Audience publique tenue le mercredi 8 avril 2009, à 16 h 30, au Palais de la Paix, sous la présidence de M. Owada, président, en l'affaire relative à des Questions concernant l'obligation de poursuivr

Document Number
144-20090408-ORA-01-00-BI
Document Type
Incidental Proceedings
Number (Press Release, Order, etc)
2009/11
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Non-Corrigé
Uncorrected

CR 2009/11

Cour internationale International Court
de Justice of Justice

LAAYE THHEGUE

ANNÉE 2009

Audience publique

tenue le mercredi 8 avril 2009, à 16 h 30, au Palais de la Paix,

sous la présidence de M. Owada, président,

en l’affaire relative à des Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader
(Belgique c. Sénégal)

________________

COMPTE RENDU
________________

YEAR 2009

Public sitting

held on Wednesday 8 April 2009, at 4.30 p.m., at the Peace Palace,

President Owada presiding,

in the case concerning Questions relating to the Obligation to Prosecute or Extradite
(Belgium v. Senegal)

____________________

VERBATIM RECORD
____________________ - 2 -

Présents : M. Owada,président
ShiMM.

Koroma
Al-Khasawneh
Buergenthal
Simma

Abraham
Sepúlveda-Amor
Bennouna
TCinçade

Yusuf
Greugesood,
SurMM.
jugissch, ad hoc

Cgoefferr,

⎯⎯⎯⎯⎯⎯ - 3 -

Present: Presewtada
Judges Shi

Koroma
Al-Khasawneh
Buergenthal
Simma

Abraham
Sepúlveda-Amor
Bennouna
Cançado Trindade

Yusuf
Greenwood
Judges ad hoc Sur
Kirsch

Registrar Couvreur

⎯⎯⎯⎯⎯⎯ - 4 -

Le Gouvernement du Royaume de Belgique est représenté par :

M. Paul Rietjens, directeur général des affaires juridiques du service public fédéral des affaires
étrangères, du commerce extérieur etde la coopération au développement,

comme agent ;

M. Gérard Dive, conseiller, chef du service de droit international humanitaire du service public
fédéral de la justice,

comme coagent ;

M. Eric David, professeur de droit international public à l’Université Libre de Bruxelles,

sir Michael Wood, K.C.M.G., membre du barreau d’Angleterre, membre de la Commission du

droit international,

comme conseils et avocats ;

S. Exc. M. Yves Haesendonck, ambassadeur, re présentant permanent du Royaume de Belgique
auprès des institutions internationales à La Haye,

M. Philippe Meire, magistrat fédéral, parquet fédéral,

M. Alexis Goldman, conseiller, direction du dr oit international public, direction générale des
affaires juridiques du service public fédéral des affaires étrangères, du commerce extérieur et de
la coopération au développement,

Mme Valérie Delcroix, attaché, direction du dro it international public, di rection générale des
affaires juridiques du service public fédéral des affaires étrangères, du commerce extérieur et de
la coopération au développement,

Mme Fanny Fontaine, attaché, service de droit international humanitaire duservice public fédéral de
la justice,

Mme Julie de Hults, attaché, service de droit international humanitaire du service public fédéral de la

justice,

M. Benjamin Goes, attaché, chancellerie du premier ministre,

comme conseillers.

Le Gouvernement de la République du Sénégal est représenté par :

S. Exc. M. Cheikh Tidiane Thiam, professeur, am bassadeur, directeur des affaires juridiques et
consulaires au ministère des affaires étrangères,

comme agent ; - 5 -

The Government of the Kingdomof Belgium is represented by:

Mr.PaulRietjens, Director-General of Legal Affa irs, Federal Public Service for Foreign Affairs,
Foreign Trade and Development Co-operation,

As Agent;

Mr. Gérard Dive, Head of the International Humanitarian Law Division, Federal Public Service for
Justice,

Cso-Agent;

Mr. Eric David, Professor of Public International Law at the Université Libre de Bruxelles,

Sir MichaelWood, K.C.M.G., member of the En glish Bar, member of the International Law

Commission,

As Counsel and Advocates;

H.E. Mr. Yves Haesendonck, Ambassador, Permanent Representative of the Kingdom of Belgium
to the International Organizations in The Hague,

Mr. Philippe Meire, Federal Prosecutor, Federal Prosecutor’s Office,

Mr. Alexis Goldman, Adviser, Public International Law Directorate, Directorate-General of Legal
Affairs, Federal Public Service for Forei gn Affairs, Foreign Trade and Development
Co-operation,

Ms Valérie Delcroix, Attaché, Public International Law Directorate, Directorate-General of Legal
Affairs, Federal Public Service for Forei gn Affairs, Foreign Trade and Development
Co-operation,

Ms Fanny Fontaine, Attaché, International Humanitarian Law Division, Federal Public Service for
Justice,

MsJulie de Hults, Attaché, International Human itarian Law Division, Federal Public Service for

Justice,

Mr. Benjamin Goes, Attaché, Office of the Prime Minister,

Asdvisers.

The Government of the Republicof Senegal is represented by:

H.E. Mr. CheikhTidianeThiam, Professor, Ambassador, Director of Legal and Consular Affairs,
Ministry of Foreign Affairs,

as Agent; - 6 -

M. Demba Kandji, magistrat, directeur des affaires criminelles et des grâces au ministère de la
justice,

comme coagent ;

M. Serigne Diop, professeur, ministre d’Etat,

M. Ndiaw Diouf, professeur,

M. Alioune Sall, professeur et avocat,

M. El Hadji Amadou Sall, ministre,

M. Oumar Gaye, magistrat,

M. Abdoulaye Dianko, agent judiciaire de l’Etat,

M. Richard Meese, avocat à la cour d’appel de Paris,

M.Hery Frédéric Ranjeva, avocat à la c our d’appel de Paris et membre du cabinet

Winston & Strawn LLP,

MT. homas Bevilacqua, avocat à la cour d’appel de Paris et membre du cabinet
Winston & Strawn LLP,

comme conseils et avocats ;

M. Talla Fall, chargé d’affaires par intérim, ambassade du Sénégal à Bruxelles,

Mme Anna Niang, assistante en communication,

M. Souleymane Ndoye, assistant administratif,

Mme Laurie Dimitrov, juriste,

comme conseillers. - 7 -

Mr. Demba Kandji, Judge, Director of Criminal Affairs and Pardons, Ministry of Justice,

as Co-Agent;

Mr. Serigne Diop, Professor, Minister of State,

Mr. Ndiaw Diouf, Professor,

Mr. Alioune Sall, Professor and Avocat,

Mr. El Hadji Amadou Sall, Minister,

Mr. Oumar Gaye, Judge,

Mr. Abdoulaye Dianko, agent judiciaire de l’Etat,

Mr. Richard Meese, Avocat à la Cour d’appel de Paris,

Mr. Hery Frédéric Ranjeva, Avocat à la Cour d’appel de Paris, Winston & Strawn LLP,

Mr. Thomas Bevilacqua, Avocat à la Cour d’appel de Paris, Winston & Strawn LLP,

as Counsel and Advocates;

Mr. Talla Fall, Chargé d’Affaires a.i., Embassy of Senegal in Brussels,

Ms Anna Niang, Information Assistant,

Mr. Souleymane Ndoye, Administrative Assistant,

Ms Laurie Dimitrov, Jurist,

Asdvisers. - 8 -

Le PRESIDENT: Veuillez vous asseoir. L’audience est ouverte. La Cour est réunie cet

après-midi pour entendre le second tour d’observatio ns orales du Sénégal. Je voudrais ajouter que

M. le juge Skotnikov, pour des motifs dûment expliqués à la Cour, ne sera pas présent à la séance

cet après-midi. Je donne immédiatement la parole à S. Exc. M. Cheikh Tidiane Thiam, l’agent de

la République du Sénégal. Monsieur l’agent, vous avez la parole.

M. THIAM : Merci, Monsieur le président.

1. Monsieur le président, Messieurs les Membres de la Cour, j’ai l’honneur de me présenter à

nouveau devant vous pour introduire le second tour de plaidoiries du Sénégal.

2. Permettez-moi de m’adresser à la délégati on de la Belgique pour lui dire combien ma

délégation est sensible aux propos amicaux, nullement dictés par les seules convenances

diplomatiques et auxquels le Séné gal tient à répondre, par ma voix, avec une sincérité à la mesure

de la qualité des rapports excellents qu’entretienne nt nos deux pays ainsi que nos deux peuples.

L’exercice n’était pourtant pas facile car c’est dans une saine adversité autour de nos causes parfois

divergentes qu’il nous fallait, dans tous les instan ts, préserver, dans nos propos, le niveau le plus

élevé de bienséance et de courtoisie.

3. Monsieur le président, nous nous y sommes livrés en parfaite conscience de notre qualité

de représentants d’un pays, certes relativement jeune, mais qui s’est efforcé à créer et consolider en

son sein les conditions d’épanouissement d’un Etat de droit respectueux du droit international ainsi

que des libertés et droits fondamentaux de l’indi vidu. Sa stabilité politique, reconnue partout dans

le monde, n’a jamais été affectée par les tur bulences qui touchent malheureusement certaines

contrées du continent africain. Ceci est le fruit d’un e longue culture, bâtie sur la paix, l’unité et les

principes de la démocratie, notamment ceux qui ont permis l’affirmation d’un e pratique d’élections

libres et transparentes.

4. Monsieur le président, Messieurs les Me mbres de la Cour, le Sénégal a écouté avec

attention les observations des éminents agent, coagent et conseils de la Belgique. Il y relève

cependant avec un étonnement mêlé de quelque sa tisfaction, que nous ne nous privons pas de

saluer, au demeurant, une évolution dans la form e et le contenu de l’argumentation développée au

cours du second tour de plaidoiries de la Belgique. - 9 -

5. Le Sénégal est d’avis que sur certains point s des clarifications ont encore besoin d’être

apportées à la Cour. La délégation sénégalaise s’efforcera d’y pourvoir avec brièveté.

6. La première clarification touche l’usage que la Belgique a fait de l’entretien radiodiffusé

sur les ondes de «Radio-France-Internationale» de M.le président de la République du Sénégal.

Cet entretien était bien visé dans le corps même de la requête belge en indication de mesures

conservatoires. La lecture du texte transcrit de cet entretien ne saurait laisser de doutes sur les

altérations qui l’ont affecté dans la présentation qui en a été faite par la Partie adverse. Compte

tenu de l’importance accordée dans la présente cause à ces propos tenus par le chef de l’Etat

sénégalais, la délégation sénégalaise ne peut qu’inv iter la Cour à apprécier le fait que la Partie

belge a fait valoir, à présent, que cet entretien n’aurait pas été ⎯ je cite M. le professeur

Eric David ⎯ «mentionné par la Belgique» (CR 2009/10, p. 16, par. 16).

7. La deuxième clarification est relative au lib ellé de la demande initiale belge en indication

de mesures conservatoires par laquelle le Sénégal pourrait être invité à prendre «toutes les mesures

en son pouvoir pour que M.HissèneHabré reste sous le contrôle et la surveillance des autorités

judiciaires du Sénégal…». Après les propos te nus en audience, hier, par sirMichaelWood 1 et

confirmés par les termes du texte des conclusions de la Belgique, le Sénégal prend note de

l’abandon des termes «autorités judiciaires», désormais remplacés par les mots «autorités

sénégalaises». La délégation sénégalaise voudrait
di re à la Cour toute la préoccupation suscitée à

son niveau par une modification aussi substantielle. Il lui apparaît, en effet, clairement que sur ce

point il n’y avait ni malentendu, ni rédaction erronée mais plutôt la traduction d’une option

clairement arrêtée à l’origine par la Belgique.

8. La troisième clarification va bien au-delà d’une simple question d’ordre sémantique se

rapportant à l’implication de l’Union a fricaine dans la gestion de l’affaire Hissène Habré. Elle est

nécessaire du fait d’une interprétation divergente entr e les Parties, non de la convention contre la

torture de1984, mais des mots «transfert», « saisine» ou «saisie» utilisés par le Sénégal pour

évoquer les conditions de la contribution de l’Union africaine.

1
CR 2009/10. - 10 -

9. En effet, la délégation sénégalaise tient à préciser que, quel que soit le terme utilisé, une

réalité demeure incontournable et c’est bien celle du non-dessaisissement du Sénégal par rapport au

dossier. La preuve évidente d’un tel fait réside dans ce que l’Union a fricaine, en réponse à la

sollicitation sénégalaise, se réfère, dans sa décision de juillet006, aux obligations

conventionnelles du Sénégal, lesquelles découlent de sa ratification de la convention des

NationsUnies contre la torture de1984. En ou tre, il ne s’est jamais agi d’une remise de la

personne de M. Hissène Habré à l’Union africaine. Le Sénégal a soumis le «cas Hissène Habré» à

l’Union africaine et a demandé son appui et son ai de pour sa résolution. Lors du premier tour de

plaidoiries, ma délégation s’était abondamment expliquée sur le sujet.

10. Monsieur le président, Messieurs les Membres de la Cour, en sollicitant l’Union africaine

au sujet de l’affaire Hissène Habré, le Sénégal n’entendait nullement se soustraire à ses obligations

internationales. Bien au contraire! Depuis 2005, au lendemain de l’arrê t d’incompétence de la

chambre d’accusation de la cour d’appel de Dakar, mettant fin à la procédure d’extradition initiée

par la Belgique, le Sénégal n’a cessé de mani fester une volonté non équivoque de juger

M.HissèneHabré. Nous voudrions noter à cet ég ard avec satisfaction que la Belgique a rappelé

hier son implication au sein de l’Union européenne dans l’effort de recherche de moyens financiers

nécessaires à la tenue du procès devant les juridictions sénégalaises.

11. S’agissant de la question budgétaire liée au financement, le Sénégal, qui n’a jamais perdu

de vue l’ampleur du procès en question, souhaite ains i attirer l’attention de tous, particulièrement

de tous ceux qui sont prompts à récuser le montant approximatif des budgets en cours de

finalisation sur le grand nombre de victimes et de crimes allégués ainsi que sur la durée de leur

perpétration qui s’étale sur près de dix années, co rrespondant au temps passé par le mis en cause à

la tête de l’Etat tchadien. Le Sénégal a retenu des exposés de la délégation belge qu’au

moins3780personnes auraient perdu la vie du fait des crimes attribués au ré gime HissèneHabré.

Ce nombre ne représenterait que le dixième du nombr e total des victimes qui se situerait ainsi aux

environs de 40000. Ce chiffre ne tient pas compte des 54000détenus politiques entre1982 et

1990. Ainsi, au moins 94000victimes directes ou leurs ayants droit sont susceptibles d’être

concernés par le procès de M. Hissène Habré au Sénégal. - 11 -

12. C’est ce qui explique les difficultés financières exposées par le Sénégal quant à

l’organisation du procès. C’est également l’exp lication qu’il faudra trouve r dans la démarche

entreprise par le Sénégal auprès de l’Union africaine.

13. L’Organisation panafricaine a réagi en pr iant tous les Etats membres à apporter leurs

contributions au budget qui sera préparé par elle-m ême, conjointement avec l’Union européenne et

le Gouvernement de la République du Sénégal.

14. Nous en venons maintenant, Monsieur le président, Messieurs les Membres de la Cour, à

la réponse du coagent de la Belgique à la question posée par l’honorable jugeGreenwood. Le

coagent de la Belgique a indiqué que toute «décl aration» que le Sénégal serait amené à faire à ce

sujet, «devrait être claire et sans conditions». Nous laissons à la Cour le soin d’apprécier ces ajouts

faits par le coagent belge alors que, comme cela a été indiqué par nous-mêmes, en tant qu’agent du

Sénégal, notre délégation a exp licitement fait une telle déclara tion lors du premier tour de

plaidoiries et ne peut que saluer la demande faite par l’honorable juge Greenwood lorsqu’il invite

le Sénégal à y procéder avec la solennité qui sied.

15. Pour sa part, le Sénégal ne se permettra pas d’intervenir dans la conception et la

rédaction de l’ordonnance que prendr a votre auguste Cour et laissera à celle-ci le soin d’apprécier

le sort à réserver aux sollicitudes de la Belgique à cet égard.

16. Monsieur le président, Messieurs les Membres de la Cour, avec votre permission, vont

me succéder pour s’adresser à vous, brièvement :

⎯ M.le professeur NdiawDiouf sur des considér ations de compétence et de recevabilité en

réponse et en réplique des conseils de la Belgique ;

⎯ M. le professeur Alioune Sall sur les conditions de l’indication de mesures conservatoires ; et

⎯ M.Demba Kandji, coagent de la République du Sé négal, apportera à la Cour les conclusions

du Sénégal et la réponse à la question posée par l’honorable juge Greenwood.

17. Monsieur le président, Messieurs les Me mbres de la Cour, je vous remercie de votre

aimable attention et je vous prie de bien vouloir appeler à la barre M. le professeur Ndiaw Diouf.

Le PRESIDENT : Je vous remercie, Monsieur Cheikh Tidiane Thiam. Je donne maintenant

la parole à M. le professeur Ndiaw Diouf. - 12 -

M. DIOUF : Je vous remercie, Monsieur le président.

1. Monsieur le président, Messieurs les Membres de la Cour, j’ai l’honneur de revenir devant

vous, à l’occasion de ce deuxième tour de plaidoiries, pour répondre aux observations formulées

d’abord lors du premier jour, puis lors du deuxième jour par les conseils de la Belgique.

2. Ceux-ci semblent se plaindre de ce que nous soyons les derniers à nous exprimer devant

votre illustre institution.

3. Monsieur le président, Messieurs les Membres de la Cour, j’espère que nos contradicteurs

dans cette affaire n’ont pas cherché à nous dénier la possibilité, en tant que défendeur, d’exercer les

prérogatives liées au droit à la défense; ce ne sera it pas étonnant d’ailleurs, puisqu’ils ont déjà

contesté, le droit pour le Sénégal de parler de la compétence prima facie de la Cour faisant ainsi

prévaloir les instructions sur le Règlement.

2
4. Ceci dit, mon collègue, le professeur EricDavid nous reproche , dans son discours,

d’avoir abondamment développé une argumentation qui concerne le fond du différend et qui, de ce

fait, sort du cadre réservé à une demande en indication de mesures conservatoires.

5. Permettez-nous, Monsieur le président , d’exprimer notre étonnement face à une

appréciation qui nous paraît d’autant plus surprenante que la première plaidoirie de M. David porte,

dans sa quasi-totalité (23 paragraphes sur 29), su r de telles questions, considérées comme relevant

du fond 3.

6. Si nos arguments paraissent aux yeux du professeurDavid être liés au fond, c’est parce

que la demande en indication de mesures conser vatoires est si intimement liée au fond qu’elle se

confond avec lui, de telle sorte que celui qui la conteste semble évoquer le fond.

7. Rappelons au passage que cette demande c onsistait à exiger de l’ exécutif sénégalais une

mesure juridictionnelle. La Belgique, comme l’a rappelé tout à l’heure M. l’agent du Sénégal, s’est

rendu compte elle-même de son erreur.

8. Je vais aujourd’hui aborder le fond, ma is uniquement pour relever les inexactitudes que

recèle le discours de M. David, ce qui, vous en c onviendrez, reste dans les limites de l’instruction

de procédure XI.

2
CR 2009/9, p. 11, par. 2.
3CR 2009/8, p. 16, par. 1 à 29. - 13 -

9. Mon distingué collègue, le professeur David soutient que «lorsque le Sénégal invoque les

modifications apportées à la législation pénale af in de poursuivre M.HissèneHabré, il tente de

4
démontrer qu’il est désormais capable de [le] poursuivre...» Le Sénégal ne peut pas se permettre

de déployer autant d’efforts pour modifier sa législation dans le seul but d’avoir de beaux textes ; il

tient, en s’engageant dans cette entreprise, à créer les conditions sans lesquelles il ne lui serait pas

possible de se conformer aux obligations que met à sa charge la convention contre la torture.

10. M D.avid soutient également, en renvoyant au discours du professeur

CheikhTidianeThiam, que «le Sénégal déclare que la soumission de l’affaire à l’Union africaine

satisfait les exigences de la convention contre la torture» 5. Je tiens à dire clairement qu’à aucun

moment le Sénégal n’a établi un quelconque lien en tre la décision de l’Union africaine et les

obligations que la convention de 1984 a mises à sa charge.

11. Il fait valoir enfin que le «Sénégal é voque, systématiquement, les difficultés financières

que soulève l’organisation du procès de M. Hissène Habré, pour justifier son inaptitude à mener ce

procès pour l’instant» 6.

12. A notre avis, l’aptitude à juger se mesure à la qualité des textes et à la performance des

institutions en place. Ceci dit, quel que soit le pays en cause, il prendrait au préalable un minimum

de précautions pour disposer des fonds nécessaires, avant de s’engager da ns l’organisation d’un

7 8
procès qui intéresse des milliers de victimes et qui implique des milliers de témoins comme l’a

rappelé M. l’agent du Sénégal. Nous manifestons au demeurant notre étonnement face à l’attitude

de la Belgique qui, tout en promettant d’aider fi nancièrement le Sénégal, semble lui reprocher de

prendre ce minimum de précautions afin d’assurer un procès impartial, juste et équitable.

13. Les déclarations de sir Michael Wood appellent les mêmes observations. Si je me fie à la

traduction de l’interprète, mon co llègue de l’autre côté de la barre nous fait dire que le Sénégal

4
CR 2009/10, p. 11, par. 2.
5
CR 2009/10, p. 11, note 2.
6CR 2009/10, p. 12, par. 6.

7CR2009/8, p.19, par.2. M.David, citant une commi ssion tchadienne, estime que le chiffre de 3780victimes
identifiées et comptabilisées, ne représente que 10 % du nombre total.

8CR 2009/8, p. 19, par. 2. M. David, citant toujours cette même commission, parle de 54 000 détenus politiques
entre 1982 et 1990. Toutes ces personnes sont des témoins potentiels. - 14 -

9
fonde son obligation de juger HissèneHabré sur la résolution de l’Union africaine . A aucun

moment dans nos discours, et la consultation du procès-verbal nous permet aisément de nous en

rendre compte, nous n’avons envisagé la décision de l’Union africaine sous cet angle. En ce qui

me concerne, je n’ai évoqué l’Uni on africaine qu’une seule fois et c’ était pour dire que le Sénégal,

en engageant le procès, pourra compter sur le soutien des pays membres de l’Union tant pour la

recherche des fonds que pour l’entraide judiciaire.

14. Nous nous réjouissons du reste que la Belg ique ait indiqué avoir agi auprès de l’Union

européenne pour la mobilisation de ces moyens.

10
15. SirMichaelWood, dans sa plaidoirie du second tour , fait remonter le prétendu

différend entre le Sénégal et la Belgique à l’ann ée 2005 (cela résulte aussi de sa plaidoirie lors du

11
premier tour ). Il considère qu’il trouve sa source dans le fait que le Sénégal ne semble être lié

que par la décision de l’Union africaine qui date de juillet 2006. La Cour ne manquera pas de tirer

de cette contradiction les conséquences qui s’im posent. Pour notre part, nous nous bornons à

relever qu’il paraît difficile de situer la na issance d’un différend à2005, lorsque l’événement qui

est censé le provoquer (à savoir la référence par le Sénégal à la résolution de l’Union africaine) est

intervenu une année après, soit en 2006.

16. De manière générale, les plaidoiries que no us avons eu l’occasion de suivre depuis hier

appellent les plus sérieuses réserves.

17. J’ai du mal à comprendre l’insistance de la Partie belge à parler de différend entre les

deux Parties à propos de l’interprétation et de l’a pplication de la convention, en se fondant sur ce

que le Sénégal a l’obligation de poursuivre ou de juger M. Hissène Habré pour les crimes de torture

qui lui sont imputés en vertu de la convention c ontre la torture et non du fait d’avoir soumis le

dossier à l’Union africaine. Le Sénégal tient à rappeler qu’il n’a jamais considéré que l’obligation

de juger Hissène Habré trouve sa source dans la décision de l’Union africaine et qu’il s’est toujours

référé à la convention de 1984 au moment d’appo rter les modifications nécessaires à sa législation

afin de rendre possible le procès envisagé.

9
CR 2009/10, p. 20, par. 12 à 14.
10
CR 2009/10, p. 23, par. 23.
11CR 2009/8, p. 46, par. 33. - 15 -

18. A ce sujet il est possible de constater que les conseils de la Belgique, dont la mémoire est

décidément très sélective, semblent se rappeler pa rfois que le Sénégal fonde tous les actes qu’il

pose sur les règles internationales d’origine conventionnelle et coutumière.

19. Le professeur David ne reconnaissait-il pas lui-même, dans le second tour de plaidoiries,

que dans «l’exposé des motifs de la loi sénégalaise incorporant dans le code pénal sénégalais les

principaux crimes de droit international humanitaire, … il est précisé qu’il s’ agit d’une intégration

12
des règles internationales d’origine conventionnelle et coutumière» .

20. L’absence de différend est manifeste. Cela suffit largement pour conduire la Cour à

apprécier qu’il n’y a en l’état rien à juger et qu’il n’y a donc pas lieu de se prononcer sur son

«pouvoir» d’ordonner l’indication de mesures conservatoires.

21. Le Sénégal estime qu’il n’est pas utile de s’étendre outre mesure sur la compétence.

Pour cette raison, il n’insiste pas sur la ques tion des clauses facultatives. La condition de

compétence liée à l’article 30 de la convention de 1984 et celle qui découle des clauses facultatives

sont, à mon avis, cumulatives de telle sorte qu’il su ffit qu’une seule d’entre elles fasse défaut pour

que la Cour ne puisse pas retenir sa compétence. En tout état de cause, le Sénégal se réserve le

droit de soulever ultérieurement, si c’est nécessaire , la question de la compétence si la Cour retient

sa compétence prima facie.

22. Cela étant, la demande de la Belgique est prématurée, la condition de l’ouverture

préalable de négociation et d’introduction d’une pr océdure d’arbitrage que la Belgique elle-même

considère comme indispensable n’étant pas remplie.

23. Je profite de l’occasion pour rappeler à la Cour que le Sénégal attend toujours de la

Belgique qu’elle apporte la preuve de la remise, aux autorités sénégalaises, de la note litigieuse du

20juin2006 qu’elle prétend avoir transmise au ministère des affaires étrangères pour proposer,

explicitement, un recours à l’arbitrage. SirMichaelWood, qui a une longue expérience de

l’administration comme il l’a rappelé la dernière fois, ne sau rait ignorer que, dans la pratique

diplomatique, un original ou une copie d’une correspondance peut être remis en mains propres à

une autorité sans décharge aucune, pour l’info rmer par anticipation d’ un sujet déterminé, en

12
2009/10, p. 14-15, par. 14. - 16 -

attendant que soit effectuée une remise officielle, toujours nécessaire, par les voies habituelles

appropriées. Dans le cas d’espèce, cette correspondance n’est pas à ce jour parvenue aux autorités

compétentes du Sénégal.

24. La note verbale belge du 8 mai 2007, dont le ministère des affaires étrangères a pris acte,

ne fait que se référer à celle antérieure du 20 juin 2006.

25. En tout état de cause, un rapport interne rédigé par la Belgique ne peut établir cette

preuve. Nul ne peut se constituer une preuve à soi-même ; cette règle est trop connue pour qu’on

sente la nécessité de s’y appesantir outre mesure.

26. Le Sénégal conclut au rejet, sans examen au fond, de la demande en indication de

mesures conservatoires en raison de l’incompétence prima facie et de l’irrecevabilité.

27. Je vous prie, Monsieur le président, d’ap peler M. le professeur Sall à la barre pour qu’il

vous démontre que, même si vous deviez examiner le fond, vous serez amené à conclure que la

demande n’est pas fondée.

Je vous remercie Monsieur le président, Messieu rs de la Cour, de votre aimable et patiente

attention.

Le PRESIDENT: Je vous remercie Monsieur le professeur NdiawDiouf, de votre exposé.

Je donne maintenant la parole à M eAlioune Sall.

M. SALL :

O BSERVATIONS SUR LES CONDITIONS DE L ’INDICATION DE MESURES CONSERVATOIRES

ÉVOQUÉES LORS DES PREMIER ET DEUXIÈME TOURS DE PLAIDOIRIES DE LA BELGIQUE

1. Monsieur le président, Messieurs les Membres de la Cour, c’est avec plaisir que je

reprends la parole devant votre très haute ju ridiction pour répondre aux interventions de la

Belgique qui ont été enregistrées hier.

2. Notre intervention sera brève et sera axée sur la question du fondement des mesures

conservatoires, et plus précisément sur les conditions de fond requises pour que la Cour puisse

ordonner des mesures conservatoires.

3. La République du Sénégal continue de considérer qu’il n’existe aujourd’hui aucune raison

qui justifierait que la Cour indique les mesu res conservatoires sollicitées par le Royaume de - 17 -

Belgique. L’urgence ⎯dont l’existence est une condition fondamentale à l’indication de telles

mesures, et qui a trait à l’existence d’un «réel ris que d’un préjudice irréparable», pour reprendre la

description faite hier par l’éminent sirMichaelWood, conseiller de la Belgique ⎯ n’est en effet

pas satisfaite par la demande belge. J’entends le démontrer en mettant d’abord l’accent sur le sens

de la déclaration du chef de l’Etat sénégalais considérée comme le détona teur de la demande qui

vous est soumise.

1. La déclaration du chef de l’Etat sénégalais ne constitue pas une menace
justifiant une demande en indication de mesures conservatoires

4. Dans son intervention d’hier, le Royaume de Belgique est revenu sur la déclaration du

président de la République du Sénégal qui aurait justifié, de son point de vue, la saisine de la Cour

aux fins qu’elle indique des mesures conservatoires.

5. Dans sa plaidoirie, le distingué conseil de la Belgique, le professeur Eric David, a indiqué

cec:i «[L]’interview du président Wade produite, hier, par le Sénégal et datée du

2février2009...semble se rapporter à une émission de Radio-France-Internationale qui, en effet,

n’est pas mentionnée par la Belgique.» 13

6. Par ma voix, la République du Sénégal est au regret de rejeter vigoureusement une telle

affirmation. La référence à cette déclaration se trouve en effet dans la demande en indication de

mesures conservatoires déposée par la Belgique (et elle représente, par ailleurs, l’unique

déclaration présidentielle visée dans ladite demande). Voici exactement ce que l’on peut lire dans

cette demande :

«Actuellement, M.H[issène]Habré est en résidence surveillée à Dakar,

mais il ressort d’un entretien donné par le président sénégalai… sà
Radio-France-Internationale, que le Sénégal pourrait mettre fin à cette
mise en résidence surveillée s’il ne trouve pas le budget qu’il estime nécessaire…» 14

7. En tout état de cause, que ce soit pour ce tte déclaration ou pour les autres que la Belgique

a communiquées plus tard pour étayer sa demande, la République du Sénégal ne voit pas en quoi

les propos qui ont été tenus, et qui rapportés auj ourd’hui à la réalité même des choses et à la

13
CR 2009/10, p. 5, par. 16 (David).
14Demande en indication de mesures conservatoires du 17 février 2009, p. 1. - 18 -

condition de M.Habré à Dakar, autorisent à penser qu’il existe un risque «réel», «imminent» ou

«probable», selon les termes qu’utilise la Cour, qu’il puisse se soustraire aux autorités sénégalaises.

8. Sans s’y attarder outre mesure, on peut dire que l’économie des divers propos

présidentiels en question dans cette procédure incidente se résume à ceci :

«La République du Sénégal est consciente des engagements qui sont les siens
en tant que partie à la convention de 198 4. Elle a assumé et entend continuer à

assumer l’intégralité de ses obligations, ayant dans ce but même, apporté à son
ordonnancement juridique les modifications qui s’imposaient, et en cherchant à
exécuter l’obligation topique qui est la sie nne, soit de juger M.Habré. Le correct
accomplissement de ce devoir implique cependant, compte tenu des particularités de

cette affaire-là ⎯ et plus précisément du fait qu’elle est d’une envergure que la justice
sénégalaise n’a jamais connue ⎯, une mobilisation de moyens que le Sénégal n’est
pas en mesure d’assumer seul. Dès que ces moyens seront réunis, le procès

commencera.»

Telle est l’économie du propos présidentiel.

9. Hier encore, le 7avril2009, la délégation sénégalaise à reçu de l’Union africaine un

communiqué récemment publié appelant les contri buteurs potentiels à se mobiliser pour le

financement du procès.

10. Au demeurant, le Sénégal prend acte des te rmes utilisés hier par l’éminent conseil de la

Belgique, le professeur Eric David, qui, après avoir entendu la plaidoirie sénégalaise, s’est exprimé

ainsi: «Si c’était...«pour pousser un peu pour qu’on accélère» [propos du présidentWade],...la

15
Belgique ne peut que se réjouir et prendre acte de cette explication.»

11. Le contexte du procès qui se prépare se déroule bien dans le cadre d’une coopération

panafricaine ⎯ et même au-delà de l’Afrique. Le Sénégal tient à cet égard à préciser, de manière

définitive, et pour lever toute équivoque ou male ntendu, pour de bon, qu’il est bien lié, comme

Etat, par la convention de1984. Le fait que l’organisation du procès Habré puisse impliquer une

organisation comme l’Union africaine n’enlève absolument rien des devoirs et droits qui résultent

pour elle de la qualité de partie à cette convention. C’est bien en tant que partie à la convention

que la République du Sénégal exécute ses obliga tions, et non en vertu d’un mandat de l’Union

africaine.

15
CR 2009/10, p. 15, par. 16 (David). - 19 -

12. Il a été montré ici, avant-hier, que le processus de mobilisation de fonds a commencé,

que des négociations internationales sont menées à cette fin, et que des partenaires comme l’Union

européenne et l’Union africaine sont prêts, aujourd’hui, à appuyer ce processus.

13. A ce stade, la République du Sénégal ne peut que constater avec satisfaction que la

Belgique a affirmé hier, qu’elle était prête à se jo indre à ce dialogue. Le distingué agent de l’Etat

demandeur nous a indiqué que la Belgique était prête à Œuvrer «au sein de l’Union européenne

pour que cette dernière apporte une solution substantielle et constructive à l’appel lancé par l’Union

16
africaine afin de rassembler les moyens budgétaires nécessaires» à l’organisation du procès.

14. J’en viens à présent aux mesures demandées par la Belgique, et que le Sénégal considère

aujourd’hui comme étant passées dans la réalité, ce qui devrait avoir pour résultat d’amener la Cour

à rejeter la demande en indication de mesures conservatoires.

2. L’effectivité des mesures demandées par la Belgique

15. Dans sa demande, qu’elle a modifiée hier, la Belgique sollicite maintenant de la Cour

qu’elle demande au Sénégal «de prendre toutes les mesures en son pouvoir pour que

M.HissèneHabré reste sous le contrôle et la su rveillance des autorités sén égalaises afin que les

17
règles de droit international dont elle demande le respect puissent être correctement appliquées» .

16. La Cour observera ainsi qu’une telle dema nde, qui ne correspond pas tout à fait, nous le

répétons, à la requête initiale qui l’a saisie, porte sur des mesures qui sont aujourd’hui largement

passées dans la réalité.

17. Monsieur le président, Messieurs les Membres de la Cour, j’ai amplement indiqué

avant-hier à votre auguste juridiction les conditi ons dans lesquelles M.Habré faisait aujourd’hui

l’objet d’une surveillance à Dakar. Je ne reviendr ai pas là-dessus, si ce n’est pour rappeler deux

considérations :

⎯ M.Habré, ainsi que sa famille et ses demeures , font l’objet d’une su rveillance ininterrompue

⎯ de jour comme de nuit ; et

16
CR 2009/10, p. 9, par. 5 (Rietjens).
17Conclusions finales de la Belgique, 7 avril 2009. - 20 -

⎯ M.Habré lui-même ne dispose pas, au moment où nous parlons ici, d’un titre de voyage en

cours de validité (passeport ou autres) lui permettant de voyager.

18. Dans son intervention d’avant-hier deva nt la Cour, le conseil de la Belgique,

sir Michael Wood disait ceci :

«La mesure conservatoire demandée est donc nécessaire et raisonnable. En fait,
il ne s’agit ni plus ni moins que de mainte nir la situation qui existe effectivement
depuis2000, date à laquelle M.Habré a été placé en résidence surveillée pour
s’assurer de sa disponibilité à compara ître devant la justice sénégalaise.» 18

[Traduction du Sénégal.]

19. Hier mardi, devant la Cour, sir Michael Wood a répété :

«Notre suggestion que M. Habré soit soumis au contrôle et à la surveillance des
autorités judiciaires sénégalaises ne devait pas être comprise comme préconisant une
forme particulière de contrôle et de surv eillance. Une possibilité envisageable est que
19
le Sénégal maintienne le dispos itif actuel, qui paraît efficace.» [Traduction du
Sénégal.]

20. La Cour constatera donc l’homologie rigoureuse qui existe entre la demande en

indication de mesures conservatoires et les mesures effectivement prises pa r le Sénégal à l’heure

actuelle. Il s’agit là d’une raison pour rejeter la de mande qui lui est soumise. D’autant plus que la

Partie belge elle-même aurait du mal à démontrer, si l’on reste dans sa propre logique, l’existence

d’un préjudice irréparable: elle s’est en effet attachée à démontrer que l’obligation de «juger ou

d’extrader» était une norme coutumière, donc opposable par la Belgique à tout autre Etat où Habré

pourrait, par extraordinaire, se trouver. Le préjudice allégué ne peut, dans ces conditions, être

qualifié d’irréparable.

21. J’en arrive maintenant au troisième et dernier point de ma plaidoirie, qui porte sur le

déclenchement du processus qui devrait conduire au procès de M. Habré.

3. Le déclenchement du processus devant conduire au procès de M. Habré

22. La Cour incline, dans ses ordonnances, à indiquer des mesures d’urgence lorsque, à

l’importance capitale de l’enjeu, s’ajoute le risque d’un anéantissement d’un droit lié à

l’écoulement du temps. Tel n’est certainement pas le cas dans la présente affaire.

18
CR 2009/8, p. 55, par. 75 (Wood).
19CR 2009/10, p. 19, par. 7 (Wood). - 21 -

23. De la même manière, et depuis presque toujours, la Cour, à raison, n’éprouve pas le

besoin d’indiquer des mesures d’ urgence lorsqu’une démarche est en cours qui tend à rendre sans

objet les appréhensions exprimées par une partie , voire, à rendre sans objet la confrontation

judiciaire elle-même. L’engage ment du défendeur à adopter un certain comportement est en effet

susceptible de faire perdre tout caractère d’urgence à une situation. En l’occurrence, il s’agit plus

que d’un engagement, plus que d’une promesse, pui sque la surveillance sollicitée est déjà mise en

Œuvre, et qu’elle est, à ce jour, effective. La Partie belge l’a reconnu à maintes reprises.

24. Monsieur le président, Messieurs les Membres de la Cour, je me permettrai simplement

de rappeler que dans l’affaire de l’ Interhandel, jugée en1957, la Cour a rejeté la demande de

mesures conservatoires formulée par la Suisse, d’une part, parce que le Gouvernement des

Etats-Unis, désireux de vendre des actions, n’entenda it pas y procéder dans l’immédiat, et d’autre

part, parce qu’au moment où la Cour était saisie, une instance était pendante devant les tribunaux

américains (Interhandel (Suisse c. Etats-Unis d’Amérique), mesures conservatoires, ordonnance du

24 octobre 1957, C.I.J. Recueil 1957, p. 112).

25. Dans l’affaire du Passage du Grand-Belt, la Cour a rejeté la demande finlandaise après

s’être assurée, comme le Danemark l’a prétendu, qu’il n y aurait pas d’entraves au passage par le

Grand-Belt dans un avenir proche ( Passage par le Grand-Belt (Fin lande c.Danemark), mesures

conservatoires, ordonnance du 29ju illet 1991, C.I.J. Recueil 1991, p.12 et suiv.). La Cour a

estimé qu’il n’y avait pas urgence après avoir, de son propre aveu, pris acte des assurances données

par les autorités danoises.

26. Monsieur le président, Messieurs les Membres de la Cour, le distingué agent de la

Belgique a expliqué, hier, devant la Cour, que «la Belgique voudrait que le Sénégal poursuive et

juge lui-même M.HissèneHabré... Ce n’est qu’à défaut de le poursuivre que le Sénégal devrait

20
extrader M. Hissène Habré vers la Belgique...»

27. Le Sénégal réaffirme ici sa volonté de continuer le processus en cours qui est d’assumer

intégralement ses obligations d’Etat partie à la c onvention de1984, ainsi que le confirmera, à ma

20
CR 2009/10, p. 10, par. 9 (Rietjens). - 22 -

suite, M.le coagent de la République du Sénégal. Cela devrait suffire, pensons-nous, à rejeter la

demande belge.

28. Monsieur le président, Messieurs les Me mbres de la Cour, je vous remercie de votre

aimable attention.

Le PRESIDENT: Je vous remercie, Maître Ali oune Sall, de votre e xposé. J’invite

maintenant M. Demba Kandji, coagent, à présenter les conclusions finales du Sénégal.

M. KANDJI : Je vous remercie, Monsieur le président.

C ONCLUSIONS

1. Monsieur le président, Messieurs les Me mbres de la Cour, distingués membres de la

délégation belge, l’honneur me revient, en ma qualité de coagent, de clôre les plaidoiries du

Sénégal.

2. En conclusion, le Sénégal

a) fait toutes réserves à ce stade sur la compéten ce de la Cour qui pourrait résulter tant des

déclarations facultatives d’acceptation de la juridic tion de celle-ci faites par la Belgique et le

Sénégal que de l’article 30 de la convention des Nations Unies contre la torture de 1984, en ce

qui concerne la demande au fond ;

b) considère

i) que la Cour n’a pas juridiction pour in diquer les mesures conservatoires demandées par la

Belgique ;

ii) que les circonstances de l’espèce n’exigent pas que la Cour use de son pouvoir conféré par

l’article 41 du Statut d’indiquer des mesures conservatoires ;

iii) qu’il n’existe pas de risque de préjudice rréparable au droit invoqué par la Belgique, si

tant est que ce droit existe ; et

iv) qu’enfin, le Royaume de Belgique n’a pas démontré l’urgence qui justifierait, entre autres

conditions, l’indication des mesures conservatoires sollicitées. - 23 -

3. Ce qui précède m’amène à prier respectueusement votre auguste Cour de bien vouloir

conclure au rejet de la demande d’indication de mesures conservatoires, telle que reformulée par le

Royaume de Belgique.

4. Monsieur le président, Messieurs les Membres de la Cour, en application de l’article 60 2)

du Règlement de votre Cour, une copie du texte écri t des conclusions finales du Sénégal va être

transmise à votre juridiction ainsi qu’à M. l’agent du Royaume de Belgique.

5. Permettez-moi, avant de terminer cette présentation de la Répub lique du Sénégal, de

répondre à l’importante question posée par le très honorable juge Greenwood. A l’issue du premier

tour des plaidoiries, M. le juge Greenwood a demandé :

«Au vu de ce qui a été dit cet après-midi, par le distingué agent du Sénégal et
par l’éminent conseil du Sénégal, premièrement, le Sénégal donne-t-il à la Cour

l’assurance solennelle qu’il ne permettra pas à M. Hissène Habré de quitter le Sénégal
tant que la présente affaire est pendante devant la Cour ? Et, deuxièmement, si oui, la
Belgique accepte-t-elle qu’une telle assurance soit une garantie suffisante des droits
qu’elle demande dans la présente affaire ?» [Traduction du Sénégal.]

6. En réponse, le Sénégal est naturellement di sposé à confirmer, sous une forme solennelle,

ce qu’il a déjà dit :

«D’ordre de mon gouvernement, en ta nt que coagent du Sénégal, je vous
confirme ce que le Sénégal a déjà dit lundi dernier, à savoir ⎯ et je le dis en anglais à

l’attention de M. le juge Greenwood qui a posé la question ⎯ «Senegal will not allow
Mr.Habré to leave Senegal while the present case is pending before the Court.
Senegal has not the intention to allow Mr .Habré to leave the territory while the

present case is pending before the Court».»

7. Cependant, je voudrais que la Cour me pardonne de lui rappeler qu’au cours de sa

plaidoirie du premier tour, la Répub lique du Sénégal a déjà fait réfé rence, de manière répétée, à

21
l’effectivité des mesures nécessaires pour assu rer la présence de M.Habré sur son sol . Elle a

aussi mis en exergue l’effectivité de ces mesu res, grâce auxquelles M. Habré n’a pas pu quitter le

22
territoire du Sénégal depuis son arrivée, en 1990 .

8. Surtout, dans son discours introductif, Ml.’agent du Sénégal, le professeur

Cheikh Tidiane Thiam, a indiqué que : «Le Sénégal n’envisage pas de mettre fin à la surveillance et

au contrôle sur la personne de M.HissèneHabré tant avant qu’après que les fonds promis par la

21
CR 2009/9, p. 42, par. 10.
22CR 2009/9, p. 46, par. 3 et p. 49, par. 18. - 24 -

communauté internationale ont été mis à sa disposition pour assurer la procédure judiciaire

concernée.» 23

9. Ensuite, M. le juge Oumar Gaye a précisé, on ne peut plus clairement, que «le Sénégal n’a

jamais eu, et n’a aucunement l’in tention de mettre fin aux mesures de contrôle et de surveillance

24
prises à l’égard de M. Hissène Habré» .

10. Le Sénégal considère que les assurances réitér ées, que je viens de rappeler, ainsi que les

réponses fournies par le distingué coagent du Royaum e de Belgique à la question qui s’adressait à

lui25 seraient en elles-mêmes suffisa ntes, d’une part, pour priver de tout objet la demande en

indication de mesures conservatoires présentée par le Royaume de Belgique et, d’autre part, pour

que la Cour puisse conclure qu’il n’y a pas lieu à statuer sur ladite demande.

11. Naturellement, la République du Sénéga l se gardera bien de donner à votre Cour une

quelconque indication quant à l’élaboration de sa décision et elle s’attend à ce qu’il vous plaise de

ne pas tenir compte des conditions posées par le Royaume de Belgique.

12. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, ceci met fin à mon discours et à la

présentation par le Sénégal de ses observations sur la demande en indication de mesures

conservatoires présentée par le Royaume de Belgique.

13. Je voudrais, au nom de la délégation de la République du Sénégal, remercier la Cour de

son aimable attention et, plus particulièreme nt, MM.les juges Simma et Greenwood de leurs

questions posées aux Parties. Qu’il me soit aussi permis de remercier le greffier et tout le

personnel du Greffe ainsi que celui des services de traduction pour leur disponibilité et leur

efficacité. Je vous remercie.

Le PRESIDENT : Je vous remercie, M. Demba Ka ndji, coagent. Je vais maintenant donner

la parole à M. le juge Cançado Trindade, qui souhaite poser une ques tion aux Parties. Monsieur le

juge, s’il vous plaît.

23
CR 2009/9, p. 21, par. 57.
24
CR 2009/9, p. 54, par. 12.
25CR 2009/10, p. 26, par. 6. - 25 -

M. le juge CANÇADO TRINDADE: Merci, Monsieur le président. Dans ces audiences

publiques il y a eu des références expresses de la part de deux délégations aux droits des Etats ainsi

qu’aux droits des individus. J’ai alors une ques tion à poser aux deux Parties. Je la poserai en

anglais pour maintenir l’équilibre linguistique de la Cour. La question est la suivante: For the

purposes of a proper understanding of the rights to be preserved (under Article 41 of the Statute of

the Court), are there rights corresponding to the obligations set forth in Article7, paragraph1, in

combination with Article5, paragraph2, of the 1984 United Nations Convention Against Torture

and, if so, what are their legal nature, content and effects? Who are the subjects of those rights,

States having nationals affected, or all States Pa rties to the aforementioned Convention? Whom

are such rights opposable to, only the States concerne d in a concrete case, or any State Party to the

aforementioned Convention? Merci, Monsieur le président.

Le PRESIDENT : Je vous remercie, Monsieur le juge Cançado Trindade . Le texte de cette

question sera communiqué par écrit aux Parties dès ce soir. Conformément à la pratique usuelle,

les Parties sont priées de fournir leurs réponses à cette question par écrit, dans un délai qui a été

fixé au mercredi 15 avril 2009 à 18 heures. Toutes observations que chaque Partie pourrait vouloir

présenter, conformément à l’article72 du Règlement, sur la réponse de l’autre Partie devront être

communiquées le lundi 20 avril 2009 à 18 heures au plus tard.

Cela nous amène à la fin de cette série d’audiences.

Il me reste à adresser des remerciements aux représentants des deux Parties pour l’assistance

qu’ils ont apportée à la Cour par leurs observations orales au cours de ces quatre audiences.

Je leur souhaite un bon retour da ns leurs pays respectifs et, c onformément à la pratique, je

prierai les agents de bien vouloir rester à la dis position de la Cour. Sous cette réserve, je déclare

close la procédure orale.

La Cour rendra son ordonnance sur la demande en indication de mesures conservatoires dès

que possible. Les agents des Parties seront avisés en temps utile de la date à laquelle la Cour

rendra son ordonnance en audience publique.

La Cour n’étant saisie d’aucune autre question aujourd’hui, la séance est levée.

L’audience est levée à 17 h 30.
___________

Document Long Title

Audience publique tenue le mercredi 8 avril 2009, à 16 h 30, au Palais de la Paix, sous la présidence de M. Owada, président, en l'affaire relative à des Questions concernant l'obligation de poursuivre ou d'extrader (Belgique c. Sénégal)

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