CR 95/15
Cour internationale International Court
de Justice of Justice
LA HAYE THE HAGUE
ANNEE 1995
Audience publique
tenue le jeudi 16 février 1995, à 15 heures, au Palais de la Paix,
sous la présidence de M. Bedjaoui, Président
en l'affaire relative au Timor oriental
(Portugal c. Australie)
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COMPTE RENDU
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YEAR 1995
Public sitting
held on Thursday 16 February 1995, at 3 p.m., at the Peace Palace,
President Bedjaoui presiding
in the case concerning East Timor
(Portugal v. Australia)
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VERBATIM RECORD
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- 2 -
Présents : M. Bedjaoui, Président
M. Schwebel, Vice-Président
M. Oda
Sir Robert Jennings
MM. Guillaume
Shahabuddeen
Aguilar Mawdsley
Weeramantry
Ranjeva
Herczegh
Shi
Fleischhauer
Koroma
Vereshchetin, juges
Sir Ninian Stephen
M. Skubiszewski, juges ad hoc
M. Valencia-Ospina, Greffier
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Present: President Bedjaoui
Vice-President Schwebel
Judges Oda
Sir Robert Jennings
Guillaume
Shahabuddeen
Aguilar Mawdsley
Weeramantry
Ranjeva
Herczegh
Shi
Fleischhauer
Koroma
Vereshchetin
Judges ad hoc Sir Ninian Stephen
Skubiszewski
Registrar Valencia-Ospina
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Le Gouvernement de la République portugaise est représenté par :
S. Exc. M. António Cascais, ambassadeur de la République portugaise
auprès du Gouvernement de S. M. la Reine des Pays-Bas,
comme agent;
M. José Manuel Servulo Correia, professeur à la faculté de droit de
l'Université de Lisbonne et avocat au barreau du Portugal,
M. Miguel Galvão Teles, avocat au barreau du Portugal,
comme coagents, conseils et avocats;
M. Pierre-Marie Dupuy, professeur à l'Université Panthéon-Assas
(Paris II) et directeur de l'Institut des hautes études
internationales de Paris,
Mme Rosalyn Higgins, Q.C., professeur de droit international à
l'Université de Londres,
comme conseils et avocats;
M. Rui Quartin Santos, ministre plénipotentiaire, ministère des
affaires étrangères,
M. Francisco Ribeiro Telles, premier secrétaire d'ambassade,
ministère des affaires étrangères,
comme conseillers;
M. Richard Meese, avocat, associé du cabinet Frere Cholmeley, Paris,
M. Paulo Canelas de Castro, assistant à la faculté de droit de
l'Université de Coimbra,
Mme Luisa Duarte, assistante à la faculté de droit de l'Université de
Lisbonne,
M. Paulo Otero, assistant à la faculté de droit de l'Université de
Lisbonne,
M. Iain Scobbie, Lecturer in Law à la faculté de droit de
l'Université de Dundee, Ecosse,
Mlle Sasha Stepan, Squire, Sanders & Dempsey, Counsellors at Law,
Prague,
comme conseils;
M. Fernando Figueirinhas, premier secrétaire de l'ambassade de la
République portugaise à La Haye,
comme secrétaire.
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The Government of the Portuguese Republic is represented by:
H. E. António Cascais, Ambassador of the Portuguese Republic to the
Government of H.M. The Queen of the Netherlands,
as Agent;
Mr. José Manuel Servulo Correia, Professor in the Faculty of Law of
the University of Lisbon and Member of the Portuguese Bar,
Mr. Miguel Galvão Teles, Member of the Portuguese Bar,
as Co-Agents, Counsel and Advocates;
Mr. Pierre-Marie Dupuy, Professor at the University of Paris II
(Panthéon-Assas) and Director of the Institut des hautes études
internationales of Paris,
Mrs. Rosalyn Higgins, Q.C., Professor of International Law at the
University of London,
as Counsel and Advocates;
Mr. Rui Quartin Santos, Minister Plenipotentiary, Ministry of Foreign
Affairs,
Mr. Francisco Ribeiro Telles, First Embassy Secretary, Ministry of
Foreign Affairs,
as Advisers;
Mr. Paulo Canelas de Castro, Assistant in the Faculty of Law of the
University of Coimbra,
Mrs. Luisa Duarte, Assistant in the Faculty of Law of the University
of Lisbon,
Mr. Paulo Otero, Assistant in the Faculty of Law of the University of
Lisbon,
Mr. Iain Scobbie, Lecturer in Law in the Faculty of Law of the
University of Dundee, Scotland,
Miss Sasha Stepan, Squire, Sanders & Dempsey, Counsellors at Law,
Prague,
as Counsel;
Mr. Fernando Figueirinhas, First Secretary of the Portuguese Embassy in The Hague,
as Secretary.
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Le Gouvernement du Commonwealth d'Australie est représenté par :
M. Gavan Griffith, Q.C., Solicitor-General d'Australie,
comme agent et conseil;
S. Exc. M. Michael Tate, ambassadeur d'Australie aux Pays-Bas et
ancien ministre de la justice,
M. Henry Burmester, conseiller principal en droit international,
bureau du droit international, services de l'Attorney-General
d'Australie,
comme coagents et conseils;
M. Derek W. Bowett, Q.C., professeur émérite, ancien titulaire de la
chaire Whewell à l'Université de Cambridge,
M. James Crawford, titulaire de la chaire Whewell de droit
international à l'Université de Cambridge,
M. Alain Pellet, professeur de droit international à l'Université de
Paris X-Nanterre et à l'Institut d'études politiques de Paris,
M. Christopher Staker, conseiller auprès du Solicitor-General
d'Australie,
comme conseils;
M. Christopher Lamb, conseiller juridique au département des affaires
étrangères et du commerce extérieur d'Australie,
Mme Cate Steains, deuxième secrétaire à l'ambassade d'Australie aux
Pays-Bas,
M. Jean-Marc Thouvenin, maître de conférences à l'Université du Maine
et à l'Institut d'études politiques de Paris,
comme conseillers.
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The Government of Australia is represented by:
Mr. Gavan Griffith, Q.C., Solicitor-General of Australia,
as Agent and Counsel;
H.E. Mr. Michael Tate, Ambassador of Australia to the Netherlands and
former Minister of Justice,
Mr. Henry Burmester, Principal International Law Counsel, Office of
International Law, Attorney-General's Department,
as Co-Agents and Counsel;
Mr. Derek W. Bowett, Q.C., Whewell Professor emeritus, University of
Cambridge,
Mr. James Crawford, Whewell Professor of International Law,
University of Cambridge,
Mr. Alain Pellet, Professor of International Law, University of Paris X-Nanterre
and Institute of Political Studies, Paris,
Mr. Christopher Staker, Counsel assisting the Solicitor-General of
Australia,
as Counsel;
Mr. Christopher Lamb, Legal Adviser, Australian Department of Foreign
Affairs and Trade,
Ms. Cate Steains, Second Secretary, Australian Embassy in the
Netherlands
Mr. Jean-Marc Thouvenin, Head Lecturer, University of Maine and
Institute of Political Studies, Paris,
as Advisers.
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Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir, je vous prie. Je donne la parole au professeur Pellet.
M. PELLET : Merci beaucoup, Monsieur le Président.
Monsieur le Président, Messieurs les juges.
Cet après-midi, en deux plaidoiries successives mais distinctes, j'examinerai la requête
portugaise, d'une part à la lumière du droit de la responsabilité internationale des Etats; d'autre part à
la lumière du «principe de l'Or monétaire» et je montrerai que la Cour ne peut, de toutes manières,
se prononcer sur la responsabilité de l'Australie sans se prononcer préalablement sur les intérêts
juridiques de l'Indonésie.
LES DEMANDES PORTUGAISES AU REGARD DU DROIT DE LA RESPONSABILITE
INTERNATIONALE
1. Monsieur le Président, il n'entre évidemment pas dans mes intentions de faire un exposé
académique sur les mécanismes de la responsabilité internationale de l'Etat. Je n'en ai pas le temps.
Et ce n'est pas le lieu.
Au demeurant, en écoutant les plaidoiries prononcées au nom du Portugal (voir CR 95/5,
p. 34-35), je n'ai pas décelé d'oppositions entre les Parties sur ce point. En tout cas, en ce qui
concerne les principes applicables. L'une et l'autre admettent que, conformément à l'article premier
de la première partie du projet d'articles de la Commission du droit international sur la responsabilité
des Etats, «[t]out fait internationalement illicite d'un Etat engage sa responsabilité internationale»
(voir CR 95/5, p. 74); l'une et l'autre paraissent admettre également que, conformément à la structure
générale même du projet, une telle responsabilité n'a de conséquences concrètes que si, et dans la
mesure où, le manquement a causé un dommage à un autre Etat.
Au demeurant, les conclusions du Portugal, demeurées inchangées tout au long de la
procédure (voir mémoire, p. 235-237; réplique, p. 273-275 et CR 95/13, p. 76-79), suivent très
exactement ce schéma : la première énonce, sous une forme très générale les règles qui auraient été
violées par l'Australie, les deux suivantes énumèrent les comportements par lesquels ces règles
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auraient été violées; et par ses conclusions numéros 4 et 5, le Portugal demande à la Cour d'en tirer
des conséquences concrètes en ce qui concerne la réparation et la cessation de ces prétendus
manquements.
Si vous le voulez bien, Monsieur le Président, je vais suivre ce schéma et montrer qu'après
cinq cent douze pages de plaidoiries écrites — sans compter les annexes —, sept audiences orales
qui se sont traduites par trois cent quatre vingt-trois pages de comptes rendus — eh oui, j'aime les
statistiques ! —, le Portugal n'a toujours pas réussi à individualiser quels comportements précis de
l'Australie auraient violé, quelles règles précises du droit international (I). Au demeurant, et pour
surplus de droit, je montrerai aussi, dans un second temps, que, prises en elles-mêmes, les
conclusions de l'Etat requérant sont à la fois inadaptées et irrecevables (II).
I. L'Australie n'a pas commis les manquements au droit international
qui lui sont reprochés
2. Ni de l'un, nu de l'autre côté de la barre, nul, je pense, ne peut contester qu'il y a «fait
internationalement illicite de l'Etat» — donc responsabilité — «lorsque : a) un comportement
consistant en une action ou une omission est attribuable, d'après le droit international, à l'Etat; et b)
ce comportement constitue une violation d'une obligation internationale» (Commission du droit
international, projet d'articles sur la responsabilité des Etats, 1ère partie, art. 3).
Quels sont, Monsieur le Président, les comportements australiens qui, selon le Portugal,
constitueraient la violations d'obligations internationales ?
Il n'est pas facile de le déterminer à la lumière des conclusions portugaises qui sont à la fois
déconnectées de la réalité et, si je puis dire, «emberlificotées» et, les plaidoiries que nous avons
entendues au nom du Portugal, singulièrement celles de lundi dernier, ont contribué à obscurcir
encore un peu les choses.
Dans sa présentation introductive de la réplique orale du Portugal, Me Galvão Teles avait
pourtant fait un louable effort de clarification que je prendrai comme point de départ :
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«L'affaire qui est devant nous est clairement circonscrite. Elle concerne la
négociation de la délimitation permanente du plateau continental dans la zone du
«Timor Gap» ... Elle a trait ensuite à la négociation, à la conclusion et à l'exécution
d'un accord qui porte sur les ressources naturelles du Timor oriental — aussi bien,
évidemment, que sur celles de l'Australie. Elle se rapporte, au surplus, à l'édiction de
lois australiennes.»
Dans un premier temps, tenons-nous en à cela puisque le Portugal nous y invite par la voix
autorisée de son coagent.
3. Premier manquement de l'Australie donc : «la négociation d'une délimitation permanente du
plateau continental dans la zone du «Timor Gap»...»; je lis bien, Monsieur le Président : la
négociation «tout court» — pas la négociation avec l'Indonésie ... Deuxième manquement invoqué
par le Portugal : «la négociation, la conclusion et l'exécution d'un accord» qui porte sur les
ressources naturelles du Timor oriental — «un accord», Monsieur le Président ..., un accord «avec
un Etat» a précisé — ou plutôt n'a pas précisé ! ... — notre contradicteur (CR 95/12, p. 12); pas un
accord avec l'Indonésie ... Troisième prétendu manquement : «l'édiction de lois australiennes».
Je ne m'attarderai pas sur ce dernier fait prétendument illicite : «Tout traité en vigueur lie les
Parties et doit être exécuté par elles de bonne foi.» (Convention de Vienne sur le droit des traités,
art. 36.) Les lois australiennes dont se plaint le Portugal ne sont, en vertu de leurs termes mêmes,
que des mesures d'exécution du traité; elles n'en sont pas «détachables» et ce ne serait que si le traité
lui-même n'était pas valide que ces lois pourraient constituer un manquement au droit international
— hypothèse en tout état de cause invérifiable puisque le Portugal entend nous interdire, vous
interdire, d'examiner la validité du traité australo-indonésien de 1989 (voir mémoire, p. 75,
par. 3.06; réplique, p. 16, par. 2.10 et CR 95/13, p. 57) encore que, nous le verrons, sa position sur
ce point a nettement faibli lundi dernier...
Restent donc la négociation, toujours en cours, d'«un» accord de délimitation et la négociation,
la conclusion et la mise en œuvre d'«un» accord en vue de la mise en valeur des ressources naturelles
du Timor Gap.
4. Conformément aux principes les mieux établis du droit de la mer. «La délimitation du
plateau continental entre Etats dont les côtes se font face est effectuée par voie d'accord ... afin
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d'aboutir à un résultat équitable» (convention de Montego Bay, art. 83, par. 1). C'est le B-A-BA, the
«A, B, C», du droit de la délimitation des espaces marins et la jurisprudence de la Cour a toujours
fermement maintenu cette double exigence d'un accord d'une part, d'un résultat équitable d'autre part
(voir arrêts du 20 février 1969, Plateau continental de la mer du Nord, C.I.J. Recueil 1969, p. 53
ou du 12 octobre 1984, Délimitation de la frontière maritime dans la région du golfe du Maine,
C.I.J. Recueil 1984, p. 299).
Pour autant que le fait internationalement illicite reproché à l'Australie, la négociation d'un
accord de délimitation, est en cause, le problème du contenu, équitable ou non, de l'accord ne se pose
pas; par hypothèse, cet accord n'est pas conclu. Quant au simple fait de négocier un accord avec la
puissance côtière dont les côtes font face à celles de l'Australie, il ne pourrait constituer une illicéité
que si cette puissance n'avait pas le droit d'être là — et cela ne peut, décidément, pas être apprécié
par la Cour, j'y reviendrai tout à la l'heure.
La même remarque vaut pour l'accord australo-indonésien du 11 décembre 1989. En vous
interdisant de vous prononcer sur la capacité de l'Indonésie de conclure un tel accord, le Portugal
exclut en tout cas l'illicéité «positive» si je peux dire, qu'auraient pu constituer sa négociation et sa
conclusion avec ce pays.
5. Restent cependant deux éléments sur lesquels le Portugal insiste
— du reste inégalement selon ses conseils :
— en premier lieu, l'accord australo-indonésien serait illicite du fait de son contenu même; il
porterait sur l'exploitation des ressources naturelles timoraises (CR 95/12, p. 36 et 73;
CR 95/13, p. 27); et,
— en second lieu, le Portugal, toujours attaché à ses «propositions négatives» aurait, en négociant
et en concluant ce traité avec l'Indonésie, «court-circuité» indûment la puissance administrante
qu'il est demeuré (CR 95/12, p. 13).
Je n'ai pas grand-chose à dire sur le premier point, Monsieur le Président : mon collègue et
ami, M. Derek Bowett et moi, avions montré, durant l'audience de vendredi 10 février (CR 95/11,
p. 8-49) 1) qu'en concluant le traité de 1989 l'Australie n'avait fait qu'exercer son propre droit de
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souveraineté permanente sur ses ressources naturelles, sans porter atteinte ni aux droits, ni aux
intérêts, égaux et tout aussi dignes d'attention d'ailleurs, du peuple timorais; 2) que cet accord
constitue un compromis équitable — même s'il est plutôt désavantageux pour l'Australie — entre les
thèses opposées de celle-ci d'une part et de l'Indonésie et du Portugal (ce sont exactement les mêmes)
d'autre part et 3) que ce ceci est en touts points conforme aux exigences du droit de la mer dégagées
par la jurisprudence de la Cour et clairement codifiées par la convention de Montego Bay, et, en
particulier, ses articles 76 et 83, tout spécialement le paragraphe 3 de cette dernière disposition.
Le Portugal est demeuré étrangement silencieux sur cette augmentation au début de la
semaine; alors que l'Australie, pour sa part, continue à la tenir pour difficilement contestable; ceci du
reste, explique sans doute cela ! En tout cas, puisque le Portugal ne s'est pas exprimé sur ce point, je
ne puis guère que vous prier respectueusement, Messieurs les juges, de vous reporter à nos
plaidoiries sur ce point qui nous paraît important, car il fait justice de l'accusation, centrale dans la
thèse du Portugal, selon laquelle l'Australie «pillerait» les ressources naturelles du Timor oriental —
non, décidément, elle ne fait qu'exercer ses propres droits; ceux que lui reconnaît le droit
international, comme à tout Etat — et qu'il reconnaît au peuple australien, comme à tout peuple.
Nos plaidoiries sur ce point important sont reproduites dans le compte rendu 95/11, pages 8 à 49.
6. Reste bien sûr l'autre principe qu'aurait violé l'Australie, celui, dont elle ne conteste
nullement l'importance, du droit à l'autodétermination.
Pourquoi et comment l'aurait-elle violé selon le Portugal ? Rien de très nouveau à cet égard
dans les plaidoiries que nous avons entendues lundi dernier — mais puisque c'est à celles-ci que je
réponds, elles constitueront mon point de départ : «la demande portugaise ... se fonde sur la
méconnaissance par l'Australie du Timor oriental comme territoire non autonome, d'une part, et de
celle du Portugal comme sa puissance administrante, d'autre part» (CR 95/13, p. 46).
Mes collègues et amis, Henry Burmester et James Crawford ont montré que cette position est
intenable : il n'y a pas de statut général et abstrait de «puissance administrative»; une telle
qualification implique des obligations, fonctionnelles, au regard des Nations Unies (elles sont
énoncées principalement dans l'article 73 de la Charte) et, sans doute, des droits corrélatifs, mais,
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eux aussi, fonctionnels et qui supposent que les Etats "bénéficiaire" soient capables, concrètement,
de s'acquitter de ces obligations et d'exercer ces droits — ce n'est pas le cas ici. De même,
l'Australie, contrairement d'ailleurs à d'autres Etats, admet que le peuple timorais a le droit de
disposer de lui-même et qu'il ne l'a pas pleinement exercé jusqu'à présent — elle l'a dit dès 1975; elle
a maintenu son opposition à la manière dont l'Indonésie avait procédé à cette incorporation, en 1979,
lorsqu'elle a reconnu la situation durable (et probablement définitive) créée par l'Indonésie sur le
terrain (voir mémoire, annexe III. 37) — c'est ce que signifie, le professeur Crawford l'a rappelé, la
reconnaissance de jure; elle maintient cette position aujourd'hui, selon laquelle le peuple du Timor
oriental a le droit de disposer de lui-même; cette Cour le sait; l'Indonésie le sait; seul le Portugal
s'obstine à l'ignorer.
7. Moyennant quoi, l'Etat requérant mésestime — «méconnaît» serait aussi un mot
approprié ! — gravement un élément essentiel : ni le Conseil de sécurité, ni l'Assemblée générale,
n'ont tiré de conséquences particulières des qualifications ainsi effectuées. Certes, on peut soutenir
que, dans un premier temps, ces organes ont demandé à l'Indonésie de retirer ses forces — à
l'Indonésie — et c'est là que le principe de l'autorité de la chose décidée qui trouble tellement nos
contradicteurs joue (voir CR 95/13, p. 15 et 49); encore n'ont-ils pas renouvelé cette exigence
depuis 1975. Ils ont aussi adressé une demande au Gouvernement portugais, «en tant que puissance
administrante, de coopérer pleinement avec l'Organisation des Nations Unies...» (cf. la
résolution 384 (1975) du Conseil de sécurité.) Mais pour ce qui est des Etats tiers, de ceux qui ne
sont pas «directement concernés», rien de tel.
Rien de tel. Mais une demande — celle de «respecter l'intégrité territoriale du Timor oriental
ainsi que le droit inaliénable de son peuple à l'autodétermination...» (ibid.). Toutefois, contrairement
à ce qui s'est produit dans d'autres cas — pour la Rhodésie du Sud ou la Namibie en particulier — le
Conseil de sécurité n'a imposé aucun moyen particulier pour atteindre ce but; l'Assemblée générale
n'en a pas non plus recommandé.
Non, Monsieur le Président, l'Australie n'est pas «obsédée par les sanctions» comme l'un des
conseils du Portugal le lui a reproché (CR 95/13, p. 8). Elle constate simplement deux choses :
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— la première c'est que les organes des Nations Unies n'en ont, en l'espèce, ni imposé, ni même
recommandé, contrairement à ce qui est s'est produit dans d'autres affaires; et c'est pourtant le
professeur Higgins elle-même qui insistait, lundi, sur l'importance des circonstances propres à
chaque espèce (CR 95/13, p. 13);
— la seconde, c'est que les résolutions des organes de l'Organisation des Nations Unies ont certes, à
l'origine, demandé à tous les Etats de respecter le droit du peuple du Timor oriental à
l'autodétermination;
— en tout cas les trois résolutions les plus anciennes le font (cf. les résolutions 384 (1975) du
22 décembre 1975 et 389 (1976) du 22 avril 1976 du Conseil de sécurité et la
résolution 3455 (XXX) de l'Assemblée générale du 12 décembre 1975, car les résolutions
suivantes ne s'adressent plus aux autres Etats. Quoi qu'il en soit, ces mêmes résolutions
anciennes sont totalement muettes sur les moyens que les autres Etats doivent utiliser à cette fin.
Les conséquences ou les inférences que le Portugal en déduit en ce qui concerne les obligations
qui en résulteraient pour l'Australie sont le produit de sa seule imagination; le professeur Bowett
l'a montré ce matin, les résolutions ne disent rien quant au moyen d'atteindre l'objectif qu'elles
désignent.
Monsieur le Président, l'Australie, pour sa part, a la conviction qu'elle sert mieux les intérêts
du peuple du Timor oriental, en reconnaissant la présence de l'Indonésie dans ce territoire à l'égard
duquel elle peut, de ce fait, mener une politique plus active qui, elle l'espère, contribuera à l'exercice
effectif par le peuple timorais de son droit à disposer de lui-même; droit dont, j'en reparlerai, il a été
privé par le Portugal d'abord, par l'Indonésie ensuite.
8. Oh certes ! On peut critiquer cette attitude — encore que, sur ce point, le Portugal me fasse
un peu penser à ces médecins de Molière qui préféraient faire mourir leurs malades selon les règles
d'Hippocrate plutôt que les sauver ou les guérir en se débarrassant du dogme. Mais, en l'occurrence,
de telles critiques ne peuvent être que politiques; l'Australie n'a violé aucune règle car faute de
décisions prises par les Nations Unies et indiquant les moyens précis que les Etats doivent utiliser
pour favoriser le droit du peuple timorais à l'autodétermination c'est à chacun d'eux qu'il appartient,
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dans sa sagesse souveraine, de choisir ces moyens. Le Portugal et l'Australie n'ont pas, c'est évident
la même opinion sur ce point; mais c'est une question d'appréciation et d'opportunité, non de droit.
Ni le Portugal, ni la Cour elle-même, ne peuvent, à cet égard, substituer leur propre appréciation à
celle de l'Australie; «[l]es limitations de l'indépendance des Etats ne se présument pas» et, en
l'absence de règles prohibitives (de sanctions si l'on veut), «chaque Etat reste libre d'adopter les
principes qu'il juge les meilleurs et les plus convenables» (Lotus, arrêt n° 9, 1927,C.P.J.I. série A
n
o
10, p. 18-19).
9. Il y a, du reste, un autre argument, tout à fait décisif, pour exclure que la conclusion de
l'accord de 1989 aie pu porter atteinte aux droits du peuple timorais à disposer de lui-même. Je
n'évoque cet argument que pour mémoire, M. Bowett en a parlé ce matin — mais il est très
important.
Le Portugal admet maintenant (voir CR 95/12, p. 36 ou CR 95/13, p. 26-27) que de
nombreux Etats ont pu conclure en toute licéité avec l'Indonésie des accords qui, en vertu de leurs
termes mêmes, s'appliquent to "the territory of the Republic of Indonesia as defined in its laws" (voir
les nombreux exemples figurant dans le contre-mémoire australien, app. C, p. 213-218). Ne reste
donc qu'un problème, celui de l'objet du traité; le professeur Bowett en a parlé; j'en ai parlé (voir
supra, n
o
5) — ce n'est pas un meilleur terrain pour le Portugal car il ne démontre pas, et il ne peut
d'ailleurs pas démontrer, que les ressources naturelles qu'il accuse l'Australie de piller appartiennent
au peuple timorais — et pour cause : elles sont, de l'avis de l'Australie, mais sur la base de règles
juridiques qui vous ont été indiquées, clairement, certainement, indiscutablement , australiennes, ces
ressources.
10. Ainsi, Monsieur le Président, de quelque côté que l'on se tourne, l'Australie n'a violé
aucune obligation que lui imposerait le droit international :
— premièrement, elle a conclu un traité avec l'Indonésie — exactement comme l'ont fait de
nombreux autres Etats; "mais la faculté de contracter des engagements est précisément un
attribut de la souveraineté de l'Etat" (Vapeur Wimbledon, 1923, C.P.J.I. série A no
1, p. 25);
— deuxièmement, cet accord porte sur l'exploitation conjointe de ressources naturelles que
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l'Australie a toujours considérées, et considère toujours, comme étant siennes;
— troisièmement, il a été conclu conformément aux directives les plus solidement établies du droit
de la délimitation maritime et ne préjuge d'ailleurs pas une future délimitation;
— quatrièmement, il n'a, en revanche, pas été conclu avec le Portugal, qui n'exerce aucun contrôle
effectif sur le territoire du Timor oriental depuis vingt ans et qui n'aurait pu donner effet à un
accord de ce type, pas davantage d'ailleurs qu'à un traité de délimitation;
— cinquièmement, des résolutions — anciennes — des Nations Unies ont certes demandé aux Etats
de respecter le droit du peuple du Timor oriental à l'autodétermination mais elles n'ont rien
décidé, si ce n'est à l'égard des parties "directement concernées"; elles n'ont pas même
recommandé les moyens propres à atteindre ce but, que l'Australie, pour sa part, approuve
pleinement;
— mais sixièmement, et c'est le dernier point, l'Australie usant de son pouvoir souverain
d'appréciation, estime que le meilleur moyen de l'atteindre n'est pas de se voiler la face devant la
situation qui prévaut sur le terrain et qu'ont créée les carences du Portugal puis l'invasion
indonésienne mais, au contraire, de reconnaître cette situation et d'essayer d'agir sur la base de
cette "donnée" — une vraie donnée de fait celle-là — au mieux des droits et intérêts du peuple
timorais.
Je n'aperçois pas, Monsieur le Président, de fait internationalement illicite dans tout cela. Des
positions dont l'opportunité peut être discutée ? Evidemment oui — comme le bien-fondé des
positions du Portugal peut être contesté. Mais des manquements au droit international, fermement,
non! Et, sans manquement, pas de responsabilité internationale de l'Etat. Et sans responsabilité pas
de réparation , ni, pour prendre un terme plus large mais un peu barbare en français, de "remèdes"
("remedies" — cela sonne mieux en anglais).
Ce n'est donc qu'à titre tout à fait subsidiaire, Monsieur le Président, que je montrerai
maintenant qu'en tout état de cause, la Cour ne pourrait accorder au Portugal les "remèdes" qu'il
demande.
II. La Cour ne pourrait accorder au Portugal les "remèdes" (remedies)
qu'il demande
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11. Ce n'est donc, aussi Monsieur le Président, que pour les seuls besoins de la discussion, que
je pars de l'idée que l'Australie pourrait être tenue pour responsable des faits illicites dont l'accuse le
Portugal — quod non. La négociation, la conclusion et l'application du traité australo-indonésien du
11 décembre 1989 seraient illicites, de même que l'exclusion de toute négociation avec le Portugal, et
ce sera mon point de départ.
Cet état vous demande d'en tirer trois catégories de conséquences :
— d'une part, il vous invites à "dire et juger"qu'il en est ainsi et M. Dupuy nous a expliqué, la
semaine dernière, qu'il s'agissait d'une "satisfaction" (CR 95/5, p. 38);
— d'autre part, il demande "réparation", selon des modalités qu'il laisse à la Cour le soin
d'apprécier — mais on peut déduire a contrario des trois premières conclusions qu'il s'agit non
pas d'une simple satisfaction mais d'une indemnisation, faute de quoi la quatrième conclusion
ferait double emploi avec les trois premières, et, là encore, M. Dupuy nous a éclairés, tel est en
effet l'objet réel de la quatrième conclusion portugaise (CR 95/5, p. 44-46);
— enfin, le Portugal voudrait vous voir enjoindre à l'Australie de cesser ces activités qu'il tient pour
illicites et d'en garantir la non répétition; c'est sa cinquième conclusion.
Prises isolément, chacune de ces demandes fait problème. Elles se heurtent au surplus,
ensemble, à de graves objections.
12. Commençons par la fin : la cessation et la garantie de non-répétition.
M. Dupuy a ironisé sur le fait que l'Australie voyait dans ces demandes des invitations faites à
la Cour d'adresser de véritables injonctions à un Etat souverain (CR 95/13, p. 69-70). Et d'invoquer
vos arrêts de 1980 et 1986 dans les affaires du Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis
à Téhéran et des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (ibid.).
Il est tout à fait exact que, par ces deux arrêts, la Cour a décidé que les Etats défendeurs,
l'Iran dans le premier cas, les Etats-Unis dans le second, devraient mettre fin aux comportements
dont elle avait constaté l'illicéité. Mais il y au moins trois différences entre ces espèces et notre
affaire :
- 18 -
— en premier lieu, le Portugal entend non seulement que la Cour interdise à l'Australie la poursuite
des comportements actuels qu'il lui reproche, mais aussi qu'elle lui enjoigne de ne pas signer à
l'avenir un accord du même type, demande très évidemment contraire au principe même de
l'actualisation et de l'individualisation de la responsabilité dont le Portugal fait si grand cas par
ailleurs (cf. CR 95/12, p. 41);
— en deuxième lieu, le Portugal déforme totalement les données de l'affaire en exigeant que
l'Australie s'abstienne "de tout acte relatif à l'exploration et à l'exploitation du plateau
continental dans la zone du "Timor Gap" ou à l'exercice de la juridiction sur ce plateau, sur la
base de tout titre plurilatéral auquel le Portugal ... ne serait pas partie" (conclusion 5 b)); c'est
oublier que l'Australie considère que le titre qui fonde ses droits sur le plateau continental en
question n'est nullement "plurilatéral" comme le définit curieusement la Partie portugaise, mais
purement et simplement, "unilatéral" en ce sens qu'il s'agit d'un "titre que le droit international
attribue ipso jure à l'Etat riverain sur son plateau continental" (Plateau continental de la mer
du Nord, C.I.J. Recueil 1969, p. 31; voir aussi Plateau continental de la mer Egée,
C.I.J. Recueil 1978, p. 36);
— du reste et en troisième lieu, quand bien même l'accord australo-indonésien fonderait les droits
de l'Australie, le Portugal néglige totalement un élément, pourtant fondamental, qui était
entièrement absent des affaires que vous avez tranchées en 1980 et en 1986.
Les conduites qui étaient alors reprochées à l'Iran d'une part, aux Etats-Unis d'autre part
étaient des conduites purement unilatérales. Ici au contraire c'est un traité conclu avec un
troisième Etat qui est au coeur du litige — c'est d'ailleurs pour "court-circuiter" ce troisième Etat —
l'Indonésie, pour la nommer une fois de plus (Monsieur le Président, j'ai arrêté les comptes!) —
l'Indonésie que le Portugal évoque, dans l'abstrait, "tout titre plurilatéral" alors qu'en réalité c'est le
traité australo-indonésien de 1989 qu'il vise par cette expression.
13. Mais ceci met clairement en évidence l'irrecevabilité de cette demande. En clair, elle
revient en effet à exiger de l'Australie qu'elle dénonce, ou qu'elle renonce à exécuter, le traité qui la
lie à l'Indonésie.
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Je sais bien — les conseils du Portugal nous l'ont expliqué à maintes reprises (voir CR 95/6,
p. 39 et CR 95/13, p. 54-55) — que nos contradicteurs ne veulent pas entendre parler de conflits
d'obligations au prétexte que ce serait l'Australie elle-même qui se serait mise dans cette situation.
Mais le problème n'est pas là; il tient plutôt à ce que l'on ne voit pas pourquoi la Cour enjoindrait à
l'Australie de ne pas agir sur la base d'un "titre plurilatéral" — le traité australo-indonésien
de 1989 — alors même que le Portugal entend également interdire à la Cour de se prononcer par
ailleurs sur la validité de ce titre. De deux choses l'une en effet : ou bien ce titre est valide et l'on ne
voit pas comment la Cour pourrait enjoindre à l'Australie de violer son engagement; ou bien il ne l'est
pas mais ... la Cour doit le constater et, pour cela, inévitablement, se prononcer sur les intérêts
juridiques de l'Indonésie — et j'aurai l'occasion d'y revenir.
C'est d'ailleurs parce que le problème se posait en ces termes que dans son arrêt du
9 mars 1917, la Cour de justice centraméricaine a refusé de faire droit aux demandes d'El Salvador
visant à faire déclarer la nullité du traité Bryan-Chamorro, ou l'obligation du Nicaragua de s'abstenir
de la mettre en oeuvre :
"To declare absolutely the nullity of the Bryan-Chamorro Treaty, or to grant the
lesser prayer for the injunction of abstention, would be equivalent to adjudging and
deciding respecting the rights of the other party to the Treaty, without having heard that
other party and without its having submitted to the jurisdiction of the Court." (AJIL,
1917, p. 729.)
14. Le Portugal balaie l'objection en faisant valoir que l'Indonésie est suffisamment protégée
par l'article 59 du Statut de la Cour (voir CR 95/13, p. 53). Mais cela est doublement faux.
En premier lieu, un tel raisonnement conduit à des résultats absurdes. Supposons, Monsieur
le Président (je deviens Portugais), que le Portugal obtienne gain de cause; que vous ordonniez à
l'Australie de ne pas se fonder sur le "titre plurilatéral" qui lui permet de prendre part à l'exploration
et à l'exploitation du plateau continental du «Timor Gap» — en clair : de ne pas exécuter le traité qui
la lie à l'Indonésie; supposons aussi que cette dernière accepte votre juridiction et introduise une
requête contre l'Australie. Qu'arrivera-t-il ? Inévitablement, vous rejetterez la demande indonésienne
— rendant ainsi explicite le raisonnement que le Portugal vous demande, pour
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l'instant, de scotomiser. Ceci montre bien que c'est à un détournement du sens et de la portée de
l'article 59 que vous invite l'Etat requérant. Et cela révèle aussi que, décidément, c'est bien à
l'Indonésie qu'il s'en prend.
En second lieu, il est légitime que l'article 59 joue dans les hypothèses où l'Etat défendeur et
les Etats tiers se trouvent dans une situation similaire car, dans ce cas, la Cour ne se prononce pas
explicitement sur la responsabilité des seconds; les mêmes causes produisant les mêmes effets, on
peut penser que si leur comportement devait être jugé, ces autres Etats seraient déclarés responsables
sur la base du même raisonnement; il y a là une forte probabilité, mais rien de plus. C'est comme
cela que se présentaient, par exemple, l'affaire des Activités militaires et paramilitaires au
Nicaragua et contre celui-ci (C.I.J. Recueil 1984, p. 431) ou celle de Certaines terres à phosphates
à Nauru (C.I.J. Recueil 1992, p. 261) et c'est ce qui vous a conduit à invoquer l'article 59 en ces
occasions. Mais rien de tel lorsque, comme dans l'affaire de l'Or monétaire, ou dans celle qui nous
retient, la constatation de la responsabilité de l'Etat tiers constitue un préalable indispensable à celle
de l'Etat défendeur. La Cour l'a dit très clairement dans son arrêt de 1954 :
"il est vrai que, l'article 59 du Statut, la décision de la Cour n'est obligatoire que pour
les parties en litige et dans le cas qui a été décidé. Mais cette règle suppose que la Cour
est pour le moins en mesure de rendre une décision qui les parties. En revanche, là où,
comme dans le cas présent, la question essentielle à trancher a trait à la responsabilité
internationale d'un Etat tiers, la Cour ne peut, sans le consentement de ce dernier rendre
sur cette question une décision qui soit obligatoire pour aucun Etat, ni pour l'Etat tiers,
ni pour aucune des parties qui sont devant elle." (C.I.J. Recueil 1954, p. 33; les
italiques sont de moi.)
15. Ces objections ne portent d'ailleurs pas seulement sur la cinquième conclusion du
Portugal. Elles s'appliquent, avec au moins autant de force, à sa deuxième et à sa
troisième demandes.
La deuxième est d'ailleurs rédigée de la même manière "emberlificotée" — je maintiens le mot,
c'est l'une des caractéristiques de l'affaire forgée par le Portugal — que la cinquième. Il y est
question aussi "d'un titre plurilatéral auquel le Portugal n'est pas partie" — mais le procédé peut
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d'autant moins abuser que ce "titre plurilatéral" est expressément mentionné, quelques lignes plus
haut; il s'agit bien, décidément, de l'"accord du 11 décembre 1989". C'est lui dont le Portugal vous
demande de neutraliser les effets — et je crois avoir montré que vous ne pouvez le suivre sur ce
point.
16. Au surplus, les trois premières conclusions du Portugal se heurtent à d'autres objections.
Il s'agirait nous a-t-on dit (CR 95/5, p. 38-39), de "satisfactions". Soit. Mais la satisfaction
est une forme, parmi d'autres, de réparation. Elle ne peut donc se justifier que s'il s'agit de réparer
un dommage. Tel est le cas, nous dit le Portugal (ibid.) : le Portugal et le peuple du Timor oriental
ont subi un "préjudice juridique" du fait de la conclusion de l'accord de 1989 qui a porté atteinte
— "au droit du peuple du Timor oriental à disposer de lui-même, à l'intégrité et à
l'unité de son territoire et à sa souveraineté permanente sur ses richesses et ses
ressources naturelles..." (conclusions 2 a))
et
— "aux compétences du Portugal comme puissance administrante" (conclusion 2 b) et 3)
— et qui a "enfreint les résolutions 384 et 389 du Conseil de sécurité" et, plus généralement,
méconnu "le caractère obligatoire des résolutions des organes des Nations Unies relatives
au Timor oriental" (conclusion 2 c)).
On peut d'emblée éliminer cette dernière conclusion, celle qui a trait aux résolutions : le
Portugal est, certes, l'une des "parties intéressées" visées par ces résolutions mais il n'' est pas
mandaté pour s'ériger en gardien de l'ordre international et, en tant que tel, le non-respect éventuel —
très éventuel — de ces résolutions par l'Australie, a peut-être causé un dommage aux Nations Unies
(qui, au demeurant, ne s'en sont pas plaintes, qui ne s'en sont pas aperçues...) mais sûrement pas au
Portugal.
En ce qui concerne les deux autres chefs de dommages invoqués par celui-ci, il me faut, une
fois encore, souligner le caractère extrêmement artificiel de la construction imaginée par le Portugal.
Où est le dommage en tout état de cause lorsque le Portugal n'est pas en mesure d'exercer les droits
dont il prétend être privé — ni pour lui-même, ni en faveur du peuple timorais dont il se fait
aujourd'hui le champion ? Encore une fois — et l'on revient toujours à cela —, ce ne sont pas la
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négociation, la conclusion ou la mise en oeuvre du traité australo-indonésien du 11 décembre 1989
qui sont à l'origine du préjudice dont se plaint le Portugal; mais bien plutôt et très évidemment,
deux éléments, d'ailleurs liés, et dans lesquels l'Australie n'a strictement aucune part :
— d'abord, le retrait du Portugal lui-même du Timor oriental dès la fin du mois d'août 1975;
c'est-à-dire quatre mois avant l'invasion indonésienne; retrait qui n'est que la sanction de son
mauvais comportement colonial (si tant est qu'une domination coloniale puisse jamais être
«bonne», la sienne, en tout cas, fut — et il le reconnaît aujourd'hui — particulièrement
exécrable);
— ensuite, bien sûr, l'invasion militaire indonésienne elle-même, le 7 décembre 1975, quatre mois
plus tard.
C'est la conjonction (et la succession — dans cet ordre) de ces deux événements qui est à
l'origine de l'éviction du Portugal du Timor oriental; ce sont ces deux événements et eux seuls qui ont
entraîné la perte par ce pays de toute capacité d'agir au nom de ce territoire. L'Australie n'y a eu
aucune part (malgré les accusations lancées par la Partie portugaise durant le premier tour des
plaidoiries orales mais que, fort heureusement, il n'a pas reprises lundi dernier). Cette situation —
qui est un fait, une «donnée», un given — est due, et est due exclusivement, à l'action d'un tiers —
qui ne peut pas être appréciée dans cette enceinte — et de l'Etat demandeur lui-même qui est, dès
lors, mal venu à exiger réparation d'un dommage né d'une situation qu'il a, en réalité, largement
contribué à créer lui-même, en admettant que ce dommage existe.
17. Deux remarques supplémentaires, sur ce point, Monsieur le Président.
en premier lieu, j'ai été assez choqué, lundi dernier, d'entendre le professeur
Pierre-Marie Dupuy reprendre un argument que les conseils du Portugal avaient déjà évoqué
auparavant (voir CR 95/2, p. 14-15), mais avec plus de pudeur. Selon mon contradicteur, il est
regrettable de vouloir «faire porter à toute force au Portugal d'après 1974 les méfaits coloniaux du
régime qu'il a pourtant renversé» (CR 95/13, p. 67). L'idée est très singulière ! Que je sache, ce
sont les Etats, pas les gouvernements, pas même les régimes politiques, qui engagent leur
responsabilité internationale et le principe de la continuité de l'Etat au regard du droit international
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exclut absolument qu'un régime successeur puisse jouer les Ponce Pilate pour s'exonérer des
responsabilités de celui qu'il a remplacé. Forma regiminis mutata non mutatus ipsa civitas (voir
par exemple Charles Leben, «Les révolutions en droit international : essai de classification et de
problématique générale», in SFDI, Colloque de Dijon, Révolution et droit international , Pédone,
Paris, 1990, p. 13).
Et il ne suffit pas, pour occulter ce principe bien établi, de se réfugier derrière un exemple
fictif comme l'a fait mon ami Pierre-Marie Dupuy la semaine dernière, qui a semblé prétendre que
l'Afrique du Sud de Nelson Mandela pourrait se retrancher derrière sa nouvelle légitimité
démocratique pour s'affranchir de la responsabilité encourue en Namibie par l'Afrique du Sud de
l'apartheid. C'est au contraire la grandeur des véritables démocraties d'assumer les héritages
historiques. Je ne conteste nullement que la République portugaise se classe, aujourd'hui , parmi les
véritables démocraties; mais pourquoi ne va-t-elle pas jusqu'au bout d'une démarche que d'autres,
l'Allemagne ou le Japon par exemple, n'ont pas hésité à faire ? Pourquoi tente-t-elle de s'exonérer de
ses propres fautes en se «défaussant» sur d'autres qui, comme l'Australie dans cette affaire, n'ont
aucune part dans la situation dont elle est elle-même (je parle toujours de la République portugaise
héritière par ailleurs dignement repentie de la dictature) l'un des principaux responsables ? Qui joue
à «c'est pas moi, c'est lui», «lui» étant en l'occurrence l'«ancien régime» portugais ?
La seconde remarque que je voulais faire, Monsieur le Président, est celle-ci : en droit
international, comme, à ma connaissance, dans tous les systèmes juridiques contemporains, on
considère que le véritable auteur du dommage est celui qui est à l'origine de la chaîne de causalité, de
ce que l'on appelle parfois la «causalité transitive» des dommages (voir par exemple
Brigitte Bollecker-Stern, Le préjudice dans la théorie de la responsabilité internationale, Pédone,
Paris, 1973, p. 186-187).
Ce n'est pas à la chanson qu'évoquait le professeur Crawford la semaine dernière que cela fait
le plus penser (vous savez : «I danced with the man who danced with the Prince of Wales» (CR 95/8,
p. 60)) mais plutôt à la célèbre chanson française «Tout va très bien, Madame la Marquise...» dans
laquelle il faut remonter au suicide du Marquis pour trouver la cause véritable de la mort de la
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jument grise... De même ici, s'il y a dommage pour le peuple timorais, il faut en rechercher la
véritable cause, la cause première, dans la catastrophe administration coloniale portugaise, qui a
entraîné le retrait du Portugal, puis l'invasion par l'Indonésie, qui a substitué son contrôle effectif du
territoire à celui de l'ancienne puissance coloniale qui a, de ce fait, perdu la capacité de conclure et
d'appliquer — cela va de pair, je l'ai montré la semaine dernière sans être contredit — des traités
relatifs au territoire.
18. Dans ces conditions, Messieurs les juges, il semble difficile que vous accordiez quelque
réparation que ce soit, sous quelque forme que ce soit — satisfaction ou indemnisation — au
Portugal : si dommage il y a, il trouve son origine dans l'action d'un tiers et de l'Etat demandeur
lui-même; celui-ci est, dès lors, bien mal venu à demander à la Cour des «déclarations» qui
l'exonéreraient à peu de frais de ses propres responsabilités sans redonner au peuple du Timor
oriental la jouissance effective du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes dont il a été privé, en
partie du moins, par l'incurie de l'ancienne puissance coloniale elle-même.
Ces remarques s'étendent, bien sûr, à la première conclusion du Portugal qui, au surplus,
comme l'a fait remarquer M. Gavan Griffith, vendredi dernier (CR 95/11, p. 55 et 70) et à nouveau
ce matin, est dépourvue d'objet puisque le droit du peuple du Timor oriental à disposer de lui-même
n'est pas contesté par l'Australie qui pense en revanche que, dans l'état actuel des choses, le retour de
l'ancienne puissance coloniale ne serait pas le meilleur moyen d'en assurer l'exercice.
Au demeurant, comme l'a dit son agent ce matin, l'Australie comprend bien qu'il pourrait être
«tentant», si je puis dire, pour la Cour, de faire une déclaration du type de celle à laquelle l'invite le
Portugal par cette première conclusion. Mais elle espère très vivement, Messieurs de la Cour, que
vous ne «succomberez pas» à cette tentation. La mission de votre haute juridiction «est de régler
conformément au droit international les différends qui lui sont soumis»; il serait paradoxal que vous
donniez, par une déclaration sans objet, une satisfaction au Portugal sur un point sur lequel il n'y a,
précisément, pas de différend entre les Parties. Que vous constatiez, l'accord des Parties sur ce point
dans les motifs de votre arrêt, c'est une toute autre chose; mais, si vous en faites un élément du
dispositif, que cela soit ou non votre intention, une telle décision apparaîtrait comme l'expression
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d'une réprobation qu'en toute sincérité, l'Australie croit n'avoir pas méritée.
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Cela me conduit, dans le même ordre d'idées, à une seconde observation. Le Portugal vous
invite avec insistance, Messieurs les juges, à apporter «une nouvelle contribution au droit de
l'autodétermination» (CR 95/13, p. 75; vois aussi CR 95/2, p. 47). L'Australie souhaite modérer ce
bel enthousiasme. Si votre arrêt permet de préciser certains points dans le domaine encore
controversé du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, tant mieux ! même si, lorsque ça l'arrange,
le Portugal s'émerveille de la précision des règles qui découleraient de ce principe (voir CR 95/3,
p. 12-13). Mais un tel développement ne saurait être un but en soi; il ne s'agit pas de «remplir les
blancs» d'un chapitre, aussi important soit-il, du droit international, mais de rendre un
arrêt,solidement motivé — mais utilement motivé. Nos contradicteurs semblent parfois oublier que
c'est l'honneur d'un Etat qui est en cause ... et celui-ci vous demande de rejeter les conclusions du
Portugal. Il ne pense pas qu'il soit, pour cela, nécessaire que la Cour se transforme en l'auteur
collectif d'un nouveau traité de droit international.
19. Je viens d'indiquer les multiples raisons pour lesquelles une «satisfaction» sous la forme
d'une déclaration par la Cour ne serait pas appropriée : il n'y a pas de dommage ou en tout cas, si
dommage il y a, il trouve sa cause dans les comportements de l'Indonésie et du Portugal, non dans
ceux de l'Australie. Ceci vaut, à fortiori, pour la quatrième conclusion du Portugal, par laquelle ce
pays demande «réparations sous les formes et selon les modalités qu'il appartient à la Cour
d'indiquer, compte tenu de la nature des obligations violées». Au surplus, puisqu'il s'agit ici de
réparation de dommages matériels, ceux qu'invoque le Portugal sont, de son propre aveu, futurs,
éventuels et incertains (cf. CR 95/5, p. 44-46). C'est le type même de préjudice qui n'est pas
susceptible de réparation en droit international. L'agent de l'Australie a évoqué ceci vendredi dernier
(CR 95/11, p. 66-69).
Il suffit donc de mentionner à cet égard un point supplémentaire : la Cour n'est pas ici dans la
situation où elle se trouvait dans les précédentes affaires de réparation dont elle a eu à connaître,
d'ailleurs pas jusqu'au bout, qu'il s'agisse de celles du Détroit de Corfou (C.I.J. Recueil 1949,
p. 26), des Otages (C.I.J. Recueil 1986, p. 149). Dans tous ces cas, elle a remis à une phase
ultérieure la fixation du montant de la réparation; mais ceci n'a été possible que parce que le
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dommage était certain et «calculable». Rien de tel dans la présente espèce : il est indéterminé et
indéterminable.
20. Ainsi, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, aucune des conclusions du Portugal
n'apparaît ni fondée, ni même recevable. Tout concourt à les écarter : l'irréalité des préjudices
invoqués; la responsabilité propre du Portugal dans leur survenance, ou celle d'un Etat tiers, absent
de l'instance et dont, dès lors, la conduite ne peut être jugée; ou ces trois causes à la fois.
Encore, Monsieur le Président, ai-je raisonné, dans cette seconde partie de ma plaidoirie,
comme le Portugal; je veux dire que j'ai raisonné «avec des si» : si l'Australie avait commis les
manquements au droit international qui lui sont reprochés, les conclusions de l'Etat requérant
pourraient-elles être accueillies ? La réponse est négative. Et elle l'est à fortiori si, en abandonnant
les "si", on s'intéresse au cas réel; ce sera en effet pour constater, comme je l'ai montré, je crois, dans
la première partie de cette plaidoirie, que l'Australie n'a pas commis les faits internationalement
illicites qui lui sont reprochés. Pas de manquement et, dès lors, pas de responsabilité. Pas de
responsabilité et, dès lors, pas de réparation.
Au demeurant, vous n'aurez pas, je pense, à vous interroger sur ces problèmes de substance,
en tout cas pas sous cet angle : la requête du Portugal est irrecevable et l'Australie croit que vous
n'avez pas compétence pour en connaître. Tout au plus, les questions de fond et les exceptions
préliminaires étant liées ici de manière particulièrement étroites, aurez-vous à constater que le
raisonnement au fond, que l'Etat demandeur vous invite à suivre, vous obligerait à vous prononcer
sur les intérêts juridiques d'un Etat absent. Et cette constatation me conduit à ma seconde plaidoirie,
qui sera plus courte, et à examiner les demandes portugaises au regard du principe du consentement
à la juridiction de la Cour.
II. Les demandes portugaises au regard du principe du consentement
à la juridiction de la Cour
1. Permettez-moi d'abord, Monsieur le Président, de rassurer l'inquiet coagent du Portugal qui
a lancé sur ce point un appel à la «loyauté procédurale de l'Australie» (CR 55/13, p. 43). Je n'ai
pas, dans ma manche, d'argument nouveau que nous aurions gardé par devers nous jusqu'à la
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dernière minute ! En revanche, que Me Galvão Teles nous permette, à nous aussi, de nous «entêter»
et de lui dire, amicalement mais fermement, que c'est le Portugal qui s'obstine «à tout brouiller»
(voir CR 95/13, p. 45), nous obligeant ainsi, à revenir sur ce point important malgré la longueur des
développements que les Parties lui ont déjà consacrés.
Je comprends d'ailleurs, Monsieur le Président, l'acharnement candide avec lequel le Portugal
s'arc-boute à ses certitudes vacillantes : pris d'un remords aussi louable que tardif à l'égard du peuple
de Timor, il lui fallait faire un coup d'éclat. Les organes politiques des Nations Unies ne semblaient
pas réceptifs à ses préoccupations; d'année en année l'Assemblée générale remet l'examen de la
question; le Comité des Vingt-Quatre lui-même ne lui prête qu'une attention de routine, le Conseil de
sécurité s'en désintéresse complètement depuis vingt ans. Restait la Cour mondiale — mais avec un
obstacle de taille : l'Indonésie, Messieurs les Juges, n'accepte pas votre juridiction. Alors, l'idée a
germé — je ne sais pas vraiment comment, mais on peut l'imaginer — de trouver une victime plus
accessible. Et le Portugal d'opter pour l'Australie, Etat lointain, avec lequel il entretient des relations
cordiales mais assez neutres, qui est très directement concerné par ce qui se passe dans la région du
monde où se trouve aussi le Timor oriental et qui, lui par contre, a accepté la clause facultative de
l'article 36.
Très vite, bien sûr, le Portugal, dont nous avons pu constater, au cours des trois dernières
semaines, qu'il ne manque pas d'habiles conseils, s'est rendu compte qu'il risquait de se heurter à des
obstacles d'importance. Et d'abord celui-ci : l'Australie n'est pas seulement, comme beaucoup
d'autres pays, un Etat cocontractant de l'Indonésie, elle est aussi un Etat côtier qui, à ce titre, a des
droits; qu'à cela ne tienne : on essaiera de biaiser, en précisant bien que l'on ne demande pas à la cour
de se prononcer, positivement, sur une délimitation mais de condamner l'arrangement provisoire
conclu avec l'Indonésie, faute, justement, de délimitation. Mais, ceci déboucherait sur un autre
problème : par ce biais, l'on réintroduirait inévitablement l'Indonésie dans le «paysage juridique»
sauf si, au lieu de poser la question en ces termes positifs, on la formulait en termes négatifs. Et
c'est sûrement ainsi que le Portugal en est venu à saisir la Cour non pas d'une requête contre
l'Indonésie mais contre l'Australie; non pas de conclusions dirigées contre la reconnaissance de la
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première par la seconde, mais contre la méconnaissance des droits supposés du Portugal; non pas
d'une demande en délimitation mais je dirais en «non-délimitation».
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Cette présentation est suffisamment compliquée et tortueuse pour que, à première lecture, on
puisse s'y tromper. Mais cette impression ne résiste pas à l'analyse; toute l'adresse des conseils du
portugal ne réussit pas à dissimuler l'évidence : non seulement c'est l'Indonésie qui est en fait visée,
mais encore la Cour ne peut répondre aux questions artificielles posées par la requête du Portugal
qu'en se prononçant, d'abord et nécessairement, sur la responsabilité de l'Indonésie — et le Portugal
retrouve sur son chemin le principe cardinal du consentement à la juridiction de la Cour et, plus
précisément, le principe que, pour faire court, on appelle à cette barre depuis trois semaines «le
principe de l'Or monétaire».
2. Me Galvão Teles nous dit que «le Portugal et l'Australie sont d'accord sur le sens de la
règle de l'Or monétaire» (CR 95/13, p. 43). Puisqu'il le dit, je veux bien le croire — et je ne reviens
pas sur l'analyse de cette règle in abstracto. En revanche, ce dont je suis certain, c'est que les Parties
ne s'accordent évidemment pas sur les conséquences de ce principe en l'espèce.
Je le montrerai en suivant pas à pas (mais dans un ordre différent) la dernière plaidoirie de
Me Galvão Teles qui ne pourra ainsi m'accuser de «déloyauté procédurale» même si je m'autorise
quelques brèves incursions du côté des déclarations faites, lundi dernier, par d'autres conseils du
Portugal.
Notre savant — et bouillant — contradicteur est parti d'une assertion hardie en relevant que
«la preuve que la distinction entre licéité et responsabilité d'une part, validité de l'autre, existe» ce
serait que le professeur Crawford et moi nous étions, lors du premier tour de plaidoiries orales,
partagés la tâche de cette manière (CR 95/13, p. 45). Pour dire vrai, ce partage n'avait pas été facile
et nous ne l'avons adopté que pour suivre le Portugal sur son propre terrain; au surplus ce que
Me Galvão Teles a oublié de dire, c'est que nous sommes, l'un et l'autre, je veux dire
James Crawford et moi, arrivés à la conclusion que, justement, cette distinction est, dans la présente
espèce, totalement artificielle (CR 95/8, p. 39, 66-67).
Nous ne sommes, à vrai dire, toujours pas convaincus du contraire. Reportons-nous tout de
suite au début de la seconde partie de la plaidoirie de Me Galvão Teles. Il y formule
"trois propositions préliminaires".
- 31 -
"Première proposition : une chose est la responsabilité qui découle de l'illicéité de
la conclusion et de l'exécution d'un traité, une autre chose est l'invalidité d'un traité."
(CR 95/13, p. 57.)
Notre contradicteur en donne pour "preuve" unique l'article 30, paragraphe 5, de la convention
de Vienne sur le droit des traités; je ne suis pas sûr de bien voir le rapport mais peu importe : dans
l'abstrait, nous sommes d'accord sur ce point avec le Portugal; il est exact que l'illicéité de la
conclusion et l'exécution d'un traité peut, dans certains cas, tenir à d'autres facteurs que l'invalidité
du traité lui-même. De même, et c'est la "Deuxième proposition : la responsabilité internationale
peut être engagée aussi bien par le fait de la conclusion et de l'exécution d'un traité valide, que par
celle d'un traité non valide." (Ibid., p. 58.)
Cela est vrai aussi, Monsieur le Président; mais ce n'est, à nouveau, vrai que dans certains cas
— et l'affaire qui nous occupe ne constitue pas un tel cas.
Pourquoi la conclusion, et l'application du traité du 11 décembre 1989 engageraient-elles la
responsabilité de l'Australie ? Ce n'est pas parce qu'elle se serait engagée avec un "mauvais
cocontractant", une "wrong party"; la réplique portugaise est catégorique : "l'absence de capacité
(capacity) ou de légitimation (entitlement) de l'Indonésie pour ... conclure le traité" sont hors de
cause (par. 7.20, p. 211) et les conseils portugais n'ont jamais remis ce principe en question.
L'eussent-ils fait, d'ailleurs, qu'ils se seraient heurtés de front et ouvertement au principe de l'Or
monétaire.
J'observerai en passant que si le problème n'est pas de savoir avec qui l'Australie a traité, il ne
peut pas être non plus de savoir avec qui elle n'a pas traité : comme je l'ai dit la semaine dernière,
sans être démenti, ce sont les deux faces de la même médaille (voir CR 95/8, p. 14); le comportement
qui pourrait être reproché à l'Australie n'est pas et ne peut pas être de ne pas avoir conclu et négocié
avec le Portugal — la conclusion d'un traité est une faculté, non une obligation — mais bien d'avoir
négocié et conclu avec l'Indonésie; or le Portugal dit expressément que ceci est hors de cause...
La conclusion s'impose d'elle-même, Monsieur le Président : c'est le traité lui-même qui, selon
le Portugal, n'est pas valide et cette prétendue invalidité qui entraînerait l'illicéité de sa négociation,
de sa conclusion et de son application fonderait à son tour la responsabilité de l'Australie.
- 32 -
Cela, au moins, établit très clairement une chose : les deux premières "propositions" de
Me Galvão Teles que j'ai citées tout à l'heure apparaissent comme exactes, sans doute, dans
l'abstrait, ainsi elles sont dénuées de tout effet concret dans l'espèce; alors que, depuis le début de
cette procédure, le Portugal proclame que l'invalidité du traité n'est pas en cause, c'est bien elle, et
seulement elle, qui pourrait entraîner, dans notre affaire, l'illicéité des conduites de l'Australie; peu
importe, dès lors, que, dans certaines hypothèses, il puisse y avoir illicéité des conduites liées au
traité sans que celui-ci soit nul; ici, ce n'est pas le cas.
5. D'ailleurs, les conseils du Portugal le savent bien et cela les a conduits, lundi dernier, à tirer
de cette constatation d'évidence (qui a tout de même mis quelque quatre années à s'imposer...)
deux conséquences.
En premier lieu, le traité du 11 décembre 1989 serait nul — et engagerait de ce fait la
responsabilité de l'Australie — parce que — et finalement, uniquement parce que — il porterait sur
l'exploitation de ressources naturelles non renouvelables appartenant au peuple timorais. Cette
découverte étant faite, tous les conseils du Portugal y insistent; le professeur Dupuy : "c'est un
accord [il parle bien sûr du traité australo-indonésien de 1989] qui porte sur l'exploitation des
ressources naturelles non renouvelables du plateau continental" (CR 95/12, p. 36; en italiques dans
le texte); c'est le cas pour le professeur Sérvulo Correia, qui évoque
"the infringement of the right of Portugal to fulfil its duties and responsabilities as the
Administering Power which at the minimum conceivable level, include ius tractum on
matters concerning important and non-renewable ressources" (CR 95/12, p. 73);
c'est le cas encore du professeur Higgins :
"Portugal's complaint is that Australia has acted unlawfully in negotiating,
concluding and implementing a treaty for the exploitation of the non-renewable natural
ressources of the people of East Timor." (CR 95/13, p. 27.)
C'est cela qui justifierait la non-validité du traité de 1989 et, par ricochet, l'illicéité des
comportements qui sont reprochés à l'Australie et, toujours par voie de conséquence, sa
responsabilité.
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6. Le Portugal tire de cette analyse, très nouvelle, une seconde conséquence. Me Galvão Teles
l'exprime sous la forme d'une "troisième proposition" qui s'ajoute aux deux autres que j'ai citées tout
à l'heure : "une chose est l'invalidité d'un traité, autre chose est la déclaration judiciaire de cette
invalidité" (CR 95/13, p. 58).
En d'autres termes : "Oui, cela est vrai, le traité australo-indonésien de 1989 n'est pas valide
— c'est le Portugal qui parle —, mais la Cour n'a pas besoin de le déclarer dans le dispositif de son
arrêt".
Certes ! Mais ceci n'a strictement rien à voir avec la question qui nous intéresse,
l'applicabilité du principe de l'Or monétaire... En 1954 non plus, la Cour n'aurait nullement eu
besoin de faire des droits et obligations de l'Albanie un élément du dispositif de son arrêt; en
revanche, elle n'aurait pu éviter de statuer sur la responsabilité éventuelle de ce pays dans son
raisonnement; il s'agissait là d'un motif indispensable, exactement comme, dans la présente espèce, la
question de l'éventuelle nullité du traité de 1989 constitue un préalable indispensable à l'examen au
fond des conclusions portugaises. Et, pour les mêmes raisons qu'en 1954, la Cour ne peut procéder
ainsi car, ce faisant, elle trancherait une question qui "a trait à la responsabilité d'un Etat tiers" ce
qu'elle ne peut faire "sans le consentement de ce dernier" (C.I.J. Recueil 1954, p. 33).
7. Le Portugal amorce alors une retraite prudente :
"[A] un traité [dit Me Galvão Teles] il y a deux Parties; pourquoi serait-il
nécessaire que la Cour se prononce à la fois sur la responsabilité de l'une et de l'autre;
nous sommes là dans une hypothèse de responsabilité concurrente, identique à celle qui
était en cause dans l'affaire relative à Certaines terres à phosphates à Nauru."
(CR 95/13, p. 59-60.)
Permettez-moi de remarquer d'abord, Monsieur le Président, que, s'il en était ainsi, on verrait
mal pourquoi le Portugal a mis tant d'application, d'âpreté même, pendant quatre ans — depuis
l'introduction de sa requête jusqu'au premier tour des plaidoiries orales, inclusivement — pour tenter
d'empêcher la Cour de se prononcer sur la validité du traité australo-indonésien.
A vrai dire, cette attitude était tout à fait rationnelle.
Contrairement à ce que voulait faire croire l'habile coagent du Portugal, la présente affaire ne
présente que de lointains rapports avec celle de Nauru; dans l'affaire de Nauru, la validité du
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mandat, puis de l'accord de tutelle n'était nullement en cause; seule son application, par l'Australie,
en tant quadministrateur effectif du territoire, était contestée; ce pays n'a pas réussi à convaincre la
Cour qu'il y avait un lien non seulement «temporel», mais également logique», pour reprendre vos
propres mots, entre sa propre responsabilité éventuelle et celle de la Nouvelle-Zélande et du
royaume-Uni (C.I.J. Recueil 1992, p. 261) — et je connais un conseil qui en a été bien marri !...
Les choses sont toutes différentes ici. Comme je l'ai montré, et comme le Portugal en convient
maintenant, c'est la validité du traité lui-même qui se trouve au coeur de notre débat. Or, un traité
— contrairement aux activités d'administration coloniale qui étaient en cause dans l'affaire du
Nauru — n'est pas un acte unilatéral; il n'est rendu possible que par le concours de volontés de
deux Etats au moins. Dès lors, le «lien logique» que la Cour n'a pas détecté en 1992, entre les
agissements reprochés à l'Australie et ceux de ses cocontractants, est présent ici de manière
évidente : c'est par la rencontre de leurs volontés, enregistrée par le traité de 1989, que l'Australie et
l'Indonésie sont ensemble à l'origine des faits, prétendument illicites, qui sont aujourd'hui reprochés à
la première seulement.
Davantage même : comme je l'ai dit, sans être contredit, lors de l'audience du 6 février, c'est
l'Indonésie, et non l'Australie, qui disposait des ressources naturelles que le Portugal dit relever du
Timor oriental, si bien que, si un Etat peut être accusé d'en avoir disposé indûment par le traité
du 11 décembre 1989 ce serait, assurément, l'Indonésie, par l'Australie (CR 95/7, p. 81, voir
aussi CR 95/11, p. 21). L'Indonésie qui aurait «cédé» à l'Australie des droits qui ne lui
appartiendraient pas. Et ce n'est que si elle détermine cela, préalablement, que la Cour pourrait, le
cas échéant et dans un second temps, se prononcer sur la responsabilité éventuelle de l'Australie. Si
elle existe, elle est bien «en aval» de celle, également éventuelle, de l'Indonésie.
8. Est-il, dans ces conditions, bien nécessaire de revenir à la première partie de
l'argumentation présentée par Me Galvão Teles lundi dernier ? Oui sans doute, pour ne rien laisser
dans l'ombre; mais en gardant bien à l'esprit qu'en réalité, c'est un problème de validité du traité
australo-indonésien de 1989 que la Cour est appelée à trancher et que les «conduites» sur lesquelles
le coagent portugais a, dans un premier temps, tenté de polariser l'attention n'en sont, en réalité, pas
- 35
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détachables.
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Je ne me lancerai pas, Monsieur le Président, dans une réfutation de l'idée avancée par
Me Galvão Teles, selon laquelle il y aurait une différence entre «propositions» d'une part et
«significations» d'autre part — pour trois raisons : d'abord parce que je ne l'ai pas comprise; ensuite
parce que le temps passe; enfin parce que mon contradicteur a demandé qu'on ne lui dise pas que
cette distinction est artificielle (CR 95/13, p. 50) — et je ne veux pas peiner Me Galvão Teles en le
lui disant...
En revanche, il me pardonnera de lui dire, je pense, que je ne trouve pas du tout que l'autre
distinction qu'il avance entre droits erga omnes et droits erga singulum rende «les choses plus
claires» comme il le dit (ibid.), en tout cas certainement pas en ce qui concerne le principe de l'Or
monétaire avec lequel elle ne présente strictement aucun rapport. Mais puisqu'il semble avoir
renoncé à en tirer quelque conséquence que ce soit, je me permets, Messieurs les Juges, simplement
de vous renvoyer à ma plaidoirie du 7 février sur ce point (CR 95/8, p. 31-36).
Les deux autres problèmes qu'aborde le coagent du portugal me paraissent, en revanche,
mériter de retenir davantage l'attention : il s'agit de la question des «données» d'une part, et d'une
manière d'aveu qu'aurait fait l'Australie et selon lequel une partie de la requête au moins serait
recevable. Je dirai quelques mots successivement de chacun de ces deux points.
9. En premier lieu, le fameux argument des «données» alpha et oméga de la thèse portugaise,
formule magique qui ferait disparaître tous les obstacles qui se dressent sur la route du Portugal et,
d'abord, celui , formidable pourtant, constitué par le principe de l'Or monétaire.
«Nous croyons, a dit Maître Galvão Teles, que la qualification du Portugal
comme la puissance administrante du Timor oriental, découlant des résolutions des
Nations Unies, est suffisante pour établir l'illicéité des conduites de l'Australie, de par la
violation même des droits du Portugal.» (CR 95/13, p. 47.)
Admirables effets de la loi !
Les résolutions des Nations Unies — dont le professeur Bowett a rappelé ce matin qu'elles ne
concernent ni de près ni de loin «les conduites de l'Australie» — suffiraient à en «établir l'illicéité»...
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De telles assertions se heurtent au moins à deux séries d'objections. Les premières concernent
le contenu même de ces prétendues «données» qui n'ont, à vrai dire, qu'un rapport lointain, ou même,
pas de rapport du tout, avec notre affaire. Les secondes sont relatives à la portée des résolutions
devant la Cour.
En ce qui concerne ce second point, maintenu avec acharnement par le Portugal, il n'emporte
certainement pas la conviction : vous seriez tenus d'appliquer purement et simplement les résolutions
qu'il invoque sans pouvoir vous interroger sur leur portée ou leur validité — simplement parce que
ce serait des «données», mot décidément magique s'il en est...
Si Me Galvão Teles est fort discret (et, me semble-t-il, un peu confus) sur ce point (CR 95/13,
p. 48), le professeur Rosalyn Higgins est, elle, franchement intrépide et, soit dit avec tout le respect
amical que j'ai pour elle, parfaitement contradictoire puisqu'elle affirme successivement, dans un
premier temps, que si le litige opposait l'Indonésie au Portugal, ce pays, l'Indonésie, si j'ai bien
compris, pourrait contester devant vous la validité des résolutions adoptées par les Nations Unies et
qu'il appartiendrait à la Cour d'apprécier cette validité (CR 95/13, p. 17); mais elle affirme en
revanche, dans un second temps, que si c'est l'Australie qui lui demande d'apprécier cette même
validité, la Cour ne peut pas le faire et doit s'incliner devant ces «données» (ibid., p. 18). Est-ce
vraiment là «this good sense approach» dont mon éminente adversaire se réclame (ibid., p. 19) ?
10. Passons maintenant à la substance même de ces «données». Le
professeur Rosalyn Higgins (CR 95/13, p. 27-33) et Me Galvão Teles (ibid., p. 47) affirment que les
seules mentions du Portugal comme puissance administrante et du Timor oriental comme territoire
non autonome suffisent à entraîner une série impressionnante de conséquences juridiques, dont
l'iilicéité des conduites que le Portugal reproche à l'Australie. Le professeur Bowett a montré ce
matin qu'il n'en était rien et il me paraît inutile d'y revenir, sauf pour souligner à nouveau qu'il y a un
non seguitur manifeste dans le raisonnement portugais : pourquoi les simples faits que le Portugal
soit désigné comme puissance administrante ou le Timor oriental comme un territoire autonome,
constitueraient-ils des «données» suffisant à établir la responsabilité de l'Australie pour avoir conclu,
avec l'Indonésie, un traité relatif à l'exploration et l'exploitation de ce que les deux Etats considèrent
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comme leurs propres ressources naturelles ? C'est alors qu'intervient le professeur Dupuy qui nous
donne le chaînon manquant : il en est ainsi, nous dit-il, uniquement parce que le traité n'est pas valide
car il implique et repose sur la reconnaissance de jure de la présence indonésienne au Timor oriental.
Mais cette constatation, vous ne pouvez pas la faire, Messieurs les juges; elle vous entraînerait très
au-delà de ce que permet le principe du consentement à la juridiction.
11. Toutefois dans la dernière «proposition», le dernier «résultat» que mon aimable
contradicteur, Me Galvão Teles, a cru pouvoir énoncer, il voudrait nous faire dire que, même si
toutes les résolutions ne sont pas des «données», certaines, du moins, le seraient.
Par ma bouche, l'Australie aurait admis "qu'aucune partie à l'instance ne serait nécessaire tout
au moins pour que la Cour statue sur la violation par la même Australie des résolutions du Conseil
de sécurité 384 et 389" (CR 95/13, p. 52). Me Galvão Teles sollicite quelque peu ce que j'ai dit car,
ni dans le passage qu'il cite de ma précédente plaidoirie (CR 95/13, p. 51 citant CR 95/8, p. 29-30),
ni dans les lignes qui précèdent ou qui suivent cette citation, je n'avais mentionné de résolutions
particulières des Nations Unies... En revanche, il est exact que j'avais considéré — et que je
considère toujours (nous sommes têtus de ce côté-ci de la barre !) — que si (ah, les "si" portugais !),
l'Australie avait violé les droits du peuple timorais, résolution ou pas d'ailleurs, sa responsabilité
internationale pourrait se trouver engagée. Mais j'avais dit aussi — et je soutiens toujours — que,
pour cela, il faudrait que le Portugal indique quel comportement précis de l'Australie,
indépendamment de ceux que l'Indonésie, constituerait un fait internationalement illicite et à quelle
règle précise il aurait contrevenu. Or je constatais — et je constate toujours — que le Portugal se
révèle décidément incapable de citer un tel comportement.
Ici encore, Monsieur le Président, le Portugal raisonne dans l'abstrait — avec des "si". Oui,
SI l'affaire se présentait autrement, la Cour pourrait peut-être déclarer cette responsabilité. Mais
l'affaire est ce qu'elle est; les faits — je veux dire les faits réels — sont ce qu'ils sont, pas ceux
"reconstruits" par le Portugal (car si nous sommes "déconstructionnistes" (CR 95/13, p. 8), l'équipe
portugaise est terriblement "reconstructionniste" et inventive...). Pourtant, il ne faut pas trop jouer
avec les faits, la compétence de la Cour en dépend étroitement.
- 39 -
12. J'avais souligné, la semaine dernière, le dédoublement de personnalité dont souffrent nos
amis portugais (CR 95/8, p. 16). Je crains que cette schizophrénie judiciaire ne soit encore aggravée
le temps passant.
Plaidant sur la recevabilité de la requête portugaise, Me Galvão Teles a insisté :
"la demande portugaise ne se fonde pas sur la violation par l'Australie d'un devoir de
non-reconnaissance d'une situation créée par l'emploi illicite de la force. Elle se fonde
sur la méconnaissance par l'Australie de la qualité du Timor oriental comme territoire
non autonome, d'une part, et de celle du Portugal comme sa puissance administrante,
d'autre part.
La question de la licéité ou de l'illicéité de la conduite indonésienne au regard du
Timor oriental est donc tout simplement non pertinente." (CR 95/13, p. 46.)
Mais alors, si tel est le cas, si Me Galvão Teles a raison, pourquoi, parlant du fond, le
professeur Dupuy a-t-il consacré près d'une heure (et quelque vingt-trois pages — j'aime décidément
assez les statistiques !) à tenter d'établir l'illicéité de "la reconnaissance de jure de l'intégration du
Timor oriental dans l'Indonésie" (CR 95/12, p. 18-41) ? Je sais bien, Monsieur le Président, que
cette longue plaidoirie avait aussi pour objet de démontrer que cette reconnaissance de jure était
incompatible avec "la reconnaissance corrélative [que le Timor oriental] constitue toujours un
territoire non autonome et [le fat] que son peuple n'a pas exercé son droit à l'autodétermination"
(ibid., p. 18); mais justement, ceci montre bien que cette question de reconnaissance (qui, bien
entendu, ne peut être tranchée sans l'appréciation de la licéité des conduites indonésiennes) — que
cette question de reconnaissance donc, est le préalable indispensable à la détermination des
éventuelles responsabilités de l'Australie. Sinon, ce serait "beaucoup de bruit pour rien" et bien du
temps perdu pour la Cour et, accessoirement, pour tout le monde dans cette salle !
Le professeur Crawford a déjà montré cela ce matin : la démonstration de l'illicéité de la
reconnaissance (de jure ou de facto, à vrai dire cela importe peu) de la situation créée par l'Indonésie
est indispensable à l'argumentation portugaise. Il n'est pas sûr qu'elle aboutisse avec elle; mais il est
certain qu'elle échoue sans elle. Mais, du même coup, le Portugal se heurte au principe de l'Or
monétaire — et ce n'est pas en séparant soigneusement dans le temps la présentation de son
argumentation au fond, de la discussion de la recevabilité de la requête que ce problème, insoluble,
cesse de se poser.
- 40 -
13. Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, l'Etat qui se présente devant vous comme
défendeur dans cette affaire, est victime, je dirais, d'une erreur de cible de la part de l'Etat requérant.
Le Portugal s'est toujours désintéressé de sa lointaine colonie asiatique; il se sent aujourd'hui
"responsable mais pas coupable", pour reprendre une expression qui a eu son heure de gloire
en France il y a quelque temps, il cherche, "à se rattraper" comme il le peut aux yeux de sa propre
opinion publique et à ceux d'un peuple qu'il a abandonné à son triste sort quand il pouvait encore
quelque chose pour lui. Le dépôt d'une requête contre un Etat qui n'avait jamais imaginé que
l'acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour ni la conclusion du traité de 1989 pussent le
placer dans cette position, constitue une sorte de cérémonie expiatoire, mais l'Australie n'envisage
pas un instant que l'"erreur de cible" puisse se transformer en "erreur judiciaire".
Ceci, assurément, ne devrait pas se produire; la flèche devrait passer for loin de la cible tant
sont nombreuses les raisons de l'en détourner, et insurmontables les obstacles à ce que vous
déclareriez l'Australie responsable des manquements au droit international dont elle est accusée.
Ces obstacles sont, d'abord, de nature procédurale. Non seulement l'Australie n'est pas le
véritable défendeur, l'Etat que cherchait à atteindre le Portugal lorsqu'il a initié cette procédure, mais
encore, pour vous prononcer — je ne dis pas la condamner — pour vous prononcer seulement sur les
manquements au droit international qui lui sont reprochés si artificiellement, vous devriez, d'abord et
inévitablement, déterminer les responsabilités de ce grand absent, constamment présent lors de ces
audiences, l'Indonésie. Votre Statut, en particulier son article 36, ne le permet pas. Dès lors, comme
vous l'avez décidé en 1954 dans l'affaire de l'Or monétaire, vous ne pourrez que constater qu'en
l'absence du consentement de ce pays, vous ne pouvez vous prononcer sur les conclusions de la
requête portugaise.
14. Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, l'Etat requérant après avoir inventé de toutes
pièces l'affaire qu'il vous a soumise a réalisé qu'il se heurtait à des objections procédurales
insurmontables.
Pour éviter ces écueils, il a dû "élaguer" au maximum son argumentation — en exclure
1) le problème, crucial, de la délimitation des plateaux continentaux respectifs de l'Australie et du
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Timor oriental;
2) celui de la validité de l'accord australo-indonésien de 1989;
3) celui de la reconnaissance, que la conclusion de cet accord implique inévitablement, de la
présence de l'Indonésie au Timor oriental; et
4) celui de la licéité même de cette présence;
et je n'ai cité que les exclusions les plus flagrantes — j'allais dire les plus "énormes".
Aussi incomplète soit-elle, cette liste appelle au moins deux remarques, et ce seront mes
derniers mots.
En premier lieu, j'ai les plus grands doutes sur les fait qu'un Etat puisse vous saisir d'une
affaire et vous empêcher ensuite de l'examiner en prétendant vous interdire de considérer, sous
l'angle du droit, certains éléments essentiels qui la composent. Concluant, l'autre jour, sa plaidoirie
sur la "suffisance des parties à l'instance", Me Galvão Teles a relevé que "le chemin dans la présente
affaire est étroit" (CR 95/13, p. 63); je crains pour le Portugal qu'il ait fini par se dérober sous ses
pieds...
En second lieu, il est très frappant que, malgré ses efforts pour circonscrire ainsi le
pseudo-différend dont il vous a saisi, le Portugal n'a pas réussi à mettre l'Indonésie «hors jeu»; elle
est partout; elle est surtout «en aval» de tous ses raisonnements : si l'Australie était responsable ce ne
serait pas parce que l'Indonésie le serait aussi ou, plutôt, le serait avant. En d'autres termes, le
Portugal ne peut «échapper» au principe de l'Or monétaire. L'irrecevabilité qui en résulte est le prix
à payer pour avoir voulu soumettre à la Cour une requête artificielle qui n'a été que le prétexte à
un «procès spectacle» — mais peut-être, après tout, le procès lui-même et les retombées médiatiques
qu'en attendait le Portugal constituent-ils le véritable objectif de ce pays ?
Monsieur le Président, Messieurs les juges, je vous remercie de votre très longue patience et je
vous prie, Monsieur le Président, de bien vouloir donner la parole au professeur Crawford pour une
intervention qu'il a promis de faire très brève. Merci, Monsieur le Président.
Le PRESIDENT : Merci, Monsieur Pellet. Monsieur le professeur Crawford.
Mr. CRAWFORD: Mr. President, Honourable Members of the Court.
- 42 -
1. I did promise to Professor Pellet that I would be brief. I was unable to extract the same
promise from him. It is necessary, however, to say a few words on the issues addressed by Professor
Dupuy on Monday under the title of judicial propriety. That category which relates not to the
exercise of a discretion, as Professor Dupuy seemed to think, (but cf. CR 95/13, p. 64, Dupuy) but
to the minimum conditions for the Court "to maintain its judicial character" (Northern Cameroons,
I.C.J. Reports 1963, p. 29).
2. Portugal seeks to put the Court in a position which combines artificiality and danger to a
high degree.
The artificial nature of Portugal's case
3. The artificiality is both positive and negative, in what the Court is asked to do and in what
it is not asked to do.
4. As to what the Court is asked to do, the Court's ruling is sought on extraordinarily abstract
and artificial propositions. Let me cite Me. Galvão Teles, who said on Monday that the
unlawfulness of Australia's conduct depended on its dealing with a State which was neither the
administering Power of a non-self-governing territory, nor the authority in a territory which was not
a non-self-governing territory (CR 95/12, p. 13). I make that five negatives, Mr. President, and I am
unable, for myself, to appreciate the legal effect of a proposition in which there are five negatives.
Anyway, it is a proposition which does not now correspond to Portugal's case. I suppose that is the
sixth negative.
5. And this is only one example. More generally, the Court is asked by Portugal:
1. to endorse the claims to territorial authority of a State which is practically certain never to
return to the territory;
2. to enforce the claims to authority of a State which has since 1975, with the exception of this
case, never exercised that authority;
3. to enjoin the performance of a treaty which the Court cannot and is not asked to declare invalid;
4. to enforce a rule of non-recognition for which there is no precedent, at the instance of a State
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which is itself, deliberately, continuing to act inconsistently with that rule;
5. thereby to prevent Australia from recognizing the authority of a third State which will be
entitled, under Article 59 of the Statute, to continue to exercise that authority;
6. to protect the permanent sovereignty of a people in respect of natural resources which the Court
is not asked to and can neither delimit nor identify;
7. to award damages for losses which for that reason cannot be determined even in principle, and
which, anyway, have not occurred and may never occur;
8. generally to substitute for logically and legally necessary findings against a third State,
contested implications the content of which not even Portugal's own counsel can agree upon (on
the distinction between "findings" and "implications" see Certain Phosphate Lands in Nauru,
I.C.J. Reports 1992, p. 261, para. 55, cited in CR 95/7, p. 70).
6. Now let me turn to the negative side - that was the positive side - the matters the Court is
not asked to rule on. They are legion, but I will pick only the most important one, arising from the
fact that Indonesian armed forces entered East Timor in 1975, and that the United Nations briefly
deplored this "armed intervention".
7. Now on this matter Portugal's position has been consistent, and it was repeated by Me.
Galvão Teles on Monday. He said that Portugal in no way relies on the principle of non-recognition
based on the use of force. The Court is not asked to rule - I will not repeat the citations - on the
means by which Indonesia came to control the territory.
8. Mr. President, the wrongful conduct of Indonesia, if that is what it was, cannot be
artificially separated out in this way. The Court cannot rule on a hypothetical situation, the situation
of a breach of self-determination not associated with an unlawful use of force. It cannot decide on
the illegality of Indonesia's conduct, but it cannot assess Australia's conduct without deciding on the
illegality of Indonesia's conduct. Even in 1975-1976, when the United Nations organs were
responding to a real situation involving a use of force, their response was nonetheless extraordinarily
restrained. After 1979 they accepted Indonesia's continuing presence in East Timor. It is not for
Australia to explain or justify their approach; it is a fact.
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9. But the Court is asked to respond to this situation as if those resolutions were a donnée in
relation to part only of the situation, that part relating to self-determination. How can the Court say
what the resolutions would have said if no use of force had been involved? The hypothesis on which
the Court is asked to decide is "remote from reality", and under the principle in the Northern
Cameroons case the Court should not decide it.
10. Mr. President, I made this point in the first round (CR 95/9, pp. 27-8). But there was no
reply. Professor Dupuy briefly discussed Northern Cameroons, but not in this context (CR 95/13,
p. 64). The point stands. It is enough in itself to render the Portuguese claim inadmissible.
The dangers inherent in Portugal's case
11. Northern Cameroons is relevant in another way. In that case, Cameroon admitted that it
sought a ruling on the legal question in order to be able to use that ruling in the political organs of
the United Nations. Portugal, of course, is not so unwise as to say that here. But as Professor Pellet
has shown, and as Mr. Griffith demonstrated last week (CR 95/11, pp. 65-70), the actual remedies
sought are either contradictory (an order of opposability of a proposition that Australia does not
oppose, an injunction against performance of a treaty the Court is not asked to invalidate, damages
for losses which cannot be assessed) or the remedies will have the effect of benefiting the very State
which Portugal admits to be the principal wrongdoer in this affair. For Australia to retreat to the
median line, as Portugal insists (CR 95/13, pp. 38-39, Higgins), will benefit only one State,
Indonesia.
12. In these circumstances the Court may be inclined to think that this case is brought, as
Cameroon brought its case, in order to provide "legal" weapons for a war against another State in
another and political forum. The legal issues, abstract and tortuous as they are, are put forward in
order to "send a message" in another conflict elsewhere. That makes those legal issues remote from
reality in a second sense - the more so since no one has yet been able to show how the 1989 Treaty
either advances or impedes East Timorese self-determination. Will Indonesia be any less entrenched
in East Timor because it can exploit the continental shelf out to the median line?
13. But it is when one considers the "message" the Court will be seen as sending that the
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dangers Portugal presents appear most clearly. Australia has put forward - I hope the Court will
forgive me for saying this - a clear, cogent and substantiated legal argument in favour of its position
as a third State faced with a self-determination conflict. That case is no less clear, cogent and
substantiated for the fact that the deliberate State practice of Portugal supports it.
14. Yet there is a further difficulty. The Court cannot criticize, still less condemn, Indonesia
in this case, yet neither can it "recognize" or legitimate Indonesia's control over East Timor. The
political organs of the United Nations have deliberately refrained from stating that Indonesia's
presence in East Timor is unlawful, and since 1979 have not called for Indonesia to withdraw. The
Court cannot, therefore, decide that Indonesia's presence is unlawful - but how can it decide that its
presence is lawful? Indonesia is not present here and the Court cannot make legal findings
concerning it.
15. Portugal's case is a world of mirrors - a world of shifting mirrors, since its earlier
arguments have radically changed although its Application and its submissions necessarily have not.
In that world of mirrors, the Court will be seen as doing that which it cannot do, and this whichever
way it decides on the merits.
Mr. President, Members of the Court.
16. In these circumstances, the simplest way is the way which preserves the judicial integrity
of the Court's proceedings. For these reasons, which supplement everything said by Mr. Griffith last
Friday and by Professor Pellet this afternoon, Australia asks that the case be declared inadmissible.
Thank you, Mr. President, Members of the Court for your patience.
The PRESIDENT: Thank you very much, Professor Crawford. I now give the floor to
Mr. Griffith, Agent of Australia.
Mr. GRIFFITH: Mr. President, Members of the Court.
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Australia has shown in its presentations, both last week and today, that it has a detailed legal
answer, at the levels of admissibility and at the level of merits, to the various and varying Portuguese
legal arguments. Australia's position is honourable. And consistent. Portugal has shifted ground,
but Australia's defence at these two levels of admissibility and merits remains solid.
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Australia is a peaceful, tolerant, multicultural society. Its people include many who have
come as settlers, and as refugees, from countries of conflict, including East Timor. Our peaceful
national community works to create a peaceful international community. Australia is committed to
the peaceful resolution of disputes. That is why we have submitted to the jurisdiction of this Court
under the optional clause. That is why we negotiated the Timor Gap Treaty with Indonesia.
Australia was faced with a real dispute in relation to the maritime resources of the Timor Gap
which it claims as its own. As it was required to at international law, and as a matter of
international comity, Australia negotiated over 10 years, and at arms' length, with the State in actual
control of the opposite coastal territory, to agree on an equitable and fair interim solution to this
dispute.
Portugal invites the Court to upset that settlement, to substitute for the peaceful agreement and
co-operation between the States actually exercising the powers of the adjoining coastal States, a
renewed dispute; one which Portugal asks to be created by the order of this Court in terms which
will prohibit that same dispute from being settled by any further treaty between the parties to it.
Surely the Court is not to be used for this purpose.
Last Friday, I indicated the major reasons of judicial propriety why the Court cannot give an
effective judgment in this case. I affirm those reasons. Not only would any judgment be ineffective,
it would be unreal - divorced from reality. The Court cannot ignore these significant obstacles. The
wishes of one party cannot be allowed to distort the judicial function.
Mr. President, Members of the Court, Portugal in its closing expressed the belief that the
Court would not drain the law of self-determination of all content, and would affirm the
responsibility of States to respect this fundamental principle. Australia does not say that this
principle is devoid of content. To the contrary. Australia also affirms its commitment to this
principle which Australia vindicated for the people of East Timor at a time when Portugal was acting
in defiance of its obligations to them. It is a principle which both Parties accept and apply to
East Timor now. It is a principle opposable to all States in relation to East Timor. Australia is
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in no different position in this regard than any other State. In these circumstances, it would be
entirely improper for the Court to contemplate making an order declaring the opposability of the
principle to Australia.
Australia has acted in good faith to protect its own sovereign rights. Nothing Portugal has
said establishes that in doing this Australia was acting illegally.
Nor has Portugal demonstrated any basis on which the significant objections made by
Australia to any exercise by the Court of its jurisdiction or to the admissibility of the Portuguese
Application can be overcome.
Mr. President, Members of the Court, before reading the final submissions, I thank the Court
for its attention and patience during the oral proceedings and, through the Registrar, we express our
appreciation of the efficient work of interpretation, translation and transcript services.
Mr. President, Members of the Court, in accordance with Article 60, paragraph 2, of the
Rules, I now read the final submissions of Australia.
The Government of Australia submits that, for all the reasons given by it in the written and
oral pleadings, the Court should:
(a) adjudge and declare that the Court lacks jurisdiction to decide the Portuguese claims or that the
Portuguese claims are inadmissible; or
(b) alternatively, adjudge and declare that the actions of Australia invoked by Portugal do not give
rise to any breach by Australia of rights under international law asserted by Portugal.
The PRESIDENT: Thank you very much, Mr. Griffith. Australia, the Respondent State, has
thus concluded its second round of oral pleadings, in reply to the pleadings of Portugal. I would like
to address my most heartfelt thanks to all the members of the Australian delegation, for their
contribution aimed at assisting the Court in the accomplishment of its mission.
That brings us to the end of the oral pleadings in the present case. In accordance with the
usual practice, I have to ask the Agents to remain at the disposal of the Court for any further
information the Court may require.
Subject to that reservation, I therefore now declare the oral proceedings in the East Timor
016/pa/CR95/14/rjw
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case at an end.
The Court will now withdraw to deliberate on the case and the Agents will in due course be
notified of the date when the decision will be given.
Thank you very much. The Court will now rise.
The Court rose at 5 p.m.
__________
Audience publique tenue le jeudi 16 février 1995, à 15 heures, au Palais de la Paix, sous la présidence de M. Bedjaoui, président