Audience publique de la Chambre tenue le lundi 22 avril 1991, à 10 heures, au Palais de la Paix, sous la présidence de M. Sette-Camara, président de la Chambre

Document Number
075-19910422-ORA-01-00-BI
Document Type
Number (Press Release, Order, etc)
1991/6
Date of the Document
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Bilingual Content

C 4/CR 91/6
Cour internationale International Court
de Justice of Justice
LA HAYE THE HAGUE
YEAR 1991
Public sitting of the Chamber
held on Monday 22 April 1991, at 10 a.m., at the Peace Palace,
Judge Sette-Camara, President of the Chamber, presiding
in the case concerning the Land, Island and Maritime Frontier Dispute
(El Salvador/Honduras: Nicaragua intervening)

VERBATIM RECORD

ANNEE l991
Audience publique de la Chambre
tenue le lundi 22 avril 1991, à 10 heures, au Palais de la Paix,
sous la présidence de M. Sette-Camara, président de la Chambre
en l'affaire du Différend frontalier terrestre, insulaire et maritime
(El Salvador/Honduras; Nicaragua (intervenant))

COMPTE RENDU

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Present:
Judge Sette-Camara, President of the Chamber
Judges Sir Robert Jennings, President of the Court
Oda, Vice-President of the Court
Judges ad hoc Valticos
Torres Bernárdez
Registrar Valencia-Ospina

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Présents :
M. Sette-Camara, président de la Chambre
Sir Robert Jennings, Président de la Cour
M. Oda, Vice-Président de la Cour, juges
M. Valticos
M. Torres Bernárdez, juges ad hoc
M. Valencia-Ospina, Greffier

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The Government of El Salvador is represented by:
Dr. Alfredo Martínez Moreno,
as Agent and Counsel;
H. E. Mr. Roberto Arturo Castrillo, Ambassador,
as Co-Agent;
and
H. E. Dr. José Manuel Pacas Castro, Minister for Foreign Relations,
as Counsel and Advocate.
Lic. Berta Celina Quinteros, Director General of the Boundaries'
Office,
as Counsel;
Assisted by
Prof. Dr. Eduardo Jiménez de Aréchaga, Professor of Public
International Law at the University of Uruguay, former Judge and
President of the International Court of Justice; former President
and Member of the International Law Commission,
Mr. Keith Highet, Adjunct Professor of International Law at The
Fletcher School of Law and Diplomacy and Member of the Bars of
New York and the District of Columbia,
Mr. Elihu Lauterpacht C.B.E., Q.C., Director of the Research Centre
for International Law, University of Cambridge, Fellow of Trinity
College, Cambridge,
Prof. Prosper Weil, Professor Emeritus at the Université de droit,
d'économie et de sciences sociales de Paris,
Dr. Francisco Roberto Lima, Professor of Constitutional and
Administrative Law; former Vice-President of the Republic and
former Ambassador to the United States of America.
Dr. David Escobar Galindo, Professor of Law, Vice-Rector of the
University "Dr. José Matías Delgado" (El Salvador)
as Counsel and Advocates;
and
Dr. Francisco José Chavarría,
Lic. Santiago Elías Castro,
Lic. Solange Langer,
Lic. Ana María de Martínez,
- 5 -
Le Gouvernement d'El Salavador est représenté par :
S. Exc. M. Alfredo Martínez Moreno
comme agent et conseil;
S. Exc. M. Roberto Arturo Castrillo, Ambassadeur,
comme coagent;
S. Exc. M. José Manuel Pacas Castro, ministre des affaires
étrangères,
comme conseil et avocat;
Mme Berta Celina Quinteros, directeur général du Bureau des
frontières,
comme conseil;
assistés de :
M. Eduardo Jiménez de Aréchaga, professeur de droit international
public á l'Université de l'Uruguay, ancien juge et ancien
Président de la Cour internationale de Justice; ancien président
et ancien membre de la Commission du droit international,
M. Keith Highet, professeur adjoint de droit international á la
Fletcher School de droit et diplomatie et membre des barreaux de
New York et du District de Columbia,
M. Elihu Lauterpacht, C.B.E., Q.C., directeur du centre de recherche
en droit international, Université de Cambridge, Fellow de Trinity
College, Cambridge,
M. Prosper Weil, professeur émérite á l'Université de droit,
d'économie et de sciences sociales de Paris,
M. Francisco Roberto Lima, professeur de droit constitutionnel et
administratif; ancien vice-président de la République et ancien
ambassadeur aux Etats-Unis d'Amérique,
M. David Escobar Galindo, professeur de droit, vice-recteur de
l'Université "Dr. José Matías Delgado" (El Salvador),
comme conseils et avocats;
ainsi que :
M. Francisco José Chavarría,
M. Santiago Elías Castro,
Mme Solange Langer,
Mme Ana María de Martínez,
- 6 -
Mr. Anthony J. Oakley,
Lic. Ana Elizabeth Villata,
as Counsellors.
The Government of Honduras is represented by:
H.E. Mr. R. Valladares Soto, Ambassador of Honduras to the
Netherlands,
as Agent;
H.E. Mr. Pedro Pineda Madrid, Chairman of the Sovereignty and
Frontier Commission,
as Co-Agent;
Mr. Daniel Bardonnet, Professor at the Université de droit,
d'économie et de sciences sociales de Paris,
Mr. Derek W. Bowett, Whewell Professor of International Law,
University of Cambridge,
Mr. René-Jean Dupuy, Professor at the Collège de France,
Mr. Pierre-Marie Dupuy, Professor at the Université de droit,
d'économie et de sciences sociales de Paris,
Mr. Julio González Campos, Professor of International Law,
Universidad Autónoma de Madrid,
Mr. Luis Ignacio Sánchez Rodriguez, Professor of International Law,
Universidad Complutense de Madrid,
Mr. Alejandro Nieto, Professor of Public Law, Universidad
Complutense de Madrid,
Mr. Paul De Visscher, Professor Emeritus at the Université de
Louvain,
as Advocates and Counsel;
H.E. Mr. Max Velásquez, Ambassador of Honduras to the United Kingdom,
Mr. Arnulfo Pineda López, Secretary-General of the Sovereignty and
Frontier Commission,
Mr. Arias de Saavedra y Muguelar, Minister, Embassy of Honduras to
the Netherlands,
Mr. Gerardo Martínez Blanco, Director of Documentation, Sovereignty
and Frontier Commission,
Mrs. Salomé Castellanos, Minister-Counsellor, Embassy of Honduras to
the Netherlands,
- 7 -
M. Anthony J. Oakley,
Mme Ana Elizabeth Villata,
comme conseillers.
Le Gouvernement du Honduras est représenté par :
S. Exc. M. R. Valladares Soto, ambassadeur du Honduras á La Haye,
comme agent;
S. Exc. M. Pedro Pineda Madrid, président de la Commission de
Souveraineté et des frontières,
comme coagent;
M. Daniel Bardonnet, professeur á l'Université de droit, d'économie
et de sciences sociales de Paris,
M. Derek W. Bowett, professeur de droit international á l'Université
de Cambridge, Chaire Whewell,
M. René-Jean Dupuy, professeur au Collège de France,
M. Pierre-Marie Dupuy, professeur á l'Université de droit,
d'économie et de sciences sociales de Paris,
M. Julio González Campos, professeur de droit international á
l'Université autonome de Madrid,
M. Luis Ignacio Sánchez Rodríguez, professeur de droit international
á l'Université Complutense de Madrid,
M. Alejandro Nieto, professeur de droit public á l'Université
Complutense de Madrid,
M. Paul de Visscher, professeur émérite á l'Université catholique de
Louvain,
comme avocats-conseils;
S. Exc. M. Max Velásquez, ambassadeur du Honduras á Londres,
M. Arnulfo Pineda López, secrétaire général de la Commission de
Souveraineté et de frontières,
M. Arias de Saavedra y Muguelar, ministre de l'ambassade du Honduras
á La Haye,
M. Gerardo Martínez Blanco, directeur de documentation de la
Commission de Souveraineté et de frontières,
Mme Salomé Castellanos, ministre-conseiller de l'ambassade du
Honduras á La Haye,
- 8 -
Mr. Richard Meese, Legal Advisor, Partner in Frère Cholmeley, Paris,
as Counsel;
Mr. Guillermo Bustillo Lacayo,
Mrs. Olmeda Rivera,
Mr. Raul Andino,
Mr. Miguel Tosta Appel
Mr. Mario Felipe Martínez,
Mrs. Lourdes Corrales,
as Members of the Sovereignty and Frontier Commission.
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M. Richard Meese, conseil juridique, associé du cabinet Frère
Cholmeley, Paris,
comme conseils;
M. Guillermo Bustillo Lacayo,
Mme Olmeda Rivera,
M. Raul Andino,
M. Miguel Tosta Appel,
M. Mario Felipe Martínez,
Mme Lourdes Corrales,
comme membres de la Commission de Souveraineté et des frontières.
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The PRESIDENT: The sitting is open. I give the floor to Professor De Visscher to start the
second round of oral pleadings by Honduras.
M. DE VISSCHER : Merci Monsieur le Président.
Monsieur le Président, Messieurs les Juges, je suis appelé dans cette dernière plaidoirie, á
répondre essentiellement á l'argumentation que mon collègue et ami, le professeur Weil, a
développée au sujet de l'objet du différend qui vous a été soumis par le compromis de 1986.
Lorsque je dis que j'ai pour mission de répondre á la plaidoirie du professeur Weil, ce n'est
que partiellement exact. Vous savez que je suis un homme des généralités, je ne suis pas un
spécialiste et je n'ai ni le désir ni les capacités de traiter dans le détail les aspects techniques de la
délimitation de la frontière terrestre ou maritime. Les journées finales de notre calendrier seront
d'ailleurs occupées par le problème maritime et du côté du Honduras, notre conception des choses
vous sera exposée par nos collègues MM. Bowett et Dupuy sur le terrain desquels je n'entends pas
m'aventurer. C'est dire que je me bornerai essentiellement á vous exposer en quoi les considérations
méthodologiques développées par le professeur Weil au sujet de l'interprétation du compromis
concordent ou ne concordent pas avec celles que vous a proposées le Gouvernement du Honduras.
Je pense que tous ceux qui ont écouté la plaidoirie du professeur Weil ont été vivement
impressionnés par sa clarté, sa fermeté, j'ajouterai même par sa structure hyper-cartésienne. Nous
avons été séduits mais aussi quelque peu effrayés par la logique formelle, rigoureuse d'une
argumentation impitoyable qui tendait á nous emprisonner dans un univers bien propre á Kafka. Et
une image m'est venue á l'esprit me souvenant de la visite que j'ai faite dans le golfe de Fonseca, il y
a quelques années déjá, où je voyais un malheureux pélican qui tournait inlassablement en rond dans
le golfe, une fois dans un sens, une fois dans l'autre, mais qui ne parvenait jamais á dépasser la ligne
de base et accéder aux grands espaces de la haute mer. Je crois que cette image est un peu forcée et
je vais tenter donc d'en avoir raison.
Le professeur Weil a consacré une partie importante de sa plaidoirie á mettre en lumière la
double fonction d'un compromis qui, d'une part, a pour objet de fonder la compétence de votre
Chambre et, d'autre part, de préciser l'objet du différend. Cette distinction est intellectuellement
- 11 -
exacte, mais ce qui l'est moins, c'est d'affirmer par voie de conséquence que l'interprétation de textes
relatifs á l'institution d'une juridiction repose sur le principe : "tout le consentement, mais rien que le
consentement", alors que la partie du compromis relative á la description de l'objet du différend
devrait s'interpréter sur la base du principe : "le texte, tout le texte, rien que le texte." Pareille
dichotomie ne repose, á mon avis, ni sur une justification rationnelle ni sur les données de la
jurisprudence et, moins encore, sur la convention de Vienne sur le droit des traités, convention qui a
précisément voulu énoncer dans son article 31 la règle générale d'interprétation laquelle accorde une
place équivalente au texte en ce compris le contexte, á la bonne foi et á la prise en considération de
l'objet et du but du traité.
A en croire la Partie adverse, les dispositions du compromis consacrées á l'objet du différend
ne pourraient être interprétées que textuellement, exégétiquement.
Pareille conclusion va á l'encontre de la règle générale d'interprétation applicable á tout accord
quelconque telle qu'elle est inscrite á l'article 31 primo de la convention de Vienne sur le droit des
traités. Cet article 31 primo est le fruit d'une longue évolution de jurisprudence qui témoigne d'une
plus grande ouverture, d'une plus grande souplesse dans l'interprétation par rapport á la méthode qui
était de mise dans le passé. Cette évolution qui a fait une place plus large á la volonté réelle des
Parties plutôt qu'á la volonté formellement exprimée et qui, de même, a fait place dans le droit de la
mer au concept de résultat équitable, cette conception a eu pour conséquence d'accroître la crédibilité
de la Cour, notamment dans l'esprit des Etats nouveaux que leur retard technologique, économique et
social rendait particulièrement sensibles aux valeurs de justice, de solidarité et d'équité.
L'idée avancée par le professeur Weil de soumettre á deux méthodes différentes
d'interprétation les clauses d'un même compromis, selon qu'elles ont trait á la création de la
compétence juridictionnelle ou á l'objet du différend, semble d'ailleurs avoir été mise en doute par
son auteur lui-même qui a dit au cours de la séance du 18 avril (CR, p. 61) "Comme toute
convention internationale, le compromis de 1986 forme un tout et l'on ne saurait interpréter telle de
ses dispositions, fut-elle même la plus directement pertinente, en la détachant de son environnement.
On songe alors - poursuit le professeur Weil - au vieux principe du Code civil selon lequel toutes les
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clauses d'une convention s'interprètent les unes par rapport aux autres en donnant á chacune le sens
qui résulte de l'acte tout entier." (Art. 1 161.)
Au sujet de la nature du contentieux terrestre, nous n'avons aucune critique á adresser á
l'exposé de M. Weil qui, comme nous, soutient que ce contentieux est un contentieux de pure
délimitation.
Quant au contentieux insulaire, nous sommes également d'accord pour dire que les Parties y
voient un contentieux d'attribution et non de délimitation. Mais il faut noter que le Honduras voit
dans la question insulaire un problème de succession d'Etats, puiqu'aussi bien les îles relevaient
toutes en 1821 de la souveraineté pleine et entière de l'Espagne, ce qui á notre sens justifie
l'application á cette succession du principe de l'uti possidetis juris de 1821 tel que l'a affirmé
l'arrêt Burkina-Faso/Mali.
Sur le nombre d'îles en cause, le Honduras maintient intégralement sa position, selon laquelle
la mission de la Chambre concerne exclusivement les îles qui ont été contestées au cours des longues
négociations qui ont précédé la conclusion du traité de paix de 1980 et du compromis de 1986. Le
principe de la bonne foi est ici ouvertement en cause et la prétention tardive du Salvador á contester,
sans même les énumérer, le statut de toutes les îles n'a manifestement d'autre but que d'interposer un
rideau d'îles entre le Honduras et les espaces maritimes dont nous sollicitons la délimitation sur base
des titres que nous avons produits dans nos écritures.
Le professeur Weil a également consacré des développements brillants á la distinction qui
s'impose entre titre et délimitation. Une fois encore cette distinction est intellectuellement justifiée
mais pratiquement je ne vois pas la conclusion concrète qui pourrait en découler dans le cas qui nous
occupe, qui est un cas où les espaces contestés, tant á l'intérieur qu'á l'extérieur du golfe, sont
nécessairement appelés á se chevaucher.
Comme on pouvait s'y attendre, la Partie adverse, fidèle á sa méthode exégétique
d'interprétation, a joué avec délectation de la terminologie du compromis, lequel, c'est vrai, parle,
d'une part, de délimiter la frontière terrestre et, d'autre part, de déterminer le régime juridique des îles
et des espaces maritimes (article 2 du compromis de 1986).
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Le professeur Weil a été très discret sur le contexte du traité de 1980, et plus spécialement sur
le but que poursuit ce traité, ce traité dont le préambule ainsi que les trois premiers articles
témoignent de la volonté commune des Parties de voir le règlement judiciaire de leur différend
aboutir á une solution finale, complète dans tous ses aspects.
J'invoque le préambule, et ici je suis bien placé pour le faire, puisque je peux citer le Président
Jiménez de Aréchaga, qui a écrit ce qui suit au paragraphe 55 de la consultation qu'il a délivrée en
juillet 1985 dans l'affaire Burkina Faso/Mali:
"Le préambule fait partie intégrante du traité, donc si les Parties ont eu l'intention de
s'engager de cette manière, il serait d'un formalisme excessif de nier cette possibilité."
Cette référence fait écho á l'arrêt de 1978 où il est clairement affirmé qu'un simple
communiqué conjoint peut parfaitement constituer un accord destiné á saisir le règlement judiciaire
de ce différend.
Déterminer le statut juridique des îles ne peut avoir d'autre sens que de dire pour droit de
quelle souveraineté relèvent les îles disputées. La seule différence, c'est que nous ne parlons que de
deux îles compte tenu des négociations qui ont eu lieu, alors que brusquement le Salvador conteste
toutes les îles.
A la thèse du Salvador selon laquelle déterminer le statut des îles et des espaces maritimes
n'est pas délimiter, le Gouvernement du Honduras a opposé la thèse du lien substantiel entre titre et
délimitation. Cette thèse peut s'articuler á peu près comme suit: comme la Cour l'a dit dans ses arrêts
du 20 février 1969 relatifs au Plateau continental de la mer du Nord :
"Les droits de l'Etat concernant la zone du plateau continental qui constitue un
prolongement naturel de son territoire sous la mer existent ipso facto et ab initio en vertu de la
souveraineté de l'Etat. ... Il y a lá un droit inhérent. Point n'est besoin pour l'exercer, de suivre
un processus juridique particulier ni d'accomplir aucun acte constitutif. Qui plus est, ce droit
est indépendant de son exercice effectif."
Je sais bien que le droit de la mer a considérablement évolué depuis 1969, mais cette évolution
a porté sur les méthodes, sur les techniques de délimitation des espaces maritimes, mais non pas sur
le principe du droit des Etats riverains de la mer á jouir de plano de toutes les virtualités naturelles
des espaces maritimes. L'ouvrage du professeur Weil, publié en 1988, a trait d'ailleurs comme son
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titre l'indique aux Nouvelles perspectives du droit de la délimitation maritime et l'auteur ne met pas
en doute le bien-fondé des principes qui sont á la base des arrêts de 1969 relatifs á la Mer du Nord.
La terre domine la mer, ce que l'arrêt de 1978 sur le Plateau continental de la mer Egée exprime
comme suit: "Ce n'est qu'en raison de la souveraineté de l'Etat sur la terre que les droits d'exploration
et d'exploitation sur le plateau continental peuvent s'attacher á celui-ci ipso jure."
Il est dès lors indubitable que le Honduras n'a pas besoin d'une autorisation de la Cour et,
moins encore, du Salvador pour justifier d'un titre aux espaces maritimes dans le golfe et hors du
golfe. Sur base du titre qu'il possède en vertu du droit international général, le Honduras pourrait
parfaitement entreprendre l'exploration et l'exploitation de ces espaces, quitte au Salvador á contester
l'étendue sur laquelle ce droit serait exercé. Dans cette dernière hypothèse la Cour trancherait cet
aspect du différend mais elle ne pourrait le faire que par une disposition purement déclaratoire de son
arrêt.
Ce point semble d'ailleurs admis par la Partie adverse et le professeur Weil l'a reconnu de
manière non équivoque en déclarant á la fin de sa plaidoirie ce qui suit :
"Loin de présenter une 'coquille vide', une décision sans substance, sans intérêt, sans
portée et parfaitement inutile, la solution que la Chambre apportera á ce double différend de
situation juridique dans le golfe et dans le Pacifique, aura une portée considérable et le mot est
faible. Si la Chambre décide en faveur de la thèse d'El Salvador, il n'y aura rien á délimiter. Si
elle décide en faveur du Honduras, il y aura lieu á délimitation dans l'avenir. Est-ce lá,
Monsieur le Président, [dit le professeur Weil], est-ce lá un exercice dépourvu de
signification ?" (P. 78 du CR de la séance du 18 avril.)
Monsieur le Président, Messieurs les Juges, je ne puis pas dire que ce serait lá un exercice
dépourvu de signification, mais je crois pouvoir soutenir que le contexte du traité et du compromis
de 1986 ne permettent pas de prêter aux Parties la volonté d'aboutir á une telle demi-mesure et á
accorder au Honduras une simple fiche de consolation. Ce que je peux dire également, en songeant á
l'avenir que nous promet M. Weil, c'est que je ne serai plus lá pour plaider dans cette phase de la
procédure. Nous avons tout lieu de croire que, tenant en main la clé de la négociation, le Salvador en
fera usage pour nous enfermer définitivement au fond du golfe de Fonseca.
Ainsi, Messieurs les Juges, le minimum que la République du Honduras serait en droit
d'attendre de votre Chambre selon le Salvador, c'est un arrêt déclaratoire lui reconnaissant, sur base
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du droit international général, un titre sur les espaces maritimes. Cela étant, nous persistons á croire
que compte tenu des négociations relatives á la délimitation des espaces maritimes qui ont eu lieu de
manière approfondie, d'une manière précise en 1984 et 1985 - sur deux années -, la Chambre jugera
qu'elle est en droit de procéder á cette délimitation ou á tout le moins d'énoncer les règles et principes
qui doivent présider á pareille délimitation.
En présentant l'une et l'autre des propositions de délimitation des eaux maritimes dans le golfe
et hors du golfe, les Parties ont reconnu que le problème de délimitation de ces eaux formait bien un
objet du différend. Je fais allusion notamment á l'avis du président du Salvador, M. Duarte, que
vous trouverez á l'annexe VII-1 de nos écritures.
En définitive le Honduras soutient qu'il possède hic et nunc, par l'effet du droit international
général, codifié en 1982, un titre sur les espaces maritimes, et que ce titre ne peut pas être mis en
doute par la Partie adverse. Seule la délimitation pourrait être mise en cause si, étant réalisée
unilatéralement par le Honduras, elle venait á empiéter sur les espaces que le Salvador prétend
relever de sa propre juridiction. La priorité du titre sur la délimitation n'est qu'intellectuelle,
temporelle, éventuelle.
C'est précisément parce que le Honduras a voulu éviter toute contestation au sujet de la
délimitation d'espaces qu'il considère comme siens, qu'il s'est adressé á la Cour et cette considération
confirme que le différend ne peut porter que sur la question de délimitation et non sur le titre qui,
pour sa part, relève du droit international général.
Parce qu'il est sensible aux principes de la bonne foi, le Gouvernement du Honduras a insisté
sur les propositions précises qui ont été faites respectivement par le Salvador et le Honduras au sujet
de la délimitation du golfe et des espaces extérieurs. Comme je l'ai dit dans ma première plaidoirie,
ces propositions ont certes été faites á titre conciliatoire et elles n'ont pas débouché sur un accord.
Mais il faut observer que les propositions du Salvador ont été faites avec une solennité
exceptionnelle, bien propre á accréditer l'idée que la délimitation des espaces maritimes constituait
un des objets les plus importants du différend. A l'annexe VII-1 de notre réplique, les membres de la
Chambre liront la proposition de M. Duarte, alors président de la République, dont le préambule
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contient un alinéa rédigé comme suit: "Cette proposition, dit le président Duarte, a été élaborée á la
suite d'un consensus national obtenu lors de consultations des différents secteurs du pays; de telle
sorte que la proposition contient en soi la volonté politique de la Nation."
Et quant á son objet, le président Duarte poursuit : "El Salvador, dans la volonté de
conciliation et de rassemblement de sa proposition n'a aucune raison de ne pas englober, outre la
partie continentale, la mer territoriale, les eaux intérieures, les fonds et sous-sols, tant de
l'embouchure ou entrée du golfe que dans les 200 milles marins á partir de l'entrée dudit golfe et dans
l'océan Pacifique."
Lorsqu'on sait que la personne même, qui avait longuement négocié tous ces projets, a
finalement prétendu qu'elle ne possédait pas les pouvoirs de poursuivre les négociations de les
finaliser, on comprend que la confiance du Honduras en la parole de la Partie adverse a été quelque
peu ébranlée.
A diverses reprises le professeur Weil a déclaré avec force qu'il n'y avait jamais eu de
différend entre les Parties au sujet de la délimitation maritime (p. 15-16) et qu'en l'absence d'un
différend cristallisé, le juge serait dans l'impossibilité de déterminer avec précision les contours et le
contenu des problèmes sur lesquels il était appelé á statuer (p. 17).
Cette affirmation catégorique ne correspond pas á la réalité. Chacune des Parties a présenté
sur le thème de la délimitation maritime des propositions détaillées et chiffrées, en définitive assez
proches d'ailleurs l'une de l'autre.
L'histoire de ces négociations, qui se sont étendues sur les années 1984-1985 - avant cela il en
avait déjá été question, mais pas sous forme de véritables négociations -, est décrite dans le volume II
du contre-mémoire du Honduras aux pages 711 et suivantes. Cette histoire démontre qu'il y a eu des
négociations entre les Parties, que ces négociations ont eu un objet précis et qu'elles se sont heurtées
au "non possumus non volumus" du Salvador au sens où cette expression est entendue dans l'arrêt
Mavrommatis. Et comme la lecture de ce dernier arrêt le prouve, un différend peut parfaitement se
cristalliser á cette seule condition sans qu'aucune durée particulière ne doive caractériser les
négociations.
"L'objection se réduit á sa juste valeur si l'on considère que l'appréciation de
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l'importance et des chances de réussite de négociations diplomatiques est essentiellement
relative. Une négociation ne suppose pas toujours et nécessairement une série plus ou moins
longue de notes et de dépêches; ce peut êre assez qu'une conversation ait été entamée; cette
conversation a pu être très courte. Tel est le cas si elle a rencontré un point mort, si elle s'est
heurtée finalement á un non possumus, á un non volumus péremptoire d'une des parties et
qu'ainsi il est apparu avec évidence que le différend n'est pas susceptible d'être réglé par une
négociation diplomatique."
[Fin de citation que] Je m'excuse de faire pareille citation, car c'est lá évidemment un texte que tout
internationaliste connaît presque par coeur !
En bref, il y a dans notre affaire un différend sur un objet nettement défini; quel pourrait être
sinon cet objet ? Dire qu'il y a une mer territoriale, dire qu'il y a des droits sur des espaces
maritimes, nous le savons tous; c'est absolument élémentaire; tout Etat souverain a de tels droits.
Donc ce ne pouvait pas être cela et ce ne peut être qu'une question de délimitation.
Renvoyer les Parties á la table de négociation ne pouvait aboutir á rien car le Salvador, en
position de beatus possidens, n'a aucun intérêt á se départir de son intransigeance absolue. Et voilá,
Monsieur le Président, Messieurs, pourquoi le Gouvernement de la République du Honduras
conserve l'espoir de voir votre Chambre venir au secours de la justice en lui adjugeant ses
conclusions.
Le Honduras ne soutient pas qu'il s'est adressé á la Cour pour obtenir reconnaissance de son
droit de plano sur les espaces maritimes. Cela, les deux Parties le savaient ou devaient le savoir.
Dans ces conditions, la demande qui a pour objet de déterminer le statut des espaces maritimes ne
pouvait plus concerner que la seule question de la délimitation des espaces en cause.
Mais pourquoi, dit le professeur Weil, pourquoi ne l'avoir pas dit expressément ? Pour la
raison que j'ai déjá évoquée dans ma première plaidoirie qu'une demande explicite de délimitation
aurait réellement tué dans l'oeuf la thèse du condominium chère au Salvador. De lá on a choisi une
formule neutre que le Honduras a acceptée sans enthousiasme, mais aussi sans crainte de
compromettre son titre inhérent á sa nature d'Etat souverain et côtier.
Au sujet du droit applicable au différend qui nous occupe, j'ai fort peu á dire car le débat qui
s'est engagé sur cet objet vendredi dernier a porté essentiellement sur le rôle que peuvent jouer en
matière de délimitation des terres les ejidos ou titulos ejidales que la Partie adverse a tenté de
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présenter comme constituant la méthode essentielle, sinon exclusive, de délimitation de frontières.
Mes collègues, MM. Nieto et Bardonnet, fourniront á ce sujet les précisions nécessaires pour
dissiper ce malentendu.
Pour ma part, je voudrais encore répondre á l'honorable agent de la République du Salvador
qui m'a reproché, semble-t-il, d'avoir négligé l'article 26 du traité général de paix auquel renvoie
l'article 5 du compromis et aux termes duquel, le cas échéant, il pourra être recouru aux dispositions
du traité, lequel prévoit lui-même qu'il "sera également tenu compte des autres preuves, thèses, et
arguments d'ordre juridique, historique ou humain et de tous autres éléments présentés par les parties
et admissibles en droit international". Je crois avoir clairement précisé la position du Honduras sur
ce point et si je ne l'ai pas fait, je vous prie de m'en excuser. Nous n'ignorons en aucune façon la
seconde phrase de l'article 26, mais cette phrase revêt de toute évidence un caractère subsidiaire par
rapport á la première phrase qui met en avant la preuve par "documents publics émanant de la
Couronne ou de toute autre autorité laïque ou ecclésiastique de l'époque coloniale".
Le Président Jiménez de Aréchaga a confirmé cette interprétation au cours de l'audience du
vendredi 19 avril en rappelant que les arguments humains - il ne parlait que de cela, laissant dans
l'ombre les arguments historiques - ne pouvaient entrer en ligne de compte que sous réserve "de la
prééminence des titres coloniaux" (CR C 4 91/4, p. 59). Le Président Jiménez de Aréchaga a
également et très justement relevé qu'il existait, en matière d'arbitrage latino-américain, de nombreux
cas, je le reconnais, où les arbitres ont été investis de pouvoirs exceptionnels ou discrétionnaires,
voire même du pouvoir de trancher en équité les conflits de frontières. Le fait est parfaitement exact,
mais cette situation ne s'est jamais présentée que par l'effet de clauses expresses des compromis, des
clauses qui sont dérogatoires au droit commun de l'arbitrage et qui d'ailleurs n'ont été utilisées
qu'avec la plus grande prudence par les arbitres.
Le caractère dérogatoire au droit commun des clauses autorisant un arbitre á s'écarter du droit
a été souligné également avec force par le Président Jiménez de Aréchaga dans la consultation déjá
évoquée qu'il a délivrée dans l'affaire Burkina Faso/Mali, où l'on peut lire au paragraphe 49 ce qui
suit : "Ceci établit la nécessité d'une autorisation expresse pour l'existence d'un pouvoir
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extraordinaire de l'arbitre de dire non pas où est la frontière mais où elle devrait être." Il est tout á
fait clair qu'une telle clause n'est pas prévue dans la présente affaire. Cette dernière phrase
s'applique exactement á notre cas également.
L'arbitrage, faut-il le rappeler, est un règlement des différends basé sur le droit et ce n'est pas
parce qu'il dépend un peu plus que le règlement judiciaire de la volonté des parties que l'on peut
prendre pour la règle ce qui n'a jamais été que l'exception.
L'interprétation que nous soutenons ici est celle-lá même que le Salvador a défendue dans son
mémoire au chapitre 7, point 8, lorsque, évoquant les lacunes que pouvait présenter la documentation
espagnole dans certains secteurs, il écrit :
"Consequently, in order to be able to carry out a complete delimitation, it has been
necessary in certain cases to give those responsible for making the decision, powers to take
into account in subsidiary or complementary form other arguments or reasons."
Monsieur le Président, Messieurs les Juges, me voilá parvenu au terme de mon intervention
dans cette affaire et je vous dirai que je quitte la barre avec un certain sentiment de honte, celui de
vous laisser, Messieurs les Juges, ainsi que mes collègues des deux côtés de la barre, poursuivre
durant de longues semaines encore votre travail alors que je serai bientôt sur la route des vacances.
Dans l'intérêt des deux Parties, que j'ai appris á mieux apprécier au cours de la semaine
écoulée, je souhaite de tout coeur que le débat puisse se poursuivre avec la même courtoisie que celle
dont j'ai bénéficié et qu'enfin votre arrêt, quel qu'il soit, puisse contribuer á rétablir définitivement la
paix et la concorde entre les deux Républiques en cause.
Merci, Monsieur le Président.
The PRESIDENT: I thank Professor Paul De Visscher and I give the floor to
Professor Nieto.
- 20 -
N. NIETO : Monsieur le Président, Messieurs les Juges, vendredi dernier,
M. Eduardo Jiménez de Aréchaga m'a fait l'honneur de répondre á la plaidoirie que j'avais présentée
la veille. Je lui suis reconnaissant de la déférence qu'il a montrée á l'égard des avis que j'avais émis
et que je regrette qu'il ne partage pas. Je suis désolé de me retrouver affronté á une personne de son
autorité et de son expérience; mais le droit, la paix et les intérêts de la République du Honduras
m'obligent á maintenir la position que j'ai déjá exposée.
Les points de divergence entre le Honduras et El Salvador sont très nombreux, ce qui
m'amène, compte tenu du peu de temps dont je dispose, á opérer un choix dans ce que j'estime être le
plus important, á savoir : la valeur probante des documents versés au dossier par les deux parties; le
problème des "ejidos" de réduction et des "ejidos" de composition; et la question du contrôle
administratif.
Je m'efforcerai néanmoins de ne pas répéter ce qui a déjá été dit par écrit ou oralement, mon
intention étant plutôt de dissiper les malentendus qui subsitent encore et surtout de replacer
l'interprétation des institutions dans leur cadre historique. En effet, nous nous trouvons en présence
d'"ejidos" d'une époque et d'une région bien déterminées et á moins de tenir compte du droit et de la
société qui leur étaient contemporains, on n'arrivera jamais á comprendre ce que sont les "ejidos" sur
lesquels porte notre litige.
I. VALEUR PROBANTE DES DOCUMENTS VERSES AU DOSSIER PAR LES DEUX
PARTIES
Il s'agit lá d'une question á laquelle j'ai consacré toute la seconde partie de ma plaidoirie de
mardi dernier et ne pouvant envisager de répéter maintenant ce que j'ai déjá dit alors, je forme le
voeu que, á défaut d'avoir pu convaincre mon éminent contradicteur, mes arguments aient tout au
moins réussi á influer sur l'opinion supérieure de la Chambre de la Cour.
A mon avis, la thèse d'El Salvador, selon laquelle les "títulos ejidales" fournis par ce pays sont
les seules que la Cour doit prendre en considération - dans l'idée que ce seraient les seuls qui
rempliraient les conditions prévues á l'article 26 du traité de paix et qu'il s'agirait des seuls "titres
officiels formels" - est insoutenable, parmi d'autres, pour les raisons suivantes :
a) On ne sait pas sur quoi El Salvador fait reposer cette étrange
- 21 -
théorie des "titres officiels formels", qui ne sont pas mentionnés dans le traité, où il n'est
question que de "documents délivrés". La Chambre pourra facilement vérifier l'exactitude de
ce que je viens de dire. Il est de toute évidence que "document délivré" et "titre formel officiel"
n'est pas la même chose.
b) Si dans le traité on admet expressément les documents concédés par
les autorités ecclésiastiques, cela revient évidemment á admettre des documents qui ne portent
pas sur les "ejidos" attendu que les autorités ecclésiastiques n'avaient pas compétence pour
concéder des "ejidos".
c) De la même manière, l'invocation de la sentence arbitrale dans le
litige entre le Honduras et le Guatemala de 1933 est totalement dépourvue de fondement, du
fait que, comme il ressort d'une simple lecture, cette sentence ne fait pas seulement fond sur
des "titres officiels formels" mais recourt á toutes sortes de documents littéraires et
scientifiques et de représentations graphiques et qu'elle le signale expressément.
Le poids de ces arguments est tel qu'El Salvador est passé d'une première position, tout á fait
résolue (les "títulos ejidales" fournis par El Salvador sont les "seuls et de toute façon l'emportent sur
ceux du Honduras) á une autre plus nuancée que nous avons eu le plaisir d'entendre exposer par
M. Jiménez de Aréchaga (á la page 54 du compte rendu non corrigé) : "El Salvador ne prétend pas
exclure d'autres documents". C'est déjá un grand pas dans le sens d'une entente mutuelle, Mais,
d'autre part, on nous a également dit : "et ce sont les seuls qui remplissent les conditions prévues á
l'article 26". Ce qui, comme nous venons de le voir, n'est pas vrai.
II. "EJIDOS" DE REDUCTION ET "EJIDOS" DE COMPOSITION
1. Les "ejidos" en litige sont de composition
La position d'El Salvador est á cet égard catégorique : il admet, en principe, la distinction
légale entre "ejidos" de réduction et "ejidos" de composition (á la page 41 du compte rendu non
corrigé), mais il nie que les "ejidos" indigènes litigieux soient de composition. A cette fin, il a
commencé son argumentation en renvoyant á la vénérable école des Thomistes espagnols classiques
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(P. Vitoria) et en rappelant que les indiens peuvent être de véritables propriétaires de terres (une
chose qu'á vrai dire, personne n'a jamais nié au cours du présent litige), pour procéder ensuite á une
description de l'évolution historique des "ejidos" et terminer en indiquant que la thèse selon laquelle le
monarque espagnol exigeait de l'argent des indiens pour leur concéder les "ejidos" ("ejidos" de
composition) relève d'une légende antiespagnole, la redoutable soi-disant "légende noire", qui
représente l'imputation la plus grave qui puisse être formulée á l'égard d'un historien espagnol.
Jamais je n'aurais pu imaginer, quant á moi, que relater les faits de l'histoire pourrait supposer
contribuer á propager une légende noire hostile á l'Espagne. Aussi vais-je m'empresser de réduire á
néant cette surprenante allégation, tout á fait convaincu au demeurant qu'elle ne visait á offenser
personne.
A) Francisco de Solano, après avoir étudié les archives de la "Real Audiencia" de Guatemala,
aboutit á la conclusion suivante :
"au XVIIIe
siècle et grâce á l'intérêt montré par les 'Reales Cédulas' de 1715 et 1754, se
produit en Amérique centrale la création de nouvelles propriétés communales dans certains
villages indiens..."
et il publie ensuite une très longue liste de terres communales concédée aux communautés indigènes
contre un paiement, c'est-á-dire moyennant composition (cf. Tierra y Sociedad en el Reino de
Guatemala, 1977, p. 150 et suiv.).
B) D'autre part la "Real cédula" du 27 juillet 1795 n'est apparemment qu'une "Cédula" parmi
tant d'autres, mais elle offre la particularité d'apporter une illustration didactique des motifs qui
expliquent le recours á la composition - ce qui justifie sa citation in extenso :
"Sur les terres que possèdent les villages et les communautés indiennes ... le juge
commissaire leur fera comprendre l'utilité et le bénéfice que représentera pour eux le fait
d'avoir pour leurs terres des titres légitimes moyennant une modeste composition
correspondant aux terres qu'ils possèdent en plus de leurs 'ejidos'."
Alors : modeste, mais composition. Et c'est le roi qui le dit.
Et dans les instructions qui sont adressées aux juges sous-délégués pour la mise en oeuvre de
ce qui précède, on précise de nouveau la différence entre les "ejidos" de réduction originels et les
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"ejidos" de composition qui leur font suite :
"Vous devrez établir une distinction entre les terres possédées par et appartenant aux
villages et communautés d'Indiens, conformément aux lois et règlements, étant donné que ces
terres se limitent d'ordinaire á la lieue de terrains qu'ils appellent 'ejidos' ... et les autres qui
auraient été concédés et se concéderaient á la même fin en fonction des besoins soit parce que
la communauté est nombreuse soit en raison de la stérilité des premières terres ...; mais en cas
de fraude et d'abus notoire ou s'ils possédaient ou étaient en possession d'autres terrains que
celui concédé, il conviendrait de leur accorder une composition modeste." [(Cf. ma
consultation, 1ère partie, IV, 9.)]
C) Voilá la réalité telle qu'elle ressort des archives et est corroborée par des dispositions
royales, quoi qu'en dise le père Vitoria (et nous le retrouverons dans les "ejidos" en litige. En effet,
soit est mentionné le prix payé (comme il était indiqué dans la liste de ma première plaidoirie) ou
bien, si le titre n'avait pas été conservé dans son intégralité, il y est fait mention tout au moins des
négociations visant á la compensation.
Alors, histoire ou légende ? Le professeur Lopez-Rodó penche pour l'histoire et reconnaît á la
page 18 de sa consultation l'existence d'"ejidos" de composition, même s'il estime qu'ils n'ont jamais
été totalement généralisés. Et El Salvador, dans sa réplique (p. 10 et suiv.) reconnaît également qu'il
fallait payer dans le cas où les terrains possédés étaient plus amples que le titre le permettait ou
lorsqu'il n'y avait pas de titre du tout.
Et enfin, dans la plaidoirie á laquelle je suis en train de répondre en ce moment (p. 44-45),
l'existence de quelques "ejidos" de composition est expressément reconnue, même s'il est signalé qu'il
s'agit en fait de cas exceptionnels (ceux de Arcatao et de La Palma).
Disons en conclusion que l'on pourra, pour chacun des "ejidos" relevant du présent différend,
débattre de la question de savoir s'il est ou non de composition, mais l'existence même des "ejidos" de
composition est un fait historique indiscutable qui, au surplus, n'a rien á voir ni avec les théologues
espagnols du XVIe
siècle ni avec la "légende noire".
2. Nature et régime juridique des "ejidos" de composition
Le professeur Jiménez de Aréchaga s'est livré dans sa plaidoirie á une affirmation que je dois
repousser avec respect mais énergiquement car elle m'attribue de nouveau quelque chose qui n'est
pas exact á savoir que le professeur Lopez-Rodó (mon collègue á la retraite de l'Université de
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Madrid) et moi-même sommes d'accord sur les notes définitoires des "ejidos" et que nous sommes
tous les deux opposés á la position adoptée par le Honduras (p. 46 du compte rendu). J'accepte
d'avance toutes les divergences du professeur Jiménez de Aréchaga en ce qui concerne mes thèses (et
je souligne que ces divergences me préoccupent beaucoup étant donné l'autorité qu'il détient et le
respect que je lui porte); mais ce que je ne peux accepter c'est qu'il m'attribue des choses que je n'ai
pas dites, ni, par dessus tout, qu'il prétende que je réfute quelqu'un que, de toute évidence, je suis en
train de défendre et de défendre avec conviction. Il y a lá un malentendu que je m'empresse de
dissiper.
Les biens communaux (ou "ejidos" de reduction) se caractérisent en effet par le fait a) qu'ils
appartiennent á la municipalité (ou "cabildo" indien) et b) qu'ils sont utilisés par les habitants (ou
communautés d'Indiens). Deux caractéristiques déjá inscrites dans le droit espagnol depuis le
XIIIe
siècle et qui surprennent un peu dans la mesure où elles supposent une dissociation entre le
titulaire du dominium et celui du droit d'usage. Une contradiction résolue en 1964 dans l'ouvrage
"Bienes comunales" au moyen de la thèse de la titularisation partagée qui a par la suite été acceptée
par la Cour suprême espagnole et par tous les auteurs qui ont traité de cette question et qui, depuis
1985, figure dorénavant dans la législation espagnole.
Mais quand il s'agit de biens "vecinales", (pas communaux), la situation est tout autre attendu
que ces biens (les "ejidos" de composition) se caractérisent par le fait : a) qu'une communauté
d'Indiens en a la propriété et l'usage; b) que cette propriété est de droit privé: c) mais pas de type
romain, selon le système de quote-parts, mais de type germanique ("zur Gesammte Hand"). Une
position soutenue en droit espagnol par la doctrine et la jurisprudence de la Cour suprême.
Que l'on ne m'attribue donc pas une confusion entre les "ejidos" de réduction et "ejidos" de
composition, alors que la distinction entre les uns et les autres représente l'affirmation centrale de
deux ouvrages, dont l'un publié il y a 25 ans, de la consultation qui m'a été demandée par le
Gouvernement du Honduras et de cette plaidoirie.
3. "Ejidos" de réduction et "ejidos" de composition
Monsieur le Président, Messieurs les Juges, j'avoue qu'en ce moment je regrette d'avoir
- 25 -
introduit dans ce litige les concepts de "ejidos" de réduction et de "ejidos" de composition qui
risquent de produire une telle confusion chez ceux qui ne sont pas familiarisés ni avec le droit
espagnol ni avec le droit indien. Mais j'y étais tenu par mon honnêteté de juriste car cacher ces
différences serait revenu á commettre une infidélité au droit. Les choses sont parfois très
compliquées et la science du droit est amenée, pour expliquer la réalité, á établir des nuances d'une
grande subtilité. La réalité veut que dans certains cas les monarques aient concédé gratuitement
les "ejidos" et que dans d'autres cas, ils les aient "composés" contre paiement. La réalité veut que
dans certains cas, le propriétaire ait été la communauté des Indiens et dans d'autres, la municipalité.
La réalité veut que dans certains cas, le propriétaire se comporte en "condomini" á la romaine et dans
d'autres en "consortes" á la germanique. Et la réalité étant ainsi, le droit a créé aux Indes les
institutions que sont les "ejidos" de réduction et les "ejidos" de composition comme il avait créé en
Espagne celles des "bienes vecinales" et des biens communaux.
L'Espagne a été historiquement un carrefour de peuples et de cultures et le droit castillan est le
résultat de la confluence du droit romain et du droit germanique apporté par les Wisigoths. Nous
autres, juristes espagnols, sommes donc habitués aux institutions "métisses", dont un des exemples le
plus significatif est celui des "ejidos" de composition. L'ensemble peut paraître bizarre á d'autres
juristes, mais le droit est l'enfant de l'histoire et il faut l'accepter tel qu'il est, même s'il paraît parfois
légèrement capricieux.
Mais, sans préjudice de ce qui précède, il est également vrai que la thèse du Honduras peut se
défendre tout autant dans la perspective des "ejidos" de composition que dans celle des "ejidos" de
réduction, étant donné que ni dans un cas ni dans l'autre, les limites foncières des "ejidos" ont á
coïncider avec les frontières politico-administratives des provinces ou des Etats. En d'autres termes,
l'effort dialectique fait par El Salvador pour réfuter la thèse du Honduras en arguant que les "ejidos"
en litige sont des "ejidos" de réduction et non de composition est totalement vain, puique un "ejido"
de réduction ne peut pas davantage servir de limite pour fixer les limites des provinces ou les
frontières des Etats. Et c'est ce que nous allons maintenant nous efforcer de démontrer.
4.Les "ejidos" de réduction
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Imaginons donc que les "ejidos" en litige sont de réduction, comme le prétend El Salvador.
Une affirmation totalement fausse mais admissible á des fins dialectiques. Pourraient-ils servir á
établir les limites provinciales ? A mon avis, non.
A) Disons d'emblée que les "ejidos" indiens de réduction ne peuvent á aucun moment être
considérés comme des biens du domaine public, comme l'a déjá fait valoir le professeur López Rodó
dans la consultation qu'il a fournie á la demande de El Salvador, étant donné qu'il s'agit d'une notion
d'origine française qui n'est arrivée dans le monde des concepts juridiques latins qu'une fois le
XIXe siècle bien avancé.
B) En deuxième lieu, même dans l'hypothèse la plus extrême (c'est-á-dire en allant jusqu'á
admettre que ces "ejidos" étaient du domaine public), cela n'impliquerait pas qu'ils relevaient de la
propriété de l'Etat ni d'aucune instance publique, bien au contraire, le domaine public terrestre des
terrains et des prés ne pouvant être objet de propriété, comme l'a démontré au XVIe siècle déjá le
juriste castillan Fernandez de Otero (De pascuis et iure pascendis, p. 29, je cite d'après la reédition
de 1750) : "Les biens publics, même ceux destinés á l'usage commun, ne relèvent cependant pas du
véritable dominium de l'universitas, ni de celui du seigneur du lieu ni de celui des individus, ainsi
que le disent Placentino et Acursio : c'est donc abusivement que ces biens sont appelés publics, car le
dominium de ces choses ne se fonde pas sur la propriété mais sur la simple administration".
Une doctrine qui a servi á élaborer en France au XIXe siècle la notion de domaine public
(Pardessus, 1806, Macarel, 1838, Proudhon, 1843, Gaudry, 1863), laquelle arrive en Espagne á la
fin du même siècle (Manresa, 1893, Covián, 1913) et qui se trouve á l'heure actuelle totalement
généralisée parmi les auteurs modernes. Bref, le domaine public n'est pas une propriété, il exprime
une relation juridique spéciale entre le bien et son titulaire public.
Le résultat de toutes ces considérations saute aux yeux : 1) les "ejidos" de réduction ne
relèvent pas du domaine public; 2) même si c'était le cas, étant donné qu'ils ne sont pas objet de
propriété de la part de l'Etat ou des pouvoirs publics, ils ne peuvent servir de base á la délimitation
des provinces; 3) leur objet est un droit d'usage dont les titulaires sont les habitants des communes.
Ce qui signifie en fin de compte, qu'aux fins du présent litige, peu importe qu'il s'agisse d'"ejidos" de
- 27 -
réduction ou d'"ejidos de composition et par conséquent que El Salvador n'apporte pas une réfutation
á la thèse du Honduras en arguant du fait que les "ejidos" sont de réduction.
Ce qui nous amène á réaffirmer la position que la Partie que je représente a toujours soutenu :
les droits des communautés indiennes sur les "ejidos" - qu'ils soient de composition (comme c'est le
cas) ou de réduction (comme on peut l'admettre á titre d'hypothèse) - ne peuvent servir de fondement
á un droit de souveraineté ni servir á établir des limites de provinces ou des frontières d'Etats, étant
donné que, comme il découle de l'argumentation méticuleuse développée par le professeur Bardonnet
dans sa plaidoirie, ces droits peuvent s'exercer sur le territoire d'une autre commune ou d'un autre
Etat. Mais je n'insisterai pas de nouveau lá-dessus pour ne pas me répéter devant cette Chambre de
la Cour. La seule chose que je tenais á souligner était que la thèse vaut autant pour les "ejidos" de
composition que pour les "ejidos" de réduction et qu'en conséquence les efforts de El Salvador sur ce
point sont tout á fait vains.
Dans un autre ordre d'idées, il y a lieu de dénoncer le constant changement de position auquel
se livre El Salvador qui rend si difficile la tâche de faire la lumière sur ce litige : en effet, alors que
nous avons toujours cru que la tâche de la Cour était, en application du principe de l'uti possidetis
juris, de déterminer les limites provinciales de 1821, soudain El Salvador fait un écart pour appuyer
sa thèse sur les limites des "ejidos", puis en se voyant forcé á reconnaître la faiblesse de sa position,
il invente maintenant une nouvelle approche : il ne s'agit plus de délimiter des provinces, c'est-á-dire
des territoires politico-administratifs mais des localités ("poblaciones") comprises comme des
communautés de personnes (page 54 et suivantes du compte rendu non corrigé).
Ce qui fait qu'après avoir reconnu formellement la règle de l'uti possidetis juris El Salvador prétend
introduire subrepticement celle des effectivités, manoeuvre habile, mais qu'il convient de dénoncer et
de refuser.
Et c'est ainsi que nous arrivons á la question du contrôle administratif.
III. LE CONTROLE ADMINISTRATIF
M. Jiménez de Aréchaga continue d'insister sur cette notion du "contrôle administratif" en
arguant du précédent de la sentence arbitrale de 1933, dont les auteurs (notamment le président du
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tribunal) ont reçu les éloges mérités auxquels nous souscrivons tous. Ceci dit, la doctrine de cette
sentence ne doit pas servir d'exemple pour notre affaire ni donner lieu á précédent (au sens strict de
la procédure) étant donné que son application au présent litige supposerait un double anachronisme.
En effet, d'une part, il ne peut être question de domaine public en 1821, comme je l'ai fait valoir á
maintes reprises tout á l'heure, et, d'autre part, l'expression "contrôle administratif" est tout aussi
impropre, d'autant que aucun des ouvrages consacrés á l'histoire des administrations publiques ne
contient la moindre allusion á cette institution avant le XIXe
siècle.
Le contrôle administratif est un concept qui apparaît en Espagne pour la première fois avec les
constitution libérales du XIXe
siècle, c'est-á-dire que jusqu'alors - et donc á l'époque de l'empire
espagnol et du colonialisme aux Amériques - ce concept était totalement inconnu. Les municipalités
étaient des "corporaciones" et, en tant que telles, jouissaient de ce que nous appelons de nos jours
une autonomie, totalement exempte de contrôle administratif. Pour le vérifier, il suffit de se reporter,
par exemple, á l'oeuvre encyclopédique et exhaustive de Castillo de Boadilla sur les municipalités de
l'ancien régime Politica de Corregidores y señores de vasallos (qui a été rééditée de manière
ininterrompue depuis le XVIe
siècle jusqu'au XVIIIe
siècle), ou á l'ouvrage tout aussi volumineux de
Dou y Bassols, Instituciones de Derecho Publico (1802-1804). Tout au long de ces siècles, il est
inutile de chercher un quelconque contrôle administratif qui se heurterait á l'autonomie municipale.
Les autorités royales n'interviennent dans la protection et la défense des biens municipaux que pour
éviter leur usurpation.
Le pouvoir royal dans la monarchie espagnole s'est toujours abstenu de contrôler "de
l'extérieur" les "Corporaciones" municipales avec des méthodes qui "laissent des traces" et, malgré
tout le respect dû au tribunal Hughes il ne sert donc á rien de rechercher ce contrôle, car l'influence
royale - qui dans les faits était très forte en dépit de l'autonomie dont étaient formellement dotées les
municipalités - s'exerçait de l'intérieur par le truchement des autorités municipales, dont le monarque
se réservait, antidémocratiquement, la nomination. Mais ces autorités, même si elles étaient en fait
des agents du monarque, étaient juridiquement des fonctionnaires municipaux. Aussi n'y avait-il pas
besoin de contrôle administratif supérieur puisque celui qui s'exerçait, sans dire son nom, de
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l'intérieur était plus efficace. Et, exposée en termes plus généraux, c'est également la situation qui
ressort comme régnant aux Indes, de l'oeuvre capitale de Juan de Solózano, "Política indiana", du
milieu du XVIIe
siècle. Mieux encore : cet ouvrage insiste sur l'autonomie administrative des
communautés indigènes en indiquant comme seul contrepoids la protection et la défense - et non pas
le contrôle - exercées sur les communautés d'indiens juridiquement et politiquement faibles.
En résumé : le critère du contrôle administratif ne nous est d'aucune utilité au moment de
déterminer les limites provinciales, du simple fait que ce contrôle n'existait pas (ou ne laissait pas de
trace) ce qui explique qu'il ne soit pas invoqué dans la "Recopilación" des Lois des Indes, dans la loi
première du titre 1er du livre V, si souvent citée, qui indique de manière expresse comment et selon
quels critères il y avait lieu de vérifier les limites provinciales en cas de doutes en la matière. Mais
n'autorise pas pour autant la moindre critique á l'égard de la sentence de Hughes, étant donné que,
comme nous le savons déjá, en fait, ses auteurs n'ont pas retenu ce critère et ont fait ainsi montre
d'un "common sense" louable car s'ils s'en étaient tenus exclusivement au contrôle administratif, ils
auraient dû opérer á l'aveuglette en l'absence de la lumière du soi-disant contrôle administratif qui
n'existe pas.
Par ailleurs, la position d'El Salvador représente la transformation d'un titre de propriété en un
titre juridictionnel et la confusion entre une relation personnelle et une relation territoriale. Un
deuxième point que je n'ai pas encore abordé et qui mérite un éclaircissement dans ces dernières
parties de ma plaidorie.
Le professeur Jiménez de Aréchaga, dans son docte exposé, a fait valoir comment sous l'effet
d'un titre de propriété d'"ejido", le ressort de l'"Alcalde de indios" s'étendait au territoire de l'"ejido",
ce qui, soutient-il, justifierait par corrélation une extension de la province. Cela est rigoureusement
inexact á mon avis car il s'agit-lá d'une conception "européenne" de l'organisation politique des
citoyens. En Amérique centrale de l'époque coloniale, la situation était en fait tout á fait autre. Les
Indiens n'étaient pas organisés selon des critères géographiques et politiques (comme les habitants
d'une ville ou d'une province européennes) mais conformément á des critères personnels strictement
tribaux : chaque membre de la tribu était uni á cette dernière et soumis á son "cacique"
- 30 -
indépendamment du territoire où il se trouvait. Le maire blanc ou métis exerce sa juridiction sur les
personnes qui se trouvent dans un territoire donné. L'"Alcalde de indios" était par contre un
"cacique" qui n'avait d'autorité que sur le groupe humain - la tribu - et n'exerçait donc aucune
juridiction sur les blancs qui vivaient sur son territoire et de la même manière, sa juridiction
s'étendait aux membres de la tribu où qu'ils se trouvaient. Aussi, si l'"Alcalde de indios" exerce des
fonctions policières sur les "ejidos", ce n'est pas parce que ces terres relèvent de sa juridiction mais
bien parce qu'y travaillent des personnes qui appartiennent á la tribu. Ces prémisses de caractère
politique et social font ressortir á l'évidence l'inconsistance des raisonnements salvadoriens qui
supposeraient une transposition inadmissible d'époques et de systèmes. Ce qu'El Salvador dit
aujourd'hui vaut pour 1991 mais non pas pour une colonie espagnole de 1821 ou d'avant.
Conformément á la "Recopilación" des Lois des Indes, le système de sédentarisation des
Indiens était le suivant : les tribus nomades ou dispersées étaient sédentarisées ou regroupées, avec
interdiction pour les Indiens de changer de résidence d'un village á un autre (VI, III, 18 et 19) et avec
indication pour les veuves et les orphelins du village où ils devaient résider (VI, I, 7 et 8), tandis qu'il
était interdit aux Espagnols et aux noirs de résider dans les villages d'Indiens (VI, III, 21 et 22).
A la tête de chaque village (groupe humain) se trouvait effectivement un "alcalde de indios" ou
"cacique" qui devait être un descendant du "cacique" tribal d'avant la conquête et qui détenait
certains pouvoirs d'autorité sur les membres de la tribu qu'á aucun moment il ne pouvait, comme il
était expressément spécifié, exercer sur les Espagnols ou les nègres qui, occasionnellement, vivaient
dans le village. Tout le titre VII du livre VI de la "Recopilación" est consacré á ces "caciques". On
peut le contrôler.
S'agissant des impôts, l'"alcalde de indios" n'avait guère de pouvoirs en la matière, étant donné
que leur montant était déterminé par les officiers royaux et qu'ils étaient perçus par des "fermiers",
lesquels étaient des personnes privées nécessairement espagnoles (VI, V, 13). Et surtout, les "ejidos"
ne payaient pas d'impôts. Les impôts étaient de nature rigoureusement personnelle : par tête d'Indien
mâle de chaque membre de la tribu et non pour les "ejidos" que la tribu possédait. Pour cette raison,
les "ejidos" ne peuvent pas être invoqués pour la détermination du contrôle administratif.
- 31 -
Monsieur le Président, Messieurs les Juges, pour en finir qu'il me soit permis de dire qu'en ce
moment les Parties plaidantes voient la Chambre revêtue de la même autorité que détenait le roi
d'Espagne dans l'empire des Indes. En effet, de la même manière que dans la "Recopilación", le
monarque avait interdit aux vice-rois et aux gouverneurs de modifier de leur propre chef les limites
des provinces, une prérogative réservée au roi d'Espagne; en 1991 le Honduras et El Salvador se
présentent devant la Cour internationale de Justice pour lui demander qu'elle résolve leurs différends
une fois pour toutes, comme jadis le faisait le roi d'Espagne.
De nouveau, je vous remercie, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, de la patience et de
la bienveillance dont vous avez fait preuve tout au long de mon intervention.
The PRESIDENT: Thank you Professor Nieto. The Chamber will take now a break and will
be back in 15 minutes.
L'audience est suspendue de 11 h 20 á 11 h 40.
- 32 -
Le PRESIDENT : Please be seated. I give the floor to Professor Bardonnet.
M. BARDONNET : Merci Monsieur le Président.
Monsieur le Président, Messieurs les Juges, c'est pour moi un honneur particulier de prendre á
nouveau la parole devant vous pour répondre au Président Jimenez de Aréchaga qui a montré, dans
sa belle plaidoirie, la mesure de son talent et de son élégance que ses amis connaissent bien. Est-ce á
dire qu'il a pour autant emporté notre conviction, de ce côté-ci de la barre ? Qu'il me permette de lui
dire, avec tout le respect que je lui dois, mais aussi avec toute la fermeté nécessaire, que tel n'a pas
été le cas.
*
* *
Avant de répondre á mon contradicteur, il est important de rappeler, Monsieur le Président,
pourquoi le Gouvernement du Honduras attache une telle importance au principe de l'uti possidetis
juris pour trancher le différend terrestre qui l'oppose á El Salvador.
C'est d'abord par souci de cohérence dans son comportement, pour rester fidèle á une tradition
sentimentale, historique et politique, juridique et constitutionnelle dont on sait la force au Honduras.
C'est également pour se conformer devant la Chambre, Monsieur le Président, Messieurs les Juges,
ainsi que le prescrit l'article 5 du compromis du 24 mai 1986, aux "normes de droit international
applicables entre les Parties", car le principe de l'uti possidetis juris est bien - comme l'a souligné
avec force l'arrêt Burkina Faso/Mali du 22 décembre 1986 - "une règle de portée générale" (C.I.J.
Recueil 1986, p. 565, par. 21), ["une règle de portée générale,] "un principe d'ordre général
nécessairement lié á la décolonisation où qu'elle se produise" (ibid., p. 566, par. 23), visant "á
assurer le respect des limites territoriales au moment de l'accession á l'indépendance" et emportant
"la transformation des limites administratives en frontières internationales proprement dites" (ibid. p.
566, par. 23).
C'est enfin parce que le Honduras a la conviction que ce principe de l'uti possidetis juris ne
peut être en aucune manière suspecté. En effet, jamais les anciennes limites administratives arrêtées
- 33 -
par le colonisateur espagnol n'ont été inspirées par un motif inavouable, jamais elles n'ont été
inspirées par une intention de spoliation. Comme l'a rappelé M. Ago, le 2 juillet 1974, devant la
Commission du droit international:
"L'administration espagnole, qui n'avait pas intérêt á tracer les frontières de ses
provinces d'Amérique latine d'une manière plutôt que d'une autre, avait choisi, comme ligne de
démarcatiom, des chaînes de montagne ou des fleuves. Bien que ces frontières ne fussent pas
toujours très précises, elles n'étaient jamais arbitraires et c'est avec sagesse que les nouveaux
Etats d'Amérique ont décidé de conserver, selon le principe de l'uti possidetis juris, les
frontières que la monarchie espagnole avait établies." (ACDI, 1974, vol. I, p. 217, par. 18.)
On ne doit pas oublier, Monsieur le Président, dans une situation comme celle qui vous est
soumise dans la présente affaire, que le découpage effectué par le colonisateur espagnol entre des
territoires placés, avec le même statut colonial, sous sa dépendance, a été réalisé sur le base de
considérations exclusivement administratives.
C'est pourquoi le Gouvernement du Honduras a pris acte, avec un intérêt particulier, de la
déclaration que le Président Jiménez de Aréchaga a fait au début de sa plaidoirie: "El Salvador has
consistently maintained that the law applicable to the delimitation of the disputed sectors of the land
frontier is, fundamentally, the principle of uti possidetis juris, as defined and described in the first
sentence of Article 26 of the General Treaty of Peace of 1980, referred to in Article V of the Special
Agreement." (C 4/CR 91/5, p. 30.)
C'est avec le même intérêt que le Honduras prend acte de l'accord d'El Salvador avec la
conclusion selon laquelle "les limites de terres, les limites foncières, ne peuvent pas se transformer en
frontières internationales" (C 4/CR 91/5, p. 55). Il est hors de doute en effet que, lorsque limites
administratives et limites foncières ne coïncident pas, seules les limites administratives, á l'exclusion
des limites de terres, peuvent être érigées, au moment de l'accession á l'indépendance, en frontières
internationales.
Dans ces conditions, le Honduras regrette d'autant plus qu'El Salvador, après avoir admis les
principes qui sous-tendent la thèse hondurienne, en fasse une application incorrecte. La Partie
adverse méconnaît en effet le principe de l'uti possidetis juris en mettant en avant, dans l'hypothèse
de non-coïncidence des deux types de limites, les limites de terre alors que les documents de l'époque
- 34 -
coloniale avancés par le Honduras indiquent des limites de juridictions, concrètes et claires, qui ne
sont nullement, pour reprendre la formule de mon contradicteur, des "idées platoniques". Avant d'en
venir á ces questions de fond, qu'il me soit permis, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, de
faire d'abord quelques observations sur la méthode suivie par le Président Jiménez de Aréchaga.
*
* *
I
Ces observations méthodologiques seront au nombre de trois.
1) En premier lieu il convient de remarquer que mon contradicteur dans sa plaidoirie - comme
d'ailleurs d'une façon générale El Salvador dans ses écritures - refuse souvent de rencontrer
l'argumentation hondurienne. Il ne suffit pas, Monsieur le Président, d'écarter d'un revers de main le
principe de la non-identité des limites administratives et des limites foncières en disant qu'il "n'est pas
pertinent" (C 4/CR 91/5, p. 55), ou encore qu' "il n'est pas ajusté aux faits et aux réalités de l'affaire
portée devant la Chambre" (ibid., p. 58). Mon contradicteur oublie ainsi qu'El Salvador, dans son
contre-mémoire, avait considéré que la divergence des Parties sur ce point constituait "the crucial
issue in this litigation" (CMS, chap. 2.5, p. 13; trad. fr., p. 10). Il oublie également la propension
singulière d'El Salvador á négliger les limites de juridictions et á s'en tenir aux limites de terres qui
lui sont plus favorables.
Je donnerai seulement trois illustrations de cette esquive constante, de cette fuite devant les
faits.
Première illustration: le Président Jiménez de Aréchaga considère conme "entirely unrealistic"
que l'"Alcalde de Indios", notamment celui de Citalá, "demande l'autorisation" á son homologue
d'Ocotepeque d'intervenir dans les montagnes de Tepansiguir (C 4/CR 91/5, p. 58). Le problème
n'est pas lá, le problème est, Monsieur le Président, que, pour interpréter le titre de Citalá de 1776
sur lequel se fonde la Partie adverse, on ne peut oublier que le juge des terres de l'Audiencia de
Guatemala, dans son jugement du 20 février 1776, avait donné compétence au juge des terres du
district salvadorien pour qu'il arpente les terres de la montagne de Tepanguisir. Il lui avait également
- 35 -
ordonné de notifier ce jugement au juge des terres de la province hondurienne de Gracias a Dios sur
le territoire de laquelle était située la montagne de Tepanguisir afin que ce dernier "prenne
connaissance du fait que ce tribunal principal s'est introduit dans sa compétence seulement pour
l'affaire qui nous y occupe et que l'on y déroge sous aucun prétexte" (C 4/CR 91/4, p. 24). Sur ce
fait, qui est au coeur même du différend pour le secteur de Tepanguisir, mon contradicteur est
silencieux.
Il est également silencieux - et ce sera la seconde illustration de sa méthode - sur la question
suivante. Le Honduras a observé, á plusieurs reprises (C 4/CR 91/3, p. 39-40 et 91/4, p. 16),
qu'El Salvador plaçait sur le même plan des "titulos ejidales", attribuant des terres par conséquent á
des communautés indiennes et des titres concédant des terres á de simples particuliers. Ce problème
est-il "dépourvu de pertinence", est-il "sans rapport" avec le différend qui vous est soumis ? Nous ne
le pensons pas. Est-il vrai ou non qu'El Salvador, dans le secteur de Goascorán s'appuie sur
l'arpentage des terres de la Hacienda "Los Amates" effectué en 1694 á la demande d'un particulier
originaire de la province salvadorienne de San Miguel, San Juan Bautista de Fuentes ? Le Président
Jiménez de Aréchaga ignore superbement cette donnée qui n'est cependant pas insignifiante. Il n'est
en effet pas indifférent de constater qu'El Salvador, dans le secteur de Goascorán, tire les mêmes
conséquences au regard du tracé des frontières internationales des deux catégories de titres (MS,
chap. 6.59-6.68; CMS, chap. 3.123-3.128; RS, chap. 3.86-3.102; cf. a contrario, C 4/CR 91/5,
p. 31 et p. 35) et qu'il prétende, dans le même mouvement, sans se soucier de la contradiction qu'une
telle affirmation recèle, que l'erreur du Honduras serait de considérer les "Titulos Ejidales" invoqués
par El Salvador "comme un droit foncier" (C 4/CR 91/5, p. 56).
La troisième illustration que je voudrais donner de la méthode constamment suivie par nos
adversaires et de leur refus de rencontrer l'argumentation hondurienne, est tout aussi significative.
Dans son contre-mémoire (CMH, vol. I, chap. 9, p. 363-364), le Honduras avait fait état, á propos
du secteur de Naguaterique, des titres des terres de Joateca et de Masala, situées dans la province
salvadorienne de San Miguel, mais attribuées á des communautés indiennes installées dans la
province hondurienne de Comayagua. Le Honduras a attaché de l'importance á cette question
- 36 -
puisqu'il avait inséré dans son contre-mémoire une carte que vous pouvez trouver dans le dossier qui
vous a été remis tout á l'heure et qu'il avait publié dans les annexes de ses écritures le texte complet
des titres en question (MH, annexes, vol. III, annexe VII.1.18, p. 1462-1484 et CMH, annexe VI.1,
p. 183-226) et qu'il est même revenu sur ce point au cours du premier tour des plaidoiries
(C 4/CR 91/3, p. 47). Nous n'avons cependant jamais reçu le moindre commencement de réponse
sur ce point de la part d'El Salvador. 2) J'en arrive, Monsieur le Président, á ma seconde
observation sur la méthode suivie par mon contradicteur qui avance des propositions qui - j'ai le
regret de le dire - ne sont pas toujours exactes.
Il est en effet inexact d'affirmer que
"le contrôle administratif et la juridiction sur ... Choluteca continuaient á correspondre á la
Real Audiencia de Guatemala et, á un niveau subsidiaire, á la province coloniale de
San Salvador" (C 4/CR 91/5, p. 57).
Cette question, qui a été évoquée devant la Cour dans l'affaire de la Sentence arbitrale rendue par le
roi d'Espagne le 23 décembre 1906, (C.I.J. Mémoires, vol. I, p. 362-363) a été cependant
définitivement réglée par le brevet royal du 24 juillet 1791 qui a incorporé l'Alcaldia Mayor de
Tegucigalpa á l'Intendance de Comayagua. La sentence elle-même du roi d'Espagne de 1906,
confirmée par la Cour en 1960, avait considéré dans son paragraphe 4
"que la province du Honduras a été formée en 1791 avec tous les territoires de la province
primitive de Comayagua, ceux de sa voisine Tegucigalpa et les autres de l'évêché de
Comayagua"
et la sentence arbitrale de 1906 dans son paragraphe 12 ajoute :
"que la limite fixée á la province ou intendance de Comayagua ou du Honduras par ledit
brevet royal du 24 juillet 1791 n'avait pas changé au moment où les provinces du Honduras et
du Nicaragua ont acquis leur indépendance bien que, par décret royal du 24 janvier 1818 le
roi approuva le rétablissement de l'Alcaldia Mayor de Tegucigalpa avec une certaine
autonomie dans le domaine économique, ladite Alcaldia Mayor continua á constituer un
district de la province de Comayagua ou Honduras, dépendant du chef politique de la
province" (C.I.J. Mémoires, ibid., vol. I, p. 355 et 357).
C'est dire que le district de Choluteca ne peut être considéré, d'une quelconque manière (RH, vol. II,
p. 934, carte VII.1), comme "continuant á correspondre á la Real Audiencia de Guatemala et á la
province coloniale de San Salvador", ainsi que l'affirme la Partie adverse.
De même, l'affirmation du Président Jiménez de Aréchaga, selon lequel, dans le secteur de
- 37 -
Naguaterique, la limite entre la province de Comayagua et la province de San Miguel correspond au
Rio Negro Pichigual et non pas, comme le prétend le Honduras, au Rio Negro Quiaguara
(C 4/CR 91/5, p. 56-57) est des plus contestables. Pourquoi ? Parce qu'elle correspond á une
lecture partielle, incomplète du titre de 1815. Le professeur Gonzalez Campos répondra avec
beaucoup plus de précisions que je ne saurais le faire sur ce point, mais qu'il me soit permis de
rappeler (C 4/CR 91/3, p. 34-37) que le titre de 1815 n'est pas aussi clair que le prétend la Partie
adverse et qu'en tout cas il incorpore un jugement de 1773 qui porte sur le litige entre les
communautés indiennes de Jocoara et de Perquin-Arambala et qui fait état expressément du
Rio Negro Quiaguara comme limite entre les deux provinces.
D'autre part, on ne peut écarter, comme le fait mon contradicteur, la lettre du ministre
salvadorien des relations extérieures, M. Viteri, en date du 14 mai 1861, sous prétexte qu'il s'agit lá
du résultat d'une négociation et sous prétexte qu'El Salvador pourrait mettre en avant la convention
non ratifiée Cruz-Letona du 10 avril 1884 qui aurait établi la frontière á La Ardilla. C'est oublier,
Monsieur le Président, Messieurs les Juges, qu'El Salvador a admis á trois reprises que le
Rio Negro Quiaguara formait "la frontière entre les deux Républiques", d'abord dans la lettre
précitée de M. Viteri et dans les procès-verbaux des négociations de juillet 1861 et de juin 1869.
Admettons - ce qui n'est pas le cas - que la référence de la convention Cruz-Letona á
La Ardilla puisse avoir un certain effet sur la possibilité d'invoquer ou non les procès-verbaux de
négociations de 1861 et de 1869, elle n'efface pas pour autant la première reconnaissance que
contient la lettre de M. Viteri. Pourquoi ? Parce que cette lettre n'est pas un document de
négociations; cette lettre n'a pas été provoquée par le Honduras; elle constitue une reconnaissance
spontanée de l'ancienne limite interprovinciale par El Salvador. Comment peut-on d'ailleurs mettre
sur le même plan, comme le fait le Président Jiménez de Aréchaga, les procès-verbaux des
négociations de 1861 et de 1869 d'un côté et la convention Cruz-Letona de 1884 de l'autre, alors que,
Monsieur le Président, Messieurs les Juges, El Salvador s'est expressément engagé, par l'article 5 du
traité Zelaya-Castellanos du 28 septembre 1886, á ne tenir "nullement compte de la ligne frontière
tracée par les délégués, M. Francisco Cruz et M. Lisandro Letona" (MH, annexes, vol. I,
- 38 -
annexe III.2.2., p. 223)?
Si j'ai insisté quelque peu sur ce point, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, c'est qu'il
est particulièrement significatif. Il est significatif de la tendance générale d'El Salvador á mettre en
avant dans ce différend la convention Cruz-Letona comme une sorte d'écran. Il est également
significatif des procédés de la Partie adverse : elle isole un fait, par exemple la référence ambiguë
dans le titre de 1815 au Rio Negro Pichigual ou encore, autre exemple, comme la disposition
précitée de la convention Cruz-Letona faisant état de La Ardilla, puis elle projette la lumière, les
projecteurs, sur lui, mais elle oublie toutes les autres données qui constituent la genèse du tracé
frontalier. Or, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, une frontière, ce n'est pas un fait isolé;
une frontière, c'est un continuum, c'est une mosaïque dans le temps et dans l'espace qu'il faut
intégralement reconstituer.
3. Il me reste á faire une troisième et dernière observation sur la méthode de mon
contradicteur. Le Président Jiménez de Aréchaga procède en effet volontiers par affirmations sans
apporter le moindre commencement de preuves.
Il déclare ainsi que l'"Alcalde de Indios" de Citala ou celui de Perquin et Arambala exerçaient
respectivement dans la montagne de Tepanguisir et dans la montagne de Naguaterique "powers of
police, of justice and of jurisdiction" (C 4/CR 91/5, p. 59). Et il ajoute avec un luxe de précisions
qui donnent á penser qu'El Salvador disposerait d'un véritable faisceau de preuves pour étayer une
affirmation aussi assurée que, dans ces zones, l'"Alcalde de Indios" "pouvait punir, même
corporellement, les Indiens qui refusaient de travailler; il maintenait l'ordre public; il empêchait la
vente des terrains; il collectait les impôts, etc." (ibid.).
Or, Monsieur le Président, dans aucune des écritures d'El Salvador, pas plus que dans la
plaidoirie du Président Jiménez de Aréchaga, on ne trouve la moindre preuve, le moindre
commencement de preuve, concernant les activités de l'"Alcalde de Indios" dans ces zones
montagneuses pendant la période coloniale. D'ailleurs comment pourrait-il en être autrement ? Ces
activités qui vous ont été aussi précisément, aussi complètement décrites, ne peuvent être, comme le
rappelait tout á l'heure le professeur Nieto, qu'une projection anachronique dans un passé plus ou
- 39 -
moins idéalisé d'un état de choses actuel. Ces activités ne peuvent être, pour tout dire,
qu'imaginaires. On aura bien compris le procédé utilisé par mon contradicteur : il symbolise les faits
puis il bâtit ensuite sur ces symboles comme s'ils étaient des faits. Mais, comme l'a rappelé la Cour,
dans son arrêt du 26 novembre 1984, rendu dans l'affaire des Activités militaires et paramilitaires
au Nicaragua, "c'est en définitive au plaideur qui cherche á établir un fait qu'incombe la charge de la
preuve" (C.I.J. Recueil 1984, p. 437, par. 101).
*
* *
II
Après ces remarques générales sur les procédés utilisés par mon contradicteur pour échapper
aux faits, j'en arrive, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, á une seconde série d'observations
portant sur la prééminence qu'ont tenue, dans les arbitrages latino-américains, les limites
administratives, á l'exclusion des limites foncières. Le Président Jiménez de Aréchaga semble
considérer que si, dans l'arbitrage colombo-vénézuélien, les documents relatifs aux limites des
anciennes provinces espagnoles constituaient "les seuls moyens de preuve pour l'application du
principe de l'uti possidetis juris" (C 4/CR 91/5, p. 57), il n'en irait pas de même dans le présent
différend car, d'après l'article 26 du traité général de paix, il est possible de recourir á des documents
de l'époque coloniale "qui indiquent les ressorts ou les limites de territoires ou de localités". Le
Président Jiménez de Aréchaga ajoute un peu plus loin dans sa plaidoirie (ibid., p. 60-61) que, dans
les différends frontaliers ou territoriaux qui ont opposé les Etats successeurs de l'empire espagnol,
les Parties ne s'en tenaient pas á une conception rigide de l'uti possidetis juris et avaient souvent
reconnu des pouvoirs particuliers aux tribunaux d'arbitrage pour combler ses insuffisances.
C'est l'évidence même, mais ce n'est pas le point. Ce que le Honduras soutient, c'est que les
décisions arbitrales qui, en Amérique latine ou ailleurs, ont appliqué le principe de l'uti possidetis
juris, n'ont jamais érigé en frontières internationales les limites de terres en tant que telles mais se
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sont toujours référées aux concepts de "limites territoriales", de "limites administratives", de
"divisions administratives de l'époque coloniale" etc. Et ce n'est pas seulement l'arrêt
Burkina Faso/Mali de 1986 (C 4/CR 91/3, p. 62-63) - sur lequel le Président Jiménez de Aréchaga
est, remarquons-le au passage, d'une singulière discrétion - ce n'est pas seulement l'arrêt de 1986 qui
est particulièrement clair, c'est l'ensemble de la jurisprudence rendue en la matière. Le mémoire
hondurien a longuement analysé ces décisions (MH, vol. I, chap. 3, p. 123-154), et M. De Visscher y
a fait allusion tout á l'heure, je me bornerai par conséquent á répondre á mon contradicteur et á
mettre l'accent sur quelques aspects de cette jurisprudence pertinents pour le présent différend.
1) Prenons ainsi, en premier lieu, l'affaire des frontières colombo-vénézuéliennes, citée par nos
adversaires. Il n'est nullement question dans la sentence du roi d'Espagne de 1891 (RSA, vol. I,
p. 292-296), de transformation de limites de terres en frontières internationales. Est-ce parce que,
comme semble le croire le Président Jiménez de Aréchaga, le compromis pertinent, c'est-á-dire le
traité d'arbitrage juris de 1881, aurait été fondamentalement autre que le compromis qui a porté
devant vous le présent différend et aurait seulement confié á l'arbitre de "fixer les limites qui
séparaient en l'année 1810, l'ancienne capitainerie générale de Venezuela ... de la vice-royauté de
Santa Fé" (ibid., p. 293) ?
Mais on sait bien que, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, comme l'a précisé la
sentence elle-même de 1891, lorsque les cédules royales ou autres n'étaient "pas aussi claires et
précises que l'exige cette sorte de document pour pouvoir fonder exclusivement sur eux une décision
juris" (ibid., p. 294), l'arbitre pouvait, sur la base d'un accord complémentaire de 1886 - auquel mon
contradicteur s'est lui-même référé (C 4/CR/5, p. 61) - fixer la ligne divisoire qu'il considérait
comme étant "la plus approchée des documents existants". L'arbitre royal ne s'est pas pour autant
appuyé sur les limites de terres pour tracer la frontière entre les deux pays et il en a été de même du
Conseil fédéral suisse dans sa sentence de 1922.
2) Si l'on considère maintenant la sentence rendue en 1906 par le roi d'Espagne dans le
différend frontalier entre le Honduras et le Nicaragua (C.I.J. Mémoires, Sentence arbitrale rendue
par le roi d'Espagne le 23 décembre 1906, vol. I, p. 354-361), on aboutit á une constatation
- 41 -
analogue : aucune référence n'a été faite, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, aux limites de
terres et á leur éventuelle transformation en frontières internationales.
La Partie adverse a cependant insisté á plusieurs reprises dans ses écritures (CMS,
chap. 2.45-2.47; trad. fr., p. 23-24) comme dans les plaidoiries du Président Jiménez de Aréchaga
(C 4/CR/5, p. 51) pour prétendre que le Honduras n'hésite pas á recourir á des "titres officiels de
terrains communaux de la façon préconisée par El Salvador chaque fois que cela paraît favorable á
sa position". Regardons, si vous me le permettez, les choses d'un peu plus près.
Il est exact, en effet, comme le disent nos adversaires, que le Honduras a fait état devant la
Cour, dans l'une de ses pièces écrites, d'un arpentage effectué en 1720 pour définir le site de
Teotecacinte (C.I.J. Mémoires, Sentence arbitrale rendue par le roi d'Espagne le
23 décembre 1906, vol. I, p. 543). Il est également exact que la Cour, dans son arrêt de
confirmation de 1960, a fait état, elle aussi, de cet arpentage de 1720 (C.I.J. Recueil 1960, p. 216).
Mais si on a la curiosité de lire le document en question de 1720 (C.I.J. Mémoires, ibid.,
vol. I, p. 742-743), que constate-t-on, Monsieur le Président, Messieurs les Juges ? On constate qu'il
n'a jamais été question, ni pour l'arbitre royal en 1906, ni pour le Honduras devant la Cour, ni pour
la Cour elle-même en 1960, de se référer aux limites de terres indiquées dans l'arpentage pour
déterminer le tracé de la frontière internationale entre le Honduras et le Nicaragua, mais bien au
contraire de prendre en compte ce document de 1720 parce qu'il précisait l'appartenance du Sitio de
Teotecacinte á l'une des juridiction considérées. La sentence de 1906 fait explicitement état, dans
son paragraphe 30, "du document présenté par le Nicaragua et qui porte la date du 26 août 1720,
d'après lequel ledit lieu (Toetecacinte) appartenait á la juridiction de la ville de Nueva Segovia
(Nicaragua)" (ibid., vol. I, p. 360). Je vois mal comment on peut s'appuyer sur ce document pour
prétendre que le Honduras met en avant des limites foncières de l'époque coloniale pour qu'elles
soient érigées en frontières internationales.
3) Le troisième exemple que j'évoquerai maintenant est celui de la sentence rendue en 1909
par le président argentin Alcorta dans l'affaire des Frontières entre la Bolivie et le Pérou.
J'évoquerai non seulement cette affaire parce que, á l'instar des décisions précédentes, les lignes de
- 42 -
terres n'ont nullement été transformées en frontières internationales, mais aussi parce que le Président
Jiménez de Aréchaga la cite (C 4/CR 91/5, p. 61), mais la cite d'une manière qui nous semble
incomplète.
Si l'on consulte en effet l'article 4 du traité d'arbitrage "juris" du 30 décembre 1902 qui
correspond au document numéro 1 du dossier qui vous a été remis ce matin, il est bien vrai, comme
le dit mon contradicteur, que, lorsque des documents royaux seraient insuffisamment clairs, l'arbitre
"trancherait la question équitablement, en se rapprochant autant que possible du sens desdits actes et
de l'esprit qui les aura inspirés". Ce qui veut dire d'ailleurs que, par cette disposition, les Parties ne
voulaient pas une appréciation personnelle et subjective des titres coloniaux mais en demandaient
une appréciation matérielle et objective.
Mais surtout, il convient de poursuivre la lecture de ce compromis et c'est son article 5 qui
doit retenir l'attention. Il dispose en effet que
"La possession d'un territoire, exercée par l'une des Hautes Parties Contractantes, ne
pourra s'opposer ni prévaloir contre les titres ou dispositions royales établissant le contraire."
Commentant cette disposition, le grand juriste que fut M. Louis Renault pouvait remarquer que cet
article 5 avait été adopté par les parties
"afin qu'il n'y ait pas le moindre doute sur l'obligation de l'arbitre de statuer sur l'unique base
du principe des anciennes limites coloniales" ("De l'influence sur la procédure arbitrale de la
cession de droits litigieux", in L'oeuvre internationale de Louis Renault, Paris, Les Editions
internationales 1933, vol. III, p. 511).
4) Il me reste, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, á faire quelques brèves
observations sur la sentence de 1933 dont la Partie adverse et le Président Jiménez de Aréchaga dans
sa plaidoirie (C 4/CR 91/5, p. 51) ont donné une lecture univoque que nous ne pouvons accepter de
ce côté-ci de la barre.
Premièrement, il est inexact de considérer, comme le fait El Salvador, que le présent différend
se pose dans les mêmes termes que le litige Honduras/Guatemala. Pourquoi ? L'article V du traité
d'arbitrage du 16 juillet 1930, que vous pouvez lire dans le document numéro 2 de votre dossier,
reconnaissait au tribunal le droit de modifier, "comme bon lui semble — je dis bien comme bon lui
semble — la ligne de l'uti possidetis de 1821 en fixant la compensation territoriale ou autre qu'il
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estime équitable". C'est dire que l'arbitre était doté de "pouvoirs exceptionnels"; la formule n'est pas
de moi, la formule a été utilisée par l'auteur d'une importante consultation donnée en 1985 au
Burkina Faso (professeur E. Jiménez de Aréchage, affaire du Différend frontalier
Burkina Faso/Mali, mémoire du Burkina Faso, 3 octobre 1985, annexes, vol. I, p. 42, par. 48). De
tels "pouvoirs exceptionnels" n'ont jamais été consentis á la Chambre dans le présent différend.
Deuxièmement, dans l'affaire qui vous est soumise, Monsieur le Président, Messieurs les
Juges, les deux Parties ont expressément accepté de se soumettre au principe de l'uti possidetis juris
proprement dit, et le Président Jiménez de Aréchaga le rappelait au début de sa plaidoirie l'autre jour
encore. Dans le différend Honduras/Guatemala, qu'en est-il ? Dans le différend
Honduras/Guatemala, l'article V du traité d'arbitrage de 1930 omet de préciser la nature de
l'uti possidetis dont il s'agit. Il n'indique pas si le tribunal arbitral devait appliquer l'uti possidetis
juris ou l'uti possidetis de facto et la sentence elle-même du 23 janvier 1933 remarquera en
comparant le compromis de 1930 et différents traités antérieurs : "tandis que les Parties furent alors
d'accord sur le fait que le texte prévu par les traités de 1895 et de 1914 contenaient le principe de
l'uti possidetis juris, il n'est pas sans signification que lorsqu'elles négocièrent le traité de 1930, 'the
qualifying word juris was not used'" et la sentence ajoute : "Le traité de 1930 est un nouvel accord
qui ne fait pas mention des efforts antérieurs et infructueux de règlement et doit se suffire á
lui-même" (RSA, vol. II, p. 1324). On sait bien que l'arrêt Burkina Faso/Mali de 1986, en quelque
sorte en écho lointain á la sentence Hughes, a lui aussi insisté sur l'importance du génitif "juris"
(C.I.J. Recueil 1986, p. 566, par. 23).
Troisièmement, dans ses plaidoyers écrits et oraux, El Salvador donne un aperçu inexact de la
sentence de 1933. Ainsi, á en croire la Partie adverse, le critère du "contrôle administratif", dont le
professeur Nieto parlait tout á l'heure encore, le critère du contrôle administratif — dont El Salvador
a fait le coeur de sa construction dans le présent différend - aurait joué, en quelque sorte de façon
automatique, de façon systématique, de façon universelle, dans l'affaire Guatemala/Honduras.
Monsieur le Président, Messieurs les Juges, ceci est inexact.
Ainsi, ce critère du "contrôle administratif" n'a pas joué dans le secteur d'Omoa qui
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correspondrait cependant à un segment exceptionnellement long de la frontière et qui avait été placé
sous le contrôle du Royaume du Guatemala, secteur d'Omoa et qui, par conséquent, n'était "ni ...
dans la possession de la Province de Guatemala ... ni dans la possession de la Province du
Honduras" (RSA, vol. II, p. 1335-1336). Comment, dans ces conditions, El Salvador peut-il
appliquer son critère du contrôle administratif au secteur de Goascorán, partie du district hondurien
de Choluteca alors que le Président Jiménez de Aréchage prétend - á tort, comme nous l'avons
montré - que ce district de Choluteca correspondait, comme cela avait été le cas pour Omoa, á la
Real Audiencia de Guatemala ? (C 4/CR 91/5, p. 57) ?
De même, lorsque le tribunal Hughes a défini sa compétence sur la base de l'article V du traité
d'arbitrage de 1930, il a pris soin de rappeler que les Parties étaient d'accord pour admettre que l'uti
possidetis de 1821 faisait référence "aux démarcations existant sous le régime colonial, c'est-á-dire
aux limites administratives des entités coloniales du Guatemala et du Honduras qui devinrent des
Etats indépendants" (RSA, vol. II, p. 1322).
Enfin et surtout, on ne doit pas oublier que le tribunal Hughes s'est expressément référé, á
plusieurs reprises, aux limites provinciales, aux limites administratives indiquées dans les titres de
terres. C'est le cas notamment, comme vous pouvez le constater en parcourant l'extrait de la
sentence de 1933 que vous trouverez dans le document numéro 3 de votre dossier, du titre de terres
relatif á La Brea dans lequel il a été précisé, á l'occasion d'un arpentage en 1702, que ce lieu "divise
les deux juridictions de Chiquimula et de Gracias a Dios" (RSA, vol. II, p. 1346). C'est le cas
également du titre de terres concernant Miramundo, dans lequel le juge des terres de Chiquimula s'est
référé, en 1794, á la montagne de Barbasco "comme divisant la juridiction de Chiquimula de celle de
Gracias a Dios" (ibid. p. 1346). C'est le cas encore, dans la région de Copan, á l'occasion de
l'arpentage effectué en 1754, d'une propriété dénommée Tapesco de Avila et Leona, dans lequel il est
déclaré que les terres Potrero étaient "sur la frontière de la Province de Gracias a Dios et de la
Province de Chiquimula" (ibid., p. 1348). C'est le cas enfin, de l'arpentage de Los Jutes effectué en
1722, dans lequel il est déclaré que le lieu dit Las Cruces servait "de point de repère" — je dis bien
de point de repère — "et de frontière de la division de la juridiction de Chiquimula et de celle de
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Gracias a Dios" (ibid., p. 1349). Par conséquent, la sentence de 1933 a pris en compte ces diverses
références aux limites de juridictions, aux limites interprovinciales, aux limites administratives
contenues dans les titres de terres pour fixer la frontière entre le Honduras et le Guatemala.
Comment, dans ces conditions, la Partie adverse peut-elle prétendre que la sentence Hughes
s'en est toujours tenue aux limites foncières á l'exclusion des limites administratives ? Elle le peut
d'autant moins qu'il existe dans les titres avancés par le Honduras dans le présent différend, des
références identiques, des repères de même nature que ceux que la sentence Hughes de 1933 a
retenus pour déterminer le tracé de la ligne divisoire.
*
* *
III
On ne peut en effet, Monsieur le Président, Messieurs les Juges - et ce sera ma dernière série
d'observations - partager le point de vue du Président Jiménez de Aréchaga lorsqu'il soutient, avec
humour, qu'il serait faux de croire qu'il y ait "des limites administratives bien établies qui
attendraient, dans le ciel, comme les idées platoniques, d'être découvertes et mises en application par
la Chambre" (C 4/CR 91/5, p. 56).
Le Gouvernement du Honduras rejette, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, une telle
affirmation. Non pas qu'il prétende que certains titres ne peuvent pas soulever des difficultés
d'interprétation pour identifier, pour localiser certains points de repère des limites administratives
indiquées. Mais ce que le Gouvernement du Honduras soutient, c'est que ces difficultés ne doivent
pas avoir pour effet de remettre en cause le principe qui doit jouer comme une présomption, principe
selon lequel il existait entre les provinces formant respectivement le Honduras et El Salvador, au
moment de leur accession á l'indépendance, des limites de juridictions suffisamment claires et
précises.
On doit faire d'abord une première constatation. On doit constater une évidente coïncidence,
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dans certains segments de la frontière reconnue par l'article 16 du traité général de paix de 1980,
entre le tracé de la ligne divisoire ainsi accepté et reconnu par le Honduras et El Salvador et la limite
existant entre des provinces telle qu'elle était indiquée dans des documents de l'époque coloniale. Un
exemple : á proximité du secteur de Sazalapa-La Virtud, il existe une correspondance de ce genre
entre d'une part le segment de la frontière reconnue, indiquée dans la quatrième section de
l'article 16, "de la borne dite Poza del Cajon, sur la rivière appelée El Amatillo ou Gualcuquin, en
aval de ladite rivière jusqu'á sa confluence avec la rivière Lempa" (MH, annexes, vol. II,
annexes IV.1.55, p. 812; cf. CMH, vol. I, p. 260, carte 4.1) et d'autre part les indications que l'on
peut trouver dans un document de 1786 relatif au réarpentage des terrains de San Juan de Lacatao.
Ce document faisait en effet état de la "petite rivière (de Gualcuquin) ... comme étant la limite de la
juridiction des provinces" de San Salvador et de Comayagua (CMH, annexe IV.3, p. 161-162), cette
limite administrative coïncidant d'ailleurs avec les limites d'une propriété privée.
Le Honduras pense qu'il doit en être de même dans les secteurs de la frontière non reconnue
que la Chambre doit, conformément á l'article 2, paragraphe 2, du compromis, délimiter, lorsque l'on
se trouve dans une hypothèse analogue, l'hypothèse de l'identité, de la coïncidence, des limites
administratives et des limites foncières. Les titres que le Gouvernement du Honduras a avancés
comportent en effet, Monsieur le Président, des références suffisamment précises aux limites de
juridictions interprovinciales qui montrent combien il est inexact de prétendre, comme le fait le
Président Jiménez de Aréchaga, que ces limites seraient purement imaginaires.
1) Ainsi, le Honduras a-t-il établi dans ses écritures, et j'ai de même rappelé la semaine passée,
que les rivières pouvaient correspondre á de telles limites interprovinciales, claires, reconnues, bien
établies.
C'est le cas, dans le secteur de Naguaterique, du Rio Quiaguara, l'actuel Rio Negro
(C 4/CR 91/3, p. 35-37). Je pense avoir fait justice, il y a quelques instants, de l'objection soulevée
par le Président Jiménez de Aréchaga concernant le problème Rio Negro-Quiaguara et
Rio Negro-Pichigual. Je n'y reviens donc pas.
C'est le cas également, dans le secteur de Goascorán, du Rio du même non (C 4/CR 91/3,
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p. 40-42), mais je voudrais souligner, une fois encore, la discrétion de mon contradicteur qui n'a
jamais répondu sur ce point (C 4/CR 91/5, p. 57). Il n'y a cependant guère de doute, Monsieur le
Président, Messieurs les Juges : "la grande rivière appelée Goascorán" mentionnée dans l'arpentage
de 1821, constituait bien "la limite des deux Républiques", qu'El Salvador a au demeurant
constamment admise depuis lors jusqu'en 1972.
2) En dehors des rivières et des cours d'eau, il existe d'autres repères de limites
interprovinciales correspondant également á des limites foncières, qui figurent dans les titres avancés
par le Honduras, qui sont parfaitement identifiables et qui constituent de véritables bornes.
Ainsi, dans le secteur de Sazalapa-La Virtud, le document relatif á l'arpentage des terres de
Gualcimaca effectué en 1783 a précisé que :
"le ravin appelé Barranco Blanco ... sert de borne et de frontière aux terres de ladite propriété
de Nombre de Jesus et de celles du domaine de San Juan de Lacatao, en divisant les deux
juridictions de cette province (de Comayagua) et de celles de San Salvador" (MH, annexes,
vol. IV, annexe XI.1.6.A; cf. carte B 5.2 dans MH, vol. I, p. 328).
Autre exemple : dans le secteur de Colomoncagua, le document relatif au réarpentage de terres
de cette zone effectué en 1793 a relevé que, selon les témoignages recueillis, le "pic nommé Quecruz
ou Piedra Cruz" servait de "borne". Ces mêmes témoins ont déclaré que "les limites des juridictions
et la frontière de la ville de San Miguel et de la ville de Gracias a Dios, Province de Comayagua"
coïncidaient avec ce pic qui sert "également de borne aux unes et aux autres terres" et ces témoins
ont ajouté qu'il en était de même du "camino real", du chemin royal, voisin (MH, annexes, vol. III,
annexe VII.1.11, p. 1308). Une carte du mémoire hondurien indique d'ailleurs que le segment reliant
les points E et F correspond précisément au pic Quecruz ou Piedra Cruz et au "camino real" précité
(MH, vol. I, carte B.2.2, p. 216).
Je m'en tiens á ces deux exemples pour ne pas abuser de votre patience, mais il existe bien
d'autres cas similaires, notamment dans le secteur Sazalapa-La Virtud, où les titres de terres
désignent, comme bornes des limites interprovinciales et des limites foncières, par exemple le
sommet d'une colline, un ravin, etc. (cf. le titre de la Hacienda de Sazalapa de 1746, MH, annexes,
vol. IV, annexe X.1.2, p. 1832, ou le titre de San Juan Chapulin de 1786, ibid., annexe X.1.3,
p. 1846).
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Des références de ce genre, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, á ce qu'on appelle
parfois des "bornes naturelles" sont bien connues en matière frontalière. Il en existe partout dans le
monde. On en connaît ainsi á la frontière franco-espagnole des Pyrénées où une croix gravée dans le
roc peut remplacer un monument construit de la main de l'homme; c'est ce que précise l'acte final de
la délimitation de la frontière internationale des Pyrénées, qui a été signé á Bayonne le 11 juillet 1868
(Basdevant, Recueil des traités, vol. II, p. 96). On en connaît également á la frontière
argentino-chilienne des Andes où de tels "hitos naturales", correspondant aux sommets de certaines
montagnes, ont été retenus par la commission des limites á la suite de l'arbitrage rendu en 1902 par
le roi Edouard VII. De telles "bornes naturelles" qui rappellent exactement celles qui ont été utilisées
par le tribunal Hughes en 1933, peuvent-elles être, comme semble croire le Président Jimenez de
Aréchaga, des "idées platoniques" et imaginaires? Le Gouvernement du Honduras ne le pense pas.
*
* *
Au terme de cet exposé, il convient, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, de résumer
brièvement la thèse hondurienne dans les termes suivants.
1) Contrairement á ce que prétend El Salvador, il existe dans les zones contestées entre les
deux pays, des limites administratives suffisamment claires et précises que les professeurs Sanchez
Rodriguez et Gonzalez Campos détermineront dans leurs prochaines plaidoiries.
Lorsque limites administratives et limites foncières coïncident, il convient alors de se référer
aux indications, aux repères contenus dans les documents coloniaux pertinents.
Lorsque limites administratives et limites foncières ne coïncident pas, les limites
administratives clairement établies doivent alors l'emporter sur les limites foncières. C'est lá, de notre
point de vue, la seule interprétation correcte du principe de l'uti possidetis juris.
2) Contrairement á ce que soutient El Salvador, et conformément á ce même principe de l'uti
possidetis juris, dans le différend qui vous est soumis, c'est le droit qui doit primer le fait.
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Prendre en compte les faits postérieurs á la date de l'accession á l'indépendance serait aller á
l'encontre de la volonté des nouvelles Républiques de l'Amérique espagnole pour lesquelles, selon le
dictum bien connu du Conseil fédéral suisse dans l'affaire des frontières colombo-vénézueliennes,
"Des empiétements et des tentatives de colonisation intempestives de l'autre côté de la frontière,
comme aussi les occupations, devenaient sans portée ou sans conséquences en droit" (RSA, vol. I, p.
228). Je répète, "sans portée ou sans conséquences en droit".
On ne saurait mieux dégager, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, la véritable
signification du principe de l'uti possidetis juris qu'en reprenant l'admirable formule, gravée comme
une médaille, d'un grand juriste sud-américain, futur président de la Cour internationale de Justice:
"No el hecho, sino el derecho" (E. Jiménez de Aréchaga, Curso de Derecho internacional público,
Tomo II, Los Estados y su dominio, Montevideo 1961, p. 447).
Monsieur le Président, Messieurs les Juges, je vous prie de m'excuser d'avoir été aussi long et
je vous remercie de votre bienveillante attention.
Le PRESIDENT : I thank Professor Bardonnet. Since I understand that El Salvador will be
prepared for presenting its reply to-morrow morning, and thereby not having the need of an
additional time, we are going to start hearing El Salvador to-morrow morning at ten o'clock. The
sitting is adjourned till to-morrow morning.
L'audience est levée á 12 h 45.
___________

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Audience publique de la Chambre tenue le lundi 22 avril 1991, à 10 heures, au Palais de la Paix, sous la présidence de M. Sette-Camara, président de la Chambre

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