COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
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Résumé
Document non officiel
Résumé 2004/1
Le 31 mars 2004
Affaire Avena et autres ressortissants mexicains
(Mexique c. Etats-Unis d’Amérique)
Résumé de l’arrêt du 31 mars 2004
Historique de la procédure et conclusions des Parties (par. 1-14)
La Cour commence par rappeler que, le 9 janvier2003, les Etats-Unis du Mexique
(dénommés ci-après le «Mexique») ont introduit une instance contre les Etats-Unis d’Amérique
(dénommés ci-après les «Etats-Unis») en raison de «violations de la conven tion de Vienne sur les
relations consulaires» du 24avril1963 (déno mmée ci-après la «convention de Vienne») qui
auraient été commises par les Etats-Unis.
Dans sa requête, le Mexique fonde la comp étence de la Cour su r le paragraphe1 de
l’article 36 du Statut de la Cour et l’article premier du protocole de signature facultative concernant
le règlement obligatoire des différends qui acco mpagne la convention de Vienne (dénommé
ci-après le «protocole de signature facultative»).
Le même jour, le Mexique a également dé posé une demande en indication de mesures
conservatoires.
Par ordonnance du 5 février 2003, la Cour a indiqué les mesures conservatoires suivantes :
«a) les Etats-Unis d’Amérique prendront toute mesure pour que MM.CésarRoberto
FierroReyna, Roberto Moreno Ramos et Osvaldo TorresAguilera ne soient pas
exécutés tant que l’arrêt définitif en la présente instance n’aura pas été rendu;
b) le Gouvernement des Etats-Unis d’Amérique portera à la connaissance de la Cour
toute mesure prise en application de la présente ordonnance».
Elle a également décidé que «jusqu’à ce que la C our rende son arrêt défini tif, elle demeurera[it]
saisie des questions» qui faisaient l’objet de cette ordonnance.
Par lettre du 2 novembre 2003, l’agent des Etats-Unis a fait savoir à la Cour que les
Etats-Unis avaient «informé de la requête du Me xique les autorités fédérées compétentes»; qu’ils
avaient, depuis le prononcé de l’ordonnance du 5 février 2003, «obtenu d’elles certaines
informations sur l’état d’avancement des cinquant e-quatre affaires, y compris les trois visées au - 2 -
paragraphe 59 I a) de cette ordonnance»; et qu’ils étaient «en mesure de confirmer qu’aucune des
personnes citées n’a[vait] été exécutée». Un mémoire du Mexique et un contre-mémoire des
Etats-Unis ont été déposés dans les délais que la Cour avait prorogés.
La Cour rappelle aussi que, dans le souci de veiller à l’égalité des Parties au cours de la
procédure, elle avait décidé de ne pas autoriser la modification par le Mexique de ses conclusions
aux fins d’y inclure deux ressortissants mexicains ad ditionnels, tout en prenant note du fait que les
Etats-Unis ne s’opposaient pas au retrait par le Mexique de sa demande de réparation concernant
deux autres cas.
La Cour ne comptant pas sur le siège de juge de nationalité mexicaine, le Mexique a désigné
M. Bernardo Sepúlveda pour siéger en qualité de juge ad hoc en l’affaire.
Des audiences publiques ont été tenues du 15 au 19 décembre 2003.
Dans la procédure orale, les conclusions finales ci-après ont été présentées par les Parties :
Au nom du Gouvernement du Mexique,
«Le Gouvernement du Mexique prie la Cour de dire et juger que :
1)en arrêtant, détenant, jugeant, déclarant coupables et condamnant les
cinquante-deux ressortissants mexicains se trouvant dans le couloir de la mort dont
les cas sont décrits dans le mémoire du Mexique, les Etats-Unis d’Amérique ont
violé leurs obligations juridiques internationales envers le Mexique agissant en son
nom propre et dans l’exercice du droit qu’a cet Etat d’assurer la protection
diplomatique de ses ressortissants par le fait qu’ils n’ont pas informé, sans retard,
les cinquante-deux ressortissants mexicains après leur arrestation du droit à la
notification et à l’accès aux autorités consulaires qui était le leur en vertu de
l’alinéa b) du paragraphe1 de l’article36 de la convention de Vienne sur les
relations consulaires, qu’ils ont privé le Mexique de son droit d’accorder sa
protection consulaire et privé les cinquan te-deux ressortissants mexicains de leur
droit de bénéficier de la protectio n que le Mexique leur aurait accordée
conformément aux alinéas a) et c) du paragraphe 1 de l’article 36 de la convention;
2) l’obligation énoncée au paragraphe1 de l’article36 de la convention de Vienne
exige qu’une notification des droits c onsulaires ait lieu et qu’une possibilité
raisonnable d’accès aux autorités consulair es soit donnée avant que les autorités
compétentes de l’Etat de résidence ne prennent aucune mesure susceptible de
porter atteinte aux droits du ressortissant étranger;
3) les Etats-Unis d’Amérique ont violé le s obligations qui leur incombent en vertu
du paragraphe2 de l’article36 de la conve ntion de Vienne en ne permettant pas
un réexamen et une revision véritables et effectifs des verdicts de culpabilité et
des peines entachées d’une violation du paragraphe1 de l’article36, en
substituant à ce réexamen et cette revisi on des procédures de grâce ainsi qu’en
appliquant la doctrine de la carence procédurale (procedural default) ou d’autres
doctrines de droit interne qui n’attachent pas de portée juridique à la violation du
paragraphe 1 de l’article 36 en tant que telle;
4) en considération des dommages qu’a s ubis le Mexique agissant en son nom
propre et dans l’exercice de la protection diplomatique de ses ressortissants, le
Mexique a droit à une réparation intégrale de ces dommages sous la forme de la
restitutio in integrum; - 3 -
5) cette restitution consiste dans l’obligation de rétablir le statu quo ante en annulant
ou en privant d’autre façon de tout effe t ou valeur les verdicts de culpabilité
rendus et les peines prononcées à l’encontre des cinquante-deux ressortissants
mexicains;
6) cette restitution comprend également l’ obligation de prendre toutes les mesures
nécessaires pour qu’une violation passée de l’article 36 n’ait pas d’incidence sur
les procédures ultérieures;
7) dans la mesure où les cinquante-deux verdicts de culpabilité ou peines ne seraient
pas annulés, les Etats-Unis d’Amérique devront assurer, par les moyens de leur
choix, un réexamen et une revision véritables et effectifs de ces verdicts et peines,
et cette obligation ne pourra être satisfaite par des pr océdures de grâce ni par
l’application d’aucune règle ou doctrine de droit interne incompatible avec le
paragraphe 3 ci-dessus; et
8) les Etats-Unis d’Amérique devront cesser leurs violations de l’article36 de la
convention de Vienne à l’égard du Mexique et de ses cinquante-deux
ressortissants et devront fournir des garanties et assurances appropriées qu’ils
prendront des mesures suffisantes pour faire plus largement respecter le
paragraphe 1 de l’article 36 et assurer le respect du paragraphe 2.»
Au nom du Gouvernement des Etats-Unis,
«Sur la base des faits et des moyens exposés par les Etats-Unis dans leur
contre-mémoire et au cours de la présente procédure, le Gouvernement des Etats-Unis
d’Amérique prie la Cour, en tenant compte du fait que les Etats-Unis se sont
comportés de façon conforme à l’arrêt qu ’a rendu la Cour dans l’affaire LaGrand
(Allemagne c. Etats-Unis d’Amérique) , non seulement en ce qui concerne des
ressortissants allemands mais également, dans la ligne de la déclaration faite par le
président de la Cour en cette affaire, en ce qui concerne tous les ressortissants
étrangers détenus, de dire et juger que les demandes des Etats-Unis du Mexique sont
rejetées.»
Enfin, la Cour donne une brève description du différend et des faits sur lesquels repose
l’affaire.
Objection opposée par le Mexique aux exceptions d’incompétence et d’irrecevabilité soulevées par
les Etats-Unis (par. 22-25)
La Cour note dès le départ que les Etats-Unis ont soulevé plusieurs exceptions à la
compétence de la Cour ainsi qu’à la recevab ilité des demandes du Mexique; et que ce dernier
plaide cependant que les exceptions des Etats-Unis sont toutes irrecevables au motif qu’elles ont
été présentées après l’expiration du délai prévu dans le Règlement de la Cour, tel que modifié
en 2000.
La Cour relève toutefois que l’article79 du Règlement concerne seulement les exceptions
préliminaires, qu’une exception qui n’est pas soul evée sous la forme d’une exception préliminaire,
conformément au paragraphe1 de l’article79, ne devient pas pour autant irrecevable; qu’il est
certes des circonstances dans lesquelles la partie qui s’abstient de soulever une exception
d’incompétence pourrait être considérée comme ay ant accepté cette compétence; que, toutefois,
hors de cette hypothèse, une partie qui n’use pas de la procédure prévue à l’article79 perd sans
doute le droit d’obtenir la suspension de la procédure sur le fond, mais n’en peut pas moins faire
valoir cette exception en même temps que ses arguments au fond. La Cour dit que c’est - 4 -
précisément ce que les Etats-Unis ont fait en l’espèce; et qu’il est possible que, pour les motifs
exposés plus loin, bon nombre des exceptions qu’ ils ont soulevées devaient, en raison de leur
nature, être examinées en même temps que les arguments sur le fond. La Cour en conclut qu’elle ne
doit pas se refuser à examiner les exceptions d’ incompétence et d’irrecevabilité soulevées par les
Etats-Unis au motif que celles-ci n’ont pas été présentées dans les trois mois à compter de la date
du dépôt du mémoire.
Exceptions des Etats-Unis à la compétence de la Cour
Par leur première exception d’incompéten ce, les Etats-Unis donnent à entendre que le
mémoire concerne essentiellement le traitement des ressortissants mexicains dans les systèmes de
justice pénale américaine, tant à l’échelon fédéral qu’à celui des Etats, et, plus largement, le
fonctionnement de ces systèmes dans leur ensemb le. S’il advenait que la Cour examine cette
question, il y aurait abus de sa compétence. La Cour rappelle que sa compétence en l’espèce a été
invoquée au titre de la convention de Vienne et du protocole de signature facultative en vue de
déterminer la nature et la portée des obligations que les Etats-Unis ont contractées envers le
Mexique en devenant partie à cette convention. Si , et dans la mesure où la Cour devait parvenir à
la conclusion qu’en acceptant les obligations prescrites par la convention de Vienne les parties à cet
instrument ont pris des engagements en ce qui concerne la conduite de leurs juridictions internes à
l’égard des ressortissants des autres parties, elle doit, pour établir s’il y a eu violation de la
convention, être à même d’examiner les actes de ces juridictions au regard du droit international.
La question de savoir jusqu’où elle peut procéder à cet examen en l’espèce ressortit au fond. La
première exception d’incompétence soulevée par les Etats-Unis ne saurait donc être accueillie.
La deuxième exception d’incompétence des Etats-Unis vise la première des conclusions
présentées par le Mexique, selon laquelle: «en arrê tant, détenant, jugeant, déclarant coupables et
condamnant à mort les ressortissants mexicains, les Etats-Unis d’Amérique ont violé leurs
obligations juridiques internationales envers le Mexique agissant en son nom propre et dans
l’exercice du droit qu’a cet Etat d’assurer la protection diplomatique de ses ressortissants, en vertu
de l’article36 de la convention de Vienne.». Les Etats-Unis ont fait valoir en l’occurrence que
l’article36 de la convention de Vienne «n’institu[ait] … aucune obligation limitant le droit des
Etats-Unis d’arrêter un ressortissant étranger»; et que les mesures consistant à «déten[ir], juge[r],
décla[rer] coupables et condamn[er]» des resso rtissants mexicains ne pouvaient davantage
constituer des violations de l’ar ticle36, lequel énonce seulement des obligations en matière de
notification. Toutefois, selon la Cour, le Mexique soutient que le fait de priver un étranger,
lorsqu’une procédure pénale est engagée à son encontre, de la notification et de l’assistance
consulaires rend cette procédure fondamentalement inéquitable. De l’avis de la Cour, cela équivaut
à défendre une certaine interprétation de la co nvention de Vienne. Cette interprétation sera
confirmée ou infirmée lors de l’examen au fond, ma is elle ne se situe pas hors des limites de la
compétence conférée à la Cour par le protocole de signature facultative à la convention de Vienne.
La deuxième exception d’incompétence soulevée par les Etats-Unis ne saurait donc être accueillie.
La troisième exception d’incompétence des Etats-Unis a trait à la première conclusion en ce
qui concerne les remèdes, énoncée dans le mémoir e du Mexique, à savoir que le Mexique a droit à
la restitutio in intregrum , et que les Etats-Unis d’Amérique doivent en conséquence restaurer le
statu quo ante. Les Etats-Unis rétorquent que cela constituerait une atteinte grave à l’indépendance
de leurs juridictions; et qu’en déclarant que les Et ats-Unis ont l’obligation particulière en l’espèce
d’annuler les verdicts de culpabilité et les peines, la Cour dépasserait les limites de sa compétence.
A cet égard, la Cour rappelle, comme elle l’a fait dans l’affaire LaGrand , que s’il est établi qu’elle
a compétence pour connaître d’un différend portant sur une question déterminée, elle n’a pas
besoin d’une base de compétence distincte pour examiner les remèdes demandés par une partie
pour la violation en cause (C.I.J.Recueil2001 , p.485, par.48). La question de savoir si la Cour - 5 -
peut ordonner le remède demandé par le Mexique, et dans quelles limites, ressortit au fond du
différend. La troisième exception d’incompétence soulevée par les Etats-Unis ne saurait donc être
accueillie.
Aux termes de la quatrième et dernière exception d’incompétence des Etats-Unis,
contrairement aux affirm ations du Mexique, «la Cour n’a pas compétence pour dire si la
notification consulaire constitue ou non un «droit de l’homme», ni quell es sont les exigences
fondamentales des droits de la défense sur le plan du fond ou de la procédure». La Cour fait
observer que le Mexique a présenté cet argument comme une question qui relève de l’interprétation
de l’alinéab) du paragraphe1 de l’article36 et qui, pa r conséquent, ressortit au fond. La Cour
considère qu’il s’agit là effectivement d’une question relevant de l’interpré tation de la convention
de Vienne, qu’elle a compétence pour traiter; d ès lors la quatrième exception d’incompétence
soulevée par les Etats-Unis ne saurait être accueillie.
Exceptions d’irrecevabilité soulevées par les Etats-Unis (par. 36-48)
La Cour note que, selon la première excepti on des Etats-Unis, «les conclusions du Mexique
doivent être jugées irrecevables parce qu’elles visent à faire de la Cour une juridiction d’appel en
matière pénale»; que, de l’avis des Etats-Unis, «[o]n ne saurait interp réter autrement les deux
conclusions du Mexique concernant les remèdes». La Cour fait observer que les Etats-Unis visent
ici uniquement la question des remèdes. Ils ne pr étendent pas, au titre de cette exception, que la
Cour devrait décliner d’exercer sa compétence pour examiner les violations alléguées de la
convention de Vienne, mais considèrent simplement que, si pareilles violations étaient établies, la
Cour devrait se borner à décider que les Etats-Unis doivent organiser le «réexamen et la revision»
des jugements intervenus, comme elle l’a fait dans l’arrêt rendu en l’affaire LaGrand
(C.I.J. Recueil 2001, p. 513-514, par. 125). La Cour constate qu’il s’agit là d’une question de fond.
La première exception d’irrecevabilité soulevée par les Etats-Unis ne saurait donc être accueillie.
La Cour en vient alors à l’exception des Etats- Unis fondée sur la règle de l’épuisement des
voies de recours internes. Les Etats-Unis soutie nnent que la Cour «doit juger irrecevable la
prétention du Mexique d’exercer son droit de protection diplomatique en faveur de tout
ressortissant mexicain qui n’a pas épuisé les voies de recours internes ainsi que l’exige le droit
coutumier». La Cour rappelle que le Mexique, dans ses conclusions fina les, prie la Cour de dire et
juger que les Etats-Unis, en ne se conformant pas au paragraphe 1 de l’artic le 36 de la convention
de Vienne, ont «violé leurs obligations juridiques internationales envers le Mexique agissant en son
nom propre et dans l’exercice du droit qu’a cet Etat d’assurer la protection diplomatique de ses
ressortissants». La Cour fait d’abord observer que les droits individuels que les ressortissants
mexicains tirent de l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36 de la convention de Vienne sont des
droits dont la réalisation doit, en tout cas en prem ier lieu, être recherchée dans le cadre du système
juridique interne des Etats-Unis. Ce n’est qu’une fois ce processus mené à son terme et les voies
de recours internes épuisées que le Mexique pou rrait faire siennes des demandes individuelles de
ses ressortissants par le mécanisme de la protec tion diplomatique. En l’espèce le Mexique ne
prétend cependant pas agir seulement par ce mécanis me. Il présente en outre des demandes qui lui
sont propres en se fondant sur le préjudice qu’il déclare avoir subi lui-même, directement et à
travers ses ressortissants , du fait de la violation par les Et ats-Unis des obligations qui leur
incombent à son égard en vertu des alinéas a) , b) et c) du paragraphe 1 de l’article 36. La Cour dit
que, dans ces circonstances toutes pa rticulières d’interdépendance des droits de l’Etat et des droits
individuels, le Mexique peut, en soumettant une demande en son nom propre, inviter la Cour à
statuer sur la violation des droits dont il soutient avoir été victime à la fois directement et à travers
la violation des droits individuels c onférés à ses ressortissants par l’alinéab) du paragraphe1 de
l’article36. L’obligation d’épuiser les voies de recours internes ne s’applique pas à une telle
demande. La Cour conclut donc que la de uxième exception d’irrecevabilité soulevée par les
Etats-Unis ne saurait donc être accueillie. - 6 -
La Cour en vient alors à la question de la double nationalité qu’auraient certains des
ressortissants mexicains faisant l’objet des demandes du Mexique. Les Etats-Unis soutiennent que
le Mexique n’avait pas établi dans son mémoire qu’ il pouvait, au titre de la violation des droits
qu’il tire de la convention de Vienne, exercer la protection diplomatique en faveur de ceux de ses
ressortissants qui sont également ressortissants des Etats-Unis. Toutefois, la Cour rappelle que le
Mexique, outre qu’il cherche à exercer la protecti on diplomatique à l’égard de ses ressortissants,
présente une demande en son nom propre à raison d es violations alléguées de l’article36 de la
convention de Vienne commises par les Etats-Unis . De ce point de vue, la question de la double
nationalité n’est pas une question de recevabilité, mais de fond. Sans préjudice de l’issue de cet
examen, la troisième exception d’irrecevabilité des Etats-Unis ne saurait donc être accueillie.
La Cour passe ensuite à l’examen de la quatrième exception d’irrecevabilité opposée par les
Etats-Unis aux demandes du Mexique, à savoir que : «[l]a Cour ne doit pas permettre au Mexique
de faire valoir une prétention à l’encontre des Etats-Unis pour les cas où le Mexique avait
effectivement connaissance d’une vi olation de la [convention de Vi enne] mais n’a pas porté cette
violation à l’attention des Etats-Unis ou l’a fait avec un retard considérable». La Cour rappelle
que, dans l’affaire de Certaines terres à phosphates à Nauru (Nauru c.Australie) , elle a fait
observer que, si «le retard d’un Etat demandeur peut rendre une requête irrecevable», «le droit
international n’impose pas à cet égard une lim ite de temps déterminée» (C.I.J.Recueil1992 ,
p.253-254, par.32). Elle note que, dans cette affaire, un retard pouvait porter préjudice à l’Etat
défendeur, mais estime qu’un tel risque de préjudi ce n’a pas été évoqué dans la présente espèce.
Pour autant qu’une irrecevabilité puisse être fondée sur la renonciation tacite à des droits, la Cour
considère que seule une inaction bien plus longue et systématique que celle qu’ont alléguée les
Etats-Unis en ce qui concerne le Mexique pourra it être interprétée comme impliquant une telle
renonciation. La Cour note aussi que le Mexique a signalé plusieurs voies qu’il avait utilisées pour
porter à l’attention des Etats-Unis ce qu’il tenait pour des violations de la convention de Vienne.
La quatrième exception d’irrecevabilité soulevée par les Etats-Unis ne saurait donc être accueillie.
La Cour examine enfin l’exception des Etats- Unis selon laquelle la demande mexicaine est
irrecevable en ce sens que le Mexique ne devrait pa s être autorisé à invoquer contre les Etats-Unis
des normes qu’il ne suit pas dans sa propre pr atique. La Cour rappelle à cet égard qu’il est
essentiel de garder à l’esprit la nature de la convention de Vienne. Cette convention énonce
certaines normes que tous les Etats parties doivent observer aux fins du «déroulement sans entrave
des relations consulaires». Par conséquent, même s’il était démontré que la pratique du Mexique
en ce qui concerne l’application de l’article36 n’ était pas exempte de critique, les Etats-Unis ne
pourraient s’en prévaloir comme exception à la recevabilité de la demande mexicaine. La
cinquième exception d’irrecevabilité des Etats-Unis ne saurait donc être accueillie.
La Cour examine ensuite les demandes du Mexique au fond.
Paragraphe 1 de l’article 36 de la convention de Vienne (par. 49-106)
La Cour note que, dans la première de ses conclusions finales, le Mexique demande à la
Cour de dire et juger que
«en arrêtant, détenant, jugeant, déclarant coupables et condamnant les
cinquante-deux ressortissants mexicains se trouvant dans le couloir de la mort dont les
cas sont décrits dans le mémoire du Mexique, les Etats-Unis d’Amérique ont violé
leurs obligations juridiques international es envers le Mexique agissant en son nom
propre et dans l’exercice du droit qu’a cet Etat d’assurer la protection diplomatique de
ses ressortissants par le fait qu’ils n’ont pas informé, sans retard, les
cinquante-deux ressortissants mexicains après leur arrestation du droit à la notification
et à l’accès aux autorités consulaires qui était le leur en vertu de l’alinéab) du
paragraphe 1 de l’article 36 de la convention de Vienne su r les relations consulaires, - 7 -
qu’ils ont privé le Mexique de son droit d’accorder sa protection consulaire et privé les
cinquante-deuxressortissants mexicains de leur droit de bénéficier de la protection
que le Mexique leur aurait accordée conformément aux alinéasa) etc) du
paragraphe 1 de l’article 36 de la convention».
Elle rappelle que, dans son a rrêt rendu en l’affaire LaGrand , elle a déjà présenté le
paragraphe1 de l’article36 comme définissan t «un régime dont les divers éléments sont
interdépendants et qui est conçu pour facilite r la mise en Œuvre du système de protection
consulaire» (C.I.J. Recueil 2001, p.492, par.74). Après avoir ci té l’intégralité du paragraphe, la
Cour fait observer que les Etats-Unis, en tant qu’Etat de résidence, ne contestent pas leur devoir de
s’acquitter de ces obligations. Ils affirment cependa nt que les obligations ne s’appliquent qu’aux
personnes dont il a été établi qu’elles étaient unique ment de nationalité mexicaine et non à celles
possédant à la fois la nationalité des Etats-Unis et celle du Mexique. Les Etats-Unis font en outre
valoir, entre autres, qu’ils n’ont en aucune façon enfreint l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36,
compte tenu de l’interprétation qu’il convient de donner de l’expression «sans retard» utilisée dans
cet alinéa.
Alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36 (par. 52-90)
La Cour dit que, par conséquent , en ce qui concerne l’alinéa b) du paragraphe 1 de
l’article 36, deux points majeurs sur lesquels les Parties s’opposent sont, premièrement, la question
de la nationalité des personnes concernées, deuxièmement, la question de la signification qu’il
convient de donner à l’expression «sans retard».
Nationalité des individus concernés (par. 53-57)
La Cour commence par noter que les Parties ne sont d’accord ni sur ce que chacune d’elles
doit prouver en ce qui concerne la nationalité a ux fins de l’application du paragraphe1 de
l’article36, ni sur la manière dont les principes régissant la preuve ont été respectés dans chaque
cas en ce qui concerne les faits.
La Cour estime qu’il appartient au Mexique de démontrer que les cinquante-deux personnes
identifiées au paragraphe16 de l’arrêt étaient de nationalité mexicaine au moment de leur
arrestation. Elle constate que le Mexique a produit à cet effet des extraits d’acte de naissance et des
déclarations de nationalité, dont le contenu n’a pas été contesté par les Etats-Unis. La Cour relève
que les Etats-Unis ont soulevé la question de savoir si certaines de ces personnes n’étaient pas aussi
des ressortissants américains. La Cour est d’avis qu’il appartenait aux Etat s-Unis de prouver qu’il
en était ainsi et de fournir à la Cour toutes informations en leur possession à ce sujet. Dans la
mesure où des informations pertinentes sur la matière étaient, selon les Etats-Unis, en la possession
du Mexique, les Etats-Unis devaient s’en enquéri r auprès des autorités mexicaines. La Cour dit
que, à aucun stade pourtant, les Etats-Unis n’ont ét abli devant la Cour qu’ils avaient adressé des
demandes de renseignements précises aux autorités mexicaines sur des cas particuliers, mais
n’avaient pas obtenu de réponse. La Cour en conc lut que les Etats-Unis ne se sont pas acquittés de
la charge qui leur incombait de prouver que cer taines personnes de nationalité mexicaine étaient
aussi des ressortissants des Etats-Unis. La C our considère donc qu’en ce qui concerne les
cinquante-deux personnes identifiées au paragraphe16 ci-dessus les Etats-Unis avaient des
obligations en vertu de l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36.
Obligation d’informer «sans retard» (par. 58-90)
La Cour note ensuite que le Mexique, dans sa deuxième conclusion finale, lui demande de
déclarer : - 8 -
«l’obligation énoncée au paragraphe 1 de l’article 36 de la convention de Vienne exige
qu’une notification des droits consulair es ait lieu et qu’une possibilité raisonnable
d’accès aux autorités consulaires soit donnée avant que les autorités compétentes de
l’Etat de résidence ne prennent aucune mesure susceptible de porter atteinte aux droits
du ressortissant étranger».
La Cour relève que le Mexique soutient que dans chacun des cinquante-deux cas dont est
saisie la Cour, les Etats-Unis ont omis d’inform er «sans retard» les personnes arrêtées des droits
qu’ils tenaient de l’alinéab) du paragraphe1 de l’article 36. Elle note aussi que les Etats-Unis
contestent à la fois les faits tels qu’ils sont présen tés par le Mexique et l’analyse juridique que fait
le Mexique de l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36 de la convention de Vienne.
La Cour commence par aborder l’interprétation de l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36,
ayant conclu au paragraphe57 ci-dessus qu’il est applicable aux cinquante-deux personnes
identifiées au paragraphe16 de l’arrêt. Elle relève tout d’abord que cet alinéa contient trois
éléments distincts mais liés entre eux: le droit de l’intéressé d’être informé sans retard des droits
qui lui sont reconnus par ledit alinéa; le dro it du poste consulaire de recevoir sans retard
notification de la mise en détention de l’intéressé, si ce dernier en fait la demande; et l’obligation
de l’Etat de résidence de transmettre sans reta rd toute communication adressée au poste consulaire
par la personne détenue (ce dernier élément n’ayant pas été soulevé en l’espèce).
Commençant par le droit à l’information d’une personne arrêtée, la Cour estime que les
autorités qui interviennent dans les procé dures de détention ont l’obligation de donner
l’information requise par l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36 au moment où elles constatent
que la personne arrêtée est un ressortissant étra nger ou lorsqu’il existe des raisons de penser qu’il
s’agit probablement d’un ressortissant étranger. Le moment précis varie selon les circonstances.
Gardant à l’esprit les difficultés d’établir un tel fait, exposées par les Etats-Unis, la Cour
commencera par examiner la question de l’application de l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36
de la convention de Vienne aux cinquante-deux cas. Dans quarante-cinq de ces cas, elle dit qu’elle
ne dispose d’aucun élément indiquant que les pers onnes arrêtées aient déclaré être de nationalité
américaine, ni que l’on ait pu raisonnablement pe nser qu’elles l’étaient, et que des recherches
précises aient été effectuées en temps utile pour vérifier ces cas de double nationalité. Elle note
toutefois que les Etats-Unis font valoir que sept personnes ont déclaré, au moment de leur
arrestation, être des citoyens américains.
Après avoir examiné ces sept cas, la Cour conclut que le Mexique n’a pas démontré que les
Etats-Unis aient violé les obligations leur incombant en vertu de l’alinéab) du paragraphe1 de
l’article 36 dans uniquement l’un de ces cas. En ce qui concerne les autres personnes qui auraient
affirmé être des ressortissants américains lors de leur arrestation, la Cour estime que
l’argumentation des Etats-Unis ne saurait être accueillie.
La Cour souligne qu’il reste cependant à dé terminer si, dans chacun des cinquante et un cas,
les Etats-Unis ont fourni «sans retard» les inform ations requises aux personnes arrêtées. La Cour
passe ensuite à l’examen de cette question. La Cour note que, dans quarante-sept cas, les
Etats-Unis ne contestent nullement le fait que l es ressortissants mexicains n’avaient jamais été
informés de leurs droits découlant de l’alinéa b) du paragraphe1 de l’ar ticle36, mais que, dans
quatre cas, des doutes subsistent quant à la question de savoir si l’information donnée l’a été sans
retard. A cette fin, il convient donc de préciser le sens de cette expression.
La Cour relève que les Parties ont des vues très différentes sur ce point. Selon le Mexique,
le moment où la personne détenue reçoit l’informat ion «est déterminant pour l’exercice des droits
prévus par l’article36» et l’expression «sans retard» visée à l’alinéab) du paragraphe1 requiert
une «immédiateté absolue». Le Mexique soutient que, l’article 36 ayant pour objet et pour but de
rendre possible une «véritable assistance consulaire» et de protéger les ressortissants étrangers - 9 -
détenus qui sont en situation de vulnérabilité, «la notification consulaire … [doit] avoir lieu dès la
détention et avant tout interrogatoire pour que le consul puisse fournir au ressortissant des
informations utiles sur le système juridique étra nger et l’aider à trouver un avocat avant qu’il ne
prenne des décisions mal avisées ou que l’Etat ne prenne des mesures risquant de porter atteinte à
ses droits».
Les Etats-Unis contestent cette interprétation de l’expression «sans retard». Selon eux, elle
ne veut pas dire «immédiatement, et avant l’inte rrogatoire», et une telle interprétation ne trouverait
appui ni dans le libellé, ni dans l’objet et le but de la conventio n de Vienne, ni dans ses travaux
préparatoires. Pour les Etats-Unis, le but de l’article36 est de faciliter l’exercice par un
fonctionnaire consulaire de ses fonctions:«l’im portance de l’information consulaire donnée aux
ressortissants étrangers est donc limitée. Il s’agit d’un mécanisme procédural qui permet aux
ressortissants étrangers de mettre en Œuvre le processus connexe de notification … [elle] ne saurait
avoir de caractère fondamental dans le cadre d’une procédure pénale.»
La Cour constate tout d’abord que le sens pr écis de cette expression, tel qu’il faut l’entendre
à l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36, n’est pas indiqué dans la convention. Cette expression
doit donc être interprétée au re gard des règles coutumières d’interprétation des traités, telles
qu’elles ont trouvé leur expression aux articles 31 et 32 de la convention de Vienne sur le droit des
traités. Après examen du texte de la convention de Vienne sur les relations consulaires, de son
objet et de son but, ainsi que de ses travaux prép aratoires, la Cour conclut de ce qui précède que
l’expression «sans retard» ne doit pas nécessai rement être interprétée comme signifiant
«immédiatement» après l’arrestation, ni ne saura it être interprétée comme signifiant qu’il faut
nécessairement fournir l’information avant tout interrogatoire, si bien que commencer un
interrogatoire avant que l’information ne soit donnée constituerait une violation de l’article 36. La
Cour fait cependant observer que les autorités ayant procédé à l’arrestation n’en ont pas moins
l’obligation de donner l’information à toute pers onne arrêtée aussitôt que sa nationalité étrangère
est établie, ou dès qu’il existe des raisons de croire que cette personne est probablement un
ressortissant étranger.
Appliquant cette interprétation de l’expr ession «sans retard» aux faits des quatre cas en
souffrance, la Cour estime que les Etats-Unis ont enfreint leur obligation en vertu de l’alinéa b) du
paragraphe1 de l’article36 en ce qui concerne ces différents cas. La Cour constate donc que les
Etats-Unis ont, à l’égard de chacune des cinqua nte-deux personnes énumérées au paragraphe 16 de
l’arrêt, sauf une, manqué à leur obligation d’info rmer les personnes arrêtées, à laquelle ils sont
tenus en vertu de l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36 de la convention de Vienne.
Alinéas a) et c) du paragraphe 1 de l’article 36 (par. 91-107)
La Cour commence par rappeler son obser vation ci-avant selon laquelle l’alinéab) du
paragraphe1 de l’article36 com porte trois éléments. Jusqu’à présent, la Cour a examiné le droit
d’une personne arrêtée d’être info rmée qu’elle peut demander que s on poste consulaire soit averti.
La Cour en vient ensuite à un autre élément de cet alinéa. Elle estime que les Etats-Unis ont raison
lorsqu’ils font observer que le fait qu’un poste c onsulaire mexicain n’ait pas reçu de notification
conformément à l’alinéab) du paragraphe1 de l’article36 ne montre pas nécessairement que la
personne arrêtée n’a pas été informée de ses droits au titre de cette disposition. Il se peut en effet
que cette personne ait été informée mais ait refusé que son poste consulaire reçoive notification de
cette arrestation. La Cour estime qu’il en fu t ainsi dans l’un des deux cas mentionnés par les
Etats-Unis à ce sujet. Dans deux sur trois autres cas, les Etats-Unis allèguent que le poste
consulaire du Mexique a reçu une notification formelle sans que cette personne ait été
préalablement informée de ses droits consulaires, la Cour estime que les Etats-unis ont violé leurs
obligations en vertu de l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36. - 10 -
La Cour relève que, dans la première de ses conclusions finales, le Mexique prie également
la Cour de dire que les violations de l’alinéab) du paragraphe1 de l’artic le36 qu’il attribue aux
Etats-Unis ont aussi privé «le Mexique de son dro it d’accorder sa protection consulaire et privé les
cinquante-deux ressortissants mexicains de leur droit de bénéficier de la protection que le Mexique
leur aurait accordée conformément aux alinéas a) et c) du paragraphe1 de l’article 36 de la
convention».
La Cour rappelle que le lien entre les troi s alinéas du paragraphe1 de l’article36 a été
qualifié par la Cour, dans l’a rrêt rendu en l’affaire LaGrand (C.I.J. Recueil 2001, p.492, par.74),
de «régime dont les divers éléments sont interdépendants». Les conclusions à tirer en droit de cette
interdépendance dépendent nécessairement des faits de l’espèce. Dans l’affaire LaGrand, la Cour a
estimé que le fait de ne pas avoir informé pendant seize ans les frères de leur droit à la notification
consulaire a effectivement fait obstacle à l’exercice des autres droits que l’Allemagne aurait pu
décider d’exercer en application des alinéas a) et c). La Cour est d’avis qu’il y a lieu de réexaminer
l’interdépendance des trois alinéas du paragraphe 1 de l’article36 à la lumière des faits et
circonstances particuliers de la présente espèce.
Elle rappelle tout d’abord que, dans un cas, lors que le prévenu a été informé de ses droits, il
a refusé qu’une notification soit adressée à son poste consulaire. Il n’y a dès lors dans ce cas
violation ni de l’alinéa a) ni de l’alinéa c) du paragraphe 1 de l’article 36.
Dans les autres cas, puisque les Etats-Unis n’ont pas agi conformément à l’alinéab) du
paragraphe 1 de l’article 36, le Mexique a été effectivement empêché (totalement dans certains cas,
et pendant longtemps dans d’autres) d’exercer son droit, en application de l’alinéaa) du
paragraphe1, de communiquer avec ses ressortissants et de se rendre auprès d’eux. Comme la
Cour a déjà eu l’occasion de l’expliquer, peu importe de savoir si le Mexique aurait apporté
l’assistance consulaire «et si un verdict différent aurait alors été prononcé. Il suffit de constater que
la convention conférait ces droits» (C.I.J. Recueil 2001, p.492, par.74), qui auraient pu être
utilisés.
La Cour fait remarquer qu’il en va tout autant pour certains droits énoncés à l’alinéac) :
«[l]es fonctionnaires consulaires ont le droit de se rendre auprès d’un ressortissant de l’Etat d’envoi
qui est incarcéré, en état de détention préventive ou tout autre forme de détention, de s’entretenir et
de correspondre avec lui…». Elle note que le Mexique a souligné combien il était important que
les fonctionnaires consulaires puissent pourvoir à cette représentation avant et pendant le procès, et
en particulier au stade de la fixation de la pein e dans les affaires où une peine sévère peut être
infligée; il a également signalé l’importance que peut revêtir l’assistance, financière ou autre, que le
fonctionnaire consulaire peut fournir à l’avocat de l’accusé, notamment pour enquêter sur les
antécédents familiaux et l’état mental de ce dernie r, lorsque ceux-ci sont pertinents aux fins de
l’affaire. La Cour constate que l’exercice des droits de l’Etat d’envoi en vertu de l’alinéac) du
paragraphe1 de l’article36 est tr ibutaire de la notification opérée par les autorités de l’Etat de
résidence. Des éléments d’information portés à la connaissance d’un Etat d’envoi par d’autres
moyens peuvent toutefois permettr e à ses fonctionnaires consulaires de prêter leur assistance en
vue de pourvoir à la représentation en justice d’un ressortissant de cet Etat. La Cour estime qu’il
en a été ainsi dans treize cas.
La Cour conclut sur ce volet de l’affaire au paragraphe 106 de l’arrêt, y résumant ses
conclusions relatives à la violation des différentes obligations incombant aux Etats-Unis en vertu
du paragraphe 1 de l’article 36 en ce qui concerne les cas dont elle a été saisie.
Paragraphe 2 de l’article 36 de la convention de Vienne (par. 107-114)
La Cour rappelle ensuite que, dans sa troisième conclusion finale, le Mexique prie la Cour de
dire et juger que «les Etats-Unis ont violé l es obligations qui leur incombent en vertu du - 11 -
paragraphe 2 de l’article 36 de la convention de Vienne en ne pe rmettant pas un réexamen et une
revision véritables et effectifs des verdicts de cu lpabilité et des peines ent achés d’une violation du
paragraphe 1 de l’article 36». En particulier, le Mexique fait valoir que :
«Les Etats-Unis s’appuient sur plusie urs doctrines de droit interne pour
empêcher que soient attachées des con séquences juridiques aux violations de
l’article 36. En premier lieu , malgré la claire analyse qui a été faite par la Cour dans
l’affaire LaGrand, les juridictions américaines, tant étatiques que fédérales, continuent
à invoquer la règle de la carence procédurale pour faire obstacle à tout examen des
violations de l’article 36 ⎯ même si le ressortissant n’était pas conscient de ses droits
à la notification et à la communication consulaires et, partant, du fait qu’il pouvait
invoquer leur violation lors de son procès, précisément parce que les autorités
compétentes n’avaient pas respecté l’article 36.»
A cela, les Etats-Unis répondent que :
«les systèmes de justice pénale des Etats-Unis permettent l’examen de toutes les
erreurs commises, à la fois dans le cadre de la procédure judiciaire et du recours en
grâce auprès de l’exécutif, s’en remettant à ce dernier lorsque la règle de la carence
procédurale ne permet pas de recourir à la première. Cela signifie que les «lois et
règlements» des Etats-Unis permettent de corriger les erreurs dont un accusé peut être
victime, correction qui s’opère conjointemen t par les recours juridictionnels et le
recours en grâce. L’ensemble de ces procédures, avec la collaboration d’autres
autorités compétentes, assure la pleine réalisation des fins du paragraphe1 de
l’article36, conformément au paragraphe2 de l’article36. Et en cas de violation du
paragraphe1 de l’article36, ces procé dures remplissent la fonction de remède du
paragraphe2 de l’article36 en permettant aux Etats-Unis d’assurer un réexamen et
une revision des verdicts de culpabilité et des peines, conformément à l’arrêt
LaGrand.»
La Cour fait remarquer qu’elle s’est déjà penchée dans l’affaire LaGrand sur l’application de
la règle de la «carence procédurale», qui selon le Mexique fait obstacle à la pleine exécution par les
Etats-Unis des obligations internationales leur in combant en vertu de l’article 36 de la convention
de Vienne, lorsqu’elle a examiné quelles en ét aient les conséquences pour l’application du
paragraphe 2 de cet article. La Cour a souligné qu’«il y a lieu d’ établir une distinction entre cette
règle en tant que telle et son application en l’espèce», déclarant :
«En elle-même, cette règle ne viole pas l’article 36 de la convention de Vienne.
Le problème se pose lorsque la règle de la carence procédurale ne permet pas à une
personne détenue de faire recours contre sa condamnation et sa peine en prétendant,
sur la base du paragraphe1 de l’articl e36 de la convention, que les autorités
nationales compétentes ne se seraient pas acquittées de le ur obligation d’informer
«sans retard» les autorités consulaires compétentes, empêchant par là même cette
personne de solliciter et d’obtenir l’assistance consulaire de l’Etat d’envoi.»
(C.I.J. Recueil 2001, p. 497, par. 90.)
Sur cette base, la Cour a conclu que «la règle de la carence procédurale a empêché les avocats des
LaGrand de remettre en cause de façon efficace, si ce n’est sur la base du droit constitutionnel des
Etats-Unis, leurs condamnations et leurs peines» (ibid. , par.91). La Cour estime que cette
conclusion est aussi valable dans la présente affaire, où un certain nombre de ressortissants
mexicains se sont retrouvés exactement dans la même situation, qu’elle l’était à propos de l’affaire
LaGrand.
La Cour fait remarquer également que la règle de la carence procédurale n’a pas été revisée
et qu’il n’a pas davantage été pris de dispositions pour empêcher son application dans les cas où le - 12 -
défaut d’information imputable aux Etats-Unis eux-mêmes n’aurait pas permis aux avocats de
soulever en première instance la question de la violation de la convention de Vienne. La Cour note
d’ailleurs que, dans plusieurs des cas visés dans les conclusions finales du Mexique, la règle de la
carence procédurale a déjà trouvé application et que dans d’autres elle pourrait être appliquée dans
la suite de la procédure. Elle souligne toutefois aussi que les procédures pénales engagées contre
les ressortissants mexicains n’en sont pas enco re arrivées, sauf dans les trois cas qui seront
mentionnés ci-après, au stade où il n’existerait plus aucune possibilité de recours judiciaire;
autrement dit, il n’est pas encore exclu que l es verdicts de culpabilité et les peines soient
«réexaminés et revisés», comme le demandait la Cour dans l’affaire LaGrand , et comme il sera
expliqué aux paragraphes qui figur ent dans la suite de l’arrêt. La Cour estime donc qu’il serait
donc prématuré de sa part de conclure à ce st ade qu’il y a déjà, dans ces cas, violation des
obligations découlant du paragraphe 2 de l’article 36 de la convention de Vienne.
En revanche, la Cour relève que trois ressortissants mexicains cités ont déjà fait l’objet d’une
condamnation définitive. De plus , dans l’un de ces cas, la cour d’appel pénale de l’Oklahoma a
fixé une date d’exécution. La Cour estime donc devoir conclure que, à l’égard de ces trois
personnes, les Etats-Unis ont violé les obligations leur incombant en vertu du paragraphe2 de
l’article 36 de la convention de Vienne.
Conséquences juridiques de la violation (par. 115-150)
Ayant conclu qu’il y a eu, dans la plupart des cinquante-deux cas dont le Mexique a saisi la
Cour, manquement aux obligations énoncées à l’alinéa b) du paragraphe1 de l’article36 de la
convention de Vienne, la Cour en vient maintenant aux conséquences juridiques d’une telle
violation et aux mesures juridiques à envisager pour y remédier.
Elle rappelle que, dans ses quatrième, cinquième et sixième conclusions, le Mexique prie la
Cour de dire et juger que :
«4) en considération des dommages qu’a subis le Mexique agissant en son nom propre
et dans l’exercice de la protection diplom atique de ses ressortissants, le Mexique a
droit à une réparation intégrale de ces dommages sous la forme de la restitutio in
integrum;
5) cette restitution consiste dans l’ob ligation de rétablir le statu quoante en annulant
ou en privant d’autre façon de tout effet ou valeur les verdicts de culpabilité rendus
et les peines prononcées à l’encontre des cinquante-deux ressortissants mexicains;
[et]
6) cette restitution comprend également l’ obligation de prendre toutes les mesures
nécessaires pour qu’une violation passée de l’article36 n’ait pas d’incidence sur
les procédures ultérieures».
Les Etats-Unis, pour leur part, estiment que
«[l]’arrêt LaGrand demande aux Etats-Unis de perm ettre, dans chaque cas, «le
réexamen et la revision» en «tenant compte» de la violation, et non pas «un réexamen
et une infirmation», ni une exclusion générale des éléments de preuve ou l’annulation
de la condamnation, au seul motif qu’il y a eu violation du paragraphe 1 de l’article 36
et sans se demander si cette violation a influé sur la déclaration de culpabilité et la
condamnation, ni… «un résultat précis, concret, déterminé: rétablir le statu quo
ante»». - 13 -
La Cour souligne qu’il s’agit, dans la pr ésente espèce, de déterminer quelle serait la
réparation adéquate des violations de l’article36. Elle estime qu’il ressort clairement des
observations qui précèdent que les faits internationa lement illicites des Etats-Unis consistent en ce
que leurs autorités compétentes n’ont pas informé les ressortissants mexicains concernés, n’ont pas
averti les postes consulaires mexicains et n’ont pas permis que le Mexique fournisse l’assistance
consulaire. Par conséquent, le moyen de remédier à ces violations doit, à son sens, résider dans une
obligation des Etats-Unis de permettre le réexamen et la revision du cas de ces ressortissants par les
tribunaux américains, comme la Cour l’expliq uera plus avant aux paragraphes128 à134
ci-dessous, en vue de déterminer si dans chaque cas la violati on de l’article36 commise par les
autorités compétentes a en fait, dans le cours de l’administration de la justice pénale, causé un
préjudice à l’intéressé.
La Cour considère qu’il ne saurait être présumé que, comme l’affirme le Mexique,
l’annulation partielle ou totale des verdicts de culpabilité et des peines c onstitue nécessairement le
seul mode de réparation. Dans la présente affaire, ce ne sont pas les verdicts de culpabilité rendus
et les peines prononcées à l’encontre des ressortis sants mexicains qui doivent être considérés
comme une violation du droit international, mais uniquement certains manquements à des
obligations conventionnelles qui les ont précédés. La Cour relève que le Mexique a également
soutenu que le droit de notification et de comm unication consulaires prévu par la convention de
Vienne est un droit de l’homme si fondamental par nature que sa violation a ipso facto pour effet de
vicier l’ensemble de la procédure pénale conduite en contravention dudit droit. Elle fait remarquer
que, sans qu’il lui soit nécessaire de se prononcer sur la question de savoir si le droit en cause est
ou non un droit de l’homme, elle sou ligne que ni le texte ni l’objet et le but de la convention, ni
aucune indication qui figurerait dans les travaux préparatoires, ne permettent d’arriver à la
conclusion que le Mexique tire de cet argument . La Cour conclut que, pour ces motifs, les
quatrième et cinquième conclusions du Mexique ne sauraient être accueillies.
Dans ses développements concernant cette sixième conclusion, le Mexique, «[a]u titre de son
droit à la restitutio in integrum, … demande également à la Cour d’ordonner que les déclarations et
les aveux obtenus avant que l’intéressé ait été informé de son droit à l’assistance consulaire ne
soient pas admises dans toute procédure pénale qui pourrait être engagée ultérieurement contre ses
ressortissants». La Cour estime qu’il appartie ndra aux tribunaux américains concernés par le
processus de réexamen et de revision d’examiner cette question à la lumière des circonstances
concrètes propres à chaque cas. Pour ce motif, la sixième conclusion du Mexique ne saurait être
accueillie.
Bien que n’ayant pas donné suite aux qua trième, cinquième et sixième conclusions du
Mexique concernant les mesures à prendre pour re médier à la violation par les Etats-Unis des
obligations internationales leur incombant en vertu de l’article36 de la convention de Vienne, la
Cour souligne qu’il n’en demeure pas moins que ce s violations ont bien été commises et qu’il lui
appartient donc de préciser les moyens par lesquels devra être répa ré le préjudice que les
Etats-Unis ont causé au Mexique et à ses ressortissants en ne s’acquittant pas desdites obligations.
A cet égard, la Cour rappelle que le Mexique, dans sa septième conclusion, prie également la
Cour de dire et juger que :
«[d]ans la mesure où les cinquante-deux verd icts de culpabilité ou peines ne seraient
pas annulés, les Etats-Unis devront assurer, par les moyens de leur choix, un réexamen
et une revision véritables et effectifs de ces verdicts et peines, et cette obligation ne
pourra être satisfaite par des procédures de grâce ni par l’application d’aucune règle
ou doctrine [n’attachant pas de portée juridique à la violation du paragraphe1 de
l’article 36]». - 14 -
Sur cette question «du réexamen et de la re vision», la position des Etats-Unis est qu’ils se
sont dûment conformés dans leur condu ite aux prescriptions de l’arrêt LaGrand . Développant cet
argument, les Etats-Unis exposent que «[l]a Cour a indiqué dans l’affaire LaGrand que le choix des
moyens pour permettre le réexamen et la revision demandés «doit revenir» aux Etats-Unis».
La Cour souligne que, en déclarant dans l’arrêt LaGrand que «les Etats-Unis d’Amérique
devront, en mettant en Œuvre les moyens de leur choix , permettre le réexamen et la revision du
verdict de culpabilité et de la peine» (C.I.J. Recueil 2001, p. 516, par. 128; les italiques sont de la
Cour), elle a reconnu qu’il fallait laisser aux Etats- Unis le soin de décider au premier chef des
modalités concrètes de ce réexamen et de cette revi sion. Il convient de souligner, toutefois, que
cette liberté quant au choix des moyens de réexamen et de revision comporte une restriction : ainsi
qu’il est dit clairement dans la suite du passage de l’arrêt qui vient d’être cité, ce réexamen et cette
revision doivent se faire «en tenant compte de la violation des droits prévus par la convention»
(C.I.J. Recueil 2001, p.514, par.125), y compris notamment sous l’angle des conséquences
juridiques qu’a eues cette violation dans la suite de la procédure pénale.
La Cour fait remarquer que la situation actuelle implique, selon les règles de la procédure
pénale des Etats-Unis, et comme l’a expliqué leur agent lors des audiences, qu’un recours
s’appuyant sur la violation du pa ragraphe1 de l’article36 de la convention de Vienne, si fondé
fût-il en soi, pourrait être déclaré irrecevable par l es juridictions des Etats-Unis, par l’effet de la
règle de la carence procédurale. De l’avis de la Cour, le point crucial, en pareille situation, est que,
par l’effet de la règle de la caren ce procédurale telle qu’elle est ac tuellement appliquée, l’intéressé
se voit en fait interdire de soulever la question de la violation des droits que lui reconnaît
l’article 36 de la convention de Vienne et ne peut que chercher à faire valoir ses droits au titre de la
Constitution des Etats-Unis.
La Cour relève que, dans la seconde partie de sa septième conclusion, le Mexique dit que
«cette obligation [consistant à assurer le réexamen et la revision] ne pourra être satisfaite par des
procédures de grâce». En outre, le Mexique soutie nt que la procédure des recours en grâce est en
soi un remède sans efficacité qui ne saurait répondre aux obligations internationales des Etats-Unis.
Et le Mexique de conclure: «l’examen des rec ours en grâce n’obéit à aucune norme, se déroule
dans le secret et échappe à tout contrôle judiciaire».
Pour faire échec à cette thèse du Mexique, les Etats-Unis soutiennent qu’ils
«permettent…une pleine réalisation» des «fins pour lesquelles les droits sont accordés [en vertu
du paragraphe 1 de l’article 36]» par la procédure de recours en grâce auprès de l’exécutif». Leurs
arguments sont que «cette procédure… est parfai tement adaptée à la tâche consistant à assurer
réexamen et revision». Les Etats-Unis expliquent que «le recours en grâce est plus qu’une simple
question de grâce; il fait partie de la structure d’ensemble visant à assurer justice et équité dans le
fonctionnement» du système judiciaire, et que «[l]es procédures de recours en grâce font partie
intégrante des «lois et règlements» existants des Etats-Unis, par lesquels les erreurs font l’objet
d’un examen».
La Cour souligne que le «réexamen et [la] revision» qu’elle a prescrits dans l’affaire
LaGrand doivent être effectifs. Ils doivent donc «ten[ir] compte de la violation des droits prévus
par la convention» (C.I.J. Recueil 2001, p. 516, par. 128, point 7)) et garantir que ladite violation et
le préjudice en résultant seront pleinement étudiés et pris en considération dans le processus de
réexamen et de revision. Enfin, ledit réexamen et ladite revision doivent porter à la fois sur la
peine prononcée et sur le verdict de culpabilité rendu.
Il s’ensuit que, dans une situation où il y a eu violation des droits découlant du paragraphe 1
de l’article 36 de la convention de Vienne, l’accusé présente sa demande y relative non pas à raison
du «préjudice causé à un droit essentiel à une procédure équitable» ⎯notion qui concerne la
jouissance des droits de la défense (due process) garantis par la Constitution américaine ⎯, mais à - 15 -
raison de l’atteinte portée aux droits qu’il peut tirer du paragraphe1 de l’article36. Les droits
garantis par la convention de Vienne sont des droits conventionnels que les Etats-Unis se sont
engagés à respecter à l’égard de l’individu intéressé, quels que soient les droits de la défense tels
que prévus par le droit constitutionnel américain.
S’agissant du recours en grâce, la Cour souligne que la question à laquelle il faut répondre en
l’espèce est celle de savoir si la procédure de recours en grâce telle qu’elle est pratiquée aux
Etats-Unis dans le système pénal de différents Etats peut, en soi et à elle seule, constituer un moyen
approprié pour assurer véritablement «le réexamen et la revision du verdict de culpabilité et de la
peine en tenant compte de la violation des dro its prévus par la convention», comme la Cour l’a
prescrit dans l’arrêt LaGrand (C.I.J. Recueil 2001, p.514, par.125). La Cour constate que la
procédure de recours en grâce, telle qu’elle est pr atiquée actuellement dans le cadre du système de
justice pénale des Etats-Unis, n’apparaît pas satisfaire aux exigences susmentionnées et que, dès
lors, elle ne saurait suffire à elle seule à constitu er un moyen approprié de «réexamen et revision»
tel que la Cour l’a envisagé dans l’affaire LaGrand.
En dernier lieu, la Cour examine la huitième conclusion du Mexique dans laquelle ce dernier
la prie de dire et juger que :
«Les Etats-Unis d’Amérique devront cesser leurs violations de l’article 36 de la
convention de Vienne à l’égard du Mexique et de ses cinquante-deux ressortissants et
devront fournir des garanties et assuran ces appropriées qu’ils prendront des mesures
suffisantes pour faire plus largement respecter le paragraphe 1 de l’article 36 et assurer
le respect du paragraphe 2.»
La Cour rappelle que le Mexique, tout en reconnaissant que les Etats-Unis mènent une action
pour faire mieux prendre conscience du droit à l’assistance consulaire, constate avec regret que «le
programme américain, quelle qu’en soit la nature , [s’est] révélé inefficace pour empêcher les
autorités compétentes de violer de manière récurre nte et continue les droits de notification et
d’assistance consulaires garantis par l’article 36». Elle rappelle aussi que les Etats-Unis s’opposent
à cette thèse du Mexique en soutenant qu’«ils pour suiv[ent] sans relâche leurs efforts pour mieux
transmettre l’information sur la notification c onsulaire et que ces initiatives produis[ent] des
résultats concrets». Ils exposent que le Mexique «[ne démontre] nullement…que des violations
de l’article36 se soient poursuivies «de manièr e récurrente et continue» après le prononcé de
l’arrêt LaGrand».
Se référant au fait que la demande de garantie de non-répétiti on formulée par le Mexique se
base sur l’allégation que, au-delà des cinquante-deux cas considérés, il existerait une pratique de
violation «récurrente et continue» de l’article36 par les Etats-Unis, la Cour fait observer, à cet
égard, qu’elle n’a pas été dûment saisie d’éléments de preuve de nature à faire apparaître une
pratique habituelle revêtant un caractère général. S’il y a des raisons de s’inquiéter du fait que,
même à la suite du prononcé de l’arrêt en l’affaire LaGrand, il subsiste un grand nombre de cas où
l’obligation de fournir l’information consulaire à des ressortissants mexicains n’est pas respectée,
la Cour prend acte de ce que les Etats-Unis ont mené une action intensive pour faire en sorte que
les services de la force publique fournissent l’info rmation consulaire requise à tout individu arrêté
dont ils savent ou ont tout lieu de croire qu’il s’agit d’un étranger. La Cour rappelle par ailleurs à
ce sujet que, dans l’affaire LaGrand , l’Allemagne a notamment voulu obtenir «des Etats-Unis une
assurance pure et simple qu’ils ne répéteront pas leurs actes illicites» (C.I.J. Recueil 2001 , p. 511,
par.120). Concernant cette demande de caractère général visant l’obtention d’une assurance de
non-répétition, la Cour a dit ceci :
«[S]i, dans le cadre d’une instance, un Etat fait référence de manière répétée
devant la Cour aux activités substantielles auxquelles il se livre aux fins de mettre en
Œuvre certaines obligations découlant d’un tr aité, cela traduit un engagement de sa
part de poursuivre les efforts entrepris à cet effet. Certes, le programme en cause ne - 16 -
peut fournir l’assurance qu’il n’y aura plus jamais de manquement des autorités des
Etats-Unis à l’obligation de notification pr évue à l’article36 de la convention de
Vienne. Mais aucun Etat ne pourrait four nir une telle garantie et l’Allemagne ne
cherche pas à l’obtenir. La Cour estime que l’engagement pris par les Etats-Unis
d’assurer la mise en Œuvre des mesures spécifiques adoptées en exécution de leurs
obligations au titre de l’alinéab) du paragraphe1 de l’artic le36 doit être considéré
comme satisfaisant à la demande de l’ Allemagne visant à obtenir une assurance
générale de non-répétition.» (C.I.J. Recueil 2001, p. 512-513, par. 124.)
La Cour estime que, s’agissant de la demande du Mexique visant à obtenir des garanties et
assurances de non-répétition, ce qu’elle a dit dans l’extrait ci-dessus de l’arrêt LaGrand demeure
applicable et satisfait ladite demande.
*
La Cour réaffirme ensuite un point important. Elle indique que, en l’espèce, elle s’est
référée aux questions de principe soulevées au c ours de la présente instance du point de vue de
l’application générale de la c onvention de Vienne, et qu’il ne saurait être question d’appliquer un
argument a contrario à la moindre des conclusions que la Cour formule dans le présent arrêt. En
d’autres termes, on ne saurait déduire du fait que la Cour a eu à se prononcer uniquement sur le cas
de ressortissants mexicains dans le cadre de la présente affaire que les conclusions de cet arrêt sont
inapplicables à d’autres ressortissants étrangers se trouvant dans les mêmes conditions aux
Etats-Unis.
Enfin, la Cour souligne que son ordonna nce du 5 février 2003 indiquant les mesures
conservatoires susmentionnées, ne produisant ses effets, comme le prévoient ses termes et
l’article41 du Statut de la Cour, que pour autant que l’arrêt définitif n’a pas été rendu, et que les
obligations des Etats-Unis à cet égard sont, à comp ter de la date de l’a rrêt, remplacées par celles
énoncées dans celui-ci. Elle rappelle avoir conclu que, à l’égard (entre autres) des trois personnes
susmentionnées, visées dans l’ordonnance, les Etats-Unis avaient violé le paragraphe1 de
l’article 36 de la convention de Vienne; et que, en outre, à l’égard de ces trois seules personnes, les
Etats-Unis avaient violé le paragraphe2 de l’article 36. Le réexamen et la revision du verdict de
culpabilité et de la peine requis par le paragra phe2 de l’article36, qui constituent le remède
approprié en cas de violation du pa ragraphe1 de l’article36, n’ont pas été effectués. La Cour
considère que, s’agissant des cas de ces trois pe rsonnes, il revient aux Etats-Unis de trouver un
remède approprié qui soit de la nature du réexam en et de la revision conformément aux critères
indiqués dans le présent arrêt.
* - 17 -
Dans les points 4 à 11 (portant sur le fond) du dispositif de l’arrêt, la Cour
«⎯ Ditpar quatorze voix contre une que, en n’informant pas sans retard, lors de leur
détention, les cinquanteetun ressortissants mexicains visés au point1) du
paragraphe106 ci-dessus des droits qui sont les leurs en vertu de l’alinéab) du
paragraphe1 de l’article 36 de la convention de Vienne sur les relations
consulaires du 24avril1963, les Etats-Unis d’Amérique ont violé les obligations
leur incombant en vertu dudit alinéa;
⎯ Dit par quatorze voix contre une que, en ne notifiant pas sans retard au poste
consulaire mexicain approprié la déte ntion des quarante-neufressortissants
mexicains visés au point2) du paragraphe106 ci-dessus et en privant ainsi les
Etats-Unis du Mexique du droit de rendre en temps utile aux intéressés
l’assistance prévue par la convention, les Etats-Unis d’Amérique ont violé les
obligations leur incombant en vertu de l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36;
⎯ Dit par quatorze voix contre une que, en ce qui concerne les
quarante-neufressortissants mexicains visés au point3) du paragraphe106
ci-dessus, les Etats-Unis d’Amérique ont privé les Etats-Unis du Mexique du
droit, en temps utile, de communiquer avec ces ressortissants et de se rendre
auprès d’eux lorsqu’ils sont en détention, et ont de ce fait violé les obligations leur
incombant en vertu des alinéasa) et c) du paragraphe1 de l’article36 de la
convention;
⎯ Dit par quatorze voix contre une qu’en ce qui concerne les trente-quatre
ressortissants mexicains visés au point4) du paragraphe106 ci-dessus, les
Etats-Unis d’Amérique ont privé les Et ats-Unis du Mexique du droit de pourvoir
en temps utile à la représentation en justice desdits ressortissants, et ont de ce fait
violé les obligations leur incombant en vertu de l’alinéac) du paragraphe1 de
l’article 36 de la convention;
⎯ Dit par quatorze voix contre une qu’en ne permettant pas le réexamen et la
revision, au regard des droits définis da ns la convention, du verdict de culpabilité
rendu et de la peine prononcée à l’encontre de M.César Roberto Fierro Reyna,
M. Roberto Moreno Ramos et M. Osvaldo Torres Aguilera, une fois qu’il avait été
établi que les intéressés étaient victimes des violations visées au point4)
ci-dessus, les Etats-Unis d’Amérique ont violé les obligations leur incombant en
vertu du paragraphe 2 de l’article 36 de la convention;
⎯ Dit par quatorze voix contre une que, pour fournir la réparation appropriée en
l’espèce, les Etats-Unis d’Amérique sont tenus d’assurer, par les moyens de leur
choix, le réexamen et la revision des ve rdicts de culpabilité rendus et des peines
prononcées contre les ressortissants mexicains visés aux points4), 5), 6) et7)
ci-dessus, en tenant compte à la fois de la violation des droits prévus par
l’article 36 de la convention et des paragraphes 138 à 141 du présent arrêt;
⎯ Prend acte à l’unanimité de l’engagement pr is par les Etats-Unis d’Amérique
d’assurer la mise en Œuvre des mesures spécifiques adoptées en exécution de leurs
obligations en vertu de l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36 de la convention
de Vienne; et dit que cet engagement doit être considéré comme satisfaisant à la
demande des Etats-Unis du Mexique visant à obtenir des garanties et assurances
de non-répétition; - 18 -
⎯ Dit à l’unanimité que, si des ressortissant s mexicains devaient néanmoins être
condamnés à une peine sévère sans que l es droits qu’ils tiennent de l’alinéa b) du
paragraphe1 de l’article 36 de la convention aient ét é respectés, les Etats-Unis
d’Amérique devront, en mettant en Œuvre les moyens de leur choix, assurer le
réexamen et la revision du verdict de culpabilité et de la peine, de façon à accorder
tout le poids voulu à la violation des dro its prévus par la convention, en tenant
compte des paragraphes 138 à 141 du présent arrêt.
___________ COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
Palais de la Paix, Carnegieplein 2, 2517 KJ La Haye, Pays-Bas
Tél : +31 (0)70 302 2323 Télécopie : +31 (0)70 364 9928
Site Internet : www.icj-cij.org
Résumé
Document non officiel
Annexe au résumé 2004/1
Déclaration de M. le juge Shi, président
Tout en votant en faveur du dispositif de l’a rrêt énoncé en son paragra phe 153, le juge Shi,
président, précise qu’il réitère les vues qu’il a exprimées dans son opinion individuelle jointe à
l’arrêt LaGrand (C.I.J. Recueil 2001, p. 518-524), aussi bien en ce qui concerne l’interprétation de
la Cour selon laquelle les paragraphes1 et2 de l’article36 de la conven tion de Vienne sur les
relations consulaires créent des droits individue ls, qu’à l’égard de ce qu’a décidé la Cour
concernant le «réexamen et la revision du verdict de culpabilité et de la peine» à titre de remède en
cas de manquement par l’Etat de résidence a ux obligations auxquelles il est tenu en vertu de
l’article 36 de la convention.
Déclaration de M. le juge Ranjeva, vice-président
Le juge Raymond Ranjeva, vice-président, a joint une déclaration relative d’abord à la
question de la preuve et la demande de protec tion diplomatique présentée par le Mexique. La
distinction entre la charge de la preuve «burden of proof» et la charge des éléments de preuve
«burden of evidence» a été à juste titre écartée par l’ arrêt, elle est inconnue en droit international
pour être pertinente; en l’absence du pr incipe nemo contra se tenetur edere, l’affaire du Détroit de
Corfou laisse à la Cour la compétence pour dégager sur le plan factuel la non-production de pièces
susceptibles d’appuyer une thèse.
Quant à la demande mexicaine relative à la protection diplomatique, l’auteur de la
déclaration estime que la conven tion de Vienne sur les relations consulaires en consacrant des
droits individuels aux ressortissants étrangers incarcérés, n’accorde pas de place à la protection
diplomatique. L’interdépendance entre les droits énumérés à l’article36 de la convention de
Vienne sur les relations consulaires signifie la corrélation entre l’initiative de l’Etat d’envoi pour la
mise en Œuvre de l’endossement des droits individuels de ses ressortissants et l’absence de refus de
la part du ressortissant incarcéré. Cette corrélati on signifie la possibilité pour l’étranger arrêté de
s’opposer à l’information du poste consulaire de son Etat. De son côté, l’Etat d’envoi peut
revendiquer le respect de son propre droit dès que l’extranéité de l’étranger arrêté est établie.
Opinion individuelle de M. le juge Vereshchetin
Dans son opinion individuelle, le juge Vereshchetin exprime son désaccord avec la partie du
raisonnement de la Cour qui traite des questions concernant le dro it de la protection diplomatique
et la règle connexe de l’épuisement des voies de recours interne (paragraphe 40 de l’arrêt).
En rejetant l’affirmation des Etats-Unis selon laquelle sont irrecevables les demandes du
Mexique soumises au titre de la protection diplomatique de ses ressortissants, la Cour, de l’avis du
juge Vereshchetin, a développé un raisonnement qui équivaut à une nouvelle proposition juridique
extrêmement délicate concernant le droit de la protection diplomatique. En s’écartant de la
condition générale de l’épuisement préalable des voies de recours internes lorsqu’une réclamation
internationale est soumise par un Etat qui pre nd fait et cause pour ses ressortissants, la Cour dit
dans l’arrêt que l’obligation d’épuiser les voies de recours internes ne s’app lique pas à la demande - 2 -
du Mexique en raison des ci rconstances particulières d’interdépendance des droits de l’Etat et des
droits individuels conférés par l’article 36 de la convention de Vienne.
Ayant analysé la jurisprudence de la Cour sur le droit de la protecti on diplomatique et les
projets d’articles sur la protection diplomatique , établis récemment par la Commission du droit
international (CDI), le jugeVereshchetin conclut que, en l’espèce, il n’y a aucune raison décisive
de déroger au critère de la «pré pondérance», appliqué dans la jurisprudence passée de la Cour et
dans les projets d’articles de la CDI à l’égard de demandes «mixtes» soumises par un Etat agissant
en son nom propre et dans l’exercice de son dr oit d’assurer la protection diplomatique de ses
ressortissants.
La règle de l’épuisement des voies de recours internes ne s’applique pas en l’espèce, non pas
du fait du caractère particulier de l’article36 de la convention de Vienne sur les relations
consulaires, qui se distingue implicitement, de par sa nature, d’autres dispositions conventionnelles
qui créent des droits individuels, mais du fait des circonstances particulières mêmes de l’espèce.
Au moment du dépôt de la requête, tous les ressor tissants mexicains concernés étaient déjà dans le
couloir de la mort. Dans ces conditions, exiger l’épuisement de toutes les voies de recours internes
avant d’autoriser le Mexique à exercer son dro it d’assurer la protection diplomatique de ses
ressortissants risquait de conduire à la situation absurde où la Cour aurait à se prononcer lorsque sa
décision ne pourrait avoir aucun effet pratique.
Opinion individuelle de M. le juge Parra-Aranguren
Le juge Parra-Aranguren estime que la Cour aurait dû faire abstraction des exceptions
préliminaires soulevées par les Etats-Unis d’Amérique (ci-après «les Etats-Unis») car, en acceptant
que la procédure ne compte qu’un seul échange de pièces et en ne disant rien sur la question des
exceptions préliminaires, ces derniers avaient consenti à n’en soulever aucune.
Les Etats-Unis «ont…choisi de nier avec véhémence être les auteurs de la moindre
infraction», comme l’a indiqué le Mexique. Ce dernier a reconnu que l’obligation lui incombait
d’apporter la preuve de la na tionalité mexicaine de chacune de s cinquante-deux personnes citées
dans son mémoire. A cette fin, il a présenté les déclarations de quarante-deux d’entre elles, dans
lesquelles celles-ci déclarent être de nationalité mexicaine, ainsi que cinquante-deux actes de
naissance attestant que chacune de ces personnes était née au Mexique, et il a expliqué que,
conformément à l’article 30 de la constitution mexicaine, les intéressés ont automatiquement acquis
la nationalité mexicaine en vertu du droit du sol.
De l’avis du juge Parra-Aranguren, les déclarations présentées sont des documents
unilatéraux qui ne peuvent démontrer la nationalité des quarante-deux personnes concernées; et si
les actes de naissance prouvent sans aucun doute que chacune des cinquante-deux personnes citées
par le Mexique dans son mémoire sont nées au Mexique, ils ne démontrent pas que ce sont des
ressortissants mexicains. Le Mexique n’a pas présenté le texte de l’article 30 de sa constitution, or
«lorsque la Cour internati onale de Justice est appelée à exprimer une opinion quant
aux effets d’une règle de droit interne, elle examinera la règle en cause comme une
question de fait qui doit être traitée comme telle et non comme une question de droit
qui doit faire l’objet d’une décision judiciaire» («Peace ⎯Introduction and Part 1»,
Oppenheim’s International Law, dir. de publ., sir Robert Jennings et sir Arthur Watts,
vol. 1, 9 éd., 1996, p. 83 [traduction du Greffe]).
Il s’agit là d’une règle généralement acceptée, comme l’a indiqué le juge JohnE.Read en
mentionnant une longue série de décisions re ndues par la Cour permanente de Justice
internationale, laquelle a appliqué le principe selon lequel «les lois nationales sont de simples faits»
(Nottebohm, deuxième phase, arrêt (Liechtenstein c. Guatemala) , opinion dissidente du juge Read, - 3 -
6 avril 1955, C.I.J.Recueil , p. 36). Dès lors, le juge Parra-Aranguren estime qu’en ne présentant
pas le texte de l’article30 de sa constitution le Me xique ne s’est pas acquitté de la charge de la
preuve. En conséquence, cette omission ne permet pas d’établir, à partir des éléments de preuve
présentés par le Mexique, que les cinquante- deux personnes citées dans son mémoire ont
automatiquement acquis la nationalité mexicaine en vertu du droit du sol. Pour cette raison, à
moins de s’appuyer sur des motifs qui ne sont p as d’ordre juridique, comme le fait l’arrêt, on ne
peut que conclure, selon le juge Parra-Aranguren, que les griefs formulés par le Mexique contre les
Etats-Unis ne sauraient être accueillis, puisque la preuve de la nationalité mexicaine des
cinquante-deux personnes concernées n’a pas été établie, alors qu’il s’agit là, en l’espèce, d’une
condition nécessaire à l’application de l’article 36 de la convention de Vienne et à l’exercice, par le
Mexique, de son droit à assurer la protection diplom atique de ses ressortissants. Le fait que le
Mexique n’a pu prouver que les cinquante-deux pe rsonnes citées dans son mémoire sont de
nationalité mexicaine constitue, par conséquent, la raison fondamentale pour laquelle il a voté
contre les points 4), 5), 6), 7), 8) et 9) du paragraphe 153.
Le paragraphe40 dispose que la règle de l’épuisement des voies de recours internes ne
s’applique pas à la demande contenue dans la première conclusion finale du Mexique, dans laquelle
celui-ci prie la Cour de dire et juger que les Etats-Unis ont violé leurs obligations juridiques
internationales envers le Mexique agissant en son nom propre et dans l’exercice du droit qu’a cet
Etat d’assurer la protection diplomatique de ses ressortissants. Le juge Parra-Aranguren n’est pas
d’accord avec cette conclusion car, selon lui, la rè gle de l’épuisement des voies de recours internes
s’applique dans des cas où l’Etat requérant a subi indirectement un préjudice, c’est-à-dire à travers
ses ressortissants, mais ne s’applique pas lorsqu’il a subi directement un préjudice par le fait illicite
d’un autre Etat. Comme la Commission du droit international l’a récemment fait observer, «[e]n
pratique, il est difficile de déterminer si la r éclamation est «directe» ou «indirecte» lorsqu’elle
«mélange» des éléments constitutifs de préjudice pour l’Etat et des éléments constitutifs de
préjudice pour ses nationaux». Tel est le cas en l’espèce comme l’admet la Cour au paragraphe 40
de l’arrêt, lorsqu’elle fait état des «circonstances toutes particulières d’interdépendance des droits
de l’Etat et des droits individuels» et indiqu e que, pour cette raison, e lle devait examiner les
différents éléments de la demande «pour décider si c’est l’élément direct ou indirect qui est
prépondérant»; la Cour aurait également pu appliquer le critère de la condition sine qua non ou «en
l’absence de» qui soulève la question de savoir si la réclamation visant des éléments de préjudice
tant direct qu’indirect aurait été introduite sans la demande pour le compte du national lésé.
(Nations Unies, Rapport de la Commission du droit international, cinquante-cinquième session
(5mai–6 juin et 7 juillet–8 août 2003) ; Documents officiels de l’Assemblée générale,
cinquante-huitième session, supplément n o 10 (A/58/10), p.89-90). Le juge Parra-Aranguren
estime que le Mexique n’aurait pas présenté sa demande contre les Etats-Unis si ses ressortissants
n’avaient pas subi de préjudice; il considère que, par conséquent, la règle de l’épuisement des voies
de recours internes s’applique aux demandes présen tées par le Mexique «en son nom propre» dans
sa première conclusion finale. Il s’ensuit que la Cour aurait dû examiner chacun des cas
individuels pour déterminer si les voies de rec ours internes avaient été épuisées; si tel n’avait pas
été le cas, la demande présentée par le Mexique dans l’exercice de son droit à assurer la protection
diplomatique de ses ressortissants aurait du être re jetée, à moins qu’elle ne relève de l’une des
exceptions coutumières à la règle de l’épuisement des voies de recours internes prévues à
l’article 10 des projets d’articles sur la protecti on diplomatique établis par la Commission du droit
international.
Le juge Parra-Aranguren souhaite insister sur le fait que le délai imparti par la Cour pour le
dépôt des opinions ne lui a pas permis d’expliquer de manière exhaustive les raisons de son
désaccord sur les points 4), 5), 6), 7), 8) et 9) du paragraphe 153. - 4 -
Opinion individuelle de M. le juge Tomka
Dans son opinion individuelle, le juge Tomka exprime le point de vue selon lequel la Cour
ne pouvait arriver à la conclusion que les droits i ndividuels des ressortissants mexicains auraient
été violés que si elle acceptait la prétention du Mexique suivant laquelle ce dernier exerçait son
droit à la protection diplomatique.
Dans ce cas, on ne pouvait négliger l’ex ception des Etats-Unis selon laquelle les
ressortissants mexicains n’ont pas épuisé les voies de recours internes. Mais vu la pratique des
tribunaux des Etats-Unis qui, jusqu’ici, n’accordent pas, pour diverses raisons, de réparation
efficace pour les violations des droits individuels conférés par l’alinéab) du paragraphe1 de
l’article36 de la convention de Vienne, il conclut que la condition de l’épuisement des voies de
recours internes ne s’applique pas dans la présente affaire.
Le jugeTomka exprime des doutes quant à l’idée que l’obligation d’informer un étranger
arrêté des droits qu’il tient de l’ article 36 de la convention de Vie nne ne s’applique qu’à partir du
moment où les autorités prennent conscience que la personne arrêtée est un ressortissant étranger,
ou lorsqu’il existe des raisons de penser qu’il s’agit probablement d’un ressortissant étranger.
Selon lui, l’obligation d’informer s’impose dès lors qu’un étranger est placé en détention.
Le juge Tomka partage la conclusion de la Cour selon laquelle celle-ci ne saurait accueillir la
demande du Mexique visant la cessation par les Etats-Unis des violations de leurs obligations en
vertu de l’article36 de la convention de Vie nne, parce que le Mexique n’a pas établi que ces
violations avaient eu un caractère continu. Mais il trouve le fait que les cinquante-deux cas pénaux
individuels sont pendants devant les juridictions internes ainsi que le caractère du remède approprié
sans pertinence, en ce qui concerne l’obligation de cessation.
Opinion individuelle de M. le juge ad hoc Sepúlveda
Le juge ad hoc Sepúlveda déclare que, même s’il adhère à la plupart des conclusions de la
Cour, il a quelques doutes et quelques réserves qua nt au raisonnement suivi par celle-ci pour
parvenir à certaines de ces conclusions. Tel est le cas, en particulier, des points suivants :
1. La Cour s’est prononcée en faveur d’une interp rétation restrictive du droit de la responsabilité
des Etats, limitant ainsi les mesures de réparation demandées par le Mexique.
2. Dans sa décision, la Cour n’apporte pas assez d’éclaircissements, lorsqu’elle répond à la
demande du Mexique tendant à ce qu’elle dise que les Etats-Unis ont violé leurs obligations
juridiques internationales envers le Mexique, en son nom propre et dans l’exercice du droit qu’a
cet Etat d’assurer la protection diplomatique de ses ressortissants.
3. L’arrêtAvena s’écarte nettement des conclusions de l’arrêt LaGrand pour ce qui est des
questions liées aux circonstances dans lesquelles il doit y avoir épuisement des voies de recours
internes, à l’application de la règle de la carence procédurale et au déni de justice.
4. Il n’est pas fondé, au regard des faits et du droit, de supposer que les fonctionnaires consulaires
peuvent prêter leur assistance à l’accusé pour pourvoir à sa représentation en justice lorsque
l’Etat d’envoi a été informé par des moyens autres que ceux prévus à l’article36 de la
convention de Vienne. Un examen des cas cités dans l’arrêt montre que, dans la plupart voire
dans la totalité de ces cas, la nécessité d’une représentation en justice revêtait, dès le départ, une
importance capitale.
5. La lecture des «droits Miranda» et l’article 36 de la convention de Vienne sont étroitement liés,
en ce que l’une et l’autre visent à créer un régime de protection des droits qui influe directement - 5 -
sur le caractère équitable du procès. La pr otection consulaire peut constituer un élément
important d’une procédure régulière , surtout dans les affaires où la peine de mort peut être
prononcée.
6. Il ne paraît guère possible de parvenir à une réparation intégrale si l’ambiguïté de l’expression
«par les moyens de leur choix» subsiste, et si cette expression n’est pas davantage précisée par
l’ajout de mesures spécifiques.
___________
Résumé de l'arrêt du 31 mars 2004