CR 2005/20
Cour internationale International Court
de Justice of Justice
LAAYE THAEGUE
ANNÉE 2005
Audience publique
tenue le vendredi 8 juillet 2005, à 10 heures, au Palais de la Paix,
sous la présidence de M. Shi, président,
en l’affaire des Activités armées sur le territoire du Congo (nouvelle requête : 2002)
(République démocratique du Congo c. Rwanda)
________________
COMPTE RENDU
________________
YEAR 2005
Public sitting
held on Friday 8 July 2005, at 10 a.m., at the Peace Palace,
President Shi presiding,
in the case concerning Armed Activities on the Territory of the Congo
(New Application: 2002)
(Democratic Republic of the Congo v. Rwanda)
____________________
VERBATIM RECORD
____________________ - 2 -
Présents : M. Shi,président
Ricepra,ident
KorMoMa.
Vereshchetin
Higgimse
ParraAr.anguren
Kooijmans
Rezek
Al-Khasawneh
Buergenthal
Elaraby
Owada
Simma
Tomka
Ajbresam,
DugMard .
Mavungu Mvumbi-di-Ngoma, juges ad hoc
Cgoefferr,
⎯⎯⎯⎯⎯⎯ - 3 -
Present: Presienit
Vice-Presideetva
Judges Koroma
Vereshchetin
Higgins
Parra-Aranguren
Kooijmans
Rezek
Al-Khasawneh
Buergenthal
Elaraby
Owada
Simma
Tomka
Abraham
Judges ad hoc Dugard
Mavungu Mvumbi-di-Ngoma
Registrar Couvreur
⎯⎯⎯⎯⎯⎯ - 4 -
Le Gouvernement de la République démocratique du Congo est représenté par :
e
S. Exc. M Honorius Kisimba Ngoy Ndalewe, ministre de la justice et garde des sceaux de la
République démocratique du Congo,
comme chef de la délégation;
S. Exc. M. Jacques Masangu-a-Mwanza, ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la
République démocratique du Congo auprès du Royaume des Pays-Bas,
comme agent;
M. Ntumba Luaba Lumu, secrétaire général du gouvernement,
comme coagent et conseil;
M. Lwamba Katansi,
M. Mukadi Bonyi,
M. Akele Adau,
comme conseils et avocats;
e
M Crispin Mutumbe Mbuya, conseiller juridique du ministre de la justice et garde des sceaux,
M. Victor Musompo Kasongo, secrétaire particulier du ministre de la justice et garde des sceaux,
M. Nsingi-zi-Mayemba, premier conseiller d’amba ssade de la République démocratique du Congo
au Royaume des Pays-Bas,
Mme Marceline Masele, deuxième conseiller d’ ambassade de la République démocratique du
Congo au Royaume des Pays-Bas,
comme conseillers;
M. Richard Lukunda,
comme assistant des conseils et avocats.
Le Gouvernement de la République du Rwanda est représenté par :
M. Martin Ngoga, procureur général adjoint de la République du Rwanda,
comme agent;
S. Exc. M. Joseph Bonesha, ambassadeur de la République du Rwanda auprès du Royaume de
Belgique et ambassadeur désigné auprès du Royaume des Pays-Bas,
comme agent adjoint; - 5 -
The Government of the Democratic Republic of the Congo is represented by:
H. E. Maître Honorius Kisimba Ngoy Ndalewe, Minister of Justice and Keeper of the Seals of the
Democratic Republic of the Congo,
as Head of Delegation;
H. E. Mr.Jacques Masangu-a-Mwanza, Ambassador Extraordinary and Plenipotentiary of the
Democratic Republic of the Congo to the Kingdom of the Netherlands,
as Agent;
Professor Ntumba Luaba Lumu, Secretary-General to the Government,
as Co-Agent and Counsel;
Professor Lwamba Katansi,
Professor Mukadi Bonyi,
Professor Akele Adau,
as Counsel and Advocates;
Maître Crispin Mutumbe Mbuya, Legal Adviser to the Minister of Justice and Keeper of the Seals,
Mr. Victor Musompo Kasongo, Private Secretary to the Minister of Justice and Keeper of the Seals,
Mr.Nsingi-zi-Mayemba, First Counsellor, Embass y of the Democratic Republic of the Congo in
the Kingdom of the Netherlands,
MsMarceline Masele, Second Counsellor, Embassy of the Democratic Republic of the Congo in
the Kingdom of the Netherlands,
as Advisers;
Mr. Richard Lukunda,
as Assistant to Counsel and Advocates.
The Government of the Republic of Rwanda is represented by:
Mr. Martin Ngoga, Deputy Prosecutor General of the Republic of Rwanda,
as Agent;
H.E. Mr. Joseph Bonesha, Ambassador of the Republic of Rwanda to the Kingdom of Belgium and
Ambassador Designate to the Kingdom of the Netherlands,
as Deputy Agent; - 6 -
M. Greenwood, C.M.G., Q.C., professeur de droit international à la London School of Economics
and Political Science, membre du barreau d’Angleterre,
Mme Jessica Wells, membre du barreau d’Angleterre,
comme conseils;
Mme Susan Greenwood,
comme secrétaire. - 7 -
Mr. Christopher Greenwood, Q.C., Professor of International Law at the London School of
Economics and Political Science, member of the English Bar,
Ms Jessica Wells, member of the English Bar,
Coausnsel;
Ms Susan Greenwood,
as Secretary. - 8 -
The PRESIDENT : Please be seated. The sitting is open. The Court meets today to hear the
second round of oral argument of the Congo on the questions of jurisdiction and admissibility.
Before I give the floor to the Congo, I would like to say how saddened the Court was to hear
the distressing news that a series of explosions o ccurred yesterday in London. On behalf of the
Court, I would like to express my deepest sympathy and condolences to the victims and their
families, as well as to the people and Government of the United Kingdom.
I shall now give the floor to Professor Ntumba.
NMT. M: BA Monsieur le président, honorables Membres de la Cour, permettez-moi
également avant d’entamer mon intervention d’exprimer toute ma compassion au peuple
britannique qui a été victime de ces actes inqualifiables et inacceptables.
1. Monsieur le président, dans le souci d’une bonne gestion du temps, tout en reconfirmant
l’ensemble des arguments déjà présentés et dével oppés par la République démocratique du Congo,
tant dans la requête introductive d’instance que dans le contre-mémoire et lors du premier tour des
plaidoiries, je vais me limiter à apporter quelques précisions sur les points ci-après :
la levée et la caducité des réserves du Rwanda;
⎯ le caractère contraire de quelques réserves rwandaises au jus cogens garanti par la convention
de Vienne sur le droit des traités de 1969;
⎯ l’évidence des tentatives de négociation ma lheureusement infructueuses et du manque de
bonne foi manifeste du Rwanda;
⎯ l’absence d’une obligation de négociation dans le cas de quelques traités, notamment la
constitution de l’Organisation mondiale de la santé.
I. La levée et la caducité des réserves du Rwanda
2. Monsieur le président , le droit positif rwandais est clair sur la question des réserves. Nul
ne peut douter du sérieux des auteurs de l’« Introduction au droit rwandais» (éd. YvonBlais Inc.,
Québec, Canada, 1999), Martin Imbleau, professeur et avocat, et William Schabas, professeur. Ils
ont l’avantage d’avoir enseigné le droit à l’Univer sité de Butare au Rwanda et d’y avoir séjourné
pendant plusieurs années. Le sérieux du livre est tel que même la bibliothèque de la Cour - 9 -
internationale de Justice a jugé important de l’ acquérir et il est parmi les quelques ouvrages sur le
droit rwandais qui figurent à la bibliothèque de la Cour.
3. Par ailleurs, lorsqu’on parle de la version a nglaise, il ne s’agit pas de l’ouvrage rédigé par
d’autres personnes que Imbleau et Schabas se seraient contentés de traduire.
4. Après avoir publié la version en anglais intitulée «Introduction to Rwandan Law», devant
l’intérêt manifesté par plusieurs personnes du fait du peu d’écrits en la matière, ils ont ressenti le
besoin d’en publier une traduction française.
5. Les indications qu’ils donnent sur les réserves rwandaises sont très claires et n’ont pas
besoin d’une interprétation :
«Lors de sa ratification en 1975, le Rwanda a formulé une réserve à l’article IX
de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, où la
compétence obligatoire de la Cour interna tionale de Justice sur les conflits tombant
dans le champ d’application de la convention est reconnue. Le Rwanda s’est toutefois
engagé à lever toutes ses réserves en matière de protection des droits de la personne
(art.15, Arusha VII) et a adopté une loi en ce sens en 1995 (décret-loi014/01 du
15 février 1995, op. cit., p. 231)».
Et ils poursuivent que le Rwanda n’a pas fait une déclaration de reconnaissance de la compétence
de la Cour
«et ne peut, par conséquent, être assujetti à la compétence de la Cour que s’il y
consent expressément. Certains traités internationaux octroient également un rôle à la
Cour internationale de Justice. C’est le cas de la convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide, mais le Rwanda a émis une réserve sur la
compétence de la Cour pour ne pas être soumis à sa juridiction. Cette réserve est
maintenant retirée.» (Op. cit., p. 245.)
C’est là leur conclusion et ce qui est enseigné en ce moment aux étudiants en droit à l’Université de
Butare au Rwanda.
Jusqu’à ce jour, il n’y a pas d’autres écrits contestant ce constat et cette affirmation.
6. Je crois que le professeur et éminent co llègue Christopher Greenwood non seulement a pu
consulter la version anglaise qui a servi de base mais également la version française qui est très
claire. Et nul ici ne peut douter de ses talents dans le parlé du français parce qu’il l’a à maintes
reprises étalé devant la Cour. Monsieur le pr ésident, que dire de plus, le professeur Greenwood
nous apprend qu’il ne s’agit pas du droit positif. Il va jusqu’à entremêler l’accord de paix d’Arusha
du 4 août 1993 et le décret-loi 014/01 du 15 févrie r 1995 pour faire croire à la Cour que, pour l’un,
il s’agit d’un accord politique interne entre groupes belligérants et, pour l’autre, qu’il n’a pas été - 10 -
approuvé par l’assemblée nationale de transition lors de sa première session, sans préciser si ledit
décret-loi a disparu par abrogation ou par caducité.
7. En réalité, le décret-loi a été approuvé pa r la loi fondamentale de la République rwandaise
adoptée par l’assemblée nationale de transition à Kigali le 26 mai 1995, donc instituée et siégeant
bien après le génocide de 1994.
8. L’article premier de la loi fondamentale rwandaise précise bien que «La loi fondamentale
de la République rwandaise est constituée indisso lublement par la Constitution du 10 juin 1991,
l’accord de paix d’Arusha, la déclaration du Front patriotique rwandais du 17 juillet 1994 relative à
la mise en place des institutions…»
9. L’accord d’Arusha fait ainsi partie du bloc de constitutionnalité en droit rwandais. Au
reste, la déclaration du Front patriotique rwandais du 17 juillet 1994 relative à la mise en place des
institutions y fait allusion en ces termes: «Le FPR reconnaît la Constitution du 10juin1991 et
l’accord de paix comme constituant indissolublement la loi fondamentale qui régit le pays…» Et je
crois que c’est clair, il ne s’ag it pas d’un simple accord politique interne entre groupes belligérants
mais bel et bien d’un texte qui fait partie du droit positif rwandais.
10. L’accord de paix d’Arusha, partie constitutiv e de la loi fondamentale rwandaise, dans le
protocole sur les questions diverses et dispositions finales, plus précisément à l’article 15 intitulé
«De la ratification des textes internationaux rela tifs aux droits de l’homme», fait obligation au
gouvernement de transition à base élargie de
«ratifier tous les traités, conventions, acco rds et pactes internationaux en rapport avec
les droits de l’homme et que le Rwanda n’a pas encore ratifiés ainsi que de lever
toutes les réserves que le Rwanda a émises au moment de son adhésion aux uns de ces
instruments internationaux».
Ainsi se justifient la prise et la promulgation du décret-loi 014/01 du 15 février 1995.
11. Monsieur le président, si l’on invoque le refus d’appr obation par l’assemblée nationale
de transition dudit décre-loi, la preuve ne peut êt re apportée sur base d’une simple causerie la nuit
avec la ministre rwandaise de la justice, Mme Mukabawiza, causerie à laquelle personne d’entre
nous n’a assisté.
Par conséquent, la République démocratique du Congo demande à la Cour de considérer que
la réserve du Rwanda concernant la clause de juri diction contenue à l’artic le IX de la convention - 11 -
pour la prévention et la répression du crime de génoc ide est désormais levée et d’en tirer toutes les
conséquences en ce qui concerne sa compétence. Les autres réserves du même genre sont à
considérer comme frappées de caducité ou de désuétude du fait de l’engagement consacré par la loi
fondamentale rwandaise «de lever toutes les réserve s que le Rwanda a émises au moment de son
adhésion aux uns de ces instruments internationaux». Il en est ainsi notamment des réserves ou de
la réserve faites dans le cadre de la convention sur l’élimination de toutes les formes de
discrimination raciale.
12. Monsieur le président, c’est dans la même logique que la République du Rwanda vient
chercher auprès de la Cour de Justice un certificat d’impunité universelle et la garantie d’une
immunité totale, raison pour laquelle nous de mandons à votre auguste Cour d’assurer la
préservation du jus cogens.
II. Le caractère contraire de quelques réserves rwandaises au jus cogens
garanti par la convention de Vienne
S’agissant de l’invocation de la convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités,
je ne reviendrai pas sur le développement antérieur que je reconfirme, Monsieur le président,
honorables Membres de la Cour, ainsi que vous aurez eu à le constater, l’ argument invoqué par le
Congo garde toute sa pertinence.
Lors du deuxième tour de plaidoiries de mercredi dernier 6 juillet 2005, sans réfuter quant au
fond la démarche avancée par le Congo, le Rwanda a néanmoins soulevé sans pertinence et pour la
première fois le problème de la non rétroactivité de son engagement à la convention de Vienne par
rapport à l’application de la convention contre le génocide. Pour ce faire, le Rwanda évoque
l’article4 de la convention de Vienne de 1969 et cherche à amener la Cour à opter pour le
paradigme erroné ci-après :
«La convention de Vienne sur le droit des traités est entrée en vigueur à l’égard
du Rwanda en 1980. Or la convention de 1948 contre le génoc ide lie le Rwanda
depuis1975. Donc la convention de Vie nne 1969 ne rétroagit pas, sur base de son
article 4, à l’égard de la convention contre le génocide et ne s’y applique pas.»
Monsieur le président, ce raisonnement ignore une évolution majeure dans la compréhension
et dans l’application du droit international. Le Congo tient à confirmer que la réserve du Rwanda,
évoquée dans le cas de la convention contre le génocide, est à considérer comme nulle lorsqu’on - 12 -
l’examine en rapport avec la convention sur le droit des traités. Car, la suprématie et l’impérativité
des normes évoquées dans cette convention (art.53 et 64) lient les Etats en dehors de toute
considération temporelle et de t out lien conventionnel. La règle pe ut donc rétroagir dans l’intérêt
suprême de l’humanité.
La Cour, dans son arrêt du 27 juin 1986, n’a-t-elle pas considérée que
«les Etats-Unis ont l’obligation, selon l es termes de l’article premier des quatre
conventions de Genève de «respecter» et même de «faire respecter» ces conventions
«en toutes circonstances», car une telle obligation ne découle pas seulement des
conventions elles-mêmes, mais des princi pes généraux du droit humanitaire dont les
conventions ne sont que l’expression concrète» ? ( Activités militaires et
paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique),
C.I.J. Recueil 1986, p. 114, par. 220.)
Il en est de même en prolongeant le raisonneme nt de la Cour pour les autres instruments
protecteurs des droits de l’homme et du droit international humanitaire.
De même dans son avis consultatif sur les Réserves à la convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide, la Cour a fait observer que :
«L’objet et le but de la convention sur le génocide impliquent chez l’Assemblée
générale et chez les Etats qui l’ont adoptée l’intention d’y voir participer le plus grand
nombre possible d’Etats. L’exclusion complète de la convention d’un ou de plusieurs
Etats, outre qu’elle restreindrait le cercle de son application, serait une atteinte à
l’autorité des principes de morale et d’humanité qui sont à sa base.» ( Réserves à la
convention pour la prévention et la répressi on du crime de génocide, avis consultatif ,
C.I.J. Recueil 1951, p. 24.)
Et ce sont ces principes de morale et d’humanité que nous demandons à la Cour de préserver en se
déclarant compétente.
Le Rwanda ne peut donc prétexter, sur base de l’article 4 de la convention de 1969 que les
principes évoqués dans celle-ci ne s’appliquent pas à la conven tion contre le génocide. Ces
principes, en effet, ne peuvent connaître une application variable ni dans le temps ni dans l’espace.
Les normes impératives (jus cogens) ne peuvent souffrir d’aucune réserve.
Monsieur le président, le C ongo confirme donc que la réserve du Rwanda à l’article 9 de la
convention contre le génocide est nulle et de nul effet dans l’esprit de l’article 53 de la convention
de Vienne de1969 car elle empêche la Cour de réaliser son noble devoir de protéger les normes
impératives et intransgressibles, en l’occurrence l’interdiction du génocide, la traite des êtres
humains, la discrimination raciale. - 13 -
Ainsi doit également être considérée comme contraire au jus cogens et de nul effet la réserve
faite à l’article 22 de la convention sur l’élimina tion de toutes les formes de discrimination raciale
du 21 décembre 1965.
III. L’évidence des négociations et du manque de bonne foi manifeste du Rwanda
13. Monsieur le président, le Rwanda, par la voix de son conseil et avocat, le professeur
Christopher Greenwood, ne conteste plus la matérial ité des négociations ou plutôt des tentatives de
négociations parce qu’il a dit que finalement, en la matière, le contenu importe plus que la forme, la
substance pèse beaucoup plus que la forme. Donc, nous sommes d’accord sur ces tentatives de
négociations. Mais malheureusement, le Rwanda n’a jamais voulu aller jusqu’au bout de la logique
de ce moyen de règlement pacifique des différends. Il s’attache plutôt à la forme en soulevant
certaines exceptions préliminaires pour nous empêcher d’aller au fond. Il n’a jamais voulu aborder
avec la République démocratique du Congo toutes les questions relatives aux violations des
instruments internationaux protecteurs des droits de l’homme et du droit international humanitaire,
usant de manŒuvres dilatoires, refusant de répondre à certaines invitations tout simplement parce
qu’il s’adonnait, à ce moment-là, soit à des attaques sur le territoire congolais ou à leurs préparatifs,
soit au pillage des ressources du Congo.
14. Dans son document du 18 octobre 2000 intitulé «Réponses et objections préliminaires de
la République rwandaise», déposé le 24octobre 2000, à la Commission africaine des droits de
l’homme et des peuples par le ministère de la jus tice et des relations institutionnelles, en réponse à
o
la communication-plainte n 227/99 introduite par la Républiq ue démocratique du Congo, le
Rwanda affirme clairement ceci :
«Nous voudrions ici saisir cette occasion pour rappeler la raison fondamentale
de la présence des forces rwandaises en République démocratique du Congo. Depuis
la fin du génocide au Rwanda en1994, la sécurité de notre territoire n’était pas
assurée. La communauté internationale n’a pas pu prévoir ce génocide qui a décimé
plus d’un million de personnes innocent es… Depuis l’engagement militaire du
Rwanda au Congo, la situation sécuritaire en général est maintenant maîtrisée et la
paix règne même dans la région nord- ouest, frontalière avec la République
démocratique du Congo.» (Par. 17 et 18.)
Mais de quelle paix s’agit-il ? Une paix de cimetière. La présence des troupes rwandaises sur le
territoire congolais n’était pas une simple promen ade ou balade de santé. Elle a décimé, cette - 14 -
présence, des millions et des millions de vies humaines. Elle a violenté et violé des femmes, elle a
fait engager des enfants-soldats en masse.
15. Monsieur le président, par cette déclaration, il est évident que le Rwanda préfère le droit
de la force à la force du droit. Il appartient à la Cour de redonner, à l’issue de la présente audience,
sa place au droit et au règlement pacifique dans les relations entre Etats, notamment entre le
Rwanda et la République démocratique du Congo.
16. Dans le même document déposé à la Co mmission africaine des droits de l’homme
(par. 14), le Rwanda reconnaît que
«les faits relatés…(faits constitutifs de violations de nombreux instruments
internationaux relatifs aux droits de l’homme et ou droit international humanitaire) ont
été à maintes reprises portés par la République démocratique du Congo devant les
organes internationaux, y compris :
⎯ les réunions de l’Assemblée générale des Nations Unies;
⎯ les réunions du Conseil de sécurité;
⎯ les sessions de la Commission des droits de l’homme des Nations Unies».
De même, dans le même document, le Rwanda indique que «La communication227/99 doit être
déclarée irrecevable sur la base du fait que les allégations en question ont fait l’
objet d’intenses
discussions et négociations devant les organes comp étents de l’Organisation des NationsUnies et
de l’Organisation de l’unité africaine.» Voilà comment le Rwanda reconnaît qu’il y a eu beaucoup
de discussions et de négociations, mais qui ont débouché sur quoi ?
dE1a7n.t «y compris» , le Rwanda lui-même souligne que l’énumération n’est pas
exhaustive. Et depuis lors, la République démocratique du Congo n’a cessé dans diverses enceintes
internationales d’inviter le Rwanda à mettre fin à son comportement belliciste et violateur des
droits de l’homme. C’est ainsi que le Con seil de sécurité lors de sa séance du 20mars2003
e
(4723 séance), dans sa résolution 1468 (2003), non se ulement «exige que tous les gouvernements
de la région des Grands Lacs mettent fin immédiat ement à leur soutien militaire et financier à
toutes les parties engagées dans des conflits armés dans la région de l’Ituri» (tous les Etats, y
compris évidemment le Rwanda), mais aussi le Conseil de sécurité
«se déclare profondément préoccupé par les tensions croissantes entre le Rwanda et
l’Ouganda et entre leurs alliés sur le terr itoire de la République démocratique du
Congo, et souligne que les gouvernements de ces deux pays doivent…régler leurs - 15 -
différends par des moyens pacifiques et san s ingérence dans les affaires congolaises,
et s’abstenir de toute action qui pourrait nuire au processus de paix».
18. Il n’est donc pas fondé de prétendre que l’accord de Pretoria conclu entre le Rwanda et la
République démocratique du Congo, le 30 juillet 2002, a pu instaurer un climat de paix.
Devrais-je ajouter d’autres résolutions du Conseil de sécurité telle que la résolution1484
(2003) du 30mai2003 qui «exige que toutes les pa rties congolaises (qui sont les groupes armés,
évidemment) et tous les Etats de la région des Grands Lacs respectent les droits de l’homme».
19. C’est ainsi que la Commission des droits de l’homme de l’ONU dans sa
e
résolution 2002/14 du 19 avril 2002 (47 séance)
«se déclare préoccupée par :
b) la situation des droits de l’homme en République démocratique du Congo, surtout
dans les zones tenues par des rebelles armés et sous occupation étrangère, ainsi que
les violations persistantes des droits de l’homme et du droit international
humanitaire, et notamment les atrocités commises contre les populations civiles, le
plus souvent en toute impunité; tout en soulignant à cet égard que les forces
d’occupation devraient être tenues pour res ponsables des violations des droits de
l’homme qui se produisent dans les territoires qu’elles contrôlent».
Donc le Rwanda est responsable des violations d es droits de l’homme qui se sont produites sur la
partie de la RDC et une bonne partie qu’il a pu co ntrôler et sur laquelle, dirais-je, il continue à
exercer une influence qui n’est pas toujours positive.
20. Aussi, au troisième point de la même résolution, la Commission des droits de l’homme
«demande instamment à toutes les parties au conflit en République démocratique du
Congo
a) de permettre le rétablissement sans déla i de la souveraineté et de l’intégrité
territoriale de la République démocratique du Congo;
b) de protéger les droits de l’homme et de respecter le droit international humanitaire,
en particulier les dispositions qui leur sont applicables des conventions de Genève
du 12août1949 pour la protection des victimes de la guerre et des protocoles
additionnels de1977 s’y rapportant, de la convention de LaHaye concernant les
lois et coutumes de la guerre sur terre, du 18octobre 1907, de la convention pour
la prévention et la répression du crime de génocide, et des autres dispositions
pertinentes du droit international humanita ire et du droit relatif aux droits de
l’homme et aux réfugiés, particulièrement en ce qui concerne le respect des droits
des femmes et des enfants, et d’assurer la sécurité de tous les civils, y compris les
réfugiés et les personnes déplacées sur le territoire du pays, quelle que soit leur
origine».
Le Rwanda lui-même, dans une déclaration, a reconnu que nous avons eu d’intenses discussions et
négociations, y compris dans cette enceinte de l’ONU, à la Commission des droits de l’homme de - 16 -
l’ONU. Donc, il ne peut pas ici prétendre qu’il n’y a jamais eu de précisions sur les instruments
violés.
21. Monsieur le président, nom breuses sont les résolutions de la Commission des droits de
l’homme des NationsUnies sur les violations des droits de l’homme et du droit international
humanitaire. Je me limite à ce seul exemple. Cependant, permettez-moi de revenir sur la
déclaration de la ministre rwandaise de la justice à la soixante et unième session de la Commission
des droits de l’homme des Nations Unies et sur sa portée véritable.
22. Cette déclaration faite à Genève le 17 mai 2005 est venue matérialiser sur le plan
international l’option judicieuse arrêtée par le G ouvernement rwandais de lever toutes les réserves
aux traités relatifs aux droits de l’homme, dont celui du 9 décembre 1948 sur le génocide. Cette
déclaration n’a fait que traduire la volonté réelle de l’Etat rwandais de retirer de son arsenal
juridique les freins à la mise en Œuvre adéquate des normes impératives.
23. L’objection selon laquelle seuls le président de la République ou le ministre des affaires
étrangères ont compétence pour engager l’Etat su r le plan international, et selon laquelle un
ministre de la justice ne saurait faire lier son pays, ne tient pas.
24. En effet, dans l’affaire du Statut juridique du Groënland oriental du 5avril1933,
Norvège contre Danemark, la Cour permanente de Justice internationale a jugé qu’une déclaration
verbale faite par le ministre des affaires étrangères norvégien Ihlen à l’ambassadeur danois en 1919
avait pu lier son pays, la Norvège ( Statut juridique du Groënland oriental, arrêt, 1933 ,
C.P.J.I. série A/B n o53, p. 69).
25. Nguyen Quoc Dinh, Patrick Daillier et Alain Pellet confirment que: «Bien que
l’article38 du Statut de la Cour n’en fasse pas mention, l’existence d’actes par lesquels un Etat,
agissant seul, exprime sa volonté, et qui prod uisent des effets en droit international est
indiscutable.»
ajolstent ⎯ce qui est également pertinent et intéressant à propos de l’accord de paix
d’Arusha, de la loi fondamentale rwandaise et du décret-loi 014/01 du 15 février 1995 concernant
la levée de la réserve rwandaise ⎯ que «les juridictions internationales … ont admis que les actes
unilatéraux étatiques pouvaient émaner de l’autorité législative ou de l’exécu tif, être adressés aux - 17 -
Etats mais aussi à l’opinion publique nationale, prendre une forme plus ou moins solennelle»
(Nguyen Quoc Dinh et al., Droit international public, Paris, L.G.D.J., 2002, p. 360).
26. Monsieur le président , la Cour dans sa propre jurisprudence, a tenu compte des
comportements aussi divers qu’une note de l’ambassade de France en Nouvelle-Zélande, un
communiqué du président de la République fran çaise, un discours du ministre des affaires
étrangères devant l’Assemblée générale des Nations Unies, une conférence de presse du chef de
l’Etat et du ministre de la défense ( Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande c. France), arrêt,
C.I.J. Recueil 1974, p. 268 et suiv.).
27. En conséquence, il est clair que la déclar ation faite par la ministre rwandaise de la
justice, au sein de l’un des forums les plus repr ésentatifs de la communauté internationale, à savoir
la Commission des droits de l’homme des Nations Unies, concernant le retrait des réserves engage
bel et bien l’Etat rwandais.
28. Pour clore avec ce point, je voudrais dire un mot sur la mauvaise foi manifeste du
Rwanda et rappeler au professeur Greenwood que loin d’être une injure, la mauvaise foi constitue
plutôt un concept juridique enseigné dans toutes les écoles de droit. C’est tout justement le
contraire de la bonne foi (bona fide), principe coutumier rappelé par la convention de Vienne
de1969 sur le droit des traités (art.26 et 31, par.1), principe consacré également par la
jurisprudence de la Cour ( Essais nucléaires, arrêt du 20 décembre 1974, C.I.J. Recueil 1974,
p. 278, par. 46; Actions armées frontalières et transfrontalières (Nicaragua c.Honduras),
compétence et recevabilité , arrêt du 20décembre1988, C.I.J. Recueil 1988, p.105, par.94),
principe également rappelé dans la déclara tion 2625 (XXV) du 24 octobre 1970 de l’Assemblée
générale des Nations Unies relative aux princip es du droit international touchant les relations
amicales et la coopération entre Etats, conformément à la Charte des Nations Unies qui précise:
«Chaque Etat a le devoir de s’acquitter plei nement et de bonne foi de ses obligations
internationales et de vivre en paix avec les autres Etats.»
29. Comme le soulignent Jean Salmon et d’autr es auteurs, la bonne foi est souvent liée à une
obligation de négociations. La Cour elle-même dans l’affaire de la Délimitation de la frontière
maritime dans la région du golfe du Maine parle d’une «négociation menée de bonne foi et dans
l’intention réelle d’aboutir à un résultat positif» (ordonnance du 30 mars 1984, C.I.J. Recueil 1984, - 18 -
p.299). Tel n’a jamais été le cas du Rwanda da ns tous les contacts et dans toutes les enceintes
internationales. Devant l’impossibilité d’entamer ou d’avancer plus loin dans les négociations avec
le Rwanda, comment s’imaginer un seul instan t la possibilité de passer de négociations à
l’arbitrage, que ce soit dans le cadre de l’OACI ou dans celui de la convention sur l’élimination de
toutes les formes de discrimination à l’égard d es femmes. Mais si le mot a pu choquer notre
distingué collègue, au lieu de parl er de mauvaise foi, je parlerai alors d’une absence manifeste de
bonne foi.
30. Monsieur le président, la preuve en est qu’à la Commission africaine des droits de
l’homme et des peuples comme aujourd’hui à la Cour, le Rwanda a toujours plaidé l’irrecevabilité
et n’a jamais voulu entamer de négociations réelles et positives avec la République démocratique
du Congo.
31. Monsieur le président, permettez-moi d’ aborder le dernier point qui concerne la
non-exigence d’une obligation de négocier dans le cas de la constitution de l’Organisation
mondiale de la santé (OMS) et je dirai égalemen t un mot sur la convention sur l’élimination de
toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes.
IV. La non exigence d’une obligation de négocier dans le cas de la convention sur
l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes
et de la constitution de l’OMS
32. Monsieur le président, Madame et Messieu rs de la Cour, s’agissant de la clause de
juridiction contenue à l’article29, paragraphe 1, de la conventio n sur l’élimination de toutes les
formes de discrimination à l’égard des femmes, son libellé est clair évidemment :
«Tout différend entre deux ou plusieurs Et ats parties concernant l’interprétation
ou l’application de la présente convention qui n’est pas réglé par voie de négociation
est soumis à l’arbitrage à la demande de l’ un d’entre eux. Si dans les six mois qui
suivent la date de la demande d’arbitrage les parties ne parviennent pas à se mettre
d’accord sur l’organisation de l’arbitrage, l’une quelconque d’entre elles peut
soumettre le différend à la Cour internati onale de Justice en déposant une requête
conformément au Statut de la Cour.»
J’ai démontré tout à l’heure comment le Rwanda a rendu difficile toute possibilité de négociations
qui auraient pu par la suite déboucher sur un arbitrage.
33. Et nous pensons que c’est à juste titre que Mme la juge Rosalyn Higgins considère qu’il
est établi en droit international des droits de l’homme qu’il n’est pas nécessaire, pour - 19 -
l’établissement de la juridiction de la Cour, d’id entifier lesquelles des dispositions spécifiques du
traité, conduisant à trouver une base de la compét ence, ont été violées et les faits avancés pour
établir sa compétence constituent des violations des différentes dispositions des traités,
particulièrement de la convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard
des femmes, instrument invoqué par le Congo pour établir la juridiction de la Cour (voir la
déclaration faite en annexe de l’ordonnance du 10 juillet 2002).
34. Madame et Messieurs les Membres de la Cour, concernant la constitution de l’OMS ⎯ et
je terminerai par çà ⎯, la situation est aussi d’une grande limpidité même si le professeur
Greenwood a tendance à passer trop vite là-dessus.
A titre de rappel, l’article 75 de ladite constitution est ainsi libellé :
«Toute question ou différend concernant l’interprétation ou l’application de
cette constitution qui n’aura pas été réglé par voie de négociation ou par l’Assemblée
de la santé sera déféré pas les parties à la Cour internationale de Justice conformément
au Statut de ladite Cour à moins que les parties intéressées ne conviennent d’un autre
mode de règlement.»
Il est évidemment impossible de convenir avec le Rwanda d’un autre mode de règlement.
35. Il n’est pas exigé par cet article que la question ou le différend soit préalablement réglé
par voie de négociation et par l’Assemblée de la santé. Il ne s’agit pas d’une condition cumulative.
Par l’usage du «ou», ce libellé indique clairement que les parties ont le choix entre la négociation
directe et le passage par l’Assemblée de l’Organisation mondiale de la santé. Or le Congo a déjà
démontré l’impossibilité de faire aboutir les né gociations avec le Rwa nda, voire même de les
entamer. Monsieur le président, le Congo a préféré l’option de s’adresser directement à la Cour.
36. Monsieur le président, il a été soutenu qu e les obligations contenues dans la constitution
de l’OMS ne concernent que l’ OMS elle-même. La République démocratique du Congo n’est pas
du tout convaincue, loin de là.
En effet, comme il est stipulé à l’article premier de ladite constitution : «Le but de l’OMS est
d’amener tous les peuples au niveau de santé le plus élevé possible», cela signifie que tous ses Etats
membres doivent pouvoir y concourir.
37. S’il est dit à l’article 2 de la constituti on de l’Organisation mondiale de la santé que
l’Organisation, pour atteindre son but, exerce les fonctions suivantes, et pour n’en citer que
quelques-unes : - 20 -
«g)stimuler et faire progresser l’action tendant à la suppression des maladies
épidémiques, endémiques et autres;
………………………………………………
…………………………………………...
l) faire progresser l’action en faveur de la santé et du bien-être de la mère et de
l’enfant… ;
m)favoriser toutes activités dans les domaines de l’hygiène mentale, notamment
celles se rapportant à l’établissement des relations harmonieuses entre les
hommes»;
il est difficile alors d’admettre que les Etats membres, dont le Rwanda, n’aient pas l’obligation de
concourir au bon accomplissement de ces fonctions par l’Organisation mondiale de la santé. En
tout état de cause, de s’abstenir de toute action ou mesure susceptible de nuire à la réalisation du
but et des fonctions assumés par l’Organisation mondiale de la santé.
38. Il s’agit là d’un principe général qui trouve même sa base dans le droit coutumier
international et qui est confirmé par d’autres act es constitutifs d’organisations internationales. Je
voudrais notamment citer l’article 2, paragraphe 2, de la Charte des Nations Unies qui dispose
que:«Les membres de l’Organisation doivent re mplir de bonne foi les obligations qu’ils ont
assumées aux termes de la présente Charte.» De mê me, la convention de Vi enne de 1969 sur le
droit des traités dispose que:«Tout traité en vigueur lie les parties etdoit être exécuté de bonne
foi.» (Art. 26.)
En utilisant le viol des femmes et même des hommes, l’expansion du Sida comme arme de
guerre, en s’adonnant à des tueries et des massacres à grande échelle sur le territoire congolais, le
Rwanda a-t-il exécuté de bonne foi l’acte constitutif de l’OMS qui vise à promouvoir le niveau de
santé le plus élevé possible au bénéfice de tous les peup
les du monde? N’a-t-il pas nui à
l’accomplissement de son but et de ses fonctions pa r l’Organisation mondiale de la santé ? Et ici
on veut nous faire croire que les obligations qui sont dans la constitution de l’OMS ne concernent
que l’OMS elle-même.
39. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, permettez-moi de terminer en
paraphrasant JeanRacine, auteur français bien connu dans Andromaque (Acte III), car la
souffrance humaine n’a ni frontière, ni couleur, ni ethnie, ni race. Elle est douloureuse et
insupportable partout où elle frappe. Alors perme ttez-moi de dire avec Andromaque pour les plus
de troismillions de morts congolais:«Dois-je oub lier (mon peuple), privé de funérailles et traîné - 21 -
sans honneur autour de nos murailles?...Songe a ux cris des vainqueurs, songe aux cris des
mourants.»
40. La République démocratique du Congo en sai sissant la Cour internationale de Justice
veut que s’arrêtent tous ces cris en Afrique pa rticulièrement en Afrique centrale et sur son
territoire : la clameur des occupants et l’agonie programmée des occupés.
41. En reconnaissant sa compétence évidente sur la base de tous les arguments avancés, la
Cour internationale de Justice, en ce Palais de la Paix, entreprendra une Œuvr e de justice et de paix
dans la région des Grands Lacs, poussant ainsi les Etats à renoncer à la guerre et à ses méfaits.
42. Monsieur le président, je voudrais vous prier ici d’accorder à mes collègues l’autorisation
de me complèter, mais de façon très brève, et notamment je vous prie de passer la parole au
professeur Pierre Akele Adau. Je vous remercie.
The PRESIDENT: Thank you, Professor Ntumba. I now give the floor to Professor Akele.
M. AKELE : Honorables, Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour,
C ONCLUSIONS ET OBSERVATIONS
1. La Partie rwandaise a affirmé avant-hier devant votre prétoire qu’il n’y avait pas le
moindre commencement de preuve dans les arguments développés par la République démocratique
du Congo. Cela ne l’a cependant pas empêché de revenir longuement sur quelques points de notre
argumentation tout en omettant ce qui nous paraît essentiel.
2. Je voudrais, pour ma part, précisément recentrer la démarche en trois points que voici :
1. l’expression réelle du consentement du Rwanda à la compétence de la Cour ne fait l’ombre
d’aucun doute;
2. l’exception d’incompétence soulevée par le Rwa nda dans cette affaire interfère avec le fond de
la cause;
3. la Cour, dans cette affaire, est appelée à faire Œuvre d’audace et de création. - 22 -
I. L’expression réelle du consentement du Rwanda à la compétence de la Cour
ne fait l’ombre d’aucun doute
3. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, bien au-delà de ce que le Rwanda
ou le Congo peuvent invoquer, votre haute juridiction demeure juge de sa compétence. Certes, elle
juge celle-ci au premier chef à l’expression forme lle de la volonté et du consentement des parties à
se soumettre à sa juridiction. Ma is, lorsque la réalité de cette e xpression formelle de volonté et de
consentement à la compétence facultative de la Cour pose une difficulté quelconque, et qu’alors
son incompétence ne lui paraît pas manifeste, la Cour a besoin de scruter davantage la question
pour se faire une opinion plus exacte.
4. Il ne s’agit plus de se contenter de ce qui, formellement, paraît être la volonté de la partie
qui dit ne pas reconnaître compétence à la Cour; il s’agit de vérifier si ce qu’elle dit correspond à ce
qu’elle pense, c’est-à-dire si ce qu’elle déclare rejoint son intention réelle.
5. Or, de ce point de vue, les longues explications auxquelles nous avons eu droit avant-hier
au sujet de la question de la réserve, mainte nue ou retirée, du Rwanda à l’articleIX de la
convention sur le génocide, montrent qu’il n’y a rien de plus contradictoire que les déclarations et
l’intention véritable du Rwanda.
6. Le fameux décret-loi du 15 février 1995 intervient moins d’un an après le génocide
de1994 et après la prise du pouvoir par le Front populaire rwandais. Dans une période où il est
certain que les circonstances dramatiques dans les quelles s’est opéré le changement de régime au
Rwanda ont pu avoir suscité un état d’esprit nouv eau favorable à la pleine reconnaissance des
mécanismes de prévention et de répression du crime de génocide. Et, on nous laisse entendre que,
quelques mois plus tard, le nouveau Parlement n’ ayant pas ratifié ce décret-loi, celui-ci serait
tombé en désuétude ou serait devenu caduc.
7. Soit ! Je constate cependant que, deux ans plus tard, deux professeurs canadiens, qui ont
longtemps étudié le droit rwandais de l’après-génocide, mentionnent ⎯dans ce qui peut être
considéré comme le premier manue l d’introduction au droit rwanda is depuis les événements de
1994 ⎯ que non seulement le Rwanda s’est engagé à lever toutes les réserves en matière de
protection des droits de la personne, mais encore qu’il a adopté une loi en ce sens.
8. Cet ouvrage connaîtra un tel succès que deux ans après, en 1999, il sera réédité en
français. Et, jusque avant-hier, il ne s’est tr ouvé personne pour remettre en cause ce manuel et - 23 -
fustiger la non-perspicacité de ses auteurs. Notre estimé collègue, le professeur Greenwood, nous
reproche de ne pas avoir présenté plus tôt cet él ément à la Cour. Il nous semble que lui-même a
délibérément été laissé dans l’ignorance de l’existe nce de ce livre, ou en tout cas de ce décret; au
point qu’il a dû nuitamment téléphoner à Mme la minist re de la justice du Rwanda pour se tirer de
ce bourbier.
9. Monsieur le président, lors qu’un pays exprime pareille inte ntion dans un texte législatif,
qu’il l’ait fait ou pas notifié au Secrétaire général des Nations Unies, il ne peut guère être entendu à
opposer aux Etats tiers cette non-notification. Si le Parlement rwandais n’a pas confirmé ce
décret-loi et qu’il n’a cependant laissé aucune trace de ce revirement, il s’agit ni plus ni moins,
comme on dit en droit privé, d’une «turpitude». Et il est un principe de droit universel que «nul ne
peut alléguer sa propre turpitude». Le Rwanda est donc malvenu de se défendre contre un Etat qui
lui oppose sa propre loi, dont il reconnaît l’existence mais tout en étant dans l’impossibilité de
prouver sa caducité ou son abrogation.
10. Monsieur le président, il est clair que l’ intention réelle ou authentique du Rwanda, ou
plus exactement la réalité de l’intention du Rwanda , n’est pas ce qui nous a été déclaré ici, mais ce
qui se trouve notamment consigné dans ce décret-loi que chacun aujourd’hui veut récuser et rejeter.
11. Cet élément, conjugué au constat suivant le quel le Rwanda n’a, dans toute la procédure
suivie devant votre haute juridiction, manifesté ni refus de comparaître, ni refus de conclure, suffit
à établir son acquiescement à votre compétence.
II. L’exception d’incompétence soulevée par le Rwanda dans cette affaire interfère
avec le fond de la cause
12. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, les nombreuses règles de droit
international, délibérément violées par le Rwanda, directement par ses forces armées, ou
indirectement par les forces rebelle s qu’il soutient ou qu’il a soute nues, engagent naturellement sa
responsabilité comme cela a été dit tout à l’heure. Disant cela, nous n’entrons pas dans le fond du
contentieux dont la Partie rwandaise, tout au long de cette procédure, nie en bloc la réalité. Nous
n’ignorons pas le principe fréquemment souligné par la Cour : le principe de la séparabilité du fond
et du préliminaire ( C.I.J. Recueil 1972, p. 56, par.18; affaire de la Compétence en matière de
pêcheries, C.I.J. Recueil 1973, p. 7, par. 11). - 24 -
13. On se doit
«toutefois de nuancer ce principe car parfois l’exception soulevée n’a pas un caractère
strictement préliminaire. Bien au contraire, elle peut soulever des questions touchant
le fond de l’affaire, situation susceptible de mettre le juge dans l’impossibilité de
statuer sur la question de compétence sans a border le fond. Ainsi, dans l’affaire des
otages américains, le juge s’est vu dans l’obligation de statuer sur la compétence et sur
le fond dans un même arrêt, tant l’ex ception d’incompétence interférait avec des
1
problèmes de fond.»
14. C’est donc à bon droit, Monsieur le pr ésident, que la Cour fera justice en se
reconnaissant compétente.
III. La Cour est, dans cette affaire, appelée à faire Œuvre d’audace et de création
15. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, la Cour est, dans cette affaire,
appelée à faire Œuvre d’audace et de création. La décision que prendra votre auguste juridiction,
constituée des représentants de tous les grands sy stèmes juridiques du monde, confortera le rôle
juridique qu’elle a vocation à jouer dans la communauté internationale, en sa qualité d’organe
juridictionnel suprême du système des Nations Unies, en complément ou en appui au rôle politique
du Conseil de sécurité.
16. Le Rwanda comme le Congo font par tie du système juridique africain, cadre
d’expression de la pensée juridique africaine. Il se trouve sans doute encore des gens, sans
ouverture d’esprit, prompts à arguer de la vacuité de la pensée et du système juridiques africains.
Qu’il me suffise de les renvoyer aux manuels et traités de plus en plus nombreux qui heureusement
s’efforcent avec bonheur d’étudier la question. Je voudrais me contenter ici de citer le manuel
intitulé Introduction aux systèmes juridiques africains , publié l’année dernière aux Presses
universitaires de Namur, par un éminent univers itaire rwandais, le professeur Charles Ntampaka,
ancien vice-doyen de la faculté de droit de l’ Université du Rwanda, et actuellement enseignant
professeur à la faculté de droit de l’Université de Namur ainsi qu’à la faculté de droit de
Strasbourg.
17. Parlant des droits des pays d’Afrique noi re, avec un accent particulier sur le Burundi, le
Congo et le Rwanda, cet éminent professeur écrit ceci :
1Philippe Sabourin, La contestation de la compétence de la Cour internationale de Je dans les affaires
contentieuses récentes, mémoire présenté, sous la direction du sseur Bretton, en vue de l’obtention du diplôme
d’études approfondies de droit public général, faculté de droit et de sciences économiques d’Orléans, 1984-1985, p. 35. - 25 -
18.
«Ces différents droits disposent d’un certain nombre de principes communs,
notamment la recherche du rétablissement de l’harmonie sociale comme finalité du
droit…» (P. 6.)
19.
«Les règles existantes ne sont pas de stricte application, elles doivent servir au
maintien des bonnes relations entre les vivants, elles servent à trancher les différends,
mais en tenant compte davantage de la n écessité de rétablir l’harmonie sociale plutôt
que d’appliquer les règles pour elles-mêmes. La plupart des sociétés africaines ne
distinguent pas le droit civil du droit pénal, ni le droit privé du droit public [j’ajoute :
ni le droit public interne du droit public international]. Toute violation d’une règle est
ressentie comme un trouble social qu’il faut réparer…» (P. 9.)
20.
«En général, [poursuit-il] les Africains ont peur des juridictions, parce que
celles-ci ne permettent pas de régler les conflits mais elles les entretiennent. Ainsi,
traduire une personne en justi ce constitue une injure grave à son endroit, car cela est
interprété comme le refus du principe de conciliation. Au lieu de viser l’harmonie
sociale, l’action en justice cristallise les positions, donne à chacun son droit qu’il peut
faire valoir contre son groupe social, cont re sa famille ou contre son Etat. Mais
l’action en justice pérennise également les rancoeurs des parties en conflit parce
qu’elle détermine le gagnant et le perdant et fixe les limites des réparations à réclamer.
Il se crée ainsi un fossé entre le droit que le peuple suit et le droit que le
législateur impose; ce dernier est res senti comme un élément extrinsèque pouvant
porter atteinte à la cohésion sociale. La domestication du droit occidental rencontre
ainsi des obstacles non seulement d’ordre technique, mais aussi d’ordre
psychologique, parce qu’il ne représente pas toujours le juste, l’idéal de la justice
recherchée.» (P. 6.)
21. Monsieur le président, Mesdames et Messieu rs de la Cour, la décision que vous rendrez
dans cette affaire n’est pas seulement une sentence de pure technique, exprimant un droit
international désincarné, mais un droit intern ational auquel au moins cinquante millions de
personnes, peuple d’un pays d’Afrique noire, voudraient se reconnaître. Des peuples dont la
pensée juridique fondamentale privilégie le droit de substance sur le droit formel lorsque des droits
essentiels ne peuvent être protégés autrement. Si donc vous décidez que vous n’avez aucune
compétence pour connaître de la présente cause au motif que le Rwanda ne reconnaît point votre
compétence, il n’y a aucune argumentation technique formelle qui pourrait, à l’ouest comme à l’est
des lacs et des collines qui séparent et unissent le Rwanda et le Congo, emporter vraiment la
conviction et le crédit de leurs habitants. Et le «modèle pascalien de la force au service du droit
sans laquelle la justice serait impuissante» ne serait rien moins qu’une coquille vide. - 26 -
22. Nous sommes dans la présente cause dans un cas de figure où la primauté de l’expression
du droit ⎯fonction dont est investie la Cour ⎯ doit être affirmée avec force pour combattre la
barbarie. La Cour, garante de l’état de droit au plan universel, demeure, ultima ratio, le réceptacle
autant que l’oracle de la conscience juridique des peuples civilisés.
23. Ici se trouve, Monsieur le président, l’enjeu fondamental et nouveau de la décision que
votre Cour aura à prendre dans la présente cause.
24. Les violations massives, flagrantes, dé libérées des droits aussi fondamentaux que ceux
qui sont en cause dans la présente affaire, exig ent, en manière de pédagogie d’humanité et de
civilisation, un traitement qui se fonde sur des bases juridiques saines que seule votre Cour est
habilitée à confectionner.
25. Nous ne doutons pas de la complexité et de la délicatesse de la présente cause qui
rappelle douloureusement au souvenir de chacun de nous la «non-assistance à personne en danger»
dont la communauté internationale a été coupable à l’égard des populations rwandaises victimes,
en1994, d’abominations génocidaires qui charger ont à jamais la mémoire de l’histoire de
l’humanité. Mais rien n’autorise que la victime d’hier devienne, par l’ effet d’un engourdissement
moral et d’une passivité juridique certaine créée par les événements de triste mémoire de 1994, le
génocidaire d’aujourd’hui.
26. Hier comme aujourd’hui, ce sont les mêmes valeurs qui sont en cause. Il faut
aujourd’hui éviter que la passivité d’hier ne compromette à jamais pour l’avenir la volonté réelle de
la communauté juridique internationale de fair e face efficacement aux violations graves qui se
perpétuent à l’est de la République démocratique du Congo.
27. Dans l’affaire du génocide rwandais de1994, la Cour in ternationale de Justice n’a
malheureusement pas été sollicitée. Le déni de just ice ne peut donc pas, en l’occurrence, lui être
reproché. Il serait catastrophique d’en être ains i dans une espèce où son rôle peut opportunément
être fortement affirmé.
28. Votre Cour, Monsieur le président, a les moyens juridiques de l’affirmation de ce rôle,
sur pied des articles41 de son Statut et73 à78 de son Règlement. Je voudrais faire appel - 27 -
également à ce que M.le juge Raymond Ranjeva 2appelle, dans sa remarquable contribution au
Liber Amicorum offert à M.MohammedBedjaoui, votre «audace certaine» qui, dans un certain
nombre de circonstances, vous a permis de donner effet à votre «fonction de catalyse».
29. C’est de cette «audace certaine» que nous attendons de la haute juridiction une décision
qui construise un ajustement ou une articulation harmonieuse et acceptable entre, d’une part, la
question de la compétence de la Cour dominée par le consensualisme et l’autocompétence et,
d’autre part, la question de la compatibilité d es actes des Etats avec le droit international,
notamment avec les droits de l’homme, même là où des intérêts nationaux s’opposeraient aux
intérêts de la communauté internationale.
30. C’est également de cette audace que n ous attendons de la prestigieuse juridiction
internationale qu’elle n’oublie pas que les peuples du Rwanda et de la République démocratique du
Congo appartiennent à un système juridique spécifique, qui a vocation à participer à la grande
famille du système juridique international; des peuples qui voudraient, au fond d’eux-mêmes, vivre
la décision que vous prononcerez comme une sentence inculturée à leur pensée juridique
fondamentale, mise en symbiose avec ce patr imoine commun de l’humanité qu’est le droit
international.
31. Je ne doute pas un seul instant que le Rw anda profond ne mesure la grande nécessité
dans laquelle tous nous nous trouvons de faire fleurir cet état d’esprit, indispensable à la
refondation de la solidarité entre les pays et les peuples de la région des Grands Lacs.
32. Monsieur le président, je vous remercie pour m’avoir donné la parole et je vous prie de
bien vouloir donner la parole au professeur Lwamba Katansi.
The PRESIDENT: Thank you, Professor Akele. I now give the floor to Professor Katansi.
2Raymond Ranjeva, «La prescription par la Cour internationale de Justice de mesures conservatoires à portée
militaire», Liber Amicorum Mohammed Bedjaoui, Emile Yakpo et Tahar Boumedra (dir. pub.), p. 449 à 459. - 28 -
M. KATANSI :
C ONCLUSIONS ET OBSERVATIONS QUANT A LA COMPÉTENCE DE LA COUR
ET A LA RECEVABILITÉ DE L ’AFFAIRE
1. Monsieur le président, Madame et Messieu rs de la Cour, nous sommes arrivés au second
tour de cette phase orale de la procédure écrite sur les exceptions. Mais le second tour, c’est aussi
le dernier en ce qui concerne le procès des exceptions.
2. Aussi, voudrais-je, Monsieur le président , puisque nous sommes au terme de nos débats,
redire l’honneur que j’ai eu à plaider devant votre auguste juridiction.
3. A ce privilège déjà grand se sont ajoutés le pl aisir et l’avantage de rencontrer et de croiser
le fer avec les distingués confrères Christopher Greenwood et JessicaWells que je ne connaissais
alors que par leurs écrits.
4. Tous autres écrits, Monsieur le président, qui m’inspirèrent lorsque je fus étudiant en
doctorat à l’Université de Paris, dans les années 1973, sont ceux de Mme la juge Higgins.
5. Je me souviens que, dans la toute première m outure de ma thèse, à la page 17, j’écrivais :
«D’après Rosalyn Higgins…» et la phrase continuait. Quand mon directeur de thèse, Paul Reuter,
jurisconsulte éminent s’il en fut me rendit mon manus crit, je remarquai qu’à cette page 17, il avait
ajouté le vocatif «Mme Rosalyn Higgins !»
6. Cette mention qui était en fait une observati on, Monsieur le président, marqua mon savoir
en matière non seulement de courtoisie, mais encore d’esprit chevaleresque pour m’exprimer
comme au Moyen-Age.
7. Mais je quitte aussitôt le Moyen-Age, M onsieur le président, pour dire que j’ai écouté
religieusement la réplique d’avant-hier du conseil du Rwanda.
8. Je m’attendais à ce que, comme l’aube rend l’obscurité plus dense, qu’il me rende la tâche
plus difficile.
9. Grand a été mon étonnement de constater qu’il n’a ébranlé aucun de mes soutènements. Il
n’a pu le faire ni quant à la notion ou «théori» de l’«incompétence non manifeste», dont je dis
qu’elle est grosse de vertu non seulement de permet tre à votre Cour de régler pacifiquement les
différends entre Etats, mais en précisant en outre qu’elle est de nature à barrer la route, si j’ose dire, - 29 -
à la contestation de plus en plus virulente d’Et ats contestataires de la compétence de la Cour,
contestation dont le résultat est, d’après de nombreux scientifiques, d’entamer l’autorité de la Cour.
10. Mon distingué confrère Greenwood n’a p as été non plus en mesure de renverser mon
argumentation quant aux clauses compromisso ires des conventions que la République
démocratique du Congo a invoquées pour asseoir votre compétence.
11. Par contre, ma surprise a été grande lors que le conseil du Rwanda a clamé haut: «la
République démocratique du Congo doit croire sur pa role ce que le Rwanda dit». A telle enseigne
que l’on devrait considérer ce procès comme terminé.
12. Or, il ne peut en aucune manière en aller de la sorte, parce que l’on n’est plus à l’époque
des bulles ou sentences pontificales du genre: «Roma locuta, causa finita» ⎯ «Quand Rome a
parlé, la cause est finie».
13. La présente cause n’étant ni terminée, ni en voie de l’être, je m’en vais maintenant vous
dire en quoi l’exception rwandaise tirée de la réser ve à l’article 9 de la convention sur le génocide
ne tient pas toujours, en dépit des nouveaux dé veloppements du conseil du Rwanda consacrés à ce
fameux décret-loi 014/01 du 15 février 1995 qui procédait au retrait de cette réserve.
14. Ainsi, dans une tentative extrême de re dresser la barre, le Rwanda s’est arc-bouté sur
trois arguments qui n’ont de juridique que l’apparence :
1) le décret-loi 014/01 du 15 février 1995 relève du droit interne rwandais et, sous-entendu, la
RDC ne pourrait en discuter devant la Cour;
2) le décret-loi 014/01 du 15 février 1995 est ou était caduc, parce qu’il n’a jamais été approuvé
par le Parlement rwandais;
3) le décret en cause n’a jamais été notifié au Secrétaire général des Nations Unies.
15. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, quelques faits et considérations
juridiques suffiront à éclairer votre religion et , par conséquent, à vous permettre de rejeter
l’exception du défendeur, exception fondée sur la réserve à la convention sur le génocide.
16. Un premier fait, c’est que, devenu territo ire sous tutelle au lendemain de la seconde
guerre mondiale, en vertu des dispositions pertinentes de la Charte des Nations Unies de 1945, le
Rwanda avait été placé sous l’administration du Royaume de Belgique, rejoignant ainsi la
condition du Congo, c’est-à-dire de la RDC, alors colonie belge depuis 1908. - 30 -
17. Aussi, les recueils des lois et règlemen ts communs à la colonie du Congo-Belge et aux
deux territoires sous tutelle, en l’occurrence le Rw anda et l’Urundi, l’actuel Burundi, étaient-ils,
d’une édition à l’autre, intitulés : Codes et lois du Congo-Belge et du Rwanda-Urundi.
18. Tant et si bien que, étant le produit de l’Université Lovanium, aujourd’hui l’Université
de Kinshasa, plus ou mois 90% des juristes congolais, des juristes rwandais et des juristes
burundais, parlent encore aujourd’hui, sinon avec fierté, du moins avec nostalgie des fameux Codes
et lois du Congo-Belge et du Rwanda-Urundi , conçus par les éminents juristes belges Louwers et
Piron.
19. Une troisième et dernière observation, M onsieur le président, c’est que, du fait de sa
nature juridique, le décret-loi est, en droit congolai s et, j’en suis persuadé, en droits rwandais et
burundais, l’acte pris par le pouvoir exécutif, généralement le président de la République, aux deux
conditions impératives que voici : d’une part que le Parlement soit en intercession, c’est-à-dire, en
congé et que, d’autre part, qu’il y ait urgence à la prise d’un tel acte.
20. Ainsi défini, le décret-loi n’est pas soumis à la procédure d’approbation par le Parlement.
Tout autre décret-loi de nature particulière est celui qualifié de «décret-loi constitutionnel» qui, en
ce qu’il attribue à titre provisoire des pouvoirs constitutionnels à un homme, contient en lui-même
l’indication de sa durée, généralement de six ou douze mois, et l’éventualité de son approbation par
le Parlement, si un tel décret-loi constitutionnel devait être prorogé dans le temps.
21. Monsieur le président, les considérations que je viens d’évoquer permettent d’apprécier
la validité des arguments du Rwanda relatifs à son d écret-loi de 1995 portant retrait de sa réserve à
la convention sur le génocide.
22. Je dis, en premier lieu, que le décret-loi rwandais du 15 février 1995, en tant qu’il n’est
pas un décret-loi constitutionnel, n’avait pas ou n’a pas à être approuvé par le Parlement du
Rwanda et que, par conséquent, il n’est pas devenu caduc par absence d’une prétendue approbation
du Parlement.
23. Je soutiens, en second lieu, que n’étant pas devenu caduc, le décret-loi rwandais a mis fin
à la réserve du Rwanda à l’effet de l’article 9 de la convention de 1948 sur le crime de génocide.
24. Je conclus, Monsieur le président, que le défaut de notification de ce décret-loi au
Secrétaire général des Nations Unies n’a pas de pe rtinence dans cette affaire dans la mesure où ce - 31 -
n’est pas l’acte de notification, à quelque organisme international que ce soit, fût-il l’Organisation
des Nations Unies, qui donne sa force, c’est-à-dire sa validité à un acte administratif de droit
interne, mais plutôt sa promulgation ou/et sa publ ication par les soins de l’autorité nationale
compétente.
25. A ces causes, Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, plaise à la Cour,
a)après avoir écarté toutes les exceptions préliminaires d’incompétence de la Cour et
d’irrecevabilité de l’affaire,
i) entendre dire que la Cour est compétente;
ii) entendre dire ensuite que la cause est recevable en la forme ( ?);
iii) entendre dire enfin que l’affaire est renvoyée en prosécution.
b) Vous ferez justice.
Je sollicite, Monsieur le président, avant de quitter le prétoire que vous puissiez appeler mon
collègue Mukadi pour me compléter.
The PRESIDENT: Thank you, Professor Katansi. I now give the floor to Professor Bonyi.
M. BONYI :
C ONCLUSIONS ET OBSERVATIONS SECONDES DE LA RECEVABILITÉ DE LA REQUÊTE
DE LA R ÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU C ONGO
1. Merci, Monsieur le président, pour la parole. Monsieur le président, Madame et
Messieurs les Membres de la Cour, après avoir écouté la réplique du Rwanda au sujet de la
recevabilité de la nouvelle requête de la RDC telle qu’elle a été présentée par M.le professeur
Greenwood à l’audience du 6 juillet 2005, je me bornerai ici à ne faire qu’une seule observation.
I. La nouvelle requête de la RDC n’est pas constitutive d’un abus
de procédure qui la rendrait irrecevable
2. Le Rwanda a soutenu à ce sujet que la requête ne contiendrait pas de nouvelles bases de
compétence. Ce soutènement n’est pas fondé. La lecture de la nouvelle requête permet de
constater que de nouvelles bases de compétence ont été invoquées. Ces nouvelles bases concernent
notamment les clauses compromissoires contenues dans plusieurs conventions et traités ratifiés par - 32 -
les deux Parties ainsi que dans la convention de Vienne du 23mai1969 sur le droit des traités, à
travers la consécration du jus cogens (voir requête du 28 mai 2002, p. 18-30).
3. Monsieur le président, dans cette affaire, la RDC avait clairement fait savoir à la Cour
qu’elle se réservait le droit de réintrod uire une nouvelle requête. Dès lors, l’usage de ce droit
conformément aux règles établies ne peut s’analyser en un abus de procédure.
4. La jurisprudence de la Cour est fixée dans ce sens. Ainsi, dans l’affaire Nauru contre
Australie (exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1992, p. 255, par. 38), la Cour a admis que
le comportement d’un Etat qui a présenté à la Cour une requête de mani ère appropriée dans le
cadre des voies de droit qui lui sont ouvertes n’équivaut pas à un abus de procédure.
5. La Cour constatera par a illeurs que, dans la nouvelle requête, la RDC s’était réservée le
droit de «compléter et de préciser la demande en cours d’instance». Elle l’a fait non seulement en
ce qui concerne les bases de compétence mais également en ce qui concerne des nouveaux moyens,
notamment :
1. le recours de la RDC à la diplomatie parlementaire comme mode de négociation;
2. la nullité des réserves du Rwanda à la convention sur le génocide sur base de l’article 53 de la
convention de Vienne du 23 mai 1969;
3. la preuve du retrait des réserves relatives à l’article IX de la convention sur le génocide;
4. le caractère alternatif (et non cumulatif) des pr éalables évoqués à l’article 75 de la constitution
de l’OMS;
5. la démonstration de l’absence d’incompétence manifeste de la Cour;
6. l’absence de l’obligation de recours à l’arbitrage comme préalable à la saisine de la Cour;
7. et, enfin, l’effet du désistement de l’instance sur la recevabilité de la nouvelle requête.
6. Monsieur le président, Madame et Messieurs les Membres de la Cour, le Rwanda est donc
mal venu d’invoquer l’exception d’irrecevabilité pour abus de procédure tirée du contenu de la
nouvelle requête. La Cour appliquera à ce suje t sa propre jurisprudence: «Selon la pratique
établie, les Etats se réservent le droit de présenter ultérieurement des éléments de fait et de droit
supplémentaires dès lors toutefois que le diffé rend porté devant la Cour ne se trouve pas
transformé» (Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c.
Etats-Unis d’Amérique), co mpétence et recevabilité, arrêt , C.I.J. Recueil 1984, p.427, par.80; - 33 -
Cameroun c. Nigeria,citées par G. Herczgh, «Les exceptions préliminaires à la lumière de la
jurisprudence de la Cour intern ationale de Justice (1994-2000)», in Man’s inhumanity to Man ,
L. C. Vohrah et al (éd.), International Humanitarian Series, Vol.5, Kluwer Law International,
The Hague, 2003, p. 419).
7. Dans le cas d’espèce, le différend reste le même et il appartient à la Cour de déclarer que
l’exception d’irrecevabilité invoquée par le Rwanda n’est pas fondée.
Monsieur le président, je terminerai par là et je prie votre honneur de bien vouloir accepter
d’accorder la parole à S. Exc. M. l’ambassadeur Jacques Masangu, agent de la RDC, pour présenter
les conclusions de nos plaidoiries.
The PRESIDENT: Thank you, Professor Bonyi. I now give the floor to His Excellency
Mr. Masangu, the Agent of the Congo.
M. MASANGU : Monsieur le président, Madame et Messieurs les Membres de la Cour, en
ma qualité d’agent, près la Cour, de la Répub lique démocratique du Congo dans l’affaire des
Activités armées sur le territoire du Congo (nouvelle requête : 2002) (République démocratique du
Congo c. Rwanda), voici les conclusions de la République démocratique du Congo à l’issue de la
procédure orale sur la question de la compétence de la Cour et de la recevabilité de la requête.
Plaise à la Cour,
1. dire que les exceptions d’incompétence et d’i rrecevabilité soulevées par le Rwanda ne sont pas
fondées;
2. dire en conséquence que la Cour est compétente pour connaître de l’affaire quant au fond et que
la requête de la République démocratique du Congo est recevable en la forme;
3. fixer l’affaire en prosécution pour être plaidée sur le fond.
Voilà, Monsieur le président, Madame et Messieu rs les juges, les conclusions de la délégation
de la République démocratique du Congo. Je vous remercie.
The PRESIDENT: Thank you, Your Excellency. The Court takes note of the final
submissions which you have read on behalf of th e Democratic Republic of the Congo with respect - 34 -
to the questions of jurisdiction and admissibility, as it took note on Wednesday 6 July of the final
submissions presented by Rwanda.
This brings us to the end of a week of hearings devoted to the oral argument on the case.
I should like to thank the Agents, counsel and advocates for their statements.
In accordance with practice, I shall request both Agents to remain at the Court’s disposal to
provide any additional information it may require. With this proviso, I now declare closed the oral
proceedings in the case concerning Armed Activities on the Territory of the Congo (New
Application: 2002) (Democratic Republic of the Congo v. Rwanda).
The Court will now retire for the deliberation. The Agents of the Parties will be advised in
due course of the date on which the Court will deliver its judgment.
As the Court has no other business before it today, the sitting is closed.
L’audience est levée à 11 h 30.
___________
Audience publique tenue le vendredi 8 juillet 2005, à 10 heures, au Palais de la Paix, sous la présidence de M. le juge Guillaume, président