Audience publique tenue le lundi 8 octobre 2012, à 15 heures, au Palais de la Paix, sous la présidence de M. Tomka, président, en l'affaire du Différend frontalier (Burkina Faso/Niger)

Document Number
149-20121008-ORA-02-00-BI
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Number (Press Release, Order, etc)
2012/20
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Uncorrected

CR 2012/20

Cour internationale International Court
de Justice of Justice

LAAYE THHEGUE

ANNÉE 2012

Audience publique

tenue le lundi 8 octobre 2012, à 15 heures, au Palais de la Paix,

sous la présidence de M. Tomka, président,

en l’affaire du Différend frontalier
(Burkina Faso/Niger)

________________

COMPTE RENDU
________________

YEAR 2012

Public sitting

held on Monday 8 October 2012, at 3 p.m., at the Peace Palace,

President Tomka presiding,

in the case concerning the Frontier Dispute
(Burkina Faso/Niger)

____________________

VERBATIM RECORD
____________________ - 2 -

Présents : M. Tomka,président
Sepúl.vvace-poé,ident

OwMaMa.
Abraham
Keith
Bennouna

Skotnikov
Crnçadoe
Greenwood
XuMe mes

Donoghue
Gaja.
Sebutinede
Bhgn.dari,

MaMhiou.
jDgesdet, ad hoc

Cgoefferr,

⎯⎯⎯⎯⎯⎯ - 3 -

Present: Presient ka
Vice-Presipeúnltveda-Amor

Judges Owada
Abraham
Keith
Bennouna

Skotnikov
Cançado Trindade
Greenwood
Xue

Donoghue
Gaja
Sebutinde
Bhandari

Judges ad hoc Mahiou
Daudet

Registrar Couvreur

⎯⎯⎯⎯⎯⎯ - 4 -

Le Gouvernement du Burkina Faso est représenté par :

S. Exc. M. Jerôme Bougouma, ministre de l’administration territoriale, de la décentralisation et de
la sécurité,

comme agent ;

S. Exc. Mme Salamata Sawadogo/Tapsoba, ministre de la justice, garde des sceaux,

S. Exc. M. Frédéric Assomption Korsaga, ambassadeur du Burkina Faso auprès du Royaume des
Pays-Bas,

comme coagents ;

S. Exc. M. Alain Edouard Traoré, ministre de la communication, porte-parole du Gouvernement,

comme conseiller spécial ;

Mme Joséphine Kouara Apiou/Kaboré, directrice générale de l’administration du territoire,

M. Claude Obin Tapsoba, directeur général de l’Institut géographique du Burkina Faso,

M. Benoît Kambou, professeur à l’Université de Ouagadougou,

M. Pierre Claver Hien, historien, chercheur au centre national de la recherche scientifique et
technologique,

comme agents adjoints ;

M.MathiasForteau, professeur à l’Université ParisOuest, Nanterre-La Défense, membre de la

Commission du droit international,

M. Alain Pellet, professeur à l’Université Paris Ouest, Nanterre-La Défense, ancien président de la
Commission du droit international, membre associé de l’Institut de droit international,

M. Jean-Marc Thouvenin, professeur à l’Université Pa ris Ouest, Nanterre-La Défense, directeur du
Centre de droit international de Nanterre, avocat au barreau de Paris (cabinet Sygna Partners),

comme conseils et avocats ;

M. Halidou Nagabila, ingénieur topographe,

M. André Bassolé, expert en géomatique,

M. Dramane Ernest Diarra, administrateur civil,

e
M Benoît Sawadogo, avocat à la Cour,

M Héloïse Bajer-Pellet, avocat au barreau de Paris,

M. Romain Pieri, chercheur en droit international,

M.LudovicLegrand, chercheur au Centre de dr oit international de Nanterre (CEDIN), juriste

(cabinet Sygna Partners),

M. Simplice Honoré Guibila, directeur général des affaires juridiques et consulaires,

M. Daniel Bicaba, ministre conseiller à l’ambassade du Burkina Faso à Bruxelles,

comme conseillers. - 5 -

The Government of Burkina Faso is represented by:

H.E. Mr. Jérôme Bougouma, Minister for Territorial Administration, Decentralization and Security,
Asgent;

H.E. Ms Salamata Sawadogo/Tapsoba, Minister of Justice and Keeper of the Seals,

H.E.Mr. Frédéric Assomption Korsaga, Ambassador of Burkina Faso to the Kingdom of the

Netherlands,
Cso-Agents;

H.E. Mr. Alain Edouard Traoré, Minister of Communication, Government Spokesman,

as Special Adviser;

Ms Joséphine Kouara Apiou/Kabore, Director-General of Territorial Administration,

Mr. Claude Obin Tapsoba, Director-General of the Geographical Institute of Burkina,

Mr. Benoît Kambou, Professor at the University of Ouagadougou,

Mr. Pierre Claver Hien, Historian, Researcher at the National Science and Technology Research
Centre,

Dseputy-Agents;

Mr.Mathias Forteau, Professor at the University of Paris Ouest, Nanterre-La Défense, Member of
the International Law Commission,

Mr. Alain Pellet, Professor at the University of Paris Ouest, Nanterre-La Défense, former Chairman
of the International Law Commission, associate member of the Institut de droit international,

Mr.Jean-Marc Thouvenin, Professor at the University of Paris Ouest, Nanterre-La Défense,
Director of the Centre de droit international de Nanterre (CEDIN), member of the Paris Bar
(Cabinet Sygna partners),

as Counsel and Advocates;

Mr. Halidou Nagabila, Surveying Engineer,

Mr. André Bassolé, Geomatics Expert,

Mr. Dramane Ernest Diarra, Civil Administrator,

Maître Benoît Sawadogo, Avocat à la Cour,

Maître Héloïse Bajer-Pellet, member of the Paris Bar,

Mr. Romain Pieri, International Law Researcher,

Mr. Ludovic Legrand, Researcher at the Centre de droit international de Nanterre (CEDIN), Lawyer
(Cabinet Sygna partners),

Mr. Simplice Honoré Guibila, Director-General of Legal and Consular Affairs,

Mr. Daniel Bicaba, Minister-Counsellor, Embassy of Burkina Faso in Brussels,
Asdvisers. - 6 -

Le Gouvernement du Niger est représenté par :

S. Exc. M. Mohamed Bazoum, ministre d’Etat, ministre des affaires étrangères, de la coopération,
de l’intégration africaine et des Nigériens à l’extérieur, président du comité d’appui aux conseils
du Niger,

comme chef de la délégation et agent ;

S. Exc. M. Abdou Labo, ministre d’Etat, ministre de l’intérieur, de la sécurité publique, de la
décentralisation, et des affaires religieuses,

comme coagent ;

S. Exc. M Karidio Mahamadou, ministre de la défense nationale,

S. Exc. M. Marou Amadou, ministre de la justice, garde des sceaux, porte-parole du gouvernement,

S. Exc. M. Issaka Djibo, ambassadeur de la République du Niger auprès du Royaume des

Pays-Bas,

comme coagents adjoints ;

M.Sadé Elhadji Mahaman, conservateur des archives et bibliothèques, coordonnateur du

secrétariat permanent du comité d’appui aux conseils du Niger,

comme agent adjoint ;

M.JeanSalmon, professeur émérite de l’Université libre de Bruxelles, membre de l’Institut de
droit international, membre de la Cour permanente d’arbitrage,

comme conseil principal ;

M. Maurice Kamto, professeur agrégé de droit public , avocat au barreau de Paris, ancien doyen de
la faculté des sciences juridiques et politiques de l’Université de Yaoundé II, ancien président et
membre de la Commission du droit internationa l, membre associé de l’Institut de droit

international,

M.PierreKlein, professeur de droit et directeur adjoint du Centre de droit international de
l’Université libre de Bruxelles,

M.AmadouTankoano, professeur de droit internatio nal, enseignant-chercheur et ancien doyen de
la faculté de sciences économiques et juridiqu es de l’Université AbdouMoumouni de Niamey
du Niger,

comme conseils ;

Mme MartynaFalkowska, chercheuse au Centre de droit international à l’Université libre de
Bruxelles,

comme assistante des conseils ; - 7 -

The Government of Niger is represented by:

H.E.Mr. Mohamed Bazoum, Minister of State for Foreign Affairs, Co-operation, African
Integration and Nigeriens Abroad, Chairman of the Support Committee to Counsel for Niger,

as Head of the Delegation and Agent;

H.E.Mr.Abdou Labo, Minister of State for the Interior, Public Security, Decentralization and
Religious Affairs,

as Co-Agent;

H.E. Mr. Karidio Mahamadou, Minister of National Defence,

H.E. Mr. Marou Amadou, Minister of Justice, Keeper of the Seals, Government Spokesman,

H.E. Mr. Issaka Djibo, Ambassador of Niger to the Kingdom of the Netherlands,

as Deputy Co-Agents;

Mr.Sadé Elhadji Mahaman, Curator of Archives and Libraries, Co-ordinator of the Permanent
Secretariat of the Support Committee to Counsel for Niger,

as Deputy Agent;

Professor Jean Salmon, Professor emeritus of the Université Libre de Bruxelles, Member of the
Institut du droit international, member of the Permanent Court of Arbitration,

as Lead Counsel;

Professor Maurice Kamto, Professor agrégé of public law, member of the Pa ris Bar, former Dean

of the Faculty of Law and Political Science at the University of YaoundéII, former Chairman
and Member of the International Law Commissi on, associate member of the Institut de droit
international,

Professor Pierre Klein, Professor of Law at the Université Libre de Bruxelles, Deputy-Director of
the Centre of International Law,

Professor Amadou Tankoano, Professor of International Law, former Dean of the Faculty of

Economic and Legal Science, Lecturer and Re searcher at Abdou Moumouni University in
Niamey, Niger,

as Counsel;

MsMartyna Falkowska, Researcher at the Centre of International Law, Université Libre de
Bruxelles,

as Assistant; - 8 -

Le général Maïga Mamadou Youssoufa, gouverneur de la région de Tillabéri,

M.AmadouTcheko, directeur général des affaires juridiques et consulaires au ministère des
affaires étrangères, de la coopéra tion, de l’intégration africaine et des Nigériens à l’extérieur,
coordinateur adjoint du comité d’appui aux conseils du Niger,

Le colonelMahamaneKoraou, secrétaire permanent de la commission nationale de frontières,
membre du comité d’appui aux conseils du Niger (en retraite),

M. Mahamane Laminou Amadou Maouli, magistrat, rapporteur du comité d’appui aux conseils du

Niger,

M.HassimiAdamou, ingénieur géomètre principa l, directeur général de l’Institut géographique
national du Niger, membre du comité d’appui aux conseils du Niger,

M.HamadouMounkaila, ingénieur géomètre princi pal à la commission nationale des frontières,
membre du comité d’appui aux conseils du Niger,

M. Mahamane Laminou, ingénieur géomètre principal, expert à l’institut géographique national du

Niger, membre du comité d’appui aux conseils du Niger,

M. Soumaye Poutia, magistrat, membre du comité d’appui aux conseils du Niger,

M. Idrissa Yansambou, directeur des archives nationales du Niger, membre du comité d’appui aux
conseils du Niger,

M. Belko Garba, ingénieur géomètre, membre du comité d’appui aux conseils du Niger,

Le général Yayé Garba, ministère de la défense nationale, membre du comité d’appui aux conseils
du Niger,

M. Seydou Adamou, conseiller technique du ministre d’Etat, ministre des affaires étrangères, de la

coopération, de l’intégration africaine et des Nigériens à l’extérieur,

M. Abdou Abarry, directeur général des relations bilatérales au ministère des affaires étrangères, de
la coopération de l’intégration africaine et des Nigériens à l’extérieur,

Le colonel Harouna Djibo Hamani, directeur de la coopération militaire, des opérations et du
maintien de la paix au ministère des affaires étrangères, de la coopération, de l’intégration
africaine et des Nigériens à l’extérieur,

comme experts ;

M. Ado Elhadji Abou, ministre conseiller à l’ambassade du Niger à Bruxelles,

M. Chitou Boubacar, chargé du protocole à l’ambassade du Niger à Bruxelles,

M. Salissou Mahamane, agent comptable du comité d’appui aux conseils du Niger,

M.AbdoussalamNouri, secrétaire principal au secrétariat permanent du comité d’appui aux
conseils du Niger,

Mme Haoua Ibrahim, secrétaire au secrétariat permanent du comité d’appui aux conseils du Niger,

comme personnel d’appui. - 9 -

General Maïga Mamadou Youssoufa, Governor of the Region of Tillabéri,

Mr.Amadou Tcheko, Director-General of Legal and Consular Affairs at the Ministry of Foreign
Affairs, Co-operation, African Integration and Nigeriens Abroad, Deputy Co-ordinator of the
Support Committee to Counsel for Niger,

Col. (retired) Mahamane Koraou, Permanent Secretary to the National Boundaries Commission,
member of the Support Committee to Counsel for Niger,

Mr.Mahamane Laminou Amadou Maouli, Magistra t, Rapporteur of the Support Committee to

Counsel for Niger,

Mr.Hassimi Adamou, Chief Surveyor, Director-Gen eral of the National Geographical Institute of
Niger (NGIN), member of the Support Committee to Counsel for Niger,

Mr. Hamadou Mounkaila, Chief Surveyor at the National Boundaries Commission, member of the
Support Committee to Counsel for Niger,

Mr.Mahamane Laminou, Chief Surveyor, Expert at the National Geographical Institute of Niger

(NGIN), member of the Support Committee to Counsel for Niger,

Mr. Soumaye Poutia, Magistrat, member of the Support Committee to Counsel for Niger,

Mr.Idrissa Yansambou, Director of the National Archives of Niger, member of the Support
Committee to Counsel for Niger,

Mr. Belko Garba, Surveyor, member of the Support Committee to Counsel for Niger,

General Yayé Garba, Ministry of National Defe nce, member of the Support Committee to Counsel
for Niger,

Mr. Seydou Adamou, Technical Adviser to the Minister of State for Foreign Affairs, Co-operation,

African Integration and Nigeriens Abroad,

Mr.Abdou Abarry, Director-General of Bilatera l Relations, Ministry of Foreign Affairs,
Co-operation, African Integration and Nigeriens Abroad,

Col. Harouna Djibo Hamani, Director of Milita ry Co-operation and Peace-Keeping Operations,
Ministry of Foreign Affairs, Co-operation, African Integration and Nigeriens Abroad,

as Experts;

Mr. Ado Elhadji Abou, Minister-Counsellor, Embassy of Niger in Brussels,

Mr. Chitou Boubacar, Protocol Officer, Embassy of Niger in Brussels,

Mr. Salissou Mahamane, Accountant of the Support Committee to Counsel for Niger,

Mr.Abdoussalam Nouri, Principal Secretary, Perm anent Secretariat of the Support Committee to

Counsel for Niger,

MsHaoua Ibrahim, Secretary, Permanent Secretariat of the Support Committee to Counsel for
Niger,

as Support Staff. - 10 -

Le PRESIDENT: Veuillez vous asseoir. L’audi ence est ouverte et nous allons entendre la

suite du premier tour de plaidoiries du Burkina Faso . La parole est à M.Pellet. Vous avez la

parole, Monsieur.

M. PELLET : Merci, Monsieur le président.

P RÉSENTATION GÉNÉRALE

L E CONTEXTE HISTORIQUE ; LES POINTS D ’ACCORD ET DE DÉSACCORD ENTRE LES PARTIES ;
LA THÈSE DU B URKINA

(suite et fin)

III. La thèse du Burkina (présentation générale)

50. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, en décrivant les points de

désaccord entre les Parties, j’ai déjà largement présenté ⎯mais «négativement» en quelque

sorte ⎯les grandes lignes de la position du Burkina, que mes collègues et amis MathiasForteau

puis Jean-MarcThouvenin vont détailler plus précisément. Je souhaite cependant, en guise de

conclusion à cette longue plaidoirie, heureusement interrompue par la pause-déjeuner, résumer

notre thèse, cette fois «positivemen t». Cela ne me prendra pas très longtemps : l’affaire qui vous

est soumise est simple, notre position l’est aussi.

Sur le plan des principes, nous considérons :

1) que la Cour est appelée à régler l’ensemble du différend frontalier qui lui est soumis, d’une part

en revêtant de l’autorité de la chose jugée le tracé de la portion de la frontière que les Parties ont

abornée, d’autre part en confirmant la délimitation résultant de l’ erratum de 1927 pour le reste

du tracé frontalier ;

2) que cet instrument constitue un titre juridique qui ne saurait céder devant des effectivités

prétendues ou des incommodités alléguées ; et

3) que, si, sur un point ou un autre, l’ erratum ne suffit pas (être insuffisant, c’est ne pas suffire)

pour la détermination de ce tracé ⎯mais seulement dans cette hypothèse, il conviendrait de

suivre le tracé figurant sur la carte de 1960 de l’IGN France.

52. Concrètement, le Burkina ne perçoit aucune insuffisance de l’ erratum ni dans les parties

abornées de la frontière, ni dans le «secteur de Téra». En revanche, il admet que l’ erratum ne - 11 -

permet pas de déterminer compléteme nt le tracé de la frontière dans le «secteur de Say» et qu’il

convient ⎯ marginalement ⎯ de se reporter exceptionnellement à la carte IGN France de 1960 en

ce qui concerne certains segments de ce secteur.

53. Avant de revenir brièvement sur le tr acé en résultant, une petite précision (qui est

1
d’ailleurs un rappel ) sur ces expressions contestables: «secteur de Téra» ou «secteur de Say».

Elles sont contestables car elles semblent imp liquer que le problème se pose par rapport au seul

Niger, où se trouvent les villes de Téra et de Sa y; au surplus, elles ne correspondent pas à une

division découlant de l’ erratum. Le Burkina a cependant «endossé» cette opposition par

commodité mais en ayant conscience qu’il s’agit d’une approximation quelque peu tendancieuse.

[Projection n o°9 : Le tracé de la frontière dans le secteur de Téra.]

54. Dans le «secteur de Téra» donc, le texte de l’ erratum du 5 octobre 1927 suffit tout à fait

à déterminer la frontière entre les deux pays :

«[à partir de] la borne astronomique de Tong-Tong[,] cette ligne s’infléchit ensuite

vers le [s]ud-[e]st pour couper la piste automobile de Téra à Dori à la borne
astronomique de Tao située à l’ouest de la ma re d’Ossolo, et atteindre la rivière Sirba
à Bossébangou» . 2

55. Le texte est clair et précis et il n’est nul besoin pour déterminer le tracé de la frontière de

se référer à quelque élément que ce soit ⎯y compris à la carte de 1960. Il en résulte que la

frontière est ici formée de deux tronçons :

⎯ de la borne astronomique de Tong-Tong à celle de Tao ; puis

⎯ de la borne astronomique de Tao à la rivière Sirba à Bossébangou.

Pour les raisons que je viens de rappeler, faute d’indications contraires, il convient de relier ces

trois points par des lignes droites ⎯ comme le faisaient du reste déjà le tracé consensuel de 1988

ou celui du compromis de 1991. La prétention du Nige r de suivre «pour l’essentiel» le tracé de la

carte de 1960 ⎯ pour d’ailleurs s’en écarter ensuite 3 et proposer un tracé particulièrement sinueux

ne correspondant ni au texte de l’erratum, ni à la ligne figurant sur la carte ⎯ n’a aucune espèce de

1
CMBF, p. 9, notes 28 et 32 ; et p. 69-70, par. 3.14-3.17.
2Art. 1, al. 1.

3MN, p. 93, b) De la borne astronomique de Tao à Bangaré, la lig ne frontière suit pour l’essentiel la ligne IGN ;
p. 93, par. 6.20 ; p. 94-97, par. 6.22-6.23 ; CMN, p. 61, par. 2.1.1 ; p. 63, par. 2.1.4 ; p. 65-68, par. 2.1.7-2.1.8. - 12 -

4
justification . Le caractère fantaisiste de l’argumentation nigérienne est accentué par le fait que le

Niger apporte, dans son contre-mémoire, selon son expression pudique, des «retouches» au

5
«cheminement» suivi dans son mémoire .

[Fin de la projection n o 9 ⎯ projection n °10 : Le tracé de la frontière dans le secteur de Say.]

56. Les choses sont (un petit peu) plus compliquées dans le «secteur de Say» . Le texte

pertinent décrit un tracé plus complexe ⎯ ce qui ne pose pas de problème particulier, mais aussi un

tracé lacunaire sur un point spécifique : l’ erratum ne permet en effet pas de déterminer l’ensemble

du tracé de la frontière à partir du point où elle coupe la rivière Sirba à Bossébangou pour remonter

«presque aussitôt» vers le nord-ouest de manière à laisser au Niger les quatre villages mentionnés

dans l’erratum. Du fait de cette insuffisance (et c’est la seule portion de la frontière que l’erratum

ne décrit pas à suffisance), il convient ici de se reporte r au tracé de la carte de 1960. Pour le reste,

celui décrit par l’ erratum fait droit. Le principal reproche qu’adresse le Niger à ce raisonnement

est, je cite son contre-mémoire, qu’il «ignore...co mplétement le tracé traditionnel qui a toujours

6
été donné aux limites du cercle de Say» . Toujours? Jusqu’à l’intervention de l’ erratum, qui a

déterminé la limite intercoloniale en applica tion de l’alinéa2 de l’article2 du décret du

28décembre1926, peut-être... (encore que les preuves qu’en donne le Niger ne l’établissent

nullement); mais ensuite, sûreme nt pas! L’argumentation nigérienne, qui contredit les termes

clairs de l’erratum au nom d’une «tradition» imaginaire, est tout simplement irrecevable.

o
[Fin de la projection n 10.]

57. Monsieur le président, dans son arrêt du 3 février 1994, rendu da ns l’affaire de la Bande

d’Aouzou, la Cour a considéré que le traité fra nco-libyen d’amitié et de bon voisinage du

10 août 1955 constituait un titre suffi sant, permettant de régler de manière concluante le différend

qui lui était soumis. Elle a estimé qu’elle n’avait dès lors «pas à étudier plus avant des sujets qui

[avaient] été longuement traités devant elle» ( Différend territorial (Jamahiriya arabe

libyenne/Tchad), arrêt, C.I.J. Recueil 1994, p.6) comme «l’effectivité de l’occupation des zones

pertinentes dans le passé et la question de savoir si cette occupation a été constante, pacifique et

4
CMBF, p. 59-72, par. 3.6-3.21.
5 CMN, p. 61, par. 2.1.1.

6 CMN, p. 83, par. 2.2.13 ; voir aussi MN, p. 110, par. 7.21 ; p. 114, par. 7.30 ; p. 120, par. 7.40 ; ou CMN, p. 73
par. 2.2.1 ; p. 92, par. 2.2.21. - 13 -

reconnue» (ibid., p.38, par.76). «Le traité de 1955», a-t-elle conclu, «a déterminé de manière

complète la frontière entre la Libye et le Tchad» (ibid., p. 40, par. 76).

58. Mutatis mutandis, il doit en aller de même en la présente espèce: l’ erratum du

5 octobre 1927 constitue un titre clair et suffisant pe rmettant de déterminer de manière concluante

le tracé de la frontière entre le Burkina Faso et la République du Niger. Il n’est dès lors nul besoin

d’étudier plus avant des sujets que la Partie ni gérienne a longuement présentés à la Cour dans ses

écritures comme les prétendues effectivités col oniales ou postcoloniales, les limites soi-disant

«vécues» des cercles et autres subdivisions territoriales ou la cartographie de la région

⎯ carte IGN France de 1960 mise à part, dans l’unique cas où l’erratum se révèle insuffisant.

59. Ce n’est donc, Monsieur le président, que pour surplus de droit que, dans leurs

présentations détaillées de la fron tière dans le secteur de Téra d’une part et dans celui de Say

d’autre part, les professeurs Forteau et Thouvenin montreront qu’en tout état de cause, les

arguments piochés ici ou là en dehors de l’erratum par la Partie nigérienne ne sont pas fondés.

60. Monsieur le président, je vous serais reconna issant de bien vouloir donner la parole au

professeur Mathias Forteau. Grand merci, Mesdames et Messieurs les juges, pour votre attention.

Le PRESIDENT : Merci. Je donne la parole à M. Forteau. Vous avez la parole, Monsieur.

M. FORTEAU : Merci, Monsieur le président.

L E TRACÉ DE LA FRONTIÈRE DEPUIS LA BORNE ASTRONOMIQUE DE TONG -TONG JUSQU ’AU
POINT OÙ ELLE ATTEINT LA RIVIÈRE SIRBA À BOSSÉBANGOU

I. Le tracé de l’erratum

Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les juges, c’est un privilège, un honneur mais

également un plaisir renouvelés de me retrouver à cette barre aujourd’hui.

1. Monsieur le président, le professeur Pe llet a indiqué sur quelles bases juridiques il

convient de fonder le tracé de la frontière entre lBurkina et le Niger. Comme il l’a rappelé, il

7
existe dans la présente affaire un titre juridi que indiscutable, admis par les deux Partiestitre

définit le tracé de la limite qui fait l’objet du présent différend. Ce titre, cerratum de 1927.

7
Voir CMN, p. 16, par. 1.1.2. - 14 -

Ce titre est d’autant plus incontestable que l’accord de 1987 et le compromis de saisine de la Cour

y renvoient l’un et l’autre. Dès lors qu’il existe un acte juridique de délimitation, la Cour est par

conséquent requise non pas de trouver une délimitation, mais simplement d’interpréter le texte

opérant la délimitation et de confirmer le tracé qu’il adopte.

2. Au moment de s’atteler à la détermination du tracé de la fr ontière, ce qui sera l’objet des

plaidoiries des conseils du Burkina à partir de maintenant, il convient par conséquent de rappeler en

quels termes l’erratum définit cette frontière.

3. Dans le champ couvert par l’article 2, paragraphe 1, du compromis par lequel la Cour a été

saisie, c’est-à-dire pour ce qui con cerne le secteur non aborné de la frontière qui court entre la

borne astronomique de Tong-Tong et le début de la boucle de Botou, l’erratum définit le tracé de la

frontière par le biais de trois phrases successives.

o
[Projection n 1 : le texte de l’erratum.]

4. Au terme de la première phrase, l’erratum indique qu’à partir de la borne astronomique de

Tong-Tong, la ligne «s’infléchit ensuite vers le s ud-est pour couper la piste automobile de Téra à

Dori à la borne astronomique de Tao située à l’ouest de la mare d’Ossolo, et atteindre la rivière

Sirba à Bossébangou».

5. La seconde phrase indique qu’à partir de ce dernier point ⎯ celui où la ligne «attein[t] la

rivière Sirba à Bossébangou», la ligne

«remonte presque aussitôt vers le nord-ouest laissant au Niger, sur la rive gauche de
cette rivière, un saillant comprenant l es villages de Alfassi, Kouro, Tokalan,

Tankouro; puis, revenant au [s]ud, elle coupe de nouveau la Sirba à hauteur du
parallèle de Say».

6. Enfin, l’erratum dispose que «[d]e ce point, la frontière, suivant une direction est-sud-est,

se prolonge en ligne droite jusqu’à un point situé à 1 200 mètres ouest du village de Tchenguiliba».

o
[Fin de la projection n 1.]

7. Dans leurs écritures et aux fins de présen ter leur tracé de manière ordonnée, les deux

Parties ont divisé la limite ainsi définie par l’ erratum en plusieurs portions. Contrairement

cependant à ce que le Niger affirme dans son contre-mémoire ⎯ selon lui «[l]es deux Parties, dans

leurs mémoires respectifs, ont divisé cette partie de la frontière de la même manière en deux - 15 -

8
secteurs» ⎯ les deux Parties ont en réalité opéré cette division sur des bases distinctes et par

conséquent de manière différente. Et un premier point de désaccord se manifeste ici, qui touche

directement au fond de l’affaire.

[Projection n o2 : les deux tronçons à délimiter.]

8. S’en tenant au titre que constitue l’ erratum, le Burkina a divisé la limite en suivant à la

lettre le texte de l’ erratum. Il a, en conséquence, arrêté chaque portion frontalière à un point

9
frontière visé par l’ erratum, et fait commencer la portion suivante à ce même point frontière . Je

m’excuse de devoir rappeler de pareilles évidences, mais je me dois de le faire dans la mesure où,

par contraste, le Niger s’est affranchi quant à lui du texte de l’ erratum, j’y viendrai dans un instant,

dans la présentation même de sa revendication.

9. Suivant donc ce qu’indique l’ erratum, le Burkina, dans ses écritures, s’est d’abord attaché

à définir le tracé entre la borne astronomique de Tong-Tong et le point où la frontière atteint la

rivière Sirba à Bossébangou; puis il s’est attaché à définir le tracé à partir de ce dernier point

jusqu’au début de la boucle de Botou. Et c’ est la même démarche qui sera suivie lors des

plaidoiries orales.

o
[Fin de la projection n 2.]

10. De son côté, le Niger a structuré ses écritu res autour de deux secteurs mais en se fondant

sur une base autre que l’ erratum. L’absence de prise en compte de l’ erratum dans le plan des

écritures nigériennes se manifeste à deux égards notamment.

11. D’une part, le Niger se fonde uniquement sur les cercles nigéri ens limitrophes de la

limite, en distinguant, selon sa propre terminologie, le «secteur de Téra» du «secteur de Say» 10.

Comme vient de le rappeler AlainPellet, le Niger oublie à cette occasion qu’il existait aussi

en1927 des cercles voltaïques de l’autre côté de la limite. Il oublie tout autant que l’objet de

l’erratum était intercolonial, et non intracolonial: l’ erratum visait à délimiter les territoires

respectifs des deux colonies.

8
CMN, p. 17, par. 1.1.2.
9
Voir MBF, chap. IV ; CMBF, chap. III et IV.
10Voir MN, chap. VI et VII ; CMN, chap. II. - 16 -

12. D’autre part, et de manière encore plus étrange, le basculement entre les deux tronçons

est opéré par le Niger à un point que ne mentionne pas l’ erratum. Selon le Niger, l’intersection

entre les deux tronçons serait le «point qui constit uait à l’époque coloniale la limite du cercle de

11
Say (point triple entre les cercles de Tillabéry, Dori et Say)»

13. Ce «point triple» est totalement étranger pourtant à lerratum qui ne mentionne aucun

«point triple» entre trois cercles.

14. La démarche du Niger est d’autant plus étrangère à ce que prévoit l’ erratum que le tracé

défendu par le Niger ne passe pas par ailleurs par le point frontière de Bossébangou alors pourtant

que celui-ci est expressément visé dans le texte de l’erratum ⎯ nous aurons l’occasion d’y revenir.

L E TRACÉ DE LA FRONTIÈRE DEPUIS LA BORNE ASTRONOMIQUE DE T ONG -T ONG
JUSQU AU POINT OÙ ELLE ATTEINT LA RIVIÈRE S IRBA À B OSSEBANGOU

15. Monsieur le président, ces précisions introductives étant f
aites, je m’attacherai

maintenant ⎯c’est l’objet principal de cette plaidoirie ⎯ au premier des tronçons décrits dans

l’erratum : celui qui, d’après le texte de l’ erratum, court entre la borne de Tong-Tong et la rivière

Sirba à Bossébangou. Pour rappel, l’erratum indique que la ligne frontalière, à partir de la borne de

Tong-Tong, «s’infléchit ensuite vers le sud-est pour couper la piste automobile de Téra à Dori à la

borne astronomique de Tao située à l’ouest de la mare d’Ossolo, et atteindre la rivière Sirba à

Bossébangou».

16. Je procéderai en trois temps pour définir le tracé dans ce secteur: j’indiquerai d’abord

quels sont les points d’accord et de désaccord entre les Parties sur le tracé entre les deux points

extrêmes de la frontière dans ce secteur (I) ; j’id entifierai ensuite les points par lesquels doit passer

successivement la frontière (II); enfin, je décrirai le tracé de la ligne rejoignant ces points

frontières tel qu’il ressort du texte de l’erratum (III).

I. Les points d’accord et de désaccord des Parties

17. Au titre des points d’accord, je relèverai tout d’abord que les deux Parties reconnaissent

que la longueur de la frontière dans ce secteur estrelativement modeste. Dans son mémoire, le

Niger estime que «le tronçon de la ligne frontière concerné par le présent litige [es]t relativement

11
CMN, par. 2.1.10. - 17 -

12
restreint» ; à plus forte raison cela est-il vrai d’une partie seulement de ce tronçon, celui qui nous

occupe ici, lequel court sur une distance de 150 kilomètres environ.

18. Les deux Parties n’ont pas de désaccord non plus quant à l’identification de deux des

points frontières dans ce secteur, même si ell es divergent très légèrement sur les coordonnées du

second ⎯ point sur lequel je ne reviens pas aujourd’hui car il n’y a rien à ajouter à ce qui est écrit à

13
cet égard dans le contre-mémoire du Burkin a auquel je vous renvoie très respectueusement .

Fidèles à l’erratum, le Burkina et le Niger retiennent au moins comme points frontières communs

les deux bornes astronomiques de Tong-Tong et de Tao qui sont visées l’une et l’autre dans

l’erratum.

19. Les deux Parties conviennent également ⎯ mais cette fois-ci de manière plus inconstante

côté nigérien ⎯ que lorsque l’erratum indique que la ligne passe par deux points, il est à présumer,

à défaut d’indication contraire, que ces deux points sont nécessairement reliés par une ligne droite.

De fait, c’est la solution qui a été retenue d’un commun accord par les Parties dans les secteurs

abornés de la frontière, point sur lequel le professeur Pellet reviendra demain matin.

20. Le Niger applique également cette solutio n aux trois premiers points frontières du tracé

qu’il revendique dans le présent secteur. Le Niger estime devoir les relier en effet, selon ses

14
propres termes, par «deux segments de droite» . Le Niger n’applique cependant cette solution que

de manière partielle, la retenant entre les born es de Tong-Tong et de Tao pour l’exclure entre la

borne de Tao et le point frontière suivant, sans justifier cette différence de traitement 15. Rien dans

le texte de l’erratum n’autorise pourtant ce double standard.

21. Cette dernière remarque laisse déjà appa raître les éléments de désaccord entre les deux

Parties, qui se manifestent dans la différence de tracé que chacune revendi que. Le Niger a raison

d’écrire en ce sens dans son contre-mémoire que le raisonnement et la logique adoptés par chaque

Partie dans ce secteur sont «diamétralement opposées» 16. Permettez-moi de rappeler brièvement

en quoi les deux Parties divergent concrètement dans ce secteur.

12
MN, par. 4.1.
13
CMBF, par. 3.4.
14MN, p. 91-93, a).

15Voir infra, par. 34.

16CMN, par. 2.1.1. - 18 -

[Projection n 3 : le tracé de l’erratum.]

22. Le Burkina estime incontestable tout d’abord que l’interprétation la plus naturelle et pour

dire vrai l’interprétation évidente du texte de l’ erratum s’ordonne autour de trois éléments dans ce

secteur: d’une part, l’ erratum ne retient ici aucune frontière na turelle, à la différence de ce qu’il

fait pour d’autres segments de la frontière ; d’autre part, il désigne trois points frontières ⎯ pas un

de plus, pas un de moins, lesquels sont tous les trois identifiables et localisables ; enfin, l’ erratum

indique que la ligne frontalière passe par ces trois points successivement, et par ces trois points

uniquement.

23. Il est naturel, et le bon sens commande, d’en tirer les deux conclusions suivantes :

i) puisqu’aucun autre point frontière n’est men tionné, cela signifie nécessairement que la ligne

doit rejoindre directement chacun de ces trois points : si tel n’était pas l’intention de l’auteur de

l’erratum, il aurait dû inévitablement désigner les autr es points frontières par lesquels la limite

aurait dû passer ; or, il ne l’a pas fait ;

ii) à défaut d’autre indication, la seule manière de rejoindre directement deux points par le biais

d’une ligne artificielle est de tracer une ligne droite : la mention de deux points suffit en effet au

tracé d’une telle ligne; en revanche, le tracé entre deux points suivant une ligne autre qu’une

ligne droite, une ligne courbe par exemple, s uppose que d’autres indications complémentaires

soient données, comme, par exemple, le rayon de la circonférence du cercle servant à tracer la

17
courbe ; or, de telles indications ne figurent pas dans l’ erratum. Il s’en déduit que les trois

points frontières visés dans l’ erratum sont reliés par deux segments de droite ⎯ ce qui,

d’ailleurs, est pleinement conforme à la méthode appliquée par les Part ies dans les secteurs

abornés de la frontière.

24. C’est donc, en définitive, une équation très simple qui s’applique en l’espèce.

[Fin de la projection n o 3.]

25. Le tracé que revendique le Niger se distingue à plusieurs titres du tracé que je viens de

présenter : outre le fait, rappelé par mon collègue Alai nPellet, que le Niger s’affranchit de la

méthodologie et du droit applicables, trois différences sont notables :

17Voir MBF, par. 4.39-4.40. - 19 -

i) premièrement, le tracé du Burkina est clair dans son énoncé: celui du Niger est d’une grande

complexité et confusion ;

ii) deuxièmement, le tracé du Burkina n’a jamais varié ⎯tout simplement parce que le texte de

l’erratum est resté le même depuis1927: le tracé du Niger, quant à lui, n’a jamais cessé de

changer, y compris entre le mémoire et le c ontre-mémoire, en attendant peut-être de nouveaux

changements dans les quelques jours à venir ;

iii)troisièmement, le tracé du Burkina est la résultante de l’interprétation de l’ erratum : de son

côté, le tracé du Niger ne correspond pas à ce que dit l’ erratum et ne trouve pas d’ancrage dans

son texte.

26. Monsieur le président, je reprendrai brièvement, et dans cet ordre, chacun de ces trois

points.

27. Complexe et confus, le tracé du Niger l’est indiscutablement. Pour s’en convaincre, il

suffit de mettre en parallèle , d’une part, le texte de l’ erratum, d’autre part, les conclusions des

écritures nigériennes :

i) l’ erratum décrit de manière concise et limpide le tracé dans ce secteur ; de son côté, il faut deux

18
pages au Niger dans son mémoire et onze tirets pour décrire son tracé ;

ii) qui plus est, le tracé du Niger comporte p as moins d’une vingtaine de points frontières ⎯ aux

noms parfois très exotiques comme «le point frontière dit Baobab» 19. Parmi cette vingtaine de

points frontière, deux seulement (les bornes de Tong-Tong et de Tao) sont désignés dans

l’erratum ;

iii) le tracé du Niger suit par ailleurs un certain nombre de cours d’eau ou d’affluents dont il n’est

pas non plus fait mention dans l’ erratum qui, dans le présent secteur je le rappelle, ne se réfère

à aucune frontière naturelle.

28. Il résulte de tout ceci que la première impression qui frappe le lecteur lorsqu’il prend

connaissance du tracé du Niger est de se demander que l rapport celui-ci entretient avec le texte de

l’erratum.

18
MN, p. 122-123.
19Ibid. - 20 -

29. L’impression se renforce encore lorsque l’on met en perspective historique le tracé du

Niger et, pour être plus exact, les tracés du Niger. Comme le Burkina l’a déjà montré dans ses

écritures et comme cela a été rappelé par le prof esseurThouvenin, le Niger n’a jamais cessé de

changer de position durant les travaux de matérialisation de la frontière : après avoir considéré que

le tracé suivait deux segments de droite, le Niger a plaidé pour un tracé suivant une ligne courbe. Il

a par la suite de nouveau accepté un tracé en deux segments de droite, avant de se raviser encore

une fois. Il a enfin défendu dans son mémoire un nouveau tracé, qui repose sur un mélange entre le

tracé de la carte de 1960, de prétendus éléments d’effectivités et des éléments naturels 2.

30. Par ailleurs, le tracé revendiqué par le Ni ger a encore changé entre le mémoire et le

contre-mémoire 21. De l’aveu même du Niger, qui dit l es choses avec pudeur pour mieux masquer

son inconstance,

«[l]e présent contre-mémoire, tout en suiv ant le même cheminement [que celui du
mémoire], y apporte certaines retouches limitant à trois les situations où la République
du Niger estime qu’il convient de s’écarter de la ligne IGN…» 22

Voilà, Monsieur le président, une manière très oppor tuniste mais nullement juridique d’interpréter

l’erratum.

31. Le terme d’interprétation est au demeuran t usurpé dans ce contexte puisque, de toute

évidence, le Niger n’interprète pas l’erratum. Interpréter suppose en effet de s’en tenir au texte à

interpréter et par conséquent d’en respecter les termes. Or,

i) le Niger refuse que son tracé passe par le troisième des points frontières désigné dans

l’erratum : le point où la limite atteint la rivière Sirba à Bossébangou ;

ii) à l’inverse, le Niger insère un nouveau point frontière entre les bornes de Tong-Tong et de

Tao ⎯ la borne de Vibourié ⎯ dont pourtant l’erratum ne dit mot ;

iii)entre la borne de Tao et la rivière Sirba à Bossébangou, le Niger invente également près de

vingt points frontières qui ne sont pas davantage visés dans l’erratum.

20
Voir CMBF, p. 53, par. 2.15.
21
MN, par. 6.21-6.25 ; CMN, par. 2.1.1-2.1.15.
22CMN, p. 61, par. 2.1.1. - 21 -

32. De ce point de vue, ce ne sont pas tant les positions des Parties qui divergent dans la

présente affaire; ce qui est tout simplement en opposition, c’est le tracé du Niger avec le titre

juridique que constitue l’erratum.

33. Dans son dernier état, le tracé revendiqué par le Niger est le suivant 23:

i) à partir de la borne astronomique de Tong-Tong, la limite rejoint en ligne droite la borne de

Vibourié ;

ii) à partir de cette dernière borne, la limite rejoint en ligne droite la borne de Tao ;

iii) à partir de la borne de Tao, la limite se dirige non pas vers la rivière Sirba à Bossébangou, mais

vers un point situé à plusieurs dizaines de kilomètres en amont, un point que le Niger désigne

comme étant le «point triple des anciennes limites des cercles» de Dori, Tillabéry et Say ;

iv) entre la borne de Tao et ce point, le tracé nigé rien ne suit pas seulement une ligne droite; il

n’épouse pas non plus la forme d’une ligne unique ment artificielle; il ne suit pas davantage

exclusivement le tracé figurant sur la carte de1960: le tracé du Niger est un mélange de

segments de droite, de limites suivant des cours d’eau que l’ erratum ne mentionne pas, de

tronçons suivant le tracé de la carte de1960 (en l’absence pourtant de toute insuffisance de

l’erratum) et d’enclaves venant opportunément placer en territoire nigérien des villages que

celui-ci réclame sur la base de prétendues eff ectivités qui ne peuvent pourtant pas l’emporter

face au titre que constitue l’erratum.

II. Les points frontières

34. Pour ce qui concerne les points frontières dans ce secteur, il ne devrait pourtant pas y

avoir de débat entre les Parties. Ces points sont expressément désignés dans l’ erratum. La limite

doit passer successivement par la borne de Tong-Tong et la borne de Tao pour atteindre enfin la

rivière Sirba à Bossébangou.

35. La mention de ces trois points dans l’ erratum a deux implications, l’une positive, l’autre

négative: premièrement, la frontière doit passer pa r ces troispoints; deuxièmement, la frontière

n’est pas censée dévier de son cours normal (dans le cas présent, une ligne droite à défaut

d’indication contraire) pour aller rejoindre d’autres points frontières: car en effet, si tel avait dû

23
Voir CMN, p. 95. - 22 -

être le cas, il aurait été indispensable d’indiquer dans l’ erratum quels étaient ces autres points

frontières. Il se déduit du silence de l’ erratum sur ce dernier point qu’il n’est pas possible

d’introduire d’autres points frontières que ceux qu’il désigne expressément.

36. Il n’en irait différemment que si l’on était autorisé à considérer que la délimitation opérée

par l’ erratum aurait volontairement été laissée incomplète par l’auteur du texte. Pareille

présomption interprétative est cependant exclue s’agissant d’un acte juridique dont l’objet même

est d’opérer une délimitation: comme votre Cour l’a indiqué en1959, puis en1994, dans un

dictum qui s’applique mutatis mutandis au présent cas d’espèce,

«Toute interprétation qui ferait teni r la convention de délimitation comme

laissant en suspens et abandonnant à une appréciation ultérieure du statu quo la
détermination de l’appartenance à l’un ou l’autre Etat des parcelles litigieuses, serait
incompatible avec [l’]intention commune [de procéder à cette délimitation]»
(Souveraineté sur certaines parcelles front alières (Belgique/Pays-Bas), arrêt,

C.I.J. Recueil 1959, p. 221-222 ; Différend territorial (Jamahiriya arabe
libyenne/Tchad), arrêt, C.I.J. Recueil 1994, p. 24, par. 47).

37. Dès lors, comme la Cour permanente de Ju stice internationale l’avait souligné en1925,

«il est naturel que tout article destiné à fixer une frontière soit, si possible, interprété de telle sorte

que, par son application générale, une frontière précise, complète et définitive soit obtenue»

(Interprétation de l’article 3, paragraphe 2, du tra ité de Lausanne, avis consultatif, 1925, C.P.J.I.
o
série B n 12, p. 20).

38. En l’espèce, il est tout à fait possible de se fonder sur l’ erratum pour déterminer le tracé

complet et définitif de cette portion de la frontiè re : celle-ci passe par trois points frontières en les

rejoignant par deux segments de droite. Cette interprétation se suffit à elle-même.

39. Le Niger prétend pourtant introduire plusieurs nouveaux points frontières dans ce

secteur.

40. S’agissant de ceux qu’il invente entre la bor ne de Tao et la rivière Sirba à Bossébangou,

le Niger les fonde sur de prétendues effectivités. Le professeur Thouvenin répondra dans quelques

instants à cet aspect particulier de la réclamati on nigérienne, qui ne saura it prospérer dans la

présente affaire. D’une part, ces effectivités sont illusoires. D’autre part, à supposer qu’elles

eussent existé, le titre l’aurait emporté de toute manière sur elles. - 23 -

41. Entre la borne astronomique deTong-To ng et celle deTao, le Niger revendique

également un nouveau point frontière, lui aussi étranger au texte de l’erratum.

42. Selon le Niger, la frontière ne joindr ait pas ces deux bornes astronomiques par une ligne

droite; la frontière subirait au contraire un décrochement vers l’est pour aller rejoindre un point

intermédiaire qui serait la borne deVibourié. La frontière ne su ivrait donc pas une ligne droite

entre les bornes deTong-Tong et deTao, mais deuxlignesdroites successives d’orientations

différentes car devant rejoindre plus à l’est la borne de Vibourié 2.

43. Cette revendication nigérienne est sans fondement elle aussi, pour trois raisons au moins.

44. D’une part, et cela suffit à disposer de la question, la borne de Vibourié, à la différence

des bornes de Tong-Tong et de Tao, n’est pas mentionnée dans l’erratum.

45. D’autre part et subsidiairement, cette borne n’est pas non plus retenue comme point
25
frontière sur la carte IGN de 1960, comme le Niger le reconnaît dans son contre-mémoire .

46. Enfin et pour surplus de droit, l’argument sur lequel le Niger fonde sa revendication est

intrinsèquement vicié. Le Niger estime en effet que le nouveau point frontière que constituerait la

borne de Vibouriétrouverait s on origine dans un procès-verbal du 13avril1935 conclu par

l’administrateurGarnier du cercle de Dori et l’adjoint d’appui Lichtenberger du cercle de Téra 26.

Or, contrairement à ce qu’affirme le Niger, ce procès-verbal ne pouvait pas adopter, et au

demeurant n’a pas adopté un nouveau point frontière.

47. Le titre juridique auquel renvoient l’accord de1987 et le compromis de saisine de la

Cour est en effet l’ erratum de 1927, et lui seul. A partir du moment par conséquent où l’ erratum

est antérieur au procès-verbal de1935, le pro cès-verbal est dépourvu de tout effet à égard de

l’erratum.

48. Il importe de souligner pa r ailleurs que le procès-verbal a été conclu en1935, date à

laquelle la Haute-Volta avait cessé d’exister. Celle-ci a été recréée en1947 dans ses limites de

1932 ⎯ ce qui a pu se passer en 1935 est donc une fois de plus dépourvu de tout effet juridique sur

le tracé des limites de la Haute-Volta et du Niger.

24MN, par. 6.20 ; CMN, par. 2.1.4.
25
CMN, p. 63, par. 2.1.4.
26CMN, par. 2.1.4. - 24 -

49. Si le Niger a tort en droit, il a également tort en fait. Le procès-verbal de1935 ne dit

nullement en effet que les administrateurs coloni aux auraient reconnu à la borne de Vibourié «le

statut d’un point frontière», comme l’affirme le Ni ger, c’est-à-dire le statut d’un point par où la

27
frontière aurait dû passer . Le procès-verbal dit qu’il a été décidé d’«implant[er] une borne» sur le

«parcours de principe» de la limite définie par l’erratum 28. Par conséquent, l’implantation de cette

borne n’avait pas, ni ne pouvait avoir, ni ne visait à avoir pour effet de modifier la limite de 1927.

L’abornement prétendait seulement ici suivre la délimitation, et non l’inverse comme le soutient le

Niger qui considère que le tracé de la fron tière devrait aujourd’hui passer par Vibourié au seul

motif qu’une borne y a été implantée.

50. La meilleure preuve que l’implantation de cette borne ne peut avoir eu pour effet de

modifier le tracé en une seule ligne droite entre la borne de Tong-Tong et la borne de Tao est que le

procès-verbal de 1935 précise lui-même ⎯ et en cela, il constitue une interprétation

particulièrement probante de l’ erratum de 1927 ⎯ que «la limite pass[e] sur une droite idéale

partant de la borne astronomique de Tong-Tong et allant à la borne de Tao». Le même

procès-verbal indique clairement que c’est sur cette «droite idéale» que les auteurs du

procès-verbal ont entendu et ont pensé implanter la borne de Vibourié.

51. Il semblerait, certes, d’après le Niger, que la borne de Vibourié n’a pas été implantée en

réalité à l’endroit où on pensait l’avoir implantée. Mais cet élément est sans incidence sur la

délimitation. La borne était censée être implantée sur la «droite idéale» courant entre les bornes de

Tong-Tong et de Tao. L’endroit où elle a été e ffectivement implantée ne peut donc avoir eu pour

effet de modifier cette délimitation en ligne droite entre les bornes de Tong-Tong et de Tao.

[Fin de la projection no 5.]

III. Le tracé de la ligne rejoignant les points frontières visés dans l’erratum

[Projection n 6 : Le tracé entre Tong-Tong et Bossébangou.]

52. Monsieur le président, il résulte cl airement de ce dernier épisode que l’ erratum a retenu

dans le présent secteur, entre la borne de Tong-Tong et la rivière Sirba à Bossébangou, un tracé qui

27
MN, par. 6.20.
28MN, annexe C 56. - 25 -

suit deuxsegments de droite successifs. En 1935, comme je viens de le rappeler, l’ erratum a été

interprété comme suivant une «droite idéale» entre la borne de Tong-Tong et la borne de Tao. Une

même interprétation doit nécessairement prévaloir pour le tracé de la ligne entre la borne de Tao et

la rivière Sirba à Bossébangou. Dans sa rédaction, l’ erratum ne procède pas en effet différemment

dans la manière de définir le tracé entre Tong-Tong et Tao et entre Tao et Bossébangou : à chaque

fois, l’erratum indique deux points, sans préciser la forme de la ligne qui les rejoint, silence qui ne

peut s’interpréter que comme renvoyant à une ligne droite.

[Fin de la projection n o 6.]

53. Le Niger avance toutefois dans son contre-mémoire quelques obj ections contre cette

interprétation. Je les réfuterai brièvement, car elles sont artificielles(A). Je recenserai ensuite

l’ensemble des nombreux éléments qui viennent confirmer le bien-fondé de l’interprétation de

l’erratum selon laquelle le tracé suit deux segments de droite dans le présent secteur (B).

A. Les objections du Niger

54. Dans son mémoire, le Burkina a consacré plus de vingtpages à analyser le texte de

l’erratum, le sens ordinaire de ses termes à la lumière de leur contexte, les travaux préparatoires de

l’erratum, l’interprétation officielle qu’en ont donnée le Burkina et le Niger, ainsi que la pratique

suivie dans le domaine des délim itations frontalières, en particulie r la jurisprudence de la Cour

29
internationale de Justice .

55. En réponse, le Niger n’a fait valoir que deux objections aussi succinctes que partielles à

cette interprétation solidement étayée, selon laquelle l’ erratum a retenu un tracé en deux segments

de droite.

56. Au titre de la première objection, le Niger écrit lapidairement que «pour sa part», il

rejette ce qu’il appelle la «théorie des lignes dro ites» pour lui préférer « sa position qui consiste à

suivre les limites des cantons ⎯position reflétée en grande partie par la carte IGN» 30. Selon le

Niger toujours, il conviendrait de ne pas ignor er «l’importance donnée dans le processus de

délimitation aux limites des cantons par les autorités françaises en 1926» 31.

29
MBF, p. 109-132, par. 4.26-4.82.
30
CMN, p. 64, par. 2.1.5.
31CMN, p. 62, par. 2.1.2. - 26 -

57. L’argument relève de la profession de fo i. Il est totalement étranger à l’opération

d’interprétation de l’ erratum. Cela a déjà été rappelé ce matin et je n’y reviens donc pas:

l’erratum n’attribue pas des cantons, il établit une dé limitation intercoloniale et c’est cette

délimitation, telle que définie par le texte de l’erratum, qu’il convient d’appliquer 32.

58. La seconde objection consiste à reprocher au Burkina de ne pas s’en tenir «au strict

respect des textes de 1927» ⎯ et le reproche ne manque pas de sel quand on sait avec quel degré

de liberté et de fantaisie le Niger «interprète» l’ erratum de1927. Le reproche du Niger est le

suivant : «[a]lors que le texte de 1927 prescrit un fléchissement de la ligne frontière à Tong-Tong,

33
c’est un tracé parfaitement rectiligne que défend la partie adverse dans ce secteur» .

[Projection n o 7 : croquis de la page 40 du CMN, extrait de l’annexe cartographique 36 MBF]

59. Cette objection est illustrée dans le c ontre-mémoire du Niger par le croquis projeté

àl’écran qui représente en point6 le mont de Doumafende et en point7 la borne de Tong-Tong.

Le Niger précise son objection en soulignant que la position défendue par le Burkina au sein de la

commission technique mixte d’abornement était que l’expression «cette ligne s’infléchit ensuite

vers le Sud-Est» employée par l’erratum pour décrire le tracé à partir de la borne de Tong-Tong :

«renvoyait à un changement de direction entr e des droites successives. Dans le cadre
de la présente instance [je cite toujours le Niger], le BurkinaFaso consacre plus de

vingt pages de son mémoire à l’interprétati on de ce terme en maintenant qu’il renvoie
à l’idée d’un changement de direction. Pour tant [poursuit le Niger], de façon pour le
moins surprenante, la ligne revendiquée par le Burkina Faso, telle qu’elle est reportée

sur la carte jointe à son mémoire, est, dans cette zone, parfaitement rectiligne et ne
comprend pas le moindre changement de direc tion. La Partie adverse place en effet
sur une même ligne droite le mont de Doumafende (point 6), la borne astronomique de

Tong-Tong (point7) et la borne astronomique de Tao (Tao). C’est donc visiblement
[poursuit le Niger] encore une nouvelle ⎯ et insolite ⎯ interprétation du terme
«s’infléchir» que soutient maintenant le Burkina Faso» . 34

60. Je ferai les trois commentaires suivants à cet égard.

61. Premièrement, si cette interprétation était vraiment «insolite» comme le prétend le Niger,

on comprendrait mal que les experts nigériens l’aient pourtant eux-mêmes retenue en 1988 et que

les autorités nigériennes compétentes l’aient endossée à leur tour en 1991 35, j’y reviendrai.

32Voir la plaidoirie qui précède du professeur Alain Pellet.
33
CMN, p. 62, par. 2.1.2.
34
CMN, p. 39.
35Voir MBF, p. 118-123. - 27 -

[Projection n 8 : L’infléchissement au niveau de Tong-Tong.]

62. Deuxièmement, il n’est pas contestable que la portion de la ligne qui commence à la

borne de Tong-Tong et se poursuit jusqu’à Bossébangou est orientée vers le sud-est dans sa relation

avec la portion qui la précède depuis le point triple av ec le Mali. En effet, la direction générale de

la ligne entre le point triple avec le Mali et la borne de Tong-Tong est globalement orientée

nord-sud, et même légèrement sud-ouest, tandis qu’à partir de la borne de Tong-Tong, la ligne est

globalement orientée sud-est. A ce titre, la ligne change bien de direction.

63. C’est d’ailleurs l’interprétation de l’ erratum que votre Cour avait elle-même consacrée

dans l’arrêt de 1986 dans le Différend frontalier (Burkina/Mali) 36.

o
[Fin de la projection n 8.]

64. Troisièmement et enfin, et je dirais même en tout état de cause , le seul intérêt que l’on

pourrait trouver à l’objection nigérienne serait de m ontrer que le terme «s’infléchir» ne serait pas

compatible avec ce qu’il appelle la «théorie des li gnes droites» qu’a toujours défendue le Burkina.

Mais il se trouve que le Niger lui-même défe nd désormais dans ce secteur un tracé en deux

segments de droite.

65. Les deux Etats se sont accordés en effet sur le fait que la ligne qui arrive à la borne de

Tong-Tong est une ligne droite ; et la ligne qui, selon le Niger, repartirait de cette borne pour aller

rejoindre la borne de Vibourié est également une ligne droite. Selon le Burkina en revanche ⎯ je

le rappelle ⎯, la ligne droite partant de la borne de Tong-Tong se dirige vers la borne de Tao, sans

opérer de déviation en direction de Vibourié. Mais toujours est-il que les deux Parties sont donc au

moins d’accord désormais sur un point : l’interprétation correcte de l’ erratum de 1927 est que le

segment de la frontière qui arrive à la borne de Tong-Tong comme celui qui en repart sont des

lignes droites.

66. Dans ces circonstances, les circonvolutions ni gériennes sont entièrement artificielles : le

37
Niger lui-même ne remet plus en cause ⎯ après avoir soutenu la thèse d’une ligne courbe ⎯ que

le terme «s’infléchir» renvoie à une délimitation suivant des segments de droite de part et d’autre

du point d’inflexion. La thèse du Burkina s’en trouve une fois de plus confortée.

36
MBF, par. 4.77-4.81.
37Voir CMBF, pas. 2.15-2.16. - 28 -

B. Le bien-fondé de l’interprétation du Burkina

67. Monsieur le président, Mesdames et Messi eurs les juges, les rares objections du Niger

ayant été écartées, il reste à indiquer pour quelles autres raisons l’interprétation selon laquelle

l’erratum a retenu un tracé en deux segments de droite est fondée. Ces raisons sont à la fois

multiples et convergentes.

68. Tout d’abord, les autorités coloniales elles-mêmes n’ont jamais eu le moindre doute

quant au fait que la délimitation adoptée en 1927 était de nature artificielle, et suivait deux

segments de droite. Elles ont certes pu, pour certaines d’entre elles, contester cette délimitation.

En revanche elles n’ont pas contesté que l’ erratum la consacrait. Ces interprétations coloniales

contredisent sans ambiguïté la thèse des limites sinue uses et effectives des cantons défendue par le

Niger :

i) ainsi, dans une lettre du 17 décembre 1927, le commandant du cercle de Dori devait rappeler au

gouverneur de la Haute-Volta que les limites résultant de l’ erratum de 1927 «avaient été

déterminées au moyen de la carte du capita ine Coquibus qui ne portaient que des lignes

conventionnelles avec indication de points…» 38 ;

ii) dans une lettre du 27 septembre 1929, adressée au lieutenant-gouverneur de la Haute-Volta, le

lieutenant-gouverneur du Niger visait à son tour la délimitation en vigue ur dans ce secteur

comme constituant «une frontière idéale et artificielle» ⎯ce que constitue effectivement un

tracé en deux segments de droite 39 ;

iii)le 10 avril 1932, l’adjoint des services civ ils Roser, commandant à temps plein du cercle de

Dori, signalait quant à lui au gouverneur de la Haute-Volta que la ligne de l’ erratum de1927

«ne tient aucun compte de la réalité» et qu’elle a pour conséq uence de placer le village de

Bangaré en territoire voltaïque ; ledit village se situe effectivement à l’ouest, côté voltaïque de

la frontière, lorsque l’on tire une ligne droite entre la borne de Tao et la rivière Sirba à

Bossébangou 40;

38MN, annexe C 20 (les italiques sont de nous).
39
MN, annexe C 30.
40MN, annexe C 45, p. 5-6 ; CMBF, par. 3.36. - 29 -

iv) le 13 avril 1935, l’administrateur Garnier (du cercle de Dori) et l’adjoint d’appui Lichtenberger

(de la subdivision de Téra) reconnaissaient conjointement qu’entre les bornes de Tong-Tong et

de Tao, la limite décrite par l’erratum suivait «une droite idéale» 41 ;

v) le 30 mai 1947, l’inspecteur général des col onies Bargues écrivait à propos des limites séparant

le Niger et la Haute-Volta qu’elles «étaient purement conventionnelles et ne correspondaient

pas à une réalité de terrain» 42 ;

vi) le 11 juillet 1951, le chef de la subdivision de Téra, s’adressant au cercle de Tillabéri, soulignait

43
de son côté que l’erratum «joi[n]t directement la borne de Tao à Bossébangou» .

69. Si le moindre doute devait subsister, le Burkina a par ailleurs montré dans son

mémoire ⎯sans être aucunement contredit par le Niger ⎯ qu’en jurisprudence un acte de

délimitation indiquant, à défaut d’indication contraire, qu’une ligne passe par deux points est

interprété comme adoptant une frontière sous la forme d’un segment de droite reliant ces deux

44
points :

i) votre Cour a ainsi souligné en 1986 que, dans la pratique coloniale française, les lignes droites

étaient en général utilisées, et la Cour a retenu la présomption selon laquelle il fallait retenir le

45
tracé le moins compliqué à défaut d’indication contraire ;

ii) dans l’affaire Cameroun/Nigeria, votre Cour, qui était confrontée dans un secteur à une

incertitude quant au tracé exact de la frontière, a également donné la préférence à la ligne

revendiquée par le Nigeria au motif que c’était elle qui rejoignait «le plus directement» les

points frontières concernés, et, sur cette base, la Cour a retenu une ligne droite 46 ;

47
iii) la Cour a agi de même dans l’affaire El Salvador/Honduras en 1992 ;

iv) tout aussi significatif est le fait que les juridictions internationales, et votre Cour en particulier,

estiment généralement suffisant de dire dans leurs arrêts en matière de délimitation maritime

41MN, annexe C 56.
42
MBF, annexe 38, p. 11
43
MN, annexe C 73. Voir également MN, annexe C 79, p. 2.
44
MBF, p. 123-132.
45Voir MBF, par. 4.60.

46Voir MBF, par. 4.65.
47
Voir MBF, par. 4.66-4.69. - 30 -

que la ligne s’infléchit ou qu’elle passe par un point pour en rejoindre un autre pour signifier

que ces deux points sont reliés par une ligne droite 48.

70. Je noterai également qu’à plusieurs reprises les deux Pa rties ont convenu que

l’interprétation de l’ erratum aboutissait à un tracé en deux segments de droites dans le pré
sent

secteur.

[Projection n o9 : le tracé consensuel de 1988.]

71. Ce fut tout d’abord l’interprétation unani me des experts des Parties à l’issue de leurs

travaux en 1988 menés au sein de la commission technique mixte d’abornement conformément aux

prescrits de l’accord de 1987. A la suite de ce tte interprétation consensuelle, l’implantation des

bornes sur le terrain fut d’ailleurs planifiée. Dans le présent secteur, seules deux bornes dites de

49
«changement de direction» furent prévues par les Parties : la borne de Tong-Tong et celle de Tao .

Nous sommes de nouveau très loin des vingt points frontières inventés depuis par le Niger.

o
[Fin de la projection n 9.]

72. En 1991, une interprétation authentique de l’ erratum fut délivrée cette fois-ci par les

ministres nigérien de l’intérieur et burkinabè de l’administration territoriale : les deux ministres ont

constaté, au nom de leur gouvernement respectif, que «de la borne astronomique de Tong-Tong à la

rivière Sirba à Bossébangou en passant par la borne astronomique de Tao, la frontière est constituée

50
par des segments de droite» .

73. J’insiste sur l’emploi de la formule déclarative utilisée dans le texte français original : les

ministres n’adoptent pas ici un nouveau tracé, comme ils l’ont fait en revanche pour le secteur se

poursuivant après Bossébangou: ils constatent simplement que la frontière dans ce secteur, telle

que décrite par l’erratum, «est» constituée par deux segments de droite.

74. Pris ensemble, ces différents éléments imputables tantôt aux autorités coloniales, tantôt à

l’Etat nigérien, ne laissent aucun doute quant à l’interprétation à donner au texte au demeurant clair

de l’erratum de 1927. Celui-ci définit un tracé en deux segments de droite reliant d’abord la borne

48
Voir MBF, par. 4.70-4.75.
49
Voir MBF, par. 4.47-4.51.
50MN, annexe A 6 ; MBF, par. 4.53-4.56. - 31 -

de Tong-Tong à la borne de Tao, puis cette dernière au point où la frontière atteint la rivière Sirba à

Bossébangou.

75. Tel est le tracé par conséquent que le Burkina vous demande, Mesdames et Messieurs de

la Cour, de consacrer.

76. Monsieur le président, ces mots concluent cette plaidoirie. Je vous serais très

reconnaissant si vous pouviez, maintenant, appe ler le professeurThouvenin à cette barre, qui

montrera les fondements erronés du tracé du Niger.

Je vous remercie.

Le PRESIDENT: Merci, Monsieur le profess eur et j’invite maintenant M.Thouvenin à

continuer la plaidoirie du Burkina Faso. Vous avez la parole, Monsieur.

M. THOUVENIN : Merci, Monsieur le président.

SECTEUR DE TERA ⎯ LES FONDEMENTS ERRONÉS DU TRACÉ DU N IGER

[Projection n 1.]

1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les juges, la deuxième plaidoirie qu’il me

revient de vous présenter concerne le tracé fronta lier proposé par le Niger dans le secteur que l’on

qualifie, par commodité, comme étant le secteur «deTera». Au premier regard, on voit que ce

tracé suit une course irrégulière du nord au sud en su ivant généralement, mais pas toujours, le tracé

déjà sinueux de la carte de 1960, pour ajout er des circonvolutions supplémentaires; ce tracé

n’atteint pas, comme on le voit, Bossébangou.

o
[Fin de projection n1.]

2. Avant de procéder à la réfutation des arguments avancés par le Niger pour justifier les

tours et détours de ce tracé (II), puis d’évoquerle cas de Bangaré (III),il est nécessaire d’en

clarifier le fondement juridique (I).

I. Le fondement juridique du tracé revendiqué par le Niger

3. Le Niger est en effet très évasif à cet égard. - 32 -

4. S’agit-il, pour notre contradicteur, de plaider l’insuffisance de la description de la frontière

faite par l’erratum, et de considérer en conséquence que c’est le tracé de la carte de 1960 qui en

déterminerait le cours, conformément à l’accord de 1987 ?

5. Telle n’est pas sa thèse. Il ne peut d’ ailleurs s’en remettre au tracé de la carte de 1960

dans le secteur de Téra, puisqu’il réfute le fait, affirmé par l’erratum et correctement représenté par

le tracé cartographique de 1960, que la rivièreSirba à Bossébangou est un point frontière ⎯ le

professeur Forteau reviendra sur ce point tout à l’heure.

6. S’agit-il, pour le Niger, de plaider que la «date critique» est fixée à l’année1910, en ce

sens que la frontière dans le secteur de Téra épouserait les limites, telles qu’elles auraient existé en

1910, des cantons qui, détachés du cercle de Tillabéry cette année-là, furent rendus au Niger 16 ans

plus tard par le décret de 1926 ?

7. Un passage du contre-mémoire le suggère, où l’on peut lire que, par le jeu du décret de

1926, «la limite de 1910 va réappara ître au titre de la limite intercoloniale entre le Niger et la

51
Haute-Volta» .

8. Mais, finalement, le Niger n’approfondit pas cette piste pour le secteur de Téra, où il ne

justifie à aucun moment le tracé qu’il revendique en faisant référence à la situation des limites en

1910.

9. S’agit-il donc plutôt, pour notre contradict eur, de soutenir que la date critique est 1927

⎯ ou 1926, puisque, selon lui, l’ erratum n’a eu strictement aucun effet ⎯ et que c’est à cette date

qu’il conviendrait de se placer afin de déterminer la ligne frontière en s’appuyant sur les limites des

cantons ?

10. En dépit là encore de quelques passages qui pourraient le laisser entendre 52, ce n’est

clairement pas ce qui ressort de ses écritures. Trois raisons peuvent l’expliquer.

11. En premier lieu, le Niger est incapa ble de donner des indications, un tant soit peu

précises, sur les limites desdits cantons telles qu’elles existaient en 1927. Les documents coloniaux

montrent d’ailleurs qu’à l’époque personne ne les connaissait, pour la bonne et simple raison

51
CMN, p. 29, par. 1.1.19.
52MN, p. 90-91, par. 6.15 ; CMN, p. 62, par. 2.1.2. - 33 -

53
qu’elles n’avaient jamais été fixées . Les seuls éléments sur lesquels le Niger pourrait tenter de

s’appuyer seraient les travaux de Delbos et Pr udon. Mais s’il s’y réfè re, d’ailleurs abondamment,

ce n’est que pour tenter de disqualifier l’ erratum. Pour le reste, il reconnaît dans son mémoire le

54
caractère divergent des visions que ces deux administrateurs avaient des limites coloniales .

12. [Début de projection n o 2.] En deuxième lieu, si le Niger suivait quand même cette piste,

il serait contraint de plaider, pour la partie sud du secteur de Téra, une frontière pénétrant

profondément dans son territoire, attribuant au Burkina une zone sur laquelle ce dernier n’a aucune

prétention. La Cour peut voir ici une projectio n représentant sur un même croquis la frontière

selon l’erratum et la ligneDelbos. On le voit, si le Niger plaidait cette ligne, cela le conduirait à

céder les surfaces figurées sur le croquis en couleur. On peut donc comprendre qu’il prenne

quelques distances avec les travaux de Delbos et Prudon.

[Fin de projection n o2.]

13. D’autant que, et c’est le troisième point, si le Niger s’en tenait au tracé des limites des

cantons telles qu’elles ressortent des travaux d es administrateurs de l’époque, il serait contraint

d’abandonner certains villages qu’il revendique, comme Bangaré et Petelkolé, que le croquis de

55
Prudon de 1927 place côté voltaïque .

14. S’agit-il, enfin, pour le Niger, de reteni r 1960 comme date critique, et de considérer que

la meilleure «photographie» des limites des de ux colonies au moment des indépendances serait

donnée par le tracé de la carte de 1960 ?

15. A bien y regarder, telle est la thèse qu’il défend puisque, selon lui, le tracé de la carte de

1960 «devrai[t] en principe servir de guide pour déte rminer le cours de la limite intercoloniale en

1960» 56⎯ je souligne «en 1960» ⎯ et non pas en 1927 ou à d’autres dates.

16. Au demeurant, l’utilisation faite par le Niger des listes de villages de divers cantons, pour

justifier le tracé qu’il revendique, révèle que ce sont bien les contours des cantons tels qu’ils se

présentaient en 1960 qui, selon lui, détermineraient la frontiè re. Ainsi écrit-il que «[l]es listes des

53
MN, annexe C 45.
54
MN, p. 27, par. 1.1.16.
55MN, p. 97, par. 6.24 ; MN, annexe D 3.

56MN, p. 91, par. 6.16. - 34 -

villages de ces cantons jusqu’à l’indépendance apportent une indication sur la consistance des

cercles intéressés, et, par conséquent sur leurs limites» 57.

17. Ceci se confirme encore au vu de l’explo itation faite par le Nige r de la situation de

certains villages, comme OuroGaobe 58. Le Niger ne soutient nullement que ce village aurait

appartenu à un des cantons transférés au Niger en 1926, ni qu’il illustrerait les limites des cantons

tels qu’elles existaient en 1910. Ce serait d’aille urs intenable puisque ce village est référencé dans

le fasciculeIV du répertoire général des loca lités de l’AOF de 1927 comme se situant en

59
Haute-Volta, dans le canton de Yagha , lequel canton est indubitablement resté dans le

cercledeDori après 1927. Le Niger ne l’invoque donc pas comme ayant «de tous temps»

appartenu au Niger, mais uniquement parce que le chef de village de Téra l’a considéré, en 1954,

comme relevant du canton du Diagourou 60.

18. Les indices concordent donc, et révèlent que les limites des cantons revendiquées par le

Niger au titre de sa frontière avec le Burkina sont ce lles qui, selon lui, auraient existé en 1960, pas

celles de1910, ni celles de1926-19 27. Dit autrement, ce sont les effectivités coloniales au

moment des indépendances qui, selon lui, traceraient les contours de la frontière.

19. L’ennui, Mesdames et Messi eurs les juges, est qu’en épousant cette thèse, le Niger fait

manifestement fi du principe bien connu selon lequel le titre l’emporte sur les effectivités qui lui

sont contraires ⎯ et en l’espèce, à supposer que la ligne revendiquée par le Niger corresponde aux

effectivités comme il le prétend, elle entrerait en contradiction frontale avec celle établie par le

titre, dont le professeur Forteau vient de rendre compte.

20. Ce n’est d’ailleurs pas tout , car la thèse de la Partie nigérienne contredit tout aussi

allègrement ce à quoi elle s’est souverainement engagée par l’accord de1987. Il résulte de cet

accord que la frontière est telle que décrite par l’ erratum, et que: «[e]n cas d’insuffisance de

l’arrêté et de son erratum, le tracé sera celui figurant sur la carte au1/200000 de l’Institut

57MN, p. 90-91, par. 6.15.
58
CMN, p. 71, par. 1.2.14.
59MBF, annexe 27, p. 44.

60MN, annexe C 84. - 35 -

géographique national de France, édition 1960». D’accord Parties, les effectivités ne peuvent donc

jouer aucun rôle dans la détermination de la frontière.

21. Notre contradicteur semble toutefois suggére r, de manière il est vrai fort allusive, qu’en

faisant référence au tracé de la carte en cas d’insuffisance de l’erratum, l’accord de 1987 entendrait

n’y renvoyer que dans la mesure où il refléterait les effectivités coloniales 61.

22. Mais, d’une part, c’est faire dire à l’accord de 1987 ce qu’il ne dit pas. Le Niger le sait

d’ailleurs très bien: le renvoi au tracé cartographique réclamé par l’accord n’est pas conditionnel

mais impératif, du moins en cas d’insuffisance de l’ erratum. Le Niger a lui-même souligné cet

impératif dans ses écritures 62.

23. D’autre part, c’est faire dire à l’accord de1987 ce que personne n’a jamais pensé qu’il

disait, puisque les experts de la commission techni que mixte d’abornement n’ont jamais interprété

leur mandat, fixé par le protocole d’accord de 1987, comme leur imposant d’identifier les

effectivités coloniales.

24. Mesdames et Messieurs de la Cour, la revendication frontalière du Niger dans le secteur

de Téra se révèle donc juridiquement erronée dans son fondement même. Ma is il y a plus. Car à

supposer même, pour les seuls besoins de la discussi on, que les effectivités coloniales fassent droit

dans la présente affaire, force serait de constate r, comme je vais maintena nt le montrer, que le

Niger échoue à justifier que la ligne qu’il défend en épouse les contours.

Le PRESIDENT: Monsieur le conseil, je crois que vous allez démontrer cela après une

pause-café. L’audience est suspendue pour 20 minutes.

L’audience est suspendue de 16 h 15 à 16 h 35.

Le PRESIDENT: Veuillez vous asseoir. L’a udience est ouverte. MonsieurThouvenin,

vous pouvez continuer.

M. THOUVENIN: Merci beaucoup, Monsieur le président. Monsieur le président,

Mesdames et Messieurs de la Cour, mon propos d’ après pause est de vous montrer d’abord que le

61
MN, annexe C 84.
62MN, p. 75, par. 5.14. - 36 -

tracé revendiqué par le Niger n’épouse pas les contours des effectivités coloniales; ensuite, il

consistera à revenir sur le cas de Bangaré.

II. Le tracé revendiqué par le Niger n’épouse pas les contours des effectivités coloniales

25. De manière générale, le Ni ger soutient que, dans le secteur de Téra, une portion du tracé

de la frontière suit celui de la carte de 1960 (A). Mais, dans ses écritures, il s’en écarte à deux

endroits, aux niveaux de Petelkol é (B) et de Oussaltane (C). Il a en outre prétendu dans son

mémoire faire de même dans la zone des campements de Komanti pour finalement y renoncer dans

son contre-mémoire (D).

A. Le tracé reporté sur la carte de 1960 ne correspond pas aux effectivités coloniales

26. Je reviendrai sur le cas de ces trois encl aves dans un instant, mais auparavant il est

opportun de s’interroger sur cette affirmation du Niger selon laquelle , en substance, le partage

de facto des territoires coloniaux en1960 serait «reflété…en grande partie par la carte IGN» 63.

C’est ce constat qui justifierait, selon le Niger, de retenir, en principe, le tracé de la carteIGN

de 1960 comme ligne frontière. A vrai dire, trois objections rédhibitoires s’y opposent.

27. D’abord, l’appréciation portée par le Niger sur la fidélité du tracé de1960 aux

effectivités est une allégation sans fondement. Le Niger ne rapporte aucunement la preuve de ce

qu’il affirme. En outre, rien dans le dossier pr oduit par les Parties devant la Cour n’éclaire la

manière dont la carte de 1960 a été élaborée.

28. Ensuite, à supposer même que l’affirmation du Niger soit fondée, les portions du tracé

issu de la carte qu’il faudrait considérer comme suffisamment fiables pour permettre d’en inférer la

ligne frontière demeureraient inconnues. En effe t, cette carte, affirme la Partie adverse, ne

refléterait la ligne des effectivités que «e n grande partie». Quelles sont donc les

partiesconcernées? Comment pourrait-on le déte rminer puisque l’on ignore comment la carte a

été élaborée? Comment, par suite, séparer ce qui, dans le tracé IGN, refléterait réellement des

effectivités, de ce qui ne les refléterait pas? Le Niger n’en dit rien. En outre, cette carte ne

64
présente, selon le Niger, que les «limites probables» des effectivités . Or, dire qu’il y a une

63
CMN, p. 64, par. 2.1.5.
64MN, p. 76, par. 5.14, et p. 91, par. 6.16. - 37 -

probabilité qu’une ligne reflète certaines limite s veut également dire qu’il y a une probabilité

qu’elle ne les reflète pas. Il y a donc un doute irréductible sur la fidélité de cette ligne aux limites

telles qu’elles s’établissaient de facto en 1960.

29. Enfin, le Niger lui-même admet la vacuité de son affirmation en indiquant que: «les

renseignements sur lesquels [les limites] étaient fondées n’étaient pas toujours des plus fiables», ou

encore «qu’à défaut de renseignements fiables émanant des autorités locales, les auteurs de la carte

ont suivi les rivières, marigots et lignes de crêt es, qui ensemble représentent près de 50% des

limites pour le secteur de Téra» 65. Autrement dit, selon le Niger, dans le secteur de Téra le tracé de

l’IGN de 1960 procéderait pour au moins 50 % d’un e démarche qui ne s’appuie pas sur des limites

de cantons, mais sur des éléments naturels qui ont semblé pertinents aux auteurs de la carte.

30. On voit mal, dans ces conditions, comme nt le Niger pourrait convaincre que ledit tracé

épouse fidèlement les contours des effectivités là où cela l’arrange, pour l’écarter là où il ne

correspond pas à ses attentes. C’est pourtant la seule méthodologie ⎯si tant est qu’il en suive

une ⎯ appliquée par le Niger pour justifier la création des trois enclaves qu’il revendique.

[Début de la projection n o3.]

B. L’enclave de Petelkolé

31. Le cas de l’enclave de Petelkolé, qui se s itue au nord du secteur représenté sur le croquis

actuellement projeté, est d’ailleurs emblématique de cette méthode. Dans son mémoire, le Niger

revendiquait ce village comme se trouvant du côté est ⎯donc côté nigérien ⎯de la frontière. Il

affirmait qu’il y avait concordance de la ligneI GN avec les effectivités co loniales, en soutenant

que «la ligneIGN passe à l’ouest de Petelkolé …qu’elle laisse au Niger», ou encore que «[l]e

village est nigérien sur la carte IGN de 1960», ce qui était, à ses yeux, «conforme aux informations

administratives de l’époque coloniale» 66. Tout ceci était faux, reconnaît maintenant le Niger. Le

67
Burkina l’avait également relevé dans son propre contre-mémoire .

65
CMN, p. 44, par. 1.1.32.
66
MN, p. 94, par. 6.22.
67CMBF, p. 96, par. 3.69 - 38 -

32. Pour autant, notre contradicteur ne se ré sout pas à «perdre» Petelkolé. Prétendant

68
désormais que les données cartographiques, qui lui sont défavorables, seraient «contradictoires» ,

il en appelle aux seules effectivités pour justifier un tracé dérogeant à celui de la carte de 1960 afin

de constituer l’enclave de Petelkolé.

o
[Fin de la projection n 3.]

33. L’agilité du Niger à dire une chose et son contraire est impressionnante, mais, en tout état

de cause, les éléments qu’il allègue, dans le dernier état connu de sa thèse, ne prouvent en rien que

Petelkolé ait été administré par le Niger au mo ment des indépendances, et soutiennent encore

moins le tracé qu’il propose en vue de l’enclaver.

34. Ainsi du prétendu «accord Roser/Boyer d’avri l 1932» qui aurait, selon la Partie adverse,

69
«situé le village de Petelkolé à l’est de la limite et la mare de Féto Karkalé à l’ouest» .

35. C’est, en réalité, le contraire qui ressort de la lecture du rapport de tournée adressé au

Gouverneur de la Haute-Volta par le commandant du cercle de Dori, M. Roser, rendant compte de

70
ses discussions avec le chef du canton de Yagha, M.Boyer . L’auteur de ce rapport critique le

tracé issu de l’ erratum ; mais il le reconnaît expressément comme étant la «limite légalement

fixée» en 1927 71. En outre, M.Roser souligne les frustrations que cette limite a suscitées chez

certains administrateurs ; mais il constate surtout qu’«aucun erratum nouveau n’est venu redresser

72
les erreurs incriminées» . Ceci conduit M. Roser à proposer de modifier la limite, par l’adoption

d’un «nouvel erratum» 73, notamment de manière à faire passer Petelkolé côté nigérien. Il conclut

son propos en souhaitant que ses propositions recueillent la «haute sanction» du gouverneur

général de la Haute-Volta, tout en disant espérer que le gouverneur du Niger en approuve

également les termes 74. Mais, on le sait, lesdites propos itions n’ont jamais été entérinées 75. Dès

lors, Monsieur le président, ce que prouve le rapport établi par l’administrateurRoser est

68CMN, p. 65, par. 2.1.7.
69
CMN, p. 65, par. 2.1.7 ; voir aussi MN, p. 94, par. 6.22.
70
MN, annexes, série C, n° C 45.
71
Ibid., p. 6 du rapport.
72Ibid., p. 5 du rapport.

73Ibid., p. 6 du rapport.

74Ibid., dernière page du rapport.
75
MN, annexes, série C, n° 45 ; voir sur ce point CMBF, p. 96, par. 3.69. - 39 -

exactement l’inverse de ce que prétend le Niger : il atteste que Petelkolé était côté burkinabè de la

limite en 1932, et qu’il l’est resté depuis lors.

36. Il en va de même du rapport de tournée de l’administrateur du cercledeDori du

31 mars 1931 76 cité, là encore à contresens, à la not e de bas de page190 du contre-mémoire

nigérien, comme s’il confirmait que Petelkolé se situait à cette date, en 1931, du côté nigérien de la

frontière. En réalité, en signalant, à propos de «Petlkalkallé ou Fétokarkalé» , que la frontière passe

à unkilomètre environ à l’est de ce village, ce ra pport suggère seulement que le village qu’il cite

est à l’ouest de la frontière, c’est-à-dire côté burkinabè.

37. Quant au rapport de tournée de l’administra teur Lacroix de 1953, duquel le Niger extrait

la phrase «[les] Rimaibés ont créé les hameaux pe rmanents de Petelkarlalé et Petelkolé entre

lesquels passe la délimitation» 77, il ne prouve rien non seulement parce que son auteur part du

principe, erroné, que la description de limite proposée par l’administ rateurDelbos fait droit, alors

que seul l’ erratum de 1927 fixe la limite, mais aussi pa rce qu’il est impossible de localiser

78
Petelkarkalé sur la carte de 1960 .

38. Le Niger invoque surtout, pour justifier l’ enclave de Petelkolé, l’existence d’un poste

frontière nigérien implanté dans cette enclave après 2006, sur la base d’une proposition du comité

bilatéral (Burkina-Niger) d’identif ication du site d’implantation des postes de contrôle juxtaposés

sur la route Ouagadougou-Dori-Téra 79. Aucune explication n’est cependant fournie par le Niger

sur le fondement juridique de cet argument selon lequel ces travaux auraient une conséquence sur

le tracé frontalier. Cela n’a pourtant rien d’évident, et à la réflexion, on ne voit rien qui le justifie.

39. En premier lieu, le rapport du comité bila téral (Burkina-Niger) de juin2006 ne saurait

marquer un consensus entre les Parties pour constater que leur fr ontière commune telle que

délimitée par l’ erratum passe à l’ouest de Petelkolé. Seule la commission technique mixte

d’abornement créée par le protocole d’accord de 1987 avait compétence à cette date en matière

frontalière. Les experts composant le comité bila téral n’avaient pour leur part strictement aucun

76MN, annexes, série C, n° 41.
77
MN, annexes, série C, n° 79, cité au CMN, p. 66, par. 2.1.7 et MN, p. 94, par. 6.22.
78CMBF, p. 96, par. 3.69.

79CMN, annexes, série A, n° 24, p. 5. - 40 -

pouvoir en matière de tracé frontalier. Il le ur revenait uniquement de faire une recommandation

aux «Autorités compétentes des deux Etats» sur les sites les plus avantageux pour abriter des postes

de contrôle sur la route Ouagadougou-Dori-Téra.

40. Du reste, si le Niger en venait à prét endre que la recommandation de ses experts est un

accord de délimitation frontalière, cette position ser ait difficilement conciliable avec son rejet du

tracé consensuel de 1988, qu’il a considéré comme dénué de toute valeur juridique au motif qu’il

n’a jamais été formalisé dans un instrument juridique définitif ratifié par le chef de l’Etat du Niger.

41. En deuxième lieu, les travaux de 2006 ne marquent pas davantage l’existence d’un

accord entre les experts ⎯ et encore moins entre les Parties, pour modifier le tracé frontalier hérité

de la période coloniale. La lecture du rapport du comité bilatéral de juin2006 révèle très

clairement que les membres de ce comité croyaient que la frontière laissait Petelkolé au Niger,

alors même qu’ils ne pouvaient strictement rien en savoir puisque la frontière n’avait toujours pas

été abornée à cet endroit, et que son tracé faisait l’objet d’un différend entre les deux Etats. Ils se

sont donc prononcés en méconnaissance de cause. Ils ont commis une erreur, et n’avaient

évidemment nullement à l’id ée qu’ils recommandaient de décaler le tracé de la frontière vers

l’ouest de manière à enclaver Petelkolé en territoire nigérien.

42. Enfin, force est de constater que le ra pport de 2006 du comité bila téral d’experts n’est

pas un «document accepté d’accord parties» au sens de l’accord de 1987, pas plus qu’il n’est

mentionné dans le compromis de saisine de la C our, ce qui en exclut l’exploitation aux fins de

détermination du tracé frontalier.

o
43. [A nouveau projection n 3.] J’ajoute, Monsieur le président, que si le Niger échoue à

établir que Petelkolé était administrée par le Niger au moment des indépendances, il échoue

également à proposer un tracé pour enclaver Petelkol é de manière un tant soit peu crédible. Les

«points frontières», on en a beaucoup parlé, qu’il invente de toutes pièces sont tellement dénués de

fondement qu’ils naissent et disparaissent au gré de ses écritures.

44. Ainsi de «l’endroit où se termine le tronç on de la nouvelle route Téra-Dori aménagé par

le Niger», dont on ne sait pas pourquoi il serait érigé en point frontière; ou du «point de - 41 -

80
coordonnées 13° 59' 03" N ; 00° 25' 12" E» . Bien que ces coordonnées paraissent très précises,

leur choix relève à l’évidence du pur bon vouloir du Niger, puisqu’il n’hésite pas à les modifier au

gré de ses écritures, comme on peut le constater en prenant connaissance du croquis actuellement à

l’écran. La ligne rouge représente le tracé revendi qué par le Niger dans son mémoire; la ligne

mauve représente le tracé résultant du c ontre-mémoire. Ces deux lignes divergent

considérablement.

45. Il n’est donc pas exagéré de dire que tout ceci manque totalement de rigueur et ne

correspond en rien au tracé de la frontière entre le Niger et le Burkina.

C. L’enclave d’Oussaltane

46. S’agissant de l’enclave d’Oussaltane, qui apparaît représentée au milieu du croquis

actuellement à l’écran, force est de constate r que le Niger se borne à répéter dans son

81
contre-mémoire les arguments qu’il a déjà présentés dans son mémoire . Le Burkina les a déjà

réfutés 8.

47. Le contre-mémoire innove cependant s’agissant du tracé de l’enclave d’Oussaltane. Il en

ressort qu’aucun des points dont les coordonnées sont données dans le mémoire comme étant des

points frontières ne se retrouve dans le contre-mémoire, si ce n’est celui où le tracé proposé par le

Niger rejoint le tracé de l’IGN. Le croquis à l’écr an là encore en rend clairement compte. Force

est donc de constater que là encore le Niger improvise le tracé d’une ligne qui n’a rien de commun

avec la frontière telle que les deux Etats se sont accordés à la définir en 1987.

D. L’invention puis la disparition de l’enclave des campements de Komanti

48. D’ailleurs, l’improvisation à laquelle se livre le Niger est telle, Mesdames et Messieurs

de la Cour, que sa revendication d’une enclave autour des campements de Komanti, dont son

mémoire assurait qu’elle correspondait aux effe ctivités coloniales, a tout bonnement été

abandonnée dans le contre-mémoire. L’argument initial était pourtant ferme : ainsi soutenait-il que

le tracé de la carteIGN de1960 était très incertain à cet endroit, et qu’il fallait donc l’écarter de

80
CMN, p. 66-67, par. 2.17.
81
MN, p. 95-97, par. 6.23 et CMN, p. 67-68, par. 2.1.8.
82CMBF, p. 97-99, par. 3.71-3.76. - 42 -

manière à faire en sorte que lesdits campements lui reviennent puisque, selon lui, ils avaient été

83
«administrés par le Niger depuis la période coloniale» . Sans donner la moindre explication, le

contre-mémoire opère un revireme nt complet et abandonne cette enclave pourtant conforme à son

approche générale, pour s’en re mettre, finalement, au tracé prétendument «très incertain» de la

carte IGN de 1960.

49. Au-delà du biais qu’elles introduisent dans le débat judiciaire, ces variations ne sont pas

sans inquiéter car ce que l’on attend d’une frontière, tout comme des revendications de frontières,

est qu’elles soient dotées d’une certaine permanence. En tout état de cause, elles confirment le

caractère fantaisiste du tracé que le Niger propose à la Cour de consacrer comme frontière au

niveau de Petelkolé et d’Oussaltane. [Fin de projection.]

III. Bangaré

50. J’en viens alors au cas de Bangaré, village sur lequel je consacrerai ma dernière série

d’observations. Monsieur le président, Bangaré est le village à partir duquel le Niger renonce à

plaider des enclaves, pour s’appuyer sur le tracé de la carte IGN de 1960 jusqu’au prétendu «point

triple» qu’il substitue au point situé sur la rivi ère Sirba à Bossébangou. Fondamentalement, ce que

le Niger entend soutenir ici est que, parce que Bangaré aurait toujours été nigérien, le tracé de la

carte, qui lui attribue ce village, serait bien fondé.

51. Cette méthode est d’emblée discutable à raison du caractère éminemment fragile

d’arguments fondés sur le positionnement géographique exact des villages de la région à travers les

âges. Le cas de Senobellabé est d’ailleurs em blématique à cet égard: bien que ce village

apparaisse côté nigérien du tracé de 1960, et qu’ il soit cité comme village du canton de Diagourou

en 1933 et 1948, le Niger reconnaît dans son mémoir e que rien ne peut en être inféré puisque «les

84
sites changent suivant les saisons en conservant les mêmes toponymes» .

52. Au-delà de cette mise en garde, l’argument du Niger repose sur des effectivités qui n’en

sont pas. En dehors de celles déjà réfutées dans le contre-mémoire du Burkina et sur lesquelles il

83
MN, p. 96, par. 6.23.
84MN, p. 99, par. 6.25. - 43 -

85
n’y a pas lieu de revenir , sept documents produits en annexe au contre-mémoire méritent

discussion à ce stade.

53. Le premier est un extrait du «Répertoir e des localités»1927 : villages du canton des

86
Peuls indépendants ⎯Diagourou (cercle de Dori) ; on y lit la mention d’un village du nom de

«Bankaré». Le deuxième est une liste des villag es de la subdivision de Té ra, canton de Diagorou,

dans lequel est également cité un village du nom de «Bankaré» 87.

54. Ces deux documents doivent être écarté s d’emblée car assimiler Bangaré à Bankaré,

comme le fait le Niger, est sans aucun fondemen t. Rien ne prouve que l’un et l’autre noms

renvoient au même village, et tout indique au cont raire que cela ne saurait être le cas puisqu’il était

tout à fait habituel durant la période coloniale que de nombreux villages aient dans cette région des

noms qui se ressemblent tout en étant distincts. Pour preuve, le répertoire des localités de la

Haute-Volta de1927 recense des villages différents aux noms très proches tels que Bangaba,

Bangama, Bangassa, Bangassé, Bangassi, Banga sso, Bangassom, Bangassoum, Bangassoko,

Bankaré, Bankandé, Bankora, Bankouma, etc. 88 Au demeurant, le croquis du canton de Diagourou

de1954 rapporte l’existence d’un «Bankara», qui pourrait tout autant être Bankaré, et n’est

89
manifestement pas Bangaré . Du reste, deux des nouvelles pièces produites en annexes au

contre-mémoire du Niger font figurer les noms de «Bangaré» et «Bankara» comme deux entités

90
différentes dans la liste des villages de la subdivision de Téra, canton de Diagourou .

55. Les troisième, quatrième et cinquième documents, cotés C 117, C 118 et C 125 dans les

annexes du contre-mémoire du Niger, posent problème quant à leur nature et leur objet. Ils ont une

origine non précisée : leur auteur n’est pas indiqué, pas davantage que leur obj et ; quant à leur date,

elle est manuscrite alors que le reste des documents est dactylographié. Ils sont en outre sortis de

leur contexte car il s’agit d’extraits de documents manifestement plus volumineux dont on ne sait à

peu près rien.

85
CMBF, p. 101-102, par. 3.80-3.84.
86 o
CMN, annexes, série C, n 109.
87 o
CMN, annexes, série C, n 110.
88MBF, annexe 27.

89MN, annexe D 21.
90
CMN, annexes C 117 et C 118, notamment. - 44 -

56. Les deux derniers documents sont un rapport du 10 août 1954 portant spécifiquement sur

«Bangaré» 91, ainsi que l’arrêté du 1 erjanvier 1956 fixant le siège et le ressort des bureaux de vote

92
en vue des élections à l’Assemblée nationale dans la circonscription du Niger .

57. Attentivement analysé, le rapport de1954 révèle que ce qu’il mentionne comme étant

«Bangaré» n’est pas le village «Bangaré» qui apparaît à l’ouest du tracé de la carte IGN de 1960, et

que le Niger revendique. Le village de Bangaré figurant sur cette carte se situe en effet à

25kilomètres à vol d’oiseau de Diagourou, ce qui est totalement incompatible avec l’observation

93
faite dans le rapport de1954 , selon laquelle Bangaré est, hist oriquement, un «quartier de

Diagourou existant depuis le début du siècle». Au cun village africain n’a jamais eu, au début du

e
XX siècle, un «quartier» éloigné de son centre de plus de 20 kilomètres.

58. Le dernier des documents qu’il convient de di scuter, qui est tout à la fois le plus officiel

puisqu’il s’agit de l’arrêté fixant le ressort des bureaux de vote à l’Assemblée nationale de la

circonscription du Niger, et proc he des indépendances puisqu’il date de 1956, vient confirmer que

le village de Bangaré n’est pas nigérien. Il est reproduit à l’onglet 2, sous-onglet 19, du dossier des

juges. Certes, Bangaré y est inscrit comme rattaché au premier bureau de vote de Diagorou. Mais

il en ressort surtout, et le Niger omet évide mment de le souligner, que Bangaré n’y est pas

mentionné comme un village, ce qui n’est ni un oubli, ni une erreur.

59. L’arrêté distingue en e ffet les électeurs rattachés à d es villages ou des oasis, ceux qui

appartiennent à des tribus spécifiques ou à des «f actions», et ceux, indéterminés, qui votent au

Niger pour des raisons qui ne sont pas liées à leur lieu de résidence mais à raison de leur

rattachement personnel au Niger.

60. C’est ce qui justifie qu’il y ait deux burea ux de vote à Diagorou. Le second est réservé

aux électeurs relevant de certains v illages. L’arrêté évoque expressément ⎯je cite le texte de

l’arrêté, Monsieur le président ⎯ les « Villages de: «Ouagadougoubé, YoloHamidou,…». Le

premier bureau de vote se voit pour sa part ratt acher des électeurs sans mention du fait qu’ils

appartiennent à un village particulier. L’arrêté mentionne ⎯ là encore je cite le texte de l’arrêté :

91
CMN, annexe C 120.
92CMN, annexes, série B, n 35.

93CMN, annexe C 120. - 45 -

«Sanrarébé, Wengardé, … Bangaré». Le mot «vil lage» n’y est pas indiqué. Bangaré n’y est donc

pas cité comme étant un village géographiquement localisé, rattaché en raison de cette localisation,

à un bureau de vote nigérien.

61. Le fait que Bangaré apparaisse dans cet a rrêté, mais qu’il ne soit pas évoqué en tant que

village, alors même qu’il est constant qu’il a été érigé comme tel en1945 9, marque donc une

effectivité inverse de celle que le Niger prétend y voir. Il signifie que les autorités coloniales

savaient pertinemment que le village de Bangaré n’était pas situé au Niger mais en Haute-Volta du

fait de la délimita tion opérée par l’ erratum. Aux fins des élections aNiger, elles se bornaient

donc à prendre acte que des résidents de Bangaré étaient inscrits sur les listes électorales au Niger,

et leur indiquaient par cet arrêté le lieu où ils pouvaient voter.

62. Dès lors, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les juges, le tracé décrit par le

contre-mémoire du Niger s’agissant du secteur de Téra, tout comme celui, d’ailleurs différent,

allégué dans le mémoire nigérien, sont dépourvus de tout fondement, en droit comme en fait.

63. A partir de la borne astronomique de Tong-Tong, comme le Burkina l’a toujours soutenu,

la frontière suit une ligne droite jusqu’à la borne astronomique de Tao ; puis, de ce point, elle suit

une ligne droite jusqu’au point où la frontière atteint la rivière Sirba à Bossébangou.

64. Monsieur le président, ceci conclut ma pl aidoirie, je vous remercie de votre patiente

attention et vous prie d’appeler à la barre le professeur Forteau, qui présentera une partie du tracé

dans le second secteur de la frontière en litige.

Le PRESIDENT : Merci, Monsieur le professeur. J’invite M. Forteau à reprendre la parole.

L E TRACÉ DE LA FRONTIÈRE DU POINT OÙ ELLE ATTEINT LA RIVIÈRE SIRBA
À BOSSÉBANGOU JUSQU ’À LA BOUCLE DE B OTOU

I. Le point de départ du tracé (le point où la limite atteint
la rivière Sirba à Bossébangou)

Je vous suis très reconnaissant, Monsieur le président, de me donner à nouveau la parole.

o
[Projection n°1 : le second secteur à délimiter (de Bossébangou à la boucle de Botou)]

94CMBF, p. 100, par. 3.80. - 46 -

1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les juges, le second secteur de la frontière

dont le Niger conteste la délimitation est défini de la manière suivante par l’ erratum de 1927 : la

ligne de délimitation, parvenue au point où elle atteint la rivière Sirba à Bossébangou,

«remonte presque aussitôt vers le [n]ord-[o]uest laissant au Niger, sur la rive gauche
de cette rivière, un saillant comprenant l es villages de Alfassi, Kouro, Tokalan,
Tankouro; puis, revenant au [s]ud, elle coupe de nouveau la Sirba à hauteur du

parallèle de Say. De ce point la frontière, suivant une direction [e ]st-[s]ud-[e]st, se
prolonge en ligne droite jusqu’à un point situé à 1200mètres [o]uest du village de
Tchenguiliba.»

2. Le premier élément de divergence entre les Parties, qui est au demeurant commun avec le

tronçon précédent, concerne le point de départ de la frontière dans le présent secteur. Il convient en

effet d’identifier à partir de quel point la limite «remonte presque aussitôt vers le [n]ord-[o]uest».

Ce sera l’objet de cette seconde intervention que d’identifier ce point.

o
[Fin de la projection n 1.]

3. Pour être tout à fait franc, il ne faut pas plus que quelques secondes pour disposer de la

question. La limite «remonte» nécessairement à partir du point où elle vient d’aboutir : la frontière,

selon l’erratum, «attein[t] la rivière Sirba à Bossébangou. Elle remonte presque aussitôt vers le

[n]ord-[o]uest», la rivière Sirba à Bossébangou constitue donc le point frontière pertinent.

4. Le Niger crée sur ce point un problème t out à fait artificiel en se refusant à appliquer

l’erratum. Dans son contre-mémoire, la partie nigérienne affirme en effet que le tronçon pertinent

démarrerait non pas au point désigné par l’ erratum mais au «point qui constituait autrefois le

«point triple» entre les cercles de Dori, Tillabé ry et Say». Le Niger considère également que

«jusqu’au début de la boucle de Botou, le tr acé est celui des limites traditionnelles du cercle de

Say, tel qu’il a été transmis à la colonie du Niger en 1926» 95.

o
[Projection n 2 : Les tracés des Parties dans la zone du saillant]

5. Cette revendication du Niger, dont une représentation est projetée à l’écran, s’écarte

doublement de l’erratum :

i) le Niger affirme se fonder sur ce qu’aurait été ⎯j’emploie le conditionnel à dessein ⎯ la

situation en1926, soit l’année précéd ant l’adoption de l’arrêté et de l’ erratum : or, ces deux

95
CMN, par. 2.2.1. - 47 -

actes juridiques sont les seuls à faire droit pour identifier la délimitation; au mieux, la

revendication du Niger est donc anachronique; c’est d’autant plus vrai que le décret de1926

renvoie lui-même à une délimitation à venir, survenue en 1927 ;

ii) le Niger ne tient absolument aucun compte par ailleurs de la lettre de l’erratum, qui retient, sans

discussion possible, la rivière Sirba à Bossébangou comme point
frontière, à l’exclusion de tout

«point triple».

[Fin de la projection n o2.]

6. Compte tenu de la clarté du texte de l’ erratum, le Niger en est réduit dans ses écritures à

prétendre que l’auteur de l’ erratum se serait trompé en retenant Bossébangou comme point

frontière en lieu et place de ce que le Niger appe lle le «pointtriple» entre les cercles de Dori,

Tillabéry et Say. Pareille théorie de l’erreur est cependant privée de tout fondement, comme je le

montrerai dans un premier temps (I). Je m’attacher ai ensuite à développer les différents éléments

qui viennent confirmer que le point où la fron tière atteint la rivière Sirba à Bossébangou constitue

de manière indiscutable le point frontière pertin ent, duquel démarre la frontière dans le présent

secteur (II).

I. La thèse de l’erreur est sans portée

7. Monsieur le président, il faut au moin s être reconnaissant au Niger d’assumer crânement

sa position à l’égard du point frontière de Bossébangou. La revendication est claire, à défaut d’être

fondée. Selon le Niger,

«[c]ette mention dans l’erratum d’une lim ite passant par la lo calité de Bossébangou
[est] empreinte d’erreur. L’ erratum n’a pas corrigé sur ce point le texte de l’arrêté
auquel il se substitue, puisqu’il a maintenu, dans la description de la limite

intercol96iale, une partie des limites internes du cercle de Say, qui n’y avaient aucune
place» ;

Toujours selon le Niger,

«[l’erratum] perpétue de la sorte pour partie l’ erreur qu’il était censé corriger, en

faisant aboutir la ligne qu’il décrit à un point qui constitue une limite purement inter97
entre les cercles de Tillabéry et de Say, relevant d’une seule et même colonie.»

96
CMN, par. 2.2.2.
97MN, par. 7.14. - 48 -

8. L’ironie de l’argument est qu’il repose pr écisément sur la confusion que le Niger

dénonce :

i) l’ erratum n’indique à aucun endroit qu’il délimiterait des cercles ⎯ son objet est clairement

circonscrit à la délimitation intercoloniale ;

ii) le Niger s’évertue de son côté à revendique r comme point frontière ce qu’il appelle un «point

triple» entre trois cercles, en contradiction avec l’objet intercolonial de l’erratum de 1927. Si

quelqu’un dans cette affaire confond donc limites de cercles et limites de colonies, ce n’est pas

l’auteur de l’erratum, c’est bel et bien le Niger.

9. Quoi qu’il en soit, l’argument du Niger ne tient tout simplement pas, pour trois grandes

séries de raisons :

⎯ premièrement, la théorie de l’erreur est sans effet : même si erreur il y avait eu (quod non), cela

n’enlèverait rien de toute manière au fait que l’ erratum s’appliquerait tout de même en

l’espèce (A) ;

⎯ deuxièmement, la théorie de l’erreur repose su r un double postulat erroné : celui selon lequel,

d’une part, il aurait existé en 1927 des limites déjà définies, et celui selon lequel, d’autre part,

l’erratum aurait dû se limiter à retranscrire telles quelles ces prétendues limites (B) ;

⎯ troisièmement, la théorie de l’erreur suppose de considérer que l’auteur de l’ erratum n’aurait

pas mentionné Bossébangou en connaissance de cause, ce que dément l’analyse du texte même

de l’erratum (C).

Permettez-moi, Monsieur le président, de revenir plus en détail sur chacun de ces trois points.

A. Même si erreur il y avait eu (quod non), l’erratum s’appliquerait tout de même en l’espèce

10. Pour ce qui concerne le premier point (même s’il y avait eu erreur, l’ erratum

s’appliquerait tout de même en l’espèce), je commencerai par rappeler en quoi consiste l’argument

nigérien. Selon le Niger,

«En faisant courir la limite intercoloni ale jusqu’au village de Bossébangou, et
en amputant par là le cercle de Say d’une portion de sa superficie dans sa partie

septentrionale au profit de la Haute-Volta et au détriment du Niger, l’erratum du
5 octobre 1927 est … en contradiction manifeste avec le décret du 28 décembre 1926,
auquel les deux Parties reconnaissent une importance fondamentale dans le présent
différend. Ceci a pour conséquence de priver l’erratum, sur ce point précis, de tout - 49 -

fondement ⎯ et donc de tout effet juridique, dès lors que dans la hiérarchie des actes
98
administratifs français, le décret est un acte supérieur à l’arrêté» .

11. Le Niger appuie plus préciséme nt son allégation sur le précédent Burkina/Mali dans

lequel votre Cour avait estimé que la ligne frontalière «était nécessairement définie non pas d’après

le droit international mais d’après la légi slation française applicable à ces territoires» 99. Le Niger

prétend en tirer l’argument qu’il appartiendrait à la Cour de se faire juge de la légalité de l’erratum,

de constater son incompatibilité avec le décret de décembre 1926 et de l’écarter pour cette raison

sur la base du droit français.

12. Or, quel que soit le bien-fondé intrinsè que de cette demande, il existe une différence

notable entre l’affaire Burkina/Mali de1986 et celle qui nous occupe aujourd’hui: l’ erratum

de1927 est dans le cas présent un titre juridique à double fondement: il est le titre juridique par

application du principe de l’ uti possidetis juris, donc par renvoi au droit colonial français ; mais il

est aussi le titre juridique par l’effet du renvoi qu’y opèrent l’accord de 1987 et le compromis de

saisine de la Cour, qui constituent l’un et l’autre des traités. Du fait de ce renvoi conventionnel,

quand bien même l’ erratum serait erroné (quod non) , il n’en demeurerait pas moins le titre

juridique reconnu dans un traité pa r les deux Parties comme le seul applicable pour définir le tracé

de leur frontière commune. Dans ce tte configuration, le statut de l’ erratum en droit colonial

français est tout simplement hors sujet.

13. Les conclusions auxquelles votre Cour est parvenue dans l’affaire

Libye/Tchads’appliqueraient pleinement dans cette hy pothèse. Dans cet arrêt, vous avez indiqué

que,

«Dans ces conditions, la tâche de la Cour est claire :

«Placée en présence d’un texte dont la clarté ne laisse rien à désirer

[la Cour parle ici du traité de 1955 qui définissait la frontière par renvoi à
d’autres instruments, et il en va de même ici de l’accord de1987 qui
renvoie à l’erratum], [la Cour] est tenue de l’appliquer tel qu’il est, sans
qu’elle ait à se demander si d’autres dispositions auraient pu lui être

ajoutées ou substituées avec avantage» (Acquisition de la nationalité
polonaise, avis consultatif, 1923, C.P.J.I. série B n 7, p. 20)».

98
Voir CMN, par. 2.2.10.
99CMN, par. 2.2.10. - 50 -

(Différend territorial (Jamahiriya arabe libyenne/Tchad), arrêt, C.I.J.Recueil1994 ,

p. 25, par. 51 ; les italiques sont de nous).

14. Autrement dit, et toujours pour reprendre les termes de votre arrêt de 1994, en concluant

l’accord de 1987 qui renvoie à l’ erratum, le Burkina et le Niger se sont engagés à accepter la

frontière définie par l’erratum et se sont obligés ⎯ et je cite les termes de votre arrêt de 1994 ⎯ à

«tirer les conséquences juridiques de son existen ce, la respecter et renoncer à la contester pour

l’avenir» (ibid., p. 22, par. 42). Que l’ erratum soit ou non erroné n’est donc pas la question. Le

Niger ne peut écarter l’erratum sans manquer à son propre consentement exprimé en 1987 et réitéré

en 2001.

o
[Projection n 3 : croquis de la page 117 du CMBF.]

15. L’argument du Niger est d’ailleurs privé également de toute portée dans ses

conséquences. Si en effet le Niger avait raison (quod non) de considérer que l’ erratum était

entaché d’erreur et qu’il vous appartiendrait pour cette raison de l’écarter, et en admettant alors que

l’on puisse considérer qu’il s’agirait d’un cas d’«insuffisance» de l’ erratum au sens de l’accord

de 1987 ⎯ ce qui est pour le moins discutable ⎯, il conviendrait dans ce ca s de retenir le tracé de

la carte de1960. Or, comme cela apparaît à l’écran, celui-ci ne s’ arrête pas au «point triple»

nigérien; le tracé de la carte s’avance jus qu’à Bossébangou qu’il retient comme point frontière

⎯ce qu’admet au demeurant le Niger 100. Le Niger n’avance donc pas d’un pas lorsque, pour

écarter le point frontière de Bossébangou, il invo que la prétendue «erreur» qui aurait été commise

dans l’erratum.

o
[Fin de la projection n 3.]

B. La théorie de l’erreur repose sur un double postulat erroné: il aurait existé en 1927 des
limites déjà définies et l’erratum de 1927 aurait dû retranscrire telles quelles ces limites

16. J’en viens, Monsieur le président, à titre parfaitement subsidiaire, à la deuxième série de

raisons pour lesquelles la théorie de l’erreur est sans portée. Celle-ci repose sur un double postulat

erroné : celui selon lequel, d’une part, il aurait ex isté en 1927 des limites déjà définies que, d’autre

part, l’erratum de 1927 aurait dû retranscrire telles quelles. Le Niger fait valoir en effet dans son

100MN, par. 7.21. - 51 -

contre-mémoire que l’ erratum «contien[drait] une description erronée de ce segment de la limite

intercoloniale» 101.

17. Mais l’ erratum n’avait nullement vocation à «décr ire», comme l’écrit le Niger, une

limite qui lui aurait préexisté ⎯ et dont la retranscription aurait pu à ce titre être frappée d’erreur.

L’erratum est un acte de délimitation qui, en tant que tel, possède un aspect constitutif et non

déclaratif. Les termes qu’il emploie le confirment d’ailleurs puisque l’artic lepremier dispose en

particulier, non pas que les limites «sont les suivantes», mais qu’elles «sont déterminées comme

102
suit» ⎯ et l’emploi du verbe déterminer implique bien qu’une décision a été prise .

18. Cet aspect constitutif était d’ailleurs in évitable puisqu’à la date de l’adoption de

l’erratum, aucun arrêté ou décret antérieur n’avait délimité le territoire des deux colonies, ni même

d’ailleurs le territoire des cercles limitrophes de la ligne de délimitation. C’est précisément la

raison pour laquelle le décret de 1926 avait expressément prévu qu’ un arrêté «déterminera le tracé

de la limite des deux colonies dans cette région» 103.

19. Le Niger estime toutefois que l’au teur de l’arrêté de1927 et de son erratum se serait

trompé en négligeant de prendre en compte que certains cantons avaient été transférés en 1926 de

la colonie de la Haute-Volta à la colonie du Niger. Selon le Niger, si la localité de Bossébangou

«se situait bien à la limite entre le cercle de Say et les cantons du cercle de Dori rattachés au Niger

en 1926, elle n’était par contre plus limitrophe de la Haute-Volta après que ce rattachement eut été

104
opéré» .

20. Le Niger fonde son argument sur le procès-verbal du 10février1927 signé de

MM. Lefilliatre, délégué du gouverneu r de la Haute-Volta, et Choteau, représentant le gouverneur

de la colonie du Niger, procès-verbal sur la b ase duquel l’arrêté de1927 a été préparé. Le Niger

estime que ce procès-verbal décrit l’ensemble de s limites du cercle de Say, et non pas seulement

celles qui sont limitrophes de la colonie de Haut e-Volta, ce qui viendrait confirmer qu’une erreur

101CMN, par. 2.2.8.
102
Voir supra, plaidoirie d’Alain Pellet, par. 19.
103MBF, annexe 26.

104MN, par. 7.16. - 52 -

aurait été commise en ce que les changements d’affectation territoriale opérés par le décret de 1926

n’auraient pas été pris en compte lors de la préparation de l’arrêté.

21. Mais, comme le Burkina l’a souligné dans son contre-mémoire 10, le Niger oublie de

rappeler que l’arrêté de 1927 a été préparé également sur la base du procès-verbal du 2 février 1927

conclu par MM.Brévié, gouverneur de la Colonie du Niger, et Lefilliatre, délégué du gouverneur

de la Haute-Volta. Or, ce procès-verbal est très clair: il tient compte des changements

d’affectation de territoires opéré par le décret de1926 dans la délimita tion intercoloniale qu’il

propose.

22. Pour pouvoir affirmer que l’auteur de l’ erratum aurait commis une erreur en ne

consacrant pas exactement les limites du cercle de Say telles qu’elles auraient existé en1926, il

faudrait établir en tout état de cause que lesdites limites étaient bien celles que le Niger prétend.

Or, à la connaissance du Burkina, le Niger n’a pr oduit aucun acte juridique colonial qui aurait

défini ces limites à la date de 1926.

23. Le Niger n’a pas davantage produit d’acte colonial définissant ce qu’il ne cesse d’appeler

les «limites traditionnelles» du cercle de Say. Le décret de1926 vise des territoires, non des

limites, et nulle part dans ses visas, pas plus d’aille urs que dans les visas de l’arrêté de 1927 et de

son erratum il n’est fait mention d’instruments juridiques de délimitation dont il aurait fallu tenir

compte lors de l’adoption de l’erratum.

24. Le seul document que le Niger a produit en lien avec les limites du cercle de Say vient

confirmer d’ailleurs que celles-ci n’étaient pas définies en 1927. Le Niger a annexé à son mémoire

106
l’arrêté149 du 20mars1901 rattachant le te rritoire de Say au cercle du Moyen-Niger . En son

article premier, cet arrêté dispose que «[l]e territoire de Say, dont les limites exactes seront définies

ultérieurement, est rattaché au cercle du Moyen-Niger». C’était admettre que les limites du

territoire de Say n’étaient pas définies. Or, le Niger n’a annexé aucun autre document qui serait

venu par la suite combler cette lacune.

25. Le Niger n’en continue pas moins de prétendre que l’ erratum de 1927 aurait dû entériner

une délimitation déjà opérée. Selon lui, dès lors que le décret du 28 décembre 1926 et l’arrêté du

105
Voir CMBF, par. 4.21-4.27.
106MN, annexe B.6. - 53 -

22 janvier 1927 ont apporté des «modifications territoriales» aux colonies de la Haute-Volta et du

Niger en modifiant l’affectation de certains territo ires, dont le cercle de Say, en les transférant

d’une colonie à l’autre, l’autorité coloniale aura it d’ores-et-déjà délimité ces territoires par ces

deux textes de décembre 1926 et janvier 1927, d’une manière qui aurait lié par la suite l’auteur de

l’arrêté d’août et de l’erratum d’octobre 1927.

26. Ce n’est pourtant pas l’interprétation que le Niger lui-même défendait il y a quelques

années encore dans le contre-mémoire déposé le 28mai2004 dans l’affaire l’opposant au Bénin.

Le Niger écrivait alors que «[l]’arrêté du 22 janvi er 1927 ne donne pas de limites et l’on voit donc

mal comment l’arrêté du 31août1927 pourrait le préciser». Le Niger indiquait ensuite que les

107
limites «résultent plutôt de l’ erratum» . Ceci est tout à fait vrai : ni le décret de décembre 1926,

ni l’arrêté de janvier 1927, ne sont des actes de délimitation. Seul l’erratum a cette qualité.

27. Il est symptomatique d’ailleurs que le Nige r ne s’attarde guère sur la manière dont il s’y

est pris pour localiser précisément le «point trip le» qu’il s’évertue à cons idérer comme constituant

le point frontière pertinent. Si, au moment où a été adopté le décret de 1926, les cercles concernés

avaient déjà fait l’objet d’une délimitation qui aurait lié le gouve rneur général de l’AOF dans

l’établissement de la délimitation intercoloniale, comme le prétend le Niger, la localisation du

point triple aurait dû être déduite de ces textes anté rieurs de délimitation des cercles. Or, le Niger

n’a produit encore une fois aucun texte de ce genr e. Cela explique qu’il ait dû se rabattre sur une

autre technique, qui nous éloigne encore un peu plus de la méthodologie définie et acceptée par le

Burkina et le Niger dans l’accord de 1987.

o
[Projection n 4 : croquis de la page 107 du MN]

28. Pour localiser son pointtriple, le Ni ger se borne à renvoyer à quelques représentations

cartographiques qui auraient, selon lui, «identifié [le] point de contact entre les cercles de Tillabéri,

Say et Dori» 108. Autrement dit, le Niger ne fonde pas son «point triple» sur des actes juridiques de

délimitation qui auraient existé en1926. Il pr étend déduire rétrospectivement les coordonnées de

ce point de quelques représentations cartographiques choisies de manière sélective, avec, bien

107
CMN dans l’affaire Bénin/Niger, annexe I, p. 203, par. 14 (www.icj-cij.org).
108MN, par. 7.24. - 54 -

entendu, les aléas d’une telle méthode quand on connaît la très grande imprécision des croquis

antérieurs à 1926.

29. La méthode est d’autant plus surprenante, d’ailleurs, que dès 1910 109 et donc en 1919 à la

date de la création de la Haute-Volta, il n’existait plus aucun «point triple» entre trois cercles dans

la région. A partir de1910, le cercle de Say n’est limitrophe au Nord-Ou est que d’un seul autre

cercle: le cercle de Dori, qui a absorbé l’anci en cercle de Tillabéry de ce côté-ci du fleuve

110 o
Niger . [Projection n 5 : croquis de la page 13bis du MN].

Le Niger en a fourni une illustration, projetée en ce moment, dans son mémoire en montrant les

cercles de la colonie de Haute-Volta au mome nt de sa création en1919. Dans ces conditions,

prétendre localiser un point triple entre trois cercles à une époque où il n’en existe que deux relève

du tour de force.

[Fin de la projection n o 5]

30. Pour localiser son «pointtriple», le Niger se fonde sur des cartes et croquis censés

représenter la situation existant en 1927 : il s’ agit du croquis du capitaine Boutiq, commandant du

cercle de Djerma, au 1/1000000 edu 19juin1909 111, du croquis du commandantTruchard au

e er 112 o
1/500 000 du 1 août 1915 , de la carte n 60 de l’atlas des cercles ⎯cercle de Say au

1/500 000 e113; et de la carte Volta-Niger-Dahom ey (Blondel laRougery) au 1/500000 e de

114
juin 1926 :

o
[Projection n 6 : Croquis MN, D 1.]

⎯ seul le premier croquis ⎯ celui de 1909 ⎯ représente un véritable pointtriple, mais, d’une

part, ce croquis, qui n’est pas une carte, ne permet pas de le localiser précisément ; d’autre part,

c’est à l’époque le cercle de Djerma, et non de Say proprement dit qui n’en constitue qu’une

subdivision, qui est limitrophe du cercle de Dori ; de plus, le Niger ne revendique de toute

109
Voir MN, par. 1.15 in fine.
110
Voir l’arrêté du 22 juin 1910, MN, annexe B. 14.
111
MN, annexe D.1.
112MN, annexe D.4.

113MN, annexe D.6.
114
MN, annexe D.9. - 55 -

manière pas dans ses écritures un pointtriple qui correspondrait à celui très grossièrement

représenté sur le croquis de 1909

o
[Fin de la projection n 6.]

⎯ quant aux trois autres croquis, ils ne représentent aucun point triple puisqu’à la date à laquelle

ils ont été établis, après1910, comme je l’ai rappelé à l’instant, le cercle de Say n’était

limitrophe au nord-ouest que d’un seul autre cercle, le cercle de Dori 115. On ne comprend donc

pas comment le Niger peut se fonder sur ces croquis pour localiser le pointtriple qu’il

revendique.

31. Il convient de souligner également que les cartes ou croquis sur lesquelles le Niger

s’appuie ne sont guère concordantes. J’en prendrai deux séries d’exemples.

32. La première série d’exemples concerne l’emplacement des villages environnant le

prétendu «point triple» nigérien :

[Projection n o 7 : Extrait pertinent de la carte au 1/500 000 de 1926.]

⎯ la carte au 1/500000 de1926 localise le village d’Alfassi dans le saillant, certes, mais elle le

116
place au nord-ouest du village de Bossébangou ; à l’inverse, le village d’Alfassi est situé au

sud-ouest de Bossébangou sur la carte IGN de 1960 ;

o
[Projection n 8 : Extrait pertinent du croquis au 1/1 000 000 de 1926]

⎯ le croquis au 1/1 000 000 de 1926 place quant à lu i le village d’Alfassi non pas au cŒur même

du saillant, mais dans le prolonge ment direct de la ligne droite en provenance de la borne de

Tao 117.

33. Ces quelques exemples montrent à quel point les représentations cartographiques

antérieures à l’ erratum étaient peu fiables s’agissant de la zone dans laquelle le Niger tente

aujourd’hui de trouver son «point triple»

o
[Fin de la projection n 8.]

34. Le deuxième exemple concerne la pertinence même de l’idée de point triple s’agissant de

la délimitation opérée en 1927.

115
Voir CMBF, par. 4.33.
116MN, annexe D 9.

117MN, annexe D 10. - 56 -

[Projection n 9 : Croquis à projeter : zoomer sur la partie pertinente du croquis D 20 du MN.]

A la page75 de son contre-m émoire, le Niger reproduit le cr oquis au 1/1000000 de1946,

qui figure en annexeD20 de son mémoire, en lui affectant l’intitulé suivant: «Les limites

traditionnelles du cercle de Say en 1927». Ce croquis représente un point triple entre trois cercles.

Mais cette représentation cartographique, que le Niger estime représentative des «limites

traditionnelles du cercle de Say», est cependant très clairement contraire, non seulement à

l’erratum, mais aussi à l’interprétation qu’en donne le Niger et au tracé que lui, Niger, revendique.

Comme vous le voyez à l’écran en effet, le croquis place le village d’Alfassi au nord-est du

point triple, en dehors donc du cercle de Say et en dehors du saillant.

o
[Fin de la projection n 9.]

C.La théorie de l’erreur suppose de considérer que l’auteur de l’erratum n’aurait pas
mentionné Bossébangou en connaissance de cause, ce que dément l’analyse du texte de
l’erratum

35. Pour que la théorie de l’erreur soit fond ée, il faudrait enfin, et j’aborde ce faisant la

troisièmesérie de raisons qui rendent cette th éorie sans portée, établir que l’auteur de l’ erratum

n’aurait pas agi en connaissance de cause lorsqu ’il a retenu Bossébangou comme pointfrontière.

Le Niger estime de ce point de vue que «la mention dans l’ erratum d’une limite passant par la

localité de Bossébangou était empreinte d’erreur» et que «l’ erratum n’a pas corrigé sur ce point le

118
texte de l’arrêté auquel il se substitue» .

36. Sur la forme, un tel argument ne serait cepe ndant recevable que si le texte des deux actes

était identique. Or, tel n’est pas le cas: l’arrê té d’août indiquait que la limite allait «rejoindre

ensuite la rivière Sirba (limite du cercle de Say) aux environs et au Sud de Boulkalo». L’ erratum

quant à lui ne se réfère plus à la limite du cercle de Say, ni à Boulkalo : il indique désormais, avec

précision, que la limite «attein[t] la rivièreSi rba àBossébangou». Cette précision, évidemment

délibérée, est significative.

[Projection n o 10 : Croquis de la page 117 du CMBF.]

37. Par ailleurs, l’ erratum apporte une seconde précision. Il indique qu’à partir de

Bossébangou, la limite remonte «presque aussitôtvers le nord-ouest». Cette précision, pour

118CMN, par. 2.2.2. - 57 -

concise qu’elle soit, confirme que c’est en connaissance de cause que l’auteur de l’erratum a décidé

de retenir Bossébangou comme point frontière, en en tirant les conséquences qui s’imposaient dans

la définition de la suite du tracé: la ligne descend dans une direction nord-ouest/sud-est

jusqu’à Bossébangou, puis elle en repart dans une direction presque opposée : «presque aussitôt»,

indique donc à juste titre l’ erratum, car sans cette indication, la ligne aurait pu être conçue comme

rebroussant chemin, ce qu’une frontière ne peut pa s faire. L’insertion de ce «presque aussitôt»

confirme que l’auteur de l’ erratum savait exactement ce qu’il faisait en définissant comme il l’a

fait la limite dans le présent secteur.

o
[Fin de la projection n 10.]

38. Dès lors que l’inte ntion de l’auteur de l’ erratum est donc parfaitement claire et que, par

ailleurs, les termes employés dans cet instrument le sont tout autant, l’interprétation de l’erratum ne

pose strictement aucune difficulté. Il n’est nullement «insuffisant».

II. Le point où la ligne «attein[t] la rivière Sirba à Bossébangou» est le point frontière

39. La théorie de l’erreur, nous venons de le voir, est en définitive privée de fondement. Elle

ne peut donc venir appuyer la revendication nigérienne qui entre en contradiction manifeste avec le

texte de l’erratum de 1927.

40. Le Niger allègue toutefois que de nombre ux éléments datant de la période coloniale

prouveraient que la localité de Bossébangou n’était pas considérée comme limitrophe de la colonie

119
de la Haute-Volta . Le Niger insiste en particulier sur une lettre de l’administrateurDelbos,

commandant du cercle deDori, au gouverneur de la Haute-Volta, du 17décembre1927, dans

laquelle Delbos indiquait que la limite se dirigeait «jusqu’à Nababori atteignant à l’ouest d’Alfassi,

le cercle de Say et non à Bossebango qui est plus haut» 120.

41. Le Niger oublie toutefois de citer dans leur entier et de resituer dans leur contexte les

documents, au demeurant peu nombreux, sur lesque ls il tente d’appuyer sa revendication. Dans

son contre-mémoire, le Burkina a analysé en dé tail ces documents. Les conclusions suivantes en

ressortent, que je synthétise brièvement 121.

119
CMN, par. 2.2.5.
120
MN, annexe C 20, citée in CMN, par. 2.2.5.
121Voir CMBF, par. 4.30-4.39. - 58 -

42. Premièrement, les documents invoqués par le Niger n’ayant pas été «acceptés d’accord

parties» en vertu de l’accord de1987, ils ne pe uvent, quel que soit leur contenu, prévaloir sur le

texte clair de l’erratum.

43. Deuxièmement, les documents invoqués par le Niger témoignent en réalité du fait que

certains administrateurs coloniaux désiraient modifier la délimitation de l’erratum au motif qu’elle

avait retenu Bossébangou comme pointfrontière: il s’en déduit naturellement que Bossébangou

était bien un point frontière depuis l’adoption de l’erratum de 1927 et que les autorités coloniales

ne tenaient pas l’erratum comme étant privé d’effet juridique sur ce point précis.

44. Troisièmement, ces documents montrent que le pointfrontière qui fut à l’occasion

proposé (de nouveau sans succès) en re mplacement de Bossébangou n’a rien d’un point qui aurait

été consacré avant1927 par un «tracé traditionnel» que l’auteur de l’ erratum n’aurait pas eu

d’autre choix que d’entériner. Ce sont, au cont raire, plusieurs points, approximatifs d’ailleurs,

situés à des endroits différents qui sont suggérés selon les documents :

⎯ on relèvera ainsi que la pr étendue «limite traditionnelle» qu’illustrerait le croquis du

capitaineBoutiq de1909 ne correspond pas à la frontière que revendique aujourd’hui le

Niger 122;

⎯ le rapport de tournée de l’adjoint des services civils Roser du 15 septembre 1943 évoque à son

tour un tracé qui ne correspond pas davantage à celui revendiqué aujourd’hui par le Niger,

123
puisque son point de départ est fixé à Alfassi, et non à Nababori ;

⎯ de même, le procès-verbal des opérations de délimitation entre les cercles deDori et

deTillabéry, adopté le 8décembre1943 et donc à une époque antérieure au rétablissement

en1947 de la Haute-Volta dans ses limites de1932, propose que le «point de rencontre» des

troisterritoires de Dori, Tillabéry et Say soit fixé à un autre point encore qu’Alfassi et

Nababori: ce point de rencontre, identifié co mme étant celui proposé par les administrateurs

Delbos et Prudhon en 1927, «est une petite plateforme située à 6 km et demi (à vol d’oiseau) au

nord-est du hameau de Nabambori», dite plateforme «deFisso» 12. Aucun document

122Voir CMBF, par. 4.34, dernier tiret.
123
MN, annexe C 45.
124MN, annexe C 69. - 59 -

préparatoire à l’arrêté modifié de1927, ni l’arrêté pas plus que l’ erratum, je le souligne, n’a

jamais fait mention de ce point.

45. Quoi qu’il en soit de ces propositions, tout dans le dossier concorde pour aboutir à la

conclusion selon laquelle c’est Bossébangou qui constitue le point frontière pertinent et pas le point

triple du Niger.

46. C’est la conclusion qui découle tout d’abord de l’ erratum lui-même ainsi que de la carte

de 1960 auxquels renvoient l’accord de 1987 et le compromis de saisine de la Cour. L’un et l’autre

retiennent Bossébangou comme point frontière à l’excl usion de tout «point triple» et cela suffit à

disposer de la question.

47. Ce fut aussi l’interprétation de l’ erratum qui fut retenue en1988 par les membres de la

commission mixte technique d’abornement, qui retinrent Bossébangou comme point frontière 125;

ce fut aussi l’interprétation authentique adopt ée en mai1991 par les ministres compétents du

Burkina et du Niger selon lesquels «de la borne astronomique de Tong-Tong à la rivière Sirba à

Bossébangou en passant par la borne astronomique de Tao, la frontière est constituée par des

126
segments de droite» .

48. La position du Niger lors des travaux de la commission mixte est d’ailleurs sans

ambiguïté lorsqu’on la replace dans son contexte. Lors de la réunion extraordinaire du

14 mai 1990, le Niger a rompu avec le tracé consensu el de 1988 en soutenant pour la première fois

que l’erratum aurait commis une erreur en ne consacrant pas une prétendue limite traditionnelle

qui, selon le Niger, n’aboutissait pas à Bossébangou 127. Mais, deux mois plus tard, lors de la

deuxième session ordinaire de la commission mixte, le Niger devait revenir sur cette position.

Après réexamen du tracé et nouvelle interprétation de l’erratum, le Niger a déclaré «admet[tre] que

la frontière atteigne la rivièreSirba à Bosséb angou», position qu’il n’a plus remise en cause

128
jusqu’au dépôt de son mémoire .

49. Le Niger a plus exactement reconnu ce qui suit :

125MBF, par. 4.47-4.51.
126
MN, annexe A 6 (les italiques sont de nous).
127MBF, annexe 85.

128Voir CMBF, par. 2.17. - 60 -

«Bien que l’ erratum précise que: la ligne frontière atteint la rivièreSirba à

Bossébangou suivant une direction sud-est pour remonter selon une direction opposée
(nord-ouest) ce qui annulerait la ligne fr ontière sur ce court tronçon, la Partie
nigérienne admet que la frontière atteigne la rivière Sirba à Bossébangou…» 129

50. Autrement dit, le seul doute qu’avait le Niger concernait le risque d’incohérence du tracé

⎯ et non le fait que l’ erratum devrait être réputé privé d’effet comme il le revendique désormais ;

et ce doute n’a pas empêché le Niger de tout de même reconnaître que Bossébangou constitue le

point frontière pertinent.

51. Au demeurant, comme je l’ai rappelé précédemment, le doute du Niger n’avait pas lieu

d’être puisque l’ erratum ne dit justement pas que la frontiè re remonte vers le nord-ouest, mais

130
qu’elle remonte presque aussitôt dans cette direction .

52. Deux nouveaux documents annexés par le Niger à son contre-mémoire vont dans le

même sens.

53. Une note du secrétaire permanent à l’attention du ministre nigérien de l’intérieur

contenant le compte rendu de la réunion de la commission technique mixte d’abornement du

31juillet1990 indique tout d’abord que selon les au torités nigériennes, «conformément au texte

[de l’ erratum], la ligne frontière rencontre la rivièr eSirba à deux endroits: au niveau de

Bossébangou et à hauteur du parallèle de Say». La même note indique que la ligne frontière doit

«relier les trois points susvisés» que sont la borne de Tong-Tong, la borne de Tao et «la

rivière Sirba à Bossébangou» 131.

54. La lettre du 17décembre1990 adressée pa r le secrétaire permanent de la commission

nationale des frontières au ministre nigérien de l’intérieur réaffirme que la ligne frontalière doit

passer successivement par les trois points désignés dans l’ erratum, à savoir Tong-Tong, Tao et «la

Sirba à Bossébangou». La lettre précise même ⎯je le souligne ⎯ qu’il s’agit là d’une

interprétation «conforme à l’esprit et à la lettre du décret en date du 28 décembre 1926». La lettre

dresse par ailleurs les points de désaccord entre les Parties dans le «tronçon allant de la Sirba à

129MBF, annexe 87, p. 3.
130
Voir supra, par. 37.
131CMN, annexe C 130. - 61 -

Bossébangou à la Sirba à hauteur du parallèle de Say», sans remettre en cause la localisation du

point de départ de la frontière dans ce tronçon 132.

55. De nombreux documents de l’époque colo niale confirment eux aussi que la limite

intercoloniale passait effectivement par Bossébangou, comme le prévoit l’erratum.

56. Parmi les documents coloniaux contemporai ns ou postérieurs à1927, il est possible de

mentionner en particulier les documents suivants , qui s’étalent de1927 jusqu’à la date des

indépendances.

57. Dans sa lettre déjà évoquée du 17décembre 1927, l’administrateur Delbos s’offusqua

tout d’abord que l’erratum fît atteindre la limite à la rivière Sirba à Bossébangou et non à Nababori

comme il l’avait recommandé 133. Mais, comme l’indique le Niger dans son mémoire, «[c]e vibrant

plaidoyer resta cependant sans effet, et aucune modification ne fut apportée au texte législatif

jusqu’à l’indépendance» 134.

o
58. A peine moins de trois années plus tard, le rapport n 416 du commandant du cercle de

Dori en date du 7juille t1930, rappelle qu’«un erratum à cet arrêté [il s’agit de l’arrêté

d’août 1927] ne change presque rien aux limites fixées sinon que la ligne frontalière doit atteindre

135
la rivière Sirba à Bossébangou au lieu de Boulkabo» .

59. Le rapport de tournée du commandant de cercle de Tillabéry du 30 juin 1934 indique que

les administrateurs coloniaux avaient prévu de procéder à une «délimitation précise» ⎯ dans le

contexte de ce rapport, le term e de délimitation renvoie à une opér ation de matérialisation de la

limite sur le terrain ⎯ celle-ci devait être effectuée, dit le texte, «de la borne astronomique de

136
Tong-Tong à Bossébangou» .

60. Le 11 juillet 1951, le chef de la subdivision de Téra informe le cercle de Tillabéry que le

commandant de cercle de Dori «a de nouveau affirmé l’intérêt que présenterait à son sens la

matérialisation des limites sur la base de l’ erratum de … 1927, en joignant directement la borne de

Tao à Bossébangou». De son côté, le chef de subdivision de Téra s’inquiète dans ce télégramme

132CMN, annexe C 131.
133
MN, annexe C 20.
134
MN, par. 6.14.
135MN, annexe C 38, p. 2

136MN, annexe C 54 (les italiques sont de nous). - 62 -

des conséquences qu’aurait une telle matérialisati on, et indique sa préférence pour «la solution

suggérée en1932 par M.Roser, commandant par inte rim le cercle de Dori », cette suggestion se

présentait, il faut le rappeler, comme une proposition de modification de l’ erratum, qui ne connut

137
aucune suite .

61. Dans une lettre adressée le 17avril 1953 au commandant du cercle de Tillabéri, le

gouverneur du Niger décrit par ailleurs en ces termes la limite définie dans l’ erratum: «la ligne

partant de la borne astronomique de Tong-Tong et qui coupe la route Tera-Dori à la borne de Tao

pour rejoindre Bossébangou». Selon lui,

«La tendance des autorités de Dori, à certaines époques, a été de considérer
cette ligne comme droite, ce qui aboutissait à annexer à Dori certaines portions de
territoire relevant manifestement de Téra, d’où renaissance de palabres. Il conviendra

donc de procéder très soigneusement à cette délimitation village par village et hameau
par hameau.» 138

62. Cette dernière méthode, je le souligne, était étrangère au texte de l’ erratum. Lorsque

celui-ci a entendu définir le tracé de la limite en fonction de l’appartenance de certains villages à

telle ou telle colonie, il l’a fait expressément, co mme c’est le cas des quatr e villages du saillant.

Par contraste, l’ erratum ne se réfère dans la partie de la frontière courant de la borne de Tao au

village de Bossébangou à aucun autre village que ce dernier. Le gouverneur du Niger ne conteste

d’ailleurs pas dans cette lettre que la limite doit atteindre le village de Bossébangou.

63. Enfin, dans un rapport de tournée du 24 décembre 1953, l’administrateur adjoint Lacroix

du cercle de Tillabéri mentionne ce qu’il appelle, au si ngulier, «la «ligne Tao-Sirba» de l’arrêté».

Dans ce même rapport, il regrette que cette ligne ne soit pas «facil[e] à matérialiser sur le terrain».

Mais c’est le propre de toute ligne artificielle. Quoi qu’il en soit, la mention de la ligne

«Tao-Sirba» confirme que l’administrateur n’a pas de doute quant au fait que l’erratum a adopté un

139
tracé en ligne droite entre la borne de Tao et la rivière Sirba à Bossébangou .

64. Pour conclure, Mesdames et Messieurs de la Cour, il est incontestable que la frontière

définie par l’erratum aboutit à la rivière Sirba à Bossébangou avant de repartir de ce même point.

Comme je l’ai rappelé dans l’introduction de cette plaidoirie, il suffit de lire l’ erratum pour

137MN, annexe C 73.
138
MN, annexe C 75.
139MN, annexe C 79. - 63 -

parvenir à cette conclusion. Il est par conséque nt tout à fait incompréhensible que le Niger n’y

adhère pas.

65. Monsieur le président, avec votre permission, mon collègue et ami Jean-Marc Thouvenin

me succèdera demain matin à cette barre pour pour suivre la description du tracé de la frontière à

partir du point où elle atteint la rivièreSi rba à Bossébangou. Je vous remercie, Mesdames et

Messieurs les juges, de votre écoute patiente et attentive et je vous souhaite une très agréable fin de

journée.

Le PRESIDENT: Merci beaucoup. La C our se réunira de nouveau demain matin à

10 heures. L’audience est levée.

L’audience est levée à 17 h 55.

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Audience publique tenue le lundi 8 octobre 2012, à 15 heures, au Palais de la Paix, sous la présidence de M. Tomka, président, en l’affaire du Différend frontalier (Burkina Faso/Niger)

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