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J
non officiel
pour publication immédiate
ffO 92/9
Le 14 avril 1992
Questions d'interprétation et d'aoolication de la convention
de Montréal de 1971 résultant de l'incident aérien
de Lockerbie (Jamahiriya arabe libvenne e. Etats-Unis d'Amérique)
Demande en indication de mesures conservatoires
La Cour décide de ne pas exercer son pouvoir d'indiquer'
des mesures conservatoires
Le Greffe de la Cour internationale de Justice met à la disposition
de la presse les renseignements suivants
Aujourd'hui, 14 avril 1992, la Cour internationale de Justice a
rendu en l'affaire relative à des Questions d'interprétation et
d'applicatiOn de la convention de Montréal de 1971 résultant de
l'incident aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c. Etats-Unis
d'Amérique) une ordonnance dans laquelle elle dit, par onze voix
contre cinq, que les circonstances de l'espèce ne sont pas de nature à
exiger l'exercice de son pouvoir d'indiquer des mesures conservatoires en
vertu de l'article 41 du Statut.
La composition de la Cour était la suivante : M. Oda,
Vice-Président de la Cour. faisant fonction de Président en l'affaire;
Sir Robert Jennings, Président de la Cour; MM. Lachs, Ago, Schwebel,
Bedjaoui, Ni, Evensen, tarassov, Guillaume, Shahabuddeen, Aguilar
Mawdsley, Weeramantry, Ranjeva, Ajibola, ~; M. El-Kosheri,
~ ad hoc.
*
M. Oda et M. Ni joignent chacun une déclaration à l'ordonnance;
MM.Evensen, Tarassov, Guillaume et Aguilar Mawdsley, une déclaration
commune.
MM.Lache et Shahabuddeen joignent à l'ordonnance de la Cour les
exposés de leur opinion individuelle; MM.Bedjaoui, Weeramantry, Ranjeva,
Ajibola et El-Kosheri, les exposés de leur opinion dissidente.
Le texte imprimé de l'ordonnance et celui des déclarations et
opinions qui y sont jointes seront disponibles en temps utile (s'adresser
à la section de la distribution et des ventes, office des Nations Unies,
1211 Genève 10; à la section des ventes, Nations Unies, New York,
N.Y. 10017; ou à une librairie spécialisée).
3518F .. .
- 2 -
On trouvera ci-après un résumé de l'ordonnance, établi par le Greffe
pour faciliter le travail de la presse; ce résumén'engage en aucune
façon la Cour. Il ne saurait être cité à l'encontre de l'ordonnance, ~
dont il ne constitue pas une interprétation.
*
* *
Dans son ordonnance, la Cour rappelle que, le 3 mars 1992, la
Jamahiriya arabe libyenne a introduit une instance contre les Etats-Unis
d'Amérique au sujet d'un "différend entre la Libye et les Etats-Unis
concernant l'interprétation ou l'application de la convention de
Montréal" du 23 septembre 1971, différend résultant de l'incident aérien
survenu au-dessus de Lockerbie, en Ecosse, le 21 décembre 1988, à la
suite duquel le tribunal fédéral de première instance du District de
Columbia a engagé des poursuites-, le 14 novembre 1991, contre deux
ressortissants libyens pour avoir, notamment, "fait placer une bombe à
bord [de l'appareil assurant le vol Pan Am 103] ••• ,bombe dont
l'explosion avait provoqué la destruction. de l'appareil".
L'ordonnance retrace ensuite le déroulement de l'affaire. Elle fait
référence aux allégations et conclusions énoncées par la Libye dans sa
requête, qui demande à la Cour de dire et juger :
"ù que la Libye a satisfait pleinement à toutes ses obligations
au regard de la convention de Montréal;
hl que les Etats-Unis ont violé, et continuent de violer, leurs
obligations juridiques envers la Libye stipulées aux
articles 5, paragraphe 2, 5, paragraphe 3, 7, 8,
paragraphe 2, et 11 de la ~onventio de Montréal;
ià que les Etats-Unis sont juridiquement tenus de mettre fin et
de renoncer immédiatement à ces violations et à toute forme
de recours à la force ou à la menace contre la Libye, y ...
compris la menace de recourir à la force contre la Libye,
ainsi qu'à toute violation de la souveraineté, de l'intégrité
l territoriale et de l'indépendance politique de la Libye".
La Cour mentionne aussi la demande de la Libye (déposée, comme la requête
introductive d'instance, le 3 mars 1992, mais plus tard dans la journée)
tendant à l'indication des mesures conservatoires suivantes :
"Al interdire aux Etats-Unis d'engager aucune action contre la
Libye visant à contraindre ou obliger celle-ci à remettre
les personnes accusées à une autorité judiciaire, quelle
qu'elle soit, extérieure à la Libye;
hl veiller à éviter toute mesure qui porterait atteinte de
·quelque façon aux droits de la Libye en ce qui concerne la
procédure judiciaire faisant l'objet de la requête libyenne".
La Cour se réfère ensuite aux observations orales et aux conclusions
présentées par la Libye et par les Etats-Unis lors des audiences
publiques relatives à la demande en indication de mesures conservatoires
qui ont eu lieu les 26, 27 et 28 mars 1992.
3518F :.~'•-
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~ La Cour prend note aussi de la déclaration commune présentée le
27 novembre 1991 par les Etats-Unis d'Amérique et le Royaume-Uni à la
suite des inculpations lancées par un jury de mise en accusation du
'; Tribunal fédéral de première instance du District de Columbia contre les
deux ressortissants libyens à propos de la destruction de l'appareil qui
assurait le vol Pan Am103, déclaration libellée dans les termes
suivants
"Les Gouvernements britannique et américain déclarent ce
jour que le Gouvernement libyen doit :
- livrer, afin qu'ils soient traduits en justice, tous ceux qui
sont accusés de ce crime et assumer l'entière responsabilité
des agissements des agents libyens;
- divulguer tous les renseignements en sa possession sur ce
crime, y compris les noms de tous les responsables, et
permettre le libre accès de tous les témoins, documents et
autres preuves matérielles, y compris tous les dispositifs
d'horlogerie restants;
- verser des indemnités appropriées.
Nous comptons que la Libye y fera droit promptement et
sans auctme réserve."
La Cour note encore que la teneur de cette déclaration a ensuite été
examinée par le Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations Unies,
lequel a adopté, le 21 janvier 1991, la résolution 731 (1992) dont la
Cour cite, entre autres, les passages suivants :
"Profondément préoccuoé" par ce qui résulte des enquêtes
impliquant des fonctionnaires ~u Gouvernement libyen et qui est
mentionné dans les documents du Conseil de sécurité qui font état
des demandes adressées aux autorités libyennes par les Etats-Unis
d'Amérique ••• , la France ••• et le Royaume-Uni de
Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord ••• (S/23308], ••• liées aux
procédures judiciaires concernant les attentats perpétrés contre
les vols de la Pan American et de l'Union des transports aériens,
.....................................I.................."•............... .
2. Déplore vivement le fait que le Gouvernement libyen n'ait
pas répondu effectivement à ce jour aux demandes ci-dessus de
coopérer pleinement pour l'établissement des responsabilités dans
les actes terroristes susmentionnés contre les vols 103 de la
Pan American et 772 de l'Union des transports aériens;
3. Demande instamment aux autorités libyennes d'apporter.
immédiatement une réponse complète et effective à ces demandes
afin de contribuer à l'élimination du terrorisme international."
La Cour note ensuite que, le 31 mars 1992 (trois jours après la
clôture des audiences), le Conseil de sécurité a adopté la résolution 748
(1992), où il est dit notamment que le Conseil de sécurité :
...................................................................
3518F - 4 -
Gravement préoccupé de ce que le Gouvernement libyen n'ait
pas encore donné une réponse complète et effective aux demandes
contenues dana sa résolution 731 (1992) du 21 janvier 1992,
Convaincu que l'élimination des actes de terrorisme
international, y compris ceux dans lesquels des Etats sont
directement ou indirectement impliqués, est essentielle pour le
maintien de la paix et de la sécurité internationales,
................l...................... "....................................
Constatant, dans ce contexte, que le défaut de la part du
Gouvernement libyen de démontrer, par des actes concrets, sa
renonciation au terrorisme et, en particulier, son manquement
continu à répondre de manière complète et effective aux requêtes
contenues dans la résolution 731 (1992) constituent une menace
pour la paix et la sécurité internationales,
................l....l......................................................
Agissant en vertu du chapitre VII de la Charte,
1. Décide que le Gouvernement libyen doit déso~ais
appliquer sans le moindre délai le paragraphe 3 de la résolution
731 (1992) concernant les demandes contenues dans les documents
S/23306, S/23308 et S/23309i
2. Décide·aussi que le Gouvernement libyen doit s'engager à
cesser de manière définitive toute forme d'action terroriste et
toute assistance aux groupes terroristes et qu'il doit
rapidement, par des actes concrets, démontrer sa renonciation au
terrorisme;
3. Décide que tous les Etats adopteront le 15 avril 1992 les
mesures énoncées ci-dessous qui s'appliqueront jusqu'à ce que le
Conseil de sécurité décide que le Gouvernement libyen s'est
conformé aux dispositions des paragraphes 1 et 2 ci-dessus;
•
.........................................................................
......
/
1. Demande à tous les Etats, y compris aux Etats non membres
des Nations Unies et à toutes les organisations internationales,
d'agir de façon strictement conforme aux dispositi~ nesla
présente résolution nonobstant l'existence de tous droits ou
obligations conférés ou imposés par des accords internationaux ou
de tout contrat passé ou de toute licence ou permis accordés
avant le 15 avril 1992."
La Cour a observé que les demandes faites par les Etats-Unis d'Amérique
et le Royaume-Uni dans leur déclaration communedu 27 novembre 1991, citée
~!-dessus fguraient dans le document S/23308 qui était mentionné dans la
résolution 748 (1992).
Après s'être référée aux observations relatives à la résolution 748
(1992) du Conseil de sécurité qui, à l'invitation de la Cour, ont été
présentées par les deux Parties (ainsi que par l'agent des Etats-Unis dans une
communication antérieure), la Cour poursuit et conclut dans les termes
suivants
3518F
·, - 5
"Considérant que la Cour, dans le contexte de la présente
... procédure, qui concerne une demande en indication de mesures
conservatoires, doit, conformément à l'article 41 du Statut,
examiner si les circonstances portées à son attention exigent
l'indication de telles mesures, mais n'est pas habilitée à
conclure définitivement sur les faits et le droit, et que sa
décision doit laisser intact le droit des Parties de contester
les faits et de faire valoir leurs moyens sur le fond;
Considérant que la Libye et les Etats-Unis, en tant que
Membres de l'Organisation des Nations Unies, sont dans
l'obligation d'accepter et d'appliquer les décisions du Conseil
de sécurité conformément à l'article 25 de la Charte; que la
Cour, qui, à ce stade de la procédure, en est à l'examen d'une
demande en indication de mesures conservatoires, estime que
prima facie cette obligation s'étend à la décision contenue
dans la résolution 748 (1992); et que, conformément à
l'article 103 de la Charte, les obligations des Parties à cet
égard prévalent sur leurs obligations en vertu de tout autré
accord international, y compris la convention de Montréal;
Considérant que si, à ce stade, la Cour n'a donc pas à se
prononcer définitivement sur l' eff.et juridique de la
résolution 748 (1992) du Conseil de sécurité, elle estime
cependant que, quelle qu'ait été la situation avant l'adoption
de cette résolution, les droits que la Libye dit tenir de la
convention de Montréal ne peuvent à présent être considérés
commedes droits qu'il conviendrait de protéger par
l'indication de mesures conservatoires;
Considérant en outre qu'une indication des mesures
demandées par la Libye serait de nature à porter atteinte aux
droits que la résolution 748 (.1992) du Conseil de sécurité
semble prima facie avoir conférés aux Etats-Unis;
Considérant que, pour se prononcer sur la présente demande
en indication de mesures conservatoires, la Cour n'est appelée
à statuer sur aucune des autres questions qui ont été soulevées
devant elle dans la présente instance, y- compris la question
relative à sa compétence pour connaître du fond; et considérant
qu'une décision rendue en la présente procédure ne préjuge en
rien aucune question de ce genre et qu'elle laisse intact le
droit du Gouvernement libyen et celui du Gouvernement des
Etats-Unis de faire valoir leurs moyens en ces matières;
Par ces motifs,
LA COUR,
Par onze voix contre cinq,
Dit que les circonstances de l'espèce ne sont pas de
nature à exiger l'exercice de son pouvoir d'indiquer des
mesures conservatoires en vertu de l'article 41 du Statut."
3518F Annexe au communiqué de presse n° 92/9
Résumédea déclarations et dea opinions Jointes
à l'arrê de la Cour
Déclaration de M. Oda, vice-Président de la Cour. taisant fonction de
Président
M. Oda, Vice-Président de la Cour, faisant fonction de Président en
l'affaire, a joint une déclaration qui va dans le sens de la décision
prise par la Cour, mais en exprimant l'opinion que cette décision
n'aurait pas dft être fondée uniquement sur les conséquences de la
résolution 748 du Conseil de sécurité, car cela laissait entrevoir la
possibilité que, avant l'adoption de la résolution, la Cour aurait pu
parvenir à des conclusions juridiques ayant des effets incompatibles avec
les actes du Conseil, et dans ce cas, on aurait pu reprocher à la Cour de
ne pas avoir agi plus tôt, En fait, le Conseil de sécurité, appliquant
sa propre logique, a agi en hâte en adoptant sa nouvelle résolution avant
que la Cour n'ait· pu parvenir à une décision réfléchie, circonstance que
le Conseil n'a pu ignorer.
M. Oda considère que ia Cour ~tait compétente prima facle, malgré le
délai de six mois prévu par l'article 14, paragraphe 1, de la convention
de Montréal, puisque les circonstances étalent telles qu'il
n'apparaissait pas possible de négocier l'organisation d'un arbitrage,
Cependant, le droit essentiel dont la protection était demandée
- celui, pour un Etat, de ne pas être forcé d'extrader ses propres
ressortissants - est un droit souverain au regard du droit international
général, tandis que la requête de la.Libye avait pour objet des droits
particuliers invoqués au titre de la convention de Montréal. Puisqu'un
principe veut que les droits dont la protection est recherchée par une
procédure en indication de mesures ~onservatoi reerapportent à l'objet
de l'instance, il en résulte que, de toute manière, la Cour aurait été
amenée à refuser d'indiquer les mesures demandées. Cette inadéquation
entre l'objet de la requête et les droits à protéger aurait dû, de l'avis
de M. Oda, constituer le principal motif d'une décision négative, qui
aurait pu être prise aussi bien avant qu'après l'adoption de la
résolution 748.
Déclaration de K. Bi. luge
Dans sa déclaration, M. Ni exprime l'opinion que, selon la
jurisprudence de la Cour, le fait qu'une question se trouve devant le
Conseil de sécurité ne doit pas empêcher qu'elle puisse être traitée par
la Cour. Bien que les deux organes s'occupent de la mêmeaffaire,
l'optique n'est pas la même. En l'espèce, le Conseil de sécurité, en
tant qu'organe politique, a pour préoccupations principales l'élimination
du terrorisme international et le maintien de la paix et de la sécurité
internationales, tandis que la Cour internationale de Justice, organe
judiciaire principal des Nations Unies, doit s'occuper davantage des
3518F - 2 -
procédures juridiques, telles que les problèmes d'extradiction, les
mesures relatives à la poursuite dea auteurs d'infraction, l'évaluation
des indemnités etc.
S'agissant de la demande de mesures conservatoires présentée par la
Libye, M. Ni cite les dispositions de la convention de Montréal de 1971
pour la répression d'actes illicites dirigés contre la sûreté de
l'aviation civile, qui sont invoquées par la Libye. Aux termes de
l'article 14 1) de cette convention, l'une quelconque des parties à un
différend peut invoquer la juridiction de la Cour internationale de
Justice si, dans les six mois qui suivent la date de la demande
d'arbitrage, aucun accord n'a été conclu sur l'organisation de cet
arbitrage. Dans le cas présent, la Libye a proposé un arbitrage par une
lettre du 18 janvier 1992, de sorte qu'un mois et demi seulement s'était
écoulé quand la Libye a introduit une instance devant la Cour, le
3 mars 1992.
M. Ni consière que la demande de la Libye devrait être rejetée au
seul motif que l'obligation de respecter un délai de six mois n'a pas été
satisfaite, sans que la Cour ait à se prononcer en mêmetemps sur les
autres points. Ainsi, la Libye ne sera pas empêchéede s'adresser à la
Cour conformément aux dispositions de la Convention de Montréal de 1971
ai, quelques mois plus tard, le différend subsiste et si le requérant
souhaite agir ainsi.
Déelarat1on eomanme de MM· Evensen, Taragsov. Guillaume et Mullar
MM.Evens en, Tarassov, GuillaU.me et Agutlar, dans une déclara ti on
commune, ont souscrit pleinement au jugement de la Cour, mais ont formulé
des commentaires complémentaires. Ils ont souligné qu'avant toute
intervention du Conseil de sécurité dans l'affaire, les Etats-Unis et le
Royaume-Uni étaient en droit de demander à la Libye l'extradition des
accusés et de mener à cette fln toute action conforme au droit
international. La Libye était de son côté en droit de refuser une telle
extradition et de rappeler à cet effet que son droit interne, comme
d'ailleurs celui de nombreux autres pays, prohibe l'extradition des
nationaux.
Puis Us ont exposé qu'au cas particulier, cette situation n'avait
1pas été jugée satisfaisante par le Conseil de sécurité, agissant en vue
de lutter contre le terrorisme international dans le cadre du chapitre
VII de la Charte des Nations Unies. Ce dernier avait par suite décidé
que la Libye devait remettre les deux accusés aux pays qui avalent
demandé cette remise.
Dans ces conditions, pour MM.Evensen, Tarassov, Guillaume et
Aguilar, la Cour statuant sur une demande en indication de mesures
conservatoires présentée par la Libye afin de préserver la situation
juridi.que antérieure aux résolutions du Conseil de sécurité, a constaté à
bon droit les modifications apportées à cette situation par ces
résolutions. Et c'est également à bon droit qu'elle a estimé que par
voie de conséquence les circonstances de l'espèce ne sont pas de nature à
exiger l'exercice de son pouvoir d'indiquer de telles mesures.
3518F - 3 -
Opinion indiyiduelle de N 1 I,açhA. juge
Les affaires en cause, et la nécessité pour la Cour de prendre
rapidement une décision à l'égard d'une demande interlocutoire ont mis en
lumière des problèmes de compétence et ce qu'il est convenu d'appeler le
sub judJce. En fait, la Cour est le gardien de la légalité pour la
communauté internationale tout entière, dans le cadre des Nations Unies
et au-delà. Il ne fait pas de doute que la tâche de la Cour est
d'"assurer l'intégrité du droit international ••• " (C.I.J. Recueil 1949,
p. 35). Elle en est le gardien principal. En l'espèce, cependant, non
seulement la question générale du terrorisme international était à
l'ordre du jour du Conseil de sécurité, mais celui-ci a adopté les
résolutions 731 et 748. L'ordonnance rendue ne doit pas être interprétée
comme une abdication des pouvoirs de la Cour. Que les sanctions
ordonnées par la résolution 748 aient, en définitive, à être appliquées
ou non, il faut espérer en toute hypothèse que les deux organes
principaux concernés pourront fonctionner en tenant dûment compte de leur
rôle mutuel dans la sauvegarde de l'autorité du droit.
Opinion individuelle de M. Shababuddeen. luge
Dans son opinion individuelle M. Shahabuddeen estime que la Libye
avait présenté une cause défendable pour demander l'indication de mesures
conservatoires, mais que la résolution 748 (1992) du Conseil de sécurité
a eu pour effet juridique de rendre insusceptibles d'exécution les droits
invoqués par_ la Libye. La décision de la Cour, déclare t-U, ne résulte
pas d'un conflit entre la compétence du Conseil de sécurité et celle de
la Cour, mais d'un conflit-entre les obligations qui. incombent à la Libye
en •ertu de la résolution du Conseil de sécurité et celles dont elle
pouvait être tenue en vertu de la convention de Montréal. Aux termes de
la Charte les obligations qui résultent de la résolution du Conseil de
sécurité l'emportent.
M. Shahabuddeen fait observer que, pour demander qu'on lui livre les
deux ressortissants libyens accusés, le défendeur part en·grande partie
du principe qu'un procès impartial n'est pas possible en Libye.
Cependant quand le défendeur demande que "la Libye "verse des indemnités
appropriées ,,, promptement et sans réserve", cela suppose qu'il ait
d'abord établi que les accusés sont coupables, car la responsabilité de
l'Etat libyen dépend de la culpabilité des accusés. Il y a donc lieu de
rechercher si le défendeur n'a pas préjugé l'affaire.
Opinion dissidente de M. Bediaoui. 1uge
M. Bedjaoui est parti de l'idée qu'il existe deux différends bien
distincts, l'un juridique, l'autre pratique. Le premier porte sur
l'extradition de deux nationaux et reçoit un traitement juridique devant
la Cour sur demande de la Libye, tandis que le second porte plus
largement sur le terrorisme d'Etat et la responsabilité internationale de
l'Etat libyen et reçoit quant à lui un traitement politique devant le
Conseil de Sécurité sur demande des Etats-Unis et du Royaume-Uni. ·
M. Bedjaoui a considéré qu'il était du droit le plus absolu pour la
Libye de saisir la Cour du différend portant sur l'extradition pour en
escompter une solution judiciaire, comme il était du droit le plus absolu
3518F - 4 -
pour les Etats-Unis et le Royaume-Uni de saisir le Conseil de Sécurité du
différend portant sur la responsabilité internationale de la Libye pour
en obtenir une solution politique. La situation doit, à son avis, se
résumer comme suit : d'un côté il estime que les droits allégués par la
Libye existent prima facie et que toutes les conditions habituellement
mises par la Cour pour indiquer des mesures conservatoires sont remplies
en l'espèce pour que ces droits puissent être sauvegardés conformément à
l'article 41 du Statut de la Cour. Et c'est sur ce point qu'il a exprimé
des réserves à l'égard des deux ordonnances de la Cour. Mais d'un autre
côté, la résolution 748 du Conseil de Sécurité a annihilé ces droits de
la Libye, sans que l'on puisse en cette phase de mesures conservatoires,
c'est-à-dire de pré-examen prima facie, s'autoriser à trancher
prématurément la question de fond concernant la validité
constitutionnelle de cette résolution, de sorte qu'elle bénéficie d'une
présomption de validité et qu'elle doit être tenue prima facie pour
légale et obligatoire. Il est donc sur ce second point d'accord avec la
majorité de la Cour.
La situation ainsi caractérisée, avec dea droits méritant d'être
protégés par l'indication de mesures conservatoires, mais aussitôt abolis
par une résolution du Conseil de Sécurité méritant d'être tenue RX1mê
~ pour valide, ne rentre pas complètement dans le moule de
l'article 103 de la Charte; elle en déborde légèrement.
Sous réserve de cette nuance, il est clair que la Cour ne pouvait
que constater cette situation et dire qu'à ce stade de la procédure, un
tel "conflit" réglé par l'article 103 de la Charte aboutissait en fin de
compte à rendre en fait' sans effet utile 1' indication de mesures
conservatoires. Mais le dispositif des deux ordonnances se place au
seuil de toute l'opération et décide que la Cour n'a pas, compte tenu des
circonstances, à exercer son pouyoir d'indiquer dea mesures
conservatoires. La nuance qu'il y apporte est que le dossier de
l'affaire justifiait l'exercice effectif de ce pouvoir, tout en observant
que ses effets avaient été nullifiés par la résolution 748. M. Bedjaoui
parvient donc concrètement au mêmerésultat que la Cour, moyennant une
tout autre démarche mais aussi avec cette nuance importante qui le fait
non point rejeter la demande de mesures conservatoires mais plutôt
déclarer ses effets disparus.
Cela dit, M. Bedjaoui considère que l'indication de mesures
~onservatoir ausait dfi s'imposer à la Cour sur la base du dossier qui
'tut avait été soumis, même si ses effets ont pu être mis en échec par la
résolution 748. Il y a lieu d'ajouter qu'à supposer mêmeque la majorité
ait conçu quelque doute, qu'il n'avait personnellement pas, sur la
capacité de l'Etat requérant à avoir rempli telle ou telle condition
nécessaire à l'indication de mesures conservatoires, il restait encore à
la Cour la ressource d'indiquer elle-même proprio motu toute mesure
conservatoire qu'elle aurait jugé plus appropriée que celles qui étaient
sollicitées d'elles par l'Etat requérant.
En conséquence la Cour pouvait d~cide dr'indiquer des mesures en
termes généraux d'exhortation faite à toutes les parties de ne pas
aggraver ou étendre le différend. Ainsi à supposer que la Cour aurait
été fondée dans la présente affaire à considérer que telle ou telle
condition fait défaut pour indiquer certaines mesures spécifiques, elle
avait du moins la ressource de retenir une mesure générale indépendante
en forme d'appel aux parties à ne pas aggraver ou étendre le différend,
3518F •-·
- 5 -
• ou encore d'exhortation à elles adressée de se rapprocher pour régler le
différend de façon amiable, soit directement, soit par l'intermédiaire du
Secrétariat général des Rations Unies et de celui de la Ligue arabe,
comme c'est du reste ce qui se fait ces jours-ci.
Une indication d'une mesure conservatoire de cette nature, au vu des
circonstances graves de la présente affaire, n'aurait-elle pas constitué
de surcroît une façon élégante de sortir de l'impasse créée par
l'opposition entre d'une part les mesures conservatoires plus spécifiques
qu'aurait dû prendre la Cour sur la base des demandes de l'Etat requérant
et d'autre part la résolution 748 du Conseil de Sécurité qui en aurait de
toutes manière annihilé les effets 1 Façon élégante de contourner la
difficulté majeure, mais aussi façon très profitable, pour le bien de
tous, d'aider au règlement dans une direction qu'il semble effectivement
prendre •••
M. Bedjaoui a regretté donc que la Cour n'ait pu indiquer des
mesures conservatoires ni spécifiques à la ·demande de l'Etat requérant,
ni générales proprio motu, pour apporter sa propre contribution positive
au règlement du différend. Il n'a pu donc, en fin de compte, que voter
contre les deux ordonnances.
Opinion dissidente de M. Weeramantry. 1uge
Dans son opinion dissidente, M. Weeramantry a exprimé l'opinion que
les circonstances invoquées par le demandeur semblaient à première vue
fournir une base pour la compétence de la Cour.
L'auteur souligne le caractère exeptionnel de la présente affaire :
c'est la première fois que la Cour internationale-de Justice et le
Conseil de sécurité ont été saisis par des parties qui sont opposés l'une
à l'autre dans un mêmedifférend. .Cela soulève des questions nouvelles
qu'il faut examiner à la lumière des pouvoirs respectifs du Conseil et de
la Cour dans le cadre de la Charte des Nations Unies et en fonction des
relations mutuelles entre les deux organes.
Après avoir examiné les articles pertinents de la Charte et
notamment les travaux préparatoires de l'article 24, paragraphes 2 et 1,
M. Weeramantry conclut qu'il est loisible à la Cour d'examiner des
questions dont le Conseil de sécurité s'est occupé au titre du
chapitre VI de la Charte. De plus, dans l'exercice de ses fonctions, le
Conseil de sécurité est tenu d'agir conformément aux principes du droit
international.
La Cour et le Conseil de sécurité font partie du mêmeensemble et,
dans son propre domaine, la qour statue sur des différends en examinant
et en tranchant des questions de droit international selon des principes
juridiques et des techniques judiciaires. A l'égard des questions· dont
elle est à bon droit saisie, la fonction de la Cour est de prendre des
décisions judiciaires conformément au droit, et le fait que la même
question ait été examinée par le Conseil de sécurité ne saurait
·t'empêcher d'agir ainsi. Toutefois, les décisions prises par le Conseil
de sécurité en vertu du chapitre VII de la Charte ont prima facie force
obligatoire pour tous les Membres des-Nations Unies et ne sauraient faire
l'objet d'un examen par la Cour. M. Weeramantry conclut que la
résolution 731 a seulement valeur de recommandation et non d'obligation,
mais que la résolution 748 est prima facie obligatoire.
3518F - 6 -
L'opinion conclut que des mesures conservatoires peuvent être
indiquées de manière à ne pas entrer en conflit avec la résolution 748 et
elle indique que de telles mesures devraient être prises d'office et en
s'adressant aux deux parties pour éviter que le différend ne s'aggrave ou J
ne s'étende à la suite de l'usage de la force par les deux Parties ou par
l'une d'entre elles. Référence est faite à l'article 41 du Statut et aux
articles 73, 74 et 75 du Règlement de la Cour.
Opinion dissidente de K. Rsnieya. iuge
M. Ranjeva, dans son opinion dissidente, estime que le différend
actuel dépasse le cadre des rapports entre les Parties au litige et
concerne le droit de tous les Etats liés par la convention de Montréal.
Bénéficiant du droit d'option aut dedere sut 1udicare, le demandeur était
fondé à solliciter la Cour d'indiquer des mesures conservatoires; ce
droit était incontestable jusqu'à la date de l'adoption de la
résolution 748. Le changement fondamental de circonstances, intervenu
postérieurement au dépôt de la requête, sans modification des
circonstances de fait de l'affaire, empêchait la Cour d'exercer avec la
plénitude de ses attributions l'exercice de sa fonction judiciaire.
Mais, contrairement à l'avis de la majorité des membres de la Cour,
M. Ranjeva estime que compte tenu de l'évolution de la jurisprudence -
relative à l'application des articles 41 du Statut et 75 du Règlement,
ainsi que du caractère autonome d'un appel de la Cour aux Parties par
rapport à l'indication de mesures conservatoires (affaire du Passage par
le Grand-Belt (Finlande c. Danemark)), des mesures consistant, entre
autres, en appel aux Parties leur énjoignant d'adopter un comportement
qui empêche l'aggravation ou l'extension du conflit. Telle a été en
effet l'attitude de la Cour dans les affaires des Activités militaires et
paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis
d'Amérique), et du Différend frontalier.
En effet, de l'avis de M. Ranjeva, les nouvelles dimensions du
problème ne permettaient pas à la Cour de se limiter à une approche
passive de sa fonction judiciaire; celle-ci relève, de façon dynamique,
de l'obligation fondamentale énoncée à l'article 1, paragraphe 1, de la
Charte des Nations Unies : le maintien de la paix, dans le cadre de sa
mission.
Opintqn dissidente de M. A1ibola, 1uae
M. Ajibola, dans son opinion dissidente, regrette que la Cour ait
refusé, à la majorité des voix, d'indiquer des mesures conservatoires,
alors mêmeque la Libye avait établi l'existence de raisons suffisantes
d'en indiquer en vertu des dispositions applicables du Statut et du
Règlement de la Cour.
Il est fermement persuadé que, mêmesi la Cour a conclu que de
telles mesures ne devaient pas être accordées à cause de l'effet possible
de la résolution 748 du Conseil de sécurité, celle-ci n'empêchait pas ·
absolument la Cour de faire, dans son ordonnance, des déclarations
manifestement extérieures à la résolution et n•entrant certainement pas
en conflit avec elle.
3518F ...
- 7 -
.• Il insiste ensuite sur le pouvoir qu'à la Cour, surtout en vertu de
l'article 75 de son Règlmement, d'indiquer des mesures conservatoires
d'office, tout à fait indépendamment de celles que sollicite le
demandeur, afin d'assurer la paix et la sécurité parmi les Nations et, en
particulier, entre les Parties à l'instance. Elle aurait donc dû,
pendente lite., indiquer des mesures conservatoires fondées sur
l'article 41 du Statut, ainsi·que les articles 73, 74 et 75 du Règlement,
afin d'empêcher toute aggravation ou extension du différend qui
risquerait d'aboutir à l'emploi de la force par l'une ou l'autre des
Parties, .ou les deux.
Opinion dissidente de M. Bl-Koaberi. :luse ad hoe
Dana son opinion dissidente, M. El-Kosheri s'est attaché
principalement aux motifs juridiques qui l'ont conduit à soutenir que le
paragraphe 1 de la résolution 748 (1992) du Conseil de sécurité ne
devrait pas être considéré commeayant un effet juridique quelconque sur
la compétence de la Cour, mêmeprima facie, et que par conséquent la
demande de mesures conservatoires présentée par la Libye doit être
examinée selon les critères habituels tels qu'ils apparaissent dans la
jurisprudence de la Cour. A la lumière des principes qui ont guidé la
Cour dans des affaires récentes, il est parvenu à la conclusion que la
Cour devrait agir d'office en indiquant dea mesures ayant les effets
suivants :
- En attendant un arrêt définitif de la Cour, les deux suspects dont
les noms ont été révélés dans la présente instance devraient être placés
sous la garde des autorités gouvernementales dans un autre Etat, qui
pourrait finalement fournir un prétoire approprié accepté de commun
accord pour leur jugement.
- La Cour aurait pu en outre indiquer que chacune des Parties devait
veiller à ce qu'aucun acte d'aucune sorte ne soit accompli qui risque
d'aggraver ou d'étendre le différend soumis à la Cour, ou qui serait de
nature à faire obstacle à la bonne administration de la justice.
3518F
- Demande en indication de mesures conservatoires
Questions d'interprétation et d'application de la convention de Montréal de 1971 résultant de l'incident aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c. Etats-Unis d'Amérique) - Demande en indication de mesures conservatoires