COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
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Communiquéde presse
Non officiel
N° 2007/8
Le 26 février2007
Application de la convention pour la préventionet la répressiondu crime de génocide
(Bosnie-Herzégovinec. Serbie-et-Monténégro)
La Cour dit qu'elle a compétencepour connaître de l'affaire
La Cour dit gue la Serbie a violél'obligation gui étaitla sienne, en vertu de la convention sur
le génocide,de prévenirle génocideà Srebrenica, et qu'elle a aussi violéles obligations
gui lui incombent en vertu de la Convention en ne coopérantpas pleinement avec
le Tribunal pénalinternational pour l'ex-Yougoslavie (TPIY)
LA HAYE, le 26 février2007. La Cour internationale de Justice (CIJ), organe judiciaire
principal de l'Organisation des Nations Unies, a rendu ce jour son arrêten l'affaire relative à
l'Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro).
Dans son arrêt,qui est définitif,sans recours et obligatoire pour les Parties, la Cour
«1) par dix voix contre cinq,
Rejette les exceptions contenues dans les conclusions finales du défendeur suivant lesquelles
la Cour n'a pas compétence; et dit qu'elle a compétence, sur la base de l'article IX de la
convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, pour statuer sur le différend
portédevant elle le 20 mars 1993 par la Républiquede Bosnie-Herzégovine;
POUR: Mme Higgins, président; M. Al-Khasawneh, vice-président; MM. Owada, Simma,
Tomka, Abraham, Keith, Sepulveda-Amor, Bennouna, juges ; M. Mahiou, juge ad hoc ;
CONTRE:MM. Ranjeva, Shi, Koroma, Skotnikov, juges; M. Kreéa,juge ad hoc;
2) par treize voix contre deux,
Dit que la Serbie n'a pas commis de génocide, par l'intermédiaire de ses organes ou de
personnes dont les actes engagent sa responsabilité au regard du droit international coutumier, en
violation des obligations qui lui incombent en vertu de la convention pour la prévention et la
répressiondu crime de génocide; - 2 -
POUR: Mme Higgins, président ; MM. Ranjeva, Shi, Koroma, Owada, Simma, Tomka,
Abraham, Keith, Septilveda-Amor, Bennouna, Skotnikov, juges; M. Kreéa,juge ad hoc;
Contre: M. Al-Khasawneh, vice-président; M. Mahiou, juge ad hoc;
3) par treize voix contre deux,
Dit que la Serbie n'a pas participé à une entente en vue de commettre le génocide, ni n'a
incité à commettre le génocide en violation des obligations qui lui incombent en vertu de la
convention pour la prévention et la répression du crime de génocide ;
POUR: Mme Higgins, président ; MM. Ranjeva, Shi, Koroma, Owada, Simma, Tomka,
Abraham, Keith, Septilveda-Amor, Bennouna, Skotnikov, juges; M. Kreéa,juge ad hoc;
CONTRE:M. Al-Khasawneh, vice-président; M. Mahiou, juge ad hoc;
4) par onze voix contre quatre,
Dit que la Serbie ne s'est pas rendue complice de génocide en violation des obligations qui
lui incombent en vertu de la convention pour la préventionet la répression du crime de génocide ;
POUR: Mme Higgins, président ; MM. Ranjeva, Shi, Koroma, Owada, Simma, Tomka,
Abraham, Septilveda-Amor, Skotnikov, juges ; M. Kreéa,juge ad hoc ;
CONTRE: M. Al-Khasawneh, vice-président; MM. Keith, Bennouna, juges; M. Mahiou,
juge ad hoc;
5) par douze voix contre trois,
Dit que, s'agissant du génocide commis à Srebrenica en juillet 1995, la Serbie a violé
1'obligation de prévenir le génocide prescrite par la convention pour la prévention et la répression
du crime de génocide ;
POUR: Mme Higgins, président; M. Al-Khasawneh, vice-président; MM. Ranjeva, Shi,
Koroma, Owada, Simma, Abraham, Keith, Septilveda-Amor, Bennouna, juges ;
M. Mahiou, juge ad hoc ;
CONTRE: MM. Tomka, Skotnikov, juges ; M. Kreéa,juge ad hoc ;
6) par quatorze voix contre une,
Dit que la Serbie a violéles obligations qui lui incombent en vertu de la convention pourla
prévention et la répression du crime de génocide en ne transférant pas Ratko Mladié, accusé de
génocide et de complicité de génocide, au Tribunal pénalinternational pour l'ex-Yougoslavie pour
y êtrejugé,et en ne coopérant donc pas pleinement avec ledit Tribunal ;
POUR: Mme Higgins, président; M. Al-Khasawneh, vice-président; MM. Ranjeva, Shi,
Koroma, Owada, Simma, Tomka, Abraham, Keith, Septilveda-Amor, Bennouna,
Skotnikov, juges ; M. Mahiou, juge ad hoc ;
CONTRE: M. Kreéa,juge ad hoc ;
7) par treize voix contre deux, - 3 -
Dit que la Serbie a violé l'obligation qui lui incombait de se conformer aux mesures
conservatoires ordonnées par la Cour les 8 avril et3 septembre 1993 en la présente affaire, en ne
prenant pas toutes les mesures qui étaient en son pouvoir pour prévenir le génocide commis à
Srebrenica en juillet 1995 ;
POUR: Mme Higgins, président; M. Al-Khasawneh, vice-président; MM. Ranjeva, Shi,
Koroma, Owada, Simma, Tomka, Abraham, Keith, Sepulveda-Amor, Bennouna, juges;
M. Mahiou, juge ad hoc ;
CONTRE: M. Skotnikov, juge; M. Kreéa,juge ad hoc ;
8) par quatorze voix contre une,
Décide que la Serbie doit prendre immédiatement des mesures effectives pour s'acquitter
pleinement de l'obligation qui lui incombe, en vertu de la convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide, de punir les actes de génocide définis à 1'article II de la
Convention ou les autres actes prohibés par l'article III de la Convention, de transférer les
personnes accusées de génocide ou de l'un quelconque de ces autres actes au Tribunal pénal
international pour l'ex-Yougoslavie, et de coopérerpleinement avec ledit Tribunal ;
POUR: Mme Higgins, président; M. Al-Khasawneh, vice-président; MM. Ranjeva, Shi,
Koroma, Owada, Simma, Tomka, Abraham, Keith, Sepulveda-Amor, Bennouna,
Skotnikov, juges ; M. Mahiou, juge ad hoc ;
CONTRE: M. Kreéa,juge ad hoc ;
9) par treize voix contre deux,
Dit que, s'agissant des violations des obligations visees aux points 5 et 7 ci-dessus, les
conclusions formulées par la Cour sous ces points constituent une satisfaction appropriée et qu'il
n'y a pas lieu en l'espèce d'ordonner que soient verséesdes indemnités, ni, en ce qui concerne la
violation viséeau point 5, que soient fournies des assurances et garanties de non-répétition.
POUR: Mme Higgins, président; MM. Ranjeva, Shi, Koroma, Owada, Simma, Tomka,
Abraham, Keith, Sepulveda-Amor, Bennouna, Skotnikov, juges; M. Kreéa,juge ad hoc;
CONTRE:M. Al-Khasawneh, vice-président; M. Mahiou, juge ad hoc.»
Historique de la procédure
L'historique complet de la procédureest exposédans le communiqué de presse n° 2006/9 du
27 février2006.
Raisonnement de la Cour
Identification de la partie défenderesse
L'instance a étéintroduite contre la République fédéralede Yougoslavie (qui est ensuite
devenue la «Serbie-et-Monténégro»), alors constituée de la République de Serbie et de la
République du Monténégro. Le Monténégroayant accédéà l'indépendance le 3 juin 2006, la Cour
doit d'abord identifier la partie défenderesse en l'espèce. Ayant examiné les vues de la
Bosnie-Herzégovine, de la République de Serbie et de la République du Monténégro,la Cour
conclut que la République de Serbie constitue, à la date du présentarrêt,l'unique défendeur. Elle
rappelle toutefois que toute responsabilité établiedans le présentarrêtà raison d'événementspassés
concernait à l'époqueconsidéréel'Etat de Serbie-et-Monténégro. -4 -
La compétencede la Cour
La Cour examine l'exception d'incompétence soulevéepar le défendeur dans son Initiative
de 2001, selon laquelle il serait ressorti de son admission à l'Organisation des Nations Unies
en 2000 que la RFY n'étaitpas membre de l'Organisation entre 1992 et 2000 ni, en conséquence,
partie au Statut de la Cour au moment de l'introduction de l'instance, en 1993.
Après avoir examiné les arguments des Parties, la Cour rappelle qu'elle s'est déjàdéclarée
compétenteen 1'espèce dans son arrêtsur les exceptions préliminaires du 11juillet 1996, et dit que
cette décision est revêtuede l'autorité de la chose jugée -autrement dit, elle ne peut être
réexaminée, si ce n'est selon la procédurede revision prévueà 1'article 61 du Statut. La Cour note
que le défendeur a déjàintroduit une demande en revision de l'arrêtde 1996 en 2001, demande
qu'elle a rejetée dans son arrêt du 3 février2003. La Cour affirme en conséquence avoir
compétencepour statuer sur le différend.
Le droit applicable
La Cour, passant ensuite à l'examen de la question du droit applicable, note que sa
compétence en l'espèce n'est fondéeque sur l'article IX de la convention pour la prévention et la
répressiondu crime de génocidedu 9 décembre 1948 (la «convention sur le génocide»). Il s'ensuit
qu'elle est habilitée à se prononcer sur les violations alléguéesdes obligations imposées par la
convention sur le génocide, mais non sur les violations d'autres obligations prévues par le droit
international, comme celles qui visent à protégerles droits de l'homme dans un conflit armé,quand
bien même elles relèveraient de normes impératives ou tendraient à protéger des valeurs
humanitaires essentielles.
Le défendeur a soutenu que «la convention sur le génocide n'engage[ait] pas la
responsabilité des Etats à raison d'actes de génocide». Ayant examinétous les articles pertinents
de la Convention, la Cour conclut que l'obligation de prévenirle génocideimposée aux Etats par
l'article premier implique nécessairement pour ceux-ci l'interdiction de commettre eux-mêmesce
crime et que, si un organe de l'Etat ou une personne ou un groupe de personnes dont les actes sont
attribuables à l'Etat commet un acte de génocideou l'un des actes connexes énuméréà s l'article III
de la Convention, la responsabilité internationale de l'Etat est engagée. La Cour observe à cet
égardque les Etats peuvent êtretenus pour responsables de génocideou de complicitéde génocide,
même si aucun individu n'a encore étéreconnu coupable de ce crime par un tribunal compétent.
Passant en revue les autres prescriptions de la Convention, la Cour fait observer que, pour
que certains actes puissent être qualifiés de génocidaires, il faut qu'ils s'accompagnent de
l'intention de détruire, en tout ou en partie, le groupe protégé,comme tel. Elle insiste sur la
distinction entre génocide et «nettoyage ethnique» : si ce dernier peut être réalisé par le
déplacement forcéd'un groupe de personnes d'une régiondonnée,le génocide se définitpar cette
intention spécifiquede détruirele groupe, en tout ou en partie. La Cour considère que le groupe
visédoit êtredéfinipar des caractéristiques positivesparticulières- nationales, ethniques, raciales
ou religieuses-, et non par une absence de telles caractéristiques. Aussi rejette-t-elle la définition
négative du groupe (population «non serbe») avancée par le demandeur, en précisant que, le
demandeur n'ayant que très rarement fait mention des autres groupes non serbes, le groupe
considéréaux fins de l'espèce sera celui des «Musulmans de Bosnie».
Questions relatives à la preuve
En ce qui concerne la charge de la preuve, la Cour répèteque le demandeur est tenu d'étayer
ses arguments, et que toute partie qui avance un fait est tenue de l'établir. - 5 -
En ce qui concerne le critère d'établissement de la preuve, la Cour exige que les allégations
selon lesquelles le crime de génocide ou les actes connexes énumérés à 1'article III de la
Convention ont étécommis soient prouvéespar des élémentsayant pleine force probante. Pour ce
qui est des violations de l'obligation de prévenir le génocide ainsi que d'en punir ou extrader les
auteurs, la Cour exige qu'elles soient prouvées avec un degréélevéde certitude, à la mesure de la
gravitéde l'allégation.
En ce qui concerne les modes de preuve, la Cour indique qu'elle déterminera elle-mêmeles
faits en se fondant sur les élémentsde preuve qui lui ont étésoumis, tout en admettant comme
hautement convaincantes les conclusions de fait pertinentes auxquelles est parvenu le Tribunal
pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) en première instance. Elle accordera aussi un
certain poids aux exposés des faits admis et aux jugements portant condamnation rendus par le
TPIY à la suite d'un plaidoyer de culpabilité. La Cour formule également des observations sur un
certain nombre d'autres sources de preuve et expose les critères au regard desquels elle les
appreciera. Elle note que le rapport du Secrétaire généralde l'ONU intitulé «La chute de
Srebrenica» est revêtud'une autoritéconsidérable.
Les faits invoquéspar le demandeur
Avant de passer aux allégations de fait avancéespar la Bosnie-Herzégovine, la Cour expose
brièvement le contexte dans lequel s'inscrit l'affaire, liéà l'éclatement de la République fédérative
socialiste de Yougoslavie (RFSY), et définitles différentesentitésimpliquées dans les faits dont le
demandeur tire grief. La Cour examine ensuite les liens entre le Gouvernement de la République
fédéralede Yougoslavie (RFY) et les autorités de la Republika Srpska (la «République du peuple
serbe de Bosnie-Herzégovine» autoproclamée). La Cour conclut que la RFY a mis des ressources
militaires et financières considérables à la disposition de la Republika Srpska et que, si elle avait
décidéde retirer ce soutien, cela aurait grandement limitéles options ouvertes aux autoritésde cette
dernière.
La Cour entreprend ensuite d'examiner les faits alléguéspar la Bosnie-Herzégovine afin de
déterminer,premièrement, si les atrocitésdont il est fait étatont étécommises, et deuxièmement, si
les faits en question, pour autant qu'ils soient avérés,montrent qu'il existait dans l'esprit de leurs
auteurs une intention de détruireen tout ou en partie le groupe des Musulmans de Bosnie.
La Cour expose longuement et en détail ses conclusions de fait sur les atrocités alléguées,
regroupées selon les catégories d'actes prohibés définies à l'article II de la convention sur le
génocide.
En ce qui concerne le «meurtre de membres du groupe protégé»(article II, litt. a) de la
Convention), la Cour considère comme établi par des élémentsde preuve irréfutables que des
meurtres ont étéperpétrésde façon massive au cours du conflit sur l'ensemble du territoire de la
Bosnie-Herzégovine. Elle n'est cependant pas convaincue que ces meurtres étaient accompagnés,
dans l'esprit de leurs auteurs, de l'intention spécifique de détruire, en tout ou en partie, le groupe
des Musulmans de Bosnie. Peut-être ces meurtres constituent-t-il des crimes de guerre et des
crimes contre l'humanité, mais elle n'a pas compétence pour en juger.
La Cour en vient au massacre de Srebrenica, et examine soigneusement les élémentsqui lui
ont étésoumis à propos de cet événement,notamment le fait que le TPIY, aussi bien dans l'affaire
Krstiéque dans l'affaire Blagojevié, a conclu que les forces serbes de Bosnie avaient tuéplus de
sept mille hommes musulmans de Bosnie après la prise de Srebrenica en juillet 1995. La Cour
conclut qu'ont étécommis des meurtres et des actes à l'origine de graves atteintes à l'intégrité
physique ou mentale. Selon la Cour, les membres de l'état-major principal de la VRS (l'arméede
la Republika Srpska) étaient animés de l'intention spécifique de détruire en partie le groupe des - 6 -
Musulmans de Bosnie (plus précisémentles Musulmans de Bosnie de Srebrenica), et des actes de
génocideont étécommis en conséquence par des membres de la VRS à Srebrenica et àproximité à
partir du 13juillet 1995.
La Cour procède ensuite à l'examen des élémentsmontrant qu'ont étécommis des actes à
l'origine d'une «[a]tteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe»
(article II, lihl.de la Convention). Elle conclut que les Musulmans de Bosnie ont, au cours du
conflit, étésystématiquement victimes de mauvais traitements, de passages à tabac, de viols et
d'actes de torture généralisésayant causéune atteinte grave à leur intégritéphysique et mentale.
Elle estime toutefois que l'intention spécifique de détruirele groupe protégén'a pas étéétabliede
façon concluante.
La Cour passe ensuite à l'examen des allégations d'actes de «soumission intentionnelle du
groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle»
(article II, litt. çl de la Convention). Elle considère qu'il existe des élémentsprouvant de manière
concluante que les actes alléguésont étécommis, mais que l'existence de l'intention spécifique
requise n'est pas démontrée.
S'agissant des littillet 50de l'article II de la Convention- «imposition de mesures visant à
entraver les naissances au sein du groupe protégé»et «transfert forcéd'enfants du groupe protégéà
un autre groupe»-, les élémentsde preuve présentéspar la Bosnie-Herzégovine sont insuffisants
pour permettre à la Cour de conclure que de tels actes ont étécommis.
La Cour indique ensuite que le demandeur n'a pas démontrél'existence d'un plan global
tendant à commettre le génocide sur la base des objectifs stratégiques de 1992 publiés par les
autorités de la Republika Srpska. Elle rejette également l'allégation de la Bosnie-Herzégovine
selon laquelle le schémamêmedes atrocitéscommises -sur une très longue période,à l'encontre
de nombreuses communautés, ciblant les Musulmans de Bosnie- pourrait démontrer l'intention
spécifiquerequise, à savoir celle de détruirele groupe en tout ou en partie.
La question de la responsabilité des événements de Srebrenica, en vertu du litt. .1!de
1'article III de la Convention
Ayant conclu que des actes de génocide ont étécommis à Srebrenica par l'armée de la
Republika Srpska, la Cour en vient à la question de savoir si le défendeur était juridiquement
responsable de ces actes. Au vu des élémentsd'information dont elle dispose, la Cour conclut que
les actes des personnes ayant commis un génocide à Srebrenica ne peuvent êtreattribués au
défendeur selon les règles du droit international de la responsabilité des Etats. En particulier, elle
conclut que les actes de génocide ne peuvent êtreattribués au défendeur en tant que fait de
«personnes ou entités»ayant le caractère d'organes de celui-ci. La Cour conclut aussi qu'il n'a pas
étéétablique les massacres en question aient étécommis sur les instructions ou sous les directives
du défendeur ni que celui-ci avait le contrôle effectif des opérations au cours desquelles ces
massacres ont étécommis.
La question de la responsabilité en vertu des litthl à50 .e l'article III de la Convention
La Cour note que les actes énumérésaux litt. hl à illde l'article III sont dépourvus de
pertinence dans la présenteaffaire. S'agissant du litt50 (complicitédans le génocide),la Cour note
qu'il n'est guèredouteux que les atrocitésde Srebrenica ont étécommises, au moins en partie, avec
les moyens dont les auteurs de ces actes disposaient en conséquence de la politique généraled'aide
et d'assistance menéepar la RFY en leur faveur. Toutefois, l'une des conditions bien particulières
qui permettraient de mettre en cause la responsabilité juridique du défendeurn'est pas remplie, car
iln'a pas étéétabli de façon concluante que la RFY ait fourni, au moment crucial, une aide aux
auteurs du génocide en pleine conscience de ce que cette aide serait employée à commettre un
génocide. - 7-
La question de la responsabilité pour manquement aux obligations de prévenir et de punir le
génocide(article premier de la Convention)
S'agissant de 1'obligation de prévenir le génocide, la Cour déclare, entre autres, que cette
obligation est une obligation de comportement et non de résultat: la responsabilité ne saurait être
engagée pour la seule raison qu'un génocide a étécommis ; elle l'est, en revanche, si l'Etat a
manquémanifestement de mettre en Œuvre les mesures de prévention du génocidequi étaientà sa
portée, et qui auraient pu contribuer à l'empêcher. La Cour note aussi que la responsabilité d'un
Etat ne peut êtreengagée que si un génocide a effectivement étécommis et que, en conséquence,
elle n'examinera le comportement du défendeur qu'en liaison avec les massacres de Srebrenica.
Enfin, il suffit que l'Etat ait eu connaissance, ou qu'il eût dû normalement avoir connaissance, de
l'existence d'un risque sérieuxde commission d'actes de génocide.
La Cour fait observer que la RFY se trouvait, à l'égarddes Serbes de Bosnie qui ont conçu et
exécutéle génocide de Srebrenica, dans une position d'influence, en raison de la puissance des
liens politiques, militaires et financiers entre, d'une part, la RFY et, de l'autre, la Republika Srpska
et la VRS. La Cour rappelle par ailleurs que, mêmesi elle n'a pas jugéque les informations dont
disposaient les autoritésde Belgrade indiquaient de manière certaine l'imminence du génocide,ces
dernières ne pouvaient pas ne pas êtreconscientes du risque sérieux qui existait à cet égard. De
l'avis de la Cour, les autorités fédéralesyougoslaves auraient dû faire de leur mieux pour tenter
d'éviter que ne se produisent les tragiques événementsqui s'annonçaient, et dont on pouvait
soupçonner 1'ampleur. Or, le défendeur n'a établi 1'existence d'aucune initiative à des fins
préventives, d'aucune action de sa part visant àéviterles atrocitésqui ont étécommises.
La Cour conclut que le défendeur n'a rien fait pour prévenirles massacres de Srebrenica, et
que, par conséquent, il a violé1'obligation qui lui incombait de prévenir le génocide, engageant
ainsi sa responsabilité internationale en vertu de l'article premier de la convention sur le génocide.
En ce qui concerne l'obligation de punir les auteurs de génocide, la Cour note que, aux
termes de l'article VI de la Convention, les Etats ont l'obligation de coopérer avec «la cour
criminelle internationale ... compétente» en la matière -ce qu'est, selon elle, le TPIY. La Cour
fait aussi observer que des informations nombreuses et concordantes donnent à penser que le
généralMladié, poursuivi pour génocide devant le TPIY comme l'un des principaux responsables
des massacres de Srebrenica, s'est trouvé sur le territoire du défendeur au moins à plusieurs
moments et pendant des durées importantes ces dernières années, et qu'il s'y trouve peut-être
encore à l'heure actuelle, sans que les autorités serbes aient déployéles moyens que l'on peut
raisonnablement estimer êtreà leur disposition pour déterminer le lieu exact de sa résidence et
procéderà son arrestation.
La Cour juge donc suffisamment établique le défendeura manquéà son obligation de pleine
coopération avec le TPIY. Elle conclut que ce manquement constitue une violation par le
défendeurde ses obligations au titre de l'article VI de la convention sur le génocide.
La question de la responsabilité pour non-respect des ordonnances en indication de mesures
conservatoires rendues par la Cour
Enfin, la Cour conclut que, en ce qui concerne les massacres commis à Srebrenica en
juillet 1995, le défendeur n'a pas respecté ses obligations, indiquées par la Cour dans son
ordonnance du 8 avril1993 et réaffirméesdans son ordonnance du 13 septembre 1993, de prendre
toutes les mesures en son pouvoir afin de prévenirla commission du crime de génocideet de veiller
à ce qu'aucune organisation ou personne qui pourraient se trouver sous son influence ne
commettent le crime de génocide. - 8 -
La question de la réparation
Ayant exposé ses conclusions, la Cour en vient à la demande de réparation formée par la
Bosnie-Herzégovine. En ce qui concerne la violation de 1'obligation de prévenir le génocide, la
Cour conclut que, dès lors qu'il n'a pas étéétabli que le génocide de Srebrenica aurait été
effectivement empêchési le défendeur avait tenté de le prévenir, l'indemnisation n'apparaît pas
comme le moyen approprié de réparer le manquement à l'obligation de prévenir le génocide à
Srebrenica. La Cour considère que la forme de réparation la plus appropriée consisterait à faire
figurer dans le dispositif de l'arrêtune déclaration indiquant que le défendeur a manqué de se
conformer à l'obligation de prévenirle crime de génocide.
S'agissant de la violation de 1'obligation de punir les actes de génocide, la Cour estime
qu'inclure dans le dispositif une déclaration indiquant que le défendeurcommet une violation de la
Convention, et doit encore s'acquitter de certaines obligations concernant le transfert auPIY de
personnes accuséesde génocide,constituerait une satisfaction appropriée.
Enfin, au sujet de l'inexécution par le défendeur de ses ordonnances en indication de
mesures conservatoires, la Cour décidede faire figurer dans le dispositif une déclaration indiquant
que le défendeura manquéde se conformer aux mesures conservatoires qu'elle avait indiquées.
Composition de la Cour
La Cour était composée comme suit: Mme Higgins, président; M. Al-Khasawneh,
vice-président ; MM. Ranjeva, Shi, Koroma, Owada, Simma, Tomka, Abraham, Keith,
Sepulveda-Amor, Bennouna, Skotnikov, juges; MM. Mahiou, Kreéa, juges ad hoc; M. Couvreur,
greffier.
M. le vice-président Al-Khasawneh joint à l'arrêt de la Cour l'exposé de son opmwn
dissidente; MM. les juges Ranjeva, Shi et Koroma joignent à l'arrêtl'exposé de leur opinion
dissidente commune; M. le juge Ranjeva joint à l'arrêtl'exposé de son opinion individuelle;
MM. les juges Shi et Koroma joignent à l'arrêtune déclarationcommune ; MM. les juges Owada et
Tomka joignent à l'arrêtles exposésde leur opinion individuelle ; MM. les juges Keith, Bennouna
et Skotnikov joignent à l'arrêtdes déclarations; M. le juge ad hoc Mahiou joint à l'arrêtl'exposé
de son opinion dissidente ; M. le juge ad hoc Kreéa joint à l'arrêt l'exposé de son opinion
individuelle.
Un résuméde l'arrêtest fourni dans le document intitulé «Résumén° 2007/2», auquel sont
annexés les résumésdes déclarations et opinions qui y sont jointes. Le présent communiqué de
presse, le résuméde l'arrêt,ainsi que le texte intégral de celui-ci figurent également sur le site
Internet de la Cour (www.icj-cij.org).
Département de l'information :
Mme Laurence Blairon, secrétairede la Cour, chef du département (+31 (0)70 302 2336)
MM. Boris Heim et Maxime Schouppe, attachésd'information (+31 (0)70 302 2337)
Mme Joanne Moore, attachéed'information adjointe (+31 (0)70 302 2394)
- La Cour dit qu'elle a compétence pour connaître de l'affaire - La Cour dit que la Serbie a violé l'obligation qui était la sienne, en vertu de la convention sur le génocide, de prévenir le génocide à Srebrenica, et qu'elle a aussi violé les obligations qui lui incombent en vertu de la Convention en ne coopérant pas pleinement avec le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY)
Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro) - La Cour dit qu'elle a compétence pour connaître de l'affaire - La Cour dit que la Serbie a violé l'obligation qui était la sienne, en vertu de la convention sur le génocide, de prévenir le génocide à Srebrenica, et qu'elle a aussi violé les obligations qui lui incombent en vertu de la Convention en ne coopérant pas pleinement avec le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY)