Audience publique tenue le mercredi 21 mars 2012, à 10 heures, au Palais de la Paix, sous la présidence de M. Tomka, président, en l'affaire relative à des Questions concernant l'obligation de poursui

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144-20120321-ORA-01-00-BI
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2012/7
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CR 2012/7

Cour internationale International Court
de Justice of Justice

LAAYE THHEGUE

ANNÉE 2012

Audience publique

tenue le mercredi 21 mars 2012, à 10 heures, au Palais de la Paix,

sous la présidence de M. Tomka, président,

en l’affaire relative à des Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader
(Belgique c. Sénégal)

________________

COMPTE RENDU
________________

YEAR 2012

Public sitting

held on Wednesday 21 March 2012, at 10 a.m., at the Peace Palace,

President Tomka presiding,

in the case concerning Questions relating to the Obligation to Prosecute or Extradite
(Belgium v. Senegal)

____________________

VERBATIM RECORD
____________________ - 2 -

Présents : M. Tomka,président
SeMúl.vvacepoé,ident

OwMaMa.
Abraham
Keith
Bennouna

Skotnikov
TCinçade
Yusuf
Greenwood

XuMemes
Donoghue
Gaja.
SjMuisnede,

SurMM.
jugissch, ad hoc

Cgoefferr,

⎯⎯⎯⎯⎯⎯ - 3 -

Present: Presient ka
Vice-Presipeúnltveda-Amor

Judges Owada
Abraham
Keith
Bennouna

Skotnikov
Cançado Trindade
Yusuf
Greenwood

Xue
Donoghue
Gaja
Sebutinde

Judges ad hoc Sur
Kirsch

Registrar Couvreur

⎯⎯⎯⎯⎯⎯ - 4 -

Le Gouvernement du Royaume de Belgique est représenté par :

M.Paul Rietjens, directeur général des affaires juridiques du service public fédéral des affaires
étrangères, du commerce extérieur etde la coopération au développement,

comme agent ;

M.Gérard Dive, conseiller, chef du service de droit international humanitaire du service public
fédéral de la justice,

comme coagent ;

M. Eric David, professeur de droit à l’Université Libre de Bruxelles,

sirMichaelWood, K.C.M.G., membre du barreau d’Angleterre, membre de la Commission du

droit international,

M.DanielMüller, consultant en droit intern ational public, chercheur au Centre de droit
international de Nanterre (CEDIN), Université de Paris-Ouest, Nanterre-La Défense,

comme conseils et avocats ;

S. Exc. M. Willy De Buck, ambassadeur, représen tant permanent du Royaume de Belgique auprès

des institutions internationales à La Haye,

M. Philippe Meire, magistrat fédéral, parquet fédéral,

M.Alexis Goldman, conseiller, direction du dr oit international public, direction générale des

affaires juridiques du service public fédéral des affaires étrangères, du commerce extérieur et de
la coopération au développement,

M. Benjamin Goes, conseiller, chancellerie du premier ministre,

MmeValérie Delcroix, attaché, direction du dro it international public, di rection générale des
affaires juridiques du service public fédéral des affaires étrangères, du commerce extérieur et de
la coopération au développement,

Mme Pauline Warnotte, attaché, service de droit international humanitairedu service public fédéral
de la justice,

Mme Liesbet Masschelein, attaché, chancellerie du premier ministre,

M.VaiosKoutroulis, maître d’enseignement à la faculté de droit de l’Université Libre de
Bruxelles,

M.Geoffrey Eekhout, attaché, représentation perm anente du Royaume de Belgique auprès des
institutions internationales à La Haye,

M. Jonas Perilleux, attaché, service de droit intern ational humanitaire du service public fédéral de la

justice,

comme conseillers. - 5 -

The Government of the Kingdom of Belgium is represented by:

Mr.PaulRietjens, Director-General of Legal Affa irs, Federal Public Service for Foreign Affairs,
Foreign Trade and Development Co-operation,

as Agent;

Mr. Gérard Dive, Head of the International Humanitarian Law Division, Federal Public Service for
Justice,

as Co-Agent;

Mr. Eric David, Professor of Law at the Université Libre de Bruxelles
,

SirMichaelWood, K.C.M.G., member of the E nglish Bar, member of the International Law

Commission,

Mr.DanielMüller, consultant in Public Interna tional Law, Researcher at the Centre de droit
international de Nanterre (CEDIN), University of Paris Ouest, Nanterre-La Défense,

as Counsel and Advocates;

H.E.Mr.WillyDeBuck, Ambassador, Permanent Representative of the Kingdom of Belgium to

the International Organizations in The Hague,

Mr. Philippe Meire, Federal Prosecutor, Federal Prosecutor’s Office,

Mr. Alexis Goldman, Adviser, Public International Law Directorate, Directorate-General of Legal

Affairs, Federal Public Service for Forei gn Affairs, Foreign Trade and Development
Co-operation,

Mr. Benjamin Goes, Adviser, Federal Public Service-Chancellery of the Prime Minister,

Ms Valérie Delcroix, Attaché, Public International Law Directorate, Directorate-General of Legal
Affairs, Federal Public Service for Forei gn Affairs, Foreign Trade and Development
Co-operation,

MsPaulineWarnotte, Attaché, International Huma nitarian Law Division, Federal Public Service
for Justice,

Ms Liesbet Masschelein, Attaché, Office of the Prime Minister,

Mr. Vaios Koutroulis, Senior Lecturer, Faculty of Law, Université Libre de Bruxelles,

Mr.GeoffreyEekhout, Attaché, Permanent Represe ntation of the Kingdom of Belgium to the
International Organizations in The Hague,

Mr. Jonas Périlleux, Attaché, International Humanitarian Law Division, Federal Public Service for
Justice,

as Advisers. - 6 -

Le Gouvernement de la République du Sénégal est représenté par :

S.Exc.M.Cheikh Tidiane Thiam, professeur, ambassadeur, directeur général des affaires
juridiques et consulaires au ministère des affaires étrangères,

comme agent ;

S. Exc. M. Amadou Kebe, ambassadeur de la République du Sénégal auprès du Royaume des
Pays-Bas,

M.FrançoisDiouf, magistrat, directeur des affaires criminelles et des grâces au ministère de

la justice,

comme coagents ;

M. Serigne Diop, professeur, médiateur de la République,

M. Abdoulaye Dianko, agent judiciaire de l’Etat,

M. Ibrahima Bakhoum, magistrat,

M. Oumar Gaye, magistrat,

comme conseils ;

M. Moustapha Ly, premier conseiller à l’ambassade du Sénégal à La Haye,

M. Moustapha Sow, premier conseiller à l’ambassade du Sénégal à La Haye. - 7 -

The Government of the Republic of Senegal is represented by:

H.E. Mr. Cheikh Tidiane Thiam, Professor, Ambassador, Director-General of Legal and Consular
Affairs, Ministry of Foreign Affairs,

as Agent;

H.E. Mr. Amadou Kebe, Ambassador of the Republic of Senegal to the Kingdom of the
Netherlands,

Mr. François Diouf, Prosecutor, Director of Criminal Affairs and Pardons, Ministry of Justice,

as Co-Agents;

Professor Serigne Diop, Mediator of the Republic,

Mr. Abdoulaye Dianko, Agent judiciaire de l’Etat,

Mr. Ibrahima Bakhoum, Prosecutor,

Mr. Oumar Gaye, Prosecutor,

as Counsel;

Mr. Moustapha Ly, First Counsellor, Embassy of Senegal in The Hague,

Mr. Moustapha Sow, First Counsellor, Embassy of Senegal in The Hague. - 8 -

Le PRESIDENT: Veuillez vous asseoir. L’audience est ouverte. La Cour se réunit

aujourd’hui pour entendre le second tour de plai doiries de la République du Sénégal. Je donne à

présent la parole à S.Exc.M.CheikhTidianeThiam, agent de la République du Sénégal.

Monsieur le professeur, vous avez la parole.

M. THIAM :

INTRODUCTION ET REMARQUES GÉNÉRALES

1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les Membres de la Cour, à l’entame du

second tour de plaidoiries du Sénégal, j’ai l’insigne honneur, au nom de ma délégation et du

Gouvernement de la République du Sénégal, de livrer aux memb res de votre auguste Cour les

remarques générales que l’intensité de nos audi ences orales, habitées par un souci auquel adhère

pleinement notre pays, et qui est celui de partager, en toute transparence et selon une démarche de

bonne foi, les faits et arguments qui structurent et éclairent nos réponses aux allégations qui ont

amené la Belgique à nous attraire devant votre juridiction.

2. Et vu l’ensemble des développements et motif s contenus dans son contre-mémoire et dans

ses plaidoiries, par lesquels le Sénégal a déclaré et démontré que, dans le cas d’espèce, il a dûment

assumé ses engagements internationaux et n’a pas commis un quelconque fait internationalement

illicite, je voudrais, au nom de m on pays, prier la Cour de bien vouloir lui adjuger le bénéfice des

conclusions qui suivent et que l’on aura à présenter en fin de plaidoiries d’ici la fin de la matinée.

3. Après cette introduction, Monsieur le pr ésident, Mesdames et Messieurs les Membres de

la Cour, prendront la parole, avec votre permission, les membres ci-après de notre délégation :

⎯ M. Ibrahima Bakhoum, conseil, qui traitera de la question en quelques points de l’irrecevabilité

de la requête belge ;

⎯ M.OumarGaye, conseil, qui examinera lui au ssi, sous quelque angle la question de la

prétendue reconnaissance d’un différend et du respect par le Sénégal des dispositions de la

convention contre la torture ; ensuite

⎯ M. Abdoulaye Dianko s’adressera ensuite à la Cour et traitera de la question relative à certains

points liés à l’inexistence de faits internationalement illicites imputables au Sénégal. - 9 -

4. A l’issue de ces interventions, je repr endrai la parole pour, d’abord, répondre aux

questions posées par les honorables juges et, en suite, exprimer les conclusions finales du

Gouvernement sénégalais. Conclusions qui garderont la marque de débats opposant deux pays

dont les préoccupations sont très vraisemblablem ent tournées vers le même but, c’est-à-dire

respecter et faire respecter le droit internationa l et lutter contre l’impunité, mais qui n’empruntent

pas les mêmes voies montrant ainsi que les deux pays ne se sont pas suffisamment parlés et, sans

doute, n’ont pas suffisamment négocié.

5. Je vous remercie de votre attention et vous prie, Monsieur le président, de bien vouloir

donner la parole à M. Ibrahima Bakhoum.

Le PRESIDENT : Je vous remercie, Mons ieur l’agen;t je donne la parole à

M. Ibrahima Bakhoum, conseil du Sénégal. Vous avez la parole, Monsieur.

M. BAKHOUM :

L’ IRRECEVABILITÉ DE LA REQUÊTE BELGE

1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les honorables juges, c’est avec plaisir que

j’ai l’honneur de revenir à la barre de votre juridiction, non pour vous exposer les arguments du

Sénégal sur la recevabilité, ce qui a été fait et am plement dans le contre -mémoire de l’Etat du

Sénégal et lors de son premier tour de plaidoiries, mais pour apporter certains éclaircissements,

précisions ou éléments de réponse sur des point s, arguments ou positions développés par la

Belgique le lundi 19 mars 2012 à l’occasion de son deuxième tour de plaidoiries et ceci de manière

très succincte. Ces points sont relatifs à la négociation, à l’arbitrage et à l’absence de différend.

Sur l’absence de négociation

2. A ce propos, M.GérardDive, coagent de la Belgique, dans ses plaidoiries, en citant les

termes de ma plaidoirie relatifs à l’absence de négociations, rappelle que «[l]a négociation

internationale suppose…un minimum de contact s, un minimum de suivi et de…termes de - 10 -

[références], minima dont le Royaume de Belgiq ue a manifestement fait fi dans la présente

1
affaire» .

3. Dans sa vaine tentative de rapporter la pr euve de l’existence de négociations préalables à

la saisine de la Cour, il continue de manière assez spécieuse d’ailleurs à c iter, tout en voulant à

souhait dénaturer totalement la lettre et l’esprit dudit texte.

4. En effet, dirais-je, à la page 13, para graphe 9, du compte rendu du 19 mars 2012, il écrit,

⎯je reprends les termes de M.Bakhoum ⎯ de l’existence d’«un minimum de contacts, un

minimum de suivi et de définition des termes de [références]. La preuve est rapportée plus qu’à

suffisance» ⎯ de l’existence de négociations préalables, s’entend dans son propos.

5. Votre honneur Monsieur le président, Mesd ames et Messieurs les honorables juges, je

tiens, à ce stade de mon propos, absolument à re préciser l’esprit et la lettre de mon propos qui,

pourtant particulièrement clair, a été dénaturé par M. Dive dans sa plaidoirie.

6. Ainsi, loin de soutenir l’absence des négociations par l’affirmation de l’existence d’un

minimum de contacts, de suivi et de définition des termes de références, j’ai soutenu totalement le

contraire. En effet, devant votre haute juridi ction, je réitère mon argumentaire comme quoi la

négociation internationale suppose un minimum de contacts, un minimum de suivi et de définitions

des termes de références, ce que la Belgique n’a jamais fait. Tout au plus elle évoque, pour tenter

d’établir l’existence de négociations, trois de mandes d’information auxquelles le Sénégal a donné

suite par des réponses diligentes.

7. Au demeurant le Royaume de Belgique n’ a pas et ne peut d’ailleurs produire aucun

élément pertinent ni aucune pièce aux débats pour justifier l’existence et la sanction de ces

négociations exigées par l’article 30 de la convention contre la torture comme condition de

recevabilité de son action.

8. Le Royaume de Belgique, Mesdames et Messieurs les Membres de la Cour, a-t-il produit

aux débats une proposition officielle de négociation formelle et claire qu’il a envoyée au Sénégal ?

Le cas échéant, a-t-il versé au dossier un document o fficiel clair et sans équivoque attestant de la

suite que le Sénégal a entendu donner à cette proposition de né gociation? Le Royaume de

1
CR 2012/6, p 11, par. 2 (Dive). - 11 -

Belgique, Mesdames et Messieurs les honorables juges, a-t-il produit un document portant

définition des termes de référe nces d’une quelconque né gociation? A-t-il enfin versé au dossier

une ou plusieurs notes des Parties qui sanctionnent la fin des négociations ?

9. Votre honneur Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les honorables juges, vous

constaterez, hélas, que la réponse à toutes ces questions est la négative.

10. Dans ces conditions, comment peut- on soutenir raisonnablement qu’il y a eu

effectivement des négociations préalables à votre saisine, conformément à l’article30 de la

convention contre la torture ? Pour la réponse, je m’en remettrai humblement à votre appréciation

éclairée.

Sur l’arbitrage

11. A ce propos, votre honneur Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les

honorables juges, je voudrais humblement demander la permission de citer un extrait de la note

verbale du Royaume de Belgique en date du 20juin2006 ⎯ladite note est au demeurant

2
introuvable dans les archives du ministère des affaires étrangères du Sénégal ⎯ et dans laquelle il

soutient avoir fait une proposition d’arbitrage restée sans réponse du Sénégal pendant le délai de

six mois.

12.

«Rappelant que la Belgique a soul igné dans sa note verbale le 4mai à
l’ambassadeur du Sénégal à Bruxelles, qu’une controverse non résolue au sujet de
cette interprétation entraînerait un recour s à la procédure d’arbitrage prévue à

l’article30 de la convention contre la tort ure, … et … se réfère à l’éventualité d’un
recours de la Belgique à cette procédur e, tout en rappelant son interprétation
divergente des dispositions pertinentes de ladite convention … , la Belgique se doit de

constater que la tentative de négociation entamée avec le Sénégal n’a pas abouti.»

13. A la lecture de ces mots, trois constats s’imposent.

⎯ Premièrement: la Belgique fait référence à l’échec de négociations qui n’ont jamais eu

lieu, comme relevé dans les développements antérieurs.

⎯ Deuxièmement : la Belgique fait état de l’existence d’un différend qui n’en est pas un en

l’espèce et j’y reviendrai.

2
Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extr ader (Belgique c.Sénégal), mesures conservatoires,
ordonnance du 28 mai 2009, C.I.J. Recueil 2009, p. 148, par. 45. - 12 -

⎯ Troisièmement : la Belgique fait état d’un éventuel recours à la procédure d’arbitrage.

14. A propos de ce troisième point relatif à l’arbitrage, vous voudrez bien votre honneur

Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les honorables juges, constater, avec les Parties, que

la Belgique parle d’une éventualité, en d’autres termes, une probabilité en ce qu’elle est

caractérisée par l’incertitude de sa survenance ou de sa réalisation.

15. Or, en l’espèce, vous constaterez que l’éventualité de recourir à la procédure d’arbitrage

n’a pas été réalisée par la Belgique car, jusqu’à l’ ouverture de cette présente instance, la Belgique

n’a jamais soumis au Sénégal une proposition officielle, forme lle, claire et circonstanciée

d’arbitrage.

16. C’est d’ailleurs ce qui explique et justifie l’absence de réponse de la part du Sénégal

⎯ladite absence de réponse que la Belgique semb le d’abord souligner pour ensuite le déplorer.

Mais, en effet, il est clair qu’en l’absence d’une pr oposition reçue de la Belgique de recourir à la

procédure d’arbitrage, il ne saurait y avoir de réponse de la part du Sénégal dans ce sens.

17. C’est d’ailleurs le lieu de préciser qu’en pa rlant de «bonne foi, d’effets de surprise , de

manière fort subreptice et d’attitudes dissimulatrices », c’est parce qu’autant pour le préalable des

négociations que pour le recours à l’arbitrage, la Belgique n’a jamais fait montre d’une volonté

clairement exprimée ⎯ladite volonté clairement exprimée se serait fait au travers de courriers

officiels, clairs, circonstanciés et sans équivoque sur leurs objets.

18. Elle se borne plutôt à faire référence à des courriers dont l’objet n’était pas de sacrifier de

manière formelle à ces préalables requis par les dispositions pertinentes de l’article30 de la

convention contre la torture que sont la négociation et l’arbitrage.

19. Pour démontrer le respect de ces préal ables exigés par l’article30 de la convention

contre la torture, la Belgique se suffit plutôt de faire référence à des lettres dont l’objet était autre et

qui, de manière incidente et superfétatoire, a mentionné ces mots ou ces procédures préalables.

Cela ne saurait prospérer. - 13 -

20. Troisièmement : enfin la Belgique parle d’«une controverse non résolue au sujet de cette

interprétation [qui] entraînerait un recours à la pro cédure d’arbitrage prévue à l’article30 de la

convention contre la torture» 3.

21. Ce troisième point sera traité en rappor t avec l’absence de différend au sujet de laquelle

je me permettrai, avec votre autorisation, de dire deux mots, deux petits mots. Cependant, d’ores et

déjà, il plaira à votre Cour de donner acte à la Belgique de ce qu’elle parle d’une controverse et non

d’un différend.

Sur l’absence de différend

22. A ce sujet, comme indiqué plus haut, dans le cadre de la gestion de cette affaire dite

«affaire Hissène Habré», à aucun moment, un différend avec le Royaume de Belgique au sens de

l’article 30 de la convention contre la torture n’était perçu ou même perceptible par le Sénégal.

23. Tout au plus mon pays a toujours noté avec intérêt l’heureuse implication de la Belgique

aux efforts consentis par le Sénégal dans le cadre de la mise en Œuvre des dispositions pertinentes

de la convention contre la torture.

24. D’ailleurs, sous ce rapport, il est tout à fait approprié que la Belgique parle de

controverse sur l’interprétation des dispositions de la convention contre la torture plutôt que de

différend avec le Sénégal à ce propos.

25. Quant à M.Eric David, il soutient dans sa plaidoirie que «le différend [portait]…non

sur l’applicabilité de la convention contre la torture et du droit international général, mais…sur

4
l’application de ces règles» .

26. Il faut à cet égard relever qu’en réalité il n’y a aucun différend, car l’application de la

convention contre la torture par le Sénégal renvoie à sa mise en Œuvre, et cette mise en Œuvre de

ladite convention contre la tortur e, loin d’être un fait statique, est plutôt un processus dynamique

qui se matérialise par une série d’actes posés par le Sénégal.

Or, il est constant que le Sénégal sous ce rapport a beaucoup fait et continue encore de poser

des actes concrets et pertinents, notamment à tr avers les consultations très avancées avec l’Union

3
CR 2012/6, p. 15, par. 13 (Dive).
4 CR 2012/6, p. 27, par. 5 (David). - 14 -

africaine pour la création et la mise en place d’une juridiction ad hoc à caractère international

conformément à la décision de la Cour de justice de la CEDEAO du 18 novembre 2010, d’une part,

et, d’autre part, dans le cadre de cette mise en Œuvre des dispositions de la convention, par les

suites judiciaires données aux différentes demandes d’extradition de la Belgique dont la dernière en

date connaîtra, de manière diligente, une suite appropriée.

S’agissant de la coopération judiciaire, M. l’agent y reviendra dans sa plaidoirie.

27. Aussi, votre honneur Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les honorables

juges, vous prierai-je, au bénéfice de ces observatio ns sur la recevabilité, de dire et juger que la

présente procédure intentée par la Belgique l’est en violation manifeste des dispositions de l’article

30 de la convention contre la torture de1984 et, en conséquen ce, de déclarer ladite action

irrecevable.

28. Pour conclure mon propos, je me permettrai de préciser que les développements

ci-dessus sur les dispositions de l’article 30 de la convention contre la torture relatives à la

recevabilité procèdent de la nécessité d’éclairer le débat érigé sur ce point et non d’une volonté de

ne pas aller au fond de l’affaire, car le Sénéga l serait très à l’aise au vu des arguments contenus

dans son contre-mémoire et dans ses différentes plaidoiries.

Votre honneur Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les honorables juges, je vous

remercie sincèrement de votre bienveillante atten tion tout en vous priant de bien vouloir inviter

mon collègue Abdoulaye Dianko à prendre la parole à ma suite.

Je vous remercie de votre bienveillante attention.

LE PRESIDENT: Merci, Monsieur le conse il. J’ai quand même une question: est-ce

M. Dianko qui va plaider ou plutôt M. Gaye. C’est à l’agent de décider. Est-ce que je comprends

que c’est M.Gaye qui a certains points à faire valoir en ce qui concerne l’existence ou non d’un

différend. Je vois que c’est M. Gaye qui va plaider. Vous avez la parole, Monsieur Gaye. - 15 -

M. GAYE : Merci, Monsieur le président.

L A PRÉTENDUE RECONNAISSANCE DE L EXISTENCE D ’UN DIFFÉREND ET LE RESPECT

PAR LE S ÉNÉGAL DES DISPOSITIONS DE LA CONVENTION
CONTRE LA TORTURE

1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les Membres de la Cour, je reviens devant

vous apporter quelques précisions sur les arguments développés par le Royaume de Belgique qui

persiste à soutenir l’existence d’un différend et invoque, sans aucune conviction, que le Sénégal n’a

pas rempli ses obligations au titre de la conven tion de 1984. Mon intervention sera axée sur deux

points : le premier, la prétendue reconnaissance de l’existence d’un différend ; et le second portera

sur le respect par le Sénégal des dispositions de la convention contre la torture.

Sur la prétendue reconnaissance de l’existence d’un différend

2. M. Gérard Dive, coagent de la Belgique , dans son intervention du lundi 19 mars 2012, se

fondant sur les extraits de mes plaidoiries faites devant votre Cour, tente de prouver qu’il existe

bien un conflit entre nos deux Etats. Je le cite :

«M. Oumar Gaye, lors de son intervention [du] jeudi…, admet explicitement
l’existence d’un tel différend lorsqu’il parl e, au sujet de l’interprétation et de

l’application de la convention contre la torture, de l’intervention de l’Union africaine
dans l’affaire qui nous préoccupe. En effet, il a précisé :

«il est question devant [la Cour] d’un litige qui oppose deux Etats, sur la
manière d’entendre ou de comprendre l’exécution d’une obligation
découlant d’un instrument internationa l auquel ils sont tous deux parties.
5
Voilà la réalité du contentieux qui s’est noué devant la Cour.»

M.Gérard Dive poursuit encore en soutenant que le Sénégal reconnaît l’existence d’un

différend lorsqu’il cite en ces termes : «le Sénégal a du mal à comprendre l’insistance de la Partie

belge à faire valoir une interprétation qui n’a jamais été celle de l’Etat redevable de l’obligation en

question, qui est celle de juger précisément» 6.

3. Se fondant sur ces propos, le Royaume de Belgique, qui a du mal à asseoir et à prouver

objectivement l’existence d’un différend, demande le secours de votre Cour pour «acter ce constat

par la Partie sénégalaise de la reconnaissance d’un différend entre nos deux pays».

5
CR 2012/6, p. 16, par. 17 (Dive).
6CR 2012/6, p. 17, par. 18 (Dive). - 16 -

4. Mon collègue IbrahimaBakhoum s’est la rgement expliqué sur les éléments de la

définition d’un différend devant être soumis à votre Cour pour que j’en rajoute. Il ne suffit pas que

je prononce le mot «différend» devant votre Cour pour que la Belgique en profite afin de dire qu’il

existe, alors même qu’elle éprouve beaucoup de difficultés à le caractériser de manière

indiscutable. Néanmoins, ces déclarations ont été sorties de leur contexte et je me permets de

rétablir la vérité sur ce point.

5. En vérité, j’avais répondu à la Partie be lge qui, dans son mémoire, avait estimé que le

Sénégal, en soumettant l’affaire HissèneHabré à l’Unionafricaine, ne s’était pas conformé à ses

obligations de punir les actes visés pa r la convention contre la torture 7. Ma réponse continue dans

le compte-rendu 2012/4, paragraphe 33 et suivants, p. 26.

6. Sur ce point, l’agent du Sénégal et le professeur Alioune Sall avaient longuement expliqué
8
le sens qu’il fallait donner à la décision de l’Union africaine du 2 juillet 2006 et avaient souligné

que l’évocation du dossier de l’ancien président du Tchad par l’Unionafricaine n’avait aucune

connotation juridique, et cette instance continen tale ne pouvait pas se substituer au Sénégal qui

reste seul et unique débiteur des obligations énoncées dans la convention contre la torture, en tant

qu’Etat partie à la convention, et à ce titre tenu, notamment, par l’obliga tion d’«extrader» ou de

«poursuivre».

A aucun moment, le Sénégal n’a étab li un quelconque lien entre la décision de

9
l’Union africaine et les obligations que la convention de 1984 a mises à sa charge .

Le respect par le Sénégal des dispositions des articles 5, paragraphe 2, 6, paragraphe 1, et 7,
paragraphe 1, de la convention contre la torture

7. Il y a lieu de rappeler que le Sénéga l a établi sa compétence conformément aux

dispositions de l’article5, para graphe3, de la convention qui dispose: «La présente convention

n’écarte aucune compétence exercée conformément aux lois nationales» . C’est d’ailleurs sur cette

base que M.HissèneHabré a été inculpé par le doy en des juges d’instruction en2000, donnant

7CR 2012/4, p. 26, par. 33 et suiv. (Gaye).
8
Doc. Assembly/AU/3/VID.
9CR 2009/11, p.13, par. 10 (Diouf). - 17 -

ainsi suite à la plainte avec constitution de partie civile déposée courant janvier2000 par

Souleymane Guengueng et autres.

8. En outre, les règles procédurales en matière pénale au Sénégal r espectent les dispositions

de l’article7, paragraphe3, de la c onvention contre la torture, relatives aux «garantie[s] d’un

traitement équitable à tous les stades de la procédure». Ces règles ont permis à M. Hissène Habré

de se pourvoir devant les juridictions sénégalaises et devant la Cour de justice de la CEDEAO, aux

parties civiles de faire des recours et à la Belgi que de présenter ses demandes d’extradition, et ce

sans aucune entrave.

9. Si le Sénégal entendait, ains i que le souligne l’Etat belge, se dérober à ses obligations, il

n’aurait nullement pris la peine de modifier sa Constitution, adapter sa législation aux dispositions

de la convention contre la torture et accueilli, selon la procédure applicable, les demandes belges

d’extradition qui ont toutes connu une suite judiciaire conforme au droit sénégalais.

10. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les Membres de la Cour, lors de la table

ronde des donateurs pour le financement du procès de M. Hissène Habré, qui s’est tenue à Dakar le

24mai2010, le représentant de l’Unioneurop éenne avait «rendu hommage au Sénégal et à

l’Union africaine pour leur engagement ferme à fa ire avancer le processus, rapidement, ainsi qu’à

la Belgique qui a accepté de renoncer à juger Hissè ne Habré. L’Union européenne continuera à

appuyer fermement le processus qui implique plus de responsabilité africaine sur les faits qui ont

eu lieu en Afrique» (doc. n o°5 du dossier des juges).

11. De même, lors de cette table ronde, la Belgique avait annoncé son intention de contribuer

au financement du procès à hauteur d’un milliond’euros. Comment la Belgique, qui a renoncé à

juger M.HissèneHabré en2010, peut-elle se pr évaloir de l’existence d’un quelconque différend

devant votre Cour au titre de la convention contre la torture ?

12. Par ailleurs, les participants à cette tabl e ronde «ont exprimé la nécessité du démarrage

immédiat de la phase des poursuites dès que les ressources financières nécessaires seront

mobilisées. En outre, les donateurs s’engagent à mobiliser les financements nécessaires dans le but

d’éviter toute rupture du déroulement du procès selon les échéances du budget agréé».

13. La Belgique, qui a pris part à cette tabl e ronde, n’a émis aucune réserve et a signé le

document final sanctionnant les travaux. - 18 -

14. Au vu de ce qui précède et des arguments développés tout à l’heure par mes

prédécesseurs, le Sénégal prie votre Cour de cons tater que le différend invoqué par la Belgique

n’est que virtuel et n’a jamais existé entre nos deux pays.

Le maintien de Hissène Habré au Sénégal est conforme à l’article 6, paragraphe 1, de la
convention contre la torture

15. M. Gérard Dive a soutenu devant votre Cour :

«La Cour constatera[, selon mes propos ,] que malgré les déclarations du
président de la République du Sénégal, le Royaume de Be lgique n’a pas apporté la

preuve de l’existence d’une quelconque décision visant l’expulsion de
M.HissèneHabré vers un autre pays. Une telle décision administrative n’existe pas,
et le Sénégal reste conforme à ses engagements pris ici devant votre Cour.» 10

16. En revanche, l’article 6, paragraphe 1, de la convention contre la torture fait obligation au

Sénégal, sur le territoire duquel se trouve M. HissèneHabré, sur qui pèsent des présomptions

d’infractions visées par la convention, de pre ndre des mesures nécessaires pour s’assurer de sa

présence.

17. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les Membres de la Cour, vous constaterez

que M.HissèneHabré est toujours au Sénégal, conf irmant ainsi le respect par notre pays de son

engagement fait ici, devant la Cour, lors de l’ audience consacrée à l’examen de la demande en

indication de mesures conservatoires présentée par la Belgique 11.

18. A cet égard, le Sénégal respecte scrupul eusement les dispositions de l’article3,

paragraphe1 de la convention, et cela, la Belgique ne le conteste pas lorsqu’elle soutient n’avoir

12
«jamais prétendu qu’un document formel d’expulsion aurait été rédigé à cette occasion» .

19. Honorables Membres de la Cour, nous vous laissons apprécier les déclarations

auxquelles la Belgique fait allusion et qui ne présentent aucun caractère juridique, car le

contentieux devant votre Cour est un contentieux objectif, fondé sur des actes.

20. M.GérardDive s’interroge sur le fa it que si le Sénégal décidait de poursuivre

M. Hissène Habré, il ne le ferait pas sur la base des plaintes déposées en Belgique, ne prendrait pas

10
CR 2012/6, p. 17, par. 19 (Dive).
11
Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extr ader (Belgique c. Sénégal), mesures conservatoires,
ordonnance du 28 mai 2009, C.I.J. Recueil 2009, p. 154.
12CR 2012/6, p. 17, par. 20 (Dive). - 19 -

connaissance du dossier judiciaire belge et ne prendrait pas en compte les enquêtes menées en

Belgique et au Tchad. Il cite à nouveau :

«Vu le nombre de victimes, de parties civiles en cause, même si le Sénégal

remercie encore le Royaume de Belgique de son offre de coopération, la justice
sénégalaise a le droit de traiter de la même manière les parties civiles, les victimes et
les témoins, tout en respectant les droits de M.HissèneHabré et de ses éventuels

complices. L’organisation d’un tel procès mérite une préparation sérieuse et le
Royaume de Belgique devrait s’interdire la pression qu’il exerce en général sur les
organes judiciaires saisis d’affaires contentieuses.» 13

21. Il conviendrait de souligner que l’accep tation de l’offre belge de coopération ne

signifierait pas, au plan judiciaire, l’acceptation de la conduite des enquêtes comme le souhaiterait

la Belgique ou des orientations définies par ce pays . En effet, le juge d’instruction mènera son

enquête conformément à la loi sénégalaise, dans le respect du principe de l’égalité des justiciables

devant la loi, en toute impartialité, et sans privilé gier une victime du fait de son pays de résidence.

Les victimes se trouvant au Sénégal, en Belgique et au Tchad devront bénéficier d’un même

traitement.

22. Le juge d’instruction instruit à charge et à décharge. Il rassemble les preuves, recherche

les coupables et leurs complices et transmet le dossier d’instruction à la juridiction de jugement qui

appréciera la culpabilité des personnes mises en cause.

Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les Membres de la Cour, je vous remercie de

votre bienveillante attention et vous prie respectueusement d’inviter mon collègue

M.AbdoulayeDianko à la barre pour poursuivre la défense des intérêts du Sénégal. Je vous

remercie.

Le PRESIDENT: Je vous remercie, Monsieur le conseil. Je donne maintenant la parole à

M. Abdoulaye Dianko. Vous avez la parole, Monsieur.

13
CR 2012/6, p. 20, par. 25 (Dive). - 20 -

M. DIANKO :

CERTAINS POINTS LIÉS A L INEXISTENCE DE FAITS INTERNATIONALEMENT ILLICITES

IMPUTABLES AU SÉNÉGAL

1. Monsieur le président, Mesdames et Messieu rs les Membres de la Cour, je reviens donc

devant votre haute juridiction pour, à la demande de l’agent du Sénégal, préciser certains points qui

sont liés à l’inexistence de faits internationalement illicites imputables au Sénégal. A cet effet,

j’examinerai les points suivants :

⎯ Le sens de la déclaration de l’agent du Sénégal sur l’extradition.

⎯ La vraie portée de l’interprétation que nous faisons de la décision de l’Union africaine de 2006.

2. Nous avions affirmé et abondamment démontré, vendredi 16mars dernier, lors de notre

tour de plaidoiries, que la Belgique peine à pr ouver, aussi bien dans ses écritures que dans ses

déclarations devant votre auguste Cour, une action concrète ou une omission imputable au Sénégal

et constitutive de faits internationalement illicites.

3. Cette affirmation vient d’être éloquemment confirmée par les représentants de la Belgique

à cette présente procédure, notamment M.Gérard Dive, coagent, lors de son tour de plaidoirie

lundi passé 14.

4. En effet, pour espérer trouver la violati on d’une obligation internationale imputable au

Sénégal, il a extrait de leurs contextes quelques déclarations, leur a donné l’interprétation de son

choix et en a déduit, à partir de la constructi on ainsi librement élaborée, les conclusions qui lui

conviennent, à savoir qu’il

«ne suffirait plus à la Cour, pour constate r l’existence d’un fait internationalement
illicite dans le chef du Sénégal, que de vérifier si ce dernier a respecté son obligation
de poursuivre Hissène Habré, au regard de la convention contre la torture et des règles

de droit international général auxquelles la Belgique s’est référée».

5. Certes, Monsieur le coagent, nous aurions pu partager cette invite faite à la Cour mais à

condition que les clarifications suivantes soient apportées et que les propos tenus puissent être

remis à l’endroit afin que les am algames soient levés pour qu’il n’ y ait aucune confusion dans la

compréhension qu’il faut avoir de la position claire du Sénégal dans cette affaire.

14
CR 2012/6, p. 24-25, par. 39-42. - 21 -

6. M.Dive commence par citer, de manière tronquée, l’agent du Sénégal en retenant dans

son intervention d’introduction du jeudi 15 mars 2012 que ce dernier a déclaré que «l’attente de la

Belgique pourrait … rencontrer une réponse favorable du Sénégal ⎯ et sa persévérance sans doute

15
couronnée de succès» .

7. Alors que, selon lui, la Partie belge croy ait que le Sénégal envisageait de respecter son

obligation de poursuivre à défaut d’extrader en cas d’avis favorable de la cour d’appel, elle a été

grandement surprise de m’entendre déclarer, lors de ma plaidoirie de vendredi dernier, que la

décision de l’Unionafricaine de juillet2006: «si gnifie…que le Sénégal doit juger Habré mais il

doit le juger … en terre d’Afrique» et que «le Sénégal appliquera cette décision tout en se faisant le

16
devoir d’exécuter ainsi son obligation conventionnelle» .

8. La Belgique en déduit donc que le Sénégal, de par cette déclaration, semble décider de ne

plus envisager une quelconque possibilité d’extrader M. Habré, contrairement à l’opinion émise par

l’agent du Sénégal.

9. Cette présentation volontairement réduc trice dénature de façon inacceptable ces deux

déclarations pourtant clairement formulées, ce qui peut perturber la percep tion que l’on doit avoir

de la position du Sénégal exposée au travers de toutes nos écritures et plaidoiries réitérées

depuis 2009.

Le sens de la déclaration de l’agent du Sénégal sur l’extradition

10. Il y a donc lieu de rappeler cette déclaration, volontairement escamotée je le répète, et de

relever que ce dernier a commencé par dire que le Sénégal était déjà engagé dans un processus qui

devait mener aux poursuites. Je cite la déclaration de l’agent, qui n’a pas été reprise par le plaideur

belge :

«avec l’achèvement des réformes législatives et constitutionnelles, des plus

volontaires…, notamment en ce qui c oncerne l’exception introduite dans la
Constitution au principe de la non-rétroactivité, la voie semblait désormais ouverte
pour cheminer droit vers la tenue du procès de M.HissèneHabré. La réunion de la

table ronde des bailleurs pour le fina ncement du procès, tenue à Dakar le
24novembre2010, permit d’ atteindre, en annonces d’intentions chiffrées ⎯ donc en

15
CR 2012/4, p. 19, par. 45 (Thiam).
16CR 2012/6, p. 24, par. 40 (Dive). - 22 -

promesses de contribution ⎯, le budget fixé à environ 8,6millions d’euros, soit
5 milliards 176 millions environ de francs CFA.»

11. En vérité, en parlant d’extradition, voilà ce que l’agent du Sénégal a soutenu :

«Il faut cependant noter que la persistance dont la Belgique a fait montre par la

réitération soutenue de ses requêtes en vue de l’extradition de M. Hissène Habré aura
fait apparaître une autre donnée nouvelle de toute première importance qui traduit
l’abandon ⎯ chose inespérée ⎯, par la cour d’appel, de sa jurisprudence du

25 novembre 2005, qui avait semblé obstruer définitivement la voie, qui est désormais
ouverte, de l’examen possible de toute de mande d’extradition qui se conformerait aux
conditions de forme posées par la loi sén égalaise. Il y a eu un revirement
jurisprudentiel capital qui a permis à la justice sénégalaise de trouver un grand

moment de respiration et ainsi d’ouvrir notre coopération avec les pays étrangers
lorsque se trouve être considérée toute dema nde d’extradition pouvant intervenir dans
de tels contextes. Ceci ouvre de nouv eau, au moins, l’une des deux branches de
l’alternative du procès, celle qui permet, à défaut de juger, de pouvoir envisager

sérieusement l’extradition.»

12. L’agent du Sénégal a donc surtout voulu mettre en exergue l’évolution de la position de

la cour d’appel qui, si elle était restée dans sa logique de 2005, réduirait pour le Sénégal, dans son

principe, le champ de son obligation conventionnelle aut dedere, aut judicare. Ce qui conduirait

dans la pratique à rendre peu probable le respect de ladite obligation au cas où la tenue du procès

au Sénégal se heurterait à des difficultés insurmont ables. Voila donc ce qu’a voulu dire l’agent du

Sénégal à propos de l’extradition, et pas autre chose.

Quelle est maintenant la vraie portée de l’interprétation que nous faisons de la décision
de l’Union africaine de 2006 ?

13. Nous rappelions en effet que l’Union africaine considérait :

⎯ que le dossier Hissène Habré était son propre dossier ;

⎯ qu’elle donnait mandat ensuite au Sénéga l de poursuivre et de faire juger au nom de l’Afrique,

Hissène Habré par une juridiction sénégalaise compétente.

14. Nous maintenons que cette décision traduisait le souhait de l’Union africaine en 2006 de

voir Habré être jugé en Afrique et précisément au Sénégal. Mais cela n’a jamais signifié que le

Sénégal, dans le cadre du respect de cette décision, était décidé à s’opposer, dans l’absolu, à toute

possibilité d’extradition. - 23 -

15. De toute façon, en déclarant que le Séné gal appliquera cette décision, nous n’avions pas

manqué de préciser que ce serait dans le strict r espect de notre obligation conventionnelle et nous

pensions qu’il était connu de t ous, en particulier de nos c ontradicteurs, que l’obligation

conventionnelle comportait aussi l’obligation d’extrader si l’on ne jugeait pas.

16. Au demeurant, il importe de rappeler que la décision de l’Union africaine en2006

mentionne expressément les obligations que le Séné gal tient de la conven tion contre la torture

de 1984.

17. Je ne vois pas dès lors comment on peut s’engager à respecter une telle obligation ⎯ cela

dit notre obligation découlant de cette convention ⎯ et en même temps décider de manière

irrévocable «que Hissène Habré ne quittera pas la terre africaine».

18. Nous notons que M. Dive lui-même reconnaît que l’Union africaine, au vu des difficultés

d’ordre matériel, n’écarte plus, dans sa dernière décision, la possibilité que le procès puisse se tenir

hors d’Afrique.

19. D’ailleurs, l’Union africaine avait déjà annoncé la couleur dans la même décision ainsi

que dans ses décisions subséquentes en mettant l’accent sur la nécessité de trouver les moyens

financiers d’aider le Sénégal à tenir le procès.

20. C’est dire que l’Union africaine entrevoyait déjà les difficultés de la tenue du procès en

Afrique.

Conclusion

21. Nous acceptons de dire avec la Belgique qu’effectivement la Cour, pour constater

l’existence d’un fait internationalement illicite, doit vérifier si le Sénégal a respecté son obligation

de poursuivre M. Hissène Habré.

22. Au-delà de la rectification de la présentation de la position du Sénégal faite par la

Belgique, nous estimons que les de ux déclarations citées par M. Dive, à savoir aussi bien celle de

l’agent que de moi-même, sont restées dans la cohérence de notre position.

23. L’obligation de poursuivre devra se mesurer à l’aune de ce qui a été fait. - 24 -

24. Ainsi, nous rappelons que le Sénégal cherche à poursuivre, et les nombreuses actions et

initiatives prises dans ce sens et longuement énumér ées dans nos développements en attestent.

Mais, dans cette voie, il y a des obstacles que nous tentons de surmonter.

25. Parmi ces obstacles, il y a celui que la Be lgique n’aime pas trop évoquer et qui pourtant

figure dans la déclaration de M. l’agent que M. Dive s’est évertué à citer. Je reprends la citation de

l’agent du Sénégal :

«La décision rendue par la Cour de justice de la CEDEAO, quatre jours plus tôt
⎯ le 18 novembre 2010 ⎯, est venue cependant compro mettre cette dynamique vers
la tenue rapide du procès avec la mise à l’ écart … d’un jugement qui serait le fait des

tribunaux sénégalais.»

«Certes, les engagements du Sénégal d écoulant de la Convention contre la
torture demeurent mais devront désormais s’accommoder de la donnée nouvelle
introduite par la décision de la Cour de justice de la CEDEAO.»

26. Cet arrêt, comme nous l’avions déjà rappelé dans notre dernière intervention de vendredi,

en ce qu’il conduit à la mise en place d’un nouveau mécanisme, plus lourd, plus compliqué et

encore plus coûteux pour le Sénégal, qui peinait déjà à trouver les moyens nécessaires à

l’organisation d’un procès à l’échelle nationale, risque de constituer un lourd écueil dans la mise en

Œuvre de notre décision de juger.

27. C’est donc en cela qu’il faut se féliciter de l’évolution de la positi on de la cour d’appel

qui ne constitue plus, dans l’absolu, un obstacle dirimant au respect, par le Sénégal, de son

obligation d’extrader au cas où, bien entendu, il se trouverait dans l’impossibilité de juger alors que

les conditions de la recevabilité de la requête belge sont remplies.

Je vous remercie de votre bienveillante attenti on et je vous prie, Monsieur le président, de

bien vouloir donner la parole à M. l’agent de la République du Sénégal. Merci.

Le PRESIDENT: Je vous remercie, MonsieurDi anko et je donne la parole à M.Thiam,

l’agent du Sénégal. Vous avez la parole, Monsieur.

M. THIAM : Merci, Monsieur le président. Je suis invité pour répondre à deux objets, livrer

quelques réponses aux questions qui ont été posées par les honorables juges de la Cour et, ensuite, - 25 -

livrer les conclusions finales du Gouvernement du Sénégal à l’issue du deuxième tour qui a été

consacré à la délégation sénégalaise.

R ÉPONSES AUX QUESTIONS DES JUGES

Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les Membres de la Cour, ma délégation et

moi vous remercient bien sincèrement pour les qu estions que certains honorables juges ont bien

voulu poser à mon pays. A ces derniers, je voudrais témoigner toute ma gratitude en ce qu’ils nous

offrent l’opportunité de préciser et de clarifie r certains points importants de nos écritures et

plaidoiries présentées lors de l’instance en cours.

Le cadre étroit des réponses qui suivent n’aura malheureusement pas permis d’apporter à

tous les auteurs desdites questions les réponses les pl us exhaustives. Nous prions les auteurs des

questions qui n’ont pas reçu de réponses immédiat es ou complètes de bien vouloir accorder à la

délégation sénégalaise le bénéfice de leur indulgence deva nt lui permettre de s’atteler à l’agréable

tâche d’Œuvrer pour tenter d’apporter toute la satisfaction qu’elle est capable de donner

ultérieurement.

Questions posées aux deux Parties par M.le juge Abraham au terme de l’audience du

16 mars 2012

1. «La Belgique a-t-elle qualité pour invoquer la responsabilité internationale du Sénégal en

raison du manquement allégué de ce dernier à son oblig ation de soumettre le cas de H. Habré à ses

autorités compétentes pour l’exercice de l’action pénale, à moins qu’il ne l’extrade, en ce qui

concerne les crimes allégués dont les victimes n’ avaient pas la nationalité belge au moment des

faits ? Dans l’affirmative, quelle est la base juri dique qui confère à la Belg ique une telle qualité ?

Ya-t-il lieu de distinguer, à cet égard, entre les crimes allégués qui entrent dans le champ

d’application de la convention contre la torture de 1984 et les autres ?»

Réponse

2. Pour répondre, le Sénégal ne conteste pas, en soi, l’ idée que la Belgique puisse invoquer

sa responsabilité internationale en raison d’un prétendu manquement à l’obligation de soumettre le

sieurHabré à ses autorités compétentes. Ce faisant, elle doit jouir d’une qualité (ou de la qualité

appropriée) qui ne devrait souffrir d’aucune contestation. Or la base juridique sur laquelle s’appuie - 26 -

la Belgique pour fonder son titre de compétence nous semble ne pas pouvoir résister à l’analyse des

données de la pratique et de la jurisprudence internationales. Ce qui est présenté comme un

différend en l’espèce illustre bien, au passage, la situation dans laquelle l’existence de la règle aut

dedere aut judicare en droit international n’est pas contest ée par le Sénégal, mais seulement les

conditions de son exécution par celui-ci et qui sont remises en cause par la Belgique pour devoir en

tirer un titre de compétence.

3. Un rappel des faits qui vous est servi par l es conseils de ma délégation a montré que dans

la présente affaire, la Belgique a d’abord retenu le critère de la compétence universelle, puis, suite

aux modifications de sa législation, une compétence extraterritoriale selon un critère de

rattachement: ici la nationalité des victimes. La Belgique fonde sa compétence sur un titre

subsidiaire: la compétence personnelle passive. Elle demande alors à la Cour de préciser le sens

de l’obligation aut dedere aut judicare, qu’elle voudrait assumer en se fondant sur un titre de

compétence qui, même accessoire, est irrégulier. Ceci me permet de soulever les implications

qu’emporte la question du juge Abraham.

4. Primo , la Belgique cherche vaille que vaille à faire admettre à la Cour une certaine

responsabilité internationale, seul moyen, en déses poir de cause, de faire juger M. Hissène Habré,

possiblement, selon elle, par les juridictions belges. Et devant une telle insistance ou précipitation

comme diraient d’autres, le Sénégal voudrait inviter la Cour à faire respecter les principes du droit

international qui s’appliquent en la matière, à savoir l’invocation d’un titre de compétence régulier.

C’est précisément sous l’angle de la question du paramètre temps ⎯ et on en a parlé plusieurs fois

lors de cette instance ⎯ dans la démarche belge (date d’accès à la nationalité belge des requérants

«belges» devant la justice belge) que sera examiné ici, à titre subsidiaire, le non-respect de la règle

dite de la continuité de la nationalité dans la démarche adoptée par la Belgique.

5. Secundo, le Sénégal est conscient de la nature et de l’importance que revêt l’interdiction

de la torture dans l’ordre international, qui seu les auraient dû suffire à motiver tous les Etats à

mieux coopérer avec ce pays en vue de juger M. Hissèn e Habré. Pourtant, dans le même temps, la

Belgique n’a de cesse de réclamer au Sénégal l’ extradition de ce dernier. Ma délégation voudrait

réaffirmer ici que le droit international admet, qu’en cas de concurrence de compétences entre deux

Etats, la compétence personnelle (sauf stipul ation contraire) doit apparaître comme un titre - 27 -

subsidiaire par rapport au titre territorial. Cette primauté de la compétence territoriale sur la

compétence personnelle a été établie de longue date par la jurisprudence internationale. C’est ce

17
qui ressort notamment de la sentence arbitrale rendue en l’affaire des Déserteurs de Casablanca .

6. Pour le Sénégal, les victimes doivent avoir possédé la nationalité belge au moment où les

faits dommageables ont été commis. Dans le c ontentieux international, on a souvent exigé de

l’individu qu’il apportât la preuve de la «nationalité de l’Etat réclamant également au moment où

les faits générateurs du préjudice s’étaient déroulés» 18. La Cour permanente de Justice

internationale, la devancière de la Cour internationale de Justice, a eu à connaître de la question de

la rupture du lien juridique de rattachement de l’individu à son Etat. Il en est ressorti que

l’interdiction d’une rupture de la continuité de la nationalité dans le contentieux international était

19
bien établie en droit international .

7. La date critique doit donc être considérée comme le moment de commission du fait illicite

ou comme celui où les victimes tchadiennes ont subi le préjudice. La Belgique était en droit de se

fonder sur un tout autre titre de compétence que le droit international, tant conventionnel que

coutumier, lui reconnaissait en matière de répression contre la torture, mais visiblement pas sur la

compétence personnelle passive des victimes tchadiennes devenues belges.

Question de M. le juge Greenwood

8. «S’agissant de l’argument selon lequel le Sé négal aurait violé l’obligation de poursuivre

ou d’extrader prévue par le droit international coutumier, je vous saurais gré :

1) de désigner les Etats ayant conféré compétence à leurs juridictions pour connaître

i) de crimes de guerre commis dans le cadre d’un conflit armé ne revêtant pas un caractère

international, et

ii) de crimes contre l’humanité,

17
Voir sentence arbitrale Déserteurs de Casablanc a (France/Allemagne), Cour permanente d’arbitrage,
22 mai 1909, R.S.A., vol. XI, p. 126.
18
Affaire Orazio de Attelis, décision de1842 (MCC américa no-mexicaine créée par le traité du 11avril1839);
voir également Moore, International Arbitrations , volI.V.333-3334; voir affaire du Chemin de fer
Panevezys-Saldutiskis, arrêt, 1939, C.P.J.I. série A/B n, p. 3 et suiv.
19
Dans l’affaire Nottebohm (Liechtenstein c. Guatemala) , quand bien même la question principale serait celle de
la validité de la naturalisation, les problèmes juridiques qui y so nt soulevés accréditent tant soit peu l’idée que la règle de
la continuité du lien juridique de rattachement avait acquis une certaine valeur coutumière (deuxième phase, arrêt,
C.I.J. Recueil 1955, p. 4 et suiv.). - 28 -

lorsque le crime allégué a eu lieu hors de leurs frontières et que ni son auteur présumé ni les

victimes ne sont des ressortissants de ces Etats ;

2) de citer des exemples d’Etats ayant exercé le ur compétence ou accordé l’extradition en pareils

cas ; et

3) de produire des éléments de preuve attest ant que des Etats s’estiment tenus par le droit

international de poursuivre ou d’extrader dans de telles circonstances».

M. le jugeGreenwood ajoute que sa question porte exclusivement sur le droit international

coutumier et non sur les mesures prises en app lication d’obligations conventionnelles telles que

celles découlant de la convention contre la torture.»

Réponse

9. Question touffue, question complexe, questi on difficile. Nous n’osons pas dire que nous

allons livrer les réponses les plus exhaustives qui soient. Mais nous dirons quand même ceci.

Envertu de sa loi du 16juin1993 relative à la répression des violations graves du droit

international humanitaire, prévue par les conventions internationales de Genève du 12 août 1949 et

les protocoles additionnels I et II du 8 juin 1977, la Belgique a eu à juger quelques affaires.

10. C’est d’abord le procès connu sous le nom du procès des QuatredeButare, soit quatre

Rwandais (VincentNtezimana, prof esseur d’université, AlphonseHiga niro, directeur d’une usine,

ConsolataMukangango et JulienneMukabutera, membres d’une communauté religieuse) qui ont

été arrêtés sur le territoire belge et accusés d’avoir participé aux massacres de Tutsis de la

préfecture de Butare (Rwanda), au cours du génocide de 1994.

11. Le ministère public belge les a poursuivis pour des violations des conventions de Genève

et du code pénal belge. Bien que les faits reprochés s’inscrivent dans le cadre génocidaire de 1994,

les Quatre de Butare n’ont pas été accusés du crime de génocide, cette infraction n’étant pas prévue

dans le droit belge au moment des faits. Le 8 juin 2001, ils ont été reconnus coupables par le jury

populaire de la cour d’assises de Bruxelles et condamnés à des peines de réclusion allant de

douze à vingt ans.

12. Il s’agit vraisemblablement de l’unique procès qui s’est déroulé sur la base de la loi belge

de compétence universelle avant qu’elle ne soit modifiée en 2003. - 29 -

13. Un troisième procès rwandais a eu lieu devant la cour d’assises de Bruxelles, en 2007.

Bernard Ntuyahaga, ex-major des FAR (forces armées rwandaises), a été poursuivi pour le meurtre

de dix casques bleus belges et du premier ministre rwandais, ainsi que d’un «nombre indéterminé»

de Rwandais à la même occasion. Le 5 juillet 200 7, M. Ntuyahaga a été condamné à une peine de

vingt ans de réclusion.

14. A la différence des deux autres procès rwandais -- si on peut parler ainsi --, certaines des

victimes de M.Ntuyahaga étaient belges. Deux titres de compétence sont ici utilisés: la

compétence universelle et la compétence personnelle passive.

15. Se prévalant toujours de sa compétence unive rselle, la Belgique dé livre le 11 avril 2000

un mandat d’arrêt internationa l contre le ministre des affaires étrangères du Congo,

Yérodia Ndombasi, pour crimes contre l’humanité.

La Cour internationale de Justice, qui a été par la suite saisie par la République démocratique

du Congo, a estimé que les ministres des affaires étrangères bénéficient d’ une immunité et d’une

inviolabilité totale20.

16. La Belgique a tiré les leçons de l’arrêt rendu par la Cour internationale de Justice. Ainsi,

pour les plaintes déposées contre ArielSharon, anci en premier ministre d’ Israël et le général

AmosYaron pour génocide, crim es contre l’humanité, crimes de guerre et violation des

conventions de Genève pour les massacres qui ont eu lieu à Beyrouth, en 1982, dans les camps de

réfugiés de Sabra et Chatila, la justice belge a eu à se conformer aux exigences de la Cour

internationale de Justice. On connaît également la suite.

17. En 2002, deux plaintes ont été enregistrées à l’encontre de la société Total pour des faits

ayant eu lieu en Birmanie. La première a ét é déposée en France et a abouti à une transaction 21, la

seconde, elle, a été introduite en Belgique.

18. Cette seconde plainte émanait de quatr e réfugiés birmans qui, invoquant la loi de

compétence universelle, accusaient Total de complicité de crimes contre l’humanité. Selon eux,

Total aurait apporté son soutien logistique et fina ncier à la junte militaire birmane chargée de la

20
Affaire du Mandat d’arrêt du 11avril2000 (République démo cratique du Congo c.Belgique), arrêt,
C.I.J. Recueil 2002, p. 3.
21Article de Pascal Ceaux et Jacques Follorou, Le Monde, 30 novembre 2005. - 30 -

protection de son gazoduc et responsable de tortur es, de meurtres, d’arrestations arbitraires, de

déplacements forcés de populations et de travail forcé.

19. Peu après le dépôt de cette plainte, la loi de 2003 a abrogé celle de 1993, mais a prévu,

en son article 29, la possibilité de poursuivre l’ac tion en cours si un des plaignants au moins avait

la nationalité belge lors de l’introduction de la plainte. On peut rappeler qu’en l’espèce, les

plaignants n’avaient pas la nationalité belge mais l’un d’entre eux avait la qualité de réfugié

politique en Belgique.

20. Or, constitue une violation de la Constitution belge et de l’article 16 de la convention de

Genève de 1951 relative au statut des réfugiés, toute discrimination quant à l’accès à la justice.

21. Saisie du problème, la cour de cassati on a posé une question préjudicielle à la cour

d’arbitrage qui, le 13 avril 2005, a déclaré incons titutionnel l’article 29 de la loi de 2003. Et, dans

une décision du 29juin2005, la cour de cassa tion est passée outre cet avis et, se fondant sur

l’article 29, a conclu au dessaisissement des juridictions belges.

22. On aurait pu continuer à apporter d’autres éléments d’éclaircissement. Je voudrais sur

ces points romancer mon propos pour ajouter que, saisie par les plaignants, la cour d’arbitrage avait

prononcé l’annulation de cet article 29 dans une décision du 21 juin 2006.

23. Et, face à ces jugements contradictoires, le ministère public, sur injonction du ministre de

la justice, a fait une demande de rétractation de vant la cour de cassation. Cette demande est

nécessaire dans la mesure où l’annulation prononcée par la cour d’arbitrage ne remet pas en cause

un tel dessaisissement.

24. Seule la cour de cassation peut en effet retirer une décision et ce, par la voie de la

rétractation.

25. Le 28 mars 2007, la cour a rejeté cette de mande au motif qu’une rétractation ne peut être

ordonnée que si elle est plus favorable au prévenu, en l’espèce la société Total.

26. En avril2007, le ministre de la justice a usé une nouvelle fois de son pouvoir

d’injonction, et l’affaire Total a été portée devant la chambre des mises en accusation. La société

Total a invoqué l’autorité de la c hose jugée de la première décision de la cour de cassation; les

demandeurs ont réfuté cette autorité puisque le fondement sur lequel la décision a été prise est - 31 -

supposé n’avoir jamais existé, d ès lors que la disposition litigieuse de la loi de2003 avait été

annulée par la cour d’arbitrage.

27. Dans une décision du 5 mars 2008, la chambre des mises en accusation a donné raison à

la société Total et a rejeté l’injonction du ministre de la justice ainsi que les questions préjudicielles

posées par les plaignants à la cour d’arbitrage.

28. Le 18mars2008, les demandeurs birmans ont introduit un pourvoi devant la cour de

cassation contre la décision du 5 mars 2008 et, le 29 octobre 2008, la cour de cassation a rejeté ce

pourvoi.

29. A ce jour, suite à l’arrêt de la cour d’ar bitrage du 13 avril2005, aucune modification, à

notre connaissance, de la Constitution belge n’a ét é opérée pour rendre conforme l’article 29 de la

loi de2003 aux dispositions de cette Constitution et permettre ainsi l’égal accès devant la justice

belge.

30. La convention pour la prévention et la répression du crime de génocide du

9 décembre 1948 incite les parties contractantes à punir le crime de génocide (art. 1). Elles doivent

prendre les mesures législatives adéquates (art. 5). L’article 6 prévoit la compétence des tribunaux

du territoire sur lequel le crime a été commis ou celle de la cour criminelle internationale.

31. Dans son mémoire aux pages95 et suivantes, la Belgique invoque la nécessité de

réprimer les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre et les crimes de génocide, mais a omis

assurément de faire bénéficier les Birmans des dispositions de cette convention et n’a produit de

preuve ni de poursuite, ni d’extradition, comme l’y invite cependant l’honorable juge Greenwood.

32. De l’avis du Sénégal, au vu des dével oppements qui précèdent, les arguments de la

Belgique ne sauraient permettre d’établir une quelconque violation par le Sénégal des dispositions

de la convention contre la torture.

Le PRESIDENT: Monsieur l’agent, je vous serais très reconnaissant de bien vouloir

soumettre à la Cour une copie des différentes décisions des juridictions belges ainsi que l’arrêt de la

cour d’arbitrage, que vous avez évoqués dans cette partie de votre plaidoirie. Je vous remercie.

Vous pouvez continuer. - 32 -

M. THIAM : Merci, Monsieur le président.

Cela me donne l’occasion de répondre à la première branche de la question de M. le
juge Cançado Trindade libellée ainsi qu’il suit :

«1. En ce qui concerne les faits à l’origine de la présente affaire, quelle serait selon vous, en

tenant compte du coût estimatif allégué ou éven tuel que représenterait l’organisation du procès de

M.Habré au Sénégal, la valeur probante du ra pport de la commission d’enquête nationale du

ministère tchadien de la justice ?»

Réponse

33. Comme l’a rappelé le coagent, M.Dive , dans son intervention du 19mars2012, les

considérations développées relatives à la liberté de preuve en matière pénale et à la libre

appréciation des preuves par le juge du fond, lesquelles sont discutées de manière contradictoire à

l’audience publique de jugement, sont également valables au Sénégal.

34. Il conviendra juste de préciser qu’au re gard des normes en vigueur au Sénégal, le

«rapport de la commission d’enquête nationale du ministère tchadien de la justice» ne saurait servir

qu’à titre de simple renseignement et ne lie pa s le juge d’instruction, qui peut durant ses

investigations menées, au travers d’une commissi on rogatoire internationale, les conforter ou les

écarter.

35. Ce rapport ne lie pas non pl us le juge du fond amené à trancher le litige au fond. La

valeur dudit rapport est donc toute relative.

Sur la deuxième branche de la question de M. le juge Cançado Trindade libellée ainsi qu’il
suit :

«2. En ce qui concerne le droit :

a) Comment doit être interprétée l’obligation de «s oumettre» l’affaire [aux] autorités [nationales]

compétentes pour l’exercice de l’action pénale» é noncée au paragraphe1 de l’article7 de la

convention des NationsUnies contre la torture ? Les mesures que le Sénégal soutient avoir

prises à ce jour suffisent-elles, selon vous, pour considérer qu’il a été satisfait à l’obligation

énoncée audit paragraphe ? - 33 -

b) En vertu du paragraphe 2 de l’article 6 de la convention des Nations Unies contre la torture, tout

Etat partie sur le territoire duquel se trouve une personne soupçonnée d’avoir commis une

infraction (visée à l’article 4) doit «procéder immédiatement à une enquête préliminaire en vue

d’établir les faits». Comment cette obligation do it-elle être interprétée? Les mesures que le

Sénégal soutient avoir prises à ce jour suffi sent-elles, selon vous, pour considérer qu’il a été

satisfait à l’obligation lui incombant en vert u de cette disposition de la convention des

Nations Unies contre la torture ?».

Réponse

36. Il convient de rappeler qu’avant même son adhésion à la c onvention contre la torture, le

Sénégal s’est évertué à sanctionner les actes de tortu
r e portant gravement atteinte à la dignité de la

personne humaine. Il a ainsi établi sa compéten ce au regard des dispositions de l’article5,

paragraphe 3, de la convention qui dispose : «La présente convention n’écarte aucune compétence

exercée conformément aux lois nationales.» C’est sur cette base que M.HissèneHabré a été

inculpé par le doyen des juges d’ instruction en 2000 lorsque les autorités compétentes sénégalaises

avaient été saisies de plaintes.

37. C’est aussi sur le fondement de l’article 7, paragraphe3, de la convention contre la

torture précisant que «Toute personne poursuivie pour l’une quelconque des infractions visées à

l’article 4 [de la convention] bénéfi cie de la garantie d’un traitement équitable à tous les stades de

la procédure» que M.HissèneHabré a pu user des voies de recours que les lois sénégalaises ont

prévues pour tout individu mis en cause devant les juridictions pénales, sans distinction de

nationalité, au même titre que les parties civiles.

38. Il faut noter que, faisant suite à l’arrê t du 20 mars 2011, la cour de cassation confirmant

o
l’arrêt de la chambre d’accusation de la cour d’appel, arrêt n 135 (qui figure dans le dossier des

juges) en date du 4 juillet 2000 qui avait déclaré le ju ge instructeur saisi, d’une part, et à la mission

effectuée par le Comité contre la torture au Séné gal du 4 au 7 août 2009, d’autre part, notre pays a
os
adapté sa législation aux autres dispositions de la convention contre la torture (doc.n 3 et5 du

dossier des juges). - 34 -

39. En matière pénale, le juge d’instruc tion peut être saisi soit par une plainte avec

constitution de partie, soit par le réquisitoire introductif du procureur de la République.

40. L’enquête préliminaire vise simplement à permettre l’établissement primaire des faits;

elle ne débouche pas forcément sur des poursuites, car le procureur peut, au vu des résultats,

considérer qu’il n’y a pas lieu à poursuivre.

41. De plus, la convention des NationsUnies contre la torture ne fait pas apparaître

«d’obligation générale de lutter contre l’impunité» au sens d’une obligation juridique [qu’il

s’agisse d’une obligation générale de résultat ou d’une obligation générale de comportement] ayant

pour effet de contraindre à établir une compéten ce universelle. L’hypothèse d’une obligation de

résultat est évidemment exclue, puisque la lutte contre l’impunité est un processus dont les objets

possibles sont, au regard de ladite convention la poursuite ou l’extradition. A quoi servirait-il

d’établir une compétence universelle, comme l’évoque l’article 5, alinéa 2, à un Etat qui a déjà un

titre juridique de compétence territoriale; qui plus est, est le principe le plus évident en cas de

concurrence de compétence comme on l’a vu tout à l’heure ?

42. En2009, le Sénégal a établi sa compét ence pour connaître des infractions visées par la

convention contre la torture. Cela la Belgique ne le conteste pas. Ce préalable a été dûment réalisé

par le Sénégal.

La Belgique et le Sénégal, parties à la convention contre la torture, semblent s’opposer sur le

«délai dans lequel les obligations prévues à l’ article7 doivent être remplies ou [sur les]

circonstances (difficultés d’ordre financier, juridique ou autre)» (Questions concernant l’obligation

de poursuivre ou d’extrader (Belgique c.Sé négal), mesures conservatoires, ordonnance du

28 mai 2009, C.I.J. Recueil 2009, par.48). Et l’article7-1 de la convention contre la torture

de 1984 oblige le Sénégal «sur le territoire sous la juridiction duquel l’auteur présumé [d’actes de

torture] est découvert, s’il n’extrade pas ce dern ier, [à] soumet[tre] l’affaire…à ses autorités

compétentes pour l’exercice de l’action pénale». L’obligation autdedere aut judicare n’en reste

pas moins une obligation alternative imposant soit d’extrader soit de poursuivre, le droit

international semblant «ne privilégie[r] aucune de ces deux lignes de conduite» 22. «Il suffit que

22
Art. 9, p. 33, par. 6, Projet de code des crimes … et commentaires y relatifs. - 35 -

l’intéressé soit physiquement présent sur le territoire de l’Etat de détention pour que celui-ci puisse

exercer sa compétence.» 23

L’obligation de juger, au nom de laquelle le Sénégal se trouve attrait devant la Cour ne

saurait être conçue comme une obligation de résultats 24. On serait tenté, très rapidement, de donner

une courte définition que l’on re trouve dans l’ouvrage de Jean Combacau et Serge Sur où il est dit

qu’

«On appelle obligations de moyens ou de comportement, celles qui exigent du
sujet qu’il prenne les mesures desquelles, da ns la limite des probabilités raisonnables,

on peut atteindre un certain résultat ; et obligations de résultats celles qui, sous réserve
des possibilités matérielles, l’astreignent à l’atteindre en tout état de cause.» 25

Il s’agirait plutôt d’une obligation, en l’occurrence, de moyens dont «la condition d’illicéité n’est

réalisée que si l’Etat auquel le fait générateur est imputable n’a pas déployé tous les moyens ou

tous les efforts qu’on pourrait légitiment attendre de lui en vue d’atteindre les résultats espérés par

les auteurs de la norme». Comme le faisait remarquer le juge ad hoc Serge Sur :

«Les mesures prises par le Sénégal pour adapter sa constitution et sa législation
afin d’établir sa compétence pour…un tel procès sont concrètes, ont été prises dans

un délai raisonnable et manifestent la réalité de son [engagement]: les appuis qu’il a
recherchés et continue de rechercher pour … la tenue du procès sont patents.» 26

Or, il est de jurisprudence constante que le dro it international n’impose pas aux Etats membres des

obligations de résultat. En effet, le Tribunal arbitral, dans l’affaire République islamique d’Iran

c. Etats-Unis d’Amérique, déclara: «à moins qu’il n’en ait été convenu autrement par voie de

traité, le droit international général laisse à l’ Etat le soin de choisir les moyens voulus pour

s’acquitter d’une obligation internationale dans le cadre de son dro it». Cette solution a été reprise

par le juge international et, notamment dans l ’affaire Procureur c.Blaskic rendue par le Tribunal

pénal international pour l’ex-Yougoslavie.

Au niveau sous-régional, on peut noter l’ex istence d’une solution identique aux décisions

rendues par les juridictions interna tionales. Ainsi, dans l’affaire Colozza, la Cour européenne des

23
Art. 9, p. 33, par. 7.
24 Droit international public, éd. Montchrestien, p. 545.

25Ibid., p. 546.

26 Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extr ader (Belgique c. Sénégal), mesures conservatoires,
ordonnance du 28 mai 2009, C.I.J. Recueil 2009, voir l’opinion individuelle du juge ad hoc Serge Sur jointe à
l’ordonnance, p. 6. - 36 -

droits de l’homme a déclaré que les Etats contractants jouissent d’une grande liberté dans le choix

des moyens propres à permettre à leur système judiciaire de répondre aux exigences

conventionnelles dont celle prévue à l’article6, paragraphe1, de la c onvention européenne des

droits de l’homme.

43. Au regard ce qui précède, les mesures pris es par le Sénégal sont largement suffisantes et

satisfont aux obligations prescrites par les articles 6, paragraphe 2, 7, paragraphe 1, de la

convention contre la torture. L’obligation d’extrader ou de juger prévue par la convention des

NationsUnies contre la torture, qui est au cŒur du débat juridique, est une modalité d’expression

de l’obligation de combattre l’impunité. Dans l’affaire qui oppose le Sénégal au Royaume de

Belgique, il faut signaler qu’à partir du moment où le Sénégal a procédé à des réformes importantes

pour permettre la tenue du procès, y compris des réformes constitutionnelles, on peut considérer

qu’il a satisfait à son obligation de moyen pour ne pas apparaître comme un Etat non soucieux et

non désireux d’appliquer ses obligati ons conventionnelles. S’il ne l’a pas fait avec suffisance, il

aura suffisamment progressé dans la voie d’agir pour atteindre un tel résultat.

Quant aux questions posées par le jugeKe ith et le jugeDonoghue, l’Etat du Sénégal

souhaiterait communiquer les éléments de réponses pa r voie écrite, si la Cour n’y trouvait point

d’inconvénients. La na ture de l’obligation aut dedere aut judicare, à laquelle s’intéresse le

jugeXue, a été prise en compte dans les répon ses apportées au jugeCançadoTrindade. Seul le

caractère absolu de la règle re cevra des approfondissements écrits dans la communication que le

Sénégal souhaite faire parvenir à la Cour.

Je voudrais vous remercier de votre grande a ttention et surtout de votre plus grande

indulgence pour avoir écouté et suivi mon exposé. Je vous remercie.

J’avais annoncé deux moments dans mon interv ention. Le premier devait être consacré à

l’exposé des réponses aux questions posées par les honorables jug es lors de la session du 16 mars

dernier. Je voudrais en venir, si Monsieur le pr ésident, Mesdames et Messieurs les Membres de la

Cour vous l’autorisez, à l’exposé de nos conclusions finales.

C ONCLUSIONS FINALES

1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les Membres de la Cour, au vu de

l’ensemble des développements et motifs contenus dans son contre-mémoire, dans ses plaidoiries et - 37 -

dans les réponses apportées aux questions que les honorables juges ont bien voulu lui poser, par

lesquels le Sénégal a déclaré et tenté de dé montrer que, dans le cas d’espèce, il a dûment assumé

ses engagements internationaux et n’a pas commis un quelconque fait internationalement illicite, je

voudrais, au nom de mon pays, prier la Cour de bien vouloir lui adjuger le bénéfice des conclusions

qui suivent et de dire et juger:

1) à titre principal, qu’elle ne peut pas se pronon cer sur le fond de la requête introduite par le

Royaume de Belgique en raison de son incompét ence, en tant qu’elle résulte de l’absence de

différend entre la Belgique et le Sénégal, et de l’irrecevabilité de ladite requête ;

2) subsidiairement, si elle venait à retenir sa compétence ainsi que la recevabilité de la requête

belge, que le Sénégal n’a violé aucune disposition de la convention de1984 contre la torture,

notamment celles qui lui prescrivent l’obligation «de juger ou d’extrader» (article6,

paragraphe2, et article7, para graphe1, de la convention) ni, plus généralement, aucune autre

règle de droit conventionnel, de droit internati onal général ou de droit international coutumier

dans ce domaine ;

3) que le Sénégal, en prenant les différentes mesures qui ont été indiquées, applique ses

engagements d’Etat partie à la convention de 1984 contre la torture ;

4)qu’en prenant les mesures et dispositions appropriées pour préparer le procès de

M. Hissène Habré, le Sénégal se conforme à la d éclaration par laquelle il s’est engagé devant la

Cour ; et enfin

5) que la Cour rejette, en conséquence, l’ensemble des demandes articulées autour de la requête du

Royaume de Belgique.

2. Voilà pour nos conclusions finales. Mons ieur le président, Mesdames et Messieurs les

Membres de la Cour, c’est avec ces conclusions que prend fin le second tour de plaidoiries du

Sénégal.

3. Je voudrais saisir cette occasion solennelle pour remercier l’ensemble des membres de la

Cour pour l’attention, la patience, voire l’indulgence avec lesquelles ils ont accueilli les

contributions et plaidoiries de notre délégation au cours des audiences. - 38 -

4. Nos remerciements vont également à M.le greffier et l’ ensemble de ses collaborateurs

pour leurs excellentes diligences qui ont permis un très bon déroulement de la procédure engagée

devant la Cour et sans oublier les remarquables prestations des interprètes et traducteurs sans

lesquels nous serions demeurés sans voix.

5. Il me plaît, enfin, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les Membres de la Cour,

de saluer la délégation du Royaume de Belgique, so n agent et son coagent et tous les membres qui

la composent, pour les rapports amicaux qu’ils ont entretenus avec la délégation sénégalaise tout le

long de l’instance introduite devant votre haute juridiction. Je vous remercie.

Le PRESIDENT : Je vous remercie, Monsieur l’agent. La Cour prend acte des conclusions

finales dont vous venez de donner lecture au nom de la République du Sénégal, tout comme elle a

pris acte, lundi dernier, des conclusions finales du Royaume de Belgique.

Je voudrais rappeler que les Parties sont invitées à donner soit les compléments aux réponses

déjà apportées aux questions des juges, ou des réponses aux questions qui n’ont pas encore été

apportées, par écrit le 28 mars à 18 heures au plus tard. J’ajoute que les observations que l’une des

Parties pourrait souhaiter présenter sur les réponses de l’autre Partie, devront être communiquées

le 4 avril à 18 heures au plus tard.

Ceci nous amène à la fin de cette série d’audiences consacrées aux plaidoiries des Parties. Je

tiens à remercier les agents, conseils et avocats des deux Parties pour l’assistance qu’ils ont

apportée à la Cour par leurs exposés oraux et pour la courtoisie dont ils ont fait preuve tout au long

de cette procédure. Je demande aux agents de rester à la disposition de la Cour pour toutes

informations ou renseignements dont la Cour pourrait avoir besoin.

La Cour se retire pour entamer sa délibération. Les Parties seront informées par le greffier

de la date à laquelle la Cour donnera lecture de son arrêt au cours d’une séance publique au Palais

de la Paix.

Cette audience est levée.

L’audience est levée à 12 h 10.

___________

Document Long Title

Audience publique tenue le mercredi 21 mars 2012, à 10 heures, au Palais de la Paix, sous la présidence de M. Tomka, président, en l’affaire relative à des Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal)

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