Immunités juridictionnelles de l'Etat (Allemagne c. Italie) - La Cour juge la demande reconventionnelle de l'Italie irrecevable comme telle et fixe des délais pour le dépôt de nouvelles pièces de proc

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15977
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2010/22
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COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE

Palais de la Paix, Carnegieplein 2, 2517 KJ La Haye, Pays-Bas
Tél : +31 (0)70 302 2323 Télécopie : +31 (0)70 364 9928
Site Internet : www.icj-cij.org

Communiqué de presse
Non officiel

N o2010/22

Le 20 juillet 2010

Immunités juridictionnelles de l’Etat

(Allemagne c. Italie)

La Cour juge la demande reconventionnelle de l’Italie irrecevable comme telle
et fixe des délais pour le dépôt de nouvelles pièces de procédure

LA HAYE, le 20juillet2010. La Cour in ternationale de Justice (CIJ) a rendu
le 6 juillet 2010 une ordonnance sur une demande re conventionnelle formulée par l’Italie dans son

contre-mémoire en l’affaire relative aux Immunités juridictionnelles de l’Etat (Allemagne c. Italie).
Par cette ordonnance, la Cour, par treize voix cont re une, «[d]it que la demande reconventionnelle
présentée par l’Italie … est irrecevable comme telle et ne fait pas partie de l’instance en cours» et, à
l’unanimité, autorise la présentation d’une réplique de l’Allemagne et d’une duplique de l’Italie et
fixe au 14 octobre 2010 et au 14 janvier 2011, respectivement, les dates d’expiration des délais

pour le dépôt de ces pièces de procédure. La suite de la procédure est réservée.

Dans sa requête introductive d’instance datée du 23 décembre 2008 et dans son mémoire du
23 juin 2009,

«L’Allemagne [a] pri[é] la Cour de dire et juger que :

1. en permettant que soient intentées à so n encontre des actions civiles fondées sur
des violations du droit international hu manitaire commises par le Reichallemand
au cours de la seconde guerre mondia le de septembre1943 à mai1945, la

République italienne a commis des viola tions de ses obligations juridiques
internationales en ne respectant pas l’ immunité de juridiction reconnue à la
République fédérale d’Allemagne par le droit international ;

2. en prenant des mesures d’exécution forcée visant la «VillaVigoni», propriété de

l’Etat allemand utilisée par le gouvernement de ce dernier à des fins non
commerciales, la République italienne a égal ement violé l’immunité de juridiction
de l’Allemagne ;

3. en déclarant exécutoires sur le sol italien des décisions judiciaires grecques

fondées sur des faits comparables à ceux qu i sont mentionnés au point 1 ci-dessus,
la République italienne a commis une autre violation de l’immunité de juridiction
de l’Allemagne. - 2 -

En conséquence, la République fédérale d’Allemagne prie la Cour de dire et juger que :

4. la responsabilité internationale de la République italienne est engagée ;

5. la République italienne pre ndra, par les moyens de son choix, toutes les mesures
nécessaires pour faire en sorte que l’ensemble des décisions de ses juridictions et

d’autres autorités judiciaires qui contre viennent à l’immunité souveraine de
l’Allemagne soient privées d’effet ;

6. la République italienne prendra toutes les mesures nécessaires pour faire en sorte

que ses juridictions s’abstiennent à l’aven ir de connaître d’actions intentées contre
l’Allemagne à raison des faits mentionnés au point 1 ci-dessus».

Au terme de son contre-mémoire déposé le 23décembre2009, l’Italie a formulé les
conclusions suivantes, parmi lesquelles figure, au second alinéa, une demande reconventionnelle :

«Sur la base des faits et arguments exposés [dans ce contre-mémoire], et en se
réservant le droit de compléter ou de modifier les présentes conclusions, l’Italie prie la
Cour de dire et juger que toutes les demandes de l’Allemagne sont rejetées.

En ce qui concerne sa demande r econventionnelle, et conformément à
l’article80 du Règlement, l’Italie prie la Cour de dire et juger que, compte tenu de
l’existence en droit international d’une obligation de réparation envers les victimes de
e
crimes de guerre et de crimes contre l’humanité perpétrés par le III Reich :

1. L’Allemagne a violé cette obligation à l’égard de victimes italiennes de tels crimes
en refusant de leur accorder une réparation effective.

2. Ce comportement engage la responsabilité internationale de l’Allemagne.

3. L’Allemagne doit mettre fin à son comportement illicite et accorder une réparation

appropriée et effective auxdites victimes, par les moyens de son choix et par la
conclusion d’accords avec l’Italie».

Raisonnement de la Cour

Dans son ordonnance, la Cour s’attache à vé rifier que la demande reconventionnelle de
l’Italie remplit les conditions requises par l’ar ticle80 de son Règlement. Aux termes du
paragraphe1 de cet artic le, «[l]a Cour ne peut connaître d’une demande reconventionnelle que si

celle-ci relève de sa compétence et est en connexité directe avec l’objet de la demande de la partie
adverse».

La Cour rappelle que l’Allemagne, tout en r éservant sa position sur le point de savoir si la

condition de connexité directe ét ait remplie en l’espèce, a cont esté expressément que la demande
reconventionnelle satisfasse à la condition de compétence.

Elle relève que l’Italie fonde la compét ence de la Cour pour connaître de sa demande

reconventionnelle sur l’article premier de la convention européenne sur le règlement pacifique des
différends (ci-après la «convention européenne»), et que l’Allemagne sou tient que, en vertu de
l’alinéa a) de l’article27 de ladite convention, la Cour n’a pas compétence rationetemporis pour
connaître de cette demande, au motif que les di spositions de la conven tion «ne s’appliquent

pas … aux différends concernant des faits ou situations antérieurs à l’entrée en vigueur de [celle-ci]
entre les parties au différend», ce qui, selon l’Allemagne, est le cas en l’espèce. - 3 -

La Cour observe que sa tâche est donc de déterminer, à la lumière des dispositions de
l’alinéa a) de l’article27 de la convention européenne, si le différend dont l’Italie entend la saisir

par voie de demande reconventionne lle concerne des faits ou situati ons qui sont antérieurs ou non
au 18 avril 1961, date d’entrée en vigueur de cette convention entre l’Allemagne et l’Italie.

Elle précise que, conformément à sa jurisprudence, les faits et situations qu’elle doit prendre

en considération sont ceux «au sujet desquels s’ est élevé le différend, ou, en d’autres termes,
uniquement ceux qui doivent être regardés comme générateurs du différend, ceux qui en sont
«réellement la cause», et non ceux qui constituent la source des droits revendiqués».

La Cour observe tout d’abord que le différe nd dont l’Italie entend la saisir par voie de
demande reconventionnelle concerne l’existence et la portée de l’obligation de réparation de
l’Allemagne à l’égard de certaines victimes italie nnes de violations sérieuses du droit humanitaire
commises par l’Allemagne nazie entre 1943 et 1945, plutôt que ces violations elles-mêmes. Selon

la Cour, ces violations constituent la source des dr oits allégués par l’Italie ou ses ressortissants,
mais elles ne sont pas la source ou la «cause réelle» du différend. Par conséquent, ces violations ne
sont pas les «faits ou situations que ledit différend concerne».

La Cour se réfère ensuite au traité de paix que les Puissances alliées ont conclu
le 10 février 1947 avec l’Italie ainsi qu’aux deux accord s conclus le 2 juin 1961 entre les Parties et
relatifs à des indemnités devant être versées au G ouvernement italien par l’Allemagne. En ce qui
concerne le traité de1947, elle constate notamment que ce dern ier faisait partie d’un régime

juridique destiné à régler un certain nombre de réclamations patrimoniales et autres résultant
d’événements survenus pendant la seconde gue rre mondiale et qu’il comprend une disposition
(art.77, par.4) par laquelle l’Italie avait accepté, avec certaines exceptions, de renoncer, «en son
nom propre et au nom des ressortissants italiens, à toutes réclamations contre l’Allemagne et les

ressortissants allemands, qui n’étaient pas réglées au 8 mai 1945». S’agissant des accords de 1961,
la Cour observe qu’ils ont offert à l’Italie, pour certains de ses ressortissants, des formes de
réparation allant au-delà du régime institué au lendemain de la seconde guerre mondiale, mais
qu’ils n’ont toutefois pas affecté ou modifié la s ituation juridique des ressortissants italiens dont il

est question dans la présente instance.

La Cour ajoute que la législation que l’Alle magne a adoptée, entre 1953 et 2000, au sujet de
l’indemnisation de certaines catégor ies de victimes de violations sérieuses du droit humanitaire
e
commises par le III Reich, et le fait que certaines victimes italiennes n’ont pas reçu
d’indemnisation au titre de cette législation, ne constituent pas des «s ituations nouvelles» par
rapport à toute obligation de l’Allemagne, en vertu du droit international, de verser des indemnités

aux ressortissants italiens dont il est question en l’instance, et n’ont donné lieu à aucun nouveau
différend à cet égard.

La Cour parvient alors à la conclusion que le différend dont l’Italie entend la saisir par voie
de demande reconventionnelle concerne des faits et situations antérieurs à l’entrée en vigueur de la

convention européenne entre les Parties, à savoir le régime juridique institué au lendemain de la
seconde guerre mondiale. Ce différend est donc exclu du champ d’application temporel de la
convention ; il en résulte que la demande reconventionnelle ne relève pas de la compétence de la

Cour au titre du paragraphe 1 de l’ article 80 de son Règlement. Ayan t conclu de la sorte, la Cour
indique qu’elle n’a pas à aborder la question de savoir si la demande reconventionnelle est en
connexité directe avec l’objet des réclamations présentées par l’Allemagne.

Par ailleurs, la Cour, après avoir noté que la procédure concernant les demandes présentées
par l’Allemagne se poursuit, se réfère aux vues exprim ées par les Parties, lors d’une réunion tenue
le 27janvier2010 avec le président de la C our, quant à la présentation d’une réplique du
demandeur et d’une duplique du défendeur et a ux délais à fixer pour le dépôt de ces pièces de

procédure. - 4 -

La Cour était composée comme suit: M.Owada, président; M.Tomka, vice-président;
MM. Koroma, Al-Khasawneh, Buergenthal, Simma, Abraham, Keith, Sepúlveda-Amor, Bennouna,

Skotnikov, Cançado Trindade, Greenwood, juges ; M. Gaja, juge ad hoc ; M. Couvreur, greffier.

MM.les juges Keith et Greenwood joignent une déclaration commune à l’ordonnance;
Ml.e juge CançadoTrindade joint à l’ordonnance l’exposé de son opinion dissidente;

M. le juge ad hoc Gaja joint une déclaration à l’ordonnance.

___________

Le texte de l’ordonnance de la Cour et des déclarations et de l’opinion jointes à celle-ci
seront prochainement disponibles sur le site Internet de la Cour (www.icj-cij.org). Les résumés des
déclarations et de l’opinion jointes à l’ordonnance sont annexés à ce communiqué.

___________

Département de l’information :

M. Andreї Poskakoukhine, premier secrétaire de la Cour, chef du département (+31 (0)70 302 2336)

M. Boris Heim, attaché d’information (+31 (0)70 302 2337)
Mme Joanne Moore, attachée d’information adjointe (+31 (0)70 302 2394) Annexe au communiqué de presse n 2010/22

Déclaration commune de MM. les juges Keith et Greenwood

Dans leur déclaration commune en fave ur de l’ordonnance rendue par la Cour, les
jugesKeith et Greenwood exposent deux considéra tions qui, selon eux, viennent renforcer le
raisonnement de la Cour. L’une et l’autre ont trait à l’exigence énoncée à l’alinéa a) de l’article 27

de la convention européenne pour le règlement pacifique des différends, à savoir que le différend
dont l’Italie fait état à travers sa demande reconventionnelle doit trouver son origine ou sa cause
réelle dans des faits ou des situations postérieurs au 18 avril 1961, date à laquelle la convention est
entrée en vigueur entre l’Italie et l’Allemagne. A cet égard, l’Italie se réfère aux accords de 1961,

entrés en vigueur en1963, et à une loi allemande de2000, ainsi qu’à des actes ultérieurs de
l’Allemagne.

Les deux juges relèvent tout d’abord que, da ns son contre-mémoire, l’Italie n’a établi

l’existence d’aucun différend juridique international concernant les accords de 1961, la loi de 2000
ou les actes ultérieurs de l’Alle magne. Le contre-mém oire ne rapporte d’a illeurs aucun échange
diplomatique dans le cadre duquel l’Italie aura it informé l’Allemagne de l’existence d’un tel
différend.

Les jugesKeith et Greenwood concluent ensuite que, quand bien même ce différend
existerait, son origine ou sa cause réelle résiderait dans des faits antérieurs au 18avril1961. En
effet, tout différend relatif à la portée et à l’e ffet des accords de 1961 et aux actes de l’Allemagne

serait inextricablement lié aux dispositions du tra ité de paix conclu en 1947 entre les Puissances
alliées et l’Italie.

Pour les juges Keith et Greenwood, il ressort cl airement de l’argumentation même de l’Italie

que le différend invoqué dans son contre-mémoire échappe à la compétence de la Cour puisque son
origine ou sa cause réelle réside dans des fa its ou des situations largement antérieurs
au 18 avril 1961. Ainsi, dans les deux premières phrases du chapitre du contre-mémoire exposant
la demande reconventionnelle, l’Italie indique en substance ce qui suit :

«Comme l’y autorise l’article 80 du Règlement de la Cour, l’Italie présente une
demande reconventionnelle portant sur la qu estion des réparations dues aux victimes
italiennes des graves violations du droit international humanitaire commises par les

forces du Reich allemand.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Le présent chapitre expose la demande reconventionnelle de l’Italie en l’affaire.
L’Italie prie la Cour de déclarer que l’Allemagne a violé l’obligation de réparation qui
est la sienne à l’égard des victimes italiennes des crimes commis par l’Allemagne
nazie pendant la seconde guerre mondiale et qu’elle doit, par conséquent, mettre fin à

son comportement illicite et accorder a ux victimes une réparation effective et
appropriée.»

Opinion dissidente de M. le juge A. A. Cançado Trindade

1. Dans son opinion dissidente en quatorze par ties, le juge CançadoTrindade revient tout
d’abord sur la genèse et sur la raison d’être d es demandes reconventionnelles en droit procédural
international, et notamment sur les conditions auxqu elles celles-ci doivent satisfaire, ainsi que sur

l’attitude de la doctrine juridique internationale quant à leurs caractéristiques et leurs effets
(parties I-III). Il rappelle ensuite que, selon la juri sprudence de la Cour et celle de sa devancière,
une demande reconventionnelle revêt un caract ère double par rapport à la demande initiale,

puisqu’elle apparaît d’une part comme indépendante de celle-ci, en tant qu’elle constitue un acte - 2 -

juridique distinct, et d’autre part comme s’y rattachant directement. La «vocation» d’une demande
reconventionnelle est donc d’élargir l’objet initial du différend et non pas uniquement d’obtenir le

rejet des revendications premières. En ce sens, la demande reconventionnelle est «différente d’un
moyen de défense au fond» (partie IV).

2. Tandis que, dans les quatre affaires où la Cour avait jusqu’ici eu à se prononcer sur des
demandes reconventionnelles, la compétence de celle-ci soit n’avait pas été cont estée par les Etats
demandeurs, soit avait pu être établie par la C our elle-même dans une phase incidente avant le
dépôt de ces demandes, dans la présente affaire re lative aux Immunités juridictionnelles de l’Etat ,

l’Allemagne a contesté la compétence de la Co ur à l’égard de la demande reconventionnelle
italienne. Cette évolution procédurale montre que la pratique de la Cour en la matière demeure fort
peu développée.

3. En tout état de cause, la Cour aurait dû examiner comme il convient le dossier de l’affaire
en tenant, avant de rendre cette décision, des audiences publiques afin d’obtenir davantage
d’éclaircissements des Parties en litige. Selon le juge Cançado Trindade (partie V), une rigoureuse

égalité de traitement doit, dans l’intérê t d’une bonne administration de la justice , être assurée entre
la demande initiale et la demande reconventio nnelle. Il s’agit en effet de deux demandes
autonomes qui doivent être traitées sur un pied d’ég alité, en respectant strictement le principe du
contradictoire. C’est là le seul moyen d’assurer une égalité procédurale entre les Parties (le

demandeur et le défendeur, dont les rôles sont inversés du fait de la demande reconventionnelle).

4. Après un examen du contexte factuel de la présente affaire (notamment de la déclaration

conjointe faite en2008 par l’Italie et l’Allemagne ), le juge CançadoTrindade passe en revue les
arguments des Parties sur la demande reconventionn elle, en s’attachant à la portée et au fond du
différend ainsi qu’à la notion de «situation continue» (partie VI). Il analyse ensuite les origines de
cette notion dans la doctrine juridique internationale (partie VII), ainsi que ses éléments constitutifs

sous l’angle des procédures et de la jurisprudence internationales, du droit international public et du
droit international relatif aux droits de l’homme (p artieVIII). Il s’interroge enfin sur ce qui, au
niveau normatif, constitue une «situation continue » en tant que concept du droit international
(partie IX).

5. Or, il craint que, dans la présente ordonnance, la Cour n’ait fait abstraction de ces aspects
distincts d’une «situation continue», pour s’intéresser uniquement à la renonciation aux demandes

(relatives aux réparations de guerre), oublia nt là encore l’incidence du jus cogens , qui prive
certaines renonciations de tout effet juridique; il déplore cette situation, compte tenu de la portée
du différend dont la Cour est saisie ici (parties X-X I). Puis le juge Ca nçado Trindade rappelle,
dans la partie XII de son opinion dissidente, qui s ont les véritables titulaires des droits initialement

violés, à savoir des individus, et met la Cour en garde contre les dangers auxquels elle s’expose en
sacrifiant à la volonté des Etats.

6. De son point de vue, les droits des individus (y compris celui de demander réparation pour

des crimes de guerre) sont à distinguer de ceux d es Etats, et un Etat qui prétendrait renoncer aux
droits inhérents à la personne humaine irait à l’encontre de l’ordre public international, pareille
renonciation étant dépourvue de tout effet juri dique. A l’appui de cette thèse, il examine

l’évolution du droit international conventionne l (droit international humanitaire, conventions
internationales du travail, et droit international relatif aux droits de l’ homme) ainsi que celle du
droit international général, et souligne combien la clause de Martens demeure d’actualité. Pour lui,
les «exigences de la conscience publique» invoqu ées par Martens bénéficient à l’humanité tout

entière. - 3 -

7. Dans la partieXIII de son opinion disside nte, le juge CançadoTrindade soutient que
l’émergence progressive de la conscience huma ine a fait évoluer les delictajurisgentium en

violations du droit international humanitaire (sous la forme des crimes de guerre et des crimes
contre l’humanité) — il s’agit là de l’héritage de Nuremberg —, puis en violations graves du droit
international humanitaire (avec les quatre conventions de Genève de 1949 sur le droit international
humanitaire et leur premier protocole additionnel de1977). Les Etats ne peuvent renoncer à des

demandes de réparation portant sur des violations de droits de l’homme fondamentaux ou sur des
violations graves du droit international humanitair e constituant des crimes de guerre (comme la
déportation en vue du travail forcé).

8. Après avoir analysé l’incidence du jus cogens , à la lumière des arguments avancés par les
Parties en litige, le juge Cançado Trindade conclut (partie XIV) que ni les événements tragiques de
la seconde guerre mondiale, ni les prétendues renonciations formulées au paragraphe4 de

l’article 77 des traités de paix de 1947 entre l es puissances alliées et l’Italie n’opposent les Parties
au point de constituer la cause réelle du présent di fférend (qui concerne l’im munité de l’Etat, en
connexité directe avec des demandes de réparations de guerre). Ce sont au contraire les deux
accords bilatéraux conclus en1961 par l’Allemagne et l’Italie qui constituent la cause réelle du

différend, et le point de départ d’une situation continue qui se poursuit à l’heure actuelle. La Cour
est donc compétente rationetemporis sur la base de l’alinéaa) de l’article27 de la convention
européenne de1957 pour le règlement pacifique des différends, et elle aurait dû déclarer la
demande reconventionnelle recevable, puisque cette dernière est ég alement «en connexité directe»

avec la demande initiale, comme l’exige le paragraphe 1 de l’article 80 du Règlement de la Cour.

9. Pour le juge Cançado Trindade, la présente affaire ne concerne pas les immunités de l’Etat

en théorie, ou prises isolément : elle concerne les immunités de l’Etat en connexité directe avec des
réparations pour crimes de guerre. Il est dès lors nécessaire de dépasser la perspective strictement
interétatique pour en revenir aux titulaires ultimes de s droits en jeu, à savoir des êtres humains, qui

ont vu les Etats censés les protéger ⎯ et non les opprimer ⎯ renoncer aux demandes de réparation
qu’ils étaient en droit de formuler au titre des grav es violations dont ils avaient été victimes. Une
telle renonciation emporte violation du jus cogens.

10. Du point de vue du juge CançadoTrindade , il est impossible de bâtir (et de tenter de
maintenir) un ordre juridique international sur la base des souffrances d’êtres humains. Lorsque
des civils furent déportés en masse puis soumis au travail forcé (tout au long des deux guerres
mondiales du XX siècle, et non pas uniquement de la seconde), nul n’ignorait qu’il s’agissait là

d’un acte illicite, d’une violation grave des droits de l’ homme et du droit international humanitaire
qui finit par être reconnue comme un crime de guerre et un crime contre l’humanité. Enfin, conclut
le juge Cançado Trindade, l’appr oche volontaro-positiviste ne tient pas, la volonté restant soumise

à la conscience, qui fait évoluer le droit, sa source matérielle ultime, et qui constitue un rempart
contre l’injustice manifeste.

Déclaration de M. le juge ad hoc Gaja

Dans sa déclaration, le juge adhoc Gaja indique que, aux fins de se prononcer sur la
recevabilité de la demande reconventionnelle de l’Italie, la Cour était pour la première fois appelée
à appliquer l’article80 de son Règl ement tel qu’amendé avec effet au 1 erfévrier 2001.

Contrairement à ce que prévoyait la version antéri eure de cette disposition, la Cour ne peut non
plus prendre de décision à l’égard d’une objec tion soulevée par le demandeur concernant sa
compétence pour connaître de la demande reconventionnelle sans «avoir entendu les Parties». - 4 -

Selon le juge adhoc Gaja, une procédure orale aurait, en la présente espèce, probablement
aidé la Cour à déterminer plus précisément la date à laquelle le différend s’est fait jour ainsi que les

faits et situations auxquels il se rapporte.

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