C 4/CR 91/8
Cour internationale International Court
de Justice of Justice
LA HAYE THE HAGUE
YEAR 1991
Public sitting of the Chamber
held on Wednesday 24 April 1991, at 10 a.m., at the Peace Palace,
Judge Sette-Camara, President of the Chamber, presiding
in the case concerning the Land, Island and Maritime Frontier Dispute
(El Salvador/Honduras: Nicaragua intervening)
__________________
VERBATIM RECORD
__________________
ANNEE l991
Audience publique de la Chambre
tenue le Mercredi 24 avril 1991, à 10 heures, au Palais de la Paix,
sous la présidence de M. Sette-Camara, président de la Chambre
en l'affaire du Différend frontalier terrestre, insulaire et maritime
(El Salvador/Honduras; Nicaragua (intervenant))
________________
COMPTE RENDU
_______________
- 2 -
Present:
Judge Sette-Camara, President of the Chamber
Judges Sir Robert Jennings, President of the Court
Oda, Vice-President of the Court
Judges ad hoc Valticos
Torres Bernárdez
Registrar Valencia-Ospina
___________
- 3 -
Présents :
M. Sette-Camara, président de la Chambre
Sir Robert Jennings, Président de la Cour
M. Oda, Vice-Président de la Cour, juges
M. Valticos
M. Torres Bernárdez, juges ad hoc
M. Valencia-Ospina, Greffier
___________
- 4 -
The Government of El Salvador is represented by:
Dr. Alfredo Martínez Moreno,
as Agent and Counsel;
H. E. Mr. Roberto Arturo Castrillo, Ambassador,
as Co-Agent;
and
H. E. Dr. José Manuel Pacas Castro, Minister for Foreign Relations,
as Counsel and Advocate.
Lic. Berta Celina Quinteros, Director General of the Boundaries'
Office,
as Counsel;
Assisted by
Prof. Dr. Eduardo Jiménez de Aréchaga, Professor of Public
International Law at the University of Uruguay, former Judge and
President of the International Court of Justice; former President
and Member of the International Law Commission,
Mr. Keith Highet, Adjunct Professor of International Law at The
Fletcher School of Law and Diplomacy and Member of the Bars of
New York and the District of Columbia,
Mr. Elihu Lauterpacht C.B.E., Q.C., Director of the Research Centre
for International Law, University of Cambridge, Fellow of Trinity
College, Cambridge,
Prof. Prosper Weil, Professor Emeritus at the Université de droit,
d'économie et de sciences sociales de Paris,
Dr. Francisco Roberto Lima, Professor of Constitutional and
Administrative Law; former Vice-President of the Republic and
former Ambassador to the United States of America.
Dr. David Escobar Galindo, Professor of Law, Vice-Rector of the
University "Dr. José Matías Delgado" (El Salvador)
as Counsel and Advocates;
and
Dr. Francisco José Chavarría,
Lic. Santiago Elías Castro,
Lic. Solange Langer,
Lic. Ana María de Martínez,
- 5 -
Le Gouvernement d'El Salavador est représenté par :
S. Exc. M. Alfredo Martínez Moreno
comme agent et conseil;
S. Exc. M. Roberto Arturo Castrillo, Ambassadeur,
comme coagent;
S. Exc. M. José Manuel Pacas Castro, ministre des affaires
étrangères,
comme conseil et avocat;
Mme Berta Celina Quinteros, directeur général du Bureau des
frontières,
comme conseil;
assistés de :
M. Eduardo Jiménez de Aréchaga, professeur de droit international
public à l'Université de l'Uruguay, ancien juge et ancien
Président de la Cour internationale de Justice; ancien président
et ancien membre de la Commission du droit international,
M. Keith Highet, professeur adjoint de droit international à la
Fletcher School de droit et diplomatie et membre des barreaux de
New York et du District de Columbia,
M. Elihu Lauterpacht, C.B.E., Q.C., directeur du centre de recherche
en droit international, Université de Cambridge, Fellow de Trinity
College, Cambridge,
M. Prosper Weil, professeur émérite à l'Université de droit,
d'économie et de sciences sociales de Paris,
M. Francisco Roberto Lima, professeur de droit constitutionnel et
administratif; ancien vice-président de la République et ancien
ambassadeur aux Etats-Unis d'Amérique,
M. David Escobar Galindo, professeur de droit, vice-recteur de
l'Université "Dr. José Matías Delgado" (El Salvador),
comme conseils et avocats;
ainsi que :
M. Francisco José Chavarría,
M. Santiago Elías Castro,
Mme Solange Langer,
Mme Ana María de Martínez,
- 6 -
Mr. Anthony J. Oakley,
Lic. Ana Elizabeth Villata,
as Counsellors.
The Government of Honduras is represented by:
H.E. Mr. R. Valladares Soto, Ambassador of Honduras to the
Netherlands,
as Agent;
H.E. Mr. Pedro Pineda Madrid, Chairman of the Sovereignty and
Frontier Commission,
as Co-Agent;
Mr. Daniel Bardonnet, Professor at the Université de droit,
d'économie et de sciences sociales de Paris,
Mr. Derek W. Bowett, Whewell Professor of International Law,
University of Cambridge,
Mr. René-Jean Dupuy, Professor at the Collège de France,
Mr. Pierre-Marie Dupuy, Professor at the Université de droit,
d'économie et de sciences sociales de Paris,
Mr. Julio González Campos, Professor of International Law,
Universidad Autónoma de Madrid,
Mr. Luis Ignacio Sánchez Rodriguez, Professor of International Law,
Universidad Complutense de Madrid,
Mr. Alejandro Nieto, Professor of Public Law, Universidad
Complutense de Madrid,
Mr. Paul De Visscher, Professor Emeritus at the Université de
Louvain,
as Advocates and Counsel;
H.E. Mr. Max Velásquez, Ambassador of Honduras to the United Kingdom,
Mr. Arnulfo Pineda López, Secretary-General of the Sovereignty and
Frontier Commission,
Mr. Arias de Saavedra y Muguelar, Minister, Embassy of Honduras to
the Netherlands,
Mr. Gerardo Martínez Blanco, Director of Documentation, Sovereignty
and Frontier Commission,
Mrs. Salomé Castellanos, Minister-Counsellor, Embassy of Honduras to
the Netherlands,
- 7 -
M. Anthony J. Oakley,
Mme Ana Elizabeth Villata,
comme conseillers.
Le Gouvernement du Honduras est représenté par :
S. Exc. M. R. Valladares Soto, ambassadeur du Honduras à La Haye,
comme agent;
S. Exc. M. Pedro Pineda Madrid, président de la Commission de
Souveraineté et des frontières,
comme coagent;
M. Daniel Bardonnet, professeur à l'Université de droit, d'économie
et de sciences sociales de Paris,
M. Derek W. Bowett, professeur de droit international à l'Université
de Cambridge, Chaire Whewell,
M. René-Jean Dupuy, professeur au Collège de France,
M. Pierre-Marie Dupuy, professeur à l'Université de droit,
d'économie et de sciences sociales de Paris,
M. Julio González Campos, professeur de droit international à
l'Université autonome de Madrid,
M. Luis Ignacio Sánchez Rodríguez, professeur de droit international
à l'Université Complutense de Madrid,
M. Alejandro Nieto, professeur de droit public à l'Université
Complutense de Madrid,
M. Paul de Visscher, professeur émérite à l'Université catholique de
Louvain,
comme avocats-conseils;
S. Exc. M. Max Velásquez, ambassadeur du Honduras à Londres,
M. Arnulfo Pineda López, secrétaire général de la Commission de
Souveraineté et de frontières,
M. Arias de Saavedra y Muguelar, ministre de l'ambassade du Honduras
à La Haye,
M. Gerardo Martínez Blanco, directeur de documentation de la
Commission de Souveraineté et de frontières,
Mme Salomé Castellanos, ministre-conseiller de l'ambassade du
Honduras à La Haye,
- 8 -
Mr. Richard Meese, Legal Advisor, Partner in Frère Cholmeley, Paris,
as Counsel;
Mr. Guillermo Bustillo Lacayo,
Mrs. Olmeda Rivera,
Mr. Raul Andino,
Mr. Miguel Tosta Appel
Mr. Mario Felipe Martínez,
Mrs. Lourdes Corrales,
as Members of the Sovereignty and Frontier Commission.
- 9 -
M. Richard Meese, conseil juridique, associé du cabinet Frère
Cholmeley, Paris,
comme conseils;
M. Guillermo Bustillo Lacayo,
Mme Olmeda Rivera,
M. Raul Andino,
M. Miguel Tosta Appel,
M. Mario Felipe Martínez,
Mme Lourdes Corrales,
comme membres de la Commission de Souveraineté et des frontières.
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The PRESIDENT : Please be seated. The sitting is open, and today we start hearing the
presentation about the so-called non-described sections, that is to say the sections that were not
described in the General Treaty of Peace, Article 16, and the delegation of Honduras is the first to
present its argument. I give the floor to Professor Sánchez Rodriguez.
M. SANCHEZ RODRIGUEZ :
TEPANGUISIR
Monsieur le Président, Messieurs les Juges de la Cour : il y a environ dix-sept ans, je
terminais ma thèse doctorale dans la bibliothèque de ce Palais en tant que boursier du Curatorium de
l'Académie de droit international et il m'a été donné d'assister en qualité de spectateur à une session
de la Cour. Aujourd'hui, après tout ce temps, j'ai pour la première fois l'occasion d'intervenir
moi-même devant cette instance en qualité d'avocat-conseil d'un Etat. Ce détail de ma biographie
personnelle devrait permettre de comprendre à quel point cette intervention devant vous implique
pour moi émotion et honneur, au même titre, au demeurant, que tout autre professeur de droit
international. Permettez-moi, Messieurs les Juges, de faire valoir cette circonstance particulière pour
réclamer votre indulgence au cas où je commettrais involontairement des erreurs dues à mon
inexpérience et pour vous demander également de bien vouloir excuser mes limitations personnelles.
Je souhaiterais d'autre part exprimer publiquement ma reconnaissance à la République du Honduras
pour m'avoir accordé le privilège de représenter ses intérêts devant cette Chambre de la Cour, aux
côtés de collègues aussi éminents que prestigieux de l'un et de l'autre côté de la barre.
Messieurs les Juges de la Cour, je vous remercie d'avance de l'aimable attention que vous ne
manquerez pas, je le sais, d'accorder à mon intervention que, pour ma part, je promets de ne pas
prolonger excessivement ou artificiellement.
Je commencerai par la zone de Tepanguisir. Et je le ferai en évitant soigneusement de
m'étendre trop sur certains aspects, étant donné que, comme j'aurai l'occasion de l'expliquer ici, cette
zone présente des éléments communs avec la zone de Cayaguanca, tant du point de vue des titres que
de celui des positions respectives des Parties. Puisque j'aurai également l'honneur d'analyser devant
vous la situation de cette deuxième zone de Cayaguanca, je m'efforcerai, dans toute la mesure du
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possible, d'éviter de répéter mes arguments, encore qu'il paraît évident qu'il sera impossible d'éviter
complètement certaines répétitions en examinant l'un et l'autre cas.
* * *
1. Le plan général de mon intervention au sujet de la zone de Tepanguisir sera le suivant : tout
d'abord, j'exposerai dans un esprit de synthèse les positions des deux Parties telles qu'elles ressortent
des écrits qu'elles ont soumis successivement; je passerai ensuite à l'analyse de certains problèmes
théoriques d'ordre général liés aux principes juridiques invoqués par les Parties; dans la troisième
partie de mon intervention, je me livrerai à quelques réflexions sur les effectivités salvadoriennes et
sur certaines des thèses soutenues par ce pays dans son dernier écrit. Enfin, je présenterai à cette
Chambre les conclusions à propos du secteur litigieux en cause.
* * *
Les positions des Parties
2. Pour ne m'en tenir qu'à l'essentiel et en ignorant le superflu, je dirai que le premier écrit
salvadorien (cf. MES, vol. I, par. 6.1 à 6.13) développe deux idées principales. D'une part, selon cet
écrit, il s'agirait d'un secteur cultivé et habité traditionnellement par les habitants de Citalá et la
procédure de 1776 aurait définitivement attribué à Citalá la montagne de Tepanguisir. Depuis lors,
El Salvador aurait constamment exercé sa souveraineté et sa juridiction sur cette zone. D'un autre
côté, le traité Cruz-Letona aurait incorporé le titre de 1776 sans aucune opposition de la part du
Honduras étant donné que la première revendication de ce pays ne s'est produite qu'en 1935.
En d'autres termes, le titre de 1776 constituerait une preuve suffisante et complète de l'uti
possidetis juris au bénéfice d'El Salvador et la revendication hondurienne serait tardive et peut-être,
même si ce n'est pas indiqué expressément, artificielle.
3. Le Honduras, quant à lui, après avoir rappelé la nature accidentée, aride et peu peuplée d'un
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secteur qui n'est pas décrit dans le traité général de paix de 1980 (cf. MH, vol. I, p. 293 à 316),
affirme que la controverse n'est pas nouvelle, qu'elle dure depuis un siècle et qu'elle a surgi pour la
première fois dans les négociations de 1881 à La Hermita. La thèse de ce pays consiste à affirmer
que les controverses entre les villes d'Ocotepeque et de Citalá remontent au XVIe siècle, qu'elles ont
connu un épisode saillant en 1776 et qu'elles se sont poursuivies tout au long des deux siècles
suivants sous des formes diverses, parfois doctrinales, parfois diplomatiques. En outre, les
documents coloniaux espagnols démontrent que ce secteur présente des liens étroits avec celui de
Cayaguanca, du fait que les mêmes communautés indigènes sont concernées par les deux secteurs.
En deuxième lieu, le Honduras affirme que les actes de 1776 attestent qu'à cette date la montagne de
Tepanguisir appartenait à la province de Gracias a Dios, étant donné que le juge du droit royal des
terres de la "Real Audiencia" de Guatemala a autorisé, expressément et à titre exceptionnel, le juge
sous-délégué des terres de Chalatenango à intervenir hors du ressort qui lui était propre. En d'autres
termes, le juge qui avait compétence "naturelle" pour intervenir était le juge de Gracias a Dios étant
donné que Tepanguisir se trouvait sur le territoire de cette province. Et l'argument est complété par
l'affirmation selon laquelle, d'après la législation en vigueur en Amérique Centrale au XVIIIe siècle,
il n'y avait pas d'identité entre limites de terres et limites de juridiction, car les terres de la montagne
de Tepanguisir qui se trouvaient dans la juridiction de la province de Gracias a Dios furent
attribuées, pour la jouissance communale, à Citalá, commune située dans la province de San
Salvador.
Il s'agit donc d'une revendication ancienne réitérée à plusieurs reprises et fondée sur l'uti
possidetis juris de 1822 sur la base précisément d'une interprétation de la procédure de 1776
conforme au droit colonial espagnol.
4. Le deuxième écrit salvadorien (cf. CMES, vol. 1, p. 40 à 51, par. 3.1 à 3.18) insiste
essentiellement sur les arguments exposés intialement. Tout d'abord, le titre de 1776, en concédant à
Citalá la montagne de Tepanguisir, aurait pour effet de modifier les limites provinciales, attendu que
conformément aux "Reales Cédulas" du 1er novembre 1591, la "Real Audiencia" de Guatemala
aurait compétence à cette fin.
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Par ailleurs, la revendication hondurienne sur le secteur serait tardive (1935) et ce pays aurait
jusqu'alors reconnu les limites maintenant réclamées par El Salvador dans ce secteur aussi bien à
l'occasion du traité de Cruz-Letona (1881) qu'à d'autres étapes du processus, limites qui
correspondraient, pour l'essentiel, aux descriptions de Barberena, Bustamante et Cole. A cet égard,
on ajoute que les revendications territoriales honduriennes n'auraient fait qu'augmenter
progressivement entre 1935 et 1984.
La position d'El Salvador dans ce second écrit continue donc d'être linéaire et relativement
simple quant à son argumentation.
5. Le Honduras, de son côté, fait ressortir (cf. CMH, vol. I, p. 123 à 208) certains
divergences mineures, notamment en ce qui concerne la localisation géodésique exacte du tripoint au
Cerro Montecristo ou la démarcation exacte proposée dans les cartes présentées respectivement par
l'une et l'autre Parties. Mais ce qui ressort davantage de cet écrit c'est une des idées-force auxquelles
le Honduras accorde un intérêt particulier dans le secteur de Tepanguisir. De sorte que le désaccord
fondamental surgit à propos de l'application pratique de l'uti possidetis juris : pour El Salvador, le
"título ejidal" de 1776 non seulement concède à Citalá la montagne de Tepanguisir mais entraîne une
conséquence juridique accumulée étant donné que les limites provinciales existant jusqu'alors s'en
trouvent modifiées. L'argument invoqué et développé par la République du Honduras se fonde lui,
sur le principe, propre au droit espagnol de l'époque, de la non-identité entre les limites des terres et
les limites et juridictions des provinces. Les terres de Tepanguisir, telles qu'elles sont décrites dans
le titre de 1776, appartenaient à la province de Gracias a Dios et l'arpentage effectué à cette date
avec l'autorisation de l'"Audiencia" de Guatemala, à titre exceptionnel et pour une seule fois, par le
juge sous-délégué des terres de Chalatenango, loin d'avoir modifié les limites provinciales, aurait
établi la preuve manifeste que la juridiction sur Tepanguisir revenait à Gracias a Dios.
En fait, le principe, déjà cité, de la non-identité des limites des terres avec les limites
juridictionnelles provinciales, ne représente pas un apport original ou inédit au débat de la part du
Honduras mais, au contraire, a déjà été accepté par la Cour internationale de Justice dans l'affaire
Burkina Faso/Mali (cf. C.I.J. Recueil 1986, p. 616 et 617, par. 116 et 117). De sorte que la
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prétention salvadorienne, qui se fonde exclusivement sur l'arpentage de 1776, n'atteste nullement l'uti
possidetis étant donné qu'il n'est pas prouvé que la procédure susmentionnée ait modifié les limites
provinciales existant à cette date.
Deux autres questions revêtant un certain intérêt - quoique de moindre importance - ressortent
de l'écrit hondurien. La première porte sur certaines erreurs qui, de l'avis de ce pays, se sont glissées
dans la proposition de délimitation formulée par El Salvador, notamment : a) l'identification de la
"source du Rio Pomola"; b) l'orientation donnée au segment de droite arpenté à partir de la "source
du Pomola"; et c) l'identification du dernier point de la limite ouest du titre de Citalá. La seconde
question est en rapport avec la revendication salvadorienne sur les terres situées à l'ouest des "tierras
ejidales" de Citalá, une prétention qui, selon le Honduras, est totalement dépourvue de fondement
juridique étant donné qu'il s'agit de "terres royales" ("tierras realengas") qui n'ont jamais été
revendiquées par El Salvador. En ce qui concerne ces terres, la position de ce pays n'a pas le
moindre fondement et leur rattachement à la province de Gracias a Dios ne peut être mise en
question, d'où le rejet également catégorique de cette revendication salvadorienne - clairement
injustifiée - de la part du pays que j'ai l'honneur de représenter devant vous.
En résumé, la contradiction essentielle entre les positions des Parties dans ce second temps de
la phase écrite tient à l'interprétation de l'uti possidetis de 1821. Les actes judiciaires portant
attribution de terres à une commune supposent-ils une modification des limites provinciales ?
Restent-ils au contraire sans effet sur ces limites ? Mon opinion personnelle, Messieurs les Juges de
la Cour, est que nous nous trouvons là face au noeud gordien du problème que pose le secteur de
Tepanguisir.
6. Enfin, dans sa réplique (cf. RES. vol. I, p. 36 à 46, par. 3.1 à 3.14), El Salvador ne change
pas grand chose à son approche argumentaire. En un premier temps, il se borne à répéter
l'affirmation selon laquelle le titre de 1776 est correct du point de vue juridique étant donné que la
"Real Audiencia" de Guatemala avait compétence pour modifier les juridictions provinciales, ce
qu'elle a fait en cette occasion. Mais l'argumentation de ce pays contient un élément surprenant. En
effet, il s'appuie en grande partie sur la consultation demandée par le Honduras à l'expert et
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avocat-conseil espagnol Nieto García; de sorte que le professeur Nieto García est devenu
involontairement défenseur de la Partie adverse ! Mais, bien qu'il s'agisse là d'une pratique peu
habituelle, ce n'est pas ce seul fait qui discrédite la position salvadorienne, mais bien la valeur de ses
affirmations. Messieurs les Juges, qu'il me soit permis pour le moment de simplement prendre acte
de ce fait - ce qui je le repète a quelque chose d'insolite - tout en me réservant le droit d'y revenir à un
autre moment de mon intervention. On ne peut en effet que trouver insolite le fait qu'El Salvador
n'utilise absolument pas la consultation que ce pays a lui-même demandée à un autre expert
espagnol, le professeur López Rodó. Ce simple fait indique l'importance que ce pays accorde au
rapport de l'expert auquel il a eu librement recours. L'aboutissement de la thèse salvadorienne est
évident : du moment que la "Real Audiencia" pouvait modifier les limites provinciales, chose qu'elle
aurait fait en 1776 selon ce pays, l'application de l'uti possidetis juris de 1821 se traduirait par
l'intégration pure et simple de Tepanguisir dans la province de San Salvador.
La deuxième partie de l'exposé écrit d'El Salvador porte sur la question des "effectivités" sans
pour autant fournir aucune preuve concrète à cet égard. El Salvador, en outre, une fois rappelé
l'arbitrage guatemalteco-hondurien de 1933, souligne que celui-ci : "invoque les effectivités et les
arguments de nature humaine, mais uniquement pour confirmer les droits qui découlent des titres
officiels des terrains communaux". La thèse salvadorienne sur le "contrôle administratif" postérieur
à 1776 à Tepanguisir serait donc bien fondée.
Enfin, la troisième partie répond - pour leur nier toute valeur - aux observations du Honduras
d'ordre cartographique et géographique, liées plus particulièrement à la situation de la rivière
Pomola.
La réplique salvadorienne passe toutefois sous silence, voire peut-être abandonne, une thèse
que ce pays soutenait et répétait dans les deux écrits précédents et qui mettait en avant le caractère
tardif de la revendication hondurienne sur la montagne de Tepanguisir. Je souhaiterais attirer
respectueusement l'attention de Messieurs les Juges sur cette attitude, dans la mesure où nous ne
savons pas très bien à quoi elle est due.
D'un côté, on pourrait interpréter ce silence comme une reconnaissance tacite des argumentations
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opposées développées antérieurement par le Honduras et du fait donc que la revendication dans ce
secteur contesté remonte à 1881; d'un autre côté, on pourrait en conclure qu'El Salvador est
convaincu d'avoir démontré sa thèse. Il s'agit de toute façon d'une question déjà débattue sur laquelle
je reviendrai également à un autre moment de mon intervention.
7. Le Honduras, lui, conclut la phase écrite par un écrit plus long, plus complexe et plus
nuancé (cf. RH, vol. I, p. 95 à 256). Il réitère tout d'abord son affirmation précédente selon laquelle
le tracé proposé par El Salvador ne coïncide ni formellement ni matériellement avec l'arpentage de
1776 et qu'il manque totalement de fondement quand il s'applique aux terres de la Couronne.
Deuxièmement, dans la partie la plus déterminante de son argumentation, le Honduras insiste sur
l'application de l'uti possidetis juris à laquelle vise El Salvador dans le secteur de Tepanguisir, car ce
pays :
a) ne tient pas compte du fait que le titre de 1776 ne porte pas sur la
totalité des terres revendiquées;
b) recourt à la notion de "contrôle administratif", qui est
incompatible avec le principe susmentionné;
c) invoque une interprétation inadmissible du droit colonial espagnol à
propos de la relation dialectique entre les limites foncières et les limites provinciales, avec la
prétention supplémentaire que le "dispositif" des titres fonciers prédomine sur le reste de ces
documents;
d) ne dispose d'aucun titre juridique en ce qui concerne les "terres de
la Couronne" ("tierras realengas").
Puis, la République du Honduras expose sa propre thèse, en divisant pour cela le secteur
litigieux en trois sous-secteurs et en tirant justification de ses prétentions d'une lecture raisonnable
des titres coloniaux antérieurs à 1821. Tout de suite après, il conforte la description initiale des
limites de Tepanguisir en recourant aux titres républicains délivrés postérieurement à ladite date, en
établissant à cette fin une distinction entre deux zones différentes : d'un côté, le secteur des "terres de
la Couronne" ("tierras realengas"), à propos duquel il verse au dossier les titres fonciers de
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Montecristo ou Peñascal (1886), de Malcotal (1882), de Tontolar (1845) et de Volcán de Pomola
(1824); par ailleurs, pour soutenir ces revendications dans le secteur compris dans les "tierras
ejidales" visées dans la procédure de 1776, il fournit le titre de San Andrés de Ocotepeque (1914).
Le deuxième élément qui milite dans le même sens que les titres républicains précités est l'attitude
diplomatique des deux Parties pendant les cinq négociations tenues en 1881, 1884, 1935, 1972 et
1980-1985 sur ce tronçon de la frontière terrestre, et dont une partie a été complètement passée sous
silence dans les écrits salvadoriens. J'aimerais également attirer votre attention sur ce fait, Messieurs
les Juges de la Cour, car il s'agit là d'une question que la République du Honduras considère comme
déterminante dans ce secteur et sur laquelle je reviendrai à une autre étape de mon intervention.
Enfin, le Honduras s'appuie sur des arguments de caractère doctrinal (Barberena, Bustamante, Cole
et Vallajo) car il estime que ces arguments ont de toute évidence été placés dans une perspective
erronée dans les écrits salvadoriens.
8. En résumé, s'agissant des écrits soumis par les deux Parties pendant la phase écrite de la
procédure et en faisant abstraction des éléments accessoires ou subsidiaires, il semble qu'il y ait lieu
de relever plus particulièrement, à l'intention de Messieurs les Juges de cette Chambre de la Cour,
les aspects du conflit propre au secteur de Tepanguisir qui sont, bien entendu de l'avis du
Gouvernement de la République du Honduras, juridiquement importants et centraux :
a) Il s'agira tout d'abord de l'origine chronologique de la controverse puisque, tandis que la
République d'El Salvador indique la date de 1935, le Honduras croit avoir fourni des éléments de
preuve suffisants pour établir que depuis les négociations de La Hermita (1881), jusqu'à l'époque
1980-1985, ont eu lieu rien de moins que cinq séries de négociations sur le sujet de la montagne de
Tepanguisir.
b) Il s'agit ensuite des principes juridiques applicables, étant donné qu'El Salvador tout en se
référant à l'uti possidetis juris de 1821, recourt abondamment à d'autres arguments incompatibles
avec ce principe, même s'il répète sans cesse qu'il emploie ces arguments uniquement pour
corroborer ledit principe (effectivités, arguments humains, contrôle administratif, etc.).
c) Il s'agit enfin - question d'une importance décisive dans le secteur dont nous nous occupons
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en ce moment - de l'interprétation du droit colonial espagnol, dans l'optique de l'application de l'uti
possidetis juris de 1821. Pour la République d'El Salvador, l'autorisation donnée par la "Real
Audiencia" de Guatemala dans le cadre de la procédure de 1776, implique en même temps une
exception en ce qui concerne le ressort du juge des terres chargé de l'intervention et une modification
corrélative des limites juridictionnelles provinciales conformes aux actes judiciaires. La République
du Honduras rejette catégoriquement une pareille thèse qui supposerait une distorsion grave de ce
qu'ont été le système colonial espagnol et son organisation du pouvoir territorial, conformément au
droit de l'époque.
d) Il s'agit enfin de l'antagonisme des positions des Parties à propos de l'importance et de la
valeur accordée aux faits survenus postérieurement à 1821.
* * *
Les problèmes théoriques d'ordre général
Monsieur le Président, Messieurs les Juges de la Cour, comme je l'avais indiqué au début de
mon intervention, je vais maintenant consacrer la deuxième partie de cette intervention à l'examen
des problèmes théoriques d'ordre général qui se présentent dans le secteur ligitieux de Tepanguisir.
9. Le droit colonial espagnol : "ejidos" et juridiction
Il s'agit là d'une question dont les aspects essentiels ont été traités dans l'intervention orale de
mon éminent collègue le professeur Nieto García, expert espagnol de grande renommée. Je me
contenterai donc, ici, de relever certains aspects de cette question qui intéressent le cas de
Tepanguisir.
El Salvador soutient (cf. RES, vol. I, par. 3.1-3.4, en relation avec les par. 2.28 à 2.30) qu'en
application de la "Real Cédula" du 1er novembre 1591 et comme il ressort de la consultation du
professeur Nieto García, la procédure de 1776 a porté modification des limites provinciales entre les
deux Parties, les "tierras ejidales" ("ejido" de réduction) demeurant sous la juridiction d'El Salvador
par suite de la dérogation accordée au juge sous-délégué des terres de Chalatenango par la "Real
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Audiencia" de Guatemala. Cette thèse est susceptible de diverses réfutations.
Tout d'abord, la "Real Cédula" de 1591 que cite El Salvador ne confère aucun pouvoir au
président pour modifier les limites provinciales établies et ce n'était d'ailleurs pas son intention. Il ne
pouvait en être autrement, compte tenu des dispositions de la loi 1 du titre 1 du livre V de la
"Recopilación" des Lois des Indes, comme l'a démontré le Honduras (cf. RH, vol. I, p. 47 et suiv.), et
contrairement à ce qu'El Salvador essaye de faire valoir inutilement. Je suis convaincu que le bon
sens juridique de Messieurs les Juges les amènera à la même conclusion. La "Real Cédula" de 1591
avait pour objet de favoriser et réglementer la "composition" des terres.
En deuxième lieu, et en liaison avec ce qui précède, la loi 2 du titre 2 du livre V de la
"Recopilación" susmentionnée stipulait que :
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"Les Vice-Rois et Présidents ne pourront accroître ou réduire les villages et
territoires des Gouvernements et 'Corregimientos' qui relèvent de notre compétence. Et
nous ordonnons, au cas où certains auraient été démembrés, de les réunir et regrouper,
en les restituant aux Gouverneurs dans toute leur juridiction."
Cette loi abonde donc dans notre sens et corrobore en tous points la position du Honduras en la
matière.
Troisièmement, la loi 15 du titre 2 du livre V de la même "Recopilación" : prévoit :
"Nous ordonnons que les gouverneurs et 'corregidores' visitent tous les 'términos'
de la ville, bourg ou terre qui relèvent de leur charge . . . et si les coupables sont de leur
juridiction, qu'ils en connaissent brièvement et sommairement, jusqu'à leur faire
restituer (les 'términos' usurpés naturellement), et s'ils ne sont pas de leur juridiction,
qu'ils en rendent compte à l' 'Audiencia'."
C'est pourquoi, l'"Audiencia" (selon le libellé exact de la consultation du professeur Nieto García)
"pouvait agir comme suit : soit confier la tâche à l'autorité inférieure compétence, soit
commettre ou déléguer une autorité initialement incompétente pour qu'elle exerce des
pouvoirs exceptionnels extraterritoriaux en dehors de sa juridiction" (CMH, annexe I,
p. 57).
Il en ressort donc que la conclusion du professeur Nieto García est totalement opposée à celle que lui
prêtait la réplique salvadorienne en citant un texte tronqué et incomplet qui omettait, bien entendu,
certains mots et données essentiels. Les "Reales Audiencias" ne pouvaient à aucun moment modifier
les limites provinciales intérieures — ce serait la guerre civile — étant donné que cette compétence
- 20 -
revenait exclusivement au monarque (quelque "vagues" qu'aient été ces frontières) ou, à défaut, au
Conseil des Indes. Ce dernier point ne fait absolument aucun doute lorsqu'on en revient à la lettre de
la loi 2 du titre IX du livre V :
"Nous ordonnons aux Vice-Rois et au Présidents d'éviter de prendre des
ordonnances et des décrets sur des compétences de juridiction avec les 'Audiencias'
qu'ils président, et lorsque le cas se présente, d'en rendre compte à Conseil pour qu'il
statue comme il convient."
La clarté de ce dernier principe du droit espagnol nous dispense, Messieurs les Juges, de tout autre
commentaire du fait que le système espagnol est exprimé d'une manière on ne peut plus évidente.
L'approche salvadorienne, comme il ressort à l'évidence, ne se réfère pas au droit colonial espagnol
mais seulement à une toute petite partie de ce droit, ce qui amène à des conclusions manifestement
incorrectes.
En effet, lors de la procédure de 1776, la "Real Audiencia" — dans le plein exercice de sa
compétence — a autorisé l'intervention à titre exceptionnel du juge de Chalatenango qui avait
initialement compétence pour intervenir uniquement dans ce cas hors de son ressort normal. Cette
intervention — comme il ressort de la consultation du professeur Nieto García — se bornait au
dominium privé et ne s'étendait à aucun moment au territoire (et à la juridiction annexe), une
compétence exclusivement attribuée par le monarque, par le truchement du Conseil des Indes (ibid.,
p. 58). Il est pour nous incompréhensible, Messieurs les Juges de la Chambre, que l'exposé très clair
de notre collègue de Madrid ait put donner lieu à une interprétation et à une utilisation aussi erronée
de la part d'El Salvador.
En quatrième lieu, El Salvador maintient que l'"ejido" de Tepanguisir est un "ejido" de
réduction. La République du Honduras nie catégoriquement que ce soit le cas, compte tenu des
termes mêmes du titre précité de 1776 (MH, annexes, vol. IV, annexe IX.1.2, p. 1795) selon lesquels
"nous n'avons même pas la lieue carrée que Sa Majesté donne comme 'ejido' (il s'agit
bien entendu de l' 'ejido' de réduction) . . .en vertu de quoi et étant donné que cette
montagne se trouve dans la juridiction de Gracias a Dios, qui est située à plus de
soixante lieues de chemins en mauvais état et que cela nous coûtera très cher de faire
venir un juge depuis là-bas pour qu'il prenne ces mesures, Votre Honneur aura
l'obligeance de venir mesurer les terres dont nous aurons besoin sur cette montagne, en
nous donnant cet 'ejido' en entier et s'il restait encore une parcelle, nous sommes
disposés à suivre la procédure d'octroi par Sa Majesté".
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Autrement dit, ce libellé vise à une "composition" avec le roi et exclut qu'il s'agisse d'un "ejido" de
réduction, ce qui, joint aux arpentages et réarpentages, nous situe dans le cadre propre à un de ces
"ejidos" de composition tels qu'ils ont été définis par Francisco de Solano (cf. CMH, vol. I, p. 73 et
suiv.). De toutes façons, dans ce cas précis, (et seulement dans ce cas-là), la qualification d'"ejido"
n'est pas contradictoire avec la donnée essentielle selon laquelle les habitants de Citalá ont demandé
l'intervention à titre exceptionnel du juge de Chalatenango pour qu'il procède à l'argentage d'un
"ejido" qui n'est pas de réduction et ont admis que le juge normalement compétent est celui de la
province de Gracias a Dios. Le juge de Chalatenango, une fois son intervention achevée, na jamais
modifié le territoire ni la juridiction pertinente, mais s'est prononcé sur le "término" ayant caractère
strictement de propriété privée.
10. Pour en terminer ce chapitre, Messieurs les Juges de la Cour, l'intervention qui a eu lieu en
1776 à Tepanguisir, si l'on s'en tient à une interprétation correcte et évidente du droit espagnol de la
période coloniale, a eu un effet juridique de caractère purement privé et n'a pas transformé le moins
du monde la juridiction de la province de Gracias a Dios sur la montagne en question. Avant comme
après cette procédure, Tepanguisir faisait partie intégrante du territoire de Gracias a Dios;
néanmoins, après 1776 la titularisation patrimoniale sur l' "ejido" de Tepanguisir est revenue aux
habitants de Citalá. Je vous prie de bien vouloir excuser, Monsieur le Président, Messieurs les
Juges, cette digression sur le droit colonial espagnol dans la zone litigieuse de Tepanguisir car le
professeur Nieto García, j'en suis conscient, a, dans son intervention précédente, expliqué bien mieux
que moi les problèmes en présence. Je me suis simplement efforcé d'extrapoler à partir de ses
conclusions pour les appliquer à cette zone précise de la frontière terrestre contestée.
La conclusion générale que je viens de développer, à propos du principe de la non-identité
entre les limites foncières privées et les limites provinciales, ne fait au demeurant pas appel à une
règle particulièrement singulière et exorbitante du droit colonial espagnol. Bien au contraire, comme
le professeur Bardonnet s'est déjà chargé de l'expliquer de fa,con plus brillante et méticuleuse dans
son intervention orale, il s'agit d'un principe enraciné dans le droit comparé, bien connu dans les
divers ordres juridiques et qui relève, en fin de compte, du simple bon sens et de l'interaction entre les
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relations privées dans le cadre de la vie des collectivités et des municipalités. Les trois propositions
auxquelles faisait allusion mon distingué collègue et ami le professeur Bardonnet, trouvent leur claire
application dans le cas de Tepanguisir et répondent à une pratique courante et généralisée dans le
droit colonial espagnol, dans d'autres situations coloniales (comme ce fut le cas de la colonisation
française en Afrique) et dans le droit municipal comparé. De sorte que, loin de faire référence à un
principe obscur et extravagant du droit espagnol des XVIIe
et XVIIIe
siècles, nous nous trouvons
face à une solution courante dans les législations nationales qui continue de s'appliquer à notre
époque, aujourd'hui.
11. L'uti possidetis juris et autres principes juridiques
Les deux Parties sont d'accord pour reconnaître dans l'uti possidetis juris de 1821 le principe
directeur qui doit sous-tendre la solution du litige dans la zone contestée de Tepanguisir. Mon
éminent collègue, le professeur Paul De Visscher, a déjà expliqué devant vous, Messieurs les Juges
de la Cour, la position exacte du Gouvernement du Honduras en la matière pour ce qui est du cas qui
nous occupe, une position qui pourrait se résumer comme suit : ce principe "accorde au titre
juridique la prééminence sur la possession effective comme base de la souveraineté (C.I.J. Recueil
1986, p. 566, par. 23); et l'effet juridique qui en résulte est tout aussi clair puisque ce principe "gèle
le titre territorial; il arrête la montre sans lui faire remonter le temps" (ibid., p. 568, par. 30).
Malgré cela, la République d'El Salvador, tout en acceptant formellement ce principe, le corrompt
sur un plan juridico-matériel au moment de le mettre en oeuvre, particulièrement dans le secteur de
Tepanguisir.
Le Honduras, dans ses écrits, a pris comme point de départ et comme point d'arrivée l'uti
possidetis juris de 1821, du fait qu'il considère que les "titúlos ejidales" délivrés avant 1821 par les
autorités espagnoles, correctement interprétés à la lumière des principes de répartition des
compétences ratione loci et ratione materiae en vigueur en Amérique centrale pendant la période
coloniale, suffisent pour établir le tracé de la ligne divisoire dans la plus grande partie de la zone
comprise entre El Cerro El Zapotal et El Cerro de Montecristo.
El Salvador en revanche, tout au long de ses écrits, ajoute d'autres principes qui tendent à
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dénaturer — voire en fait à nier peut-être — l'uti possidetis. C'est notamment le cas lorsqu'il renvoie
aux "effectivités" (possession effective, nécessités humaines vitales, application artificielle du droit
colonial espagnol, contrôle administratif, etc.). Notamment en ce qui concerne le secteur contesté
actuellement à l'examen, El Salvador :
a) qualifie les "ejidos" de "political institution" (cf. MES, vol. I, chap. 6.9);
b) considère que ces "ejidos" confèrent "l'autorité administrative" sur la montagne à ce pays (cf.
CMES, vol. I, p. 40, par. 3.3);
c) fait valoir enfin ouvertement l'argument des "effectivités"(cf. RES, vol. I, p. 39 et 40,
par. 3.5);
d) par voie de conséquence, met en avant la sentence arbitrale prononcée le 23 janvier 1933 dans
le Différend frontalier entre le Guatemala et le Honduras (cf. CMES, Chap. 2.7 et 2.8).
Il va de soi qu'une application pratique de l'uti possidetis juris de 1821 telle que l'envisage El
Salvador dans le secteur de Tepanguisir mérite certains commentaires. Une grande partie des
affirmations d'El Salvador ont comme toile de fond le concept, la nature et les effets des "ejidos"
dans le droit colonial espagnol. Je ne reviendrai pas, Messieurs les Juges, sur les observations que je
viens de formuler à ce propos ni sur celles qu'a exposées précédemment, avec une autorité
scientifique plus grande, mon collègue de Madrid et spécialiste, le professeur Nieto García. De
toutes fa,cons, le noeud gordien de la question consiste à déterminer si l'octroi d'"ejidos" de
composition implique une modification de la titularisation privée des terres ou une modification des
limites juridictionnelles provinciales. Sur ce point, la République du Honduras a déjà largement
expliqué sa position et n'estime pas opportun de revenir sur une question déjà débattue en détail
devant cette Chambre.
S'agissant de la référence d'El Salvador à la sentence de 1933, qu'il me soit permis d'attirer
l'attention de la Chambre sur deux points précis. Tout d'abord, la jurisprudence internationale en
matière d'uti possidetis juris est abondante, riche et complexe et a fait l'objet d'une analyse in
extenso et rigoureuse dans les écrits successifs du Honduras. Aussi, semble-t-il que chercher à
ramener le foisonnement de la jurisprudence en la matière à une décision unique relève pour le moins
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d'un "réductionnisme", plutôt simpliste et difficilement admissible; se livrer à des extrapolations de
passages isolés d'une décision pour les présenter comme constituant la jurisprudence internationale
existant en la matière est une opération douteuse tant du point de vue juridique qu'intellectuel.
En effet, les citations salvadoriennes doivent être mises en rapport avec l'analyse documentaire
minutieuse à laquelle s'est livré le tribunal arbitral en 1933 à propos des limites de la région de Omoa
et de la zone de Cuyamel; sans compter que le tribunal a exclu ces documents qu'il a estimé ne
comporter que des références "general" et "ambiguous" au territoire, sans exclure pour autant les
références concrètes et claires, telles que celles figurant dans le titre des terres. En deuxième lieu,
comme l'a fait valoir le Honduras dans ses écrits et comme l'a mis en évidence dans son intervention
orale le Professeur De Visscher, le cadre général du contentieux entre le Honduras et le Guatemala
résolu en 1933 était totalement différent de celui de la présente affaire, étant donné que dans le
premier cas, l'article V du compromis permettait au tribunal "de modifier comme il le jugerait
convenable la ligne de l'uti possidetis de 1821 et d'accorder telle compensation territoriale ou autre
qu'il estimerait équitable qu'une Partie paye à l'autre". Monsieur le Président, Messieurs les Juges de
la Cour, je me permets d'attirer votre attention sur cette question de fond, car comme nous aurons
l'occasion de le constater au long des séances orales, le recours que fait El Salvador à la sentence
Hughes de 1933 représente un des leitmotiv de ce pays en ce qui concerne les différentes zones
terrestres. Il y a donc lieu d'ores et déjà d'attirer l'attention de la Chambre sur cette attitude.
S'agissant du problème de la non-identité des limites foncières et des limites administratives
qui se pose dans le cas de Tepanguisir et de ses effets pratiques dans le cadre de l'application de l'uti
possidetis de 1821, il y a à peine lieu de rappeler à la Cour qu' "à l'époque coloniale, le fait que les
habitants d'un village se trouvant dans une colonie française voisine, et à plus forte raison sur celui
d'un autre cercle relevant de la même colonie, n'était nullement en contradiction avec la notion de
limite bien déterminée entre les diverses colonies ou cercles" C.I.J. Recueil 1986, p. 616-617,
par. 116). Précisément dans cette affaire Burkina Faso/Mali, on a abordé le problème des villages
en tant qu'entités territoriales et des terrains de culture qui dépendaient d'eux, pour déclarer en
conclusion que : "Si de tels droits (fonciers ou autres) étaient sans effet sur l'emplacement de cette
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limite (séparant les deux colonies préexistantes), ils n'affectent pas non plus le tracé de la frontière.
(Ibid., p. 617.) Ainsi donc, la jurisprudence internationale la plus récente ne semble pas avoir
rencontré de grands problèmes pour établir une distinction entre ce qu'est une limite purement de
droit privé et une limite juridictionnelle qui en vertu de l'uti possidetis a valeur de titre pour la
détermination d'une frontière.
12. Somme toute, le Honduras estime que dans le cas de ce secteur, il ne peut être dit que les
documents antérieurs à 1821 indiquent les limites de provinces de façon générale ou "ambiguë", alors
qu'ils le font de façon concrète et claire c'est-à-dire se référant à une zone concrète située précisément
d'un côté ou de l'autre des limites administratives. Et plus particulièrement encore, dans la zone de
Tepanguisir où, selon El Salvador, apparaît "in purest possible form the central and most crucial
issue that arises in this frontier dispute" (CMES, chap. 3.2), les deux Parties en effet, fondent leurs
prétentions sur le titre de Citalá de 1776. Mais ce document ne fournit pas que les seules limites du
terrain : il énonce en toute netteté que la montagne de Tepanguisir faisait partie de la province de
Gracias a Dios. Aux fins de l'application de l'uti possidetis juris, ce sont les lieux indiqués dans ce
document à l'ouest, au sud et à l'est du terrain qui sont pertinents car ces lieux faisaient partie en
1776 de la province de Gracias a Dios, de même que les "terres de la Couronne", "tierras Realengas"
contiguës, selon le même titre. Et il appartient au Salvador de prouver, face à ce document de 1776,
que les limites de la province de Gracias a Dios étaient différentes ou s'étendaient plus au nord.
Invoquer uniquement les limites du terrain n'est, en l'espèce, qu'un expédient qui dénature l'uti
possidetis juris.
Une fois adopté ce point de vue, il semble raisonnable de se demander où El Salvador situe le
principe juridique applicable à la zone de Tepanguisir, dans le cadre de l'uti possidetis ou en marge
de ce principe ? A mon avis, la réponse est loin d'être claire. En effet, l'uti possidetis situe la date
critique en 1821 et à aucun autre moment.
Monsieur le Président, il me serait agréable de m'arrêter ici, si vous l'estimez correct, pour
faire la pause café, étant donné qu'immédiatement après je commercerai une autre partie de mon
exposé.
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The PRESIDENT: I thank Professor Sanchez Rodriguez. We shall take a break and will be
back in 15 minutes.
L'audience est suspendue de 11 h 20 à 11 h 35.
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The PRESIDENT: Please be seated. I give the floor again to Mr. Sáchez Rodriguez.
M. SANCHEZ RODRIGUEZ : Merci beaucoup, Monsieur le Président.
13. J'en viendrai maintenant à un troisième problème théorique d'ordre générale : la relation
entre l'uti possidetis juris, la date critique, le statu quo et le comportement possessoire ultérieur
des Parties dans une controverse territoriale. Dans notre cas, comme nous le savons, l'uti
possidetis juris en cause a pour effet juridique de "geler le titre territorial", d'"arrêter la montre sans
lui faire remonter le temps", de présenter un "instantané territorial à la date critique" (C.I.J. Recueil
1986, p. 570, par. 33). De sorte qu'à la date critique de 1821 on peut affirmer d'une certaine
manière qu'on a arrêté le temps de la preuve ou, autrement dit, qu'une Partie ne peut effectuer des
actes visant à améliorer sa position vis-à-vis de l'autre Partie postérieurement à ladite date. Comme
l'a signalé un éminent expert qui est déjà intervenu devant cette Chambre lors des séances
précédentes, il existe des controverses territoriales dans lesquelles
"les Parties sont parvenues à un accord pour maintenir en l'état la zone contestée,
c'est-à-dire pour assurer le statu quo territorial existant à un moment donné jusqu'à ce
que le différend soit, d'une manière ou d'une autre, parfois de longues années plus tard,
réglé . . . Il existe par conséquent un lien entre les notions de date critique, de statu quo
et de territoire contesté (D. Bardonnet, "Les faits postérieurs à la date critique dans les
différends territoriaux et frontaliers", dans Le droit international au service de la paix,
de la justice et du développement. Mélanges Michel Virally, Paris, 1991, p. 56 et 57).
Monsieur le Président, Messieurs les Juges, analysons maintenant comment cette question
s'insère dans la présente controverse: non seulement en ce qui concerne la zone de Tepanguisir mais
également dans les autres zones litigieuses, c'est-à-dire dans une perspective générale, étant donné
que la propension qu'El Salvador montre à se retrancher derrière les effectivités représente une
tendance par ailleurs générale qui se manifeste sur la quasi totalité de la frontière en cause. Tant et
si bien que la question mérite une analyse globale à la recherche de conclusions également globales.
14. La présente controverse entre le Honduras et El Salvador a une longue histoire derrière
elle, au cours de laquelle divers efforts ont été tentés pour trouver une solution par des voies
conventionnelles (cf. MH, vol. I, p. 46-78). Nous allons sans plus tarder étudier ce système
complexe de règles conventionnelles afin de trouver des réponses précises liées au statu quo
territorial, en posant certaines questions que nous estimons pertinentes et en y répondant.
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La première question est la suivante : eu égard aux règles de droit international concernant la
souveraineté territorial et à leur application par le juge international, quel est le statut d'une zone
contestée par deux Etats et, en particulier, quel comportement peut-on exiger des Etats parties au
litige dans cette zone ? La réponse à la question posée appelle des observations sur deux notions
qu'elle met en cause, celle de "zones contestées" et celle de "statu quo" qui apparaissent d'ailleurs
liées l'une à l'autre. Si l'on prend le terme "zone contestée" au sens large, celle-ci n'est rien d'autre
que le territoire que est l'objet d'un litige. Mais cette formule, si simple, n'est que d'une apparente
simplicité. Déjà le fait que l'Etat contre lequel on réclame accepte de reconnaître que le différend
existe, cela implique qu'il y a, au moins en apparence, un problème. Si l'étape suivante est franchie
et si les Etats en conflit sont entrés dans une négociation, cela devrait obliger l'Etat qui occupe une
partie de la zone contestée à ne pas faire des actes radicalement contraires à l'objet et au but de la
négociation. Mais les Etats peuvent s'engager dans une procédure plus formalisée et plus
contraignante que celle des simples négociations et notamment dans une procédure arbitrale ou
juridictionnelle. Dans ce cas on admet généralement que la bonne foi oblige à n'entreprendre aucune
action susceptible d'aggraver le différend et à éviter qu'une atteinte irrémédiable soit apportée à
l'objet du différend (exemple : l'article XVIII de la convention de 1907 pour l'établissement d'une
cour de justice de l'Amérique centrale :
"Dès qu'une instance est engagée contre un ou plusieurs gouvernements et
jusqu'à la décision définitive de la Cour, celle-ci peut, sur la demande d'une des parties,
fixer la situation de fait que les parties litigantes devront respecter afin que les
difficultés existantes ne s'aggravent pas et que les choses demeurent en l'état jusqu'à la
décision définitive de la Cour."
Les considérations qui précèdent permettent de préciser plus facilement ce qui constitue le
caractère spécifique des conflits de délimitation et notamment des différends qui peuvent naître, tant
que celle-ci n'est pas terminée. En effet l'opération de délimitation présente à la fois des analogies
avec la négociation d'un traité et avec une procédure juridictionnelle : il s'agit de la recherche d'un
accord au sein d'une commission de délimitation et de l'application d'un principe ou d'un ensemble de
principes (géographiques, astronomiques, juridiques, etc.) de manière à déterminer une description
plus concrète et continue de la ligne de frontière. Il est donc tout à fait normal que la bonne foi
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s'impose aux parties pendant toute la durée de la procédure de délimitation.
Si l'on considère maintenant la portée des obligations générales des Etats parties à une
opération de délimitation, il faut présenter une distinction très importante entre deux groupes
d'obligations :
a) les obligations très générales de bonne foi;
b) les obligations spécifiques à une opération de délimitation, c'est-à-dire des obligations
existantes à partir du moment où les parties ont reconnu ou convenu qu'il y avait lieu de procéder à
une délimitation : elles sont inhérentes à l'opération de délimitation elle-même, elles existent
indépendamment de tout engagement conventionnel exprès (maintien de l'ordre public et d'une
administration normale, et interdiction aux Etats de réaliser des actes qui ont pour objet d'améliorer
leur position juridique dans les procédures de délimitation).
En ce sens, mais en ce sens seulement, on peut dire que la décision de procéder à une délimitation
présente le caractère d'une date critique.
Il reste encore à présenter quelques observations très brèves sur le statu quo. Un examen de
la pratique conventionnelle (cf. D. Bardonnet, "Les frontières terrestres et la relativité de leur tracé",
Recueil des cours de l'Académie de droit international, vol. 153, p. 47 et suiv.), montre que souvent
les Etats se réfèrent au "statu quo", au "maintien en l'état de la zone contestée" ou à des formules du
même genre, en ajoutant sa conséquence juridique la plus certaine et la plus importante :
l'impossibilité de se prévaloir, pour modifier les conséquences de l application des principes
déterminant la frontière, de faits d'exercice de la souveraineté. Il faut même aller plus loin. Il n'est
pas inutile, pour éviter toute discussion, de spécifier dans un traité des obligations qui vont de soi et
il est indispensable de spécifier celles qui prêtent à contestation, mais même si un accord de
délimitation qui pose le principe d'une délimitation ou règle son mécanisme garde le silence sur la
question du status quo, il faut considérer que des actes de souveraineté postérieurs à cet accord ne
peuvent être pris en compte pour la réalisation de la délimitation : en effet la source de cette
obligation n'est pas une disposition contingente de l'accord, mais la nature même du processus de
délimitation dont les Etats ont reconnu la nécessité et décidé le principe.
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On peut donc, en résumé, répondre à la première question posée dans les termes suivants :
- Pour les conflits territoriaux de toute nature les obligations d'un Etat portant sur un espace
terrestre dont la souveraineté lui est contestée prennent naissance quand cet Etat s'est engagé dans un
processus (négociation, arbitrage, etc.) qui entraîne pour lui des obligations découlant de la nature
même de ce processus. En règle générale ces obligations ne portent que sur l'interdiction d'actes
nettement abusifs en contradiction avec l'objet même du processus poursuivi.
- En matière de conflits de délimitation, quand deux Etats ont établi les règles qui déterminent
les frontières, s'ils ont reconnu la nécessité de recourir à une procédure de délimitation, ils ont, outre
les obligations spécifiées ci-dessus, celle de s'abstenir de tout acte, juridique ou matériel, qui
perturberait cette procédure ou aurait pour intention ou pour résultat de modifier à leur profit
l'application des principes retenus pour la détermination de la frontière. De tels actes sont
inopposables à l'autre Etat.
15. Cette première question a sans aucun doute un caractère abstrait et générique mais la
réponse qu'elle appelle a une importance indubitable dans notre ligne argumentaire. S'agissant de la
second question, c'est encore plus le cas : en ce qui concerne le présent litige, on a fait état de
l'article 5 de la convention des limites du 28 septembre 1886 où l'on se réfère à "la ligne de partage
que l'on acceptait comme telle en 1884 (c'est-à-dire avant la convention Cruz-Letona) et qui fut
reconnue par le statu quo convenu par le gouvernement des deux Républiques". Compte tenu des
actes antérieurs auxquels se rapporte cette disposition, la République du Honduras est-elle fondée en
droit de soutenir maintenant que les actes d'exercice de souveraineté réalisés par El Salvador entre
1884 et 1886 et postérieurement à 1886 ne peuvent servir de fondement aux prétentions territoriales
de cet Etat, ces actes étant contraires au statu quo convenu entre les deux Républiques ?
A propos de la question qui précède, il convient d'apporter trois éclaircissements. Tout
d'abord, les Parties étaient d'accord pour considérer que l'uti possidetis juris comme étant le principe
juridique applicable à la détermination de la frontière, un principe consacré dans une multitude de
textes conventionnels et sur lesquels je ne crois pas nécessaire d'insister. Il suffit d'indiquer qu'à cet
égard la convention Zelaya-Galindo de 1889 apporte une illustration particulièrement appropriée et
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que cette convention envisage une solution pour l'ensemble de la frontière. En deuxième lieu, les
deux Parties ont reconnu la nécessité d'une opération de délimitation, au début de caractère local puis
à partir de 1886-1889 de caractère général pour la totalité de la frontière. A partir de 1881 environ,
les deux gouvernements avaient pleinement reconnu la nécessité d'une vaste opération de
délimitation. Non seulement les conflits relatifs à des "ejidos" prenaient au début de la deuxième
moitié du XIXe
siècle de l'extension, mais le développement économique et celui des
communications, la main-mise humaine croissante sur toutes les terres rendaient nécessaire une
délimitation globale. L'incident de la tentative Crux-Letona de 1884 est à cet égard tout à fait
significatif. Tout d'abord une initiative est prise pour délimiter toute la frontière et cette initiative
n'est pas contestée par El Salvador. Mais, même du côté du Honduras qui a considéré que le
commissaire hondurègne avait dépassé ses pouvoirs, le sentiment de la nécessité de cette délimitation
devait être très fort, puisque deux années plus tard, en 1886, était conclue la convention
Zelaya-Castellanos. Celle-ci prévoit en effet un processus expéditif pour délimiter toute la frontière.
Troisièmement, l'obligation juridique de procéder à une délimitation ressort de la convention
Tosa-Gallegos de 1880 (arbitrage), de la convention Zelaya-Castellanos de 1886 (recours à un tiers)
et de la convention Zelaya-Galindo de 1889 (arbitrage).
Dans ces conditions il n'est pas douteux qu'il y ait eu pendant la période considérée et qu'en
tout cas pour les années 1880 à 1895, il y avait pour les deux Etats une véritable obligation juridique
de recourir à une opération de délimitation, accompagnée au besoin de recours à un tiers et
d'arbitrage. Et cette obligation avait deux aspects que l'on a longuement exposés et qu'il suffit de
rappeler :
- primo, s'abstenir de tout acte, juridique ou matériel qui perturberait une procédure de
délimitation ou aurait pour intention ou pour résultat de modifier à leur profit l'application des
principes retenus pour la détermination de la frontière:
- secundo, reconnaître que tout acte présentant de tels caractères est dépourvu de tout effet au
regard de l'opération de délimitation.
Dans la ligne du raisonnement précédent et à fortiori une obligation de statu quo a été établie
- 32 -
dans deux conférences entre délégations, devant leur incapacité à se mettre d'accord sur la ligne
frontière. A la conférence Cruz-Letona (1880) quand les délégués sont arrivés à l'exposé des
prétentions contraires du Honduras et d'El Salvador dans la région de Poloros, Arambala, Perquin et
San Fernando, ils ont terminé le procès-verbal par la décision suivante :
"Et vu ces difficultés de délimitation de frontière, aux lieux sus- indiqués,
chacune des Parties contractantes, croyant que sa prétention est fondée sur des
documents dignes d'attention et sur leur légitime droit, il est convenu d'ajouter les
données instruisant cette affaire aux négociations qui ont lieu afin d'en rendre compte
aux respectifs Gouvernements et, entre-temps de laisser le statu quo des terrains qui
sont en litige." (MH, annexes, vol. I, annexe III.1.24, p. 102.)
A la conférence de La Hermita (1881), les délégations cherchant à délimiter la frontière dans
la région Citalá-Ocotepeque (et donc en ce qui concerne les zones de Tepanguisir et de Cayaguanca)
terminèrent le procès-verbal par une formule analogue :
"on observe que sont nombreuses les difficultés qui empêchent d'arriver à un accord sur
la démarcation entre les lieux indiqués dans les documents précédents qui délimitent les
terrains communaux et les juridictions entre les villages susmentionnés, car chacune des
Parties croit que sa prétention est juste et bien fondée, étant donné les documents
examinés. On décide donc, d'après l'acte passé le 8 mai courant, de joindre les copies
des documents qui instruisent cette affaire; pour le moment le statu quo qui existe dans
les terrains en litige sera maintenu" (ibid., annexe III, 1.35, p. 126).
Dans un esprit différent la convention Zelaya-Castellanos (1886), contient un article 5 ainsi
conçu :
"Pendant que se réalisera la délimitation définitive qui est l'objet de la présente
convention, les autorités et les villages frontaliers garderont et respecteront la ligne de
démarcation qui était valable en 1884 et qui fut ratifiée par le statu quo convenu entre
les Gouvernements des deux Républiques et en totale abstraction de la ligne de frontière
tracée par les délégués M. Francisco Cruz et M. Lisandro Letona et qui ne fut pas
approuvée par le Congrès de Honduras."
Compte tenu de ce qui précède et pour ne pas prolonger inutilement l'analyse, on peut conclure
qu'à un statu quo tiré du droit international général, du droit coutumier (voir par. 14 ci-dessous)
s'ajoute, dans le cas qui nous occupe, un statu quo d'origine conventionnelle. Aussi, le Honduras
peut-il se prévaloir simultanément de la règle conventionnelle et de la règle coutumière conformément
à la jurisprudence internationale (cf. l; arrêt de la Cour du 27 juin 1986, C.I.J. Recueil 1986, p. 93.
par. 175 et suiv.).
En conclusion, les actes d'exercice de la souveraineté territoriale réalisés par El Salvador entre
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1884 et 1886 et postérieurement ne peuvent servir de fondement aux prétentions territoriales de cet
Etat parce que ces actes sont contraires à un statu quo conventionnellement établi et sont aussi
incompatibles avec les obligations qui naissent selon le droit international des procédures de
délimitation engagées. La question que nous avons formulée au début du présent paragraphe trouve
donc là sa réponse.
Monsieur le Président, Messieurs les Juges de la Cour, afin de boucler, dans toute la mesure
du possible, la boucle de mon argumentation juridique, je formulerai la troisième des questions qu'il
y a lieu de poser et je m'efforcerai d'y répondre : les conventions de limites postérieures, à savoir la
convention Bonilla-Velasco de 1895 et la convention Laínez-Peccorini du 5 avril 1918, n'ont pas
repris la référence au statu quo incluse dans la convention de 1886. Cette donnée modifie-t-elle la
réponse à la conclusion précédente ?
Les traités retenus (convention Bonilla-Velasco de 1895, convention Barahona-Gallegos de
1906 et convention Laínez-Peccorini de 1918) ont institué les procédures nécessaires pour délimiter
d'une manière complète et définitive la frontière, mais aucun de ces traités ne contient de dispositions
visant le statu quo. Il y a lieu de rappeler que la convention Zelaya-Galindo de 1889 établissait dans
son article 2.4 que : "L'arbitre, pour fixer les frontières s'en tiendra au titre de souveraineté du
territoire pleinement établi et ne reconnaîtra aucune valeur juridique à la possession de fait
alléguée par l'une ou l'autre des Parties." Cette règle traite d'une question qui relève également du
statu quo, à savoir l'absence d'effet des occupations irrégulières, et les conventions de 1895 (art. 2.4)
et de 1918 (art. 2.3) contiennent également une règle à ce sujet.
Vu les articles 30.3 et 59.1 de la convention de Vienne sur le droit des traités de 1969, on
constate immédiatement que les dispositions des accords prévoyant le statu quo ne sont pas
incompatibles avec celles des traités de 1889, de 1895 et de 1918 puisque ces traités sont
complètement muets sur ce point. Et rien n'empêche de maintenir en vigueur certaines dispositions
d'un traité antérieur qui sont parfaitement détachables des autres dispositions de ce traité (article 44
de la convention de Vienne de 1969).
Mais il y a plus.
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Tout d'abord, la convention de 1886 n'abolit nullement les "convenios" de 1880 et 1881 qui
établissent à l'origine le statu quo pour les zones contestées des environs de Poloros et Citalá.
L'article de la convention de 1886 qui se réfère aux "convenios" se borne à rappeler leur existence et
par conséquent même si la convention de 1886 a disparu comme source de droit, les deux
"convenios"en cause sont restés intacts. Ensuite, et cette constatation va au coeur du sujet, un traité
peut disparaître, mais ses effets demeurent (article 70.1.b de la convention de Vienne). A notre avis,
il est permis de penser que les "convenios pertinentes", généralisés par la convention de 1886 ont eu
pour objet et pour effet de reconnaître que les zones contestées devaient désormais rester sous un
régime de statu quo jusqu'à ce que la délimitation soit opérée. On pourrait imaginer que par des
actes postérieurs les gouvernements suppriment un des effets de ce statu quo, mais la charge de la
preuve de ce changement suppose un consentement des deux gouvernements, ce n'est pas la maintien
du statu quo qui doit être établi, mais sa modification.
Et nous en tenant au libellé exact de l'article 2.4 de la convention de 1895 et de l'article 2.3 de
la convention de 1918, à notre avis ces textes ne modifient pas la conséquence du statu quo car on ne
recourt à la possession que pour le cas où l'uti possidetis juris ne donne pas e réponse et la
possession que l'on peut prendre en compte n'est jamais la possession réalisée à partir du moment où
les Parties ont posé les principes d'une procédure de délimitation : ce sont les conventions elles-même
qui renvoient au principe général du droit international.
On peut arriver à une conclusion semblable au vu des dispositions contenues dans les
articles 6, 26 et 37 du traité général de paix du 30 octobre 1980. Sans recourir à une élaboration
plus complexe et en allant directement au fond du problème, l'article 37 précité stipule que :
"En attendant que la totalité de la frontière soit délimitée conformément aux
dispositions du présent traité, les deux Etats s'engagent à ne provoquer aucun fait, acte
ou situation nouvelle risquant de perturber ou modifier l'état des choses existant dans
les zones avant le 14 juillet 1969 et s'obligent à rétablir cet état de choses dans la
mesure où il aurait été modifié, ainsi qu'à adopter d'un commun accord des mesures
adéquates pour qu'il soit respecté, cela en vue de maintenir à tout moment la tranquillité
dans lesdites zones. Les accords d'ordre politique ou militaire conclus à partir de 1969
et qui ont abouti à des situations transitoires à la frontière ne préjudicient pas au droit
éventuel d'aucun des deux Etats sur les zones en litige ni les diminuent."
Ce texte présente un grand intérêt pour notre exposé. Tout d'abord en ce qui concerne les
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événements postérieurs au 14 juillet 1969 il établit un statu quo qui réunit les éléments complets d'un
véritable statu quo, c'est-à-dire trois ordres de disposition :
a) l'interdiction de certains actes définis très largement par le risque d'un effet de perturbation ou
de modification par rapport à l'état de choses;
b) une obligation de restitutio in integrum en cas de modification ainsi que de prévention de tout
ce qui pourrait perturber la tranquillité dans les zones;
c) l'absence d'effets sur le fond du droit des mesures transitoires établies depuis 1969.
En ce qui concerne les événements antérieurs à 1969, l'article 37 garde un silence complet.
Quelle est la portée de ce silence ? A notre avis, l'article 37 ne peut pas préjudicier aux autres
dispositions de ce même traité de 1980 et par conséquent il est certain que les prises de possession
réalisées unilatéralement par un des Etats depuis que l'opération de délimitation est commencée ne
peuvent servir de titre juridique pour fonder le tracé de la ligne divisoire définitive. Ce serait
d'ailleurs une chose extraordinaire et contradictoire que de donner à des actions unilatérales
antérieures à 1969 un effet juridique que l'on refuse à des accords conclus à titre transitoire après
cette même date.
En conclusion et pour apporter une réponse à la troisième des questions par lesquelles j'ai
débuté ce chapitre de mon intervention, je dirais que le fait que la convention Bonilla-Velasco du
19 janvier 1895 et la convention Laínez-Peccorini du 5 avril 1918, auxquelles il faut aussi ajouter la
convention du 30 octobre 1980, n'ont pas repris la référence au statu quo incluse dans la convention
de 1886, n'a pas modifié l'impossibilité juridique pour chacun des deux Etats en conflit de faire
valoir une possession de fait postérieure à la reconnaissance de la nécessité de la délimitation,
comme un élément devant être pris en considération pour la délimitation définitive de la frontière.
17. Voilà donc, Monsieur le Président, Messieurs les Juges de la Cour, enfin bouclée la boucle
logique et argumentaire que j'ai amorcée en formulant les trois questions précédentes. Les
conséquences auxquelles aboutit ce long raisonnement — d'une longueur malheureusement
nécessaire — revêtent, à notre avis, le plus grand intérêt pour le cas qui nous occupe. En effet, si
l'uti possidetis juris a entre autres pour implication d'arrêter la date critique de 1821, ce qui permet
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d'établir la juste valeur des titres présentés par les Parties, le statu quo de 1880 confirme en tous
points le principe précédent, étant donné que tous les actes de possession effective postérieurs à cette
deuxième date sont dépourvus de valeur juridique probante et sont inopposables à l'autre Partie.
Dans ce sens, et seulement dans ce sens, on doit parler ici de deux dates critiques pertinentes : 1821
et 1880.
Sans doute vous demanderez-vous, Messieurs les Juges de la Cour, Monsieur le Président, si
pour en arriver à une conclusion aussi concrète et aussi simple il était indispensable de passer par un
développement argumentaire aussi long et complexe. Permettez-moi de répondre affirmativement à
ce doute. El Salvador a insisté avec persévérance sur l'importance d'arguments tels que la
"possession effective", les "nécessités humaines", le "contrôle administratif", etc.; et pas uniquement
à propos de la zone de Tepanguisir et de celle de Cayaguanca (comme nous aurons l'occasion de la
constater le moment venu) mais il a étendu ces arguments à la quasi-totalité de la frontière terrestre
et aux îles du golfe de Fonseca. Aussi, pour la République du Honduras, est-il indispensable de
couper court à cette erreur : si l'uti possidetis de 1821 a eu pour effet de "geler le titre" et d'enlever
toute valeur aux actes possessoires postérieurs à cette date, le statu quo qui a pris effet à partir de
1880 nous amène à un résultat identique de tout acte de possession effective, pris en soi, est
inopposable à l'autre Partie. Et je me permets de répéter que cette conclusion n'est pas uniquement
applicable au secteur de Tepanguisir mais bien à tous les territoires controversés. La décision finale
de la Cour sera avant tout basée sur les faits, mais sur les faits examinés à la lumière du droit
* * *
Quelques observations concrètes
La Réplique d'El Salvador
18. J'arrive enfin au début de la dernière des trois parties qui composent mon intervention
comme je l'ai annoncé à Messieurs les Juges en l'entamant. Dans cette troisième partie de mon
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exposé, je traiterai de certains aspects particuliers relatifs à la zone litigieuse de Tepanguisir,
notamment aux effectivités salvadoriennes et à d'autres questions particulières soulevées dans ce
dernier écrit présenté par El Salvador.
Le premier de ces problèmes tient aux "tierras realengas" (terres de la Couronne). Comme
nous le savons, lorsque Jiménez de Rubio a arpenté les terres correspondant au titre de Citalá en
1776, il a déclaré qu'à l'ouest de ces terres il y avait des "tierras realengas", qui conformément à la
procédure déjà citée de 1776 se trouvaient situées dans un territoire relevant de la juridiction de
Gracias a Dios. El Salvador, quant à lui, a soutenu dans son premier écrit que ces terres étaient
englobées dans le titre de 1776 (c'est-à-dire dans la zone marquée en bleu (cf. CMH, vol. I, chap. VI,
p. 194 et suiv.; MES, vol. I, par. 6.1 à 6.13 et carte). Le Honduras croit avoir déjà démontré que la
prétention salvadorienne était totalement inexacte.
Mais ce sur quoi nous souhaiterions attirer l'attention de la Cour maintenant est le fait que le
contre-mémoire d'El Salvador consacré à Tepanguisir ne revient pas sur ce point alors que le
Honduras y avait consacré dans son mémoire une carte B.4.2 montrant l'étendue tant du titre de
1776 que des "tierras realengas" à l'ouest du titre de Citalá.
Il en est de même de la réplique salvadorienne qui garde un silence systématique à cet égard et
ne formule aucune observation et n'apporte aucune réponse au contre-mémoire du Honduras (cf.
CMES, par. 3.1 à 3.18, p. 40 à 51 ; et RES, vol. I, par. 3.1 à 3.14, p. 36 à 46). Et l'on peut alors se
demander si El Salvador n'a pas renoncé à continuer de soutenir son argumentation, d'autant plus
que ce pays avait revendiqué l'attribution de "tierras realengas", non dans ce secteur mais au nord
d'une ligne entre le tripoint de Montecristo et la source du torrent Gualcho, au nord de la ligne qu'il
revendique devant la Chambre de la Cour (cf. MES, vol. I, carte 6.7). En conséquence, le Honduras
bénéficie de la présomption d'appartenance de ces "tierras realengas" à la juridiction de Gracias a
Dios qui n'a pas été combattue ni renversée par El Salvador.
La conclusion qui précède, strictement fondée sur l'interprétation raisonnable et littérale du
titre de 1776, c'est-à-dire, sur l'uti possidetis juris de 1821, semble corroborée par les titres fonciers
républicains fournis par la République du Honduras dans son dernier écrit (cf. RH, vol. I, p. 158 à
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165, et carte I.1). En effet, le pays que j'ai l'honneur de représenter a fourni quatre titres fonciers
situés sur les "tierras realengas", correspondant à la période 1824-1886, qui confirment ou
corroborent avec précision le fait que ces terres étaient situées sur le territoire de Gracias a Dios. En
d'autres termes, ils corroborent l'uti possidetis juris de 1821 comme il ressortait de l'interprétation du
Honduras fondée sur la procédure de 1776 et ils démontrent la totale absence de fondement de la
prétention salvadorienne sur ces terres situées à l'ouest de celles qui font l'objet de cette procédure.
20. La deuxième des questions particulières que je souhaite traiter est celle relative aux
"effectivités". Comme Monsieur le Président, Messieurs les Juges de la Cour auront pu le constater,
El Salvador a beaucoup insisté sur cet argument dans les divers écrits soumis et au sujet des diverses
zones contestées. Cela est particulièrement patent dans le cas de Tepanguisir étant donné que l'un
des passages de la réplique salvadorienne porte précisément ce titre (cf. RES, vol. I, par. 3.5, p. 39
et 40). Voyons donc les effectivités que la Partie adverse nous propose dans ce secteur litigieux de
Tepanguisir, tout en nous rappelant que ces effectivités ne sont pas opposables au Honduras, comme
on l'a expliqué précédemment, tant en raison de l'application de l'uti possidetis juris de 1821 que du
fait du statu quo remontant à 1880.
Dans le mémoire salvadorien (cf. MES, annexes, chap. 7), sous la rubrique "Human
Arguments Proof", sont mentionnés deus documents relatifs à la zone de Tepanguisir. Le premier
est un certificat de décès d'un enfant âgé d'un an et demi, dont nous ignorons la nationalité, qui est
mort dans le hameau de La Laguneta. Le deuxième semble contenir les formalités tendant à solliciter
un titre supplémentaire de propriété au nom de Isidro Ramírez, attendu que ce qui est en fait soumis
est une simple photocopie de ladite démarche sans vérification paléographique ni aucune traduction.
Qu'il me soit permis d'exprimer la plus totale réserve du Gouvernement du Honduras quant à la
recevabilité de cette photocopie comme moyen de preuve, ne serait-ce que compte tenu de ses défauts
de forme.
Voilà pour ce qui est du mémoire salvadorien. Permettez-moi, Monsieur le Président,
Messieurs les Juges, d'exprimer ma stupéfaction devant quelque chose d'aussi incroyable : un pays
qui fonde son argumentation sur des "effectivités" et qui soumet en tout et pour tout un certificat de
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décès et une photocopie d'un titre foncier!
Passons-en maintenant au contre-mémoire d'El Salvador. On y trouve un document
énigmatique intitulé "Catalogue of Names of the Personnel that has Given Services in the Military
Escorts in the Cantons and Hamlets of the Jurisdiction of the Municipality of Citalá, Department of
Chalatenango". Dans ce "document" délivré par le ministère de la défense et de la sécurité publique
du pays en question, on trouve des listes qui certifient qu'entre 1936 et 1964 un certain nombre de
miliciens qui ont servi dans diverses casernes et régiments figurent comme étant affectés à divers
cantons. Entre ces cantons figurent San Lorenzo, Los Planes, Talquezalar et San Ramón. Le
document proprement dit semble avoir été établi par une main habile et prudente car en effet rien n'y
est dit sur diverses questions telles que la portée exacte de la référence au canton où ces personnes
sont inscrites ou bien le fait qu'à côté des militaires des troupes régulières apparaisse une liste de
miliciens. Qu'est-ce que l'autorité militaire salvadorienne a voulu attester par cela ? En vérité il est
difficile de le comprendre, Monsieur le Président, Messieurs les Juges. Au sujet de ce moyen de
preuve des effectivités soumis par El Salvador, on pourrait formuler une infinité de réserves et
d'observations critiques, et pourtant je ne m'y arrêterai pas particulièrement car cette question fera
l'objet d'une analyse critique exhaustive de la part de mon distingué collègue et ami, le professeur
González Campos, puisqu'il s'agit d'un document qui porte sur l'ensemble des zones terrestres. Pour
le moment je trouve suffisant de manifester une totale réserve au nom de la République du Honduras
à propos de la recevabilité du contenu et de la fiabilité de ce document en tant que moyen de prouver
quoi que ce soit.
Nous arrivons enfin à la réplique. En ce qui concerne ce document, l'apport salvadorien est
encore plus modeste, si cela se peut, que dans les deux écrits précédents. Il se ramène à un document
adressé par le maire de Citalá au directeur du développement régional du ministère de l'intérieur de
San Salvador, dans lequel le maire informe cette autorité de l'existence d'écoles rurales "dans les
cantons suivants : Talquezalar, Lagunetas, Los Planes, San Ramón, San Lorenzo et Llano de la
Virgen; écoles qui fonctionnent les unes dans des maisons construites sur la base d'une assistance
mutuelle et les autres grâce à la seule intervention des communautés cantonales" (RES, annexes,
- 40 -
vol. II, p. 270). Ce document, Monsieur le Président, port la date du 18 avril 1986; c'est-à-dire que
non seulement il est postérieur à toutes les dates critiques que l'on peut imaginer, que ce soit celle de
1821, celle du statu quo de 1880 ou celle du traité général de paix de 1980, mais encore, il coïncide
pratiquement dans le temps avec le compromis lui-même du 24 mai 1986.
Il est encore plus révélateur que ce document n'indique à aucun moment la date de construction et
d'entrée en service de ces écoles. Ce fait est en contradiction flagrante avec les mots d'introduction
qui figurent à l'appendice documentaire du chapitre IV : "Dans les zones sur lesquelles le Honduras a
des prétentions sans fondement ni justification, El Salvador a depuis toujours maintenu une présence
vivante et active." (Ibid., p. 268.) Or, ce prétendu moyen de preuve, irrecevable comme tel du fait
de la période de temps sur laquelle il porte, postérieure de toute façon à la date où la controverse a
formellement vu le jour, et qui de surcroît coïncide pratiquement avec le compromis, permet de
constater exactement le contraire de ce qu'affirme El Salvador, à savoir que la prétendue présence
humaine dans le secteur n'a guère que cinq ans d'ancienneté, si nous nous en tenons au libellé même
de ce document qu'El Salvador soumet à la Chambre de la Cour.
Avant de procéder à une évaluation globale de ce genre d' "effectivités" salvadoriennes, il
semble intéressant d'en faire brièvement le point. Pour ce qui est de la zone de Tepanguisir, comme
preuve d'une présence humaine "effective", "active", "vivante" et "remontant à des temps
immémoriaux" — pour utiliser le terme littéral — , la Partie adverse soumet un certificat de décès,
une copie d'une demande de titre supplémentaire de propriété d'un individu, un certificat de 1986 sur
des écoles rurales et un document étrange et non spécifié délivré par l'autorité militaire. De toute
évidence, ce dossier ne peut être que décevant du point de vue des intérêts salvadoriens eux-même,
étant donné que ce que cet ensemble de documents prouve a sensu contrario c'est la présence des
plus superficielles de ce pays dans la zone controversée de Tepanguisir; à dire vrai, les documents
présentés en annexe par El Salvador auraient pu l'avoir été par la République du Honduras pour
faire pratiquement ressortir qu'El Salvador ne pouvait rien prouver du tout. Et cette conclusion est
d'autant plus inouïe que le pays dont il s'agit a constamment mis en avant les effectivités et la
présence humaine dans cette zone et d'autres zones litigieuses, et qu'en fait l'argument non seulement
- 41 -
est incompatible avec le droit applicable mais ne peut être attesté sur aucun de ses points.
Cette carence totale d'effectivités salvadoriennes ressort une fois de plus à l'évidence dans la
réplique de ce pays du fait que ce dernier, dans le même paragraphe, est incapable d'apporter ne
serait-ce qu'un seul moyen de preuve nouveau ou différent par rapport à ceux analysés
précédemment. Bref, on peut conclure qu'El Salvador a été incapable de soumettre des preuves de
possession effective dans la zone de Tepanguisir dignes d'être prises, ne serait-ce qu'un minimum, en
considération.
21. Le Honduras, quant à lui, n'a jamais prétendu que les effectivités constituent un titre
juridique valable de souveraineté sur les terres contestées; il estime au contraire que cette approche
est en contradiction intrinsèque avec le principe de l'uti possidetis juris de 1821 et également avec le
statu quo de 1880. Or, dans la réplique soumise par la République du Honduras figurent de très
nombreuses preuves de la présence humaine et de la présence des autorités honduriennes dans toutes
les zones en litige (cf. RH, annexes, vol. II, annexe IX). Je vais expliquer ce fait en peu de mots.
D'une part, la République du Honduras situe ces effectivités dans le contexte strictement
juridique de l'uti possidetis juris, c'est-à-dire, selon la définition qu'a déjà donnée la Cour dans
l'affaire Burkina Faso/Mali, du rapport entre titres juridiques et effectivités : si le fait correspond
exactement au droit, les effectivités ne font que corroborer le titre (C.I.J. Recueil 1986, p. 568,
par. 63). Et c'est là précisément le rôle que le Gouvernement hondurien reconnaît aux effectivités
dans le secteur de Tepanguisir : corroborer le titre de 1776. D'autre part, l'approche adoptée en
permanence par El Salvador, qui consiste à prendre les effectivités comme argument, a pour effet
peu régulier, en quelque sorte, une inversion de la charge de la preuve; en effet, s'il est vrai que qui
soutient l'existence d'effectivités doit la prouver, il est également vrai que si la Partie adverse garde le
silence sur ce point, on pourra en conclure qu'elle accepte et reconnaît les effectivités avancées par la
première même si ces effectivités ont été justifiées grâce à des moyens de preuve ridicules. C'est
pourquoi, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, le Honduras ne modifie pas à ce stade son
point de vue, un point de vue qu'il a maintenu sans faiblir tout au long de la procédure écrite. Il se
contente d'attirer l'attention de la Chambre sur sa présence de fait dans toutes les zones
- 42 -
- particulièrement dans celle de Tepanguisir - plus forte que celle de la Partie adverse et réitère qu'il
a toujours considéré cette zone comme faisant partie de son territoire, en application de l'uti
possidetis juris de 1821.
Je ne crois pas qu'il m'incombe de m'étendre sur les documents honduriens attestant la
présence humaine de ce pays à Tepanguisir mais par contre je crois utile de rappeler ici quelques
données objectives. Le Honduras verse au dossier les actes de quatre interventions judiciaires
entre 1863 et 1900 qui attestent que le juge d'Ocotepeque exerçait sa juridiction sur La Ermita,
Pomola, Talquezalar et Volcán de Pomola et que le juge de Mercedes exerçait sa juridiction sur
Chaguitón. Et on ne peut mésestimer l'importance de ces cinq documents, compte tenu de
l'ancienneté des interventions judiciaires. En ce qui concerne les preuves documentaires en matière
d'écoles rurales, le pays que je représente produit 32 documents relatifs à de multiples lieux situés
dans la zone revendiquée par El Salvador, documents portant des dates allant de 1952 à 1977. Ces
documents sont accompagnés des ordres de paiement correspondant à la rémunération versée aux
enseignants en leur qualité de fonctionnaires publics entre 1959 et 1973 en divers endroits compris
dans la même zone (cf. RH, annexes, vol. II, annexe IX.1).
Mais il y a mieux. Le Honduras fournit des références à 14 inscriptions au registre de la
propriété immobilière et commerciale du département d'Ocotepeque sur la transmission de biens
immeubles, qui se sont faites dans sept agglomérations situées sur le territoire litigieux, entre 1919
et 1971.
Ce pays joint également un long relevé du Registre national des personnes indiquant les naissances
qui ont eu lieu à Los Planes, La Montañita, Talquezalar, La Laguna, Zapotal, Tontolar et Malcotal
entre 1926 et 1976. Enfin, le Honduras verse également au dossier les renseignements contenus dans
les archives paroissiales de la cure de San José du département d'Ocotepeque sur les baptêmes des
personnes nées dans les bourgades et hameaux du secteur de Tepanguisir entre 1792 et 1921 (cf.
ibid.).
Monsieur le Président, Messieurs les Juges, la différence entre la qualité, la quantité, l'intensité
et la durée dans le temps des moyens de preuve apportés par l'une et l'autre Parties milite de manière
- 43 -
écrasante en faveur du Honduras. Et il ne pourrait en être autrement étant donné que la zone
litigieuse de Tepanguisir se trouvait en 1776 dans la juridiction de Gracias a Dios et que, également,
depuis 1821, le seul Etat qui a exercé sa juridiction sur le territoire en question a été la République
du Honduras, précisément en application de l'uti possidetis juris de 1821. Cette juridiction a été
attestée, à notre avis, de manière irréfutable et ce sur plusieurs plans : judiciaire, administratif, civil
et religieux.
22. Dans sa réplique, El Salvador n'apporte aucune nouvelle donnée, ni aucun nouvel
argument par rapport à ceux avancés dans les deux écrits précédents. La dernière partie de la
réplique salvadorienne (cf. RES, vol. I, par. 3.6 à 3.14) se révèle en fait avoir un caractère purement
défensif vis-à-vis des observation formulées dans son contre-mémoire par le Honduras à propos du
tracé exact de la procédure de 1776, notamment dans le voisinage de Pomola, mais sans ajouter non
plus dans ce cas quoi que ce soit de nouveau. Aussi, ne nous paraît-il pas nécessaire de répondre à
chaque affirmation d'El Salvador vu que la réplique du Honduras est très complète sur ces questions
également et que nous nous en remettons à elle pour confirmer les positions et les arguments déjà
soutenus par ce pays.
Toutefois, qu'il me soit permis de dire au moins deux mots sur le comportement diplomatique
des Parties entre 1881 et 1985 sur le cas précis du secteur de Tepanguisir (cf. RH, vol. I, p. 171
à 200). De l'avis du Gouvernement du Honduras, l'ensemble des négociations que l'on analyse ici
présente le plus grand intérêt pour l'examen des positions et points de vue adoptés successivement
par les Parties dans ce secteur; or, la Partie adverse n'a pas cru bon de formuler un commentaire
global sur ce point, bien que la question ait été soulevée très tôt par le Honduras dans ses écrits
précédents. Par "commentaire global" nous entendons évidemment une référence à l'ensemble des
négociations menées à bien et non à une analyse séparée d'un ou de plusieurs épisodes des
négociations considérés isolément.
Je ne reviendrai pas à ce stade sur l'analyse ample et exhaustive que le Honduras a soumise à
propos de ces négociations diplomatiques. Je m'efforcerai simplement de faire ressortir deux
éléments généraux de ce processus complexe de négociation. Le premier vise l'attitude évolutive
- 44 -
d'El Salvador entre 1881 et 1985, qui l'a amené à persévérer dans la prétention d'un tracé fondé sur
une poussée continue vers le nord, vers le nord-ouest et l'ouest de la zone en litige, comme il ressort
des cartes honduriennes de la réplique I.2, I.3 et I.4. On peut constater que le comportement
diplomatique d'El Salvador comparé à celui du Honduras a entraîné, au détriment de ce dernier, une
diminution de l'étendue de son droit ou de son titre aux limites des anciennes provinces établies selon
l'uti possidetis juris de 1821. En deuxième lieu, la Chambre de la Cour aura noté que les
propositions transactionnelles de 1935 et de 1985 ont eu un caractère politique et qu'elles n'ont en
aucun cas conduit le Honduras à abandonner tant le principe de non identité entre les limites des
communautés indigènes et les limites des juridictions des anciennes provinces que l'étendue du
territoire qu'il réclame maintenant. Or ces deux éléments contrastent avec la pression continue
exercée par El Salvador vers le nord, le nord-ouest et l'ouest du secteur contesté que ne justifie en
aucune manière le titre de 1776 et également avec la reconnaissance par les deux Parties en 1935 et
en 1972 du tracé partiel suivant :
"Du sommet du Cerro de Zapotal, à la source du ruisseau de Gualcho jusqu'à la
confluence de ce ruisseau avec la rivière Lempa." (Cf. MH, annexes, vol. II, annexe IV. 1.55,
p. 812.)
23. Enfin, Monsieur le Président, Messieurs les Juges de la Cour, pour en terminer avec mon
intervention, j'exposerai au nom du Gouvernement hondurien nos principales appréciations juridiques
sur le secteur contesté de Tepanguisir, en expliquant en outre le tracé frontalier qui est proposé dans
ce secteur.
Première conclusion : le Honduras croit avoir démontré, tout au long de ses écrits, que la
controverse sur Tepanguisir est ancienne et remonte à plus d'un siècle. Aussi, ne s'agit-il pas
- comme l'a prétendu à un moment donné El Salvador - d'une revendication récente.
Deuxième conclusion : le principe juridique applicable est l'uti possidetis juris qui situe
en 1821 la date critique, ce qui ne permet pas de prendre en compte les autres effectivités
postérieures à moins que ce ne soit pour corroborer le titre.
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Tout au plus, ces effectivités pourraient-elles servir à faire la lumière sur les aspects éventuellement
obscurs ou imprécis du titre, conformément à ce qu'a déclaré la Cour dans l'affaire Burkina
Faso/Mali.
Ce principe doit se comprendre dans la perspective de la copieuse pratique internationale
existante, notamment dans la perspective de l'ensemble de la pratique jurisprudentielle. Aussi,
doit-on rejeter tout "réductionnisme" tel que proposé par la Partie adverse qui situe le centre de
gravité jurisprudentiel sur la sentence arbitrale de 1933 dans l'affaire Guatemala-Honduras. Comme
nous avons eu l'occasion de l'expliquer, ce "réductionnisme" est dépourvu de toute justification étant
donné la complexité des caractéristiques de chaque cas et a pour effet de déformer gravement le
principe.
Troisième conclusion : le statu quo mis en place à partir de 1880 est opposable aux deux
Parties, aussi bien comme obligation dérivant des normes générales du droit international que comme
obligation de caractère conventionnel. Ce statu quo ne permet pas de reconnaître une quelconque
valeur juridique à la possession de fait des Parties exercée sur le secteur de Tepanguisir
postérieurement à cette date critique tout à fait particulière.
Quatrième conclusion : la procédure de 1776 constitue un titre valable pour prouver l'uti
possidetis juris de 1821. De ce titre il ressort à l'évidence deux données essentielles : tout d'abord, la
procédure affirme sans l'ombre d'un doute que le terrain était situé dans la province de Gracias
a Dios (Honduras); deuxièmement, il y avait à la droite de l'arpenteur des "terres royales" qui étaient
également situées dans la juridiction du Honduras.
Cinquième conclusion : l'autorisation donnée par la "Real Audiencia" de Guatemala au juge
des terres de Chalatenango pour qu'il procède aux opérations d'arpentage a eu un caractère
exceptionnel, s'est éteinte avec la fin des opérations en question, était conforme au droit colonial
espagnol et a produit des effets strictement dans le domaine du droit privé, en ce qui concerne les
limites des terres. Comme le Honduras l'a abondamment expliqué, les limites juridictionnelles
provinciales ne pouvaient être modifiées par la volonté du roi et une fois entendu l'avis du Conseil
des Indes. En conséquence, l'autorisation en question n'a jamais pu avoir pour effet de modifier les
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limites provinciales.
Sixième conclusion : par la procédure de 1776, les habitants de Citalá ont "composé" avec
Sa Majesté le roi les "ejidos" en cause pour passer sous la titularisation de Citalá.
Septième conclusion : le principe de non-identité entre les limites privées des terres et les
limites provinciales est solidement enraciné dans le droit colonial espagnol, dans d'autres systèmes
coloniaux et dans le droit comparé. Cela a été reconnu sans ambiguïté par une Chambre de cette
Cour dans l'affaire Burkina Faso/Mali.
Huitième conclusion : les effectivités et la présence humaine prouvées par le Honduras dans le
secteur litigieux sont infiniment plus importantes que celles alléguées et prouvées par la Partie
adverse et mettent en évidence que le Honduras a toujours eu juridiction sur le secteur avant 1776 et
après cette date, avant 1821 et après ce second jalon dans le temps. A noter que le Honduras a
soumis ces arguments ou ces effectivités uniquement dans l'intention de ratifier ou corroborer le titre
de 1776 et jamais en tant que titre autonome en application du principe de l'occupation effective,
pacifique et continue du territoire.
Neuvième conclusion : la principale difficulté rencontrée pour interpréter le titre de 1776
réside dans les références faites à la source du Pomola et à la borne de Pomola. Le Honduras croit
avoir proposé une interprétation raisonnable, cohérente, logique et respectueuse du libellé exact du
titre en question. Néanmoins, comme de bien entendu, il accepte volontiers toute autre interprétation
que cette Chambre de la Cour trouvera convenable. Pour ce qui est des autres lieux en cause, la
description du titre est suffisamment exacte et permet d'aboutir à des conclusions satisfaisantes. De
ce point de vue, les négociations qui ont eu lieu en 1935 à Chiquimulas confirment le caractère
raisonnable de l'interprétation hondurienne.
Dixième conclusion : compte tenu de tout ce qui précède, la République du Honduras demande
respectueusement à la Chambre de la Cour qu'elle déclare comme frontière dans ce secteur litigieux
celle qui est indiquée ci-dessous, sur la base des explications que nous donnerons immédiatement
après.
A) La frontière : le tracé qui est demandé dans ce secteur contesté a été défini dans les écrits
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honduriens et confirmé dans le dernier d'entre eux (cf. RH, vol. I, p. 146).
B) La justification du tracé sollicité : il y a lieu de distinguer deux sous-sections dans la ligne
sollicitée. La première va de la colline de Montecristo à la source la plus septentrionale de la rivière
San Miguel Ingenio ou Taquilapa. Cette sous-section couvre les "tierras realengas" situées dans le
triangle existant entre El Cerro Montecristo, Taquilapa et le Mojón de Pomola à El Talquezalar. La
réclamation de ce triangle particulier se fonde sur trois données principales : tout d'abord, la
procédure même de 1776, qui ne laisse aucun doute sur l'existence de ces terres de la Couronne à
l'ouest du titre en cause et sur le fait qu'elles étaient localisées dans la province de Gracias a Dios; en
deuxième lieu, les affirmations de l'arbitre lors de la sentence de 1933, affirmations indirects
évidemment; enfin, la corroboration de la revendication hondurienne apportée par les quatre titres
fonciers républicains fournis qui ont précisément trait à ce secteur particulier. En effet dans une
carte spécifique on peut voir les titres républicains, ce sont précisément les "tierras realengas".
La deuxième sous-section va de la Quebrada de Taquilapa au Cerro El Zapotal en passant par
Las Cruces et la confluence de la rivière Lempa et de la rivière Jupula. Cette partie du tracé
frontalier se fonde, tout d'abord, sur le libellé exact du titre de 1776, interprété d'une manière que
nous estimons raisonnable et prudente; en deuxième lieu, il a été confirmé lors de l'arpentage des
terres d'Ocotepeque en 1818 par le juge Cornelio Ballesteros. Enfin, le titre foncier de San Andrès
d'Ocotepeque de 1914, correctement situé dans son contexte, confirme ou corrobore la position du
Honduras.
Voilà donc Monsieur le Président, la position du Gouvernement de la République du Honduras
au sujet du secteur litigieux de Tepanguisir. J'espère avoir suffisamment apporté la preuve non
seulement de l'uti possidetis juris de 1821 mais également du sens et du contenu exact de ce principe
dans le cas précis qui nous occupe. Je réclame toute votre indulgence pour mon exposé et vous
exprime ma reconnaissance très sincère pour l'attention que vous lui avez accordée à tout moment.
Je vous remercie.
The PRESIDENT: I thank Professor Sanchez Rodriguez. I take it that this concludes the
presentation of Honduras relating to the zone of Tepanguisir, so tomorrow morning at 10 o' clock it
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will be the turn of the delegation of El Salvador to present its argument. The sitting is adjourned
until tomorrow at 10 o' clock.
L'audience est levée à 12 h 40.
Audience publique de la Chambre tenue le Mercredi 24 avril 1991, à 10 heures, au Palais de la Paix, sous la présidence de M. Sette-Camara, président de la Chambre