieu, le Royaume-Uni fait grief aux pièces déposées par
la Répuhlique du Carneroun de ne pas indiquer les faits et motifs
par lesquels la demande est prétendue justifiée, pas plus que les
preuves sur Icsquelles elle s'appuie. Pour faire justice de cette ob-
jection, il suffit de relire les documents incriminés: on constatera
aisément que, tout au long de la requête et du mémoire,la Républi-
que du Cameroun revient à d'innombrables reprises sur la violation
par le Royriunie-Uni de l'accord de tiitcllc et de la résolution
1473de l'Assembléegénéraledes Nations Unies. Les faits et motifs
par lesquels la demande est justifiée, ainsi que les preuves sur les-
quelles elle s'appuie, sont longuement exposés. Que le Royaume-
Uni ne les considère pas comnie suffisammerit convaincants est
une chose - c'est un problème sur lecluelles Parties s'expliqueront
dans la phase de la procédure consacrée au fond; qu'il prétende
qu'ils ne sont pas indiqués du tout dans la requête et le mémoire
en est une autre, contre laquelle le Gouvernenient camerounais
est en droit dc s'élever.
En conséquence, la République du Caineroun prie la Cour de
rejeter l'exception préliminaire soulevée par le Royaume-Uni. CONCLUSIONS
En sefondant sur les observations qui précèdent,et en réservant
tous ses droits quant au fond du litige, la République fédérale du
Cameroun a l'honneur de soumettre à la Cour les conclusions sui-
vantes:
PLAISE A LA COUR:
I. Rejeter I'exception préliminaire du Royaume-Uni tendant à
ce que la Cour se déclareincompétente;
2. Rejeter I'exception préliminaire du Royaume-Uni tiriie de
l'inobservation des dispositions de l'article 32, paragraphe2,
du Réglemcnt dela Cour;
3. Dire et juger que le Royaume-Uni, dans l'interprétation et
l'application de l'accord de tutelle pour le Cameroun sous admi-
nistration britannique, n'a pas respecté certaines obligations
qui découlent directement ou indirectement dudit accord, et
notamment de ses articles 3, 5, 6 et 7.
Le 27 juin 1963,
(Sign é E. Vincent de Paul AHASDA,
Ambassadeur de la République fédé-
rale du Cameroun en Belgique,
Agent du Gouvernement de la Républi-
que fédéraledu Cameroun devant la
Cour internationale de Justice.Annexes aux observations et conclusions du Gouvernement de la Ré-
publique fédérale du Cameroun
1. Doc. TJSR. 1086: Conseil de tutelle, Doc. off., 26- session, 1086me
séance,18mai 1960.
2. Doc. TISR. 1090: Conseil de tutelle, Doc. off., 26mesession, logome
séance,23 mai 1960.
3. Doc. A/++o4: Ass. gén.,Doc. off., lgme session, suppl. no 4.
4. Doc. AJC. 4/SR. 1081: Ass. gén., rgme session, qme Commission,
compte rendu analytique de la 1081meséance, g décembre1960.
5. Doc. TJ1j56: Rapport du commissaire des Nations Unies aux
plébiscites.
6. T Livre blanc D intitulé: La position de la Républiquefédéraledu
Cameroun à la suite du plébiscite desIr et 12 février1961 dans la
partie septentrionaledu territoire du Cameroun sous administration
du Royaume-Uni de Grande-Bretagneet d'Irlande du Nord.
7.Doc. AJC.41484:Déclaration faite par le ministre des Affaires étran-
gèresde la République du Cameroun devant la Quatrième Commis-
sion lors de sa 1x41"'~séance,13 avril 1961.
8. Doc. AJC. 41485: Réponse du commissaire des Nations Unies aux
plébiscitesàunequestion poséepar le ministre des Affaires étrangères
dela Républiquedu Cameroun lorsdela 1144"'~séance delaQuatrième
Commission, le 14 avril 1961.
9. Doc. A/PV. 994: Ass. gén., lgme session, compte rendu sténogra-
phique de la 9glmCséance plénière ,1 avril 1961.
IO. Ass. Gén.,Doc. off., IÇ"'~session, annexes XV aux points 13 et 47
de l'ordre du jour.
Les documents ci-dessus ayant étépubliés,leur texte n'est pas repro-
duit ici. Le Gouvernement de la République fédéraledu Cameroun
a déposéau Greffe de la Cour un exem laire de chacune des annexes
I a 5 et 7 à IO, l'annexe 6 ayant étéBéposéeen quatre exemplaires
(deux en langue française, deux en langue anglaise).
Observations et conclusions du Gouvernement de la République Fédérale du Cameroun sur l'exception préliminaire du Gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord