Résumés des arrêts, avis consultatifs et ordonnances de la Cour
internationale de Justice
Document non officiel
AFFAIREDEL’INCIDENTAÉRI EN DU 10AOÛT 1999 (PAKISTAN c. INDE)
(COMPÉTENCE DE LACOUR)
Arrêt du 21 juin 2000
Dans son arrêt sur l’affaire de l’Incident aérien du lesquelles les deux Parties ont reconnu la juridiction
10 août 1999 (Pakistan c. Inde), par quatorze voix contre obligatoire de la Cour.
deux, la Cour a déclaré qu’elle n’a pas compétence pour Par lettre du 2novembre1999, l’agent de l’Inde a fait
connaître de la requête déposée par la République islamique
savoir à la Cour que son gouvernement «souhait[ait]
du Pakistan contre l’Inde. présenter des exceptions préliminaires à la compétence de la
La Cour était composée comme suit: M.Guillaume, Cour ... pour connaître de la requête du Pakistan». Ces
Président; M.Shi, Vice-Prés ident; MM.Oda, Bedjaoui, exceptions étaient formulées de la manière suivante, dans
Ranjeva, Herczegh, Fleischha uer, Koroma, Vereshchetin, une note jointe à la lettre :
M me Higgins, MM. Parra-Aranguren, Kooijmans, Al-
Khasawneh, Buergenthal, juges; MM. Pirzada, Reddy, juges «i)La requête du Pakistan ne renvoie à aucun traité
ou convention en vigueur entre l’Inde et le Pakistan
ad hoc; M. Couvreur, Greffier. qui donnerait compétence à la Cour en vertu du
paragraphe 1 de l’Article 36 du Statut.
* ii) Le Pakistan ne tient pas compte dans sa requête
* * des réserves formulées dans la déclaration que l’Inde
Le texte complet du dispositif (par. 56) est le suivant : a faite le 15septembre 1974 conformément aux
« Par ces motifs, dispositions du paragraphe 2 de l’Article 36 du
Statut. En particulier, le Pakistan, étant un État
LA COUR, membre du Commonwealth, n’est pas en droit
Par quatorze voix contre deux, d’invoquer la juridiction de la Cour, du fait que
Dit qu’elle n’a pas compétence pour connaître de la l’alina) du premier paragraphe de ladite
requête déposée par la République islamique du Pakistan
déclaration exclut de la juridiction de la Cour tous les
le 21 septembre 1999. différends mettant en cause l’Inde et tout État qui
POUR: M. Guillaume, Président; M.Shi, Vice- “est ou a été membre du Commonwealth de nations”.
Président; MM.Oda, Bedjao ui, Ranjeva, Herczegh, iii)Le Gouvernement de l’Inde déclare aussi que
Fleischhauer, Koroma, Vereshchetin, M meHiggins, l’alinéa7) du premier para graphe de sa déclaration
MM. Parra-Aranguren, Kooijmans, Buergenthal, juges; du 1septembre 1974 empêche le Pakistan
M. Reddy, juge ad hoc;
d’invoquer contre l’Inde la juridiction de la Cour en
CONTRE : M. Al-Khasawneh, juge; M. Pirzada, cas de différend relatif à l’interprétation ou à
juge ad hoc. » l’application d’un traité multilatéral, à moins qu’en
même temps toutes les parties au traité ne soient
* également devenues parties à l’affaire dont la Cour
* * est saisie. En invoquant dans sa requête la Charte des
Nations Unies, qui est un traité multilatéral, pour
MM.Oda et Koroma, juges, et M.Reddy, juge ad hoc,
joignent à l’arrêt les exposés de leur opinion individuelle. fonder sa demande, le Pakistan tombe clairement
sous le coup de cette réserve. L’Inde affirme en outre
MA. l-Khasawneh, juge, et M. Pirzada, juge ad hoc, qu’elle n’a donné aucun consentement ou conclu
joignent à l’arrêt les exposés de leur opinion dissidente. avec le Pakistan aucun compromis qui déroge à cette
prescription. »
*
* * À l’issue d’une réunion que le Président de la Cour a
tenue avec les représentants des Parties le 10novembre
Rappel de la procédure et conclusions des Parties 1999, les Parties sont provisoirement convenues de
demander qu’il soit statué séparément, avant toute
(par. 1 à 11) procédure sur le fond, sur la question de la compétence de la
La Cour commence par rappeler que, le 21septembre Cour en l’espèce, étant entendu que le Pakistan présenterait
d’abord un mémoire consacré à cette seule question et que
1999, le Pakistan a déposé au Greffe de la Cour une requête
introduisant une instance contre l’Inde au sujet d’un l’Inde pourrait lui répondre dans un contre-mémoire limité à
différend relatif à la destruction, le 10 août 1999, d’un avionla même question.
pakistanais. Dans sa requête, le Pakistan fondait la Par ordonnance du 19novembre 1999, la Cour, compte
compétence de la Cour sur les paragraphes1 et 2 de tenu de l’accord intervenu entre les Parties, a décidé que la
l’Article 36 du Statut, ainsi que sur les déclarations par
153procédure s’agencerait de la sorte et a fixé les dates 2) les déclarations faites par les Parties en vertu du
paragraphe 2 de l’Article 36 du Statut de la Cour;
d’expiration des délais pour le dépôt d’un mémoire du 3) le paragraphe 1 de l’Article 36 dudit Statut;
Pakistan et d’un contre-mémoire de l’Inde sur cette et que l’Inde conteste chacun e de ces bases de compétence.
question. Des audiences publiques ont été tenues du 3 au La Cour les examine successivement.
6 avril 2000.
* L’article 17 de l’Acte général de 1928
(par. 13 à 28)
Dans la requête, le Pakistan prie la Cour de dire et
juger : Le Pakistan se réfère tout d’abord à l’article 17 de l’Acte
général de 1928, selon lequel :
« a) que les actes de l’Inde décrits plus haut «Tous différends au sujet desquels les parties se
constituent une violation des diverses obligations contesteraient réciproquement un droit seront, sauf les
découlant de la Charte des Nations Unies, du droit
international coutumier et des traités mentionnés dans le réserves éventuelles prévues à l’article39, soumis pour
corps de la présente requête, violation dont la jugement à la Cour permanente de Justice internationale,
République de l’Inde porte seule la responsabilité; à moins que les parties ne tombent d’accord, dans les
termes prévus ci-après, pou r recourir à un tribunal
b )que l’Inde doit réparation à la République arbitral.
islamique du Pakistan pour la perte de l’avion et au titre Il est entendu que les différends ci-dessus visés
de l’indemnisation des héritiers des personnes tuées du
fait de la violation des obligations que lui imposent la comprennent notamment ceux que mentionne
Charte des Nations Unies ainsi que les règles du droit l’Article36 du Statut de la Cour permanente de Justice
international coutumier et les dispositions des traités internationale. »
Le Pakistan souligne en outre que, selon l’Article 37 du
applicables en l’espèce. » Statut de la Cour internationale de Justice :
Dans la note jointe à sa lettre du 2novembre 1999,
l’Inde prie la Cour : «Lorsqu’un traité ou une convention en vigueur prévoit
«i)de dire et juger que la requête du Pakistan est le renvoi ... à la Cour permanente de Justice
internationale, la Cour internationale de Justice
dépourvue de fondement pour invoquer la juridiction constituera cette juridiction en tre les parties au présent
de la Cour contre l’Inde, étant donné que le requérant Statut. »
est membre du Commonwealth de nations; et
ii) de dire et juger que le Pakistan ne peut invoquer Il rappelle enfin que l’Inde britannique avait, le 21mai
la juridiction de la Cour pour qu’elle statue sur des 1931, adhéré à l’Acte général de 1928. Il estime que l’Inde
et le Pakistan sont par la suite devenus parties à l’Acte
demandes fondées sur certaines dispositions de la général. Dès lors, la Cour aurait compétence pour connaître
Charte des Nations Unies, en particulier le de la requête pakistanaise sur la base de l’application
paragraphe 4 de l’Article 2, car il est patent que tous combinée de l’article 17 de l’Acte général et de l’Article 37
les États parties à la Charte ne se sont pas joints à la
requête, et que, dans ces conditions, la réserve du Statut.
formulée par l’Inde à l’alinéa 7) du paragraphe1 de En réponse, l’Inde soutient en premier lieu que «l’Acte
sa déclaration ôte sa compétence à la Cour. » général d’arbitrage de 1928 n’est plus en vigueur et que, le
serait-il, il ne saurait être efficacement invoqué pour fonder
À l’issue des audiences, le Pakistan a prié la Cour la compétence de la Cour ». Elle expose que de nombreuses
«i) de rejeter les exceptions préliminaires soulevées dispositions de l’Acte général, et notamment ses articles6,
par l’Inde;
7, 9 et 43 à 47, renvoient à des organes de la Société des
ii) de dire et juger qu’elle est compétente pour Nations ou à la Cour permanente de Justice internationale;
statuer sur la requête déposée par le Pakistan le que du fait de la disparition de ces institutions, l’Acte
21 septembre 1999; et général a « perdu son efficacité première »; que l’Assemblée
iii) de fixer les délais pour la suite de la procédure en générale des Nations Unies l’a constaté lorsqu’en 1949 elle
l’affaire. » a adopté un nouvel Acte général; que « les parties à l’ancien
L’Inde a prié la Cour «de dire et juger qu’elle n’est pas Acte général qui n’ont pas ratifié le nouveau ne peuvent » se
compétente pour connaître de la requête du Gouvernement prévaloir de l’ancien «que “dans la mesure où il pourrait
du Pakistan ». encore jouer”, c’est-à-dire dans la mesure ... où les
La Cour commence par rappeler que pour établir la dispositions modifiées ne sont pas en cause»; que
l’article17 est de ceux qui ont été modifiés en 1949 et que,
compétence de la Cour en l’esp èce, le Pakistan s’est, dans par suite, le Pakistan ne saurait aujourd’hui l’invoquer.
son mémoire, fondé sur :
1) l’article 17 de l’Acte général pour le règlement En deuxième lieu, les Parties s’opposent en ce qui
pacifique des différends internationaux signé à Genève le concerne les conditions dans lesquelles elles auraient
26septembre 1928 (ci-après dénommé l’«Acte général de succédé en 1947 aux droits et obligations de l’Inde
1928 »); britannique, à supposer, ainsi que le soutient le Pakistan,
154qu’alors l’Acte général ait été encore en vigueur et ait lié parties à l’Acte lors de leur accession à l’indépendance. En
l’Inde britannique. À cet égard, l’Inde expose que l’Acte outre, l’Inde conteste, sur la base de la communication
général constituait un traité de caractère politique qui, par adressée par elle au Secrétaire général de l’Organisation des
nature, n’était pas transmissible. Elle ajoute qu’en tout état Nations Unies le 18septem bre 1974 et des réserves
de cause, elle n’a pas fait de déclaration de succession. Bien formulées en 1931 par l’Inde britannique, que l’Acte général
plus, elle rappelle qu’elle a clairement indiqué dans sa puisse constituer une source de compétence de la Cour pour
communication du 18septembre 1974 au Secrétaire général connaître d’un différend entre les deux Parties. Il est clair
de l’Organisation des Nations Unies que que si la Cour devait tenir pour fondée la thèse de l’Inde sur
l’un quelconque de ces terrains, il ne serait plus nécessaire
«[d]epuis son accession à l’ indépendance en 1947, le
Gouvernement indien ne s’est jamais considéré comme pour elle de se prononcer sur les autres.
lié par l’Acte général de 1928, que ce soit par succession Comme la Cour l’a souligné dans l’affaire relative à
ou autrement. En conséquence, l’Inde n’a jamais été Certains emprunts norvégiens , quand sa compétence est
partie à l’Acte général de 1928 depuis ... et elle n’y est contestée pour des motifs distincts, «[l]a Cour est libre de
pas actuellement partie ». baser sa décision sur le motif qui, selon elle, est plus direct
Le Pakistan, rappelant que l’Inde britannique était avant et décisif. C’est ainsi qu’en l’affaire du Plateau
1947 partie à l’Acte général de 1928, soutient à l’inverse continental de la mer Égée la Cour s’est prononcée sur
que l’Inde devenue indépendante y est demeurée partie, car l’effet d’une réserve apportée par la Grèce à l’Acte général
en ce qui la concerne « il n’y [a urait] pas [eu] succession ... de 1928 sans statuer sur la question de savoir si cette
[mais]... continuité», et que dès lors le «débat sur la non- convention était demeurée en vigueur. Dans la
transmission des traités dits de caractère politique n’est pas communication adressée par l’Inde au Secrétaire général de
l’Organisation des Nations Unies le 18septembre 1974, le
pertinent en l’occurrence». Aussi la communication du
18septembre 1974 constituerait-elle une prise de position Ministre des affaires étrangères de l’Inde a déclaré que
subjective dépourvue de toute validité objective. Quant au l’Inde considérait qu’elle n’ava it jamais été partie à l’Acte
Pakistan, il aurait accédé à l’Acte général par voie de général de 1928 comme État indépendant. La Cour estime
succession automatique en 1947 en vertu du droit qu’on ne pouvait donc s’attendre à ce qu’elle le dénonçât
international coutumier. En outre, selon le Pakistan, la formellement. Mais elle relève qu’à supposer même que
l’Acte général ait lié l’Inde, la communication indienne du
question a été, en ce qui concerne les deux États, 18 septembre 1974 doit être regardée, dans les circonstances
expressément réglée par l’article 4 de l’annexe à
l’ordonnance relative à l’ indépendance (accords de l’espèce, comme ayant rempli la même fonction juridique
internationaux) prise par le Gouverneur général des Indes le que la notification de dénoncia tion prévue à l’article 45 de
14 août 1947. Cet article prévoyait que seraient dévolus à la l’Acte. Il résulte de ce qui précède que l’Inde, en tout état de
fois au Dominion de l’Inde et au Dominion du Pakistan les cause, aurait cessé d’être liée par l’Acte général de 1928 au
droits et obligations découlant de tous les accords plus tard le 16 août 1979, date à laquelle aurait pris effet une
dénonciation de l’Acte général opérée conformément à
internationaux auxquels l’Inde britannique était partie.
L’Inde conteste l’interprétation ainsi donnée de l’article 45 dudit acte. L’Inde ne saurait être regardée
l’ordonnance du 14 août 1947 (accords internationaux) et de comme partie audit acte à la date à laquelle la requête a été
l’accord annexé. Elle invoque à l’appui de cette thèse un déposée par le Pakistan dans la présente affaire. Par voie de
arrêt rendu le 6juin 1961 par la Cour suprême du Pakistan conséquence, la Cour n’a pas compétence pour connaître de
et fait état d’un rapport du comité d’experts n oIX sur les la requête sur la base des dispositions de l’article17 de
l’Acte général de 1928 et de l’Article 37 du Statut.
relations extérieures qui, en 19 47, avait été chargé, dans le
cadre de la préparation de l’ordonnance susmentionnée,
d’« [e]xaminer les effets de la partition et faire à ce sujet des Déclarations d’acceptation de la juridiction
recommandations». Le Pakistan n’aurait pu devenir et ne de la Cour par les Parties
serait pas devenu partie à l’Acte général de 1928. Chacune (par. 29 à 46)
des Parties invoque par ailleurs à l’appui de sa thèse la
Le Pakistan entend en deuxième lieu fonder la
pratique suivie depuis 1947. compétence de la Cour sur les déclarations que les Parties
* ont formulées conformément au paragraph2 e de
l’Article36 du Statut. La décl aration actuelle du Pakistan a
La Cour observe que la question de savoir si l’Acte été déposée auprès du Secrétai re général de l’Organisation
général de 1928 doit être regardé comme une convention en des Nations Unies le 13septembre 1960; la déclaration
vigueur pour l’application de l’Article 37 du Statut de la actuelle de l’Inde a, quant à elle, été déposée le
Cour a déjà été soulevée, mais non tranchée, dans des 18septembre 1974. L’Inde conteste que la Cour ait
instances précédentes devant la Cour. Au cas particulier et compétence en l’espèce sur la ba se de ces déclarations. Elle
comme il a été rappelé ci-de ssus, les Parties ont discuté invoque, à l’appui de sa thèse, les réserves contenues aux
longuement de cette question, comme de celle de savoir si alinéas 2) et 7) du premier paragraphe de sa déclaration
l’Inde britannique était liée en 1947 par l’Acte général et, concernant «2) les différends avec le gouvernement d’un
dans cette hypothèse, si l’Inde et le Pakistan étaient devenus État qui est ou a été membre du Commonwealth de
155nations; » et « 7) les différendsrelatifs à l’interprétation ou à L’Inde rejette aussi les arguments subsidiaires du Pakistan
l’application d’un traité multilatéral, à moins que toutes les fondés sur l’estoppel pour ce qui est de l’accord de Simla et
parties au traité ne soient également parties à l’affaire dont sur la caducité.
la Cour est saisie ou que le Gouvernement indien n’accepte
spécialement la juridiction de la Cour ». *
La Cour se penche en premier lieu sur l’argument du
« La réserve Commonwealth »
Pakistan selon lequel la réserve Commonwealth est une
(par. 30, 31 et 34 à 46) réserve extrastatutaire ne co rrespondant pas aux conditions
En ce qui concerne la première de ces réserves, relative prévues au paragraphe 3 de l’Article 36 du Statut. D’après le
aux États membres ou anciens membres du Commonwealth Pakistan, cette réserve ne lui serait ni applicable ni
opposable en l’espèce, faute d’ acceptation. La Cour relève
(dénommée ci-après la «réserve Commonwealth»), le que le paragraphe 3 de l’Article 36 de son Statut n’a jamais
Pakistan a soutenu dans ses écritures qu’elle était
« dépourvue d’effet juridique », au motif qu’elle entrerait en été regardé comme fixant de manière exhaustive les
conflit avec le «principe de l’égalité souveraine» et avec conditions sous lesquelles des déclarations pouvaient être
«le caractère universel des droits et obligations des faites. Dès 1928, l’Assemblée de la Société des Nations
Membres de l’Organisation des Nations Unies», qu’elle avait précisé: «les réserves concevables peuvent porter,
d’une manière générale, sur certains aspects de n’importe
serait contraire à la « bonne foi » et qu’elle contreviendrait à quel différend ou, d’une manièr e spéciale, sur certaines
diverses dispositions de la Charte des Nations Unies et du catégories ou listes de différends, et ... il est d’ailleurs
Statut de la Cour. Dans son mémoire, le Pakistan a allégué
en particulier que la réserve en question « ne correspond[ait] loisible de combiner ces divers genres de réserves»
à aucune des conditions prévues au paragraphe3 de (résolution adoptée le 26 septembre 1928).
l’Article 36 du Statut», qui énumère selon lui «de façon Par ailleurs, à l’occasion de la rédaction du Statut de la
exhaustive les conditions [auxquelles peut être subordonnée présente Cour, la faculté po ur un État d’assortir sa
déclaration de réserves a été confirmée, et cette faculté a été
une déclaration], comme sui:t is)ous condition de reconnue dans la pratique des États. La Cour ne saurait donc
réciprocité de la part de plusieurs ou de certains États; ou
ii)pour un délai déterminé». Dans ses plaidoiries, le accepter l’argument du Pakistan selon lequel une réserve
Pakistan a développé son argumentation relative au telle que la réserve Commonwealth de l’Inde pourrait être
paragraphe 3 de l’Article 36 du Statut en faisant valoir que considérée comme «ex trastatutaire», car excédant les
les réserves qui, telle la réserve Commonwealth, prévisions du paragraphe 3 de l’Article 36 du Statut. Elle
n’entreraient pas dans les catégories autorisées par cette n’a donc pas à poursuivre l’examen de la question des
réserves extrastatutaires.
disposition devraient être considérées comme
«extrastatutaires». Et de pr éciser à cet égard ce qui suit: La Cour ne saurait davant age accepter l’argument du
«la Cour ne peut appliquer une réserve extrastatutaire Pakistan selon lequel la réserve indienne en question serait
formulée par l’État défendeu r à l’encontre de l’État un acte discriminatoire constitutif d’abus de droit au motif
requérant que si un élément de l’affaire l’autorise à que cette réserve aurait pour seule fin d’empêcher le
conclure... que le requérant a accepté la réserve». Le Pakistan d’engager une action contre l’Inde devant la Cour.
Pakistan a en outre allégué à l’audience que la réserve en Elle constatera tout d’abord que ladite réserve vise en
question était « de toute façon inapplicable, non en raison de termes généraux les États membres ou anciens membres du
son caractère extrastatutaire et de son inopposabilité au Commonwealth. Elle ajoutera que les États sont en tout état
Pakistan, mais parce qu’elle [était] caduque ». Le Pakistan a de cause libres de limiter la portée qu’ils entendent donner
enfin ajouté que la réserve Commonwealth de l’Inde, qui ratione personae à leur acceptation de la juridiction
aurait ainsi perdu toute raison d’être, ne pouvait viser obligatoire de la Cour.
aujourd’hui que le Pakistan.
La Cour se penche en second lieu sur l’argument du
L’Inde rejette l’argumentation ainsi présentée par le Pakistan selon lequel la réserve Commonwealth serait
Pakistan. Dans ses plaidoiries, l’Inde a souligné à cet égard frappée de caducité, les membres du Commonwealth de
toute l’importance qui s’attache selon elle à la recherche de nations n’étant plus unis par une commune allégeance à la
l’intention de l’État déclarant. Elle a soutenu qu’il n’y avait Couronne, et les modes de règlement des différends
«absolument aucune preuve que la réserve [sous examen] originellement envisagés n’ayant pas vu le jour. La Cour
sorte des limites des dispositions du paragraphe 3 de rappelle qu’elle «interprète... les termes pertinents d’une
l’Article 36» du Statut et qu’il était «effectivement admis déclaration, y compris les ré serves qui y figurent, d’une
depuis longtemps que dans le régime de la clause facultative manière naturelle et raisonnable, en tenant dûment compte
un État peut choisir ses parten aires». L’Inde a également de l’intention de l’État concerné à l’époque où ce dernier a
mis en cause le bien-fondé de la théorie des réserves accepté la juridiction obligatoire de la Cour » (C.I.J. Recueil
« extrastatutaires » avancée par le Pakistan, en faisant valoir 1998, p. 454, par. 49).
qu’il suffirait à «[tout] État à l’encontre duquel [serait] Certes, les raisons historiques qui ont expliqué à
invoquée une [telle] réserve, que lle qu’elle soit, de déclarer
l’origine l’apparition de la réserve Commonwealth dans les
pour s’y soustraire qu’elle a un caractère extrastatutaire».
156déclarations de certains États faites en vertu de la clause Obligation de régler les différends
par des moyens pacifiques
facultative ont pu évoluer ou disparaître. Toutefois, de telles (par. 51 à 55)
considérations ne sauraient prévaloir sur l’intention d’un La Cour enfin rappelle que son absence de juridiction ne
État déclarant, telle qu’elle trouve son expression dans le dispense pas les États de leur obligation de régler leurs
texte même de sa déclaration. L’Inde a indiqué dans quatre
déclarations par lesquelles elle a accepté la juridiction différends par des moyens pacifiques. Le choix de ces
moyens appartient certes aux parties conformément à
obligatoire de la Cour, depuis son indépendance en 1947, l’Article 33 de la Charte des Nations Unies. Mais elles n’en
qu’elle souhaitait limiter de cette manière la portée ratione sont pas moins tenues de rechercher un tel règlement, et de
personae de son acceptation de la juridiction de la Cour. le faire de bonne foi conformément au paragraphe 2 de
Quelles qu’aient pu être les raisons de cette limitation, celle- l’Article 2 de la Charte. En ce qui concerne l’Inde et le
ci s’impose à la Cour.
La Cour considère en outre que l’article premier de Pakistan, cette obligation a ét é précisée par l’accord conclu
à Simla le 2juillet 1972. En outre, par la déclaration de
l’accord de Simla, dont le paragraphe ii) dispose notamment Lahore du 21 février 1999, « la détermination des deux pays
que «[l]es deux pays sont résolus à régler leurs différends de mettre en Œuvre l’accord de Simla» a été réaffirmée.
de façon pacifique par voie de négociations bilatérales, ou Aussi la Cour entend-elle rappeler aux Parties l’obligation
par tous autres moyens pacifiques dont ils pourront qu’elles ont de régler par des moyens pacifiques leurs
convenir...» constitue un engagement, en termes généraux, différends, et en particulier le différend né de l’incident
des deux États de régler leurs différends de manière
pacifique par les moyens qu’ils conviendront de choisir d’un aérien du 10août 1999, conformément aux engagements
auxquels elles ont souscrit.
commun accord. Ladite dispositi on ne modifie en rien les
règles particulières qui régissent le recours à chacun de ces Opinion individuelle du juge Oda
moyens, y compris le règlement judiciaire. La Cour ne peut
donc accueillir l’argument du Pa kistan tiré en l’espèce de M. Oda est en plein accord avec la Cour lorsque celle-ci
l’estoppel. conclut qu’elle n’est pas compétente pour connaître de la
requête déposée par le Pakistan.
Il ressort de ce qui précède que la réserve
Commonwealth, contenue à l’ alinéa 2) du premier La Cour écarte l’Acte général de 1928 que le Pakistan
paragraphe de la déclaration indienne du 18septembre invoque comme base de compétence de la Cour. Après avoir
1974, peut être valablemen t invoquée en l’espèce. Le analysé l’adhésion de l’Inde au dit acte, la dénonciation de
Pakistan «[étant] ... membre du Commonwealth de cet acte par l’Inde et l’éventualité que le Pakistan lui ait
nations», la Cour conclut qu’elle n’a pas compétence pour succédé en tant que partie à l’Acte, la Cour écarte ledit acte
connaître de la requête sur la base du paragraphe 2 de au motif qu’en tout état de cause l’Inde n’y était pas partie à
l’Article 36 du Statut. La Cour n’a, partant, pas à examiner la date du dépôt de la requête du Pakistan en 1999.
l’exception tirée par l’Inde de la réserve relative aux traités M. Oda ne se démarque pas du raisonnement de la Cour
multilatéraux figurant à l’alinéa 7) du premier paragraphe de sur ce point. Après avoir analysé les modalités de rédaction
sa déclaration. de l’Acte général de 1928 et le développement, dans les
années 20, des questions relatives à la juridiction obligatoire
de la Cour permanente de Justice internationale à l’époque
Le paragraphe 1 de l’Article 36 du Statut
(par. 47 à 50) de la Société des Nations, il estime que l’Acte général ne
Le Pakistan a enfin entendu fonder la compétence de la saurait en lui-même être co nsidéré comme prévoyant la
juridiction obligatoire de la Cour indépendamment ou en
Cour sur le paragraphe 1 de l’Article 36 du Statut. La Cour plus de la «clause facultative» du paragraphe2 de
observe que la Charte des Nations Unies ne contient aucune l’Article 36 du Statut, soit de la Cour permanente, soit de la
clause spécifique conférant, par elle-même, juridiction Cour actuelle. Il relève également que tous les États qui ont
obligatoire à la Cour. Aucune clause de ce type ne figure, en adhéré à l’Acte général ont déjà accepté la juridiction
particulier, au paragraphe 1 de l’Article premier, aux
paragraphes3 et 4 de l’Article 2, à l’Article 33, au obligatoire de la Cour en faisant des déclarations en
application de la «clause facultative» du paragraphe2 de
paragraphe 3 de l’Article 36 et à l’Article 92 de la Charte, l’Article 36 du Statut de la Cour et n’entendent pas assumer
invoqués par le Pakistan. La Cour observe aussi que le d’autres obligations relatives à la juridiction de la Cour.
paragraphe i) de l’article de l’accord de Simla correspond à Pour M.Oda, la compétence la Cour ne peut découler
un engagement que les deux États ont pris de respecter les
buts et principes de la Charte dans leurs relations mutuelles. que du paragraphe 1 ou du paragraphe 2 de l’Article 36 du
Elle n’emporte comme telle aucune obligation de l’Inde et Statut et ne saurait donc pas reposer sur l’Acte général de
du Pakistan de soumettre leurs différends à la Cour. La Cour 1928.
n’a par suite pas compétence pour connaître de la requête
sur la base du paragraphe 1 de l’Article 36 du Statut.
157 Opinion individuelle du juge Koroma Opinion dissidente du juge Al-Khasawneh
Dans son opinion individuelle, M.Koroma déclare que, Dans son opinion dissidente, MA .l-Khasawneh,
bien qu’il souscrive entièrement aux conclusions de la Cour rappelant que le défaut de compétence ne signifie pas en soi
et aux motifs qui les sous-tendent, il estime que l’arrêt aurait que le différend n’est pas justiciable, se joint à la Cour dans
dû répondre aux questions de justiciabilité et de compétence l’appel qu’elle a lancé aux de ux États pour que ceux-ci
qui ont été soulevées au cours de la procédure, étant donné règlent le présent différend ainsi que d’autres par des
l’importance de l’affaire. moyens pacifiques. Il estime qu’un tel appel est pressant,
Il reconnaît que les actes dont le Pakistan tire grief, et compte tenu de la possibilité d’une intensification
leurs conséquences, soulèvent des questions juridiques qui dangereuse, et pertinent, compte tenu du fait que l’Inde a
impliquent un conflit entre les droits et obligations des rejeté tous autres modes de règlement pacifique avant que
cette affaire ne soit portée devant la Cour.
Parties. Toutefois, il observe que pour qu’une question soit
soumise à la Cour, il faut que les Parties y aient consenti, Il reconnaît avec la majorité qu’il n’existe pas un
soit préalablement à l’introduction de l’instance ou au cours système complet de juridiction qui découle de la Charte des
de celle-ci. Nations Unies. Il suit aussi, mais avec beaucoup
Il développe ce point de vue en faisant remarquer que la d’hésitation, le point de vue de la majorité selon lequel
l’Acte général de 1928 ne fournissait pas une base de
question de savoir s’il existe un conflit entre les droits et les compétence, compte tenu de la communication faite par
obligations entre des parties à un différend et si le droit
international s’y applique (question de la justiciabilité) est l’Inde en 1974, qui, bien que ne constituant pas une
différente de celle de savoir si les parties à un différend ont dénonciation formelle de l’Acte, a été traitée comme une
conféré à la Cour le pouvoir d’appliquer et d’interpréter le «notification» par le Secrétaire général, du fait qu’il n’y
droit à l’égard de ce différend (compétence). Il précise que avait en outre aucune réaction des autres parties à l’Acte, y
lorsque les parties n’ont pas donné leur consentement, il est compris le Pakistan –à supposer que ce dernier y fût lui-
même partie.
prohibé à la Cour, de par son Statut et sa jurisprudence,
d’exercer sa juridiction. Il estime néanmoins que , en n’examinant pas des
M.Koroma indique aussi que l’arrêt ainsi rendu ne doit questions pertinentes et liées entre elles, telles que le statut
pas être considéré comme une abdication du rôle de la Cour de l’Inde et du Pakistan en tant que Parties à l’Acte général,
mais plutôt comme le reflet du système à l’intérieur duquel la possibilité de transmission de l’Acte général et la question
la Cour est appelée à rendre la justice. Par ailleurs, en tant de savoir s’il était encore en vigueur, la décision de la Cour,
quoique justifiée au regard de s circonstances de l’espèce,
qu’elle fait partie intégrante du système des Nations Unies
et qu’elle est appelée à contri buer au règlement pacifique n’a pas atteint le niveau de certitude nécessaire pour lui
des différends, sur la base de la Charte et de sa permettre de se prémunir contre des doutes récurrents.
jurisprudence, la Cour a judicieusement rappelé aux Parties Passant à la base de compétence suivante, le système de
l’obligation qui est la leur de régler leurs différends par des la clause facultative, M.Al-Khasawneh relève que les
moyens pacifiques. déclarations faites par l’Inde et le Pakistan contenaient un
certain nombre de réserves et de conditions, dont deux
Opinion individuelle de M. Reddy, juge ad hoc concernent la présente affaire;
1) la réserve concernant les traités multilatéraux;
M.Jeevan Reddy, juge ad hoc, a voté en faveur de 2) la réserve Commonwealth.
l’ensemble du dispositif de l’arrêt. Toutefois, dans son
opinion individuelle concordante, il met l’accent sur la La première de ces deux réserves est dénuée de
teneur des paragraphes 47 à 51 de l’arrêt. En particulier, il pertinence, eu égard au fait que les actes dont il est fait grief
souligne l’élément de la «bonne foi» exigé des États qui constituent aussi des violations du droit international
souhaiteraient régler leurs différends par les moyens coutumier.
La réserve Commonwealth a été décrite comme étant
pacifiques. À ce sujet, il se réfère à l’accord de Simla et à la
déclaration de Lahore par lesquels l’Inde et le Pakistan sont a) caduque et b) discriminatoir e. En ce qui concerne le
convenus de régler tous leurs différends de façon bilatérale premier point, M.Al-Khasawneh, tout en reconnaissant que
par des moyens pacifiques. Ils ont aussi condamné «le des doutes à cet égard peuvent se justifier, si l’on tient
terrorisme sous toutes ses formes et manifestations» et compte des changements fondamentaux que le
rappelé «leur détermination à combattre cette menace». Commonwealth a connus depuis 1930, lorsqu’une telle
Pour M.Reddy, les Parties sont tenues «de créer un réserve a été introduite pour la première fois, estime
climat» dans lequel des négociations bilatérales peuvent néanmoins que les arguments relatifs à la caducité n’ont pas
être utilement menées. Il conclut en exprimant l’espoir que été développés de façon concluante. Cela est dû à deux
les deux pays règlent dans cet esprit tous les différends qui motifs. En premier lieu, un petit nombre d’États du
les opposent et consacrent leurs énergies à développer leurs Commonwealth ont inclus cette réserve – sous une forme ou
économies ainsi que des relations amicales entre eux. sous une autre– dans leurs déclarations et, en second lieu,
158l’Inde a conservé cette réserve avec des modifications dans Opinion dissidente de M. Pirzada, juge ad hoc
ses déclarations successives –pratique qui permet de
Dans son opinion dissidente, M.Pirzada regrette d’être
déduire fermement que cela résultait d’une volonté obligé d’exprimer son désaccord avec la motivation de
consciente de l’Inde, pour laquelle elle revêtait une certaine l’arrêt de la Cour et sa conclusion, bien qu’il souscrive aux
importance. paragraphes 51 à 55 dudit arrêt.
Cela étant, le libellé de cette réserve a été modifié de
telle sorte que cela conduit à la conclusion incontournable À son avis, l’acte d’indépendance de l’Inde et
l’ordonnance de 1947 relative aux accords internationaux à
qu’elle était censée jouer contre un seul État, le Pakistan. Ce l’indépendance de l’Inde ont eu pour effet que l’Inde
point est aussi confirmé par une analyse des circonstances britannique a été divisée en deux États indépendants, l’Inde
qui ont conduit à cette modification. et le Pakistan. Le Premier Ministre britannique, M. Attlee, a
Les réserves qui sont extrasta tutaires ne sont pas toutes
nulles, mais il est loisible à la Cour de se prononcer sur la déclaré : « En ce qui concerne le statut des deux dominions,
validité d’une réserve qui serait viciée par des éléments leurs noms n’étaient pas censés créer de différences entre
eux. C’étaient deux États succe sseurs.» La liste des traités
arbitraires ou discriminatoir es. M.Al-Khasawneh estime mentionnée au volumeIII de la procédure de partition
que la déclaration de l’Inde se situe en dehors du cadre des n’était pas exhaustive (affaire du Droit de passage , 1960).
réserves permises, parce qu’elle est dirigée contre un seul L’affaire Yangtzé (1961) que l’Inde invoque doit être
État, ce qui revient à dénier à cet État le bénéfice que l’on distinguée des précédents. Dans une décision rendue plus
peut raisonnablement attendre de la perspective d’obtenir
une décision de justice, et au ssi parce que, à la différence récemment, en l’affaire de Zewar Khan (1969), la Cour
d’autres réserves ratione personae, la réserve formulée par suprême du Pakistan a jugé qu’indépendamment du
Secrétaire d’État pour les relations du Commonwealth, au
l’Inde n’a pas une motivation ou une justification qui puisse regard du droit international, le Pakistan était aussi accepté
raisonnablement se défendre. Il parvient donc à la et reconnu en tant que go uvernement successeur. Le
conclusion que la réserve formulée par l’Inde n’est pas règlement pacifique des différen ds internationaux et l’Acte
valable. général de 1928 ont été dévolus et continuent de s’appliquer
Examinant le problème qui en découle, à savoir la
à l’Inde et au Pakistan.
séparabilité de la réserve par rapport à la déclaration, En juin 1948, l’Inde et le Pakistan ont signé un accord
M.Al-Khasawneh estime que les précédents n’éclairent sur les services d’aéroports qui prévoyait le recours à la
guère la question, à la fois parce qu’ils sont peu nombreux Cour internationale de Justice si aucune juridiction n’était
et parce qu’ils n’ont pas été suivis. Reconnaissant que les compétente pour trancher des différends, bien que ces États
notions des grands systèmes de droit sont pertinents, il
analyse ensuite une affaire tranchée par la Cour suprême de fussent à l’époque tous deux des dominions. En ce qui
l’Inde en 1957, qui fait apparaître, pour ce qui est de la concerne le différend relatif à l’eau, M.Liaquat Ali Khan,
Premier Ministre du Pakistan à l’époque, a indiqué dans sa
séparabilité de la réserve, un critère moins complexe et lettre du 23 août 1952
moins exigeant que celui que l’Inde a fait valoir devant la « Selon la clause facultative, le Gouvernement de l’Inde
Cour. Il relève à ce sujet que l’Inde n’a pas pu produire
d’éléments de preuve à l’appui de l’argument selon lequel la a décidé d’accepter la juridiction de la Cour
réserve Commonwealth constitue un élément essentiel de internationale de Justice en ce qui concerne les requêtes
son acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour; une émanant de pays qui ne sont pas membres du
telle conclusion ne se dégage pas non plus des clauses de Commonwealth. Il n’est pas douteux que cette exception
partait de l’idée qu’il existerait un mécanisme au niveau
cette réserve, qui a trait à un groupe d’États. À la différence du Commonwealth qui serait spécialement adapté pour
de la réserve formulée par la France en ce qui concerne la le règlement judiciaire des différends. Vu l’absence d’un
compétence nationale dans l’affaire des Emprunts
norvégiens, qui définit une attitude générale à l’égard de la tel mécanisme au niveau du Commonwealth, il serait
notion même de compétence, la réserve formulée par l’Inde injustifié de refuser à un État frère membre du
ne peut être réputée définir une telle attitude. Commonwealth britannique les moyens amicaux de
règlement judiciaire qui sont offerts par l’Inde aux pays
D’autres grands systèmes de droit ont aussi admis le qui ne font pas partie du Commonwealth. »
concept de séparabilité. Ainsi, en droit islamique, il semble Le pandit Nehru, qui était alors Premier Ministre de
que cette notion se traduise par la maxime qu’il ne faut pas
abandonner fondamentalement ce qui ne peut être réalisé l’Inde, a déclaré, dans sa le ttre du 27octobre 1950, que
entièrement. Des comparaisons avec le droit des traités sont l’Inde préférait soumettre le différend à un tribunal; pour le
aussi pertinentes, et l’article 44 de la Convention de Vienne cas où l’on aboutirait à une impasse, l’Inde proposait de
régler ces parties des différends par des négociations, et, en
de 1969 comme de celle de 1986 admet que la séparabilité cas d’échec, de les soumettre à un arbitrage ou même à la
puisse être le résultat d’une déclaration de nullité, bien que Cour internationale de Justice. En fait, entre 1947 et 1999,
cela soit dit dans des termes très prudents. En appliquant le
critère de l’article 44, M.Al-Khasawneh parvient à la l’Inde et le Pakistan ont réglé leurs différends i)par des
conclusion que la réserve Commonwealth formulée par négociations; ii)par la médiation de tierces parties; iii)en
l’Inde est à la fois nulle et di ssociable de la déclaration de s’adressant à des juridictions; et iv)ils ont eu accès à la
l’Inde.
159Cour internationale de Justice par la voie d’une procédure Bien que la Cour internationale de Justice, dans l’affaire
d’appel ou par requête. Dans les circonstances de la présente du Nicaragua, a jugé que les déclarations d’acceptation de
espèce, le comportement de l’Inde est couvert par la la juridiction obligatoire de la Cour constituent des
doctrine de l’estoppel. engagements facultatifs et unilatéraux, elle a aussi dit dans
Dans la communication qu’elle a adressée le cette même affaire que : « Tout comme la règle du droit des
18 septembre 1974, l’Inde a affirmé qu’elle ne s’était jamais traités pacta sunt servanda elle-même, le caractère
considérée comme liée par l’Acte général de 1928. Ladite obligatoire d’un engagement international assumé par
déclaration unilatérale repose sur la bonne foi.» Ces
communication a été adressée pour contrer les effets de la principes sont également appli cables à la déclaration faite
déclaration faite par le Pakistan le 30 mai 1974 par laquelle
pour dissiper tout doute possible, le Pakistan a fait connaître par l’Inde.
qu’il continuait d’être lié par l’Acte général. Le Pakistan a M.Pirzada estime que, compte tenu des allégations
déjà fait valoir de tels moyens devant la Cour internationale faites par le Pakistan selon lesquelles l’Inde, par son
de Justice dans l’affaire des Prisonniers de guerre incursion dans l’espace aérien pakistanais et par le fait
pakistanais. La communication faite par l’Inde n’a pas été qu’elle a abattu un avion Atlantique dlira
envoyée de bonne foi et ne saurait être considérée comme pakistanaise le 10août 1999 où seize personnes ont trouvé
une dénonciation de l’Acte général ou réputée comme telle la mort, a commis des violations au regard des obligations
et, entre autre, elle ne satis faisait pas aux dispositions de du droit international coutumier –i)de ne pas employer la
l’article 45 de l’Acte général de 1928. Le simple fait pour force contre un autre État; ii)de ne pas violer la
l’Inde de dire qu’elle n’était pas tenue par l’Acte général, ce souveraineté d’un autre État – d’où il résulte que la Cour
que nie le Pakistan, est une affirmation unilatérale dont la internationale a compétence en ce qui concerne la demande
validité ne saurait être déterminée à un stade préliminaire, du Pakistan. M.Pirzada se fonde sur les conclusions de la
eu égard aux conclusions de la Cour internationale de Cour dans l’arrêt qu’elle a rendu en l’affaire du Nicaragua
Justice, à l’occasion de l’appel interjeté par l’Inde contre le (1984). Il se réfère aussi aux opinions dissidentes jointes à
Pakistan, dans l’affaire de l’ Appel concernant la l’arrêt de la Cour par M.W eeramantry, Vice-Président, et
compétence du Conseil de l’OACI, qui est revêtue de par MM.Vereshchetin et Bedjaoui, juges, dans l’affaire de
l’autorité de la chose jugée. la Compétence en matière de pêcheries (1998). M. Pirzada
relève que la tâche de la Cour est d’assurer le respect du
La réserve Commonwealth formulée par l’Inde est droit international. La Cour en est la principale gardienne
caduque, compte tenu de l’opinion de M.Ago jointe à
l’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire de Certaines terres à (comme l’a dit M.Lachs dans son opinion individuelle
phosphates à Nauru, étant donné que la cour du jointe à l’arrêt rendu dans l’affaire de Lockerbie en 1992).
Commonwealth, que l’on avait prévue, ne devait pas voir le MP.irzada indique que, eu égard au caractère
jour. La réserve Commonwealth formulée par l’Inde est consensuel de sa juridiction, la Cour, d’une façon générale,
dirigée uniquement contre le Pakistan, et est discriminatoire fait preuve de retenue et de prudence judiciaire. Néanmoins,
et arbitraire. Elle ne fait pas partie des réserves permises avec l’écoulement du temps, des principes de créativité
dont la liste exhaustive est donnée à l’article 39 de l’Acte constructive et de réalisme progressif pourraient être
général et elle n’est pas valable. dégagés par la Cour.
En tout état de cause, la réserve Commonwealth M.Pirzada, pour les motif s énoncés dans son opinion
formulée par l’Inde peut être dissociée de la déclaration faite dissidente, conclut que la Cour aurait dû rejeter les
par l’Inde, compte tenu des dispositions de l’article 44 de la exceptions préliminaires soul evées par l’Inde en ce qui
Convention de Vienne sur le droit des traités, de l’opinion concerne la juridiction de la Cour et aurait dû connaître de la
de M.Klaestad, Président, et de M.Armand-Ugon, juge, requête du Pakistan.
dans l’affaire de l ’Interhandel et de l’opinion de M. Pirzada souligne que les Parties sont tenues de régler
M.Bedjaoui jointe à l’arrêt rendu en l’affaire de la de bonne foi leur différend, y compris le différend qui
Compétence en matière de pêcheries . M.Pirzada se réfère concerne l’État de Jammu-et-Cachemire, et en particulier le
aussi aux règles d’interprétation qui ont été énoncées par la
différend qui est né de l’incident aérien du 10août 1999. Il
Cour suprême de l’Inde dans l’affaire de la RMDC (1957) et faut que l’Inde et le Pakistan gardent à l’esprit les idéaux
dans l’affaire Harakchad (1970). La Cour internationale de exprimés par Quaid-e-Azam Mohamed Ali Jinnah et par le
Justice a compétence pour exercer sa juridiction en vertu des Mahatma Gandhi et qu’ils prennent des mesures efficaces et
articles 17 et 41 de l’Acte général. effectives pour garantir la paix, la sécurité et la justice dans
l’Asie du Sud.
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Résumé de l'arrêt du 21 juin 2000