Audience publique tenue le 29 juin 1993, à 10 heures, au Palais de la Paix, sous la présidence de sir Robert Jennings, président

Document Number
083-19930629-ORA-01-00-BI
Document Type
Number (Press Release, Order, etc)
1993/23
Date of the Document
Bilingual Document File
Bilingual Content

CR 99/23
International Court Cour internationale
of Justice de Justice
THE HAGUE LA HAYE
YEAR 1993
Public sitting
held on Tuesday 29 June 1993, at 10 a.m., at the Peace Palace,
President Sir Robert Jennings presiding
in the case concerning Territorial Dispute
(Libyan Arab Jamahiriya/Chad)
_______________
VERBATIM RECORD
_______________
ANNEE 1993
Audience publique
tenue le 29 juin 1993, à 10 heures, au Palais de la Paix,
sous la présidence de sir Robert Jennings, Président
en l'affaire du Différend territorial
(Jamahiriya arabe libyenne/Tchad)
____________
COMPTE RENDU
____________
- 2 -
Present: President Sir Robert Jennings
Vice-President Oda
Judges Ago
Schwebel
Bedjaoui
Ni
Evensen
Tarassov
Guillaume
Shahabuddeen
Aguilar Mawdsley
Weeramantry
Ranjeva
Ajibola
Herczegh
Judges ad hoc Sette-Camara
Abi-Saab
Registrar Valencia-Ospina
- 3 -
Présents: Sir Robert Jennings, Président
M. Oda, Vice-Président
MM. Ago
Schwebel
Bedjaoui
Ni
Evensen
Tarassov
Guillaume
Shahabuddeen
Aguilar Mawdsley
Weeramantry
Ranjeva
Ajibola
Herczegh, juges
MM. Sette-Camara
Abi-Saab, juges ad hoc
M. Valencia-Ospina, Greffier
- 4 -
The Government of the Libyan Arab Jamahiriya is represented by:
H.E. Mr. Abdulati Ibrahim El-Obeidi
Ambassador,
as Agent;
Mr. Kamel H. El Maghur
Member of the Bar of Libya,
Mr. Derek W. Bowett, C.B.E., Q.C., F.B.A.
Whewell Professor emeritus, University of Cambridge,
Mr. Philippe Cahier
Professor of International Law, Graduate Institute of International Studies, University of
Geneva,
Mr. Luigi Condorelli
Professor of International Law, University of Geneva,
Mr. James R. Crawford
Whewell Professor of International Law, University of Cambridge,
Mr. Rudolph Dolzer
Professor of International Law, University of Mannheim,
Sir Ian Sinclair, K.C.M.G., Q.C.
Mr. Walter D. Sohier
Member of the Bar of the State of New York and of the District of Columbia,
as Counsel and Advocates;
Mr. Timm T. Riedinger
Rechtsanwalt, Frere Cholmeley, Paris,
Mr. Rodman R. Bundy
Avocat à la Cour, Frere Cholmeley, Paris,
Mr. Richard Meese
Avocat à la Cour, Frere Cholmeley, Paris,
Miss Loretta Malintoppi
Avocat à la Cour, Frere Cholmeley, Paris,
Miss Azza Maghur
Member of the Bar of Libya,
as Counsel;
Mr. Scott B. Edmonds
Cartographer, Maryland Cartographics, Inc.,
Mr. Bennet A. Moe
Cartographer, Maryland Cartographics, Inc.,
- 5 -
Le Gouvernement de la Jamahiriya arabe libyenne est représenté par :
S. Exc. M. Abdulati Ibrahim El-Obeidi
ambassadeur,
comme agent;
M. Kamel H. El Maghur
membre du bureau de Libye,
M. Derek W. Bowett, C.B.E., Q.C., F.B.A.
professeur émérite, ancien titulaire de la chaire Whewell à l'Université de Cambridge,
M. Philippe Cahier
professeur de droit international à l'Institut universitaire de haute études
internationales de l'Université de Genève,
M. Luigi Condorelli
professeur de droit international à l'Université de Genève,
M. James R. Crawford
titulaire de la chaire Whewell de droit international à l'Université de Cambridge,
M. Rudolph Dolzer
professeur de droit international à l'Université de Mannheim,
Sir Ian Sinclair, K.C.M.G., Q.C.
M. Walter D. Sohier
membre des barreaux de l'état de New York et du district de Columbia,
comme conseils et avocats;
M. Timm T. Riedinger
Rechtsanwalt, Frere Cholmeley, Paris,
M. Rodman R. Bundy
avocat à la Cour, Frere Cholmeley, Paris,
M. Richard Meese
avocat à la Cour, Frere Cholmeley, Paris,
Mlle Loretta Malintoppi
avocat à la Cour, Frere Cholmeley, Paris,
Mlle Azza Maghur
membre du barreau de Libye,
comme conseils;
M. Scott B. Edmonds
cartographe, Maryland Cartographics, Inc.,
M. Bennet A. Moe
- 6 -
cartographe, Maryland Cartographics, Inc.,
- 7 -
Mr. Robert C. Rizzutti
Cartographer, Maryland Cartographics, Inc.,
as Experts.
The Government of the Republic of Chad is represented by:
Rector Abderahman Dadi, Director of the Ecole nationale d'administration et de
magistrature de N'Djamena,
as Agent;
H.E. Mr. Mahamat Ali-Adoum, Minister for Foreign Affairs of the Republic of Chad,
as Co-Agent;
H.E. Mr. Ahmad Allam-Mi, Ambassador of the Republic of Chad to France,
H.E. Mr. Ramdane Barma, Ambassador of the Republic of Chad to Belgium and the
Netherlands,
as Advisers;
Mr. Alain Pellet, Professor at the University of Paris X-Nanterre and at the Institut
d'études politiques of Paris,
as Deputy-Agent, Adviser and Advocate;
Mr. Antonio Cassese, Professor of International Law at the European University Institute,
Florence,
Mr. Jean-Pierre Cot, Professor at the University of Paris I (Panthéon-Sorbonne),
Mr. Thomas M. Franck, Becker Professor of International Law and Director, Center for
International Studies, New York University,
Mrs. Rosalyn Higgins, Q.C., Professor of International Law, University of London,
as Counsel and Advocates;
Mr. Malcolm N. Shaw, Ironsides Ray and Vials Professor of Law, University of Leicester,
Member of the English Bar,
Mr. Jean-Marc Sorel, Professor at the University of Rennes,
as Advocates;
Mr. Jean Gateaud, Ingénieur général géographe honoraire,
as Counsel and Cartographer;
Mr. Jean-Pierre Mignard, Advocate at the Court of Appeal of Paris,
- 8 -
M. Robert C. Rizzutti
cartographe, Maryland Cartographics, Inc.,
comme experts.
Le Gouvernement de la République du Tchad est représenté par :
M. Abderahman Dadi, directeur de l'école nationale d'administration et de magistrature
de
N'Djamena,
comme agent;
S. Exc. M. Mahamat Ali-Adoum, ministre des affaires étrangères de la République du
Tchad,
comme coagent;
S. Exc. M. Ahmad Allam-Mi, ambassadeur de la République du Tchad en France,
S. Exc. M. Ramdane Barma, ambassadeur de la République du Tchad en Belgique et aux
Pays-Bas,
comme conseillers;
M. Alain Pellet, professeur à l'Université de Paris X — Nanterre et à l'Institut d'études
politiques de Paris,
comme agent adjoint, conseil et avocat;
M. Antonio Cassese professeur de droit international à l'Institut universitaire européen
de
Florence,
M. Jean-Pierre Cot, professeur à l'Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne),
M. Thomas M. Franck, titulaire de la chaire Becker de droit international et directeur du
centre d'études internationales de l'Université de New York,
Mme Rosalyn Higgins, Q.C., professeur de droit international à l'Université de Londres,
comme conseils et avocats;
M. Malcolm N. Shaw, titulaire de la chaire Ironsides Ray and Vials de droit à
l'Université
de Leicester, membre du barreau d'Angleterre,
M. Jean-Marc Sorel, professeur à l'Université de Rennes,
comme avocats;
M. Jean Gateaud, ingénieur général géographe honoraire,
comme conseil et cartographe;
- 9 -
M. Jean-Pierre Mignard, avocat à la Cour d'appel de Paris,
- 10 -
Mr. Marc Sassen, Advocate and Legal Adviser, The Hague,
as Counsel;
Mrs. Margo Baender, Research Assistant, Center of International Studies, New York
University, School of Law,
Mr. Oliver Corton, Collaborateur scientifique, Université libre de Bruxelles,
Mr. Renaud Dehousse, Assistant Professor at the European University Institute,
Florence,
Mr. Jean-Marc Thouvenin, attaché temporaire d'enseignement et de recherche at the
University of Paris X-Nanterre,
Mr. Joseph Tjop, attaché temporaire d'enseignement et de recherche at the University of
Paris X-Nanterre,
as Advisers and Research Assistants;
Mrs. Rochelle Fenchel;
Mrs. Susal Hunt;
Miss Florence Jovis;
Mrs. Mireille Jung;
Mrs. Martine Soulier-Moroni.
- 11 -
Me Marc Sassen, avocat et conseiller juridique, La Haye,
comme conseil;
Mme Margo Baender, assistante de recherche au centre d'études internationales de la
Faculté de droit à l'Université de New York,
M. Olivier Corten, assistant à la Faculté de droit de l'Université libre de Bruxelles,
M. Renaud Dehousse, maître-assistant à l'Institut universitaire européen de Florence,
M. Jean-Marc Thouvenin, attaché temporaire d'enseignement et de recherche à
l'Université
de Paris X — Nanterre,
M. Joseph Tjop, attaché temporaire d'enseignement et de recherche à l'Université de
Paris X — Nanterre,
comme conseillers et assistants de recherche;
Mme Rochelle Fenchel,
Mme Susan Hunt,
Mlle Florence Jovis,
Mme Mireille Jung,
Mme Martin Soulier-Moroni.
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The PRESIDENT: Please be seated. I give the floor to Mr. Pellet.
M. PELLET : Monsieur le Président, Messieurs de la Cour,
1. Il m'appartient d'introduire ce matin la présentation de ce que l'on peut considérer
comme la deuxième thèse du Tchad. Elle consiste à montrer que, quand bien même la France
et la Libye n'auraient pas conclu le traité d'amitié et de bon voisinage du 10 août 1955, la
frontière n'en existerait pas moins et que son tracé résulterait directement des accords auxquels
le traité de 1955 fait référence.
Cette «deuxième thèse», j'y insiste à nouveau, présente un caractère subsidiaire : le traité
de 1955 se suffit à lui-même. Le Tchad ne présente cette thèse alternative que dans l'hypothèse
où, contre son attente sincère, la Cour estimerait que le problème qui lui a été soumis en vertu
de l'accord-cadre de 1989, ne peut pas être réglé par application du seul traité de 1955 dont le
sens paraît pourtant tellement évident.
2. Vous ne vous étonnerez pas, Messieurs de la Cour, que le tracé de la frontière
résultant de cette deuxième thèse soit identique à celui que j'ai décrit hier, puisque ce sont les
mêmes instruments internationaux que ceux auxquels renvoie le traité de 1955 qui trouvent
application, c'est-à-dire, pour l'essentiel, à nouveau, la déclaration franco-britannique de 1899,
l'échange de lettres franco-italien de 1902 et la convention conclue entre la France et la
Grande-Bretagne le 8 septembre 1919.
Il existe cependant une grande différence entre ces deux thèses : dans le cadre de la
première, l'opposabilité de cette ligne frontière à la Libye tient à l'expression directe par ce
pays de son consentement à être lié du fait de la ratification du traité du 10 août 1955;
s'agissant de notre deuxième thèse, celle que je suis en train d'introduire, ce fondement
disparaît puisque, pour les besoins de la discussion, cette thèse fait abstraction de ce traité qui
est pourtant tellement fondamental. Au fond, il s'agit de se demander ce qui se passerait si le
traité de 1955 n'existait pas. C'est, je le reconnais, un exercice un peu surréaliste, car ce traité
existe bel et bien, mais la Partie libyenne met une telle insistance à tenter de le vider de sa
substance qu'il convient de s'arrêter quelque peu sur ce qui est, je le répète, une pure
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hypothèse d'école.
3. Le point de départ de tout le raisonnement est, bien sûr, que la Libye a succédé à
l'Italie. En principe, elle ne le conteste pas. On ne peut, pourtant, s'empêcher de penser que la
Libye a, de la succession, une conception fâcheusement sélective. Or, dans ce domaine, il
n'existe pas de succession «sous bénéfice d'inventaire». Si la frontière septentrionale du Tchad
était opposable à l'Italie, elle s'impose aussi à la Libye (comme, d'ailleurs au Tchad lui-même).
La succession d'Etats est, comme l'a rappelé la Chambre de la Cour dans l'affaire du Différend
frontalier El Salvador/Honduras, le véritable titre dont chacune des parties peut se réclamer
(C.I.J. Recueil 1992, p. 389).
Encore faut-il, évidemment, pour que l'argumentation du Tchad soit fondée, que la
frontière dont il se réclame ait été, avant l'indépendance de la Libye, opposable à l'Italie. En
d'autres termes, il faut que les traités qui établissent cette frontière soit aient été conclus par
l'Italie, soit que la frontière qu'ils établissent s'impose à l'Italie d'une autre manière. Je
m'appliquerai à montrer que cette condition est remplie et que les accords de 1900 et 1902 ont
fixé la partie occidentale de la frontière entre les deux pays et entraîné l'opposabilité à l'Italie
du segment occidental de celle-ci entre les 16e
et 24e
méridiens.
4. Mon exposé s'articulera autour de deux idées. Dans un premier temps, nous verrons
que, par les accords de 1900 et 1902, l'Italie a reconnu l'existence d'une sphère d'influence
française au-delà de la frontière de la Tripolitaine-Cyrénaïque; dans un second temps, je
m'interrogerai sur les conséquences en ce qui concerne le tracé de la frontière.
J'aborde donc le problème de :
I. LA RECONNAISSANCE PAR L'ITALIE DE LA SPHERE
D'INFLUENCE FRANCAISE
et plus précisément celui de :
a) La portée de la déclaration franco-britannique de 1899
5. Durant la procédure écrite, la Libye n'avait pas contesté que, par la déclaration de
1899, la Grande-Bretagne reconnaissait à la France une zone (ou une sphère — les deux mots
sont tout à fait interchangeables dans la terminologie de l'époque) d'influence. Sur ce point, les
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Parties semblaient d'accord même si elles n'en tiraient pas les mêmes conséquences.
En plaidoirie, la Libye change d'avis. C'est (peut-être) son droit, mais ceci ne contribue
certainement pas à clarifier le débat. Ainsi M. Sohier fait une subtile distinction entre «zone»
d'une part et «sphère d'influence» d'autre part (CR 93/17, p. 28), et le professeur Crawford
fait également valoir que l'article 3 de la déclaration ne créait pas, à proprement parler, une
sphère d'influence en faveur de la France (CR 93/19, p. 52).
Par contre, d'autres conseils de la Libye s'en sont tenus à une position plus orthodoxe. Il
en va ainsi du professeur Cahier qui, pour sa part, n'hésite pas à parler de «zone d'influence
française» (CR 93/17, p. 28).
Monsieur le Président, c'est M. Cahier qui a raison contre MM. Sohier et Crawford. Il
ne paraît pas douteux que la déclaration franco-britannique de 1899 a pour objet premier de
concéder à la France une sphère (ou zone) d'influence.
Ceci est l'évidence, Monsieur le Président, mais la confusion entretenue par la Libye
m'oblige à y revenir.
6. Que la Grande-Bretagne reconnaisse à la France, en 1899, une sphère d'influence est
attesté :
— par le texte de la déclaration additionnelle,
— par son contexte,
— par ses travaux préparatoires, et
— par la pratique subséquente des parties et des Etats tiers.
Le texte d'abord. Selon l'article 3 de la déclaration — et vous devez déjà, Messieurs de
la Cour, le connaître par cœur ! — «il est entendu en principe qu'au nord du 15e
parallèle, la
zone française sera limitée...», etc. «La zone française...»
Cette expression doit être lue dans son contexte et, en particulier, il faut garder à l'esprit
le fait que la déclaration est additionnelle à la convention franco-anglaise du 14 juin 1898 fixant
la délimitation des possessions françaises et britanniques et, (c'est son titre exact) «des sphères
d'influence des deux pays à l'est du Niger». Elle renvoie, plus précisément, à l'article IV de la
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convention de 1898 qui reconnaît expressément «comme tombant dans la sphère française les
rives nord, est et sud du lac Tchad». C'est cette disposition, l'article IV de 1898, qu'il s'agit de
compléter par la déclaration additionnelle qui en fait «partie intégrante».
7. Cette interprétation est confirmée par les travaux préparatoires. Je n'ai pas
l'intention d'y revenir en détail et je me bornerai à rappeler que l'expression «sphère» ou
«zone» d'influence revient constamment sous la plume ou dans la bouche des principaux
protagonistes des négociations, qu'il s'agisse de lord Salisbury, de Cambon ou de Delcassé, le
ministre français des affaires étrangères. A titre d'exemple, je cite ce dernier :
«en arrière de la Tripolitaine, s'étendent des pays que nous réclamons comme
devant être compris dans notre sphère d'influence, le Borkou, le Tibesti, le
Ouanianga (sic), le Ouadaï, le Kanem...» (dépêche du 18 février 1899 annexée au
mémoire de la Libye, Annexe : Archives françaises, p. 10).
De même, dans une note adressée le 14 mars 1899 à sir Thomas Sanderson, dont la Libye
souligne à juste titre qu'il joua un rôle dans la négociation (réplique de la Libye, p. 102,
par. 6.34), on peut lire que l'article 3 «contains a recognition that certain places fall within the
France sphere...» (annexe 5 à la réplique du Tchad; voir aussi CR 93/16, p. 37; les italiques
sont de nous).
C'est d'ailleurs bien ainsi que les Etats tiers ont interprété la déclaration
franco-britannique. La Turquie, qui dans sa note du 19 mai 1899, proteste contre «la
délimitation — la délimitation, Monsieur le Président, j' y reviendrai — de sphères d'influence»
résultant des accords de 1890 et 1899 (mémoire du Tchad, annexe 62). L'Italie également,
puisque, dans son discours au Sénat du 24 avril 1899, Canevaro, le ministre italien des affaires
étrangères, décrit la déclaration du 21 mars comme délimitant la «sphère d'influence —
l'expression y est ! — tant de la France que de l'Angleterre (réplique du Tchad, annexe 6).
Ces interprétations comportent cependant une approximation : il est certain en effet que
l'accord de 1899 ne place pas sur le même plan les zones française, d'une part, et anglaise,
d'autre part.
L'article 3 ne parle pas de la zone anglaise; il se borne à préciser que «la zone française
sera limitée au nord-est et à l'est par une ligne qui partira du point de rencontre du tropique du
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Cancer...», etc. Une zone d'influence française, donc certainement, mais pas, à proprement
parler, de zone d'influence britannique de l'autre côté de la ligne; plutôt une «zone de
désintérêt» française ou, comme M. Sohier l'a dit le 16 juin de manière positive, «an area of
British interest», une zone d'intérêt britannique (CR 93/16, p. 56). On connaît les raisons de
cette absence de réciprocité.
Ce sont avant tout les obsessions de Cambon et de Delcassé d'«éviter, comme l'écrit le ministre,
dans une dépêche en date du 25 février 1899, de reconnaître en droit la situation de
l'Angleterre en Egypte» (mémoire de la Libye, «Annexe : Archives françaises», p. 23), ce qui
explique d'ailleurs aussi le rattachement de la déclaration de 1899 à la convention signée
l'année précédente. M. Sohier d'ailleurs admet ceci dans son exposé du 16 juin (CR 93/16,
p. 22-23 et 40). Lord Salisbury s'était montré fort compréhensif à cet égard; dès le
8 février 1899 il avait fait à Cambon une déclaration on ne peut plus nette :
«I admitted [c'est lord Salisbury qui parle] that it was not so much of an
object to us, as we did not attach much importance to any arrangements that were
made to the north of the 15o
parallel of latitude...» (Mémoire de la Libye, «Annexe
: Archives britanniques», p. 1).
En revanche, les Britanniques se soucient fort de ne pas laisser la France approcher de
l'Egypte — d'où la ligne dont je reparlerai tout à l'heure pour borner la zone française.
8. Je crains, Monsieur le Président, que tout ceci soit assez loin du sujet qui devrait nous
occuper. Mais la Partie libyenne a fait grand cas des divergences qu'elle croit pouvoir déceler
entre l'attitude de la France, d'une part, et de la Grande-Bretagne, d'autre part. Face aux
protestations ottomanes ou italiennes entre 1899 et 1934, il y a peut-être des nuances dans la
façon de répondre, mais je ne crois pas qu'il y ait de divergences réelles : simplement tandis
que le coq gaulois use ses ergots dans les montagnes arides du Tibesti, le lion britannique, lui,
se chauffe au soleil de la vallée du Nil.
Dans tous les cas, qu'il s'agisse de la déclaration de 1899 ou de la convention de 1919, la
Grande-Bretagne réagit avec le plus grand flegme. Le Tchad l'a amplement montré dans ses
écritures (mémoire, p. 195-197; contre-mémoire, p. 314-316, par. 8.39-8.45 ou p. 326-328,
par. 8.65-8.75). Je me limite à trois exemples significatifs.
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— A. Prinetti, qui s'inquiétait du partage franco-britannique de 1899, lord Currie,
ambassadeur de Grande-Bretagne à Rome, donne l'assurance, par sa note du 11 mars 1902,
que cet accord ne portait aucune atteinte aux droits d'autres puissances : «and that, in
particular, as regards the vilayet of Tripoli and the Mutessariflik of Benghazi, all such rights
remain entirely unaffected by it» (mémoire de la Libye, «Annexe : Archives britanniques»,
p. 80); tout ce que l'on peut en déduire est que le Gouvernement de Sa Majesté britannique
demeure dans une prudente expectative et la note du Foreign Office du 3 février 1902, à
laquelle le contre-mémoire libyen attache une importance particulière (p. 156, par. 4.103), ne
dit pas autre chose; elle indique en substance : «a priori la déclaration de 1899 ne porte
atteinte aux droits d'aucun Etat tiers, mais si tel devait être le cas, c'est aux Français qu'il
convient de s'adresser» (ibid., p. 73).
— Même tonalité générale dans les réactions britanniques aux protestations italiennes
dirigées cette fois contre la convention du 8 septembre 1919. La note verbale du Foreign Office
du 5 février 1923, en réponse à la protestation italienne du 18 décembre 1921, est significative;
le professeur Cahier n'a cité qu'un extrait de la conclusion de ce document (CR 93/17, p. 34).
Je crois qu'il faut la lire en entier; elle traduit bien l'état d'esprit des Britanniques :
«The French Government, it has been ascertained, entirely share the view of
His Majesty's Government that the arguments put forward in Monsieur Taliani's
note under reference cannot be regarded as well founded. Moreover,
His Majesty's Government understand that the French Government have in
addition particular reasons for regarding the Italian standpoint as untenable.»
(Mémoire de la Libye, «Annexe : Archives britanniques», p. 40.)
Toujours la même position : les Italiens ne peuvent faire valoir aucun droit mais, de toute
manière, tout cela concerne les Français...
— La Grande-Bretagne, et c'est le troisième exemple, n'avait que des «prétentions» sur
la région située au-delà de la sphère d'influence qu'elle avait reconnue à la France par la
déclaration de 1899; encore ces «prétentions» étaient-elles peu affirmées et c'est sans états
d'âme que, par l'article 3 du traité constitué par l'échange de notes de Rome du 20 juillet 1934,
elle y renonce, abandonnant à l'Italie le triangle de Sarra. Notons tout de même qu'il avait fallu
un accord en bonne et due forme pour cela.
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Les Français, eux, ne sont pas dans cet état d'esprit. Ils entendent exercer les droits que
leur confère la déclaration de 1899 et occuper effectivement la zone d'influence que la
Grande-Bretagne leur a reconnue de ce fait. Ce sera chose faite en 1914. En attendant, la
déclaration n'a que l'effet relatif des traités : elle lie les parties mais est res inter alios acta à
l'écart des tiers. Je ne m'y attarde pas : quoi que veuille faire croire la Libye, le Tchad en est
d'accord; il l'a écrit dès son mémoire (p. 176) et il n'a pas changé d'avis depuis lors.
A ce sujet, le Tchad peut souscrire à l'essentiel de la longue leçon de droit que le
professeur Crawford a cru devoir nous donner la semaine dernière (CR 93/19, p. 46-52) : un
traité reconnaissant une zone d'influence n'est pas, par lui-même, constitutif d'un titre
territorial, fût-il «imparfait» (inchoate), et là encore, le Tchad n'a jamais écrit le contraire.
Un tel traité constitue cependant l'annonce que le bénéficiaire s'emploiera, par
l'occupation effective, à créer un tel titre et signifie que l'Etat cocontractant s'engage à ne pas y
faire obstacle. Les Etats tiers eux n'y sont nullement tenus.
b) La reconnaissance par l'Italie de la sphère d'influence française
9. Parmi ces Etats tiers, deux sont plus spécialement intéressés et donc plus
particulièrement inquiets : ce sont la Turquie et l'Italie. La première a affirmé, dès 1890, ses
«droits» — je mets le mot entre guillemets — sur l'hinterland de la Tripolitaine. Si l'on parle
de droits territoriaux, ils sont, comme d'ailleurs ceux de la France, purement virtuels : il s'agit
de revendications contradictoires, non opposables aux autres Etats, aussi longtemps qu'elles
n'auront pas été concrétisées par, pour reprendre la formule de Max Huber, «l'exercice réel,
continu et pacifique des fonctions étatiques» (affaire de l'Ile de Palmas, sentence de
Max Huber, 4 avril 1928, RGDIP 1935, p. 166). Les deux puissances, la France et la Turquie,
en sont conscientes et se livreront à ce qu'on peut appeler une «course au Tibesti», où elles
arriveront d'ailleurs à peu près en même temps, mais la France y restera et cela fait toute la
différence. D'autres conseils du Tchad développeront ceci.
10. L'autre Etat qu'inquiètent les appétits coloniaux français est l'Italie. Certes,
Monsieur le Président, comme la Libye se plaît à le répéter, l'Italie n'a aucun droit sur la
Libye, pas même virtuel. Elle ne peut revendiquer un quelconque hinterland (ou ce serait un
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«hinterland transméditerranéen» : même les conseils de la Libye n'y ont pas songé malgré leur
imagination aventureuse) et aucune puissance n'a reconnu à l'Italie la moindre sphère
d'influence au nord de l'Afrique. Ce sera l'ambition première de la politique méditerranéenne
du jeune Royaume. Non sans succès.
Certes, la Grande-Bretagne reste prudente et l'on ne peut que rendre hommage à la
perspicacité de M. Sohier qui, prenant le contre-pied du contre-mémoire libyen (p. 156,
par. 4.102), a reconnu que l'accord franco-britannique de 1912 — qui est d'ailleurs en réalité
plutôt une déclaration unilatérale de la Grande-Bretagne — était «of less direct relevance»
pour notre affaire que celui conclu avec la France la même année (CR 93/16, p. 56).
11. La France, qui cherche à désintéresser l'Italie dans la perspective de ses visées sur le
Maroc, n'observera pas la même retenue.
Il est exact, comme l'a relevé la Partie libyenne, que l'un des objets de l'échange de
lettres intervenu les 14 et 16 décembre 1900 entre Barrère, ambassadeur de France à Rome et
le marquis Visconti Venosta, ministre italien des affaires étrangères, «concerned France's
interests in Morocco» (CR 93/16, p. 47). Mais ce n'est qu'une partie de la vérité : certes, dans
sa lettre du 16 décembre, Visconti Venosta donne l'assurance que l'Italie ne s'opposerait pas à
une entreprise française au Maroc, point sur lequel la lettre de Barrère du 14 décembre est
par contre muette. En revanche, l'une et l'autre lettre abordent la question du droit de l'Italie
«de développer éventuellement son influence par rapport à la Tripolitaine-Cyrénaïque», comme
l'écrit pudiquement le ministre italien, tandis que l'ambassadeur français précise :
«que la convention du 21 mars 1899, en laissant en dehors du partage d'influence
qu'elle sanctionne le vilayet de Tripoli, marque pour la sphère d'influence
française, par rapport à la Tripolitaine-Cyrénaïque, une limite que le
gouvernement de la République n'a pas l'intention de dépasser ...» (les italiques
sont de nous).
Je tiens à souligner l'expression : «pour la sphère d'influence française». Elle est
importante à un double point de vue : en premier lieu, cette expression montre clairement que
la France et l'Italie considèrent l'une et l'autre que la déclaration de 1899 réservait à la France
une sphère d'influence; en second lieu, il en résulte également que l'Italie reconnaît à la France
le bénéfice de cette sphère d'influence. On voit mal en effet comment la première, l'Italie,
- 20 -
aurait pu se satisfaire des assurances données par la seconde, la France, selon lesquelles elle
n'étendrait pas sa sphère d'influence au-delà d'une limite donnée si, en même temps, l'Italie
avait récusé l'existence et la validité d'une telle sphère.
Il reste, comme M. Sohier l'a fait remarquer à juste titre il y a quinze jours (CR 93/16,
p.49), que l'échange de lettres de décembre 1900, s'il pose le principe d'une extension future de
l'influence de Rome en Tripolitaine-Cyrénaïque et établit la reconnaissance par l'Italie de la
sphère d'influence française en dehors du vilayet de Tripoli, d'une part ne constitue pas un
traité de frontière et, d'autre part, ne place pas les deux Etats sur un pied d'égalité puisque
l'Italie reconnaît un fait accompli (la sphère d'influence française résultant de la déclaration de
1899), alors que les droits de l'Italie en Libye sont subordonnés à «une modification de l'Etat
politique ou territorial du Maroc».
12. Ces deux lacunes seront comblées par l'échange de lettres des
10 juillet/1er novembre 1902 entre Prinetti, le nouveau ministre italien des affaires étrangères,
et Barrère.
Trois traits sont à noter :
— en premier lieu, les deux Etats se reconnaissent mutuellement dans des termes généraux des
sphères d'influence — au Maroc pour la France et en Tripolitaine-Cyrénaïque pour l'Italie,
ceci, contrairement à ce qu'affirme la Libye (CR 93/16, p. 53) — qui ne parle pas de la
Tripolitaine-Cyrénaïque — et à cet égard le Tchad souhaite préciser une nouvelle fois qu'il
ne nie aucunement que l'expression «régions susmentionnées» qui figure dans l'accord vise,
évidemment, le Maroc et la Tripolitaine; mais ce n'est pas sur cette expression que le Tchad
s'appuie pour affirmer,
— et c'est le deuxième point, que l'Italie reconnaît par ailleurs l'existence d'une sphère
d'influence française telle que l'établit la déclaration franco-britannique de 1899; ceci
découle du renvoi en 1902 à l'échange de lettres de 1900, qui lui-même, nous venons de le
voir, reconnaissait la sphère d'influence française;
— enfin, et en troisième lieu, les deux Etats s'accordent sur le tracé de la frontière de la
Tripolitaine; j'y reviendrai dans un instant.
- 21 -
13. Auparavant, il nous faut nous assurer que les travaux préparatoires et la pratique
subséquente des parties aux accords franco-italiens de 1900 et 1902 confirment l'interprétation
selon laquelle ces échanges de lettres consacraient effectivement la reconnaissance mutuelle par
la France d'une zone d'expansion éventuelle de l'Italie en Tripolitaine-Cyrénaïque, par l'Italie
de la sphère d'influence française.
Le Tchad s'est déjà longuement exprimé sur ce point (mémoire du Tchad, p. 167 et suiv.;
contre-mémoire du Tchad, p. 307 et suiv. et 322 et suiv.; réplique du Tchad, p. 61 et suiv.) et
l'on ne trouve ni dans la réplique de la Libye, ni dans les plaidoiries de ses conseils, d'éléments
nouveaux à cet égard.
En ce qui concerne les travaux préparatoires, il suffit de rappeler que c'est le
marquis Visconti Venosta lui-même qui a exigé que soit ajouté, dans la lettre de Barrère du
14 décembre 1900, le membre de phrase suivant : «en laissant en dehors du partage d'influence
qu'elle sanctionne le vilayet de Tripoli» (mémoire de la Libye, «Annexe : Archives françaises»,
p. 85); cette expression à elle seule, résume les deux aspects essentiels de l'échange de lettres
qui nous intéresse : partage d'influence, vilayet de Tripoli.
Il faut rappeler également que, dans son discours à la Chambre des députés italienne du
14 décembre 1901, Prinetti a repris l'idée générale de l'échange de lettres de l'année
précédente. Je sais bien que la Libye fait grand cas d'une précision, d'un mot, qui ne figure pas
dans l'accord des 14 -16 décembre 1900 (cf. CR 93/16, p. 51); le ministre italien a en effet
indiqué :
«Le gouvernement de la République [il s'agit de la France] a pris soin de
nous informer que la convention franco-anglaise du 21 mars 1899 marquait pour la
France, par rapport à la région attenante à la frontière orientale de ses possessions
africaines et, en particulier, par rapport au vilayet de Tripoli, province de l'Empire
turc, une limite qu'il n'avait pas l'intention de dépasser...» (Mémoire du Tchad,
annexe 333.)
Pourquoi la «frontière orientale» ? Pour une raison qui apparaît plus clairement si on lit la
déclaration du ministre italien Prinetti en conjonction avec le discours prononcé quelques
semaines plus tard par Delcassé, ministre français des affaires étrangères, devant la chambre
des députés française. M. Sohier s'est bien gardé de citer le discours de M. Delcassé alors que
- 22 -
les deux interventions avaient été soigneusement et étroitement coordonnées. Pourtant le
discours du ministre français éclaire celui de son collègue italien en le précisant :
«La convention africaine du 21 mars 1899 qui, enveloppant définitivement
dans notre sphère d'influence les territoires du Borkou, du Tibesti, du Kanem, du
Baghirmi et du Ouadaï, a relié la rive française du Congo à la rive algérienne et
tunisienne de la Méditerranée, forme ainsi pour nous, par rapport aux autres pays
et régions attenant à la frontière orientale [on retrouve le mot] de notre domaine
africain, une limite que nous n'avons pas l'intention de dépasser...» (Mémoire du
Tchad, annexe 334.)
Cette «frontière orientale» est donc constituée par la longue ligne qui, du Congo à la
Méditerranée, marque la limite des possessions françaises et qui est, en effet, globalement située
à l'est de celles-ci : Delcassé et Prinetti avaient, comme d'ailleurs lord Salisbury ou Cambon,
une conception moins «mathématique» de la géographie que la Partie libyenne !
14. L'Italie a, par la suite, réitéré les engagements pris en 1902. Mon collègue et ami
M. Cassese en parlera tout à l'heure en même temps que des circonstances qui ont entouré et
suivi leur conclusion.
Certes, l'Italie a, plus tard, marqué avec une certaine véhémence, son opposition à la
convention franco-britannique du 8 septembre 1919. Mais ces protestations mêmes sont
significatives; elles portent sur le tracé, nouveau selon l'Italie, précisé par la convention
de 1919 et ne remettent nullement en cause la reconnaissance par Rome de la sphère d'influence
puis de la colonisation qui en est résultée. J'en veux pour preuve — mais ce n'est qu'un
exemple parmi beaucoup d'autres — la note du 1er juillet 1932 par laquelle le Gouvernement
italien constatait
«la validité encore pleine et complète (...) de la partie des notes (sic)
franco-italiennes des 14-16 décembre 1900 et du 1er novembre 1902 qui se réfère
aux limites territoriales de l'expansion française en Afrique septentrionale par
rapport à la Tripolitaine-Cyrénaïque...» (Contre-mémoire du Tchad, annexe 72.)
Dans plusieurs autres notes adressées aux Gouvernements français et britannique par celui de
Rome, l'Italie rappelle les termes des accords de 1900 et 1902 et admet que ceux-ci
consacraient l'existence d'une «sphère d'influence» française (l'expression y figure
fréquemment) (contre-mémoire du Tchad, p. 287-288, par. 7.44) au-delà des frontières de la
Tripolitaine-Cyrénaïque.
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15. Par le texte des accords de 1900 et de 1902, confirmé par les travaux préparatoires et
par son attitude ultérieure constante, l'Italie a donc reconnu l'opposabilité à son égard de la
déclaration franco-britannique du 21 mars 1899 au moins pour ce qui est de la sphère
d'influence que celle-ci reconnaît à la France.
Quelle conséquence juridique cela a-t-il, Monsieur le Président ? Une conséquence à vrai
dire tout à fait essentielle : l'Italie ne peut, dorénavant, plus prétendre que la sphère d'influence
française ne lui est pas opposable. A la différence de l'Empire ottoman, elle a accepté un fait
qui, sans cela, ne se fût pas imposé à elle. Certes, l'Italie pourra se proclamer successeur de
l'Empire ottoman, mais exclusivement dans la mesure où les droits que les Turcs
revendiquaient n'empiétaient pas sur ceux qu'elle-même avait reconnus à la France.
Indépendamment du fait que l'on ne succède pas à des revendications et que les prétendus
«droits» de la Sublime Porte n'étaient pas davantage que des revendications comme
M. Malcolm Shaw le montrera, toute autre théorie viderait l'idée même de zone (ou sphère)
d'influence de toute substance; or celle-ci, comme l'a rappelé la Cour dans l'extrait de son avis
consultatif rendu dans l'affaire du Sahara Occidental qu'a cité M. Crawford lui-même, a l'effet
suivant : par un traité de sphère d'influence,
«une partie accordait à l'autre la liberté d'action dans certaines régions bien
définies, on s'engageait à ne pas intervenir dans la région que l'autre revendiquait»
(C.I.J. Recueil 1975, p. 56).
Ces vues sont partagées par la doctrine la plus autorisée (cf. Charles Rousseau, Droit
international public, III, Les compétences, Sirey, 1977, p. 199; voir aussi John Westlake,
Collected Papers, by L. Oppenheim, Cambridge, U.P., 1914, p. 191-193 ou Thomas H. Holdich,
Political Frontiers and Boundary Making, McMillan, Londres, 1916, p. 96-97) et la Cour
permanente s'est également fondée sur la même idée dans l'affaire du Groenland oriental
(C.P.J.I. série A /B no
53, p. 73).
Il reste, Monsieur le Président, qu'il me faut encore établir quelle est la limite que les
accords de 1900 et 1902 — ce dernier surtout car le précédent n'est guère précis à cet égard —
quelle est la limite que ces accords imposent à l'expansion française. Tel sera l'objet, si vous
me le permettez, de la seconde partie de cet exposé.
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II. LA LIMITE DE LA ZONE D'INFLUENCE FRANÇAISE RECONNUE PAR L'ITALIE
a) La reconnaissance par l'Italie de la frontière de la Tripolitaine
16. Du fait de l'échange des lettres de décembre 1900, l'Italie reconnaît que la France est
en droit d'étendre son influence dans la région qui jouxte la Tripolitaine-Cyrénaïque en vertu
de la convention du 21 mars 1899. En ce qui concerne la limite de cette zone française, ce
premier accord demeure imprécis.
Imprécis, mais pas muet. La France y admet que l'accord franco-britannique de 1899
«marque pour la sphère d'influence française par rapport à la Tripolitaine-Cyrénaïque, une
limite que le gouvernement de la république n'a pas l'intention de dépasser». De plus, comme
je l'ai rappelé tout à l'heure, quelques mots ont été rajoutés à la demande du ministre italien
des affaires étrangères; Visconti Venosta avait en effet exigé et obtenu de Barrère qu'il soit
précisé que «la convention du 21 mars 1899» laissait «en dehors du partage d'influence qu'elle
sanctionne le vilayet de Tripoli». De son côté, l'Italie se réserve «le droit de développer
éventuellement son influence par rapport à la Tripolitaine-Cyrénaïque».
Ainsi, en même temps qu'elle se réserve une zone d'influence en Tripolitaine-Cyrénaïque,
l'Italie reconnaît à la France le droit de développer la sienne, en dehors de la limite de celle-ci
(la Tripolitaine-Cyrénaïque). Toutefois l'échange de lettres de 1900 ne précise pas où se
trouve cette limite. Et tel sera l'un des objets, celui qui nous intéresse ici, de l'accord de 1902.
17. Comme l'admet la Partie libyenne (CR 93/16, p. 52 et 54), c'est l'Italie qui n'était pas
pleinement satisfaite de l'échange de lettres de 1900 : non seulement ses droits éventuels sur la
Libye n'étaient que conditionnels, conditionnellement reconnus par la France pour être tout à
fait précis, mais encore, la frontière de la Tripolitaine-Cyrénaïque n'avait pas été définie par
l'accord si bien que, par ricochet, la limite de la zone d'influence française demeurait en 1900
elle aussi imprécise.
Il n 'est donc pas étonnant que ce soit à la demande de Prinetti que cette limite a été
précisée. Il en est résulté cette formule que l'on retrouve dans les deux lettres datées du
1
er novembre 1902 et qui déplaît tant à la Libye :
- 25 -
«Il a été expliqué à cette occasion [il s'agit des conversations préparatoires
entre Prinetti et Barrère] que, par la limite de l'expansion française en Afrique
septentrionale visée dans la lettre [de Barrère] du 14 décembre 1900, on entend
bien la frontière de la Tripolitaine indiquée par la carte annexée à la déclaration du
21 mars 1899, additionnelle à la convention franco-anglaise du 14 juin 1898.»
Il s'agit de la ligne sinueuse entourant la Tripolitaine et commençant à Ghadamès qui se
trouve en haut et à gauche de la carte, à côté de la légende. Nous l'avons déjà vue. Et vous
allez en voir l'agrandissement.
18. Je sais bien, Monsieur le Président, que la Partie libyenne conteste ceci, au prétexte
qu'il s'agirait seulement d'une «wavy, dashed line, not identified on the map's legend as a
boundary of any kind, which represented notionally, what was commonly regarded at the time
to be the Tripolitanian frontier» (contre-mémoire de la Libye, p. 237, par. 4.254; les italiques
sont de nous). Ce concept, fort nouveau, de «notional boundary» est assez déroutant — mais
les conseils de la Libye sont de fidèles disciples de Giraudoux qui voyait dans le droit «la
meilleure école de l'imagination» et je préfère ne pas les suivre sur ce terrain qui nous égarerait
en vaines conjectures.
Je note en revanche que la Libye admet que cette ligne «was commonly regarded at the
time to be the Tripolitanian border». L'aveu est révélateur : il existe, de par le monde, de
nombreuses frontières qu'aucun traité ne consacre; elles n'en sont pas moins des frontières au
sens plein du terme. Faut-il rappeler en outre que la «tolérance générale de la communauté
internationale» vis-à-vis du tracé de la limite de sa mer territoriale par la Norvège a constitué
l'une des bases de la solution retenue par la Cour dans l'affaire des Pêcheries norvégiennes
(C.I.J. Recueil 1951, p. 139) ? Mutatis mutandis, il en va de même ici : comme l'indique la
Libye elle-même, le tracé de la frontière tripolitaine sur la carte du Livre jaune n'est que la
traduction cartographique de cette reconnaissance généralisée, comme l'est aussi, par exemple,
la frontière identique, figurant sur la carte de Justus Perthes de 1892 et comme l'atteste, par
exemple, le croquis établi en 1902 par le Foreign Office qui est reproduit à la page 206 du
mémoire libyen.
La carte Justus Perthes que vous voyez projetée derrière moi appelle du reste une
remarque. Comme je l'ai indiqué vendredi dernier (CR 93/21, p. 27), la Libye a reproduit,
- 26 -
dans sa réplique, cette carte qui figure à la page 2 de l'Atlas cartographique du Tchad. Mais,
curieusement, la ligne frontière n'est pas identique sur les deux cartes : il semble que la Libye
l'ait retouchée pour faire de la ligne pointillée bordée de jaune de la carte d'origine — que le
Tchad a déposée au Greffe — une ligne continue. Ceci est fâcheux, Monsieur le Président, car,
du coup, cette ligne ne correspond plus à aucune légende alors qu'en réalité elle marque,
comme l'indique très clairement la légende de la «vraie» carte de Justus Perthes, les «frontières
coloniales turques» (kolonialgrenzen).
Cela va très loin, Monsieur le Président, car cette constatation fait, du même coup,
justice de la légende dorée de l'hinterland ottoman qui, en même temps, constituerait l'objet de
la souveraineté territoriale turque bien au sud de cette frontière. Non : cette souveraineté
territoriale s'arrêtait bien à la frontière de la Tripolitaine, telle qu'elle était alors généralement
acceptée (nous sommes en 1902); telle qu'elle figurait sur les cartes de l'époque; telle qu'elle
correspondait, en effet, à l'implantation turque sur le terrain; et telle que le sous-secrétaire
d'Etat italien, Mosca, reconnaissait douze ans plus tard, que la figurait, avec exactitude : «la
carta che fu redatta in seguito alla convenzione anglo-francese» — «la carte qui fut établie à la
suite» — je veux bien que ce soit «à la suite», Monsieur le Président, puisque le
professeur Condorelli le dit (CR 93/17, p. 48) — à la suite donc, de la convention anglofrançaise
de 1899 (annexe 18 à la réplique du Tchad). Mais il y a plus. Le tracé de la frontière
qui nous intéresse n'est pas seulement l'objet d'une reconnaissance généralisée faite de la
conviction manifestée par les cartes et du silence de tous. En l'espèce, l'Italie a explicitement,
expressément et conventionnellement accepté ce tracé par l'accord Barrère-Prinetti de 1902.
Peu importe le statut juridique exact de cette carte dont les deux Parties sont d'accord
pour admettre qu'elle n'avait pas été annexée à la déclaration franco-britannique de 1899 mais
seulement à la publication française, au demeurant très officielle et connue des Britanniques,
qu'est le Livre jaune. Le fait est, ainsi que l'a rappelé M. Sohier lors de sa plaidoirie du
16 juin, que c'est à la demande expresse de Prinetti que cette carte fut expressément
mentionnée dans l'accord (CR 93/16, p. 54-55). En effet, comme l'indique
l'ambassadeur Barrère dans une dépêche en date du 22 juin 1902, c'est le ministre qui «a
- 27 -
demandé qu'il soit mentionné que les frontières de nos possessions africaines du côté de Tripoli
sont celles indiquées par la carte annexée à la convention franco-anglaise de 1898» (mémoire de
la Libye, «Annexe : Archives françaises», p. 121). Telle est la formule générale qui a été
retenue dans l'échange de lettres signé quelques jours plus tard avec, cependant, deux
changements. L'un est purement formel. Il a consisté à remplacer «1898» par «1899» — il
s'agissait probablement d'une simple erreur de transcription commise par Barrère ou son
secrétariat ou, peut-être, comme le conjecture la Libye dans son mémoire (p. 207, par. 5.95),
d'un lapsus linguae de Prinetti. Le second changement a plus d'importance : au lieu, comme
elles l'avaient envisagé initialement, de viser «les frontières» des «possessions africaines» de la
France, l'échange de lettres vise «la frontière de la Tripolitaine» indiquée sur la carte, comme si
l'Italie, indifférente à ce que pouvait faire la France dans ses possessions africaines, entendait
avant tout assurer sa propre expansion coloniale dans la région et, pour cela, faire définir,
comme l'écrit la Libye dans son mémoire (p. 207, par. 5.95), «with more precision the
boundaries of the vilayet of Tripoli».
Satisfaction ayant été donnée à l'Italie, «sans difficulté» comme l'écrivait Barrère dans sa
dépêche du 22 juin 1902, «Prinetti's addition», pour citer à nouveau le mémoire libyen, «gave a
more formal status to the wavy line, at least as between France and Italy» (ibid). Peu importe
dès lors que la légende figurant sur la carte ne définisse pas expressément cette ligne comme la
frontière de la Tripolitaine à la différence de la carte Justus Perthes dont elle s'inspire
directement; aux fins de l'échange franco-italien, c'est de cela qu'il s'agit.
20. Il en découle deux conséquences :
Premièrement, l'Italie et la France reconnaissent, au moins dans leurs relations inter se le
tracé de la frontière de la Tripolitaine-Cyrénaïque; il est celui qui résulte de la carte que vise
l'accord de 1902. Certes, cet accord est res inter alios acta à l'égard des Etats tiers et, en
particulier à l'égard de la Turquie, et le Tchad n'a jamais prétendu et ne prétend pas que la
Porte soit liée par l'échange de lettres franco-italien. Mais l'Italie, elle, est liée par cet accord.
La France lui reconnaît le droit de «développer sa sphère d'influence» dans la TripolitaineCyrénaïque
mais la frontière de celle-ci, la frontière de la Tripolitaine-Cyrénaïque, est cette
- 28 -
fois, précisément définie dans les rapports entre les parties. Elles peuvent certes revenir sur
leur accord mais ensemble et seulement par la conclusion d'un nouveau traité. Comme le
professeur Cassese le montrera tout à l'heure, un tel traité n'est jamais intervenu.
La second conséquence de l'échange de lettres de 1902 est que cette «frontière de la
Tripolitaine» constitue «la limite de l'expansion française en Afrique septentrionale». La
France ne peut pas empiéter sur la frontière ainsi définie mais, pour le reste, elle peut faire ce
qu'elle veut. En tout cas, l'Italie lui a reconnu ce droit de faire ce qu'elle veut qui, de ce fait, est
devenu opposable à l'Italie.
b) L'opposabilité à l'Italie de la limite de la sphère d'influence française
21. Vous le savez, Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, durant les douze années
suivantes, la France va, en effet, prendre possession effective de la sphère d'influence que lui
reconnaissaient la déclaration de 1899 et l'accord de 1902, transformant ainsi en une véritable
colonie ce qui n'était qu'une zone d'influence, une colonie virtuelle, en pointillés, si l'on veut.
M. Cassese le rappellera également.
Vis-à-vis de l'Italie, cette expansion aurait pu, juridiquement, atteindre la frontière de la
Tripolitaine.
Mais, à l'égard de la Grande-Bretagne, la France était liée par la déclaration
additionnelle du 21 mars 1899. Celle-ci avait borné la zone française au nord-est et à l'est et, si
l'Italie ne pouvait opposer cette limite aux Français, les Britanniques, eux, pouvaient se
prévaloir de cette limite.
La France avait estimé, en son temps, que la ligne de 1899 elle-même était opposable à
l'Italie. Mais, Monsieur le Président, comme l'a rappelé l'agent du Tchad vendredi dernier, la
France est la France et ... le Tchad est le Tchad. Et une étude plus attentive l'a convaincu
qu'en effet l'échange de lettres de 1902 n'avait pas limité la zone d'expansion française si ce
n'est par la frontière de la Tripolitaine.
Tout au plus pourrait-on soutenir que l'Italie, dont les autorités avaient connaissance de
la carte de 1899 à laquelle renvoie l'accord de 1902 et, par voie de conséquence, de la «limite
des possessions françaises», qui y figure — ceci est bien dit dans la légende — ne pouvait de
- 29 -
bonne foi contester cette limite. La déclaration de 1899 était certes res inter alios acta à son
égard; pas la carte que les deux parties considèrent comme y étant annexée.
Mais laissons cela et admettons qu'il faille s'en tenir à une interprétation littérale de
l'échange de lettres de 1902, qui n'évoque pas cette ligne «sud-est». Dans ce cas, la liberté
d'action de la France est plus grande encore : l'Italie a reconnu à la France une sphère
d'influence qui, virtuellement, autorise celle-ci à établir ses possessions coloniales jusqu'à la
frontière de la Tripolitaine. Ce ne sera que partiellement le cas.
22. Ce sera le cas à l'est où les Français sont déjà implantés du fait du protectorat sur la
Tunisie en 1881 et de la conquête puis de l'occupation de l'Algérie. Ce sera le cas également au
sud; car il faut, décidément, penser au Niger; la France y occupe effectivement la zone
d'influence que lui reconnaissent les conventions de 1898 et 1899, ceci au tout début du
XXe
siècle. De ce fait, la frontière méridionale de la Tripolitaine devient aussi la frontière
septentrionale de la colonie française du Niger. A cet égard, je me permets de rappeler,
Monsieur le Président, qu'à l'époque le Tibesti fait partie du Niger, et non pas du Tchad,
auquel il ne sera rattaché qu'en 1930. Sauf à voir la Libye contester aussi la frontière du Niger
— c'est peut-être son intention ? On peut, en tout cas, se poser la question — il en résulte que
la frontière méridionale de la Libye suit bien, entre Toummo et le tropique du Cancer, la
frontière de la Tripolitaine figurant sur la carte acceptée par l'Italie en 1902.
23. En revanche, ce n'est pas le cas à l'est de l'intersection du tropique du Cancer et du
16e
méridien. L'expansion française n'y est, juridiquement, limitée que par les engagements
pris à l'égard de la Grande-Bretagne (pas de l'Italie) en 1899.
Où se trouve cette limite ? Ceci, Monsieur le Président, n'a guère d'importance : même
en admettant que cette limite ne résulte pas précisément de la déclaration de 1899, elle a été
fixée, sans aucune ambiguïté, par la convention supplémentaire conclue entre la France et la
Grande-Bretagne le 8 septembre 1919. Quelle qu'ait pu être la situation auparavant, cette
limite — dorénavant frontière puisque la France occupe effectivement la sphère d'influence que
l'Angleterre et l'Italie lui avaient reconnue — cette limite donc est constituée par une ligne qui,
partant du tropique, prend «une direction sud-est jusqu'au 24e
degré de longitude est de
- 30 -
Greenwich au point d'intersection dudit degré de longitude avec le parallèle 19o
30' de
Greenwich».
Cette frontière s'impose à l'Italie.
Oh ! Certes pas parce qu'elle l'a acceptée : elle ne cessera de protester contre ce tracé
entre 1921 et 1935. Mais, ici encore, la Libye assimile un peu facilement des revendications ou
des protestations à des droits. La question n'est pas de savoir si l'Italie a protesté : elle a
protesté. La question est bien plutôt de savoir si ses protestations étaient légitimes; si ces
revendications étaient fondées en droit. Or elles ne l'étaient pas : en 1902, l'Italie avait
clairement admis que la France pouvait pousser son expansion coloniale jusqu'à la frontière de
la Tripolitaine : le tracé de 1919 est loin d'approcher cette limite à l'est de l'intersection du
tropique du Cancer et du 16e
méridien est de Greenwich. Aucun motif juridique ne fonde donc
les protestations italiennes, et ce d'autant moins qu'à cette date les Français sont effectivement
dans la région alors que les Italiens n'y arriveront que bien plus tard : Koufra n'est prise qu'en
1931 et l'Italie obtiendra seulement en 1934 que, par un traité, la Grande-Bretagne renonce à
ses prétentions sur le triangle de Sarra.
- 31 -
24. Monsieur le Président, les Parties se sont néanmoins longuement opposées sur le tracé
de la limite de la sphère d'influence française résultant de l'accord franco-britannique du
21 mars 1899. La Libye, à mesure que la procédure avançait, a été conduite à mettre l'accent
sur la ligne mathématique, qu'elle appelle «strict south-east line», avec d'autant plus de
conviction apparente qu'elle semble prendre conscience qu'elle n'a pas de tracé alternatif à
défendre, puisqu'elle récuse — à juste titre — celui résultant du traité Laval-Mussolini de
1935, et ne peut évidemment prendre au sérieux le 15e
parallèle nord qu'aucun — je dis bien :
«aucun» — argument crédible, juridique ou non, ne justifie. Le Tchad, pour sa part, considère
que la «ligne sud-est» est convenablement représentée par la carte du Livre jaune.
Au demeurant, et compte tenu de ce que je crois avoir établi jusqu'à présent, il me
semble que je peux être assez bref sur cette querelle qui a pris une importance démesurée par
rapport aux enjeux juridiques réels : puisque l'Italie a admis, par les accords de 1900 et 1902,
que la zone d'influence française pouvait s'étendre jusqu'à la frontière de la Tripolitaine
figurant sur la carte de 1899, l'Italie ne peut plus protester contre l'emprise coloniale de la
France dès lors que celle-ci n'empiète pas sur sa propre sphère d'influence : la Tripolitaine —
et le tracé de 1919 respecte entièrement cette condition.
25. Ceci étant rappelé, pourquoi le Tchad soutient-il qu'en tout état de cause, ce tracé ne
diffère pas, ou pratiquement pas, de celui de 1899 ? Les raisons sont très nombreuses et elles
sont exposées en grand détail dans les écritures tchadiennes (mémoire, p. 185-197 et contremémoire,
p. 330-344, par. 8.80-8.121). Je me borne à évoquer à nouveau, en quelques minutes,
les principales, à la lumière surtout de ce qu'ont répété les avocats de la Libye en plaidoirie.
Commençons par le texte même de l'article 3 de la déclaration si vous le voulez bien,
Monsieur le Président. Deux éléments sont à noter. En premier lieu, l'expression «en principe»
— «il est entendu en principe ... etc.» Cette rédaction du début de l'article 3 montre que les
signataires n'avaient pas le sentiment de résoudre un problème mathématique; simplement la
limite de la zone française devant, pour les raisons dont j'ai parlé, être fixée dans cette région
presque inconnue, ils écrivent d'emblée qu'il ne s'agit que d'indiquer des directions générales,
ce que confirment d'ailleurs les mots : «dans la direction du sud-est».
- 32 -
D'autres arguments ont été avancés par Mac Michael, l'un des principaux négociateurs
de la convention du 8 septembre 1919, dans sa lettre à Vansittart du 7 mars 1919. Je me
permets de vous y renvoyer, Monsieur le Président, Messieurs de la Cour. Il en conclut : «if
the line is drawn due south-east it becomes ridiculous» (mémoire du Tchad, annexe p. 12). Et
de renchérir une semaine plus tard, dans une longue note très motivée sur les nombreuses
absurdités («several absurdities») auxquelles conduirait ce qu'il appelait la «ligne littérale»
(«the litteral line») pour conseiller d'adopter à l'égard des Français une position plus conforme
au sens commun (réplique du Tchad, annexe 40). La Libye ne semble pas ébranlée par ces
sages conseils et se borne, sur certaines des nombreuses cartes qu'elle a préparées, à noter
l'existence d'un «gap», dont je ne comprends toujours pas les conclusions juridiques qu'elle en
tire (contre-mémoire de la Libye, carte no
16 ou la carte n
o
29 figurant au dossier des juges et
CR 93/16, p. 41). Pour sa part, le Tchad y voit une confirmation a contrario de l'impossibilité
de la ligne mathématique.
26. L'un des traits marquants de la négociation menée entre lord Salisbury et
l'ambassadeur Cambon avait été la volonté de la France d'obtenir l'intégralité des hauteurs et
des oasis du Tibesti et de l'Ennedi et la partie britannique avait constamment accepté de faire
droit à cette demande. Certes, le Tchad ne conteste pas que, comme le rappelle la Libye
(CR 93/16, p. 37), les parties se sont fondées non sur les cartes dressées à partir des années dix
— qui placent correctement ces montagnes —, mais sur celles datant de la fin du XIXe
siècle :
la carte de Justus Perthes de 1892, que vous avez ici, ou la carte d'état-major française de
1896. Mais sur l'une comme sur l'autre, il est clair que la ligne mathématique chère à la Partie
libyenne, coupe les massifs montagneux — de l'Ennedi surtout — qui y figurent, alors même
que ces massifs y sont situés plus au sud, nettement plus au sud, que dans la réalité. Ceci n'est
certainement pas conforme à l'intention des parties, d'autant moins qu'à plusieurs reprises la
France avait insisté pour qu'une bande de désert lui soit adjugée au pied et au nord de ces
montagnes. Le tracé du Livre jaune est le seul qui, en se fondant sur les cartes de l'époque,
laisse du côté français les oasis et les hauteurs du Tibesti, de l'Ennedi, du Borkou et de
l'Ounianga.
- 33
-
- 34 -
27. Sur ce point, la Libye a fait grand cas d'un épisode qui a eu lieu le 19 mars 1899,
trois jours avant la signature de la déclaration. Cet épisode est relaté dans une dépêche
envoyée par Cambon à Delcassé le soir même (mémoire de la Libye, «Annexe : Archives
françaises», p. 39-41). Elle commente un projet britannique qui aurait fait partir la ligne qui
nous intéresse au 18o
parallèle. Et voici ce qu'écrit Cambon :
«j'ai fait observer qu'il était impossible de pousser la délimitation jusqu'au
18e
parallèle, que ce serait nous enlever une partie notable des territoires que nous
revendiquons au nord du Darfour...»
C'est à la suite de cette objection que la rédaction actuelle a été retenue après quelques
tâtonnements. L'interprétation de cet épisode, tout à fait important, avancée par la Libye dans
son mémoire (p. 176-178, par. 5.35-5.36) et rappelée par M. Sohier au cours de sa plaidoirie du
16 juin (CR 93/16, p. 38-39), est absolument extraordinaire. Se fondant sur l'affirmation selon
laquelle le verbe «pousser» s'appliquerait à la délimitation à venir du Darfour (alors qu'il est
tout à fait clair que ce verbe concerne la ligne «sud-est»), la Libye en conclut que la France
aurait demandé que le point d'arrivée de la ligne soit repoussé vers le sud. Ceci, qui irait à
l'encontre de tous les objectifs de négociation poursuivis par la France, ne peut être avancé
sérieusement tant il est évident que c'est l'inverse, absolument l'inverse, qui est exact. Ce
contre quoi Cambon proteste est la privation de certains territoires du futur B.E.T.
qu'entraînerait pour la France le tracé proposé par lord Salisbury; «pousser» cette délimitation
vers le sud — comme le voudrait la Libye —, aggraverait à l'évidence cet inconvénient. Et si,
en effet, cet épisode est important c'est parce qu'il montre que le point d'arrivée de la ligne se
trouve nécessairement au nord du 18e
parallèle puisque, et sur ce point les parties sont
d'accord, lord Salisbury a accepté l'objection de Cambon.
28. Tout, donc, concourt à établir que les parties avaient en tête une ligne certes
«sud-est» au sens que les non-cartographes donnent à ce terme, et certainement par une ligne
«strictement» sud-est comme l'affirme la Libye. C'est ce que traduit la carte du Livre jaune.
Regardons-la à nouveau.
Je ne suis ni cartographe ni géographe, Monsieur le Président, et je dois dire que, en
conscience, je n'ai jamais éprouvé le moindre doute sur le fait que la ligne en pointillés rouges
- 35 -
que j'ai soulignée, qui descend du tropique du Cancer jusqu'au 24e
parallèle, a bien une
«direction sud-est». Lord Salisbury et Cambon n'étaient pas non plus cartographes ni
géographes et ils auraient sans doute été très surpris si on leur avait dit que cette ligne, qui
correspondait à leur intention de laisser tout le B.E.T. dans la zone française, n'était pas
sud-est, dans la direction du sud-est. D'autant plus qu'ils avaient pris la précaution de ne
prévoir ce tracé que «en principe» et «dans la direction»... On peut d'ailleurs ajouter que la
ligne en question n'est pas non plus strictement est-sud-est comme l'affirme aujourd'hui la
Libye (CR 93/16, p. 34) : si tel était le cas, elle remonterait encore plus au nord.
29. Le texte de la déclaration, les buts poursuivis par les parties et le simple bon sens
donnent donc à penser que la carte du Livre jaune traduit fidèlement la pensée des
négociateurs. Elle est, depuis le 25 mars, publiée dans le Livre jaune. Elle est connue des
Britanniques comme le Tchad l'a montré (mémoire du Tchad, p. 161-163) et comme la note de
sir Thomas Anderson, alors ambassadeur à Paris, à lord Salisbury le montre. Cette note est du
27 mars; Sanderson y attire l'attention sur le décalage apparent entre le texte et la carte, tout
en estimant qu'il n'a guère d'importance («I do not think that it matters much»); Salisbury l'a
lue puisqu'il y a apposé son paraphe (mémoire de la Libye, «Annexe : Archives britanniques»,
p. 37); et pourtant les Britanniques ne réagissent pas. Peut-on imaginer, Monsieur le
Président, acquiescement plus net ? La carte du Livre jaune n'est pas annexée, formellement, à
la déclaration mais c'est tout comme et il n'est pas abusif d'y voir une interprétation
authentique de la volonté des parties, que viendra confirmer la convention supplémentaire du
8 septembre 1919.
30. On peut certes soutenir qu'il y a une différence entre le tracé de la carte du
Livre jaune et celui résultant de la convention de 1919. Le premier, en effet, semble atteindre le
24e
méridien approximativement au 19e
degré de latitude nord — je dis
«approximativement» — car la carte du Livre jaune, il faut le rappeler, est au 1/12 000 000e
,
une échelle qui exclut toute précision. Le second, le texte de 1919, ferait, dans ce cas, si
vraiment l'on peut dire que le point d'arrivée est au 19e
degré sur la carte du Livre jaune,
remonter la limite à la hauteur de 19o
30'. Ce sont ces 30', tout de même très approximatives,
- 36 -
de différence qui avaient conduit l'ambassadeur de France à Rome, à admettre dans la note
adressée au ministère italien des affaires étrangères le 7 février 1923,
- 37 -
que «cette interprétation, si voisine du tracé provisoire de la carte de 1899, élargit légèrement
la zone d'influence française au préjudice du domaine anglo-égyptien» (mémoire du Tchad,
annexe 102).
Mais je tiens, Monsieur le Président, à corriger l'impression que mon adroit collègue,
M. Cahier, a voulu donner à la Cour il y quinze jours (CR 93/17, p. 18). Cette différence
possible entre le tracé de la carte de 1899 et celui résultant de la convention supplémentaire de
1919 serait d'environ et au maximum 22 000 km2
et en aucun cas de 180 000 km2
comme
M. Cahier l'a laissé entendre. Cette surface, beaucoup plus importante, représenterait le
territoire compris entre la frontière de 1919 et la «ligne mathématique» dont nous avons vu
qu'elle n'a aucun fondement juridique; et ceci aboutirait à transférer à la Libye, non pas
seulement des territoires désertiques, comme l'a dit M. Cahier, mais des oasis comme celles
d'Ouri, de Tekro ou d'Ounianga Saghir. Monsieur le Président, ne traçons pas de lignes
arbitraires sur les cartes, comme les puissances coloniales l'ont fait en leur temps
conformément aux mœurs — et au droit — détestables de l'époque. Nous ne parlons pas de
problèmes abstraits et nous ne devons pas perdre de vue que c'est le sort d'hommes et de
femmes concrets, en chair et en os, qui est en cause.
31. Au demeurant, quelles que puissent être les différences qui existeraient entre le tracé
de 1899 et celui de 1919, il n'en résulterait aucune conséquence quant à la solution du litige
soumis à la Cour. Si, en effet, tel était le cas, s'il y avait une différence, ce que je n'admets que
pour les besoins de la discussion, c'est en tout état de cause, comme je l'ai dit, la frontière
de 1919 qui s'imposerait.
Certes, encore une fois, l'Italie ne l'a pas acceptée. Mais, par les accords de 1900 et
de 1902, elle s'était engagée à laisser la France étendre son influence en deçà de la frontière de
la Tripolitaine. Du moment que cette condition est remplie — et elle l'est — les protestations
de l'Italie sont juridiquement vaines; pacta sunt servanda.
L'Italie est même doublement liée. Elle l'est du fait des accords de 1900 et 1902 dont,
en 1932 encore, elle admettra qu'ils sont toujours pleinement en vigueur (ceci dans sa note du
1
er juillet 1932 que j'ai citée tout à l'heure). Mais l'Italie est également liée en tant qu'héritière
- 38
-
de
- 39 -
la Grande-Bretagne à laquelle elle a succédé dans la région à la suite du traité de Rome du
20 juillet 1934, soit près de quinze ans après la conclusion de la convention supplémentaire
de 1919.
32. Pour résumer, Monsieur le Président, les conclusions du Tchad sur ce point sont les
suivantes :
1) la France s'était vue reconnaître une sphère d'influence dans la région revendiquée par
la Libye, ceci par la déclaration franco-britannique du 21 mars 1899;
2) la limite de cette zone d'influence était constituée par une ligne représentée sur la carte
du Livre jaune partant de l'intersection du tropique du Cancer et atteignant le 24e
méridien est
de Greenwich à peu près à la hauteur du 19e
degré de latitude nord;
3) cette limite a été confirmée par la convention franco-britannique du 8 septembre 1919;
4) par les échanges de lettres de 1900 et de 1902, l'Italie a reconnu à la France le droit
d'étendre son influence jusqu'à la frontière de la Tripolitaine figurant sur la carte de 1899;
5) cette ligne constitue la frontière entre la Libye et le Tchad à l'ouest du 16e
méridien et
jusqu'au point triple avec le Niger;
6) en revanche, à l'est du 16e
méridien, la frontière est constituée par la ligne définie par
la convention supplémentaire franco-britannique qui constitue l'interprétation authentique de
la déclaration de 1899; et l'Italie n'avait aucun droit de protester contre la convention
supplémentaire et ses conséquences du fait des accords de 1900 et 1902, plus exactement elle
pouvait contester; cette contestation n'était pas fondée.
Bien entendu, pour que ces conclusions soient pleinement exactes, il faut que la situation
juridique créée par ces accords n'ait pas été modifiée par la suite. C'est, Monsieur le
Président, ce que mon collègue et ami, M. Cassese, montrera, je pense après la pause, si vous
voulez bien lui donner la parole à ce moment-là. Monsieur le Président, Messieurs de la Cour,
je vous remercie de votre très longue attention.
- 40 -
The PRESIDENT: Thank you very much, Professor Pellet. We will take our break now
and then Professor Cassese will take the floor.
L'audience est suspendue de 11 h 20 à 11 h 35.
The PRESIDENT: Please, be seated. Mr. Cassese.
M. CASSESE : Je vous remercie.
1. Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, comme c'est la première fois que j'ai
l'honneur de plaider devant cette haute juridiction, je suis sûr que vous comprendrez mon
émotion et voudrez bien faire preuve d'indulgence à mon égard.
LES TITRES TERRITORIAUX REVENDIQUES PAR LA LIBYE :
L'HERITAGE OTTOMAN ET LES CREANCES COLONIALES DE 1915
2. Tout comme mon éminent collègue, M. Alain Pellet, dans ma plaidoirie d'aujourd'hui
je vais me placer dans l'optique de la deuxième thèse de la République du Tchad : la thèse
d'après laquelle, même si l'on devait faire abstraction du traité de 1955, les délimitations
de 1899 et de 1919 sont pleinement opposables à la Libye.
3. Jusqu'à présent la République du Tchad a montré que la ligne frontière de 1899 était
opposable à l'Italie sur la base de l'accord franco-italien de 1902, et qu'elle pouvait par voie de
conséquence être invoquée à l'encontre de la Libye, qui a succédé à l'Italie.
Toutefois, cette opposabilité de la ligne frontière de 1899 est contestée par la Libye; elle
est contestée par la Libye sur la base de deux arguments :
D'un côté, la Libye invoque ce qu'elle appelle l'«héritage ottoman», à savoir les
revendications de la Sublime Porte sur l'hinterland de la Tripolitaine, dont auraient hérité tour
à tour l'Italie, puis la Libye. De l'autre côté, nos contradicteurs invoquent l'«héritage
colonial» : ils prétendent que l'article 13 de l'accord de Londres aurait conféré à l'Italie un
droit à des compensations territoriales dont la Libye serait aujourd'hui l'héritière.
Avec votre permission, Monsieur le Président, je voudrais m'attacher à démontrer que
ces deux arguments ne résistent pas à un examen attentif.
- 41 -
4. Je commencerai d'abord par le soi-disant «héritage ottoman» de la Libye.
I. L'«HÉRITAGE OTTOMAN»
Monsieur le Président, la Libye invoque cet héritage pour expliquer pourquoi la ligne
de 1899 ne lui serait pas opposable. A l'en croire, le traité d'Ouchy (dit également de
Lausanne) — vous savez bien, Messieurs les juges, qu'Ouchy fait partie de Lausanne. Il est au
bord du lac à Lausanne. Il y a un petit hôtel où on a justement signé le traité dont il est
question. Donc, le traité d'Ouchy — ou de Lausanne — et celui de Londres de 1915, auraient
sanctionné, d'après la Partie libyenne, la succession de l'Italie à la Turquie, succession sur
laquelle l'accord Poincaré-Tittoni de 1912 serait resté sans incidence.
Monsieur le Président, je vous propose de passer en revue rapidement, je vous assure
rapidement, ces deux accords internationaux, en commençant par le traité d'Ouchy ou de
Lausanne de 1912.
1. Le traité italo-turc d'Ouchy (1912)
5. Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, nos éminents collègues de l'autre côté de
la barre ont affirmé que «le Tchad a, sans aucun doute, peur du traité d'Ouchy» (CR 93/16,
p. 76). Il n'en est rien ! Nous considérons, tout simplement, qu'il n'a aucune pertinence aux
fins de la détermination de la frontière méridionale de la Libye. Et cela pour deux raisons
principales.
6. La première raison est que le traité d'Ouchy est ambigu, voire contradictoire. Cela
s'explique aisément. L'Italie, dans sa boulimie impérialiste, avait voulu faire main basse sur la
Libye. Mais elle n'était parvenue qu'à conquérir des zones côtières du pays de la Libye. D'où
la nécessité de pactiser avec les autorités ottomanes; bien que le traité lui permît de proclamer
sa souveraineté, elle dut faire toute une série de concessions aux Turcs. Cela explique le
contenu obscur et compliqué du traité. A ce propos, je vous avoue, Monsieur le Président, que
je ne résiste pas à la tentation de citer le commentaire d'un éminent historien italien, Gaetano
Salvemini, qui écrivit à l'époque que cet accord :
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«rappelle les oléographies qui se trouvent dans certains bistrots de campagne et
qui représentent une femme de petite vertu, effrontée, à l'œil souriant et insinuant,
laquelle, de quelque point de la salle où vous vous mettez à l'observer, semble
toujours vous suivre du regard et ne sourire qu'à vous; et si vous êtes trois à la
regarder en même temps de trois angles différents, elle vous sourit et vous flatte
tous les trois à la fois ... A qui sourit le traité de Lausanne : à la Turquie ? A
l'Italie ? Aux Mahométans de la Libye ? A tous ? A personne ? Nous avons la
vague impression, presque instinctive, que le traité de Lausanne est destiné à rester
dans l'histoire des relations internationales comme un des leurres diplomatiques les
plus raffinés.» (Contre-mémoire du Tchad, annexe 122.)
7. Outre son ambiguïté fondamentale, il y a une deuxième raison pour laquelle ce traité
ne revêt aucune importance aux fins de la question des limites spatiales des droits successoraux
de l'Italie en Libye : bien qu'il établisse que l'Italie acquiert des droits souverains sur la Libye,
ce traité ne porte aucunement sur les frontières de ce pays.
Nos honorables contradicteurs glissent sur ce point en faisant valoir qu'en vertu du traité
en question, l'Italie «hérite naturellement de tous les titres juridiques précédemment détenus
par l'Empire ottoman et pertinents pour la délimitation ultérieure» de la frontière méridionale
(CR 93/16, p. 63). Mais cela, Monsieur le Président, suppose que les Turcs aient eu des titres
juridiques souverains sur le sud de la Libye.
Or, comme mon collègue M. Shaw va le démontrer tout à l'heure, l'Empire ottoman n'a
jamais exercé d'emprise souveraine au sud de la ligne de 1899; il n'a donc jamais acquis de titre
souverain. Les revendications qu'il avança à ce propos restèrent sans aucune conséquence
juridique, car elles ne furent pas accueillies par les autres puissances, et ne purent être établies
sur le terrain.
Tout l'«héritage» italien à propos de la frontière méridionale de la Libye se résume à
cela : de vagues prétentions coloniales, qui ne furent jamais reconnues par la communauté
internationale. On est donc bien loin des soi-disant «droits territoriaux» sur le
Borkou-Ennedi-Tibesti (le B.E.T.), dont font état à tout bout de champ nos contradicteurs.
Voilà, Monsieur le Président, pourquoi il est légitime de soutenir que le traité d'Ouchy
n'affecta pas le sort de la frontière en question. Certes, l'Italie hérita des droits territoriaux
dont disposait auparavant la Sublime Porte. Mais, par la force des choses, l'Italie ne pouvait
hériter que des droits effectivement établis de la Turquie, ce qui n'était pas le cas pour les
- 43
-
revendications
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turques sur le B.E.T. Au surplus, comme l'a souligné M. Pellet, l'Italie avait reconnu, par un
accord en bonne et due forme, les limites de la Tripolitaine-Cyrénaïque et était donc liée par
cette reconnaissance.
2. L'accord franco-italien de 1912 (accord Poincaré-Tittoni)
8. Monsieur le Président, j'en viens maintenant à l'accord Poincaré-Tittoni de 1912.
D'après la Partie libyenne, cet accord est sans incidence sur la délimitation de la frontière
méridionale de la Libye. C'est exactement le contraire qui est vrai, comme je vais le montrer.
9. Considérons tout d'abord le texte de l'accord, qui se trouve dans votre dossier
d'audience au numéro 1.
10. Ce texte est clair :
Les deux parties se proclament «désireuses d'exécuter ... leurs accords de 1902». C'est à
cette fin qu'elles s'engagent entre autres à ne pas s'opposer, l'Italie à l'action française au
Maroc, et la France aux mesures que les Italiens vont prendre en Libye.
La référence aux accords de 1902 n'est pas fortuite : elle représente bien plus qu'un
simple considérant dans un préambule. Elle souligne que le but essentiel de l'accord est de
confirmer les accords de 1902. Certes, en 1902, le but des arrangements entre les deux pays
était simplement de délimiter leurs zones d'influence respectives, car l'Italie n'exerçait encore
aucune autorité effective en Libye. En revanche, en 1912, l'Italie avait occupé la Libye et y
avait acquis des droits souverains. Dans ce contexte, la référence à l'accord de 1902, contenue
dans le traité de 1912, revêt une toute autre signification : à savoir que la France et l'Italie
s'engageaient à reconnaître comme frontière méridionale de la Libye le tracé figurant sur la
carte de 1899, que l'Italie avait reconnue en 1902.
11. Du reste, Monsieur le Président, cette interprétation est confirmée par les travaux
préparatoires de l'accord.
12. Dans leurs plaidoiries, nos éminents contradicteurs ont insisté sur le fait que l'accord
de 1912 ne soufflait mot des questions de frontières. Or, l'étude des travaux préparatoires
révèle que cette question était présente dans l'esprit des négociateurs des deux bords. Comme
- 45 -
la République du Tchad s'est longuement attardée là-dessus dans son contre-mémoire
(contre-mémoire du Tchad, par. 7.22-7.28), il me suffira de mettre en exergue deux éléments à
ce propos.
13. Tout d'abord, les négociations interviennent à un moment où la France n'avait pas
encore reconnu la situation nouvelle qui découlait du traité d'Ouchy, à savoir l'acquisition par
l'Italie de la souveraineté sur la Libye. Elle n'avait pas encore reconnu cela.
La France tint à souligner d'emblée qu'elle n'était pas disposée à reconnaître la
souveraineté italienne en Libye «sans préciser [ce sont les mots du président du conseil
Poincaré (annexe au contre-mémoire du Tchad, 31, no
193)] — le territoire auquel elle [la
souveraineté italienne] doit s'étendre, et sans sauvegarder nos droits». Vous voyez, Messieurs
de la Cour, que l'on était bien loin de la «reconnaissance inconditionnelle» dont ont fait état nos
éminents contradicteurs.
Il est vrai que la réserve française concernait seulement la frontière algéro-tripolitaine.
Mais la raison pour laquelle Poincaré omit de soulever la question de la frontière méridionale
est évidente : la France considérait en effet que la frontière méridionale de la Libye ne prêtait
pas à discussion; elle était clairement établie par les accords franco-italiens de 1902; point
n'était donc besoin de préciser les droits français en la matière. Voilà pourquoi, Messieurs les
juges, le traité n'en souffle mot.
Le deuxième élément à souligner est que ce fut l'Italie qui proposa de mentionner
explicitement dans l'accord Poincaré-Tittoni les accords de 1902. Le ministre italien des
affaires étrangères, San Giuliano, demanda «de faire dériver explicitement l'arrangement à
signer des accords de 1902» et cela essentiellement «pour affirmer la continuité et l'efficacité de
nos accords» (contre-mémoire du Tchad, annexe 36, no
241).
14. Quelle conclusion peut-on donc tirer du texte de l'accord de 1912 et des travaux
préparatoires ? La conclusion est simple et univoque : quelques jours après le traité d'Ouchy,
les Italiens réaffirmèrent, par un accord avec la France, qu'ils restaient liés par les dispositions
de l'accord franco-italien de 1902. Par voie de conséquence, l'Italie, désormais souveraine en
Libye, s'engageait à considérer la carte de 1899 comme déterminant la frontière méridionale de
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la Libye. De ce fait, l'Italie renonça à d'éventuels droits successoraux à la Turquie au sud des
confins méridionaux de la Libye. En d'autres termes, cet engagement de 1912 créait une
véritable forclusion pour l'Italie. Loin de s'opposer à l'accord de 1902, l'Italie en réaffirmait la
validité à un moment où la Tripolitaine-Cyrénaïque n'était plus — au moins en partie — pour
l'Italie, une zone d'influence, mais une véritable colonie.
3. Le traité de Londres de 1915
15. Monsieur le Président, j'en viens maintenant au traité de Londres de 1915, dans
lequel la Libye a voulu voir une confirmation de sa thèse sur l'héritage ottoman. La Libye
invoque notamment l'article 10, que vous trouvez dans votre dossier d'audience, au numéro 2,
et que vous pouvez aussi voir sur l'écran.
Il est vrai que, en vertu de cet article 10, l'Italie a obtenu des puissances contractantes de
l'accord de Londres que l'on mette fin aux droits et privilèges qu'elle [l'Italie] avait dû
concéder à la Turquie lors de la conclusion du traité d'Ouchy de 1912, qui marque la fin de la
souveraineté ottomane en Libye.
16. Mais de quels droits s'agissait-il ?
Nos collègues libyens l'ont rappelé dans la fresque historique qu'ils ont magistralement
brossée. Les droits et privilèges que le sultan avait gardés en 1912 avaient trait et à la
protection des intérêts ottomans en Tripolitaine et en Cyrénaïque et au maintien des
prérogatives du sultan en matière religieuse.
En toute hypothèse, les droits en question étaient dépourvus de tout caractère
territorial : l'Italie, qui était en position de force, avait nettement refusé toute concession qui
aurait pu entraver l'annexion de la Libye.
Ainsi, tout ce que l'Italie obtint à l'occasion du traité de Londres de 1915, c'est que l'on
s'engage à mettre un terme à cet ultime résidu de l'ancienne souveraineté ottomane. Ce qui fut
fait, par le traité de paix de Lausanne, de 1923.
17. Monsieur le Président, le simple rappel des dispositions pertinentes et de leur
contexte suffit à montrer que ni le traité de Londres, ni le traité de paix de 1923 n'envisageaient
- 47 -
de succession de l'Italie à la Turquie. L'un et l'autre se bornaient à prévoir l'abolition des
privilèges
- 48 -
conservés par le sultan en 1912, auquel ces deux traités font renvoi — rien de plus. Il serait
donc abusif de voir dans ces dispositions une «reconnaissance tous azimuts» de la succession de
l'Italie aux droits de la Turquie.
18. Que les choses soient claires, Monsieur le Président. Je ne parle pas ici de la
succession d'Etats en général : personne ne conteste que l'Italie succéda à la Turquie en Libye.
Ce que nous contestons, en revanche, c'est l'idée selon laquelle l'Italie aurait hérité des droits
éventuels de la Turquie sur les territoires au sud de la ligne de 1899. A cet égard, en effet,
l'Italie ne pouvait succéder à la Turquie, car elle avait renoncé à toute prétention de ce genre
lors des accords de 1902 et de 1912 avec la France.
4. La pratique subséquente de l'Italie
19. La pratique subséquente de l'Italie devait du reste confirmer que l'Italie ne se sentait
pas en mesure de revendiquer un héritage de ce genre.
En parcourant les nombreuses notes diplomatiques italiennes, on s'aperçoit que même
quand Rome protesta, entre 1921 et 1934, contre l'occupation effective, par la France, du
B.E.T., les autorités italiennes alléguèrent une prétendue violation, par la France, de ses
engagements conventionnels avec l'Italie.
En clair, l'Italie soutenait que la France violait la convention franco-anglaise de 1899,
reconnue par l'Italie en 1902 et en 1912. En revanche, elle — l'Italie — n'invoqua à aucun
moment d'éventuels droits de succession à l'Empire ottoman.
20. Je rappellerai aussi la déclaration que le ministre italien des affaires étrangères,
M. Tittoni, fit à la Chambre des députés le 27 septembre 1919, donc bien après la conquête
italienne de la Libye. Dans cette déclaration, Tittoni rappelle que :
«déjà dans l'accord Prinetti-Barrère du 1er novembre 1902 nous avions reconnu la
frontière de la convention franco-anglaise du 15 (sic) juin 1898 (sic), qui avait
assigné à la France le Tibesti et le Borkou» (mémoire du Tchad, annexe 337; les
italiques sont de nous).
J'ouvre une parenthèse : Tittoni, évidemment, se méprend sur la date, car il aurait dû citer la
convention de 1899; il s'agit sans aucun doute d'un lapsus linguae. Je ferme la parenthèse et je
vous prie, Monsieur le Président, Messieurs les juges, de noter les termes de cette déclaration
- 49 -
du ministre des affaires étrangères italien, M. Tittoni : «nous avions reconnu», il évoque «la
frontière» de 1898; notez encore qu'il ne fait pas état d'éventuels droits successoraux de l'Italie
à l'Empire ottoman. Cette prise de position publique, émanant de l'organe italien principal des
relations internationales, a une importance capitale, que personne ne peut nier.
21. Mais nos honorables contradicteurs ont tâché de tirer profit d'une note de 1929 dans
laquelle l'ambassadeur français à Rome, Beaumarchais, relate un entretien avec Mussolini
(CR 93/18, p. 25).
Au cours de cet entretien, Mussolini avança une série de revendications, allant même
jusqu'à évoquer la vieille théorie de l'héritage ottoman que, disait-il, ses bureaux le pressaient
d'exhumer. Mais le ton de l'entretien montre bien, Monsieur le Président, qu'il ne s'agissait
que d'un ballon d'essai parmi tant d'autres.
Et en tout cas l'ambassadeur français rejeta avec fermeté la tentative de Mussolini, lui
rappelant que la situation était définitivement réglée par les accords de 1899 et 1902 (réplique
de la Libye, vol. II, pièce 5.4, p. 336).
22. Par la suite, le Italiens s'en sont tenus à une thèse moins tortueuse que celle de
Mussolini. La République du Tchad a amplement illustré ce point dans ses écritures. Elle a
notamment montré comment, en dépit des velléités belliqueuses du ministère des colonies, le
point de vue du ministère des affaires étrangères, à juste titre plus soucieux du contexte
juridique, avait toujours fini par prévaloir (voir réplique du Tchad, par. 7.37-7.60). Mais,
Monsieur le Président, je me contenterai de mentionner deux déclarations à titre d'exemple.
23. La première émane du chef du département pour l'Afrique du ministère des affaires
étrangères, M. Guariglia. Dans une note adressée en 1930 à l'ambassadeur italien à Paris, ce
grand expert des problèmes africains indiquait son désaccord avec l'interprétation du ministère
italien des colonies dans les termes suivants :
«il n'est pas approprié de se référer aux souvenirs historiques des garnisons
ottomanes établies au Tibesti, puisque ces argumentations nous sont interdites par
l'échange de notes Prinetti-Barrère» (mémoire du Tchad, annexe 117; les italiques
sont de nous).
L'ambassadeur à Paris surenchérit dans sa réponse :
- 50 -
«Il faut s'en tenir aux actes de 1902 et à l'article 13 du Pacte de Londres,
tout en donnant aux uns et à l'autre l'application la plus favorable à notre thèse
[...]. Je déconseille vivement d'abandonner ces indiscutables bases juridiques [...]
vouloir agir d'une manière différente et contester la souveraineté française au sud
de notre ligne de 1899 serait à mon avis agir sans fondement juridique et en
désaccord avec nos actes précédents.» (Contre-mémoire du Tchad, annexe 64; les
italiques sont de nous.)
24. Notez-le bien, Messieurs les Membres de la Cour : cette thèse dépourvue de tout
fondement juridique dont parle l'ambassadeur italien, c'est la fameuse thèse de l'héritage
ottoman, la thèse que la Libye s'efforce aujourd'hui de ressusciter !
25. Certes, il est arrivé à l'Italie de revendiquer cet héritage, mais contre la
Grande-Bretagne. La Libye l'a rappelé devant vous, en invoquant les négociations
italo-britanniques relatives à ce que l'on a appelé le «triangle de Sarra» (CR 93/18, p. 25).
Mais ceci ne fait que confirmer ce que j'avance : la région de Sarra se trouve en effet en dehors
de la sphère française et l'Italie n'était pas liée à l'égard de la Grande-Bretagne. Si bien que,
de toute manière, l'invocation de l'héritage ottoman était superflue. Au surplus, la dévolution
du triangle de Sarra à l'Italie ne s'est pas faite par voie d'héritage, mais par traité : c'est le
traité de 1934.
II. L'HERITAGE COLONIAL : LE «DROIT»
AUX COMPENSATIONS TERRITORIALES
26. Monsieur le Président, j'en arrive au deuxième volet de ma plaidoirie, à savoir les
droits que la Libye prétend encore tirer du traité de Londres de 1915. Là encore il s'agirait
d'un héritage, mais cette fois-ci d'un autre genre, puisque ce que la Libye revendique, c'est
l'héritage colonial italien.
27. Nos éminents contradicteurs ont monté en épingle l'article 13 du traité de Londres
de 1915, dont ils ont fait une des pièces maîtresses de leur argumentation. A cet égard, on ne
peut qu'être frappé par le parallèle entre la Libye d'aujourd'hui et l'Italie colonialiste.
Tout comme l'Italie de Mussolini l'a fait pendant plus de dix ans, les Libyens axent
aujourd'hui l'essentiel de leurs revendications sur l'article 13. Or, cette disposition n'est pas
sans évoquer le fameux Acte Général de la conférence de Berlin de 1885 sur le partage de
l'Afrique entre
- 51
-
- 52 -
puissances européennes. Au fond, que fait l'article 13, sinon envisager, tout comme l'Acte
Général de Berlin, un découpage de territoires africains — cette fois-ci en faveur d'une
puissance impérialiste, l'Italie, et aux dépens d'autres puissances impérialistes ?
L'ironie de l'histoire veut qu'un pays comme la Libye, qui s'érige en champion de
l'anti-colonialisme, en soit réduit à tout miser sur une disposition qui représente l'archétype
d'un colonialisme heureusement révolu.
28. Mais voyons de plus près les arguments spécifiques que la Libye tire de cette
disposition de 1915.
Cette disposition, que vous trouvez dans votre dossier de séance au no
2 et qui est aussi
sur l'écran, je vais l'illustrer comme suit.
29. La thèse libyenne s'articule autour des trois points suivants :
i) en premier lieu, l'article 13 prévoyait deux types de compensation en faveur de l'Italie :
des cessions de territoire et la détermination favorable de frontières contestées;
ii) en deuxième lieu, toujours selon la Libye, ces deux aspects étaient présents dans l'accord
Laval-Mussolini de 1935, qui prévoyait une cession de territoire en faveur de l'Erythrée
italienne et la détermination de la frontière contestée au sud de la Libye;
iii) en troisième lieu, comme l'accord Laval-Mussolini n'entra jamais en vigueur, les droits
que l'Italie tirait de l'article 13 passèrent à la Libye, et cela à l'occasion de son
indépendance, en dépit du fait que l'Italie avait renoncé en 1947 à tous ses droits sur ses
colonies africaines. En effet, toujours selon la Libye, le droit visé à l'article 13
appartiendrait à cette catégorie de droits territoriaux qui, en vertu de la convention de
Vienne sur la succession d'Etats en matière de traités, passent toujours à l'Etat successeur.
30. Monsieur le Président, Messieurs les juges, ce raisonnement de la Libye a — vu de
très loin — l'apparence de la logique. Toutefois, en y regardant de près, on s'aperçoit que
chacune de ses trois branches est erronée.
31. Mais avant d'examiner ces trois branches de l'argumentation libyenne,
permettez-moi, Monsieur le Président, d'appeler votre attention sur un fait important : la thèse
de l'héritage colonial, basée sur l'article 13 de l'accord de Londres, est en contradiction avec la
- 53 -
thèse de l'héritage ottoman. Pourquoi ? Parce que, en basant leurs principales revendications
sur les «compensations équitables» prévues par le traité de Londres, l'Italie d'abord et la Libye
ensuite ont reconnu implicitement qu'elles étaient dépourvues de tout titre juridique spécifique
sur le B.E.T. En effet, Monsieur le Président, on voit mal pourquoi elles auraient prétendu
obtenir des compensations dans cette région si elles détenaient déjà un titre spécifique.
32. Revenons au traité de Londres et commençons par l'interprétation de son article 13.
La Libye a affirmé à plusieurs reprises (voir par exemple CR 93/17, p. 81-82) que
l'article 13 «prescrit une obligation pesant sur la France à l'avantage de l'Italie». C'est là une
affirmation qui déforme complètement la porté de cette disposition.
Lisons-la ensemble et jugez-en, Messieurs les juges. Cette disposition à l'article 13
conférait-elle à l'Italie le droit d'exiger des agrandissements territoriaux en Afrique ?
Imposait-elle, du même coup, une obligation à la France et à la Grande-Bretagne de donner des
territoires à l'Italie ? Précisait-elle les territoires par rapport auxquels l'Italie aurait pu
demander ces agrandissements ? Rien de tout cela, Monsieur le Président.
Cette disposition de l'article 13, d'un flou déconcertant, se borne à prévoir que les deux
puissances «reconnaissent en principe que l'Italie pourrait réclamer quelques compensations
équitables».
L'Italie n'acquérait donc pas un véritable droit, si ce n'est celui d'avancer à l'avenir des
prétentions, sans que soient précisées les obligations corrélatives de la France et de la
Grande-Bretagne. Vous voyez bien que tout est laissé dans un flou savant. En d'autres termes
l'article 13, loin d'établir des droits et obligations définis, se limite à énoncer un engagement à
la portée incertaine et à caractère essentiellement politique des deux puissances en faveur de
l'Italie. J'ajouterai, Monsieur le Président, que le caractère contraignant de l'article 13 est
tellement faible que l'on hésiterait même à le définir, cet article 13, comme un pactum de
contrahendo, c'est-à-dire comme une obligation juridique de conclure un accord futur.
A ce propos, permettez-moi de rappeler que bien différente était la teneur de la
proposition d'article soumise par l'Italie lors des négociations à Londres : l'Italie proposait de
spécifier que «on procédera à un accord spécial pour assurer à l'Italie quelques compensations
- 54 -
équitables» (réplique du Tchad, annexe 30). Donc, on procédera à un accord spécial pour
assurer à l'Italie des compensations équitables. Vous voyez bien la différence entre la
proposition italienne et le texte adopté. L'article 13, dans son libellé final, n'imposait ni la
négociation, ni — à plus forte raison — la conclusion d'un accord futur. Tout au plus
contenait-il une très vague promesse de la France et de la Grande-Bretagne : après la guerre,
ces pays traiteraient avec bienveillance toute demande territoriale italienne en Afrique.
33. Au demeurant, les faits vont se charger de confirmer le caractère très vague de
l'article 13.
Sur la base de cette disposition de l'article 13, l'Italie revendiquera tantôt la seule bande
d'Aouzou — au moment du traité Laval-Mussolini, par exemple —, tantôt l'intégralité du
territoire tchadien et des portions importantes du Niger, de la Nigéria et du Cameroun — et
cela dans le fameux «programme maximal». C'est dire combien l'imprécision de l'article 13
était grande.
34. Vous vous demandez peut-être, Monsieur le Président, le pourquoi de ce flou savant.
Il y a tout lieu de penser qu'il était délibéré. La France et l'Angleterre n'entendaient pas se lier
les mains d'une manière trop précise. Et cela résulte notamment du rejet d'un projet dans
lequel l'Italie énumérait les zones sur lesquelles devaient porter les compensations. La France,
qui avait de fortes appréhensions au sujet des visées italiennes sur Djibouti, se refusa à aller
au-delà d'une simple promesse à caractère politique. Tous ces points sont amplement exposés
dans la réplique tchadienne (réplique du Tchad, par. 3.05-3.14) donc, je ne m'y attarde pas.
35. En revanche, il me paraît utile d'appeler l'attention de la Cour sur les contrastes
saisissants qui existent entre l'article 13 et d'autres dispositions de l'accord de Londres, dont
les termes sont dépourvus de toute ambiguïté. L'article 4, par exemple — vous le trouverez
dans votre dossier de séance, Messieurs les juges —, prévoyait que «Dans le traité de paix,
l'Italie obtiendra le Trentin, le Tyrol cisalpin avec sa frontière géographique et naturelle (la
frontière du Brenner)», et suivent d'autres indications précises, que je vous épargne, Messieurs
les juges. Pour sa part, l'article 5 du même traité prévoyait — là encore c'est une disposition
que vous trouvez dans votre dossier de séance — que «L'Italie recevra également la province
- 55 -
de Dalmatie dans ses limites administratives actuelles, en y comprenant au nord Lisarica et
Tribania, et au sud jusqu'à une ligne partant sur la côte du Cap Planka», et suivent d'autres
indications.
J'arrête là l'énumération des règles du traité de Londres, tant le contraste avec
l'article 13 du même traité est évident. D'un côté, vous avez des dispositions qui spécifient
d'une manière très détaillée les confins des contrées à transférer à l'Italie après la guerre, d'un
autre côté, vous avez l'article 13 dont l'indétermination ne pourrait être plus frappante. D'un
côté, la lumière de la précision cartésienne, de l'autre la pénombre des vagues engagements
politiques.
36. J'en viens, Monsieur le Président, à mon deuxième argument. Contrairement à ce
que prétendent nos éminents contradicteurs, l'article 13 n'envisageait que des cessions
territoriales. Cela ressort clairement du texte même de la disposition et des travaux
préparatoires et de la pratique subséquente des parties. Monsieur le Président, je vous
propose de passer ces trois points en revue : texte, travaux préparatoires et pratique
subséquente.
37. Le texte de l'article 13, tout d'abord. La Libye s'évertue à voir dans les
«compensations équitables» que l'Italie pouvait réclamer, une référence implicite à
d'éventuelles délimitations de frontière. Or la lecture de cette disposition montre bien qu'elle
envisageait exclusivement des cessions de territoires en faveur de l'Italie, et cela dans les zones
situées à la frontière entre les colonies italiennes et celles de ses alliés du moment, la France et
la Grande-Bretagne.
38. Pourquoi s'obstiner, devant un libellé aussi clair, à parler d'une simple «délimitation»
de frontière ? Une telle interprétation est dépourvue de toute vraisemblance historique. Le
traité de Londres — il n'est pas inutile de le rappeler ici — énumérait les conditions auxquelles
l'Italie entendait monnayer son entrée en guerre aux côtés des alliés. Comment croire que le
Gouvernement italien, pour prix de sa participation à une des guerres les plus sanglantes de
son histoire, n'aurait exigé qu'une simple «délimitation» de la frontière dans une zone
désertique ? Peut-on vraiment croire que le Gouvernement italien, qui faisait miroiter à une
- 56 -
opinion publique réticente les immenses bénéfices coloniaux que sa décision allait lui valoir, se
serait contenté d'aussi peu ? Cette hypothèse est tout simplement déroutante.
39. En vérité — les travaux préparatoires du traité le montrent bien — l'Italie était
beaucoup plus ambitieuse. Les documents soumis par la République du Tchad ont fait état du
véritable catalogue de revendications que le Gouvernement italien entendait soumettre à ses
partenaires. On y trouve pêle-mêle le prolongement des droits italiens sur la Tunisie, des
cessions de territoires à l'est, à l'ouest et au sud de la Tripolitaine, ainsi qu'en Somalie, etc.
On y trouve aussi, à propos des régions qui nous intéressent, cette référence que je ne
résiste pas à la tentation de citer, tant elle est éloquente :
«nous pourrions demander l'ensemble ou en partie le Tibesti et le Borkou qui, en
d'autres temps, étaient considérés comme appartenant à la Tripolitaine»
(télégramme de l'ambassadeur italien à Paris, Tittoni, au ministre des affaires
étrangères, 23 mars 1915; réplique du Tchad, annexe 31; les italiques sont de
nous).
Passage éloquent s'il en est, qui confirme à la fois que l'Italie se plaçait uniquement, et on
la comprend, dans l'optique de cessions de territoires et qu'elle était consciente de ce que, au
moment où se déroulaient les négociations — en 1915, notez-le bien — le Borkou et le Tibesti
étaient sous souveraineté française.
40. Enfin — et c'est là ma troisième remarque — la pratique ultérieure, la pratique
subséquente des parties, devait confirmer que les ambitions territoriales italiennes ne se
limitaient pas à une simple «délimitation» de frontières. Au cours des négociations de paix qui
eurent lieu à Paris en 1919, la France, en application de l'article 13 de l'accord de Londres,
proposa de céder une partie du Tibesti à l'Italie.
Cette dernière (l'Italie) repoussa la proposition française, réclamant «les territoires
sahariens du Tibesti, du Borkou et de l'Ennedi, tous [sic] entiers, dans leurs délimitations
géographiques et ethniques» (mémoire du Tchad, annexe 92). Dans son rapport sur les
négociations, le conseil suprême des Alliés devait indiquer que la France et l'Italie n'avaient pu
s'accorder sur «une rectification de la frontière ... méridionale de la Libye» (mémoire du
Tchad, annexe 89). Monsieur le Président, parler de «rectification» d'une frontière n'a
évidemment de sens que si l'on part du principe qu'une telle frontière existe bien. On voit ainsi
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que, dans l'esprit de toutes les parties en cause, l'article 13 n'envisageait que des cessions de
territoires. La souveraineté française sur le B.E.T. étant admise par tous les intéressés, toute la
question était de savoir de quelle ampleur seraient les compensations équitables auxquelles
avait droit l'Italie.
- 58 -
En revanche, un compromis put être trouvé en ce qui concerne la rectification de la
frontière entre la Libye et l'Algérie. L'accord franco-italien du 12 septembre 1919, conclu en
application de l'article 13 de l'accord de Londres, attribuait à l'Italie une partie du territoire
soumis à la souveraineté française. Une fois encore, Monsieur le Président, on se plaçait donc
dans l'optique exclusive de cessions de territoires, tout en envisageant la conclusion d'accords
ultérieurs, mais toujours dans la même optique.
41. Telle fut du reste l'interprétation italienne de cet accord franco-italien de 1919.
S'adressant à la Chambre des députés quelques jours après la conclusion de l'accord, le
ministre des affaires étrangères, Tittoni, toujours Tittoni, fit valoir qu'il s'agissait d'une
«cession utile à coup sûr, mais en somme bien peu de chose», ajoutant dans la foulée que «la
question du Tibesti et du Borkou, ou d'une autre compensation au lieu de ces régions, reste
ouverte et sera l'objet de négociations ultérieures» (mémoire du Tchad, annexe 337; les
italiques sont de nous).
Vous savez bien, Messieurs les Membres de la Cour, ce qu'il en advint. Invoquant
l'article 13, l'Italie ira jusqu'à revendiquer le Tchad tout entier dans son «programme
maximal» de 1928 — on était décidément bien loin d'une simple délimitation de la frontière ! —
et elle finit par se contenter, en 1935, de la cession d'une partie relativement réduite du
territoire français, à savoir ce qu'il est devenu courant d'appeler la «bande d'Aouzou».
42. Monsieur le Président, les «droits» de l'Italie en vertu de l'article 13 ainsi précisés, il
convient de se poser la question de savoir si la Libye en a hérité.
Il est admis par la Libye que par l'article 23 du traité de paix de 1947, l'Italie renonça à
tous ses droits, titres et revendications concernant ses anciennes colonies africaines.
On peut discuter de l'effet de cette disposition : opérait-elle un transfert de souveraineté
au profit des quatre grandes puissances, ou laissait-elle en suspens la question de la
souveraineté sur la Libye ? Point n'est besoin de trancher la question : il est indiscutable que
l'article 23 mit fin à la souveraineté italienne.
Dès lors, qu'advint-il entre 1947 et 1951 — date de l'indépendance de la Libye — des
revendications territoriales découlant pour l'Italie de l'article 13 du traité de Londres ?
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43. La réponse est claire : ces revendications prirent fin, et ce, pour une raison toute
simple : il s'agissait de revendications coloniales à caractère politique, revendications qui
perdaient toute raison d'être avec la fin du colonialisme italien en Afrique.
44. Mais la Libye refuse de se rendre à l'évidence; la Libye invoque obstinément
l'article 11 de la convention de Vienne sur la succession d'Etats en matière de traités — qui
consacre, nous le savons bien, le droit international coutumier en cette matière. Nos éminents
contradicteurs affirment qu'en vertu de cet article 11, qui établit qu'il y a toujours succession
en matière de régime territorial, la Libye a hérité de la créance politique que l'Italie tirait de
l'accord de Londres. Monsieur le Président, cette thèse me paraît insoutenable, et ce pour deux
raisons.
45. En premier lieu, la succession d'Etats n'implique évidemment que le transfert des
droits et titres territoriaux qui existaient et étaient valables au moment de la succession. Or, les
prétentions dérivant de l'article 13 prirent fin en 1947, comme je l'ai dit tout à l'heure. En effet
les parties au traité de paix de 1947 comprenaient les quatre parties à l'accord de Londres —
qui étaient la France, la Grande-Bretagne, la Russie et l'Italie. Donc, le traité de 1947, lex
posterior, supplante l'accord de Londres. Loin de donner suite aux prétentions découlant de
l'article 13, en 1947 les parties tombèrent d'accord sur la renonciation définitive par l'Italie à
ces prétentions.
L'article 13 de l'accord de Londres fut donc abrogé inter partes.
Cela, Monsieur le Président, est confirmé par l'article 2 de l'annexe 11 du traité de paix,
qui dispose que :
«les quatre puissances (Etats-Unis, France, Royaume-Uni, Union Soviétique)
régleront le sort définitif des territoires en question (les colonies italiennes en
Afrique) et procéderont aux ajustements de leurs frontières».
Cette disposition présuppose évidemment l'extinction totale des droits, titres et
prétentions italiens en Afrique. Du même coup, elle confie aux quatre puissances le droit non
seulement d'établir le sort des territoires coloniaux italiens, mais encore de procéder à
d'éventuelles rectifications de frontières. Il est évident, Monsieur le Président, que l'Italie
sortait de scène et tous ses droits s'éteignaient.
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46. J'en viens, Monsieur le Président, à la deuxième raison pour laquelle les prétentions
découlant de l'article 13 de l'accord de Londres ne passèrent pas à la Libye.
Même si, par impossible, on voulait admettre que ces revendications italiennes avaient été
mystérieusement ressuscitées en 1951, elles n'auraient en toute hypothèse pas pu passer à la
Libye, car il ne s'agissait pas de droits territoriaux au sens de l'article 11 de la convention de
Vienne sur la succession d'Etats.
En effet, cet article dispose, vous le savez bien, que la succession d'Etats ne porte pas
atteinte : primo, aux traités «établissant une frontière», secundo, aux «obligations et droits
établis par un traité et se rapportant à un régime de frontières».
47. A en croire la Libye, les droits dérivant de l'article 13 rentreraient dans cette seconde
catégorie. Cette interprétation, Monsieur le Président, témoigne d'une méconnaissance de
l'esprit et de la lettre de la convention de Vienne.
48. L'interprétation la plus approfondie de l'article 11 de la convention de Vienne a été
donnée dans un article écrit pour l'Annuaire français de droit international par M. Yasseen,
qui avait présidé, vous le savez, aussi bien la Commission du droit international lors de la
rédaction du projet de convention, que le comité de rédaction de la conférence diplomatique qui
adopta la convention. L'interprétation de M. Yasseen fait donc autorité.
Que signifie l'expression «régime des frontières» au sens de l'article 11 ? — s'interroge
M. Yasseen. Et voici sa réponse :
«Le sens de l'expression 'régime des frontières' peut prêter à controverse,
mais il est possible de dire qu'il renferme les droits et obligations relatifs à la
frontière qui sont attachés au territoire et dont la disparition lors d'une succession
d'Etats modifierait sensiblement le règlement de frontière, tels un droit de pacage,
un droit de passage ou un droit de transit.» (AFDI, 1978, p. 86.)
Par analogie avec le droit civil, M. Yasseen parle à ce propos de «droits réels» (ibid.,
p. 82). Et surtout il ajoute :
«Ne font certes pas partie du régime de frontières et ne sont donc pas
transmissibles les obligations et les droits de caractère politique ou qualifiés de
personnels, dont le lien avec le territoire n'est pas suffisamment étroit.» (Ibid.,
p. 86; les italiques sont de nous.)
49. Or, Monsieur le Président, c'est précisément ce dont il s'agit en l'espèce : je pense
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avoir amplement démontré que l'article 13 de l'accord de Londres se bornait à établir un vague
engagement politique en matière d'ajustements territoriaux, sans préciser ni les territoires visés,
ni les critères qui seraient retenus pour effectuer ces ajustements. Le droit que l'Italie tirait de
l'article 13 n'était pas seulement général; il était encore indéterminé, en ce sens qu'il ne portait
pas spécifiquement sur une zone précise, mais sur l'ensemble des frontières des colonies
italiennes en Afrique. Parler de «régime de frontières» à ce propos est donc tout à fait abusif.
Dès lors, comment prétendre que cet engagement politique puisse être passé à la Libye ?
III. CONCLUSION
50. J'en arrive ainsi à ma conclusion, Monsieur le Président.
Monsieur le Président, la stratégie de nos éminents contradicteurs consiste à essayer
d'enfermer la Cour dans une alternative simpliste : soit la Libye a succédé à l'Italie, et dans ce
cas elle a hérité de tous les droits que détenait cette dernière, y compris en vertu de l'article 13;
soit la Libye n'est à aucun égard le successeur de l'Italie, et n'est dès lors pas liée par les
obligations découlant, pour l'Italie, des conventions concernant la frontière méridionale de la
Libye (voir CR 93/20, p. 55). Autrement dit, et pour reprendre les propos de nos éminents
collègues de l'autre côté de la barre (voir CR 93/20, p. 51), ou bien la Libye a succédé à l'Italie,
et dans ce cas elle a reçu et l'actif et le passif de cet héritage, ou bien elle n'a pas succédé du
tout. Dans ce dernier cas, on ne saurait lui imposer seulement le passif.
Malheureusement pour nos contradicteurs, la réalité ne se prête pas toujours à ce genre
de raisonnement «tout ou rien». Certes, la Libye a succédé à l'Italie — nul ne le conteste. Mais
elle n'a hérité que des droits et obligations à caractère territorial, conformément à la convention
de Vienne que je viens d'évoquer. En revanche, la Libye n'a pu hériter de droits éminemment
politiques, comme les créances coloniales — fort éventuelles et conditionnelles — que l'Italie
tirait de l'article 13 : ces droits, nous l'avons vu, ont pris fin avec le traité de paix de 1947.
Il en va de même de ce que la Partie libyenne a appelé l'«héritage ottoman». M. Shaw
vous indiquera tout à l'heure que cet héritage se réduisait à un ensemble de revendications, je
dis bien revendications, je ne dis pas droits, qui ne pouvaient être transmises à l'Etat
- 62 -
successeur. Qui plus est, l'Italie s'était engagée en 1902, à l'égard de la France, à accepter la
présence de celle-ci au-delà des frontières de la Tripolitaine-Cyrénaïque. Elle ne pouvait
remettre cet engagement en cause.
Par conséquent, Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, ni l'Italie, ni par la suite la
Libye, n'ont pu opposer de titre aux droits incontestables que la France tirait des délimitations
de 1899 et 1919 et de son occupation effective des territoires ainsi délimités.
Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, je vous remercie pour votre patience et je
vous prie, Monsieur le Président, de bien vouloir appeler à la barre M. Malcolm Shaw.
Mr. PRESIDENT: Thank you very much, Professor Cassese. Mr. Shaw.
Mr. SHAW:
The non-relevance of original title
1. Mr. President, Members of the Court, I am honoured and delighted to be appearing
before you for the first time.
2. As my colleagues have explained, Chad's title to the B.E.T. is clearly established under
the 1955 Treaty, which provided an agreed mechanism for the identification of the border in
question. This mechanism accepted by France, the predecessor State to Chad, and Libya itself,
operated by enunciating a specific list of instruments deemed determinative of the boundary
line.
3. My task, however, is to assist the Court to understand the situation as it existed prior
to the establishment of French title and thus to appreciate the true nature of Libya's claims.
Professor Higgins will deal with the legal preconditions for the acquisition of title by France.
Professor Cassese will show the achievement of that title and has analysed the alleged
succession by Italy, and then Libya, to the claims asserted with regard to the Ottoman Empire.
Whatever rights may have existed over the territory at issue in the early years of this century
were clearly extinguished upon the permanent assumption of control by France in 1913-1914.
Nevertheless, it is pertinent for us to consider the situation in the years prior to that occupation
in order to bring to the Court's attention the con fusing nature of Libyan allegations, upon
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which so much appears now to be founded, for as Professor Dolzer informs us "at the heart of
the Libyan case lies the fact that the Ottoman Empire and the Senoussi peoples held title to the
borderlands in 1912" (CR 93/20, p. 19).
4. I wish to make the following submissions. First, that the Ottoman Empire never had
title to the B.E.T., neither on the basis of exercise of effective control nor on any other basis.
Second, that the Senoussi Order was never more than an intermittent source of religious
influence, and to some extent political influence, ranging across northern and central Africa.
This influence while strong in Tripolitania and Cyrenaica was weak in the B.E.T. Third, that
the failure of the Ottomans and the Senoussi Order to establish an independent source of title is
not retrieved by seeking to combine the two into some form of claimed joint sovereignty.
Fourth, that the indigenous peoples, whose nature has been misrepresented by the Libyans,
were the bearers of rights over the territory but were insufficiently organized to possess
territorial sovereignty under international law.
Libyan claims
5. Libya arguments may be summarized as follows. Between 1890 and 1912, the
territory to the south of Tripolitania, particularly the B.E.T., was not terra nullius, but was
rather held in a form of "shared sovereignty" by the Ottoman Empire, the Senoussi Order and
the indigenous inhabitants. The implication of this is that when the French arrived, original
title lay elsewhere and could only have been acquired as a result of conquest, prohibited under
post-1919 international law. It is argued that somehow this asserted original title continued to
subsist until Libya's assimilation of it by way of succession. It is claimed Libya inherited all the
titles of the Ottoman Empire via Italy together with those of the Senoussi Order and the
indigenous peoples.
6. However, Libya demonstrates no little confusion in its analysis in its written pleadings
of this asserted concept of "shared sovereignty". It is maintained, on the one hand, that the
indigenous peoples possessed an existing legal title based on their long-established presence and
effective administration (ML, para. 6.39), while on the other, it is declared that the sovereignty
transferred by the Ottoman Empire embraced "the territory and peoples of Tibesti, Borkou,
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Ounianga, Erdi and Ennedi"(ibid., para. 4.188). It is then proposed that the territory and
peoples in question were "under the joint control and shared authority of the Senoussi and the
Ottoman Empire" (ibid.).
7. Quite what we are to make of this division between sovereignty and joint control and
shared authority is never clarified, but it is termed "mutual accommodation" (ibid., para 6.28)
or "a community of title" (the Submissions following paragraph 6.7), and again "a parallel
and compatible title" (para. 6.76).
8. In an attempt to maintain this curious claim, Libya in its Reply developed the theme of
indirect rule so that title to the B.E.T. rested with the local tribes, with the administration —
executive and judicial powers — divided between the local tribes and the Senoussi Order while
the Ottomans possessed some form of overarching authority with "minimal direct control"(RL,
para. 7.65). This attempt reaches its height with the immediate introduction into the argument
of the statement that "there is no prescribed form of federalism" (ibid., para. 7.66) closely
followed by the announcement that "[a] distinct type of shared territorial sovereignty has been
known in international law under the term "condominium'" (ibid., para. 7.67). So we are led
to believe that the "shared sovereignty" claim really amounted to either a federal arrangement
or a condominium. A federation, of course, is based upon a defined and formal division of
internal sovereignty, while a condominium exists, as Oppenheim notes, "where two or more
States exercise sovereignty conjointly over a territory" (International Law, 9trh ed., at p. 565).
The Chamber of the Court itself only recently referred in the Land, Island and Maritime
Frontier Dispute (El Salvador/Honduras: Nicaragua intervening) to historical examples of
condominia "in the sense of arrangements for the common government of territory . . .
between two or more States" (I.C.J. Reports 1992, p. 597, para. 399). I am unable in this case
to identify the "two or more States" concerned.
9. Yet another expression of the relationships of the Parties as maintained by Libya in the
oral hearings is that the indigenous peoples organized by the Senoussi Order held the title, but
were represented by the Ottoman Empire (CR 93/14, p. 26). This looks to me remarkably like
a protectorate, but one swept into being out of thin air. And protectorates simply cannot arise
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like that. They require formal agreements providing for the formal division of the attributes
and exercise of sovereignty and indeed recognition by third States where relevant rights and
obligations are asserted, as noted in the Nationality Decrees Issued in Tunis and Morocco case
(Advisory Opinion. 1923, P.C.I.J., Series B, No. 4, p. 27).
10. At no stage is there any suggestion whatsoever of any form of recognition or even of
simple reference by third parties or indeed by the Ottoman Empire or by the Senoussi Order
of such intricate and crucial federal or condominium or international representational
arrangements with regard to the territories in question, nor any such reference by the
indigenous peoples themselves. There is no hint of how such an arrangement operated in
practice and which party exercised which particular sovereign rights. Without such a
formalized and accepted arrangement, it is mere assertion to talk of federalism or condominia
or shared sovereignty. It is for Libya which claims this unusual form of divided sovereignty to
prove it.
11. Perhaps some of these formidable problems gradually dawned upon Libyan counsel,
for I note that Professor Crawford emphasized that one could look at the situation in the region
in 1912 either as a partnership (and here reference is made to protectorates, federations and
condominia) or as a coalescing of allegiance, administration and social organization
"even though none of the social or political units within the entity is alone the
repositary of all these elements and even though the relations between the various
units may sometimes be strained" (CR 93/19, p. 60).
Well, Mr. President, Members of the Court, something is clearly strained. There is, however,
one further point to note here. Professor Crawford has sought to cite the Lighthouses in Crete
and Samos case (Judgment, 1937, P.C.I.J., Series A/B, No. 17) as evidence that until a
subordinate unit has entirely broken away, it is proper to treat the entity as a whole as a single
State. That is fine. But it is not appropriate here in order to establish the unity of the B.E.T.
with the Ottoman Empire through coalescence. In this situation, one is not dealing with a
particular territory on the point of formal and internationally recognized secession from a
State, but the alleged expansion of a State upon the basis, it must be said, of questionable
evidence. The two situations are clearly not analogous.
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The Ottoman Empire
12. I turn now to consider the position of the Ottoman Empire, upon which Libya now
places such heavy reliance. Prior to 1908 it is quite apparent that the Ottoman Empire
exercised no effective authority at all in the territory in question and there is clear evidence to
this effect. Several British official documents emphasize this. For example, in a memorandum
of 26 February 1902 from the Intelligence Division to the Foreign Office, it was noted:
"[a]s regards the southern boundary of Cyrenaica, although Turkey has made
vague claims to an almost unlimited hinterland, Turkish authority has never been
exercised south of the oasis of Jalo and Aujila" (CMC, Ann. 4).
I now mark that area on the projection before the Court. Indeed, Libya itself has openly
admitted in its Counter-Memorial that in the period around 1900 "the Ottoman occupation of
the region had not yet occurred" (para. 4.131).
13. It is also evident that in 1908, the Turks had not even established their authority in
the oasis of Koufra (well to the north of the B.E.T.). A series of British despatches from
Benghazi to the Foreign Office confirms this. In a letter dated 18 July 1908, for example, it
was emphasized that the mission of Hadjii Suleiman Effendi (Mayor of Benghazi), taking
presents and an Ottoman flag to the Senoussi ensconced at the oasis, proved a failure since the
local inhabitants refused to allow the Ottoman flag to be flown (CMC, Ann. 9). Ricciardi has
concluded in his exhaustive survey in the Yale Journal of International Law that the Senoussis
and the local inhabitants joined together in "rejecting even a purely formal recognition of
Ottoman authority over the area" ("Title to the Aouzou Strip: A Legal and Historical
Analysis", 17 Yale Journal of International Law, 1992, pp. 301, 350). The point put to the
Court by Professor Dolzer on 20 June (CR 93/20, p. 31) that the "Senoussi peoples" welcomed
the Ottomans is hardly borne out by the facts. Indeed, as the Libyan Memorial itself states in
relation to the establishment of an Ottoman presence in Tibesti in the period 1908-1909, "the
Senoussi did not favour this move" (para. 4.130). The local tribes also failed to demonstrate
enthusiasm for the Ottoman advance. For example, while it is true that the Derde (or leader) of
the Tibesti Toubous sought some Ottoman assistance in 1907 as the French advance moved
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towards the B.E.T., this was followed by an appeal to the French Commander in Bilma for help
soon thereafter (Ricciardi, op. cit., p. 349).
14. The record indeed demonstrates that a small Turkish unit arrived in Tibesti in 1908
or 1909 and that it was only during 1911 that Turkey decided to reinforce the few soldiers it
maintained there and seek to establish its authority in a real sense (CMC, Ann. 23). One may
pause briefly here to note that the arrival in that year of the Turkish Captain Ahmed Rifki in
the Ain Galakka region led to an exchange of correspondence with the French in which the
latter made it clear that since France had pledged to remain neutral in the newly erupted
Italo-Ottoman war, they felt constrained from taking any military action against him (RL,
Exhibits Part B, 10.4 and 10.6). This was all that there was to the famous modus vivendi so
heavily relied on by Libya: a decision simply to maintain the rules of neutrality in a war
between two other States. But even so, the French emphasized that such enforced inactivity
was undertaken upon an express reservation of their rights to the B.E.T. region (ibid.). In any
event, this Turkish presence proved indeed short-lived. By the spring of 1912, Turkish troops
had commenced vacating the area (CMC, Ann. 27).
15. Not only was the Turkish presence in the B.E.T. brief and precarious, it appears to
have been solely and purely military. This was not disputed in the Libyan Memorial
(paras. 4.126-4.134), although the Libyan oral pleadings have now pointed to the civil
administration dimension of the Ottoman presence, without giving any clear evidence of this
(see e.g., Professor Dolzer, CR 93/20, pp. 23 and 34). It is noted that the Derde of the Tibesti
Toubous sought Turkish help following the French raid on Ain Galakka in 1907 and was given
the title of kaimakam for the Tibesti region, but as already noted, he, the Derde, turned soon
thereafter to the French for help. The mere provision of an Ottoman title, a paper title,
unsupported by other meaningful evidence of the exercise of sovereign authority demonstrates
little.
16. It is perhaps this inability to demonstrate any real civilian aspect to the short-lived
Ottoman presence that has induced Mr. Maghur to note on 19 June that "Ottoman rule was
indirect or delegated" (CR 93/19, p. 12). This allows a convenient circularity. For the
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inadequacy of the Ottoman presence is to be remedied by reference to the Senoussi Order and
the indigenous populations. To this, I shall return. But at this point, Mr. President, Members
of the Court, I wish to emphasize that whatever the Ottoman presence amounted to in practice,
such presence was not uncontested. As is apparent from documents appearing in our written
pleadings, between 1908 and 1911, the French protested against the Turkish presence in the
region and emphasized that the territory was part of the French sphere of influence established
under the Franco-British arrangements (CMC, Anns. 11 and 16). I would particularly note
that when the Ottoman Government accepted that a Franco-Ottoman Commission should meet
in autumn 1911 in order to demarcate the border between Tripolitania and French Sahara, the
French Government specifically informed the Ottoman authorities that
"[l]es commissaires français se refuseront à considérer les mesures prises par les
autorités turques pour étendre la domination ottomane sur le Tibesti and
le Borkou comme constituant des titres en faveur de la Turquie" (ibid., Ann. 25).
17. This pattern of protest is a very relevant factor in assessing the value of such
activities in the context of the establishment of territorial title. As Karl notes in the
Encyclopaedia of Public International Law, "[i]n legal terms, protest is a unilateral juridical
act in that it excludes legal effects which would result from its absence" ("Protest",
Encyclopaedia of Public International Law, ed. Bernhardt et al., Vol. 9, 1986, p. 320). One of
the legal effects of a protest is to rebut any presumption of acquiescence (ibid., p. 323). Protest
also serves another role, of course, and that is to preserve existing rights, so that the French in
so acting both questioned any title the Turks asserted and underlined their own rights. No
matter how exiguous the manifestations of Turkish presence in the B.E.T. were in fact, the
French authorities were not prepared to accept them and so they protested.
Mr. President, five minutes will enable me to finish a particular part here. I was
wondering whether ...
The PRESIDENT: Yes, carry on for five minutes.
Mr. SHAW: Thank you very much.
18. The Turkish presence in the B.E.T. was thus brief and tenuous. It is well recognized
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that a claim to title based upon the display of authority rests both upon the intention to act as a
sovereign and the actual exercise of such authority (as noted, for example, in the Eastern
Greenland case, (Judgment, 1933, P.C.I.J., Series A/B, No. 53, pp. 45-46)). This exercise of
authority is crucial not only with regard to the constitution of sovereignty, but also with regard
to its continuation (as stated in the Island of Palmas case, 2 RIAA, p. 839). Initial State activity
is a starting-point only; without its continuation over time at a certain level of intensity, it
would prove insufficient to generate an international title. While the acquisition of title is
indeed a relative concept, dependent to some extent upon local conditions, there is nevertheless
an indisputable core of sovereign activity that is required irrespective of the nature of the
territory concerned. This is particularly so if the activity is contested. Cursory endeavour
cannot suffice. Judge Huber in the Island of Palmas case, for example, declared that
occupation "to constitute a claim to territorial sovereignty, must be effective, that is, offer
certain guarantees to other States and their nationals" (op. cit., p. 846). It follows inevitably
from this that a minimal and purely military presence with no civil activity undertaken in the
territory operative only over a very few years intermittently simply cannot meet the required
criteria. The level of Turkish activity was accordingly significantly below the minimum
required. In addition, demonstration of the necessary animus occupandi requires rather more
than simple assertion by Libya, especially in view of the claimed partition of civil rights.
19. Indeed, Mr. President, Members of the Court, even Professor Cahier felt impelled to
admit of the claimed rights of the Ottoman Empire that "ces droits n'étaient pas clairement
établis" (CR 93/17, p. 13). Indeed so. The indisputable fact is that the Ottoman presence was
meagre, territorially circumscribed and above all transitory. They did not stay. They left and
this cannot be without legal consequence.
Mr. President, Members of the Court, I am grateful for the extra couple of minutes and
this would be a convenient moment to break and I would wish, with your permission, to
continue tomorrow morning.
The PRESIDENT: Yes, thank you Professor Shaw. We will continue tomorrow
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morning at 10 o'clock.
The Court rose at 1.05 p.m.
__________

Document Long Title

Audience publique tenue le 29 juin 1993, à 10 heures, au Palais de la Paix, sous la présidence de sir Robert Jennings, président

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