Audience publique tenue le mercredi 28 avril 2010, à 16 heures, au Palais de la Paix, sous la présidence de M. Tomka, vice-président, faisant fonction de président en l'affaire Ahmadou Sadio Diallo (R

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103-20100428-ORA-01-00-BI
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2010/5
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CR 2010/5

Cour internationale International Court
de Justice of Justice

LAAYE THHEGUE

ANNÉE 2010

Audience publique

tenue le mercredi 28 avril 2010, à 16 heures, au Palais de la Paix,

sous la présidence de M. Tomka, vice-président,
faisant fonction de président

en l’affaire Ahmadou Sadio Diallo
(République de Guinée c. République démocratique du Congo)

________________

COMPTE RENDU
________________

YEAR 2010

Public sitting

held on Wednesday 28 April 2010, at 4 p.m., at the Peace Palace,

Vice-President Tomka, Acting President, presiding,

in the case concerning Ahmadou Sadio Diallo
(Republic of Guinea v. Democratic Republic of the Congo)

____________________

VERBATIM RECORD

____________________ - 2 -

Présents : M. Tomka, vice-président, faisant fonction de président en l’affaire
Al-KMhas.awneh

Simma
Abraham
Keith
Sepúlveda-Amor

Bennouna
Skotnikov
Crinçade
Yusuf

Grejugesood,
MaMhiou.,
Mjugepsuya, ad hoc

Cgoefferr,

⎯⎯⎯⎯⎯⎯ - 3 -

Present: Vice-President Tomka, Acting President
Al-KhaJswgesh

Simma
Abraham
Keith
Sepúlveda-Amor

Bennouna
Skotnikov
Trindade Cançado
Yusuf

Greenwood
Judges ad hoc Mahiou
Mampuya

Couvrisrar

⎯⎯⎯⎯⎯⎯ - 4 -

Le Gouvernement de la République de Guinée est représenté par :

le colonel Siba Lohalamou, ministre de la justice, garde des sceaux,

comme chef de la délégation ;

Mme Djénabou Saïfon Diallo, ministre de la coopération ;

M. Mohamed Camara, premier conseiller chargé des questions politiques à l’ambassade de Guinée
auprès des pays du Benelux et de l’Union européenne,

comme agent ;

M.AlainPellet, professeur à l’Université ParisOuest, Nanterre-LaDéfense, membre et ancien
président de la Commission du droit international, associé de l’Institut de droit international,

comme agent adjoint, conseil et avocat ;

M. Mathias Forteau, professeur à l’Université Paris Ouest, Nanterre-La Défense, secrétaire général

de la Société française pour le droit international,

M.Daniel Müller, chercheur au Centre de droit international de Nanterre (CEDIN), Université
Paris Ouest, Nanterre-La Défense,

M. Jean-Marc Thouvenin, professeur à l’Université Pa ris Ouest, Nanterre-La Défense, directeur du
Centre de droit international de Nanterre (CEDIN), avocat au barreau de Paris, cabinet Sygna
Partners,

M. Luke Vidal, avocat au barreau de Paris, cabinet Sygna Partners,

M. Samuel Wordsworth, membre des barreaux d’Angleterre et de Paris, Essex Court Chambers,

comme conseils et avocats ;

S. Exc. M. Ahmed Tidiane Sakho, ambassadeur de la République de Guinée auprès des pays du
Benelux et de l’Union européenne,

M. Alfred Mathos, agent judiciaire de l’Etat,

M. Hassan II Diallo, conseiller juridique du premier ministre de la République de Guinée,

M. Ousmane Diao Balde, directeur de la division juridique et consulaire au ministère des affaires
étrangères,

M. André Saféla Leno, président de la chambre d’accusation de la Cour d’appel de Conakry,

S. Exc. M. Abdoulaye Sylla, ancien ambassadeur,

comme conseillers ;

M. Ahmadou Sadio Diallo, homme d’affaires. - 5 -

The Government of the Republic of Guinea is represented by:

Colonel Siba Lohalamou, Minister of Justice, Keeper of the Seals,

as Head of Delegation ;

Ms Djénabou Saïfon Diallo, Minister of Co-operation;

Mr.Mohamed Camara, First Counsellor for Political Affairs, Embassy of Guinea in the Benelux
countries and in the European Union,

as Agent;

Mr.Alain Pellet, Professor at the University of ParisOuest, Nanterre-La Défense, Member and
former Chairman of the International Law Co mmission, Associate of the Institut de droit

international,

as Deputy Agent, Counsel and Advocate;

MrM. athias Forteau, Professor at the Univers ity of PariOuest, Nanterre-La Défense,
Secretary-General of the Société française pour le droit international,

Mr. Daniel Müller, Researcher at the Centre de droit international de Nanterre (CEDIN), University

of Paris Ouest, Nanterre-La Défense,

Mr.Jean-Marc Thouvenin, Professor at the Univer sity of ParisOuest, Nanterre-La Défense,
Director of the Centre de droit international de Nanterre (CEDIN), member of the Paris Bar,

Cabinet Sygna Partners,

Mr. Luke Vidal, member of the Paris Bar, Cabinet Sygna Partners,

Mr. Samuel Wordsworth, member of the English and Paris Bars, Essex Court Chambers,

as Counsel and Advocates;

H.E. Mr.AhmedTidianeSakho, Ambassador of th e Republic of Guinea to the Benelux countries

and to the European Union,
Mr. Alfred Mathos, Judicial Agent of the State,

Mr. Hassan II Diallo, Legal Adviser to the Prime Minister of the Republic of Guinea,

Mr. Ousmane Diao Balde, Director of the Legal a nd Consular Division of the Ministry of Foreign
Affairs,

Mr. André Saféla Leno, President of the Indictments Division of the Court of Appeal of Conakry,

H.E. Mr. Abdoulaye Sylla, former Ambassador,

as Advisers;

Mr. Ahmadou Sadio Diallo, businessman. - 6 -

Le Gouvernement de la République démocratique du Congo est représenté par :

S.Exc.M. Henri Mova Sakanyi, ambassadeur de la République démocratique du Congo auprès du
Royaume de Belgique, du Royaume des Pays-Bas et du Grand-Duché de Luxembourg,

comme agent et chef de la délégation ;

M.Tshibangu Kalala, professeur de droit international à l’Université de Kinshasa, avocat aux
barreaux de Kinshasa et de Bruxelles, député au Parlement congolais,

comme coagent, conseil et avocat ;

M.Lwamba Katansi, professeur à l’Université de Kinshasa, conseiller juridique au cabinet du
ministre de la justice et des droits humains,

MmeCorine Clavé, avocat au barreau de Br uxelles, cabinet Liedeker ke-Wolters-Waelbroeck-
Kirkpatrick,

M. Kadima Mukadi, avocat au barreau de Kinshasa, cabinet Tshibangu et associés,

M. Bukasa Kabeya, avocat au barreau de Kinshasa, cabinet Tshibangu et associés,

M. Kikangala Ngoie, avocat au barreau de Bruxelles,

M. Moma Kazimbwa Kalumba, avocat au barreau de Bruxelles, avocat-conseil de l’ambassade de
la République démocratique du Congo à Bruxelles,

M. Tshimpangila Lufuluabo, avocat au barreau de Bruxelles,

MmeMwenze Kisonga Pierrette, chef du service ju ridique et du contentieux à l’ambassade de la
République démocratique du Congo à Bruxelles,

M. Kalume Mabingo, conseiller juridique à l’amba ssade de la République démocratique du Congo
à Bruxelles,

comme conseillers ;

M. Mukendi Tshibangu, chargé de recherches au cabinet Tshibangu et associés,

Mme Ali Feza, chargé d’études au cabinet du ministre de la justice et des droits humains,

M. Makaya Kiela, chargé d’études au cabinet du ministre de la justice et des droits humains,

comme assistants. - 7 -

The Government of the Democratic Republic of the Congo is represented by:

H.E.Mr.Henri Mova Sakanyi, Ambassador of the Democratic Republic of the Congo to the
Kingdom of Belgium, the Kingdom of the Netherlands and the Grand Duchy of Luxembourg,

as Agent and Head of Delegation;

Mr. Tshibangu Kalala, Professor of International Law at the University of Kinshasa, member of the
Kinshasa and Brussels Bars, and Deputy, Congolese Parliament,

as Co-Agent, Counsel and Advocate;

Mr.Lwamba Katansi, Professor at the University of Kinshasa, Legal Adviser, Office of the
Minister of Justice and Human Rights;

MsCorinneClavé, member of the Brussels Bar, Cabinet Liedekerke-Wolters-Waelbroeck-
Kirkpatrick,

Mr. Kadima Mukadi, member of the Kinshasa Bar, Cabinet Tshibangu & Associés,

Mr. Bukasa Kabeya, member of the Kinshasa Bar, Cabinet Tshibangu & Associés,

Mr. Kikangala Ngoie, member of the Brussels Bar,

Mr.Moma Kazimbwa Kalumba, member of the Brussels Bar, Lawyer-Counsel, Embassy of the
Democratic Republic of the Congo in Brussels,

Mr. Tshimpangila Lufuluabo, member of the Brussels Bar,

MsMwenze Kisonga Pierrette, Head of the Lega l and Litigation Department, Embassy of the
Democratic Republic of the Congo in Brussels,

Mr.Kalume Mabingo, Legal Adviser, Embassy of the Democratic Republic of the Congo in
Brussels,

as Advisers;

Mr. Mukendi Tshibangu, Researcher, Cabinet Tshibangu & Associés,

Ms Ali Feza, Researcher, Office of the Minister of Justice and Human Rights,

Mr. Makaya Kiela, Researcher, Office of the Minister of Justice and Human Rights,

as Assistants. - 8 -

Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de président : Veuillez vous asseoir. L’audience est

ouverte. La Cour se réunit aujourd’hui pour entendre le second tour de plaidoiries de la

République de Guinée. Je donne la parole à M. le professeur Alain Pellet, conseil et avocat, agent

adjoint de la République de Guinée. Vous avez la parole, Monsieur.

M. PELLET :

1. Monsieur le président, Messieurs les j uges, comme SamWorthington dans le film de

James Cameron, j’ai quitté mon avatar ⎯ en la personne de Jean-Marc Thouvenin, que je remercie

de m’avoir prêté sa voix ⎯ pour reprendre mes traits habituel s après mon séjour forcé dans une

lointaine Pandora… Je vous prie à nouveau de bien vouloir excuser cette défaillance tout à fait

involontaire.

2. Monsieur le président, conformément à la recommandation que vous avez adressée aux

1
Parties à l’issue du premier tour , nous n’utiliserons pas tout le temps qui nous a été imparti.

3. Durant ses plaidoiries de lundi dernier, le professeurKalala a lu de longs passages des

écritures de la Partie congolaise. Je ne suivrai p as cet exemple : conformément aux dispositions de

l’article 60, paragraphe 1, du Règlement de la C our et à vos recommandations à l’issue du premier

tour de lundi dernier, je pense, Monsieur le pr ésident, qu’il n’est pas approprié de redire ce que

nous avons déjà écrit ou dit. Pour la commodité de la Cour, nous avons établi un tableau qui

comporte trois colonnes :

⎯ la première est une liste des passages des plaidoiries du professeurKalala qui reprennent

(parfois avec d’infimes variantes) des pans entiers des écritures de la RDC, que le coagent de la

RDC s’est borné à relire à l’audience et auxquels nous avions répondu par avance ;

⎯ la deuxième donne les références de ces larges extraits ;

⎯ quant à la troisième colonne, elle renvoie à nos propres plaidoiries ⎯ tant orales qu’écrites ⎯

et indique de manière précise le ou les passage(s) de celles-ci qui répondent à l’argumentation

de la duplique et, plus souvent, du contre-mémoire.

1
CR 2010/4, p. 22. - 9 -

4. Les directives de l’article60, paragraphe 1, du Règlement me conduisent à formuler une

seconde remarque générale : dès lo rs que cette disposition impose aux Parties de ne pas répéter les

arguments déjà invoqués, nous nous sommes abstenus, la semaine dernière, de reprendre dans tous

leurs détails l’intégralité des dé veloppements qui figurent dans nos écritures;mais, sauf lorsque

nous les avons expressément abandonnés (comme c’est le cas en ce qui concerne le chiffrage du

préjudice subi), nous les maintenons intégralement.

5. Au bénéfice de ces remarques, je vais, da ns un premier temps, répondre à la question

posée avant-hier par M. le juge Cançado Trindade (A). Puis, avant de répondre, pour finir, à celle

de M.le jugeBennouna de lundi dernier(F), j’évoquerai successivement un certain nombre de

points ⎯ à peine nouveaux, mais qui, contrairement à ce ux qui sont énumérés dans le tableau que

nous vous avons remis, Messieurs les juges, ne sont pas entièrement identiques aux arguments

congolais auxquels nous avions répondu auparavant. Alors les arguments dont je vais traiter sont :

⎯ l’épisode de l’année 1983 (B) ;

⎯ la question des mauvais traitements subis par M. Diallo à l’occasion de son arrestation et de

son expulsion en 1995-1996 (C) ;

⎯ la base juridique de cette expulsion sous l’empire de la Constitution de 1994 (D) ; et

⎯ la valeur juridique des parts sociales de M.Diallo dans les sociétés Africom-Zaïre et

Africontainers-Zaïre (E).

Je tiens à dire que, si cette plaidoirie est mienne, e lle est le fruit d’un travail d’équipe auquel tous

les conseils de la Guinée ont participé, y co mpris les professeursForteau et Thouvenin que des

engagements impérieux et antérieurs aux fureurs du Vulcain islandais tiennent aujourd’hui, à leur

grand regret, à l’écart de ce prétoire.

A. La violation des droits consulaires de M. Diallo (réponse à la question
du juge Cançado Trindade)

6. Monsieur le président, à la fin de l’audien ce de lundi matin, M. le juge Cançado Trindade

a demandé aux Parties si, à leur avis,

«les dispositions de l’article 36, paragraphe1, alinéa b), de la convention de Vienne
sur les relations consulaires de 1963, s’épuisen t dans les relations entre l’Etat d’envoi
ou de nationalité et l’Etat de résidence ? - 10 -

Est-ce que M. Diallo lui-même a été informé aussitôt après sa détention au sujet
de l’assistance consulaire? Qui est le sujet du droit à l’information en matière
d’assistance consulaire : l’Etat d’envoi ou de la nationalité, ou l’individu ?» 2

7. Selon la RDC, «si le droit à l’information est un droit «individuel», il n’en est pas moins

indissociablement lié au droit de l’Etat d’envoi de communiquer avec ses ressortissants» . Et, «ces 3

droits ne s’épuisent pas dans les relations entre l’Etat d’envoi ou de la nationalité et l’Etat de

résidence, mais…ne s’épuisent pas non plus dans les relations entre l’individu et l’Etat de

4
résidence» . Il s’ensuit, toujours selon la réponse du défendeur remise hier après-midi à la Cour,

que le simple fait que la Guinée ait «entrepris de s démarches diplomatiques auprès des autorités de

la RDC en faveur de son ressortissant…suffit à établir que le but du droit à l’information a été

5
atteint» . J’avoue, Monsieur le président, que cette réponse me laisse un peu perplexe.

8. Aux termes de l’article 36, paragraphe 1 b), de la convention de Vienne de 1963 ⎯ que je

crois utile de lire en entier :

«si l’intéressé en fait la demande, les autorités compétentes de l’Etat de résidence
doivent avertir sans retard le poste consul aire de l’Etat d’envoi lorsque, dans sa
circonscription consulaire, un ressortissant de cet Etat est arrêté, incarcéré ou mis en

état de détention préventive ou toute autre forme de détention. Toute communication
adressée au poste consulaire par la personne arrêtée, incarcérée ou mise en état de
détention préventive ou toute autre forme de détention doit également être transmise

sans retard par lesdites autorités. Celles-ci doivent sans retard informer l’intéressé de
ses droits aux termes du présent alinéa.»

9. Cette dernière formule ne laisse aucun doute: les autorités de l’Etat de résidence ont

l’obligation d’informer l’intéressé de ses droits à l’assistance consulaire et celui-ci a le droit d’en

être informé. Et ceci, à vrai dire, suffit à donner une réponse ferme au premier des deux volets

«théoriques» de la question posée par le juge CançadoTrindade: non, les dispositions de

l’article 36, paragraphe 1, alinéa b), de la convention de Vienne sur les relations consulaires

de1963, ne s’épuisent pas dans les relations entre l’Etat d’envoi ou de nationalité et l’Etat de

résidence. La Cour l’a d’ailleurs expressément reconnu dans l’affaire LaGrand : «le paragraphe 1

2 CR 2010/3, p. 37.
3
Réponse de la RDC à la question du juge Cançado Trindade, 27 avril 2010 ; les italiques sont de la RDC.
4 Ibid.

5 Ibid. - 11 -

de l’article36 crée [pour le ressortissant concer né] des droits individuels qui…peuvent être

invoqués devant la Cour par l’Etat dont la personne détenue a la nationalité» (LaGrand (Allemagne

c.Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J.Recueil2001 , p.494, par.77), et cette formule est reprise

dans l’affaire Avena . 6

10. A l’inverse, ceci ne signifie pas que les dispositions de l’article 36 s’épuisent dans cette

relation. Pour reprendre la distinction terminologi que faite par la Cour dans son arrêt de2004, la

dernière phrase du paragraphe1 b) de cette disposition de l’ar ticle36 investit la personne

concernée du droit d’être informée de ses droits à l’assistance consulaire; et le début de cette

disposition confère aux autorités consulaires de l’ Etat de nationalité le droit d’être notifiées

(c’est-à-dire averties) de l’arrestation de son ressortissant par les autorités de l’Etat d’accueil 7. Il en

résulte, pour répondre au second élément «t héorique» de la question posée par le

juge Cançado Trindade, que l’individu est le sujet du droit à l’information en matière d’assistance

consulaire au sens strict de l’expression, et que l’ Etat d’envoi ou de la nationalité est, pour sa part,

sujet du «droit à la notification» prévu par cette disposition. Il existe indiscutablement une certaine

«interdépendance des droits de l’Etat et des dr oits individuels», comme la Cour l’a également

8
constaté dans l’affaire Avena et, sur ce point, nous sommes d’accord avec le défendeur . Il ne

s’agit pas moins de droits distincts et l’on peut même considérer que le droit de l’Etat de la

nationalité est subordonné à celui de son resso rtissant puisque, aux termes de l’article36,

paragraphe 1 b), «les autorités compétentes de 1’Etat de résidence doivent avertir sans retard le

poste consulaire de 1’Etat d’envoi» «si l’intér essé en fait la demande». C’est donc cette demande

qui conditionne les obligations de l’Etat de résiden ce et les droits corrélatifs de l’individu et de

l’Etat de nationalité. Quoi que semble en penser la RDC, l’inverse n’est, en revanche, pas exact :

un Etat partie à la conve ntion de1963 ne s’acquitte pas de ses obligations à l’égard du

6
Avena et autres ressortissants mexicains (M exique c.Etats-Unis d’Amérique), arrêt , C.I.J. Recueil 2004 (I),
p. 36, par. 40.
7 Ibid., p. 26, par. 18 ; voir aussi p. 43, par. 61.

8 Ibid., p.36, par. 40; voir aussLaGrand (Allemagne c.Etats-Unis d’Am érique), arrêt, C.I.J. Recueil 2001,
p. 492, par. 74. - 12 -

ressortissant étranger en notifiant l’arrestation de celui-ci aux autorités consulaires de l’Etat de

nationalité ⎯ ne fût-ce que parce que l’intéressé est en droit de refuser l’assistance consulaire 9⎯

ce qui confirme qu’il s’agit bien d’un droit de l’individu.

11. Quoiqu’il en soit, dans notre affaire ⎯ et j’en viens maintenant à l’aspect concret de la

question du jugeCançadoTrindade, non seulement M. Diallo n’a pas été informé de ses droits à

l’assistance consulaire, mais encore, si la Guinée était, sans aucun doute, au courant de sa détention

ça n’a été que par la rumeur; aucune notification n’a été faite en ce sens par la RDC. Au

demeurant, seul est en cause ici le droit d’être in formé de M. Diallo. Et, ici encore, notre réponse

est claire et nette: non, M.Diallo lui-même n’a été informé ni aussitôt après sa détention ni plus

tard au sujet de l’assistance consulaire.

12. La réponse contraire de la RDC est troubl ante : non seulement elle ne repose sur aucun

début de semblant de preuve, mais encore, si elle reflétait la réalité, on s’expliquerait mal pourquoi

le contre-mémoire du défe ndeur puis son conseil, dans sa pl aidoirie de lundi matin, ont gardé un

silence total sur l’information qui aurait été donnée à M. Diallo «aussitôt après sa détention» selon

laquelle il avait «la possibilité de solliciter l’assistance consulaire de son Etat» 10 alors que, dans les

deux cas ⎯plaidoiries et écritures ⎯ la RDC s’attache à montrer longuement que ⎯je cite la

plaidoirie de M e Kalala ⎯ «la situation de M.Diallo éta it connue non seulement du consulat

guinéen [en réalité le conseil ne parle que du service diplomatique ⎯mais soit!], non seulement

donc du consulat guinéen à Kinshasa mais aussi du président de la République et du ministre des

11
affaires étrangères de Guinée» . Et mon contradicteur d’«insister lourdement» (ce sont ses propres

termes)

«sur le fait que l’objectif visé par l’article 36, paragraphe 1 b), dont il est question ici
est de faire en sorte que les agents consulair es de l’Etat d’envoi soient informés de la
détention d’un ressortissant de cet Etat vivant sur le territoire de l’Etat d’accueil afin

de veiller au respect de ses d12its individue ls et de lui apporter l’assistance consulaire
dans de bonnes conditions» .

9
Voir Avena et autres ressortissants mexicains (M exique cE.tats-Unis d’Amérique), arrêt ,
C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 50, par. 91.
10
Réponse de la RDC à la question du juge Cançado Trindade, 27 avril 2010.
11CR 2010/3, p. 29, par. 51. Voir également contre-mémoire de la RDC (CMRDC), p. 15-16, par. 1.20-1.22.

12CR 2010/3, p. 30, par. 53. - 13 -

13. Mais c’est se tromper de droit, Monsieur le président, celui que le professeurKalala

défend avec une telle vigueur (et que vise égalemen t la réponse donnée hier après-midi par l’Etat

défendeur) c’est le droit de la Guinée elle-même d’être notifiée ⎯ droit qui n’est pas en cause ici,

et pas le droit de M. Diallo d’être informé de ses droits. Et c’est bien différent car, comme l’a fait

remarquer la Cour dans l’affaire LaGrand,

«[p]eu importe à cet égardde savoir, aux fi ns de la présente instance, si les LaGrand

auraient sollicité l’assistance consulaire de l’Allemagne, si 1’Allemagne leur aurait
apporté une telle assistance et si un verdict différent aurait alors été prononcé. Il suffit
de constater que la convention conférait ces droits, et que l’Allemagne et les LaGrand,

eussent-ils souhaité s’en prévaloir, ont en fait été empêchés de le faire en raison de la
violation commise par les Etats-Unis» ( LaGrand (Allemagne cE . tats-Unis
d’Amérique), arrêt, C.I.J.Recueil2001 , p.492, par.74; voir aussi Avena et autres

ressortissants mexicains (MexiqueEct.ats-Unis d’Amérique), arrêt ,
C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 52, par. 102).

De même ici, le fait est que l’intéressé, comme il le confirme expressément dans son témoignage

13
que la Partie défenderesse n’a jamais contesté , n’a pas été informé de ses droits. Là réside le fait

internationalement illicite de la RDC sans qu’il y ait lieu de spéculer sur ce qui se serait produit s’il

l’avait été. J’ajoute pour surplus de droit, que la Cour, dans l’affaire Avena a considéré que bien

que les autorités de l’Etat d’envoi aient eu connaissance par d’autres moyens de la détention de

certains de leurs ressortissants, l’omission de la notification ne «constitue pas moins une violation

des obligations qui leur incombent en vertu de l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36» (Avena et

autres ressortissants mexicains (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt , C.I.J. Recueil 2004 (I),

p. 51, par. 95), et ceci à supposer même que l’ab sence de notification par les autorités compétentes

n’ait pas entrainé de graves conséquences pour les intéressés.

14. Voici, Monsieur le président, ce que nous souhaitions dire en réponse à la question de

M.le jugeCançadoTrindade. Pour ce qui concer ne d’une manière plus gé nérale la violation par

l’Etat défendeur de l’article36 de la convention de Vienne sur les relations consulaires, je me

14
permets, Messieurs de la Cour, de vous renvoyer à ce que nous en avons dit dans notre réplique et

à la plaidoirie du professeur Thouvenin de la semaine dernière 15. J’en arrive donc à mon deuxième

point : l’épisode de l’année 1983.

13Réplique de la Guinée (RG), annexe 1.
14
RG, p. 24-26, par. 1.49-1.53.
15CR 2010/1, p. 35-36, par. 27-30. - 14 -

B. L’épisode de l’année 1983

15. Monsieur le président, le voyage virt uel du professeurKalala dans la Citroën de

M.Diallo commence avec l’épisode de1983, qu’il n ous reproche d’avoir dissimulé à la Cour. A

son propos, il se fonde sur deux articles de presse, a nnexés au mémoire de la Guinée, dans lesquels

il voit la preuve qu’il est «établi ... que M. Diallo a été arrêté et détenu en 1983 pendant un mois à

16
Kinshasa pour tentative de corruption de fonctionnaire…» . Je ne crois pas utile de m’appesantir

sur les démêlés du cuisinier de M. Diallo avec la justice zaïroise parce que ses papiers n’étaient pas

en règle, ni sur la tentative de son patron de «l ui payer son billet d’avion jusqu’à Ouagadougou en

signant un chèque de 10 000 Z que les geôliers zaïrois lui avaient demandés» 17, tentative qui valut à

M.Diallo d’être emprisonné ⎯ sans jugement ⎯ pendant un mois. Mais je remarque que notre

contradicteur s’est gardé de lire la phrase suivante de cet article publié dans la rubrique «Réussite»

du journal Jeune Afrique du 16février1984 et dont je donne lecture: «Libéré depuis avec les

excuses des services de sécurité, Diallo crie auj ourd’hui son honneur outr agé». De même, le

professeur Kalala omet soigneusement le paragraphe qui suit, dans lequel on peut lire : «parlant de

l’emprisonnement temporaire d’AhmadouSadioDi allo, une très haute personnalité des services

zaïrois de sécurité nous a décl aré: «Nous l’avons libéré parce que nous n’avions rien à lui

reprocher. C’est une affaire entre Guinéens.»» Le témoignage de M. Diallo reproduit en annexe 1

à la réplique de la Guinée corrobore les faits rapportés par Jeune Afrique.

16. Ceci étant, Monsieur le président, san s vouloir accorder à cet épisode une importance

qu’il n’a pas aux fins de la présente affaire, je ne peux m’empêcher de relever avec un peu

d’étonnement la robuste affirmation du professeu rKalala selon laquelle «[s]’il y a un pays qui

18
menait la vie dure à Diallo, c’est bien la Guinée et non la RDC...» ⎯ c’est tout de même le Zaïre

qui l’a incarcéré et détenu sans jugement déjà en 1983… Mais, à la différence de celui de 1988, cet

épisode est sans incidence directe sur l’affaire qui nous occupe ⎯et c’est la raison pour laquelle

nous ne l’avions pas discuté auparavant (sans pour autant le dissimuler: comme l’a remarqué la

16CR 2010/3, p. 14, par. 6.
17
Mémoire de la Guinée (MG), annexe 18.
18CR 2010/3, p. 14, par. 6. - 15 -

Partie congolaise, c’est la Guinée qui a produit les deux documents et le témoignage de M. Diallo

qui en fait état est annexé à la réplique guinéenne 19. Pour sa part, jusqu’à cette semaine, la RDC

n’en avait jamais rien dit).

17. De fait, nous avons produit l’article de Jeune Afrique 20sur lequel la RDC fait fond, non

pas en raison de la pertinence de l’ép isode en question dans notre affaire ⎯il n’en a aucune ⎯

mais parce qu’il rend compte avec précision de la réussite exceptionnelle de M.Diallo au milieu

des années quatre-vingt et de la pe rsonnalité de celui-ci. Sur le premier point, le professeur Kalala

se gausse de la «très belle Citr oën CX» de notre homme qui, «à l’ instar de beaucoup de voitures à

Kinshasa,…manque de plaquettes de frein et …d’un tuyau d’échappement», mais il se garde

d’évoquer «l’idée de génie» que décrit le jour nal, idée qui a fait de M.Diallo «un homme

prospère» à la tête d’«une équipe de 120 personnes dont 9 cadres» et qui lui a permis de décrocher

«un marché de géant: celui du transport par cont eneurs du cuivre de l’opulente Gécamines qui

produit le cobalt et le cuivre zaïrois».

18. Et le journal ⎯ Jeune Afrique est une publication très respectée ⎯ de dresser un portrait

attachant de M. Diallo, que, bien sûr, M e Kalala oublie de citer (alors qu’il complète et équilibre la

description de la Citroën) :

«L’homme, pourtant, est sincère et sa vi e quotidienne lui ressemble. Il reçoit

ses invités dans les meilleurs restaurants de Kinshasa, leur offre le meilleur
champagne, sans prendre la moindre goutte. Son appartement, situé dans une élégante
tour du boulevard du 30 Juin, ressemble à ses costumes. Propre, strict. Meublé avec

goût. Ni gadgets ni clinquants...»

La lecture fort sélective que notre contradicteur a faite de cette publication et les noms d’oiseau

21
dont il affuble M. Diallo reflètent de façon bien peu fidèle une réalité pourtant plus flatteuse.

19. Encore une fois, Monsieur le président, l’épisode de 1983 est dépourvu de tout lien avec

l’affaire qui nous occupe : on ne peut y déceler aucun dessein délibéré des plus hautes autorités de

l’Etat de nuire à M.Diallo et de porter atteinte à sa réputation; les autorités compétentes ont

reconnu leur tort et lui ont présenté des excuses ; s on arrestation et son incarcération, qui n’ont pas

été décidées par le pouvoir exécutif, étaient sans rapport aucun avec la conduite de ses affaires et

19
RG, annexe 1.
20
MG, annexe 18.
21CR 2010/4, p. 21, par. 32. - 16 -

n’a eu aucun impact sur la prospérité de celles-ci, comme le montre entre autres l’article de Jeune

Afrique. Il en va tout autrement des événements de 1988, d’une part, et de ceux, décisifs,

de 1995-1996, d’autre part: les arrestations et les incarcérations successives de M. Diallo, qui ont

culminé avec son expulsion manu militari le 31janvier1996, non seu lement ont constitué des

atteintes autrement plus graves aux droits humains de l’intéressé, mais encore ont porté un coup

décisif à ses affaires en le mettant dans l’incap acité de diriger et de contrôler ses sociétés ⎯ c’était

leur objectif.

C. Les mauvais traitements subis par M. Diallo à l’occasion de son arrestation

et de son expulsion en 1995-1996

20. Monsieur le président, je ne vais pas re venir en détail sur ces graves péripéties ; nous les

avons déjà largement analysées dans nos plaidoiries écrites et orales. Les références pertinentes

figurent dans le tableau que nous avons préparé ⎯et j’attire tout spécialement votre attention,

Messieurs de la Cour, sur le renvoi qui est fait a ux paragraphes 8 à 10 et 11 à 13 de l’audience de

26avril au matin qui portent sur le grave épisode de 1988, passages dans lesquels le

professeur Kalala a reproduit les paragraphes 1.13 et 1.15 à 1.17 de la duplique, qu’il a lus durant

son intervention. Le professeurThouvenin y av ait répondu dans les paragraphes 5 à 17 de sa

plaidoirie du 19 avril22. Je n’y reviens donc pas.

21. Je ne puis cependant passer complètement sous silence les accusations de «silences

assourdissants» que nous a longuement lancées le professeurKalala dans sa plaidoirie de lundi

matin ⎯du moins sur les deux premières, qui conduisent notre contradicteur à assener que la

Guinée aurait abandonné ses réclamations fondées sur les mauvais traitements infligés à M. Diallo

en 1995-1996. Et j’évoquerai dans quelques instants nos deux autres silences ⎯ mais eux, ce sont

en effet des silences délibérés.

22. Quelques mots d’abord sur le silence que nous avons gardé la semaine dernière sur

23
l’accusation de mauvais traitements infligés à M. Diallo lors de sa détention de 1995-1996 . Le

22
CR 2010/1, p. 27-31.
23CR 2010/3, p. 18-20, par. 16-20. - 17 -

reproche est assez curieux. Si la Guinée n’est p as revenue sur ces mauvais traitements, c’est tout

simplement parce que la RDC n’avait pas jugé u tile de répondre sur le fond, dans sa duplique, aux

arguments de la réplique.

23. La réplique guinéenne avait apporté trois précisions à son mémoire :

⎯ en premier lieu, nous y avons indiqué que si M. Di allo avait été nourri en prison, il ne l’avait

été que grâce à l’aide de sa famille et d’organisations non gouvernementales 24. La RDC ne l’a

25
pas contesté dans sa duplique ni lors de son premier tour de plaidoiries . Tout au contraire,

elle en a tiré la conclusion que M.Diallo aurait été «normalement nourri pendant sa

détention» 26et que l’on ne pouvait donc pas affirmer que M. Diallo «aurait été incarcéré dans

des conditions précaires et sans recevoir aucune ration alimentaire de la part des autorités

congolaises» 27. Le raisonnement est intéressant: la RDC invente le respect du droit

international par procuration. Que M. Diallo ait vu son sort amélioré grâce à sa famille et à des

organisations de bienfaisance est une chose ; mais la question n’est pas là ; elle est de savoir si

la RDC a rempli les obligations qui pesaient sur elle de lui accorder le traitement minimum

auquel toute personne emprisonnée a droit. Or, e lle ne l’a pas fait. «Le centre de détention

[n’]a jamais donné à manger» à M. Diallo et lors que sa famille s’est substituée à cette carence,

elle a dû «débourser à chaque fois l’équivalent en zaïres de 20 ou 25 dollars américains à titre

28
de pourboire» ; de même, si sa famille a obtenu par ailleurs que M. Diallo soit examiné par un

29
médecin, ce fut à ses propres frais . Il y a là, de toute évidence, un traitement contraire au

standard minimum et, en particulier, aux règles minima pour le traitement des détenus adoptées

24
RG, p. 16-17, par. 1.34.
25 Duplique de la RDC (DRDC), p. 4, par. 1.04-1.05 ; CR 2010/3, p. 19-20, par. 18-19.

26 DRDC, p. 4, par. 1.05.

27 CR 2010/3, p.18, par. 16.
28
RG, annexe 1, p. 6.
29
Ibid. - 18 -

par l’ECOSOC en 1955 30 et dont l’Assemblée générale des Nations Unies a réaffirmé l’intérêt

31
et l’importance en 1990 ;

⎯ en deuxième lieu, la Guinée a expliqué dans sa réplique comment et pourquoi M. Diallo avait

réussi à prendre quelques contacts avec l’extérieur 32 ;mais, à nouveau, ces contacts n’ont été

possibles que malgré les autorités zaïroises ou, en tout cas, sans qu’elles les permettent ou les

facilitent et, je le rappelle, sans qu’elles s’ acquittent de leurs obligations en matière

d’assistance consulaire 33 ;

⎯ en troisième et dernier lieu, la RDC n’a, à ce jour, apporté aucun démenti au témoignage de

M. Diallo annexé à la réplique, dans lequel celui-ci rapporte que, s’il n’a pas été «frappé» ⎯ ce

qu’il admet ⎯, il n’en demeure pas moins que pendant «les quatre premiers jours de [s]a

détention, [il a été] gardé au secret dans une cellule infestée de moustiques, en permanence

34
sous une lumière très vive, et [qu’il a été] privé de nourriture» ; de telles conditions

d’encellulement ne sont nullement compatibles av ec l’article10 du pacte de1966 aux termes

duquel «[t]oute personne privée de sa liberté est traitée avec humanité et avec le respect de la

35
dignité inhérente à la personne humaine» .

24. Le second «silence assourdissant» dont nous taxe le conseil du défendeur tient à ce que la

Guinée n’est pas revenue, lors des audiences de la semaine dernière, sur le fait que les autorités

congolaises n’ont pas interrogé M.Diallo ni cond uit celui-ci devant un juge au moment de sa

détention en 1995 et avant son expulsion 36. Je me limiterai également à trois brèves observations à

cet égard :

30
Voir Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus , adopté par le premier Congrès des
NationsUnies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants, tenu à Genève en 1955 et approuvé par le
Conseil économique et social dans se s résolutions 663 C (XXIV) du 31 juillet 1957 et 2076 (LXII) du 13 mai 1977, en
particulier les principes 20, 22-26 et 87.

31Nations Unies, Assemblée générale, résolution 45/111, 14 décembre 1990, «Principes fondamentaux relatifs au
traitement des détenus».

32Voir RG, p. 16-17, par. 1.34-1.35.

33Voir ci-dessus, par. 6-14.
34
RG, annexe 1, p. 6-7.
35
Voir également l’Observation générale n° 21 du Co mité des droits de l’homme du 10 avril 1992 relative à
l’article10 du pacte ( Documents officiels de l’Assemblée générale , quarante-septième session , Supplément n°40
(A/47/40), p. 242-244).
36
CR 2010/3, p. 20-22, par. 21-26. - 19 -

⎯ premièrement, nous prenons acte du fait que, de l’aveu même de la RDC, il «n’était reproché à

M.Diallo aucune infraction pénale spécifique qui aurait justifié sa détention provisoire»

37
⎯celle-ci n’aurait relevé que de la procédure «administrative» d’expulsion ; cela confirme

que, décidément, les très graves accusations por tées contre M.Diallo tout au long de la

procédure devant la Cour par la RDC sont to talement infondées, comme la Guinée l’a rappelé

38
lundi dernier ;

⎯ deuxièmement, et par voie de conséquence, la détention de M.Diallo préalable à son

expulsion, qui a dépassé le délai maximum de hu it jours prévu par l’ordonnance-loi de1983,

était dès lors privée de tout fondement et a, sans conteste, violé l’article 9 du pacte de 1966 qui

interdit les détentions arbitraires ;

⎯ troisièmement et enfin, sur le terrain procé dural, je ne peux que rappeler qu’il incombe aux

autorités concernées, en cas de détention préalable à une expulsion, d’offrir à la personne visée

par cette mesure administrative, et cela avan t son expulsion (donc pendant sa détention), «la

possibilité de faire valoir les ra isons qui militent contre son expul sion et de faire examiner son

cas par l’autorité compétente…en se faisan t représenter à cette fin», ceci est dit par

l’article13 du pacte de1966; Mathias Forteau a rappelé lors de notre premier tour de

plaidoiries qu’aucun de ces droits procéduraux n’avait été respecté par la RDC, et il s’est

39
référé, en particulier, à la jurisprudence Hammel du comité des droits de l’homme ; M. Diallo

n’a jamais été informé de la base légale de sa dé tention et de son expulsi on, dont la raison ne

lui a jamais été notifiée et dont, par conséque nt, il n’a pu contester la légalité avant son

40
éloignement forcé du territoire congolais .

D. La base juridique de l’expulsion

25. «Expulsion» ou «refoulement» 41 ? That is not the question . Ou plutôt, cette question a

été tranchée par la Cour dans son arrêt de 2007 : «cette expulsion, au moment de son exécution, a

37CR 2010/3, p. 21, par. 23.
38
Voir CR 2010/1, p. 45-48, par. 20-33 (Forteau).
39
CR 2010/1, p. 51, par. 41 v).
40Voir CR 2010/1, p. 51, par. 41 iii), vi) et vii).

41Voir CR 2010/3, p. 33, par. 61. - 20 -

été qualifiée de mesure de «refoulement»» et «M. Diallo, en tant que destinataire de la mesure de

refoulement, était autorisé à tirer les conséquences de la qualification juridique ainsi donnée par les

autorités zaïroises» (Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du

Congo, arrêt, C.I.J. Recueil 2007 , p. 601, par. 46). La Guinée s’en est tenue à cette position dans

sa réplique 42 et a rappelé sans équivoque lundi dernie r comment s’articulaient ces deux notions

43
dans notre affaire et quelles conséquences cela avait sur l’illicéité de l’expulsion de M. Diallo .

26. La RDC est cependant revenue lundi sur un argument connexe, amorcé dans sa duplique,

selon lequel le décret d’expulsion de M. Diallo ne serait entaché d’aucun vice de compétence. Afin

de soutenir l’idée selon laquelle ce décret aurait ét é valablement signé par le premier ministre, et

non par le président de la République comme le pr évoyait pourtant l’ordonnance-loi de 1983 sur la

police des étrangers, le professeurKalala s’est à nou veau appuyé sur l’entrée en vigueur, en1994

(mais nous n’avons jamais eu de problème avec cette date, Monsieur le président…) ⎯ sur l’entrée

en vigueur en 1994 donc, d’une nouvelle constitution qui aurait eu pour effet de déplacer le pouvoir

44
d’expulser du président vers le premier ministre .

27. L’argumentation de la Partie défenderesse a cependant consisté simplement à citer

quelques dispositions de cette nouvelle Constitution. Deux brèves remarques sur ces citations, si

vous le voulez bien, Monsieur le président :

1) l’article80, alinéa2, de la Constitution de1994 dispose que «le premier ministre exerce le

pouvoir réglementaire par voie de décret s délibérés en conseil des ministres» 45 ; j’observe que,

malgré l’affirmation du professeurKalala, selon laquelle cette disposition aurait remplacé le

texte clair de l’article 15 de l’ordonnance-loi de 1983, la pratique est demeurée fidèle à celle-ci :

contrairement à d’autres décrets adoptés par le premier ministre que la RDC a joints à ses

o
écritures et a de nouveau reproduits sous la cote n 1 de son dossier des juges de lundi matin, le

décret d’expulsion de M. Diallo ne comporte pas le visa mentionnant sa délibération en conseil

46
des ministres ; et,

42
RG, p. 33, par. 1.17 et p. 46-49, par. 1.114-1.122.
43
CR 2010/1, p. 40-41, par. 3-5 (Forteau).
44 CR 2010/3, p. 36-37, par. 71-73 ainsi que CR 2010/4, p. 8-9.

45 CR 2010/3, p. 36, par. 72.

46 Voir RG, p. 44, par. 1.110. - 21 -

2) en tout état de cause, il est manifeste que les précisions apportées lundi par le défendeur ne

répondent strictement en rien à l’argumentation que Mathias Forteau a fait valoir lundi dernier,

le 19 avril, lorsqu’il a montré que l’Etat défende ur avait toujours estimé, jusqu’à cette semaine,

que le pouvoir d’expulser est resté de la compétence du président de la République malgré

l’octroi au premier ministre du pouvoir réglem entaire. Les rapports de la RDC de2005 au

comité des droits de l’homme et de 2007 à la commission africaine des droits de l’homme et des

47
peuples en témoignent clairement .

28. Ces rapports, dénués de toute ambiguïté , montrent sans équivoque que la nouvelle

Constitution n’a pas eu sur l’ordonnance-loi de19 83 l’effet modificateur que la RDC lui prête,

pour les besoins de la cause, dans le cadre de la présente instance. Dès lors, l’expulsion de

M.Diallo ne pouvait découler que d’une ordonna nce motivée du président, en aucun cas d’un

décret du premier ministre.

E. La valeur des parts sociales de M. Diallo dans les sociétés Africom-Zaïre
et Africontainers-Zaïre

29. J’en viens maintenant, Monsieur le préside nt, à une question toute différente, celle de la

«valeur des parts sociales de M.Diallo» dans l es sociétés Africom-Zaïre et Africontainers-Zaïre,

ceci pour reprendre l’expression du professeur Kalala 48 même si, comme je vais m’employer à le

montrer, il s’agit, en réalité, d’un problème prématuré, que la Cour n’est pas appelée à trancher à ce

stade de la procédure.

30. Il n’existe pas de différend entre les Par ties sur la question de savoir si ces deux sociétés

existaient toujours en1995-1996: elles considèren t évidemment l’une comme l’autre que tel était

49
le cas . En revanche, nous ne saurions accueillir la thèse avancée de nouveau par la RDC lors de

ses plaidoiries de lundi, selon laquelle les sociétés Africom-Zaïre et Africontainers-Zaïre se

seraient trouvées, au moment où M.Diallo a été expulsé du Congo, en «état de faillite non

47
Voir CR 2010/1, p. 52-53 (Forteau).
48
CR 2010/4, p. 17, B.
49Voir ibid., p. 16-17, par. 20 (Kalala) et CR 2010/2, p. 45-48, par. 26-32 (Pellet). - 22 -

déclarée». Le défendeur a forgé cette thèse artificielle dans le seul but de nier toute valeur

50
économique aux parts sociales détenues par ce ressortissant guinéen , ce qui est inexact et procède

d’une double approximation.

31. La première tient à l’assimilation erronée qui est ainsi faite entre l’absence d’activité

commerciale d’une société et sa mise en faillite. En l’espèce, dès lors que la RDC n’a pas contesté

que les deux sociétés de M. Diallo, au moment de son expulsion, n’avaient aucune dette 5, qu’elles

avaient des actifs et qu’elles continuaient à employer du personnel 5, ces circonstances imposent, à

elles seules, d’écarter à leur égard, l’hypothèse d’une faillite, déclarée ou non. La seconde

approximation qui vicie le raisonnement de la RDC, tient à ce qu’elle oublie qu’une créance, même

contestée, constitue un actif tant qu’elle n’a pas été définitivement rejetée.

32. Or la société Africom-Zaïre, justement, qui est décrite comme une société «fantôme»,

53
sans «activité commerciale», sans «commande depuis le milieu des annéesquatre-vingt» était

pourtant riche d’une créance, qui n’a jamais été contestée , de près d’un million de dollars

américains de l’époque sur l’Etat congolais, à la suite des ventes de papier-listing, en1983

54
et 1986 . D’autres créances ont fait l’objet de démarc hes actives de recouvrement, de la part des

sociétés de M.Diallo et sous son impulsion, ju squ’à ce que ce dernier soit contraint de quitter le

territoire congolais. Je me réfère

⎯ aux négociations engagées par Africontainers depuis1992 avec la Gécamines, et qui avaient

conduit les deux Parties à se rencontrer pour la dernière fois le 8juin1995 55, aux fins de

trouver un arrangement amiable, concernant la réparation due par cette société nationale pour

les trente-deux conteneurs qu’elle avait reconnu avoir abandonné ;

50
CR 2010/4 p. 17-21, par. 21-33.
51
CR 2010/02, p. 39, par. 12.
52 Cf. RG, annexe 1, réponse de M. Diallo à la 35 question.

53 RG, annexe 1, réponse de M. Diallo à la 35 question.

54 CR 2010/01, p. 19-21, par. 14-17 (Wordsworth).
55
MG, annexe 151. - 23 -

⎯ au différend avec ZaïreFina, dont les juri dictions congolaises avaient été saisies pour

déterminer le montant des consé quences directes et indirectes de la perte, non contestée, par

56
cette compagnie pétrolière, de deux conteneurs qui lui avaient été loués par Africontainers ;

⎯ à la procédure «PLZ», dans laquelle le tribunal de grande instance de Kinshasa avait constaté

plusieurs manquements de la société PLZ, dans le cadre du bail qu’elle avait consenti à

Africom-Zaïre 57; ou

⎯ au litige avec ZaïreShell, qui sera, in fine, la cause de l’expulsion de M.Diallo, après que la

sociétéAfricontainers eut obtenu une décision des juridictions congolaises, assortie de

l’exécution provisoire, condamnant cette compagnie pétrolière à lui verser plus de 13 millions

58
de dollars .

33. Ces réclamations ont toutes donné lieu, à un stade ou à un autre de leur examen, à des

décisions en faveur des sociétés de M.Di allo et aucune de celles que j’ai citées ⎯ aucune ⎯,

n’avait été définitivement tranchée, le 31 janvier 1996, lorsque la RDC a expulsé celui-ci. Dès lors,

il convient de considérer qu’à cette date, ces créances, qui avaient, pour certaines, une valeur

59
conséquente ⎯à elle seule l’affaire du «p apier-listing» suffit à l’établir ⎯, existaient dans le

patrimoine des sociétés de M.Diallo et qu’en l’absence de tout passif les parts sociales de ces

sociétés intégralement détenues par celui-ci n’étaient pas, loin de là, dénuées de toute valeur.

34. Quelle valeur? Ce n’est pas le moment d’en débattre, Monsieur le président, car cela

revient à fixer le quantum de la réparation et la Guinée a prié la Cour d’en remettre l’examen à une

phase ultérieure ⎯ qui ne sera nécessaire que si les Parti es ne trouvent pas un accord sur ce point

par la voie de négociation. Il suffit à ce stade de constater que les faits internationalement illicites

du défendeur ont porté atteinte au droit de propriété de M. Diallo sur les parts sociales dont il était

propriétaire sur les deux sociétés. L’évaluation du montant de l’indemnité qui est due par la RDC à

titre de réparation est un autre problème.

56Exceptions préliminaires de la RDC (EPRDC), annexes 53 et 54 et MG, annexe 149.
57
MG, annexes 130 et 146.
58MG, annexe 153.

59MG, annexes 46 à 51. - 24 -

35. Un mot tout de même, avec votre permi ssion, Monsieur le président, sur la «vérité

divine» que constitue, aux yeux du professeur Kalala, l’arrêt de la Cour permanente dans l’affaire

Oscar Chinn . Je n’aurais garde, Messieurs de la Cour , de remettre en cause, ce «verset biblique,

61
auquel on ne peut ni ajouter ni retrancher» ⎯ il y a, assurément, verset plus satanique… Mais je

ne puis suivre notre contradicteur lorsqu’il préte nd que les conclusions de la Cour de1934 «sont

62
parfaitement transposables dans la présente affaire» .

36. Elles ne le sont nullement : mis à part le fait que la scène se situe au Congo et que, dans

les deux cas, un transporteur est concerné, les donn ées pertinentes des deux affaires sur le plan

juridique ne sont aucunement comparables : dans Oscar Chinn, la CPJI a constaté que les déboires

économiques de l’investisseur britannique étaient dus à la crise économique ⎯la «grande crise»

des années trente ; au surplus et surtout, la mesu re contestée par l’Etat demandeur était générale et

63
impersonnelle alors que, dans notre affaire, les faits in ternationalement illicites de la RDC ont été

très directement dirigés contre la personne même de M. Diallo et reposent sur des décisions prises

par les plus hautes instances du Gouvernement congolais.

F. La distinction entre les droits des sociétés et les droits de M. Diallo

(réponse à la question du juge Bennouna)

37. Monsieur le président, à la fin de la seconde audience de notre premier tour,

M. le juge Bennouna a posé la question suivante que je lis :

«La République de Guinée demande à la Cour de déclarer que M.Diallo a été
victime d’une expropriation du fait des déci sions de la République démocratique du
Congo. Comment, dès lors, la République de Guinée concilie-t-elle cette demande

avec le point c) du dispositif de l’arrêt de la Cour en date du 24mai2007 sur les
exceptions préliminaires par lequel la Cour « [d]éclare la requête de la République de
Guinée irrecevable en ce qu’elle a trait à la protection de M. Diallo pour les atteintes
64
alléguées aux droits des sociétés Africom-Zaïre et Africontainers-Zaïre».»

60
CR 2010/4, p. 20, par. 30.
61
Ibid.
62Ibid.

63Voir Oscar Chinn, arrêt, 1934, C.P.J.I. série A/B n 63, p. 65.

64Cf. CR 2010/2, p. 53. - 25 -

38. Cette question, Monsieur le président, me donne l’occasion de synthétiser ce que

DanielMüller et moi (par la voix de Jean-MarcT houvenin) avions dit, la semaine dernière et, du

même coup, de récapituler les éléments fondamentaux de notre argumentation.

65
39. Avant toute chose, je tiens à rassurer le professeur Kalala : nous avons évidemment lu

l’arrêt de la Cour de2007, no us croyons même l’avoir compris et en avoir tenu le plus grand

compte !

40. La Cour y a décidé d’une part que «l a requête de la République de Guinée [est]

irrecevable en ce qu’elle a trait à la protection de M. Diallo pour les atteintes alléguées aux droits

des sociétés Africom-Zaïre et Africontainers-Zaï re» et, d’autre part, qu’elle était en revanche

recevable «en ce qu’elle a trait à la protection des dr oits de M. Diallo en ta nt qu’individu» et «des

droits propres de M. Diallo en tant qu’associé des sociétés Africom-Zaïre et Africontainers-Zaïre»

(Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo), exceptions

préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2007, p. 617-618, par. 98, point 3) du dispositif).

41. Dès lors que la République de Guinée ne pouvait exercer sa protection diplomatique pour

les sociétés de M.Diallo «par substitution», il lui est évidemment impossible de réclamer

réparation des dommages qui ont été causés aux deux sociétés en tant que telles . Par ailleurs, un

certain nombre d’arguments nous sont interdits et no us avons, en effet, évité d’y recourir. C’est,

par exemple, ce qui explique que nous avons gardé le silence ⎯ un autre silence assourdissant ⎯,

sur les dénis de justice dont ont été victimes non pas «M. Diallo» directement (contrairement à la

présentation faite par le professeur Kalala 66) mais Africom-Zaïre et Africontainers. De même,

comme notre contradicteur l’a remarqué, nous nous sommes abstenus d’invoquer, à titre de

réclamations autonomes, les «manquements contract uels» résultant des violations attribuables à

l’Etat défendeur, de certains engagements envers non pas M.Diallo directement, mais l’une ou

l’autre de ses sociétés 67.

42. Mais, et c’est un mais important, le fait qu’il ne soit pas possible à la Guinée d’agir pour

la protection de ces sociétés ne saurait en aucune manière réduire à néant les droits propres de

65CR 2010/4, p. 17, par. 20 ; voir aussi DRDC, p. 1-2, par. 05.
66
CR 2010/3, p. 22, c) ; voir p. 22-23, par. 27-30.
67Ibid., p. 23-24, par. 31-33. - 26 -

M.Diallo, y compris bien sûr ceux qui sont liés à l’existence et au succès de ses sociétés et à sa

propriété des parts sociales. Ces droits intern ationalement protégés subsistent: le droit de

M.Diallo sur ses parts sociales dans les deux soci étés et celui de surveiller et de contrôler leur

gestion, qui lui appartient en tant qu’associé. Je ne reviens pas sur ce second aspect, les droits de

l’associé, qui a fait l’objet d’une plaidoirie appr ofondie de Sam Wordsworth la semaine dernière , 68

plaidoirie restée sans réponse à ce jour. En revanche, je me propose, si vous le voulez bien,

Monsieur le président, de revenir brièvement sur le droit de propriété sur ses parts sociales, dont

M. Diallo a été privé par les faits internationalement illic ites de la RDC. Et je souligne au passage

que ce droit de propriété des associés sur les pa rts sociales est expressément reconnu par le droit

congolais, aux termes de l’article52 du d écret du 27février1887 relatif aux sociétés

commerciales: «Les parts sociales sont indivisibles. S’il y a plusieurs propriétaires d’une part

sociale, la société a le droit de suspendre l’exerci ce des droits y afférants jusqu’à ce qu’une seule

personne ait été désignée comme étant, à son égard, propriétaire de la part sociale. » 69 Il nefait

aucun doute que le droit de propriété sur les parts sociales est reconnu à l’associé ou à

l’actionnaire, pas à la société elle-même.

43. Pour établir que ce droit de M.Diallo peut être protégé par l’Etat demandeur et que sa

violation entraîne la responsabilité du défendeur, il faut et il suffit de se référer au schéma général

de la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite et de se poser les deux questions

suivantes :

1) Un droit internationalement protégé a-t-il été violé ?

2) Cette violation est-elle attribuable à la RDC ?

44. Première question : un droit internationalement protégé a-t-il été violé ? Comme je viens

de le rappeler, indépendamment des droits des soci étés elles-mêmes, le droit de M.Diallo sur ses

parts sociales dans celles-ci a été violé et ce droit est, assurément, un droit internationalement

protégé : il s’agit là d’un droit de l’homme garanti pa r l’article 14 de la charte africaine des droits

68
CR 2010/2, p. 8-21.
69Voir aussi l’article 54. - 27 -

de l’homme et des peuples et par le droit intern ational coutumier comme l’a rappelé M. Müller la

70
semaine dernière .

45. Seconde question : cette violation du droit de propriété de M. Diallo est-elle attribuable à

l’Etat défendeur ? La réponse, ici encore, ne peut faire de doute : c’est la RDC qui, à partir de la

fin des années quatre-vingt s’est employée, par tous les moyens ⎯ y compris les plus illicites ⎯ à

empêcher M.Diallo de jouir de son droit de pr opriété sur ses parts sociales et de son droit de

contrôler et de superviser la gestion des deux sociétés en tant que seul associé de celles-ci :

⎯ ce sont bien les autorités de l’Etat défendeur qui, en 1988, jettent M.Diallo en prison et

l’y maintiennent durant un an pour l’empêcher de défendre les intérêts de ses sociétés ⎯ ce qui

a pour effet de ralentir considérablement leur s activités (n’oublions pas que M.Diallo est

l’«homme-orchestre» des deux entreprises : unique asso cié, unique gérant et seul dirigeant) et

de l’obliger à une certaine prudence dans son comportement ultérieur ;

⎯ une prudence qui n’a pas empêché ces mêmes auto rités de le priver à nouveau de liberté au

mépris des principes protégeant les droits fondamentaux de la personne humaine en 1995-1996

à la suite de ses succès judiciaires et à la demande de puissantes sociétés pétrolières

⎯ Shell Zaïre en tête ⎯ dont les sociétés de M. Diallo étaient créancières ;

⎯ et c’est le premier ministre du Zaïre lui-même qui signe le «décret d’expulsion» du

31octobre1995, qui va aboutir à son «ref oulement» le 31 janvier 1996, décision qui,

concrètement, le prive définitivement de toute possi bilité d’agir et entraîne la paralysie puis la

disparition de ses sociétés ⎯je rappelle à cet égard que l’arrêt de la cour d’appel de

Kinshasa/Gombe du 20juin2002, rendu par défaut, constate que la société Africontainers est

«[a]ctuellement sans adresse connue en République démocratique du Congo» 71.

46. Monsieur le président, il n’est guère douteux que cette chaîne de manquements, par l’Etat

défendeur, aux obligations lui incomban t, en vertu du droit international ⎯que l’on y voie une

conjonction de faits internationalement illicites ou un fait complexe ou continu, mais qui, en tout

cas, converge vers l’expulsion brutale de M.Diallo ⎯ que ces manquements donc, ont privé

celui-ci de son droit de propriété sur ses parts sociales dans les deux sociétés Africom-Zaïre et

70
Voir ibid., p. 22-23, par. 3-5 (Müller).
71EPDRC, annexe 64. - 28 -

Africontainers-Zaïre. Comme nous l’avons montré lundi dernier, que l’on considère que ces

sociétés existent encore (ce que nous ne croyons pas) ou qu’elles aient disparu en droit comme en

fait, le résultat est le même: M.Diallo a été exproprié des parts sociales qu’il détenait dans les

deux sociétés ; il n’en a plus ni l’ usus, ni le fructus, ni l’abusus et ceci est bien la conséquence des

72
comportements illicites du défendeur .

47. Monsieur le président, il se peut que cette argumentation puisse, à première vue, sembler

contourner le paragraphe 3 du dispositif de l’arrêt de 2007. Mais il n’en est rien : cette impression

tient à un élément de fait particulier à cette affair e, le fait que M.Diallo soit le seul associé des

deux sociétés, c’est-à-dire le seul propriétaire des parts sociales d’Africom et d’Africontainers. Par

voie de conséquence, bien que leurs personnalités juridiques soient formellement distinctes, il

résulte de la configuration très particulière des rapports entre M.Diallo et ses sociétés que, sur le

terrain factuel qui est le terrain de l’expropriation (l’e xpropriation est une fait) , le patrimoine des

deux sociétés se confond avec le sien. Dès lors, en expropriant ses sociétés, la RDC a porté atteinte

au droit de propriété de M. Diallo sur ses parts sociales.

48. Encore une fois, ceci est purement circons tanciel et résulte du caractère unipersonnel des

sociétés en question ⎯et je signale au passage que c’est dans des cas de ce genre que, par

exemple, la Cour européenne des droits de l’ homme a admis que le propriétaire exclusif d’une

société peut se prétendre «victime», au sens de l’ar ticle 34 de la convention de Rome de 1950, de

mesures dirigées contre son entreprise puisque, dans le cas d’une société unipersonnelle, il n’existe

aucun risque de divergence d’opinion parmi les ac tionnaires et entre les actionnaires et le conseil

d’administration quant à la réalité des atteintes aux droits protégés par la convention (convention

73
européenne des droits de l’homme) ou quant à la manière la plus adéquate d’y réagir .

49. Si d’autres personnes que M.Diallo avaient eu la qualité d’associé des sociétés en

question, il en irait différemment; supposons qu ’il n’y ait pas un mais quatre associés, chacun

⎯ dont M. Diallo ⎯ détenant un quart du capital, dans ce cas, celui-ci n’aurait droit à être

indemnisé que pour l’atteinte portée à son droit pers onnel de propriété, soit 25 % de la valeur de la

72CR 2010/2, p. 49-50, par. 37 (Pellet) ; voir aussi ibid., p. 29-32, par. 20-25 (Müller).

73Voir Ankarcrona c. Suède (déc.), n 35178/97, 27 juin 2000; Dyrwold c. Suède, n 12259/86, décision de la
Commission du 7 septembre 1990 ; et, plus récemment, Nosov c. Russie (déc.), n 30877/02, 20 octobre 2005. - 29 -

société et la distinction, juridiquement indiscutable, faite par la Cour entre les droits de la société et

les droits de M. Diallo, serait apparente et ses conséquences manifestes. Ici, ces conséquences de

la distinction sont occultées par une circonstance de fait ; mais celle-ci ne remet nullement en cause

la décision prise par la Cour da ns le paragraphe3 du dispositif de son arrêt de2007: c’est parce

que les faits internationalement illicites de l’Etat dé fendeur s’analysent en une atteinte au droit de

propriété de M.Diallo sur les parts sociales des deux sociétés ⎯dont il était (ou est) seul

propriétaire ⎯ que la responsabilité de la RDC est engag ée et que réparation est due par elle au

titre de la protection diplomatique de son droit de propriété.

50. En effet, dès lors qu’un fait internati onalement illicite a causé un dommage, celui-ci doit

être réparé intégralement. C’est l’une des conséquences ⎯la principale sans doute, de la

responsabilité internationale de l’Etat. Et, comme n ous l’avons montré lors du premier tour de ces

plaidoiries, en la présente espèce, la réparation du préjudice matériel subi par M. Diallo du fait des

agissements de la RDC ne peut que revêtir la forme d’une indemnité 74. Mais l’évaluation du

montant de celle-ci ne relève pas de la présente phase de la procédure. Elle devra être fixée par la

Cour ultérieurement, dans l’hypothèse où les Parties ne pourraient s’accorder sur son quantum dans

le cadre de négociations menées dans un délai raisonnable.

51. Monsieur le président, la RDC a, tout au long de la procédure, mis l’accent sur les

aspects financiers de la présente affaire que le professeur Kalala a présentée comme «une affaire de

75
gros sous», comme «un vulgaire piège tendu par M.Diallo» . Il est certainement vrai que des

intérêts économiques et financiers sont en jeu ⎯et il n’y a pas de honte à cela: on ne voit pas

pourquoi un petit pays pauvre, comme la Guinée ne pourrait défendre les intérêts matériels de ses

ressortissants; telle est sans aucun doute l’une des fonctions de l’institution de la protection

diplomatique. Mais, notre affaire ne saurait être réduite à cela et, à côté de ces droits de nature

économique, bafoués par la RDC, elle met auss i en cause les droits humains d’un ressortissant

guinéen qu’il est à l’honneur de l’Etat demandeur de défendre.

52. Monsieur le président, Messieurs les jug es, je vous remercie d’avoir écouté patiemment

cette plaidoirie un peu longue. Mais votre pa tience sera récompensée puisque, sans épuiser le

74
Voir CR 2010/2, p. 50-52, par. 42 (Pellet).
75CR 2010/4, p. 20-21, par. 32. - 30 -

temps de parole de la République de Guinée, son agent va dire quelques mots conclusifs avant de

donner lecture de ses conclusions finales, si vous vo ulez bien l’appeler à cette barre, Monsieur le

président.

Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de président: Je vous remercie, Monsieur le

professeur, et je donne la parole à l’agent de la République de Guinée. Vous avez la parole,

Monsieur.

M. CAMARA :

1. Monsieur le président, Messieurs les juges, il me revient, en ma qualité d’agent de la

République de Guinée, de conclure ces plaidoiries orales et, à cet effet, j’aurai, dans quelques

instants, l’honneur de donner lecture des conclusions de mon gouvernement.

2. Auparavant, je souhaite toutefois attirer vot re attention, Messieurs de la Cour, sur un

aspect assez particulier de notre affaire et qui c oncerne la preuve des faits de la cause. En

expulsant du jour au lendemain M. Diallo du pays où il avait vécu au cours des trente-deux années

précédentes, sans lui permettre de récupérer le mo indre bien, l’Etat défendeur a rendu la défense

des droits de ce dernier, alors dépossédé de tout , beaucoup plus complexe. Nous avons fait ce que

nous pouvions en présentant les preuves dont nous disposions, mais je ne peux pas dire que

l’attitude de nos frères congolais ait facilité la ma nifestation de la vérité: ils se sont montrés

incapables (ou peu désireux) de fournir à la Cour des documents dont on a du mal à imaginer qu’ils

n’auraient pu les produire s’ils avaient entrepris une recherche un tant soit peu méthodique.

3. Au lieu de vous soumettre les preuves qui au raient permis de compléter le dossier, ils en

sont restés à des accusations très générales comme s’ils adhéraient au principe, pourtant peu

recommandable, que l’on attribue, me dit-on, à Beaumarchais: «Calomniez, calomniez, il en

restera toujours quelque chose.» Mais nous so mmes convaincus, Messieurs les juges, que vous

saurez démêler le vrai du faux, ce qui est avéré de ce qui reste incertain et c’est avec beaucoup de

confiance que mon pays attend votre verdict dans cette affaire qui, comme le professeur Pellet vient

de le rappeler, ne met pas seulement en cause de s intérêts financiers, mais aussi des principes

⎯des principes qui doivent protéger autant les pe tits pays comme le mien et leurs ressortissants

que les grands pays plus riches et plus puissants. - 31 -

4. La présence dans cette salle aujourd’hui du co lonel Siba Lohalamou, ministre de la justice

et garde des sceaux de la République de Guinée, et d’une importante délégation venue de Conakry

témoignent de l’importance que nous accordons à cette affaire que nous avons voulue exemplaire.

5. Avant de conclure, je s ouhaiterais vous présenter, en m on nom personnel et au nom du

gouvernement que je représente, mes remerciements pour votre attention au cours de ces deux

journées d’audience, ainsi que pour votre patience tout au long de cette procédure. Mes sincères

remerciements vont également à M. le greffier, aux interprètes et à tout le personnel du Greffe qui,

par leur disponibilité et leur assistance, ont nota mment permis à ces audiences de se tenir malgré

les fureurs du volcan islandais. Je tiens aussi à re dire notre reconnaissance à l’équipe des conseils

de la Guinée, qui s’est dévouée au cours des ne uf dernières années, et a fait en sorte que

l’argumentation de mon pays repose sur une analyse solide des faits et du droit applicable.

6. En application des dispositions de l’article 60, alinéa 2, du Règlement de la Cour, je vais

maintenant donner lecture des conclusions finales de la République de Guinée :

1. Conformément aux motifs exposés dans son mémoire, sa réplique et lors des plaidoiries orales

qui s’achèvent, la République de Guinée prie la Cour internationale de Justice de bien vouloir

dire et juger :

a)qu’en procédant à des arrestations arbitraires et à l’expulsion de son ressortissant,

M.AhmadouSadioDiallo, en ne respectant p as, à cette occasion, son droit à bénéficier

des dispositions de la conventio n de Vienne de1963 sur les relations consulaires, en le

soumettant à un traitement humiliant et dégradant, en le privant de l’exercice de ses droits

de propriété, de contrôle et de direction des sociétés qu’il a fondées en RDC et dont il était

l’unique associé, en l’empêchant de poursuiv re à ce titre le recouvrement des nombreuses

créances dues auxdites sociétés, tant par la RDC elle-même que par d’autres

cocontractants, en procédant à l’expropriati on de fait des propriétés de M.Diallo, la

République démocratique du Congo a commis des faits internationalement illicites qui

engagent sa responsabilité envers la République de Guinée ;

b) que, de ce fait, la République démocratique du Congo, est tenue à la réparation intégrale

du préjudice subi par M.Diallo ou par la Ré publique de Guinée en la personne de son

ressortissant ; - 32 -

c) que cette réparation doit prendre la forme d’une indemnisation couvrant l’ensemble des

dommages causés par les faits internationaleme nt illicites de la République démocratique

du Congo, y compris le manque à gagner, et comprendre des intérêts.

2. La République de Guinée prie en outre la Cour de bien vouloir l’autoriser à présenter une

évaluation du montant de l’indemnité qui lui est due à ce titre par la République démocratique

du Congo dans une phase ultérieure de la pro cédure au cas où les deux Parties ne pourraient

s’accorder sur son montant dans un délai de six mois suivant le prononcé de l’arrêt.

Merci beaucoup, Monsieur le président.

Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de président : Je vous remercie beaucoup, Monsieur

l’agent. La Cour prend acte des conclusions fi nales dont vous venez de donner lecture au nom de

la République de Guinée. La République démo cratique du Congo présentera son second tour de

plaidoiries demain, le jeudi 29 avril, de 16 heures à 18 heures. L’audience est levée.

L’audience est levée à 17 h 15.

___________

Document Long Title

Audience publique tenue le mercredi 28 avril 2010, à 16 heures, au Palais de la Paix, sous la présidence de M. Tomka, vice-président, faisant fonction de président en l'affaire Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo)

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