Opinion dissidente de M. Alvarez

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021-19540713-ADV-01-02-EN
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021-19540713-ADV-01-00-EN
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OPIKION DISSIDENTE DE M. ALVAREZ

La question soumise par l'Assembléedes Nations Unies à la Cour
internationale de Justice pour avis consultatif, relative aux effets
des jugements du tribunal administratif accordant des indemnités

à certains fonctionnaires; est poséedans des termes très précisqui
limitent considérablement sa portée.

L'Assembléegénéraledemande, dans le numéro I de sa requête,si,
d'après le statut du tribunal administratif et tout autre instrument
juridique ou texte pertinents, elle a le droit, pour une raison quel-
conque, de refuser d'exécuter un jugement de ce tribunal accordarit
une indemnité à un fonctionnaire des Nations Unies ;.et dans le
numéro 2, elle demande, si la Cour répond affirmativement à la
question précédente,quels sont les principaux motifs sur lesquels
elle peut se fonder pour exercer légitimement son droit.

La question présente cependant un caractère plus général en
raison du troisième considérant de la demande d'avis où il est dit :
« Considérant, cependant, qu'au cours des débats que la Cinquième
Commission a consacrés à cette ouverture de crédits (pour payer
les indemnités accordées par le tribunal administratif), d'impor-
tantes questions juridiques ont étésoulevées ...))
L'Assemblée généraledemande, en réalité, si en dehors des
textes précisindiquésau numéro 1,ily a d'autres considérations ou
motifs sur lesquels ellepeut fonder son refus d'exécuter unesentence
du tribunal administratif.

Il importe donc d'indiquer s'il existe de tels considérations ou

motifs ; ils peuvent êtrenon seulement juridiques mais aussi politi-
ques, car la question présente ce double caractère.
Parmi les gouvernements auxquels le Greffier .de la Cour avait
donné connaissance de la présente demande d'avis, conformément
àl'article 66 du Statut de la Cour, ceux qui ont exprimé leur opinion
par écrit, et quelques-uns oralement devant ce tribunal, se sont
basés non seulement sur les documents auxquels se réfère le numé-
ro 1, mais aussi sur des considérations juridiques ou d'un caractère
plus général.
Ces opinions font apparaître que deux thèses sont en présence :

A. - Le tribunal administratif créépar l'Assembléeder Nations
Unies est un organe subsidiaire de celle-ci, laquelle, par suite, n'est
pas liéepar ses décisions.68 TRIB. ADM. DES N. U. (OP. DISS. DE M.ALVAREZ)

B. - Le tribunal administratif est un véritable tribunal dont
les sentences sont exécutoires, de sorte que l'Assembléedoit tou-
jours les respecter.

Je ne peux pas donner mon assentiment à la solution adoptée
par la majorité des membres de la Cour parce qu'ils ont pris en
considération presque uniquement les documents indiqués dans le
numéro I de la demande d'avis. J'estime, en effet, qu'en dehors
de ces éléments il y en a d'autres d'ordre généraltrès importants
dont il faut tenir compte.
C'est pour ce motif que j'exprime une opinion dissidente.

Mon point de départ est que la question soumise à la Cour est
relative à l'organisation internationale établie par la Charte des
Nations Unies ; en conséquence e&eest un problème de politique

et de droit international nouveau qu'il faut résoudre conformément
à ces élémentset d'après un critère nouveau.
Avant de montrer en quoi le problème appartient au droit inter-
national nouveau et la solution qu'il convient de lui donner confor-
mément à ce droit, voyons comment il serait résolud'après le droit
international classique.
Jusqu'en 1914, il n'y avait pas de tribunaux d:arbitrage qui
fonctionnaient de façon permanente mais seulement des arbitres
occasionnels pour trancher des différends sur des matières déter-
minées; il fallait distinguer entre les recours contre les sentences
rendues par ces arbitres et l'exécution de celles-ci.
Pour ce qui concerne les recours, ils étaient prévus dans le

compromis d'arbitrage qui stipulait ordinairement la revision de
la sentence par l'arbitre dans certains cas.
Et pour ce qui a trait à l'exécution de la sentence, la pratique
suivie était son exécution de bonne foi ;mais si elle présentait
des défauts graves, notamment si elle était entachée d'un excès
de pouvoir, la partie intéressée pouvait refuser de l'exécuter.
Ce refus, du reste, pouvait donner lieu à une nouvelle controverse
entre les parties.
Ces précédents des tribunaux d'arbitrage ont fini par donner
naissance à un principe du droit international classique d'après
lequel l'exécution d'une sentence arbitrale peut être refusée si
celle-ci est entachée de graves défauts.

Si on applique le droit international classique au cas actuelle-
ment soumis àla Cobr, la solution n'est pas douteuse :l'Assemblée
des Nations Unies ne doit pas donner suite aux sentences du
tribunal administratif si elle estime que celles-ci sont entachées
d'un vice important.
23 TRIB. .4DM. DES 1;.U. (OP. DISS.DE M. ALVAREZ)
69
Mais maintenant qu'il existe, outre des tribunaux d'arbitrage,
la Cour internationale de Justice qui a un caractère de permanence,
la question de la revision et de l'exécution des sentences arbitrales
doit être résolue en tenant compte des nouvelles conditions de
l'arbitrage ainsi que des nouvelles conditions de la vie internationale

en général.
A cet effet, il faut partir de la base qu'à la suite surtout des
deux derniers cataclvsmes sociaux. il s'est ~roduit dans la vie
des peuples et dans le droit des gens traditionnel ou classique,
des transformations rapides et profondes dont on ne s'est pas
rendu suffisamment compte. En raison de l'ampleur de ces modi-
fications, s'est ouverte une nouvelle époque,une nouvelle ère
dans cette vie et dans ce droit.
Gn rapide exposé de ces transformations va montrer toute
leur importance.
Jusqu'aux deux dernières guerres mondiales, tous les États
formaient une simple communauté,et il n'existait pas entre eux
d'autres liens que ceux qu'ils avaient librement acceptés. Depuis
lors, par suite de diverses circonstances,notamment du nombre de

plusenplus grand des rapports entre Etats, de la complexité et varia-
bilitéderces rapports, de la multiplicité des services internationaux
que les Etats ont créés, ainsique du dynamisme croissant de la vie
des peuples, cette communauté s'est transformée en une véritable
sociétéinternationale qui englobe tous les Etats du monde. Cette
transformation s'est effectuée sans qu'aucune convention ou acte
solennel ait éténécessaire pour la consacrer.
Il existe de grandes différences entre l'ancienne communauté
et la nouvelle société internationale.
Sans m'attarder sur ce sujet, j'indique seulement que dans
celle-ci, la psychologie des peuples s'est profondément modifiée
à un double point de vue. Certains d'entre eux qui, pendant des
siècles, avaient suivi une orientation traditionnellese sont renou-
velés et ont adopté de façon presque soudaine un régimepolitique,
social et économique entièrement différent de celui qu'ils avaient

eu jusqu'alors. Il en a étéainsi, notamment, de la Russie, où
est né le régimedit soviétique. Depuis lors, bien des peuples de
l'Asie, de l'Océanie et de l'Afrique du Nord se sont aussi réveillés
et veulent se libérer de ce qu'ils appellent le joug européen. De la
sorte, aujourd'hui, plus de la moitié du monde a, notamment au
point de vue international, une psychologie bien différente de ce
qu'elle était autrefois.
D'autre part, tous les peuples comprennent actuellement qu'ils ne
sont plus isolésni liésseulement par les actes qu'ils ont librement
acceptés mais qu'ils font partie d'une véritable société plusample
que la sociétécivile à laquelle ils appartiennent, et qui limite
leur souveraineté absolue.
De ce fait, le droit internationclassique qui régissait l'ancienne

communauté s'est modifié à plusieurs points de vue. D'abord, ilétablit, à bien des égards, un nouvel ordre juridique en créant des
droits et obligations que les Etats n'avaient pas autrefois ; ensuite,
le droit des gens a désormais la primauté sur le droit national, ce
qui était contesté auparavant ; enfin, il a subi des changements
considérables dans sa conception et ses donnéesessentielles ; il n'est
plus exclusivement juridique et individualiste, comme le droit inter-
national classique ;il revêtaussi un caractère politique et un carac-
tère social.

Les grandes modifications de la vie internationale et du droit des
gens que je viens d'esquisser ne sont pas l'expression de doctrines
ou de spéculations juridiques, comme on pourrait le croire à pre-
mière vue ; ce sont des faits, des déclarations, des bases, reconnus
par la Charte des Nations Unies, notamment dans son préambule
et dans son chapitre premier.
Le caractère politique du droit international a étéreconnu, au
moins implicitement, par la Troisième Assembléedes Nations Unies
lorsqu'elle a discutél'avis consultatif de la Cour concernant l'admis-
sion de nouveaux membres dans l'organisation des Nations Unies.
Le caractère social que présente actuellement le droit des gens
dérive du nouveau régime d'interdépendance qui s'est fait jour et
tend à remplacer le régime traditionnel individualiste. Par suite de
ce caractère social, ce qu'on peut appeler le nouveau droit inter-
national se propose, notamment, le maintien de la paix et Je déve-

loppement de la confiance et de la coopération parmi les Etats ;il
fait une grande place à l'intérêtgénéralet il condamne l'abus du
droit ; il a aussi un nouvel objectif :le bien-êtrede l'individu et de
la société.
Ce droit social, la Charte en fait l'application dans diverses dis-
positions, notamment dans les chapitres IX à XIV. Il a étéappliqué
aussi dans quelques décisions de la Cour internationale de Justice,
ainsi que dans des travaux de la Commission de codification pour
la réglementation de certaines matières.
Enfin, une autre caractéristique de la société internationale
consiste en ce qu'elle a étéorganisée par la Charte des Nations
Unies. Celle-ci a créé sixorganes principaux, dont notamment,
pour le sujet qui nous occupe, l'Assembléeet le Secrétariat (art. 7).
Et l'article 22 déclare que ccl'Assemblée généralepeut créer les
organes subsidiaires qu'elle juge nécessaires à l'exercice de sa fonc-

tion ».

Les organes principaux jouent le rôle le plus important dans la
nouvelle sociétéinternationale ;c'est en eux qu'est concentrée pres-
que toute l'activité de celle-ci. Les organes subsidiaires sont seule-
ment chargés d'aider les organes principaux à remplir leur mission.
Un fait sur lequel il faut insister spécialement est que les organes
et institutions crééspar la Charte - comme, du reste, toutes les
institutions sociales - évoluent plus ou moins rapidement con-formément aux nouvelles conditions de la vie des peuples ; cette
évolution est aujourd'hui une véritable loi sociologique ou sociale.
Je ne considérerai ici, pour le sujet qui nous occupe, que l'évolu-
tion de l'Assembléedes Nations Unies. Cette évolution est marquée
par plusieurs manifestations, qui transforment ladite Assemblée en
un organe législatif tout puissant.

D'abord, elle tend à avoir des sessions presque continues.
Ensuite, elle commence à devenir un véritable pouvoir législatif
international car elle adopte, outre desrecommandationsaux États,
des résolutionsdont les dispositions sont obligatoires pour tous
ceux-ci. Ce fait est d'une grande importance pour l'avenir du droit
des gens.
Bien des publicistes et hommes d'État souhaitent la création
d'un pouvoir législatif international : ce pouvoir existe déjà, en
réalité.
Une troisième tendance de l'Assemblée des Nations Unies est
d'intervenir de plus en plus dans la solution des grands problèmes
internationaux qui se présentent. Actuellement, chaque fois qu'une
situation difficile apparaît dans la vie internationale, on songe à
soumettre son examen à l'Assemblée desNations Unies.
Une quatrième tendance concerne la formation, au sein de

cette Assemblée, d'une psychologie spéciale en matière interna-
tionale. En effet, lorsque les Etats se réunissent dans cette Assem-
blée, sauf dans le cas où leurs intérêts vitaux sont en jeu, il se
développe dans celle-ci la conscience juridique des p~uples et, avec
elle. la nouvelle notion du droit et de la iustice.
Cette conscience donne naissance soit à des principes juridiques,
c'est-à-dire dont on peut exiger l'observation ; ce sont alors les
principes du droit social ou plus exactement du droit d'inter-
déflendancesociale international, soit seulement à des principes
de morale : c'est la justice sociale internationale. Ces derniers
principes peuvent devenir des principes de droit par desrésolutions
de l'Assemblée desNations Unies ou par des décisions de certains
organes internationaux, notamment la Cour internationale de
Justice qui, dans une matière donnée, peuvent déclarer que tel

principe de justice sociale internationale doit recevoir une consé-
cration positive et être appliqué comme droit en vigueur.
Enfin, l'Assemblée des Nations Unies dans ses travaux et
résolutions tend à s'inspirer de la notion de droit social et de
justice sociale internationale, comme il vient d'être dit.

Ce caractère, cette omnipotence acquis par l'Assemblée des
Nations Unies s'explique par le fait que dans son sein se trouvent
représentés, de manière presque permanente, la plupart des pays
du monde, alors qu'il n'en était pas ainsi autrefois. TRIB. .4DM. DES N. U. (OP. DISS. DE M. ALVAREZ)
72
Cette d assembléeest le summum du pouvoir ; elle n'est liée
que par la Charte qui l'a établie ou par les résolutions qu'elle-
même a adoptées. Au-dessus de l'Assemblée, il n'y a que les
forces morales, notamment l'opinion publique qui peut blamer
ses actes si elle les estime critiquables.

Une conséquence logique et pratique des faits précédents est
que tenter de limiter le pouvoir de l'Assemblée des Nations Unies,
c'est aller contre les réalitésde la vie internationale.
Une autre conséquence très importante est que, à l'avenir,
dans la solution des problèmes internationaux qui se présentent,
il ne faut plus s'attacher, comme on l'a fait jusqu'ici - et comme
l'ont fait divers gouvernements dans leurs opinions dont j'ai
parlé plus haut -, à l'examen des précédents diplomatiques des
sentences internationales ou des travaux préparatoires et des
opinions émises par des délégués au cours de ces travaux. Dans

la vie internationale, il ne faut plus regarder en arrière, ce qui
pouvait s'expliquer quand cette vie n'évoluait presque pas ;il faut
regarder en avant en raison du dynamisme de cette vie.

III

Les grandes transformations de la vie internationale et du
droit des gens que je viens d'indiquer sommairement sont d'une
telle importance qu'elles doivent être prises spécialement en
considération pour résoudre la question posée à la Cour.

D'abord, pour ce qui concerne la formation du tribunal admi-
nistratif, elle résulte du fait que le Secrétariat des Nations Unies
comprend plusieurs milliers de fonctionnaires engagés par des
contrats, lesquels peuvent donner lieu à des contestations de la
part tant du Secrétariat que des fonctionnaires. Or, celles-ci ne
sont pas tranchées par l'Assemblée des Nations Unies, ce qui
alourdirait considérablement ses fonctions, ni par la Cour inter-
nationale de Justice, ce qui accroîtrait sensiblement sa tâche,
ni par un autre tribunal. L'Assemblée a estimé nécessaire alors
de créer, conformément à l'article 22 de la Charte, un organe

subsidiaire.
Certains gouvernements, dans leurs opinions, et la Cour elle-
même, se sont attachés longuement à prouver que l'Assemblée
avait la faculté de créer cet organe, ce qui, à mon sens, est évident
en raison de l'article22 précitéet de l'omnipotence de l'Assemblée.

Le titre de cet organe est très significatif : (Tribunal adminis-
tratif des Nations Unies )).
11s'agit bien d'un tribunal et non pas - comme le prétendent
quelques gouvernements - d'un simple Conseil de l'Assemblée,

parce que, d'après son statut, il rend des sentences exécutoires ;
cependant, il n'est pas un tribunal judiciaire mais un tribunal
administratif parce qu'il s'occupe seulement de questions déter-minées de cet ordre et qui sont, en premier lieu, du ressort de
l'Assemblée qui l'a créé pour l'aider dans sa mission.

Les membres de ce tribunal sont nommés par l'Assemblée et
son statut a étéétabli par elle.

Il va de soi que ce tribunal n'a pas d'autres attributions que
celles qui lui ont été conféréesexpressément par l'Assemblée ;
elles se trouvent indiquées dans l'article 2 de son statut : il est
spécialement chargé de régler les différends relatifs aux contrats
d'engagement passés entre le Secrétariat et les fonctionnaires
des Nations Unies.

L'article IO, no 2, du statut établit que ((les jugements sont défi-
nitifs et sans appel ); et l'article g dispose : (lorsqu'il y a lieu à
indemnité, celle-ci est fixéepar le tribunal et verséepar l'organisa-
tion des Nations Unies ...».
Il est digne de remarque que le statut du tribunal administratif
n'indique aucun moyen de recours contre ses sentences ni comment
elles doivent êtreexécutées.
Un contraste apparaît donc à cet égard entre ce tribunal et la
Cour internationale de Justice.

Les arrêts de celle-ci, qui est l'organe judiciaire principal des
Nations Unies (art. 92 de la Charte), ((sont définitifset sans recours ))
(art. 60 du Statut de la Cour),mais ils peuvent êtrerevisés ouinter-
prétéspar ce tribunal dans certains cas (art. 60-61 de ce Statut).

Pour ce qui concerne l'exécution des sentences de la Cour, la
partie intéresséepeut, d'après l'article 94 de la Charte, s'adresser
au Conseil de Sécurité,lequel, <(s'il le juge nécessaire,peut faire des

recommandations ou décider des mesures à prendre pour faire exé-
cuter l'arrêt D.
De la sorte, l'exécution des sentences de la Cour dépend du
Conseil de Sécurité,lequel peut décider à son égard, comme il vient
d'êfre dit.
Etant donné que le statut du tribunal administratif ne contient
aucune disposition concernant la revision de ses sentences et leur
exécution, celles-ci obligent-elles automatiquement l'Assemblée,de
sorte qu'elle doit toujours les exécuter, mêmesi elles sont entachées

d'un vice manifeste, tel qu'excès de pouvoir, injustice notoire ?
Évidemment non.
On ne peut admettre qu'un organe principal des Nations Pnies,
comme l'Assemblée, dont les pouvoirs sont très étendus, doive exé-
cuter passivement toutes les sentences du tribunal qu'elle a créé.
Elle ne doit le faire que si celui-ci est resté dans les limites de ses
attributions. Si l'Assemblée estime que le tribunal a commis un
excès de pouvoir, par exemple qu'il a accordé une indemnité plus
élevéeque celle réclamée, ouque l'indemnité a été attribuée sans

motifs valables, ou que ledit tribunal a commis un abus du droit,
30 etc., alors il n'y a pas de doute que l'Assembléepeut refuser d'exé-
cuter la sentence en n'inscrivant pas le montant de l'indemnité au
budget de l'O. N. U. ;mais elle doit, dans ce cas, indiquer expressé-
ment lesmotifsde son refus, autrement son attitude serait critiquable.

Comme je l'ai dit plus haut, c'est un principe du droit interna-
tional classique - et aussi du droit international actuel - que les
sentences des tribunaux n'obligent pas quand elles sont entachées
d'un vice, notamment d'un excès de pouvoir et, par suite, que leur
exécution peut êtrerefusée. Pour qu'elles obligent dans un tel cas,
il faudrait une disposition expresse de l'acte constitutif du tribunal.
Or, il n'en existe pas pour ce qui concerne le tribunal administratif.

On peut parfaitement appliquer ici ce qu'a dit cette Cour dans
son avis consultatif relatif à la réparation des dommages subis

au service des Nations Unies et qu'elle cite dans le présent avis à
l'appui d'autres affirmations :((Selon le droit international, l'Orga-
nisation (l'Assembléedans le cas actuel) doit êtreconsidéréecomme
possédant ces pouvoirs qui, s'ils ne sont pas énoncésdans la Charte,
sont, par une conséquence nécessaire, conférés à l'organisation en
tant qu'essentiels àl'exercice des fonctions de celle-ci » (avis consul-
tatif, C. 1.J. Recueil 1949, p. 182).

L'Assembléedes Nations Unies qui, comme il a étédit plus haut,
doit s'inspirer danstous ses actesde la notion de justice sociale inter-
nationale, ne peut pas accepter passivement de donner suite aux
sentences d'un organe subsidiaire qu'elle a créé sicelles-ci sont

entachées d'un vice manifeste.
D'autre part, les décisions de ce tribunal, en raison de sa nature,
n'ont pas la mêmeportée à l'égard du demandeur qu'à l'égard
du défendeur, ou de l'Assemblée des Nations Unies. Elles
lient le demandeur, car il s'est adressé à ce tribunal spéciale-
ment créépour examiner ses réclamations et qui, du reste, est
le seul existant dans ce but ;mais ces décisions ne lient pas l'As-
semblée qui peut refuser de les exécutersi elle estime qu'il y a
des motifs justifiés pour cela. En agissant de la sorte, l'Assemblée
ne s'érige pas en tribunal d'appel ; elle ne procède pas, non plus,
à une revision de sentence : elle exerce seulement le droit qu'elle

a de surveiller l'exécution des jugements du tribunal administratif
qu'elle a créé. Nierce droit équivaudrait à placer ce tribunal au-
dessus de l'Assemblée, ce qui est inadmissible.75 TRIB. ADM. DES N. U. (OP. DISS.DE M. .%LV.%REZ)

Un cas concret peut se présenter qui justifie amplement l'affir-
mation précédente : c'est le cas inverse de celui qu'on considère
ordinairement. Supposons que l'Assemblée estime très justifiée
une réclamation que le tribunal administratif a déclaré irrece-
vable. Peut-on soutenir que l'Assemblée n'a pas le droit d'ad-
mettre cette réclamation ? Poser la question est la résoudre.

On peut aussi envisager le cas où un changement considérable

survient dans la vie économique ou sociale depuis le prononcé
de la sentence et avant son exécution et modifie entièrement la
portée de celle-ci, par exemple que le dollar, monnaie dans laquelle
a étéfixéle montant d'une indemnité, subisse brusquement une
forte baisse ou une forte hausse, modifiant sensiblement la valeur
réelle de l'indemnité. L'Assemblée doit-elle rester passive ? Ne
doit-elle pas pouvoir renvoyer l'affaire devant le tribunal afin
qu'il fasse les ajustements nécessaires ou effectuer elle-même
ces ajustements ?-
Enfin, il peut arriver qu'une indemnité ait étérégulièrement
accordée mais que l'Assembléen'ait pas de fonds disponibles pour
la payer ; elle doit alors décider comment ce versement devra être
effëctÜépar la suite.

L'Assemblée doit inscrire dans le budget des Nations Unies
comme dépenses : d'abord, toutes celles relatives aux organismes
créés par la Charte,car elle doit respecter les dispositions de celle-ci
ensuite, toutes les autres dépenses qu'elle a estimé nécessaires,
ainsique celles résultant de l'exécution des obligations qu'a contrac-
tées l'organisation; enfin, les indemnités qui doivent êtrepayées
en vertu des sentences du tribunal administratif qu'elle estime
justifiées.

En somme, l'Assemblée est souveraine en ce qui concerne
l'établissement et le vote du budget de 1'0. N. U. ;il n'y a aucun
recours contre ses décisions et la seule sanction de ses actes est

le blâme de l'opinion publique.
En raison des considérations précédentes,je donne les réponses
suivantes aux questions posées à la Cour:
En ce qui concerne le no 1,j'estime que l'Assembléegénérale
a le droit de refuser d'exécuter un jugement du tribunal admi-
nistratif des Nations Unies si elle considère que des motifs graves

justifient ce refus.
Et pour ce qui concerne le no 2,j'estime que les motifs de refus
que l'Assemblée peut faire valoir sont, notamment, l'excès de
pouvoir du tribunal, une injustice manifeste contraire surtout à
la notion de justice sociale internationale ou une violation des
grands principes du droit international.

(Signé A). ALVAREZ.

32

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OPIKION DISSIDENTE DE M. ALVAREZ

La question soumise par l'Assembléedes Nations Unies à la Cour
internationale de Justice pour avis consultatif, relative aux effets
des jugements du tribunal administratif accordant des indemnités

à certains fonctionnaires; est poséedans des termes très précisqui
limitent considérablement sa portée.

L'Assembléegénéraledemande, dans le numéro I de sa requête,si,
d'après le statut du tribunal administratif et tout autre instrument
juridique ou texte pertinents, elle a le droit, pour une raison quel-
conque, de refuser d'exécuter un jugement de ce tribunal accordarit
une indemnité à un fonctionnaire des Nations Unies ;.et dans le
numéro 2, elle demande, si la Cour répond affirmativement à la
question précédente,quels sont les principaux motifs sur lesquels
elle peut se fonder pour exercer légitimement son droit.

La question présente cependant un caractère plus général en
raison du troisième considérant de la demande d'avis où il est dit :
« Considérant, cependant, qu'au cours des débats que la Cinquième
Commission a consacrés à cette ouverture de crédits (pour payer
les indemnités accordées par le tribunal administratif), d'impor-
tantes questions juridiques ont étésoulevées ...))
L'Assemblée généraledemande, en réalité, si en dehors des
textes précisindiquésau numéro 1,ily a d'autres considérations ou
motifs sur lesquels ellepeut fonder son refus d'exécuter unesentence
du tribunal administratif.

Il importe donc d'indiquer s'il existe de tels considérations ou

motifs ; ils peuvent êtrenon seulement juridiques mais aussi politi-
ques, car la question présente ce double caractère.
Parmi les gouvernements auxquels le Greffier .de la Cour avait
donné connaissance de la présente demande d'avis, conformément
àl'article 66 du Statut de la Cour, ceux qui ont exprimé leur opinion
par écrit, et quelques-uns oralement devant ce tribunal, se sont
basés non seulement sur les documents auxquels se réfère le numé-
ro 1, mais aussi sur des considérations juridiques ou d'un caractère
plus général.
Ces opinions font apparaître que deux thèses sont en présence :

A. - Le tribunal administratif créépar l'Assembléeder Nations
Unies est un organe subsidiaire de celle-ci, laquelle, par suite, n'est
pas liéepar ses décisions. DISSENTING OPINION BY JUDGE ALVAREZ
[Translation]

The question referred to the International Court of Justice
by the General Assembly of the United Nations for an Advisory
Opinion in the matter of the Effect of Awards of Compensation
made by the United Nations Administrative Tribunal in favour

of certain staff members is drafted in very precise terms which
considerably limit its scope.
In Question (1) of the Request for an Advisory Opinion, the
General Assembly asks whether, having regard to the Statute
of the Administrative Tribunal and any other relevant legal instru-
ment or to the relevant records. it has the right on any grounds
to refuse to give effect to an award of compensation made by the
Tribunal in favour of a staff member of the United Nations ;and
in Question (2)it asks, if the answer given bythe Court to Question
(1) is in the affirmative, what are the principal grounds upon which
the General Assembly could lawfully exercise its right.
The question however is more general in character by reason
of the third recital in the Request for an Opinion, which reads as
follows : "Considering, nevertheless, that important legal questions
have been raised in the course of debate in the Fifth Committee
with respect to that appropriation (for the purpose of covering the

awards made by the Administrative Tribunal) ...."
What the General Assembly is really asking is whether, apart
from the specific texts indicated in Question (1),there are other
considerations or grounds upon which the General Assernbly could
exercise a right to refuse to give effect to an award of compensation
made by the Administrative Tribunal.
It becomes necessary, therefore, to indicate these considerations
or grounds ; they may be not only legal but also political, for the
question presents this two-fold character.
Some of the Governments to which the Registrar of the Court,
in accordance with Article 66 of the Statute of the Court, had
communicated the present Request for an Opinion, relied in their
Written Statements, or in oral statements made before the Court,
not only on the documents referred to in Question (1) but also on
legal considerations or considerations of a more general character.

The opinions thus expressed show that there are two conflicting
views :
A.-The Administrative Tribunal, estabcished by the Assembly
of the United Nations, is a subsidiary organ of the Assembly and
accordingly the Assembly is not bound by the decisions of the
Tribunal.

2468 TRIB. ADM. DES N. U. (OP. DISS. DE M.ALVAREZ)

B. - Le tribunal administratif est un véritable tribunal dont
les sentences sont exécutoires, de sorte que l'Assembléedoit tou-
jours les respecter.

Je ne peux pas donner mon assentiment à la solution adoptée
par la majorité des membres de la Cour parce qu'ils ont pris en
considération presque uniquement les documents indiqués dans le
numéro I de la demande d'avis. J'estime, en effet, qu'en dehors
de ces éléments il y en a d'autres d'ordre généraltrès importants
dont il faut tenir compte.
C'est pour ce motif que j'exprime une opinion dissidente.

Mon point de départ est que la question soumise à la Cour est
relative à l'organisation internationale établie par la Charte des
Nations Unies ; en conséquence e&eest un problème de politique

et de droit international nouveau qu'il faut résoudre conformément
à ces élémentset d'après un critère nouveau.
Avant de montrer en quoi le problème appartient au droit inter-
national nouveau et la solution qu'il convient de lui donner confor-
mément à ce droit, voyons comment il serait résolud'après le droit
international classique.
Jusqu'en 1914, il n'y avait pas de tribunaux d:arbitrage qui
fonctionnaient de façon permanente mais seulement des arbitres
occasionnels pour trancher des différends sur des matières déter-
minées; il fallait distinguer entre les recours contre les sentences
rendues par ces arbitres et l'exécution de celles-ci.
Pour ce qui concerne les recours, ils étaient prévus dans le

compromis d'arbitrage qui stipulait ordinairement la revision de
la sentence par l'arbitre dans certains cas.
Et pour ce qui a trait à l'exécution de la sentence, la pratique
suivie était son exécution de bonne foi ;mais si elle présentait
des défauts graves, notamment si elle était entachée d'un excès
de pouvoir, la partie intéressée pouvait refuser de l'exécuter.
Ce refus, du reste, pouvait donner lieu à une nouvelle controverse
entre les parties.
Ces précédents des tribunaux d'arbitrage ont fini par donner
naissance à un principe du droit international classique d'après
lequel l'exécution d'une sentence arbitrale peut être refusée si
celle-ci est entachée de graves défauts.

Si on applique le droit international classique au cas actuelle-
ment soumis àla Cobr, la solution n'est pas douteuse :l'Assemblée
des Nations Unies ne doit pas donner suite aux sentences du
tribunal administratif si elle estime que celles-ci sont entachées
d'un vice important.
23 B.-The Administrative Tribunal is a real tribunal whose awards

are binding and therefore the Assembly must always respect them.

1am unable to concur in the opinion of the majority of the Court
because they have relied almost exclusively on the documents
indicated in Question (1)of the Request for an Opinion. 1, for my

part, consider that apart from these elements there are other ver?
important elements of a general character which must also be
taken into account.
Itis for this reason that 1 have appended my dissenting opinion
to the opinion of the Court.

My basic assumption is that the question referred to the Court
relates to the international organization established by the Charter
of the United Nations ; it is therefore a problem of politics and of
the new international law, which must be resolved in accordance
with those elements and having regard to a new criterion.
Before we showin what respect the problem belongs to the domain
of the new international law and before we deal 6th the solution
which should be given to it in accordance with that law, let us
consider how it would be resolved by classical international law.
Before 1914 there were no arbitral tribunals operating on a
permanent basis; there were merely occasional arbitrators who
adjudicated upon disputes regarding specific matters. A distinction
had to be made between appeals against such awards and their
performance.
As regards appeal, this was provided for in the arbitration
agreement, which usually stipulated that revision might be under-

taken by the arbitrator in certain cases.
And as regards the performance of the award, the practice was
that it was carried out in good faith ; but if it contained grave
defects and in particular if the arbitrator had acted ultra vires, the
party concemed could refuse to give effect to the award. Such a
refusal, moreover, might give rise to a new dispute between the
parties.
These precedents of arbitral tribunals finally gave rise to a
pnnciple of classical international law to the effect that a party
might refuse to give effect to an arbitral award if the award
contained grave defects.
If classical internationallaw is applied to the case now before
the Court, there can be no doubt as to the solution : the General
Assembly of the United Nations must not give effect to awards
of the Administrative Tribunal if it considers that they are vitiated
by some important defect. TRIB. .4DM. DES 1;.U. (OP. DISS.DE M. ALVAREZ)
69
Mais maintenant qu'il existe, outre des tribunaux d'arbitrage,
la Cour internationale de Justice qui a un caractère de permanence,
la question de la revision et de l'exécution des sentences arbitrales
doit être résolue en tenant compte des nouvelles conditions de
l'arbitrage ainsi que des nouvelles conditions de la vie internationale

en général.
A cet effet, il faut partir de la base qu'à la suite surtout des
deux derniers cataclvsmes sociaux. il s'est ~roduit dans la vie
des peuples et dans le droit des gens traditionnel ou classique,
des transformations rapides et profondes dont on ne s'est pas
rendu suffisamment compte. En raison de l'ampleur de ces modi-
fications, s'est ouverte une nouvelle époque,une nouvelle ère
dans cette vie et dans ce droit.
Gn rapide exposé de ces transformations va montrer toute
leur importance.
Jusqu'aux deux dernières guerres mondiales, tous les États
formaient une simple communauté,et il n'existait pas entre eux
d'autres liens que ceux qu'ils avaient librement acceptés. Depuis
lors, par suite de diverses circonstances,notamment du nombre de

plusenplus grand des rapports entre Etats, de la complexité et varia-
bilitéderces rapports, de la multiplicité des services internationaux
que les Etats ont créés, ainsique du dynamisme croissant de la vie
des peuples, cette communauté s'est transformée en une véritable
sociétéinternationale qui englobe tous les Etats du monde. Cette
transformation s'est effectuée sans qu'aucune convention ou acte
solennel ait éténécessaire pour la consacrer.
Il existe de grandes différences entre l'ancienne communauté
et la nouvelle société internationale.
Sans m'attarder sur ce sujet, j'indique seulement que dans
celle-ci, la psychologie des peuples s'est profondément modifiée
à un double point de vue. Certains d'entre eux qui, pendant des
siècles, avaient suivi une orientation traditionnellese sont renou-
velés et ont adopté de façon presque soudaine un régimepolitique,
social et économique entièrement différent de celui qu'ils avaient

eu jusqu'alors. Il en a étéainsi, notamment, de la Russie, où
est né le régimedit soviétique. Depuis lors, bien des peuples de
l'Asie, de l'Océanie et de l'Afrique du Nord se sont aussi réveillés
et veulent se libérer de ce qu'ils appellent le joug européen. De la
sorte, aujourd'hui, plus de la moitié du monde a, notamment au
point de vue international, une psychologie bien différente de ce
qu'elle était autrefois.
D'autre part, tous les peuples comprennent actuellement qu'ils ne
sont plus isolésni liésseulement par les actes qu'ils ont librement
acceptés mais qu'ils font partie d'une véritable société plusample
que la sociétécivile à laquelle ils appartiennent, et qui limite
leur souveraineté absolue.
De ce fait, le droit internationclassique qui régissait l'ancienne

communauté s'est modifié à plusieurs points de vue. D'abord, il But now that, in addition to arbitral tribunals, the International
Court of Justice, which is permanent in character, has come into
existence, the question of the review and performance of arbitral
awards must be resolved, having regard to the new conditions of
arbitration as well as to the new conditions of international life
in general.
In this connection, itis necessary to proceed on the basic assump-
tion that, following the last two social cataclysms in particular,

rapid and profound transformations have occurred in the life of
peoples and in the traditional or classical international law, which
have not been sufficiently appreciated. By reason of the extent of
these changes, a new epoch, a new era has opened in the life of
peoples and in the traditional or classical international law.
A rapid review of these transformations will serve to show how
important they are.
Until the two last world wars, al1 the States formed a mere
community and there existed between them no links other than
those which had been freely accepted. Since then, and as a result
of a number of circumstances, particularly the ever-increasing
relations between States, the complexity and variety of those
relations, the great number of international services created by the
States, as well as the increasing dynamism of the life of peoples,
this community has been transformed into a real interrzationalsociety
which includes al1 the States of the world. This transformation
has taken place without any convention or solemn act beingrequired
for that purpose.
There are great differences between the old community and the
new international society.

Without expatiating on this point, 1 shall merely indicate that
in the new international society the psychology of peoples haç
been deeply modified from a two-fold point of view. Certain peoples
who for centuries had followed a traditional course, adopted new
ways of life and embraced, almost abruptly, a political, social and
economic régime which was entirely different from the one that
had hitherto prevailed. This is particularly true of Russia, where
the Soviet regime was born. Since that time there has also been
an awakening among many peoples of Asia, Oceania and North
Africa who are desirous of casting off what they cal1the European
yoke. In this way more than half of the world to-day has, particu-
larly from the international point of view, a psychology which is
very different from what it formerly was.
Furthermore, al1 the peoples now understand that they are no
longer isolated or bound only by the instruments which they have
freely accepted, but that they are a part of a real society which is
broader than the civil community to which they belong and which
limits their absolute sovereignty.
As a result. the classical international law which governed the
old community has been i~c)dified from several points of view.établit, à bien des égards, un nouvel ordre juridique en créant des
droits et obligations que les Etats n'avaient pas autrefois ; ensuite,
le droit des gens a désormais la primauté sur le droit national, ce
qui était contesté auparavant ; enfin, il a subi des changements
considérables dans sa conception et ses donnéesessentielles ; il n'est
plus exclusivement juridique et individualiste, comme le droit inter-
national classique ;il revêtaussi un caractère politique et un carac-
tère social.

Les grandes modifications de la vie internationale et du droit des
gens que je viens d'esquisser ne sont pas l'expression de doctrines
ou de spéculations juridiques, comme on pourrait le croire à pre-
mière vue ; ce sont des faits, des déclarations, des bases, reconnus
par la Charte des Nations Unies, notamment dans son préambule
et dans son chapitre premier.
Le caractère politique du droit international a étéreconnu, au
moins implicitement, par la Troisième Assembléedes Nations Unies
lorsqu'elle a discutél'avis consultatif de la Cour concernant l'admis-
sion de nouveaux membres dans l'organisation des Nations Unies.
Le caractère social que présente actuellement le droit des gens
dérive du nouveau régime d'interdépendance qui s'est fait jour et
tend à remplacer le régime traditionnel individualiste. Par suite de
ce caractère social, ce qu'on peut appeler le nouveau droit inter-
national se propose, notamment, le maintien de la paix et Je déve-

loppement de la confiance et de la coopération parmi les Etats ;il
fait une grande place à l'intérêtgénéralet il condamne l'abus du
droit ; il a aussi un nouvel objectif :le bien-êtrede l'individu et de
la société.
Ce droit social, la Charte en fait l'application dans diverses dis-
positions, notamment dans les chapitres IX à XIV. Il a étéappliqué
aussi dans quelques décisions de la Cour internationale de Justice,
ainsi que dans des travaux de la Commission de codification pour
la réglementation de certaines matières.
Enfin, une autre caractéristique de la société internationale
consiste en ce qu'elle a étéorganisée par la Charte des Nations
Unies. Celle-ci a créé sixorganes principaux, dont notamment,
pour le sujet qui nous occupe, l'Assembléeet le Secrétariat (art. 7).
Et l'article 22 déclare que ccl'Assemblée généralepeut créer les
organes subsidiaires qu'elle juge nécessaires à l'exercice de sa fonc-

tion ».

Les organes principaux jouent le rôle le plus important dans la
nouvelle sociétéinternationale ;c'est en eux qu'est concentrée pres-
que toute l'activité de celle-ci. Les organes subsidiaires sont seule-
ment chargés d'aider les organes principaux à remplir leur mission.
Un fait sur lequel il faut insister spécialement est que les organes
et institutions crééspar la Charte - comme, du reste, toutes les
institutions sociales - évoluent plus ou moins rapidement con- U.X. ADM. TRIB. (DISS. OP. BY JUDGE .~LVAREZ)
7O
First, it has established, in many respects, a new legal order by
creating certain rights and duties which States did not formerly
have ; secondly, international law must henceforth have primacy
over national law, a fact which was formerly challenged ;and finally,
international law has undergone considerable change in so far as

the concept of that law and its essential facts are concerned; it
is no longer exclusivelj7 juridical and individzdalistic,as was classical
international law ;it now assumes a political and social character
as well.
The profound modifications in international life and in inter-
national law which 1 have just outlined are not the mere expression
of doctrine or legal speculation, as might be thought at first sight ;
what are involved are facts, declarations, and bases recognized by
the Charter of the United Nations, particularly in its Preamble
and in Chapter 1.
The political character of international law has been recognized,
at least by implication, by the Third Assembly of the United
Nations, when it debated the Advisory Opinion of the Court in the
matter of the Admission of New Members to the United Nations.
The social character of the international law of to-day is a result

of the new régimeof inter-dependencewhich has emerged and which
tends to replace the traditional individualistic régime. Having
regard to this social character, what may be called the new inter-
national law is particularly concerned with the maintenance of
peace and the development of confidence and CO-operationbetween
States ; it assigns an important place to the general interest and
condemns abus du droit; it also has a new aim : the well-being of
the individual and of society.
The Charter applies this social law in a number of its provisions,
particularly in Chapters IX to XIV. It was also applied in some
of the decisions of the International Court of Justice and in the
work of the Codification Commission in the preparation of regu-
lations governing certain matters.
Finally, a further characteristic of the international society is
that it has been organized by the Charter of the United Nations.

The Charter has established six principal organs, including,
with particular reference to the matter we are considering, the
General Assembly and the Secretariat (Art. 7). And Article 22
provides that "The General Assembly may establish such sub-
sidiary organs as it deems necessary for the performance of its
functions".
The principal organs play the most important part in the new
international society ; almost al1 the activity of that society is
concentrated in those organs. The only purpose of the subsidiary
organs is to assist the principal organs to discharge their duties.
One fact must be particularly stressed and that is that the
organs and agencies established by the Charter-as, indeed, al1
social institutions-evolve more or less rapidly in accordance

27formément aux nouvelles conditions de la vie des peuples ; cette
évolution est aujourd'hui une véritable loi sociologique ou sociale.
Je ne considérerai ici, pour le sujet qui nous occupe, que l'évolu-
tion de l'Assembléedes Nations Unies. Cette évolution est marquée
par plusieurs manifestations, qui transforment ladite Assemblée en
un organe législatif tout puissant.

D'abord, elle tend à avoir des sessions presque continues.
Ensuite, elle commence à devenir un véritable pouvoir législatif
international car elle adopte, outre desrecommandationsaux États,
des résolutionsdont les dispositions sont obligatoires pour tous
ceux-ci. Ce fait est d'une grande importance pour l'avenir du droit
des gens.
Bien des publicistes et hommes d'État souhaitent la création
d'un pouvoir législatif international : ce pouvoir existe déjà, en
réalité.
Une troisième tendance de l'Assemblée des Nations Unies est
d'intervenir de plus en plus dans la solution des grands problèmes
internationaux qui se présentent. Actuellement, chaque fois qu'une
situation difficile apparaît dans la vie internationale, on songe à
soumettre son examen à l'Assemblée desNations Unies.
Une quatrième tendance concerne la formation, au sein de

cette Assemblée, d'une psychologie spéciale en matière interna-
tionale. En effet, lorsque les Etats se réunissent dans cette Assem-
blée, sauf dans le cas où leurs intérêts vitaux sont en jeu, il se
développe dans celle-ci la conscience juridique des p~uples et, avec
elle. la nouvelle notion du droit et de la iustice.
Cette conscience donne naissance soit à des principes juridiques,
c'est-à-dire dont on peut exiger l'observation ; ce sont alors les
principes du droit social ou plus exactement du droit d'inter-
déflendancesociale international, soit seulement à des principes
de morale : c'est la justice sociale internationale. Ces derniers
principes peuvent devenir des principes de droit par desrésolutions
de l'Assemblée desNations Unies ou par des décisions de certains
organes internationaux, notamment la Cour internationale de
Justice qui, dans une matière donnée, peuvent déclarer que tel

principe de justice sociale internationale doit recevoir une consé-
cration positive et être appliqué comme droit en vigueur.
Enfin, l'Assemblée des Nations Unies dans ses travaux et
résolutions tend à s'inspirer de la notion de droit social et de
justice sociale internationale, comme il vient d'être dit.

Ce caractère, cette omnipotence acquis par l'Assemblée des
Nations Unies s'explique par le fait que dans son sein se trouvent
représentés, de manière presque permanente, la plupart des pays
du monde, alors qu'il n'en était pas ainsi autrefois. U.N. ADJI. TRIB. (DISS. OP. BY JUDGE .~LV.~REZ)
7 1
with the new conditions of the life of peoples ; this evolutioil
to-day constitutes a real sociological or social law.
As regards the subject we are here considering, 1 shall confine
myself to the evolution of the General Assembly of the United
Nations. This evolution is characterized by a number of factors
which transform the Assembly into an all-powerful legislative
organ.
First, the Assembly tends to be in almost permanent session.

Secondly, the Assembly is becoming a real international legis-
lative power for, apart from recommendations made to States, it
adopts resolutions whose provisions are binding on them all. This
fact is of great importance for the future of international law.

A number of publicists and statesmen have expressed the desire
for the establishment of an international legislative power : in
fact such a power already exists.
A third tendency of the Assembly of the United Nations is to
intervene more and more in the solution of the great international
problems which arise. To-day, whenever a difficult situation presents
itself in international life, its reference to the General Assembly
for consideration is always envisaged.
A fourth tendency relates to the formation, within that Assembly,
of a special psychology in international matters. Indeed, when

the States meet in the Assembly-except in cases involving their
vital interests-the juridical conscience of peoples is developed
there, along with the new conception of law and of justice.

This conscience gives rise either to legal principles-in other
words, principles whose observation can be required, and they are
then principles of social law or more properly, of the international
law of social inter-dependence-or merely to moral principles, and
these constitute international social justice. The latter may become
principles of law by means of resolutions of the General Assembly
of the United Nations, or by decisions of certain international
organs, such as the International Court of Justice, which, in respect
of a given matter, may declare that a certain principle of inter-
national social justice should be established in positive terms and
applied as the law in force.

And, finally, the General Assembly of the United Nations tends
to be guided by the notion of social law and international social
justice in its work and resolutions, as has already been pointed
out above.
This character, this omnipotence which has been acquired by
the General Assembly of the United Nations is to be explained by
the fact that it is made up almost permanently of representatives
of most of the countries of the world, whereas this was not formerly
the case. TRIB. .4DM. DES N. U. (OP. DISS. DE M. ALVAREZ)
72
Cette d assembléeest le summum du pouvoir ; elle n'est liée
que par la Charte qui l'a établie ou par les résolutions qu'elle-
même a adoptées. Au-dessus de l'Assemblée, il n'y a que les
forces morales, notamment l'opinion publique qui peut blamer
ses actes si elle les estime critiquables.

Une conséquence logique et pratique des faits précédents est
que tenter de limiter le pouvoir de l'Assemblée des Nations Unies,
c'est aller contre les réalitésde la vie internationale.
Une autre conséquence très importante est que, à l'avenir,
dans la solution des problèmes internationaux qui se présentent,
il ne faut plus s'attacher, comme on l'a fait jusqu'ici - et comme
l'ont fait divers gouvernements dans leurs opinions dont j'ai
parlé plus haut -, à l'examen des précédents diplomatiques des
sentences internationales ou des travaux préparatoires et des
opinions émises par des délégués au cours de ces travaux. Dans

la vie internationale, il ne faut plus regarder en arrière, ce qui
pouvait s'expliquer quand cette vie n'évoluait presque pas ;il faut
regarder en avant en raison du dynamisme de cette vie.

III

Les grandes transformations de la vie internationale et du
droit des gens que je viens d'indiquer sommairement sont d'une
telle importance qu'elles doivent être prises spécialement en
considération pour résoudre la question posée à la Cour.

D'abord, pour ce qui concerne la formation du tribunal admi-
nistratif, elle résulte du fait que le Secrétariat des Nations Unies
comprend plusieurs milliers de fonctionnaires engagés par des
contrats, lesquels peuvent donner lieu à des contestations de la
part tant du Secrétariat que des fonctionnaires. Or, celles-ci ne
sont pas tranchées par l'Assemblée des Nations Unies, ce qui
alourdirait considérablement ses fonctions, ni par la Cour inter-
nationale de Justice, ce qui accroîtrait sensiblement sa tâche,
ni par un autre tribunal. L'Assemblée a estimé nécessaire alors
de créer, conformément à l'article 22 de la Charte, un organe

subsidiaire.
Certains gouvernements, dans leurs opinions, et la Cour elle-
même, se sont attachés longuement à prouver que l'Assemblée
avait la faculté de créer cet organe, ce qui, à mon sens, est évident
en raison de l'article22 précitéet de l'omnipotence de l'Assemblée.

Le titre de cet organe est très significatif : (Tribunal adminis-
tratif des Nations Unies )).
11s'agit bien d'un tribunal et non pas - comme le prétendent
quelques gouvernements - d'un simple Conseil de l'Assemblée,

parce que, d'après son statut, il rend des sentences exécutoires ;
cependant, il n'est pas un tribunal judiciaire mais un tribunal
administratif parce qu'il s'occupe seulement de questions déter- U.N. .%DM. TRIB. (DISS. OP.BY JUDGE ALVAREZ)
72
The Assembly constitutes the supreme power ; it is bouncl only
by the Charter which established it, or by its own resolutions. There
is nothing above the Assembly except moral forces, particularly
public opinion, which may censure the acts of the Assemblv if it
considers them open to criticism.

A logical and practical consequence of the foregoing is that any
attempt to limit the power of the General Assembly of the United
Nations would run counter to the realities of international life.
A further very important consequence is that in the solution of
international problems that may arise in the future, regard may no
longer be had-as was hitherto the case and as was done by a
number of governments in their opinions, to which reference has
already been made-for diplomatic precedence, international
awards, preparatory work or the views expressed by delegates
during the debates relating thereto. In international life there can
no longer be any looking backwards, although this was admissible
when international life scarcely moved fonvard ; the dynamism

of that life makes it necessary to look ahead.

III

The great transformations in international life and in internatioil-
al law which 1 have just indicated in summary form are so impor-
tant that they deserve special consideration with regard to the
solution of the question put to the Court.
First, the Administrative Tribunal was established by reason of
the fact that the Secretariat of the United Nations consists of some
thousands of staff members who were engaged under contracts
which may give rise to disputes between the Secretariat and the
staff members. These disputes are not decided by the General

Assembly of the United Nàtions-this would burden it unduly ;
nor by the International Court of Justice-this would increase its
task considerably ; nor by any other tribunal. Accordingly, the
General Assembly considered it necessary to establish a subsidiary
organ in accordance with Article 22 of the Charter.

Certain governments, in their opinions, and the Court itself, have
sought at considerable length to prove that the General Assembly
had the capacity to establish that organ ;in my opinion, the Assem-
bly clearly had that capacity by virtue of Article 22 quoted above
and by virtue of the omnipotence of the Assembly.

The name of this organ is especially significant : "The United
Nations Administrative Tribunal".
What is involved is, indeed, a tribunal and not-as alleged by
certain governments-a mere advisory body of the Assembly
because, under the terms of its Statute, the Tribunal delivers
binding judgments ;it is not, however, a judicial tribunal : it is an
administrative tribunal because it deals only with specific questionsminées de cet ordre et qui sont, en premier lieu, du ressort de
l'Assemblée qui l'a créé pour l'aider dans sa mission.

Les membres de ce tribunal sont nommés par l'Assemblée et
son statut a étéétabli par elle.

Il va de soi que ce tribunal n'a pas d'autres attributions que
celles qui lui ont été conféréesexpressément par l'Assemblée ;
elles se trouvent indiquées dans l'article 2 de son statut : il est
spécialement chargé de régler les différends relatifs aux contrats
d'engagement passés entre le Secrétariat et les fonctionnaires
des Nations Unies.

L'article IO, no 2, du statut établit que ((les jugements sont défi-
nitifs et sans appel ); et l'article g dispose : (lorsqu'il y a lieu à
indemnité, celle-ci est fixéepar le tribunal et verséepar l'organisa-
tion des Nations Unies ...».
Il est digne de remarque que le statut du tribunal administratif
n'indique aucun moyen de recours contre ses sentences ni comment
elles doivent êtreexécutées.
Un contraste apparaît donc à cet égard entre ce tribunal et la
Cour internationale de Justice.

Les arrêts de celle-ci, qui est l'organe judiciaire principal des
Nations Unies (art. 92 de la Charte), ((sont définitifset sans recours ))
(art. 60 du Statut de la Cour),mais ils peuvent êtrerevisés ouinter-
prétéspar ce tribunal dans certains cas (art. 60-61 de ce Statut).

Pour ce qui concerne l'exécution des sentences de la Cour, la
partie intéresséepeut, d'après l'article 94 de la Charte, s'adresser
au Conseil de Sécurité,lequel, <(s'il le juge nécessaire,peut faire des

recommandations ou décider des mesures à prendre pour faire exé-
cuter l'arrêt D.
De la sorte, l'exécution des sentences de la Cour dépend du
Conseil de Sécurité,lequel peut décider à son égard, comme il vient
d'êfre dit.
Etant donné que le statut du tribunal administratif ne contient
aucune disposition concernant la revision de ses sentences et leur
exécution, celles-ci obligent-elles automatiquement l'Assemblée,de
sorte qu'elle doit toujours les exécuter, mêmesi elles sont entachées

d'un vice manifeste, tel qu'excès de pouvoir, injustice notoire ?
Évidemment non.
On ne peut admettre qu'un organe principal des Nations Pnies,
comme l'Assemblée, dont les pouvoirs sont très étendus, doive exé-
cuter passivement toutes les sentences du tribunal qu'elle a créé.
Elle ne doit le faire que si celui-ci est resté dans les limites de ses
attributions. Si l'Assemblée estime que le tribunal a commis un
excès de pouvoir, par exemple qu'il a accordé une indemnité plus
élevéeque celle réclamée, ouque l'indemnité a été attribuée sans

motifs valables, ou que ledit tribunal a commis un abus du droit,
30in that field, which, in the first instance, fa11within the purview
of the General Assembly which established the Tribunal to assist
it in the discharge of its duties.
The members of the Tribunal are appointed by the General
Assembly and the Statute of the Tribunal was drawn up by the
Assembly.
It is self-evident that the Tribunal has no competence other than
that conferred upon it expressly by the Assembly ; the Tribunal's

competence is indicated in Article 2 of its Statute : its particular
task is to settle disputes arising out of contracts of employment
entered into between the Secretariat and the staff members of the
United Nations.
Article IO, paragraph 2, of the Statute provides that "the
judgments shall be final and without appeal" ;and Article 9 provides
that "in any case involving compensation, the amount awarded
shall be fixed by the Tribunal and paid by the United Nations....".
It is to be noted that the Statute of the Administrative Tribunal
does not provide for any means of appeal against the awards ;nor
does it indicate how effect is to be given to the awards.
There is therefore a difference between the Tribunal and the
International Court of Justice in this respect.
The judgments of the International Court of Justice, which is

the principal judicial organ of the United Nations (Art. 92 of the
Charter), are "final and without appeal" (Art. 60 of the Statute
of the Court), but provision is made for revision or interpretation
by the Court in certain cases (Arts. 60-61 of the Statute).
As regards compliance with the decisions of the Court, the
interested party may, in accordance with Article 94 of the Charter,
have recourse to the Security Council "which may, if it deems
necessary, make recommendations or decide upon measures to be
taken to give effect to the judgment".
The carrying out of the judgments of the Court is thus dependent
upon the Security Council, which may make a decision in this
respect, as has just been pointed out.
Since the Statute of the Administrative Tribunal contains no
provision for the review of its awards and no provision relating
to their performance, do those awards automatically bind the

Assembly so that the Assembly must always give effect to them
even when they are vitiated by a patent defect, such as excess
of powers or manifest injustice ? Obviously not.
It is inadmissible that a principal organ of the United Nations,
such as the General Assembly, which has very broad powers,
should be bound passively to give effect to al1 the awards of a
tribunal which it has established. The Assembly is bound to do
so only in cases in which the Tribunal has acted within the limits
of its competence. But if the Assembly considers that the Tribunal
has acted ultra cires-for example, if it grants an amount of
compensation which is higher than the amount claimed, or if etc., alors il n'y a pas de doute que l'Assembléepeut refuser d'exé-
cuter la sentence en n'inscrivant pas le montant de l'indemnité au
budget de l'O. N. U. ;mais elle doit, dans ce cas, indiquer expressé-
ment lesmotifsde son refus, autrement son attitude serait critiquable.

Comme je l'ai dit plus haut, c'est un principe du droit interna-
tional classique - et aussi du droit international actuel - que les
sentences des tribunaux n'obligent pas quand elles sont entachées
d'un vice, notamment d'un excès de pouvoir et, par suite, que leur
exécution peut êtrerefusée. Pour qu'elles obligent dans un tel cas,
il faudrait une disposition expresse de l'acte constitutif du tribunal.
Or, il n'en existe pas pour ce qui concerne le tribunal administratif.

On peut parfaitement appliquer ici ce qu'a dit cette Cour dans
son avis consultatif relatif à la réparation des dommages subis

au service des Nations Unies et qu'elle cite dans le présent avis à
l'appui d'autres affirmations :((Selon le droit international, l'Orga-
nisation (l'Assembléedans le cas actuel) doit êtreconsidéréecomme
possédant ces pouvoirs qui, s'ils ne sont pas énoncésdans la Charte,
sont, par une conséquence nécessaire, conférés à l'organisation en
tant qu'essentiels àl'exercice des fonctions de celle-ci » (avis consul-
tatif, C. 1.J. Recueil 1949, p. 182).

L'Assembléedes Nations Unies qui, comme il a étédit plus haut,
doit s'inspirer danstous ses actesde la notion de justice sociale inter-
nationale, ne peut pas accepter passivement de donner suite aux
sentences d'un organe subsidiaire qu'elle a créé sicelles-ci sont

entachées d'un vice manifeste.
D'autre part, les décisions de ce tribunal, en raison de sa nature,
n'ont pas la mêmeportée à l'égard du demandeur qu'à l'égard
du défendeur, ou de l'Assemblée des Nations Unies. Elles
lient le demandeur, car il s'est adressé à ce tribunal spéciale-
ment créépour examiner ses réclamations et qui, du reste, est
le seul existant dans ce but ;mais ces décisions ne lient pas l'As-
semblée qui peut refuser de les exécutersi elle estime qu'il y a
des motifs justifiés pour cela. En agissant de la sorte, l'Assemblée
ne s'érige pas en tribunal d'appel ; elle ne procède pas, non plus,
à une revision de sentence : elle exerce seulement le droit qu'elle

a de surveiller l'exécution des jugements du tribunal administratif
qu'elle a créé. Nierce droit équivaudrait à placer ce tribunal au-
dessus de l'Assemblée, ce qui est inadmissible.the compensation has been awarded without valid grounds, or
if the Tribunal has committed an abus du droit-then there can
be no doubt that the Assembly can refuse to give effect to the
award by not providing for the amount of compensation in the
budget of the Organization ; but in such a case the Assembly
is bound to indicate expressly the grounds for its refusal, failing
which its attitude would be open to criticism.
As 1 have already pointed out above, it is a principle of classical
international law-and also of modern international law-that
the awards of tribunals are not binding when they are vitiated
by some defect, as, for example, when the tribunal has acted
ultra vires, and that accordingly the parties may refuse to give

effect to them. In order to make the awards binding in such
cases, an express provision would be required in the instrument
providing for the constitution of the tribunal. But no such provision
exists in the case of the Administrative Tribunal.
What the Court said in its Advisory Opinion in the matter
of Reparation for Injuries suffered in the Service of the United
Nations is perfectly applicable here ; the relevant passage which
is qùoted in the present Advisory Opinion by the Court in support
of other assertions is as follows :"Under international law, the
Organization (the Assembly in the present case) must be deemed
to have those powers which, though not expressly provided in
the Charter, are conferred upon it by necessary implication as
being essential to the performance of its duties" (I.C. J. Reports
1949, p. 182).
The General Assembly of the United Nations which, as has
been pointed out above, must constantly be guided by the notion
of international social justice, cannot passively agree to give
effect to the awards of a subsidiary organ which it has established
if those awards are vitiated by a patent defect.
Furthermore, the nature of the Tribunal is such that its decisions

do not have the same scope in respect of the applicant as they
do in respect of the respondent, or the General Assembly of the
United Nations. They are binding on the applicant since he
resorted to this Tribunal, which was especially created to deal
with his complaints and which, moreover, is the only tribunal
in existence for this purpose ;but the decisions of the Tribunal
are not binding upon the General Assembly, which may refuse
to give eflect to them if it considers that there are valid reasons
for such a refusal. By acting in this way, the Assembly is not
setting itself up as a court of appeal ;nor does it proceed to
review the awards :it is merely exercising a right which it has
to supervise the performance of the judgments of the Adminis-
trative Tribunal which it has established. To deny this right
to the Assembly would be tantamount to placing the Tribunal
above the Assembly, which is inadmissible.75 TRIB. ADM. DES N. U. (OP. DISS.DE M. .%LV.%REZ)

Un cas concret peut se présenter qui justifie amplement l'affir-
mation précédente : c'est le cas inverse de celui qu'on considère
ordinairement. Supposons que l'Assemblée estime très justifiée
une réclamation que le tribunal administratif a déclaré irrece-
vable. Peut-on soutenir que l'Assemblée n'a pas le droit d'ad-
mettre cette réclamation ? Poser la question est la résoudre.

On peut aussi envisager le cas où un changement considérable

survient dans la vie économique ou sociale depuis le prononcé
de la sentence et avant son exécution et modifie entièrement la
portée de celle-ci, par exemple que le dollar, monnaie dans laquelle
a étéfixéle montant d'une indemnité, subisse brusquement une
forte baisse ou une forte hausse, modifiant sensiblement la valeur
réelle de l'indemnité. L'Assemblée doit-elle rester passive ? Ne
doit-elle pas pouvoir renvoyer l'affaire devant le tribunal afin
qu'il fasse les ajustements nécessaires ou effectuer elle-même
ces ajustements ?-
Enfin, il peut arriver qu'une indemnité ait étérégulièrement
accordée mais que l'Assembléen'ait pas de fonds disponibles pour
la payer ; elle doit alors décider comment ce versement devra être
effëctÜépar la suite.

L'Assemblée doit inscrire dans le budget des Nations Unies
comme dépenses : d'abord, toutes celles relatives aux organismes
créés par la Charte,car elle doit respecter les dispositions de celle-ci
ensuite, toutes les autres dépenses qu'elle a estimé nécessaires,
ainsique celles résultant de l'exécution des obligations qu'a contrac-
tées l'organisation; enfin, les indemnités qui doivent êtrepayées
en vertu des sentences du tribunal administratif qu'elle estime
justifiées.

En somme, l'Assemblée est souveraine en ce qui concerne
l'établissement et le vote du budget de 1'0. N. U. ;il n'y a aucun
recours contre ses décisions et la seule sanction de ses actes est

le blâme de l'opinion publique.
En raison des considérations précédentes,je donne les réponses
suivantes aux questions posées à la Cour:
En ce qui concerne le no 1,j'estime que l'Assembléegénérale
a le droit de refuser d'exécuter un jugement du tribunal admi-
nistratif des Nations Unies si elle considère que des motifs graves

justifient ce refus.
Et pour ce qui concerne le no 2,j'estime que les motifs de refus
que l'Assemblée peut faire valoir sont, notamment, l'excès de
pouvoir du tribunal, une injustice manifeste contraire surtout à
la notion de justice sociale internationale ou une violation des
grands principes du droit international.

(Signé A). ALVAREZ.

32 U.N. ADM. TRIB. (DISS.OP. BY JUDGE ALVAREZ)
75
A concrete case may arise which would fully justify the fore-
goingassertion :it is the opposite case to the one usually considered.
Let us suppose that the Assemblyshould consider that an application

is well-founded which the Administrative Tribunal has found to be
inadmissible. Could it then be argued that the General Assembly
is not entitled to sustain this application ? This is a question which
answers itself.
Furthermore, a considerable change may occur in the economic
or social conditions between the date of the giving of the award
and that of its performance, which might entirely alter the scope
of the award, for example, if there should be an abrupt fluctuation
in the value of the dollar, the currency in which the amount of
compensation is fixed, resulting in a considerable modification in
the real value of the compensation. Should the Assembly remain

passive ? Should it not have the power to refer the matter back
to the Tribunal for necessary adjustment, or should the Assembly
itself not have the power to make such an adjustment ?
Finally, it may happen that an award of compensation has been
validly made, but that the Assembly has no funds available for
that purpose ; the Assembly must then decide how the payment
shall subsequently be made.
The Assembly must make provision in the budget of the United
Nations for the following expenditure :first, al1expenditure relating
to bodies established by the Charter, for the Assembly is bound to

respect the provisions of the Charter ; secondly, al1other expend-
iture deemed necessary by the Assembly, as well as that arising
from the performance of the obligations contracted by the Organi-
zation ; and finally, the compensation to be paid in pursuance of
those awards of the Administrative Tribunal which the Assembly
regards as justified.
In short, the Assembly is sovereign in the matter of the drawing
up and adoption of the budget of the Organization ; there is no
appeal against the decisions of the Assembly and the only sanction
in respect of its actions is the criticism of public opinion.
For the foregoing reasons, 1 give the following answer to the

questions referred to the Court :
In reply to Question (1), 1am of opinion that the GeneralAssembly
has the right to refuse to give effect to an award of compensation
made by the United Nations Administrative Tribunal if it considers
that there are serious grounds justifying such a refusal.

In reply to Question (2),1 am of the opinion that the grounds on
which the General Assembly is entitled to refuse to give effect to
such an award are, in particular, if the Tribunal has acted ultra
vires or if there has been manifest injustice especially if in conflict
with the concept of international social justice, or a violation of
the great principles of international law.

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Document Long Title

Opinion dissidente de M. Alvarez

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