CR 2002/38
Cour internationale International Court
de Justice of Justice
LA HAYE THE HAGUE
ANNÉE 2002
Audience publique
tenue le vendredi 14 juin 2002, à 9 h 30, au Palais de la Paix,
sous la présidence de M. Guillaume, président,
en l'affaire des Activités armées sur le territoire du Congo
(nouvelle requête : 2002)
(République démocratique du Congo c. Rwanda)
Demande en indication de mesures conservatoires
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COMPTE RENDU
____________
YEAR 2002
Public sitting
held on Friday 14 June 2002, at 9.30 a.m., at the Peace Palace,
President Guillaume presiding,
in the case concerning Armed Activities on the Territory of the Congo
(New Application: 2002)
(Democratic Republic of the Congo v. Rwanda)
Request for the indication of provisional measures
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VERBATIM RECORD
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Présents : M. Guillaume, président
MM. Ranjeva
Herczegh
Fleischhauer
Koroma
Vereshchetin
Mme Higgins
MM. Parra-Aranguren
Kooijmans
Rezek
Al-Khasawneh
Buergenthal
Elaraby, juges
MM. Dugard
Mavungu Mvumbi-di-Ngoma, juges ad hoc
M. Couvreur, greffier
¾¾¾¾¾¾
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Present: President Guillaume
Judges Ranjeva
Herczegh
Fleischhauer
Koroma
Vereshchetin
Higgins
Parra-Aranguren
Kooijmans
Rezek
Al-Khasawneh
Buergenthal
Elaraby
Judges ad hoc Dugard
Mavungu Mvumbi-di-Ngoma
Registrar Couvreur
¾¾¾¾¾¾
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Le Gouvernement de la République démocratique du Congo est representé par :
S. Exc. M. Jacques Masangu-a-Mwanza, ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la
République démocratique du Congo auprès du Royaume des Pays-Bas,
comme agent;
S. Exc. M. Alphonse Ntumba Luaba Lumu, ministre des droits humains,
comme coagent;
M. Lwamba Katansi, professeur à l’Université de Kinshasa,
M. Pierre Akele Adau, doyen de la faculté de droit de l’Université de Kinshasa et haut magistrat,
comme conseils;
M.Lukunda Vakala Mfumu, assistant à l’Université de Kinshasa, assistant du ministre des droits
humains,
M
eKabinda Ngoy, assistant au cabinet du ministre des droits humains et avocat au barreau de
Lubumbashi,
comme assistants des conseils.
Le Gouvernement de la République rwandaise est representé par :
S. Exc. M. Monsieur Gérard Gahima, procureur général de la République rwandaise,
comme agent;
S. Exc. Mme Christine Umutoni Nyinawumwani, ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de
la République rwandaise auprès du Royaume des Pays-Bas,
comme coagent;
M. Christopher Greenwood, Q.C., professeur de droit international à London School of Economics,,
comme conseil et avocats.
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The Government of the Democratic Republic of the Congo is represented by:
H. E. Mr. Jacques Masangu-a-Mwanza, Ambassador Extraordinary and Plenipotentiary of the
Democratic Republic of the Congo to the Kingdom of the Netherlands,
as Agent;
H. E. Mr. Alphonse Ntumba Luaba Lumu, Minister for Human Rights,
as Co-Agent;
Mr. Lwamba Katansi, Professor at the University of Kinshasa,
Mr. Pierre Akele Adau, Dean of the Faculty of Law, University of Kinshasa and Senior Magistrate,
as Counsel;
Mr. Lukunda Vakala Mfumu, Assistant at the University of Kinshasa, Assistant to the Minister for
Human Rights,
Maître Kibinda Ngoy, Assistant to the Minister for Human Rights and member of the Lubumbashi
Bar,
as Assistants to Counsel.
The Government of the Rwandese Republic is represented by:
H.E. Mr. Gérard Gahima, Procurer-General of the Rwandese Republic,
as Agent,
H.E. Mrs. Christine Umutoni Nyinawumwani, Ambassador Extraordinary and Plenipotentiary of
the Rwandese Republic to the Kingdom of the Netherlands,
as Co-Agent,
Mr. Christopher Greenwood, Q.C., Professor of International Law at the London School of
Economics,
as Counsel and Advocate.
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Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. L’audience est ouverte pour le deuxième tour de
plaidoiries de la République démocratique du Congo. Je donne la parole à la République
démocratique du Congo en la personne du coagent. Monsieur Ntumba Luaba Lumu, vous avez la
parole.
M. NTUMBA LUABA LUMU : Merci, Monsieur le président.
Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, nous nous réjouissons de cette
occasion qui nous est donnée au cours de ce deuxième tour de plaidoiries de pouvoir répliquer dans
les formes et les usages aux observations faites hier par la Partie défenderesse, à savoir le Rwanda
et nous le ferons dans l’ordre ci-après :
Le doyen Pierre Akele Adau interviendra en premier lieu. Il sera suivi du professeur
Lwamba Katansi et, moi-même, je ferai également quelques observations. Je vous prie maintenant,
Monsieur le président, de bien vouloir passer la parole au doyen, le consort Pierre Akele Adau.
Le PRESIDENT : Je vous remercie, Monsieur le ministre. Je passe la parole au doyen
Akele Adau.
M. AKELE ADAU : Je vous remercie, Monsieur le président.
Monsieur le président, Madame et Messieurs les juges, l’argumentaire du Rwanda, en
réponse aux conclusions de la République démocratique du Congo, a été hier articulé autour de
deux attitudes. Attitude politique, attitude juridique.
A. Au plan politique
Le défendeur, c’est-à-dire le Rwanda, a mis en avant trois aspects :
1) les Interhamwe ont perpétré les massacres de 1994;
2) le Gouvernement congolais de l’époque aurait aidé lesdits Interhamwe;
3) le Gouvernement congolais actuel présente un tableau des faits différent de la réalité.
La réponse du Gouvernement de la République démocratique du Congo, au regard de ces
articulations, est nette. Les massacres récurrents intertribaux au Rwanda de 1960 à ce jour, d’une
part, et, d’autre part, l’assassinat du président rwandais en avril 1994 qui a déclenché le génocide
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dont il est question, sont des événements qui n’ont rien à voir avec le Gouvernement congolais de
l’époque. Bien au contraire, le Congo en a été la victime involontaire par l’afflux massif et le
séjour sur son territoire de plusieurs millions de Rwandais avec toutes les incidences néfastes que
l’on peut imaginer aux plans social, des infrastructures scolaires, hospitalier, écologique, etc.
On peut même se demander, si l’on reprend cette présentation politique qui consiste à dire
que le Gouvernement congolais de l’époque aurait aidé lesdits Interhamwe, si, là, ne se trouve pas
finalement le mobile qui aujourd’hui conduit de nouveau la République rwandaise à poursuivre des
actes génocidaires sur le territoire de la République démocratique du Congo.
Le Rwanda a ajouté que le tableau des faits présenté par le Gouvernement de la République
démocratique du Congo dans ses conclusions est différent de la réalité; nous espérons ardemment
que lors de l’examen de l’affaire quant au fond le Rwanda sera en mesure de présenter un tableau
contraire.
Au plan juridique, Monsieur le président, la défense du Rwanda, telle qu’elle vous a été
présentée hier, est caractéristique d’un état d’esprit. Un état d’esprit qui s’alimente à une
conception étriquée et quasi patrimoniale du génocide et qui fait de ce phénomène ¾ le
génocide ¾ la chose exclusive du Rwanda, déniant ainsi le fait que le génocide est avant tout une
atteinte à l’ordre public international et que le génocide affecte trois victimes : l’individu, qui est
touché dans sa chair et dans sa dignité; le groupe auquel appartient l’individu; mais aussi la
communauté internationale. Et les événements de 1994 ont à ce point affecté la communauté
internationale qu’elle s’est vue obligée d’instituer le Tribunal pénal international pour le Rwanda
en considérant que, malgré la réserve que ce pays ¾ le Rwanda ¾ avait formulée à l’endroit de la
convention de 1948, et plus précisément à son article 9, vous confiant la compétence en matière de
différend qui pourrait surgir dans l’interprétation et dans l’application de cette convention. Malgré
cette réserve, la communauté internationale a pensé que le Rwanda devait être tenu par cette
convention et qu’il ne pouvait pas se mettre hors du champ juridique de la convention de 1948.
Se mettre hors du champ juridique de cette convention ce n’est pas seulement la substance,
ce n’est pas seulement par rapport au contenu substantiel de la convention, mais c’est aussi par
rapport à la compétence de la Cour internationale de Justice. Parce qu’il serait inadmissible que
l’on puisse dire «je respecte les droits en matière de génocide, mais je n’entends pas être poursuivi,
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être entendu, être contrôlé par quiconque, même pas par la Cour internationale de Justice». Il nous
semble donc que l’article 9 de la convention de 1948 est une disposition essentielle, une disposition
fondamentale qui ne peut être enlevée de l’ensemble du texte sans que ce texte ne perde finalement
sa consistance.
Monsieur le président, la conception patrimoniale que le Rwanda se fait du génocide est par
ailleurs univoque. Le génocide, c’est sa chose quand il en est victime, mais ce n’est plus sa chose
lorsque, malheureusement, lui-même développe une politique et des pratiques génocidaires à
l’endroit d’autres groupes, d’autres peuples. Nous espérons ardemment, nous espérons vivement,
Monsieur le président, que votre Cour ne suivra pas le Rwanda dans cette voie. Et nous espérons
également que votre Cour ne confortera pas le Rwanda dans cette voie.
B. Au plan juridique
J’ai dit tout à l’heure, Monsieur le président, que la défense du Rwanda, présentée hier, était
caractéristique d’un état d’esprit qui dénie le caractère pédagogique non seulement de la règle de
droit mais aussi des décisions de justice. En effet, ce que l’on a entendu hier ici, revient à ceci.
Moi, République rwandaise, je n’ai pas reconnu et ne veut pas reconnaître la compétence
obligatoire de la Cour. Laissez-moi continuer les massacres.
Moi, République rwandaise, j’ai adhéré à la convention de 1948, mais je fais des réserves par
rapport à l’article IX de cette convention, je ne reconnais pas la compétence de la Cour, laissez-moi
continuer les massacres.
Moi, République rwandaise, j’ai signé les conventions internationales, mais je n’entends pas
aller devant la justice internationale. Tout ce que je puisse accepter ce serait l’arbitrage ou toute
autre procédure interne à une convention. Mais, toutes les fois, Mesdames et Messieurs de la
République démocratique du Congo que vous me demanderez d’aller à un tribunal arbitral, je vous
répondrai «Messieurs, Dames, tirez les premiers; si vous ne le faites pas, c’est moi qui vais tirer le
premier.»
Monsieur le président, il ne s’agit pas là d’un extrait de pièce de théâtre. C’est le tableau
conforme de l’attitude que le Rwanda adopte par rapport aux accusations qui sont articulées contre
lui. Et, c’est ce que l’on verra sans doute lorsqu’on viendra à l’examen du fond de cette affaire.
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La défense du Rwanda s’est appuyée sur le fait qu’il a émis une réserve à l’article IV de la
convention sur le génocide et que, par conséquent, la Cour est incompétente. A ce sujet, le
Gouvernement de la République démocratique du Congo soutient que l’état actuel de
développement du droit international a fait perdre à la réserve du Rwanda toute sa portée pour la
raison suivante.
Comme l’indique le professeur Pierre-Marie Dupuy1
, les réserves constituent l’une des
entraves techniques les plus vicieuses à l’universalité des droits de l’homme. Or, ce qui caractérise
précisément le génocide, c’est son caractère universel. Si nous suivons la République
démocratique du Congo dans cette voie, cela signifierait que nous dédions au génocide son
caractère universel. Parce que, justement, comme le dit Pierre-Marie Dupuy, les réserves
constituent l’une des entraves techniques les plus vicieuses à l’universalité des droits de l’homme.
Et bien plus, le professeur Gérard Cohen-Jonathan2
démontre que
«le nombre et surtout la nature de certaines réserves, destructrices de fins, affectent
dangereusement l’effectivité des instruments relatifs aux droits de l’homme. Depuis
quelques années seulement [poursuit-il] les institutions chargées du contrôle de leur
application mettant en évidence le caractère insuffisant et inadéquat du système
interétatique de la convention de 1969 [convention de Vienne], veulent apporter une
solution cohérente et objective au problème de l’appréciation de la validité, formelle et
substantielle, des réserves. Sous l’impulsion de la Cour européenne et de la Cour
interaméricaine, c’est le Comité des droits de l’homme de l’ONU qui, allant plus loin,
a déterminé de manière dynamique et restrictive pour les Etats, les nouvelles «règles
du jeu». Cette démarche qui n’est pas sans soulever des tensions, illustre l’originalité
du droit international des droits de l’homme au sein de l’ordre juridique international.»
Monsieur le président, Madame et Messieurs les juges, la présente cause va sans doute
amener la Cour à des tensions. Comme le dit M. Cohen. A des tensions sur la question de savoir
quel effet donner aux réserves en ce qui concerne l’application ou l’effectivité des droits de
l’homme au regard de la compétence de la Cour. Votre Cour a déjà opiné dans le sens de la
tendance qui met l’accent sur la nécessité de donner effet au caractère universel des droits de
l’homme. Dans l’arrêt rendu dans les affaires du Plateau continental dans la mer du Nord où il est
dit notamment qu’il est des conventions où les réserves ne sont pas acceptables
(C.I.J. Recueil 1969, p. 38-39, par. 63). Et nous sommes, je crois, dans le cas d’espèce.
1
Pierre-Marie Dupuy, Droit international public, 5e
éd., 2000, p. 217 et suiv.
2
Gérard Cohen-Jonathan, «Les réserves dans les traités institutionnels relatifs aux droits de l’homme. Nouveaux
aspects européens et internationaux, RGDIP, 1996».
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Monsieur le président, avec votre autorisation, je voudrais vous demander de bien vouloir
donner la parole à mon collègue le professeur Lwamba pour poursuivre.
Le PRESIDENT : Je vous remercie, Monsieur le doyen, et je donne maintenant la parole à
Monsieur le professeur Lwamba Katansi.
M. KATANSI : Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, l’heure est venue,
en ce qui me concerne, et après avoir complété l’argumentation de M. le doyen et collègue Akele,
de conclure. Aussi, dois-je, d’entrée de jeu, relever que, contrairement aux allégations du Rwanda,
l’accord de siège entre le Gouvernement de la République démocratique du Congo et la MONUC
été invoqué, non pas pour soutenir l’argumentation sur la compétence de la Cour, mais plutôt pour
dire que les forces armées rwandaises ne sont pas autorisées à s’attaquer aux agents de la MONUC
comme cela a été le cas à Kisangani, lesquels agents bénéficient des privilèges et immunités
diplomatiques [accord de siège signé en date du 4 mai 2000 entre le Gouvernement de la RDC et la
MONUC]. Il faut admettre le soutènement du Gouvernement de la République démocratique du
Congo, selon lequel la compétence de la Cour peut être fondée sur les clauses d’un certain nombre
de conventions et en même temps que ces conventions trouveront des mécanismes internes de
règlement des différends. C’est dans ce contexte que le Gouvernement du Rwanda a prétendu dans
sa défense, hier, que la République démocratique du Congo n’a jamais eu recours aux procédés
internes de l’arbitrage.
Monsieur le président, le gouvernement de la République démocratique du Congo soutient
que cette allégation du Rwanda ne tient pas debout dans la mesure où la RDC a tenté à plusieurs
reprises d’amener le Rwanda à l’arbitrage. Ces opportunités d’en arriver à la procédure d’arbitrage
ou toute autre procédure prévue par les conventions sous examen ont été nombreuses :
¾ en juillet 2001 à Lusaka, en marge de la 37e
conférence des chefs d’Etat de l’Organisation de
l’unité africaine et en présence du Secrétaire général de l’ONU lui-même, le président de la
République rwandaise a rejeté toute proposition de règlement de certains conflits spécifiques
dans le cadre de l’arbitrage;
¾ en septembre 2001, à Durban, en République Sud africaine, et en marge de la conférence
mondiale sur le racisme, le président Joseph Kabila de la République démocratique du Congo a
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fait la même proposition de règlement dans le cadre d’un arbitrage à son homologue rwandais
qui a décliné l’offre;
¾ en janvier 2002, au sommet de Blantyr au Malawi, en présence du président de la République
Bakili Muluzi, le président congolais a réitéré sa démarche auprès de son homologue rwandais
qui s’y est refusé;
¾ en mars 2002, enfin, et en marge de la réunion du comité politique mixte de l’accord de Lusaka
et de la mission du Conseil de sécurité, le président de la République rwandaise a claqué la
porte dès lors que les propositions d’un règlement avec arbitrage lui étaient faites.
Il est donc faux, Monsieur le président, de prétendre que la République démocratique du
Congo n’a jamais fait de démarches auprès du Rwanda en vue d’un règlement par voie d’arbitrage
d’un certain nombre de problèmes conventionnels qui s’élèvent entre ces deux pays. Comme il est
faux de déclarer devant la Cour, quelque peu sans gêne, que les forces armées rwandaises ont quitté
le territoire congolais, comme si les organes les plus attitrés aux Nations Unies ¾ comme l’est
votre Cour ¾ passaient le plus clair de leur temps à mentir sur la place publique.
Monsieur le président, la défense du Rwanda, telle qu’on l’a entendue hier, a consisté à tout
nier en bloc, sauf sur un point : le Rwanda n’a rien dit sur son comportement qui n’est pas celui
d’un Etat civilisé aux termes de l’arrêt rendu dans l’affaire du Détroit de Corfou (1949) entre le
Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord contre l’Albanie. Si bien que ce silence
qui vaut acquiescement devrait constituer une base suffisante pour la compétence de la Cour.
Je conclus, Monsieur le président, en invoquant l’autorité scientifique, morale et
jurisprudentielle de Paul Reuter «la Cour est l’organe, et le seul organe d’une communauté
invisible dans laquelle les Etats commencent à se familiariser avec leur nouvelle condition sociale».
Monsieur le président, je vous remercie de votre attention et vous prie de donner la parole à
mon successeur.
Le PRESIDENT : Je vous remercie, Monsieur le professeur, et je donne maintenant la parole
à Monsieur Luaba Lumu, coagent de la République démocratique du Congo.
M. NTUMBA LUABA LUMU : Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour,
lors de l’audience d’hier, jeudi 13 mai, nous avons entendu le conseil et avocat du Rwanda, notre
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estimé collègue, le professeur et Barrister Christopher Greeenwood s’interroger sur le rôle que la
République démocratique du Congo veut faire assumer et jouer à la Cour internationale de Justice,
allant jusqu’à alléguer que la Cour est invitée par la République démocratique du Congo à créer sa
propre force de maintien de la paix, en lieu et place du Conseil de sécurité.
Aux termes de la Charte des Nations Unies, les missions des «organes principaux de
l’Organisation» mentionnés à l’article 7, dont le Conseil de sécurité, la Cour internationale de
Justice, sont claires et explicites.
Que l’on ne vienne pas alors prétendre que la Cour est empêchée de statuer sur le présent
différend qui oppose la République démocratique du Congo au Rwanda sous prétexte que le
Conseil de sécurité est déjà saisi.
Les Membres de l’Organisation des Nations Unies, afin d’assurer l’action rapide et efficace
de l’Organisation lui ont confié, au Conseil de sécurité, aux termes de l’article 24, «la
responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales».
Qui dit responsabilité principale ne dit pas responsabilité exclusive. Tous les organes
principaux de l’Organisation des Nations Unies, de même que l’ensemble des Etats, dont la
République démocratique du Congo et le Rwanda, sont appelés à concourir à l’accomplissement
des buts de l’Organisation repris à l’article 1 de la Charte :
«1. Maintenir la paix et la sécurité internationales … et réaliser, par des moyens
pacifiques, conformément aux principes de la justice et du droit international,
l’ajustement ou le règlement de différends ou de situations…
2. Développer entre les nations des relations amicales … et prendre toutes
autres mesures propres à consolider la paix du monde;
3. Réaliser la coopération internationale en résolvant les problèmes
internationaux … en développant et en encourageant le respect des droits de l’homme
et des libertés fondamentales pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou
de religion.»
Les organes principaux de l’Organisation des Nations Unies, dont le Conseil de sécurité et la
Cour, de même que la totalité des Etats Membres sont tenus de respecter l’article 55 de la Charte
qui entend «assurer entre les nations des relations pacifiques et amicales…» en favorisant
notamment «le respect universel et effectif des droits de l’homme et des libertés fondamentales
pour tous…»
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Dès lors, comment s’étonner que le Conseil de sécurité et la Cour soient également saisis et
de plus en plus des disputes, litiges et différends entre les Etats, afin de contribuer à la restauration
de la paix et de la sécurité internationales, selon leurs spécificités institutionnelles, organiques et
«attributionelles».
Lorsque l’article 38 du Statut de la Cour lui assigne la mission de régler conformément au
droit international les différends qui lui sont soumis «il ne fait pas autre chose que de consacrer le
rôle de la Cour dans l’instauration et le renforcement de la paix et de la sécurité internationales.
Sinon alors, à quoi servirait la Cour internationale de Justice !
Monsieur le président, dans de nombreuses affaires, la Cour a clairement indiqué ses
rapports au Conseil en ce qui concerne l’accomplissement de sa mission. Ainsi, dans l’affaire
relative à des Actions armées frontalières et transfrontalières (Nicaragua c. Honduras), se
prononçant sur la compétence et la recevabilité de la requête, il est dit que
«la Cour n’ignore pas que tout différend juridique porté devant elle peut présenter des
aspects politiques. Mais, en tant qu’organe judiciaire, elle doit seulement s’attacher à
déterminer d’une part si le différend qui lui est soumis est d’ordre juridique,
c’est-à-dire s’il est susceptible d’être résolu par application des principes et règles du
droit international, et d’autre part si elle a compétence pour en connaître et si
l’exercice de cette compétence n’est pas entravé par des circonstances qui rendent la
requête irrecevable. L’objet de la saisine de la Cour est le règlement pacifique de tels
différends. La Cour se prononce en droit et n’a pas à s’interroger sur les modifications
d’ordre politique qui peuvent amener un Etat, à un moment donné ou dans des
circonstances déterminées, à choisir le règlement judiciaire.» (Arrêt du
20 décembre 1988, C.I.J. Recueil 1988, p. 91, par. 52.)
Comme le constate encore une fois le juge Raymond Ranjeva,
«la non-transposition en droit judiciaire international de la règle una via electa a
permis le développement de l’autonomie de la responsabilité judiciaire par rapport à
celle principale mais non exclusive, du Conseil de sécurité en matière de maintien de
la paix et de la sécurité internationales. La consolidation de cette compétence s’est
réalisée dans le cadre de la banalisation progressive de ces mesures à portée militaire
au sein des mesures conservatoires en général de l’article 41 du Statut. Il n’y a pas
lieu d’aménager un régime particulier fondé sur des considérations autres que les
circonstances particulières de l’espèce.» (Raymond Ranjeva, «La prescription la Cour
internationale de Justice des mesures conservatoires à portée militaire», in Mohammed
Bedjaoui, Liber Amicorum, Kluwer Law International, p. 458.)
Comme la Cour l’a également fait observer dans l’affaire relative au Personnel diplomatique
et consulaire des Etats-unis à Téhéran, «aucune disposition du Statut ou du Règlement ne lui
interdit de se saisir d’un aspect d’un différend pour la simple raison que ce différend comporterait
d’autres aspects, si importants soient-ils» (C.I.J. Recueil 1980, p. 19, par. 36)
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L’agent et le conseil du Rwanda ont argué du caractère abusif et même artificiel que
revêtiraient la requête introductive d’instance et la demande en indication des mesures
conservatoires de la République démocratique du Congo contre le Rwanda, allant jusqu’à requérir,
sans gêne, la radiation du rôle de la Cour.
Pour mieux faire passer leur argumentation, de nature assez spécieuse, et pour suggérer une
identité, à tout le moins une similitude avec la requête de juin 1999, déjà retirée du reste, et la
nouvelle requête, à vrai dire une autre requête, ils ont choisi délibérément de la dénommer «Affaire
des Activités armées sur le territoire du Congo» (nouvelle requête : 2002) (République
démocratique du Congo c. Rwanda)».
Monsieur le président, nous ne suivrons pas le Rwanda dans ses tendances habituelles à la
déformation, à la désinformation, à la manipulation, à l’instrumentalisation et à la culpabilisation à
outrance. Au plus, tout ce qui résiste aujourd’hui au pouvoir en place à Kigali est qualifié de
génocidaire, même ceux qui ont conquis et dirigé le pouvoir aux côtés du président Polka Game ou
qui ont eu à occuper les plus hautes fonctions dans ce pays. (L’ancien président est aujourd’hui
malmené tout simplement parce qu’il a voulu exercer sa liberté politique en créant un parti.) La
requête introductive d’instance et la demande en indication des mesures conservatoires déposées
par la République démocratique du Congo le 28 mai 2002 concerne explicitement les violations
massives, flagrantes, graves et systématiques du Rwanda, à travers ses troupes, ses agents et ses
alliés du RCD-Goma, des droits de l’homme et du droit international humanitaire sur le territoire de
la République démocratique du Congo.
Bien sûr, de telles violations découlent logiquement des activités armées du Rwanda sur le
territoire congolais, mais la requête est basée sur les violations systématiques, graves et flagrantes
des droits de l’homme par le Rwanda sur le territoire congolais. De telles violations auraient-elles
été possible si le Rwanda avait respecté les principes fondamentaux du droit international qu’est le
respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de la République démocratique du Congo ?
C’est ce qui justifie la demande en indication du retrait total et immédiat des troupes rwandaises de
notre territoire.
Les atteintes graves aux droits de l’homme sont, à vrai dire, de la part du Rwanda, le moyen
d’entretenir son agression et l’occupation d’une bonne partie du territoire national. C’est un moyen
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de gouvernance autoritariste et même de domination. Il s’ensuit une politique de terreur et de
répression violente et sanglante de toute contestation ou résistance, telle que l’a décrite
Roberto Garreton dans plusieurs de ses rapports et telle que le mentionnent plusieurs organisations
non gouvernementales telles que Human Rights Watch, la voix des sans-voix, le groupe des amis
de Nelson Mandela, Amnesty International.
Monsieur le président, si vous me le permettez, je peux vous remettre l’ensemble de ces
rapports.
Le PRESIDENT : Puis-je vous poser la question de savoir s’il s’agit de documents publics ?
M. NTUMBA LAUBA LUMU : Oui, Monsieur le président, la plupart de ces documents
sont tout à fait publics et nous les avons cités dans nos plaidoiries d’hier.
Le PRESIDENT : Les avez-vous communiqués à la Partie adverse ?
M. NTUMBA LAUBA LUMU : Je le fait tout de suite.
Le PRESIDENT : Je vous remercie.
M. NTUMBA LAUBA LUMU : Merci, Monsieur le président, de votre autorisation. Les
violations des instruments normatifs internationaux protecteurs des droits de l’homme et du droit
international humanitaire de la part du Rwanda ne sont pas détachables des actes d’agression et
d’occupation territoriale. La corrélation ainsi établie n’est ni artificielle ni abusive.
Monsieur le président, le conseil et avocat du Rwanda a également souligné le primat des
négociations diplomatiques sur la voie judiciaire, en faisant même un préalable à la saisine de la
Cour et considérant, en conséquence, que les conditions n’étaient pas réunies pour faire jouer les
clauses compromissoires mentionnées par le Gouvernement de la République démocratique du
Congo.
Lorsque l’article 33 de la Charte des Nations Unies dispose en son paragraphe 1 que
«les parties à tout différend dont la prolongation est susceptible de menacer le
maintien de la paix et de la sécurité internationales doivent en rechercher la solution,
avant tout, par voie de négociation, d’enquête, de médiation, de conciliation,
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d’arbitrage, de règlement judiciaire, de recours aux organismes ou accords régionaux,
ou par d’autres moyens pacifiques de leur choix» (les italiques sont de la République
démocratique du Congo),
l’ «avant tout» concerne plutôt l’option préférentielle pour la voie pacifique de règlement de tout
conflit et non le préalable diplomatique. Ici, on ne saurait dire que le diplomatique tient le
juridictionnel en état, en affirmant que la Cour ne constitue qu’une instance secondaire comme on
nous a laissé entendre alors que c’est l’organe judiciaire principal de l’ONU.
Nguyen Quoc Dinh, Patrick Daillier et Alain Pellet, et d’autres auteurs le disent si bien : «le
droit international général ne contient pas l’obligation pour les Etats de faire usage de telle
modalité de règlement pacifique plutôt que de telle autre» (Nguyen Quoc Dihn et alii, Droit
international public, LGDJ, Paris, 1999, p. 788).
Le principe ainsi reconnu et affirmé par tous est celui du libre choix des moyens de
règlement (Jean Combacau et Serge Sur, Droit international public, 4e
éd., Montchrestien, Paris,
1999, p. 55-56), selon le paragraphe 3 du point I de la déclaration de Manille sur le règlement
pacifique des différends, approuvé par l’Assemblée générale des Nations Unies le 5 novembre
1982 (résolution 37/10) :
«les différends internationaux doivent être réglés sur la base de l’égalité souveraine
des Etats et en accord avec le principe du libre choix des moyens, conformément aux
obligations découlant de la Charte des Nations Unies et aux principes de la justice et
du droit international».
Jean-Pierre Queneudec, dans le commentaire qu’il fait sur l’article 33 de la Charte des
Nations Unies, mentionne que : «le fondateur des Nations Unies voulait essentiellement faciliter la
solution pacifique des conflits, sans chercher à privilégier aucune voie de règlement»
(Jean-Pierre Queneudec, «Commentaire sur l’article 33 de la Charte des Nations Unies», in
Jean-Pierre Cot et Alain Pellet, La Charte des Nations Unies, commentaire article par article,
2
e
éd., Economica, Paris, 1991, p. 567 à 573).
Ainsi, la négociation ou le recours à l’arbitrage peut constituer un stade initial et, parfois,
définitif. Mais comme le souligne Dénis Alland : «bien qu’il faille laisser une chance à la
négociation qu’elle soit directe ou assistée, en cas d’impasse, il est nécessaire de passer à des
modes juridictionnels, plus contraignants, capables de trancher en droit un différend»
(Dénis Alland, Droit international public, PUF, Paris, 2000, p. 446 et suiv.).
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Monsieur le président, la négociation peut également continuer à suivre son cours
parallèlement à la procédure judiciaire comme la Cour l’a elle-même rappelé :
«La jurisprudence de la Cour fournit divers exemples d’affaires dans lesquelles
les négociations et règlement judiciaire se sont poursuivis en même temps… Par
conséquent, le fait que des négociations se poursuivent activement pendant la
procédure actuelle ne constitue pas, en droit, un obstacle à l’exercice par la Cour de sa
fonction judiciaire.» (Affaire du Plateau continental de la mer Egée,
C.I.J. Recueil 1978, p. 12, par. 29; de même affaire du Personnel diplomatique; affaire
des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua).
Ainsi, le fait qu’il y ait ou non négociation, à un stade nul (zéro) ou avancé, ne peut
empêcher la Cour de recevoir une requête et de statuer valablement.
Par ailleurs, la Cour a toujours insisté sur l’obligation «de parvenir à un résultat précis … par
l’adoption d’un comportement déterminé, à savoir la poursuite de bonne foi de négociations en la
matière» (avis du 8 juillet 1996, C.I.J. Recueil 1996, p. 264, par. 99).
Le refus de négocier de la part d’une partie au litige, l’enlisement des négociations, leur
blocage ne peuvent servir de prétexte à paralyser le recours à un autre mode de règlement des
différends (D. Alland, op. cit., p. 446 et suiv.).
Comme le souligne Moncef Kdhir, l’absence de négociations préalables à la saisine de la
Cour n’est pas opposable à la compétence de cette dernière.
Mais était-il possible, est-il possible d’engager de bonne foi des négociations avec le
Rwanda et de déboucher sur des résultats tangibles, concrets, appréciables et acceptables pour la
paix et la sécurité dans la région des Grands Lacs, ainsi que pour la promotion et la protection des
droits de l’homme, non pas pour les seuls Rwandais, mais également pour les Congolais, étant tous
réunis dans la commune nature humaine ?
Depuis la signature le 10 juillet 1999 de l’accord de Lusaka pour le cessez-le-feu en
République démocratique du Congo à ce jour, le Rwanda n’a jamais respecté ses engagements.
Pourtant, à l’article 1, paragraphe 3, de cet accord, il est stipulé que le cessez-le-feu implique la
cessation de … tous les actes de violence contre les populations civiles par le respect et la
protection des droits humains.
Ces actes de violence incluent les exécutions sommaires, la torture, le harcèlement et
l’exécution des civils sur la base de leur origine ethnique, la propagande et l’incitation à la haine
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ethnique et tribale, l’armement des civils, la violence sexuelle, la formation et l’utilisation des
terroristes, les massacres, le bombardements d’avions civils et des populations civiles.
A quelques semaines ou mois après la signature de cet accord, les troupes rwandaises
s’adonnèrent allègrement à des massacres à grande échelle : Kasika, Lulingi, Luberizi,
Mwenga, etc.
Contrairement aux autres troupes étrangères qui font un effort pour se désengager
progressivement, le Rwanda ne cesse de renforcer sa présence militaire sur le terrain. Bien plus, et
paradoxalement, il recourt même à des anciens prisonniers hutu, des ex-FAR et autres groupes
armés pour la première ligne de front ou le pillage des ressources.
De nombreux rapports et écrits y font allusion, notamment le rapport du groupe d’experts sur
l’exploitation illégale des ressources de la République démocratique du Congo.
Le professeur Lwamba Katansi a mentionné les nombreuses rencontres au sommet entre le
président Joseph Kabila et le président Kagame et le comportement que le président Paul Kagame a
toujours affiché au cours de telles rencontres diplomatiques.
Dans nos observations faites au cours de l’audience d’hier, il a été clairement indiqué que le
président du Rwanda a opposé une fin de non-recevoir à toutes les offres de paix faites tant par les
missions du Conseil de sécurité que par d’autres instances ou pays.
Suite aux recommandations du Conseil de sécurité, notamment celles contenues dans la
résolution 1355 du 16 juin 2001 qui encourage les présidents et les Gouvernements de la
République démocratique du Congo et du Rwanda à intensifier leur dialogue dans le but de
parvenir à des structures de sécurité régionales fondées sur l’intérêt commun et le respect mutuel de
l’intégrité territoriale, de la souveraineté nationale et de la sécurité des deux Etats, la République
démocratique du Congo a dépêché des émissaires officiels à Kigali, tels que le ministre de la
sécurité et de l’ordre public. Mais l’inverse ne s’est jamais réalisé.
Il en est de même des prisonniers de guerre rwandais que la République démocratique du
Congo, avec le concours du Comité international de la Croix-Rouge, a pu rapatrier au Rwanda.
Plusieurs avancées et propositions ont été faites par le Gouvernement de la République
démocratique du Congo, mais toujours sans conséquence sur un éventuel changement positif du
comportement du Rwanda. C’est le cas du désarmement et du cantonnement à Kamina d’environ
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deux mille éléments armés rwandais dans le cadre de l’opération désarmement, démobilisation,
rapatriement, réinstallation et réinsertion. Leurs armes ont été brûlées en présence de la dernière
mission du Conseil de sécurité en République démocratique du Congo en mai 2002.
C’est aussi le cas de la saisine fin janvier 2002 du Conseil de sécurité en vue de la
constitution d’une commission internationale d’enquête sur les groupes armés en République
démocratique du Congo pour les rechercher, les identifier et les désarmer. C’est le cas enfin de
l’installation d’une antenne du Tribunal pénal international pour le Rwanda à Kinshasa.
Que faudrait-il faire encore, Monsieur le président ?
La République démocratique du Congo souhaite et espère que la conférence internationale
sur la paix, la sécurité, la stabilité et la démocratie dans la région des Grands Lacs prônée par
maintes résolutions du Conseil de sécurité finira par se tenir.
Monsieur le président, on a parlé du recours à l’arbitrage comme un autre préalable. Peut-on
vraiment prendre au sérieux cet argument du Rwanda lorsqu’on sait qu’il s’est refusé à tout
compromis avec la République démocratique du Congo pour soumettre le différend à la Cour ?
Du reste en choisissant la voie d’agression et de l’occupation territoriale, en persistant dans
cette voie contraire aux bons usages entre nations civilisées, et contraires au droit international
général et coutumier, le Rwanda excluait toute possibilité de règlement pacifique. Il se plaçait ainsi
hors-la-loi ou au-dessus de la loi internationale.
Il est clair que le Rwanda a violé le principe de l’interdiction de régler les différends par des
moyens non pacifiques, principe consacré à l’article 2, paragraphe 4, de la Charte de l’ONU, ainsi
que par d’autres dispositions telles que la déclaration relative aux principes du droit international
touchant les relations amicales et la coopération entre Etats (A/Res. 2625 (XXV) du
24 octobre 1970) et la déclaration de Manille sur le règlement pacifique des différends
internationaux (A/Res. 37/10 du 15 novembre 1982).
Monsieur le président, pour revenir à la compétence prima facie de la Cour, il a été loisible
de constater que l’agent et le conseil du Rwanda n’ont pas pu remettre en cause totalement les
bases de compétence avancées par la République démocratique du Congo, se contentant plutôt d’en
contester le rattachement aux faits et circonstances postulant l’indication en urgence des mesures
conservatoires.
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Ainsi, le Rwanda admet bel et bien qu’il est lié, au même titre que la République
démocratique du Congo, par les conventions qu’il a également ratifiées et qui contiennent des
clauses attributives d’une juridiction spéciale à la Cour internationale de Justice. Il s’agit
particulièrement de :
¾ l’article 22 de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de
discrimination raciale du 21 décembre 1965;
¾ l’article 29, paragraphe 1, de la convention, sur l’élimination de toutes les formes de
discrimination à l’égard de la femme du 18 décembre 1979;
¾ l’article 9 de la convention sur la prévention et la répression du crime de génocide du
9 décembre 1948;
¾ l’article 75 de la Constitution de l’Organisation mondiale de la Santé du 22 juillet 1946;
¾ l’article 66 de la convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969; notamment.
La seule objection concerne les réserves à l’article 9 de la convention sur le génocide et à
l’article 22 de la convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale. Mais
de telles réserves sont-elles admissibles en matière des droits de l’homme et du droit international
humanitaire, particulièrement de leur noyau dur, à fondement coutumier et à obligation erga omnes
avec des principes et valeurs relevant du jus cogens. De telles réserves ne peuvent que violer, que
vider l’accord de son objet, de son utilité et de son efficacité. Le Rwanda pouvant alors violer
toutes les dispositions conventionnelles sans s’exposer à un quelconque contrôle, ou à une sanction.
Dans l’affaire de la Barcelona Traction, la Cour affirme que : tout Etat a un intérêt juridique
au respect de certaines règles conventionnelles, particulièrement impératives comme la prohibition
de l’agression, du génocide, de l’esclavage ou de la discrimination raciale (arrêt du 5 février 1970,
C.I.J. Recueil 1970, p. 32, par. 34).
La compétence ratione personnae est bien établie car les conventions mentionnées par la
République démocratique du Congo ont été ratifiées aussi bien par le Rwanda que par le Congo et
sont en vigueur entre les deux pays.
La compétence ratione materiae ne peut être contestée car les faits constitutifs de violations
et atteintes graves aux droits de l’homme et au droit international humanitaire rentrent bien dans le
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champ d’application de ces conventions et sont à la base des différends juridiques notamment du
fait des contestations manifestées entre le Rwanda et la République démocratique du Congo.
Pour toutes ces raisons, la République démocratique du Congo demande à la Cour de
déclarer fondée sa compétence prima facie et recevable la demande de la République démocratique
du Congo en indication des mesures conservatoires.
Nous demandons à la Cour d’appliquer tout simplement sa jurisprudence constante
concernant l’indication des mesures conservatoires qui veut que, si elle dispose au moins d’une
compétence prima facie ou formelle, elle peut procéder à la prise de telles mesures.
Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, les bases de compétences
mentionnées par la République démocratique du Congo vous donnent une compétence prima facie
certaine. Votre jurisprudence est constante là-dessus (affaire des Essais nucléaires en 1973,
C.I.J. Recueil 1973, p. 101; affaire de la Compétence en matière de pêcheries, C.I.J. Recueil 1972,
p. 30; affaire du Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran,
C.I.J. Recueil 1979, p. 7, etc.)
Le risque de la survenance de l’irréparable et de l’irrémédiable, en réalité de leur
accentuation, apparaît clairement dans la déclaration de l’Union européenne sur les événements à
Kisangani du 23 mai 2002, l’Union européenne
«dénonce la recrudescence de la violence dans les zones occupées par le RCD-Goma,
notamment à Kisangani, ainsi que la répression de la population congolaise par des
éléments du RCD-Goma et des troupes rwandaises. Elle rappelle les obligations
découlant des résolutions successives du Conseil de sécurité des Nations Unies sur la
démilitarisation de Kisangani.»
Dans sa lettre du 30 mai 2002, le représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU,
Namanga Ngongi, souligne que
«la MONUC n’a pas manqué d’exprimer publiquement sa plus grave indignation face
aux événements de Kisangani, en dénonçant particulièrement les graves violations des
droits de l’homme, dont les exécutions sommaires perpétrées dans cette ville
administrées par le RCD-Goma».
Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, l’agent du Rwanda, avec cynisme, a
parlé des faits avancés et non fondés, pratiquement des faits inventés, fallacieux. Mais les
documents sont là et en disent long, ainsi que les témoignages. Ecoutons un peu des propos tenus
par certains des témoins oculaires : «ils ont fait irruption chez moi, l’un d’entre eux est allé jusqu’à
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la chambre de mon fils de 21 ans, qui l’a supplié de ne pas tirer. Le militaire a répondu : ce n’est
pas à moi qu’il faut adresser tes prières, mais à Dieu. Et il l’a exécuté.» (Libération du
30 mai 2002, p. 8.)
La République démocratique du Congo veut tout simplement demander justice et réparation
auprès des artisans et forgerons de la paix que vous êtes, si vous me permettez cette expression.
Un jour, un passant demanda à une dame où se trouvait «le palais de la justice», la dame
répondit : «le palais est là, mais la justice je ne sais pas où elle se trouve».
La République démocratique du Congo est venue à la Haye, au sein de ce «Palais de la Paix»
¾ cette maison de la paix ¾ pour obtenir de la Cour sa contribution à l’instauration de la paix,
pour qu’elle aide à arrêter l’hécatombe humaine dont elle est victime aujourd’hui de la part des
troupes d’occupation, en particulier rwandaises, de leurs agents et auxiliaires.
Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, le peuple congolais aspire à la paix.
Il ne demande que la paix et le droit de vivre.
Monsieur le président, je vous prie de donner la parole à M. l’agent, pour un petit mot de
conclusion. Je vous remercie.
Le PRESIDENT : Alors, un petit mot de conclusion, parce que l’heure est déjà passée. Je
donne la parole à M. l’agent.
M. MANSAGU-a-MWANZA : Merci, Monsieur le président. Je ne serai pas long.
Monsieur le président, Madame et Messieurs les Membres de la Cour, nous avons suivi avec intérêt
la plaidoirie du conseil du Rwanda, particulièrement en ce qui concerne la méconnaissance
délibérée de la compétence de la Cour internationale de Justice. Vous vous souviendrez que le
Rwanda avait, dans son mémoire du 21 avril, dénié toute compétence à la Cour. Le Rwanda, par
son conseil, avait fait fi de toutes les souffrances macabres qu’il inflige et continue d’infliger à la
population congolaise. Je persiste et signe que le Rwanda, dans son mémoire du 21 avril 200,
déniait toute compétence à la Cour, préférant ainsi la poursuite de droit de faits au droit à la justice
internationale.
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Dès lors, et jusqu’à ce jour, le Rwanda n’a manifesté aucun geste de compromis. Le Congo,
par son président Joseph Kabila, et son ministre des affaires étrangères et de la sécurité, se sont
rendus à la rencontre du président rwandais avec le message contenant des propositions qui allaient
servir de base de négociations pour trouver une solution honorable au conflit qui nous oppose.
Mais, le président Kagame a fait la sourde-oreille à toutes ces propositions.
Le ministre belge des affaires étrangères, M. Louis Michel, et M. Aldoyelo, envoyé
spécialement de l’Union européenne aux pays des Grands Lacs, n’ont pas réussi à convaincre le
président Kagame du bien-fondé de notre démarche. Ce qui nous laisse croire que le Rwanda ne
veut rien entendre de toutes les résolutions qui ont été votées par le Conseil de sécurité lui
demandant : de faire retirer du territoire congolais; de faire un geste diplomatique pour répondre
aux demandes des illustres personnages de l’Union européenne qui s’étaient rendus au Rwanda
pour les convaincre de trouver une solution pacifique avec la République démocratique du Congo.
Et cette attitude prouve bien, comme je l’ai dit hier, l’arrogance du Rwanda qui se croit au-dessus
de la loi et qui dénie toute compétence à la Cour préférant aussi ignorer les résolutions prises par le
Conseil de sécurité, notamment les résolutions 1304 du 15 juin 2000, 1376 du 9 novembre 2001,
1399 du 9 mars 2002. Ces résolutions restent jusqu’à ce jour lettres mortes.
Monsieur le président, je voudrais exprimer à la Cour, au nom de la délégation congolaise
que conduit le ministre des droits humains, le professeur Ntumba Luaba et le conseil qui nous a
assistés, toute notre gratitude pour avoir suivi avec beaucoup de patience les plaidoiries qui ont été
développées au cours des audiences d’hier et d’aujourd’hui. Je ne terminerai mon propos sans
exprimer mes sincères remerciements à M. greffier de la Cour pour la parfaite considération qu’il
ne cesse de nous témoigner.
A la lumière des faits et arguments exposés au cours de cette procédure orale, le
Gouvernement de la République démocratique du Congo prie la Cour de dire et juger pour que le
peuple congolais puisse jouir de ses ressources naturelles conformément au droit international : de
réaffirmer les droits de la République démocratique du Congo de se défendre et de défendre son
peuple en légitime défense en vertu de l’article 51 de la Charte de l’ONU et du droit international
coutumier tant que continuera l’agression dont elle est victime de la part notamment du Rwanda et
dont le coût en vies humaines augmente au jour le jour; d’ordonner l’embargo sur les hommes à
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destination du Rwanda, le gel de toute assistance militaire et autres aides, l’embargo sur l’or, le
diamant, le coltan ainsi que d’autres ressources et biens provenant du pillage systématique et de
l’exploitation illégale des richesses de la République démocratique du Congo dans sa partie
occupée (car le Rwanda aujourd’hui est devenu exportateur de diamant et de coltan alors qu’il n’en
a pas sous son sol); la mise en place rapide d’une force d’interposition et d’imposition de la paix le
long des frontières de la République démocratique du Congo avec le Rwanda, ainsi qu’avec les
autres parties belligérantes. Nous insistons surtout beaucoup pour que le Rwanda puisse libérer
Kisangani afin que sa démilitarisation soit effective et que les forces de la MONUC puissent
occuper cette ville. Ainsi la population vivra en paix, tout en rappelant que le Rwanda est tenu de
payer à la République démocratique du Congo, de son propre droit, et compara patria, de ses
citoyens, des réparations justes et équitables pour les dommages subis pour les personnes, les biens,
l’économie et l’environnement.
La République démocratique du Congo prie la Cour d’indiquer également en vertu de
l’article 41 de son Statut et les articles 73 à 75 de son Règlement toutes autres mesures exigées par
les circonstances en vue de prévenir les voies légitimes de la République démocratique du Congo et
de sa population ainsi que d’empêcher l’aggravation du différend.
Monsieur le président, Madame et Messieurs les Membres de la Cour, voilà les mots que
j’avais à prononcer, ces mots de la fin pour l’audience qui se termine ce matin. Je vous remercie.
Le PRESIDENT : Je vous remercie, Monsieur l’agent. Ceci met un terme à la présente
audience. Nous nous réunirons à nouveau à midi pour le deuxième tour de plaidoiries de la
République du Rwanda. La séance est levée.
L’audience est levée à 11 h 45.
___________
Audience publique tenue le vendredi 14 juin 2002, à 9 h 30, au Palais de la Paix, sous la présidence de M. le juge Guillaume, président