Audience publique tenue le mercredi 17 octobre 2012, à 15 heures, au Palais de la Paix, sous la présidence de M. Tomka, président, en l'affaire du Différend frontalier (Burkina Faso/Niger)

Document Number
149-20121017-ORA-01-00-BI
Document Type
Number (Press Release, Order, etc)
2012/26
Date of the Document
Bilingual Document File
Bilingual Content

Non corrigé
Uncorrected

CR 2012/26

Cour internationale International Court
de Justice of Justice

LAAYE THHEGUE

ANNÉE 2012

Audience publique

tenue le mercredi 17 octobre 2012, à 15 heures, au Palais de la Paix,

sous la présidence de M. Tomka, président,

en l’affaire du Différend frontalier
(Burkina Faso/Niger)

________________

COMPTE RENDU
________________

YEAR 2012

Public sitting

held on Wednesday 17 October 2012, at 3 p.m., at the Peace Palace,

President Tomka presiding,

in the case concerning the Frontier Dispute
(Burkina Faso/Niger)

____________________

VERBATIM RECORD
____________________ - 2 -

Présents : M. Tomka,président
Sepúl.vvace-poé,ident

OwMaMa.
Abraham
Keith
Bennouna

Skotnikov
Crnçadoe
Yusuf
Greenwood

XuMe mes
Donoghue
Gaja.
Sebutinede

Bhgn.dari,
MaMhiou.
jDgesdet, ad hoc

Cgoefferr,

⎯⎯⎯⎯⎯⎯ - 3 -

Present: Presient ka
Vice-Presipeúnltveda-Amor

Judges Owada
Abraham
Keith
Bennouna

Skotnikov
Cançado Trindade
Yusuf
Greenwood

Xue
Donoghue
Gaja
Sebutinde

Bhandari
Judges ad hoc Mahiou
Daudet

Registrar Couvreur

⎯⎯⎯⎯⎯⎯ - 4 -

Le Gouvernement du Burkina Faso est représenté par :

S. Exc. M. Jérôme Bougouma, ministre de l’administration territoriale, de la décentralisation et de
la sécurité,

comme agent ;

S. Exc. Mme Salamata Sawadogo/Tapsoba, ministre de la justice, garde des sceaux,

S. Exc. M. Frédéric Assomption Korsaga, ambassadeur du Burkina Faso auprès du Royaume des
Pays-Bas,

comme coagents ;

S. Exc. M. Alain Edouard Traoré, ministre de la communication, porte-parole du Gouvernement,

comme conseiller spécial ;

Mme Joséphine Kouara Apiou/Kaboré, directrice générale de l’administration du territoire,

M. Claude Obin Tapsoba, directeur général de l’Institut géographique du Burkina Faso,

M. Benoît Kambou, professeur à l’Université de Ouagadougou,

M. Pierre Claver Hien, historien, chercheur au centre national de la recherche scientifique et
technologique,

comme agents adjoints ;

M.MathiasForteau, professeur à l’Université ParisOuest, Nanterre-La Défense, membre de la

Commission du droit international,

M. Alain Pellet, professeur à l’Université Paris Ouest, Nanterre-La Défense, ancien président de la
Commission du droit international, membre associé de l’Institut de droit international,

M. Jean-Marc Thouvenin, professeur à l’Université Pa ris Ouest, Nanterre-La Défense, directeur du
Centre de droit international de Nanterre, avocat au barreau de Paris (cabinet Sygna Partners),

comme conseils et avocats ;

M. Halidou Nagabila, ingénieur topographe,

M. André Bassolé, expert en géomatique,

M. Dramane Ernest Diarra, administrateur civil,

e
M Benoît Sawadogo, avocat à la Cour,

M Héloïse Bajer-Pellet, avocat au barreau de Paris,

M. Romain Pieri, chercheur en droit international,

M.LudovicLegrand, chercheur au Centre de dr oit international de Nanterre (CEDIN), juriste

(cabinet Sygna Partners),

M. Simplice Honoré Guibila, directeur général des affaires juridiques et consulaires,

M. Daniel Bicaba, ministre conseiller à l’ambassade du Burkina Faso à Bruxelles,

comme conseillers. - 5 -

The Government of Burkina Faso is represented by:

H.E. Mr. Jérôme Bougouma, Minister for Territorial Administration, Decentralization and Security,
Asgent;

H.E. Ms Salamata Sawadogo/Tapsoba, Minister of Justice and Keeper of the Seals,

H.E.Mr. Frédéric Assomption Korsaga, Ambassador of Burkina Faso to the Kingdom of the

Netherlands,
Cso-Agents;

H.E. Mr. Alain Edouard Traoré, Minister of Communication, Government Spokesman,

as Special Adviser;

Ms Joséphine Kouara Apiou/Kabore, Director-General of Territorial Administration,

Mr. Claude Obin Tapsoba, Director-General of the Geographical Institute of Burkina,

Mr. Benoît Kambou, Professor at the University of Ouagadougou,

Mr. Pierre Claver Hien, Historian, Researcher at the National Science and Technology Research
Centre,

Dseputy-Agents;

Mr.Mathias Forteau, Professor at the University of Paris Ouest, Nanterre-La Défense, Member of
the International Law Commission,

Mr. Alain Pellet, Professor at the University of Paris Ouest, Nanterre-La Défense, former Chairman
of the International Law Commission, associate member of the Institut de droit international,

Mr.Jean-Marc Thouvenin, Professor at the University of Paris Ouest, Nanterre-La Défense,
Director of the Centre de droit international de Nanterre (CEDIN), member of the Paris Bar
(Cabinet Sygna partners),

as Counsel and Advocates;

Mr. Halidou Nagabila, Surveying Engineer,

Mr. André Bassolé, Geomatics Expert,

Mr. Dramane Ernest Diarra, Civil Administrator,

Maître Benoît Sawadogo, Avocat à la Cour,

Maître Héloïse Bajer-Pellet, member of the Paris Bar,

Mr. Romain Pieri, International Law Researcher,

Mr. Ludovic Legrand, Researcher at the Centre de droit international de Nanterre (CEDIN), Lawyer
(Cabinet Sygna partners),

Mr. Simplice Honoré Guibila, Director-General of Legal and Consular Affairs,

Mr. Daniel Bicaba, Minister-Counsellor, Embassy of Burkina Faso in Brussels,
Asdvisers. - 6 -

Le Gouvernement du Niger est représenté par :

S. Exc. M. Mohamed Bazoum, ministre d’Etat, ministre des affaires étrangères, de la coopération,
de l’intégration africaine et des Nigériens à l’extérieur, président du comité d’appui aux conseils
du Niger,

comme chef de la délégation et agent ;

S. Exc. M. Abdou Labo, ministre d’Etat, ministre de l’intérieur, de la sécurité publique, de la
décentralisation, et des affaires religieuses,

comme coagent ;

S. Exc. M Karidio Mahamadou, ministre de la défense nationale,

S. Exc. M. Marou Amadou, ministre de la justice, garde des sceaux, porte-parole du gouvernement,

S. Exc. M. Issaka Djibo, ambassadeur de la République du Niger auprès du Royaume des

Pays-Bas,

comme coagents adjoints ;

M.Sadé Elhadji Mahaman, conservateur des archives et bibliothèques, coordonnateur du

secrétariat permanent du comité d’appui aux conseils du Niger,

comme agent adjoint ;

M.JeanSalmon, professeur émérite de l’Université libre de Bruxelles, membre de l’Institut de
droit international, membre de la Cour permanente d’arbitrage,

comme conseil principal ;

M. Maurice Kamto, professeur agrégé de droit public , avocat au barreau de Paris, ancien doyen de
la faculté des sciences juridiques et politiques de l’Université de Yaoundé II, ancien président et
membre de la Commission du droit internationa l, membre associé de l’Institut de droit

international,

M.PierreKlein, professeur de droit et directeur adjoint du Centre de droit international de
l’Université libre de Bruxelles,

M.AmadouTankoano, professeur de droit internatio nal, enseignant-chercheur et ancien doyen de
la faculté de sciences économiques et juridiqu es de l’Université AbdouMoumouni de Niamey
du Niger,

comme conseils ;

Mme MartynaFalkowska, chercheuse au Centre de droit international à l’Université libre de
Bruxelles,

comme assistante des conseils ; - 7 -

The Government of Niger is represented by:

H.E.Mr. Mohamed Bazoum, Minister of State for Foreign Affairs, Co-operation, African
Integration and Nigeriens Abroad, Chairman of the Support Committee to Counsel for Niger,

as Head of the Delegation and Agent;

H.E.Mr.Abdou Labo, Minister of State for the Interior, Public Security, Decentralization and
Religious Affairs,

as Co-Agent;

H.E. Mr. Karidio Mahamadou, Minister of National Defence,

H.E. Mr. Marou Amadou, Minister of Justice, Keeper of the Seals, Government Spokesman,

H.E. Mr. Issaka Djibo, Ambassador of Niger to the Kingdom of the Netherlands,

as Deputy Co-Agents;

Mr.Sadé Elhadji Mahaman, Curator of Archives and Libraries, Co-ordinator of the Permanent
Secretariat of the Support Committee to Counsel for Niger,

as Deputy Agent;

Professor Jean Salmon, Professor emeritus of the Université Libre de Bruxelles, Member of the
Institut du droit international, member of the Permanent Court of Arbitration,

as Lead Counsel;

Professor Maurice Kamto, Professor agrégé of public law, member of the Pa ris Bar, former Dean

of the Faculty of Law and Political Science at the University of YaoundéII, former Chairman
and Member of the International Law Commissi on, associate member of the Institut de droit
international,

Professor Pierre Klein, Professor of Law at the Université Libre de Bruxelles, Deputy-Director of
the Centre of International Law,

Professor Amadou Tankoano, Professor of International Law, former Dean of the Faculty of

Economic and Legal Science, Lecturer and Re searcher at Abdou Moumouni University in
Niamey, Niger,

as Counsel;

MsMartyna Falkowska, Researcher at the Centre of International Law, Université Libre de
Bruxelles,

as Assistant; - 8 -

Le général Maïga Mamadou Youssoufa, gouverneur de la région de Tillabéri,

M.AmadouTcheko, directeur général des affaires juridiques et consulaires au ministère des
affaires étrangères, de la coopéra tion, de l’intégration africaine et des Nigériens à l’extérieur,
coordinateur adjoint du comité d’appui aux conseils du Niger,

Le colonelMahamaneKoraou, secrétaire permanent de la commission nationale de frontières,
membre du comité d’appui aux conseils du Niger (en retraite),

M. Mahamane Laminou Amadou Maouli, magistrat, rapporteur du comité d’appui aux conseils du

Niger,

M.HassimiAdamou, ingénieur géomètre principa l, directeur général de l’Institut géographique
national du Niger, membre du comité d’appui aux conseils du Niger,

M.HamadouMounkaila, ingénieur géomètre princi pal à la commission nationale des frontières,
membre du comité d’appui aux conseils du Niger,

M. Mahamane Laminou, ingénieur géomètre principal, expert à l’institut géographique national du

Niger, membre du comité d’appui aux conseils du Niger,

M. Soumaye Poutia, magistrat, membre du comité d’appui aux conseils du Niger,

M. Idrissa Yansambou, directeur des archives nationales du Niger, membre du comité d’appui aux
conseils du Niger,

M. Belko Garba, ingénieur géomètre, membre du comité d’appui aux conseils du Niger,

Le général Yayé Garba, ministère de la défense nationale, membre du comité d’appui aux conseils
du Niger,

M. Seydou Adamou, conseiller technique du ministre d’Etat, ministre des affaires étrangères, de la

coopération, de l’intégration africaine et des Nigériens à l’extérieur,

M. Abdou Abarry, directeur général des relations bilatérales au ministère des affaires étrangères, de
la coopération de l’intégration africaine et des Nigériens à l’extérieur,

Le colonel Harouna Djibo Hamani, directeur de la coopération militaire, des opérations et du
maintien de la paix au ministère des affaires étrangères, de la coopération, de l’intégration
africaine et des Nigériens à l’extérieur,

comme experts ;

M. Ado Elhadji Abou, ministre conseiller à l’ambassade du Niger à Bruxelles,

M. Chitou Boubacar, chargé du protocole à l’ambassade du Niger à Bruxelles,

M. Salissou Mahamane, agent comptable du comité d’appui aux conseils du Niger,

M.AbdoussalamNouri, secrétaire principal au secrétariat permanent du comité d’appui aux
conseils du Niger,

Mme Haoua Ibrahim, secrétaire au secrétariat permanent du comité d’appui aux conseils du Niger,

comme personnel d’appui. - 9 -

General Maïga Mamadou Youssoufa, Governor of the Region of Tillabéri,

Mr.Amadou Tcheko, Director-General of Legal and Consular Affairs at the Ministry of Foreign
Affairs, Co-operation, African Integration and Nigeriens Abroad, Deputy Co-ordinator of the
Support Committee to Counsel for Niger,

Col. (retired) Mahamane Koraou, Permanent Secretary to the National Boundaries Commission,
member of the Support Committee to Counsel for Niger,

Mr.Mahamane Laminou Amadou Maouli, Magistra t, Rapporteur of the Support Committee to

Counsel for Niger,

Mr.Hassimi Adamou, Chief Surveyor, Director-Gen eral of the National Geographical Institute of
Niger (NGIN), member of the Support Committee to Counsel for Niger,

Mr. Hamadou Mounkaila, Chief Surveyor at the National Boundaries Commission, member of the
Support Committee to Counsel for Niger,

Mr.Mahamane Laminou, Chief Surveyor, Expert at the National Geographical Institute of Niger

(NGIN), member of the Support Committee to Counsel for Niger,

Mr. Soumaye Poutia, Magistrat, member of the Support Committee to Counsel for Niger,

Mr.Idrissa Yansambou, Director of the National Archives of Niger, member of the Support
Committee to Counsel for Niger,

Mr. Belko Garba, Surveyor, member of the Support Committee to Counsel for Niger,

General Yayé Garba, Ministry of National Defe nce, member of the Support Committee to Counsel
for Niger,

Mr. Seydou Adamou, Technical Adviser to the Minister of State for Foreign Affairs, Co-operation,

African Integration and Nigeriens Abroad,

Mr.Abdou Abarry, Director-General of Bilatera l Relations, Ministry of Foreign Affairs,
Co-operation, African Integration and Nigeriens Abroad,

Col. Harouna Djibo Hamani, Director of Milita ry Co-operation and Peace-Keeping Operations,
Ministry of Foreign Affairs, Co-operation, African Integration and Nigeriens Abroad,

as Experts;

Mr. Ado Elhadji Abou, Minister-Counsellor, Embassy of Niger in Brussels,

Mr. Chitou Boubacar, Protocol Officer, Embassy of Niger in Brussels,

Mr. Salissou Mahamane, Accountant of the Support Committee to Counsel for Niger,

Mr.Abdoussalam Nouri, Principal Secretary, Perm anent Secretariat of the Support Committee to

Counsel for Niger,

MsHaoua Ibrahim, Secretary, Permanent Secretariat of the Support Committee to Counsel for
Niger,

as Support Staff. - 10 -

Le PRESIDENT: Veuillez vous asseoir. L’audience est ouverte. La Cour se réunit

aujourd’hui pour entendre le second tour de plaidoiries de la République du Niger. J’invite

maintenant professeur Maurice Kamto pour ouvrir le second tour de plaidoiries du Niger.

M. KAMTO : Merci, Monsieur le président.

L E DROIT APPLICABLE

1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, le Burkina Faso a ouvert ses

plaidoiries du second tour par un retour sur la question du droit applicable. Après avoir évoqué en

termes fleuris ce qu’il présente comme le «talen t» du Niger «quelquefois touchant» pour le

«conte» 1, mon éminent collègue, le professeurAlainPellet, en appelle au «retour à la réalité des

2
faits et à la lex dura». Il ne faut jamais désespérer, Mesdames et Messieurs les juges, car tout finit

par arriver. Voici qu’enfin le BurkinaFaso se d it prêt à parler des faits; un peu trop tard, mais

qu’à cela ne tienne. Le Niger s’est évertué à mont rer depuis le début de la présente procédure, et

même lors des travaux de la commission mixte dé jà, combien il est nécessaire dans une affaire de

ce genre que le droit s’applique à la lumière de s faits, ou que ceux-ci éclairent l’application du

droit. Le Niger reviendra sur cette question essentielle des faits dans la réalisation du droit, après

avoir répondu à ce qui ressemble à un baroud d’ho nneur du BurkinaFaso, successivement sur la

question de la date critique, le statut de l’accord du 28 mars 1987 et le rôle des effectivités dans la

présente affaire. Mais avant cela, permettez-moi, Monsieur le président, de répondre à quelques

questions préliminaires.

I. Quelques questions préliminaires

2. Ces questions sont au nombre de deux: d’une part, la question posée par

Mme la juge Donoghue, d’autre part, la nature de l’entente constituée par l’échange des lettres des

29 octobre et 2 novembre 2009 et la preuve de sa ratification par le Niger.

1
CR 2012/25, p. 10, par. 1 (Pellet).
2Ibid., p. 10, par. 2 (Pellet). - 11 -

A. Réponse à la question de Mme la juge Donoghue

3. Le vendredi 12 octobre dernier, Mme la juge Donoghue a posé la question ci-après : «Les

Parties sont-elles liées, au regard du droit internatio nal, par les résultats de la démarcation de la

frontière auxquels il est fait référence au paragra phe 2 de l’article 2 du compromis ?» La réponse

du Niger est la suivante : la République du Niger est liée, et s’est toujours considérée comme liée,

au regard du droit international, par les résultats contenus dans l’entente constituée par l’échange

des lettres des 29 octobre et 2 novembre 2009 entre le Burkina Faso et la République du Niger.

4. Mon éminent collègue, le professeurJean Salmon, répondra, quand vous lui donnerez la

parole au cours de ce second tour de plaidoiries du Niger, à la question posée par

M. le juge Bennouna.

B.La nature de l’entente constituée pa r l’échange des lettres des 29 octobre et

2 novembre 2009

5. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, les résultats de la démarcation

de la frontière en question sont en effet consi gnés dans une entente sous forme d’un échange de

lettres en date des 29 octobre et 2 novembre 2009 entre le Niger et le Burkina Faso.

6. «Entente», à écouter le Burkina Faso, c’est presque un gros mot. La Partie adverse a fait

grand cas de la traduction par le Greffe de ce mot «entente» par « agreement», estimant

qu’«understanding» par exemple aurait mieux traduit «entente» que le mot « agreement» 3. Car

pour le BurkinaFaso, il ne peut s’agir d’un accord, au contraire notamment du compromis du

24février2009, qui n’est pas «une simple «entente»,… un understanding à la portée juridique

4
incertaine» .

7. Monsieur le président, je plaide la fatigue pour mon éminent contradicteur, le

professeurAlainPellet, qui a engagé cette querelle sémantique et m’abstiendrai donc de toute

empoignade sur la question. Qu’il me suffise de rappeler ici ⎯ et que la Cour veuille bien me le

pardonner ⎯ une disposition archiconnue d’une convention que tous les internationalistes

connaissent fort bien. L’article2, alinéa1 a) de la convention de Vienne de1969 sur le droit des

3
CR 2012/25, p. 12, par. 6 (Pellet).
4Ibid., p. 15-16, par. 15 (Pellet). - 12 -

traités ⎯ à laquelle le Niger a adhéré en 1971 et le Burkina Faso en 2006 ⎯ dispose en des termes

non équivoques :

«1. Aux fins de la présente convention :

a) L’expression «traité» s’entend d’un accord international conclu par écrit entre
Etats et régi par le droit international, qu’il soit consigné dans un instrument

unique ou dans deux ou plusieurs instruments connexes, et quelle qu’en soit sa
dénomination particulière.»

Oui, je plaide la fatigue de mon savant collègue, car elle seule peut expliquer l’oubli de cette

disposition. J’ajouterai seulement que de nombre ux accords bilatéraux sont conclus entre Etats au

moyen d’échange de lettres, comme cela ressort de la jurisprudence internationale et en particulier

de diverses affaires dont votre Cour a eu à connaître 5 .

8. L’entente constituée par les échanges des lettres des 29 octobre et 2 novembre 2009 entre

le Burkina Faso et le Niger est donc bien un accord au sens du droit international. Tel est le «droit

positif» que la Partie adverse a exalté, non sans malice, dans sa plaidoirie introductive de lundi

6
dernier .

9. Dans le cadre de sa réponse à la ques tion de MmelajugeDonoghue, un conseil du

BurkinaFaso a remis en cause le fait que la ratification de l’ échange de lettres de2009 soit

7
effectivement intervenue au Niger . Afin de lever toute ambiguïté sur ce point, le Niger a produit,

conformément à l’instruction de procédure IX de la Cour, la

«loi n o 2011-38 du 3décembre2011, autorisant l’approbation des notes concernant
l’entente des Parties dans les secteurs déli mités de la frontière entre la République du

Niger et le BurkinaFaso, signée le 29oct obre par le ministre délégué chargé de la
coopération régionale du BurkinaFaso et le 2novembre2009 par le ministre des

affaires étrangères et de la coopération du Niger».

Cette loi a été publiée au Journal officiel de la République du Niger le 19décembre2011 8. Les

o
membres de la Cour en trouveront le texte sous l’onglet n 21 du dossier des juges. En vertu de

cette loi, le président de la République du Niger a signé l’acte de ratification par lequel, «[a]yant vu

5
Voir par exemple Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Ni géria (Cameroun c.Nigéria;
Guinée équatoriale (intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2002, p. 332, par. 34.
6
Ibid., p. 10, par. 1 (Pellet).
7 Ibid., p. 12-13, par. 7 (Pellet).

8 Journal officiel de la République du Niger, Spécial n 20, 19 décembre 2011, p. 1490. - 13 -

et examiné ledit accord», il affirme : «Déclarons qu’il est accepté, ratifié et confirmé, et promettons

qu’il sera inviolablement observé.»

10. Par une lettre datée du 13février2012, le ministre des affaires étrangères, agent de la

République du Niger, a informé son homologue burki nabè du fait que la procédure de ratification

était arrivée à son terme au Niger. Les termes de sa lettre, que vous trouverez sous l’onglet n o 22,

sont les suivants :

«Me référant à l’échange des notes susvisées consacrant l’entente des Parties
sur les secteurs délimités de la frontière de nos deux pays, j’ai l’honneur de vous

informer que le Niger vient de procéder à la ratification de cet échange de notes
conformément à la procédure constitutionnelle en vigueur.

Aussi, dans le cas où le Burkina Faso a également accompli cette formalité en
conformité à sa procédure interne, je vous suggérerais que nous procédions à
l’échange des instruments de ratification à une date à fixer dès que possible d’un
commun accord.»

Cette lettre n’a manifestement guère retenu l’attention de son des tinataire puisqu’elle n’a reçu

aucune suite de la part du Gouve rnement du Burkina Faso. Et comme les plaidoiries de ce lundi

l’ont montré, elle semble également avoir été perdue de vue par la Partie a dverse dans le cadre de

la présente instance. Le Niger ne peut que le regretter, mais il prend volontiers acte des excuses qui

lui ont été présentées à ce sujet par l’agen t adjoint du BurkinaFaso dans sa lettre

du16octobre2012. L’incident peut donc être c onsidéré clos, en ce qui concerne le Niger. Il

confirme en tout cas l’importance que le Niger attache au respect de ses engagements

internationaux. Aucun doute ne peut plus subsister à cet égard.

11. Ceci ne règle pas pour autant la question de la portée juridique de cette entente, au sujet

de laquelle les Parties restent divisées. Le Burkina Faso a déclaré que

«[s]i cet échange de lettres constitue un traité au sens du droit international, soumis à
ratification en vertu de l’article7 de l’acco rd de1987, comme l’a affirmé l’agent du
Niger, il n’est alors, en tout cas, pas «jurid iquement consacré» en droit pour reprendre

l’expression du Niger à propos du tracé consensuel de 1988 et du compromis politique
de 1991 ; il n’a en effet pas été ratifié par les deux Etats ; il demeure, par conséquent,
juridiquement non obligatoire entre les Parties» . 9

Le Niger convient qu’un accord bilatéral soumis à ratification, mais non encore ratifié par les deux

Etats concernés, ne fait pas droit entre ces derniers. Mais il ne tenait ⎯et il ne tient toujours

9
CR 2012/25, p. 12-13, par. 7 (Pellet). - 14 -

d’ailleurs ⎯ qu’au BurkinaFaso, s’il veut que ledit accord devienne un instrument juridique

contraignant entre lui et le Niger, d’accomplir à son tour les formalités de ratification requises afin

que les deux Etats procèdent à l’échange des in struments de ratification pour parachever le

processus, au lieu de demander à la Cour de faire ce qui, en droit international, relève

principalement des Etats eux-mêmes. La Cour, si respectable et respectée soit-t-elle, ne conclut pas

les traités ; elle tranche les différends. Il ne lui appartient pas d’apporter par une res judicata une

onction à un accord international valablement conclu.

12. Après ces questions préliminaires, j’en viens maintenant à certains aspects du droit

applicable sur lesquels nos contradicteurs sont revenus à la charge. Il s’agit, successivement, du

statut de l’accord du 28mars1987, de la questi on de la «date critique» et du rôle des effectivités

dans la présente affaire.

II. Le statut de l’accord du 28 mars 1987 dans la présente affaire

13. Mesdames et Messieurs de la Cour, l’interprétation que vous ferez des dispositions de

l’article6 du compromis du 24février2009 sera une d es clefs de la présente affaire. La Partie

adverse essaie de tirer partie de tout ce qui est à sa portée, mais le texte du compromis de 2009 n’a

pas besoin d’être comparé à un autre pour livrer s on sens. Il est évident pour chacun que la teneur

d’un compromis de saisine de la Cour peut varier ⎯et varie généralement ⎯ d’une affaire à

l’autre. C’est que devant l’identité appa rente de l’objet des différends frontaliers ⎯ en

l’occurrence la délimitation de la frontière ⎯ chaque affaire à sa propre histoire. Ce qui importe

ici, c’est ce que dit le compromis et comment il do it être compris au regard du droit international.

Ce qui importe dans la présent affaire, c’est ce que dit le compromis du 24 février 2009 à propos du

droit applicable et non pas ce qu’il ne dit pas, ou ce que disent à ce sujet d’autres compromis qui

furent conclus dans d’autres affaires de délimitation de la frontière terrestre. Pour montrer à quel

point le renvoi à l’accord de1987 dans le compro mis de février2009 est «crucial» --je cite la

Partie adverse ⎯, la Partie adverse rappelle qu’un tel renvoi n’existait pas dans le compromis dans

l’affaire Burkina Faso/République du Mali, et que - 15 -

«par son silence, [ce] compromis…renvoyait au droit général; celui dans
Bénin/Niger n’allait pas beaucoup plus loin: les règles et principes du droit
international de l’article 38 et de l’uti possidetis juris, ce n’est pas très compromettant.
Mais le renvoi à l’accord de1987, c’est autre chose, et c’est autrement plus
10
contraignant.»

Le raisonnement est difficile à suivre; car pour quoi, diable!, le compromis de1983 entre le

BurkinaFaso et le Mali ou celui conclu entre le Bénin et le Niger auraient-ils renvoyé à l’accord

de 1987 ?

14. Le Niger comprend que la Partie adverse cherche à claquemurer la présente procédure

dans cet accord de1987 en ce qui concer ne les moyens de preuves et dans l’ erratum à l’arrêté

de1927 en ce qui concerne le tracé de la frontiè re litigieuse. Mais il fa ut pouvoir démontrer de

façon convaincante pourquoi la Cour devrait abandonner sa jurisprudence bien établie, d’une part,

en ce qui concerne sa méthodologie dans la déli mitation du tracé dans chaque secteur litigieux

d’une frontière, et en matière d’admissibilité des preuves à cet égard; d’autre part, pourquoi les

dispositions de l’article6 du compromis du 24fé vrier2009 devraient être appliquées de manière

sélective. Car le Burkina Faso donne à cet égard l’impression de faire du pick and choose

⎯comme on dirait dans la langue anglaise ou américaine, les deux utilisant cette expression ⎯,

comme si les sources du droit applicable énumérées dans cet article étaient une shopping list .

Permettez-moi de rappeler que l’article 6 en question s’intitule «Droit applicable» et qu’il dispose :

«Les règles et principes du droit international qui s’appliquent au différend sont
ceux énumérés au paragraphe1 de l’article38 du Statut de la Cour internationale de
Justice, y compris le principe de l’in tangibilité des frontières héritées de la
colonisation et l’accord du 28 mars 1987.»

Je ne céderai pas à la tentation de m’engager da ns un exercice d’interprétation de cet article. Je

relèverai néanmoins que notre confrère de l’autre côté de la barre a glissé dans sa plaidoirie de

lundi dernier, l’air de ne pas y toucher, ⎯ mais cela n’a pu vous écha pper Mesdames et Messieurs

les juges ⎯ que cet accord, «c’est le droit, la lex specialis, qui s’impose aux Parties et, du même

coup, à la Cour» 11.

15. Ainsi, pour le Burkina Faso, le droit applicable ⎯ tout le droit applicable ⎯ à la présente

espèce serait l’accord du 28mars1987. Afin de don ner une illustration visuelle de cette étrange

10
CR 2012/25, p. 14, par. 12 (Pellet).
11
Ibid., p. 14, par. 11 (Pellet). - 16 -

conception de l’application d’une disposition d’un accord rédigée en une phrase unique, voici

[projection du texte complet de l’article 6] ce que dit l’article 6 du compromis du 24 février 2009,

et voici [projection du texte de l’article sans les passages que le Burkina Faso ne prend pas en

compte] comment le BurkinaFaso le comprend. Le Niger vous a, semble-t-il, bercé d’un conte;

mais il n’a pas le pouvoir de faire disparaître, comme par enchantement, des passages entiers d’un

texte juridique. Oui, Mesdames et Messieurs les juges, le BurkinaFaso fait mieux: on appelle

cela, je crois, de la prestidigitation ! Du coup il ne reste plus que cette fameuse «loi spéciale» 1, ce

«traité que les Parties ont adopté tout à fait libre ment et consciemment, et qui fait droit entre

elles» 1. Comme si le compromis du 24 février 2009, don t la Partie adverse occulte de la sorte les

dispositions, n’était pas pour sa part un traité ; comme si les dispositions de l’article 6 de ce traité

sur lequel se fonde la compétence de la Cour dans la présente affaire avaient, elles, été adoptées

sous la contrainte et inconsciemment, et que ce compromis ne fait pas droit entre les Parties.

16. Mesdames et Messieurs de la Cour, l’ article6 du compromis du 24février2009 a été

rédigé de telle manière que la Cour puisse appli quer, aux fins du règlement du présent litige, tous

les principes et règles de droit international da ns lesquels les Parties ont entendu inclure les

dispositions de l’accord de 1987 sans les substituer à l’ensemble des règles et principes du droit

international pertinents tant en matière de procé dure devant la Cour qu’en matière de délimitation

de leur frontière terrestre. De toute évidence, si les Parties au compromis de 2009 avaient voulu

que la Cour applique seulement l’accord du 28 mars 1987, et rien que cet accord, au règlement du

présent litige, elles ne se seraient pas encombrées de la référence au paragraphe 1 de l’article 38 du

Statut de la Cour, et au principe de l’intangib ilité des frontières héritées de la colonisation. Si,

seule, cette soi-disant lex specialis de 1987 était applicable au présent litige dans sa phase

contentieuse actuelle devant la Cour, la Par tie adverse devrait dire quand, à qui ou à quoi

s’appliquerait la lex generalis visée dans le même article 6 ? Mais elle n’en a pas dit un seul mot,

parce que cette lex generalis a disparu soudain ; elle n’existe plus à ses yeux.

17. Le comble, Monsieur le président, c’est que le BurkinaFaso n’est pas fidèle à cette loi

spéciale qu’il revendique à cor et à cri. Critiqua nt la Partie nigérienne d’avoir parlé «trop

12
CR 2012/25, p. 16, par. 16 (Pellet).
13Ibid., p. 15, par. 13 (Pellet). - 17 -

abstraitement» de l’uti possidetis dans ses plaidoiries du premier tour, la Partie adverse allègue que

le Niger l’a fait

«sans tenir compte du fait qu’il doit s’app liquer, dans notre espèce, en tenant

pleinement compte du compromis ; du renvoi qu’il effectue à l’accord de 1987 et des
mentions, exclusives, que fait ce dernie r, de l’arrêté de 1927 et de son erratum, d’une
part, et, à titre subsidiaire, de la carte de l’IGNFrance de 1960, d’autre part. Or, le
droit applicable c’est avant tout cela.» 14

Plus de référence du tout à «tout autre document accepté d’accord parties» qui est le troisième type

de documents dont l’article2 de l’accord de 198 7 prévoit l’application en cas d’insuffisance de

l’arrêté et de son erratum».

18. Ne vous y méprenez pas, Mesdames et Messieurs les juges, il ne s’agit pas d’un oubli,

mais bien d’une omission délibérée. Nos contradicteurs sont très attachés ⎯du moins en

apparence ⎯ à cet article et en connaissent parfaiteme nt la teneur exacte pour commettre pareil

oubli. La vérité c’est que la mention de tout autre document accepté d’accord parties contrarie la

démarche de la Partie adverse qui soutient qu’un tel accord n’est pas intervenu depuis lors. Alors

le Burkina Faso rabote l’article 2 de l’accord, et ne laisse plus subsister que l’arrêté tel que modifié

par son erratum et la carte IGN de 1960.

19. Pour le Niger, les dispositions de l’ article2 du compromis de février2009 forment un

tout que la Cour est appelée à interpréter et à appliquer en tenant compte : premièrement, de ce que

l’accord du 28mars1987 qui y est visé a été conc lu dans le cadre d’un processus bilatéral de

démarcation de la frontière où les Parties av aient énuméré limitativement les documents et

matériaux qu’elles entendaient prendre en compte aux fins de cet exercice; deuxièmement, de ce

que la Cour ne saurait se priver des moyens de vant concourir à la manifestation de la vérité

judiciaire dans la présente affaire, en admettant l’exclusion des éléments de preuves que les Parties

n’ont nullement entendu écarter en cette phase contentieuse du règlement de leur différend

frontalier.

20. J’en viens maintenant à la question de la date critique.

14
CR 2012/25, p. 16, par. 16 (Pellet). - 18 -

III. La date critique dans la présente affaire

21. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, dans ses plaidoiries de la

semaine dernière, le Niger a défendu une conception de l’ uti possidetis fondée sur la jurisprudence

de la Cour, notamment sur l’a rrêt rendu par la Chambre de la Cour le 22décembre1986 dans

l’affaire BurkinaFaso/République du Mali . Comme cet arrêt semble gênant pour nos

contradicteurs. A défaut de tr ouver une faille dans l’exploitation que nous en faisons, la Partie

adverse critique, je dirais, la sonor ité de notre voix, rien que cela . Car, lorsque c’est elle qui

invoque cet arrêt ⎯ puisqu’elle le fait ⎯aussi mais d’une manière sur laquelle je

15
reviendrai ⎯ lorsque c’est le Burkina Faso qui invoque cet arrêt, il le «cite» ; mais quand ce sont

les conseils du Niger qui s’y réfèrent, «ils récitent comme un bréviaire» 16. A propos de ce que dit

l’exposé du Niger sur la date critique, la Pa rtie adverse juge notre conception «fort

rigide ⎯ formaliste … ». Selon elle, le Niger «la veut unique et [la] somme de choisir ⎯ ou plutôt

il proclame que la seule date critique à prendr e en considération est celle des indépendances» 17.

Mais ce n’est pas le Niger qui est «rigide» dans sa conception de la date critique, Mesdames et

Messieurs les juges, c’est la jurispruden ce constante de cette Cour qui nous l’impose ⎯ au Niger

comme au BurkinaFaso. Le Burkina se dit du reste «tout à fait prêt à admettre que, pour

18
l’application du principe de l’uti possidetis , c’est dans notre affaire, août1960» . Pourquoi n’en

reste-t-il pas là ? Car au lieu de cela la Partie adverse se lance dans une démonstration plutôt à côté

du sujet en s’obstinant à essayer de convaincre qu’i l peut y avoir malgré tout plusieurs dates

critiques. La «notion de date critique n’est pas univoque» 19affirment nos contradicteurs: d’une

part, elle intervient aussi bien pour «dét erminer la date à laquelle le principe uti possidetis

20
s’applique» que pour «fixer la date à laquelle un différend s’est cristallisé» ; d’autre part, «et plus

largement, l’expression sert, en réalité, à désigne r toute date à laquelle il faut s’arrêter pour

21
apprécier le statu quo territorial (qu’il soit, d’ailleurs, territorial ou non)» .

15CR 2012/25, p. 15, par. 15 (Pellet).

16Ibid., p. 15, par. 14 (Pellet).
17
Ibid., p. 16, par. 17 (Pellet).
18
Ibid., p. 16, par. 18 (Pellet).
19Ibid., p. 16, par. 18 (Pellet).

20Ibid.

21Ibid. - 19 -

22. J’ignore à qui ou à quoi répond ce passage d es plaidoiries de la Partie adverse. A aucun

moment le Niger ne s’est livré à des considérations générales sur la notion de la date critique en

droit international. C’est la date criti que, dans le cadre de l’application de l’uti possidestis dans un

contexte de décolonisation que le Niger a déga gée de la jurisprudence de la Cour. Nos

contradicteurs sont donc sur ce point tout à fait à côté du sujet. D’ailleurs aucun des arrêts qu’ils

citent au soutien de leur argumentation à la note22 du compterendu des audiences du lundi

15octobre n’a trait à une affaire de délimitation frontalière à la suite de la décolonisation. Bien

plus, lorsque nos contradicteurs se réfèrent à l’affaire BurkinaFaso/République du Mali pour

soutenir ces généralités sur la date critique, c’est d’une manière tout à fait incorrecte ⎯ pour rester

dans la correction. Lundi dernier, la Partie a dverse vous a fait croire que dans cette affaire, la

Chambre de la Cour «a d’abord expliqué qu’une première date critique était les indépendances».

Or, non seulement nulle part dans l’arrêt du 22décembre1986 il n’y a l’expression ou même

seulement l’idée d’une «première date critique», mais nos contradicteurs ne vous ont pas dit quand

se situait la seconde date critique, car le Niger pense que s’il y a une première, il doit y avoir une

seconde.

23. Or que vous dit le Burkina Faso sur ce point , Mesdames et Messieurs les juges ? Qu’en

dehors de la première date cr itique de1960, «la Chambre de 1986 a dû effectuer un retour en

arrière, un flashback, pour déterminer [le] «contenu» [de l’ uti possidetis] ⎯ c’est-à-dire le tracé de

22
la frontière» . Il cite alors d’une manière critiquable, parce que, à la fois tronqué et hors contexte,

l’arrêt de la Chambre pour accréditer ses affirmations . Selon la Partie adverse, la Chambre aurait

dit :

«la tâche de la Chambre consiste en l’espèce à indiquer le tracé de la frontière dont les

deux Etats ont hérité du colonisateur lo rs de leur accession à l’indépendance …
[C]ette tâche revient en l’occurrence à rechercher et à établir les lignes qui
constituaient les limites administratives de la colonie de la Haute-Volta jusqu’au
31 décembre 1932.»

Or voici ce que dit exactement la Cour :

22
CR 2012/25, p. 17, par. 19 (Pellet). - 20 -

«la tâche de la Chambre consiste en l’espèce à indiquer le tracé de la frontière dont les

deux Etats ont hérité du colonisateur lors de leur accession à l’indépendance. Pour les
raisons exposées ci-dessus, cette tâche revient en l’occurrence à rechercher et à établir
les lignes qui constituaient les limites administratives de la colonie de la Haute-Volta
jusqu’au 31décembre1932. Certes les Parties auraient pu modifier la frontière

existant à la date critique par un accord postérieur. Si donc les autorités compétentes
avaient entériné l’accord du 15janvier1965, il aurait été inutile, aux fins de la
présente affaire, de rechercher si cet accord avait un caractère déclaratoire ou

modificatif au regard de la limite de 1932. » ( Différend frontalier (Burkina
Faso/République du Mali), arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 632-633, par. 148.)

24. Premièrement, l’omission du bout de phrase «Pour les raisons exposées ci-dessus» ne

permet pas de comprendre pourquoi la Chambre dit que sa tâche, ici, est de rechercher les limites

de1932. Ce bout de phrase renvoie au paragraphe 142 de l’arrêt où la Chambre déclare qu’elle

«constate que les éléments à sa disposition ne suffisent pas toujours à établir lequel des tracés

possibles coïncide avec celui qui existait réellement en 1932». De uxièmement, comme on peut le

constater aisément, la suite non reproduite de la citation montre clairement que la date critique

⎯la seule date critique à laquelle la Chambre fait référence ici ⎯ est bien 1960, date des

indépendances des deux Parties au litige, comme l’indique la référence à un accord de1965 qui

aurait pu être un accord postérieur modificatif de la frontière existante. Oui, Mesdames et

Messieurs les juges, le Niger préfère réciter les arrêts de la Cour «comme un bréviaire», avec la

fidélité qui s’impose aux croyants à l’égard des écritures sacrées.

25. Mais il n’a pas suffi à la Partie adve rse de se livrer à une citation cursive de la

jurisprudence à propos de la date critique. Elle s’est livrée en outre à un voyage transtemporel qui

défie l’imagination. Selon nos contradicteurs, «1960 renvoie à 1947. Mais il faut encore aller un

peu plus loin dans le temps car, au fond, 1987 (du fait de l’accorddes Parties du 28mars)

«enjambe»…toute cette période, et renvoie à l’ erratum de1927 avec un zoom avant sur la carte

de1960 en cas d’insuffisance de celui-ci.» 23 1987 «enjambe» toute la longue période de 1986

à 1927, en faisant un zoom au passage sur la carte IGN de 1960. On se demande à quoi lui servirait

ce zoom puisque le BurkinaFaso nous invite à re tourner dans les limbes de l’année primordiale

de 1927 où tout est parfait s’agissant du tracé de la frontière ; il demande en même temps que l’on

«enjambe» aussitôt la même période ⎯mais en sens inverse ⎯ pour traduire ce tracé immuable

23
CR 2012/25, p. 17, par. 20 (Pellet). - 21 -

de1927 sur le terrain, pour servir de frontière à ce qui est devenu la République du Niger et le

24
Burkina Faso. Quelle flamboyante fiction ! Entr e le «château de cartes échafaudé par le Niger»

et ce remarquable château de sable de la Partie adverse, on peut imaginer ce qui résiste un tout petit

peu plus. Il est un fait incontestable, Monsieur le président : dans le cadre de l’application de l’ uti

possidetis dans un contexte de décolonisation ⎯comme c’est le cas dans la présente espèce ⎯,

1960, qui est ici la date des indé pendances, ne peut renvoyer à d’au tre date qu’à 1960, unique date

critique à laquelle on doit déterminer le contenu du legs colonial.

26. Il me reste maintenant, pour terminer mes plaidoiries, à répondre à quelques critiques qui

ont été adressées par la Partie adverse au Nige r au cours du second tour des plaidoiries du Burkina

sur le rôle des effectivités dans la présente affaire.

IV. Le rôle des effectivités dans la présente affaire

27. Monsieur le président, Mesdames et Messieu rs les juges, le Niger vous a dit que, pour

lui, la présente affaire correspondait à la quatrième des hypothèses dégagées par la Chambre dans

l’affaire Burkina Faso/République du Mali, celle où le titre étant insuffisant ⎯ pas inexistant, pas

absent mais insuffisant ⎯ et où les effectivités peuvent venir le compléter. La Partie adverse ne

vous a pas dit laquelle de ces quatre hypothèses elle défend en l’espèce. Elle ne pouvait pas vous le

dire, parce qu’elle ignore elle-même laquelle de ces hypothèses est susceptible d’asseoir sa

position. Elle en fait d’ailleurs l’aveu. En effet, après avoir évoqué l’hypothèse où «le fait

correspond exactement au droit» et où «l’«effectiv ité» n’intervient que pour confirmer l’exercice

d’un droit né d’un titre juridique», puis une autre hypothèse où «le fait ne correspond pas au droit,

où le territoire objet du différend est administré par un Etat autre que celui qui possède le titre» et

où «il y a lieu de préférer le titulaire du titre», nos contradicteurs ont déclaré lundi dernier : «Nous

25
sommes, Monsieur le président, dans l’une, ou peut-être l’autre, de ces deux hypothèses» . Pour

masquer leur perplexité, nos adversaires ont beau jeu de dire que la Partie nigérienne «se trompe

24CR 2012/25, p. 18, par. 22 (Pellet).
25
Ibid., p. 27, par. 41 (Pellet). - 22 -

d’hypothèse» 26 et que le Burkina n’est «sûrement pas dans celle dans laquelle s’est placé» le

27
Niger .

28. L’approche de l’affaire suivie par le BurkinaFaso ne pouvait que le conduire à une

impasse. D’abord la Partie adverse défend la théorie insoutenable du titre clair et précis, se

suffisant à lui-même pour la détermination du tracé co mplet de la frontière. Mais elle s’y accroche

au point où elle n’hésite malheureusement pas à citer une jurisprudence inappropriée pour le

défendre. Nos contradicteurs citent en premier lieu l’arrêt rendu par la Cour, le 3février1994,

dans l’affaire Jamahiriya arabe libyenne/Tchad. Le renvoi qu’ils font au paragraphe 51 de cet arrêt

est trompeur. Certes, dans ce paragraphe, on peut lire le passage ci-après qui figure d’ailleurs entre

parenthèses, comme une incise explicative du raisonnement de la Cour : «Placée en présence d’un

texte dont la clarté ne laisse rien à désirer, elle est tenue de l’appliquer tel qu’il est, sans qu’elle ait

à se demander si d’autres dispositions auraient pu lui être ajoutées ou subs tituées avec avantage.»

(Acquisition de la nationalité polonaise, avis consultatif, 1923, C.P.J.I. série B n o7, p. 20.)

29. Mais la Cour n’examinait pas en l’espèce un texte déterminant le tracé de la frontière

entre la Libye et le Tchad. Il s’agissait de l’ interprétation de l’article 3 du traité de1955 qui «se

réfère aux actes internationaux «en vigueur» à la date de la constitution du Royaume-Uni de Libye,

«tels qu’ils sont définis dans l’échange de lettres ci-jointes»» ( Différend territorial (Jamahiriya

arabe libyenne/Tchad), arrêt, C.I.J. Recueil 1994, p. 24, par. 49), non pas d’un instrument juridique

déterminant le tracé frontalier entre les deux parties au litige. Les termes de cet article3 ont été

différemment interprétés par les parties. La Cour relève d’ailleurs que

«[l]es parties auraient pu indiquer les frontiè res en en précisant littéralement le tracé

ou en portant celui-ci sur une carte, à titre d’illustration ou à tout autre titre; elles
auraient pu faire l’une et l’autre. Elles ont décidé de procéder différemment, et de
dresser d’un commun accord la liste des ac tes internationaux dont résultaient les
frontières, mais la méthode qu’elles ont choisie ne suscite aucune difficulté

d’interprétation. Dans ces conditions, la tâche de la Cour est claire.»

Vient alors le passage précité que j’ai mentionné tout à l’heure et qui commence par: «placé en

présence d’un texte dont la clarté ne laisse rien à désirer, etc.». Le texte paraissait aussi clair parce

qu’il s’agissait d’une disposition essentiellement énumérative d’ailleurs d’un certain nombre de

26
CR 2012/25, par. 40 (Pellet).
27Ibid., par. 41 (Pellet). - 23 -

traités internationaux et non pas dispositive comme c’est en général le cas des instruments de

délimitation des frontières. Vous voyez bien, Mesd ames et Messieurs les juges, qu’il s’agit de tout

autre chose que ce qu’ont voulu faire croire nos collè gues de l’autre côté de la barre. Ce qui est

vraiment en cause ici, c’est leur façon de procéder qui est défectueuse.

30. Cette défectuosité ne peut être masquée par l’habileté de notre contradicteur qui est allé

pêcher dans le discours de l’agent du Niger deva nt la Cour un bout de phrase où il fait état des

efforts déployés dès l’accession des deux pays à l’indépendance «en vue de l’identification du tracé

28
précis de la frontière» . «Identification», un terme inappropr ié en l’occurrence d’après la Partie

adverse, car il pourrait être synonyme de «délimiter» alors que les Parties n’ont jamais fait

qu’essayer de matérialiser leur frontière notamme nt en concluant l’accord de1987. J’ai hésité,

Monsieur le Président, avant de m’arrêter sur cette fausse querelle sémantique ; car quoi ? On ne

peut pas démarquer une frontière sans la connaître, c’est-à-dire san s l’identifier. Nos

contradicteurs réduisent la démarcation à l’aborne ment. Peut-être ignoren t-ils que la première

étape du processus de démarcation c’est l’évaluati on de la frontière qui inclut les levées des

coordonnées et que l’étape de la construction d es bornes intervient seulement après. C’est

pourquoi l’exercice de la démarcation fait toujours appel à des équipes pluridisciplinaires au sein

desquelles les juristes aident à la bonne application de l’instrument de délimitation.

31. Mais plus sérieusement, Mesdames et Messieurs de la Cour, le Burkina Faso n’a cessé de

leurrer et le Niger et la Cour en faisant croi re que «[l]a chose est entendue» à propos de la

non-opposabilité du fameux «tracé consensuel» en tant qu’il n’a pas fait l’objet «d’un texte

29
conventionnel». Jusqu’au bout il maintient qu’il y a quelque chose à faire de cet improbable

«tracé consensuel». Lundi dernier, le professeur Pellet a cru pouvoir tirer parti de l’arrêt rendu par

la Chambre de la Cour dans l’affaire du Golfe de Fonseca pour asseoir cette cause. Il a cependant

cité un passage sans pertinence aucune pour la présente affaire; il s’agit de celui où la Chambre

déclare qu’elle

28
CR 2012/22, p. 12, par. 10 (Bazoum).
29CR 2012/25, p. 20, par. 26 (Pellet). - 24 -

«ne saurait tenir compte des concessions qui auraient pu être faites au cours des
négociations au sujet de la position de la li mite ; … elle peut à bon droit tenir compte
de l’opinion que partageaient les Parties en 1881 et en 1884 quant à la base et la portée
30
de leur différend».

32. La citation est tronquée, c’est-à-dire qu’il y a un passage sauté au milieu mais même en

la considérant dans l’état où elle est produite par la Partie adverse, il n’est nul besoin de la relire à

plusieurs reprises pour réaliser que tenir compte de l’opinion des Parties «quant à la base et à la

portée de leur différend» est sans rapport aucun avec le fait q
u’un accord entre les Parties, en

l’occurrence celui de 1987, fixe les documents à utiliser aux fins de la détermination du tracé de la

frontière commune dans le cadre d’un processus bilatéral. Le prétendu «tracé consensuel»

portait-il sur «la base et la portée» du différend entre le Niger et le Burkina Faso ? Est-ce cela le

droit positif dont la Partie adverse se fait le chantre et au respect duquel il a invité le Niger avec une

certaine vivacité ?

33. L’autre raison pour laquelle le Burkina Faso ne sait pas dans laquelle des hypothèses

dégagées par l’arrêt de la Chambre de 1986 dans l’affaire Burkina Faso/République du Mali il doit

s’inscrire, c’est qu’en dépit de l’énergie qu’il met à défendre sa théorie du «titre clair», il est forcé

de faire des concessions à la réalité, aux faits. Ains i, bien que la Partie adverse conteste dans le

principe que les effectivités coloniales aient un rôle à jouer dans la présente affaire, elle est bien

obligée de concéder dans une formule qui exprim e autant son malaise que l’écartèlement entre

deux logiques irréconciliablesque: «l’ erratum n’est pas incomplet et il n’est que très

31
marginalement insuffisant» . En d’autres termes, il serait complet et insuffisant, fût-ce

marginalement ! Une autre source potentielle de querelle sémantique, mais le Niger n’entrera pas

dans une telle querelle. Il est bien plus important de redire ici que le Burkina Faso ne s’en tient

plus absolument et uniquement au titre parfait que constitue l’ erratum de 1927. Il s’en émancipe à

l’occasion, lorsque cela l’arrange, pour lui préférer la carte IGN de1960. Puis il tranche que les

deux Parties doivent s’en tenir à cela ; c’est-à-dire à ce cas exceptionnel où il permet que l’on suive

un tout petit bout du tracé de la carte IGN. P our le reste aucun autre document n’est admissible

30
Cité dans CR 2012/25, p. 20, par. 26.
31Ibid., p. 21, par. 27 (Pellet). - 25 -

parce que le verrou des documents à utiliser a été placé une fois pour toutes en 1987, dans l’accord

du 28 mars.

34. J’ai montré au cours des présentes plaidoi ries que la Partie adverse ne brille par une

fidélité absolue à l’article2 de cet accord qu’elle agite fébrilement pour reprocher au Niger de

«substituer au tracé de la carte un improbable sal migondis de documents coloniaux plus ou moins

32
formels (plutôt moins que plus d’ailleurs)» . Mais, fort de son titre parfait, le Burkina Faso aurait

pu fournir à la Cour des effectivités confirmatives, puisqu’il a soutenu lundi dernier que «les

33
effectivités coloniales n’ont aucun rô le à jouer, autre que confirmatif» . Il n’en apporte aucune,

Mesdames et Messieurs les juges ; il s’échine au cont raire à essayer de défaire ou décrédibiliser les

centaines de documents fournis par la Partie nigéri enne pour étayer la pratique frontalière et la

complexité du dossier. Mais, à l’évidence, il n’a pu remettre en cause la démarche suivie par la

Cour pour régler les affaires de ce genre, laquelle fait apparaître que la Cour prend en compte tous

les éléments de preuve produits par les parties pour déterminer le tracé d’une frontière même déjà

définie par un instrument non contesté par les pa rties, comme l’a montré de manière éloquente

l’analyse de l’arrêt de la Cour dans l’affaire Cameroun c. Nigéria. Monsieur le président, le Niger

constate que le BurkinaFaso n’a pas contesté un seul instant la pertinence de cette jurisprudence

qui décrit de façon détaillée la méthodologie suivie par la Cour en ladite espèce. Le Niger note dès

lors qu’il n’y a pas de désaccord entre les Parties à ce sujet. De même, le Niger constate qu’il n’y a

vraiment plus de désaccord entre les Parties à propos des documents relevant de la période de 1932

à1947. Le BurkinaFaso, se souvenant sans dou te de sa position à ce sujet dans l’affaire

Burkina Faso/République du Mali a gardé le silence sur la question au second tour de ses

plaidoiries.

35. Monsieur le président, Mesdames et Messi eurs de la Cour, le professeur Pellet a conclu

ses plaidoiries lundidernier en déclarant «qu’[i]l n’est tout simplement pas convenable de

prétendre dans [notre affaire], que l’arrêté de 1927 et son erratum sont un élément de preuve, parmi

d’autres, de la limite frontière» 34. Que faire ? Le Niger ne plaide pas ce qui est convenable, mais

32CR 2012/25, par. 29 (Pellet).
33
Ibid., par. 40 (Pellet).
34Ibid., p. 27, par. 41 (Pellet). - 26 -

ce qui est dit par le droit international. En l’o ccurrence, c’est la jurisprudence constante de votre

Cour qui dit cela, notamment dans l’affaire BurkinaFaso/République du Mali , à propos de tout

acte de droit colonial, comme sa devancière, la Cour permanente de Justice internationale l’avait dit

à propos de la législation et des actes administratifs internes. Le Burkina aurait donc dû citer, sur

ce point, la jurisprudence et non pas les plaidoiries du Niger qui s’y réfèrent elles-mêmes. Si la

Partie adverse est en désaccord avec la jurisprudence de la Cour, elle doit le dire à la Cour au lieu

de reprocher au Niger d’y trouver appui.

36. Mesdames et Messieurs de la Cour, comme vous le voyez, la méthodologie suivie par la

République du Niger aux fins de la détermina tion de la frontière litigieuse reste ferme sur ses

assises. Et je clos là-dessus ma plaidoirie qui ouvre la voie à celles du professeurTankoano qui

contestera ce qui reste de la théorie des lignes droites défendues par la Partie adverse, du

professeurSalmon sur le tracé de la frontière dans le secteur deTéra et du professeurKlein qui

fermera la marche par la réponse aux contestations du Burkina Faso sur le tracé de la frontière dans

le secteur de Say. Je vous remercie très vivement de votre bienveillante attention.

Je vous prie, Monsieur le président, de bien vouloir donner la parole au

professeur Tankoano.

Le PRESIDENT: Merci beaucoup. Je passe immédiatement la parole à M. le professeur

Amadou Tankoano. Vous avez la parole, Monsieur.

M. TANKOANO :

LE POSTULAT DE LA LIGNE DROITE

1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, au cours de ses plaidoiries du

lundi matin, le Burkina Faso a continué à défendr e son affirmation selon laque lle la frontière dans

le secteur deTéra serait constituée par une successi on de lignes droites. L’argumentation de la

Partie adverse sur ce point s’est articulée autour de deux axes. D’une part, nos contradicteurs vous

ont présenté leur vision de la façon dont les textes officiels de 1927 ont été élaborés. D’autre part,

le professeur Forteau s’est référé à un ensemble de documents de la période coloniale qui, selon lui,

permettraient de constater que les administrateurs coloniaux eux-mêmes concevaient la limite dans - 27 -

le secteur deTéra comme suivant des lignes droit es. La présente plaidoirie sera consacrée à la

réfutation de ces deux arguments.

A. Le processus d’élaboration des textes officiels de 1927

2. Au cours de son second tour de plaidoiries, le BurkinaFaso a une nouvelle fois avancé

l’hypothèse selon laquelle l’élaboration de l’arrêté et de l’erratum de 1927 avait suivi un processus

que l’on pourrait qualifier d’essentielle ment «technocratique». C’est le gouverneurgénéral de

l’AOF, et lui seul, qui, a déterminé ex nihilo la nouvelle limite entre les colonies de la Haute-Volta

et du Niger dans l’atmosphère ouatée de son bureau deDakar ⎯cela, nos contradicteurs ne le

disent pas expressément mais cette touche d’atmosphère me semble s’inscrire parfaitement dans

leur scénario. Selon le professeurForteau, «l’auteur de l’acte, le gouverneurgénéral de l’AOF,

n’avait pas trente-six méthodes à sa dispositi on pour délimiter le territoire des colonies» 35. En

36
l’occurrence, le recours à une ligne artificielle ⎯ et partant donc arbitraire ⎯ s’imposait . Nos

contradicteurs ont réaffirmé dans ce contexte le caractère constitutif des textes de1927 37. Et le

professeur Forteau a décrit de façon particulièrement imagée la manière dont l’auteur de ces textes

avait procédé :

«Lorsqu’on lit l’ erratum, il apparaît manifestement que la plume de son auteur

suit le cours du tracé: «les limites», dit l’ erratum, «sont déterminées comme suit»:
«une ligne» qui part des hauteurs deN’Gouma, puis passe successivement par un
certain nombre de points jusqu’à Tong-Tong; «cette ligne ⎯autrement dit, l’auteur

de l’erratum a toujours le crayon sur le tracé, sa main ne s’est pas levée ⎯, s’infléchit
ensuite vers le sud-est pour couper la pist e automobile deTéra àDori à la borne
astronomique de Tao située à l’ouest de la mare d’Ossolo et [de nouveau, le crayon est

resté sur le tracé, qui se poursuit] atteindr e la rivièreSirba à Bossébangou». «Elle
[c’est toujours la même ligne, le crayon est toujours sur le tracé] remonte presque
aussitôt», etc.» .8

L’image est jolie et l’on voit presque, en écout ant le professeurForteau, le tracé de la limite se

matérialiser sous la plume de l’auteur des textes.

3. Ceci dit, quels sont les fondements tangibl es sur lesquels le Burkina Faso peut s’appuyer

pour étayer ce scénario? Il n’y en a aucun. Le processus que nous révèle le dossier en ce qui

35CR 2012/25, p. 37, par. 6 (Forteau).
36
Ibid., par. 8 (Forteau).
37
CR 2012/25, p. 26, par. 39 (Pellet).
38CR 2012/25, p. 38, par. 10 (Forteau). - 28 -

concerne l’élaboration des textes de 1927 est en ré alité tout différent. Il convient de rappeler avant

toute chose que les limites des cantons du cercle de Dori qui allaient être transférés au Niger en

application du décret présidentiel du 28décemb re1926 ont été énoncés dans un procès-verbal du

2février1927 conclu entre les représentants de la colonie de la Haute-Volta en vue de préparer

l’arrêté de délimitation 39. Les termes de ce procès-verbal sont les suivants : les cantons concernés

[projection du texte du procès-verbal et de l’arrêté].

«sont limités au nord par la limite actuelle avec le Soudan (cercle de Gao) jusqu’à la

hauteur de N’Gourma, à l’ouest par une ligne passant au gué de Kabia, mont de
Darouskoy, mont de Balébanguia, à l’ou est des ruines du village de Tokébangou,
mont de Doumafondé, qui s’infléchit ensuite vers le sud-est laissant à l’est les ruines

de Tong-Tong dans une direction nord-sud en coupant la piste automobile deTéra
àDori, à l’ouest de la mared’Ossolo pour aller rejoindre ensuite la rivièreSirba
(limite du cercle de Say) aux environs et au sud de Boulkalo».

Comme vous pouvez le constater sur l’écran, ce texte est mot pour mot repris dans l’arrêté

du 31août1927. Ses éléments essentiels se retrouvent également dans le texte de l’ erratum du

5 octobre [fin de la projection].

Comment, dans ces conditions, continuer à préte ndre que les textes de 1927 sont constitutifs

d’une situation nouvelle, sans lien avec les réalités sur le terrain ? Les textes de 1927, cela ne fait

aucun doute, ont été élaborés sur la base d’un tr avail de terrain, qui entendait clairement rendre

compte des limites des cantons telles qu’elles existaie nt à ce moment-là. Il n’est pas question dans

le travail des auteurs du procès-verbal du 2févrie r1927 de tracer des lignes droites abstraites et

artificielles, mais bien de refléter les limites vécues. Comme le commandant de cercle de Dori l’a

très clairement exposé dans sa lettre du 14 août 1929 adressée au gouverneur de la Haute-Volta, le

procès-verbal signé entre le gouverneurBrévié et l’inspecteur Leffiliatre «énumère, d’abord, les

cantons passés au Niger, et détermine, ensuite, les limites des deux colonies en fonction de celles

40
des cantons» . C’est le résultat de ce travail que le gouverneur général de l’AOF reprendra mot

pour mot dans l’arrêté de 1927, sans le modifier aucunement. Ce faisant, les autorités de l’AOF ont

évidemment adhéré, sans réserve, à la méthode retenue par les auteurs du procès-verbal:

39
MN, annexe C 7.
40MN, annexe C 25. - 29 -

déterminer les limites des cantons d’abord, pour ensuite fixer, sur cette base, les limites entre les

deux colonies.

4. Que ces limites préexistantes n’aient, pour l’essentiel, pas suivi un tracé rectiligne dans ce

secteur ressort clairement du dossier cartographique. Dans sa plaidoirie de vendredi dernier, le

professeurJeanSalmon a déjà montré que la limite identifiée par le lieutenantCoquibus en1908

dans le secteur de Téra ne suivait vraisemblablemen t pas une ligne droite, mais plutôt une ligne de

forme incurvée à partir de la borne astronomique de Tong-Tong jusqu’au point triple des cercles de

Dori, Tillabéry et Say [projection de la carte « nouvelle frontière»]. Cette forme se trouve sur la

carte «nouvelle frontière» de 1927 [surimpression de lignes droites]. Comme vous pouvez le voir à

l’instant à l’écran, l’affirmation du professeurFort eau prétendant «qu’il suffit de poser une règle

sur le croquis de1927 pour co nstater qu’il retient en réalité un tracé ayant le profil de

41
deux segments de droite» est manifestement inexacte. Les cartes de Niamey de 1934 et de 1946

vont conserver le même profil de la ligne recourbé e [fin de la projection]. Comparée à la carte

«nouvelle frontière», la ligne de l’IGN est, elle, très sinueuse parce que son échelle justement le

permet. Comme on va le voir maintenant, la théori e des lignes droites dans le secteur de Téra ne

peut pas davantage trouver de fondement dans l es différents documents de la période coloniale

invoqués par nos contradicteurs.

B. Les documents de la période coloniale ne confortent pas l’hypothèse d’un tracé
de limite en deux segments de droites dans le secteur de Téra

5. Dans sa plaidoirie de lundi, le professeur Forteau a invoqué divers documents qui, selon

lui, montreraient que les administrateurs coloni aux admettaient que la limite entre Tong-Tong et

Tao était formée de deux segments de droites. En réalité, l’exercice, très convaincant en apparence

auquel s’est livré notre contradicteur, constitue une illustration de l’art de mobiliser un grand

nombre de situations diverses comme si ell es signifiaient une capitulation sans conditions à

42
l’obsession des lignes droites .

6. La première hypothèse que l’on retr ouve dans ces documents est celle où les

administrateurs estiment que la ligne de1927, en créant une limite traversant le cercle de Dori

41
CR 2012/25, p. 44, par. 39 (Forteau).
42Ibid., p. 45, par. 40 (Forteau). - 30 -

d’ouest en est, a créé des difficultés aux administrateurs pour surveiller leurs nomades qui ont des

champs de part et d’autre et désirent s’inst aller là où la fiscalité est moins onéreuse. Les

administrateurs se plaignent dès lors de cette nouve lle limite, sans pour autant jamais considérer

que la ligne en question est droite. Et s’ils l’ estiment rigide, ils veulent qu’on l’applique avec

souplesse pour résoudre les cas pratiques. Il en est en particulier ainsi de la lettre du 9 août 1929 43

ou de la lettre du 14août1929. La Partie adverse a également épinglé à ce titre la lettre

44
du 31 juillet 1929 en affirmant que son auteur, qui disa it vouloir «obtenir de Téra un peu moins

de précision dans les limites entre Dori et Tillabéry» 45, tentait «d’échapper aux rigueurs de

46
l’erratum» . Mais en l’occurrence, vouloir échapper aux rigueurs de l’ erratum ne signifie

nullement que celui-ci créait une ligne droite dans ce secteur mais bien que son existence

permettait la fuite des nomades relevant du cercle de l’auteur de la lettre. Ceci, on en conviendra,

est un tout autre ordre de préoccupation.

7. Il en va de même au sujet de la lettre du 19 août 1929, invoquée toujours aux mêmes fins

47
par le professeurForteau . Ce que l’auteur de la lettre, Taillebourg, veut, c’est le maintien des

ressortissants et des champs cultivés en dépit de la nouvelle limite. Il n’est donc pas question en

l’occurrence d’une limite qui suit une ligne droite mais simplement d’une limite qui crée des

problèmes d’administration dans cette partie du sec teur de Téra. Nos contradicteurs invoquent

encore la lettre du 27 septembre 1929 48dans laquelle le gouverneur du Niger parle d’«une frontière

idéale et artificielle». Le professeurForteau en conclut, sans autre forme de procès, que ceci

«constitue effectivement un tracé en deux segments de droite». En réalité, le gouverneurBrévié

parlait d’une ligne idéale artificielle car elle créait une nouvelle limite dans un espace où il n’y en

avait pas antérieurement pour les nomades, dans ce qui constituait auparavant un seul cercle, celui

49
de Dori. L’auteur de la lettre n’évoque nulle part deux segments de droites .

43 CR 2012/25, par. 41 (Forteau).

44 Ibid., par. 42 (Forteau).
45
MN, annexe C 23, p. 2.
46
CR 2012 /25, p. 45, par. 42 (Forteau).
47 Ibid., p. 46, par. 43 (Forteau).

48 CR 2012/20, p. 28, par. 68 (Forteau).

49 Ibid. - 31 -

8. La deuxième hypothèse est celle où les admi nistrateurs qualifient la limite d’artificielle ou

d’idéale. Cette terminologie ne signifie toutefois pas qu’il s’agit de droites artificielles, mais que,

comme toutes les lignes cartographiques invisibles sur le terrain, elles n’existent pas pour les

nomades et qu’il faut éviter qu’elles créent des difficultés pour les ressortissants comme pour les

administrateurs. Ainsi, dans une lettre du 6 février932 50, le chef de cabinet du

lieutenant-gouverneur de la Haut e-Volta qualifie la limite de l’ erratum dans le secteur de Téra de

51
«limite toute cartographique» . Pour M. Forteau, cela signifie d’office une référence à une limite

artificielle52. En réalité, c’est toujours le même constat : la nouvelle limite recréant la subdivision

de Téra pose des problèmes pour la gestion des no mades: la limite ne suit pas pour autant une

ligne droite.

9. La troisième hypothèse est celle où la limite est qualifiée de théorique et idéale, dans le

sens où elle ne correspond pas à la réalité sur le terrain. Une fois encore cela ne signifie pas

nécessairement qu’elle est composée de deux segments de droites. Ainsi, dans la lettre du

53
19 mai 1943 , la ligne est considérée comme «purement théorique et idéale» ; elle n’est pas celle

suivie dans la réalité des faits. De même, selon nos contradicteurs, l’auteur du rapport du

24 décembre 1953 aurait dit «la «ligne Tao-Sirba de l’arrêté» constitue … une ligne de forme plus

54
idéal[e]» que les propositions de segments droits que Delbos avait formulées en 1927» . Que dit

en réalité l’administrateurLacroix, auteur du rapport? Il indique «il s’agit certes là encore de

lignes idéales, toujours très peu «parlantes» pour les populations intéressées mais qui étaient quand

55
même plus faciles à matérialiser sur le terra in que la «ligne Tao-Sirba» de l’arrêté» . Cet extrait,

non caviardé du rapport en question montre bien, une fois encore, que la question des limites

idéales se pose exclusivement au regard des difficultés qu’entraînent de telles limites sur le terrain.

Il n’est nullement question dans ce document de deux segments de droites sur lesquels insiste

constamment la partie adverse. Dans le même sens encore, nos contradicteurs tentent de mobiliser,

50CR 2012/25, p. 46, par. 44 (Forteau).
51
MN, annexe C 44.
52
CR 2012/25, p. 46, par. 44 (Forteau).
53Ibid., p. 46-47, par. 47 (Forteau).

54Ibid.

55MN, annexe C 79. - 32 -

à l’appui de leur thèse, une lettre du 17décembre1927 56 dans laquelle Delbos, parlant de la

carteCoquibus, déclare qu’elle ne «portait que des lignes conventionnelles avec indication de

points». Mais, contrairement à ce que semble en déduire le professeurForteau, cela ne signifie

nullement que les lignes conventionnelles en qu estion étaient composées de deux segments de

droites. On sait, au contraire, que la ligne appa raissant sur le croquis de l’administrateurDelbos,

comme la ligne Coquibus, est une ligne incurvée.

10. Le quatrième type de documents évoqué par nos contradicteurs, à l’appui de leur

démonstration relative à la prét endue adhésion des administrateurs coloniaux à un tracé en deux

segments de droites dans le secteur de Téra, est celui où ces administrateurs reconnaîtraient que la

limite va de Tong-Tong à Bossébangou, suivant un tracé rectiligne. Dans sa lettre du 10 avril 1932,

Roser invoque les problèmes soulevés par l’interprétation de l’ erratum «lorsque l’on tire une ligne
57
droite entre la bornedeTao et la rivièreSirba à Bossébangou» . Mais, c’est précisément une

interprétation du texte qu’il conteste et qu’il rejette comme contraire aux effectivités.

11. La conclusion générale que déduit le professeur Forteau des différents documents qu’il a

retenus est la suivante: «ce qui ressort de tous ces documents est clair: l’ erratum a retenu une

délimitation artificielle, sous la forme de deux seg ments de droite, entre les bornes de Tong-Tong,

58
Tao et Bossébangou» . Cette conclusion est tout à fait inexacte. Comme on vient de le voir, s’il

est vrai que différents documents de la période coloniale font référence aux textes de 1927 comme

créant des limites idéales ou artificielles, ce n’est nullement dans le sens retenu par nos

contradicteurs que ces termes doivent être compri s. Dans aucun des documents en question, on ne

trouve la mention d’un tracé en deux segments de droites dans le secteur de Téra, contrairement à

ce que la Partie adverse voudrait vous faire croire . Lorsqu’il est question du caractère idéal ou

artificiel de la limite, c’est avant tout en raison de considérations liées à l’administration de groupes

nomades présents dans cette zone. Alors que ceux-ci allaient et venaient librement jusqu’en 1927 à

travers le cercledeDori qui s’étendait alors jus qu’au fleuveNiger, leurs mouvements se trouvent

singulièrement entravés par la création d’une nouvell e limite entre deux colonies distinctes dans ce

56CR 2012/20, p. 28, par. 68 (Forteau).
57
MN, annexe C 45, p. 5-6 ; cité dans CR 2012/20, p. 28, par. 68 (Forteau).
58CR 2012/25, p. 47, par. 48 (Forteau). - 33 -

secteur à partir de 1927. Ces explications cruciale s de nature historique et sociologique ont une

nouvelle fois été totalement ignorées par nos contradicteurs.

12. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, ainsi se termine mon

intervention pour le second tour des plaidoiries. Je vous remercie infiniment pour votre écoute

attentive. Monsieur le présiden t, je vous serais très reconnaissan t de bien vouloir donner la parole

au professeur Jean Salmon pour poursuivre les exposés oraux du Niger.

Le PRESIDENT: Merci, et je donne la pa role à Monsieur le professeurSalmon…pour

peut-être vous interrompre au moment opportun et prendre une pause. Vous avez la parole,

Monsieur le professeur.

M. SALMON: Je pensais que ce serait après la pause, Monsieur le président. Pourrais-je

savoir combien de minutes je possède maintenant, Monsieur le président, pour ne pas les dépasser ?

Le PRESIDENT : Une vingtaine de minutes.

M. SALMON : Très bien. Merci, Monsieur le président.

L E TRACÉ DE LA LIMITE DANS LE SECTEUR DE TÉRA

1. Monsieur le président, Mesdames et Messieu rs de la Cour, le Niger a exposé dans ses

écritures et sa première plaidoirie orale les raisonspour lesquelles la limite entre le Niger et la

Haute-Volta dans le secteur de Téra n’était pas une ligne artificielle et arbitraire et, ainsi que vient

de vous le démontrer, je crois de manière très magistrale, notre collègue Tankoano, il ne pouvait

être formé de deux lignes droites.

La section de la limite entre Tao et le point où la limite atteint le cercledeSay était

imprécise; l’identification de la limite à la date de l’ uti possidetis dans ce secteur devait être

recherchée. Deux méthodes s’imposaient : d’une part, se référer au matériau cartographique, et en

particulier à la carteIGN de 1960 et, d’autre part, avoir égard aux effectivités tout au long de la

période coloniale. - 34 -

2. Du matériau cartographique émergeaien t plusieurs cartes et croquis fournissant des

informations importantes pour identifier à diverses époques la conception que l’on se faisait de la

limite dans ce secteur.

a) Tout d’abord, le croquis du capitaine Coquibus qui avait servi de base à la détermination de la

ligne de 1910 et qui faisait apparaître, selon les informations dont on dispose à son sujet, une

ligne incurvée.

b) Ensuite, les croquisDelbos qui jouissaient d’une grande popularité dans les cercles de Dori et

de Tillabéry et qui, tout en ad optant sur la plus grande partie de la limite le tracé de la

ligneCoquibus, faisaient apparaître dans sa pa rtie orientale un saillant triangulaire, dit le

triangle de Yagha ou encore le triangle rouge.

c) La carte «nouvelle frontière», transmise aux colonies et dans les cercles avec l’ erratum le

5octobre1927, illustrait la volonté des auteurs de l’ erratum: la limite y était représentée

suivant une ligne incurvée, directement inspirée de la ligne Coquibus, mais qui ignorait le

triangle rouge cher au commandant Delbos. Cette carte faisait apparaître le point triple entre les

cercles de Say, Dori et Tillabéry à un point de coordonnées 13° 29’ 08’’ N et 01° 01’ 00’’ E et

non à Bossébangou. Cette carte constituera une ressource précieuse pour les commandants de

cercle. Ils l’avaient reçue au titre de carte officielle accompagnant l’erratum, comme le montre,

par exemple, l’accord Roser/Boyer de 1932.

d) Les croquis de cantons : dans le secteur de Téra un seul croquis nous est parvenu concernant le

canton de Diagourou. Quoique les confins de ce canton sillonnés par les nomades ne fussent

pas aisés à délimiter, le chef de subdivision de Téra put joindre à son rapport du 10 août 1954

sur le recensement du canton de Diagourou une carte sur laquelle figuraient tous les villages de

59
ce canton . Sa date est connue. La carte était jo inte audit rapport de 1954 comme ceci ressort

de la première page de celui-ci 60.

e) Toutefois, la carte qui allait finalement jouer un rôle décisif dans la période postindépendance

est l’ensemble de feuilles produites en 1958/60 pa r l’Institut géographique national de France.

Cette carte se singularisait non seulement par sa qualité topographique ignorée jusqu’alors, mais

59
MN, annexe D 21.
60MN, annexe C 84. - 35 -

elle identifiait également les limites administratives existantes en1958. Elle constitue la

meilleure photographie du legs colonial à une date proche de l’indépendance. Ceci est vrai en

particulier dans la région de Té ra, qui est la plus peuplée de l’ensemble de la frontière. La

meilleure preuve du soin mis par les auteurs de la carte à relever le mieux possible la limite

intercoloniale dans ce secteur se trouve dans le grand nombre de toponymes et le tracé de

limites très sinueux qu’elle adopte, épousant au plus près la répartition des populations de

chaque côté de la limite.

3. Les effectivités, quant à elles, sont établies par différents documents : rapports de tournée

des commandants de cercle, listes officielles de villages, listes électorales de 1956, procès-verbaux

relatifs à la résolution de litiges de terrains, etc .

4. Convaincu par le soin avec lequel les aute urs de la carte de1960 avaient représenté les

limites probables des cantons telles que celles-ci étaient vécues à la date critique, le Niger a estimé

que cette carte devait en principe servir de guide pour déterminer le cours de la limite intercoloniale

en1960. Sauf à découvrir des déviations anor males par rapport aux textes, des failles évidentes

dans l’information sur les limites des cantons, et sous réserve de l’attention qu’il convient

d’apporter aux hésitations des auteurs de la car te lorsqu’ils ont eu recours à des croisillons

discontinus, le Niger estime que, dans ce secteur, c’est la limite tracée par la carte IGN qui doit être

retenue comme ligne frontalière.

5. Il peut paraître justifié à ce stade de répondre à la question de M.le jugeBennouna

[projection du croquis illustrant le tracé de la fr ontière]. Pour mémoire celle-ci se lit comme suit :

«Dans quelle mesure, et sur quelle(s) portion(s), chacune des Parties accepte-t-elle le recours à la

carte IGN de 1960 pour le tracé de la frontière entre elles ?»

Le croquis qui est maintenant projeté indi que en rouge les portions du tracé de limites

figurant sur la carte IGN France qui sont suivies par le Niger et en jaune celles qui ne le sont pas.

Ce croquis fait donc apparaître comme premier tronçon où la limite de la carte est suivie par le

Niger celui qui va de la borne astronomique de Tao jusqu’à l’emplacement de l’ancien «point

triple» entre les cercles de Dori, Tillabéry et Say. Les seules exceptions dans ce secteur sont le site

de Petelkolé et celui d’Oussaltan. Le second tr onçon où la limite figurant sur la carte de 1960 est

suivie par le Niger va du point frontière de Goui na au début de la boucle de Botou. Le Niger - 36 -

fournira par écrit, dans les délais prescrits par la Cour, un complément d’information sur les raisons

pour lesquelles il n’adopte pas les autres portions du tracé de limites apparaissant sur la

carteIGNFrance. J’espère que cette réponse satis fera pour l’heure M.le jugeBennouna [fin de

projection].

6. Ainsi, pour en revenir au secteur de Téra, le Niger n’apporte que trois modifications au

tracé de la carte IGNFrance. D’abord la borne de Vibourié, qui a échappé à la vigilance des

auteurs de la carte, mais qui se justifie, ainsi que nous l’avons montré la se maine dernière et ainsi

qu’y a encore fait allusion notre collègue Ama douTankoano, par l’existence d’un point frontière

intermédiaire entre Tong-Tong et Tao établi au moyen d’une borne par les autorités coloniales. Les

deux exceptions suivantes se situent à Pételkolé et Houssaltane
.

61
7. Pour ce secteur, nos contradicteurs parlent d’«enclaves» . Le mot est adroitement choisi.

Il laisse croire qu’il s’agirait de revendications nigériennes portant sur des zones qui se trouveraient

en territoire du Burkina. Ce travestissement n’échappera à personne. Il s’agit en réalité d’une zone

de confins qui a été très bien analysée dans le rapportRoser/Boyer du 10avril1932 62. Le

professeur Thouvenin a jugé l’analyse que j’ai effectuée de ce document la semaine passée «aride,

63
pour ne pas dire impénétrable» . Il est vrai que le rapport Roser/Boyer n’est pas aisé à décrypter,

mais il est pourtant illustratif des difficultés que devaient surmonter les commandants de cercle.

Boyer, chef de la subdivision de Téra, et Ro ser, commandant du cercle de Dori, parcourent,

disent-ils, les limites de leurs circonscriptions. Quelles limites? En particulier les confins

Téra/Dori; ils écrivent: «Nous avons chemin é ensemble de Tao à Tingou, en passant par

64
Petelkolé, Houssaltane, Bangaré» . C’est donc qu’il s’agit de localités frontalières et non

d’enclaves. Ils le font avec une carte à la main. Roser précise qu’il s’agit de «[l]a carte que le

cercle de Dori a reçu du chef-lieu à l’appui du texte officiel» et ajoute qu’il a «relevé très

soigneusement en l’agrandissant au 1/500 000 cette carte» 65. Traitant ensuite d’un autre point de la

frontière (dans la zone du triangle de Yagha), il écrit «que la ligne … ne doit pas se trouver à plus

61CR 2012/25, p. 29, par. 2, notamment (Thouvenin).
62
MN, annexe C 45 et dossier des juges, onglet n° 13.
63
CR 2012/25, p. 30, par. 3 (Thouvenin).
64Voir p. 1.

65Voir p. 4. - 37 -

d’une douzaine de kilomètres de la limite assignée par la carte officielle. Il est impossible qu’une

carte au millionième précise tous les accidents d’une ligne frontière». Contrairement à ce

66
qu’affirme M.Thouvenin , ce n’est donc nullement une extrapolation de considérer que cette

description est celle de la carte «nouvelle frontiè re» que Roser a en main. Il est exact que, se

fondant sur les cartes Delbos/Prudon qu’ils pri saient particulièrement, les deux administrateurs

Roser et Boyer estimaient que la limite aurait dû accorder à la Haute-Volta le triangle rouge de

Yagha. Mais il n’en demeure pas moins que la portion de la limite qui nous occupe ici ⎯ limite

que, sauf opposition du gouverneur de la Haute-Volta, ces administrateurs se proposaient de

jalonner de poteaux frontières ⎯ passait, selon eux,

«par Bangaré (trois quartiers: un à l’est du marigot de Bangaré et deux à l’ouest, à
Houssaltane qu’elle laisse à l’est, à Petelkarkalé qu’elle laisse à l’ouest, à Petelkolé
qu’elle laisse à l’est, et de là rejoint en ligne droite le poteau frontière situé à

5,750 kilomètres de la borne astronomique de Tao».

Voilà qui indique avec grande précision les effectivités qui prévalaient, à l’époque, dans ce secteur.

Le passage de la limite entre Pe telkarkalé et Petelkolé est d’a illeurs confirmé par le rapport de

tournée du 24 décembre 1953 de l’administrateur adjoint Lacroix du cercle de Tillabéry 67.

Le Burkina estime que ces textes pro uvent au contraire l’application de l’erratum . Ce n’est

cependant pas ce point qui est le but de notre démonstration. Ce document est pertinent en ce qu’il

est une preuve de la limite de fait appliquée sur le terrain. Le village de Petelkolé apparaît encore

sur la carte du canton de Diagourou du 10 août 1954. En tout état de cause, la Cour aura remarqué

que le Burkina n’apporte pas une seule preuve documentaire montrant des effectivités à Petelkolé.

Il aurait été bien malaisé de le faire contre la parole du commandant de Dori.

8. Mais ce qui tranche définitivement toute contestation sur ce point frontière, c’est

l’implantation d’un poste frontière juxtaposé dans cette localité. Le Burkina ne peut contester les

conclusions du comité bilatéral (Burkina-Niger) d’identification du site d’implantation des postes

de contrôle juxtaposés du 9juin2006, lequel recommandait la construction du poste situé à

68
deux kilomètres de la frontière du Burkina . Voici que soudainement, et pour la première fois, à

66
CR 2012/25, p. 30, par. 5 (Thouvenin).
67
MN, annexe C 79, p. 3.
68CMN, annexe A 24 et dossier des juges, onglet n 16. - 38 -

l’occasion de la procédure devant la Cour, le Burkina avance que ce poste aurait été créé par un

69
comité n’ayant pas compétence pour conclure un accord de frontière . Mais ce n’est évidemment

pas de cela qu’il s’agit. Le comité bilatéral en question n’a pas conclu un traité de frontière, et le

Niger ne l’a jamais prétendu. Ce comité a simplement constaté que la frontière passait entre

Petelkolé (Niger) et Seynotyondi (Burkina). Ce rapport ne fut contesté par personne. Le poste de

contrôle juxtaposé a été construit à l’emplacement prévu et est en activité depuis des années. On

imagine mal que le Burkina aurait admis sans prot ester l’érection d’un tel poste, et la construction

par le Niger de deux kilomètres de route au-delà du poste, si tout ceci avait eu lieu en territoire

burkinabè.

Monsieur le président, je pense que ce serait peut-être un bon moment, avec votre

permission, pour m’éviter de commencer…

Le PRESIDENT: Merci beaucoup. Il paraît que c’est vraiment tea time now! Je déclare

une pause de 20 minutes et puis nous continuerons avec votre plaidoirie. L’audience est suspendue

pour 20 minutes.

L’audience est suspendue de 16 h 40 à 17 heures.

Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. J’invite Monsieur le professeur Salmon à reprendre

la parole. Vous avez la parole, Monsieur.

M. SALMON: Monsieur le président, Mesdam es et Messieurs de la Cour, j’aborde

maintenant le second point de discussion, à savoir la région de Oussaltane.

Oussaltane

9. Pour lever les incertitudes à ce propos, n ous avons présenté en gros septdocuments

prouvant que la souveraineté du Niger se trouvait à Oussaltane. Sur ces sept documents, le Burkina

n’en conteste que trois, dont acte pour les quatre autres. Quant aux trois documents qu’il conteste,

le premier concerne la situation où des fractions soutenaient qu’elles habitaient à Oussaltane et

demandaient de ce fait à être transférées au cercl e de Tillabéry. Du fait de cette contestation,

69
CR 2012/25, p. 31, par. 11-12 (Thouvenin). - 39 -

M. Thouvenin nous dit «mais ce n’est pas à des fractions de décider si elles font ou non partie du

cercle de Dori, c’est aux autorités administratives». C’est exactement ce qui s’est passé. Les deux

commandants de cercle ont décidé qu’ils allaient vérifier si les trois fractions en question habitaient

bien à Oussaltane. Donc, cela signifiait que l es deux commandants de cercle reconnaissaient que

Oussaltane faisait partie du territoire nigérien . Le second a trait à un agent qui était venu à

Oussaltane pour y remettre une convocation judiciai re à un ressortissant sur place. M. Thouvenin

nous dit «vous voyez bien, tout cela prouve que la juridiction appartenait à Dori, puisque c’est un

fonctionnaire de Dori qui vient déposer cette demande». Mais, ce que M. Thouvenin oublie de

dire, c’est que le reste du document fait apparaître que le représentant de Téra signale que c’est

l’inverse, c’est que Oussaltane est bien au Niger et qu’un arrangement avec son prédécesseur avait

été fait à ce sujet dans une palabre. Quant au troisième, il porte sur le télégramme-lettre du

11 juillet 1951 adressé par Larue, chef de subdivision de Téra, au cercle de Tillabéry, déclarant lui

aussi une nouvelle fois que Oussaltane est laissé à l’est». Mais, il semble qu’au cours de cette

discussion, le commandant du cercle de Dori, au contraire, a insisté sur la matérialisation des

limites sur la base de l’ erratum, ce sur quoi, bien sûr, M. Thouvenin insiste. Toutefois, il oublie

une fois de plus de nous lire la fin du document de Larue, qui dit ceci: «Il semble que certaines

conséquences de cette manière de voir aient écha ppé au commandement de Dori, l’inexactitude et

70
l’imprécision de l’erratum en cause ont été par ailleurs maintes fois soulignées» .

C’est tout ce que l’on a sur Oussaltane. On remarquera que le BurkinaFaso tente

systématiquement de retourner contre le Niger le s documents qui sont produits par ce dernier à

l’appui de ces thèses. Mais la Partie adverse n’apporte pas la moindre preuve d’effectivités

provenant de ses propres archives. Comme on ne peut pas croire que les industrieuses petites

abeilles que sont les conseils du Bu rkina Faso n’auraient pas songé à faire la recherche, il faut en

conclure que la récolte ne fut pas miraculeuse.

Bangaré

10. Passons maintenant à Bangaré. Bangaré est une localité dont il est admis qu’elle existait

dès l’origine et qu’en plus, elle reçut le titre de village à partir de 1945. Sur ce village, il y a eu une

70
MN, annexe C 73. - 40 -

offensive particulièrement forte de mon collègue M.Thouvenin, qui a développé toute une série

d’arguments auxquels je n’avais pas pu répondre la première fois, faute de temps ⎯ et je crains fort

de me retrouver dans la même situation. Pourtant, le commandantRoser, dans son rapport du

10avril1932, avait déclaré très fermement que «Bangaré a de tout temps été situé en territoire

nigérien». On essayait de disqualifier la thèse de Roser : dans le fond, en disant cela, il allait contre

l’erratum. Mais je crois encore une fois que, av ec la manière dont on regarde les choses

actuellement, cette critique tombe à plat, car nous so mmes ici sur le terrain des effectivités et le

renseignement selon lequel Bangaré a de tout temps été situé en territoire nigérien, dit par Roser,

qui est le commandant du cercle de Dori, a tout de même un poids particulièrement important.

Ultérieurement d’ailleurs, Bangaré, comme je vous l’ai dit en 1945, va figurer comme village sur

les différentes listes qui seront faites par le cercle de Tillabéry. Autre argument de M. Thouvenin,

probablement que si il y a un Bangaré, c’est qu’il a été déplacé, parce que Bangaré ne devait pas

être là. Alors, écoutez, c’est vrai qu’il y a eu de temps en temps des déplacements de villages,

Alfassi, par exemple, Senobellabé, mais jamais on n’a eu la moindre preuve qu’il y ait eu un

quelconque déplacement de Bangaré.

Notre contradicteur attaque ensuite toute une série de documents qui se trouvent dans le

mémoire ou dans le contre-mémoi re, et il dit que les annexesC117, C118 et C125 posent des

problèmes car on ne sait pas très bien quel est leur auteur, d’où elles viennent, etc. Quant au fond,

tous ces documents citent bien Bangaré et sont pertinents. Leur authenticité et leur date sont

attestées par l’agent du Niger. Il est exact que tout comme d’autres documents qui sont des extraits

de listes de villages, ils font partie de document s plus volumineux. Les documents complets sont à

la disposition de la Cour si elle l’estime souhaita ble. En ce qui concerne la série C117, C118,

C 119, C 120, C 121, C 122, etc., ils font tous pa rtie d’un document partic ulièrement volumineux,

en effet, fait à Téra le 10 août 1954 par le chef de subdivision Marc Perret. Ce document est issu

des archives nationales du Niger, cote19.3.39. La délégation du Niger à La Haye a apporté avec

elle ce document original de 81pages ⎯il est entre les mains d’un de nos collègues ⎯ et le

document, si nécessaire, peut être déposé au Greffe , si la Cour le souhaite (ceci prouvera que tous

les documents que nous avons fournis sur Bangaré sont tous authentiques). - 41 -

M. Thouvenin a indiqué qu’il trouvait tout à fait curieux que ce village puisse être considéré

comme un quartier de Diagourou. Comment, dit-il, est-il possible que, alors que normalement, à

cette époque, aucun quartier ne pouva it être éloigné de son centre de plus de 20kilomètres,

comment se fait-il que Bangaré puisse être consid éré comme un quartier de Diagourou? Il doit

s’agir d’un autre Bangaré. Pourtant, les indications qu’il donne sur la fiche sont tout à fait claires :

le village, qui est en effet à 35kilomètres de Téra, se trouve seulement à 23 ou 24kilomètres de

Diagourou. Néanmoins, il n’y a aucun problème au fait que le village de Bangaré puisse être

considéré comme dépendant de Diagourou. Une cont estation de la même eau provient du fait que

er
l’arrêté du 1 janvier 1956, qui fixait le siège et le re ssort des bureaux de vote en vue des élections

à l’Assemblée nationale 71, avait prévu deux bureaux de vote à Diagourou : un premier bureau dans

lequel Bangaré était cité avec d’autr es noms de tribus; et puis un second ⎯ «Diagourou

village» ⎯ dans lequel Bangaré n’était pas signalé. Et , selon M. Thouvenin, c’était bien la preuve

que le Bangaré en question n’était pas un village nigérien mais bien un village de la Haute-Volta, et

que ce qui se passait, c’était simplement que les ressortissants se trouvant en Haute-Volta avaient le

droit d’aller, à titre individuel, dans le premier bureau de Diagourou. Mais ça, c’est justement ne

pas savoir comment se passent les choses. La pr atique qui est ici présentée s’est perpétuée

d’ailleurs jusqu’à nos jours. Les électeurs en question (ceux de Bangaré, qui est un hameau ou

centre de culture) votent effectivement ⎯ encore aujourd’hui ⎯ à Diagourou, qui est leur village

de rattachement. Ceci s’explique par le fait que les listes électorales sont en fait élaborées sur la

base des matrices de recensement qui sont elles-mêmes dressées village par village, famille par

famille. Les habitants du village de Bangaré, qui n’est du point de vue administratif qu’un hameau

de culture de certains habitants de Diagourou, sont recensés à Diagourou qui est le «village mère»

dont ils sont issus. Leur bureau de vote est donc situé à Diagourou, et ils votent en même temps

que leurs parents qui n’habitent pas le hameau ou centre de culture.

Encore une fois, la Cour l’aura noté: le Bu rkina essaie de retourner contre le Niger les

documents que ce dernier a produits pour faciliter le travail de la Cour. Mais il n’apporte pas la

71
CMN, annexe B 35. - 42 -

moindre preuve d’effectivité provenant de ses propres archives. Il eut été plus simple et plus

convaincant d’apporter la preuve que le village de Bangaré votait en Haute-Volta !

13. Je crois qu’il résulte de tout ceci que le Ni ger, pour sa part, a apporté la preuve que les

villages de Petelkolé, Oussaltan et Bangaré, situés aux confins de la limite, ont toujours bien été

considérés comme relevant de la colonie du Niger et ne constituent aucunement des «enclaves» en

territoire du Burkina Faso.

Les villages situés entre la ligne IGN et la ligne droite que revendique le Burkina Faso

14. [Projection d’un extrait de la carte IGN de 1960.] On remarquera que, si le Burkina s’est

ainsi attaqué aux marches du territoire nigé rien, il est resté étonnamment silencieux sur

l’appartenance des villages situés entre la ligne IGN et la ligne droite qu’il revendique. Cette

dernière, du fait, en effet, de son caractère arbitraire, ---celle du Burkina-- traverse aveuglément

les espaces qui étaient nigériens pendant la période coloniale et le sont restés depuis. C’est

d’ailleurs la raison pour laquelle cette ligne ne put être acceptée au titre de compromis en 1988 ou

en1991. Elle aurait fait passer au Burkina Faso des villages relevant incontestablement de la

souveraineté du Niger [fin de la projection]. On en donnera quelques exemples :

Beina (Beyna)

15. Ce village fait partie des villages repris su r la liste des localités de la subdivision de Téra

en 1952 72, 1954 , et 1959 . 74

[Projection du croquis Diagourou.]

75 76
Il apparaît sur le croquis du canton de Diagourou du 10août1954 . Ilexisteunefiche

signalétique «Station astronomique de Beïna» territoire Niger ⎯région de Téra, mise à jour le

77
20 février 1957 (ceci semble un document particulièrement valable). Ce village apparaît encore

72
Recensement du canton de Téra, 10 juillet 1952 (CMN, annexe C 115).
73
Liste des villages de la subdivision de Téra au 1 janvier 1954 ⎯ Canton de Téra (CMN, annexe C 116).
74
Liste des villages du canton de Téra, 17 avril 1959 (CMN, annexe C 124).

75 Canton de Diagourou : échelle 1/250 000, 1954 (MN, annexe D 21).

76
Rapport du chef de la subdivision de Téra sur le r ecensement du canton de Diagourou en date du 10 août 1954
(MN, annexe C 84).
77
Fiche signalétique «Station astronomique de Beïna», 20 février 1957 (CMN, annexe C 123). - 43 -

78
sur la liste des localités du canton de Diagourou en 1959 . Il est indiqué sur la liste des bureaux
79
électoraux pour les élections à l’Assemblée nationale de 1956 .

Mamassirou

80
16. Passons à Mamassirou, village considér é comme nigérien dans l’accord Roser/Boyer ,
81 82
relevant du canton de Diagourou sur les listes de recensement de 1954 et de 1959 . Ce village a

83 84
fait l’objet d’une annexe au rapport du chef de la subdivision de Téra du 10août1954 . Il

85
apparaît, à son tour, sur le croquis du canton de Diagourou en 1954 . Il est indiqué sur la liste des

86
bureaux électoraux pour les élections à l’Assemblée nationale de 1956 .

OuG roaobe

17. Ici, on a un rapport sur le recensement du canton de Diagourou de 1954 : il est mentionné

87
qu’il a été «formé il y a une vingtaine d’années par des Rimaibé du Yagha» .

78
Liste des villages du canton de Téra, 17 avril 1959 (CMN, annexe C 124).

79Arrêté n° 2794 fixant le siège et le ressort des bureaux de vote en vue des élections à l’Assemblée nationale,
er
Journal officiel du Niger n° 304, 1 janvier 1956 (CMN, annexe B 35).
80
Lettre n° 112 du 10 avril 1932 et rapport de tournée de l’adjo int des services civils Roser, commandant à t. p.
du cercle de Dori, au gouverneur de la Haute-Volta (bureau politique ) ; copie conforme du 15 septembre 1943 (MN,
annexe C 45, p. 6).

81 er
Liste des villages de la subdivision de Téra au 1 janvier 1954 ⎯ Canton de Diagourou (CMN, annexe C 117)
et liste des villages de la subdivision de Téra au 10 août 1954 (extrait n° 1) (CMN, annexe C 118).
82
Liste des villages du Canton de Diagourou, 17 avril 1959 (CMN, annexe C 125).

83«Mamassirou Beyna»: annexe au rapport du chef de la subdivision de Téra sur le recensement du canton de

Diagourou en date du 10 août 1954 (CMN, annexe C 121).
84
Rapport du chef de la subdivision de Téra sur le r ecensement du canton de Diagourou en date du 10 août 1954
(MN, annexe C 84).

85Canton de Diagourou : échelle 1/250 000, 1954 (MN, annexe D 21).

86
Arrêté n°2794 fixant le serge et le ressort des bureaux de vote en vue des élections à l’Assemblée nationale,
Journal officiel du Niger n° 304, 1 janvier 1956 (CMN, annexe B 35).
87
Rapport du chef de la subdivision de Téra sur le r ecensement du canton de Diagourou en date du 10 août 1954
(MN, annexe C 84). - 44 -

Yolo

Et enfin, le village de Yolo. Il est men tionné dans toutes les listes des villages de la

88 89 90
subdivision de Téra, canton de Diagourou, sous l’appellation de Yolo (en1927 , 1933 , 1948 ,

91 92 93
1954 ) puis Yélo (en1959 ). Il apparaît sur le croquis de ce canton dressé en 1954 . Il est

également repris dans les fiches annexées au rapport de recensement du canton de Diagourou établi
94
le 10août1954 par le ch ef de subdivision de Téra . Enfin, ce village figure sur la liste des

95
bureaux électoraux pour les élections à l’Assemblée nationale de 1956 .

[Fin de la projection Diagourou.]

Ainsi qu’il ressort de ce qui précède, le tr acé frontalier revendiqué par le Niger suit pour

l’essentiel la ligne de l’IGN dans le tronçon qui va de Tao au point triple entre les cercles de Dori,

Tillabéry et Say. Il ne s’écarte de celle-ci que par des justifications spécifiques.

Ainsi se clôture, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, ma participation

à ce second tour de plaidoiries. Vous m’excuserez de la cavalcade que je vous ai fait faire au début

pour rattraper les minutes que, apparemment, on m’avait données en trop ⎯pas vous, mais mon

équipe. Il me reste à vous remercier pour la bienveillance avec laquelle vous avez bien voulu

m’écouter, et à vous demander, Monsieur le pr ésident, de bien vouloir passer la parole au

professeur Pierre Klein pour qu’il présente la ré ponse du Niger aux arguments développés par le

Burkina Faso en ce qui concerne le tracé de la limite dans le secteur de Say.

88Extrait du «Répertoire des localités» (1927) : villages du Canton des Peuls indépendants ⎯ Diagourou (cercle
de Dori) (CMN, annexe C 109).

89
Liste des villages de la subdivision de Téra ⎯ Canton de Diagourou, 6 juillet 1933 (CMN, annexe C 110).
90
Liste des cantons et villages du Niger transmise au mi nistre de la France d’outre-mer (cantons de Diagourou,
Tamou et Torodi), s.d. 1948 (MN, annexe C 71).

91Liste des villages de la subdivision de Téra au 1janvier 1954 ⎯ Canton de Diagourou (CMN, annexe C 117)
et liste des villages de la subdivision de Téra au 10 août 1954 (extrait n° 2) (CMN, annexe C 119).

92
Liste des villages du canton de Diagourou, 17 avril 1959 (CMN, annexe C 125).
93
Canton de Diagourou : échelle 1/250 000, 1954 (MN, annexe D 21).
94
«Yollo Beyna », «Yollo Djinkargou », «Yollo Hamidou » et «Yollotaka ou Taka » : annexes au rapport du chef
de la subdivision de Téra sur le recensement du canton de Diagourou en date du 10 août 1954 (CMN, annexe C 122).

95Arrêté n°2794 fixant le siège et le ressort des bureaux de vote en vue des élections à l’Assemblée nationale,
er
Journal officiel du Niger n° 304, 1janvier 1956 (CMN, annexe B 35). - 45 -

LE PRESIDENT: Merci beaucoup, Monsieur le professeur. Je donne la parole au

professeur Klein. Vous avez la parole, Monsieur.

M. KLEIN : Merci, Monsieur le président.

L A LIMITE DANS LE SECTEUR DE SAY

1. Monsieur le président, Mesdames et Messieu rs de la Cour, il me reste donc maintenant à

revenir sur les revendications du Niger en ce qui concer ne le tracé de la frontière dans le secteur de

Say. Des revendications qui, en l’occurrence, n’ auraient guère été exposées par le Niger au cours

du premier tour de plaidoiries, puisque nos cont radicteurs nous ont affirmé au début de cette

semaine qu’ils n’avaient «pratiquement rien [entendu] sur le tracé du Niger» 96. Au cours de ma

plaidoirie de vendredi dernier sur le secteur de Say, je me suis pourtant attardé très longuement sur

les fondements sur lesquels le Niger basait sa revendication dans ce secteur. Je ne peux que

regretter que ces explications ne soient visiblem ent pas parvenues jusqu’aux oreilles des conseils

du BurkinaFaso, mais il n’entre en tout cas aucunement dans mes intentions de les formuler une

nouvelle fois. Je consacrerai plutôt cette fin de j ournée à aborder les points qui divisent encore les

Parties à ce stade de la procédure.

Je le ferai en revenant tout d’abord sur la question de l’erreur en relation avec Bossébangou,

sur le tracé proposé par le Burkina à la suite de Bossébangou sur la question de l’emplacement de

l’ancien «point triple» et enfin que le tracé en deux segments de droites dans le secteur qui précède

l’entrée de la boucle de Botou.

A. L’auteur de l’erratum a commis une erreur en faisant passer la nouvelle limite
intercoloniale par le village de Bossébangou

2. Dans leurs plaidoiries de ce début de sema ine, nos contradicteurs ont une nouvelle fois

rejeté la thèse de l’erreur qui avait été développé
e par le Niger et dont je mepermettrai de ne pas

vous rappeler les fondements à ce stade. En ré ponse aux arguments avancés sur ce point par le

Niger, le professeur Forteau a mis en évidence ce qu’il a appelé le «silence assourdissant» conservé

par le Niger au cours du premier tour de plaidoi ries sur une série de documents de la période

96
CR 2012/25, p. 57, par. 6 (Thouvenin). - 46 -

coloniale qui seraient «venus confirmer que la li gne était bien conçue comme devant passer par

Bossébangou» 97. Et quant au tracé apparaissant sur ce que nos contradicteurs persistent à appeler

le «croquis de1927», le professeurForteau y voit seulement «la preuve que c’est l’auteur du

98
croquis qui s’est trompé» . Permettez-moi de revenir brièvement sur ces deux points. Pour ce qui

est du premier d’entre eux, si le Niger a en effet gardé le silence sur les quelques documents de la

période coloniale invoqués par le professeurFortea u lors de son intervention initiale, c’est non

seulement en raison de contraintes de temps, mais surtout parce que ces documents lui paraissaient

de bien peu de poids. Que disent-ils en effet ? Que, à l’instar du rapport du commandant de cercle

de Dori du 7 juillet 1930 cité par notre contradicteur, «un erratum à cet arrêté [il s’agit de l’arrêté

du 31 août 1927] ne change pratiquement rien au x limites fixées sinon que la ligne frontalière doit

99
atteindre la rivière Sirba à Bossébangou au lieu de Boulkabo» . Ou, comme c’est le cas dans la

lettre d’avril 1951 du gouverneur du Niger, elle aussi citée par M. Forteau, que la ligne décrite dans

l’erratum part «de la borne astronomique de Tong-Tong et … coupe la route Tera-Dori à la borne

de Tao pour rejoindre Bossébangou» 100. En d’autres termes, ces documents se bornent à décrire la

limite dans ce secteur telle qu’elle est énoncée dans l’erratum. Rien d’autre. Le Niger, en ce qui le

concerne, a dès lors bien du mal à comprendre en quoi ces documents seraient «venus confirmer

que la ligne était bien conçue comme devant passer par Bossébangou», pour reprendre l’expression

de notre contradicteur. Voilà donc un silence comblé et, tout bien considéré, il n’était pas si

assourdissant que cela.

3. Quant à la question de savoir qui, de l’auteur de l’ erratum ou de celui de la carte de 1927,

s’est fourvoyé en donnant leur description respective de la limite intercoloniale dans la zone, il est

évidemment impossible d’y répondre sur la base de ces seuls documents. Si le Niger a conclu que

l’erratum avait maintenu un tracé qui n’y avait pas sa place en faisant courir la limite intercoloniale

jusqu’à Bossébangou, c’est sur la base d’un faisceau d’él éments divers qui allaient tous en ce sens.

La carte de 1927 est loin d’être un élément isolé. La représentation du tracé de limites qu’elle offre

97
CR 2012/25, p. 52, par. 22 (Forteau).
98
Ibid., p. 51, par. 19 (Forteau).
99MN, annexe C 38, p. 2, cité in CR 2012/20, p. 61, par. 58 (Forteau).

100MN, annexe C 75, p. 2, cité in CR 2012/20, p. 62, par. 61 (Forteau). - 47 -

dans ce secteur se voit en effet confirmée par deux t ypes de sources. Il s’agit, d’une part, d’une

série de déclarations d’administrateurs coloni aux qui sont, elles, dépourvues d’ambiguïtés en ce

101
qu’elles soulignent expressément l’erreur perpétuée par l’ erratum sur ce point . Le Niger les a

déjà amplement évoquées dans ses écritures et au cours du premier tour des plaidoiries orales. Je

n’y reviendrai donc pas. D’autre part, force est de constater que le tracé de la carte de 1927, loin

d’être isolé, se retrouve au contraire sur dive rses cartes ultérieures établies durant la période

coloniale. [Projection d’un extrait du cercle de Say sur la carte d’ensemble de l’AOF 1928.] Je me

limiterai à mentionner à cet effet la carte de la région dressée par le service géographique de l’AOF

102
en 1934 [fin de la projection ⎯ projection de la carte de Niamey IGN1946], ou cette carte de

l’IGN, feuille «Niamey», de 1946 103[fin de la projection]. Il est vrai, comme l’ont opportunément

rappelé nos contradicteurs ce lundi, que la Cour a relevé, dans l’affaire du Différend frontalier

(Burkina Faso/République du Mali) , que si l’auteur de la carte de1927 avait acquis «une

compréhension très claire de l’intention sous-jacen te aux textes» de1927, «cela ne signifie pas

104
forcément que l’interprétation de l’ erratum donnée par cette carte était la bonne» . En

l’occurrence, cependant, la combinaison des éléments qui viennent d’être évoqués conduit à penser

que l’interprétation de cette partie de l’ erratum, telle qu’elle a été donnée par l’auteur de la carte

de1927 était en effet, la «bonne», en raison de sa «compréhension très claire de l’intention

sous-jacente aux textes» que viennent confirmer ces autres éléments. Il convient en tout état de

cause de relever que si l’existence de cette erreur venait à être cons tatée par la Cour, les

conséquences sur le plan juridique en seraient claires. Il s’agirait du défaut de «validité juridique»

de cette portion du tracé, conformément au prononcé de la Chambre dans l’affaire du Différend

frontalier (Burkina Faso/République du Mali) . La Partie adverse n’a en effet plus contesté cette

conséquence de l’erreur de fait au cours de s on second tour de plaidoiries, et l’accord des deux

Parties peut donc être considéré comme acquis sur ce point. Pas plus que le passage de la frontière

par le village de Bossébangou, le tracé revendiqué par le Burkina après cette localité n’est fondé.

101Voir notamment MN, p. 108-110, par. 7.19-7.20.
102
MN, annexe, D 19.
103MN, annexe, D 20.

104Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), arrêt, C.I.J.Recueil19p. 646, par. 171, cité in
CR 2012/25, p. 52, par. 20 (Forteau). - 48 -

B. Le tracé revendiqué par le Burkina après Bossébangou ne s’accorde nullement

avec les termes de l’erratum

4. Comme les membres de la Cour l’ont à ce stade bien compris, le tracé de frontière

revendiqué par la Partie adverse après Bossébangou suit celui de la carte IGN jusqu’à la pointe du

saillant. Mais nos contradicteurs nous ont rappelé à ce sujet lundi que le Burkina avait retenu ce

tracé parce qu’il «résult[ait] de l’erratum» et non simplement parce que c’était celui figurant sur la

carte IGN 105. Dont acte, et le Niger ne peut que dépl orer ce que la partie adverse a appelé son

106
«incompréhension» de ses arguments, incompréhension qui l’a conduit à engager le débat sur de

fausses bases. Mais il ne peut aussi qu’avouer la très profonde perplexité dans laquelle le plonge la

prétention de nos contradicteurs à fonder leur tracé dans cette zone sur la seule base du texte de

l’erratum. [Projection du croquis n° 10, page 148 du MBF. ] Pour rappel, celui-ci décrit une limite

qui «remonte presque aussitôt vers le nord-ouest». Si la représentation cartographique, issue du

mémoire du Burkina, de ses revendications dans ce secteur, que les membres de la Cour ont sous

les yeux, est censée représenter une ligne qui prend la direction nord-ouest pour ensuite former un

saillant, on ne peut décidément que s’interroger sur la compréhension qu’ont nos contradicteurs des

points cardinaux. Finalement, la présentation la plus correcte de la ligne revendiquée par le

BurkinaFaso dans cette zone semble bien être celle faite par le professeurThouvenin la semaine

dernière lorsqu’il a exposé que la frontière dans ce secteur «suit d’est en ouest le cours de la Sirba

jusqu’au point P1» 107. Est-ouest, en effet, bien plus que «v ers le nord-ouest». Je n’en dirai pas

plus, si ce n’est qu’on a encore une fois bien du mal à réconcilier cette prétention de la Partie

adverse avec les termes mêmes de l’erratum de 1927. [Fin de la projection.] J’en viens maintenant

à la question de la détermination du «point triple».

C. L’emplacement de l’ancien «point triple» entre les cercles de Say, Dori
et Tillabéry peut être identifié avec précision

5. La possibilité de localiser avec précision ce point a continué à faire débat entre les Parties.

Nos contradicteurs ont contestée qu’il fut possible de le localiser au cours de leur second tour de

plaidoiries, en faisant valoir d’une part que ce point ne pouvait être déterminé sur la base de limites

105CR 2012/25, p. 58-59, par. 11 (Thouvenin).
106
Ibid., p. 59, par. 11 (Thouvenin).
107CR 2012/21, p. 25, par. 65 (Thouvenin). - 49 -

108
traditionnelles du cercle de Say, limites dont ils contestent la réalité même et, d’autre part, que si

point triple il y a eu, il était situé à Boulkalo, et non à l’endroit où le localise le Niger. Je vais

revenir en détail sur ces deux points qui sont évidemment liés.

6. Le BurkinaFaso, tout d’abord, contest e l’existence même de limites traditionnelles au

cercle de Say. M. Forteau a ainsi reproché au Niger d’avoir inventé la notion de ce qu’il a appelé la

«limite traditionnelle à grande vitesse», arguant que selon le Niger, «[e]n moins de dixans, dans

une région inhabitée ou inexplorée, des limites traditionnelles purement factuelles seraient nées et

se seraient fixées une fois pour toutes en 1910 avec une telle certitude et une telle précision

géographique qu’elles auraient lié les mains du gouverneur général de l’AOF dix-sept ans plus tard

au moment de l’élaboration de l’erratum» 109. «Est-ce vraiment convaincant ?», s’interrogeait alors

M.Forteau. On peut répondre à cette interrogati on en deux temps. Premièrement, la période à

prendre en compte pour l’appréciation de l’existe nce de limites traditionnelles du cercle de Say ne

se termine pas en 1910, mais bien en 1927. C’est à cette date que l’arrêté, puis l’ erratum sont

adoptés et qu’il importe de déterminer les bases su r lesquelles ils ont été rédigés. [Projection du

croquis Boutiq de 1909.] Et à cet égard, dans un deuxième temps, il paraît bien difficile de nier la

réalité de telles limites qui reviennent de mani ère constante sur les croquis et cartes du cercle de
111
Say dressés en 1909 110, [fin de la projection et projection du croquis Truchard de 1915] en 1915 ,

112
[fin de la projection et projecti on de la carteBlondel de1926] en1926 , [fin de la projection et

projection de la carte «nouvelle frontière» de1927] ou encore en1927 [fin de la projection et

projection sur un même panneau de la carte Boutiq de 1909 et «nouvelle frontière» de 1927, côte à

côte]. Vous remarquerez que la présentation de ces limites n’a pas varié entre1909 et1927, à

l’exception bien sûr du retrait du canton de Botou. Cela ne paraît décidément pas faire violence à

ces représentations que de parler de limites traditionnelles du cercle de Say [fin de la projection].

108
CR 2012/25, p. 51, par. 17 (Forteau) ; p. 53, par. 24 (Forteau).
109
CR 2012/25, p. 51, par. 17 (Forteau).
110MN, annexe D 1.

111MN, annexe D 4.

112MN, annexes D 6 et 7. - 50 -

7. Qu’en conclure? Que, pour reprendre l es termes de nos contradicteurs, les mains du

113
gouverneur général de l’AOF étaient «lié[es]» par ce tracé, ou que l’objet de l’erratum aurait été

de «sacraliser le prétendu tracé traditionnel du cercle de Say» 114? Quoi que paraissent en penser

nos contradicteurs, le Niger n’a jamais rien affirmé de tel. Il a simplement constaté la persistance

de ce tracé de limite. Et il n’a pu que mesurer pa r ailleurs l’impact que cette situation préexistante

a eu sur la manière dont les limites ont été décrites dans les textes officiels de 1927. On rappellera

qu’en ce qui concerne le cercle de Say, le te xte de l’arrêté du 31a oût1927 reprend presque

intégralement l’énoncé des limites du cercle, tel qu’il figurait dans un procès-verbal du

10 février 1927 dressé par un représentant de la colo nie de la Haute-Volta et un représentant de la

115
colonie du Niger . [Projection sur le même panneau de la description des limites dans le

procès-verbal du 10février1927 et dans l’arrêté du 31août1927.] La pr ojection que vous avez

pour l’instant sous les yeux, vous permet de mesu rer à quel point le texte de l’arrêté a reproduit

avec fidélité celui du procès-verbal. Je ne vous en infligerai pas une nouvelle fois la lecture. On

peut en tout cas convenir que ce parallélisme est pour le moins troublant et qu’il met encore une

fois singulièrement à mal l’argument du Burkina F aso selon lequel, en adoptant les textes de 1927,

le gouverneur général aurait créé une limite entière ment nouvelle qui n’aurait en rien reflété la

situation existante (fin de la projection). Que fai saient, en effet, les auteurs du procès-verbal du

10février, sinon se référer aux représentations car tographiques du cercle qui se trouvaient à leur

disposition, et que leur description de limite suit très exactement? Qu’il ait existé des limites

traditionnelles au cercle de Say ressort donc très cl airement de l’ensemble des documents que je

viens d’évoquer. Tout comme il en ressort à l’évidence que les auteurs des textes officiels de 1927

n’ont nullement eu l’intention de s’écarter de ce tracé de limites traditionnelles. C’est vrai pour

l’arrêté, on vient de le voir. Ma is c’est vrai tout autant pour l’ erratum, puisque le but de son

adoption était seulement de faire disparaître du te xte initial la description des limites «internes» du

cercle de Say qui ne présentaient aucune pe rtinence pour la détermination de la limite

intercoloniale avec la Haute-Volta. La meilleure preuve en est que l’énoncé de ces limites

113CR 2012/25, p. 51, par. 17 (Forteau).
114
Ibid., p. 56, par. 3 (Thouvenin).
115MN, annexe C 8. - 51 -

«pertinentes» du cercle n’a quasiment pas varié entre l’arrêté et l’ erratum. Contrairement à ce

qu’affirment nos contradicteurs, le «saillant» carac téristique des contours du cercle de Say n’avait

donc rien d’une création récente que le cercle de Say aurait «obtenu[e]» en1927 116. Il résulte de

tout ceci que le Niger est parfaitement fondé à s’appuyer sur les représentations traditionnelles du

cercle de Say pour déterminer l’emplacement de ce qui fut le point triple, que l’on peut situer à la

pointe dudit «saillant». Cette localisation, comme j’ai eu l’occasion de l’exposer la semaine

dernière, peut être confirmée à l’aide d’autres éléments, dont la carte «nouvelle frontière» de 1927

et le rapport de mission établi par les administrateurs des cercles de Dori et Tillabéry en 1943, qui

indique très précisément à quel endroit pouvait être localisé l’ancien point triple, repères

117
géographiques à l’appui .

8. La Partie adverse conteste par ailleurs su r une autre base également la localisation même

du point triple retenu par le Niger. Les documents qui ont entouré la préparation des textes

officiels de 1927 montreraient en effet, selon elle, que ce point était en réalité situé plus en aval sur

la Sirba, à l’emplacement du village de Boulkalo. [Projection du croquis, onglet n o7 du dossier des

juges, BurkinaFaso ⎯«La délimitation de l’arrêté d’août1927».] Nos contradicteurs appuient

tout d’abord cette affirmation sur des croquis pro duits par leurs soins, qui représentent le point

d’arrivée de la limite en provenance du sud-est très précisément à l’emplacement du village de

Boulkalo, sur la Sirba. Deux remarques à ce sujet. La première est que le texte de l’arrêté, que ce

croquis est censé illustrer, parle d’une limite re joignant «la rivièreSirba (limite du cercle de

Say)aux environs et au sud de Boulkalo», et non «à Boulkalo», comme ce croquis invite à le

penser. La seconde observation est qu’un tel tracé de limite n’apparaît sur aucune ⎯je dis bien

aucune ⎯carte de la période coloniale. C’est bien pour cette raison d’ailleurs que nos

contradicteurs n’ont pu trouver d’autre solution que de créer cette représentation de toutes pièces

pour appuyer leur thèse [fin de la projection et projection du croquis, annexes MBF 24]. Il est vrai

que la Partie adverse a également fait état d’un croquis annexé à une lettre de 1926 du gouverneur

du Niger relative au rattachement à sa colonie de la partie du cercle de Dori qui avait été détachée

116
CR 2012/25, p. 53, par. 27 (Forteau).
117CR 2012/24, p. 31, par. 11 (Klein) et les références. - 52 -

en1910 du cercle de Tillabéry 118. Le BurkinaFaso invoque ce document, entre autres, pour

119
conclure avec fermeté que «le point triple se trouve en1908 sur la Sirba» et qu’«il n’y a par

ailleurs aucun saillant au niveau de ce point triple» 120. Monsieur le président, Mesdames et

Messieurs de la Cour, force est de s’incliner devant les extraordinaires capacités de vision de nos

contradicteurs. Un croquis représentant un seul cercle ⎯celui de Dori, à l’époque, ⎯ et encore

pas dans son entièreté et pas de façon exacte ⎯ j’y reviendrai dans quelques instants, ⎯ leur suffit

pour déterminer l’emplacement de ce qui serait, selon eux, le véritable «point triple». Il faut bien

mesurer l’ampleur de l’exploit, d’autant que le cr oquis en question ne fait apparaître ni la Sirba, ni

le village de Boulkalo, ni celui de Bossébangou [fin de la projection] . Et il faut reconnaître que le

propos ne manque pas d’aplomb, de la part d’une Partie qui reprochait la semaine dernière au Niger

de fonder l’emplacement du point triple qu’il retie nt sur des croquis qui remontaient à une période

121
où il n’existait que deux cercl es dans la zone en cause . Le Niger, pourtant, a exposé depuis lors

qu’un point triple ne change pas de localisati on du simple fait que, durant une certaine période, il

122
était situé sur la limite entre deux, et non trois, cercles . Le Burkina ne l’a d’ailleurs aucunement

contredit sur ce point. Ici, en l’occurrence, rien de tout cela. Aucun point de repère qui permettrait

d’identifier le prétendu point triple en question sur la Sirba. Qui plus est, le croquis retenu par nos

contradicteurs pour leur démonstration n’est pas exact, en ce qu’il ne donne aucune représentation

du Diagourou parmi les subdivisions composant le cercle de Dori. [Projection sur le même

panneau du croquisMBF, annexe24 et MN, annexe C5.] Comme le montre ce croquis de1924

annexé à un rapport d’ensemble du cercle de Dori 123, ce dernier canton était situé entre le Dargol et

le Yagha. Pour lever toute ambiguïté, c’est bien le Niger qui fait apparaître ces contours à l’encre

rouge sur ce croquis. Il sera ⎯ce canton du Diagourou ⎯,lui aussi, transféré à la colonie du

Niger à la suite du décret du 28décembre1926. Et c’est donc au point où la ligne séparant les

cantons de Yagha et le Diagour ou rencontrait la limite du cercle de Say que se trouvait situé le

118
MBF, annexe 24.
119
CR 2012/25, p. 54, par. 28 (Forteau).
120Ibid.

121CR 2012/20, p. 54, par. 29 (Forteau).

122CR 2012/24, p. 30, par. 11 (Klein).
123
MN, annexe C 5. - 53 -

point triple, et non à celui que vous ont présenté de façon erronée nos contradicteurs [fin de la

projection].

9. Quant à la mention, dans l’arrêté du 31 août 1927, d’une limite rejoignant en provenance

du nord-ouest «la rivière Sirba aux environs et au s ud de Boulkalo», elle mérite, elle aussi, un mot

d’explication. Son origine peut être aisément retracée dans un autre procès-verbal, celui du

2février1927 dont mon collègue le professeurAm adouTankoano vous a déjà parlé plus tôt cet

après-midi 12. A l’instar du procès-verbal du 10 février 1927 décrivant les limites du cercle de Say,

que j’ai évoqué un peu plus tôt, ce texte énonce les limites des cantons du cercle de Dori qui sont

sur le point d’être rattachés à la colonie du Niger. C’est lui qui fait référence au point d’arrivée

susmentionné sur la Sirba, description qui sera ⎯on vous l’a dit ⎯ reprise mot pour mot dans

l’arrêté du 31 août. [Projection de la carte Blondel-La Rougery de 1926.] L’évocation de Boulkalo

s’explique aisément, car il s’agissait à l’époque de la seule localité du cercle de Dori qui figurait sur

les cartes pour cette partie du cercle, comme le montre par exemple la carte Blondel-La Rougery

de1926. Il s’agissait donc du seul point identi fiable relevant du cercle de Dori auquel les

signataires du procès-verbal pouvaient valablement se référer pour décrire les limites de ce cercle.

[Fin de la projection.] Mais il n’ont clairement jamais entendu faire de la localité de Boulkalo

elle-même le point de contact entre la nouvelle limite Dori-Tillabéry et le cercle de Say. La

terminologie qu’ils ont utilisée le montre amplement: «aux environs et au sud de Boulkalo». La

présentation de la situation que vous ont faite nos contradicteurs en début de cette semaine s’avère

donc, une nouvelle fois, singulièrement tronquée. On ne retrouve, je le répète, sur aucune carte de

la période coloniale l’illustration de la limite qui vous a été proposée par la Partie adverse.

[Projection du croquis «subdivision de Téra», MN, annexe C 47.] Au contraire, lorsque l’on se

tourne vers des croquis contemporains des textes de 1927 qui font apparaître les limites de la

subdivision de Téra telles qu’elles étaient comprise s à l’époque, c’est bien à la pointe du saillant

qu’est localisé le point de contact entre les circonscriptions en cause, comme l’a toujours affirmé le

Niger [fin de la projection]. Les coordonnées de ce point, telles qu’elles ont été retenues par le

125
Niger, figurent, je vous le rappelle, dans ses écritures .

124
MN, annexe C 7.
125CMN, p. 84, par. 2.2.13. - 54 -

10. On peut donc maintenant se tourner vers le dernier segment de limite, qui rejoint le début

de la boucle de Botou.

D. Le tracé en deux segments de droites qui précède le début de la boucle de Botou fait

partie du legs colonial que le Burkina Faso n’a jamais remis en cause

11. Dans ses écritures, comme au cours du pr emier tour de plaidoiries, le Niger a exposé

comment les autorités coloniales avaient fixé avec précision les limites entre les deux colonies sur

la route reliant Niamey à Ouagadougou. Le lieu où les documents de la période coloniale placent

ce point sur la route implique inévitablement une modification du tracé de limite par rapport à celui

énoncé par l’erratum . Alors que ce dernier parle d’une seule ligne droite jusqu’au début de la

boucle de Botou, l’accord des autorités des deux colonies sur la fixation du point frontière impose

une limite en deux segments de droites dans cette zone. A aucun moment, pas plus dans ses pièces

écrites que lors du premier ou du second tour de pl aidoiries, la Partie adverse n’a contesté que les

documents de la période coloniale que je viens d’évoquer donnaient une description exacte de

l’emplacement de la limite sur la route intercolonial e. On ne peut qu’en prendre acte. [Projection

de la carte de complètement IGN avec emplacemen t du poteau frontière.] Tout comme on ne peut

que prendre acte du fait que les cartographes de l’Institut géographique national de France ont

constaté, lors de leurs relevés préparatoires à l’élaboration de ce qui allait de venir la carte de 1960,

la présence d’un «poteau frontière», à l’emplacement déterminé conjointement par les autorités

coloniales. [Fin de la projection ⎯projection d’un extrait de la carte IGN de 1960.] Ceci a été

dûment reporté sur la carte dans sa version finale. En représentant la frontière dans ce secteur en

deux segments de droites, les cartographes de l’IGN n’ont donc rien inventé. Ils se sont limités à

reproduire sur la carte la situation dont ils avaient constaté l’existence sur le terrain [fin de la

projection].

12. C’est donc bien à cette situation que les deux Etats se sont trouvés confrontés au moment

de leur accession à l’indépendance en 1960. C’est là le contenu, dans ce secteur, du legs colonial

dont ils ont hérité à ce moment-là. L’un ou l’autre des deux Etats a-t-il cherché, par la suite, à le

remettre en cause? Nos contradicteurs se sont désespérément efforcés de le faire croire au cours

de la phase orale, en se référant aux positions défendues par les représentants des deux Etats dans le - 55 -

126
cadre des travaux de la commission technique mixte d’abornement de la frontière . Ou encore en

affirmant que l’accord de1987 imposerait en tout état de cause de se référer à la lettre au tracé

énoncé par l’erratum, indépendamment de toute évolution ultérieure sur le terrain, même si celle-ci

reflétait une entente — fût-elle implicite — entre les deux Etats 127. Mais faut-il rappeler, une fois

encore, que l’accord de1987 ne constitue plus, deva nt la Cour, le seul cadre de référence. Le

différend ⎯ le professeur Kamto vous l’a rappelé tout à l’heure ⎯ doit être tranché, beaucoup plus

largement, sur la base des «règles et principes du droit international…, y compris le principe de

l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation et l’accord du 28mars1987» 128comme le

prévoit l’article6 du compromis. Or, de quoi est- il question ici, sinon de la détermination de la

frontière dont les deux Etats ont hérité, dans ce secteur, au moment de leur accession à

l’indépendance? Et de leur acquiescement à la perpétuation de ce tte situation. Le

professeurThouvenin, dans sa plaidoirie de ce lundi, nous a laissé entendre que l’argument lui

paraissait bien léger. «[I]l en faut un peu plus », a-t-il affirmé, «pour qu’un acquiescement ait pour

129
effet de modifier un tracé de frontière» . Et notre contradicteur de se référer à cet effet au

prononcé de la Cour dans l’affaire Malaisie/Singapour en 2008 :

«tout changement du titulaire de la souveraineté territoriale fondé sur le comportement
des Parties…doit se manifest er clairement et de mani ère dépourvue d’ambiguïté

au travers de ce comportement et des faits pertinents. Cela vaut tout particulièrement
si ce qui risque d’en découler pour l’un e des Parties est en fait l’abandon de
sa souveraineté sur une portion de son territoire.» ( Souveraineté sur

Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, Middle Rocks et South Ledge (Malaisie/Singapour),
arrêt, C.I.J. Recueil 2008, p. 51, par. 122.)

Mais, Monsieur le président, Mesdames et Messi eurs de la Cour, ce que le professeurThouvenin

omet de vous signaler, c’est qu’il n’est nullement question ici de l’abandon, par le BurkinaFaso

«de sa souveraineté sur une portion de son territoire» ⎯pour reprendre les termes de la Cour.

[Projection de la carte IGN, avec le triangle de territoire situé entre les lignes revendiquées par les

deux Parties.] Durant la période coloniale, je viens de vous le rappeler, la zone située entre le tracé

de frontière qui apparaît sur la carte IGN et ce lui revendiqué par le BurkinaFaso a de façon

126CR 2012/21, p. 10, par. 11 (Thouvenin).
127
CR 2012/25, p. 63, par. 29 (Thouvenin).
128
Article 6 du compromis du 24 février 2009 (MN, annexe A 13).
129CR 2012/25, p. 63, par. 30 (Thouvenin). - 56 -

constante été considérée comme relevant non pas de la Haute-Volta, mais du Niger. Et cette

situation a perduré après l’accès à l’indépendance, comme en témoigne le fait que les villages

situés dans cette zone ont été administrés consta mment depuis lors par le Niger. En d’autres

termes, si un changement de souveraineté intervient du fait de la décision que la Cour est appelée à

rendre dans la présente affaire, il se fera au détriment non du Burkina Faso, mais du Niger.

13. Le Niger a en effet fait état dans son mémoire des éléments remontant à la période

coloniale qui attestent l’appartenance à la colonie du Niger de diverses localités situées dans cette

130
zone . Ceci a toutefois été contesté dans le contre-mémoire du Burkina, où celui-ci affirme que le

Niger se serait mépris dans l’identification de ces villages 13. Pour n’en donner qu’une illustration,

nos contradicteurs contestent que le village de Lati (avec un «t») , dont plusieurs répertoires de

localités confirment clairement l’appartenance à la colonie du Niger, soit le même que la localité de

Latti (avec deux «t»), telle qu’elle appa raît sur l’extrait de la carte IGN 13. Pourtant, cette

contestation est basée sur de pures supputations, et ne tient aucun compte d’un trait de la pratique

qui se retrouve avec constance dans la région. Pour ne mentionner que quelques noms ⎯ qui sont

maintenant familiers aux membres de la Cour ⎯, on retrouve mention de Tillabery comme de

Tillabéri, de Bossébangou comme de Bossébango, ou encore de Nabambori comme de Nababori,

sans qu’il soit jamais venu à l’esprit de quiconque de dire que cela impli quait quelque confusion

que ce soit sur l’identification des localités en cause. Le directeur de l’Institut géographique du

Burkina ne nous a d’ailleurs pas dit autre chose dans la partie de son intervention portant sur

l’utilisation des toponymes dans la zone concernée par le litig e, au cours de sa présentation du

133
lundi 8 octobre . Il a par exemple relevé que le village désigné sous le nom de Tchenguiliba dans

l’arrêté de1927 était identifié sous l’appellation Tyenkilibi ⎯vous voyez bien que l’on est assez

134
loin ici de la différence entre un et deux «t» ⎯ sur la carteIGN . On ne voit vraiment pas en

quoi il s’imposerait d’arriver à des conclusions diffé rentes pour le village de Latti, selon que ce

nom s’écrive précisément avec un ou deux «t».

130MN, p. 118-120, par. 7.39.
131
CMBF, p. 129-135, par. 4.65-4.74.
132
CMBF, p. 134, par. 4.70 et 4.72.
133CR 2012/19, p. 39, par. 37 (Tapsoba).

134Ibid. - 57 -

14. Ce qui est en tout état de cause frappan t ici —et ceci est évidemment fondamental—,

c’est le fait que nos contradicteurs se contentent une nouvelle fois de remettre en cause la

pertinence des preuves documentaires avancées par le Niger, sans apporter le moindre élément qui

serait de nature à montrer que les villages en ques tion relevaient de la Haute-Volta; et ceci est

éminemment révélateur. A supposer même ⎯ quod non ⎯ que la Partie adverse ait pu faire la

preuve —négative— du fait que rien ne montre que ces localités relevaient du Niger, elle se

trouve dans l’incapacité complète de montrer qu’ elles étaient considérées comme appartenant à la

Haute-Volta; en d’autres termes, d’apporter une preuve positive. En d’autres termes, on ne

dispose d’aucun élément montrant que les localités situées dans le triangle en question, quelle que

soit leur dénomination, ont à un moment que lconque été considérées comme relevant de la

Haute-Volta. Je laisse aux membres de la Cour le soin d’en tirer les conclusions qui s’imposent

[fin de la projection]. La s ituation qui apparaît sur la carte IGN de1960 est donc bien celle qui

prévalait sur le terrain à l’époque ; c’est de cette situation que les deux Parties au présent litige ont

hérité lors de leur accession à l’indépendance, et je ne puis que répéter que ni l’un ni l’autre de ces

Etats n’ont formellement remis en cause cette partie du legs colonial par la suite.

15. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, cet exposé met fin au second

tour des plaidoiries du Niger. Je vous remercie pour votre écoute attentive et je vous prie,

Monsieur le président, de bien vouloir passer la parole au coagent de la République du Niger pour

une brève intervention et la lecture des conclusions de la République du Niger.

LE PRESIDENT : Merci, Monsieur le professeur. Je donne la parole à S. Exc. M. Amadou,

coagent de la République du Niger. Vous avez la parole, Excellence.

M. AMADOU : Merci, Monsieur le président.

D ISCOURS DE CLÔTURE ET CONCLUSIONS

1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, en l’absence de l’agent du

Niger, l’honneur m’échoit de prendre la parole au nom de mon pays, devant cette honorable et

prestigieuse Cour, pour donner lecture des conclusions du Niger. - 58 -

2. Je voudrais avant cela rappeler l’objet du différend dont la Cour est saisie : aux termes de

l’article 2 du compromis de saisine de la Cour du 24 février 2009, la Cour est priée, d’une part, de

déterminer le tracé de la frontière entre les deux pays dans le secteur allant de la borne

astronomique de Tong-Tong au début de la boucle de Botou et, d’autre part, de donner acte aux

Parties de leur entente sur les résultats des travaux de la commission technique mixte d’abornement

de la frontière Burkina Faso-Niger en ce qui concerne :

a) le secteur allant des hauteurs de N’Gouma à la borne astronomique de Tong-Tong ; et

b) le secteur allant du début de la boucle de Botou jusqu’à la rivière Mékrou.

Concernant ce dernier volet de l’objet du différend, il ne s’agit nullement pour la Cour,

comme le lui demandait le coagent du Burkina Faso dans ses conclusions de lundi dernier, «de

confirmer le tracé de la frontiè re» dans les secteurs abornés ma is de donner «acte aux Parties de

leur entente» sur les résultats des travaux de la commission technique mixte d’abornement de la

frontière dans les secteurs concernés. C’est à cette dernière demande ⎯et à cette demande

seulement ⎯, telle qu’elle a été formulée dans le compromis, que la Cour est appelée à répondre.

3. Ce point étant éclairci, je voudrais me réj ouir de la qualité des déba ts tenus devant cette

honorable juridiction deux semaines durant. Je suis convaincu que ces débats et tous les documents

qui ont été produits dans le cadre de la présente instance vont permettre à la Cour de fixer

définitivement la délimitation de la portion de frontière qui demeure en litige entre nos deux pays

frères et amis.

4. Je souhaiterais à présent, au nom du Gouve rnement et du peuple nigériens, exprimer nos

vifs remerciements à vous-même Monsieur le prési dent, Mesdames et Messieurs de la Cour, pour

votre disponibilité et votre pa tience remarquables; mes remerc iements s’adressent également à

M.Philippe Couvreur, greffier de la Cour, et à toute son équipe pour leur disponibilité, leur

professionnalisme, leur sens du devoir et du trav ail bien fait que nous avons eu l’occasion

d’apprécier depuis le début de cette procédure ; je saisis l’occasion pour faire une mention spéciale

aux interprètes pour leur patience et la qualité de leurs prestations. Quant à notre équipe de

conseils et d’experts, ils savent combien le Gouv ernement du Niger apprécie le travail qu’ils ont

abattu. Je remercie enfin nos frères et amis du Bu rkina Faso pour leur coopération tout le long de

ces plaidoiries en leur renouvelant l’amitié du peupl e nigérien. Tout comme ma sŒur et collègue - 59 -

MmeSalamata SawadogoTapsoba, coag ent et ministre de la justice du Burkina Faso, je quitte

La Haye convaincu que l’arrêt que rendra la Cour dans l’affaire qui oppose nos deux pays viendra

renforcer davantage les relations de fraternité et de bon voisinage qui ont toujours lié les peuples

burkinabè et nigérien.

5. Monsieur le président, Mesdames et Messieu rs de la Cour, je voudrais au terme de nos

plaidoiries et conformément aux dispositions de l’ article60, paragraphe2, du Règlement de cette

haute juridiction, prier la Cour de dire et juger que la frontière entre la République du Niger et le

BurkinaFaso suit le tracé tel que précisé aux pa ges95 et96 du contre-mémoire de la République

du Niger.

Conformément à l’article 7, paragraphe 4, du compromis, le Niger prie également la Cour de

désigner dans son arrêt trois experts qui assisteront nos deux pays, en tant que de besoin, aux fins

de la démarcation de la frontière commune.

Sur ce, et en vous réitérant notre totale conf iance en l’autorité impartiale de votre haute

juridiction, je vous remercie, Monsieur le président et les Membre s de la Cour, pour votre aimable

attention.

LE PRESIDENT : Je remercie Son Excellence Monsieur le ministre et coagent du Niger. La

Cour prend acte des conclusions finales dont vous venez de donner lecture au nom de la

République du Niger, comme elle l’a fait le l undi15octobre2012 pour les conclusions finales

présentées par le Burkina Faso. M. le juge Cançado Trindade a deux ou trois questions à poser aux

Parties. Je vais à présent donner la parole, à cet effet, à M.Cançado Trindade. Vous avez la

parole, Monsieur le juge.

M. le juge CANÇADO TRINDADE : Merci, Mons ieur le président. A des fins de précision

quant au contexte factuel dans lequel s’inscrit la présente affaire, je souha ite adresser aux deux

Parties les questions suivantes :

1) Les Parties pourraient-elles indiquer sur une carte les zones fréquentées par les populations

nomades à l’époque de l’accession à l’indépendanc e et aujourd’hui, et préciser dans quelle

mesure le tracé de la frontière aura une incidence pour ces populations ? - 60 -

2) Dans quel rayon autour de la frontière séparant les deux Etats, ces populations évoluent-elles ?

Merci d’indiquer sur une carte, si possible, quell es sont exactement les portions de la frontière

concernées.

3) Quels sont les villages susceptibles d’être affectés par le tracé de la frontière que les Parties

revendiquent ?

Merci, Monsieur le président.

LE PRESIDENT: Je vous remercie, Monsieur le juge Cançado Trindade. Le texte de ces

questions sera communiqué aux Parties sous forme écrite dès que possible. Conformément à

l’usage, les Parties sont invitées à soumettre leurs réponses écrites à ces questions le

24octobre2012 à 18 heures au plus tard. Tout es observations qu’une Pa rtie pourrait souhaiter

présenter conformément à l’article72 du Règlement de la Cour sur les réponses de l’autre Partie

devront être communiquées le 31 octobre 2012 à 18 heures au plus tard.

Ceci nous amène au terme des audiences c onsacrées aux exposés oraux en la présente

affaire. Je tiens à remercier les agents, conseils et avocats des deux Parties pour leurs

interventions. Conformément à la pratique, je prierai les agents de rester à la disposition de la Cour

pour tous renseignements complémentaires dont elle pourrait avoir besoin.

Sous cette réserve, je déclare close la procédure orale en l’affaire du Différend frontalier

(Burkina Faso/Niger). La Cour va maintenant se retirer pour délibérer. Les agents des Parties

seront avisés en temps utile de la date à laquelle la Cour rendra son arrêt. La Cour n’étant saisie

d’aucune autre question aujourd’hui, l’audience est levée.

L’audience est levée à 18 h 5.

___________

Document Long Title

Audience publique tenue le mercredi 17 octobre 2012, à 15 heures, au Palais de la Paix, sous la présidence de M. Tomka, président, en l’affaire du Différend frontalier (Burkina Faso/Niger)

Links