Audience publique tenue le mercredi 1er juillet 1993, à 10 heures, au Palais de la Paix, sous la présidence de sir Robert Jennings, président

Document Number
083-19930701-ORA-01-00-BI
Document Type
Number (Press Release, Order, etc)
1993/25
Date of the Document
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Bilingual Content

CR 93/25
International Court Cour internationale
of Justice de Justice
THE HAGUE LA HAYE
YEAR 1993
Public sitting
held on Wednesday 1 July 1993, at 10 a.m., at the Peace Palace,
President Sir Robert Jennings presiding
in the case concerning Territorial Dispute
(Libyan Arab Jamahiriya/Chad)
_______________
VERBATIM RECORD
_______________
ANNEE 1993
Audience publique
tenue le mercredi 1er juillet 1993, à 10 heures, au Palais de la Paix,
sous la présidence de sir Robert Jennings, Président
en l'affaire du Différend territorial
(Jamahiriya arabe libyenne/Tchad)
____________
COMPTE RENDU
____________
- 2 -
Present: President Sir Robert Jennings
Vice-President Oda
Judges Ago
Schwebel
Bedjaoui
Ni
Evensen
Tarassov
Guillaume
Shahabuddeen
Ranjeva
Aguilar Mawdsley
Weeramantry
Ranjeva
Ajibola
Herczegh
Judges ad hoc Sette-Camara
Abi-Saab
Registrar Valencia-Ospina
- 3 -
Présents: Sir Robert Jennings, Président
M. Oda, Vice-Président
MM. Ago
Schwebel
Bedjaoui
Ni
Evensen
Tarassov
Guillaume
Shahabuddeen
Aguilar Mawdsley
Weeramantry
Ranjeva
Ajibola
Herczegh, juges
MM. Sette-Camara
Abi-Saab, juges ad hoc
M. Valencia-Ospina, Greffier
- 4 -
The Government of the Libyan Arab Jamahiriya is represented by:
H.E. Mr. Abdulati Ibrahim El-Obeidi
Ambassador,
as Agent;
Mr. Kamel H. El Maghur
Member of the Bar of Libya,
Mr. Derek W. Bowett, C.B.E., Q.C., F.B.A.
Whewell Professor emeritus, University of Cambridge,
Mr. Philippe Cahier
Professor of International Law, Graduate Institute of International Studies, University of
Geneva,
Mr. Luigi Condorelli
Professor of International Law, University of Geneva,
Mr. James R. Crawford
Whewell Professor of International Law, University of Cambridge,
Mr. Rudolph Dolzer
Professor of International Law, University of Mannheim,
Sir Ian Sinclair, K.C.M.G., Q.C.
Mr. Walter D. Sohier
Member of the Bar of the State of New York and of the District of Columbia,
as Counsel and Advocates;
Mr. Timm T. Riedinger
Rechtsanwalt, Frere Cholmeley, Paris,
Mr. Rodman R. Bundy
Avocat à la Cour, Frere Cholmeley, Paris,
Mr. Richard Meese
Avocat à la Cour, Frere Cholmeley, Paris,
Miss Loretta Malintoppi
Avocat à la Cour, Frere Cholmeley, Paris,
Miss Azza Maghur
Member of the Bar of Libya,
as Counsel;
Mr. Scott B. Edmonds
Cartographer, Maryland Cartographics, Inc.,
Mr. Bennet A. Moe
Cartographer, Maryland Cartographics, Inc.,
- 5 -
Le Gouvernement de la Jamahiriya arabe libyenne est représenté par :
S. Exc. M. Abdulati Ibrahim El-Obeidi
ambassadeur,
comme agent;
M. Kamel H. El Maghur
membre du bureau de Libye,
M. Derek W. Bowett, C.B.E., Q.C., F.B.A.
professeur émérite, ancien titulaire de la chaire Whewell à l'Université de Cambridge,
M. Philippe Cahier
professeur de droit international à l'Institut universitaire de haute études internationales de l'Université
de Genève,
M. Luigi Condorelli
professeur de droit international à l'Université de Genève,
M. James R. Crawford
titulaire de la chaire Whewell de droit international à l'Université de Cambridge,
M. Rudolph Dolzer
professeur de droit international à l'Université de Mannheim,
Sir Ian Sinclair, K.C.M.G., Q.C.
M. Walter D. Sohier
membre des barreaux de l'état de New York et du district de Columbia,
comme conseils et avocats;
M. Timm T. Riedinger
Rechtsanwalt, Frere Cholmeley, Paris,
M. Rodman R. Bundy
avocat à la Cour, Frere Cholmeley, Paris,
M. Richard Meese
avocat à la Cour, Frere Cholmeley, Paris,
Mlle Loretta Malintoppi
avocat à la Cour, Frere Cholmeley, Paris,
Mlle Azza Maghur
membre du barreau de Libye,
comme conseils;
M. Scott B. Edmonds
cartographe, Maryland Cartographics, Inc.,
M. Bennet A. Moe
cartographe, Maryland Cartographics, Inc.,
- 6 -
Mr. Robert C. Rizzutti
Cartographer, Maryland Cartographics, Inc.,
as Experts.
The Government of the Republic of Chad is represented by:
Rector Abderahman Dadi, Director of the Ecole nationale d'administration et de magistrature de N'Djamena,
as Agent;
H.E. Mr. Mahamat Ali-Adoum, Minister for Foreign Affairs of the Republic of Chad,
as Co-Agent;
H.E. Mr. Ahmad Allam-Mi, Ambassador of the Republic of Chad to France,
H.E. Mr. Ramdane Barma, Ambassador of the Republic of Chad to Belgium and the Netherlands,
as Advisers;
Mr. Alain Pellet, Professor at the University of Paris X-Nanterre and at the Institut d'études politiques of
Paris,
as Deputy-Agent, Adviser and Advocate;
Mr. Antonio Cassese, Professor of International Law at the European University Institute, Florence,
Mr. Jean-Pierre Cot, Professor at the University of Paris I (Panthéon-Sorbonne),
Mr. Thomas M. Franck, Becker Professor of International Law and Director, Center for International
Studies, New York University,
Mrs. Rosalyn Higgins, Q.C., Professor of International Law, University of London,
as Counsel and Advocates;
Mr. Malcolm N. Shaw, Ironsides Ray and Vials Professor of Law, University of Leicester, Member of the
English Bar,
Mr. Jean-Marc Sorel, Professor at the University of Rennes,
as Advocates;
Mr. Jean Gateaud, Ingénieur général géographe honoraire,
as Counsel and Cartographer;
Mr. Jean-Pierre Mignard, Advocate at the Court of Appeal of Paris,
- 7 -
M. Robert C. Rizzutti
cartographe, Maryland Cartographics, Inc.,
comme experts.
Le Gouvernement de la République du Tchad est représenté par :
M. Abderahman Dadi, directeur de l'école nationale d'administration et de magistrature de
N'Djamena,
comme agent;
S. Exc. M. Mahamat Ali-Adoum, ministre des affaires étrangères de la République du Tchad,
comme coagent;
S. Exc. M. Ahmad Allam-Mi, ambassadeur de la République du Tchad en France,
S. Exc. M. Ramdane Barma, ambassadeur de la République du Tchad en Belgique et aux Pays-Bas,
comme conseillers;
M. Alain Pellet, professeur à l'Université de Paris X — Nanterre et à l'Institut d'études
politiques de Paris,
comme agent adjoint, conseil et avocat;
M. Antonio Cassese professeur de droit international à l'Institut universitaire européen de
Florence,
M. Jean-Pierre Cot, professeur à l'Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne),
M. Thomas M. Franck, titulaire de la chaire Becker de droit international et directeur du
centre d'études internationales de l'Université de New York,
Mme Rosalyn Higgins, Q.C., professeur de droit international à l'Université de Londres,
comme conseils et avocats;
M. Malcolm N. Shaw, titulaire de la chaire Ironsides Ray and Vials de droit à l'Université
de Leicester, membre du barreau d'Angleterre,
M. Jean-Marc Sorel, professeur à l'Université de Rennes,
comme avocats;
M. Jean Gateaud, ingénieur général géographe honoraire,
comme conseil et cartographe;
M. Jean-Pierre Mignard, avocat à la Cour d'appel de Paris,
- 8 -
Mr. Marc Sassen, Advocate and Legal Adviser, The Hague,
as Counsel;
Mrs. Margo Baender, Research Assistant, Center of International Studies, New York
University, School of Law,
Mr. Oliver Corton, Collaborateur scientifique, Université libre de Bruxelles,
Mr. Renaud Dehousse, Assistant Professor at the European University Institute, Florence,
Mr. Jean-Marc Thouvenin, attaché temporaire d'enseignement et de recherche at the
University of Paris X-Nanterre,
Mr. Joseph Tjop, attaché temporaire d'enseignement et de recherche at the University of Paris
X-Nanterre,
as Advisers and Research Assistants;
Mrs. Rochelle Fenchel;
Mrs. Susal Hunt;
Miss Florence Jovis;
Mrs. Mireille Jung;
Mrs. Martine Soulier-Moroni.
- 9 -
Me Marc Sassen, avocat et conseiller juridique, La Haye,
comme conseil;
Mme Margo Baender, assistante de recherche au centre d'études internationales de la
Faculté de droit à l'Université de New York,
M. Olivier Corten, assistant à la Faculté de droit de l'Université libre de Bruxelles,
M. Renaud Dehousse, maître-assistant à l'Institut universitaire européen de Florence,
M. Jean-Marc Thouvenin, attaché temporaire d'enseignement et de recherche à l'Université
de Paris X — Nanterre,
M. Joseph Tjop, attaché temporaire d'enseignement et de recherche à l'Université de
Paris X — Nanterre,
comme conseillers et assistants de recherche;
Mme Rochelle Fenchel,
Mme Susan Hunt,
Mlle Florence Jovis,
Mme Mireille Jung,
Mme Martin Soulier-Moroni.
- 10 -
Le PRESIDENT : Please be seated. Professor Cassese.
M. CASSESE : Merci, Monsieur le Président.
Monsieur le Président, Messieurs les juges, hier, je me suis efforcé de montrer que, dès 1919, par leur
emprise effective sur le Borkou, l'Ennedi et le Tibesti (le BET), les Français ont acquis des droits souverains sur
la région. Cela est confirmé par la reconnaissance italienne — expresse ou implicite, telle qu'elle découle entre
autres du traité Laval-Mussolini de 1935, et de l'épisode de Jef-Jef de 1938.
Mais, Monsieur le Président, nos honorables contradicteurs prétendent tirer parti d'un autre incident, un
incident qui mettra aux prises l'Italie et la France en 1941, à propos de l'application de la convention d'armistice
franco-italienne de 1940.
D'après la Partie adverse, cet épisode prouverait qu'à cette époque, l'Italie s'accrochait encore à l'idée qu'il
n'y avait pas de frontière au sud de la Libye (réplique de la Libye, par. 6.247).
6. La convention d'armistice franco-italienne de 1940
Voyons donc les faits. Mais pour comprendre les faits et les règles juridiques pertinentes, il est nécessaire
de rappeler brièvement leur contexte historique.
La convention d'armistice franco-italienne avait été signée le 24 juin 1940. L'Italie n'était entrée en guerre
avec la France que deux semaines auparavant, à un moment où les Allemands étaient aux portes de Paris et
l'issue de la bataille ne faisait partant aucun doute. Mussolini décida donc d'imposer l'armistice aux Français
quelques jours après l'armistice franco-allemand. Le dictateur fasciste, faisant encore une fois preuve de son
outrecuidance, et de son opportunisme habituels, espérait profiter de cette occasion pour imposer à la France des
conditions humiliantes et accaparer des territoires français en Europe et en Afrique. Toutefois, Hitler, soucieux
de ménager le gouvernement de Vichy et craignant que l'empire français en Afrique ne s'enflamme en réaction à
une surenchère d'exactions, contraignit Mussolini à modérer ses exigences. Il n'en reste pas moins, Monsieur le
Président. que les conditions d'armistice furent dictées par l'Italie à la France, même si les autorités italiennes
firent quelques concessions mineures.
Si j'insiste sur le contexte historique, Monsieur le Président, c'est qu'il est capital pour comprendre les
dispositions de la convention qui intéressent directement. Ce fut l'Italie qui rédigea le projet de convention
d'armistice et en effet il fut écrit en mauvais français — et en fait ce fut l'Italie qui imposa à la France ce projet,
sauf sur des aspects marginaux.
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La disposition de la convention, qui est centrale pour notre affaire, est l'article 3, alinéa 3, que vous
trouvez, Messieurs les juges, dans notre dossier d'audience et qui est aussi projeté sur l'écran.
Cet article 3, alinéa 3, dispose entre autres qu'au sud de la Libye :
«Une zone comprise entre la frontière lybique (sic) et une ligne parallèle distante de
200 kilomètres sera démilitarisée» pour la durée de l'armistice (contre-mémoire du Tchad,
annexe 44).
Par ailleurs, l'article 4 de la même convention ajoutait que les zones démilitarisées, visées à l'article 3,
seraient évacuées par les troupes françaises. Un autre article de cette convention, l'article 23, confiait à une
«commission italienne d'armistice» dépendant du commandement suprême italien la charge de «régler et
contrôler, soit directement, soit au moyen de ses organes, l'exécution» de la convention. Une «délégation»
installée au siège de la commission, à Turin, en Italie, était autorisée à faire connaître à celle-ci «les desiderata
de son gouvernement (le Gouvernement français) relativement à l'exécution» de la convention.
Le texte des dispositions que je viens d'évoquer confirme ce que j'ai dit tout à l'heure, à savoir que les
Italiens se considéraient vainqueurs. Arrêtons-nous sur l'article 3, alinéa 3. Monsieur le Président, Messieurs
les juges, un élément saute aux yeux. C'est que l'Italie, qui faisait à l'époque la pluie et le beau temps, impose à
la France l'article 3, et dans cet article parle de la «frontière lybique» (sic) méridionale. Donc — j'insiste sur ce
point, Monsieur le Président — l'Italie part de l'idée qu'une frontière méridionale libyenne existait bel et bien.
Voilà un premier démenti éclatant apporté à la thèse de nos honorables contradicteurs.
Où était située cette frontière ?
Il est évident que l'article 3 de cette convention d'armistice ne devait ni ne pouvait le préciser; il lui
suffisait de se référer à la frontière méridionale existante. Mais il est tout aussi évident que, pour appliquer
l'article 3, il fallait identifier cette frontière. A cette fin, le président de la commission italienne d'armistice, le
général italien Grossi, fit parvenir une lettre au président de la délégation française à Turin (contre-mémoire du
Tchad, annexe 85).
La teneur de cette lettre se résume en trois points.
Tout d'abord, le général Grossi indiquait que le tracé de la frontière méridionale n'avait pas encore été
«déterminé de commune entente» entre l'Italie et la France.
En deuxième lieu, le général Grossi admettait que le traité de 1935, le traité Laval-Mussolini, n'était
jamais entré en vigueur et que, par voie de conséquence, le tracé prévu à l'article 2 de ce traité n'était pas
juridiquement contraignant.
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En troisième lieu, il faisait néanmoins valoir que l'Italie, lorsqu'elle avait «fixé à l'article 3 la limite
extérieure de la zone démilitarisée» — ce sont là ses propres mots — «ne pouvait considérer comme ligne de
base que celle qui, selon sa propre interprétation, devait être la frontière» (les italiques sont de nous).
Autrement dit : comme c'est nous, les Italiens, qui avons établi l'article 3, c'est notre interprétation de cet article,
et donc le tracé que nous, les Italiens choisissons, qui doivent prévaloir. Voilà, Monsieur le Président, un retour
effronté à la maxime quia sum leo des fables d'Esope ! («C'est moi qui décide, parce que je suis lion et que tu
est l'agneau»).
Dans leur réponse (contre-mémoire du Tchad, annexe 93), les Français mettaient les points sur les i : le
tracé de 1935 était inacceptable, disent les Français, car le traité Laval-Mussolini avait été «récusé» par les
Italiens eux-mêmes. Certes, il n'y avait pas eu de «convention ou traité fixant bilatéralement avec l'Italie le tracé
de cette portion de frontière». Toutefois, malgré l'absence de convention bilatérale, l'Italie, ainsi continuait la
note française, avait reconnu la ligne de 1899/1919; par voie de conséquence, la seule ligne à prendre en
considération aux fins de la convention d'armistice était celle de 1899/1919. Voilà la réponse française, une
réponse ferme, nette, argumentée et tout à fait cohérente avec la position que la France avait toujours soutenue.
Quelle fut la réaction italienne ?
Face à la prise de position française, on aurait pu s'attendre à une réaction d'autant plus dure et
catégorique que l'Italie était — je le répète — en position de force. Tout comme elle avait imposé l'article 3 de
la convention d'armistice, l'Italie aurait pu imposer aux Français son interprétation et son application de
l'article 3, à savoir la ligne du traité Laval-Mussolini. Mais il n'en fut rien ! Loin de là : l'Italie préféra s'incliner
devant la thèse française. Par une lettre du 14 juillet 1941, le président de la commission italienne d'armistice se
contenta de relever que la question dépassait la compétence de la commission d'armistice et qu'elle était
dépourvue d'importance pratique.
Monsieur le Président, Messieurs les juges, quelles conclusions pouvons-nous tirer de cet échange de
lettres ?
A mon sens, quatre constatations s'imposent. Premièrement l'Italie, par le fait même de rédiger l'article 3,
a formellement reconnu qu'il existait une frontière méridionale de la Libye, confirmant de la sorte la position
qui était la sienne depuis bien des années.
Deuxièmement, l'Italie et la France tombèrent d'accord sur le fait qu'il n'existait pas entre elles de traité
bilatéral portant spécifiquement sur la délimitation de la frontière méridionale de la Libye.
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Troisièmement, l'Italie, face aux arguments précis avancés par la France, renonça à insister sur le tracé
de 1935, qu'elle avait essayé d'imposer.
Mieux encore — c'est là ma quatrième remarquer —, au cours des tractations de 1941, l'Italie ne contesta
jamais, même si elle avait la force politique pour le faire, la valeur et le bien-fondé de la thèse française,
d'après laquelle seule comptait la frontière de 1899/1919.
7. Conclusion
Monsieur le Président, Messieurs les juges, j'en arrive ainsi au terme de mes remarques sur la
reconnaissance italienne des effectivités française au BET. Je pense avoir montré que l'Italie a indéniablement
reconnu ces effectivités et acquiescé aux droits souverains de la France. A l'affirmation, réitérée, de la présence
étatique française, répondit donc une reconnaissance, réitérée elle aussi, par le Gouvernement italien, de cette
ligne. Cette reconnaissance italienne contribua à une consolidation du titre coutumier français.
III. LA RECONNAISANCE DE LA SOUVERAINETE FRANCAISE PAR LA LIBYE
31. Monsieur le Président, Messieurs les juges, voilà pour ce qui est de la reconnaissance italienne.
Je voudrais maintenant souligner que la Libye, elle aussi, après avoir obtenu son indépendance, a reconnu
la souveraineté française sur la bande d'Aouzou, jusqu'à la frontière que les Italiens avaient acceptée
antérieurement.
La reconnaissance libyenne fut exprimée de façon manifeste en 1955, à l'occasion d'un incident important.
Je dois répéter à ce propos ce que j'ai eu l'occasion de relever hier au sujet de l'incident de Jef-Jef, à savoir que
les conflits, les affrontements, les incidents entre Etats ont de tout temps fait office de révélateur de la situation
juridique existante. A l'occasion de ces conflits, en effet, les Etats concernés sont amenés à prendre position sur
les points controversés et à manifester nettement leurs opinions et leurs thèses juridiques.
32. L'incident sur lequel je voudrais m'arrêter un instant est celui de Moya (ou d'Aouzou, comme nous
l'avons appelé jusqu'à présent). Cet incident intervient en 1955, je viens de le dire, soit quatre ans après
l'indépendance de la Libye.
Le 21 février 1955 une équipe libyenne quittait Koufra pour Aouzou.
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Le 28 février 1955, un groupe de trois jeeps transportant six civils accompagnés par un officier, un
caporal et onze soldats libyens, fut arrêté par un détachement français à Moya, à 10 kilomètres au nord
d'Aouzou, c'est-à-dire à 80 kilomètres de la frontière franco-libyenne. Voilà, çà c'est Moya, à 10 kilomètres au
nord d'Aouzou. Messieurs les juges, voici le récit de l'incident que fit à l'Assemblée nationale française, le
ministre des affaires étrangères, M. Pinay, en réponse écrite à une question du député Bardoux. Le ministre
français des affaires étrangères Pinay dit ceci :
«Le sous-officier commandant la patrouille française, après avoir stoppé les véhicules, invita
le chef de la mission libyenne à rejoindre aussitôt la frontière; ce dernier insistant pour voir le chef
du poste d'Aouzou, une des jeeps fut autorisée à poursuivre jusque-là, après avoir été désarmée, les
autres voitures demeurant sur place, sous la garde de soldats français. Le commandant du
détachement libyen fit connaître au sous-officier, chef du poste [du poste d'Aouzou ], qu'il avait
mission de recenser la population d'Aouzou et de la faire visiter médicalement; invité à rejoindre la
frontière, il quitta aussitôt l'oasis, où il avait passé un quart d'heure et n'avait aucunement été invité
à déjeuner par le chef du poste qui, bien au contraire, lui refusa l'autorisation de procéder à son
ravitaillement sur place et le fit reconduire sur le champ à Moya, d'où les trois véhicules du convoi
regagnèrent le territoire libyen sans autre incident.» (Mémoire du Tchad, annexe 324.)
33. Quel fut l'impact de cette mission libyenne avortée ?
Monsieur le Président, relevons tout d'abord que la délégation libyenne, même si elle était accompagnée
d'une escorte militaire, revêtait un caractère civil. Les tâches de la mission étaient non militaires : recenser la
population et la faire inspecter par un médecin. Malgré cela, les militaires français repoussèrent de la manière
la plus ferme l'équipe libyenne. On notera également que tandis que le gros de la mission libyenne restait à
Moya sous la garde de militaires français, ceux de ses membres qui furent autorisés à poursuivre jusqu'à
Aouzou, furent désarmés. Ce comportement de la France manifeste de la façon la plus éclatante la volonté de
signifier que la mission étrangère, la mission libyenne, était sous la pleine souveraineté française.
Face à cette réaction française, que firent les membres de la mission libyenne ? Protestèrent-ils ?
Firent-ils valoir un prétendu droit de circuler librement dans la bande d'Aouzou Rien de tout cela. Les Libyens
plièrent bagages et rebroussèrent chemin sans souffler mot. Ils partirent séance tenante malgré la fatigue d'un
voyage de sept jours (de Koufra à Moya), qu'un des participants décrira plus tard comme épuisant et énervant,
dans la chaleur étouffante et fort inhospitalière du désert (mémoire du Tchad, annexe 272).
Monsieur le Président, l'on pourrait même s'étonner de l'attitude des Français, qui fut non seulement ferme
et énergique, mais encore quelque peu rude : ils allèrent même jusqu'à s'abstenir délibérément d'inviter à déjeuner
la mission libyenne. Le fait est, Monsieur le Président, Messieurs les juges, que les autorités françaises
considéraient que l'heure n'était pas aux politesses.
Face à une intrusion non autorisée dans le territoire français, face à une violation flagrante de la
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souveraineté française, il ne pouvait y avoir une seule réaction, dure et énergique : expulser immédiatement les
intrus et les ramener à la frontière.
Mais, Monsieur le Président, Messieurs les juges, la réaction de la France ne s'arrêta pas là. Le
4 mars 1955, le ministre de France à Tripoli fit parvenir au Gouvernement libyen une protestation formelle. Ce
sont les mots utilisés par le ministre de la France. Nous n'avons pas pu trouver le texte de cette note dans les
archives diplomatiques. Mais son existence ne fait pas de doute, car la protestation française est mentionnée
dans la réponse écrite de M. Pinay, que je viens de citer, donc du ministre des affaires étrangères français, ainsi
que dans quatre documents diplomatiques (voir réplique du Tchad, annexe 86, mémoire du Tchad, annexes 256
et 257 et mémoire de la Libye, vol. III, p. 167). Nous connaissons aussi le contenu de la «protestation formelle»
française, car cette protestation est résumée comme suit par M. Pinay : le ministre français à Tripoli a
«fermement rappelé» au Gouvernement libyen «qu'Aouzou se trouve sur le territoire de l'Afrique équatoriale
française, dont les frontières, fixées par des actes internationaux, ne peuvent être mises en doute» (mémoire du
Tchad, annexe 341).
A la requête du ministre de la France d'outre-mer, qui avait instamment demandé à M. Pinay «de bien
vouloir présenter auprès du Gouvernement libyen la protestation la plus énergique» (mémoire du Tchad,
annexe 252), la protestation française fut renouvelée, et cela le 19 mars (voir la réponse écrite précitée de
M. Pinay, ibid.). Il y eut donc deux protestations françaises.
Le Gouvernement libyen, auprès duquel étaient intervenues aussi les autorités britanniques pour tâcher de
le ramener à la raison, finit par se ranger aux vues de la France. Il assura qu'à l'avenir Tripoli respecterait la
souveraineté française sur Aouzou et s'abstiendrait d'envoyer des troupes dans cette région (dans la bande
d'Aouzou). Ces assurances furent données au plus haut niveau, c'est-à-dire par le président du conseil,
Ben Halim. Cela découle de plusieurs documents diplomatique français, notamment d'un télégramme envoyé à
Paris par le ministre de France à Tripoli. Après avoir fait état de démarches entreprises par le ministre
britannique à Tripoli, M. Graham, le télégramme rapportait que :
«Le président du Conseil [libyen], auquel j'avais donné un sérieux avertissement à ce sujet,
m'a confirmé la démarche de M. Graham en précisant que son gouvernement n'avait nullement
l'intention de rouvrir la question d'Aouzou, puisqu'il reconnaissait que ce village se trouvait sur le
territoire français.
Il m'a promis également de notifier cette position au commandant des force de sécurité de
Cyrénaïque et aux autorités civiles de cette région.» (Mémoire du Tchad, annexe 264.)
Voilà, encore une fois, une admission on ne peut plus explicite de la souveraineté française sur la bande
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d'Aouzou.
J'ajoute que les engagements libyens sont établis par plusieurs sources. En raison de leur importance, ils
furent rapportés par le Quai d'Orsay au ministre de la France d'outre-mer (mémoire du Tchad, annexe 266) et
confirmés par le ministre de France à Tripoli au ministre des affaires étrangères, M. Pinay, dans une autre
dépêche (mémoire du Tchad, annexe 267).
34. Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, quelles leçons peut-on tirer de cet incident ?
Deux conclusions me paraissent s'imposer.
Tout d'abord, la vive réaction des autorités françaises sur le terrain et l'acquiescement des Libyens
confirment sans le moindre doute que la zone que nous appelons maintenant «la bande d'Aouzou» était bien sous
le contrôle effectif et l'autorité de la France.
Ensuite, l'attitude libyenne est dépourvue de toute ambiguïté. Elle est claire et nette. Tant par leur
comportement sur le terrain que par leur réaction aux deux protestations françaises, les autorités libyennes ont
reconnu de la façon la plus explicite qui soit, que la zone en question était bien sous la souveraineté française.
Permettez-moi d'ajouter une remarque, Monsieur le Président. Qui pourrait nier un parallélisme éclatant
et étonnant entre l'incident que je viens de relater et celui de Jef-Jef, dont je vous ai parlé hier ? Tout comme à
Jef-Jef en 1938 — dix-sept ans auparavant, Monsieur le Président ! — en 1955 l'Etat dont la souveraineté avait
été violée fait valoir ses attributs souverains sur le terrain, en expulsant les intrus, et proteste ensuite, et de la
manière la plus énergique. A mon sens, le deuxième incident, l'incident de 1955, l'incident de Moya et d'Aouzou
est encore plus parlant. Il montre avec beaucoup plus de force — si c'était possible — que la bande d'Aouzou
était soumise à la souveraineté française — ne serait-ce que parce qu'à cette occasion, l'admission explicite des
droits souverains français émane de la plus haute autorité de la Libye, le président du Conseil Ben Halim.
35. En conclusion, Monsieur le Président, l'incident d'Aouzou apporte une confirmation exemplaire au fait
que, dès son indépendance, la Libye a reconnu que la France était souveraine sur la bande d'Aouzou. La Libye
a admis le bien-fondé des protestations par lesquelles Paris faisait valoir que la frontière méridionale de la Libye
avait été «fixée par des actes internationaux». C'est M. Pinay qui parle. Ces actes internationaux, Messieurs
les Membres de la Cour, ne sont autres que les «actes internationaux en vigueur» auxquels se référa
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six mois plus tard, le 10 août 1955, le traité franco-libyen d'amitié et de bon voisinage. Ainsi, sans la moindre
solution de continuité, la frontière entre le Tchad et la Libye est restée celle qu'avaient établie les accords
de 1899-1919.
Comme vous le voyez, Monsieur le Président, la troisième thèse tchadienne, tout en étant logiquement
autonome par rapport aux deux autres thèses du Tchad, finit par s'y intégrer, finit par le confirmer et les
renforcer.
La bande d'Aouzou est donc bien en territoire tchadien, et la frontière de 1899-1919, réitérée et
formellement consacrée par le traité franco-libyen de 1955, est celle qui sépare le Tchad de la Libye au sud de
celle-ci.
Je vous remercie beaucoup, Monsieur le Président, de votre patiente attention et je vous prie d'appeler à
la barre M. Cot.
Le PRESIDENT : Thank you very much, Professor Cassese. Professor Cot.
M. COT : Monsieur le Président, Messieurs de la Cour,
Il nous a paru utile, à ce stade de nos plaidoiries, de vous présenter, avec l'aide de l'ingénieur général
Gateaud, quelques observations au sujet des cartes produites par les deux Parties.
Monsieur le Président, la République du Tchad n'accorde pas aux cartes géographiques une importance
fondamentale dans cette affaire. Nous ne considérons certainement pas les cartes comme constitutives d'un titre
juridique. Si certaines cartes ont été évoquées plus longuement lors de nos plaidoiries, je pense par exemple à la
carte du Livre jaune français, c'était pour éclairer la volonté des Parties, et je ne reviendrai pas sur ces
démonstrations.
Au demeurant, la jurisprudence a aujourd'hui défini avec une certaine précision le rôle des cartes devant
une instance juridictionnelle comme la vôtre. Comme l'a déclaré la Chambre en 1986, dans l'affaire du
Différend frontalier :
«la valeur juridique des cartes reste limitée à celle d'une preuve concordante qui conforte une
conclusion à laquelle le juge est parvenu par d'autre moyens, indépendants des cartes»
(C.I.J. Recueil 1986, p. 583, par. 56).
Les cartes, Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, peuvent donc constituer des éléments de preuve
concordants, en particulier lorsqu'une série de cartes établit la notoriété d'une ligne frontière ... ou infirme une
notoriété alléguée.
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C'est ainsi, me semble-t-il, qu'a procédé la Chambre dans l'affaire du Différend frontalier terrestre,
insulaire et maritime, où après avoir rappelé la jurisprudence précédente que je viens de citer, votre Chambre
continue :
«pour les raisons qui ont été exposées par la Chambre constituée dans l'affaire du Différend
frontalier, elle n'attache qu'une valeur de preuve concordante à un certain nombre de cartes du
XIXe
siècle — sur lesquelles le Honduras en particulier a attiré l'attention — qui indiquent les
limites politiques des deux Etats, y compris en ce qui concerne le secteur en litige de la frontière
terrestre qui est actuellement examiné. Dans la grande majorité des cas, ces cartes, si tant est qu'on
y distingue une ligne suffisamment claire dans la zone considérée, confirment effectivement
l'opinion selon laquelle c'est le cours actuel du Goascorán qui constitue la frontière.»
(C.I.J. Recueil 1993, p. 550, par. 316.)
La Partie libyenne a fait observer dans ses plaidoiries, que nous avions surtout produit des cartes d'origine
française, donc suspectes de partialité.
Je précise, Monsieur le Président, que notre petit atlas n'avait pas seulement pour objet d'accumuler les
cartes afin de souligner la notoriété de la ligne frontière que nous défendons, mais aussi de fournir à la Cour les
éléments cartographiques nécessaires à la compréhension de tel ou tel passage de nos plaidoiries.
La composition de notre atlas n'a donc pas cherché à refléter un équilibre quelconque. Mais que nos
contradicteurs se rassurent : dans le choix des carte retenues pour ma plaidoirie orale, j'ai pris en compte leur
objection et j'insisterai tout naturellement, Monsieur le Président, sur les cartes établies par des Etats tiers ou
par des organismes internationaux non suspects de partialité.
Nos honorables contradicteurs nous ont aussi reproché de ne pas fournir les cartes italiennes qui nous
sont défavorables, parce que ne comportant aucune frontière. Je fais allusion ici en particulier aux cartes
distribuées dans le dossier d'audience et projetées par le professeur Condorelli lors de sa plaidoirie.
L'explication ici est simple, je l'avoue : ces cartes nous ne les avons pas trouvées, nous ne les avons trouvées ni à
Londres, ni à Paris, ni à Rome, et encore à Rome ni au service juridique des armées, ni au ministère italien des
affaires étrangères, ni dans les archives du ministère des colonies.
Je concède ce point à nos collègues de la Partie libyenne, mais permettez-moi en même temps, de
retourner le compliment de la sélectivité et de faire observer, Monsieur le Président, que la Partie libyenne, elle,
n'a produit que les cartes servant ses desseins. Nos contradicteurs ont délibérément écarté toutes les cartes qui
pouvaient les embarrasser, n'hésitant pas à interrompre une série de cartes lorsque celles-ci leur devenaient
défavorables, comme dans le cas des cartes de l'ONU qu'ils ont produites jusqu'en 1960 de manière très
généreuse, mais en s'abstenant de poursuivre la série.
Monsieur le Président, Messieurs de la Cour,
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Avant de projeter nos cartes, je souhaiterais faire quelques observations générales sur le matériel
cartographique présenté par les deux Parties. Nous avons recensé toutes les cartes et croquis publiés et produits
par les Parties dans leurs écritures. Nous avons écarté les croquis de démonstration établis par les Parties pour
les besoins de la cause, croquis abondants, suggestifs, établis pour le compte de la Libye; croquis plus modestes,
en nombre plus limité, établis pour le compte du Tchad.
En fin de compte, nous avons recensé 277 cartes et croquis publiques, donc contribuant à la notoriété de
la ligne frontière — ou à son absence de notoriété, soient :
— 203 cartes et croquis présentés par le Tchad et déposés au Greffe de la Cour, conformément à votre
Règlement, soient
— 98 cartes et croquis présentés par la Libye, dont une douzaine ont déposés au Greffe,
— 24 de ces cartes ou croquis ont été présentés simultanément par les deux Parties et sont donc comptés deux
fois dans mon calcul.
Mais rassurez-vous, il ne s'agit pas d'un exercice statistique dans cette affaire, exercice qui n'aurait aucun
sens !
La République du Tchad a présenté peu de cartes dans son mémoire. Nous n'avions pas de raison
particulière de le faire. Notre thèse étant, et restant d'ailleurs, que la frontière entre les deux Parties est formée
de deux lignes droites définies par les traités de référence. Dans une telle hypothèse, une carte ne saurait servir
à préciser une ligne déterminée par les points astronomiques mais tout au plus à mieux situer cette ligne sur le
terrain.
Mais en revanche, face au déploiement remarquable d'illustrations cartographiques dans le mémoire
libyen — j'y reviendrai dans un instance —, le Tchad a cru nécessaire de corriger l'impression donnée par nos
contradicteurs et de montrer que les cartes effectivement publiées abondaient dans le sens des conclusions de la
République du Tchad. D'où le petit atlas annexé à notre contre-mémoire, avec des reproductions de cartes
parfois difficiles à déchiffrer en raison du format choisi. Je vous prie de nous en excuser et c'est pourquoi nous
nous sommes permis de vous faire distribuer ces petites loupes. On a la technologie qu'on peut...
La Jamahiriya arabe libyenne a présenté peu de cartes originales dans son mémoire. En général, d'ailleurs
vous constaterez, Messieurs de la Cour, qu'elle a produit peu de cartes dans ses écritures, moitié moins que le
Tchad, je l'ai dit : 98 contre 203 cartes pour nous, et surtout des cartes si je puis dire en défense, pour contester
les affirmations du Tchad. En revanche, rarement, et pour cause, en appui à ses propres thèses. Pas une carte
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publiée, publique donc, n'a été produite qui reprend la ligne frontière réclamée par la Libye dans ses
conclusions. Il y a là une certaine cohérence puisque la Libye prétend que la frontière entre les deux Parties n'a
jamais été délimitée et que, conséquence du postulat libyen, le tracé inexistant ne peut donc être reporté sur une
carte.
En revanche, la Libye a fait établir un grand nombre de croquis en couleurs à fins de démonstration. Et je
salue ici la performance esthétique et pédagogique de nos contradicteurs. Ce faisant, ils ont habilement essayé
de «faire impression» sur la Cour. Ainsi par exemple la carte no
1 du mémoire libyen. Toutes les frontières
africaines, vous le voyez, y sont fidèlement reportées, comme si à une seule exception près (évidemment, ce sont
les frontières méridionales de la Libye) mais autrement vous retrouvez à peu près les autres frontières, comme
s'il s'agissait de la seule zone du continent africain sans frontières définies. Le fléchage en outre produit une
sorte d'effet d'entonnoir, que vous voyez bien, qui est comme une invitation à l'extension de la souveraineté
libyenne vers le sud.
Faute de pouvoir illustrer par des cartes publiques ses prétentions frontalières, telles qu'elles résultent de
ses conclusions — en gros, le 15e
parallèle — La Partie libyenne essaie de suggérer cette ligne, de l'acclimater
en la présentant comme une frontière qui s'imposerait d'évidence :
— frontière naturelle,
— frontière historique.
La carte no
8 du mémoire libyen est assez caractéristique d'une série de cartes libyennes présentées dans le
mémoire, assez caractéristique de cette manière d'accréditer indirectement le 15e
parallèle. Vous voyez où il se
trouve et vous voyez du coup les couleurs changer. Cette carte-ci décrit la végétation en Afrique. Mais on
trouve d'autres cartes du même type, toutes aussi parlantes, toutes aussi belles, toutes aussi colorées pour les
sols, la pluviométrie ou le climat.
La démonstration est claire; la nature se charge de tracer sur le terrain la ligne fâcheusement oubliée par
les politiques et les cartographes. On retrouve la même technique s'agissant des activités sociales, par exemple
dans la carte no
19 du mémoire libyen. Carte qui, vous le voyez, distingue les régions d'Islam et les régions
chrétiennes, et toujours avec la même coupure, c'est-à-dire approximativement le 15e
parallèle. Ici, comme par
hasard, les deux grandes zones de religion se distribuent le Tchad équitablement, si je puis dire. Nous avons
aussi et dans le même style une carte sur la répartition des Toubous et tribus apparentées qui elle aussi recoupe,
retrouve comme par hasard la même ligne.
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— Enfin, la démonstration devient d'un goût plus douteux. Vous pouvez me projeter la carte no
103 du
mémoire libyen. Voilà. Lorsque les auteurs du mémoire libyen invoquent, à l'appui de leur thèse, le croquis du
colonel Spartacus relatif à l'opération Manta, avec ici la «ligne rouge», qui est au 16e
parallèle — la «ligne
rouge», vous le savez, Monsieur le Président, Messieurs, étant la ligne militaire de protection établie par les
forces tchadiennes et françaises lors de l'invasion libyenne de 1983-1984 — ligne tracée en fonction du rayon
d'action de l'aviation française appelée au secours par les autorités légales libyennes.
Nous espérons pour notre part que la période des grandes invasions est révolue et j'ajoute que la Partie
tchadienne n'a pas beaucoup apprécié ce rappel.
Peu de cartes publiées dans le contre-mémoire libyen, ce sont surtout des croquis de démonstration. C'est
normal, puisque la Partie libyenne n'avait pas encore eu l'occasion de voir et de critiquer notre petit atlas. La
réplique libyenne, elle, constitue cette réponse. Et cette tentative de réfutation de notre matériel cartographique
est, je dois le dire, assez difficile à suivre puisque répartie entre le corps du texte de la réplique, les annexes
supplémentaires du volume 2 et les productions : les «exhibits».
J'observe à ce propos, Monsieur le Président, que la réplique libyenne ne cherche plus à suggérer, à
illustrer, fût-ce indirectement, la thèse du 15e
parallèle. En revanche, une nouvelle ligne fait son apparition. Si
vous pouvez me projeter la carte no
10-B de la réplique libyenne.
C'est toujours suivant le même procédé de la suggestion et de la surimpression : ici il s'agit de la ligne
mathématique (true south-east). Nous la voyons ici surimprimée sur la carte de Justus Perthes, de 1892 et nous
la retrouvons sur de nombreuses cartes de la réplique libyenne, en particulier sur les cartes illustrant la présence
militaire française dans la région de 1914 à 1930.
— Enfin, nous trouvons la ligne mathématique surimprimée sur un croquis relatif au «régime frontalier»
de la convention de 1955. Vous le voyez ici (carte no
6-A, p. 69 de la réplique libyenne).
— en même temps d'ailleurs qu'une autre ligne — anachronique celle-là, de l'aveu des deux Parties —
celle du traité de Rome de 1935.
On peut se demander pourquoi la ligne mathématique en surimpression sur un croquis illustrant le traité
de 1955 alors que plus personne ne pense à cette ligne mathématique depuis belle lurette !
L'insistance mise par la Partie libyenne sur la ligne dite «mathématique» dans sa réplique constitue-t-elle
une position de repli, après la ligne du 15e
parallèle ? Le professeur Higgins a posé la question vendredi dernier.
Ce n'est pas à nous d'en juger. Je note cependant que ces surimpressions ne sont pas innocentes et qu'elles
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déplacent très sensiblement vers le nord, ou plus exactement qu'elles pourraient déplacer très sensiblement vers
le nord, ou plus exactement qu'elles pourraient déplacer très sensiblement vers le nord, les conclusions de la
Partie libyenne, conclusions formelles ou suggestions informelles, nous verrons bien !
Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, reprenons maintenant l'ensemble des cartes et des croquis
publics qui ont été produits par les Parties. Je ne vais pas projeter toutes ces pièces, rassurez-vous, je m'en
tiendrai à quelques constatations et à quelques échantillons.
D'abord la carte de l'atlas no
2.
Avant 1899, nous le savons, la plupart des cartes ne portent pas de frontière au sens moderne du terme.
Pourtant celle-ci, la carte Justus Perthes de 1892 porte bien une grenze, donc une frontière, pour désigner la
frontière de la Tripolitaine. On la voir, on la devine et je vous renvoie aux explications du professeur Pellet à
cet égard. Plus au sud, la région est mal connue, inexplorée; ceci explique l'absence de tout tracé-frontière — au
demeurant la région à cette époque n'était pas couverte par des accords internationaux.
A partir de 1899, tout change sur les cartes. Une ligne apparaît. La carte du Livre jaune (mémoire
libyen, carte no
40), qui vous est projetée en ce moment et que vous voyez apparaître, cette carte du Livre jaune
qui accompagne, nous le savons, la déclaration de 1899 lors des négociations entamées entre les autorités
françaises et italiennes de l'époque. Je n'insiste pas sur ce chapitre que nous avons déjà traité.
Nous retrouvons ce même tracé sur la carte publiée dès 1899 dans le journal Le Figaro ainsi que sur celle
publiée dans le Bulletin du comité de l'Afrique française. Si vous pouvez la projeter, s'il vous plaît. Oui, c'est
à peu près le tracé de la carte du Livre jaune.
Et ici , il est intéressant de noter que le massif du Tibesti, tel qu'il est alors connu, est entièrement situé au
sud de la ligne frontière. On retrouve logiquement ce tracé de la ligne du Livre jaune dans toutes les cartes
publiées par les autorités françaises de l'époque; vous en trouverez des exemples dans notre petit atlas.
Des cartes d'autre provenance portent d'autres lignes, notamment la ligne dite «mathématique». Ainsi la
carte no
14-A du contre-mémoire libyen dont nous avons fait agrandir le secteur géographique intéressant.
C'est une carte britannique publiée par la Royal Geographic Society. Vous voyez et qui, elle, porte la
ligne dite «mathématique» stricte sud-est. Mais nous verrons, à cet égard, que dès la signature de la déclaration
franco-britannique du 8 septembre 1919, les cartes britanniques adoptent la ligne qui aboutit au point 19o
30' de
latitude nord, à peu près ici. Et nous notons aussi que le négociateur de l'accord de 1919, Mac Michael,
transmet à lord Allenby, le haut-commissaire britannique au Caire, une lettre expliquant les raisons de ce qu'il
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considère comme l'erreur commise par les cartographes britanniques dans la période précédente (réplique du
Tchad, annexe 43, 5 mars 1913). Erreur, dont cette carte est une illustration d'après Mac Michael.
La Partie libyenne a produit dans ses écritures, nous le savons, des cartes italiennes de la même époque
— vous pouvez projeter la carte de la réplique libyenne n
o
16-B, par exemple — qui portent la ligne dite
«mathématique». Celle-ci qui date de 1912, est intéressante, Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, parce
que, elle aussi, indique que l'ensemble du massif du Tibesti, d'après les connaissances des cartographes italiens
de l'époque se trouve au sud de la ligne frontière, bien que la carte reprenne par ailleurs la ligne
«mathématique». Ces cartes italiennes enregistrent, ce que j'appellerai, une incontestable zizanie entre les
services italiens puisqu'elles ne correspondent guère aux positions prises par le Gouvernement italien à la même
époque et qui ont été analysées par le professeur Cassese.
La déclaration franco-britannique du 8 septembre 1919 clarifie la situation cartographique relativement à
l'interprétation de la déclaration de 1899. Nous le savons, elle fixe désormais la ligne frontière suivant «la
direction sud-est» pour la faire aboutir au point défini sur la frontière soudanaise par les coordonnées 24o
est et
19o
30' nord. Cette précision est immédiatement enregistrée sur les cartes produites par les parties à la
déclaration franco-britannique.
Si vous pouvez me projeter par exemple la carte 15A du contre-mémoire libyen. Voici cette nouvelle
carte britannique, toujours de la Royal Geographic Society de 1924, elle a rectifié la position. Vous trouvez le
même tracé, donc tracé défini par l'accord de 1919, dans les autres cartes britanniques aussi bien que la Royal
Geographic Society que du War Office, qui ont été produites par les Parties. Vous trouvez cette même ligne sur
les cartes françaises qui gagnent ainsi en précision. Vous trouvez enfin cette ligne sur les cartes du congrès de
la paix de 1919 et sur la carte adjointe à l'accord de 1924. Mais surtout, ce qui me paraît important de noter ici
c'est que la ligne «mathématique» a disparu. Vous ne la retrouverez plus, Monsieur le Président, sur une seule
carte publique produite par les Parties. Désormais, quand la frontière est indiquée, c'est la ligne de 1919. Et il
faudra pratiquement attendre les surimpressions de la réplique libyenne, ou plus exactement du mémoire libyen,
mais surtout de la réplique libyenne, c'est-à-dire plus de soixante-dix ans pour voir le phénix mathématique
renaître de ses cendres.
Le professeur Cassese vous a retracé les hésitations et divisions de l'administration italienne pendant
l'entre-deux-guerres. Hésitations reflétées dans ces cartes sans frontière projetées par le professeur Condorelli,
et plus encore dans les cartes relatives aux programmes coloniaux, traduction des nostalgies et des appétits du
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lobby colonial italien.
A partir de 1935 et avec la signature du traité de Rome, les cartes se remettent à l'unisson.
— Les cartes italiennes, qui enregistrent bien sûr le tracé du traité de Rome,
— les cartes britanniques toujours — et si vous pouvez projeter la carte 16B du contre-mémoire
libyen — nous avons ici donc le tracé du traité de Rome, c'est une carte de 1935,
— enfin les cartes françaises qui, elles aussi, enregistrent dès la signature du traité la carte d'atlas no
53,
cette carte de 1935, carte française, qui corrige donc la cartographie française dès la signature du traité en
anticipant sur sa ratification et sur l'échange de ratifications, c'est la décision immédiate pour ce qui concerne les
cartes géographiques françaises.
Cette période d'heureuse unisson est brève, puisque dès 1938 les cartes se mettent de nouveau à diverger,
lorsqu'il apparaît que les échanges de ratification du traité de Rome n'auront pas lieu, donc que le traité
Laval-Mussolini n'entrera pas en vigueur.
Est-ce à ce moment-là un retour au statu quo ante ?
Pa tout à fait. La ligne dite «mathématique», nous l'avons vu, a définitivement disparu de la cartographie
depuis 1919.
Les cartes italiennes montrant l'absence de délimitation au sud de la Libye disparaissent à leur tour, après
un bref retour. Si vous pouvez me projeter la carte italienne de 1941 du ministère des affaires étrangères.
Monsieur le Président, Messieurs les juges, vous reconnaissez cette carte que le professeur Condorelli
vous a projetée. Regardez-la bien cette carte, Messieurs de la Cour, observez-la bien une dernière fois !
Regardez-la bien parce que vous ne la verrez plus pendant cinquante ans ! Ce type de carte va disparaître
pendant un demi-siècle. Aucun Etat, aucun cartographe public ou privé, aucune des Parties à l'affaire, ni la
France, bien sûr, ni le Tchad, ni le Royaume-Uni, ni l'Italie, ni la Libye, ne prétend désormais, par les cartes,
qu'il n'y a pas de frontière délimitée.
Cette carte, c'est le chant du cygne des revendications coloniales maximales italiennes.
Et il faudra attendre 1991 et le mémoire libyen pour voir réapparaître ce type de cartes, avec la
revendication correspondante portant sur la moitié du territoire du Tchad. Les autres cartes publiées à partir de
cette date hésitent en effet entre le tracé du traité de Rome de 1935, vous pouvez projeter la carte 72 de notre
atlas.
Voici par exemple une carte allemande de 1940 qui reprend la ligne laval-Mussolini, vous la voyons très
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clairement.
C'est aussi d'ailleurs le cas des autres cartes italiennes, pouvez-vous me projeter la carte 78 de notre petit
atlas. On voit moins bien la frontière mais on la devine, coupant le massif, elle est ici.
C'est une carte italienne du commandement supérieur des forces armées. Elle date de 1941, c'est-à-dire de
la même année que la carte que j'ai appelée carte «chant du cygne colonial». Mais elle porte la ligne du traité de
Rome de 1935.
En revanche — et ceci dès 1938 — les cartes françaises reviennent au tracé de la frontière de 1919. Si
vous pouvez me projeter la carte no
67 de notre atlas.
Voici, celle-ci date de 1938 et elle reprend — on devine l'angle — la ligne de l'accord de 1919. C'est une
carte du service géographique de l'armée française. Elle n'a pas attendu que l'encre soit sèche sur la lettre par
laquelle le comte Ciano renonce à l'échange de ratifications pour revenir à la ligne de 1919.
Vous trouverez d'autres exemples, Messieurs de la Cour, des cartes françaises dans le petit atlas, aussi
bien les cartes de l'ING que les cartes routières Michelin, les cartes géologiques, etc.
Toutes, après 1938, indiquent la frontière de l'accord de 1919. Si la France enregistre tout de suite la
non-ratification du traité, les autres nations mettent un peu plus longtemps pour corriger leurs cartes.
Ainsi, par exemple, la carte 87, cette carte, plutôt ce croquis, publié par «The Geographer», le service
officiel américain en 1943 marque bien encore la frontière de l'accord Laval-Mussolini. Et nous avons dans le
même style relevé une carte de la National Geographic Society de 1950 qui continue à figurer cette ligne
anachronique et que vous trouverez dans notre petit atlas.
Les cartes britanniques, elles, ne sont corrigées qu'après la guerre. Nous avons donné une carte du
War Office de 1948 qui, elle, revient bien à la ligne de 1919. Il y a donc là encore un flottement dans cette
période. C'est un flottement que l'on comprend bien. A partir de 1940 les principaux protagonistes de notre
affaire sont en guerre. Les priorités sont ailleurs, et de 1945 à 1949 l'incertitude règne et sur le sort des
anciennes colonies italiennes et sur l'éventuel ajustement de leurs frontières. Je ne reviens pas par ailleurs sur ce
qu'il faut appeler malheureusement le cafouillage de la représentation diplomatique française à la conférence des
suppléants des quatre puissances, ou à l'erreur commise par le Secrétariat de l'ONU en 1950, le professeur
Franck vous a expliqué tout cela.
Mais, en l'espèce, si diplomates et politiques ne sont pas capables d'y voir clair dans cette période, et nous
vous l'avons montré des deux côtés de la barre, on comprend bien que les cartographes, exécutants de la ligne
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politique, ne s'y retrouvent guère de leur côté.
Précisons cependant, Monsieur le Président, Messieurs, la nature de ce flottement. Les hésitations de la
décennie 1940-1950 sont en effet très différentes de celles que nous avons observées avant 1919. Il ne s'agit
plus ici d'une divergence d'interprétation sur le tracé de la ligne frontière, il ne s'agit plus de savoir ce que veut
dire la «direction sud-est». Tout cela est réglé depuis 1919. La ligne «mathématique», je l'ai dit, est
définitivement enterrée. Et tout le monde est convaincu, d'après les cartes publiées, qu'il y a bien une frontière.
Il n'y a plus de cartes sans frontières, de cartes-entonnoirs ! L'incertitude, pendant cette période de flottement,
porte exclusivement sur le point de l'entrée en vigueur ou non du traité Laval-Mussolini, et donc de la
substitution ou non, à la ligne décrite par l'accord franco-britannique de 1919, de la ligne décrite par le traité de
Rome de 1935. En d'autres termes, il s'agit désormais de choisir entre deux lignes : 1919 ou 1935.
Cartographes et éditeurs ne se posent plus un problème d'exactitude du tracé ou d'interprétation des
textes : c'est réglé ! Mais un problème de choix entre ces deux lignes frontières qui enserrent ce qu'on appellera
plus tard la bande d'Aouzou. A partir de 1950, les cartes portent la ligne de 1919, parfois d'ailleurs en indiquant
la contestation territoriale entre les deux lignes possibles.
Donnons un exemple : la carte de notre atlas no
153.
C'est une carte américaine récente de la National Geographic Society de 1990. Elle porte — nous allons
voir l'agrandissement de plus près — les deux lignes, vous voyez, elle porte principalement la ligne frontière de
1919 et elle porte en pointillé le ligne du traité Laval-Mussolini avec une indication "claimed and partly
occupied by Libya". Et l'indication c'est "Aouzou's strip".
Nous voyons donc bien ici, sur cette carte, que la National Geographic Society reflète les données du
problème tel qu'il se pose après la seconde guerre mondiale, le problème est celui de la bande d'Aouzou,
"Aouzou's strip".
Un mot sur les cartes de l'ONU. Je ne reviens pas sur la démonstration de mon collègue, M. Franck, qui
a expliqué les tâtonnements de la commission d'enquête des quatre puissances,
— le croquis de 1950 illustrant les hésitations de la commission intérimaire de l'Assemblée générale,
— et l'origine de l'erreur portée sur les cartes de l'Organisation.
Si vous pouvez me projeter la carte de l'ONU 235, qui est la première des cartes sur lesquelles nos
collègues de la Partie libyenne appuient leur démonstration. Avec la ligne de 1935, c'est la "Map 235" de
décembre 1949 des Nations Unies, et on voit bien les petits créneaux caractéristiques de la ligne
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Laval-Mussolini. Cette carte qui a pour objet de décrire les principales routes et pistes, je souligne "as principle
transport routes", date de 1949 et montre donc la ligne de 1935. Cette carte est intéressante parce que c'est la
matrice des cartes erronées publiées par l'Organisation dans la décennie suivante. Nous avons mené une enquête
auprès du Secrétariat général de l'ONU sur cette carte et le professeur Franck vous en a retracé la genèse et la
postérité.
Nos contradicteurs libyens ont fait grand cas de cette série de cartes ouverte par la carte de 1935.
Malheureusement, comme je l'ai indiqué tout à l'heure, ils n'ont pas poussé leur curiosité au-delà de la date
de 1958, sinon ils auraient raconté la suite et publié la série complète des cartes de l'ONU. Ils pouvaient même
publier la carte 141 de notre petit atlas; voici une carte — je crois que c'est d'ailleurs de février 1963 des
Nations Unies — qui elle, porte la ligne de 1919.
J'observe que, depuis le début des années soixante, toutes les cartes publiées par l'ONU portent la
frontière de 1919. Le professeur Franck vous en a projeté une série identique à celle-ci, qui se poursuit jusque
dans les années quatre-vingt. Ces cartes ne font pas un sort particulier à la frontière avec le Tchad, qui, vous le
voyez, est indiquée avec le même type de pointillés que l'ensemble des frontières internationales de la Libye. Ces
cartes n'indiquent pas que ce tracé-là est particulièrement contesté. Ces cartes traduisent, en ralliement du
service cartographique de l'Organisation, un consensus quasi unanime — nous le verrons dans un instant M qui
s'établit dans l'opinion cartographique touchant la frontière méridionale de la Libye.
La Partie libyenne a essayé de réduire la portée de ces cartes plus récentes de l'Organisation en les
considérant comme des cartes techniques, illustrant des rapports techniques.
C'est vrai. Mais c'est tout aussi vrai, Monsieur le Président, des cartes antérieures. La carte matrice de
l'erreur, celle que je viens de vous projeter auparavant, la carte no
235 de 1949, était destinée à la revue des
transports et communications de l'Organisation des Nations Unies. Quant aux croquis accompagnant les
rapports du haut-commissaire, M. Pelt, ils n'avaient pas pour fonction de préciser les frontières, problème qui ne
relevait pas de la compétence du haut-commissaire. Après 1955, et donc après la signature du traité du
10 août 1955, le consensus sur la ligne de 1919 devient écrasant dans l'ensemble des cartes publiées.
— Toutes les cartes de l'ONU, je l'ai dit,
— toutes les cartes françaises,
— toutes les cartes britanniques,
— toutes les cartes américaines,
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— toutes les cartes italiennes,
— même les cartes soviétiques,
si vous pouvez me projeter, voici une carte soviétique de 1985.
C'est une carte intéressante. Elle émane d'une grande puissance, d'une grande puissance qui a plutôt de la
sympathie à l'époque pour le région libyen, et cependant elle reprend le tracé de 1919 parce qu'elle enregistre le
consensus international qui s'est formé à l'époque.
Seules les cartes libyennes continuent de figurer la ligne du traité de 1935. (Vous pouvez me projeter la
carte no
150 de notre atlas.) Nous avons une carte de provenance libyenne, et non pas anglaise comme indiqué
par erreur dans le dossier d'audience. Cette carte libyenne qui reprend le traité, nous retrouvons le petit créneau
de la ligne Laval-Mussolini.
Ce n'est pas en l'espèce, je le souligne, une absence de frontière, non, elle est bien là. Ce n'est pas en
l'espèce, je le souligne, une ligne mathématique — elle n'a rien de mathématique — c'est la ligne du traité
Laval-Mussolini dont nos contradicteurs conviennent aujourd'hui qu'elle n'a aucun fondement juridique.
Monsieur le Président, Messieurs de la Cour,
Cette unanimité — ou quasi-unanimité — des cartes (je fais exception des cartes libyennes), depuis la
signature du traité du 10 août 1955, répond bien, me semble-t-il depuis trente ans au moins, aux critères posés
par le tribunal arbitral dans l'affaire du Canal de Beagle. Je cite :
"Where there is a definitive preponderance on one side — particularly if it is a very marked
preponderance — and while of course every map must be be assessed on its own merits M the
cumulative impact of a large number of maps, relevant for the particular case, that tell the same
story — especially when some of them emanate from the opposite Party, or from third countries,
— cannot but be considerable, either as indications of general or at leat widespread repute or
belief, or else as confirmatory of conclusions reached, as in the present case, independently of the
maps." (Sentence du 18 avril 1977, p. 84, par. 139.)
Monsieur le Président, en l'espèce, il me semble que les indications données par la carte, l'ensemble de la
cartographie depuis 1955 et depuis trente ans, répondent bien à ces exigences.
Nous verrons d'ailleurs que, pour reprendre la formule du tribunal arbitral dans l'affaire du Canal de
Beagle, "some of the maps" — at least one — "emanate from the opposite Party". Mais n'anticipons pas.
Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, il me reste à évoquer maintenant, pour compléter cette
projection, le cas de trois cartes significatives, ceci afin de répondre à l'argumentation de la Partie libyenne.
La première concerne la carte publiée par l'institution officielle des Etats-Unis d'Amérique, "The
Goegrapher". Vous pouvez me projeter la carte no
135 de notre atlas.
- 29 -
Cette carte est une carte intéressante en raison de son origine, c'est simplement un croquis, mais c'est un
croquis qui a une autorité particulière.
Etudiant les frontières africaines dans son ouvrage faisant autorité, le professeur Brownlie s'exprime ainsi
au sujet de ce type de carte :
"Various categories of evidence may overlap. Thus the Geographer of the United States
Department of State publishes material (International Boundary Studies), which is both official in
provenance, since he is an authorized government agency, and also expert evidence in terms of its
technical provenance. Evidence of the views of third states is relevant not only when the location
of tripoint boundary junctions is in issue, but in general as evidence of general recognition of an
alignment and of its notorious and public character. Thus official maps produced by
United Kingdom, French and American government agencies provide evidence of the alignments of
African boundaries." (African Boundaries, p. 5.)
La partie libyenne, embarrassée par cette carte, a cherché à contourner l'argument en observant que les
études de "International Boundary Studies" ne sont certainement pas neutres, mais expriment la position
officielle du Gouvernement américain (réplique de la Libye, annexe supplémentaire, vol. 2, no
2, p. 15).
Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, gardons-nous ici de tout anachronisme. Le Gouvernement
américain n'avait aucune raison, en 1961, de favoriser la République du Tchad plutôt que le Royaume-Uni de
Libye, où les intérêts américains, je vous le rappelle, intérêts stratégiques, intérêts économiques et intérêts
pétroliers étaient alors substantiels.
Nous maintenons donc pour notre part que l'opinion du "Geographer", en 1961, est d'un intérêt
appréciable pour notre affaire.
La seconde carte a été publiée par l'Organisation de l'aviation civile internationale en 1959.
— Cette carte, où vous voyez le tracé frontière, ici, qui est bien le tracé de 1919, est l'expression par une
autre organisation internationale de la conviction partagée quant au tracé de la ligne frontière;
— cette carte ne mériterait pas davantage de remarques si la Partie libyenne n'avait pas produit un début
de correspondance échangée en 1955 entre le Gouvernement français et le Secrétaire général de l'Organisation
de l'aviation civile internationale au sujet de la ligne frontière à indiquer sur les cartes aéronautiques.
Nos collègues libyens concluent dans leurs écrits à l'annexe supplémentaire au volume 2 de leur réplique :
"The end of this saga is not revealed by documents found in the Quai d'Orsay Archives." (Ibid., annexe
supplémentaire, vol. 2, p. 4, par. 4.)
Puis-je respectueusement, Monsieur le Président, faire observer que la fin de l'histoire ne se trouve
peut-être pas dans les écrits des archives du Quai d'Orsay, mais se trouve probablement dans la carte projetée,
publiée par l'OACI en 1959, l'OACI ayant entre-temps mené à bonne fin son enquête ?
- 30 -
Enfin, la troisième série de cartes concerne les recherches pétrolières.
— Le croquis initial (map no
1) est annexé au règlement pétrolier proclamé le 14 août 1955. Et vous le
voyez ici, c'est un croquis auquel la Partie libyenne accorde de l'importance.
La réplique libyenne qualifie d'ailleurs ce croquis en le décrivant ainsi :
"a conservative line based on the U.N. map that illustrated the uncertainty attached to this
boundary was a safe line to pick as a guide to foreign oil companies" (réplique de la Libye, p. 74,
par. 5.63 in fine).
Permettez-moi, Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, de dire que la Partie libyenne a une conception
assez curieuse d'une "conservative line". Elle fait au demeurant elle-même la démonstration de cette
contradiction dans sa carte — si vous pouvez projeter maintenant le croquis bien fait par la Partie libyenne et
qu'elle publie dans la réplique. C'est en effet la carte LR 2 de la réplique libyenne, où la Partie libyenne fait la
démonstration de sa contradiction.
Cette carte, en effet, superpose — je ne sais pas si vous le voyez de près — la ligne de la carte des
Nations Unies (UN map no
241) et le croquis que nous venons de projeter (no
1955, Libyan Petroleum
Regulation Map no
1).
Vous voyez que ces deux lignes ne coïncident pas et que la carte pétrolière libyenne en prend quelque peu
à ses aises, en particulier dans ce secteur, avec la carte de l'Organisation des Nations Unies
— notamment dans les zones pétrolières, un peu plus haut dans le secteur d'Edjelé qui est par ici;
— on voit qu'elle pénètre en territoire algérien et que cette pénétration n'est pas négligeable puisqu'elle est
à une bonne centaine de kilomètres au large de Ghat.
Au demeurant, le croquis pétrolier que je vous avais projeté d'abord et qui accompagne la loi pétrolière
libyenne de 1955, suscite une protestation immédiate de l'ambassadeur de France à Tripoli.
— De même que la France protestera contre les cartes publiées par la Bande mondiale dans son étude sur le
développement économique de la Libye en 1960.
— La Libye produit aussi en réplique trois cartes privées de prospection pétrolière, inspirées, c'est normal, par
le croquis officiel de 1955.
— En revanche, elle cherche à sous-estimer l'importance de la carte publiée par ses propres services en 1962,
carte que nous avons reproduite dans l'Atlas no
142.
— Cette carte est une carte à laquelle nous attachons de l'importance. Elle est établie par les géologues des
services officiels américains pour le compte du Gouvernement libyen et porte clairement, vous le voyez, la
- 31 -
frontière de 1919 et du traité de 1955.
— Elle est établie après consultation des différents ministères libyens compétents. Comme vous voyez, United
States Department of the Interior, Geological Survey (c'est le département de l'intérieur américain qui dresse
la carte pour le compte du Gouvernement libyen), United Kingdom of Libya, Ministries of National
Economy, Petroleum Affairs and Industry.
— L'histoire de cette carte est éclairée par la note de l'ambassadeur Sebileau, ambassadeur de France à Tripoli,
note en date du 28 avril 1961 dont vous trouverez la reproduction dans la réplique libyenne (Exhibit, part. A
(1-6), vol. 3, série 6-10, dernier document).
— L'ambassadeur Sebileau craint la publication d'une carte officielle libyenne portant une frontière différente
de la frontière du traité de 1955.
— Il propose donc au département de faire des démarches auprès du Gouvernement libyen et des autres
gouvernements concernés, afin que ne soit pas sortie une carte officielle qui contredirait le texte du traité de
1955.
— Je constate que cet ensemble de démarches a été couronné de succès puisque la carte officielle, comportant
certains "disclaimers", publiée au nom du Royaume-Uni de Libye porte la frontière de 1919 indiquée par le
traité de 1955.
Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, pour résumer mon propos, quatre constatations à propos
des nombreuses cartes produites par les Parties à la présente instance :
1) je relève que pas une seule carte publiée ne porte la ligne réclamée par la Libye dans ses conclusions
— c'est-à-dire la frontière du 15e
parallèle;
2) je relève que pas une seule carte publiée depuis 1919 ne porte la ligne dite «mathématique»;
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3) je relève que pas une seule carte publiée depuis l'indépendance des deux Parties ne porte la ligne du
traité de Rome de 1935 (à l'exception bien entendu des cartes libyenne), tout au plus cette ligne est-elle indiquée
en alternative avec la frontière de 1919, encadrant la bande d'Aouzou, comme nous l'avons vu dans la carte du
National Geographic.
4) enfin, je relève que pas une seule protection libyenne contre ces nombreuses cartes publiées depuis
l'indépendance des deux Parties m'a été émise alors que le Gouvernement français, puis le Gouvernement
tchadien, ont réservé leurs droits à chaque reprise lorsque quelques cartes ont porté le tracé de la frontière
de 1935.
Monsieur le Président, plaise à la Cour de considérer sur ce point que l'ensemble des cartes déposées par
les Parties constitue un élément de preuve concordant à l'appui des dires de la République du Tchad.
Je vous remercie pour votre attention et après la pause, si vous le voulez bien, je vous demanderai
d'appeler à la barre le professeur Franck.
The PRESIDENT: Thank you very much, Professor Cot. So we will take our break now.
L'audience est suspendue de 11 h 25 à 11 h 40.
The PRESIDENT: Professor Franck.
Mr. FRANCK:
The effectivity of the line after the independence of Libya and Chad
The international recognition of this line at the United Nations:
at the critical dates Libya was a beneficiary of,
and repeatedly acquiesced in, the new law of
decolonization practised by the United Nations
I. International recognition of the 1955 line at the United Nations
1. Thank you, Mr. President, distinguished Members of Court. As Chad constantly re-emphasizes, the
1955 Treaty is the rock upon which our case is built. But Chad also believes that, even if there had been no
treaty in 1955, the line which that Treaty describes, had already become the legal boundary between Libya and
French Equatorial Africa. This is due to the operation of colonial treaties and effectivities. But it is also due to
operation of the law and practices of decolonization at the United Nations. Libya's boundary was not contested
at its independence in 1951 and it was confirmed as between Libya and Chad on Chad's independence in 1960.
- 33 -
The customary law and practice of decolonization holds presumptively that new States come to independence
with the borders as they were on the terminating of their status as dependencies. This strong presumption is
rebuttable but it is not easily rebutted and it must be rebutted in a timely fashion by those claiming an
exemption.
2. At the time of its independence Libya was deeply committed to, and benefited from this very principle.
In 1948 to 1952, Egypt had made claims for border adjustments and recognitions of historic title to Libya's
east. France made claims to Libya's west based on ethnic and geographic factors. The Emir Idriss of
Cyrenaica, soon to become King of Libya, informed Secretary-General Trygve Lie of his implacable opposition
to "any decision which is taken to cut off any part of Libya in favour of another country . . ." (MC at p. 207 (E)
(fr.), para. 99 and cites therein). Contrary to the "pauvre Libye" thesis her advanced, the Emir and his advisers
were neither ignorant nor passive. He did, however, look to the United Nations, and not in vain, do defend
Libya's territorial inheritance. Mr. Pelt, the United Nations Commissioner, was a veritable tiger in that cause.
Sir Ian Sinclair notes, as do we, that the United Nations Commissioner had no jurisdiction to resolve boundary
claims. Yet he did have jurisdiction to ensure Libya's internal unity and to defend it against external claims.
And, so, acting on behalf of Libyan interests, as he saw them, the United Nations Commissioner for Libya, for
example, strongly opposed views expressed by the French Minster of the Interior, M. Queuille, who was
responsible for administering the Libyan Fezzan. When Queuille advanced the proposition that perhaps the
people of the Fezzan province should have the right to choose to secede before independence (MC at p. 209 (E)
(Fr.), para. 104 and Ann. 312) he was vigorously opposed by M. Pelt.
3. Equally firmly opposed by Pelt were indications by the Touareg population of Ghat that they would
prefer not to remain as part of an independent Libya (MC at p. 208 (E), p. 234 (Fr.), para. 102 and
Ann. 313) — there had been some representations to that effect by some of the Touareg. Those sorts of
secessionist claims were opposed by the Commissioner backed explicitly by General Assembly resolution 289
(IV), which called for the respective regions to be administered to promote "Libyan unity" (MC, Ann. 307,
Art. 10(b)). And members of the Assembly were united in their determination to bring to independence a Libya
defined by its pre-existing Italian colonial boundaries, without any substations or substitutions. The substance
of territorial integrity thus was something from which Libya derived considerable benefit and with which it was
familiar.
4. The United Nations concern that Libya achieve its independence with its prior colonial boundaries and
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territorial integrity intact was an early instance of the new law of decolonization as it was then evolving at the
United Nations in practice. Libya was one of the very first to see the justice of applying the same normative
practices to Chad when, a decade later, it achieved independence and became a United Nations member. And so
indeed Libya did, welcoming Chad warmly and without a hint of discord to come.
5. It is also precisely the territorial integrity of Chad which was ratified by Libya in the 1955
Franco-Libyan Treaty. By 1960 there were two new nations. A common boundary — no problem. Territorial
integrity, a notion absolutely central to the success of the decolonization enterprise, seemed to have won the day.
Yet, today, Libya in its written pleadings scorns Chad's claim to its territorial integrity, for example, by quoting
with approval the snide remark that Chad is only "an artificial by-product of its colonial history. But it is much
more a product of Africa's and the United Nations determination to preserve those boundaries, that territorial
integrity, which Libya in word and deed now scorns as "artificial". While these boundaries may have been
drawn by colonial Posers unmotivated by the well-being of Africans, nevertheless, the well-being of Africans is
now inextricably linked to those boundaries. Almost all other African and Arab States recognize this as a
matter of practical necessity as well as a requisite of law.
6. Libya has an unresolved ambiguity about territorial integrity. On the one had it scorns the principle as
the dead hand of colonialism, even though it itself derived considerable benefit from it, when claims were
pressed against its territory by Egypt and France. On the other hand it nominally accepts uti possidetis. But
Libya seeks to limit the doctrine's effect be restricting its application solely to uncontested territory and
undisputed boundaries. A boundary is a boundary only when it is uncontested. That is Libya's version of
territorial integrity. This cannot be an admissible caveat to uti possidetis. The essential purpose of that concept
is to defend the territorial integrity and boundaries of new States as they stand at the moment of independence
against challenge by other States. It is precisely to legitimize boundaries likely to be challenged that the rule
was conceived in Latin American's decolonization and reinvigorated during the most recent decolonization of
Africa.
7. Libya's independence, and Chad's, within colonially-established territorial boundaries is underwritten,
as is the territorial integrity of all members, by Article 2 (4) of the United Nations Charter. Now Libya denies
violating Chad's territorial integrity. It supports this denial by arguing that the area it invaded in 1973 was not
really, not legitimately, Chadian. It does not contest that France was there in 1955. Yet, Libya would have us
believe that territorial integrity does not apply because Libya has a territorial claim. But this is exceedingly
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strange. Not only does it make uti possidetis essentially meaningless, it also makes it non-dispositive. Libya
did not claim these territories when it became independent at the end of 1951 and again Libya did not claim
these territories when they came under the sovereign authority of an independent Chad in 1960, nor when Chad
joined the United Nations with Libya's blessing (CMC at pp. 151-154 (Fr.), paras. 4.52-4.58). Only in the
1970s did Libya begin to challenge the peaceful harvest of uti possidetis.
8. Of course the principles of territorial integrity and uti possidetis are not inapplicable merely because a
State has an historic claim to the territory of another. But even if a claim to historic title could overrule the
applicability of uti possidetis, Libya made no such claim at any of the critical times when such a claim might be
expected to have been advanced. And if it were arguable that the claim against a colony's territorial integrity
based on historic title could conceivably persist even after the colony's independence, that claim at least would
have had to exist and be pursued publicly before and at the colony's coming to independence and joining of the
United Nations.
9. The failure of independent Libya to advance such a claim in opposition to uti possidetis at the critical
time of Chad's independence and admission to the United Nations is of course consistent with the pattern
established earlier. These further silences of post-independence Libya must be understood as confirming
France's earlier uncontradicted assertions to the General Assembly concerning Libya between 1948 and 1952.
They must be seen to confirm Libya's agreement to its southern boundary as defined in the Treaty of 1955.
10. Mr. President, Members of the Court, we have remarked on how the new law of decolonization was
first implemented for Libya's benefit. If Libya had thought that this new law of decolonization was inapplicable
to Chad, would it have signed and ratified the 1955 Treaty? And would it not have had a duty to make this clear
at the United Nations at the next critical moment in which that Organization was involved: that is, at the
independence of Chad in 1960 and its entry into the Untied Nations? Surely, thinking of Chad in 1960, Libya
must have believed either that it had a boundary, or else that it had a boundary dispute. It is impossible to
deduce from Libya's warm and welcoming conduct at the United Nations that it believed itself to have not a
boundary, but a dispute.
11. In 1960, there was no sign of Libya's later rebellion against the new law of decolonization. The two
main features of this new law are territorial integrity (or uti possidetis) and self-determination. It is their
meaning which is at the heart of this case. chad's argument is straightforward: Chad came to independence
entitled to boundaries which correspond to the "photograph" of the territory under French control which was
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bequeathed to it, uncontested, that the time of its decolonization. The content of this entitlement had been
clearly stated by France: frequently and publicly and clearly at the United Nations. It had been confirmed by
Libya in the 1955 Treaty. Within the boundaries of this territorial entitlement, Chad's act of self-determination
took place. Had Libya, nevertheless, wished to claim part of this territory or to seek recognition for a different
boundary, the United Nations decolonization practised made clear how this could have been done at the critical
moment of Chad's independence and admission to the United Nations. Territorial integrity was a right, but it
was not irrebuttable. The new customary law of decolonization also made provision for seeking exemption in
special circumstances. But Libya made no effort to seek such an exemption. That, surely, is evidence that
Libya was satisfied with the normal operation of the applicable principles of decolonization and with the
borders established in conformity with those principles.
II. The Independence of Chad at the United Nations
12. Mr. President, Members of the Court, let us look for a moment at Chad's decolonization. The United
Nations did not supervise Chad's independence quite as closely as it had that of Libya, a decade earlier.
Nevertheless, it did supervise the administration of all non-self-governing territories. From 1947 to 1959 France
regularly submitted colonial reports to the Assembly (idem., para. 4.56), including detailed information on
Chad. In these, France asserted that what is not Chad covered territory which included the B.E.T. For example,
in 1955, the very year the Franco-Libyan Treaty confirmed their mutual boundary, France stipulated in its
report to the United Nations that Chad included 538,000 square kilometres specifically attributed to the B.E.T.
(idem and cites therein.) That definition of the B.E. T. includes all the territory occupied by Libya in 1973.
Now, this was no secret memorandum in the Quai d'Orsay files. Libya, as a Member of the United Nations,
received these published reports. It might have been expected to complain, if, in 1955, it thought the French
attribution to be extravagant, or if it had opposable territory claims. In the 1950s it was common practice for
Member States to be quite harshly critical of unsavoury aspects of French colonial administration (idem.,
paras. 4.57-4.58). Nevertheless, Libya did not dispute the territorial dimensions of Chad as reported by France;
neither did it voice any claim to any part of the territory over which France was then still
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exercising responsibility. It certainly did not tell the United Nations that its boundary was unclear or unresolved
or that it needed technical assistance to figure out what rights it had had to an Ottoman doctrine of hinterland.
13. This silence by Libya is particularly significant in the light of the contemporary normative practice.
In 1960, Chad reached it independence. By 1960, the United Nations had developed rules of decolonization
which applied generally to territories moving towards independence. Alongside these had developed a practice
of protesting their application in spacial cases. I shall shortly give some examples. Yet, here was Chad, moving
towards independence, its territory defined and administered, and its boundaries defended by France, by the
colonial régime. Here was the United Nations, insisting that Chad's independence occur within the prevailing
normative parameters: self-determination, uti possidetis (or territorial integrity). Might one not have expected
Libya, if it believed, back then, what it asserts now, to have called out: "Stop! Before we encourage France to
hand over its authority to an elected government in Chad and before we admit Chad into the United Nations, let
us push France and the authorities in N. Djamena to redress an old wrong and return to Libya to say anything
remotely like that at the critical time? Is it not reasonable to infer that Libya was silent because it did not then
imagine that it had any cause to seek exemption from the general rule of self-determination? Can we deduce
that, in 1960, Libya was content within its existing borders, borders protected by the principle of territorial
integrity?
III. The New Rules of Decolonization
14. As a Chamber of this Court has observed in the 1986 Frontier Dispute case, the principle of uti
possidetis was embraced and universalized in the new law of decolonization so that independence would not lead
to "fratricidal struggles provoked by the challenging of frontiers following the withdrawal of the administering
power" (I.C.J. Reports 1986, p. 565). This rule, to quote the Court once more, "freezes the territorial title" in
effect at independence; that is: "at the moment when independence is achieved . . ." (idem at pp. 566, 568;
CMC at pp. 131-132 (fr.), paras. 4.12-4.14; and CMC at p. 152 (Fr.), para. 4.54). The same concern underlay
the General Assembly's landmark Declaration on the Granting of Independence to Assembly's Countries and
Peoples (the celebrated General Assembly resolution 1514 (XV) of 14 December 1960), passed in 1960 just as
Chad was gaining its independence. I condemns any "partial or total disruption of the national unity and the
territorial integrity of a country". The same norm of course is found again in the Assembly's 1970 Declaration
on Friendly Relations (Declaration on Principles of International Law concerning Friendly Relations and
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Co-Operation among States. General Assembly resolution 2625 (XXV) of 24 October 1970; CMC at
pp. 132-133 (Fr.), para. 4.16). Libya, indeed, voted for both resolutions. (For discussion of General Assembly
resolution 2625 (XXV). see CMC at p. 133 (Fr.), para. 4.17.) It did not say: these are good rules, but they do
not apply to borders we dispute, or to territories as to which we have an unsettled claim.
15. In United Nations practice, the universality and prestige of the new law of decolonization meant that
United Nations Members strove mightily to see that colonies became independent within the precise territorial
boundaries as they were at the last phase of decolonization. The strength of this commitment can be seen by
examining the resistance of the United Nations of the few applications that were made for exemption from the
rules. Examining requests for exemption from rules gives us a glimpse of what Chad's transition from colony to
nation might have looked like had there been a claim against it by Libya or even by the people of the B.E.T.
under French rule.
16. These requests for exemption tended to be advanced in two situations. One was when it was claimed
that self-determination ought to be applied so as to allow a coherent, ethnically distinct group within a colonial
territory the opportunity to "opt out" before that dependency achieved independence. The other situation in
which exemptions were sought was when all, or part, of a dependency advancing to independence was claimed,
usually on the basis of historic title, by a State that was already a member of the United Nations, usually a
neighbouring State. While the United Nations very rarely acceded to requests for exemption, such claims were
not infrequent. Libya, as a Member of the United nations for almost a decade before Chad's independence,
could scarcely have been ignorant of the practice because it was going on all around it.
17. First: the self-determination exemption. In 1960, a case for exemption based on self-determination,
that is, self-determination of a sub-group within a colony, was not unimaginable. The claim to "opt out" might
have been advanced by the people living in the B.E.T., or even by Libya on their behalf. It was not. Moreover,
Chad's referendum of 1958 on self-determination, produced no movement for secession. In Chad's
pre-independence election of 1959 there was participation throughout the B.E.T. and there were multiple parties,
several of which succeeded in electing Members to the National Assembly. Professor Bowett, on 22 June, spoke
of the total absence of evidence of acquiescence by the indigenous people in the so-called borderlands
(CR 93/20, 22 June 1993, p. 19). But, no. By 1960, the people of the B.E.T., including those in Aozou, had
exercised their right of self-determination. We can readily demonstrate this with 1959 election returns published
in Perspective Africaine in Paris on 16 June 1959 which we have appended as Annex No. 107 to the
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Counter-Memorial of Chad and which you see projected behind me.
Mr. President, Members of the Court, in this election, none stood for secession. This was in 1959. The
next year, the duly-elected Chadian Assembly decided to declare the nation's independence. That, too, elicited
no call to secede, not from the elected representatives and not from the people (CMC at pp. 135 (Fr.), para. 4.21
and cites therein, including CMC, Ann. No. 107).
18. Distinguished Members of the Court, it is always risky to profess what people thought 33 years ago.
But we can make some deductions by contrasting the way self-determination worked in Chad to some very
different contemporaneous experiences in other African colonies. For example, just as Chad was peacefully
approaching independence within territorial boundaries unchallenged either domestically or internationally,
Belgium was winding up its Trusteeship in Ruanda-Urundi. There, between 1959 and 1962, the two regions
and populations, in several elections, expressed a clear preference for mutual secession over territorial integrity.
After much initial resistance, the United Nations eventually gave the divorce its blessing just before
independence — very reluctantly (CMC at pp. 133-135 (Fr.), paras. 4.19-4.20). The United Nations recognized
the intensity of separatism in Ruanda-Urundi and agreed in that instance to a waiver of territorial integrity. The
contrast between concurrent events in Chad and Ruanda and Burundi could not be more stark. The people of
the B.E.T. expressed no desire to secede, Libya made no claim on their behalf, and so, of course, the prevailing
United Nations rules applied. It would be disastrous, Mr. President, more than 30 years later, if the Court were
to reopen and amend those carefully crafted rules and practices of decolonization.
19. Libya certainly knew how to play the self-determination card, if it had had one to play. Indeed, it was
active in just such a case at the very same time as Chad was coming to independence. Libya played a major
part in persuading the United Nations in 1960 to authorize a plebiscite that was to test the desire of the people in
the Northern region of the British Cameroons to secede on independence and join neighbouring Nigeria (CMC at
pp. 142-145 (Fr.), paras. 4.33-4.38 and cites therein). In effect, Libya helped the Northern Cameroons obtain
an exemption from uti possidetis and territorial integrity. Its representatives knew precisely how to claim the
exemption. Yet Libya made no effort to press France to hold a separate plebiscite in the B.E.T. comparable to
the one it had successfully urged for the Northern region of the British Cameroons. At the critical moment,
before Chad's independence, Libya made no case. True, the British Cameroons were a Trust Territory and
Chad was a colony. But, by 1960, the General Assembly had largely obliterated the practical significance of
that difference and was very actively supervising decolonization of the French territories in Equatorial and West
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Africa. One must presume that Libya made no case because it did not then think that there was a case to be
made.
20. Professor Bowett invites this Court to "take account of the contemporary emphasis on people, which
is reflected in the law relating to human rights and self-determination of peoples" (CR 93/18, p. 71). Kindly as
may be the intent behind this blandishment, Mr. President, you will be fully cognizant of the consequences
which would follow — not least for "people" — if this Court began to redesign the boundaries of sovereign
States to implement theories of what "people" want: particularly theories advanced by neighbouring
Governments. Libya had presented this Court with petitions of persons living in the Aozou strip under its
military occupation: the "Sudetenland" gamit. The Court surely will not now assist Libya to redefine Chad's
territorial integrity or to re-examine its peoples' act of self-determination. These questions were resolved in
1930. None of the people of Chad, including those now under Libyan occupation, 30 years ago evinced any
desire to secede. They did now ask to be consulted as a separate "people", distinct from all other Chadians. The
democratic process by which Chad proceeded to independence is entitled to the same respect as that of any other
Member of the United Nations. At no time during these events, while the General Assembly was reviewing
French progress toward Chad's independence, did Libya seek to have the Assembly instruct France to bring
Chad's borders and territorial status into accord with any claim of ethnic transnational ties. Neither the words
"Ottoman" nor "Senoussi" ever appeared on the lips of Libya's United Nations representatives. Instead, what
happened in 1960, on Chad's declaration of independence, is precisely what the Western Sahara Advisory
Opinion later prescribed (CMC at pp. 139-140 (Fr.), paras 4.26-4.28): the implementing in another colony of
"the principle of self-determination through the free and genuine expression of the will of the people of the
territory" (Western Sahara Advisory Opinion, I.C.J. Reports 1975, p. 162, and see also paras. 52-54). No
voice, neither Chadian nor Libyan, was raised to seek some other form of self-determination than that which was
actually and very properly and democratically implemented.
It is surely irresponsible to ask this Court, as counsel for Libya did most recently on 22 June, to consult
something called the "human factor" and to make a decision in 1993 based n what the people of the Aozou strip,
or the whole of the B.E.T. , might currently want. We have offered evidence that what all factions of the B.E.T.
seem to have in common is that they do not hold themselves to be Libyan. Our agent was eloquent on that
point. But what Quebec or Brittany or the east of Sri Lanka might want at any moment, in any event, is surely
not a question to be addressed, or redressed, by this Court. Chad's act of self-determination in 1960 in fact
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compares favourably with that of any new nation. But, ultimately, that, too, is not the point. This Court is not
the place, and 1993 is not the time, to review the bona fides of Chad's act of self-determination. No one truly
interested in the "human factor" could wish for a departure so fraught with chaos.
21. So much for self-determination. What about historic title? Again, there would have been time, in the
late 1950s, when Libya might have pressed the United Nations to exempt the colony of Chad from the law of
decolonization in deference to a claim of historic title. If Libya did have such a claim, it could have objected, at
that time, to the application of uti possidetis. That might have been a time for Libya, led by a Senoussi King, to
advance a claim based on its alleged role as successor to the Ottoman, Senoussi and Italian titles and claims.
But this is the claim Libya advances now, in 1993. At the critical moment when such a claim to exemption from
the modern law of decolonization might have been appropriate, while Chad was being prepared for independence
and its progress monitored and debated in various United Nations Committees, and at the moment of
independence, the Libyan Government said not an irredentist word.
22. In the Security Council, even as France was introducing the new applicant for membership and
describing its territory as comprising an "immense trapezium" of approximately 1,300,000 square kilometres,
including "the high jagged mountains of the Tibesti" (Mc at p. 298 (E), pp. 320-321 (Fr.), para. 116 and cites
therein), Libya made no effort to be heard in contradiction. In the General Assembly, Libya's representative
(Mr. Fekini), offered Chad, along with other new members, on behalf of the King of Libya, "his people and
Government, our most sincere and warm congratulations . . ." (MC at p. 299 (E), p. 322 (Fr.), para. 120 and
cites therein). He recalled "with great appreciation" the "spirit" of French decolonization even while criticized
France — and this is not insignificant for a Government that is alleged to have been still under the influence of
France — for its failure to be as enlightened in respect of its conduct towards Algeria. Had Libya at that time
entertained any claim to part of Chad's territory — here was Chad arriving at the United Nations — would it not
have thought this — its claim — to have been at least as worthy of mention as its objection to France's
treatment of Algeria? Is Libya's silence not evidence that it did not, at the critical moment, believe itself to have
a claim?
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23. Just as the Cameroons case must have demonstrated to Libya how to make a case based on
self-determination, so, too, there were plenty of instructive contemporary examples for Libya to follow had to
wished to persuade the United Nations that Chad should not become independent until France had
acknowledged, if not redressed, Libya's claim to parts of Chadian territory then under French administration and
about to pass under Chadian administration. It would certainly not have been the only Member of the United
Nations to claim such an exemption from the application of uti possidetis. Numerous claimants showed the
way: vigorously and repeatedly asserting claims of historic title before United Nations bodies. These claimants,
usually States next door to a colony, pressed their arguments not so much in the hope of getting a favourable
decision from the United Nations — although the United Nations in fact has occasionally been sympathetic to
such claims (see discussion of Spain and Argentina's claims against Britain in CMC at pp. 156-159 (Fr.),
paras. 4.65-4.70) — but they pressed forward in order to preserve the claim's viability beyond the critical
moment of the colony's independence and membership in the United Nations — beyond the moment of the
freezing — beyond the moment when uti possidetis would take effect. These claimants, asserting and
reasserting their historic title before United Nations forums, understood that silence implied assent to the new
State, that it validated its territorial integrity, "froze" existing boundaries, and precluded subsequent efforts at
non-consensual revision. Libya must have known this.
24. It is no mere matter of conjecture that Libya's silences betoken the absence of any claim at the critical
moment of Chad's independence. All around it, other States were safeguarding their territorial claims as
neighbouring colonies approached independence. A few examples will suffice (CMC at pp. 160-162 (Fr.),
paras. 4.59-4.82 and cites therein) and I have tried to avoid those that touch personally on the experiences of
Members of this Court. During the period 1955 to 1960, United Nations bodies heard Yemem claim the colony
of Aden, Guatemala the colony of Belize, Spain and colony of Gibralter, Morocco the colonies of Mauritania
and Western Sahara, and Indonesia the colony of West Irian. At the very time Libya was congratulating Chad
on its independence, and supporting its admission to the United Nations, Morocco was vociferously asserting its
historic, ethnic and geographical title to Mauritania and ferociously opposing its bid to join the United Nations.
It was doing this, it said, "to safeguard our position internationally" (CMC at pp. 161-162 (Fr.),
paras. 4.73-4.75 and cites therein). And what was Libya doing? Libya was actually actively supporting
Morocco in its opposition to Mauritania's application for membership. If Libya at that time had thought that it
had an historically and ethnically-based claim on the B.E.T. similar to Morocco's on Mauritania, would it have
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welcomed Chad to membership even as it was helping Morocco lock out Mauritania? Would it not have sought
to safeguard its legal position, like Morocco, by stating it repeatedly, while opposing Chad's membership in the
United Nations?
25. It makes no difference that Morocco, then, claimed all of Mauritania while Libya, now, claims "only"
about half of Chad. Were that a significant point of distinction, the Court might consider, instead, the case of
Somalia's entry into the United Nations. With great passion and frequent reiteration, Somalia sought to prevent
the "freezing" of its borders at the critical moment and to preserve its claim to parts of Ethiopia and Kenya (MC
at pp. 95-96 (E), pp. 155-156 (Fr.), paras. 4.60-4.64). Even as it sought membership in the United Nations,
Somalia forcefully expressed to the Assembly its well-known view that its borders on independence did not
satisfy — what — General Assembly resolution 392 (V), our old friend, that is, the very resolution on which
Libya now relies, but now relies, in justifying its claim to Aozou. Libya was there when Somalia demonstrated
how to seek to preserve a claim of historic title, despite the new law of "photograph", despite the "freezing". Is
it not at least indicative that, inf ace of all this practice, with its obvious legal intentionality, Libya said
absolutely nothing?
IV. When Libya ought to have stated its case, if it had one
26. Mr. President, there were three critical moments:
(i) in December 1951 or February 1952, at the moment of Libya's declaration of independence and its
recognition by the General Assembly;
(ii) in 1955, at the conclusion of the Franco-Libyan Treaty;
(ii) in 1960, on Chad's independence and application to join the United Nations.
At all, or any, of these occasions Libya had both the opportunity and a duty to speak up, if it had believed, at the
critical moment, that the new law of decolonization — with its elements of self-determination within those
existing colonial units that were legitimized by uti possidetis — that those rules should not apply for special
reasons to Chad. It seems as if everyone else with such an unsatisfied claim was speaking up. That Libya did
not do so suggests that it had no such claim, not at those times. Consequently, it cannot hope, nunc protunc, to
use this Court to substitute its judgment now for that of the international community in 1960, not, at least, in the
absence of a showing of fraud or some major irregularity at those critical moments. Mr. President,
distinguished Members of Court, I shall seek to demonstrate that, when Libya did decide to assert a claim to
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part of Chad, it knew this: it knew that its legal claims had long been waived, and that there was no rule upon
which it could rely except the rule of force, and so it chose to argue not from law but from power.
Thank you, Mr. President, for your patience and indulgence in hearing me, and if I may I would propose
that you might call on my associate, Professor Sorel.
The PRESIDENT: Thank you very much, Professor Franck. Professor Sorel.
M. SOREL : Monsieur le Président, Messieurs les juges,
C'est un immense honneur de me présenter pour la première fois devant vous et j'espère que vous me
pardonnerez les imperfections dues à mon émotion et à ces premiers pas. Ceci aura un avantage, Monsieur le
Président, je serai bref.
1. Je succède à M. Franck pour aborder un autre aspect fondamental des effectivités qui prouvent
l'existence d'une frontière confirmée après les indépendances. Mon prédécesseur à cette barre a évoqué la
reconnaissance internationale de cette ligne aux Nations Unies ainsi que les acquiescements successifs de la
Libye. Pour ma part, je souhaiterais brièvement décrire les effectivités tchadiennes après l'indépendance de cet
Etat à travers deux aspects complémentaires :
Tout d'abord, la souveraineté territoriale exercée par le Tchad sur la bande d'Aouzou à la suite de la
succession d'Etats.
Et d'autre part, l'activité conventionnelle entre le Tchad et la Libye postérieure à l'indépendance du Tchad.
2. Les deux aspects confirment que le Tchad a exercé sur la bande d'Aouzou une souveraineté effective
jusqu'à l'invasion par la force de celle-ci par la Libye et que rien dans l'activité conventionnelle ne permet
d'affirmer l'inexistence d'une frontière comme l'affirment nos contradicteurs.
I. La souveraineté territoriale exercée par le Tchad à la suite de la succession d'Etats
3. Je voudrais aborder, Monsieur le Président, Messieurs les juges, le premier point concernant la
souveraineté territoriale exercée par le Tchad à la suite de la succession d'Etats. Le Tchad est un Etat souverain
et indépendant depuis le 11 août 1960, et depuis cette date, le Tchad a entendu exercer toute l'étendue de ses
compétences souveraines sur l'ensemble de son territoire. L'accession du Tchad à l'indépendance fut sans doute
une occasion de se réjouir en Afrique comme le soulignent nos honorables contradicteurs mais toutes les
accessions à l'indépendance sont une occasion de se réjouir, et ceci n'empêche pas de préciser certaines
revendications ou d'élever certaines protestations lorsque celles-ci existent. A cette époque, la Libye est
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indépendante depuis presque neuf ans et malgré son dénuement relatif maintes fois rappelé par la Partie adverse,
celle-ci était tout de même en mesure de rédiger une note de protestation si elle lui paraissait nécessaire. Elle
s'en est abstenue.
4. Lors de son indépendance, le Tchad a succédé à la France et les faits montrent clairement que, à cette
époque, la partie du territoire tchadien dénommée depuis lors "bande d'Aouzou" est demeurée soumise à
l'autorité effective et exclusive du successeur de la France, c'est-à-dire la République du Tchad. Il existe alors
un phénomène de continuité avec la France puisque cet Etat, conformément au tracé confirmé en 1955 avait
jusqu'en 1960 exercé tous les attributs de la souveraineté jusqu'à la frontière méridionale de la Libye. Traités et
effectivités se confondaient en toute logique puisque la Libye, la France, puis le Tchad reconnaissent l'existence
de la même ligne frontalière.
5. Les effectivités du Tchad sont nombreuses, encore que "proportionnées" — si l'on peut dire — à la
situation particulière du BET, et correspondent à l'exercice "classique" des compétences d'un Etat sur son
territoire. Il convient d'évoquer rapidement ces actions (les écritures du Tchad détaillent ces aspects, mémoire
du Tchad, chap. VI, p. 293 et suiv.) en les regroupant par thèmes. Je vous prie, par avance, de bien vouloir
m'excuser pour ce rappel un peu descriptif, surtout à une heure si tardive de la matinée, mais il convenait de
couper court à certaines insinuations de la Partie adverse. En effet, comme le rappelle la Chambre de la Cour
dans l'affaire du Différend frontalier entre le Burkina Faso et le Mali :
"Dans le cas où le fait correspond exactement au droit, où une administration effective
s'ajoute à l'uti possidetis juris, l'effectivité n'intervient en réalité que pour confirmer l'exercice d'un
droit né d'un titre juridique." (C.I.J. Recueil 1986, p. 586-587, par. 63.)
Ce sera le but de ma brève démonstration, mais si l'on admet — et seulement si — comme l'affirme la
Libye, qu'il n'existe pas de titre juridique — ce que le Tchad récuse — alors je me permets de poursuivre ma
citation pertinente dans l'affaire du Différend frontalier; en effet, la Chambre de la Cour précise :
"Dans l'éventualité où l''effectivité' ne coexiste avec aucun titre juridique, elle doit
inévitablement être prise en considération." (Ibid.)
C'est donc, en quelque sorte, à double titre que ce rappel est nécessaire.
6. Tout d'abord, le Tchad exerce, à partir de 1960, une autorité administrative — au sens général — sur
la région du BET, qui est devenue une préfecture divisée en trois sous-préfectures. Certes, jusqu'en 1965, ce
sont des officiers français qui exerceront certaines hautes fonctions administratives mais ceci résulte d'accords
de défense et d'assistance technique et militaire conclus entre le Tchad et la France en août 1960 et d'autre part,
les officiers français étaient nommés par le Gouvernement tchadien et ne recevaient d'instructions que de celui-ci
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(mémoire du Tchad, p. 303, par. 37-38). Il n'y a donc pas continuité d'une occupation militaire comme l'insinue
la Libye dans son contre-mémoire, (contre-mémoire de la Libye, par. 5.107) mais simplement, la "continuité des
hommes" d'imposait pour des raisons évidentes et très concrètes en attendant la formation de cadres tchadiens
(ce qui sera effectif après 1965). De plus, l'utilisation par un Etat, d'organes d'un autre Etat, que ce dernier met
à sa disposition, est un phénomène bien connu en droit international, comme a eu l'occasion de le souligner
M. Ago dans son rapport sur la responsabilité des Etats (cf. R. Ago, Troisième rapport sur la responsabilité des
Etats, Annuaire de la Commission du droit international, 1971, vol. II, 1ère partie, nos 198-214). On peut donc
noter une présence continue d'un personnel administratif dans les sous-préfectures du BET jusqu'en 1968
(mémoire du Tchad, p. 304, par. 41, qui indique la liste des préfets et sous-préfets). A ce moment, la Libye
n'émet strictement aucune protestation contre cette présence effective (contre-mémoire du Tchad,
par. 2.100-2.101, 4.44).
7. Cette présence du Tchad va se traduire par des manifestations concrètes qui sont communes à tous les
Etats sur leur territoire. Ainsi, des élections auront lieu dans le BET, y compris dans la bande d'Aouzou, le
4 mars 1962, sous le contrôle du Gouvernement tchadien, ou encore, selon les rapports du Bulletin politique
mensuel du sous-préfet du Tibesti, les impôts seront régulièrement perçus.
8. Significatif également est l'exercice d'une activité de police sur la région, et ceci malgré des difficultés
et des imperfections dues à la situation géographique (mémoire du Tchad, p. 313, par. 76). Cette activité
comprenait aussi bien la surveillance de la frontière que l'arrestation de bandits. Il est, par exemple, fait mention
de la présence d'un inspecteur de police à Aouzou en 1968, et ceci dans la correspondance du préfet du BET
(mémoire du Tchad, p. 319, par. 107).
9. L'un des rôles de ces fonctionnaires de police ainsi que des forces armées était également le contrôle des
mouvements de population à travers la surveillance aussi bien des laissez-passer exigés pour les déplacements
individuels que du permis de transhumance. D'une manière très significative, le préfet du BET exigera en 1964
des passeports munis d'un visa de séjour au Tchad pour les ressortissants libyens et ceci fut signifié au chef de
poste de Zouar et visait les ressortissants libyens, particulièrement ceux "de la zone nord de la ligne frontalière"
(mémoire du Tchad, annexe 126). Dès 1965, le sous-préfet du Tibesti réclamait également la mise en place de
bureaux de douane dans les principaux centres habités (Wour, Aouzou, Bardaï et Yebibou — cf. mémoire du
Tchad, annexe 120). Ceci accrut l'efficacité des autorités pour les arrestations de contrebandiers dans la zone
frontalière.
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10. Etroitement lié à cette dernière activité, le recensement de la population, déjà actif sous
l'administration française (mémoire du Tchad, p. 279, par. 269-271) fut poursuivi par les autorités tchadiennes
et ceci malgré les difficultés résultant de nomadisme qui rendent cette comptabilité quelque peu aléatoire comme
le mentionne un rapport du sous-préfet du Tibesti en juin 1966 (mémoire du Tchad, p. 306, par. 51).
11. Enfin, s'il est un domaine qui permet de contrôler l'autorité effective d'un gouvernement sur la
population, c'est bien celui de l'enseignement et de l'éducation. De nombreux efforts furent entrepris pour la
scolarisation (mémoire du Tchad, p. 310, par. 68), celle-ci étant liée au développement de l'état-civil et plus
généralement de l'"esprit civique" (mémoire du Tchad, p. 307, par. 53). Il s'agissait, malgré les difficultés,
d'intéresser les Tchadiens aux exigences de la bonne administration d'un Etat moderne. Dans ce but, des
"tournées de contact" (c'est l'expression qui est alors employée) avec la population étaient organisées. Les
recensements de la population scolarisée sont d'ailleurs parmi les plus précis et l'on apprend ainsi qu'en 1966,
l'effectif des élèves de la cantine d'Aouzou est d'une vingtaine d'enfants mais peut aller jusqu'au trente ou
quarante enfants selon les déplacements de la population (mémoire du Tchad, p. 317, par. 100). La liste des
écoles est également tenue à jour et Aouzou et Zouar sont mentionnés dans les rapports de 1970 et 1971. On y
apprend même quelles sont les écoles qui ont dû fermer à cause de la rébellion ! Ce qui prouve que pour le
Tchad, il n'était pas question de renoncer à une partie de son territoire mais au contraire de lutter contre une
situation à laquelle il fallait remédier.
12. Un autre domaine vient confirmer les effectivités du Tchad : c'est celui du développement
économique. Ainsi, dans le domaine de la recherche des hydrocarbures, un permis fut délivré, par exemple,
en 1961 à une société française pour une prospection dans la zone de la bande d'Aouzou (mémoire du Tchad,
p. 313, par. 80). Celle-ci se révèla infructueuse mais la délivrance de ce permis est tout à fait significative. En
effet, c'est le 31 octobre 1961 que le ministre tchadien des travaux publics accorde un permis exclusif de
recherches d'hydrocarbures liquides ou gazeux (no
189/PC-TPMHH, Journal Officiel de la République du
Tchad, le 15 novembre 1961, p. 468-69) à la société de participations pétrolières PETROPAR. Ce permis fut
octroyé pour une période de cinq ans renouvelable et portait sur une superficie de 152 000 km2
à l'extrémité
nord-est de l'Ennedi, limitée au nord par la frontière de la Libye et à l'est par la frontière du Soudan. Dans le
but de prospecter, la Société PETROPAR fit aménager un aérodrome privé près de Tekro, dans l'Ennedi, ce qui
amène également la création d'un poste de gendarmerie (Journal Officiel de la République du Tchad,
15 octobre 1963, p. 567). Cette activité prouve que le Tchad exerçait des attributions gouvernementales sur la
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région et la Libye ne protesta pas. Est-il besoin de dire que, pour sa part, ce pays ne délivra, bien sûr, aucun
permis de ce type !
13. De même, on tenta de développer l'agriculture durant la période allant de 1960 à 1966, le sous-préfet
du Tibesti signale dans un bulletin économique le jaillissement d'une source à ... Aouzou ! Le développement
d'infrastructures touristiques fut également envisagé. Ceci est resté sans suite. Finalement, aucune activité
économique n'a pu se développer dans la région de la bande d'Aouzou et en général dans le BET après
l'indépendance du Tchad, les difficultés rencontrées étant trop importantes (isolement géographique, zone
désertique...). M. Cassese a déjà évoqué ces points. Un simple véhicule indispensable au commerce dans une
zone si vaste représente un bien rare et précieux (mémoire du Tchad, p. 305, par. 44). Mais ceci importe peu
dans le cadre du présent litige. Ce qui importe, c'est que le Tchad exerçait sur tout le BET — y compris,
j'insiste, sur la bande d'Aouzou — des droits de souveraineté exclusifs.
14. Cette situation globale nous conduit à insister sur un point déjà évoqué par M. Cassese : on ne peut
s'attendre à une activité administrative "intense" dans une région aussi déshéritée et peu peuplée. Les effectivités
doivent donc être envisagées en fonction de cette situation selon un critère que je qualifierais de proportionnalité.
La Cour reconnaît d'ailleurs dans sa jurisprudence constante aussi bien dans les affaires (Groënland oriental,
C.P.J.I. série A/B n
o
53, p. 48; Minquiers et Ecréhous, C.I.J. Recueil 1953, p. 47; Sahara occidental,
C.I.J. Recueil, p. 46-47). Mais surtout, lorsqu'un titre est reconnu à un Etat et qu'une frontière est établie — ce
qui est le cas du Tchad — il n'est pas nécessaire d'exiger des manifestations importantes de souveraineté.
Chaque Etat est libre en fonction de ses données géographiques, politiques et sociales de manifester sa
souveraineté comme il l'entend avec l'intensité qu'il souhaite à l'intérieur de ses frontières.
15. A partir de 1968, le contrôle d'une partie du BET échappe à l'administration centrale du Tchad.
L'armée tchadienne quitte le poste d'Aouzou en 1968 à la suite de la révolte des gardes nomades (mémoire du
Tchad, p. 34, par. 77). Le Tchad entre alors dans une "zone de turbulences" qui durera plus de vingt ans, et le
BET va devenir la base de mouvements successifs en révolte contre l'autorité centrale (c'est le cas du Frolinat du
docteur Abba Sidick ou des forces armées du nord d'Hissène Habré et Goukouni Oueddeï). C'est aussi la
période qui marque le début des revendications libyennes en 1971 (à travers une carte touristique) avant
l'invasion armée de la région en 1973. Il y a lieu, à cet égard, de noter l'étrangeté de l'argument libyen qui
justifie de tels actes par une menace sur sa sécurité au sud à cause des rébellions au Tchad (mémoire de la
Libye, par. 3.07) et pour protéger l'exploitation de son pétrole au nord de la zone frontalière (mémoire de la
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Libye, par. 5.538). La Libye entretient à ce propos la confusion. La rébellion au nord du Tchad qui n'a aucun
but sécessionniste ne signifie pas que l'Etat tchadien renonce à y exercer une autorité effective. Au contraire,
c'est tout l'enjeu de la lutte qui va avoir lieu alors que la Libye, attisant par des aides diverses cette lutte,
souhaite y voir un renoncement qui n'existe pas.
16. Toutes les manifestations décrites constituent néanmoins les signes indiscutables de la présence des
autorités tchadiennes après l'indépendance dans la zone objet du litige. Ceci indique non moins clairement que la
frontière derrière laquelle s'exerçaient ces effectivités était délimitée et acceptée comme telle par les deux Etats.
Ceci n'est d'ailleurs pas surprenant et correspond au principe ferme du droit international selon lequel un
changement dû à une succession d'Etats n'affecte pas le statut d'un traité de frontières. Les frontières du Tchad
sont "héritées" de l'entité dont le nouvel Etat faisait auparavant partie. Et la frontière ayant été confirmée sans
ambiguïté par le traité du 10 août 1955, l'absence de revendications ou même de protestations de la Libye
jusqu'en 1971 est tout à fait logique et conforme au droit (contre-mémoire de la Libye, par. 2.04). Les frontières
possèdent un caractère objectif opposable à tous et ce principe est respecté par tous, y compris les Etats qui sont
plutôt favorables à la "table rase" en matière de succession.
17. La conclusion de ce bref exposé sur ce premier point est simple : le titre incontestable que le Tchad
tire du traité du 10 août 1955 est fidèlement reflété sur le terrain par la présence effective des autorités
tchadiennes. Il y a là une coïncidence qui n'est évidemment pas le fruit du hasard.
Le titre territorial incontestable du Tchad sur la région revendiquée par la Libye est de nouveau confirmé
par l'étude des relations conventionnelles entre les deux Etats postérieurement à l'indépendance du Tchad.
C'est le deuxième point, Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, que je souhaiterais aborder dans ma
brève plaidoirie.
II. L'activité conventionnelle entre le Tchad et la Libye postérieurement à l'indépendance du Tchad
18. Les relations conventionnelles entre le Tchad et la Libye postérieurement à l'indépendance du Tchad
confirment, malgré la guerre civile, malgré les troubles de l'époque, la cohérence de l'attitude tchadienne et la
conviction des deux pays qu'une frontière existe et a toujours existé et qu'elle demeure celle qui avait été définie
avant l'indépendance du Tchad. Un survol rapide des différents accords permet de le confirmer.
19. Le 2 mars 1966 fut conclu à Tripoli un accord de bon voisinage et d'amitié (mémoire du Tchad,
annexe 15) qui organise la circulation de la population installée de part et d'autre de la frontière ainsi que le
trafic commercial et caravanier entre les deux pays. Cet accord confirme les relations frontalières paisibles
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entre les deux Etats et il ne paraît guère réaliste de conclure un tel accord s'il existe un litige sur le tracé de la
frontière et, a fortiori, s'il n'y avait pas de frontières (mémoire du Tchad, p. 33, par. 75). Ceci confirme que le
traité de 1955 est considéré comme la bonne référence par les deux Etats. Sans entrer dans le détail de cet
accord, il convient, Monsieur le Président, de citer l'article 1er, alinéa 1 :
"Sur la frontière séparant le territoire du Royaume-Uni de Libye de celui de la République
du Tchad, les Gouvernements libyen et tchadien prendront toutes mesures en vue d'assurer le
maintien de l'ordre et de la sécurité par une liaison et une coopération de leurs services de sécurité."
(Les italiques sont de nous.)
"Sur la frontière", Monsieur le Président, et ce n'est pas une expression isolée dans ce traité puisque les articles
suivants font également référence à la frontière. Ainsi l'article 2 est très instructif (c'est le document n
o
1 que
vous trouverez dans votre dossier de plaidoiries) puisqu'il mentionne les "populations installées de part et d'autre
de la frontière à l'intérieur de zones géographiques" et ces zones géographiques situent sans ambiguïté Zouar,
Largeau et Fada au Tchad. Ces trois localités se trouvent, bien sûr, dans le BET très au nord de la ligne
revendiquée par la Libye dans ses écritures. De même, l'article 4 impose la création de "cartes de circulation
frontalières". Enfin l'article 7 mentionne les mesures que devront prendre les "autorités frontalières".
Ces références ne sont pas anodines d'autant qu'il n'est fait nulle mention de frontière à délimiter dans ce
traité, ce qui tend à prouver que celle-ci était déjà délimitée dans l'esprit des signataires. On utilise très
simplement une délimitation existante dans le cadre d'une coopération transfrontalière. L'accord de 1966 est
donc clairement conçu sans que soit exprimé le moindre doute sur les compétences souveraines des Parties sur
leur territoire. Il en découle que, pour les deux pays, la frontière est située à l'intérieur de la zone instituée par
l'accord.
20. Les accords suivants s'inscrivent dans un contexte différent puisque, comme je l'ai signalé, à partir
de 1968 s'ouvre une période plus troublée pour le Tchad. La Libye, dans ses écritures et lors de ses plaidoiries,
affirme à plusieurs reprises que le Tchad serait resté silencieux sur la question frontalière à partir de 1972 et que
ce silence est inexplicable si ce pays avait souhaité émettre des protestations contre l'occupation de la bande
d'Aouzou. J'ouvre une parenthèse, une petite parenthèse, Monsieur le Président, pour signaler à la Partie
adverse qu'elle n'hésite pas à utiliser cet argument pour affirmer, lors de ses plaidoiries, qu'en 1960 il n'existait
aucune obligation juridique pour la Libye de formuler une objection au moment de l'indépendance (CR 93/18,
p. 30). La contradiction est évidente mais je ferme cette parenthèse.
Monsieur le Président, ce n'est pas de "silence" qu'il s'agit mais de "prudence". En effet, comme le
démontrera le professeur Higgins après moi, la prudence qui transparaît dans ces accords ne doit pas être
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confondue avec un renoncement. De nombreuses relations bilatérales entre les deux Etats découlant de ces
accords attestent d'une activité diplomatique qui exprimait clairement les protestations du Tchad. Alors
pourquoi une telle prudence dans ces accords ? Il est tout à fait clair, et pourquoi ne pas le dire, que le Tchad
redoutait les représailles de son voisin du nord de plus en plus menaçant. Il a dès lors cherché à éviter un
affrontement direct et c'est dans ce contexte qu'il faut comprendre les accords suivants. Certes, ou comme
l'affirme M. Cahier (CR 93/18, p. 40), on peut estimer que le droit international ne se soucie pas des
arrière-pensées des hommes d'Etat même si, comme l'affirmait Paul Valéry : "Les seuls traités qui compteraient
seraient ceux conclus entre les arrière-pensées." (Regard sur le monde actuel.) Mais les textes juridiques ne
sont jamais isolés et dénués de fondements. Les sources matérielles, le contexte, les conditions spécifiques d'une
époque donnent tout à leur sens à des déclarations et traités. Les "circonstances dans lesquelles le traité a été
conclu" font partie des moyens complémentaires d'interprétation selon l'article 32 de la convention de Vienne sur
le droit des traités. Je ne reviens pas sur les conséquences juridiques de ces dispositions, M. Cot s'est exprimé
largement déjà sur ce sujet (CR 93/22, p. 24). C'est donc bien la prudence, justifiée par le contexte spécifique
de l'époque, qui caractérisent ces accords, et non le silence ou le renoncement. Le Tchad a-t-il renoncé ?
Absolument pas. Et nous allons le voir.
21. Je m'abstiendrai de m'étendre sur la "lettre Tombalbaye" (mémoire du Tchad, annexe 343) dont la
Libye fait grand cas, M. Pellet évoquera cet aspect ultérieurement. De toute façon, cette lettre, si elle existe, ne
constitue pas un accord et n'intéresse donc pas l'étude des relations conventionnelles durant cette période.
22. Le traité d'amitié, de coopération et d'assistance mutuelle entre le Tchad et la Libye du
23 décembre 1972 se situe dans ce contexte particulier. Le régime tchadien est affaibli par la rébellion au nord
et face aux menaces libyennes (la carte de 1971 est un présage), le président Tombalbaye cherche à éviter
l'affrontement. Après une brève crise, les relations diplomatiques sont renouées en avril 1972 et le Président
tchadien en visite à Tripoli du 20 au 23 décembre, visite durant laquelle sera signé le traité, cherche donc
l'apaisement mais ne renonce absolument pas face aux prétentions libyennes. La lecture du traité en apporte la
preuve puisqu'il n'y est fait aucune mention de la question des frontières et que le traité se borne à une série de
déclarations fort vagues sans grand intérêt d'ailleurs pour notre affaire. La question, en fait, sera évoquée peu
après et le Tchad protestera fermement lors de rencontres bilatérales dans le cadre d'une commission conjointe
prévue à l'article 4 du traité. Cet aspect sera développé par le professeur Higgins.
23. Si nous remontons dans le temps, nous nous apercevons qu'à la suite d'une visite du colonel Kadhafi à
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N'Djamena en mars 1974 (mémoire du Tchad, annexe 35), fut signé l'accord du 12 août 1974. Celui-ci est
marqué par le même esprit que l'accord de 1966. Certes, l'article 2 aborde la question des frontières (c'est le
document n
o
2 que vous trouverez dans votre dossier) pour y signaler que celles-ci "s'inspirent d'une conception
coloniale à l'élaboration de laquelle les deux peuples et nations n'ont pas participé". Il n'est guère nécessaire
d'effectuer une analyse approfondie de cette phrase pour s'apercevoir qu'on ne mentionne pas une conception
coloniale des frontières dont la remise en cause nécessiterait une nouvelle délimitation mais on mentionne
simplement que des "frontières" existantes s'inspirent, à l'origine, d'un partage colonial auquel les deux peuples
"n'ont pas participé". C'est vrai — du moins pour le Tchad — et c'est d'ailleurs le cas de la grande majorité des
Etats africains. Il faut tout de même remarquer, à cet égard, que c'est la Libye indépendante qui a conclu le
traité de 1955. C'est un privilège rare sur ce continent. Bref, il ne s'agit là que d'un regret par rapport à une
situation antérieure dont, a contrario, l'existence est reconnue et non d'une modification de cette situation. La
frontière existe indépendamment de la conception coloniale qui l'a motivée et façonnée. Il paraît, dès lors, pour
le moins difficile d'affirmer que ceci est l'expression d'une absence de frontière ou de l'absence de sa délimitation
comme le fait la réplique libyenne (réplique de la Libye, par. 11.25).
Le différend concernant l'occupation libyenne était plus que jamais présent et, encore une fois, les
Tchadiens n'avaient pas renoncé. De nouveau, cet accord doit être simplement replacé dans son contexte. Le
Tchad est en proie à de graves troubles internes (le président Tombalbaye sera renversé peu de temps après) et
devait "temporiser"et donner quelques gages à son voisin à l'affût, mais, j'insiste, Monsieur le Président, en
marge, les négociations ont continué au sein des commissions instituées par les accords. D'ailleurs
parallèlement à la conclusion de cet accord, une mission tchadienne est à Tripoli pour aborder cette question de
l'occupation de la bande d'Aouzou.
24. Si nous remontons encore plus loin dans le temps, nous arrivons au traité d'alliance et d'amitié du
15 juin 1980 (mémoire de la Libye, annexe 37) ce traité est conclu en pleine guerre civile. La confusion est à
son comble et ce traité offre à la Libye le prétexte qu'elle attendait pour s'ingérer officiellement dans la guerre
civile. Quelle valeur lui donner lorsque l'on sait que ce traité fut signé du côté tchadien par un membre d'une des
factions rivales, et que celui-ci n'exerçait aucune fonction gouvernementale officielle ? Face à cette situation,
comment donner foi à l'argument de nos contradicteurs lorsqu'ils affirment dans leurs écritures (mémoire de la
Libye, par. 5.565) qu'un tel traité n'aurait pu intervenir si une occupation illicite d'une partie du territoire avait
été reconnue ? Pourtant, dans cet accord comme dans celui de 1974, la liberté de circulation entre les
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deux Etats est évoquée, ce qui présuppose l'existence d'une frontière et d'une autorité administrative de chaque
côté de la frontière. On peut en conclure que l'on reconnaît donc l'existence d'une frontière qui — faute de
précisions contraires — correspond bien à celle confirmée par le traité du 10 août 1955.
25. Enfin, Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, il convient de mentionner le communiqué conjoint
entre le Tchad et la Libye du 6 janvier 1981, communiqué dit "accord de fusion" (la Libye est coutumière de ce
type d'accord). Le contenu de ce communiqué est très virulent et y sont dénoncées, par exemple, les tentatives
"impérialo-sionisto-réactionnaires appuyées par le colonialisme" (art. 6, mémoire de la Libye, annexe 38) dans
le but de déstabiliser la région. Le ton est donné... Néanmoins, et malgré ce discours virulent, un article de ce
communiqué est significatif. M. Cahier citait dans sa plaidoirie (CR 93/18, p. 17) deux articles (8 et 10) de ce
texte. Je me permettrai de poursuivre pour évoquer l'article 11 (c'est le document n
o
3 que vous trouverez dans
votre dossier) qui, dans le but de réaliser la "fusion" entre les deux peuples, décide "d'ouvrir les frontières" entre
les deux Etats. Des frontières existent donc et comme ce communiqué n'aura aucune suite et que la "fusion" ne
sera jamais réalisée, on peut donc en déduire que les frontières qui devaient être ouvertes existent toujours.
D'ailleurs, il faut également remarquer qu'ouvrir une frontière ne revient pas à la supprimer. Ce projet de fusion
sans caractère exécutoire, dénoncé avec indignation par la communauté internationale et les chefs d'Etats
africains (contre-mémoire du Tchad, annexe 129) et reflétant une simple déclaration d'intention — comme ceci
sera très rapidement reconnu par le Tchad — reste, par défaut, tout à fait instructif. Il s'agissait de parvenir à
ouvrir des frontières qui étaient considérées comme une réalité en 1981 par les deux Etats.
26. Il n'y aura plus de relations conventionnelles entre ces deux Etats jusqu'à l'accord-cadre d'Alger
en 1989 (mémoire du Tchad, annexe 17) qui prouve sans ambiguïté qu'il y a un différend à régler, ce différend
étant l'objet même de l'accord.
27. Pour conclure, Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, on peut affirmer qu'il y a bien une
continuité et une constance dans l'attitude du Tchad, mais contrairement à ce qu'affirme la Libye, il ne s'agit pas
d'une continuité couvrant la période de 1972 et à 1983 (réplique de la Libye, par. 11.32) mais d'une continuité
qui part de l'indépendance du Tchad en 1960 jusqu'à l'accord-cadre en 1989. En effet, si l'on étudie de près ces
accords une fois de plus — y compris ceux de la période "troublée" — rien n'indique un quelconque
acquiescement tchadien à la présence libyenne dans la bande d'Aouzou ni, a fortiori, à une absence de frontière
avec la Libye. Au contraire, malgré le jeu des alliances tournantes, le Tchad a toujours gardé le souci de
recouvrer sa souveraineté sur l'ensemble de son territoire, comme cela a été nettement exprimé lors des
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négociations bilatérales avec la Libye. Cette attitude a le mérite de la clarté et de la continuité. Et la présence
du Président de la République du Tchad le premier jour devant votre Cour prouve la constance de l'attitude de
cet Etat. Lorsque la Libye précise dans ses plaidoiries : "C'est ... au fur et à mesure d'une meilleure
connaissance du dossier que la Libye précisera des revendications" (CR 93/18, p. 32), il y a de quoi s'étonner.
Quarante ans (de 1951 à 1991) pour savoir ce que l'on souhaite, c'est long ! Dès 1960, le Tchad connaissait ses
frontières et l'étendue de son territoire.
28. Le Professeur Higgins va désormais s'exprimer sur un aspect complémentaire à ma brève plaidoirie.
Je vous saurais gré de lui donner la parole sans doute demain et vous remercie, Monsieur le Président,
Messieurs de la Cour, de votre bienveillante attention.
Le PRESIDENT : Thank you very much, Professor Sorel. So we will meet again tomorrow morning at
10 o'clock.
L'audience est levée à 13 h 5.
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Audience publique tenue le mercredi 1er juillet 1993, à 10 heures, au Palais de la Paix, sous la présidence de sir Robert Jennings, président

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