Audience publique tenue le mardi 13 juillet 1993, à 10 heures, au Palais de la Paix, sous la présidence de sir Robert Jennings, président

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083-19930713-ORA-01-00-BI
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Number (Press Release, Order, etc)
1993/31
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CR 93/31
Cour internationale International Court
de Justice of Justice
LA HAYE THE HAGUE
ANNEE 1993
Audience publique
tenue le mardi 13 juillet 1993, à 10 heures, au Palais de la Paix,
sous la présidence de sir Robert Jennings, président
en l'affaire du Différend territorial (Jamahiriya arabe libyenne)
____________
COMPTE RENDU
____________
YEAR 1993
Public sitting
held on Tuesday 13 July 1993, at 10 a.m., at the Peace Palace,
President Sir Robert Jennings presiding
in the case concerning Territorial Dispute
(Libyan Arab Jamahiriya/Chad)
_______________
VERBATIM RECORD
_______________
2
Présents : sir Robert Jennings, Président
M. Oda, Vice-Président
MM. Ago
Schwebel
Bedjaoui
Ni
Evensen
Tarassov
Guillaume
Shahabuddeen
Aguilar Mawdsley
Weeramantry
Ranjeva
Ajibola
Herczegh, juges
MM. Sette-Camara
Abi-Saab, juges ad hoc
M. Valencia-Ospina, Greffier
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Present: President Sir Robert Jennings
Vice-President Oda
Judges Ago
Schwebel
Bedjaoui
Ni
Evensen
Tarassov
Guillaume
Shahabuddeen
Aguilar Mawdsley
Weeramantry
Ranjeva
Ajibola
Herczegh
Judges ad hoc Sette-Camara
Abi-Saab
Registrar Valencia-Ospina
4
Le Gouvernement de la Jamahiriya arabe libyenne est représenté par :
S. Exc. M. Abdulatin Ibrahim El-Obeidi
ambassadeur,
comme agent;
M. Kamel H. El Maghur
membre du barreau de Libye,
M. Derek W. Bowett, C.B.E., Q.C., F.B.A.
professeur émérite, ancien titulaire de la chaire Whewell à l'Université de Cambridge,
M. Philippe Cahier
professeur de droit international à l'Institut universitaire de hautes études internationales
de l'Université de Genève,
M. Luigi Condorelli
professeur de droit international à l'Université de Genève,
M. James R. Crawford
titulaire de la chaire Whewell de droit international à l'Université de Cambridge,
M. Rudolf Dolzer
professeur de droit international à l'Université de Manheim,
Sir Ian Sinclair, K.C.M.G., Q.C.
M. Walter D. Sohier
membre des barreaux de l'état de New York et du district de Columbia,
comme conseils et avocats;
M. Timm T. Riedinger
Rechtsanwalt, Frere Cholmeley, Paris,
M. Rodman R. Bundy
avocat à la Cour, Frere Cholmeley, Paris,
M. Richard Meese
avocat à la Cour, Frere Cholmeley, Paris,
Mlle Loretta Malintroppi
avocat à la Cour, Frere Cholmeley, Paris,
Mlle Azza Maghur
membre du barreau de Libye,
comme conseils;
M. Scott b. Edmonds
cartographe, Maryland Cartographics Inc.,
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M. Benett A. Moe
cartographe, Maryland Cartographics Inc.,
M. Robert C. Rizzutti
cartographe, Maryland Cartographics Inc.,
comme experts.
Le Gouvernement de la République du Tchad est représenté par :
M. Abderahman Dadi, directeur de l'école nationale d'administration et de magistrature de
N'Djamena,
comme agent;
S. Exc. M. Mahamat Ali-Adoum, ministre des affaires étrangères de la République du Tchad,
comme coagent;
S. Exc. M. Ahmad Allam-Mi, ambassadeur de la République du Tchad en France,
S. Exc. M. Ramadane Barma, ambassadeur de la République du Tchad en Belgique et aux
Pays-Bas,
comme conseillers;
M. Alain Pellet, professeur à l'Université de Paris X - Nanterre et à l'Institut d'études
politiques de Paris,
comme agent adjoint, conseil et avocat;
M. Antonio Cassese, professeur de droit international à l'Institut universitaire européen de
Florence,
M. Jean-Pierre Cot, professeur à l'Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne),
M. Thomas M. Franck, titulaire de la chaire Becker de droit international et directeur du
centre d'études internationales de l'Université de New York,
Mme Rosalyn Higgins, Q.C., professeur de droit international à l'Université de Londres,
comme conseils et avocats,
M. Malcolm N. Shaw, titulaire de la chaire Ironsides Ray and Vials de droit à l'Université
de Leicester, membre du barreau d'Angleterre,
M. Jean-Marc Sorel, professeur à l'Université de Rennes,
comme avocats;
M. Jean Gateaud, ingénieur général géographe honoraire,
comme conseil et cartographe;
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Me Jean-Pierre Mignard, avocat à la Cour d'appel de Paris,
Me Marc Sassen, avocat et conseiller juridique, La Haye,
comme conseils;
Mme Margo Baender, assistante de recherche au centre d'études internationales de la Faculté
de droit de l'Université de New York,
M. Olivier Corten, assistant à la faculté de droit de l'Université libre de Bruxelles,
M. Renaud Dehousse, maître-assistant à l'Institut universitaire européen de Florence,
M. Jean-Marc Thouvenin, attaché temporaire d'enseignement et de recherche à l'Université
de Paris X - Nanterre,
M. Joseph Tjop, attaché temporaire d'enseignement et de recherche à l'Université de
Paris X - Nanterre,
comme conseillers et assistants de recherche;
Mme Rochelle Fenchel,
Mme Susan Hunt,
Mlle Florence Jovis,
Mme Mireille Jung,
Mme Martin Soulier-Moroni.
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The PRESIDENT : Please be seated. Professor Pellet.
M. PELLET : Merci Monsieur le Président. Monsieur le Président, Messieurs les juges, hier
matin, j'ai introduit la deuxième partie de nos plaidoiries.
Si vous le voulez bien, je change maintenant de fonctions. J'enlève ma casquette de guide pour
me présenter tête nue devant vous, puisque nous n'avons pas le bonheur de pouvoir coiffer les
"wigs"dont nos amis britanniques peuvent se parer, et j'aborde la substance même de cette deuxième
partie qui consiste surtout à analyser les trois actes internationaux pertinents auxquels renvoie le
traité de 1955.
1. Comme je l'ai rappelé hier, Monsieur le Président, l'objectif de l'article 3 et de l'annexe I est
de définir une ligne frontalière continue partant du golfe de Gabès et aboutissant au tripoint avec le
Soudan — d'où la nécessité pour les Parties de se référer à la fois à la déclaration franco-britannique
du 21 mars 1899 et à la convention supplémentaire du 8 septembre 1919. Ceci est la seule manière
de couvrir le secteur oriental de la frontière, tandis que l'échange de lettres franco-italien daté du 1er
novembre 1902 couvre, en ce qui le concerne, le secteur occidental du tropique du cancer au tripoint
avec le Niger, ce tripoint étant situé à l'intersection du 15e
méridien et de la ligne allant du tropique à
Toummo.
Monsieur le Président, il est clair qu'en 1955, la France et la Libye ont entendu déterminer une
ligne frontalière unique. Toutefois, pour la seule commodité de l'exposé, j'examinerai
successivement les problèmes juridiques — si problèmes il y a : la Libye en invente beaucoup —
concernant, d'une part, le secteur occidental de la frontière et, d'autre part, le secteur oriental.
I. Le secteur occidental de la frontière
2. Commençons, Monsieur le Président, si vous le voulez bien, par le secteur occidental. Pour
simplifier le raisonnement, je parlerai comme d'un tout de la ligne qui va de Toummo au tropique du
Cancer, mais en gardant à l'esprit le fait que la frontière commune du Tchad et de la Libye ne va pas
jusqu'à Toummo; au-delà du tripoint dont, du reste, la Libye n'a jamais dit un mot et dont
l'emplacement résulte de l'arrêté français du 18 février 1930, cette ligne sépare la Libye du Niger.
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- 2 -
3. Le tracé de la frontière dans ce secteur peut être déterminé de deux manières :
En premier lieu, les deux points extrêmes de ce segment de frontière sont fermement établis.
Le point de départ, à l'ouest, l'est par l'arrangement franco-italien du 12 septembre 1919, auquel
renvoie expressément l'annexe I au traité de 1955. Quant au point d'arrivée, il est déterminé par
l'article 3 de la déclaration de 1899 qui fait partir la limite de la zone française "du point de rencontre
du tropique du Cancer avec le 16e
degré de longitude est de Greenwich".
Ces points étant déterminés avec une précision suffisante par des actes dont la valeur juridique
est indiscutable, ont doit en déduire que la frontière est constituée par une ligne qui les relie. C'est du
reste bien ainsi qu'a procédé la Chambre de votre Cour dans l'affaire du Différend frontalier lorsque,
étant parvenue à la conclusion que la frontière passait par tels ou tels points,elle les a reliés entre eux
(voir par exemple C.I.J. Recueil 1986, p. 641). De la même manière, dans son arrêt du 11
septembre 1992, la Chambre constituée pour trancher l'autre différend frontalier entre El Salvador et
le Honduras a considéré qu'à défaut de critère contraire, la ligne frontière reliant entre eux deux
points juridiquement établis "doit être une ligne droit" (C.I.J. Recueil 1992, p. 437).
4. Mais en l'occurrence, et en second lieu, le tracé de la frontière entre Toummo et le tropique
du Cancer peut également être déduit de l'accord franco-italien de 1902.
Le professeur Condorelli, auquel une longue fréquentation de la sage Helvétie n'a rien enlevé
de sa fougue méridionale, fait mine s'émerveiller du "coup de théâtre" que le Tchad aurait ménagé "le
29 juin 1993 à la 11e
heure" (CR 93/28, p. 29), ce que, plus sobrement, M. Sohier avait également
souligné la veille (CR 93/27, p. 60).
Mon collègue et ami Condorelli est un spectateur bien indulgent d'applaudir à ce qu'il croit
être un retournement de situation. Il a probablement tout oublié des "épisodes précédents" ...
En tout cas, Monsieur le Président, le Tchad n'a pas modifié sa position d'un iota "le 29 juin à
la 11e
heure".
Analysant l'échange de lettres du 1er novembre 1902, il écrivait, dans son mémoire que
l'expression "limite de l'expansion française en Afrique septentrionale" vise "la frontière de la
Tripolitaine" figurant sur la carte du Livre jaune (p. 175, par. 118) et le Tchad ajoutait "l'Italie y
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reconnaît formellement la frontière — et non plus une simple limite zone d'influence — de la
Tripolitaine existant à l'époque" (p. 182, par. 148). Cette position est largement développée dans le
contre-mémoire tchadien (voir par exemple par. 8.158, p. 354) et dans la réplique (par. 2.46, p. 52;
voir aussi par. 2.47).
Le Tchad n'a pas modifié sa position et M. Sohier l'a bien vu, finalement, puisque, le 6 juillet,
il a reconnu ingénument que, lors de la présentation des accords de 1900-1902 par le Tchad durant le
premier tour des plaidoiries orales, "one heard largely a repetition of Chad's written pleadings" (CR
93/27, p. 72).
5. Du reste, ce n'est pas ce qui importe. La question est bien plutôt de savoir si
l'argumentation que j'ai développée était ou n'était pas fondée. Attachés qu'ils sont à présenter une
critique de la "mise en scène", nos contradicteurs sont étonnamment discrets sur le texte de la pièce.
Le seul élément qui semble avoir retenu leur attention est le suivant : selon eux, la maintenant
fameuse "ligne sinueuse" n'était pas la "vraie" frontière de la Tripolitaine et n'a pas été reconnue
comme telle par la france et l'Italie en 1902. M. Maghur nous l'a dit (CR 93/27, p. 23); M. Sohier
nous l'a redit — fort longuement — le 6 juillet (CR 93/27, p. 64 et suiv.) et, à nouveau, le 7, à trois
reprises différentes (CR 93/28, p. 12, 13 et 210; et le professeur Condorelli — qui avait pourtant
indiqué qu'il traiterait de la période ultérieure — y est revenu, lui, ... je ne compte plus, Monsieur le
Président : un très grand nombre de fois en tout cas (CR 93/28, p. 30, 31, 34-35, 36-38, etc.).
Quoiqu'en pense le professeur Crawford, la répétition d'une pétition de principe ne constitue
tout de même pas une preuve suffisante de son exactitude !
6. Que disent, sur le fond, les conseils de la Libye ? Simplement ceci : que la légende de la
carte du Livre jaune, à laquelle se réfèrent Prinetti et Barrère, n'identifie pas expressément "la ligne
sinueuse en pointillés qui encercle la Tripolitaine" comme une frontière (voir par exemple CR 93/27,
p. 67); d'autres fois, ils précisent que ce n'est pas une frontière "conventionnelle" (cf. CR 93/27, p.
23 — M. Maghuir — ou p. 68 in fine — M. Sohier).
Ceci m'oblige d'ailleurs, Monsieur le Président, à une digression. Elle sera brève, mais nous y
attachons une certaine importance : si certaines frontières sont conventionnelles, ceci ne veut pas
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dire que toutes les frontières sont ou doivent être conventionnelles. Ce n'est pas parce
qu'Epaminondas est à la fois crétois et menteur que tous les Crétois sont des menteurs !
Et il existe, de par le monde, quantité de limites interétatiques qui ne sont pas conventionnelles, mais
qui n'en sont pas moins de bonnes et véritables frontières; tel est du reste le cas de la plupart des
frontières entre les Etats issus du démembrement d'un même empire colonial et la principale fonction
du principe uti possidetis est d'en garantir la pérennité.
7. Dans notre cas, il est certain que la frontière de la Tripolitaine n'était pas, en 1902,
"conventionnelle", mais elle n'en était pas pour autant "notional" ou "uncertain" ou "undefined"
comme l'a dit M. Sohier (CR 93/27, p. 67; voir aussi p. 66).
Premièrement, la Libye elle-même a admis ceci en procédure : cette ligne, a-t-elle écrit, "was
commonly regarded at the time to be the Tripolitanian border" (contre-mémoire de la Libye, p. 237,
par. 4.254); bon, je veux bien admettre que ce n'est pas une raison décisive ! Mais
deuxièmement, c'est en effet ainsi que la plupart des cartes de l'époque figurent la frontière de
la Tripolitaine; et
troisièmement, le texte de l'accord franco-italien ne peut, en tout état de cause, pas être passé à
"pertes et profits" comme le voudrait la Partie libyenne.
Revenons, si vous le voulez bien, Monsieur le Président, sur ces deux derniers points.
8. Les cartes d'abord.
Je n'y insisterai pas beaucoup, Messieurs de la Cour, puisque le dossier de plaidoirie qui vous
a été distribué ce matin, ainsi qu'à la Partie libyenne, contient une liste de cartes établies durant la
période alant de 1892 à 1919 et figurant la frontière de la Tripolitaine, ou en tout cas, sa partie
occidentale, selon un tracé identique à celui de la carte du Livre jaune. Ces cartes sont au nombre de
vingt et une ce qui n'est pas négligeable. Certaines d'entre elles comportent une légende qui indique
qu'il s'agit là de la frontière de la Tripolitaine. D'autres ne disent rien. C'est le cas de celle du Livre
jaune. J'y reviendrai.
En revanche, la carte de Justus Perthes porte une telle légende et, quoi qu'en ait dit M. Sohier
le 6 juillet (CR 93/27, p. 65), cette légende, qui correspond bien à la représentation cartographique,
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pour autant qu'on ne la retouche pas, indique clairement d'abord
— que la ligne en pointillés correspond à une "frontière coloniale" (kolonialgrenzen) et ensuite
— que le surlignage plus épais de couleur orange claire, indique qu'il s'agit de la frontière de
"possessions ou protectorats turcs" (Turkische Besitzungen und Schutzländer).
Il est exact que, autour de Toummo, cette ligne figure la frontière en traits discontinus, alors
que, dès l'abord du tropique du Cancer, elle est, de nouveau, en pointillés continus. Sur les cartes
modernes, un tel procédé a la même signification qu'un disclaimer; peut-être est-ce que
Justus Perthes avait à l'esprit lorsqu'il a dessiné sa carte; je ne suis pas sûr que l'on puisse en tirer de
grandes conclusions au plan juridique. En tout cas il est certain que cette figuration cartographique
ne permet pas de voir dans cette ligne autre chose que la frontière coloniale d'une possession turque,
comme ceci est indiqué sur la légende.
Je ne reviens pas sur la "retouche" que la partie libyenne a cru pouvoir apporter à ce tracé
sans la signaler : M. Maghur a semblé contester la matérialité de cette "bavure" (CR 93/27, p. 21)
mais M. Sohier l'a reconnue (CR 93/27, p. 64). Dont acte. Je regrette cependant qu'au lieu de s'en
excuser, ce qui aurait été probablement le plus simple, mon contradicteur ait cru devoir, je dirais,
"contre-attaquer" en accusant le Tchad d'avoir produit, lui aussi, des documents "that misrepresent
or obscure a correct reading of the Livre jaune map" (CR 93/27, p. 68), ceci en reproduisant des
cartes en noir et blanc publiées dans le Bulletin du Comité de l'Afrique française ou dans Le Figaro.
Mais ce n'est pas du tout la même chose, Monsieur le Président ! Ces cartes existent; elles
n'ont pas été retouchées; au surplus, et ceci devrait rassurer nos contradicteurs, elles ne comportent
pas de légende en ce qui concerne la limite de la Tripolitaine; pas davantage que le Livre jaune.
Il est superflu de poursuivre cette escarmouche. Et il est assurément plus intéressant de
constater d'une part, que la frontière de la Tripolitaine tracée sur la carte du Livre jaune figure aussi
sur de nombreuses cartes de l'époque et, d'autre part, que lorsque ce tracé correspond à un élément
repris dans la légende, il est indiqué comme figurant une frontière coloniale.
9. Pas une "frontière conventionnelle", certes ! Mais une frontière; et, comme je l'ai dit il y a
quelques instants, il est tout à fait abusif d'assimiler "frontière" et "frontière conventionnelle".
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"Conventionnel", notre segment de frontière — de Toummo au tropique du Cancer — ne le
deviendra, justement, qu'en 1902, lorsque, par l'échange de lettres Prinetti-Barrère, l'Italie et la
France reconnaîtront que la ligne figurant sur la carte de 1899 est la frontière de la Tripolitaine.
Encore le caractère conventionnel de la frontière n'est-il alors qu'indirect et la Partie libyenne
n'a pas tort de remarquer qu'à l'époque l'Italie et la france n'exerçaient pas de souveraineté territoriale
dans la région et ne pouvaient donc pas établir une frontière (voir CR 93/27, p. 62). Ceci, au
demeurant, ne les empêchait nullement de reconnaître les frontières d'un Etat tiers. Ce n'est pas
quelque chose d'extraordinaire; il n'est pas rare qu'un ou plusieurs Etats tiers reconnaissent la
frontière d'un Etat avec lequel ils n'ont aucune frontière commune : le professeur Verhoeven en donne
plusieurs exemples dans son ouvrage sur La reconnaissance internationale dans la pratique
contemporaine, qu'il s'agisse de la ligne Oder-Neisse ou des frontières du Cambodge et j'indique
aussi, par manière de parenthèses, qu'il évoque également le cas de la reconnaissance de zones
d'influence préexistantes par des Etats tiers (Pédone, Paris, 1975, p. 320-335).
10. Bien entendu, l'Empire ottoman n'était pas lié par l'échange de lettres du
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er novembre 1902; mais la France l'était à l'égard de l'Italie comme l'Italie l'était à l'égard de la
france. Et j'avoue ne pas très bien comprendre ce que veut dire M. Sohier lorsqu'il affirme que cette
reconnaissance des limites du territoire ottoman par l'Italie "would involve a purely personal
undertaking towards France" (CR 93/27, p. 75). "Personal" ou pas, il y avait là un engagement
juridique et il n'y a strictement aucune raison pour que la "personne" — l'Italie — qui avait pris cet
engagement, en soit déliée au prétexte que, en 1912, elle prend effectivement possession de la sphère
d'expansion que lui avait reconnue la France.
C'est le contraire qui est exact : avant 1912, la France est encore assez loin dans le sud et
l'Italie n'est pas là du tout. Après 1912, au contraire, la France commence à s'installer effectivement
dans le nord du Tchad et l'Italie prend pied en Libye avec la bénédiction de la France qui reconnaît la
légitimité de sa présence. Tel était l'un des éléments du compromis de 1902. Mais il y a avait un
quid pro quo : outre le protectorat français au Maroc, qu'elle avait accepté par avance, l'Italie avait
reconnu la frontière de la Tripolitaine. Sans doute, vis-à-vis d'Etats tiers par rapport aux accords de
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1900-1902, l'Italie pouvait-elle se sentir libre de remettre en cause la frontière de la TripolitaineCyrénaïque
figurant sur la carte de 1899 et, en effet, elle la remettra en cause dans ses relations avec
la Grande-Bretagne. J'en redirai un mot. Mais, dans ses rapports avec la france, l'Italie était liée par
cette acceptation réciproque.
Telle est la situation donc dans laquelle se trouvait l'Italie à l'égard de la France. Et c'est
d'ailleurs probablement parce qu'elle en avait conscience qu'elle n'a jamais, en fait, remis en cause
cette portion de la frontière où aucun incident n'a été signalé par la Partie libyenne, pourtant fort
habile à les dénicher. Davantage même : l'Italie reconnaît qu'elle est liée. Ceci est manifeste si l'on
se reporte, par exemple, aux cartes nos 54 et 56 du mémoire libyen qui illustrent les programmes
coloniaux italiens maximal et minimal et figurent "la ligne sinueuse" avec la légende suivante (que je
traduis en français) : "Accords secrets France-Italie 14 et 16 décembre 1900 et 1er novembre 1902".
Peut-être l'Italie n'avait-elle pas remarqué le "talon d'Achille" de la position juridique de la
France ? En tout cas, elle a préféré s'en prendre au secteur oriental de la frontière, le "talon" que la
Partie libyenne semble pourtant tenir pour invulnérable...
11. Avant d'en venir à celui-ci, permettez-moi, Monsieur le Président, de récapituler
brièvement ce que l'on peut dire en ce qui concerne la partie occidentale de la frontière :
1) Toummo et l'intersection du tropique du Cancer et du 16e
méridien sont deux points fermement
établis par l'arrangement franco-italien du 12 septembre 1919 d'une part, et la déclaration
franco-britannique de 1899, d'autre part, deux accords auxquels fait expressément référence
l'annexe I au traité du 10 août 1955;
2) quand bien même ces deux points seuls auraient été fixés, il serait légitime de considérer qu'ils
sont reliés par une ligne droite qui constitue la frontière entre le Tchad et la Libye depuis le 15e
degré est de Greenwich. Mais,
3) ce tracé est confirmé par celui de la frontière de la Tripolitaine figurant sur la carte du
Livre jaune, dont les deux Parties sont d'accord pour considérer qu'il s'agit de la carte à laquelle
renvoie l'échange de lettres franco-italien daté du 1er novembre 1902;
4) par cet accord, la France et l'Italie ont accepté ce tracé qui correspond d'ailleurs à la frontière
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habituellement reconnue alors de la Tripolitaine; et
5) l'Italie est liée par cette reconnaissance à l'égard de la France, sans que,
6) elle puisse, après s'être emparée de la Tripolitaine, opposer à la France les revendications de
l'Empire ottoman sur un prétendu hinterland — d'autant moins que, lorsque l'accord de 1902 a
été conclu, l'Italie connaissait parfaitement les prétentions ottomanes, exprimées depuis 1890, et
elle s'était associée à la France et à la Grande-Bretagne pour les rejeter; je ne reviens pas sur ce
point, qui est suffisamment exposé dans les écritures du tchad (voir notamment : mémoire du
Tchad, p. 180-181; contre-mémoire, par. 5.37-5.43, p. 181-184; réplique, par. 2.19 à 2.26, p.
36-43).
II. Le secteur oriental de la frontière
12. J'en viens maintenant, Monsieur le Président, au secteur oriental de la frontière, celui qui
part de l'intersection du tropique du Cancer et du 16e
méridien et qui aboutit au point de rencontre du
24e
méridien et du parallèle 19o
30' nord.
Sa description textuelle, je l'ai rappelé hier, résulte de la combinaison de deux des instruments
internationaux définis dans l'annexe I au traité du 10 août 1955 : la déclaration franco-britannique du
21 mars 1899 d'une part, et la convention supplémentaire du 8 septembre 1919, d'autre part.
La première, la déclaration de 1899, fixe le point de départ de la ligne et son orientation
générale. La seconde, la convention supplémentaire de 1919, qui constitue l'interprétation
authentique de la déclaration, précise, en une formule cette fois dépourvue de toute ambiguïté, le
point d'arrivée de la frontière.
Bien entendu, cette ligne est opposable à la Partie libyenne puisqu'elle est fixée par deux actes
internationaux définis comme étant en vigueur par un traité en bonne et due forme, dont les Parties
s'accordent à reconnaître la validité et qui a été ratifié par la Libye indépendante elle-même : toujours
notre traité du 10 août 1955, qui, au surplus, indique, de la manière la plus claire, que cette ligne
constitue la frontière entre les deux Etats. Il faut le redire : peu d'Etats africains ont eu la possibilité
de définir eux-mêmes, formellement, leur frontière par un accord conclu directement avec la
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puissance coloniale voisine; la Libye a eu cette chance.
Trente-huit ans plus tard, ce pays entend pourtant revenir sur l'accord qu'il avait donné et,
sans attaquer de front le traité de 1955, nos contradicteurs essaient d'en faire un texte parfaitement
"transparent", sans aucune portée.
En ce qui concerne le secteur de la frontière qui nous occupe, ils nous disent en substance que
les actes de référence définis à l'annexe I ne peuvent produire d'autres effets juridiques que ceux qui
leur seraient de toutes manières attachés si le traité franco-libyen du 10 août 1955 n'avait pas été
conclu. "Un traité pour rien" en quelque sorte. Ce raisonnement n'est évidemment pas acceptable.
Poursuivons-le cependant.
Et suivant nos contradicteurs lorsqu'ils affirment que les accords de 1899 et de 1919 d'une
part, n'ont jamais lié l'Italie, à laquelle la Libye a succédé, et, d'autre part, que ces accords prévoient
des lignes incompatibles entre elles.
a) Une ligne unique
13. Monsieur le Président, examinons d'abord cette seconde objection à la lumière de ce qu'ont
soutenu les conseils de la Libye la semaine dernière. Ceci nous retiendra relativement peu : la
problématique est, maintenant clairement établie et rien de très nouveau n'a été dit par M. Sohier
mercredi dernier.
Vous connaissez les positions de la Libye, Messieurs de la Cour; vous connaissez également
les nôtres et je m'en voudrais, à ce stade tardif des plaidoiries, de vous infliger de longues redites.
Un mot cependant sur deux épisodes situés, l'un juste avant, l'autre juste après la signature de la
déclaration et auxquels les deux Parties attachent de l'importance. Je veux parler
— de "l'incident de négociation" du 19 mars 1899 et
— de la note de lord Sanderson à lord Salisbury du 27 mars.
14. Nous savons ce qui s'est produit le 19 mars : ce jour-là, Cambon, l'ambassadeur de France
à Londres, réagit à une proposition britannique qui aurait fixé le point d'aboutissement de la ligne de
direction sud-est au 18e
parallèle (c'était alors un point de départ puisque la ligne était décrite d'est en
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- 10 -
ouest). L'ambassadeur français s'y oppose en faisant valoir — je cite une de ses dépêches — "qu'il
[est] impossible de pousser la délimitation jusqu'au 18e
parallèle, ce qui serait nous enlever [à la
France] une partie notable des territoires que nous revendiquons au nord du Darfour" (mémoire du
Tchad, annexe 54). C'est à la suite de cette protestation que fut arrêtée la rédaction finale.
Mon contradicteur, qui s'appuie sur une surcharge ajoutée sur un projet manuscrit du 19 mars,
sur lequel le 15e
parallèle a été substitué au 18e degré nord (mémoire de la Libye, "British Archives
Annex", p. 35), en conclut que la ligne devait bien être strictement sud-est (CR 93/28, p. 23-24).
L'élément décisif qui contredit cette interprétation est, évidemment, la relation que donne Cambon de
l'épisode et qui permet de comprendre les motifs de son opposition à la proposition britannique : il
proteste parce qu'elle enlèverait à la france une partie notable des territoires qu'elle revendiquait au
nord du Darfour. Et ce n'est évidemment pas par l'abaissement de la ligne vers le sud qu'il pouvait
obtenir satisfaction ! C'est pourtant ce qu'affirme M. Sohier. On peut tenir pour acquis que la ligne
ne pouvait qu'être remontée vers le nord.
Comment, alors, expliquer le passage du 18e
au 15e
parallèle ? Assez simplement, je crois : et
en évitant de mêler deux problèmes différents; car il y en a deux, bien distincts :
— d'une part, celui de la ligne partant du tropique du Cancer; c'est à ce problème que s'applique le
raisonnement que je viens de rappeler; à cet égard, la France a intérêt à obtenir le relèvement de
la ligne; et la France l'obtient;
— d'autre part, et c'est un second problème, la France entend limiter l'ampleur de la zone
indéterminée dans laquelle la limite entre les sphères d'influence des deux parties doit encore être
fixée et qui fait l'objet de l'article 2 de la déclaration. A cet égard, la France a tout intérêt à
obtenir l'abaissement de la limite de la zone à délimiter. Et elle l'obtient également — non pas
que les Britanniques fussent des négociateurs particulièrement crédules; mais, comme le sait
(voir surtout contre-mémoire du tchad, par. 8.20, p. 306, et 8.62 à 8.75, p. 323-328), ils
n'éprouvent qu'un intérêt très limité pour la région qui fait l'objet des convoitises de la France.
Pour avoir fait se "téléscoper" les deux problèmes, M. Sohier les rend complètement
insolubles; en les distinguant on comprend à la fois le tracé finalement retenu et les motifs de la
11
- 11 -
satisfaction de Cambon : la zone à délimiter est cantonnée au sud du 15e
parallèle; la limite de la
zone française suit, certes, une direction sud-est mais aboutit nécessairement au nord du 18e
parallèle
au lieu d'avoir une ligne droite comme l'envisageait le projet britannique (et comme continue de la
rêver la Libye), on aune ligne en deux tronçons qui, assurément, accroît la zone française par rapport
à ce qu'avait proposé lord Salisbury.
15. Telle est la ligne, brisée approximativement à la hauteur du 19e
parallèle, que reproduit la
carte du Livre jaune, et ceci conduit à parler du second épisode que j'ai évoqué : la note de
lord Sanderson à lord Salisbury du 27 mars, soit à une date que je croyais être postérieure de
six jours à la signature de la déclaration. Mais les révélations faites par M. Sohier le 7 juillet
bouleversent les idées que j'avais sur ce point. Il ne s'agit pas vraiment d'un coup de théâtre mais
quand même :
— En premier lieu, mon contradicteur a affirmé que lord Sanderson n'était pas ambassadeur à
Paris et ne l'avait jamais été; je ne demande qu'à le croire; mais je dois tout de même indiquer que
j'avais tiré mon savoir, apparemment erroné, des meilleures sources puisque c'est le paragraphe 4.60
du contre-mémoire de la Libye qui m'avait appris qu'il était "British Ambassador in Paris". Ce n'est
pas grave.
— En second lieu, et ceci est infiniment plus lourd de conséquences, M. Sohier a également
déclaré que lord Sanderson "happened to be in Paris when he sent this note [il s'agit de la note du
27 mars] ... for the initialling of the Treaty" (CR 93/28, p. 20).
Si tel est vraiment le cas, il s'agit-là d'une précision importante : cela signifie que
lord Sanderson a eu connaissance de la carte du Livre jaune au moment où il est à Paris pour
parapher le traité — et l'on sait qu'il connaît cette carte puisqu'il attire l'attention sur elle par la note
dont la Partie libyenne fait si grand cas, en date du 27 mars; lord Salisbury n'y réagit pas autrement
qu'en y apposant ses initiales ... lord Sanderson paraphe l'accord. Voici, assurément, qui renforce
l'argumentation du Tchad qui a toujours considéré que la carte du Livre jaune constituait une
interprétation particulièrement autorisée de la déclaration; si ce qu'a expliqué M. Sohier, sans citer
ses sources, dans sa plaidoirie du 7 juillet est avéré, cette interprétation en devient authentique.
12
- 12 -
16. Oui mais, nous dit toujours M. Sohier, les cartes britanniques de l'époque portent, elles, le
tracé mathématique. Ceci prouve peut-être une déficience dans la transmission des informations aux
cartographes; au pire, un petit brin de duplicité de la part de l'administration britannique.
Au surplus, cette constance est moins grande que ne le dit mon contradicteur : la
correspondance de McMichael à Vansittart le montre bien (voir par exemple l'annexe P12 au
mémoire du tchad et l'annexe 42 à la réplique) : il en ressort que la majorité des cartes britanniques
antérieures à 1914
"used to follow the spirit of the 1899 Agreement and have this South-East line draw not
due South-East but roughly in a South-Easterly direction" (mémoire du Tchad,
annexe P12).
M. Sohier écarte ceci d'un revers de la main : basé au Soudan, McMichael "clearly had
incomplete knowledge of the British maps issued" (CR 93/28, p. 20). Que sa connaissance fût
incomplète, sans doute; mais, justement parce que McMichael était sur le terrain, proche de la région
contestée — et Khartoum manifesta toujours moins d'indifférence pour celle-ci que Londres — ce
haut fonctionnaire avait certainement avait certainement à sa disposition les cartes les plus utilisées
et les plus précises. Il est au surplus fort intéressant qu'il ait constamment manifesté sa conviction,
très motivée, de l'équivalence des lignes de 1899 et de 1919. Le Tchad, Monsieur le Président, ne
peut que s'en sentir renforcé dans la sienne : la limite de 1899 et celle de 1919 sont identiques.
b) Une frontière opposable à la Libye
17. Cette ligne unique est-elle opposable à la Libye ? L'était-elle à l'Italie ?
La thèse fondamentale de nos contradicteurs est, bien sûr, qu'il n'en est rien puisque, d'une
part, la ligne de 1899 n'est pas même la limite d'une zone d'influence et que, d'autre part, l'Italie, qui
n'est pas partie à la convention supplémentaire de 1919, a toujours protesté contre la frontière
qu'arrêtait cet instrument.
La thèse fondamentale de nos contradicteurs est, bien sûr, qu'il n'en est rien puisque, d'une
part, la ligne de 1899 n'est pas même la limite d'une zone d'influence et que, d'autre part, l'Italie, qui
n'est pas partie à la convention supplémentaire de 1919, a toujours protesté contre la frontière
qu'arrêtait cet instrument.
13
- 13 -
La discussion semble pouvoir être assez étroitement circonscrite car un certain nombre de
points me paraissent acquis :
1) la limite de 1899 s'est consolidée en une frontière du fait de la prise de possession effective
par la France de la zone d'influence que la Grande-Bretagne lui avait reconnue — je ne reviens pas
là-dessus, j'en ai parlé hier;
2) les lignes de 1899 et 1919 sont identiques; nous venons de voir que les arguments présentés
par la Libye lors de sa réplique orale confortent cette thèse; dès lors,
3) si l'Italie a reconnu le tracé de 1899, celui de 1919 lui est également et ipso facto
opposable. Je sais bien que ce n'est pas l'avis des conseils de la Partie libyenne (voir CR 93/29,
p. 64); mais ils partent du postulat erroné que les deux lignes sont distinctes et ce n'est certainement
pas parce que l'Italie a protesté contre la frontière de 1919 que cette erreur serait devenue une vérité.
18. Je crois avoir montré tout à l'heure que, par les accords de 1900-1902, la France et l'Italie
avaient reconnu — dans leurs rapports inter se — les frontières de la Tripolitaine. Si ces frontières
avaient jouxté la zone française sur toute son étendue, du même coup elles auraient également
constitué la frontière de cette zone.
Mais, comme on le voit sur la carte du Livre jaune, ceci n'est exact que pour le secteur
occidental de la frontière. A partir de l'intersection du tropique du Cancer et du 16e
méridien, ces
lignes divergent, vers le nord-est et vers le sud-est.
Tout occupés par le "coup de théâtre" qu'il sont cru déceler dans ma précédente plaidoirie, mes
contradicteurs affirment que le Tchad admet dès lors que la ligne de 1899 n'était pas opposable à
l'Italie (voir par exemple CR 93/28, p. 30-31). Je n'ai, à vrai dire, pas dit cela. Le 29 juin dernier,
j'ai au contraire souligné que le ministre italien des affaires étrangères, Prinetti, connaissait la carte
de 1899 et avait exigé qu'elle fût expressément mentionnée dans l'échange de lettres du
1
er novembre 1902 et que dès lors l'Italie ne pouvait plus, de bonne foi, contester le tracé de la zone
française qui figure sur cette carte.
J'avais seulement fait observer que cette reconnaissance ne découlait pas d'une interprétation littérale
de l'accord de 1902 (CR 93/23, p. 34-35). Ceci, qui était vrai le 29 juin, le demeure le 13 juillet...
14
- 14 -
19. Quid cependant, si l'on s'en tient à une interprétation littérale ? Comme je l'ai dit aussi il y
a quinze jours : il en résulte une liberté plus grande encore de la France — au moins vis-à-vis de
l'Italie—, puisque, du moment qu'elle n'empiète pas sur le territoire du vilayet de Tripoli, la France
est libre de ses mouvements sans que l'Italie soit fondée à protester contre une éventuelle extension
de l'expansion française.
Le professeur Condorelli exerce son ironie contre ce qu'il croît être la "nouvelle thèse" du
Tchad. Comment, nous dit-il, la France a obtenu de l'Italie la reconnaissance d'une sphère
d'influence qui s'étend jusqu'aux frontières de la Tripolitaine-Cyrénaïque et elle ne réagit pas lorsque
l'Italie sort de ces frontières ? Et (cette fois je le cite) : "Est-il crédible que la France se soit
publiquement réjouie de ce qui constituait les violations par l'Italie des droits qu'elle avait envers
cette même Italie ?" (CR 93/28, p. 38).
Mon fougueux contradicteur va peut-être un peu vite ! La France a des droits, certes ! Mais
elle a aussi une politique, des intérêts et des obligations à l'égard de la Grande-Bretagne. Sa
politique, fort constante, et ses intérêts sont clairs : ils sont d'assurer la continuité de son empire
colonial des rives de la Méditerranée à celles du Congo et de garantir la sécurité de ses possessions
autour du lac Tchad, ce qui est réalisé par le glacis protecteur des hauteurs du Tibesti et du Borkou.
On voit mal pourquoi elle protesterait, du moment que l'Italie ne s'aventure pas au-delà. J'ai
d'ailleurs bien retenu les leçons du professeur Crawford lors du premier tour de plaidoiries; il nous a
dit que :
"Since the sphere of influence agreement is merely a bilateral treaty obligation
[the acquisition of territory by one of the contracting party on the wrong side of the line]
would be legally effective as against the world. Vis-à-vis the other State party, the
acquisition ... might be cured by recognition by the injured State, or it might be simply
ignored." (CR 93/19, p. 51.)
Au pire, l'on pourrait admettre que c'est ce qui s'est produit du fait du silence de la France face à
l'avancée des Italiens vers le sud.
20. Mais, en réalité, les Français ne pouvaient, juridiquement, pas protester : par la
déclaration de 1899, la France s'était engagée, vis-à-vis de la Grande-Bretagne, à ne pas étendre sa
zone d'influence au-delà de la limite fixée alors. Soit, ironise à nouveau le professeur Condorelli !
15
- 15 -
Mais la Grande-Bretagne elle-même n'a pas protesté face à l'avance italienne (CR 93/28, p. 37).
Ceci, à vrai dire, c'est l'affaire de la Grande-Bretagne, pas de la France; et l'on sait à quel
point, dès l'origine, Londres se montre peu empressée pour occuper les arpents de sable du désert
libyen. Au demeurant, ce n'est tout de même que par l'accord de Rome du 30 juillet 1934 que la
Grande-Bretagne va renoncer à ses prétentions.
21. Monsieur le Président, il est temps pour moi de résumer les principaux éléments que l'on
peut dégager de ces analyses en ce qui concerne le tracé du secteur oriental de la
frontière tchado-libyenne :
premièrement, l'article 3 de la déclaration franco-britannique du 21 mars 1899 fixe de façon
très claire le point de départ de ce secteur à l'intersection du tropique du Cancer et du
16e
méridien est;
deuxièmement, il est impossible d'interpréter la ligne descendant "dans la direction du sud-est"
décrite de façon approximative par cette disposition, de façon stricte et mathématique : ceci est
totalement incompatible avec les travaux préparatoires de l'accord et, notamment, avec le compromis
qui est intervenu le 19 mars 1899;
troisièmement, ceci est également exclu par la carte du Livre jaune, établie aussitôt après la
conclusion de la déclaration et vraisemblablement même, selon la Partie libyenne, avant ou au
moment où elle était paraphée par lord Sanderson; cette carte, en tout cas aussitôt connue des
Britanniques et contre laquelle ils n'ont pas protesté, constitue une interprétation authentique du texte
de l'accord et figure, pour ce qui nous intéresse, une ligne dans la direction du sud-est, qui aboutit au
24e
méridien à peu près — il s'agit, il ne faut pas l'oublier, d'une carte au 1/12 000 000e
—, à peu
près donc, à la hauteur du 19e
parallèle nord;
quatrièmement, cette interprétation est en tous points confirmée par la convention
supplémentaire du 8 septembre 1919, qui fixe ce point terminal de la frontière à l'intersection du 24e
degré de longitude est avec le parallèle 19o
30' de latitude;
cinquièmement, l'Italie, qui avait eu connaissance de la carte du Livre jaune et avait même
exigé qu'elle soit expressément mentionnée par l'échange de lettres du 1er novembre 1902, n'a jamais,
16
- 16 -
avant 1919, protesté contre cette ligne et ne pouvait, de bonne foi, la contester;
sixièmement, en tout état de cause, ce pays, qui avait accepté que la limite de l'expansion
française en Afrique septentrionale fût constituée par la frontière de la Tripolitaine indiquée sur la
carte de 1899, ne pouvait pas s'opposer à cette expansion du moment que la France ne dépassait pas
cette limite; et
septièmement et enfin, dès lors que la france s'était effectivement établie dans la zone qui lui
avait été reconnue, les limites de celle-ci constituaient les frontières de ses possessions coloniales;
celles-ci sont bien celles prévues par la déclaration de 1899 et la convention de 1919.
22. Toutefois, Monsieur le Président, je souhaite, pour terminer, revenir à l'essentiel car,
décidément, il ne faut pas perdre de vue le traité franco-libyen de 1955. Il simplifie beaucoup la
problématique puisqu'il résout, de la manière la plus simple encore une fois, le problème de
l'existence et de l'opposabilité de la frontière à la Libye : celle-ci existe et lui est opposable puisque
les deux parties — dont la Libye — décident qu'il en est bien ainsi. Il simplifie aussi la question du
tracé même de la frontière en renvoyant à la fois à la déclaration de 1899 et à la convention de 1919,
qui en constituent l'interprétation authentique.
Monsieur le Président, Messieurs les juges, je vous remercie de votre patiente attention et, si
vous le voulez bien, Monsieur le Président, le professeur Cassese me succédera pour préciser
brièvement certains points relatifs au traité mort-né de 1935 et à certains incidents qui confirment le
tracé que je viens de décrire.
Je vous remercie, Monsieur le Président.
The PRESIDENT : Thank you, Professor Pellet. Professor Cassese.
17
- 17 -
M. CASSESE :
I. INTRODUCTION
1. Monsieur le Président, Messieurs les juges, le professeur Pellet a montré hier que l'article 3
du traité de 1955 n'exclut en rien le recours aux effectivités. L'examen des effectivités montre que la
délimitation des sphères d'influence, opérée par les conventions de 1899 et 1902, s'est
progressivement transformée, dans la pratique, en une délimitation de frontière. Il est d'ailleurs
symptomatique que la convention anglo-française de 1919 parle de "frontières des possessions
coloniales anglaises et françaises".
Avec votre permission, Monsieur le Président, je vais donc revenir une dernière fois sur les
effectivités — ce sera la dernière fois, je vous assure, Monsieur le Président — en tant que
confirmation du titre conventionnel français cette fois. Comme le Tchad s'est déjà longuement
penché sur cette question, aussi bien dans ses écritures qu'à l'occasion du premier tour des
plaidoiries, je me bornerai à revenir sur les trois principaux épisodes : le traité Laval-Mussolini de
1935, et les incidents de Jef-Jef de 1938 et d'Aouzou de 1955.
Ces trois épisodes revêtent en effet une importance particulière.
Le traité de 1935 marque un tournant dans l'affaire qui nous occupe. L'Italie, qui avait
jusque-là protesté contre la présence française dans le BET, change son fusil d'épaule.
En signant cet accord, elle reconnaît indirectement que le territoire qui lui est cédé était sous
souveraineté française. Certes, le traité n'entrera jamais en vigueur, mais cette reconnaissance, elle,
demeurera, comme en témoigne l'incident de Jef-Jef. La Libye ne se comportera pas différemment à
l'occasion de l'incident d'Aouzou.
Messieurs de la Cour, quoi qu'en dise la Libye, la valeur de ces épisodes tient à leur
convergence. Tous montrent que la bande d'Aouzou se trouvait sous l'emprise souveraine de la
France, et que, pour toutes les parties concernées, il n'y avait qu'une seule frontière, qui
correspondait à la ligne tracée par les accords de 1899-1919.
2. LE TRAITE LAVAL-MUSSOLINI (1935)
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- 18 -
2. Monsieur le Président, je commencerai donc par le traité Laval-Mussolini.
Dans ma plaidoirie du 30 juin, j'ai mis en exergue le fait que, pour la France et l'Italie, le traité
de 1935 visait à céder à l'Italie une portion de territoire soumise à la souveraineté française, ce que
nous appelons aujourd'hui "la bande d'Aouzou".
Mais de l'autre côté de la barre, on a réplique que, bien sûr, les Italiens et les Français ont
parlé à l'époque, et dans les années qui suivirent, d'une cession de la bande d'Aouzou à l'Italie;
cependant, disent-ils, lorsqu'ils ont utilisé cette expression, ils lui ont donné un sens différent.
Par cession, nous dit-on, les Français entendaient une translation de souveraineté (et
naturellement, ils ne prenaient cette position que pour des raisons tactiques, dictées par ce que nos
contradicteurs appellent la "stratégie de négociation française"). En revanche, les Italiens donnaient
une toute autre signification à cette expression cession : d'après la Partie libyenne, ils entendaient par
là que :
«l'application du traité de Rome ... aurait effectivement impliqué un retrait des forces
militaires françaises des quelques localités de la zone nord de la ligne de 1935 où elles
venaient de s'installer, et simultanément une remise de ces localités entre les mains
italiennes" (CR 3/28, p. 45; les italiques sont de nous).
Donc, d'après nos contradicteurs, pour les Italiens, le terme cession évoquait une simple
opération militaire : l'évacuation par les Français de la bande d'Aouzou et non pas un transfert du
titre souverain.
3. Monsieur le Président, cette interprétation procède d'un syllogisme très simple : primo, les
Français n'avaient pas de titre souverain sur la zone; secundo, ils ne pouvaient donc pas transférer de
titre aux Italiens; tertio, et par voie de conséquence, il faut interpréter le terme cession comme une
simple évacuation militaire d'une zone occupée à titre provisoire. Ainsi, Monsieur le Président, tout
le raisonnement repose sur une simple pétition de principe; à savoir l'affirmation erronée selon
laquelle la France ne jouissait pas de droits souverains sur le BET.
Cette pétition de principe conduit nos éminents collègues de l'autre côté de la barre à
interpréter l'expression cession d'une manière fort surprenante, qui va à l'encontre de l'acception
habituelle du terme.
4. En effet, lorsque l'on parle de cession dans les relations internationales, on envisage
19
- 19 -
nécessairement la
"renonciation faite par un Etat, en faveur d'un autre Etat, aux droits et titres que
pourrait avoir [à un] territoire le premier de ces Etats" (ce sont les mots d'une sentence
arbitrale du 3 septembre 1924, RSA, vol. I, p. 443).
Et, Messieurs les juges, vous trouverez la même définition non seulement dans d'autres
sentences internationales, par exemple celle du 16 mars 1956 de la commission de conciliation
franco-italienne (RSA, vol. XIII, p. 642-658), mais encore dans les dictionnaires juridiques les plus
connus : par exemple, celui du Basdevant (Dictionnaire de la terminologie du droit international,
Paris, 1960, p. 109-110), le Vocabulaire juridique de l'association Henri Capitant (Paris, 1990,
p. 125) et le Manuel de la terminologie du droit international public (Bruxelles, 1983, p. 208).
Tous les manuels italiens de droit international de l'époque, par exemple ceux de Fiore
(Trattato di diritto internazionale publico, 3e
éd., Torino, 1987, vol. I, p. 219-230); Diena (Diritto
internazionale, I, 2e
éd., Napoli, 1914, p. 229-236; 3e
éd., Milano, 1930, p. 268-276); Cavaglieri
(Règles du droit de la paix, Recueil des Cours (1929-I), p. 412-413, 416 et suiv.); Santi Romano
(Corso di diritto internazionale, Roma, 3e
éd., 1933, p. 176-177); Balladore Pallieri (Diritto
internazionale publico, Milano, 1937, p. 419-421), tous définissent la cession comme le transfert
d'un titre territorial par l'Etat détenteur de la souveraineté.
La même position était soutenue par la doctrine non italienne de l'époque, par exemple,
l'Autrichien Verdross (Règles générales du droit international de la paix, Recueil des Cours
(1929-V), p. 347-377), ou l'Allemand Strupp (Les règles générales du droit de la paix, Recueil des
Cours (1934-I), p. 485-491).
Pourquoi les diplomates italiens se seraient-ils éloignés de l'usage courant ?
5. A moins, bien sûr, que la Partie libyenne ne suppose que les diplomates, les jurisconsultes
et les responsables politiques italiens de l'époque aient été incapables de manier les termes juridiques
les plus élémentaires et les plus connus.
6. Mais il y a une raison encore plus substantielle pour estimer que le traité Laval-Mussolini
visait à transférer à l'Italie un bout de territoire soumis à la souveraineté française. Déjà, à la
conférence de la paix, en 1919, les autorités italiennes avaient officiellement reconnu que le BET
20
- 20 -
était soumis à l'autorité souveraine de la France, en demandant que celle-ci
"lui cède ... les territoires sahariens du Tibesti, du Borkou et de l'Ennedi tous [sic]
entiers, dans leurs délimitations géographiques et ethniques" (mémoire du Tchad,
annexe 9, p. 926).
Cela, Monsieur le Président, fut répété par le ministre italien des affaires étrangères, Tittoni, à
la chambre des députés (mémoire du tchad, annexe 337), toujours en 1919.
7. Tout cela, Monsieur le Président, confirme notre lecture du traité Laval-Mussolini. Tant du
point de vue juridique que du point de vue historique, cet accord, le traité Laval-Mussolini, n'a de
sens que si on l'interprète comme une cession par la france des droits souverains qu'elle détenait sur
la bande d'Aouzou. Le traité partait du principe que la bande d'Aouzou, dans les limites définies en
1899-1919, appartenait à la France. Son élaboration et sa signature ont donc confirmé et renforcé
la ligne frontière établie en 1899-1919.
3. L'INCIDENT DE JEF-JEF
8. Monsieur le Président, cette confirmation devait se manifester d'une manière encore plus
éclatante en 1938, lors de l'incident de Jef-Jef. J'en viens ainsi au deuxième point de ma plaidoirie.
Comme j'ai déjà traité amplement de cet épisode lors de ma plaidoirie du 30 juin, point n'est
besoin pour moi d'y revenir longuement. Permettez-moi toutefois, Monsieur le Président, un bref
rappel des faits et quelques réponses aux critiques de nos contradicteurs.
9. En deux mots, l'épisode consiste en ceci : à trois reprises, un petit groupe d'Italiens, des
ouvriers d'abord et des militaires ensuite, se rend à Jef-Jef, au coeur de la bande d'Aouzou, pour y
creuser un puits. A chaque reprise, ils sont expulsés par les militaires français. Par la suite, l'Italie
expliquera au Quai d'Orsay les raisons pacifiques de ces intrusions sans jamais avancer la moindre
prétention juridique, tandis que la France réaffirmera dans les termes les plus nets sa souveraineté
sur la zone.
10. Nos contradicteurs, de toute évidence gênés par cette affaire, font semblant de ne pas avoir
lu les documents pertinents, tant français qu'italiens. Ainsi, par exemple, mon éminent collègue le
professeur Bowett a dit que cet incident fait ressortir un seul fait, à savoir "unarmed Italian workmen
chose not to argue with armed French soldiers" (CR 93/29, p. 53).
21
- 21 -
Or, cette affirmation est contredite par tous les documents relatifs à cet incident qui montrent
que les deuxième et troisième incursions italiennes furent menées par des militaires italiens. Du
reste, ce point a été admis par un des collègues du professeur Bowett, à savoir le
professeur Condorelli (CR 93/28, p. 48-49).
11. En revanche, ce dernier semble avoir parcouru d'un oeil distrait les documents pertinents
lorsqu'il affirme que les Italiens avaient envoyé une "protestation" à la France (ibid., p. 48).
Bien que le gouverneur italien de la Libye, Italo Balbo, ait instamment pressé Rome de
protester, Rome se contenta d'inviter l'ambassade italienne à Paris à "entretenir" ("intrattenere") le
Quai d'Orsay de ces événements (mémoire du Tchad, annexe 197), et de fait, l'aide-mémoire italien
est une note d'explication polie, très modérée, dans laquelle on souligne les motivations pacifiques de
l'initiative italienne et il n'y a pas l'ombre de la moindre protestation.
12. Nos contradicteurs font aussi valoir qu'ils n'ont pas trouvé trace, dans les documents
pertinents, d'une reconnaissance de la souveraineté française par les militaires italiens à l'occasion de
la troisième incursion à Jef-Jef.
Sans doute, pressés par le temps, nos collègues n'ont-ils pas achevé la lecture du document
dans lequel cet épisode est rapporté.
S'ils l'avaient fait, ils auraient noté qu'on y dit en toutes lettres que "[le] lieutenant italien Greco
reconnaît formellement [que] le Rocher Noir (Jef-Jef) [est] situé en territoire français"
(contre-mémoire du Tchad, annexe 83, p. 545). Voilà bien une reconnaissance explicite de la
souveraineté française sur la bande d'Aouzou.
13. Au demeurant, les marques concrètes de cette souveraineté furent présentes à tout
moment, contrairement à ce qu'avancent nos contradicteurs qui, là encore, donnent l'impression de ne
lire que la moitié de chaque document.
Vous vous rappellerez que "les marques de souveraineté italienne" triomphalement annoncées
par la Partie adverse se réduisaient en fait à du papier à en-tête italien que l'on avait laissé dans des
tonneaux près de Jef-Jef. Nos contradicteurs affirment que les Français se bornèrent à remplacer le
papier à en-tête italien par du papier à en-tête français (CR 93/28, p. 50).
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Malheureusement pour eux, si vous lisez les deux télégrammes jusqu'au bout, vous verrez que
les Français ajoutent :
«Groupe [militaire] permanent avec lieutenant et T.S.F. [télégraphe sans fil] se
retranche sommet Jef-Jef où flotte drapeau tricolore." (Contre-mémoire du Tchad,
annexe 83, p. 540 et 542.)
Voilà, Monsieur le Président, de véritables marques de souveraineté : un groupe "permanent"
des militaires en armes, un appareil radio, le drapeau français. Le contraste, Monsieur le Président,
est criant : d'un côté du papier à en-tête, de l'autre des manifestations indiscutables d'autorité
souveraine.
14. Enfin — et je dirais même surtout — à l'occasion de l'incident de Jef-Jef, l'Italie
reconnaîtra explicitement que la ligne 1899-1919 constituait la frontière méridionale de la Libye.
Cela résulte sans équivoque possible du croquis que le gouverneur général de la Libye, Italo Balbo,
envoya de Tripoli à Rome (mémoire du Tchad, annexe 203), et de l'aide-mémoire que l'ambassadeur
italien à Paris fit parvenir au Quai d'Orsay (mémoire du tchad, annexe 199).
Ces deux documents présentent clairement le tracé de 1899-1919 comme la frontière sud de la
Libye.
4. L'INCIDENT D'AOUZOU (1955)
15. Monsieur le Président, j'en arrive ainsi à l'incident d'Aouzou, qui remonte vous le savez à
1955. Comme je l'ai dit dans ma plaidoirie du 1er juillet, en février 1955 une mission civile libyenne,
escortée par des militaires, fut interceptée par les soldats français à Moya, à 10 kilomètres au nord
d'Aouzou, et immédiatement reconduite à la frontière. Le Quai d'Orsay protesta formellement contre
cette violation flagrante de la souveraineté française, à la suite de quoi le président du conseil libyen,
Ben Halim, reconnut — et sans la moindre réserve — que la zone était soumise à l'autorité française.
16. Voilà les faits, Monsieur le Président. Contrairement à ce qu'affirme la Partie adverse, ils
sont loin d'être obscurs ou controversés. Ils sont établis de la manière la plus claire dans une réponse
écrite du ministre français des affaires étrangères, M. Pinay, à un parlementaire français (mémoire
du tchad, p. 285-286) — une réponse que la Partie adverse passe nonchalamment sous silence
malgré la profusion de détails précis que cette réponse offre.
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- 23 -
En vérité, le traitement de cette affaire par la Partie adverse a de quoi surprendre. Au premier
tour des plaidoiries, les conseils de la Libye n'ont pas soufflé mot de l'incident. Au deuxième tour,
sir Ian Sinclair s'est borné à noter que notre version de l'épisode était "colorée", et a renvoyé les juges
au contre-mémoire (CR 93/27, p. 52-53).
Ensuite, le professeur Bowett, après avoir relevé que la cour avait entendu "more than
enough" sur cet incident, lui a consacré quatre, je dis bien quatre, lignes.
Monsieur le Président, je sais que nos amis Britanniques ont un penchant marqué pour le
"understatement". Mais il me semble que, dans ce cas, on a plutôt affaire à ce procédé qu'ont si bien
décrit Agatha Christie ou P. D. James, dans la grande tradition britannique des romans de série noire
: le recel hâtif d'un cadavre encombrant.
Oui, Monsieur le Président, l'épisode d'Aouzou constitue un cadavre encombrant pour la
Partie adverse, car il révèle au moins quatre indices essentiels : primo, six mois seulement avant la
signature du traité du 10 août 1955, on confirme à nouveau la souveraineté française sur la bande
d'Aouzou; secundo, cette reconnaissance est le fait non plus de l'Italie, mais de l'Etat successeur, la
Libye; tertio, cette reconnaissance émane de la plus haute autorité de la Libye, le président du
Conseil Ben Halim; quarto, la France, dans ses protestations, insiste sur la frontière existante, telle
qu'elle résulte des "actes internationaux", à savoir les accords de 1899-1919. La reconnaissance
libyenne, de Ben Halim, intervenant après les protestations françaises, s'étend donc à cette ligne
frontière.
Du reste, la position adoptée par le président Ben Halim à l'occasion de l'incident d'Aouzou
devait être pleinement confirmée dans les semaines qui suivirent. En effet, au cours des négociations
du traité d'amitié de 1955, Ben Halim reconnut que les accords existants devaient être appliqués et
que cela excluait la ligne prévue par l'accord de 1935 (voir mémoire du Tchad, annexe 268).
17. Monsieur le Président, je ne crois pas utile de répondre point par point aux objections
formulées par le contre-mémoire libyen, auquel sir Ian Sinclair a renvoyé la cour, car l'attitude de
nos contradicteurs tient du rituel incantatoire. En répétant à l'envi qu'il ne s'agit là que d'un incident
banal, dépourvu de signification réelle, ils s'efforcent de se convaincre de ce qu'il ne peut miner leurs
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fragiles échafaudages juridiques — dans le vain espoir que la Cour les suivra sur ce terrain.
La vérité est que la Libye n'a pas été en mesure d'offrir un seul motif valable pour lequel la
valeur probante de cet incident ne devrait pas être retenue.
18. Un mot, toutefois, sur ce que la Partie adverse considère comme le coup fatal à notre
thèse. D'après nos contradicteurs, l'affaire ne pourrait avoir de valeur que par rapport au seul village
d'Aouzou (contre-mémoire de la Libye, par. 8.47, et CR 93/29, p. 54).
La réponse, Monsieur le Président, est facile. Aouzou est la seule localité importante de la
région : ce n'est pas par hasard que l'on parle de la "bande d'Aouzou". Je rappellerai à ce sujet ce
que j'ai dit dans ma plaidoirie du 30 juin à propos des modalités de l'occupation française : qui tient
les oasis tient la région.
Aurait-il fallu attendre qu'une série d'incidents s'étende aux autres localités de la zone — des
villages minuscules — et aux landes arides du désert, pour pouvoir dire que l'ensemble de la région
relève de la souveraineté française ? Les protestations françaises et la réponse libyenne étaient tout à
fait claires : elles montraient à l'évidence que la question était posée par rapport à l'ensemble de la
bande d'Aouzou. Du reste, la bande d'Aouzou a toujours été conçue et traitée comme un tout et cela
par toutes les parties concernées.
CONCLUSION
19. En vérité, Monsieur le Président, la manière dont la Partie adverse traite cet incident
d'Aouzou évoque un tableau du célèbre peinte surréaliste belge, René Magritte. Le tableau, que vous
pouvez admirer au musée de Los Angeles, représente, sur un fond jaune pâle, une grosse pipe en
céramique, au-dessous de laquelle trône une cartouche qui dit "Ceci n'est pas une pipe". Monsieur le
Président, nos contradicteurs se sont livrés au même genre d'escamotage surréaliste.
La négation de la réalité avait, pour Magritte, des motivations philosophiques, comme l'a fort
bien expliqué Michel Foucault dans un essai qu'il a consacré à ce tableau. En revanche, dans un
procès devant la plus haute juridiction mondiale, nier les faits est inutile et vain : les faits sont là,
incontournables, et on ne saurait les faire disparaître par un tour de passe-passe.
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- 25 -
20. Les faits, je crois l'avoir montré, attestent l'emprise souveraine de la France sur la bande
d'Aouzou — tout au long de la période concernée. Ils confirment aussi, de la façon la plus nette, la
reconnaissance par toutes les parties intéressées — je dis bien toutes : Libye comprise — de ce que
le tracé qui avait été établi pour la première fois par les accords de 1899-1919 constituait bel et bien
la frontière méridionale de la Libye.
Monsieur le Président, je vous remercie de votre patiente attention, et vous prie de bien vouloir
donner la parole à mon collègue le professeur Pellet. Merci.
The PRESIDENT : Thank you very much, Professor Cassese. According to your programme,
the break was to be now. Would you like to start now and do what you can before the break ?
Mr. PELLET : Mr. President, I need less than 10 minutes.
The PRESIDENT : Carry on, please.
Mr. PELLET : Thank you very much, Mr. President.
Monsieur le Président, Messieurs les juges, reprenant ma casquette de guide, il m'appartient
d'introduire maintenant la troisième partie de nos plaidoiries. Elle sera consacrée à un examen du
traité de 1955 à la lumière des débats pertinents dans les enceintes internationales et de la pratique
des deux Etats.
1. Monsieur le Président, jusqu'ici nous avons examiné la préhistoire du traité
du 10 août 1955.
Après avoir évoqué le faux problème du titre originaire et montré que seule la France avait,
durant toute la période coloniale, agi à titre de souverain dans la région revendiquée par la Libye, les
conseils du Tchad ont montré que les accords conclus entre 1899 et 1919, ceux-là mêmes auxquels
se réfère le traité de 1955, ont défini une ligne, devenue frontière, et que la pratique ultérieure de la
France et de l'Italie a été, en tous points, conforme à cette présentation. Le professeur Cassese vient
de le montrer.
2. Toutefois, j'ai eu l'occasion de le rappeler à plusieurs reprises, il s'agit là de détours
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- 26 -
inutiles : le traité de 1955, à lui seul, permet à la Cour de trancher la question qui lui est soumise.
Cette approche est la plus simple, elle s'inscrit en outre tout naturellement dans le contexte
historique.
La seconde guerre mondiale constitue en effet une rupture décisive, à la fois historiquement et
juridiquement : l'Italie renonce à tous ses droits et titres sur ses anciennes colonies. En conséquence,
le processus de décolonisation de la Libye se met en place sous l'autorité d'abord des quatre
puissances, puis de l'Assemblée générale des Nations Unies. La Libye devenue indépendante conclut
avec ses voisins des traités, qui achèvent de la doter de frontières conventionnelles incontestables —
que celles-ci aient ou non existé auparavant.
3. Le traité du 10 août 1955 s'inscrit dans cette perspective. Le cadre de négociation est fixé
par l'Assemblée générale des Nations Unies qui, en ce qui concerne les frontières, se borne à poser le
principe fondamental de la succession au colonisateur italien, alors que certains milieux français
auraient souhaité des rectifications à cette occasion; mais l'Assemblée générale reste prudente. Elle
se borne à faire les recommandations de procédure nécessaires pour enclencher les négociations
directes entre les parties concernées. L'étude du Secrétariat de l'ONU de 1950 embrouille les choses
plus qu'elle ne les simplifie, et ceci en ce qui concerne les frontières de la Libye, aussi bien avec
l'Egypte qu'avec les possessions françaises d'Afrique.
La résolution 392 (V) se garde de se prononcer sur le tracé de la frontière. La France a fait
connaître ses vues; la résolution ne les confirme pas formellement, pas plus qu'elle ne les infirme.
L'Organisation se contente de demander aux parties d'entrer en négociation pour délimiter les
frontières là où les traités antérieurs ne l'auraient pas fait.
4. Conclu entre deux Etats souverains, le traité du 10 août 1955 ne fait pas référence à la
résolution 392 (V) et ne se limite pas non plus à régler le problème des frontières. Il n'apparaît donc
pas, au point de vue juridique, comme un instrument d'exécution de la résolution. Mais, il en
satisfait l'objectif politique : il définit les frontières entre les deux parties sur la base des traités en
vigueur.
5. Tout, dans le comportement des parties, témoigne de leur sentiment partagé que leur
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frontière commune est délimitée.
Le Tchad a exprimé minutieusement les débats qui ont eu lieu aux Nations Unies durant la
période de supervision du processus de décolonisation : la Libye n'y formule aucune revendication
sur l'Afrique équatoriale française. L'analyse des travaux préparatoires du traité de 1955 conduit,
elle aussi, à la seule constatation de l'existence d'un accord entre les parties sur l'emplacement de la
frontière. Même constat lorsque, en 1960, le Tchad fait son entrée dans la communauté
internationale en tant qu'Etat indépendant : ni aux Nations Unies, ni ailleurs, pas la moindre trace du
plus petit début de contestation du statu quo par la Libye; pas l'ombre d'une revendication.
6. La situation change radicalement au début des années soixante-dix.
Le changement de régime politique en Libye et la guerre civile au Tchad modifient les données
du problème. Le Tibesti échappe au contrôle des autorités de N'Djaména et, profitant de l'occasion,
la Libye s'empare de la bande d'Aouzou.
C'est alors que se noue le contentieux territorial. Pour cette raison, l'année 1973 peut-être
considérée comme une autre date critique, après — mais pour d'autres raisons — 1951, 1955, 1960.
En effet, à partir de 1973, le contentieux territorial est gelé.
7. Sans doute, comme l'a rappelé la Chambre de la Cour qui a tranché en 1992 le Différend
frontalier entre El Salvador et le Honduras,
"Si la situation résultant de l'uti possidetis juris peut être modifiée par une
décision d'un juge et par un traité, la question se pose alors de savoir si elle peut être
modifiée d'autres manières, par exemple par un acquiescement ou une reconnaissance.
Il n'y a semble-t-il aucune raison, en principe, pour que ces facteurs n'entrent pas en
jeu, lorsqu'il y a assez de preuves pour établir que les parties ont en fait clairement
accepté une variante, ou tout au moins une interprétation, de la situation résultant de
l'uti possidetis juris." (C.I.J. Recueil 1992, p. 401.)
En va-t-il de même lorsque cette situation a été cristallisée par un traité, comme c'est le cas
dans notre affaire ? Sans doute pas ... mais il n'est pas nécessaire de trancher la question : l'usage de
la force entache les activités de la Libye sur le terrain d'une présomption irréfragable d'illicéité.
Il est du reste extrêmement significatif que la Partie libyenne se soit bien gardée d'évoquer
quelque effectivité que ce soit dans la bande d'Aouzou, alors qu'elle contrôle militairement la région
depuis 1973 : c'est qu'elle sait bien que de tels actes d'occupation militaire ne sauraient changer les
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- 28 -
données juridiques de l'affaire.
8. Sur quoi, alors, se fonde la Libye ?
Si l'on se réfère à son attitude dans les enceintes multilatérales, en particulier aux
Nations Unies, on peut avoir l'impression qu'elle estimait qu'elle tenait un titre territorial du
traité Laval-Mussolini de 1935. Elle s'est employée à l'établir par référence à certaines des cartes du
Secrétariat de 1950, établies sur la base du traité. Telle fut sa position, exposée de mauvaise grâce à
l'ONU, à partir de 1978, et à l'OUA en 1988 — bien qu'en même temps elle eût prié ces instances de
se mêler de ce qui les regardait.
Au moins le Tchad pouvait-il penser qu'il savait à peu près, à ce moment-là, de quoi il
retournait.
Il n'était pas cependant au bout de ses surprises : en procédure, la Libye abandonne ses
positions antérieures; depuis le début de cette procédure, en 1991, elle ne s'appuie plus, vous le
savez, Messieurs les juges, ni sur le traité de 1935 ni sur les cartes de 1950 et elle transforme
radicalement la portée et la nature du différend.
9. Monsieur le Président, Messieurs les juges, les professeurs Franck et Sorel vont exposer ce
que, après la préhistoire dont nous avons parlé, on peut considérer comme l'histoire contemporaine
du traité du 10 août 1955.
Dans un premier temps, M. Franck retracera les débats qui ont eu lieu dans les instances
internationales avant la signature du traité; puis, dans un second temps, il évoquera la manière dont
les Nations Unies et l'OUA ont appréhendé le contentieux territorial dont le Tchad les avait saisies.
Entre ses deux interventions, M. Sorel examinera les relations bilatérales entre les Parties.
Monsieur le Président, après la pause que je suis navré d'avoir fait reculer un petit peu, je
vous demande de bien vouloir donner la parole au professeur Thomas Franck.
The PRESIDENT : Thank you very much, Professor Pellet. We' ll take our break now.
Thank you.
L'audience est suspendue de 11 h 20 à 11 h 35.
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The PRESIDENT : Thank you. Professor sorel.
M. SOREL :
LA PRATIQUE DU TCHAD ET DE LA LIBYE
Monsieur le Président, Messieurs les juges.
C'est de nouveau un honneur de me présenter devant vous. Je le dois à la Partie adverse
puisque celle-ci m'oblige à revenir sur certains points.
En effet, selon une technique éprouvée, nos honorables contradicteurs distillent quelques
contre-vérités en vue de créer une "atmosphère" qui leur serait favorable, et ceci à défaut de
fondements réels.
A cet égard, je souhaiterais revenir sur deux aspects complémentaires, et ceci, brièvement.
Ces deux aspects concernent, d'abord, l'administration par le Tchad — je dis bien par le
Tchad et non par la France — de la région objet du litige après l'indépendance de cet Etat et, d'autre
part, les relations bilatérales entre la Libye et le Tchad durant les années soixante-dix.
Je ne reviendrai pas sur l'ensemble de ces aspects mais simplement sur des points précis
évoqués lors du deuxième tour de plaidoirie par la Libye.
Même si, globalement, la Partie adverse semble renvoyer "dos à dos" les deux Etats
(CR 93/29, p. 54) concernant la période postérieure à 1955, cette "impression" est d'une part
contrebalancée par des insinuations dont certains sont inacceptables pour le Tchad, et d'autre part,
cette apparente "bienveillante neutralité" tend à occulter les nombreuses réactions tchadiennes face à
l'attitude de la Libye durant la période récente.
I. QUELQUES PRECISIONS A PROPOS DES ACTES SOUVERAINS DU TCHAD SUR
LA BANDE D'AOZOU
Tout en reconnaissant — l'inverse paraît difficile ! — la présence effective du Tchad sur tout
le BET — y compris la bande d'Aozou — après 1960, nos honorables contradicteurs cherchent à en
minimiser singulièrement la portée.
Sans doute, craignent-ils le constat que l'on peut établir quant à la "pratique ultérieurement
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- 30 -
suivie dans l'application d'un traité", selon les termes de l'article 31 de la convention de Vienne
rappelés par le professeur Pellet hier.
Il est vrai que ces effectivités confirment amplement la frontière résultant du traité du
10 août 1955.
Le professeur Bowett a qualifié Aozou de "small village" (CR 93/29, p. 54) — comme l'a
rappelé le professeur Cassese — qui ne représenterait qu'une minuscule localité dans la bande qui
porte son nom. Certes, il ne s'agit que d'une localité sur ce vaste territoire mais, outre la valeur
symbolique — ce lieu donnera son nom à la bande — il faut rappeler que la configuration
géographique implique une population clairsemée et peu nombreuse localisée dans les palmeraies, et
fluctuant selon les déplacements de population dus au nomadisme.
N'en déplaise à nos contradicteurs, Aozou est bien la principale palmeraie dans la bande qui
porte son nom.
Cet "effet de langage" — ce "small village" — tend à faire croire que les effectivités à Aozou
seraient quantité négligeable. Or, elles sont, au contraire fondamentales, justement parce qu'il s'agit
d'un lieu où l'on peut en vérifier la véracité.
Je ne reviens pas sur les exemples d'exercice effectif de la souveraineté post-coloniale — des
exemples parmi d'autres — que j'ai cités lors de ma première plaidoirie, y compris après 1966
contrairement à ce qu'affirme le professeur Cahier (CR 93/28, p. 65). Mais je tenais simplement à
en préciser la portée pour mettre fin à un "climat" que la Libye souhaite imposer.
Le professeur Cassese a largement évoqué hier, et de nouveau aujourd'hui, les principes
juridiques qui s'attachent aux effectivités ainsi que la jurisprudence concernant les zones désertiques
ou peu peuplées. Ces principes et cette jurisprudence restent, bien sûr, valables pour la période
post-coloniale.
D'autre part, à plusieurs reprises et dans différentes plaidoiries, la Partie adverse a porté des
accusations graves contre l'administration par le Tchad du BET après l'indépendance de cet Etat.
Pour résumer ces propos, je dirais que la Libye considère que, dans la période immédiatement
postérieure à l'indépendance du tchad, cet Etat n'était qu'une "marionnette" de la France en Afrique.
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Ceci est inacceptable.
Ainsi, le professeur cahier précise : "Les Français sont toujours présents dans la région"
(CR 93/28, p. 59) ou encore : "La France, présente jusqu'en 1960, disparaît formellement mais non
en substance, jusqu'en 1965." (Ibid., p. 64.)
Le lendemain, le professeur Bowett accentuera cette impression en affirmant, par exemple,
que le contrôle du Tchad reste aux mains de la France, ou que les Français en poste au Tchad
reçoivent leurs instructions de Paris (CR 93/29, p. 54).
Il s'agit là d'affirmations graves et gratuites.
— Graves parce qu'au-delà du cas spécifique du Tchad, la Libye remet en cause les relations
entre les Etats nouvellement indépendants et leurs anciennes puissances coloniales. Or, ces relations
sont très répandues et logiques dans le cadre d'une succession que l'on souhaite paisible.
Mais, surtout, "gratuite" — ou sans fondements — car aucune référence ne vient étayer ces
affirmations. On aurait souhaité en savoir plus...
C'est bien le caractère souverain du Tchad qui est remis en cause, alors que l'assistance
apportée par la france au Tchad résulte d'accords en bonne et due forme signés par les deux Etats.
Ces accords des 11, 13 et 15 août 1960 (mémoire de la Libye, vol. II, annexe 31) sont —
somme toute — classiques. Ils prévoient une assistance multiforme dans des domaines divers mais
n'annihilent en aucun cas la souveraineté de l'Etat en cause.
Ainsi, à titre d'exemple, l'article 3 de l'accord de défense précise que les républiques
concernées (il s'agit du congo, de la République centrafricaine et du Tchad) sont "responsables de
leur défense intérieure et extérieure" et qu'à cette fin, "chacune de ces républiques dispose de forces
armées nationales" (ibid., annexe 31).
Est-ce cette situation qui fait si peur à la Libye puisque le professeur cahier en déduit : "tant
que les Français sont là, la Libye se tait" (CR 93/28, p. 65) ?
Il n'est jamais venu à l'esprit du tchad de considérer la Libye comme un Etat dominé par une
ancienne puissance coloniale.
Pourtant, le 29 juillet 1953, la Libye indépendante signait avec le Royaume-Uni de
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Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord un accord qui ressemble étrangement aux accords
franco-tchadiens (mémoire de la Libye, vol. II, annexe 27).
Cet accord prévoit notamment une assistance en cas de conflit armé ou de guerre (art. 2) ainsi
qu'une assistance financière à la Libye en échange des facilités octroyées pour le stationnement des
troupes britanniques dans ce pays (art. 3).
La Libye a tout simplement signé un accord avec un Etat qui pouvait, à l'époque, garantir sa
défense. Le Tchad n'a pas agi autrement.
Finalement, remplacer le Tchad souverain par la France permet un tour de "passe-passe" qui
peut paraître subtil, mais qui aboutit à une accusation sans fondements et je dirais "sans avenir",
puisqu'il est impossible d'en déduire une incidence juridique.
Cela n'altère en rien les effectivités bien réelles du tchad dans la région objet du litige.
Aborder la question de cette manière correspond bien à un constat d'échec de nos honorables
contradicteurs.
Ces précisions sur les effectivités me conduisent à d'autres précisions sur les relations
bilatérales entre le Tchad et la Libye durant les années soixante-dix. En effet, selon le même
procédé, la Partie adverse cherche à neutraliser en sa faveur une période délicate.
II. LES RELATIONS BILATERALES ENTRE LES DEUX ETATS DE 1973 A 1977
Je ne souhaite pas, Monsieur le Président, revenir sur l'ensemble des relations bilatérales
postérieures à l'indépendance du tchad.
Mais il est des contre-vérités qui sont tenaces, et malgré les relations conventionnelles
évoquées par moi-même et les relations bilatérales évoquées par le professeur Higgins lors du
premier tour de plaidoiries, nos honorables contradicteurs, par la voix du professeur Cahier, se sont
de nouveau employés à semer le doute.
Selon la technique du "puzzle" décrite par le professeur Pellet (CR 93/26, p. 58-59), il s'agit
pour la Partie adverse d'isoler dans la chronologie certaines périodes pour accréditer l'idée d'une
discontinuité dans l'attitude tchadienne.
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Déduction faite des périodes où la protestation du tchad contre l'occupation de la bande
d'Aozou est reconnue par la Libye, il resterait quelques années que la Libye voudrait présenter
comme "incertaines" où le Tchad aurait montré les signes d'un acquiescement à cette occupation. Il
s'agit précisément de la période allant de 1973 à 1977.
Le professeur Cahier affirme en effet à propos de cette période : "Il aura fallu quatre ans au
Tchad pour réaliser qu'il a fait l'objet d'une agression et que la Libye se trouvait illégalement à
Aozou." (Cr 93/28, p. 71-72.)
Reprenons brièvement, Monsieur le Président, le cours de ces quelques années, pour montrer
que le Tchad n'a pas renoncé à protester.
— 1973 est l'année où la Libye occupe la bande d'Aozou. Il s'agit plus d'infiltrations discrètes
mais persistantes que d'une occupation brutale. La réalité de l'occupation n'en demeure pas moins.
Certes, le Tchad ne réagit pas immédiatement mais ceci s'explique par des raisons très
simples. La région échappe, depuis plusieurs années déjà, au pouvoir central et les communications
étant peu développées au Tchad, le temps de réaction est nécessairement plus long. Les distances
sont immenses, la poste ou le téléphone n'existent pas dans le nord du pays, et la plupart des
informations résultent tout simplement du passage des caravanes.
Néanmoins, dès 1973, les commissions techniques créées à la suite du traité de 1972 échouent,
et le blocage est provoqué par les protestations tchadiennes contre cette occupation, comme l'a
montré le professeur Higgins (CR 93/26, p. 15).
C'est aussi à la fin de cette année — en novembre et décembre — que les rapports mensuels
du préfet du BET rendent compte de la présence de Libyens dans la bande d'Aozou; on y signale
même qu'un drapeau libyen est planté au poste d'Aozou (témoignage de M. Yakouma déposé auprès
du Greffe de la Cour le 9 février 1993).
— 1974. En 1974, outre la tentative de "zone de coopération" (CR 93/26, p. 16), c'est l'année
où une mission conduite par MM. Bohiadi et Yakouma se rend à Tripoli pour demander à la Libye
les raisons de son occupation de la bande d'Aozou. La réponse est évasive.
Selon la Libye, il ne s'agit aucunement de s'installer et ces incursions auraient seulement un
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but "humanitaire". Enfin, le drapeau sur le poste d'Aozou serait une "erreur" (témoignage de
M. Yakouma précité).
Bref, la Libye aurait été, en quelque sorte, un précurseur du devoir d'ingérence !
Cette justification purement circonstancielle va bien vite disparaître au profit des vraies
raisons de l'occupation.
— 1975 est une année où l'on ne trouve pas trace, dans le dossier, de protestation formelle
contre l'occupation libyenne. La raison, une fois de plus, en est simple. Les troubles au Tchad
aboutissent au renversement du président Tombalbaye qui est remplacé par un conseil supérieur
militaire avec à sa tête le général Malloum.
Mais celui-ci va immédiatement reprendre les protestations contre la Libye à propos de la
bande d'Aozou comme ceci sera confirmé les deux années suivantes.
1976. En effet, dès 1976, une mission tchadienne se rend de nouveau à Tripoli le 29 juillet.
Le but de cette rencontre est de protester contre l'occupation de la bande d'Aozou. La seule réponse
de la Libye — et ceci sera d'ailleurs une constante durant cette période — est l'invocation de la
convention Laval-Mussolini de janvier 1935 (mémoire du tchad, annexe 283).
Dès lors, les négociations sont dans l'impasse mais l'on décide néanmoins de la création d'une
commission mixte technique chargée de se pencher sur la question.
Cette même année, lors d'une brève escale du colonel Kadhafi le 20 octobre à N'Djamena, le
président Malloum lui rappelle qu'aucune coopération entre les deux Etats n'est envisageable tant que
la bande d'Aozou est occupée (Keesing's Contemporary Archives 1977, p. 28.136; contre-mémoire
du tchad, annexe 124).
— 1977. Enfin, l'année 1977 est réellement le révélateur et l'aboutissement de toutes les
démarches entreprises auparavant.
La commission mixte technique prévue en 1976 se réunit pour la première fois à N'Djamena
du 23 au 26 juin 1977.
Il résultera de cette réunion un procès-verbal approuvé et signé par les deux délégations. Or,
on ne peut qu'être frappé par l'incohérence de la Libye qui — je le répète, Monsieur le Président —
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a approuvé ce procès-verbal.
Il convient de s'arrêter rapidement sur celui-ci.
En effet, la Libye estime qu'il n'existe pas de différend entre les deux Etats et que : "les limites
de la Jamahiriya sont conformes aux accords internationaux, notamment l'accord Laval-Mussolini de
1935 qui a été bel et bien ratifié par la France et l'Italie" (les italiques sont de nous).
La Partie adverse a souvent invoqué son dénuement et son faible nombre de juristes. A la
suite de cette lecture, nous pourrions accorder à cet argument un certain crédit. Seulement, nous ne
sommes plus en 1951, ni même en 1960, mais bien en 1977. Cette erreur est alors difficilement
compréhensible.
En réponse, le Tchad indique que les conventions citées dans l'accord du 10 août 1955 — qui
lui est bien en vigueur — sont le fondement du tracé de la frontière entre les deux Etats.
La Libye, toujours d'après ce procès-verbal, affirme que l'accord du 12 août 1974 qui
"actualise" les frontières ne tient pas compte des frontières coloniales. Ceci est, bien sûr, faux. Le
professeur Cahier le confirme d'ailleurs en précisant : "Au point de vue de la détermination ou de
l'indétermination de la frontière, le traité de 1974 n'ajoute rien." (CR 93/28, p. 61.)
Nous l'avons vu, en réalité, ce traité signifie simplement qu'il existe une frontière.
Pour conclure cette réunion houleuse qui méritait d'être relatée, la Libye affirme qu'il n'existe
pas de problèmes frontaliers puisque ce pays "se trouve dans ses propres limites frontalières".
Voilà au moins un aveu, il existe une frontière !
Faisant état ultérieurement de l'échec de cette réunion, la Libye estimera même qu'il ne s'agit
que d'un "problème technique dans la délimitation de la frontière" (réplique du tchad, annexe 163).
Vous me l'accorderez, Monsieur le Président, il est difficile dans ce labyrinthe de justifications
de connaître la véritable position de la Libye.
A partir de cet instant et prenant acte de l'impossibilité de négocier bilatéralement avec la
Libye, le Tchad portera l'affaire devant les instances internationales comme l'expliquera le professeur
Franck après moi.
Mais quelques conclusions simples se dégagent de cette courte analyse.
36
- 36 -
1) Contrairement à ce qu'affirme la Libye, les protestations du Tchad sont bien réelles et
ininterrompues.
D'ailleurs, le Tchad résumera, à chaque fois, devant l'OUA et l'ONU la chronologie de cette
démarche (Assemblée générale, 32e
session, 23e
séance plénière du vendredi 7 octobre 1977; Rapport
de la réunion du comité de médiation Tchad/Libye à Libreville du 11 août 1977, réplique du Tchad,
annexe 163).
A moins que nos honorables contradicteurs n'estiment qu'une protestation "quotidienne" est
nécessaire, l'enchaînement des protestations tchadiennes est tout à fait probante.
2) Le Tchad a suivi un ordre logique dans cette démarche. Les négociations bilatérales ont
précédé la saisine des organes multilatéraux. Cette saisine suivant immédiatement l'échec de ces
négociations.
Cet ordre est conforme aux moyens du règlement pacifique des différends énumérés par
l'article 33, paragraphe 1, de la Charte des Nations Unies.
3) Enfin, cette période montre s'il en était besoin, la variété des positions de la Libye.
— En effet, chronologiquement, la Libye estime, tout d'abord, qu'il n'y a pas de
différend ... puis reconnaît qu'il existe un différend frontalier.
— Ensuite, elle invoque le traité de 1935 ... alors qu'elle reconnaît aujourd'hui qu'il n'est
jamais entré en vigueur.
— Finalement, elle accepterait la base du traité de 1955 ... mais "actualisée" — selon
l'expression alors utilisée — par l'accord de 1974 alors que ce texte ne porte aucune mention d'une
quelconque actualisation. La Libye le reconnaît aujourd'hui également.
— Dans un sursaut, la Libye admettra en 1977 qu'il ne s'agit que d'un "problème technique de
délimitation frontalière".
— Enfin, aujourd'hui — comme vous le savez, Monsieur le Président, Messieurs les juges, il
n'y aurait — selon les conclusions de cet Etat — aucune frontière et la ligne revendiquée ferait
basculer plus de la moitié du Tchad en territoire libyen.
Il est effectivement temps, Monsieur le Président, que votre Cour mette fin à cette situation
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- 37 -
incohérente dont le Tchad souffre depuis plus de vingt ans.
Je vous remercie, Monsieur le Président, Messieurs les juges, de votre attention et vous
demande de bien vouloir redonner la parole au professeur Franck.
The PRESIDENT : Thank you very much, Professor Sorel. Professor Franck.
Mr. FRANCK: Thank you, Mr. President.
THE DISPUTE OVER THE "AOZOU STRIP"
BEFORE THE UNITED NATIONS AND THE OAU
1. It is commonly accepted by both Libya and Chad that Libya took possession of the Aozou
strip for the first time in 1973. Obviously, Libya thereby crossed the frontier line defined by the
1955 Treaty.
2. What happened thereafter at the United Nations and at the OAU? Chad, consistently,
persistently, insisted that the frontier line established by the 1955 Treaty had to be respected by
Libya and, if necessary, enforced by the United Nations and by the OAU. Thus the post-1973
United Nations and OAU activities are relevant, of course, to demonstrate Chad's unswerving belief
in the terms and the efficiency of Article 3 and Annex I of the 1955 Treaty with Libya. This will
scarcely amaze anyone.
3. But what did Libya believe in this new period? Libya now argues publicly, during this
period, on the record, and pretty much throughout the period, that the instrument determining its
boundary with Chad was the 1935 Treaty of Rome which, it said, was endorsed by the United
Nations "phantom map". And, occasionally, it claimed historic title to the area that it had occupied,
and claimed that it was there by way of Ottoman inheritance (in the UN: see UN Doc.
No. S/PV.2419, 23 March 1983, pp. 23/25-26; in the OAU: see MC, Livre IV, Ann. 293, p. 2).
But to this area, to the Aozou, to the lands between the 1955 and the 1935 lines.
4. And, finally, what happened in the global and regional organs is relevant to this case
because it casts light on what the international and regional communities of States thought the
dispute was about, and what they thought about the relative merits of the claims of Chad — based
38
- 38 -
on the 1955 Treaty and its incorporated instruments of reference — as compared with the claim
Libya then was advancing, based mainly on the Laval-Mussolini Treaty of 1935 and, very
occasionally, on vague references to Italian and Ottoman claims which it thought confirmed that line
(in the UN: see UN Doc. No. S/PV.2419, 23 March 1983, pp. 23/25-26; in the OAU: see MC,
Livre IV, Ann. 293, p. 2).
5. The first thing to note is that nowhere in this record of events, of events occurring in the
authorized multilateral fora for dispute settlement, nowhere did Libya ever assert the absence of a
southern frontier. On the contrary. It insisted on a boundary: one that accorded with the unratified
Treaty of Rome, one that accorded with its conquest of Aozou and, of course, one that accorded with
the "phantom map". I could easily exhaust my allotted time before the Bar merely by citing the
instances. Let me give one example and merely offer the rest as citations in the written version. In
1983, Libya's representative to the Security Council asserted that Aozou had never been part of
Chad. This he demonstrated by referring to the 1950 United Nations Commissioner's map. He
implied that Libya and Chad had no border delimitation problem. "Libya signed the Cairo
Agreement" — he means the 1964 Cairo Declaration — "and has respected the colonial borders", he
declared. "We inherited borders from Italian colonialism, and Chad inherited borders from French
colonialism." Borders, Mr. President. He did not say we inherited claims. He did not say, "I
wonder where the border is?" (UN Doc. No. S/PV/.2419, 24 March 1983, p. 27; see also
pp. 22-26; for additional Libyan reliance on the "phantom map" and the 1935 Treaty, see MC, at
pp. 301-302 (E), pp. 324-325 (Fr), paras. 129-130 and cites therein; MC, at pp. 310-311 (E),
pp. 333-334 (Fr), paras. 160-161 and cites therein; MC, Livre IV, Ann. 292, p. 2; Ann. 292, pp. 1,
3-4; MC, Livre VI, Ann. P82, pp. 373-374, 389, 394; MC, Livre IV, Ann. 283, p. 3; Ann. 284,
pp. 4-5). Permit me to repeat: nowhere do we hear a word about the non-existence of a frontier.
We hear "Aozou", we hear "Secretariat map".
6. Of course, Chad, too, insisted that there was a frontier, the frontier described by the 1955
Treaty and its annexed instruments, and it protested Libya's violation of that line. Chad complained
to the United Nations General Assembly as early as 1971 that Libya harboured expansionist aims; it
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- 39 -
had not actually arrived yet. Thereafter it protested vociferously against Libya's invasion: at first to
Libya, as we have seen from Professor Sorel, then to the General Assembly in 1977, 1978, 1982,
1983, 1984, 1985, 1986 and 1987, and to the Security Council in 1978, 1983, 1985 and 1986. It
stated that Libyan forces had crossed the 1955 line, that the invaders were still there, and that they
ought to be required to withdraw back behind that frontier (MC, pp. 323-340, paras. 124-184, and
cites therein).
7. Chad similarly made this same complaint to the OAU in 1977, and kept it before that
organization for the next 11 years, until the matter was at last referred to this honourable Court (see
CMC, paras. 2.23-2.47; see also Livre IV, Ann. 285; Ann. 286; Ann. 287; Ann. 288; Ann. 289;
Ann. 290; Ann. 291; Ann. 292; Ann. 293. MC, Livre VI, Ann. P81; Ann. P82).
8. Libya has accused Chad of failing to pursue its complaint before the United Nations
between 1973 and 1977. But, as my colleague Professor Sorel has demonstrated, this was not a
period of hearts and flowers. Chad had not yet given up hope of settling its problem with Libya
bilaterally. Even then, however, in its bilateral discussions with Chad, Libya already was beginning
to invoke the 1935 Treaty to justify itself and to deflect Chad's entreaties. When, in 1977, bilateral
efforts had clearly failed, Chad went directly to the United Nations and then to the OAU, voicing its
very precisely formulated complaint based on the evident violation of its 1955 Treaty rights.
9. From the printed record, we know what Chad said before the United Nations and the OAU.
It accords perfectly with what Chad now says in the written and oral pleadings of this case. I
should not say so, but Chad scarecely needed its lawyers: it got its case exactly right, back in 1978,
before the Security Council.
10. What did Libya say? Well many different things. At first, in 1971, it specifically
disavowed any designs on any part of the Aozou strip when Chad raised the question of that road
map (MC, pp. 300-301 (E), pp. 323-324 (Fr.), paras. 124-127). Although the map exactly showed
the Aozou strip as Libyan territory, divided from Chad by a fixed frontier, the Libyan delegate to the
United Nations said that this was "a tourist map", made in Italy, which had no significance, and thus
"in no way determines the borders between our countries" (MC, at p. 301 (E), p. 324 (Fr.),
40
- 40 -
para. 126). Somewhat reassured by this, preoccupied by civil war, the Government of Chad tried
conciliation, negotiation and appeasement. But it certainly did not, thereby, cease to press Tripoli
for recognition of Chad's title to Aozou as my colleague, Professor Sorel, had indicated.
11. Well, then, four years later Chad despaired of the bilateral approach and turned to the
multilateral fora. What did Libya say then? In February 1978, Libya's Ambassador to the Security
Council said "The representative of Chad accused us of having occupied Aozou in 1973, but this is
not true, we did not occupy anything." (MC, p. 306 (E), p. 329 (Fr.), para. 145.) My friend and
colleague Professor Cahier has responded to our quoting this statement by quoting, in turn, the
Libyan representative as having added: "Aozou, comme n'importe quelle autre partie de la Libye, se
trouve sous administration libyenne." (CR 93/18, p. 45.) Well that would at least have been a
clearcut admission that the invasion had taken place, as, of course, it had. But Libya was still
tempted to play coy. Even in 1978, Libya had not yet quite made up its mind to admit having seized
the area. Indeed, he made its representative made it sound as if, should there be a problem, it must
be one of demarcation: "Mais tout le monde peut avoir des problèmes de frontières, surtout dans les
régions aussi peu peuplées." (Ibid., para. 67.) No problem.
12. At the 1978 General Assembly session, responding to Chad's very detailed legal
indictment, Libya's representative still insisted that Chad's complaints were absurd: we do not
collect deserts (GAOR, Plenary, 34th Meeting, 13 October 1978, paras. 28-46). Increasingly,
however, Libya also began to tell the United Nations and the OAU that the dispute was none of their
business. For example, Mr. Treiki, representing Libya, told the Security Council in 1983:
"I do not intend to dwell on legal questions . . . I do not believe that the Security
Council, which deals with international peace and security, concerns itself with the
convention of 1936 and of 1956." (MC, p. 310 (E), p. 333 (Fr.), para. 160.)
"1936", "1956"? This outburst is interesting because it shows (1) Libya's attitude towards the
Security Council, and (2) Libya's belief that the dispute turned on the applicability of two treaties:
the Rome Accord of 1935 and the Franco-Libyan Accord of 1955. Although Mr. Treiki may have
not been particularly good at remembering dates, Libya was now staking out a cognizable claim.
13. In subsequent discussions in the United Nations and the OAU Libya no longer denied the
41
- 41 -
obvious. Instead, reluctantly, it stated its claim: to Aozou. Not a claim to the 15th parallel, and
certainly not a claim that the border was undelimited. On the contrary, again and again Libya
showed the "phantom map" as evidence of title, title to Aozou, title up to the 1935 line. Libya relied
on 1935, Chad on 1955. And so their dispute was about two lines, and the area between the lines of
course; about an area with a fixed border. Indeed, it was about two fixed borders: Libya says over
and again, on the record "Aozou is an integral part of Libya". And the Ambassador, in 1983, in
stating this continued to prove it by referring the members to the Secretariat map (MC, at p. 311 (E),
p. 334 (Fr.), para. 161). In 1984, the Libyan reply to Chad in the Assembly was that "Aozou is
Libyan territory and will remain so forever" (MC, at p. 301 (E), p. 337 (Fr.), para. 171). Chad and
Libya may not have agreed on much, after 1973, but until 1991 they certainly agreed on this much:
the dispute was over the Aozou strip. And the dispute turned mainly on whether the applicable
treaty of reference was that of 1955 or that of 1935.
14. What did the other States in the United Nations think about the matter? In 1983, eight
African States of the region asked to be heard at the Security Council, all of them in support of
Chad's position. None came to the defence of Libya's view (MC, at pp. 311-313 (E), pp. 335-337
(Fr.), paras. 164-65; see also: SCOR, 38th Year, 2428th Meeting (S?PV.2428), 31 March 1988,
pp. 32-36 and 46-48).
15. What did the OAU make of all this? For an answer we must look to two different OAU
efforts, although they were connected. One was the effort begun in 1977 specifically to resolve the
dispute between Libya and Chad. The other, which my colleague Professor Higgins has addressed in
the first round of oral pleadings, is the broader OAU effort to create a legal and institutional
framework for containing and managing disputes, like the Libya-Chad dispute, but in general.
16. In 1977, Chad took its dispute with Libya to the OAU. Since the OAU was trying to act
as mediator, it of course kept its opinions of the parties' rights to a minimum while trying its best to
understand each side's claim. It did repeatedly express its frustrations at Libya's failure to
co-operate with its Commission of Mediation, its failure even to present a claim (MC, Livre VI,
Annexe P81, pp. 279, 298, 343-346; Annexe P82, p. 391; CMC, Annexe CM/T 137, p. 838; see
42
- 42 -
also CMC, para. 9.122, and cites therein). And it expressed outrage at Libya's attempt, in 1981, to
annex Chad, to effect a federation while Libyan troops were still in N'Djamena, supposedly "on
invitation" as a "peace force" (MC, p. 331 (e), para. 154, and cites therein).
17. What the OAU did, and very effectively, is to analyse the legal issues underlying the
dispute. What did the OAU Sub-Committee think the dispute was about? Its 1987 Report states:
"In particular, the object of the dispute is the status of the Aozou strip, insofar as
it results from the relevant international accords. In other words, the dispute is about
the location of the northern frontier of Chad and the southern one of Libya." (MC,
Livre VI, Ann. P81, p. 303.)
Moreover, it continued:
"This is a matter of a conventional frontier." (Ibid.)
And:
"This is about a delimitation which has not yet been followed by a demarcation."
(Ibid., p. 304.)
And:
"This is about a frontier to which the principle of the intangibility [of frontiers]
applies as consecrated by African international law (the Charter and relevant
Resolutions of the OAU)." (Ibid.)
That's what they thought. The OAU Sub-Committee's 1988 Report summarizes Libya's position as
the OAU understood it. Libya, the OAU Sub-Committee's legal and cartographic experts say,
argues that the treaties of 1898, 1899 and 1919 are not opposable to it. Why not? Among other
reasons, because these were "abandoned by France, when, for the first time, a frontier was delimited
by the negotiation of the Treaty of Rome in 1935". This is not the OAU's view, this is the OAU's
understanding of what Libya was arguing in 1988. And, I quote the OAU once more, again the
OAU's understanding of Libya's view, "the validity of this frontier results from the validity of the
Treaty of Rome of 7 January 1935" (MC, Livre VI, Annexe P82, pp. 388-389). That's what the
OAU thought Libya was saying.
18. Professor Bowett, using Libya's magic lanterns, projected the OAU Legal and
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- 43 -
Cartographic Sub-Committee's summary of Libya's case as understood by that body (CR 93/29,
pp. 57-58). He then went on to consider briefly the OAU Sub-Committee's next and final report of
1988, which I have just been quoting to you at somewhat greater length. I take the liberty of
borrowing Professor Bowett's prose, on which I could not aspire to improve:
"the Sub-Committee again reviewed the elements of Libya's position, as revealed by the
Libyan documentation. And, clearly, Libya now appeared to be assuming that the . . .
Franco-Italian Treaty was valid. Now this was an error . . ." (CR 93/29, p. 58.)
This is a quotation from Professor Bowett.
19. Some error. The error had been Libya's basis for twenty years of occupation of the Aozou
strip. After twenty years of occupation, of war, of mayhem, all justified in the name of enforcing the
1935 line, we come to a sentence: "Now this was an error." Chad can scarcely believe its ears.
Chad will try, however, to be a gracious in accepting this concession as Libya's counsel was in
making it.
20. But this is not an Oxford Union Debate. If "this was an error" would it not follow that the
actions taken in express reliance on the "error" might now graciously be corrected? We trust that,
with the Court's guidance, that is precisely what will happen. We anticipate that Professor Bowett's
handsome concession that the 1935 agreement cannot legitimate Libya's occupation of the Aozou
will be matched by an equally handsome return of the territory seized "in error".
21. Permit me now to turn from the particular to the general. While the OAU Commission
and its Sub-Committee were trying to sort out the legal issues in our dispute, and did so extremely
well if I may say so, despite the total non-co-operation of Libya, the African Heads of State were
also concerning themselves with the issue indirectly. By this I mean they were aware of the sort of
problem existing between Chad and Libya. They knew that, potentially, this sort of dispute could
engulf the continent. And, wisely, they were determined to head it off.
22. How could this be done? In the meeting of African Heads of State, from 17 to
21 July 1964, they pondered this crucial issue, debated it, and came to a conclusion, which is now
celebrated as the Cairo Declaration. It is not a treaty. It is a political declaration. Yet it captures
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the intent of Africa's Governments. And it has saved Africa from the kind of chaos we have
witnessed elsewhere, places where the horsemen of the apocalypse had also ridden and also been
discounted. In the 1986 Frontier Dispute case, the ICJ Chamber gave the Cairo Declaration
appropriate recognition in the larger context of the legal doctrine of uti possidetis (I.C.J. Reports
1986, p. 566).
23. In their 1964 Declaration, the Heads solemnly declared "that all Members States pledge
themselves to respect the borders existing on their achievement of national independence". What
does this mean? I think I know, and, Mr. President, I know that you know, and, surely, everyone at
Cairo knew. The Chamber in the 1986 Frontier Dispute case understood what it meant. It mean a
"freezing" of frontiers as they were at independence, as they appeared in the "photograph" taken at
the critical moment.
24. But suppose an African Government did not like what the Declaration meant, because it
tended to bar an unsatisfactory boundary claim that that Government had been nursing. What would
such a government do? Well, Somalia and Morocco, who were in prescisely that position, voted
against the resolution.
25. Professor Cahier told us, on 7 July, that Morocco and Somalia were not the only States in
Africa with a boundary problem. He rightly pointed out that some other States, ones which did not
vote against the resolution, may yet also have harboured unrequited territorial ambitions and cannot
be said to have relinquished them merely by their vote in favour of the resolution (CR 93/28, p. 66).
He cites the case of Burkina Faso and Mali, which voted "yes" just like Libya. But, as it happens,
the Foreign Minister of Burkina Faso (then still Upper Volta), unlike Libya, spoke at length at Cairo
about the effect of the Declaration on his country's boundary dispute with a neighbouring country.
(Addresses delivered at the Assembly (Assembly of the Heads of State and Government of the OAU,
Press Center, Information Department, Cairo, 17-21 July 1964, pp. 217-18). H.E.M. Lompolo
Kone.) He noted that his country "has in its relations with a sister country had to face a new and
nonetheless insidious form of territorial encroachment . . ." But he still recognized that the "principle
of respect for borders finds its justification not in any reasoning of colonial fate, but in an African
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- 45 -
decision on the level of its highest aspirations" (idem, p. 217).
26. Well, Professor Cahier, that is another way of doing it. Burkina Faso voted and spoke for
the resolution, unlike Somalia and Morocco, but also gave notice that it had a boundary grievance,
which it would seek to resolve, resolve within the framework of the Declaration. Professor Cahier is
correct, of course, in stating that a vote for the Cairo Declaration does not bind Libya any more than
it bound Burkina Faso, never to pursue the claim, certainly not before this Court (CR 93/28, p. 66).
We fully agree. What Chad has been saying is something different, and it has two prongs.
(1) States which, in 1964, had boundary disputes tended, one way or another, to put them forward
at the time of the debate on the Cairo Declaration. Libya did not. This is an evidentiary point
about Libya's state of mind in 1964. We plead it to rebut the notion that, since 1951, despite
the 1955 Treaty, Libya continually believed itself to be entitled to large parts of territory
administered at that time by Chad.
(2) The Cairo Declaration was more than an opportunity for an exchange of views and a
ventilation of aspirations. It was part of a process by which the new law of decolonization
was taking shape.
Professor Cahier is too kind. Professor Franck, he said on 7 July, "nous a donné une
excellente leçon universitaire sur la valur du principe de l'uti possidetis et sur celui du respect
de l'intégrité territoriale des Etats . . ." Je vous remercie, cher collègue. But do I detect a note
of sarcasm about my "leçon universitaire"? And why would that be? Professor Cahier, an
extraordinarily distinguished academic lawyer, surely does not scorn the university. But I
think I understand the edge in his tone. He is faithfully reflecting the feelings of his client.
Yes, to Libya, uti possidetis is a nice little idea which belongs in a university seminar, not in
the real life of real nations.
27. But uti possidetis juris, Mr. President, like the Cairo Declaration, is not a mere empty
symbol, inapplicable to real life. It would indeed be that, if Libya succeeded in deconstructing it into
a principle that only applies when it is not needed: that is, only to uncontested boundaries. That is
Libya's view: it is a nice principle, but does not apply here because Libya does not recognize any
46
- 46 -
boundary. Libya, in effect, invokes that formula which inspired one of Immanuel Kant's most
eloquent fulminations, his essay: "On the proposition 'While this may be so in theory, yet it does not
apply in practice'". Libya thinks that while in theory the principle guarantees the stability of
frontiers, in practice it guarantees nothing, or, rather, it only guarantees uncontested frontiers. When
a frontier is contested, Libya believes, uti possidetis is inapplicable because it is a principle of law
and the issue then is not one of law, but one of fact: where is the frontier?
28. Mr. President, if the Court accepts that line of reasoning, the legal principle of uti
possidetis would, indeed, have been deconstructed, leaving nothing behind but questions of disputed,
or disputable fact. But the legal principle of uti possidetis is not a hollow word-formula, to be
deconstructed away. It is a principle alive with purpose, with policy intent, put there by responsible
world leaders for excellent reasons. As the Chamber said in the 1986 Frontier Dispute case,
"the maintenance of the territorial status quo in Africa is often seen as the wisest
course . . . The essential requirement of stability . . .has induced African States
judiciously to consent to the respecting of colonial frontiers . . ." (I.C.J. Reports 1986,
p. 567.)
29. The principle of uti possidetis puts the law squarely on the side of boundaries, the stability
of frontiers, even contested ones. It is a presumption in favour of permanence, in favour of stability.
In the context of this dispute, to repeat the formula used by the Chamber in the 1986 Frontier
Dispute decision, it opts for "the maintenance of the territorial status quo in Africa . . ." (ibid.).
30. Now, Mr. President, honourable Judges, uti possidetis juris does not say: stability at all
costs. However, it is an invitation not to find the absence of a boundary where, for 40 years both
Parties proclaimed their belief that a treaty-defined boundary did exist. It asks the Court to resist
blandishments to engage in creative cartography. It is an invitation to choose stability where a stable
frontier line is ascertainable. And a line is certainly ascertainable at the Libyan-Chadian border: the
line designated in 1955 and respected until 1973: If uti possidetis juris cannot be applied to this
boundary, where can it applied?
Mr. President, distinguished Judges, I thank you for your attention.
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The PRESIDENT: Thank you very much, Professor Franck. We will resume at 10 O'clock
tomorrow morning.
The Court rose at 1 p.m.

Document Long Title

Audience publique tenue le mardi 13 juillet 1993, à 10 heures, au Palais de la Paix, sous la présidence de sir Robert Jennings, président

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