Audience publique tenue le lundi 12 mars 2012, à 10 h 20, au Palais de la Paix, sous la présidence de M. Tomka, président, en l'affaire relative à des Questions concernant l'obligation de poursuivre o

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144-20120212-ORA-01-00-BI
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2012/2
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CR 2012/2

Cour internationale International Court
de Justice of Justice

LAAYE THHEGUE

ANNÉE 2012

Audience publique

tenue le lundi 12 mars 2012, à 10 h 20, au Palais de la Paix,

sous la présidence de M. Tomka, président,

en l’affaire relative à des Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader
(Belgique c. Sénégal)

________________

COMPTE RENDU
________________

YEAR 2012

Public sitting

held on Monday 12 March 2012, at 10.20 a.m., at the Peace Palace,

President Tomka presiding,

in the case concerning Questions relating to the Obligation to Prosecute or Extradite
(Belgium v. Senegal)

____________________

VERBATIM RECORD
____________________ - 2 -

Présents : M. Tomka,président
SeMúl.vvacepro,ident

OwMaMa.
Abraham
Keith
Bennouna

Skotnikov
TCinçade
Yusuf
Greenwood

Xue mes
Donoghue
Gaja.
SjMuisnede,

SurMM.
jugissch, ad hoc

Cgoefferr,

⎯⎯⎯⎯⎯⎯ - 3 -

Present: Presient ka
Vice-Presipeúnltveda-Amor

Judges Owada
Abraham
Keith
Bennouna

Skotnikov
Cançado Trindade
Yusuf
Greenwood

Xue
Donoghue
Gaja
Sebutinde

Judges ad hoc Sur
Kirsch

Registrar Couvreur

⎯⎯⎯⎯⎯⎯ - 4 -

Le Gouvernement du Royaume de Belgique est représenté par :

M.Paul Rietjens, directeur général des affaires juridiques du service public fédéral des affaires
étrangères, du commerce extérieur etde la coopération au développement,

comme agent ;

M.Gérard Dive, conseiller, chef du service de droit international humanitaire du service public
fédéral de la justice,

comme coagent ;

M. Eric David, professeur de droit à l’Université Libre de Bruxelles,

sirMichaelWood, K.C.M.G., membre du barreau d’Angleterre, membre de la Commission du

droit international,

M.DanielMüller, consultant en droit intern ational public, chercheur au Centre de droit
international de Nanterre (CEDIN), Université de Paris-Ouest, Nanterre-La Défense,

comme conseils et avocats ;

S. Exc. M. Willy De Buck, ambassadeur, représen tant permanent du Royaume de Belgique auprès

des institutions internationales à La Haye,

M. Philippe Meire, magistrat fédéral, parquet fédéral,

M.Alexis Goldman, conseiller, direction du dr oit international public, direction générale des

affaires juridiques du service public fédéral des affaires étrangères, du commerce extérieur et de
la coopération au développement,

M. Benjamin Goes, conseiller, chancellerie du premier ministre,

MmeValérie Delcroix, attaché, direction du dro it international public, di rection générale des
affaires juridiques du service public fédéral des affaires étrangères, du commerce extérieur et de
la coopération au développement,

Mme Pauline Warnotte, attaché, service de droit international humanitairedu service public fédéral
de la justice,

Mme Liesbet Masschelein, attaché, chancellerie du premier ministre,

M.VaiosKoutroulis, maître d’enseignement à la faculté de droit de l’Université Libre de
Bruxelles,

M.Geoffrey Eekhout, attaché, représentation perm anente du Royaume de Belgique auprès des
institutions internationales à La Haye,

M. Jonas Perilleux, attaché, service de droit intern ational humanitaire du service public fédéral de la

justice,

comme conseillers. - 5 -

The Government of the Kingdom of Belgium is represented by:

Mr.PaulRietjens, Director-General of Legal Affa irs, Federal Public Service for Foreign Affairs,
Foreign Trade and Development Co-operation,

as Agent;

Mr. Gérard Dive, Head of the International Humanitarian Law Division, Federal Public Service for
Justice,

as Co-Agent;

Mr. Eric David, Professor of Law at the Université Libre de Bruxelles
,

SirMichaelWood, K.C.M.G., member of the E nglish Bar, member of the International Law

Commission,

Mr.DanielMüller, consultant in Public Interna tional Law, Researcher at the Centre de droit
international de Nanterre (CEDIN), University of Paris Ouest, Nanterre-La Défense,

as Counsel and Advocates;

H.E.Mr.WillyDeBuck, Ambassador, Permanent Representative of the Kingdom of Belgium to

the International Organizations in The Hague,

Mr. Philippe Meire, Federal Prosecutor, Federal Prosecutor’s Office,

Mr. Alexis Goldman, Adviser, Public International Law Directorate, Directorate-General of Legal

Affairs, Federal Public Service for Forei gn Affairs, Foreign Trade and Development
Co-operation,

Mr. Benjamin Goes, Adviser, Federal Public Service-Chancellery of the Prime Minister,

Ms Valérie Delcroix, Attaché, Public International Law Directorate, Directorate-General of Legal
Affairs, Federal Public Service for Forei gn Affairs, Foreign Trade and Development
Co-operation,

MsPaulineWarnotte, Attaché, International Huma nitarian Law Division, Federal Public Service
for Justice,

Ms Liesbet Masschelein, Attaché, Office of the Prime Minister,

Mr. Vaios Koutroulis, Senior Lecturer, Faculty of Law, Université Libre de Bruxelles,

Mr.GeoffreyEekhout, Attaché, Permanent Represe ntation of the Kingdom of Belgium to the
International Organizations in The Hague,

Mr. Jonas Périlleux, Attaché, International Humanitarian Law Division, Federal Public Service for
Justice,

as Advisers. - 6 -

Le Gouvernement de la République du Sénégal est représenté par :

S.Exc.M.Cheikh Tidiane Thiam, professeur, ambassadeur, directeur général des affaires
juridiques et consulaires au ministère des affaires étrangères,

comme agent ;

S. Exc. M. Amadou Kebe, ambassadeur de la République du Sénégal auprès du Royaume des
Pays-Bas,

M.FrançoisDiouf, magistrat, directeur des affaires criminelles et des grâces au ministère de

la justice,

comme coagents ;

M. Serigne Diop, professeur, médiateur de la République,

M. Abdoulaye Dianko, agent judiciaire de l’Etat,

M. Ibrahima Bakhoum, magistrat,

M. Oumar Gaye, magistrat,

comme conseils ;

M. Moustapha Ly, premier conseiller à l’ambassade du Sénégal à La Haye,

M. Moustapha Sow, premier conseiller à l’ambassade du Sénégal à La Haye. - 7 -

The Government of the Republic of Senegal is represented by:

H.E. Mr. Cheikh Tidiane Thiam, Professor, Ambassador, Director-General of Legal and Consular
Affairs, Ministry of Foreign Affairs,

as Agent;

H.E. Mr. Amadou Kebe, Ambassador of the Republic of Senegal to the Kingdom of the
Netherlands,

Mr. François Diouf, Prosecutor, Director of Criminal Affairs and Pardons, Ministry of Justice,

as Co-Agents;

Professor Serigne Diop, Mediator of the Republic,

Mr. Abdoulaye Dianko, Agent judiciaire de l’Etat,

Mr. Ibrahima Bakhoum, Prosecutor,

Mr. Oumar Gaye, Prosecutor,

as Counsel;

Mr. Moustapha Ly, First Counsellor, Embassy of Senegal in The Hague,

Mr. Moustapha Sow, First Counsellor, Embassy of Senegal in The Hague. - 8 -

Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. L’audience est ouverte.

La Cour se réunit aujourd’hui, en application des articles43 et suivants de son Statut, pour

entendre les Parties en leurs plaidoiries dans l’affaire relative à des Questions concernant

l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal).

La Cour ne comptant sur le siège aucun juge de la nationalité des Parties, chacune d’elles

s’est prévalue de la faculté que lui confère le pa ragraphe 3 de l’article 31 du Statut de désigner un

juge ad hoc. M. Serge Sur, désigné par le Sénégal, et M. Philippe Kirsch, désigné par la Belgique,

ont été tous deux dûment installés le 6 avril 2009 comme juges ad hoc en l’affaire à l’ouverture des

audiences sur la demande en indication de mesures conservatoires présentée par la Belgique.

*

Je rappellerai à présent les principales étapes de la procédure en l’espèce.

Le 19février2009, le Royaume de Belgique a déposé au Greffe de la Cour une requête

introduisant une instance contre la République du Sénégal au sujet d’un différend relatif au

«respect par le Sénégal de son ob ligation de poursuivre M.HissèneHabré, ancien président de la

République du Tchad, ou de l’extrader vers la Belgique aux fins de poursuites pénales». La

Belgique fonde ses demandes sur la convention des Na tions Unies contre la torture et autres peines

ou traitements cruels, inhumains ou dégradants du 10décembre1984, ainsi que sur le droit

international conventionnel et coutumier relatif aux crimes internationaux.

La Belgique invoque, comme bases de compéten ce de la Cour, les déclarations faites, en

application du paragraphe2 de l’ article36 du Statut, par la Belgi que le 17juin1958 et par le

Sénégal le 2 décembre 1985, ainsi que l’article 30 de la convention contre la torture.

Dans sa requête, la Belgique soutient que le Sénégal, où M.Habré vit en exil depuis1990,

n’a pas donné suite à ses demandes répétées pour que l’ancien président tchadien y soit poursuivi, à

défaut d’être extradé vers la Belgique, pour des faits qualifiés notamment de crimes de torture et de

crimes contre l’humanité. La Belgique e xplique que, à la suite d’une plainte déposée

le25janvier2000 par sept personnes physiqu es et une organisation non gouvernementale,

l’Association des victimes des crimes et répressions politiques, M. Habré a été inculpé par le doyen - 9 -

des juges d’instruction du tribunal régional hors classe de Dakar, le 3 février 2000, de complicité de

«crimes contre l’humanité, d’actes de torture et de barbarie» et assigné à résidence. La Belgique

ajoute que la chambre d’accusation de la cour d’appel de Dakar a rejeté cette inculpation

le 4 juillet 2000, au motif que le droit sénégalais ne permettait pas la poursuite des crimes contre

l’humanité et que les juridictions sénégalaises ne pouvaient connaître des faits de torture ou de

barbarie commis par un étranger en dehors du territoire sénégalais.

La Belgique indique par ailleurs qu’«entre le 30 novembre 2000 et le 11 décembre 2001, un

ressortissant belge d’origine tchadienne et des ressortissants tchadiens» ont déposé des plaintes

similaires devant les tribunaux belges. Elle sou ligne que ses autorités judiciaires compétentes ont,

depuis la fin de l’année2001, adressé de nombreux devoirs d’instruction judi ciaire au Sénégal et

qu’elles ont, en septembre 2005, décerné un mandat d’arrêt international à l’encontre de M. Habré,

auquel les tribunaux sénégalais n’ont pas jugé bon de donner suite. Selon la Belgique, à la fin de

l’année 2005, le Sénégal a transmis le dossier à l’ Union africaine. Elle ajoute que, en février 2007,

le Sénégal a décidé de modifier son code pénal et son code de procédure pénale en y intégrant

«l’incrimination du génocide, des cr imes de guerre et des crimes contre l’humanité»; elle relève

toutefois que le défendeur a fait état de difficult és financières l’empêchant d’organiser le procès de

M. Habré.

La Belgique fait valoir que

«l’abstention du Sénégal de poursuivre M. Hissène Habré à défaut de l’extrader vers la

Belgique pour répondre des faits de torture qui lui sont imputés viole la
convention de 1984 contre la torture, notamment l’article5, paragraphe2, l’article7,
paragraphe 1, l’article 8, paragraphe 2, et l’article 9, paragraphe 1»,

ajoutant que

«l’abstention du Sénégal de poursuivre M. HissèneHabré ou de l’extrader vers la
Belgique pour répondre des crimes contre l’humanité qui lui sont imputés viole

l’obligation générale de réprimer les crimes de droit international humanitaire que l’on
trouve dans de nombreux textes de droit dérivé … et de droit conventionnel».

Le 19février2009, après le dépôt de sa requête, la Belgique a en outre présenté une

demande en indication de mesures conservatoires sur la base de l’artic le 41 du Statut de la Cour et

des articles73 à75 de son Règlement. Par ordonnance du 28mai2009, la Cour, après avoir - 10 -

entendu les Parties, a conclu «que les circonstances, telles qu’elles se présent[ai]ent [alors] à [elle],

n[’étaient] pas de nature à exiger l’exercice de son pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires

en vertu de l’article 41 du Statut».

Par ordonnance du 9juillet2009, la Cour a fi xé au 9juillet2010 et au 11juillet2011,

respectivement, les dates d’expira tion des délais pour le dépôt du mémoire de la Belgique et du

contre-mémoire du Sénégal. Le mémoire de la Belgique a été dûment déposé dans le délai ainsi

prescrit.

Par ordonnance du 11juillet2011, le président de la Cour, à la demande du Sénégal, a

reporté au 29 août 2011 la date d’expiration du délai pour le dépôt du contre-mémoire. Cette pièce

a été dûment déposée dans le délai ainsi prorogé.

Lors d’une réunion que le président de la Cour a tenue avec les agents des Parties

le 10 octobre2011, celles-ci ont indiqué qu’elles n’estimaient pas nécessaire la tenue d’un second

tour de procédure écrite et qu’elles souhaitaient que la Cour fixe dès que possible la date

d’ouverture des audiences. La Cour a considéré qu’ elle était suffisamment informée des moyens

de fait et de droit sur lesquels les Parties sefondent et que la présentation de nouvelles écritures

n’apparaissait pas nécessaire. L’affaire s’est ainsi trouvée en état.

*

Conformément au paragraphe2 de l’article53 de son Règlement, la Cour, après s’être

renseignée auprès des Parties, a décidé de rendre accessibles au public, à l’ouverture de la

procédure orale, des exemplaires des pièces de pr océdure et des documents annexés. En outre,

conformément à la pratique de la Cour, l’ensem ble de ces documents, sa ns leurs annexes, sera

placé dès aujourd’hui sur le site Internet de la Cour.

*

Je constate la présence à l’audience des agen ts, conseils et avocats des deux Parties.

Conformément aux dispositions relatives à l’organisa tion de la procédure arrêtées par la Cour, les

audiences comprendront un premier et un second tours de plaidoiries.

* - 11 -

A l’issue de cette première audience du premie r tour de plaidoiries, la Belgique pourra, si

nécessaire, déborder quelque peu au-delà de 13he ures, compte tenu du temps pris par la séance

publique qui vient d’avoir lieu. Le prem ier tour de plaidoiries se terminera le

vendredi 16 mars 2012. Le second tour de plaidoiries s’ouvrira le lundi 19 mars 2012 et s’achèvera

le mercredi 21 mars 2012.

*

Le Royaume de Belgique, qui est l’Etat demandeur en l’affaire, sera entendu le premier. Je

donne à présent la parole à M. Paul Rietjens, agen t du Royaume de Belgique. Vous avez la parole,

Monsieur l’agent.

M. RIETJENS :

1. INTRODUCTION

1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, c’est un grand honneur de

prendre à nouveau la parole devant vous, au nom du Royaume de Belgique. Comme je l’ai indiqué

lors des audiences sur la demande en indication de mesures conservatoires, la Belgique a le plus

grand respect pour la Cour et le système de justice internationale dans le cadre duquel elle exerce

ses fonctions.

2. Permettez-moi de rappeler avant toute chose que la Belgique entretient de bonnes relations

avec la République du Sénégal. L’engagement de la présente procédure ne constitue en aucune

manière un acte inamical, et ne devrait pas être perçu comme mettant en doute la qualité de nos

relations bilatérales. Nos deux pays sont, depuis longtemps, de bons partenaires, qui entretiennent

des relations d’amitié et de coopération. Ces liens amicaux entre nos deux pays n’excluent

cependant aucunement qu’il y ait aussi des divergen ces. Mais ils permettent, justement, que nous

discutions ouvertement de ces divergences afin d’y remédier dans le respect du droit international.

3. C’est donc dans cette optique que la Belg ique se présente devant vous aujourd’hui. Nous

n’avons d’autre choix que de revenir devant la C our pour faire respecter l’obligation de poursuivre

à défaut d’extrader et ainsi de lutter contre l’im punité des crimes de droit international les plus

graves. - 12 -

4. C’est également pour les victimes de ces crimes, dont certaines ont la nationalité belge,

que la Belgique a décidé d’introduire cette affaire devant votre Cour. Ces victimes méritent que la

personne qu’elles accusent de ces crimes soit traduite en justice, même ⎯ ou peut-être

justement ⎯ après l’écoulement de tout ce temps.

5. Je n’ai pas besoin de rappeler longuement les antécédents de cette affaire. Hissène Habré

a dirigé le Tchad pendant huitannées, entre1982 et1990. Durant cette période, des dizaines de

milliers de personnes ont été arrêtées par les fo rces gouvernementales, tuées ou incarcérées comme

prisonniers politiques. Beaucoup d’entre elles on t été torturées; incroyablement torturées.

Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je vous épargnerai les détails

insoutenables de ces tortures. Le rapport final de la commission d’enquête nationale sur les crimes

et détournements commis par l’ex-président Habré, ses coauteurs et complices, commission créée

au Tchad au début des années1990, qui fait état de plus de 40000 victimes 1, est suffisamment

éloquent.

6. En décembre 1990, Hissène Habré a été renversé par son opposant, M. Idriss Deby Itno, et

a trouvé refuge au Sénégal où il séjourne depuis lors . En janvier 2000, des victimes des atrocités

commises au Tchad sous le régime de HissèneHabré ont initié des procédures pénales contre

celui-ci au Sénégal. D’autres victimes ont dé posé plainte en Belgique entre novembre2000 et

décembre 2001. Le coagent expliquera dans quelques instants à la Cour comment se sont déroulées

ces procédures. Pour faire bref, plus de douze années se sont écoulées entre janvier2000 et

l’ouverture des présentes audiences, et nous ne sommes toujours pas plus proches d’un procès

organisé au Sénégal contre la personne accusée de porter la responsabilité de ces crimes commis à

grande échelle. En effet, malgré les promesses du Sénégal de juger Hissèn e Habré, l’organisation

du procès de ce dernier au Sénégal n’a pas progressé d’un iota, en dépit des nombreux efforts de la

Belgique, de l’Union africaine, de l’Union européen ne, et d’autres encore pour aider et soutenir le

Sénégal dans ce sens.

7. Monsieur le président, l’affaire que la Cour devra juger n’est cependant pas, comme on

l’entend très souvent, l’«affaire HissèneHabré». Il n’appartient pas à la Cour de céans de se

1 Les crimes et détournements commis par l’ex-Président Habré, ses co-auteurs et comp, rapport de la

commission d’enquête nationale du ministère tchadien de la justice, L’Harmattan, Paris, 1993, p. 97. - 13 -

prononcer sur les faits qui se sont déroulés au Tchad entre juin1982 et décembre1990.

L’importance de la présente affaire dépasse largement les circonstances particulières liées aux

poursuites pénales contre Hissène Habré. La présente affaire, opposant la Belg ique et le Sénégal,

soulève en effet des questions fondamentales con cernant les obligations solennelles assumées par

les Etats parties à la convention des NationsUn ies contre la torture et découlant du droit

international général. Cette affaire concerne la lutte contre l’impunité pour «les crimes les plus

2
graves qui touchent l’ensemble de la communauté internationale» . Cette lutte ne se réduit pas à

un slogan, mais exige des actes concre ts prévus par le droit internati onal. Il ne suffit pas, pour les

Etats, de ratifier la convention contre la torture et de faire de beaux discours sur leur détermination

à répondre aux obligations que leur impose le droit. Ce qui compte, dans la lutte contre l’impunité,

c’est l’action. Au cŒur de cette action se trouve la mise en Œuvre effective et efficace de

l’obligation de poursuivre les acteurs des crimes les plus graves.

8. A la suite de votre ordonnance du 28mai2009 sur la demande belge en indication de

mesures conservatoires, nous nourrissions un grand espoir, en fait nous nous attendions à ce que les

deux Parties soient en mesure de résoudre leur différend concernant l’obligation de poursuivre, à

défaut d’extrader, HissèneHabré. La Belgique accordait à cet effet une grande importance aux

déclarations solennelles faites par l’agent du Sénéga l, l’ambassadeur Tidiane Thiam, sur lesquelles

cette ordonnance est fondée. Avec l’aide généreus e et grandement appréciée de l’Union africaine,

de la Commission européenne et d’une série d’Et ats tiers, nous pensions qu’il aurait pu être

possible de prendre rapidement les dispositions nécessaires à l’ouverture d’une procédure pénale et

à l’organisation du procès de HissèneHabré au Séné gal. La Belgique a en effet toujours eu la

conviction que la solution consistant à traduire Hissène Habré devant la justice sénégalaise était la

plus appropriée. Cette solution est par ailleurs celle qu’envisage expressément la convention contre

la torture.

9. La décision prise en novembre 2010 par la Cour de justice de la Communauté économique

des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a, il est vrai, ajouté une certaine complexité au dossier

mais ne constitue pas une difficulté insurmontable à son aboutissement. L’Union africaine a fait

2
Statut de Rome de la Cour pénale internationale, préambule. - 14 -

des efforts importants pour dégager une solution accept able au regard de cette décision, d’une part,

et de l’obligation de poursuivre, à défaut d’extr ader, d’autre part. Néanmoins, en mai2011, les

discussions avec l’Union africaine allant dans le sens de cette solution, et qui semblaient pourtant

bien engagées, ont été reportées sine die à la demande du Sénégal.

10. Monsieur le président, je tiens ici à rendre un hommage particulie r au rôle de l’Union

africaine. Les Etats d’Afrique sont, dans le cadre de l’Union africaine, fermement attachés à l’état

de droit et au principe selon lequel il ne peut y av oir d’impunité pour la torture, les crimes contre

l’humanité et les autres crimes grav es de droit international. Dans cet esprit, les institutions de

l’Union africaine ont joué un rôle très positif en cherchant à assurer que le procès de Hissène Habré

soit organisé dans un délai raisonnable. Mais, et il faut le déplorer, tous ces efforts sont restés

vains.

11. Après des mois, après des années, alors que nous nous trouvons devant vous aujourd’hui,

les autorités sénégalaises n’ont, nous le regrettons, pas pris les mesures nécessaires pour traduire

HissèneHabré en justice. La voie alternative de l’extradition vers la Belgique, n’a pas été plus

fructueuse. Pour des raisons qui demeurent inexp licables, les autorités sénégalaises ont, en effet, à

plusieurs reprises, échoué à faire progresser les demandes d’extradition répétées de la Belgique.

Nous n’avons pas avancé depuis le jour où vous avez rendu votre ordonnance sur les mesures

conservatoires, il y a maintenant près de trois ans. Comme on dit en anglais : «Justice delayed is

justice denied.»

12. Monsieur le président, les crimes dont il est ici question ont été commis il y a vingt, voire

trente ans aujourd’hui. Depuis des décennies, les nombreuses victimes de ces crimes attendent que

la justice à laquelle elles ont droit leur soit en fin rendue. Depuis janvier2000, elles tentent sans

relâche d’obtenir l’engagement des poursuites en vue de voir ce droit à la justice respecté, sans

aucun résultat concret. Ces victimes cepe ndant vieillissent, et le temps qui s’écoule

inexorablement a déjà vu s’éteindre nombre d’en tre elles. Les survivantes, quant à elles,

désespèrent de jamais pouvoir tourner la page de ces crimes odieux. La présente procédure offre

l’espoir que le souhait des victimes d’obtenir jus tice soit exaucé dans un avenir proche. Nous

espérons dès lors ardemment que les poursuites au Sénégal ou l’extradition ve rs la Belgique de

Hissène Habré ne souffriront plus de retard supplémentaire. - 15 -

13. Alors que nous sommes ici devant vous, il est clair que le Sénégal n’a pas respecté et ne

respecte toujours pas les obligations international es qui lui incombent en vertu de la convention

contre la torture et d’autres règles pertinentes du droit international. En e ffet, la convention contre

la torture impose à l’Etat partie sur le terr itoire duquel se trouve une personne soupçonnée d’avoir

commis des actes de torture de prendre certaines me sures précises à son encontre et, en particulier,

de soumettre l’affaire à ses autorités compétent es pour l’exercice de l’action pénale, à défaut

d’extrader cette personne vers l’Etat qui le lui de mande. Il en va de même pour d’autres règles de

droit international concernant la lutte contre l’impunité. Or, malgré ses engagements, le Sénégal

n’a pas pris les dispositions appropriées. Dès lors, selon la Belgique, le Sénégal viole ses

obligations et doit en assumer la responsabilité internationale. Par conséquent, la Belgique

demande à la Cour de dire que le Sénégal, en ne respectant pas ses obliga tions internationales, a

engagé sa responsabilité internationale et doit mettre fin de manière immédiate à ses faits

internationalement illicites, soit en soumettant sa ns délai le dossier relatif à HissèneHabré à ses

autorités compétentes en vue de poursuites, soit en extradant Hissène Habré sans plus attendre vers

la Belgique, qui, à plusieurs reprises et en conf ormité avec la loi sénégalaise, a demandé cette

extradition aux autorités sénégalaise s. Ce n’est qu’ainsi que nous pouvons préserver le principe

selon lequel il ne peut y avoir d’impunité pour les crimes les plus graves, qui touchent la

communauté internationale dans son ensemble.

14. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, il s’agit ici d’une affaire

importante. Elle est importante pour les victimes et leurs proches. Elle est importante pour la

communauté internationale, qui souligne de plus en plus, avec une détermination croissante, la

nécessité de combattre l’impunité et qui suit de près la présente affaire. Et finalement cette affaire

est d’une importance particulière pour la Belgi que, puisque, à la demande de certaines victimes,

dont certaines ont la nationalité belge, et de leurs familles, la justice belge a engagé des poursuites

contre Hissène Habré ; poursuites qui ont abouti en 2005 ⎯ il y a donc déjà près de sept ans ⎯ à

une première demande d’extradition de celui-ci. La justice belge a également offert au Sénégal,

par le biais de la coopération judiciaire internati onale, de faciliter la tenue d’une procédure pénale

au Sénégal si c’est l’option choisie par ce dernier po ur remplir ses obligations internationales. En

bref, le différend entre la Belgi que et le Sénégal revê t une importance significative car il porte sur - 16 -

les obligations respectives des Etats dans le cadre de la lutte contre l’impunité des auteurs de

crimes de droit international (crimes de torture, crimes de génocide, cr imes contre l’humanité,

crimes de guerre) ; préoccupation partagée par l’ensemble de la communauté internationale.

15. Monsieur le président, lors du premier tour, nos plaidoiries s’articuleront comme suit.

16. Tout d’abord, nous décrirons les faits les plus pertinents pour la présente affaire, qui

comprennent notamment les procédures judiciaires en gagées en Belgique et au Sénégal, ainsi que

devant des organes internationaux et, en particulier, devant le Comité contre la torture qui, comme

vous savez, a reconnu que le Sénégal a violé ses obligations découlan t de la convention contre la

torture. Le coagent, M.GérardDive, et le professeurEricDavid, présenteront successivement

cette première partie de nos plaidoiries.

17. Sir Michael Wood traitera ensuite de la compétence de la Cour en vertu de l’article 30 de

la convention contre la torture et de la recevabilité de la requête de la Belgique.

18. Enfin, pour terminer cette première journée, le professeurEricDavid examinera la

question de la compétence de la Cour sur la base des déclarations faites par chacune des Parties en

application de l’article 36, paragraphe 2, du Statut de la Cour.

19. Demain matin, nous reprendrons notre présentation. SirMichaelWood examinera les

questions concernant la convention contre la torture. Il traitera des obligations précises dues à la

Belgique en vertu de la convention, obligati ons auxquelles, selon nous, le Sénégal n’a pas donné

suite, ou, à tout le moins, ni en temps utile ni de manière satisfaisante.

20. Le professeurEricDavid traitera ensuite de la violation, par le Sénégal, des obligations

dues à la Belgique en vertu du droit international général.

21. Par après M.DanielMüller expliquera que les différentes justifications mises en avant

par le Sénégal dans son contre-mémoire, mentionnant des difficultés d’ordre financier ou autres et

l’affirmation de sa volonté de respecter ses obligations, ne sont pas de nature à écarter la

responsabilité internationale de celui-ci.

22. Enfin, pour conclure ce premier tour des plaidoiries de la Belgique, j’expliquerai

brièvement quelles sont, sous l’angle de la responsabilité internationale, les conséquences qui

s’imposent au Sénégal en raison du manquement de celui-ci à ses obligations internationales. Je - 17 -

dirai enfin quelques mots sur les conclusions de la Belgique et les remèdes que nous sollicitons de

la Cour.

23. Je remercie la Cour pour son aimable atten tion et je vous prie, Monsieur le président, de

bien vouloir donner la parole à notre coagent, M. Gérard Dive.

Le PRESIDENT: Je vous remercie, Monsieur l’agent, et je passe la parole à

M. Gérard Dive, coagent de la Belgique. Vous avez la parole, Monsieur.

M. DIVE :

2.L ES FAITS : LES POURSUITES ENGAGÉES AU SÉNÉGAL ET EN BELGIQUE

1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, l’honneur me revient donc de

poursuivre l’exposé des faits relatifs à la présente affaire. Comme l’a déjà précisé l’agent, le

présent exposé abordera les faits concernant les pour suites engagées contre Hissène Habré, tant au

Sénégal qu’en Belgique, et incluant les demand es d’extradition présentées par la Belgique aux

autorités sénégalaises à l’encontre de l’intéressé.

2. Cet exposé n’a pas vocation à entrer systém atiquement dans les détails, lorsque ceux-ci

3
sont déjà connus de la Cour . Mais, comme ces faits ⎯ parfois complexes ⎯ jouent un rôle

essentiel dans la présente affaire, la Belgique a dressé une liste reprenant, par ordre chronologique,

les faits les plus pertinents, afin de mieux suivre leur évolution. Vous trouverez cette liste dans vos

dossiers de plaidoiries sous l’onglet 1. Je me limiterai dès lors, à ce stade, à rappeler les éléments

factuels les plus importants.

3. Monsieur le président, mon intervention ser a divisée en deux parties. La première sera

consacrée aux plaintes déposées au Sénégal à l’encontre de HissèneHabré et aux poursuites

intentées par les autorités sénégalai ses sur cette base (I.). La s econde partie visera les plaintes

déposées en Belgique contre l’intéressé et les actio ns des autorités belges qui en ont découlé.

J’insisterai plus particulièrement sur les événemen ts clefs quant à l’évolution du différend entre la

Belgique et le Sénégal, qui constituent le cŒur de la présente affaire (II.).

3Requête introductive d’instance du Royaume de Belgique contre la Ré publique du Sénégal, 16février2009,
mémoire de la Belgique (ci-après «M B»), vol. II, annexe C.7.; MB du 1t 2010 ; lettres de l’agent de la Belgique
au greffier de la Cour sur les derniers développeen date des 16juillet2009, 23novembre2010, 21mars2011,
29 juin 2011, 18 juillet 2011, 8 septembre 2011 et 23 janvier 2012. - 18 -

4. Mais avant de commencer et par souci de cl arté, j’aimerais exposer brièvement à la Cour

ce que recouvrent, en droit belge ⎯et en droit sénégalais d’ailleurs ⎯ les notions de «juge

d’instruction» et de plainte avec «constitution de par tie civile». Dans le système juridique belge,

de tradition civiliste, le juge d’instruction est un magistrat spécialement désigné aux fins de mener

l’«instruction». L’instruction consiste en l’en semble des devoirs d’enquête réalisés pour dépister

les auteurs de délits et de crimes, rassembler l es preuves et prendre des mesures afin de porter

éventuellement l’affaire devant un tr ibunal. Quant à la constitution de partie civile, elle est le fait,

pour une personne qui se prétend lé sée par un crime ou un délit, de por ter plainte auprès d’un juge

d’instruction et de provoquer ainsi le déclenchement de l’action publique 4. Cette procédure est

connue dans de nombreux autres pays de droit roma no-germanique. Elle permet à la victime de

participer à la procédure en faisant valoir son point de vue et de dema nder réparation pour le

dommage résultant de l’infraction en cause.

I. Plaintes déposées à l’encontre de Hissène Habré devant les autorités sénégalaises

5. Monsieur le président, je vais donc dé buter mon exposé en vous parlant des plaintes

déposées au Sénégal à l’encontre de HissèneHa bré, par des personnes s’estimant victimes de

crimes commis ou ordonnés par l’intéressé, alors qu’il était président du Tchad. J’exposerai

successivement les faits relatifs à la plainte dépo sée en 2000 (A.), puis ceux concernant la seconde

plainte, remontant à 2008 (B.).

A. Plainte déposée en 2000

6. Le 25janvier2000, il y a aujourd’hui plus de douzeans, la première plainte avec

constitution de partie civile est déposée au Sénégal à l’encontre de HissèneHabré par

huit plaignants. Ces plaignants s’estiment victimes de crimes contre l’humanité, crimes de torture,

«actes de barbarie» et disparitions forcées. A la su ite de cette plainte, le 3février2000, un juge

d’instruction de Dakar inculpe Hissène Habré de complicité de «crimes contre l’humanité, d’actes

de torture et de barbarie». Le juge d’instruction laisse l’inculpé en liberté provisoire et l’«assigne à

5
résidence» . Le 18février2000, HissèneHabré réagit à cette inculpation en introduisant une

4
Code d’instruction criminelle belge, art. 63.
5MB, vol. II, annexe D.2. (CMS, p. 7, par. 16 : «liberté provisoire assortie de contrôle judiciaire»). - 19 -

requête en annulation des poursuites intentées contre lui, pour incompétence des juridictions

6
sénégalaises, vu le défaut de base légale et la prescription des faits .

7. Le 4 juillet 2000 7, la cour d’appel de Dakar rejette l’inculpation de Hissène Habré 8, pour

incompétence des tribunaux sénégalais à connaître des faits de la cause 9. Concernant les crimes de

torture, la Cour constate par ailleurs le défaut du législateur sénégalais à s’être conformé à

l’article5 de la convention des NationsUnies du 10décembre1984 contre la torture et autres

peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ⎯ que j’appellerai désormais la convention

contre la torture. Cet article5 prévoit l’obligation des Etats parties de prendre les mesures

nécessaires pour établir la compétence de le urs tribunaux pour connaître des crimes visés à

l’article 4 de cette même convention.

8. L’arrêt de la Cour d’appel est conf irmé par la Cour de cassation sénégalaise

10
le 20 mars 2001 . Cette décision, non susceptible de recours, met fin ⎯ à l’époque ⎯ aux espoirs

des victimes de voir Hissène Habré jugé au Sénégal.

B. Plainte déposée en 2008

9. Passons maintenant à la seconde plainte déposée au Sénégal. A la suite de modifications

législatives, intervenues en 2007, et constitutionnelles, votées en 2008, introduisant, enfin, dans le

droit sénégalais les dispositions nécessaires pour établir la compétence des tribunaux sénégalais,

notamment pour des actes de torture ⎯ modifications sur lesquelles reviendra le

professeur Eric David ⎯ une nouvelle plainte pour crimes contre l’humanité et actes de torture est

déposée par quatorze personnes, le 16 septembre 2008, à Dakar 11.

6 o
Arrêt n 135 du 4 juillet 2000 de la chambre d’accusation de la cour d’appel de Dakar, MB, vol. II, annexe D.3.
corrigée.
7
La date du 4 juillet 2001 inscrite dans le contre-mémoire du Sénégal (ci-après le «CMS») (p. 7, par. 18) semble
être due à une erreur typographique.
8 o
Arrêt n 135 du 4 juillet 2000 de la chambre d’accusation de la cour d’appel de Dakar, MB, vol. II, annexe D.3.
corrigée.
9
Ibid.
10
o La date du 20 novembre 2001 inscrite dans le CMS (p. 7, par. 19) semble être due à une erreur typographique ;
arrêt n14 de la Cour de cassation sénégalaise, première chambre statuant en matière pénale, du 20mars2001, MB,
vol. II, annexe D.4.
11
Plainte au procureur général près la cour d’appel de Dakar, 16 septembre 2008, MB, vol. II, annexe D.5. - 20 -

10. A ce jour, à notre connaissance, aucune pr océdure d’instruction n’a été intentée contre

HissèneHabré, ni sur la base de cette nouvelle plainte, ni d’office à l’initiative des autorités de

poursuite, et cela en violation flagrante des obligations internationales du Sénégal.

11. Nous venons donc de voir, Monsieur le président, que la plainte de2000 n’a pu faire

l’objet de poursuites, faute de compétence des juridictions sénégalaises, et que celle de 2008 n’a, à

notre connaissance, reçu aucune suite judiciaire.

II. Plaintes déposées contre Hissène Habré en Belgique

12. Monsieur le président, Mesdames et Messieu rs de la Cour, j’en viens maintenant à la

deuxième partie de ma présentation qui porte su r les poursuites judiciaires menées en Belgique à

l’encontre de HissèneHabré et aux demandes d’ extradition adressées au Sénégal. Les faits

pertinents seront présentés par ordre chronologique et en deux temps. D’une part, les faits

intervenus depuis le dépôt en Belgique de la première plainte en 2000, jusqu’à l’introduction par la

Belgique de la présente instance devant la Cour en 2009(A.). D’autre part, les faits survenus

depuis cette date jusqu’à ce jour (B.).

A. De 2000 à février 2009

13. Monsieur le président, les faits relatif s aux poursuites, survenus entre le dépôt en

Belgique, en 2000, de la première plainte et l’introduction par la Belgique, en 2009, d’une requête

introductive d’instance devant cette Cour, sont marqués par un moment pivot. Il s’agit du

19septembre2005, date à laquelle un juge d’instruction belge décerne un mandat d’arrêt

international à l’encontre de HissèneHabré, su ivi d’une première dema nde d’extradition. Je

m’attacherai dès lors, dans un premier temps, a ux faits survenus entre l’an2000 et cette date

pivot(i). Puis, j’exposerai les faits intervenus depuis cette date pivot de2005 jusqu’à la date

d’introduction de la présente instance devant la Cour (ii). - 21 -

i) Les faits survenus entre le 30 novembre 2000 et le 19 septembre 2005

14. Le 30 novembre 2000, donc, un ressortissant belge d’origine tchadienne dépose plainte

avec constitution de partie civile entre les ma ins d’un juge d’instruction belge contre

HissèneHabré, notamment pour violations graves du droit international humanitaire, crimes de

torture et crimes de génocide.

15. Entre le 30novembre2000 et le 11d écembre2001, vingt autres personnes déposèrent

plainte avec constitution de partie civile contre l’ intéressé devant la justice belge, pour le même

type de faits. Ces plaintes ont été jointes à la première. La nationalité de ces vingt et un plaignants

au moment du dépôt des plaintes successives se repartit comme suit: un Belge d’origine

tchadienne, deux binationaux belgo-tchadiens et dix-huit Tchadiens. Les trois plaignants belge ou

belgo-tchadiens ont acquis la nationalité belge bien avant la date du dépôt de leurs plaintes auprès

des juridictions belges 12.

13
16. Contrairement aux affirmations du Sénégal , il ne s’agit pas des mêmes plaignants que

ceux qui avaient porté plainte en 2000 devant les juridictions sénégalaises et qui, déçus par l’
arrêt

de la Cour de cassation sénégalaise confirmant l’invalidation des poursuites à l’encontre de

Hissène Habré, se seraient ensuite tournés vers la jus tice belge. Une lecture attentive de l’arrêt de

la Cour de cassation sénégalaise de 200 1 et du mandat d’arrêt belge le démontre 14. Le coagent du

Sénégal l’avait d’ailleurs admis lors des plaidoi ries relatives à la demande de la Belgique en

indication de mesures conservatoires 15.

12
Mandat d’arrêt international par défaut, feuillet 14, point 2.3.2.2, MB, vol. II, annexe C.1.
13 CMS, 23 août 2011, p. 8, par. 20.

14 Les sept personnes physiques ay ant déposé plainte au Sénégal se nomment SouleymaneGuengueng,
Zakaria Fadoul Khidir, Issac Haron Abdallah, Younouss Mahadjir Togoto Lonaye Samu el, RamadameSouleymane,
Valentin Neatobet Bidi (arrêt n14 du 20 mars2001 de la Cour de cassation sé négalaise, première chambre statuant en

matière pénale, MB, vol.II, annexeD.4). Les vingt-et-une personnes physiques ayant déposé plainte en Belgique sont
A.Aganaye, R.Dralta, N’Ga rkete Baïnde Djimandjoumadji, Hadje KadjidjaDaka , Ismaël Hachim, Koumandje Gabin,
Sabadet Tototdet, Aiba Adam Harifa, Aldoumngar Mabaije Boukar, Mahamat Abakar Bourdjo, ClémentAbaifouta,
Mariam Abderaman, Adimatcho Djamal, Bichara Djibrine, Bechir Bechara Dagachene, Ibrahim Kossi,
SouleymaneAbdoulaye Tahir, Haoua Br ahim, MasrangarRimram, Mahamat Nour Dadji et Bassou Zenaba Ngolo
(mandat d’arrêt international par défaut, MB, vol. I, annexe C.1).

15 CR 2009/9, 6 avril 2009, p. 24, par. 9-10 (Kandji). - 22 -

17. Monsieur le président, Mesdames et Messi eurs de la Cour, les faits exposés en détail

16
dans le mandat d’arrêt international sont d’une extrême gravité . Je me limiterai à ne vous en citer

que trois, tels que décrits dans ce mandat d’arrêt, car il convient de comprendre l’enjeu réel de la

présente affaire, lorsque nous parlons de lutter c ontre l’impunité. M.Aganaye, fut arrêté en

mai1989 par des militaires du régime de HissèneHabré; il fut transféré à la «piscine», prison

souterraine, où il fut interrogé de façon brutale et musclée pendant plus de troisheures. Il sera

17
libéré en décembre1989 . M.GarketéBainde a vu tous les membres de sa famille mourir ou

disparaître. Ainsi, le 2 octobre 1984, son oncle paternel a été «torturé d’abord devant sa famille par

la soldatesque de Habré, ensuite dans la cour de l’école des télécommunications de Sarh…et

18
achevé. Son corps a été gardé par les aute urs des faits jusqu’à décomposition totale» . En 1985,

son cousin fut «grièvement blessé par les milices de Habré. Par cynisme, on l’a laissé transporter

lui-même ses boyaux jusqu’à un petit village où il a rendu l’âme» 19. M.Gabin a été arrêté le

12 juillet 1987. «Selon ses déclarations, il aurait été torturé par la DDS à de nombreuses reprises et

aurait subi les tortures dites de «l’arbatchar», le supplice des baguettes ainsi que des brûlures

d’allumettes sur tout le corps» 20 .

18. Monsieur le président, au moment du dépôt des plaintes, la compétence des juridictions

belges pour en connaître était fondée sur la loi de 1993/1999, intitulée «Loi relative à la répression

21
des violations graves du droit international humanitaire» . Cette loi attribuait une compétence aux

juridictions belges pour connaître des crimes de droit international repris dans la loi,

indépendamment du lieu de perpétrati on des faits et de la nationalité de l’auteur ou des victimes.

22
Cette loi a été modifiée par la loi du 5août2003 . En vertu de l’article29 de celle-ci, les

juridictions belges restent compétentes pour connaîtr e des plaintes présentant un lien particulier de

16
Mandat d’arrêt international par défaut , feuillet 14, point 1.3, MB, annexe C.1, requête introductive d’instance
du Royaume de Belgique contre la République du Sénégal, 16 février 2009, annexe 3, p. 36-48, MB, vol. II, annexe C.7.
17
Ibid., p. 38 (point 1.3.1.).
18Ibid., p. 40 (point 1.3.3.).

19Ibid., p. 40 (point 1.3.3.).

20Ibid., p. 42 (point 1.3.4.3.) (traduction anglaise, p. 43).
21
Loi du 16juin1993 relative à la répression des viol ations graves de droit international humanitaire,
Moniteur belge du 23 juin 1993, p. 9286 et 9287.
22
Loi du 5août2003 relative aux violations graves du droit international humanitaire, Moniteur belge du
7 août 2003, p. 40506 à 40515. - 23 -

rattachement avec la Belgique, notamment lorsque l’ affaire considérée avait fait l’objet d’un acte

d’instruction à la date d’entrée en vigueur de la loi et dès lors qu’au moins un plaignant était de

nationalité belge. C’est sur cette base que la Belgique souhaite exercer sa compétence pour juger

Hissène Habré.

19. A la suite du dépôt de ces plaintes, de nom breux devoirs d’instruction ont été accomplis,

tant en Belgique qu’à l’étranger. Parmi ces devoirs d’instruction, on notera une commission

rogatoire datée de septembre2001 et adressée aux autorités sénégalaises 23. Cette commission

rogatoire visait à obtenir copie des dossiers des poursuites engagées en vain au Sénégal à l’encontre

de l’intéressé, l’année précédente. Les au torités sénégalaises ont communiqué les pièces

demandées aux autorités belges en novembre 2001 24.

20. Une autre commission rogatoire internati onale est adressée au Tchad. Celle-ci vise,

notamment, à obtenir l’audition de victimes présu mées et de témoins et la communication des

pièces et documents de la commission d’enquête nationale du ministère de la justice du Tchad dont

vient de parler l’agent. Cette commission rogatoire est exécutée au Tchad, du 26février au

8 mars 2002 25.

21. Le 7 octobre 2002, répondant à un courrier du ju ge d’instruction belge, le ministère de la

justice du Tchad confirme que toute immunité de juridiction dont HissèneHabré aurait pu

26
bénéficier en sa qualité d’ex-chef d’Etat a été levée en 1993 .

22. De très nombreux autres devoirs d’instructi on sont accomplis en Belgique à la suite de

ces deux commissions rogatoires, dont notamment l’a udition des parties plaignantes, de plusieurs

témoins et l’analyse d’un nombre considérable de pièces transmises par les autorités tchadiennes en

exécution de la commission rogatoire dont je viens de parler. La réalisation de l’ensemble de ces

23
Note verbale de l’ambassade de Belgique à Dakar au ministère des affaires étrangères du
Sénégal ⎯ 10 octobre 2001, MB, vol. II, annexe B.1.
24
Plaintes, constitutions de parties civiles, ordonnance de placement de Hissène Habré en résidence surveillée du
3 février 2000, arrêts de la chambre d’accu sation de la cour d’appel de Dakar du 4 juillet 2000 (MB, vol. II, annexe D.3.
corrigée) et de la Cour de cassation du Sénégal du 20 mars 2001 (MB, vol. II, annexe D.4.) ; MB, p. 18, par. 1.23.
25
Requête introductive d’instance du Royaume de Belgi que contre la République du Sénégal, 16février2009,
par.4, annexe3, MB, vol.II, annexeC.7; MB, p.18, par. 1.24 et vol. II, annexe C.1 (mandat d’arrêt international par
défaut, feuillet 14).
26
Requête introductive d’instance du Royaume de Belgi que contre la République du Sénégal, 16février2009,
par.5, annexe4, MB, vol.II, annexe C.7; réponse du mi nistre de la justice du Tc had levant l’immunité dont
M. Habré pourrait se prévaloir, 7 octobre 2002, MB, vol. II, annexe C.5. - 24 -

devoirs d’enquête, soit 27classeurs de documents, atteste de l’importance accordée par la justice

belge à la recherche de la vérité et du fait que, ma lgré la complexité de cette affaire, le dossier

judiciaire belge est déjà à un stade avancé.

23. Après quatre années d’instruction, le juge belge en charge du dossier, M. Daniel Fransen

⎯actuellement juge de la mise en état au Tribunal spécial pour le Liban ⎯ décerne, le

19 septembre 2005, la fameuse date pivot, un mandat d’arrêt, appelé «mandat d’arrêt international

par défaut», à l’encontre de HissèneHabré, co mme «auteur ou coauteur» de faits pouvant être

qualifiés, en droit belge et en droit international, notamment, de crimes de torture et de crimes de

droit international humanitaire 27. Ce mandat d’arrêt a donné lieu à quatre demandes d’extradition

successives. Nous y reviendrons.

ii) Mandat d’arrêt international, première dema nde d’extradition et suites y afférentes : du

19 septembre 2005 au 19 février 2009

24. Le19 septembre2005 donc, le mandat d’a rrêt précité est transmis par Interpol au

Sénégal, sous forme d’une notice rouge. Conf ormément aux pratiques en vigueur au sein

d’Interpol, dont la Belgique et le Sénégal sont membres 28, un mandat d’arrêt repris sous «notice

rouge» vaut demande d’arrestation provisoire en vue de l’extradition.

25. Le 22septembre2005, trois jours plus ta rd, la Belgique adresse une note verbale aux

29
autorités sénégalaises aux fins d’obtenir l’extradition de HissèneHabré . Conformément à la

30
pratique et à loi sénégalaise relative à l’extradition , étaient joints à cette note verbale l’original du

mandat d’arrêt, ainsi que la copie des textes de loi applicables aux faits incriminés. C’est donc

depuis septembre2005 que les autorités sénégalaises détiennent l’original du mandat d’arrêt

international délivré par le juge d’instruction belge. Cette précision ne manque pas d’importance

comme nous allons le voir.

27
MB, p. 19-20, par. 1.28-1.30.
28Belgique : 7 septembre 1923 ; Sénégal : 4 septembre 1961

29Note verbale de l’ambassade de Belgique à Dakar au ministère des affaires étrangères du
Sénégal ⎯ 22 septembre 2005, MB, vol. II, annexe B.2.

30Loi sénégalaise n °71-77 du 28 décembre 1971 relative à l’extradition, dossier des plaidoiries, onglet 8. - 25 -

26. Le 16novembre2005, en l’absence de réacti on de la part des autorités sénégalaises, la

Belgique interroge le Sénégal quant aux suites réservées à la demande d’extradition 31 .

27. Le 25 novembre 2005, la chambre d’accusa tion de la cour d’appel de Dakar se prononce

sur la demande d’extradition. Il convient de pr éciser ici que selon la loi sénégalaise relative à

l’extradition, qui se trouve dans vos dossiers sous l’onglet8, la chambre d’accusation doit rendre

un avis sur toute demande d’extradition. En cas d’ avis favorable, l’extradition peut être autorisée

par voie de décret. Un avis défavorable, en reva nche, contraint l’exécutif à refuser l’extradition.

Or, dans le cas d’espèce, la chambre d’accusati on ne rend ni un avis favorable, ni un avis

défavorable. Elle se déclare simp lement incompétente pour connaître de la régularité des actes de

poursuite et de la validité du mandat d’arrêt s’appliquant à un chef d’Etat, et invite le ministère

32
public à mieux se pourvoir . Pour rendre sa décision, la chambre d’accusation applique à

HissèneHabré, ancien président tchadien, les dispositions de la constitution et de la législation

sénégalaises conférant une immunité nationale de juridiction au chef de l’Etat sénégalais. En outre,

elle estime que la demande belge concerne des faits commis par un chef d’Etat dans l’exercice de

ses fonctions et indique que HissèneHabré, ancien chef d’un Etat étranger, doit bénéficier d’une

immunité de juridiction, en précisant que «ce privilège a vocation à survivre à la cessation de

fonctions du président de la République quelle que soit sa nationalité…» 33. Pourtant, une copie de

la lettre par laquelle le Tchad confirme, s’il le fallait, la levée de l’immunité de HissèneHabré

dès 1993 figurait parmi les documents transmis aux autorités sénégalaises par Interpol. En outre, le

mandat d’arrêt formant la base de la demande d’ex tradition se réfère explicitement à cette lettre de

34
levée d’immunité .

28. Le 30novembre2005, ayan t appris que la chambre d’accusation s’était prononcée, la

Belgique sollicite pour la troisième fois une ré ponse officielle à la demande d’extradition belge,

31 Note verbale de l’ambassade de Belgique à Dakar au ministère des Affaires étrangères du

Sénégal ⎯ 16 novembre 2005, MB, vol. II, annexe B.3.
32 Arrêt n 138 de la chambre d’accusation de la cour d’ appel de Dakar du 25novembre2005, MB, vol.II,

annexe B.6. corrigée.
33Ibid.

34Mandat d’arrêt international par défaut, feuillet 16, point 2.4.3., MB, annexe C.1. - 26 -

ainsi que des éclaircissements sur la position du Gouv ernement sénégalais à la suite de la décision

35
de la cour d’appel de Dakar .

29. Le 7 décembre 2005 36, le Sénégal transmet à la Belgique un communiqué du ministère

37
des affaires étrangères «sur l’affaire Hissène Habré» . Monsieur le président, la première phrase

du communiqué est éloquente: «Le Sénégal n’est en aucune manière directement concerné par

l’affaire Hissène Habré». Il précise qu’il a décidé de porter cette affaire «qui n’est pas une affaire

sénégalaise mais bien une affaire africaine» devant le prochain sommet des chefs d’Etat de l’Union

africaine prévu en janvier2006 à qui il appartie nt, selon le Sénégal, «d’indiquer la juridiction

compétente pour juger cette affaire» 38 .

30. Le 23 décembre 2005, le Sénégal répond aux trois notes verbales précédentes de la

Belgique et précise que «[l]’arrêt de la cham bre d’accusation met fin à la phase judicaire du

dossier». Il informe également la Belgique qu’il a pris la décision de transmettre le «dossier

Hissène Habré» à l’Union africaine, précisant que cette décision «[doit] … être considérée comme

traduisant la position du Gouvernement sénégalais suite à l’arrêt de la chambre d’accusation» 39 .

31. Le 11janvier2006, la Belgique prend note de la transmission du dossier à l’Union

africaine et prie à nouveau le Sénégal de lui communiquer sa décision finale sur la demande

d’extradition belge 40. Elle se réfère explicitement à la c onvention contre la torture pour rappeler

son interprétation de l’obligation aut dedere aut judicare, mais aussi pour placer cette nouvelle

démarche sous le couvert de la procédure de négociation visée à l’article 30 de la convention contre

la torture.

35
Note verbale de l’ambassade de Belgique à Dakar au ministère des affaires étrangères du
Sénégal ⎯ 30 novembre 2005, MB, vol. II, annexe B.4.
36
Note verbale de l’ambassade du Sénégal à Bruxelles au ministère des affaires étrangères de
Belgique ⎯ 7 décembre 2005, MB, vol. II, annexe B.5.
37
Communiqué du ministère des affaires étrangères «sur l’affaire Hissène Habré» du 27 novembre 2006 (sic),
annexé à la note verbale de l’amba ssade du Sénégal à Bruxelles au mini stère des affaires étrangères de
Belgique ⎯ 7 décembre 2005, MB, vol. II, annexe B.5.
38
Ibid.
39
Note verbale de l’ambassade du Sénégal à Bruxelles au ministère des affaires étrangères de
Belgique ⎯ 23 décembre 2005, MB, vol. II, annexe B.6.
40
Note verbale de l’ambassade de Belgique à Dakar au ministère des affaires étrangères du
Sénégal ⎯ 11 janvier 2006, MB, vol. II, annexe B.7., dossier de plaidoiries, onglet 4.1. - 27 -

32. Cette dernière note verbale étant restée san s réponse, la Belgique envoie, le 9 mars 2006,
41
une nouvelle note verbale . Se plaçant toujours sous le couvert de l’article30 de la convention

contre la torture, la Belgique interroge à nouv eau le Sénégal sur l’interprétation à donner à la

transmission du dossier à l’Union africaine, se demandant si cette transmission signifie que le

Sénégal n’a l’intention, ni d’extrader HissèneHabré vers la Belgique, ni de le faire juger par les

autorités judiciaires sénégalaises compétentes.

33. Eu égard à l’importance du dossier, l’envoi de ces notes verbales a été systématiquement

accompagné de démarches personnelles de l’amba ssade belge de Dakar auprès des autorités

sénégalaises, malheureusement restées vaines.

34. Près de deux mois s’étant à nouveau écoulés sans aucune réaction sénégalaise, le

département belge des affaires étrangères convoque les autorités diploma tiques sénégalaises en

poste à Bruxelles pour un entretien à l’issue duque l leur est transmise une nouvelle note verbale 42.

Cette note verbale, datée du 4mai2006, constate l’absence de réaction offi cielle des autorités

sénégalaises aux démarches belges antérieures. La Belgique réitère son interprétation de

l’obligation «aut dedere aut judicare» et se réfère à la possibilité d’un recours à la procédure

d’arbitrage prévue à l’article30 de la convention contre la torture si le différend entre les deux

Etats ne peut être résolu par voie de négociation.

35. Le 9 mai 2006, l’ambassade du Sénégal à Bruxe lles affirme, sans plus d’explication, que

les notes verbales sénégalaises des 7 et 23 décembr e 2005 répondaient à la demande d’extradition

43
de la Belgique . Elle précise également qu’en transféran t l’affaireHabré au sommet de l’Union

africaine, le Sénégal «se conforme à l’esprit de la règle aut dedere aut punire» prévue à l’article 7

de la convention contre la torture.

36. Le 20 juin 2006, prenant acte de l’ impasse dans laquelle se trouvent les échanges

bilatéraux tant écrits qu’oraux sur l’interprétation et l’application de plusieurs dispositions clés de

la convention contre la torture, la Belgique constate par note verbale que les tentatives de

41Note verbale de l’ambassade de Belgique à Dakar au ministère des affaires étrangères du
Sénégal ⎯ 9 mars 2006, MB, vol. II, annexe B.8.

42Note verbale du minist ère des affaires étrangères de Belgique à l’ambassade du Sénégal à
Bruxelles ⎯ 4 mai 2006, MB, vol. II, annexe B.9. ; dossier de plaidoiries, onglet 4.2.

43Note verbale de l’ambassade de la République du Sénégal à Bruxelles au ministère des affaires étrangères de
Belgique ⎯ 9 mai 2009, MB, vol. II, annexe B.10. ; dossier de plaidoiries, onglet 4.3. - 28 -

négociation entamées avec le Sénégal depuis novembre2005 n’ont pas abouti et propose au

Sénégal de recourir à la procédure d’arbitrage 44.

37. Huit mois plus tard, les 20 et 21févrie r2007, sans apporter la moindre précision quant

au différend constaté par la Belgi que, le Sénégal l’informe qu’il vient de modifier sa loi afin de

combler le vide juridique qui avait empêché les juridictions sénégalaises de connaître de

l’affaire Hissène Habré 45. En outre, le Sénégal annonce la cr éation d’un groupe de travail chargé

de déterminer les modalités et procédures nécessai res pour poursuivre et juger Hissène Habré tout

en affirmant que le procès de HissèneHabré exige des moyens financiers considérables, qu’il lui

est impossible de «mobiliser sans le concours de la communauté internationale» 46. Il insiste

également sur le fait que ces modifications législatives et la création du groupe de travail sont à

replacer uniquement dans le cadre de la mise en Œuvre du mandat politique confié au Sénégal par

l’Union africaine.

38. Le 8 mai 2007, les autorités belges interpellent à nouveau les autorités sénégalaises quant

au différend relatif à l’interprétation et à l’application de l’obligation aut dedere aut judicare ,

souligné systématiquement par la Belgique depuis janvier2006, et demandent, notamment, si les

nouvelles dispositions législatives vont permettre la poursuite de Hissène Habré au Sénégal et dans

47
quels délais . Enfin, la Belgique offre son assistance à la justice sénégalaise dans le cadre des

règles applicables en matière de coopération judici aire internationale, pour peu qu’une autorité

judiciaire sénégalaise soit concrètement saisie des poursuites à l’encontre de HissèneHabré.

Sinon, avec qui coopérer ?

39. Le 5 octobre 2007, le Sénégal communique à la Belgique son intention d’organiser le

procès de HissèneHabré, en se référant, cette fois, à la convention contre la torture et invite la

44 Note verbale de l’ambassade de Belgique à Dakar au ministère des affaires étrangères du
Sénégal ⎯ 20 juin 2006, MB, vol. II, annexe B.11. ; dossier de plaidoiries, onglet 4.4.

45 Note verbale de l’ambassade du Sénégal à Bruxelles au ministère des affaires étrangères de
Belgique ⎯20février 2007, MB, vol.II, annexe B.12 et note verb ale du ministère des affair es étrangères du Sénégal à
l’ambassade de Belgique à Dakar ⎯ 21 février 2007, MB, vol. II, annexe B.13.

46 Note verbale du minist ère des affaires étrangères du Sénégal à l’ambassade de Belgique à
Dakar ⎯ 21 février 2007, MB, vol. II, annexe B.13.

47 Note verbale de l’ambassade de Belgique à Dakar au ministère des affaires étrangères du
Sénégal ⎯ 8 mai 2007, MB, vol. II, annexe B.14. - 29 -

Belgique à participer à une réunion de donateurs à Dakar 48 , qui s’est finalement tenue

49
le 24 novembre 2010 . Les mois suivants, la Belgique se déclare prête à soutenir l’organisation

50
du procès de HissèneHabré au Sénégal et ré itère sa proposition de coopération judiciaire . Ces

propositions restent, à nouveau, sans réaction des autorités sénégalaises.

51 52 53
40. Toutefois, en octobre et décembre 2008 et en février 2009 , le président sénégalais,

M.Wade, communique par voie de presse son inte ntion de mettre fin à la mise en résidence

surveillée de Hissène Habré si le budget pour l’orga nisation du procès n’est pas réuni à temps. Le

président sénégalais ajoute qu’il envisage égalem ent le transfert de HissèneHabré, hors du

54
Sénégal, à l’Union africaine ou au Tcha d, mais jamais en dehors de l’Afrique . Le

19février2009, la Belgique dépose devant la C our une requête introductive d’instance contre le

Sénégal 55 et, en raison des déclarations al armantes précitées, demande des mesures

56
conservatoires .

41. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, nous sommes alors trois ans

et demi après l’envoi de la première demande d’extradition, et les autorités sénégalaises n’ont

encore posé aucun acte concret d’enquête ou de poursuite, ni extradé HissèneHabré, alors que le

président Wade laisse entendre que l’intéressé pourrait être renvoyé du territoire sénégalais.

48 Note verbale de l’ambassade du Sénégal à Bruxelles au ministère des affaires étrangères de
Belgique ⎯ 5 octobre 2007, MB, vol. II, annexe B.15.

49 Lettre de l’agent du Sénégal au greffier de la Cour du 22juin2011, note n o2 sur les dernières évolutions
intervenues dans la préparation, par le Sénégal, du procès de M.Hissène Habré, depuis le prononcé de l’ordonnance du

28 mai 2009 sur la requête belge en indication de mesures conservatoires, p. 5, point 4.
50 Note verbale de l’ambassade de Belgique à Dakar au ministère des affaires étrangères du

Sénégal ⎯ 2 décembre 2008, remise le 16 décembre 2008, MB, vol. II, annexe B.16.
51
Le Quotidien, «Le président Abdoulaye Wade au journal espag nol Público: «La loi française est allée trop
loin»», 15 octobre 2008.
52
La Croix, «Abdoulaye Wade: «Le Sénégal ne peut accepter la fuite des cerveaux»», 18décembre2008,
disponible en lign:e http://www.la-croix.com/Actualite/S-informer/Monde/Abdoulaye-Wade-Le-Se…-
accepter-la-fuite-des-cerveaux-_NG_-2008-12-18-681628.
53
Jeune Afrique, «Procès Habré: Wade menace de remettre à l’UA l’ancien dictateur tchadien», 3février2009,
disponible en ligne : http://www.jeuneafrique.com/Article/DEPAFP20090203T092442Z.
54
Ibid.
55
Requête introductive d’instance du Royaume de Belgi que contre la République du Sénégal, 16février2009,
MB, vol. II, annexe C.7.
56
Demande en indication de mesures conservatoires présentée par le Gouvernement du Royaume de Belgique,
16 février 2009, MB, vol. II, annexe C.8. - 30 -

B. De février 2009 à ce jour

42. Le 28 mai 2009, l’ordonnance de la Cour sur la demande en indication de mesures

conservatoires prend acte des déclarations solennelles du Sénégal selon lesquelles celui-ci «ne

permettra pas à HissèneHabré de quitter le Séné gal aussi longtemps que la présente affaire sera

pendante devant la Cour» (Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader

(Belgique c. Sénégal) , mesures conservatoires, ordonnance, C.I.J. Recueil 2009 , p. 154, par. 68).

Les discussions entre le Sénégal, l’Union européen ne, l’Union africaine et plus généralement la

communauté internationale sur le financement et la mise en Œuvre du procès de Hissène Habré se

sont poursuivies après cette déclaration. Le professeurEricDavid y reviendra dans quelques

instants.

43. Pendant la même période, la Belgique a persisté à a dopter une attitude constructive

envers le Sénégal afin de l’aider à se conforme r à son obligation de poursuivre HissèneHabré, à

défaut de l’extrader. Ceci s’est manifesté, en premier lieu, par des offres souvent répétées de

coopération judiciaire adressées par la Belgique au Sénégal, même après l’introduction de la

requête devant cette Cour i); en deuxième lie u, par l’envoi de troi s demandes d’extradition

supplémentaires au Sénégal en 2011 et 2012 ii) ; et, en troisième lieu, par la réaction adoptée par la

Belgique au regard des déclarations du pr ésident sénégalais, indiquant sa volonté de «se

57
débarrasser» de Hissène Habré iii). Ces trois points vont maintenant être examinés

successivement.

i) Propositions belges de coopération judiciaire adressées au Sénégal

44. L’offre de coopération judiciaire, tout d’ab ord. Le 23juin2009, n’ayant toujours reçu

aucune réaction concrète du Sénégal à ses propositi ons de coopération judiciaire, la Belgique

réitère, pour la troisième fois, son offre de coopération et propose, de surcroît, de prendre en charge

tous les coûts liés à l’exécution d’une commission rogatoire sénégalaise visant à permettre aux

57Propos tenus lors d’un entretien donné par le président sé négalais à France24 et RFI, dossier de plaidoiries,
onglet5.1., rapportés dans un article du 12décembre2010, disponible en ligne: http://www.france24.com/fr/20101212-

senegal-wade-tchad-ancien-dictateur-habre-hissene-proces-justice-union-africaine. - 31 -

autorités judiciaires sénégalaises de prendre connaissance du dossier judiciaire belge très détaillé,

58
voire d’en obtenir une copie complète .

45. Le Sénégal répond en deux temps. Tout d’abord, le 29juillet2009, il se contente de

59
prendre acte de la proposition belge . Puis, le 14 septembre 2009, il informe la Belgique que deux

des quatre magistrats nommés aux fins de conduire l’information à l’encontre de HissèneHabré

seront désignés pour se rendre en Belgique. Cette nomination de ces quatre magistrats n’a

cependant jamais été suivie du moindre acte concret d’enquête 60 .

46. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, nous sommes aujourd’hui en

mars2012, soit deux ans et demi après cette annonce sénégalaise. Pourtant, la commission

rogatoire sénégalaise, dont la Belgique avait propos é d’assumer les frais, n’a toujours pas eu lieu.

Or, on peut se demander comment il est possible de déterminer adéquateme nt le financement,

l’organisation et le déroulement d’un procès pénal alors qu’aucune autorité judiciaire compétente

n’a pris connaissance du dossier judiciaire existant . Cet immobilisme est déroutant. D’autant que

61
la Belgique a réitéré sa proposition de c oopération judiciaire le 14octobre2009 , le

62 63 64
23 février 2010 , le 2j8uin010 , le5eptembr2 e011 et encore récemment le

17 janvier 2012 65 . Monsieur le président, cette offre de coopération est bien entendu toujours

d’actualité.

58
Note verbale de l’ambassade de Belgique à Dakar au ministère des affaires étrangères du Sénégal,
23 juin 2009, MB, vol. II, annexe B.17.
59Note verbale du ministère des a ffaires étrangères du Sénégal à l’am bassade de Belgique à Dakar,

29 juillet 2009, MB, vol. II, annexe B.18.
60Note verbale du ministère des a ffaires étrangères du Sénégal à l’am bassade de Belgique à Dakar,

14 septembre 2009, MB, vol. II, annexe B.19.
61Note verbale de l’ambassade de Belgique à Dakar au ministère des affaires étrangères du Sénégal,

14 octobre 2009, MB, vol. II, annexe B.20.
62Note verbale de l’ambassade de Belgique à Dakar au ministère des affaires étrangères du Sénégal,

23 février 2010, MB, vol. II, annexe B.22.
63Note verbale de l’ambassade de Belgique à Dakar au ministère des affaires étrangères du Sénégal,

28 juin 2010, MB, vol. II, annexe B.26.
64Note verbale du ministère des affaires étrangères de Belgique à l’ambassade du Sénégal à Bruxelles,

5septembre2011, lettre de l’agent de la Belgique au greffier de la Cour sur les derniers développements,
8 septembre 2011, annexe 3.
65
Note verbale du ministère des affaires étrangères de Belgique à l’ambassade du Sénégal à Bruxelles,
17 janvier 2012, lettre de l’agent de la Belgique au greffier de la Cour sur les derniers développements, 23 janvier 2012,
annexe 4. - 32 -

47. Au vu de ce qui précède, la Belgique ne peut que rejeter avec force l’affirmation

contenue dans le contre-mémoire sénégalais selon laquelle «[l]a réalité est que la Belgique n’a

66
jamais voulu d’un jugement de M. Hissène Habré au Sénégal» . Monsieur le président, la réalité

est tout autre. La Belgique a affirmé explicitement et à plusieurs reprises qu’elle est en faveur de

l’organisation du procès de HissèneHabré par le pays sur le territoire duquel il se trouve

67
actuellement, à savoir le Sénégal . Elle a proposé huit fois sa coopération judiciaire afin que le

dossier judiciaire à l’encontre de HissèneHabré puisse être soumis aux autorités judiciaires

compétentes sénégalaises. Elle a rappelé à ci nq reprises sa proposition d’assumer l’entièreté des

coûts d’une telle coopération judiciaire 68. La réalité, Monsieur le président, Mesdames et

Messieurs de la Cour, est que toutes ces offres sont restées sans suite concrète de la part du

Sénégal. Voilà la réalité.

ii) Demandes d’extradition belges adressées au Sénégal en 2011 et en 2012

a) Deuxième demande d’extradition : 15 mars 2011

48. Venons-en maintenant aux demandes d’ex tradition transmises en2011 et2012. Le

15mars2011, au vu de tous les éléments qui vienne nt d’être rappelés, la Belgique transmet aux

69
autorités sénégalaises une de uxième demande d’extradition . A cette nouvelle demande sont, à

nouveau, joints les documents requis par la loi sénég alaise relative à l’extradition, à savoir la copie

certifiée conforme, c’est-à-dire authentifiée, du manda t d’arrêt international délivré à l’encontre de

Hissène Habré ⎯l’original du mandat d’arrêt se trouvant, depuis septembre2005, en possession

des autorités sénégalaises ⎯ et sont également joints des textes de loi applicables aux faits

incriminés.

66
CMS, p. 51, par. 204.
67
Notes verbales belges datées du 15ma rs2011 (lettre de l’agent de la Belgique au greffier de la Cour sur les
derniers développements, 21 mars 2011, annexe 4), du 5 septembre 2011 (lettre de l’agent de la Belgique au greffier de la
Cour sur les derniers développements, 8 septembre 2011, annexe 3) et du 17 janvier 2012 (lettre de l’agent de la Belgique
au greffier de la Cour sur les derniers développements, 23 janvier 2012, annexe 4).
68
Notes verbales belges datées du 23juin2009, MB, vol.II, annexeB.17, du 14octobre2009 (MB, vol.II,
annexe B.20.), du 23 février 2010 (MB, vol. II, annexe B.22.), du 28juin2010 (MB, vol.II, annexeB.26.) et du
5septembre2011 (lettre de l’agent de la Belgique au greffier de la Cour sur les derniers développements,
8 septembre 2011, annexe 3).
69
Note verbale du ministère des affaires étrangères de Belgique à l’ambassade du Sénégal à Bruxelles,
15mars2011, lettre de l’agent de la Belgique au greffier de la Cour sur le s derniers développe ments, 21mars2011,
annexe 4. - 33 -

49. Devant le silence prolongé des autorités sénégalaises, la Belgique se voit contrainte

d’interroger, par deux fois, le Sénégal sur les suites réservées à cette nouvelle demande

d’extradition 70 .

50. En juillet2011, le Sénégal informe la Belgique que les autorités sénégalaises

compétentes ont été saisies de la nouvelle dema nde d’extradition formulée par note verbale du

15mars2011 que je viens de citer et que tout e suite afférente à la demande d’extradition de

71
Hissène Habré sera communiquée aux autorités belges dès que possible .

o
51. Le 23 août, le Sénégal tr ansmet à la Belgique l’arrêt n 133 de la chambre d’accusation

de la cour d’appel de Dakar, rendu le 18 août ⎯ quelques jours plus tôt ⎯, qui déclare la deuxième

72
demande d’extradition formulée par la Belgique irrecevable . Le motif principal de cette

irrecevabilité est que la demande d’extradition n’aurait pas été accompagnée des pièces et

documents requis par la loi sénégalaise 73. Le Sénégal ajoute qu’il appar tient à la Belgique, si elle

le souhaite, d’introduire une nouvelle demande d’extradition conforme aux exigences formulées

par la loi sénégalaise.

52. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, l’arrêt de la chambre

d’accusation est interpellant à plus d’un titre. Premièrement, le seul doc ument auquel la chambre

d’accusation 74 se réfère comme fondement de la nouvelle demande d’extradition belge est la note

70
Note verbale du ministère des affaires étrangères de Belgique à l’ambassade du Sénégal à Bruxelles,
23juin2011, annexée à la lettre de l’agen t de la Belgique au greffier de la Cour sur les derniers développements,
29juin2011; note verbale du ministère des affaires étrangèr es de Belgique à l’ambassade du Sénégal à Bruxelles,
11juillet2011, lettre de l’agent de la Belgique au greffierde la Cour sur les derniers développements, 18 juillet 2011,
annexe 6 ; dossier de plaidoiries, onglet 7.1.

71Note verbale du ministère des a ffaires étrangères du Sénégal à l’am bassade de Belgique à Dakar,
19 juillet 2011, dossier de plaidoiries, onglet 7.2.
72
Note verbale du ministère des affaires étrangères du Sénégal à l’ambassade de Belgique à Dakar, 2 août 2011.
73 o
Loi sénégalaise n 71-77 du 28 décembre 1971 relative à l’extradition, article 9 :

«Toute demande d’extradition est adressée au Gouvernement Sénégalais par voie diplomatique et
accompagnée, soit d’un jugement ou d’un arrêt de condamnation, même par défaut ou par contumace, soit
d’un acte de procédure criminelle décrétant formelleme nt ou opérant de plein droit le renvoi de l’inculpé
ou de l’accusé devant la juridicti on répressive, soit d’un mandat d’arrêt ou de tout autre ayant la même
force et décerné par l’autorité judiciaire, pourvu que ces derniers acte s renferment l’indication précise du
fait pour lequel ils sont délivrés et la date de ce fait.

Les pièces ci-dessus mentionnées doivent être produites en original ou en expédition authentique.

Le gouvernement requérant doit produire en même temps la copie des textes de loi applicables au
fait incriminé. Il peut joindre un exposé des faits de la cause.» (Dossier de plaidoiries, onglet 8.)
74 o
Troisième visa et premier considérant de l’arrêt n 133 de la chambre d’accusation de la cour d’appel de Dakar
du 18 août 2011, dossier de plaidoiries, onglet 9. - 34 -

75
verbale belge du 11juillet2011 . Or, il ressort sans ambiguïté des termes mêmes de cette note

verbale, qui se trouve dans vos dossiers sous l’onglet 7.1., qu’elle ne constitue qu’un simple rappel

de la demande d’extradition formulée antéri eurement, par note verbale du 15mars2011.

D’ailleurs, dans leur note verbale de juillet2011 ⎯et je me répète ⎯, qui se trouve quant à elle

dans vos dossiers sous l’onglet 7.2., les autorités sénégalaises accusent explicitement réception de

cette note verbale belge du 15mars et de ses annexes et précisent explicitement qu’elles

transmettent ces pièces aux autorités compétentes. Il ressort donc de la lecture de l’arrêt que, de

toute évidence, ces pièces n’ont pas été transmises à la chambre d’accusation. Seule la note verbale

de rappel du 11 juillet 2011 a été transmise, entraînant la décision d’irrecevabilité.

b) Troisième demande d’extradition : 5 septembre 2011

53. A la suite de cette décision de la chambr e d’accusation, la Belgique transmet au Sénégal

une troisième demande d’extradition, par note verbale du 5 septembre 2011 adressée à l’ambassade

76
sénégalaise à Bruxelles , qui en accuse réception. Cette note verbale est, à nouveau, dûment

accompagnée des documents requis par la législation sénégalaise relative à l’extradition, soit un

document de 87 feuillets contenant la copie certifiée conforme, c’est-à-dire authentifiée, du mandat

d’arrêt à l’encontre de Hissène Habré et des dispositions pertinentes de la législation nationale et du

droit international applicables aux faits incrim inés. Je me permets de rappeler à nouveau que

l’original du mandat d’arrêt et de ses annex es est toujours entre les mains des autorités

sénégalaises. Le 11janvier2012, les autorités belges sont informées par la presse 77 que la

chambre d’accusation de la cour d’appel de Daka r a déclaré la troisième demande d’extradition

belge

75Note verbale du ministère des affaires étrangères de Belgique à l’ambassade du Sénégal à Bruxelles,
11 juillet 2011, lettre de l’agent de la Belgique au greffier de la Cour sur les derniers développement s, annexe 6 ; dossier
de plaidoiries, onglet 7.1.

76Note verbale du minist ère des affaires étrangères de Belgique à l’ambassade du Sénégal à
Bruxelles ⎯5septembre2011, lettre de l’agent de la Belgique augreffier de la Cour sur le s derniers développements,
8 septembre 2011, annexe 4.

77Notamment, article publié sur le sitinternet de Radio France Internati onale «La justice sénégalaise refuse
d’extrader vers la Belgique l’ancien présiden t tchadien HissHeabré», disponible en li:e
http://www.rfi.fr/afrique/20120111-justice-senegalaise-refuse-extrader-…. - 35 -

78
irrecevable par décision du 10janvier2012 . A ce jour, cette décision n’a toujours pas été

transmise à la Belgique par les autorités sénégalais es. Toutefois, jeudi dernier, cette décision a été

transmise par le Sénégal à la Cour qui nous la fa isait parvenir dès le lendemain. Cette fois la

chambre d’accusation précise avoir reçu la bonne note verbale, celle du 5septembre2011, mais

indique que, «nonobstant l’affirmation du requérant dans sa not e [du 5 septembre 2011] de la

production d’une nouvelle copie certifiée conforme du mandat d’arrêt intern ational par défaut

décerné le 19 septembre 2009 (sic) par le juge d’instruction D.Fransen…à l’encontre de

M.Habré, il y a lieu de constater que la présente requête ne s’est pas c onformée aux dispositions

légales…; en effet la copie du mandat d’arrêt international versée au dossier n’est pas

79
authentique» .

54. Permettez-moi, Monsieur le président, de m’attarder un bref instant sur les notions de

copie certifiée conforme et d’expédition authentique qui sont ici en jeu. L’article9 de la loi

sénégalaise relative à l’extradition, qui se trouve sous l’onglet 8 de vos dossiers, dispose que toute

demande d’extradition est adressée au Gouvernem ent sénégalais par la voie diplomatique et

accompagnée d’un document attestant du fondement de cette demande d’extradition. Aux termes

de cette loi, ce document peut être un mandat d’arrê t, pour autant qu’il soit produit «en original ou

en expédition authentique» et accompagné de la copie des textes de loi applicables aux faits

incriminés 80. Les termes «expédition authentique» visent ainsi un document officiel et conforme à

l’original, lorsque cet original ne peut, pour une raison quelconque, être délivré. La copie certifiée

conforme constitue précisément un tel document. Il convient dès lors de déduire, fort de ces

précisions, que la chambre d’accusation ne semble pas avoir reçu des autorités sénégalaises

compétentes les documents authentifiés tels qu’ils étaient annexés par la Belgique à sa troisième

demande d’extradition, mais de simples photocopies de ceux-ci.

55. Les décisions de la chambre d’accusation sont d’autant plus surprenantes que, à aucun

moment, les autorités sénégalaises n’ont informé la Belgique d’un e éventuelle non-conformité des

documents remis à l’appui de ses demandes d’extrad ition. Le fait que le ministre des affaires

78 o
Arrêt n 7 de la chambre d’accusation de la cour d’appel de Dakar du 10janvier2012, lettre de l’agent de la
Belgique au greffier de la Cour sur les derniers développements, 23 janvier 2012, annexe 3.
79Ibid.

80Loi sénégalaise n 71-77 du 28 décembre 1971 relative à l’extradition, art. 9, dossier de plaidoiries, onglet 8. - 36 -

étrangères sénégalais a transmis les demandes d’ extradition au ministre de la justice indique

pourtant, au regard de l’article 10 de la loi sénégalai se sur l’extradition, repris sous l’onglet 8, que

la vérification du dossier aurait dû avoir lieu et que celui-ci, au moment de sa transmission au

ministre sénégalais de la justice, comportait bi en toutes les pièces nécessaires telles que requises

par cette loi. Enfin, le ministre sénégalais de la justice n’a jamais signalé non plus le caractère

incomplet ou irrégulier de ces demandes, ce que la même loi prévoit également. Nul besoin d’en

dire plus.

c) Quatrième demande d’extradition : 17 janvier 2012

56. Le 17janvier2012, la Belgique transm et alors une quatrièmedemande d’extradition à

81
l’ambassade du Sénégal à Bruxelles accompagnée, comme l’étaient les trois demandes

précédentes, de tous les documents requis. Le 23janvier2012, l’ambassade du Sénégal en

Belgique accuse réception de la note verbale be lge contenant cette nouvelle demande d’extradition

et des documents qui l’accompagnent et précise que l’ensemble de ces documents a été transmis

aux autorités compétentes depuis. La Belgique n’a plus la moindre information sur les suites

réservées à cette demande.

iii) Déclarations du président sénégalais M. Wade

57. Monsieur le président, je voudrais maintena nt, et il s’agit de mon dernier point, attirer

votre attention, sur un certain nombre de déclarations et de décisions du président sénégalais,

intervenues après l’introduction de la requête belge. Elles montrent les tergiversations de la part

des autorités sénégalaises dans cette affaire.

58. En effet, malgré les assurances des autor ités sénégalaises de juger HissèneHabré, le

président sénégalais a continué de procéder à des déclarations dans la presse affirmant son intention

de se débarrasser du dossier Hissène Habré. Ces dé clarations se sont multipliées après la décision

de la Cour de justice de la Communauté éco nomique des Etats de l’Afrique de l’Ouest

81Note verbale du minist ère des affaires étrangères de Belgique à l’ambassade du Sénégal à
Bruxelles ⎯17janvier2012, lettre de l’agent de la Belgique greffier de la Cour sur le s derniers développements,

23 janvier 2012, annexe 4. - 37 -

82
(CEDEAO) selon laquelle les juridictions sénégalaises ne pouvaient plus juger HissèneHabré.

Le professeur Eric David y reviendra plus tard.

59. Le président Wade, notamment, déclare, le 11 décembre 2010, qu’il a l’intention de «se

83
débarrasser» de HissèneHabré et de demander à l’Union africaine de reprendre le dossier . Le

7février2011, il déclare que le Sénégal n’a p as le droit de juger HissèneHabré et qu’il est

«dessaisi» du dossier. Il ajoute qu’il ne remettra pas Hissène Habré à la Belgique et qu’il revient à

l’Union africaine de prendre ses responsabilités 84.

60. Qui plus est, le soir du vendredi 8 juillet 201 1, la Belgique apprend, par la presse, que le

président sénégalais a décidé d’expulser Hissène Habré vers le Tchad trois jours plus tard, le lundi

11 juillet 2011 85. Dans une interview donnée à la télévision sénégalaise, le ministre sénégalais des

affaires étrangères, M.MadickéNiang, précise à ce sujet qu’«il est aujourd’hui avéré qu[e le

Sénégal] ne peut pas … juger [Hissène Habré]. Qu ’est-ce qu’il nous restait à faire ? Peut-être de

l’extrader. Le seul pays ayant demandé son extrad ition, c’est la Belgique . Le présidentWade a

considéré que l’extrader vers la Belgique, c’était livrer un Africain aux Européens, pour ces raisons

86
il ne restait que l’arme de l’expulsion vers son pays» . M. Niang affirme également que l’Union

africaine a été saisie par le Sénégal afin de fournir des observateurs pour attester du bon

87
déroulement de l’expulsion de HissèneHabré vers le Tchad . Par communiqué, la Belgique

déplore «le fait que le Gouvernement sénégalais ne respecte pas ses obligations envers la Cour

internationale de Justice à La Haye, s’agissant de son engagement à ce que Hissène Habré ne quitte

82 Cour de justice de la Communauté économiq ue des Etats de l’Afrique de l’Ouest, Affaire Hissein Habré c/
République du Sénégal, arrêt du 18novembre2010, lettre de l’agent du Sé négal au greffier de la Cour du 22juin2011,
note no2 sur les dernières évolutions interve nues dans la préparation, par le Séné gal, du procès de M.HissèneHabré,
depuis le prononcé de l’ordonnance du 28 mai 2009 sur la requête belge en indication de mesures conservatoires, pièce 2.

83 Notamment, article publié sur le site internet de France24 le 11décembre 2010, disponible en ligne:
http://www.france24.com/fr/20101212-senegal-wade-tchad-ancien-dictateur…-

africaine.
84 LaCroix, «AbdoulayeWade se déclare dessaisi du procès de HissèneHabré», disponible en ligne:

http://www.la-croix.com.prd-jsp.bayardweb.com/Abdoulaye-Wade-se-declare…-
Habr/documents/2454507/4077.
85
Notamment, article paru dans l’Express en ligne le 8 juillet 2011 «Le Sénégal va extrader Hissène HABRÉ vers
le Tchad», disponible en ligne: http://www.lexpress.fr/actualites/2/monde/le-senegal-va-extrader-hissen…-
tchad_1010711.html.
86
Transcription de l’interview de M. Madické Niang, ministre sénégalais des affaires étrangères à la télévision
sénégalaise en date du 9juillet2011 (disponible en ligne: www.youtube.com/watch?v=kbnjZttnsfQ), dossier de
plaidoiries, onglet 6.1.
87
Ibid. - 38 -

88
pas le Sénégal aussi longtemps que le diffé rend avec [la Belgique] n’a…pas été réglé» .

La Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme demande également au Sénégal,

par communiqué repris dans votre dossier sous l’onglet6.3., de revoir sa décision d’expulser

Hissène Habré vers le Tchad 89 .

61. A la suite de ces réactions, le Sénéga l annonce le 10juillet2011 qu’il suspend sa

décision d’expulser HissèneHabré vers le Tchad «compte tenu de la demande faite par Mmela

HautCommissaire des NationsUnies aux droits de l’homme» et qu’il «entend engager

immédiatement des consultations avec les NationsUnies, l’Union africaine et la communauté

internationale pour qu’une solution puisse intervenir rapidement, dès lors que l’arrêt de la Cour de

justice de la Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) lui interdit de juger

M.HissèneHabré et suggère la création d’une juridiction spéciale…» 90 . Monsieur le président,

pas un mot de l’engagement solennel pris deva nt cette Cour. Pas un mot de la demande

d’extradition belge.

62. Le 11juillet2011, la Belgique exprime sa préoccupation à l’égard de la décision du

Sénégal, non suivie d’effet, d’expulser HissèneHa bré hors de son territoire pour le remettre aux

autorités tchadiennes, rappelant que cette décisi on est en contradiction avec les engagements du

91
Sénégal pris devant cette Cour, et le prie de réitére r ses engagements . A ce jour, cet appel est

resté sans réponse.

63. Monsieur le président, Mesdames et Messi eurs de la Cour, pour résumer mon propos, je

soulignerai très brièvement les faits suivants :

1. en 2000, huitpersonnes déposent plainte en va in devant les juridictions sénégalaises à

l’encontre de Hissène Habré ;

2. en 2000 et 2001, vingt et une autres personnes déposent plainte devant les juridictions belges ;

88Communiqué du ministère des affaires étrangères de Belgique du 10juillet2011, lettre de l’agent de la
Belgique au greffier de la Cour sur les derniers développements, 23 janvier 2012, annexe 5.

89Communiqué de la HautCommissaire aux droits de l’homme du 10juillet2011, disponible en ligne:
http://www.un.org/apps/news/story.asp?NewsID=38993&Cr=Chad&Cr1#, dossier de plaidoiries, onglet 6.3.

90Communiqué de presse de M. Madick é Niang, ministre des affaires étra ngères de la République du Sénégal,
10juillet 2011, lettre de l’agent de la Belgique au grefde la Cour sur les derniers développements, 18 juillet 2011,
annexe 5.

91 Note verbale du minist ère des affaires étrangères de Belgique à l’ambassade du Sénégal à
Bruxelles ⎯ 11 juillet 2011, dossier des plaidoiries, onglet 7.1. - 39 -

3. à la suite d’une enquête approfondie, un j uge d’instruction belge délivre un mandat d’arrêt à

l’encontre de l’intéressé en 2005 ;

4. quatre demandes d’extradition sont ensuite successivement adressées par la Belgique au

Sénégal, sans succès à ce jour ;

5. en 2008, des victimes déposent une nouvelle plainte au Sénégal ;

6. et pourtant, pendant toute cette période, au cours des douzedernières années, les autorités

sénégalaises n’ont accompli aucun acte concret d’enquête ou de poursuite à l’égard de

l’intéressé.

64. Monsieur le président, je vous prie à présent de bien vouloir appeler à la barre le

professeurEricDavid, qui vous exposera les faits re latifs aux interventions des acteurs extérieurs

aux Etats présents ce jour devant vous et ayant c ontribué aux efforts de la Belgique pour obtenir

que Hissène Habré comparaisse devant ses juges.

65. Monsieur le président, Mesdames et Messieu rs de la Cour, je vous remercie de votre

bienveillante attention.

Le PRESIDENT: Merci, Monsieur le coag ent. La Cour entendra la plaidoirie de

Monsieurle professeurDavid après une pause de 10minutes. La séance est suspendue pour

10 minutes.

L’audience est suspendue de 11 h 40 à 11 h 50.

Le PRESIDENT: Veuillez vous asseoir. La séance est rouverte et je passe maintenant la

parole au conseil de la Belgique, M. Eric David. Vous avez la parole, Monsieur.

M. DAVID : Merci Monsieur le président.

3. LES FAITS :LES INTERVENTIONS EXTÉRIEURES

Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, les années passent, l’émotion

demeure. Prendre la parole devant la Cour au nom de son pays reste un honneur auquel

personnellement je ne m’habitue pas. - 40 -

1. Après la description des péripéties factuelles du différend qui ont été exposées par

M.Dive, il me revient d’examiner le rôle joué par divers acteurs autres que la Belgique et le

Sénégal dans les faits relatifs à ce litige. Ces acteurs se caractérisent par leur nombre et leur

variété. Sont intervenus dans ce différend à l’un ou l’autre moment : le Comité contre la torture, la

Cour africaine des droits de l’homme et des pe uples, la Cour de justice de la communauté

économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest, l’Un ion africaine, l’Unioneuropéenne et plusieurs

Etats.

Monsieur le président, chacune de ces inte rventions pourrait donner lieu à des descriptions

détaillées et à de longs développements qui prendr aient toute la matinée, mais rassurez vous, vu le

peu de temps qu’il m’est imparti, je resterai bref et succinct.

Comme au théâtre, ces différents acteurs seront présentés dans l’ordre d’entrée en scène.

A. La procédure devant le Comité contre la torture

2. Ainsi que vient de le rappeler M. Dive, des victimes du régime de Hissène Habré avaient

déposé plainte au Sénégal contre M.Habré en janvier2000. Vu l’insuccès de ces plaintes, leurs

auteurs ont introduit, en avril2001, une «comm unication» auprès du Comité contre la torture

institué par la convention des Nations Unies de 1984 (convention contre la torture). En substance,

les requérants estimaient que le Sénégal avait viol é les articles5, paragraphe2, et7 de cette

convention en ne poursuivant pas HissèneHabré. Le Sénégal avait soulevé des exceptions

92
d’irrecevabilité qui ont été repoussées par le Comité dès novembre 2001 .

3. Dans sa décision finale rendue en 2006 ⎯ et que vous trouverez sous l’onglet 10 de votre

dossier de plaidoiries ⎯, le Comité donne raison aux requérants car le Sénégal n’a pas adopté «les

mesures nécessaires» pour établir sa compétence (art. 5, par. 2) et n’a pas poursuivi Hissène Habré

93
(art. 7) ; le Comité observe que l’obligation de poursuivre Hissène Habré existait «à tout le moins

au moment de l’introduction de la pl ainte par les requérants en janvier 2000» 94, donc avant même

la demande d’extradition de la Belgique, et du seul fait de la présence de HissèneHabré au

92 o
Comité contre la torture, communication n °181/2001, Guengueng et al. cSénégal, décision du 17mai2006,
Nations Unies, doc. CAT/C/36/D/181/2001, par. 6.1-6.5, in MB, vol. II, annexe E 2.
93
Ibid., par. 9.1-9.5.
94Ibid., par. 9.8. - 41 -

Sénégal. En outre, le Comité c onclut «qu’en refusant de faire suite à cette demande d’extradition,

l’Etat partie a une nouvelle fois manqué à ses obligations en vertu de l’article7 de la

95
Convention» . Je me permets de souligner les mots «une nouvelle fois».

4. Cette décision est rendue le 17 mai 2006. Tout efois le Sénégal ne lui réserve d’autre suite

que celle de modifier sa législation ainsi qu’il l’écrit dans son contre-mémoire 96. Les modifications

apportées ainsi par le Sénégal à son code pénal et à son code de procédure pénale sont certainement

un pas dans la bonne direction, mais il faut constater, d’une part, que ce pas est très tardif, d’autre

part, qu’adopter une loi qu’on n’applique pas ne répond pas à l’obligation d’agir concrètement en

vue de poursuivre HissèneHabré. C’est pourquoi le Comité contre la torture va continuer à

demander des explications au Sénégal sur la mise en Œuvre de poursuites contre Hissène Habré ou

sur son extradition vers un Etat qui veut le poursuivre.

Je ne détaillerai pas toutes les demandes adres sées par le Comité au Sénégal sur les suites

97
que ce dernier a réservées à la décisi on rendue par le Comité en mai 2006 , sinon pour constater

que, depuis cette décision rendue maintenant il y a près de six ans, le Sénégal ne poursuit toujours

pas Hissène Habré ou ne l’extrade pas non plus vers la Belgique.

5. Il y a moins de six mois, fin novembre 2011, le rapporteur du Comité contre la torture sur

le suivi des recommandations, M. Fernando Mariño, a écrit au Sénégal pour lui rappeler

«ses obligations au regard de la convention contre la tort ure «de soumettre la présente

affaire à ses autorités compétentes pour l’exercice de l’action pénale ou, à défaut, dans
la mesure où il existe une demande d’extr adition émanant de la Belgique, de faire
droit à cette demande ou, le cas échéant, à tout autre demande d’extradition émanant
98
d’un autre Etat [conformément à] la convention»» .

Cette lettre, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, dit très exactement ce

que la Belgique attend du Sénégal depuis2005. Il est donc inutile de la commenter davantage.

J’en arrive à présent aux interventions de l’Union africaine.

95 o
Comité contre la torture, communication n °181/2001, Guengueng et al. cSénégal, décision du 17mai2006,
Nations Unies, doc. CAT/C/36/D/181/2001, par. 9.11, in MB, vol. II, annexe E 2.
96CMS, par. 38.

97Rapport du Comité contre la torture, Nations Unies, doc. A/63/44, 2008, p. 154-155; ibid., doc.A/64/44,
2009, p. 170 ; ibid., doc. A/66/44, 2011, p. 196 et suiv., et 226.

98Lettre à l’ambassadeur du Sénégal aux Nations Unies, 24 novembre 2011. - 42 -

B. Les interventions de l’Union africaine

6. Monsieur le Président, Mesdames et Messieu rs de la Cour, comme on vient de le rappeler

ce matin, en novembre2005, la chambre d’accusation de la cour d’appel de Dakar se déclare

incompétente pour connaître de la validité d’une demande d’extrad ition d’un ancien chef d’Etat

étranger en raison ⎯ dit la chambre ⎯ du droit sénégalais qui prévoit l’immunité du chef de l’Etat

99
du Sénégal , ce qui empêcherait le Sénégal d’extrader Hissène Habré vers la Belgique.

7. Il est inutile d’épiloguer sur ce jugement. Il importe surtout de noter qu’en janvier 2006,

le Sénégal transfère alors le dossier à la confér ence de l’Union africaine qui décide de mandater un

comité d’éminents juristes africains aux fins «d’examiner tous les aspects du procès de

100
Hissène Habré» et «les options disponibles» en tenant compte du «rejet total de l’impunité» .

8. En juin2006, le comité affirme «l’obligation» du Sénégal de «traduire Hissène Habré en

101
justice» , notamment en raison de la décision du Comité contre la torture; le comité ajoute que

«le Sénégal est le pays le plus habilité à juger HissèneHabré puisqu’il est tenu par le droit

international de respecter ses obligations» 102.

Lors de sa septième session, en juillet 2006, la conférence de l’Union africaine, informée de

ce rapport du comité, mandate le Sénégal pour «poursuivre et faire juger, au nom de l’Afrique,

Hissène Habré par une juridiction sénégalaise avec les garanties d’un procès juste» 103.

9. A la suite de ce mandat, l’Assemblée nati onale du Sénégal modifie, en janvier2007, le

code pénal en y incriminant le génoc ide, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité ; elle

modifie aussi le code de procédure pénale et, en avril2008, la Constitution. Désormais, le juge

sénégalais peut exercer la compétence universelle et il est précisé que la non-rétroactivité des lois

pénales n’empêche pas la poursuite des auteurs de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et

104
de crimes de génocide .

99 o
Cour d’appel de Dakar, chambre d’accusation, arrêt n 138, 25novembre2005, MB, vol.II, annexe B.6
corrigée.
100
Union africaine, doc. Assembly/UA/Dec. 103 (VI), MB, vol. II, annexe F.1.
101
Union africaine, rapport du comité d’éminents juristes africains sur l’affaire Hissène Habré, n.d., par. 17-18.
102Ibid., par. 29.

103Union africaine, doc. Assembly/UA/Dec. 127 (VII), par. 5, ii, MB, vol. II, annexe F.2.
104
CMS, vol. I, par. 42 et suiv., 169 et suiv. - 43 -

10. C’est à partir de février2007 que l’affaire HissèneHabré prend alors une nouvelle

tournure en devenant un problème de budget 105et en provoquant l’intervention de nouveaux

acteurs aux côtés de l’Union africaine, à savoir, l’Union européenne et certains Etats.

On peut résumer les premières discussions su r le budget du procès de HissèneHabré en

quelques chiffres. En juillet 2007, le président du Sénégal, M. Wade, é voque un chiffre d’environ

106 107
29 000 000 € pour prix de ce procès . En novembre 2008, le Sénégal descend à 27 000 000 € ,

non sans que le président de l’Union européenne , à l’époque c’était M.Sarkozy, écrive au

présidentWade que «l’instruction du procès n’a pas démarré et aucun budget crédible n’a été

108
établi» .

11. Parallèlement à ces questions financières, un troisième type d’acteur extérieur aux

principaux protagonistes de l’affaire entre en scène : l’acteur judiciaire. Et cela va concerner la

Cour africaine des droits de l’homme et des peuples et la Cour de justice de la CEDEAO.

C. L’intervention d’acteurs judiciaires : la Cour africaine des droits de l’homme
et des peuples et la Cour de justice de la CEDEAO

12. Après une vaine tentative d’un ressortissant tchadien de saisir la Cour africaine des droits

de l’homme et des peuples contre le Sénégal en août2008 ⎯je dis vaine tentative parce que la

109
Cour se déclarera très vite incompétente ⎯, deux mois plus tard, en octobre2008,

HissèneHabré saisit la Cour de justice de la CEDEAO en alléguant des violations des droits

humains commises à son détriment pa r le Sénégal et il cite: viola tion de la non-rétroactivité des

lois pénales, violation du droit à un recours effe ctif, violation du droit à un procès équitable et

violation par le Sénégal de diverses normes du prot ocole de la CEDEAO sur la démocratie et la

bonne gouvernance.

105Note verbale du ministère des a ffaires étrangères du Sénégal à l’am bassade de Belgique à Dakar,

21 février 2007, p. 3, MB, vol. II, annexe B.13.
106Lettre du président Wade au premier ministre belge, 18 juillet 2007, MB, vol. II, annexe D.14.

107Lettre des autorités sénégalaises à la délégation de la Commission européenne à Dakar, 4novembre2008,
MB, vol. II, annexe D.10.

108Lettre du président Sarkozy au président Wade, 15 décembre 2008, MB, vol. II, annexe D.11.
109 o
Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, requête n 001/2008, 15 décembre 2009, par. 1, 21, 23
(5-6), MB, vol. II, annexe E.3. - 44 -

13. Après avoir écarté les exceptions préliminaires soulevées par le Sénégal 110 dans son arrêt

sur le fond, le 18novembre2010, la Cour de jus tice de la CEDEAO rejette, en substance, la

requête de Hissène Habré sauf sur une base où elle admet que la règle de non-rétroactivité des lois

pénales pourrait être violée par la modification du code pénal sénégalais intervenue en2007 car

cette modification de la loi sénégalaise permet la condamnation d’une personne pour un fait qui,

avant cette modification, n’était pas punissable en droit sénégalais 111. La Cour ajoute toutefois que

si les faits reprochés à Hissène Habré «ne constituaient pas des actes délictueux d’après le droit

112
national sénégalais …, ils sont au regard du droit international, tenus comme tels» . Et ces mots

sont soulignés au regard du droit international pa r la Cour elle-même. La Cour cite à cet effet

l’article 15, paragraphe 2, du Pacte relatif aux droits civils et politiques et constate qu’en mandatant

le Sénégal pour juger Hissène Habré «au nom de l’Afrique», l’Union africaine ne fait qu’appliquer

l’article 15 du Pacte précité. Et la Cour de conclure qu’elle

«partage les nobles objectifs contenus dans le mandat de l’Union africaine et qui
traduit l’adhésion de cette haute organisation au principe de la cessation de l’impunité
[sic] des violations graves des droits humains et de la protection des droits des
113
victimes» .

La Cour précise néanmoins que, «selon la coutume internationale», la procédure menée

contre Hissène Habré devrait être menée devant une juridiction ad hoc à caractère international 114.

14. La Belgique ne commentera pas cet arrêt qui ne la lie pas et qui a été critiqué par la

115
doctrine , mais elle constate deux choses : d’abord, la Cour de justice note que, selon le Sénégal

lui-même, au moment où HissèneHabré a saisi la Cour, il n’existait «aucune procédure dirigée

116
contre le Requérant» devant les juridictions sénégalaises .

110Cour de justice CEDEAO, Habré c.Sénégal , arrêt avant dire droit, 14mai2010, rôle général
n ECW/CCJ/APP/07/08, MB, vol. II, annexe E.1.
111 o
Cour de justice CEDEAO, Habré c. Sénégal, arrêt, 18 novembre2010, rôle général n ECW/CCJ/JUD/06/10,
par. 58, CMS, vol. II, annexe 2.
112
Ibid., italiques dans l’original.
113
Ibid.
114
Ibid., par. 61.
115Jan Arno Hessbruegge , «ECOWAS Court Judgment in Habré v. Senegal Complicates Prosecution in the

Name of Africa», ASIL Insights , vol. 15, issue 3, 3 février 2010, disponible s:ur
<http://www.asil.org/pdfs/insights/insight110203pdf.pdf&gt;; Valentina SPIGA, «Non-retroactivity of Criminal Law: A
New Chapter in the Hissène Habré Saga», J.I.C.J., vol. 9, 2011, p. 5-23.
116
Cour de Justice CEDEAO, Habre c/ Sénégal, arrêt, 18 novembre 2010, rôle général n° ECW/CCJ/JUD/06/10,
par. 23, CMS, vol. II, annexe 2. - 45 -

Ensuite, et en substance, l’arrêt insiste sur la nécessité de juger Hissène Habré conformément

au principe de la lutte contre l’impunité.

Le Sénégal en accepte, d’ailleurs, le princi pe sauf que cela reste un vŒu pieux puisque son

ministre des affaires étrangères dit que «la créa tion d’une juridiction spéciale [est] une solution

inacceptable pour le Sénégal qui s’était engagé à faire juger M.HissèneHabré par ses propres

juridictions et non par une nouvelle juridiction dont les fondements sont discutables» 117.

15. Dans son contre-mémoire, le Sénégal dit que, malgré cet arrêt, «le Sénégal n’a pas une

seule fois lésiné sur la poursuite du processus de préparation du procès de M. Hissène Habré» 118.

Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, la Belgique serait heureuse de

suivre le Sénégal dans cette affirmation mais elle doit constater qu’aussi bien en 2009, lorsqu’elle a

introduit sa requête devant la présen te Cour, qu’un an plus tard, en 2010, quand la Cour de justice

de la CEDEAO rend son arrêt, qu’en 2011, lorsque le Sénégal réagit à cet arrêt, et qu’aujourd’hui,

en 2012, à l’heure où je parle, aucune forme de poursuite n’a été engagé
e.

16. Pourtant, à la suite des efforts de l’UA, une réunion d’experts était prévue pour

fin mai-début juin 2011 afin de mettre au point les modalités d’un procès rapide de Hissène Habré

par un tribunal spécial à caractère international; la réunion à peine entamée, le Sénégal, sous

prétexte de ne pas avoir reçu les documents à temps, l’a reportée sine die 119.

D. La situation actuelle à la lumière des interventions de l’Union africaine,

de l’Union européenne et de certains Etats

17. Si, pour la Belgique, il est clair qu’au mo ment où elle saisit la Cour, le Sénégal n’a pas

rempli ses obligations internationales en poursuivant HissèneHabré ou en l’extradant vers la

Belgique, les faits qui suivent confirment ce cons tat. Tantôt, le président Wade affirme vouloir

«aller de l’avant conformément aux enga gements» du Sénégal devant la Cour ⎯ la Cour de

117
Communiqué du ministre des affaires étrangères, M. Niang, 10 juillet 2011, sur www.rfi.fr/afrique/20110710-
dakar-suspend-expulsion-ex-president-tchadien-hissene-habre
118
CMS, vol. I, par. 70.
119Note verbale de la Belgique au Sénégal, 23 juin 2011, annexée à la lettre du 29 juin adressée par la Belgique à

la Cour. - 46 -

céans ⎯ 120, tantôt, il déclare à quatre reprises qu’il veut «se débarrasser» de HissèneHabré et

121
renvoyer le dossier à l’Union africaine .

18. Parallèlement, il laisse entendre que le procès de HissèneHabré est une question de

budget, ce qui va, en effet, donner lieu à des rencontres entre représentants de l’Union européenne,

de l’Union africaine et du Sénégal, en 2009 et en 2010, pour mettre au point un projet de budget et

122
tenter ainsi de faciliter le procès . Enfin, lors d’une table ronde tenue à Dakar, en

novembre2010, le Sénégal, la Belgique, l’Union africaine, l’Union européenne, plusieurs Etats

membres de l’Union européenne (Allemagne, Espagne, France, Luxembourg, Pays-Bas, Royaume-

Uni) et non membres de l’Union européenne (C anada, Etats-Unis, Suisse, Tchad), le Haut

Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme ainsi que le bureau des Nations Unies pour

les services d’appui aux projets, l’ensemble de ces acteurs adoptent un document final où huit

123
donateurs acceptent de financer le procès à concurrence de 8,6 millions d’euros , montant auquel

124
la Belgique accepte de contribuer à ha uteur d’un montant d’un million d’euros . Le contre-

mémoire du Sénégal confirme son accord sur ce budget 125.

19. Lors de ses sessions tenues en 2011 et 2012, la conférence de l’Union africaine répète à

126
chaque fois son engagement à lutter contre l’impunité et confirme le mandat donné au Sénégal

de juger Hissène Habré 127 ; en 2011 (17 session), la conférence demande l’organisation rapide de

son procès ou son extradition vers tout pays prêt à le poursuivre 128 ; durant la 18 esession (tout

récemment, 2012), la conférence observe que la cour d’appel de Dakar ne s’est pas encore

120
Lettre du président Wade au représentant de la Commission à Dakar, 2 juin 2009, MB, vol. II, annexe D.13.
121
Interview à RFI le 20 décembre 2010, déclaration au Conseil des ministres du Sénégal le 13 janvier 2011,
communiqué de presse du 20 ja nvier 2011 et interview le 7 février 2011 dans le journal La Croix, NV Belgique à
Sénégal, 15 mars 2011.
122
V. MB, vol. I, par.1.88-1.94; lettre du présiden t Wade au représentant de la Commission à Dakar,
2 juin 2009, MB, vol. II, annexe D.13 ; lettre de la Commission de l’UA à la Commission de l’UE, 21 octobre 2009, MB,
vol. II, annexe D.18 (pièces jointes).
123
Table ronde pour le financement du pro cès de M. H. Habré – Document final , 24 novembre 2010, par.16,
CMS, vol. II, annexe 5.
124
Ibid., par. 15.
125
CMS., vol. I, par. 81.
126
Doc. UA, Assembly/UA/Dec. 340 ( XVI), par. 4, MB, vol. II, annexe F.1; doc. UA, Assembly/AU/8 (XVII),
par.2; doc. UA, Assembly/AU/12 ( XVIII), par.3, disponibles sur: http://www.africa-union.org/root/au/Documents/
Decisions/decisions_fr.htm
127
Doc. UA, Assembly/UA/Dec. 340 (XVI), op. cit., par. 3, MB, vol. II, annexe F.1 ; doc. UA, Assembly/AU/8
(XVII), op. cit., par. 3.
128
Doc. UA, Assembly/AU/8 (XVII), op. cit., par. 3. - 47 -

prononcée sur la demande d’extradition de Hissène Habré par la Belgique ⎯ la dernière demande

dont a parlé M.Dive ⎯ 129, et que le Rwanda est prêt à organiser son procès 130. La conférence

prend aussi note d’un rapport établi par la Commission de l’Union africaine. Ce rapport précise

que la priorité accordée à une solution africai ne par l’Assemblée pourra être révisée vu les

difficultés associées à cette solution et vu le principe du rejet de l’impunité 131. Le rapport souligne

également qu’un procès pourrait être organisé rapi dement en Belgique, ce qui est essentiel étant

donné l’âge des victimes du régime de HissèneHa bré dont certaines de ces victimes sont déjà

132
décédées .

20. Indépendamment des interventions d’ institutions internationales comme l’Union

européenne et l’Union africaine, certains Etats ont accepté d’assister financièrement le Sénégal

pour le procès de Hissène Habré ⎯ce qui témoigne du degré d’investissement élevé de ces Etats

dans une cause de caractère purement humanitaire et moral 133. Parmi ces Etats, il faut souligner

l’engagement du Tchad qui, non seulement, est prêt à contribuer aux frais du procès, mais qui, lors

d’une rencontre avec la Commission de l’Union africaine, a également appuyé l’extradition de

l’intéressé vers la Belgique.

21. Les événements qui précèdent concernant les aspects externes de la présente affaire, et

que j’ai tentés de résumer du mieux que je pouvais, conduisent à trois constatations :

1) première constatation, l’Union europée nne, l’Union africaine et plusieurs Etats ⎯ dont la

Belgique ⎯ se sont engagés à financer le procès de HissèneHabré lors de la table ronde des

donateurs de novembre2010; le Sénégal étai t présent et a accepté un budget final de

8,6millions d’euros, soit ⎯ quand même ⎯ vingtfois le prix du procès le plus cher organisé

en Belgique pour des ressortissants rwandais qui étaient accusés et poursuivis pour des crimes

de génocide ; les engagements des parties cont ributrices à ce budget étaient fermes et n’étaient

subordonnés à aucune condition particulière ; le Sénégal les a acceptés, mais malgré cet accord,

129
Doc. UA, Assembly/AU/12 (XVIII), op. cit., par. 4.
130
Ibid., par. 5.
131Doc. UA, Assembly/AU/11(XVII) Rev. 1, pa1., disponibles s:ur http://www.africa-

union.org/root/au/Documents/ Decisions/decisions_fr.htm.
132Ibid., par. 16.

133Communiqué de presse du ministère des affaires étrangères du Tchad, 22 juillet 2011. - 48 -

il n’a commencé aucune démarche pour juger Hissène Habré : à la connaissance de la Belgique

⎯on l’a déjà dit ⎯, aucun devoir d’instruction n’a été établi, aucun magistrat instructeur

sénégalais n’a répondu à l’invitation de venir en Belgique aux frais decette dernière pour

examiner les 27 classeurs ⎯ 27 classeurs ⎯ du dossier d’instruction réunis par la justice belge ;

2) deuxième constatation, l’Union africaine conti nue à insister pour que le Sénégal remplisse ses

obligations de lutte contre l’impunité ;

3) troisième et dernière constatation, malgréles gestes de soutien de l’Union européenne, de

l’Union africaine et d’autres Etats⎯dont la Belgique et le Tchad ⎯, notamment pour le

financement du procès HissèneHabré au Sénégal, le Sénégal n’a toujours pas rempli les

obligations que lui impose le droit international en matière de lutte contre l’impunité des crimes

en cause.

Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, ici prend fin cette trop longue

⎯ je le reconnais moi-même ⎯ énumération des aspects externes du différend entre la Belgique et

le Sénégal. Il me reste le devoir toujours agr éable de vous remercier pour votre patiente attention

et de vous demander de bien vouloir passer la parole, à présent, à sir Michael Wood.

Le PRESIDENT : Je vous remercie, Monsieur le professeur. I now give the floor to

Sir Michael Wood.

Mr. WOOD:

4.T HE JURISDICTION OF THE COURT UNDER THE C ONVENTION AGAINST TORTURE

AND THE ADMISSIBILITY OF B ELGIUM S APPLICATION

I. Introductory

1. Mr. President, Members of the Court, it is a great honour to appear before you on behalf

of the Kingdom of Belgium.

2. Belgium invokes two separate bases of jurisdiction. First, Article 36, paragraph 2, of the

Statute and the Declarations of Belgium a nd Senegal under the Optional Clause. Second,

Article36, paragraph1, of the Statute and Article30 of the United Nations Convention against

Torture. Jurisdiction under the Optional Clause c overs the whole of the dispute at issue in these - 49 -

proceedings, including the dispute under the Torture Convention 134. Article30 of the Torture

Convention is an additional parallel basis of juri sdiction in so far as the dispute concerns the

interpretation or application of that Convention.

135
3. But for convenience, as we did in the Memorial , we shall begin with Article 30 of the

Torture Convention. This is what the Court itsel f did in the Provisional Measures Order, when it

found that it had prima facie ju risdiction under the Convention ( Questions relating to the

Obligation to Prosecute or Extradite (Belgium v. Senegal) , Provisional Measures , Order of

28 May 2009, I.C.J. Reports 2009, p. 151, para. 53). This is without prejudice to our view that the

whole of the dispute, including that under the Torture Convention, falls within the Optional Clause

jurisdiction. Such parallel bases of jurisdiction are by no means unusual.

4. Mr. President, I shall address the issue of jurisdiction under Article 30 of the Convention,

and the admissibility of Belgium’s Application. Professor David will then deal with the question of

jurisdiction under the Optional Clause.

5. We dealt briefly with the jurisdiction of the Court in ChapterIII of the Memorial, and I

refer the Court to what we said there. Senegal, for its part, did not raise any preliminary objection

to jurisdiction or admissibility within the three-month time-limit provided for in the Rules.

Notwithstanding this, Senegal has devoted no less th an two fifths of its Counter-Memorial to what
136
it terms “Obstacles to the examination of the merits of Belgium’s application” . In Chapter 3 of

the Counter-Memorial, Senegal questions the Court’s jurisdiction under the Torture Convention

and also, apparently, the Court’s jurisdiction under the Optional Clause.

6. Senegal’s arguments are summarized at paragraph 121 of the Counter-Memorial, in which

it requests the Court to find:

“not only that no dispute exists between th e Parties, which should lead the Court to
declare that it does not have jurisdiction, but also and above all that the applicant State

failed to fulfil its obligation to initiate the negotiation and arbitration procedure before
referring the case to the Court, which should render the Belgian Application
inadmissible”.

13MB, para. 3.03.
135
MB, Chap. III.
13CMS, Chap. 3, pp. 31-53. - 50 -

7. In brief, Senegal takes two points about jurisdiction: that there is no dispute, a point

relevant to jurisdiction both under the Optional Clause and the Torture Convention; and the

absence of efforts to negotiate and to arbitrate, matters which are only relevant to Article 30 of the

Torture Convention. As we shall show, Senegal has failed, on the facts, to establish either point.

II. Jurisdiction under Article 30 of the Convention against Torture

8. Mr. President, Members of the Court, both Belgium and Senegal are parties to the Torture

Convention, which came into force between the tw o States on 25 July 1999. Neither Belgium nor

Senegal has made a declaration under paragraph 2 of Article 30. Both are therefore bound by the

compromissory clause in Article 30, paragraph 1.

9. You will find a copy of the Convention, in Fr ench and English, at tab 2 of your folders. I

would like just to read out Article 30, paragraph 1. This provides:

“Any dispute between two or more States Parties concerning the interpretation
or application of this Convention which cannot be settled through negotiation shall, at
the request of one of them, be submitted to arbitration. If within six months from the

date of the request for arbitration the Parties are unable to agree on the organization of
the arbitration, any one of those Parties may refer the dispute to the International
Court of Justice by request in conformity with the Statute of the Court.”

10. As you will see, under this paragraph, four conditions have to be met:

⎯ First, there has to be a “dispute between two or more States Parties concerning the

interpretation or application of [the] Convention;

⎯ Second, the dispute has to be one which “cannot be settled by negotiation;

⎯ Third, one of the parties to the dispute must have re quested that it be submitted to arbitration;

and

⎯ Fourth, “within six months from the date of the request... the Parties are unable to agree on

the organization of the arbitration.

11. These conditions are cumulative ( Armed Activities on the Territory of the Congo (New

Application: 2002) (Democratic Republic of the Congo v. Rwanda), Jurisdiction and Admissibility,

Judgment, I.C.J. Reports 2006, p. 39, para. 87). In our submission, they are all met, and I shall deal

with each in turn. - 51 -

A. Existence of a dispute

12. First then, the existence of a dispute. Mr.President, Members of the Court, at the

provisional measures stage of the present proceedi ngs, you concluded, prima facie, that a dispute

concerning the interpretation or application of th e Torture Convention existed between the Parties

on the date the Application was file d (that is, on 19 February 2009) ( Questions relating to the

Obligation to Prosecute or Extradite (Belgium v. Senegal), Provisional Measures, Order of

28 May 2009, I.C.J. Reports 2009 , p. 149, para. 47 in fine). And you also concluded, prima facie,

that such a dispute continued to exist at the time of your Order (that is, on 28May 2009), even if

the scope of the dispute might have changed since the Application was filed (ibid., para. 48 in fine).

13. It is clear from the description of the facts given this morning ⎯ by Mr.Dive and by

Professor David ⎯ that, while the dispute between the Par ties has been subject to extraordinary

twists and turns, it ⎯ very regrettably ⎯ continues to exist. In Belgium’s view, Senegal has been

and continues to be in breach of its obligation under the Torture Convention to take the necessary

measures concerning the prosecution of HissèneHabré, or, in default thereof, to extradite him to

Belgium. This is a breach that has continue d throughout the almost three years since your

Provisional Measures Order. Senegal, on the other hand, denies that it is in breach of the

Convention.

14. Mr.President, before turning to the fact s and the case law, let me recall the terms in

which you held, prima facie, that the dispute con tinued to exist at the end of May2009. I do so,

not because what you said is conclusive ⎯ of course, it is not ⎯ but because it continues, in our

submission, to be an apt description of the situati on that exists today. As you will recall, in the

Provisional Measures Order, you said:

“whereas the Parties... seem to continue to differ on... questions relating to the
interpretation or application of the Convention against Torture, such as that of the time
frame within which the obligations provided for in Article 7 must be fulfilled or that

of the circumstances (financial, legal or othe r difficulties) which might be relevant in
considering whether or not a failure to fulf il those obligations has occurred; whereas,
moreover, the Parties seem to continue to hold differing views as to how Senegal
should fulfil its treaty obligations; and wher eas in consequence it appears that prima

facie a dispute of the kind contemplated by Article 30 of the Convention . . . continues
to exist between the Parties . . .” (ibid., p. 149, para. 48).

15. Mr.President, this passage captures the main elements of the dispute that continues to

exist today. The Parties continue to differ on “the time frame within which the obligations - 52 -

provided for in Article7 must be fulfilled”. The Parties continue to differ on “the circumstances

(financial, legal or other difficulties) which might be relevant in considering whether or not a

failure to fulfil those obligations has occurred”. The Parties “con tinue to hold differing views as to

how Senegal should fulfil its treaty obligations”. And, consequently, the Parties continue to differ

on Senegal’s international responsib ility and the legal consequences thereof as set out in Part 2 of

the articles on State responsibility.

16. In your Judgment of 1April2011 in Georgia v. Russian Federation (Application of the

International Convention on the Elimination of All Forms of Racial Discrimination (Georgia v.

Russian Federation), Preliminary Objections , Judgment of 1 April 2011, paras.29-30), you

recalled the established case law on the existence of a dispute. I need not read out all that you said

at paragraphs 29 and30 of that Judgment. Bu t its authority for the following propositions, which

apply equally to the Torture Convention:

⎯ first you said “there is no reason to depart fro m the generally understood meaning of ‘dispute’

in the compromissory clause contained in Article22 of [the Racial Discrimination

Convention]” (ibid., para. 29). The same is true of the Article 30 of the Torture Convention;

⎯ the established case law ( ibid., para. 30) in the matter begins with the statement by the

Permanent Court in Mavrommatis: “A dispute is a disagreement on a point of law or fact, a

conflict of legal views or of in terests between tw o persons.” ( Mavrommatis Palestine

Concessions, Judgment No. 2, 1924, P.C.I.J., Series A, No. 2, p. 11.) In other words, “[i]t must

be shown that the claim of one party is positively opposed by the other” ( Application of the

International Convention on the Elimination of All Forms of Racial Discrimination Convention

(Georgia v. Russian Federation), Preliminary Objections, Judgment of 1 April 2011, para. 30),

though as was noted this statement has to be read in context;

⎯ the next point you made in Georgia v. Russia was this, whether there is a dispute is a matter for

“objective determination” by the Court. This determination turns on an examination of the

particular facts. “The matter is one of substance, not of form.” (Ibid., para. 30.); - 53 -

⎯ and next you said “the existence of a dispute ma y be inferred from the failure of a State to

respond to a claim in circumstanc es where a response is called for” (ibid.); that may be

particularly relevant in the present case;

⎯ and finally the dispute must be with respect to “the interpretation or application of [the]

Convention”. While in that case it is not necessar y that a State refer to a specific treaty, the

exchanges must refer to the subject-matter of th e treaty with sufficient clarity to enable the

State against which a claim is made to identify that there is, or may be, a dispute with regard to

that subject-matter (ibid.). In the present case, Belgium repeatedly referred to the obligations

reflected in the Torture Convention, indeed to those in specific provisions of the Convention,

and, more generally, to the obligation to subm it the matter to the prosecuting authorities, in

default of extradition.

17. Mr.President, Members of the Court, in the present case the evidence of a dispute

between Belgium and Senegal concerning the in terpretation or application of the Torture

Convention, existing at the date of the Application, and continuing to this day, is we submit,

overwhelming.

18. It is clear, from the pleadings, that the Pa rties interpret the Convention differently in a

number of important respects. The Parties differ on whether mere words, promises of future action,

or what are asserted by Senegal to be “fir st steps towards fulfilling” the obligations

(“commencement d’exécution” of the obligations), are sufficient actually to fulfil Senegal’s

obligations under the Convention, including its “extradite or prosecute” provisions. The Parties

differ on whether Senegal’s failure to extradite or prosecute Hissène Habré over an extended period

of time constitutes a breach of the Convention. And the Parties differ on whether financial and

other difficulties may, under the Convention, excuse Senegal’s failure to take the steps required by

the Convention.

19. The existence of these differences is abundantly clear from the lengthy correspondence

between Belgium and Senegal, a nd from the contacts that have taken place through diplomatic

channels. - 54 -

I20. Georgia v. Russian Federation (ibid., paras.51-62, 65-104, 108-112), you examined

in great detail each document and statement upon which Georgia relied. It is, we submit, not

necessary to adopt such a detailed a pproach in the present case, since ⎯ unlike in Georgia v.

Russian Federation ⎯ it is clear from even a cursory glance at the documents and statements relied

upon by Belgium that they do expressly raise issues in dispute including under the Torture

Convention.

21. Mr. Dive has already drawn your attention to some of the key passages in the diplomatic

exchanges. And I will not repeat what he said. The overall picture is clear. Belgium repeatedly

stated its interpretation of specific provisions of the Torture Convention, and in due course made

plain the existence of a dispute within the meaning of Article30. Senegal, for its part, seems to

have done all that it can to avoid answering the specific points made by Belgium. It has avoided

joining issue with Belgium on specific points under the Convention. It has failed to respond in

circumstances where a response is called for.

22. Members of the Court will recall that at the time of the provisional measures hearing,

Senegal seemed to take the position that it was acting solely and voluntarily under a mandate from

the African Union, not because of its obligations under the Torture Convention. That was then a

fundamental point of difference between Belgium and Senegal concerning the interpretation and

137
application of the Convention. And, despite the assurances given in the Counter-Memorial , it

seems to remain so today, since Senegal’s aut horities have not entirely abandoned that untenable

position. Thus, when Senegal tried to send Hissène Habré back to Chad in July 2011, the Foreign

Minister of Senegal sought to justify this deci sion by the African Union mandate to judge or to

138
extradite Hissène Habré (see tab 6) .

23. As you heard this morning, Belgium first transmitted an extradition request to Senegal

139
under cover of a Note dated 22 September 2005 to which, over six and a half years later, it has

still not received a clear and sufficient reply. Belgium enquired about the decision of the Dakar

137
CMS, paras. 108 and 225.
138Statement of Senegal’s Minister for Foreign Affairs, Madické Niang, 9 and 10 July 2011. See also “Abdoulaye
Wade va renvoyer l’ex-président Hissène Habré au Tchad”, Franc2e4u2ly011 (online:
http://www.france24.com/fr/20110708-senegal-tchad-abdoulaye-wade-presid…-

crimes-humanite).
139MB, Vol. II, Ann. B.2. - 55 -

140
Court of Appeal of 25 November 2005 in its Note of 30 November 2005 . Senegal did not reply

directly, but in Notes of 7 and 23 December 2005 141 informed Belgium that it had transferred the

“dossier” to the African Union.

24. Senegal’s Note of 7 December 2005 mere ly enclosed a communiqué from its Foreign

Ministry. Among other things, in the last paragrap h, this communiqué declared that “the State of

Senegal... will refrain from committing any actio n that makes it possible for Mr.HissèneHabré

not to appear before the court”.

25. But Senegal has either sought to rely on its transfer of the matter to the African Union,

referring to the “spirit” of Article 7 of the Convention; or has simply not responded to Belgium’s

enquiries. The nearest Senegal came to explaining its position following the Dakar court’s decision

142
of 25November2005 was its Note of 23December2005 , when it said that: “The decision to

submit ‘the Hissène Habré case’ to the African Uni on will consequently have to be considered as

reflecting the position of Senegal pursuant to the judgment of the Prosecution Chamber.”

26. At tab4 in the folders, you will find Belgium’s Note of 11January2006 143. This

expressly mentioned Article 30 of the Torture Conven tion. The Note explained, with reference to

the transmission of the “Hissène Habré case” ⎯ as it was called ⎯ to the African Union, that

Belgium “interpret[ed] the Convention, and specifically the obligation of ‘aut dedere aut judicare’

contained therein, as only laying obligations on a State, in this case, in the context of the extradition

application of Mr. Hissène Habré, the Republic of Senegal”.

144
27. Again, in its Note of 4May 2006 ⎯ also at tab 4 ⎯ Belgium said that it interpreted

Article7 of the Convention as requiring “the St ate on whose territory the alleged offender is

located to extradite him unless it has judged him”. Belgium pointed out in this Note that an

unresolved dispute regarding this interpretation w ould lead to recourse to arbitration provided for

in Article 30.

14MB, Vol. II, Ann. B.4.
141
Ibid., Anns. B.5 and B.6.
142
Ibid., Ann. B.6.
14Ibid., Annex B.7.

14Ibid., Ann. B.9. - 56 -

145
28. Again at tab4 you will find Senegal’s Note of 9May2006 . In this Note, Senegal,

referred to the interpretation of Article 7, claiming to be “acting in accordance with the spirit of the

146
principle ‘aut dedere aut punire’” . That is hardly a claim to be acting in accordance with the

obligation in the Convention

29. So, Mr.President, in our submission it is clear that the dispute between Belgium and

Senegal crystallized between the end of November 2005, when Belgium enquired about the Dakar

Court of Appeal judgment, and 11January200 6, when Belgium expressed its view on the

continuing obligations of Senegal notwithstanding the transmission of the “Hissène Habré dossier”

to the African Union.

30. It is also clear from subsequent exchanges between Belgium and Senegal that the dispute

continues, and continues to develop. In accordance with your provisional measures order, Belgium

has kept the Court informed of all developments in a series of letters 147.

31. I now turn to what Senegal has to say, in Chapter3 of its Counter-Memorial, on the

existence of a dispute. It begins by quoti ng from the case law of the Permanent Court and from

your early case law: Mavrommatis; Interpretation of Peace Treaties ; Right of Passage ; and

148
Northern Cameroon . It then ⎯ rather obscurely ⎯ says the following:

“In actual fact, Senegal has never indica ted that it opposed or refused to accept

the principle or extent of the obligations implied by the Convention against Torture.
At no time have the Parties in question held opposing views about the meaning or
scope of their central obligation, to ‘prosecu te or extradite’. There is nothing in the

arguments put forward by Belgium to cont radict Senegal’s interpretation of the
Convention. At the most, as has been shown above, Belgium might ⎯ if nothing

else ⎯ argue that the way in which Senegal intends to perform its obligations does not
accord with its own understandi ng of the matter or that progress is not being made at
the pace that it would like . . .”

Those words, I think, make it clear that Senega l accepts there is indeed a dispute about the

application of the Convention and it went on to say that “there is certainly nothing to justify a

14Ibid., Ann. B.10.
146
Ibid. (emphasis added).
14Letters from the Agent of Belgium to the Registra r of the Court, dated 16July2009, 23Nov.2010,

21 Mar. 2011, 29 June 2011, 18 July 2011 8 Sep 2011 and 23 Jan. 2012.
14CMS, paras. 126-129, 131-133. - 57 -

debate on ‘the principles’, a requirement that the Court would seem consistently to uphold and

consolidate through the case law . . .” 149.

32. However, as the Court has recently recalled in the Germany v. Italy case,

“The subject-matter of a dispute brough t before the Court is delimited by the

claims submitted to it by the parties. … [I]t is those claims that delimit the
subject-matter of the dispute which the Court is called upon to settle. It is in respect of
those claims that the Court must determine whether it has jurisdiction to entertain the

case.” (Jurisdictional Immunities of the State (Germany v. Italy: Greece intervening),
Judgment of 3 February 2012, para. 39.)

33. Belgium’s claims in its Memorial and Senegal’s submissions in the Counter-Memorial

closely reflect the dispute that emerges from the diplomatic exchanges between both States. In

Belgium’s view, Senegal has breached its international obligations under the Torture Convention
150
and other rules of international law, and must put an end to its wrongful conduct . Senegal, on

the contrary, still asserts that it has not violated an y of the provisions of the Torture Convention or

any other rules of general international law 151. One could hardly express more clearly a

disagreement on a point of law or fact between States.

34. Senegal next suggests, and at some length, that what Belgium is asking the Court to do in

this case is to issue a declaratory judgment, and th at this is something to which the Court should

not accede. It seems that this is put forward to support Senegal’s argument that there is no dispute

between the Parties, rather than as a self-sta nding argument that the Court is not empowered to

issue a declaratory judgment, a proposition that is clearly unarguable. It could be a separate

jurisdictional argument or even go to admissibility. Bu t, be that as it may, Senegal cites a string of

cases, many of which are Advisory Opini ons, and places particular weight on the Nuclear Tests

cases.

35. This argument, Mr.President, we say is wholly misplaced. One key passage in

Senegal’s reasoning seems to be at paragraph 146 of the Counter-Memorial. It says the following:

149
CMS, para. 135.
150
MB, p. 123.
15CMS, p. 77, para. 284 (2). - 58 -

“Given that Senegal has adopted a clear position on the application of the 1984
Convention against Torture and given that , over and above a mere declaration of
intent, it has taken steps to prepare to implement a specific commitment ⎯ which is to

‘prosecute’ ⎯there is no reason why the Court should be asked to disturb this clear
state of affairs, to create an artificial conflict in a situation where essentially no such
conflict exists.”

36. Another key passage is at paragraph 157, where Senegal says that “not only has Senegal

taken steps that are consistent with beginning to fulfil its obligations” ⎯I pause to note that this

was written in August 2011, some two and a half years after the present proceedings commenced,

and some six years after Belgium first called upon Senegal to extradite or prosecute Hissène

Habré ⎯ “not only has Senegal taken steps that ar e consistent with beginning to fulfil its

obligations but it is difficult to imagine the impli cations of the Court’s accepting Belgium’s claim.

Is it conceivable that the Court would ask Senegal to execute a commitment that that State has

152
begun to fulfil?” And then we read in the Counter-Memorial that Senegal “has long been

striving to implement all of the necessary measures to enable Mr. Habré to be put on trial” 15.

37. Mr.President, Members of the Court, this is strange, circular reasoning. Senegal is

saying that the Court should not take jurisdiction and decide the matter because Senegal is not in

breach of its obligations. But that is exactly what Belgium contests, and it is precisely the question

which the Court is called upon to decide.

38. Even if Senegal would, in fact, and not only by its statements, start to execute its

international obligations, the dispute would not ju st disappear and a judgment of the Court would

still have practical consequences “in the sense that it can affect existing legal rights or obligations

of the parties, thus removing un certainty from their legal relations” (Northern Cameroons

(Cameroon v. United Kingdom), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J.Reports1963 , p. 34;

Application of the Interim Accord of 13September1995 (the former Yugoslav Republic of

Macedonia v. Greece) , Judgment of 5December2011, para.47). As the Court has recently

recalled, rejecting a similar argument made by Greece in the Interim Accord case, the Court is not

in any way precluded from issuing declaratory judgments, where appropriate (Application of the

Interim Accord of 13September1995 (the former Yugoslav Republic of Macedonia v. Greece) ,

152
CMS, para. 157.
15CMS, para. 158. - 59 -

Judgment of 5December2011, para.49. See also Northern Cameroons (Cameroon v. United

Kingdom), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 1963, p. 37). And in the present case,

such a judgment would indeed “ensure recognition of a situation at law, once and for all and with

binding force as between the Parties; so that the legal position thus established cannot again be

called into question in so far as the legal effects ensuing therefrom are concerned” ( Interpretation

of Judgments Nos.7 and 8 (Factory at Chorzów), Judgment No.11, 1927, P.C.I.J., SeriesA,

No. 13, p.20; Application of the Interim Accord of 13September1995 (the former Yugoslav

Republic of Macedonia v. Greece), Judgment of 5December2011, para.49). The Torture

Convention remains in force as between the Parties and the Court’s judgment would indeed

re-establish the integrity of this important human rights instrument. This is key with regard to

Senegal’s assertions that it h as respected the Convention on all points, which, as Belgium will

show tomorrow, is simply not the case.

39. To conclude on this point, Mr. President, there is, in our submission, no doubt at all that

a dispute continues to exist between the Parties c oncerning the interpretation and application of the

Torture Convention.

B. The dispute cannot be settled through negotiation

40. I now turn to the second requirement of Article30, that the dispute cannot be settled

through negotiation.

41. As Mr.Dive has shown earlier today, rep eated attempts, over a considerable period of

time, have been made by Belgium to engage in discussions and to find a mutually acceptable

solution. Despite all these efforts, the disput e could not be settled. The Court underlined

Belgium’s efforts to find a negotiated solution in its Provisional Measures Order of 2009.

42. Negotiations over the dispute between Belgium and Senegal effectively began with the

Belgian Note of 30 November 2005, in which it sought clarification of the position, following the

judgment of the Dakar Court of Appeal. This was followed by an extensive exchange of Notes and

diplomatic contacts in Dakar and in Brussels. But these exchanges did not, unfortunately, lead to

any result. By June 2006 at the latest, it was cl ear that the dispute was not going to be settled by

negotiation. Nothing that has happened since then leads to any other conclusion. - 60 -

43. I think in view of the time, I shall omit a few paragraphs. Mr. President, I was going to

point out, if I had had time, that this, the pr esent case, is far removed from the situation, for

example, in the Democratic Republic of the Congo v. Rwanda case, and I was going to distinguish

the facts here from there.

44. I need not repeat, I think, that in our many Notes we referred specifically to precise

provisions of the Torture Convention. We asked for clarification. We asked for assurances, and

none were forthcoming.

45. In fact, the case is quite similar to the Lockerbie cases, where the Court found that the

dispute could not be settled by negotiation becau se the Respondents had always maintained “that

there was no dispute between the Parties regarding th e interpretation or application of the Montreal

Convention, and that, for that reason, in the Respondent’s view, there was nothing to be settled by

negotiation under the Convention” ( Questions of Interpretation and Application of the 1971

Montreal Convention arising from the Aerial Incident at Lockerbie (Libyan Arab Jamahiriya v.

United Kingdom), Preliminary Objecti ons, Judgment, I.C.J. Reports 1998, p. 17, para. 21;

Questions of Interpretation and Application of the 1971 Montreal Convention arising from the

Aerial Incident at Lockerbie (Libyan Arab Jamahiriya v. United States of America), Preliminary

Objections, Judgment, I.C.J. Reports 1998, p. 122, para. 20).

46. Having announced that the most important part of its objections to jurisdiction (or

admissibility) concerned negotiation and arbitration, those conditions, Senegal, in fact, dealt with

the matters rather briefly in its Counter-Memorial 154. But it accused Belgium of seeking to entrap

155
it , and of bad faith, of abus de droit , all of which are without foundation and which we

categorically reject. There is not a shred of evidence to support such serious allegations.

47. Mr.President, I do not need to recall that the requirement that the dispute cannot be

settled by negotiation turned out to be crucial in Georgia v. Russian Federation. Senegal did not

address that case in its Counter-Memorial, so we do not yet know what reliance, if any, it will place

upon that Judgment. But perhaps, in the second round we will come back to that Judgment in the

light of what Senegal may say about it. There are certainly important differences between that case

154
CMS, paras. 185-204 and 205-213 respectively.
15CMS, para. 191-192. - 61 -

and indeed that compromissory clause and Article 30. Through there are similarities between the

clause as well.

48. Mr. President, that concludes what I want to say about the requirement that the dispute is

one that cannot be settled by negotiation. In our submission, it is clear that this second requirement

is fulfilled.

C. Request for arbitration

49. I now turn to the third condition under Article 30, that there be a request for arbitration.

As Mr.Dive said this morning, Belgium firs t mentioned the possibility of arbitration under

Article 30 in its Note of 4 May 20 06 (at tab 4), and Senegal took note of this. Then, in the Note of

20 June 2006, Belgium formally requested arbitration under Article 30. That Note is also at tab 4.

50. In dealing in its Counter-Memorial with the arbitration condition, Senegal once again

156
falls short of accepting that the Belgia n Note of 20 June 2006 was actually sent . But the Court

dealt with this matter in its Provisional Measures Order 157, as we indeed did during the 2009

158
hearing . And I think there is no need to go into it further.

51. Senegal suggests in its Counter-Memorial that the reference to arbitration in the Belgian

Note of 20June was “evasive”. But as the Cour t said in the Provisional Measures Order: “the

Note Verbale of 20 June 2006 contains an explicit offer from Belgium to Senegal to have recourse

to arbitration”.

52. Eleven months later, in a Note of 8 May 2007 (at tab4), Belgium reminded Senegal of

the request, and again in that Note Belgium listed the specific provisions of the Torture Convention

in dispute.

53. So in our submission, Members of the Court, the third condition in Article 30 is met.

156
CMS, para. 207.
15Questions relating to the Obligation to Prosecute or Ex tradite (Belgium v. Senegal), Provisional Measures,

Order of 28 May 2009, I.C.J. Reports 2009, p. 150, para. 52.
15CR 2009/10, p. 21, para. 16 (Wood). - 62 -

D. The Parties were unable to agree on the organization of the arbitration within six months

54. The fourth condition is that the Parties are unable to agree on the organization of the

arbitration within six months. As we have seen, the request for arbitration was made on

20 June 2006.

55. Senegal did not respond to the original request for arbitration, and it did not respond to

the reminder of 8 May 2007. The request “met with no answer”, to use the Court’s expression in

159
the Lockerbie cases . The Court again considered the case where a Respondent had given no

answer to a proposal for arbitration in its Judgment in Democratic Republic of the Congo v.

Rwanda case. After saying that “the lack of agreement between the parties as to the organization of

an arbitration cannot be presumed”, the Court, citing Lockerbie, went on to say that “[t]he existence

of such disagreement [that is, a disagreement on the organization of the arbitration] can follow only

from a proposal for arbitration by the applicant, to which the respondent has made no answer or

which it has expressed its intention not to accept” ( Armed Activities on the Territory of the Congo

(New Application: 2002) (Democratic Republic of the Congo v. Rwanda), Jurisdiction of the Court

and Admissibility of the Application , Judgment of 3 February 2006, I.C.J Reports2006 , p.41,

para. 92).

56. In our case, Belgium proposed arbitration. The proposal met with no answer. The

Parties have thus not been able to agree on the or ganization of the arbitration within the six-month

period, which has long passed.

57. So, Mr. President, Members of the Court, it is our submission that all four conditions in

Article30 of the Torture Convention have been me t. It follows that the Court has jurisdiction

under Article30 over that part of the dispute that concerns the interpretation or application of the

Convention.

III. Admissibility

58. I turn, very briefly, to the question of admissibility. It is not entirely clear whether

Senegal is in fact challenging admissibility. I have already explained that questions concerning the

15Questions of Interpretation and Application of the 1971 Mo ntreal Convention arising from the Aerial Incident
at Lockerbie (Libyan Arab Jamahiriyav. United Kingdom), Preliminary Objec tions, Judgment, I.C.J. Reports 1998 ,
p. 17, para. 20; Questions of Interpretation and Application of th e 1971 Montreal Convention arising from the Aerial
Incident at Lockerbie (Libyan Arab Jamahiriya v. United States of America), Prelim inary Objections, Judgment, I.C.J.

Reports 1998, p. 122, para. 20. - 63 -

Article 30 conditions go to jurisdiction and not to admissibility. I think that is clear from your case

law. But one way of reading Senegal’s argument, at paragraphs148 to 162, is that the Court

should exercise its discretion not to decide the case because in doing so it would be making a

“declaratory judgment”. It cites in support various statements of the Court, but with the exception

of the Factory at Chorzów and Nuclear Tests cases, these are all from Advisory Opinions to which

different considerations apply. The Agent of Be lgium will deal with this question of declaratory

relief when he concludes our first round of pleadings, so I will say no more at this stage.

59. For it does not seem to us that Senegal has really questioned the admissibility of the

Application. Nor could it. No grounds of inadmissibility are present.

60. Mr.President, that concludes what I haveto say on jurisdiction under Article30 of the

Torture Convention, and on admissibility.

61. And if there is still time, I would request that you invite Professor David to the podium

who will address you briefly on the question of jurisdiction under the Optional Clause.

The PRESIDENT: Thank you, SirMichael. Je passe la parole de nouveau à M.le

professeur Eric David. Monsieur vous aurez, comm e j’ai déjà annoncé le matin, un peu de temps

après 13heures, maximum jusqu’à13h15 pour compléter les plaidoiries de la Belgique

d’aujourd’hui vu l’audience solennelle du matin. Vous avez la parole Monsieur le professeur.

M. DAVID : Merci Monsieur le président et merci pour cette licence, pour cette extension de

temps que vous nous accordez. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour,

5.LA COMPÉTENCE DE LA C OUR EN VERTU DES DÉCLARATIONS FACULTATIVES DE LA
B ELGIQUE ET DU S ÉNÉGAL (STATUT CIJ, ARTICLE 36, PARAGRAPHE 2)

1. Dans sa requête introductive d’instance cmme dans son mémoire écrit, la Belgique a

fondé la compétence de la Cour non seulement sur l’article30 de la conven tion contre la torture,

comme vient de le rappeler sir Michael, mais aussi sur les déclarations par lesquelles le Sénégal et

la Belgique ont accepté la juridiction de la Cour ; le Sénégal depuis le 2 octobre 1985, la Belgique

depuis le 3 avril 1958. Ces déclarations, toujours en vigueur, n’ont quasiment pas été abordées par

le Sénégal depuis l’ouverture de la présente inst ance. Le Sénégal s’y réfère très incidemment, à

deux reprises, dans son contre-mémoire: d’un côté, lorsqu’il constate que les déclarations - 64 -

d’acceptation de la juridiction de la Cour par la Belgique et le Sénégal s’appliquent à des différends

160
d’ordre juridique ; d’un autre côté, lorsqu’il observe que la Belgique fonde son action sur la

convention contre la torture et sur les deux déclarations facultatives faites par les deux Etats en

161
vertu de l’article36, pa ragraphe2, du Statut . Ce sont les seules allusions du Sénégal à ces

déclarations, soit une dizaine de lignes purement informatives sur un contre-mémoire de 77 pages.

2. Ce n’est pas la première fois que la co mpétence de la Cour trouve son fondement dans

plusieurs sources. Cela avait déjà été le cas en1939, dans l’affaire de la Compagnie d’électricité

de Sofia et de Bulgarie portée par mon pays devant la Cour permanente de Justice internationale, ce

qui avait conduit celle-ci à dire qu’une source de compétence n’en excluait pas, nécessairement,

une autre et qu’un traité reconnaissant la compéten ce de la Cour, comme ici, n’empêchait pas des

déclarations d’acceptation de la compétence de la Cour de produire le même effet ( Compagnie

o
d’électricité de Sofia et de Bulgarie, arrêt, 1939, C.P.J.I. série A/B n 77, p. 76). Plus récemment,

dans l’affaire de la Frontière terrestre et maritime ent re le Cameroun et le Nigeria , la Cour a dit

que sa compétence, lorsqu’elle était saisie su r la base de déclarations concordantes de

reconnaissance de sa juridiction, n’était pas mise en péril par les conditions plus restrictives

figurant dans un traité liant par ailleurs les parties ( Frontière terrestre et maritime entre le

Cameroun et le Nigéria (Cameroun c N.igéria), exceptions préliminaires, arrêt,

C.I.J. Recueil 1998, p. 312, par. 79).

3. Dans la présente espèce, la compétence de la Cour fondée sur les déclarations

d’acceptation de cette compétence par le Sénégal et la Belgique ne semble pas diviser les Parties et,

conformément à l’article60 du Règlement, la Be lgique peut rester brève. Reste, cependant,

l’exception soulevée par le Sénégal à propos de l’application de l’article 30 de la convention contre

la torture où le Sénégal allè gue une prétendue absence de diffé rend avec la Belgique. Cette

exception pourrait s’appliquer aux déclarations par lesquelles les deux Etats ont accepté la

juridiction de la Cour puisque, dans un cas comme dans l’autre, convention contre la torture ou

déclarations fondées sur l’article36, paragraphe2, la compétence de la Cour, suppose, bien sûr,

l’existence d’un différend (je vous renvoie à l’article 38, paragraphe 1 du Statut de la Cour).

160
CMS, vol. I, par. 126-127.
161Ibid., par. 185. - 65 -

4. Nous allons commencer par exposer le contenu des déclarations d’acceptation du Sénégal

et de la Belgique(A.); ensuite, nous analyser ons de manière plus approfondie les conditions

d’application de ces déclarations (B.). Inévitablement, l’exposé restera théorique ⎯ pardon de me

répéter ⎯, mais le Sénégal n’a fait aucun développe ment sur l’application des déclarations

unilatérales au présent litige.

A. Le contenu des déclarations du Sénégal et de la Belgique

5. Les déclarations unilatérales d’acceptation de la juridiction de la Cour des deux Etats sont

très similaires. Elles sont reproduites dans vos dossiers de plaidoiries aux onglets 3.1 et 3.2. Et on

peut les résumer comme suit: se basant sur l’article 36, paragraphe2, du Statut, le Sénégal et la

Belgique déclarent reconnaître, «comme obligatoire de plein droit et sans convention spéciale, à

l’égard de tout autre Etat acceptant la même oblig ation, la juridiction de la Cour sur tous les

différends d’ordre juridique», différends postérieurs au 13juillet1948 dans le cas de la Belgique,

postérieurs au 2 décembre 1985, dans le cas du Sénéga l, qui est la date du dépôt de sa déclaration.

Encore faut-il que les parties n’aient pas convenu «d’avoir recours à un autre mode de règlement

pacifique». Enfin, le Sénégal n’admet pas de di fférends portant sur «des questions qui, d’après le

droit international, relèvent de [sa] compétence exclusive». Autrement dit, en procédant à ce que je

pourrais appeler un cumul limitatif des déclara tions d’acceptation des deux Etats, on constate

qu’elles énoncent quatre conditions :

⎯ un différend juridique doit opposer les parties ;

⎯ ce différend est postérieur au 2 décembre 1985 ;

⎯ il n’y a pas d’autre moyen de régler le différend ;

⎯ le conflit n’entre pas dans la compétence exclusive du Sénégal.

A présent, examinons plus en détail, si vous me le permettez, les quatre conditions d’application de

ces déclarations, qui sont parfaitement remplies dans la présente affaire.

B. Les conditions d’application de ces déclarations

1. L’existence d’un différend juridique

6. C’est le seul point que le Sénégal conteste. Il ne le fait qu’à propos de l’article30 de la

convention contre la torture, mais son raisonnement pourrait être transposé au différend visé par les - 66 -

déclarations d’acceptation des deux Etats. Le Séné gal expose, en substance, trois arguments qu’on

peut résumer comme suit :

1) Le Sénégal et la Belgique in terprètent de la même manière la convention de 1984 : il n’y aurait

donc pas de différend. Le Sénégal écrit :

«A aucun moment, les Parties en cause ne se sont opposées sur le sens ou la

portée à conférer à leur obligation centrale, celle de «juger ou extrader». Rien, dans
les thèses de la Belgique, vient contredire l’interprétation que fait le Sénégal de la
convention.» 162

2) Il ne suffit pas de dire qu’il y a différend po ur que ce différend existe ainsi que la jurisprudence

le montre 163.

3) La Belgique chercherait à obtenir un jugement déclaratoire de la Cour alors que celle-ci

164
refuserait de rendre de tels jugements .

7. Le Sénégal a utilisé ces trois arguments pour contester la compétence de la Cour au regard

de la seule convention de 1984. Il n’a pas exp licitement étendu la portée de l’exception aux deux

déclarations unilatérales. Le Sénégal s’est simplement borné à dire que «le concept de «différend»

est également présent dans les déclarations d’accepta tion de la juridiction obligatoire de la Cour,

souscrites par les deux Etats» 165. Si c’est une manière, Monsieur le président, Mesdames et

Messieurs de la Cour, de suggérer que les mêmes mo yens entraîneraient les mêmes effets dans le

cas de la compétence fondée sur ces deux déclar ations, les réponses de sirMichael à cette

exception peuvent être transposées, à peu près mo t pour mot, à une argumentation consistant à

écarter les déclarations d’acceptation des deux Etats au nom d’une prétendue absence de différend.

8. La Belgique voudrait seulement observer qu’e lle ne peut que se réjouir de l’affirmation

claire du Sénégal qu’il faut juger ou extrader HissèneHabré. Sur ce point, tout le monde est

d’accord, mais ce point de convergence ne résout pas le différend car celui-ci n’est pas sémantique.

L’agent de la Belgique, M.Rietjens, et le coag ent, M.Dive, ce matin l’ont dit: le différend est

matériel et concret. La Belgique ne demande p as au Sénégal de prononcer des mots, de dire qu’il

162CMS, vol. I, par. 135.
163
Ibid., par. 128-137.
164Ibid., par. 139-162.

165Ibid., par. 126. - 67 -

faut juger ou extrader HissèneHabré; la Belgique demande au Sénégal de traduire ces mots en

faits et de juger ou extrader HissèneHabré. Certes, le Sénégal a mis HissèneHabré en résidence

surveillée et il a nommé quatre magistrats pour o uvrir une information à l’égard de Hissène Habré,

mais la surveillance de la pe rsonne soupçonnée de crimes et la désignation de magistrats pour

entamer une instruction ⎯ une instruction qu’on attend toujours ⎯ ne constituent ni des poursuites

effectives 166 ni une extradition, lesquelles sont le vérita ble objet de la requête belge devant cette

Cour.

9. Sir Michael a démontré que le différend résultait du fait que le Sénégal ne poursuivait ni

n’extradait HissèneHabré pour répondre du crime de torture. J’ajouterai simplement que le

différend résulte aussi du fait que le Sénégal s’abs tient de poursuivre ou d’extrader Hissène Habré

pour répondre, selon les termes du mandat d’arrê t émis à son encontre, de crimes contre

l’humanité, de crimes de guerre et de crimes de génocide.

10. Il y a donc bien un différend puisque, d’un côté, la Belgique estime que le Sénégal ne

remplit pas ses obligations, alors que, de l’autre côté, le Sénégal soutient qu’il les remplit :

167
⎯ d’abord, en ayant modifié sa législation ;

⎯ ensuite, en disant que juger ou extrader est «un impératif catégorique pour tous les Etats» 168 : la

Belgique retient que le Séné gal reconnaît qu’il doit remplir son obligation juridique de

poursuivre ou à défaut d’extrader ;

⎯ enfin, en se bornant à «s’assurer que toutes les conditions nécessaires, notamment financières,

sont réunies pour que le procès se fasse dans un délai raisonna
ble» 169: en fait de «délai

raisonnable», les premières plaintes déposées c ontre HissèneHabré remontent à 2000 et nous

sommes en 2012.

11. Pour la Belgique, le di fférend changera de nature le jour où le Sénégal traduira

HissèneHabré en justice ou l’extradera vers la Belgique. Comme le Sénégal ne fait ni l’un ni

l’autre, il y a bien une opposition de thèses entre ce que la Belgique considère comme un moyen de

166Cf. CPI, Aff. ICC-01/09-01/11-1, 8 mars 2011, Ruto et al., par. 64-70.
167
CMS, vol. I, par. 146, 167-173.
168Ibid., par. 159.

169Ibid., par. 175. - 68 -

remplir l’obligation que le droit in ternational général lui impose et ce que le Sénégal ne fait pas.

Le différend subsiste donc dans sa totalité.

12. Enfin, ce différend est juridique dès lors qu’il porte sur l’application d’une règle de droit

⎯poursuivre à défaut d’extrader ⎯ portée par le droit internatio nal général pour les crimes de

guerre, les crimes contre l’humanité et les crimes de génocide. Soutenir qu’il n’existe pas de

différend revient à nier une réalité aveuglante.

13. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je serai très bref en ce qui

concerne les autres conditions d’application des déclarations d’acceptation de la juridiction de la

Cour.

2. Le différend est postérieur au 2 décembre 1985

14. Chacune des déclarations d’acceptation de la juridiction du Sénégal énonce une

limitation de compétence ratione temporis : comme nous venons de le voi r, 13 juillet 1948 pour la

Belgique, 2décembre1985 pour le Sénégal. Ici, le différend s’est cristallisé lorsqu’il est apparu

que le Sénégal n’extraderait pas Hissène Habré vers la Belgique et qu’il ne le poursuivrait pas non

plus. La Belgique n’a pu obtenir l’extradition de Hissène Habré en novembre 2005 et le Sénégal ne

l’a pas non plus traduit en justice. Comme la Cour l’a dit récemment dans l’affaire des Immunités

juridictionnelles, «le différend concerne indiscutablement des «faits ou situations» qui se situent

entièrement» ( Immunités juridictionnelles de l’Etat (Allemagne c. Italie; Grèce (intervenant)) ,

C.I.J., arrêt du 3 février 2012, p. 20, par. 44.) après les deux dates d’application des déclarations en

cause ⎯ 1948 et 1985 : la condition ratione temporis est donc satisfaite.

3. Il n’existe pas d’autre moyen de régler le différend

15. Les deux déclarations d’acceptation excluent de manière similaire la compétence de la

Cour si les Parties se sont accordées sur un moyen de règlement pacifique autre qu’un recours à la

Cour. Les Parties n’ayant pas convenu de régler leur différend par un moyen autre que celui-là

⎯ le recours à la Cour internationale de Justice ⎯ pour l’obligation de poursuivre Hissène Habré

ou, à défaut, de l’extrader, cette condition est également remplie. - 69 -

4. Le conflit n’entre pas dans la compétence exclusive du Sénégal

16. Avec raison, le Sénégal n’a jamais soutenu que la règle aut dedere aut judicare relèverait

de ses seules affaires intérieures puisqu’il s’agit d’ une question typique de dr oit international: le

Sénégal a-t-il, ou non, rempli les obligations que lui impose le droit international général ? Dans la

mesure où la question se rapporte bel et bien à l’appl ication d’une règle de droit international, elle

170
ne concerne pas les affaires intérieures du Sénégal . La quatrième condition est donc pleinement

satisfaite, elle aussi.

17. Monsieur le président, Mesdames et Me ssieurs de la Cour, il est donc clair que les

déclarations d’acceptation de la juridiction de la Cour par le Sénégal et la Belgique donnent

compétence à la Cour pour connaître de tous les aspects du présent différend.

Ceci clôt mon exposé ainsi que ceux qui l’ont précédé. Si les questions juridiques sont

finalement assez simples, l’abondance des faits à relater tend parfois à leur donner ⎯ vous vous en

serez certainement rendu compte ⎯ une apparence de complexité. Mais la Cour se rendra vite

compte aussi que ce n’est qu’une impression. Comme on l’a écrit, «la simplicité ne précède pas la

complexité, elle la suit» 171.

La Belgique vous remercie en tout cas, Monsie ur le président, Mesdames et Messieurs de la

Cour, de la patiente attention que vous avez accord ée tout au long de cette longue matinée à ses

exposés oraux.

Le PRESIDENT: Merci, Monsieur le prof esseur. Ceci met fin aux plaidoiries de la

Belgique d’aujourd’hui. La Cour se réunira demain matin à 10 heures. L’audience est levée.

L’audience est levée à 13 h 20.

___________

170
Cf. CPJI, Décrets de nationalité, avis du 7 février 1923, Série B n° 4, p. 24-26.
171Alan J. Perlis, «Epigrams on Programming», SIGPLAN Notices, 1982, n° 9, p. 8.

Document Long Title

Audience publique tenue le lundi 12 mars 2012, à 10 h 20, au Palais de la Paix, sous la présidence de M. Tomka, président, en l’affaire relative à des Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal)

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