Opinion dissidente de M. le juge ad hoc Mahiou

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OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE AD HOC MAHIOU

Atteintes aux droits de l’homme — Arrestation et détention de 1988-
1989 — Recevabilité de la demande — Demande nouvelle — Demande tar-
dive — Demande contenue dans la requête — Demande découlant de l’objet de
la requête — Jurisprudence de la Cour.
Droit congolais des sociétés et spécificités des sociétés dont M. Diallo est
l’unique actionnaire — Droits de M. Diallo et droits des sociétés — Droits pro-
pres de M. Diallo comme associé — Droits de l’associé dans la gestion et le
fonctionnement des sociétés — Droits de participer aux assemblées généra-
les — Droits de l’associé au regard de la gérance — Droit de surveillance et de
contrôle — Droit de procéder à la liquidation des sociétés et droit au reli-
quat — Problème de l’expropriation indirecte — Droit à réparation.

Tout en souscrivant à beaucoup de conclusions auxquelles la Cour est
parvenue dans la présente affaire, il reste que sur les deux points les plus
importants concernant, d’une part, la recevabilité de la demande relative
à l’arrestation et la détention de M. Diallo en 1988-1989 et, d’autre part,
la violation des droits d’associé de M. Diallo dans les deux sociétés Afri-

com-Zaïre et Africontainers-Zaïre, je ne suis convaincu ni par les conclu-
sions adoptées, ni par l’argumentation déployée pour les justifier, et il
convient donc d’indiquer les raisons pour lesquelles je ne peux pas suivre
la Cour sur ces points.

1. L A RECEVABILITÉ DE LA DEMANDE RELATIVE À L ARRESTATION

ET LA DÉTENTION DE M. D IALLO EN 1988-1989

A la suite d’un examen du point relatif à la recevabilité de la demande
de la Guinée concernant l’arrestation et la détention de M. Diallo en 1988-
1989, la Cour estime qu’il s’agit d’une demande nouvelle qui ne remplit
pas les conditions requises permettant de l’inclure dans la procédure
engagée depuis 1998; elle conclut que ladite demande est irrecevable

parce qu’elle a été présentée tardivement (paragraphe 47 de l’arrêt). Je ne
peux pas souscrire à une telle conclusion et je ne suis pas réellement
convaincu par l’argumentation qui la soutient, parce qu’elle fait prévaloir
une interprétation très rigide et une application excessivement formaliste
de la jurisprudence de la Cour.

Il est vrai que les faits concernant l’arrestation et la détention de 1988-
1989 ne sont pas mentionnés ou décrits dans la requête introductive de
l’instance du 28 décembre 1998, ni dans le document annexé à celle-ci; ils
n’apparaissent formellement et pour la première fois que dans les obser-

vations de la République de Guinée (dénommée ci-après la «Guinée») du
7 juillet 2003 sur les exceptions préliminaires de la République démocra-

177tique du Congo (dénommée ci-après la «RDC»). Ces mêmes faits sont
ensuite repris de façon beaucoup plus détaillée dans la réplique de la Gui-

née du 19 novembre 2008, qui précise, en outre, qu’ils font «indubitable-
ment partie des faits illicites à raison desquels la Guinée entend engager
la responsabilité internationale du défendeur». Il s’agit donc d’une
demande additionnelle, et il convient de voir si une telle demande était ou
non susceptible d’être accueillie par la Cour.

On sait que la jurisprudence de la Cour ne considère pas comme irre-
cevable ipso facto toute demande nouvelle car «la nouveauté d’une
demande n’est pas décisive en soi pour la question de la recevabilité»
(affaire du Différend territorial et maritime entre le Nicaragua et le Hon-

duras dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Honduras), arrêt, C.I.J.
Recueil 2007 (II), p. 695, par. 110); elle admet que celle-ci est recevable
si elle remplit l’une ou l’autre des deux conditions suivantes:

— soit parce qu’elle est contenue dans la requête T ( emple de Préah Vihéar
(Cambodge c. Thaïlande), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1962, p. 36);
— soit parce qu’elle découle directement de la question qui fait l’objet de
la requête (Compétence en matière de pêcheries (République fédérale

d’Allemagne c. Islande), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1974 , p. 203,
par. 72; Certaines terres à phosphates à Nauru (Nauru c. Australie),
exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1992 , p. 266, par. 67).

La raison d’être de ce test en deux temps étant tout simplement la
nécessité d’établir un lien suffisamment étroit entre l’objet du différend,
tel que défini dans la requête, et la demande additionnelle, pour assurer
une bonne administration de la justice et afin de respecter les droits de

l’autre partie à l’instance ainsi que les droits des Etats tiers. La Cour a
déjà eu l’occasion de dire qu’elle «ne saurait admettre, en principe, qu’un
différend porté devant elle par requête puisse être transformé, par voie de
modifications apportées aux conclusions, en un autre différend dont le
caractère ne serait pas le même» (Société commerciale de Belgique, arrêt,
o
1939, C.P.J.I. série A/B n 78, p. 173).
Dans le cas d’espèce, quels sont le contenu et l’objet de la requête? En
se rapportant à la requête précitée du 28 décembre 1998, il est dit de
manière très sommaire et plus précisément que M. Diallo a été «injuste-
ment incarcéré par les autorités de cet Etat [la République démocratique

du Congo], spolié de ses importants investissements, entreprises et avoirs
mobiliers, immobiliers et bancaires puis expulsé».

On constate donc que la requête vise de manière assez vague l’incarcé-
ration et la spoliation dont M. Diallo a été l’objet, sans faire référence à

aucun acte précis. Autrement dit, le contenu et l’objet de la requête ini-
tiale stricto sensu sont énoncés de manière générale et large, ce qui per-
met de couvrir incontestablement tout acte d’incarcération ou de spolia-
tion sans précision de période. Il est également important de noter qu’il

n’est pas davantage fait référence à l’arrestation et la détention de 1995-
1996, qui sont les seuls faits retenus par le présent arrêt de la Cour

178comme base de la demande guinéenne. Si l’on s’en tient à la seule requête
stricto sensu, qui contient, comme le relève la Cour, «un exposé succinct

de l’objet du différend» (paragraphe 1 de l’arrêt), les événements de 1988-
1989 comme ceux de 1995-1996 sont omis et ils sont donc à ce stade sur
le même plan du point de vue de la procédure et de leur statut.

Certes, les événements de 1995-1996 sont mentionnés et décrits dans le

mémoire de la Guinée joint en annexe à la requête, lequel mémoire spécifie
les faits à l’origine du différend, les moyens de droit et les demandes de la
Guinée, alors que les événements de 1988-1989 n’apparaissent pas, tout
comme d’ailleurs bien d’autres événements qui ne seront invoqués que

dans les phases ultérieures de la procédure et que la Cour a néanmoins
retenus. L’arrestation, la détention et l’expulsion de 1995-1996 sont mises
en avant parce qu’elles constituent et illustrent l’ultime et dernier acte
d’un processus qui a commencé depuis la fin des années 1980 et qui s’est
poursuivi jusqu’au moment de l’expulsion en janvier 1996. En effet, les

atteintes aux droits de M. Diallo s’insèrent dans un continuum d’actes illi-
cites qui se sont succédé pendant toute cette période, et il n’était guère
besoin d’énumérer et de préciser chacun d’entre eux dès le stade de la
demande initiale, ceux-ci devant été précisés dans la suite de la procédure.
Les faits de 1988-1989 n’ont ainsi pas transformé l’objet du différend

défini dans la requête, et la question qui est soumise à la Cour pour déci-
sion demeure celle de savoir si M. Diallo a été injustement incarcéré et
expulsé par les autorités de la RDC en violation des règles découlant tant
du droit interne congolais que des règles internationales engageant la
RDC, suite à des tentatives de recouvrement des créances détenues par

ses sociétés.
Certes, il y a apparemment quelques différences sur le fondement juri-
dique de l’incarcération de 1988-1989 et celle de 1995-1996, comme l’indi-
que la Cour, puisque, dans le premier cas, l’incarcération reposerait sur
une procédure de nature pénale — qui s’est au demeurant révélée infon-

dée — alors que, dans le second cas, elle repose formellement sur une pro-
cédure de nature administrative en vue de l’expulsion (paragraphe 43 de
l’arrêt). Toutefois, dès que l’on dépasse les apparences et que l’on observe
de plus près les faits, les choses se présentent différemment aussi bien en ce
qui concerne le motif de l’incarcération que la procédure mise en Œuvre.

Le motif réel des deux incarcérations est le même: il s’agit d’entraver
ou d’empêcher M. Diallo de recouvrer des créances qui lui étaient dues
par un certain nombre d’organismes ou entreprises relevant de l’Etat
congolais. Quant à l’incarcération, il ressort clairement des éléments ver-
sés au dossier que la première arrestation a eu lieu sur ordre du premier

commissaire d’Etat zaïrois (premier ministre), comme l’atteste une lettre
datée du 4 juillet 1988, adressée au président du conseil judiciaire du
Zaïre et signée du premier commissaire d’Etat (lettre citée par les deux
Parties et figurant à l’annexe 15 des observations de la Guinée sur les

exceptions préliminaires, en date du 7 juillet 2003). Les arrestations de
1995-1996 ont également été ordonnées par l’autorité exécutive, aux fins

179de mettre en Œuvre un ordre d’expulsion établi par le premier ministre. Il
ressort ainsi clairement que la première comme la deuxième détention de

M. Diallo revêtent en réalité un aspect administratif et non pénal; elles
ont été prises par l’autorité exécutive en dépassement de son pouvoir,
avec une interférence occasionnelle du seul procureur, dont on sait qu’il
est sous l’autorité directe de ladite autorité exécutive.
Substantiellement ou matériellement, il n’y a guère de différence entre

les deux situations: il s’agit d’une même personne qui, pour les mêmes
motifs et à des périodes distinctes, se trouve victime d’arrestations et de
détentions arbitraires commises par un commissaire d’Etat ou premier
ministre. Par conséquent, la demande de la Guinée relative à l’incarcéra-

tion de 1988-1989 présente des liens suffisamment étroits avec la demande
principale et, loin de modifier l’objet de la requête, elle ne fait que resti-
tuer l’enchaînement chronologique des atteintes aux droits de M. Diallo.
De ce fait, elle remplit les conditions pour être déclarée recevable.
Par voie de conséquence, et pour paraphraser ce que dit la Cour dans

l’affaire du Différend territorial et maritime entre le Nicaragua et le Hon-
duras dans la mer des Caraïbes , la demande relative à la détention de
1988-1989 est implicitement contenue dans la question qui fait l’objet de
la requête de la Guinée, à savoir la stratégie d’incarcération arbitraire
adoptée par le défendeur à l’encontre de M. Diallo et la violation de ses

droits de l’homme qui en découle directement. Les faits de 1988-1989
n’ont aucunement transformé la nature du différend qui est soumis à la
Cour.
Il est regrettable que la Cour se soit écartée dans cette affaire de sa
jurisprudence établie en matière de demandes nouvelles, qui attachait

moins d’importance aux conditions de forme. Par exemple, dans l’affaire
du Différend relatif à des droits de navigation et des droits connexes
(Costa Rica c. Nicaragua) , où le Costa Rica n’avait pas fait figurer sa
demande relative à la pêche dans sa requête, mais seulement plus tard
dans son mémoire, la Cour a estimé que:

«compte tenu de la relation que les riverains entretiennent avec le
fleuve et du libellé de la requête, il existe un lien suffisamment étroit

entre la demande relative à la pêche à des fins de subsistance et la
requête, dans laquelle le Costa Rica invoque, outre le traité de 1858,
«d’autres règles et principes applicables du droit international»»
(arrêt, C.I.J. Recueil 2009 , p. 264, par. 137).

Il me semble que le lien entre l’arrestation de 1988-1989 et l’arrestation
de 1995-1996 est aussi étroit et même plus étroit que le lien entre la pêche
et les droits de navigation. La demande de la Guinée relative à la déten-

tion de 1988-1989, tout en étant nouvelle, ne semble pas contredire les
dispositions de procédure régissant la Cour et l’interprétation que celle-ci
en donne dans la jurisprudence précitée. Ainsi, la demande de la Guinée
relative à l’illicéité de l’arrestation et de la détention de M. Diallo, en

1988-1989, ne constitue qu’une précision supplémentaire sur la matéria-
lité et la continuité des actes illicites reprochés au défendeur et la Cour

180aurait dû logiquement prendre en considération cette continuité et ces

faits. Comme cela n’a pas été le cas, je ne pouvais que prendre position
contre le point 5 du dispositif de l’arrêt.

2. L ES DROITS PROPRES DE M. D IALLO EN TANT QU ’ASSOCIÉ

DES SOCIÉTÉS A FRICOM -Z AÏRE ET A FRICONTAINERS -ZAÏRE

2.1. La nature et l’ampleur de la participation
de M. Diallo dans les deux sociétés

Il convient, tout d’abord, de rappeler la nature et l’ampleur de la par-

ticipation de M. Diallo dans les deux sociétés (Africom-Zaïre, ci-après
«Africom», et Africontainers-Zaïre, ci-après «Africontainers») qu’il pos-
sède et gère afin de mieux comprendre les implications de fait et de droit
de cette situation.

Les statuts de la société Africom créée en 1974 n’ayant pas été pro-
duits, ni par le demandeur ni par le défendeur, son existence légale
découle d’un certain nombre d’autres actes dont notamment les statuts
de la seconde société créée par M. Diallo, Africontainers. En effet, c’est

l’acte notarié du 18 septembre 1979 portant statuts d’Africontainers
(mémoire de la Guinée, annexe 1) qui indique que cette nouvelle société
est créée au départ entre trois associés, deux personnes physiques
(M. Kibeti Zala, de nationalité guinéenne, et Mme Dewast, de nationalité

française) et une personne morale, la société Africom, dont il est précisé
que:

— celle-ci est immatriculée au registre du commerce de Kinshasa sous le
numéro 80.427;
— elle a son siège social avec mention de l’adresse;
— et, enfin, elle est représentée par son gérant M. Diallo, de nationalité

guinéenne.
Ce même acte précise que, dans la répartition du capital social de la
société Africontainers, Africom bénéficie de 30 % des parts sociales.

Ainsi, c’est par le biais de cet acte notarié du 18 septembre 1979 que
l’on dispose de quelques informations sur la société Africom dans la pré-
sente affaire et que son statut est confirmé comme société privée à res-
ponsabilité limitée, conformément au droit congolais.

Par le biais d’un autre acte notarié du 18 avril 1980, concernant la
seconde société Africontainers, on est informé d’un important change-
ment dans la répartition du capital social de celle-ci, puisque la société
Africom et M. Diallo deviennent les seuls actionnaires de la société Afri-

containers. A partir de cette date, Africontainers n’a plus que deux asso-
ciés, une personne morale, la société Africom, détentrice de 60 % des
parts sociales, et une personne physique, M. Diallo, détenteur des 40 %
de parts restantes. En outre, M. Diallo est désigné comme le gérant de la

société Africontainers en lieu et place du précédent gérant, M. David, de
nationalité française.

181 S’agissant des activités d’Africom, celles-ci apparaissent au cours des
années 1980 par le biais de bons de commande, d’échanges de courriers

avec un certain nombre de partenaires congolais publics ou privés, s’éche-
lonnant de 1983 à 1996, à propos de créances non honorées notamment
par l’Etat congolais, ainsi que de décisions de justice se rapportant à
divers contentieux.
En l’absence des statuts de la société Africom, il ressort des actes nota-

riés mentionnés précédemment qu’elle aurait eu, au regard du droit
congolais, le statut de société privée à responsabilité limitée. Toutefois,
dans les faits, elle serait devenue une société unipersonnelle dans la
mesure où M. Diallo en aurait été le seul associé.

S’agissant de la société Africontainers — qui a été créée en tant que
société à responsabilité limitée classique, avec trois associés —, elle a évo-
lué vers une société à deux associés dont le dédoublement est largement
une fiction pour apparaître, elle aussi, comme une société unipersonnelle.
En effet, à côté de M. Diallo, détenteur de 40 % des actions, l’autre associé

majoritaire est Africom, qui est elle-même une émanation du seul M. Diallo,
de sorte que celui-ci est finalement le seul et unique associé des deux socié-
tés concernées par la présente affaire: Africom et Africontainers. On abou-
tit ainsi au résultat selon lequel M. Diallo n’est pas, sur le plan strictement
juridique et étroitement formaliste, l’unique associé légal d’Africontainers,

mais le devient dans les faits puisque, derrière l’autre associé légal (société
Africom), il n’y a plus qu’une seule réalité, M. Diallo lui-même. C’est au
demeurant ce que déclare la Cour, dans le paragraphe 114 de l’arrêt, en
constatant que «M. Diallo, en tant que gérant comme en tant qu’associé
des deux sociétés, dirigeait et contrôlait celles-ci pleinement».

Il y a une telle interpénétration ou osmose entre M. Diallo et ses deux
sociétés, tant au plan des faits qu’à celui du droit, qu’il est très malaisé de
les dissocier, alors même que cette situation a incontestablement une inci-
dence dès lors que l’on cherche à identifier les droits propres de M. Diallo
pour la solution du présent litige. Deux solutions sont possibles:

— soit on déchire le voile des apparences pour prendre en compte la réa-
lité économique et sociale et considérer que l’individu Diallo est effec-
tivement le détenteur de la totalité des parts sociales et, à ce titre, les

atteintes portées à l’ensemble de ces parts affectent nécessairement,
d’une façon ou d’une autre, ses droits propres;
— soit on maintient le voile et la fiction de la distinction entre les parts
de la société Africom et les parts de l’individu Diallo et, même dans
ce cas, les parts sociales de M. Diallo constituent autant de droits

propres qu’il est en position de faire valoir, dès lors qu’il y est porté
atteinte par les actes ou omissions des autorités congolaises.

2.2. L’importance des parts sociales de M. Diallo

L’importance des parts sociales de M. Diallo dépend naturellement de
l’activité économique des deux sociétés dont il est finalement l’unique

182actionnaire. La réalité de cette activité est présentée par les deux Parties
de façon aussi opposée qu’incertaine. La situation économique n’était ni

aussi florissante que le prétend le demandeur, ni en état de faillite comme
le prétend le défendeur. Si l’on observe attentivement l’argumentation des
Parties, ce qui creuse l’écart dans l’appréciation de la situation, c’est par-
tiellement le fait que les Parties se réfèrent souvent à des périodes diffé-
rentes de la vie de ces deux sociétés; le demandeur met l’accent sur la

période de la décennie 1980 et le début des années 1990, où il y avait
incontestablement une activité économique effective et importante, alors
que le défendeur met l’accent sur le milieu des années 1990, où l’activité
économique avait incontestablement baissé pour diverses raisons, liées

aussi bien à une rétractation de l’économie congolaise qu’aux refus ou
difficultés rencontrées par les deux sociétés pour recouvrer leurs créances
en saisissant les autorités concernées et les juridictions compétentes.
Par ailleurs, la documentation produite est loin de donner toutes les
informations adéquates pour une évaluation réellement satisfaisante des

activités économiques. L’expulsion de M. Diallo a sans doute empêché
l’accès aux documents comptables appropriés et le demandeur n’a pu
fournir qu’un certain nombre de documents de nature à permettre une
évaluation très approximative des activités des deux sociétés. Il reste que,
si ces documents ne constituent pas, d’ores et déjà, une base adéquate

pour une évaluation précise de tous les actifs des deux sociétés, les créan-
ces qu’elles détiennent sur différents opérateurs (administration congo-
laise et entreprises publiques congolaises: Gécamines, Zaïre Fina, société
PLZ, Zaïre Shell) et dont elles demandent le recouvrement offrent déjà
une base permettant d’avoir une certaine évaluation de ces actifs. Il y a

lieu de tenir compte également des refus des différents débiteurs congolais
d’honorer les créances des sociétés et des interférences des autorités
congolaises pour empêcher ou différer le recouvrement; tous ces compor-
tements ont nécessité une énorme mobilisation d’énergie, pendant des
années, pour l’unique responsable des deux sociétés en vue de surmonter

les obstacles, et il est évident qu’ils ont eu des conséquences négatives sur
le déploiement des activités économiques desdites sociétés.
La Partie défenderesse récuse la plupart des évaluations produites
concernant généralement les créances sur des opérateurs publics; mais les
récusations sont de simples affirmations, très rarement étayées par des

preuves; elle se limite à alléguer que les montants ne reposent sur aucune
base sérieuse, qu’ils sont exagérés ou fantaisistes, même lorsqu’ils ont été
reconnus par les autorités concernées ou validés par les juridictions
congolaises. Certes, il est possible que certaines estimations soient discu-
tables ou peu crédibles, encore aurait-il fallu apporter davantage d’élé-

ments d’informations convaincants pour étayer des prétentions qui se pré-
sentent comme de simples allégations dépourvues d’éléments probants.
Il ressort des écritures et des plaidoiries des Parties que les sociétés
Africom et Africontainers ont cessé leurs activités, mais elles sont en

désaccord sur, d’une part, les dates de cette cessation et, d’autre part,
l’existence même de ces sociétés à l’heure actuelle. En l’état actuel des

183informations produites, il est tout aussi malaisé de déterminer la date pré-
cise de cessation de leurs activités sur le plan économique que de savoir

quelle est la situation exacte des deux sociétés sur le plan juridique.
S’agissant des activités des deux sociétés, elles ont subi — à l’instar des
autres sociétés opérant au Zaïre — les conséquences des graves difficultés
politiques, économiques et monétaires qui ont affecté le pays au début

des années 1990 et qui ont fait l’objet d’un rapport alarmant de la Ban-
que centrale du Congo (contre-mémoire de la RDC, annexe 2); il est
donc normal qu’il y ait eu une rétractation de leurs activités, et l’on peut
comprendre que de telles circonstances liées aux conditions économiques
générales ne sont pas normalement imputables aux autorités, comme l’a

dit la Cour permanente de Justice internationale dans l’affaire Oscar
Chinn (arrêt, 1934, C.P.J.I. série A/B n 63, p. 88). Il reste que ces dif-
ficultés ne pouvaient que s’aggraver à un degré incomparable avec l’expul-
sion de M. Diallo à ce moment crucial, ce qui entraîne une déstabilisation

des deux sociétés; comme la déstabilisation dure depuis cette date, il est
évident qu’aucune société ne peut continuer d’exister réellement après de
sérieuses perturbations et une cessation d’activité de près de quinze ans.
Cela est d’autant plus vrai que chacune des deux sociétés est, directement
et intimement, liée à la personne de M. Diallo, qui en est à la fois l’associé

unique et le seul gérant. C’est sans doute là que gît toute la grande par-
ticularité ou l’incontestable spécificité de la présente affaire qui ne permet
pas de l’appréhender comme d’autres affaires portées auparavant devant
la Cour, notamment l’affaire de la Barcelona Traction ou celle de la

société Elettronica Sicula. On reviendra un peu plus loin sur cette parti-
cularité et les conséquences qui en découlent.
S’agissant de l’existence juridique, elle peut naturellement se prolon-
ger; toutefois, comme nous le verrons également plus loin, il n’est pas très
convaincant de s’en tenir à un simple constat formel en alléguant que les

deux sociétés continuent d’exister aussi longtemps que leur mort juridi-
que n’aura pas été constatée conformément aux règles, c’est-à-dire par
leur dissolution régulière et leur liquidation totale. Une situation de fait
peut aboutir à des conséquences constituant une sorte de mort juridique,

quand bien même elle n’est consacrée par aucun acte formel.

2.3. Les droits de l’associé Diallo dans la gestion
et le fonctionnement de ses sociétés

L’expulsion de M. Diallo ne peut rester sans effets sur les droits qu’il
détient et leur exercice en tant que seul associé pouvant assurer la gestion
et le fonctionnement des deux sociétés. Cela ressort clairement tant des
éléments juridiques que des éléments de fait qui entourent son droit de

convoquer une éventuelle assemblée générale, d’y participer et d’y voter.
Tout d’abord, s’agissant de la convocation des assemblées générales,
un point de droit oppose les deux Parties pour savoir si une telle décision
relève de la seule prérogative de la société, comme le soutient le défen-
deur, ou si elle est également une prérogative des associés. Il convient

184donc de se référer au droit congolais et plus précisément aux dispositions
de l’article 83 du décret du 27 février 1887, selon lequel:

«La gérance et les commissaires, s’il en existe, peuvent convoquer
l’assemblée générale en tout temps.

Ils doivent la convoquer sur la demande d’associés réunissant le
cinquième du nombre total des parts sociales.
Si la gérance ne donne pas suite à cette demande dans un délai
convenable, la convocation peut être ordonnée par le tribunal.»

A la lumière de cet article 83, il ressort à l’évidence que, si la décision
de convoquer une assemblée générale incombe au gérant et aux commis-

saires (alinéa 1), les actionnaires ont également le droit de demander la
convocation d’une assemblée générale dès lors qu’ils représentent un cin-
quième des parts sociales (alinéa 2). Une telle demande se traduit par une
obligation pour le gérant et les commissaires qui sont tenus d’y procéder.
Etant donné, dans cette affaire, que M. Diallo est sinon l’associé uni-

que, du moins le détenteur à titre personnel d’un nombre de parts sociales
supérieur à un cinquième, il détient le droit de convoquer l’assemblée
générale. Comme, en outre, il est en fait le seul actionnaire, ce droit
devient une sorte de monopole dont la violation est susceptible de recours,
comme l’indique la Cour dans l’affaire de la Barcelona Traction :

«Il est bien connu que le droit interne leur [aux actionnaires]
confère des droits distincts de ceux de la société, parmi lesquels le

droit aux dividendes déclarés, le droit de prendre part aux assem-
blées générales et d’y voter, le droit à une partie du reliquat d’actif de
la société lors de la liquidation. S’il est porté atteinte à l’un de leurs
droits propres, les actionnaires ont un droit de recours indépen-
dant.» (Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited

(Belgique c. Espagne), deuxième phase, arrêt, C.I.J. Recueil 1970 ,
p. 36, par. 47.)

Notons que l’énumération donnée par la Cour concerne les droits les
plus évidents et n’est pas exhaustive; cela est confirmé par la Commission
du droit international dans le commentaire de l’article 12 de son projet
relatif à la protection diplomatique de 2006, où elle se réfère à la position
de la Cour en indiquant que le soin est laissé aux tribunaux de détermi-

ner, dans chaque cas d’espèce, les limites de tels droits, mais en veillant à
bien séparer les droits des actionnaires de ceux de la société, en particulier
en ce qui concerne le droit de participer à la gestion de sociétés (rapport
de la Commission du droit international, 2006, p. 68).

S’agissant de la participation aux assemblées générales et au vote en
leur sein, il est assurément impossible à M. Diallo d’y être présent phy-
siquement du fait de son expulsion. Certes, il y a la possibilité d’une
représentation par un mandataire, mais une telle solution n’empêche pas

qu’il y a une violation de son droit d’y être personnellement présent.
Dans l’arrêt, la Cour estime que, si M. Diallo a été empêché d’être pré-

185sent physiquement à une éventuelle assemblée générale, du fait de son
expulsion, il n’a pas été empêché d’agir pour convoquer celle-ci (paragra-

phe 121) ni de s’y faire représenter par un mandataire (paragraphe 123),
et elle en tire la conclusion que l’expulsion n’a donc pas porté atteinte aux
droits d’associé de M. Diallo. Donc, tout en reconnaissant qu’il y a là une
entrave, elle juge que celle-ci «n’équivaut pas à une privation de son droit
de prendre part aux assemblées générales et d’y voter» (paragraphe 126

de l’arrêt). La Cour constate en outre qu’il n’y a eu aucune convocation
ni même tentative de convocation d’une assemblée générale, ce qui confir-
merait qu’il n’y a pas eu la privation de ce droit. Il y a dans les dévelop-
pements de l’arrêt, sur ce point comme sur quelques autres, une série de

déductions formelles et abstraites qui ne rendent pas compte de la réalité
des événements et n’emportent pas la conviction.

Au demeurant, la Cour se rend compte de cette situation plus que sin-
gulière des droits de M. Diallo et elle s’efforce de l’expliquer, de manière

générale et lapidaire, dans le paragraphe 115, en disant que, si elle peut
paraître artificielle, cela résulte de la distinction qu’il convient de faire et
à laquelle il faut s’en tenir rigoureusement entre les droits de l’actionnaire
et les droits des sociétés, conformément à la jurisprudence de l’affaire de
la Barcelona Traction et en s’en tenant à l’arrêt du 24 mai 2007 dans la

présente affaire sur les exceptions préliminaires.
Il est difficile de partager une telle approche et surtout la conclusion
qui subordonne la protection d’un droit à un empêchement absolu de son
exercice et non à une atteinte à son exercice. Si l’on opte pour une analyse
strictement littérale et formaliste des textes, il semble que cela soit un rai-

sonnement logique irréprochable. Mais c’est un raisonnement qui repose
sur un modèle de société qui suppose l’existence de plusieurs ou d’au
moins deux actionnaires, de manière à ce que l’actionnaire empêché
puisse agir pour assurer la convocation et le déroulement de l’assemblée
générale. Or, un tel modèle ne peut pas se transposer tel quel pour l’appli-

quer en quelque sorte mécaniquement à la situation présente de petites
sociétés devenues de facto unipersonnelles.
Les deux sociétés en cause, dans la présente affaire, ne sont pas des
firmes multinationales avec des filiales ou succursales; elles ne disposent
pas de plusieurs responsables auxquels peuvent être confiés des pouvoirs

de gestion et de décision pour veiller à leur bon fonctionnement. Ce sont
au départ des sociétés de deux ou trois associés travaillant avec un très
petit nombre de personnes pour les activités subalternes, alors que leur
gestion et leur direction relèvent directement d’une seule personne,
M. Diallo. Ajoutons à cela le fait que ces sociétés sont établies exclusive-

ment dans un pays situé en Afrique où l’on sait que le réseau des relations
personnelles est déterminant pour le bon ou le mauvais fonctionnement
d’une entreprise. C’est dire, par conséquent, que toute entrave — et a for-
tiori tout empêchement d’activité — frappant l’unique responsable et ges-

tionnaire des deux sociétés retentit de manière directe et fatale sur leur
fonctionnement, en les mettant dans une situation périlleuse que le défen-

186deur lui-même qualifie de quasi-faillite. C’est dire également que, dans la
présente affaire, la convocation et le déroulement d’une assemblée géné-

rale, hors la présence de M. Diallo, non seulement apparaissent assez sin-
guliers, mais ils sont assez difficilement imaginables.
Pour bien comprendre cela, voyons comment se présenterait le scéna-
rio abstrait et formel où M. Diallo convoquerait une assemblée générale
de la société Africontainers depuis la Guinée et quelle serait la suite des

événements. Il va adresser sa convocation à M. Diallo — donc à lui-
même — en tant qu’associé de cette société et une autre convocation au
second associé, la société Africom, dont le seul responsable n’est autre
que le même M. Diallo. Celui-ci envoie et reçoit ainsi en même temps

deux convocations qu’il ne peut honorer personnellement puisque le ter-
ritoire congolais lui est interdit. Il est difficile de convenir qu’une telle
situation soit normale; il faut plutôt convenir qu’il y a un côté assez sur-
réaliste dans ce scénario auquel pourtant semblent souscrire l’approche et
le raisonnement retenus dans le présent arrêt.

Certes, il y a la possibilité théorique de désigner deux mandataires, l’un
pour la société Africom et l’autre pour lui-même, mais il n’en reste pas
moins qu’il est bel et bien porté atteinte à son droit d’accomplir lui-même
tous les actes relevant normalement d’un actionnaire et a fortiori d’un
gérant. Par ailleurs, pour rester dans le scénario d’une convocation de

l’assemblée générale qui se déroulerait sans la présence de M. Diallo, on
peut se demander comment deux simples mandataires vont pouvoir déli-
bérer sur les activités de deux sociétés dont ils ignorent largement le fonc-
tionnement et la gestion puisque celles-ci dépendent directement et étroi-
tement de l’action personnelle de la personne empêchée d’y participer. En

outre et raisonnablement, il est difficile d’imaginer que les deux sociétés
puisent fonctionner normalement lorsque leur unique actionnaire se
retrouve dépouillé de toutes ses prérogatives et dans l’obligation de
recourir uniquement à des mandataires. Enfin, et dans ces conditions, il
est pour le moins assez étrange de soutenir qu’il n’y a aucun empêche-

ment pour exercer les droits d’associé.

2.4. Les droits de M. Diallo
au regard de la gérance des sociétés

Selon l’article 65 du décret de 1887, «les gérants sont nommés soit dans
l’acte constitutif, soit par l’assemblée générale». L’acte de nomination
n’est à proprement parler ni un droit de la société, ni un droit strictement
individuel; il s’agit là d’un acte collectif, notion qui a donné lieu à des
débats au sein de la doctrine civiliste pour l’identifier, le caractériser et le

situer dans la classification des actes juridiques (cf. G. Roujou de Boubée,
Essai sur l’acte juridique collectif , Paris, LGDJ, 1961, et A.-L. Pastré-
Boyer, L’acte juridique collectif en droit privé français: contribution à la
classification des actes juridiques , Presses universitaires d’Aix-Marseille,

2006). Il s’agit d’un acte pris par un groupe de personnes, qu’il ait ou non
la personnalité juridique et, dans le cas de la société Africontainers, l’acte

187de nomination du gérant doit normalement être pris par les associés réu-
nis en assemblée générale avec la participation au vote de chacun d’entre

eux; la nomination est bien un acte collectif, mais la participation au vote
est bien un droit individuel de chaque associé dont la violation peut don-
ner lieu à des recours, comme nous l’avons indiqué précédemment.
En tout état de cause, dans la présente affaire, comme M. Diallo est
devenu l’actionnaire unique des deux sociétés, le droit collectif est devenu

dans la pratique un droit individuel. Or, l’exercice de ce droit, c’est-à-dire
la participation personnelle de M. Diallo au vote, a été empêché par son
expulsion, tandis que son éventuelle représentation par un mandataire
pose les problèmes qui ont été évoqués précédemment. En privant

M. Diallo de la participation personnelle, il y a eu incontestablement une
atteinte directe à son droit d’associé et à sa participation éventuelle à
l’acte collectif de désignation du gérant, celui-ci pouvant être lui-même.
Le fait d’empêcher M. Diallo d’être présent physiquement au lieu du
siège de l’administration de la société et de l’assemblée générale constitue

une autre atteinte à son droit d’être candidat à la fonction de gérant et, a
fortiori et plus grave encore, d’exercer les fonctions de gérant.
Il semble qu’une personne, M. N’Kanza, ait été chargée un moment
donné d’accomplir certaines fonctions au nom de la société Africontai-
ners. Toutefois, il y a une grande incertitude aussi bien sur le processus de

sa désignation que sur la fonction exacte qui lui a été impartie. Le seul
acte produit, concernant sa désignation, est une simple mention dans un
courrier d’avocat du 16 février 1996, alors que la désignation du gérant
incombe, légalement (article 65 du décret de 1887) et statutairement (ar-
ticle 14 des statuts de la société Africontainers), à l’assemblée générale

de la dite société. Celle-ci avait désigné M. David comme gérant lors de
l’assemblée constitutive du 18 septembre 1979; par la suite, une assem-
blée générale extraordinaire du 18 avril 1980 a remplacé M. David
par M. Diallo, qui a toujours conservé cette fonction puisqu’il a été
nommé pour une durée indéterminée et qu’il n’a jamais été remplacé à

ce jour.
Aucune preuve sérieuse n’est avancée pour conforter l’allégation qu’un
gérant a été régulièrement désigné. La personne présentée à tort comme
telle, M. N’Kanza, a sans doute représenté M. Diallo, absent du Congo
contre sa volonté, pendant un certain temps pour quelques démarches

très limitées, mais cela ne suffit nullement pour en faire un gérant de la
société Africontainers au sens légal et statutaire. Tout au plus pourrait-
on éventuellement invoquer la possibilité d’une gérance partielle et pro-
visoire en raison de l’empêchement du gérant légal et statutaire, lequel
empêchement incombe aux autorités congolaises.

2.5. Le droit de surveillance et de contrôle de M. Diallo

A la question de savoir si le droit de surveillance et de contrôle appar-

tient aux associés ou si le rôle de ces derniers se limite seulement à nom-
mer des commissaires aux comptes seuls habilités à surveiller et contrôler,

188la réponse découle des termes de l’article 71 du décret de 1887, qui dis-
tingue deux situations en fonction du nombre d’associés:

— si le nombre d’associés est supérieur à cinq, la prérogative incombe
obligatoirement aux commissaires nommés par les associés (ar-
ticle 71, alinéas 1 et 2, et article 72);

— si le nombre d’associés est inférieur à cinq, la nomination de commis-
saires n’est pas obligatoire et, surtout, l’alinéa 3 de l’article 71 précise
que «chaque associé a les pouvoirs des commissaires» (les italiques
sont de moi). En l’espèce, nous sommes dans cette seconde situation,
au moins pour la société Africontainers, qui ne comprend que deux

associés (la société Africom, représentée par M. Diallo, et M. Diallo
lui-même). Les termes de la loi sont suffisamment clairs et évidents
pour constater que, dans ce cas, le pouvoir de surveillance et de
contrôle est reconnu comme un pouvoir ou droit de l’associé.

Néanmoins, une question peut se poser, celle de savoir si l’associé qui
exerce ce droit de surveillance et de contrôle devient un organe de la
société distinct de l’associé ou s’il reste toujours un associé. On sait

qu’une même personne ou un même organe peut exercer deux fonctions
différentes, en vertu du fameux principe de dédoublement fonctionnel. Si
l’on prend l’exemple d’une société obligée de désigner des commissaires
aux comptes et si un associé est nommé commissaire aux comptes, il va
relever de ce dédoublement fonctionnel en exerçant de façon très dis-

tincte, d’une part, ses prérogatives d’associé et, d’autre part, ses préroga-
tives de commissaire aux comptes, qui en font alors un organe de la
société. Ce cas de figure est donc assez simple à comprendre et à expli-
quer.
On serait tenté de déduire que cela vaut aussi pour l’exemple d’une

société qui n’a pas nommé de commissaires aux comptes et où chaque
associé dispose de la prérogative de surveillance et de contrôle à côté des
droits qu’il détient comme associé. Toutefois, pareille déduction ne serait
pas correcte, car il n’y a pas équivalence entre les deux situations en rai-
son du libellé de l’article 71, alinéa 3, précité; celui-ci ne dit pas que cha-

que associé obtient le statut de commissaire aux comptes, devenant par
conséquent organe de la société — comme dans le premier cas; il dit
expressément que chaque associé «a les pouvoirs» des commissaires aux
comptes et il ne s’agit pas seulement d’une nuance de forme ou de voca-
bulaire, mais d’une différence substantielle qui touche aux fondements

mêmes du statut d’associé et du statut de commissaire aux comptes:
— dans un cas, il y a la nomination de l’associé comme commissaire aux
comptes, laquelle nomination l’institue alors comme organe de la

société, dans un statut distinct de son statut d’associé; en effet, en
agissant en tant que commissaire aux comptes, il doit mettre de côté
son statut d’associé et, en quelque sorte, entrer dans la peau du com-
missaire pour l’assumer pleinement;

— dans l’autre, il n’y a rien de tel et c’est tout simplement l’associé qui
hérite, en vertu de la loi, de prérogatives supplémentaires afin de sur-

189 veiller et de contrôler la gestion de la société comme associé, en exer-
çant des prérogatives nouvelles; la notion de commissaire aux comp-

tes est ainsi subsumée dans celle d’associé.
Pour résumer, on peut dire aussi que, dans le premier cas, il y a un
changement de statut et l’institution d’un nouvel organe alors que, dans

le second cas, il y a seulement des prérogatives nouvelles qui viennent
s’ajouter à celles de l’associé. Aussi, dans la présente espèce, la circons-
tance que M. Diallo soit finalement le seul associé aboutit à un cumul
assez singulier dans la mesure où il est en même temps le gérant et le
contrôleur de la société Africontainers. Ce cumul, loin de rendre sans

objet les conséquences de l’expulsion, invite à distinguer entre, d’une
part, les droits du gérant, qui sont ceux d’un organe de la société et ne
relèvent pas, à ce titre, des droits propres de M. Diallo susceptibles d’être
couverts par la protection diplomatique (arrêt de la Cour du 24 mai 2007),
et, d’autre part, les droits de contrôle de l’associé, qui sont des droits pro-

pres et sont couverts par la protection diplomatique.

2.6. Le droit de M. Diallo de procéder à la liquidation des sociétés
et à la réalisation du reliquat de leur actif

Il découle de l’article 99 du décret précité de 1887 qu’il appartient à
l’assemblée générale de se prononcer sur la dissolution de la société et la
réalisation du reliquat de son actif. Il s’agit là encore d’un acte collectif
que nous avons évoqué précédemment et qui est justiciable de la même
analyse et de la même conclusion. L’acte de liquidation est pris par les

associés réunis en assemblée générale avec la participation au vote de
chacun d’entre eux; cette participation au vote est un droit individuel et
propre à chaque associé et, par voie de conséquence, sa violation peut
donner lieu à des recours contre les auteurs de cette violation.
Certes, l’expulsion de M. Diallo a visé le gérant, organe des deux socié-

tés, dont il est allégué que la présence et la conduite compromettaient
l’ordre public zaïrois; toutefois, elle a concerné, à travers la même per-
sonne, non seulement le gérant, mais aussi le surveillant et contrôleur
ainsi que l’associé. Si les activités de gérant se rattachent aux sociétés et
ont été exclues du champ de la présente instance par l’arrêt précité du

24 mai 2007, les autres activités de l’associé constituent des droits propres
de M. Diallo, lequel peut les faire valoir et demander la mise en Œuvre
des voies et moyens de leur protection, y compris la protection diploma-
tique par la Guinée.

2.7. Le problème de l’expropriation indirecte
et de ses conséquences

On sait que les règles du droit international relatives à l’expropriation
ont évolué pour consacrer, après une période de controverses, cette

notion d’expropriation indirecte à travers les sentences de plusieurs ins-
tances juridictionnelles (tribunaux arbitraux sous l’égide du CIRDI ou de

190la Chambre de commerce internationale, Tribunal irano-américain, Cour
interaméricaine des droits de l’homme, Cour européenne des droits de

l’homme, etc.) et aussi à travers les études doctrinales (parmi une abon-
dante littérature, citons notamment R. Dolzer, «Indirect Expropriation
of Alien Property», ICSID Review — Foreign Investment Law Journal ,
1986, p. 33; A. K. Hoffmann, «Indirect Expropriation», dans A. Rei-
nisch (dir. publ.), Standards of Investment Protection , Oxford University

Press, 2008, p. 151; Y. Nouvel, «Les mesures équivalant à une expropria-
tion dans la pratique récente des tribunaux arbitraux», RGDIP, 2002,
p. 79; et B. Stern, «In Search of the Frontiers of Indirect Expropriation»,
dans Contemporary Issues in International Arbitration and Mediation:

The Fordham Papers, 2007, 2008, p. 29).
Dans le cas d’espèce, chacune des différentes mesures prises à l’encon-
tre de M. Diallo (rupture de contrats, interpellation ou arrestation, blo-
cage ou refus d’honorer les créances, déni de justice, expulsion) ne cons-
titue pas, par elle-même, une mesure d’expropriation. Toutefois, l’addition

de ces mesures couronnée par l’expulsion a fini par avoir des effets équi-
valents, ce qui permet de parler d’une expropriation indirecte. Les droits
de propriété — et plus précisément les parts sociales de M. Diallo —
n’ont pas été visés directement par chacune de ces mesures, mais ils ont
été mis en péril par le fait que leur propriétaire a été dans l’impossibilité,

matérielle et juridique, d’entreprendre les actes de gestion nécessaires
pour les sauvegarder et a fortiori les faire fructifier. Il est devenu le pro-
priétaire de sociétés transformées en coquilles vides au fur et à mesure
que le temps s’est écoulé.
Etant devenu le seul associé, directement ou indirectement, et parce

que la situation de fait a entraîné la disparition ou quasi-disparition des
sociétés, M. Diallo supporte dans son propre patrimoine la presque tota-
lité du préjudice subi par ses sociétés. A ce titre, il s’agit bien d’une
atteinte à ses droits d’associé tels qu’ils ont été définis et dans les limites
posées par l’arrêt de la Cour du 24 mai 2007 sur les exceptions prélimi-

naires. Ajoutons à cela que la disparition ou quasi-disparition des deux
sociétés empêche celles-ci d’exercer les recours appropriés permettant de
faire valoir leurs droits, ce qui soulève une question importante méritant
quelques explications.
La Cour a déjà abordé ce problème de la disparition de société dans

l’affaire de la Barcelona Traction, et elle a dégagé un certain nombre
d’éléments ou de critères ayant guidé sa démarche. La présente affaire
donne à la Cour l’occasion de mieux éclairer sa démarche en précisant
davantage les éléments et critères avancés auparavant.
On sait que, par lettre adressée le 31 janvier 2007 à la Cour, la RDC a

informé celle-ci que la société Africom avait cessé toutes ses activités au
milieu des années 1980, ce qui aurait mené à la radiation de son imma-
triculation au registre du commerce (paragraphe 22 de l’arrêt du 24 mai
2007). Il s’agissait alors d’un élément nouveau — survenu depuis la fin

de la procédure orale concernant les exceptions préliminaires; il est de
nature à avoir des conséquences directes sur la question de la protection

191diplomatique des associés, qui se situerait désormais sur un autre terrain
que celui plus étroit sur lequel s’est situé l’arrêt précité.

En effet, les termes de la lettre du défendeur se sont confirmés dans la
pratique, non seulement pour la société Africom, mais aussi pour la
société Africontainers, car, ainsi que nous l’avons relevé précédemment,
des sociétés restées inactives depuis près de quinze années (1996-2010) ont
en fait cessé d’exister. Cela oblige à s’interroger sur la nature de cette dis-

parition, qui crée une situation nouvelle où il n’y a pratiquement plus de
possibilité pour l’une ou l’autre société, ou les deux, de faire valoir direc-
tement leurs droits par elles-mêmes et de défendre ainsi, indirectement,
les droits et intérêts de leur associé unique. Cette impossibilité de toute

action par l’intermédiaire de la société priverait l’associé unique de tout
recours si on lui refusait le jeu de la protection diplomatique par la Gui-
née; on se trouverait devant une solution contraire non seulement à
l’équité mais aussi aux principes fondamentaux régissant les droits de la
défense et les droits de l’homme. Ce problème a préoccupé la Cour, la

doctrine et la Commission du droit international, et un bref rappel est
utile pour en saisir la portée.
Dans l’affaire de la Barcelona Traction, la Cour l’évoque très précisé-
ment en tant que première exception à la règle classique de la protection
diplomatique dans le paragraphe 64, où elle déclare ceci:

«La Cour recherchera maintenant s’il existe en l’espèce d’autres cir-
constances spéciales où la règle générale pourrait ne pas avoir effet.
Deux situations particulières lui paraissent devoir retenir l’attention

à ce sujet: le cas où la société aurait cessé d’exister , le cas où l’Etat
national de la société n’aurait pas qualité pour agir en faveur de
celle-ci.» (Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited
(Belgique c. Espagne), deuxième phase, arrêt, C.I.J. Recueil 1970 ,

p. 40, par. 64; les italiques sont de moi.)
Puis elle analyse la situation dans les paragraphes 65 à 68. Certes, elle
conclut dans cette affaire que la société n’a pas disparu et, de ce fait,

l’invocation de cette exception ne pouvait pas être pertinente en l’espèce.
On peut inférer du raisonnement de la Cour que, si l’hypothèse de la dis-
parition avait été établie, on serait en présence d’une situation où l’excep-
tion serait prise en considération. En effet, la Cour indique clairement
dans le paragraphe 66 de l’arrêt que:

«la disparition de la société en droit prive les actionnaires de la pos-
sibilité d’un recours par l’intermédiaire de la société; c’est unique-

ment quand toute possibilité de ce genre leur est fermée que la ques-
tion d’un droit d’action indépendant peut se poser pour eux et pour
leur gouvernement» (ibid., p. 41, par. 66).

Dans son opinion individuelle jointe à l’arrêt, le juge Fitzmaurice a
bien analysé le problème en évoquant la situation où une société est

«dans l’incapacité de facto de protéger ses intérêts et, partant, ceux

192 des actionnaires. Il est évident que, dans les cas de ce genre, aucune
intervention ni réclamation pour le compte de la société elle-même

ne saurait par hypothèse être possible sur le plan international puis-
que, d’une part, il s’agit d’une société nationale et non étrangère et
que, d’autre part, l’autorité à laquelle la société devrait pouvoir
s’adresser pour obtenir appui ou protection est précisément l’auteur
du préjudice... La personne morale étant devenue impuissante et

incapable d’agir utilement, les actionnaires viennent en quelque sorte
se substituer à la direction pour assurer la protection des intérêts de
la société par tous les moyens légaux qui leur sont ouverts.» (C.I.J.
Recueil 1970, opinion individuelle du juge Fitzmaurice, p. 72, par. 14;

note de bas de page omise.)
Dans la mesure où, en la présente instance, il se confirme que l’une ou

l’autre ou les deux sociétés auraient disparu, on se retrouve alors dans la
première exception examinée par la Cour permettant d’ouvrir la voie au
jeu de la protection diplomatique. Ce point de vue, très largement par-
tagé au sein de la doctrine, est également repris dans le projet d’articles
adopté par la Commission du droit international en 2006 en tant que pre-

mière exception à la règle générale de la protection diplomatique en s’ins-
pirant de la position de la Cour. Selon l’article 11 du projet:

«Un Etat de nationalité des actionnaires d’une société ne peut
exercer sa protection diplomatique à l’égard desdits actionnaires lors-
qu’un préjudice est causé à la société que:

a) si la société a cessé d’exister d’après la loi de l’Etat où elle s’est
constituée pour un motif sans rapport avec le préjudice.»

En l’espèce, il semble bien que l’on soit en présence d’une telle situation
même si beaucoup d’éléments d’informations demeurent encore incer-
tains, ne serait-ce que pour déterminer si les sociétés ont effectivement
cessé d’exister, quand et comment. Il reste que cette situation aurait dû

être clarifiée davantage par la Cour.
Au plan des faits, les Parties sont d’accord pour constater que les socié-
tés ont cessé d’exister, puisqu’elles n’ont aucune activité depuis que leur
gérant a été expulsé. Elles divergent sur les dates auxquelles les sociétés
ont cessé d’exister effectivement et surtout sur le problème de leur exis-

tence juridique, ce dernier point nécessitant de voir quel est l’état de la
question.
On sait que, dans l’affaire de la Barcelona Traction, la Cour s’était déjà
penchée sur ce problème de disparition de société et elle a indiqué la
démarche à suivre pour savoir si une société a ou non cessé d’exister, en

adoptant une solution considérée comme plus stricte que celle prévalant
auparavant, comme l’a rappelé la Commission du droit international
dans son commentaire de l’article 11 (rapport de la Commission du droit
international, 2006, p. 62). La position de la Cour ressort clairement des

paragraphes 65, 66 et 67 de l’arrêt, dont les extraits pertinents méritent
d’être cités:

193 «65. ... Il est néanmoins constant que cette société a perdu tous ses
avoirs en Espagne et qu’elle a été placée sous receivership au Canada,

un receiver et administrateur ayant été désigné. Il est incontesté
qu’elle a été entièrement paralysée au point de vue économique ...

66. On ne saurait néanmoins soutenir que la société a disparu
comme personne morale ni qu’elle a perdu la capacité d’exercer l’ac-

tion sociale. Elle était libre de se prévaloir de sa capacité devant les
tribunaux espagnols et elle l’a fait. Elle n’est donc pas devenue juri-
diquement incapable de défendre ses propres droits ni les intérêts de
ses actionnaires ... Seule la disparition de la société en droit prive les

actionnaires de la possibilité d’un recours par l’intermédiaire de la
société; c’est uniquement quand toute possibilité de ce genre leur est
fermée que la question d’un droit d’action indépendant peut se poser
pour eux et pour leur gouvernement.
67. En l’espèce la Barcelona Traction est sous receivership dans le

pays où elle a été constituée. Loin de laisser supposer que la per-
sonne morale ou ses droits se soient éteints, cette situation indique
plutôt que ces droits subsistent tant qu’il n’y a pas liquidation. Bien
qu’en état de receivership, la société continue d’exister. De plus, il est
de notoriété publique que ses actions étaient cotées en bourse encore

récemment.» (C.I.J. Recueil 1970, p. 40-41.)
Qu’en est-il de l’application de ces critères dans la présente affaire? Il

suffit de comparer terme à terme les situations de la société Barcelona
Traction et des sociétés de M. Diallo pour que les conclusions apparais-
sent assez clairement:
— d’une part, si la société Barcelona Traction avait cessé d’exister au

lieu de ses activités (Espagne), elle n’avait pas cessé d’exister au lieu
de sa constitution (Canada), alors que les deux sociétés de M. Diallo
ont cessé d’exister de facto au lieu unique de leur activité et de leur
constitution (République démocratique du Congo), en raison des

agissements des autorités congolaises;
— d’autre part, la société Barcelona Traction n’était pas devenue juridi-
quement incapable de défendre ses propres droits ni les intérêts de ses
actionnaires et l’administrateur nommé par les tribunaux canadiens
était à même d’exercer tous les recours appropriés, alors que, à l’évi-

dence, les deux sociétés de M. Diallo sont devenues incapables de se
défendre parce que leur gérant était mis dans l’impossibilité, physique
et juridique, d’agir par les autorités congolaises.
Pour tous ces éléments de fait et de droit, et contrairement à la situa-

tion prévalant dans l’affaire de la Barcelona Traction (paragraphe 68 de
l’arrêt de 1970), dans la présente affaire les conditions semblent réunies
pour permettre à la Guinée d’exercer sa protection diplomatique à l’égard
de l’associé, M. Diallo, désormais seul détenteur des actifs des sociétés (le

voile social ayant disparu), tout en restant dans la ligne de l’arrêt du
24 mai 2007 sur les exceptions préliminaires.

194 3. L E DROIT À RÉPARATION

Naturellement, je partage les conclusions de la Cour sur les violations
des droits de l’homme dont a été victime M. Diallo et sur la nécessité
d’une indemnisation dans les conditions indiquées dans le dispositif de

l’arrêt, tout en estimant que la Cour aurait pu retenir ces mêmes conclu-
sions sur les violations identiques qui ont eu lieu pendant la période anté-
rieure à 1995-1996. En revanche, à la lumière des développements qui
précèdent et qui montrent que M. Diallo a été victime de préjudices maté-

riels et moraux découlant des différentes violations de ses droits de
l’homme ainsi que de ses droits d’associé, ma position s’écarte de la
conclusion très restrictive de la Cour qui exclut toute violation des droits

d’associé de M. Diallo et écarte donc toute réparation à ce titre.

(Signé) Ahmed M AHIOU .

195

Bilingual Content

OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE AD HOC MAHIOU

Atteintes aux droits de l’homme — Arrestation et détention de 1988-
1989 — Recevabilité de la demande — Demande nouvelle — Demande tar-
dive — Demande contenue dans la requête — Demande découlant de l’objet de
la requête — Jurisprudence de la Cour.
Droit congolais des sociétés et spécificités des sociétés dont M. Diallo est
l’unique actionnaire — Droits de M. Diallo et droits des sociétés — Droits pro-
pres de M. Diallo comme associé — Droits de l’associé dans la gestion et le
fonctionnement des sociétés — Droits de participer aux assemblées généra-
les — Droits de l’associé au regard de la gérance — Droit de surveillance et de
contrôle — Droit de procéder à la liquidation des sociétés et droit au reli-
quat — Problème de l’expropriation indirecte — Droit à réparation.

Tout en souscrivant à beaucoup de conclusions auxquelles la Cour est
parvenue dans la présente affaire, il reste que sur les deux points les plus
importants concernant, d’une part, la recevabilité de la demande relative
à l’arrestation et la détention de M. Diallo en 1988-1989 et, d’autre part,
la violation des droits d’associé de M. Diallo dans les deux sociétés Afri-

com-Zaïre et Africontainers-Zaïre, je ne suis convaincu ni par les conclu-
sions adoptées, ni par l’argumentation déployée pour les justifier, et il
convient donc d’indiquer les raisons pour lesquelles je ne peux pas suivre
la Cour sur ces points.

1. L A RECEVABILITÉ DE LA DEMANDE RELATIVE À L ARRESTATION

ET LA DÉTENTION DE M. D IALLO EN 1988-1989

A la suite d’un examen du point relatif à la recevabilité de la demande
de la Guinée concernant l’arrestation et la détention de M. Diallo en 1988-
1989, la Cour estime qu’il s’agit d’une demande nouvelle qui ne remplit
pas les conditions requises permettant de l’inclure dans la procédure
engagée depuis 1998; elle conclut que ladite demande est irrecevable

parce qu’elle a été présentée tardivement (paragraphe 47 de l’arrêt). Je ne
peux pas souscrire à une telle conclusion et je ne suis pas réellement
convaincu par l’argumentation qui la soutient, parce qu’elle fait prévaloir
une interprétation très rigide et une application excessivement formaliste
de la jurisprudence de la Cour.

Il est vrai que les faits concernant l’arrestation et la détention de 1988-
1989 ne sont pas mentionnés ou décrits dans la requête introductive de
l’instance du 28 décembre 1998, ni dans le document annexé à celle-ci; ils
n’apparaissent formellement et pour la première fois que dans les obser-

vations de la République de Guinée (dénommée ci-après la «Guinée») du
7 juillet 2003 sur les exceptions préliminaires de la République démocra-

177 DISSENTING OPINION OF JUDGE AD HOC MAHIOU

[Translation]

Human rights violations — Arrest and detention of 1988-1989 — Admissibil-
ity of the claim — New claim — Late claim — Claim implicit in the Application
— Claim arising out of the subject-matter of the Application — Jurisprudence
of the Court.
Congolese company law and the specific characteristics of the companies in
which Mr. Diallo is the sole shareholder — Mr. Diallo’s rights and rights of the

companies — Mr. Diallo’s direct rights as associé — Rights of the associé in the
management and operation of the companies — Right to take part in general
meetings — Rights of the associé relating to the gérance — Right of oversight
and control — Right to liquidate the companies and right to the remaining
assets — Issue of indirect expropriation — Right to reparation.

While subscribing to many of the conclusions reached by the Court in
the present case, I nevertheless remain unconvinced by both the conclu-

sions adopted and the reasoning relied on to justify them in respect of the
two most important points, those concerning, first, the admissibility of
the claim relating to Mr. Diallo’s arrest and detention in 1988-1989 and,
second, the violation of Mr. Diallo’s rights as associé in Africom-Zaire

and Africontainers-Zaire. My reasons for being unable to join the Court
on these points therefore call for an explanation.

1. A DMISSIBILITY OF THEC LAIM RELATING TO M R.D IALLO’SA RREST AND
D ETENTION IN 1988-1989

After considering the question of the admissibility of Guinea’s claim
relating to Mr. Diallo’s arrest and detention in 1988-1989, the Court
takes the view that it is a new claim which does not satisfy the conditions
required for it to be included in the proceedings instituted in 1998; the

Court concludes that the claim is inadmissible because it was raised late
(paragraph 47 of the Judgment). I cannot subscribe to that finding and
remain unconvinced by the reasoning on which it is based, because it
relies on a very rigid interpretation and overly formalistic application of

the Court’s jurisprudence.

It is true that the facts concerning the arrest and detention of 1988-
1989 are not referred to or described in the Application instituting pro-
ceedings of 28 December 1998, or in the document annexed thereto; they

are only formally introduced for the first time in the Observations of the
Republic of Guinea (hereinafter “Guinea”) of 7 July 2003 on the prelimi-
nary objections raised by the Democratic Republic of the Congo (here-

177tique du Congo (dénommée ci-après la «RDC»). Ces mêmes faits sont
ensuite repris de façon beaucoup plus détaillée dans la réplique de la Gui-

née du 19 novembre 2008, qui précise, en outre, qu’ils font «indubitable-
ment partie des faits illicites à raison desquels la Guinée entend engager
la responsabilité internationale du défendeur». Il s’agit donc d’une
demande additionnelle, et il convient de voir si une telle demande était ou
non susceptible d’être accueillie par la Cour.

On sait que la jurisprudence de la Cour ne considère pas comme irre-
cevable ipso facto toute demande nouvelle car «la nouveauté d’une
demande n’est pas décisive en soi pour la question de la recevabilité»
(affaire du Différend territorial et maritime entre le Nicaragua et le Hon-

duras dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Honduras), arrêt, C.I.J.
Recueil 2007 (II), p. 695, par. 110); elle admet que celle-ci est recevable
si elle remplit l’une ou l’autre des deux conditions suivantes:

— soit parce qu’elle est contenue dans la requête T ( emple de Préah Vihéar
(Cambodge c. Thaïlande), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1962, p. 36);
— soit parce qu’elle découle directement de la question qui fait l’objet de
la requête (Compétence en matière de pêcheries (République fédérale

d’Allemagne c. Islande), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1974 , p. 203,
par. 72; Certaines terres à phosphates à Nauru (Nauru c. Australie),
exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1992 , p. 266, par. 67).

La raison d’être de ce test en deux temps étant tout simplement la
nécessité d’établir un lien suffisamment étroit entre l’objet du différend,
tel que défini dans la requête, et la demande additionnelle, pour assurer
une bonne administration de la justice et afin de respecter les droits de

l’autre partie à l’instance ainsi que les droits des Etats tiers. La Cour a
déjà eu l’occasion de dire qu’elle «ne saurait admettre, en principe, qu’un
différend porté devant elle par requête puisse être transformé, par voie de
modifications apportées aux conclusions, en un autre différend dont le
caractère ne serait pas le même» (Société commerciale de Belgique, arrêt,
o
1939, C.P.J.I. série A/B n 78, p. 173).
Dans le cas d’espèce, quels sont le contenu et l’objet de la requête? En
se rapportant à la requête précitée du 28 décembre 1998, il est dit de
manière très sommaire et plus précisément que M. Diallo a été «injuste-
ment incarcéré par les autorités de cet Etat [la République démocratique

du Congo], spolié de ses importants investissements, entreprises et avoirs
mobiliers, immobiliers et bancaires puis expulsé».

On constate donc que la requête vise de manière assez vague l’incarcé-
ration et la spoliation dont M. Diallo a été l’objet, sans faire référence à

aucun acte précis. Autrement dit, le contenu et l’objet de la requête ini-
tiale stricto sensu sont énoncés de manière générale et large, ce qui per-
met de couvrir incontestablement tout acte d’incarcération ou de spolia-
tion sans précision de période. Il est également important de noter qu’il

n’est pas davantage fait référence à l’arrestation et la détention de 1995-
1996, qui sont les seuls faits retenus par le présent arrêt de la Cour

178inafter the “DRC”). Those same facts are subsequently reiterated in
much greater detail in Guinea’s Reply of 19 November 2008, which

states, moreover, that they “inarguably figure among the wrongful acts
for which Guinea is seeking to have the Respondent held internationally
responsible”. Therefore, they constitute an additional claim, and it must
be determined whether or not such a claim could be entertained by the
Court.

As we know, under the Court’s jurisprudence all new claims are not
ipso facto inadmissible, since “the mere fact that a claim is new is not in
itself decisive for the issue of admissibility” (case concerning Territorial
and Maritime Dispute between Nicaragua and Honduras in the Caribbean

Sea (Nicaragua v. Honduras), Judgment, I.C.J. Reports 2007 (II) ,
p. 695, para. 110); jurisprudence accepts a new claim as admissible if it
satisfies either of the following two conditions:

— it is implicit in the Application (Temple of Preah Vihear (Cambodia
v. Thailand), Merits, Judgment, I.C.J. Reports 1962 ,p.36);or
— it arises directly out of the question which is the subject-matter of the
Application (Fisheries Jurisdiction (Federal Republic of Germany v.

Iceland), Merits, Judgment, I.C.J. Reports 1974 , p. 203, para. 72;
Certain Phosphate Lands in Nauru (Nauru v. Australia), Preliminary
Objections, Judgment, I.C.J. Reports 1992 , p. 266, para. 67).

The rationale behind this two-prong test is quite simply the need to
establish a sufficiently close link between the subject-matter of the dis-
pute, as defined in the Application, and the additional claim, in order to
ensure the sound administration of justice and to respect the rights of the

other party to the case, as well as those of third States. The Court has
already had occasion to state that it “cannot, in principle, allow a dispute
brought before it by application to be transformed by amendments in the
submissions into another dispute which is different in character” (Société
Commerciale de Belgique, Judgment, 1939, P.C.I.J., Series A/B, No. 78 ,

p. 173).
What are the content and subject-matter of the Application in the
present case? In the above-mentioned Application of 28 December 1998,
it is said in the following, very brief terms that Mr. Diallo was “unjustly
imprisoned by the authorities of the Democratic Republic of the

Congo . . . despoiled of his sizable investments, businesses, movable and
immovable property and bank accounts, and then expelled from the
country”.
It can be seen, therefore, that the Application gives a somewhat vague
account of the imprisonment and despoilment suffered by Mr. Diallo,

without referring to any specific act. In other words, the content and subject-
matter of the initial Application stricto sensu are set out using broad and
general terms which can cover any act of imprisonment or despoilment,
without specifying a date. In addition, it is important to note that there

is also no reference to the arrest and detention of 1995-1996, which are
the only facts accepted in this Judgment of the Court as the basis for

178comme base de la demande guinéenne. Si l’on s’en tient à la seule requête
stricto sensu, qui contient, comme le relève la Cour, «un exposé succinct

de l’objet du différend» (paragraphe 1 de l’arrêt), les événements de 1988-
1989 comme ceux de 1995-1996 sont omis et ils sont donc à ce stade sur
le même plan du point de vue de la procédure et de leur statut.

Certes, les événements de 1995-1996 sont mentionnés et décrits dans le

mémoire de la Guinée joint en annexe à la requête, lequel mémoire spécifie
les faits à l’origine du différend, les moyens de droit et les demandes de la
Guinée, alors que les événements de 1988-1989 n’apparaissent pas, tout
comme d’ailleurs bien d’autres événements qui ne seront invoqués que

dans les phases ultérieures de la procédure et que la Cour a néanmoins
retenus. L’arrestation, la détention et l’expulsion de 1995-1996 sont mises
en avant parce qu’elles constituent et illustrent l’ultime et dernier acte
d’un processus qui a commencé depuis la fin des années 1980 et qui s’est
poursuivi jusqu’au moment de l’expulsion en janvier 1996. En effet, les

atteintes aux droits de M. Diallo s’insèrent dans un continuum d’actes illi-
cites qui se sont succédé pendant toute cette période, et il n’était guère
besoin d’énumérer et de préciser chacun d’entre eux dès le stade de la
demande initiale, ceux-ci devant été précisés dans la suite de la procédure.
Les faits de 1988-1989 n’ont ainsi pas transformé l’objet du différend

défini dans la requête, et la question qui est soumise à la Cour pour déci-
sion demeure celle de savoir si M. Diallo a été injustement incarcéré et
expulsé par les autorités de la RDC en violation des règles découlant tant
du droit interne congolais que des règles internationales engageant la
RDC, suite à des tentatives de recouvrement des créances détenues par

ses sociétés.
Certes, il y a apparemment quelques différences sur le fondement juri-
dique de l’incarcération de 1988-1989 et celle de 1995-1996, comme l’indi-
que la Cour, puisque, dans le premier cas, l’incarcération reposerait sur
une procédure de nature pénale — qui s’est au demeurant révélée infon-

dée — alors que, dans le second cas, elle repose formellement sur une pro-
cédure de nature administrative en vue de l’expulsion (paragraphe 43 de
l’arrêt). Toutefois, dès que l’on dépasse les apparences et que l’on observe
de plus près les faits, les choses se présentent différemment aussi bien en ce
qui concerne le motif de l’incarcération que la procédure mise en Œuvre.

Le motif réel des deux incarcérations est le même: il s’agit d’entraver
ou d’empêcher M. Diallo de recouvrer des créances qui lui étaient dues
par un certain nombre d’organismes ou entreprises relevant de l’Etat
congolais. Quant à l’incarcération, il ressort clairement des éléments ver-
sés au dossier que la première arrestation a eu lieu sur ordre du premier

commissaire d’Etat zaïrois (premier ministre), comme l’atteste une lettre
datée du 4 juillet 1988, adressée au président du conseil judiciaire du
Zaïre et signée du premier commissaire d’Etat (lettre citée par les deux
Parties et figurant à l’annexe 15 des observations de la Guinée sur les

exceptions préliminaires, en date du 7 juillet 2003). Les arrestations de
1995-1996 ont également été ordonnées par l’autorité exécutive, aux fins

179Guinea’s claim. If we confine ourselves to the Application stricto sensu,
which, as the Court notes, contains “a succinct statement of the subject

of the dispute” (paragraph 1 of the Judgment), there is no mention of
either the events of 1988-1989 or those of 1995-1996 and therefore, at this
stage, the two sets of events are on a par with one another from the point
of view of procedure and their status.
It is true that the events of 1995-1996 are referred to and described in

the document annexed to Guinea’s Application, which sets out the facts
underlying the dispute, the legal grounds and Guinea’s claims, whereas
the events of 1988-1989 are not, along with a number of other events
which were only raised in the subsequent stages of the proceedings, and

which were nonetheless accepted by the Court. The arrest, detention and
expulsion of 1995-1996 are invoked because they form and illustrate the
last — and ultimate — stage of a process which started at the end of the
1980s and continued until the expulsion in January 1996. The violations
of Mr. Diallo’s rights form part of a continuum of wrongful acts which

occurred over this entire period, and there was hardly a need to list and
detail each of these in the initial claim, since they would have to be
described in the subsequent proceedings.

Thus, the facts relating to 1988-1989 did not transform the subject-

matter of the dispute defined in the Application, and the question
submitted to the Court for decision remains the same: was Mr. Diallo
unjustly imprisoned and expelled by the DRC authorities, in violation
of both the rules deriving from Congolese domestic law and the inter-
national rules binding on the DRC, following attempts to recover the

debts owing to his companies?
Admittedly, there are certain apparent differences between the legal
bases on which the imprisonment of 1988-1989 and that of 1995-1996
were carried out: as the Court notes, the first is purportedly based on a
criminal investigation — which, incidentally, proved to be unfounded

—whereas the second is formally based on an administrative procedure
with a view to expulsion (paragraph 43 of the Judgment). However, as
soon as we look beyond appearances and study the facts more closely,
things take on a different light in terms both of the reason for the impris-
onment and of the procedure adopted.

The real motive for both imprisonments is the same: to impede Mr. Dia-
llo, or prevent him from recovering the debts which were owing to him
by a certain number of Congolese State-owned organizations and
businesses. With respect to his imprisonment, the evidence in the record
clearly shows that the first arrest took place on the order of the First

Zairean State Commissioner (Prime Minister), as confirmed by a letter
dated 4 July 1988, sent to the President of the Zairean Judicial Council
and signed by the First State Commissioner (a letter relied on by both
Parties and appearing at Annex 15 of Guinea’s Observations on the Pre-

liminary Objections, dated 7 July 2003). The arrests in 1995-1996 were
also ordered by the executive power, for the purposes of implementing

179de mettre en Œuvre un ordre d’expulsion établi par le premier ministre. Il
ressort ainsi clairement que la première comme la deuxième détention de

M. Diallo revêtent en réalité un aspect administratif et non pénal; elles
ont été prises par l’autorité exécutive en dépassement de son pouvoir,
avec une interférence occasionnelle du seul procureur, dont on sait qu’il
est sous l’autorité directe de ladite autorité exécutive.
Substantiellement ou matériellement, il n’y a guère de différence entre

les deux situations: il s’agit d’une même personne qui, pour les mêmes
motifs et à des périodes distinctes, se trouve victime d’arrestations et de
détentions arbitraires commises par un commissaire d’Etat ou premier
ministre. Par conséquent, la demande de la Guinée relative à l’incarcéra-

tion de 1988-1989 présente des liens suffisamment étroits avec la demande
principale et, loin de modifier l’objet de la requête, elle ne fait que resti-
tuer l’enchaînement chronologique des atteintes aux droits de M. Diallo.
De ce fait, elle remplit les conditions pour être déclarée recevable.
Par voie de conséquence, et pour paraphraser ce que dit la Cour dans

l’affaire du Différend territorial et maritime entre le Nicaragua et le Hon-
duras dans la mer des Caraïbes , la demande relative à la détention de
1988-1989 est implicitement contenue dans la question qui fait l’objet de
la requête de la Guinée, à savoir la stratégie d’incarcération arbitraire
adoptée par le défendeur à l’encontre de M. Diallo et la violation de ses

droits de l’homme qui en découle directement. Les faits de 1988-1989
n’ont aucunement transformé la nature du différend qui est soumis à la
Cour.
Il est regrettable que la Cour se soit écartée dans cette affaire de sa
jurisprudence établie en matière de demandes nouvelles, qui attachait

moins d’importance aux conditions de forme. Par exemple, dans l’affaire
du Différend relatif à des droits de navigation et des droits connexes
(Costa Rica c. Nicaragua) , où le Costa Rica n’avait pas fait figurer sa
demande relative à la pêche dans sa requête, mais seulement plus tard
dans son mémoire, la Cour a estimé que:

«compte tenu de la relation que les riverains entretiennent avec le
fleuve et du libellé de la requête, il existe un lien suffisamment étroit

entre la demande relative à la pêche à des fins de subsistance et la
requête, dans laquelle le Costa Rica invoque, outre le traité de 1858,
«d’autres règles et principes applicables du droit international»»
(arrêt, C.I.J. Recueil 2009 , p. 264, par. 137).

Il me semble que le lien entre l’arrestation de 1988-1989 et l’arrestation
de 1995-1996 est aussi étroit et même plus étroit que le lien entre la pêche
et les droits de navigation. La demande de la Guinée relative à la déten-

tion de 1988-1989, tout en étant nouvelle, ne semble pas contredire les
dispositions de procédure régissant la Cour et l’interprétation que celle-ci
en donne dans la jurisprudence précitée. Ainsi, la demande de la Guinée
relative à l’illicéité de l’arrestation et de la détention de M. Diallo, en

1988-1989, ne constitue qu’une précision supplémentaire sur la matéria-
lité et la continuité des actes illicites reprochés au défendeur et la Cour

180an expulsion decree prepared by the Prime Minister. Thus, it is clear
that Mr. Diallo’s first detention, like his second, was in fact part of

administrative rather than criminal proceedings: both were ordered by an
executive power overstepping its authority, the only other occasional
involvement being on the part of the prosecutor, who, as we know, is
under the direct authority of the executive power.
In substance or materially, there is very little difference between the

two situations: both involve the same person, who, for the same reasons
and at distinct times, finds himself the victim of arbitrary arrests and
detentions ordered by a First State Commissioner or Prime Minister.
Accordingly, Guinea’s claim relating to the imprisonment of 1988-1989

has sufficiently close links to the principal claim and, far from modifying
the subject-matter of the Application, simply completes the chronological
chain of violations of Mr. Diallo’s rights. For that reason, it satisfies the
conditions for it to be declared admissible.
Consequently, and to paraphrase what was said by the Court in the

case concerning Territorial and Maritime Dispute between Nicaragua and
Honduras in the Caribbean Sea , the claim relating to the detention of
1988-1989 is implicit in the question which is the subject-matter of Guin-
ea’s Application, that is, the strategy of arbitrary imprisonment used by
the Respondent against Mr. Diallo, and the violation of his human rights

as a direct result of that strategy. The facts relating to 1988-1989 clearly
did not transform the nature of the dispute submitted to the Court.

It is regrettable that in this case the Court departed from its established
jurisprudence relating to new claims, which has attached less importance

to formal requirements. For example, in the case concerning the Dispute
regarding Navigational and Related Rights (Costa Rica v. Nicaragua),in
which Costa Rica failed to include in its Application its claim relating to
fishing — only raising this later in its Memorial —the Court considered
that:

“given the relationship between the riparians and the river and the
terms of the Application, there is a sufficiently close connection

between the claim relating to subsistence fishing and the Applica-
tion, in which Costa Rica, in addition to the 1858 Treaty, invoked
‘other applicable rules and principles of international law’” (Judg-
ment, I.C.J. Reports 2009 , p. 264, para. 137).

In my view, the link between the arrest of 1988-1989 and the arrest of
1995-1996 is as close as, and even closer than, the link between fishing
and navigational rights. Guinea’s claim relating to the detention of 1988-

1989, although new, does not seem to contradict the procedural rules
governing the Court or the interpretation that the Court gives to those
rules in the decision cited above. Therefore, Guinea’s claim relating to
the unlawfulness of Mr. Diallo’s arrest and detention in 1988-1989 is

merely an addition to the material facts and the continuum of unlawful
acts of which the Respondent is accused, and the Court should have

180aurait dû logiquement prendre en considération cette continuité et ces

faits. Comme cela n’a pas été le cas, je ne pouvais que prendre position
contre le point 5 du dispositif de l’arrêt.

2. L ES DROITS PROPRES DE M. D IALLO EN TANT QU ’ASSOCIÉ

DES SOCIÉTÉS A FRICOM -Z AÏRE ET A FRICONTAINERS -ZAÏRE

2.1. La nature et l’ampleur de la participation
de M. Diallo dans les deux sociétés

Il convient, tout d’abord, de rappeler la nature et l’ampleur de la par-

ticipation de M. Diallo dans les deux sociétés (Africom-Zaïre, ci-après
«Africom», et Africontainers-Zaïre, ci-après «Africontainers») qu’il pos-
sède et gère afin de mieux comprendre les implications de fait et de droit
de cette situation.

Les statuts de la société Africom créée en 1974 n’ayant pas été pro-
duits, ni par le demandeur ni par le défendeur, son existence légale
découle d’un certain nombre d’autres actes dont notamment les statuts
de la seconde société créée par M. Diallo, Africontainers. En effet, c’est

l’acte notarié du 18 septembre 1979 portant statuts d’Africontainers
(mémoire de la Guinée, annexe 1) qui indique que cette nouvelle société
est créée au départ entre trois associés, deux personnes physiques
(M. Kibeti Zala, de nationalité guinéenne, et Mme Dewast, de nationalité

française) et une personne morale, la société Africom, dont il est précisé
que:

— celle-ci est immatriculée au registre du commerce de Kinshasa sous le
numéro 80.427;
— elle a son siège social avec mention de l’adresse;
— et, enfin, elle est représentée par son gérant M. Diallo, de nationalité

guinéenne.
Ce même acte précise que, dans la répartition du capital social de la
société Africontainers, Africom bénéficie de 30 % des parts sociales.

Ainsi, c’est par le biais de cet acte notarié du 18 septembre 1979 que
l’on dispose de quelques informations sur la société Africom dans la pré-
sente affaire et que son statut est confirmé comme société privée à res-
ponsabilité limitée, conformément au droit congolais.

Par le biais d’un autre acte notarié du 18 avril 1980, concernant la
seconde société Africontainers, on est informé d’un important change-
ment dans la répartition du capital social de celle-ci, puisque la société
Africom et M. Diallo deviennent les seuls actionnaires de la société Afri-

containers. A partir de cette date, Africontainers n’a plus que deux asso-
ciés, une personne morale, la société Africom, détentrice de 60 % des
parts sociales, et une personne physique, M. Diallo, détenteur des 40 %
de parts restantes. En outre, M. Diallo est désigné comme le gérant de la

société Africontainers en lieu et place du précédent gérant, M. David, de
nationalité française.

181taken that continuum and those facts into consideration. Since this was

not the case, I had no choice but to vote against point 5 of the operative
part of the Judgment.

2. M R .D IALLO’SD IRECT R IGHTS ASA SSOCIÉ IN

AFRICOM -Z AIRE AND A FRICONTAINERS -ZAIRE

2.1. The Nature and Extent of the Stake Held and Managed
by Mr. Diallo in the Two Companies

It is first necessary to recall the nature and extent of the stake held and
managed by Mr. Diallo in the two companies (Africom-Zaire, hereinafter
“Africom”, and Africontainers-Zaire, hereinafter “Africontainers”), in
order to better understand the factual and legal implications of that situ-

ation.
Although the Articles of Incorporation of Africom, which was founded
in 1974, have not been produced by either the Applicant or the Respond-
ent, its legal existence is evidenced by a number of other documents, in

particular the Articles of Incorporation of the second company founded
by Mr. Diallo, Africontainers. In fact, it is the notarial act of 18 Septem-
ber 1979 on the Articles of Incorporation of Africontainers (Memorial of

Guinea, Ann. 1) which shows that this new company was initially founded
with three associés: two physical persons (Mr. Kibeti Zala of Guinean
nationality and Mrs. Dewast of French nationality) and one legal person,
Africom, of which it is stated that:

— it is entered in the Kinshasa Register of Companies under No. 80,427;

— it has its administrative seat at the address given;

— and, finally, it is represented by its gérant, Mr. Diallo, of Guinean
nationality.

That same document states that Africom holds 30 per cent of Africon-
tainers’ parts sociales.
It is thus through this notarial act of 18 September 1979 that we have
some information regarding Africom in the present case and confirma-

tion of its status as a société privée à responsabilité limitée in accordance
with Congolese law.
It is by means of another notarial act concerning Africontainers of

18 April 1980 that we learn of a substantial change in the share capital
distribution of this company, with Africom and Mr. Diallo becoming its
sole shareholders. From this date, Africontainers has only two associés:a
legal person, Africom, holder of 60 per cent of the parts sociales ; and a

physical person, Mr. Diallo, holder of the remaining 40 per cent.
Mr. Diallo is also appointed gérant of Africontainers in place of its pre-
vious gérant, Mr. David, of French nationality.

181 S’agissant des activités d’Africom, celles-ci apparaissent au cours des
années 1980 par le biais de bons de commande, d’échanges de courriers

avec un certain nombre de partenaires congolais publics ou privés, s’éche-
lonnant de 1983 à 1996, à propos de créances non honorées notamment
par l’Etat congolais, ainsi que de décisions de justice se rapportant à
divers contentieux.
En l’absence des statuts de la société Africom, il ressort des actes nota-

riés mentionnés précédemment qu’elle aurait eu, au regard du droit
congolais, le statut de société privée à responsabilité limitée. Toutefois,
dans les faits, elle serait devenue une société unipersonnelle dans la
mesure où M. Diallo en aurait été le seul associé.

S’agissant de la société Africontainers — qui a été créée en tant que
société à responsabilité limitée classique, avec trois associés —, elle a évo-
lué vers une société à deux associés dont le dédoublement est largement
une fiction pour apparaître, elle aussi, comme une société unipersonnelle.
En effet, à côté de M. Diallo, détenteur de 40 % des actions, l’autre associé

majoritaire est Africom, qui est elle-même une émanation du seul M. Diallo,
de sorte que celui-ci est finalement le seul et unique associé des deux socié-
tés concernées par la présente affaire: Africom et Africontainers. On abou-
tit ainsi au résultat selon lequel M. Diallo n’est pas, sur le plan strictement
juridique et étroitement formaliste, l’unique associé légal d’Africontainers,

mais le devient dans les faits puisque, derrière l’autre associé légal (société
Africom), il n’y a plus qu’une seule réalité, M. Diallo lui-même. C’est au
demeurant ce que déclare la Cour, dans le paragraphe 114 de l’arrêt, en
constatant que «M. Diallo, en tant que gérant comme en tant qu’associé
des deux sociétés, dirigeait et contrôlait celles-ci pleinement».

Il y a une telle interpénétration ou osmose entre M. Diallo et ses deux
sociétés, tant au plan des faits qu’à celui du droit, qu’il est très malaisé de
les dissocier, alors même que cette situation a incontestablement une inci-
dence dès lors que l’on cherche à identifier les droits propres de M. Diallo
pour la solution du présent litige. Deux solutions sont possibles:

— soit on déchire le voile des apparences pour prendre en compte la réa-
lité économique et sociale et considérer que l’individu Diallo est effec-
tivement le détenteur de la totalité des parts sociales et, à ce titre, les

atteintes portées à l’ensemble de ces parts affectent nécessairement,
d’une façon ou d’une autre, ses droits propres;
— soit on maintient le voile et la fiction de la distinction entre les parts
de la société Africom et les parts de l’individu Diallo et, même dans
ce cas, les parts sociales de M. Diallo constituent autant de droits

propres qu’il est en position de faire valoir, dès lors qu’il y est porté
atteinte par les actes ou omissions des autorités congolaises.

2.2. L’importance des parts sociales de M. Diallo

L’importance des parts sociales de M. Diallo dépend naturellement de
l’activité économique des deux sociétés dont il est finalement l’unique

182 As for Africom’s activities, evidence of those through the 1980s is pro-
vided by orders, correspondence with several public and private Congo-

lese business partners in the period 1983 to 1996 concerning unpaid
debts, in particular, those of the Congolese State, and judicial decisions
relating to various disputes.

In the absence of Africom’s Articles of Incorporation, it emerges from

the notarial acts referred to above that Africom would have had the
status of a société privée à responsabilité limitée under Congolese law. In
practice, however, it would appear to have become a one-person com-
pany, inasmuch as Mr. Diallo was apparently the sole associé.

Africontainers — which was founded as a classicsociété à responsabilité
limitée, with three associés — evolved into a company with two associés
which also appears to be a one-person company, since the division of its
shares is essentially a fiction. The fact is that, besides Mr. Diallo, who
holds 40 per cent of the shares, the other majority shareholder is Afri-

com, which is itself represented by Mr. Diallo alone. This means that he
is ultimately the one and only associé of both the companies involved in
the present case: Africom and Africontainers. The end result is that,
while in strictly legal and formal terms, Mr. Diallo is not the only legal
associé in Africontainers, he does in practice become so, because there is

only one reality behind the other legal associé (Africom): Mr. Diallo.
This is, furthermore, what the Court states in paragraph 114 of the Judg-
ment, observing that “Mr. Diallo was, both as gérant and associé of the
two companies, fully in charge and in control of them”.

There is such interpenetration or osmosis between Mr. Diallo and his
two companies, in both fact and in law, that it is very difficult to separate
them, and this situation undoubtedly has a bearing on the attempts to
establish Mr. Diallo’s direct rights for the purpose of settling this dispute.
There are two possible solutions:

— either we remove the corporate veil to consider the economic and
social reality and accept that Mr. Diallo actually holds all the parts
sociales as an individual and, for that reason, the damage inflicted on

that holding as a whole necessarily affects his direct rights in one way
or another;
— or we maintain the illusion and fiction of a distinction between the
parts sociales belonging to Africom and those belonging to Mr. Diallo
as an individual; even in this case, Mr. Diallo’s parts sociales repre-

sent a corpus of direct rights, which he is entitled to assert if they
have been infringed by the actions and omissions of the Congolese
authorities.

2.2. The Value of Mr. Diallo’s Parts Sociales

The value of Mr. Diallo’s parts sociales clearly depends on the business
activity of the two companies in which he is ultimately the sole share-

182actionnaire. La réalité de cette activité est présentée par les deux Parties
de façon aussi opposée qu’incertaine. La situation économique n’était ni

aussi florissante que le prétend le demandeur, ni en état de faillite comme
le prétend le défendeur. Si l’on observe attentivement l’argumentation des
Parties, ce qui creuse l’écart dans l’appréciation de la situation, c’est par-
tiellement le fait que les Parties se réfèrent souvent à des périodes diffé-
rentes de la vie de ces deux sociétés; le demandeur met l’accent sur la

période de la décennie 1980 et le début des années 1990, où il y avait
incontestablement une activité économique effective et importante, alors
que le défendeur met l’accent sur le milieu des années 1990, où l’activité
économique avait incontestablement baissé pour diverses raisons, liées

aussi bien à une rétractation de l’économie congolaise qu’aux refus ou
difficultés rencontrées par les deux sociétés pour recouvrer leurs créances
en saisissant les autorités concernées et les juridictions compétentes.
Par ailleurs, la documentation produite est loin de donner toutes les
informations adéquates pour une évaluation réellement satisfaisante des

activités économiques. L’expulsion de M. Diallo a sans doute empêché
l’accès aux documents comptables appropriés et le demandeur n’a pu
fournir qu’un certain nombre de documents de nature à permettre une
évaluation très approximative des activités des deux sociétés. Il reste que,
si ces documents ne constituent pas, d’ores et déjà, une base adéquate

pour une évaluation précise de tous les actifs des deux sociétés, les créan-
ces qu’elles détiennent sur différents opérateurs (administration congo-
laise et entreprises publiques congolaises: Gécamines, Zaïre Fina, société
PLZ, Zaïre Shell) et dont elles demandent le recouvrement offrent déjà
une base permettant d’avoir une certaine évaluation de ces actifs. Il y a

lieu de tenir compte également des refus des différents débiteurs congolais
d’honorer les créances des sociétés et des interférences des autorités
congolaises pour empêcher ou différer le recouvrement; tous ces compor-
tements ont nécessité une énorme mobilisation d’énergie, pendant des
années, pour l’unique responsable des deux sociétés en vue de surmonter

les obstacles, et il est évident qu’ils ont eu des conséquences négatives sur
le déploiement des activités économiques desdites sociétés.
La Partie défenderesse récuse la plupart des évaluations produites
concernant généralement les créances sur des opérateurs publics; mais les
récusations sont de simples affirmations, très rarement étayées par des

preuves; elle se limite à alléguer que les montants ne reposent sur aucune
base sérieuse, qu’ils sont exagérés ou fantaisistes, même lorsqu’ils ont été
reconnus par les autorités concernées ou validés par les juridictions
congolaises. Certes, il est possible que certaines estimations soient discu-
tables ou peu crédibles, encore aurait-il fallu apporter davantage d’élé-

ments d’informations convaincants pour étayer des prétentions qui se pré-
sentent comme de simples allégations dépourvues d’éléments probants.
Il ressort des écritures et des plaidoiries des Parties que les sociétés
Africom et Africontainers ont cessé leurs activités, mais elles sont en

désaccord sur, d’une part, les dates de cette cessation et, d’autre part,
l’existence même de ces sociétés à l’heure actuelle. En l’état actuel des

183holder. The two Parties’ accounts of that activity are as incompatible as
they are improbable. The business situation was neither as thriving as the

Applicant claims, nor in a state of bankruptcy, as the Respondent alleges.
A close analysis of the Parties’ arguments reveals that the disparity in
their assessments of the situation is in part due to the fact that often the
Parties are referring to different periods in the lifetimes of these two com-
panies: the Applicant focuses on the decade of the 1980s and the start of

the 1990s, during which time there was clearly genuine and significant
business activity; whereas the Respondent focuses on the mid-1990s,
when business activity had undoubtedly declined for a variety of reasons,
linked as much to the shrinking of the Congolese economy as to the dif-

ficulties and refusals encountered by the two companies when they tried
to recover the debts owed to them by taking their case to the relevant
authorities and to the competent courts.
Furthermore, the documents which have been produced do not give
anywhere near the level of information that is required for a truly satis-

factory assessment of business activity. Mr. Diallo’s expulsion has clearly
prevented him from having access to the relevant accounting documents,
and the Applicant has only been able to supply a limited number of
documents that allow a very approximate assessment of the two compa-
nies’ activities. Although these documents do not provide an adequate

basis for a precise valuation of all the companies’ assets and of the debts
owed to them by various operators (the Congolese administration and
Congolese public companies: Gécamines, Zaire Fina, PLZ and Zaire
Shell) — which they were trying to recover — they do, however, provide
a basis for a partial evaluation of those assets. Account should also be

taken of the refusals of the various Congolese debtors to honour the
debts owed to the companies, and of the interference from the Congolese
authorities to prevent or defer their recovery; a huge amount of energy
was required over the years from the manager of the two companies in
order to overcome the obstacles caused by those actions, and it is evident

that this had an adverse effect on the two companies’ business activities.

The Respondent rejects most of the assessments which have been pro-
duced of the debts owed by the public operators, but its rejections are
merely assertions, which are very rarely backed up with evidence; it goes

no further than to claim that there is no reliable basis for the amounts,
that they are exaggerated or fanciful, even when they have been acknowl-
edged by the authorities in question or confirmed by the Congolese
courts. While it is possible that some of the estimates are questionable or
difficult to believe, further solid and persuasive information should have

been produced in support of the claims, which are presented merely as
allegations without any compelling evidence.
It is clear from the written pleadings and oral arguments of the Parties
that Africom and Africontainers have ceased their activities, but the

Parties disagree on the dates of that cessation and on whether these com-
panies are still in existence. From the information produced to date, it is

183informations produites, il est tout aussi malaisé de déterminer la date pré-
cise de cessation de leurs activités sur le plan économique que de savoir

quelle est la situation exacte des deux sociétés sur le plan juridique.
S’agissant des activités des deux sociétés, elles ont subi — à l’instar des
autres sociétés opérant au Zaïre — les conséquences des graves difficultés
politiques, économiques et monétaires qui ont affecté le pays au début

des années 1990 et qui ont fait l’objet d’un rapport alarmant de la Ban-
que centrale du Congo (contre-mémoire de la RDC, annexe 2); il est
donc normal qu’il y ait eu une rétractation de leurs activités, et l’on peut
comprendre que de telles circonstances liées aux conditions économiques
générales ne sont pas normalement imputables aux autorités, comme l’a

dit la Cour permanente de Justice internationale dans l’affaire Oscar
Chinn (arrêt, 1934, C.P.J.I. série A/B n 63, p. 88). Il reste que ces dif-
ficultés ne pouvaient que s’aggraver à un degré incomparable avec l’expul-
sion de M. Diallo à ce moment crucial, ce qui entraîne une déstabilisation

des deux sociétés; comme la déstabilisation dure depuis cette date, il est
évident qu’aucune société ne peut continuer d’exister réellement après de
sérieuses perturbations et une cessation d’activité de près de quinze ans.
Cela est d’autant plus vrai que chacune des deux sociétés est, directement
et intimement, liée à la personne de M. Diallo, qui en est à la fois l’associé

unique et le seul gérant. C’est sans doute là que gît toute la grande par-
ticularité ou l’incontestable spécificité de la présente affaire qui ne permet
pas de l’appréhender comme d’autres affaires portées auparavant devant
la Cour, notamment l’affaire de la Barcelona Traction ou celle de la

société Elettronica Sicula. On reviendra un peu plus loin sur cette parti-
cularité et les conséquences qui en découlent.
S’agissant de l’existence juridique, elle peut naturellement se prolon-
ger; toutefois, comme nous le verrons également plus loin, il n’est pas très
convaincant de s’en tenir à un simple constat formel en alléguant que les

deux sociétés continuent d’exister aussi longtemps que leur mort juridi-
que n’aura pas été constatée conformément aux règles, c’est-à-dire par
leur dissolution régulière et leur liquidation totale. Une situation de fait
peut aboutir à des conséquences constituant une sorte de mort juridique,

quand bien même elle n’est consacrée par aucun acte formel.

2.3. Les droits de l’associé Diallo dans la gestion
et le fonctionnement de ses sociétés

L’expulsion de M. Diallo ne peut rester sans effets sur les droits qu’il
détient et leur exercice en tant que seul associé pouvant assurer la gestion
et le fonctionnement des deux sociétés. Cela ressort clairement tant des
éléments juridiques que des éléments de fait qui entourent son droit de

convoquer une éventuelle assemblée générale, d’y participer et d’y voter.
Tout d’abord, s’agissant de la convocation des assemblées générales,
un point de droit oppose les deux Parties pour savoir si une telle décision
relève de la seule prérogative de la société, comme le soutient le défen-
deur, ou si elle est également une prérogative des associés. Il convient

184as difficult to determine the exact date of the cessation of business activi-
ties as it is to work out the exact legal situation of the two companies.

As far as the activities of the two companies are concerned, they
experienced — like others operating in Zaire — the consequences of the
serious political, economic and monetary difficulties which affected
the country at the start of the 1990s and which were the subject of an

alarming report by the Congo Central Bank (Counter-Memorial of the
DRC, Ann. 2); that there was a decline in their activities is therefore
not unusual, and it is understandable that such circumstances, linked to
the general economic conditions, are not normally attributable to the

authorities, as the Permanent Court of International Justice stated in the
Oscar Chinn case (Judgment, 1934, P.C.I.J., Series A/B, No. 63 , p. 88).
The fact remains that these difficulties were bound to have been aggravated
to an unparalleled extent by Mr. Diallo’s expulsion at that critical time,
which resulted in the destabilization of the two companies; since that

destabilization has continued ever since, it is clear that no company can
truly continue to exist after a period of inactivity of almost 15 years. All
the more so since both companies are directly and intimately linked to
the person of Mr. Diallo, who is both their sole associé and only gérant.
Therein lies the special and distinctive nature of the present case, which

precludes us from dealing with it in the same way as other cases previ-
ously brought before the Court, such as the Barcelona Traction case or
the case concerning Elettronica Sicula. I will come back to this special
nature and the consequences deriving from it in due course.

As far as legal existence is concerned, this can, of course, persist;
however, as we shall also see in due course, it is unrealistic to insist on a
formal act and to claim that the two companies continue to exist as long
as their legal demise has not been recorded in proper legal form, that is
to say, through their official dissolution and complete liquidation.

A de factosituation may lead to consequences which constitute a sort of legal
demise, even if the latter is not recorded by a formal act.

2.3. Mr. Diallo’s Rights as Associé in the Management
and Operation of His Companies

Mr. Diallo’s expulsion cannot have been without effect on the rights he
holds or their exercise, as the only associé able to manage and operate the
two companies. That is clear from both the legal and factual elements

surrounding his right to convene, take part in and vote at any general
meeting.
First, in respect of the right to convene general meetings, a single point
of law opposes the two Parties: whether this right belongs solely to the

company, as the Respondent claims, or whether it is also a right of the
associés. Reference should therefore be made to Congolese law and more

184donc de se référer au droit congolais et plus précisément aux dispositions
de l’article 83 du décret du 27 février 1887, selon lequel:

«La gérance et les commissaires, s’il en existe, peuvent convoquer
l’assemblée générale en tout temps.

Ils doivent la convoquer sur la demande d’associés réunissant le
cinquième du nombre total des parts sociales.
Si la gérance ne donne pas suite à cette demande dans un délai
convenable, la convocation peut être ordonnée par le tribunal.»

A la lumière de cet article 83, il ressort à l’évidence que, si la décision
de convoquer une assemblée générale incombe au gérant et aux commis-

saires (alinéa 1), les actionnaires ont également le droit de demander la
convocation d’une assemblée générale dès lors qu’ils représentent un cin-
quième des parts sociales (alinéa 2). Une telle demande se traduit par une
obligation pour le gérant et les commissaires qui sont tenus d’y procéder.
Etant donné, dans cette affaire, que M. Diallo est sinon l’associé uni-

que, du moins le détenteur à titre personnel d’un nombre de parts sociales
supérieur à un cinquième, il détient le droit de convoquer l’assemblée
générale. Comme, en outre, il est en fait le seul actionnaire, ce droit
devient une sorte de monopole dont la violation est susceptible de recours,
comme l’indique la Cour dans l’affaire de la Barcelona Traction :

«Il est bien connu que le droit interne leur [aux actionnaires]
confère des droits distincts de ceux de la société, parmi lesquels le

droit aux dividendes déclarés, le droit de prendre part aux assem-
blées générales et d’y voter, le droit à une partie du reliquat d’actif de
la société lors de la liquidation. S’il est porté atteinte à l’un de leurs
droits propres, les actionnaires ont un droit de recours indépen-
dant.» (Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited

(Belgique c. Espagne), deuxième phase, arrêt, C.I.J. Recueil 1970 ,
p. 36, par. 47.)

Notons que l’énumération donnée par la Cour concerne les droits les
plus évidents et n’est pas exhaustive; cela est confirmé par la Commission
du droit international dans le commentaire de l’article 12 de son projet
relatif à la protection diplomatique de 2006, où elle se réfère à la position
de la Cour en indiquant que le soin est laissé aux tribunaux de détermi-

ner, dans chaque cas d’espèce, les limites de tels droits, mais en veillant à
bien séparer les droits des actionnaires de ceux de la société, en particulier
en ce qui concerne le droit de participer à la gestion de sociétés (rapport
de la Commission du droit international, 2006, p. 68).

S’agissant de la participation aux assemblées générales et au vote en
leur sein, il est assurément impossible à M. Diallo d’y être présent phy-
siquement du fait de son expulsion. Certes, il y a la possibilité d’une
représentation par un mandataire, mais une telle solution n’empêche pas

qu’il y a une violation de son droit d’y être personnellement présent.
Dans l’arrêt, la Cour estime que, si M. Diallo a été empêché d’être pré-

185specifically to the provisions of Article 83 of the Decree of 27 February
1887, which states:

“The management and the auditors, if any, may convene a general
meeting at any time.

They must convene a general meeting at the request of associés
holding one fifth of the total number of shares.
If the management takes no action on this request within a rea-
sonable time, the meeting may be ordered by the court.”

In the light of Article 83, it becomes clear that, while the decision to
convene a general meeting is incumbent upon the gérant and the auditors

(para. 1), shareholders also have the right to request that a general meet-
ing be convened if they hold a fifth of the total number of shares
(para. 2). Such a request translates into an obligation for the gérant and
the auditors, who are required to act upon it.
In this case, given that Mr. Diallo, if not the sole associé, personally

holds more than a fifth of the total number of shares, he has the right to
convene a general meeting. Furthermore, since he is in fact the sole share-
holder, that right becomes a sort of monopoly, the violation of which
produces a right of action, as the Court pointed out in the Barcelona
Traction case:

“It is well known that there are rights which municipal law confers
upon the [shareholders] distinct from those of the company, includ-

ing the right to any declared dividend, the right to attend and vote at
general meetings, the right to share in the residual assets of the com-
pany on liquidation. Whenever one of his direct rights is infringed,
the shareholder has an independent right of action.” (Barcelona
Traction, Light and Power Company, Limited (Belgium v. Spain),

Second Phase, Judgment, I.C.J. Reports 1970 , p. 36, para. 47.)

I would note that the list given by the Court concerns the most obvi-
ous rights and that it is not exhaustive; this is confirmed by the Inter-
national Law Commission in the commentary on Article 12 of its draft
Articles on Diplomatic Protection of 2006, in which it makes reference
to the Court’s position, stating that it is left to courts to determine, on

the facts of individual cases, the limits of such rights, but that care
should be taken to draw clear lines between shareholders’ rights and cor-
porate rights, particularly in respect of the right to participate in the
management of corporations (Report of the International Law Commis-
sion, 2006, p. 68).

As regards the right to attend and vote at general meetings, Mr. Dial-
lo’s expulsion surely makes his attendance impossible. Although he has
the option of appointing a proxy to represent him, this solution does not
preclude a violation of his right to attend in person.

In the Judgment, the Court states that, although Mr. Diallo has been

185sent physiquement à une éventuelle assemblée générale, du fait de son
expulsion, il n’a pas été empêché d’agir pour convoquer celle-ci (paragra-

phe 121) ni de s’y faire représenter par un mandataire (paragraphe 123),
et elle en tire la conclusion que l’expulsion n’a donc pas porté atteinte aux
droits d’associé de M. Diallo. Donc, tout en reconnaissant qu’il y a là une
entrave, elle juge que celle-ci «n’équivaut pas à une privation de son droit
de prendre part aux assemblées générales et d’y voter» (paragraphe 126

de l’arrêt). La Cour constate en outre qu’il n’y a eu aucune convocation
ni même tentative de convocation d’une assemblée générale, ce qui confir-
merait qu’il n’y a pas eu la privation de ce droit. Il y a dans les dévelop-
pements de l’arrêt, sur ce point comme sur quelques autres, une série de

déductions formelles et abstraites qui ne rendent pas compte de la réalité
des événements et n’emportent pas la conviction.

Au demeurant, la Cour se rend compte de cette situation plus que sin-
gulière des droits de M. Diallo et elle s’efforce de l’expliquer, de manière

générale et lapidaire, dans le paragraphe 115, en disant que, si elle peut
paraître artificielle, cela résulte de la distinction qu’il convient de faire et
à laquelle il faut s’en tenir rigoureusement entre les droits de l’actionnaire
et les droits des sociétés, conformément à la jurisprudence de l’affaire de
la Barcelona Traction et en s’en tenant à l’arrêt du 24 mai 2007 dans la

présente affaire sur les exceptions préliminaires.
Il est difficile de partager une telle approche et surtout la conclusion
qui subordonne la protection d’un droit à un empêchement absolu de son
exercice et non à une atteinte à son exercice. Si l’on opte pour une analyse
strictement littérale et formaliste des textes, il semble que cela soit un rai-

sonnement logique irréprochable. Mais c’est un raisonnement qui repose
sur un modèle de société qui suppose l’existence de plusieurs ou d’au
moins deux actionnaires, de manière à ce que l’actionnaire empêché
puisse agir pour assurer la convocation et le déroulement de l’assemblée
générale. Or, un tel modèle ne peut pas se transposer tel quel pour l’appli-

quer en quelque sorte mécaniquement à la situation présente de petites
sociétés devenues de facto unipersonnelles.
Les deux sociétés en cause, dans la présente affaire, ne sont pas des
firmes multinationales avec des filiales ou succursales; elles ne disposent
pas de plusieurs responsables auxquels peuvent être confiés des pouvoirs

de gestion et de décision pour veiller à leur bon fonctionnement. Ce sont
au départ des sociétés de deux ou trois associés travaillant avec un très
petit nombre de personnes pour les activités subalternes, alors que leur
gestion et leur direction relèvent directement d’une seule personne,
M. Diallo. Ajoutons à cela le fait que ces sociétés sont établies exclusive-

ment dans un pays situé en Afrique où l’on sait que le réseau des relations
personnelles est déterminant pour le bon ou le mauvais fonctionnement
d’une entreprise. C’est dire, par conséquent, que toute entrave — et a for-
tiori tout empêchement d’activité — frappant l’unique responsable et ges-

tionnaire des deux sociétés retentit de manière directe et fatale sur leur
fonctionnement, en les mettant dans une situation périlleuse que le défen-

186prevented from taking part in person in any general meeting, because of
his expulsion, he has not been prevented from taking action to convene a

general meeting (paragraph 121), or from being represented at a general
meeting by a proxy (paragraph 123), and it concludes from this that the
expulsion did not therefore infringe his rights as associé. Thus, while
acknowledging that Mr. Diallo has been hindered, the Court takes the
view that such hindrance “does not amount to a deprivation of his right

to take part and vote in general meetings” (paragraph 126 of the Judg-
ment). The Court further asserts that the fact that no general meeting has
been convened, nor any attempt made to convene one, confirms that
there has been no deprivation of this right. The paragraphs of the Judg-

ment on this point, as on certain other points, contain a series of formal
and abstract deductions which fail to take account of the reality of events
and lack conviction.
Moreover, the Court recognizes that the situation in relation to
Mr. Diallo’s rights is highly unusual, and it attempts to explain this in

general and succinct terms in paragraph 115, stating that, while it may
appear artificial, it is brought about by the distinction which has to be
made and which must be strictly maintained between the rights of the
shareholder and the rights of the companies, in accordance with the juris-
prudence of the Barcelona Traction case and the Judgment of 24 May

2007 on the preliminary objections in this case.
It is difficult to endorse such an approach, and in particular the conclu-
sion, according to which the protection of a right is guaranteed only if its
exercise is completely precluded, not infringed. If we opt for a strictly lit-
eral and formalistic analysis of the texts, that reasoning appears to be

perfectly logical. But it is a reasoning based on a social model which pre-
sumes the existence of several shareholders, or at least more than one,
so that the impeded shareholder can take action to ensure that the gen-
eral meeting is convened and takes place. Such a model, however, cannot
simply be transposed and applied in a mechanical fashion to the present

situation, which involves small companies that have become de facto
one-person businesses.
The two companies at issue in the present case are not multinational
businesses with subsidiaries or branches; they do not have multiple
executives to whom the management and decision-making powers can be

entrusted so as to ensure their smooth running. They are companies of
originally two or three associés working with a very small number of
people for ancillary operations, and directly managed and controlled by
one person: Mr. Diallo. In addition, these companies operate exclusively
in an African country where it is known that the size of the personal

network determines the success of a business. Consequently, this means
that any hindrance affecting the sole executive and manager of the two
companies — and a fortiori any preclusion of activity — has a direct and
devastating effect on their operation and places them in a precarious

situation, which the Respondent itself describes as quasi-bankruptcy.
In the present case, it also means that to convene and hold a general

186deur lui-même qualifie de quasi-faillite. C’est dire également que, dans la
présente affaire, la convocation et le déroulement d’une assemblée géné-

rale, hors la présence de M. Diallo, non seulement apparaissent assez sin-
guliers, mais ils sont assez difficilement imaginables.
Pour bien comprendre cela, voyons comment se présenterait le scéna-
rio abstrait et formel où M. Diallo convoquerait une assemblée générale
de la société Africontainers depuis la Guinée et quelle serait la suite des

événements. Il va adresser sa convocation à M. Diallo — donc à lui-
même — en tant qu’associé de cette société et une autre convocation au
second associé, la société Africom, dont le seul responsable n’est autre
que le même M. Diallo. Celui-ci envoie et reçoit ainsi en même temps

deux convocations qu’il ne peut honorer personnellement puisque le ter-
ritoire congolais lui est interdit. Il est difficile de convenir qu’une telle
situation soit normale; il faut plutôt convenir qu’il y a un côté assez sur-
réaliste dans ce scénario auquel pourtant semblent souscrire l’approche et
le raisonnement retenus dans le présent arrêt.

Certes, il y a la possibilité théorique de désigner deux mandataires, l’un
pour la société Africom et l’autre pour lui-même, mais il n’en reste pas
moins qu’il est bel et bien porté atteinte à son droit d’accomplir lui-même
tous les actes relevant normalement d’un actionnaire et a fortiori d’un
gérant. Par ailleurs, pour rester dans le scénario d’une convocation de

l’assemblée générale qui se déroulerait sans la présence de M. Diallo, on
peut se demander comment deux simples mandataires vont pouvoir déli-
bérer sur les activités de deux sociétés dont ils ignorent largement le fonc-
tionnement et la gestion puisque celles-ci dépendent directement et étroi-
tement de l’action personnelle de la personne empêchée d’y participer. En

outre et raisonnablement, il est difficile d’imaginer que les deux sociétés
puisent fonctionner normalement lorsque leur unique actionnaire se
retrouve dépouillé de toutes ses prérogatives et dans l’obligation de
recourir uniquement à des mandataires. Enfin, et dans ces conditions, il
est pour le moins assez étrange de soutenir qu’il n’y a aucun empêche-

ment pour exercer les droits d’associé.

2.4. Les droits de M. Diallo
au regard de la gérance des sociétés

Selon l’article 65 du décret de 1887, «les gérants sont nommés soit dans
l’acte constitutif, soit par l’assemblée générale». L’acte de nomination
n’est à proprement parler ni un droit de la société, ni un droit strictement
individuel; il s’agit là d’un acte collectif, notion qui a donné lieu à des
débats au sein de la doctrine civiliste pour l’identifier, le caractériser et le

situer dans la classification des actes juridiques (cf. G. Roujou de Boubée,
Essai sur l’acte juridique collectif , Paris, LGDJ, 1961, et A.-L. Pastré-
Boyer, L’acte juridique collectif en droit privé français: contribution à la
classification des actes juridiques , Presses universitaires d’Aix-Marseille,

2006). Il s’agit d’un acte pris par un groupe de personnes, qu’il ait ou non
la personnalité juridique et, dans le cas de la société Africontainers, l’acte

187meeting without Mr. Diallo not only seems somewhat unusual, but quite
inconceivable.

To fully understand this, let us imagine the abstract and formal sce-
nario in which Mr. Diallo would convene an Africontainers general meet-
ing, from Guinea, and how those events would unfold. He would send

one notice of meeting to Mr. Diallo — that is, to himself — as an associé
of the company, and another to the second associé, Africom, whose only
executive is none other than Mr. Diallo. He would therefore simultane-
ously send and receive two notices of meeting, which he is unable to hon-

our in person, because he is forbidden from entering Congolese territory.
It is difficult to accept that such a situation is normal; rather, it should be
acknowledged that there is a somewhat surreal aspect to this scenario,
which nevertheless seems to be endorsed by the argument and reasoning
advanced in this Judgment.

Although it is theoretically possible to appoint two proxies, one for
Africom and the other for himself, the fact still remains that there has
been a clear breach of Mr. Diallo’s right to perform in person all the acts
which a shareholder, and a fortiori a gérant, are entitled to perform. Fur-
thermore, supposing still that a general meeting were to be convened and

held without Mr. Diallo, we may ask ourselves how two mere proxies
would be able to deliberate on the activities of two companies about
whose operation and management they are largely ignorant, since these
are directly and intimately linked to the individual actions of the person
who is not permitted to attend the meeting. Moreover, reasonably, it is

difficult to imagine how the two companies can operate normally when
their only shareholder finds himself stripped of all his rights and depend-
ent solely on proxies. Finally, under these circumstances it is somewhat
strange to say the least to assert that Mr. Diallo has not been precluded
from exercising his rights as associé.

2.4. Mr. Diallo’s Rights
relating to the Management of the Companies

According to Article 65 of the 1887 Decree, “[g]érants shall be
appointed either in the instrument of incorporation or by the general
meeting”. Strictly speaking, the act of appointing a gérant is neither a
right of the company nor an absolutely individual right; it is a collective
act, a concept whose definition, characterization and situation in the legal

process has given rise to debates within the doctrine of civil law (Cf.
G. Roujou de Boubée, Essai sur l’acte juridique collectif , Paris, LGDJ,
1961, and A.-L. Pastré-Boyer, L’acte juridique collectif en droit privé
français. Contribution à la classification des actes juridiques , Presses Uni-

versitaires d’Aix-Marseille, 2006). It is an action taken by a group of per-
sons, who may or may not have legal personality and, in the case of Afri-

187de nomination du gérant doit normalement être pris par les associés réu-
nis en assemblée générale avec la participation au vote de chacun d’entre

eux; la nomination est bien un acte collectif, mais la participation au vote
est bien un droit individuel de chaque associé dont la violation peut don-
ner lieu à des recours, comme nous l’avons indiqué précédemment.
En tout état de cause, dans la présente affaire, comme M. Diallo est
devenu l’actionnaire unique des deux sociétés, le droit collectif est devenu

dans la pratique un droit individuel. Or, l’exercice de ce droit, c’est-à-dire
la participation personnelle de M. Diallo au vote, a été empêché par son
expulsion, tandis que son éventuelle représentation par un mandataire
pose les problèmes qui ont été évoqués précédemment. En privant

M. Diallo de la participation personnelle, il y a eu incontestablement une
atteinte directe à son droit d’associé et à sa participation éventuelle à
l’acte collectif de désignation du gérant, celui-ci pouvant être lui-même.
Le fait d’empêcher M. Diallo d’être présent physiquement au lieu du
siège de l’administration de la société et de l’assemblée générale constitue

une autre atteinte à son droit d’être candidat à la fonction de gérant et, a
fortiori et plus grave encore, d’exercer les fonctions de gérant.
Il semble qu’une personne, M. N’Kanza, ait été chargée un moment
donné d’accomplir certaines fonctions au nom de la société Africontai-
ners. Toutefois, il y a une grande incertitude aussi bien sur le processus de

sa désignation que sur la fonction exacte qui lui a été impartie. Le seul
acte produit, concernant sa désignation, est une simple mention dans un
courrier d’avocat du 16 février 1996, alors que la désignation du gérant
incombe, légalement (article 65 du décret de 1887) et statutairement (ar-
ticle 14 des statuts de la société Africontainers), à l’assemblée générale

de la dite société. Celle-ci avait désigné M. David comme gérant lors de
l’assemblée constitutive du 18 septembre 1979; par la suite, une assem-
blée générale extraordinaire du 18 avril 1980 a remplacé M. David
par M. Diallo, qui a toujours conservé cette fonction puisqu’il a été
nommé pour une durée indéterminée et qu’il n’a jamais été remplacé à

ce jour.
Aucune preuve sérieuse n’est avancée pour conforter l’allégation qu’un
gérant a été régulièrement désigné. La personne présentée à tort comme
telle, M. N’Kanza, a sans doute représenté M. Diallo, absent du Congo
contre sa volonté, pendant un certain temps pour quelques démarches

très limitées, mais cela ne suffit nullement pour en faire un gérant de la
société Africontainers au sens légal et statutaire. Tout au plus pourrait-
on éventuellement invoquer la possibilité d’une gérance partielle et pro-
visoire en raison de l’empêchement du gérant légal et statutaire, lequel
empêchement incombe aux autorités congolaises.

2.5. Le droit de surveillance et de contrôle de M. Diallo

A la question de savoir si le droit de surveillance et de contrôle appar-

tient aux associés ou si le rôle de ces derniers se limite seulement à nom-
mer des commissaires aux comptes seuls habilités à surveiller et contrôler,

188containers, the gérant would normally be appointed by the associés in
general meeting, with each of them participating in the vote; although the

act of appointment is a collective one, participation in the vote is very
much an individual right of each associé, the violation of which may give
rise to redress, as I have indicated above.
In any event, in the present case, as Mr. Diallo has become the sole
shareholder in the two companies, the collective right has in practice

become an individual right. However, he was precluded from exercising
that right, i.e., his right to participate in the vote in person, by his expul-
sion, while the option of being represented by a proxy poses the problems
discussed above. By depriving Mr. Diallo of the right to participate in

person, there was indisputably a direct infringement of his right as asso-
cié to participate in any collective appointment of a gérant, who could be
Mr. Diallo himself.
Preventing Mr. Diallo from being physically present at the company’s
administrative seat and the place where the general meetings are held is

also an infringement of his right to be a candidate for the post of gérant
and, a fortiori and more importantly, to act as gérant.
It seems that, at one point, a Mr. N’Kanza was charged with carrying
out certain functions on behalf of Africontainers. However, there is much
uncertainty surrounding both the way in which he was appointed and the

exact role assigned to him. The only document produced relating to his
appointment is a mention of his name in a letter from an attorney dated
16 February 1996, even though the appointment of the gérant is legally
(Article 65 of the 1887 Decree) and statutorily (Article 14 of Africontain-
ers’ Articles of Incorporation) incumbent on the general meeting of the

company. The general meeting appointed Mr. David as gérant at the
constitutive meeting of 18 September 1979; later, an extraordinary gen-
eral meeting of 18 April 1980 replaced Mr. David with Mr. Diallo, who
continues to hold that role, since he was appointed for an indefinite
period and has never been replaced.

No serious evidence has been submitted in support of the claim that a
gérant was properly appointed. The person presented as such, Mr. N’Kan-
za, undoubtedly represented Mr. Diallo, who was absent from the Congo
against his will, for a certain time for some very limited purposes, but

that by no means makes him gérant of Africontainers in the legal and
statutory sense. At most, it could perhaps be argued that he possibly held
the role partially and provisionally because of the absence of the legal
and statutory gérant, an absence caused by the Congolese authorities.

2.5. Mr. Diallo’s Right to Oversee and Control

Does the right to oversee and control belong to the associés, or is their

role confined to appointing statutory auditors [commissaires], who alone
are empowered to oversee and control? The answer to this question can

188la réponse découle des termes de l’article 71 du décret de 1887, qui dis-
tingue deux situations en fonction du nombre d’associés:

— si le nombre d’associés est supérieur à cinq, la prérogative incombe
obligatoirement aux commissaires nommés par les associés (ar-
ticle 71, alinéas 1 et 2, et article 72);

— si le nombre d’associés est inférieur à cinq, la nomination de commis-
saires n’est pas obligatoire et, surtout, l’alinéa 3 de l’article 71 précise
que «chaque associé a les pouvoirs des commissaires» (les italiques
sont de moi). En l’espèce, nous sommes dans cette seconde situation,
au moins pour la société Africontainers, qui ne comprend que deux

associés (la société Africom, représentée par M. Diallo, et M. Diallo
lui-même). Les termes de la loi sont suffisamment clairs et évidents
pour constater que, dans ce cas, le pouvoir de surveillance et de
contrôle est reconnu comme un pouvoir ou droit de l’associé.

Néanmoins, une question peut se poser, celle de savoir si l’associé qui
exerce ce droit de surveillance et de contrôle devient un organe de la
société distinct de l’associé ou s’il reste toujours un associé. On sait

qu’une même personne ou un même organe peut exercer deux fonctions
différentes, en vertu du fameux principe de dédoublement fonctionnel. Si
l’on prend l’exemple d’une société obligée de désigner des commissaires
aux comptes et si un associé est nommé commissaire aux comptes, il va
relever de ce dédoublement fonctionnel en exerçant de façon très dis-

tincte, d’une part, ses prérogatives d’associé et, d’autre part, ses préroga-
tives de commissaire aux comptes, qui en font alors un organe de la
société. Ce cas de figure est donc assez simple à comprendre et à expli-
quer.
On serait tenté de déduire que cela vaut aussi pour l’exemple d’une

société qui n’a pas nommé de commissaires aux comptes et où chaque
associé dispose de la prérogative de surveillance et de contrôle à côté des
droits qu’il détient comme associé. Toutefois, pareille déduction ne serait
pas correcte, car il n’y a pas équivalence entre les deux situations en rai-
son du libellé de l’article 71, alinéa 3, précité; celui-ci ne dit pas que cha-

que associé obtient le statut de commissaire aux comptes, devenant par
conséquent organe de la société — comme dans le premier cas; il dit
expressément que chaque associé «a les pouvoirs» des commissaires aux
comptes et il ne s’agit pas seulement d’une nuance de forme ou de voca-
bulaire, mais d’une différence substantielle qui touche aux fondements

mêmes du statut d’associé et du statut de commissaire aux comptes:
— dans un cas, il y a la nomination de l’associé comme commissaire aux
comptes, laquelle nomination l’institue alors comme organe de la

société, dans un statut distinct de son statut d’associé; en effet, en
agissant en tant que commissaire aux comptes, il doit mettre de côté
son statut d’associé et, en quelque sorte, entrer dans la peau du com-
missaire pour l’assumer pleinement;

— dans l’autre, il n’y a rien de tel et c’est tout simplement l’associé qui
hérite, en vertu de la loi, de prérogatives supplémentaires afin de sur-

189be found in the provisions of Article 71 of the 1887 Decree, which sets
out two possibilities depending on the number of associés:

— if the number of associés is greater than five, the right belongs to the
auditors appointed by the associés (Art. 71, paras. 1 and 2, and
Art. 72);

— if the number of associés is fewer than five, the appointment of audi-
tors is not compulsory and Article 71, paragraph 3, in particular,
states that “each associé shall have the powers of an auditor” (empha-
sis added). In the present case, this second possibility applies, at least
for Africontainers, which has only two associés (Africom, represented

by Mr. Diallo, and Mr. Diallo himself). The law is sufficiently clear
for it to be established, in this case, that the power to oversee and
control is recognized as a power or right of the associés.

Nevertheless, one question may arise: does an associé who exercises
this right to oversee and control become an organ of the company dis-
tinct from his position as associé, or does he still remain an associé?We

know that a single person or a single organ may exercise two different
functions, on the basis of the well-known principle of “role splitting”
[dédoublement fonctionnel] . To take the example of a company which is
obliged to appoint auditors, if an associé is appointed as an auditor, he
will fall under the “role-splitting” heading, since he will exercise quite

separately his rights as associé and his rights as auditor, the latter estab-
lishing him as an organ of the company. This scenario is therefore fairly
easy to understand and explain.

It would be tempting to deduce that the same is true for a company

which has not appointed auditors and in which each associé has the right
to oversee and control, in addition to the rights he holds as associé. How-
ever, it would be wrong to draw that conclusion, because, according to
the provisions of Article 71, paragraph 3, these two situations are not the
same: Article 71, paragraph 3, does not say that each associé obtains the

status of auditor, thereby becoming an organ of the company, as in the
first scenario; it clearly states that each associé “[has] the powers” of an
auditor. This is not simply a grammatical or lexical nuance, but a sub-
stantive difference which goes to the very heart of the status of associé
and that of auditor:

— in one case, the associé is appointed as auditor, and this appointment
therefore establishes him as an organ of the company in a status dis-

tinct from his status as associé; thus, to carry out the role fully, when
acting as auditor he has to set aside his status as associé and put on
his auditor’s hat, so to speak;

— in the other, there is no such distinction: the associé simply acquires,
by operation of law, additional rights which allow him to oversee and

189 veiller et de contrôler la gestion de la société comme associé, en exer-
çant des prérogatives nouvelles; la notion de commissaire aux comp-

tes est ainsi subsumée dans celle d’associé.
Pour résumer, on peut dire aussi que, dans le premier cas, il y a un
changement de statut et l’institution d’un nouvel organe alors que, dans

le second cas, il y a seulement des prérogatives nouvelles qui viennent
s’ajouter à celles de l’associé. Aussi, dans la présente espèce, la circons-
tance que M. Diallo soit finalement le seul associé aboutit à un cumul
assez singulier dans la mesure où il est en même temps le gérant et le
contrôleur de la société Africontainers. Ce cumul, loin de rendre sans

objet les conséquences de l’expulsion, invite à distinguer entre, d’une
part, les droits du gérant, qui sont ceux d’un organe de la société et ne
relèvent pas, à ce titre, des droits propres de M. Diallo susceptibles d’être
couverts par la protection diplomatique (arrêt de la Cour du 24 mai 2007),
et, d’autre part, les droits de contrôle de l’associé, qui sont des droits pro-

pres et sont couverts par la protection diplomatique.

2.6. Le droit de M. Diallo de procéder à la liquidation des sociétés
et à la réalisation du reliquat de leur actif

Il découle de l’article 99 du décret précité de 1887 qu’il appartient à
l’assemblée générale de se prononcer sur la dissolution de la société et la
réalisation du reliquat de son actif. Il s’agit là encore d’un acte collectif
que nous avons évoqué précédemment et qui est justiciable de la même
analyse et de la même conclusion. L’acte de liquidation est pris par les

associés réunis en assemblée générale avec la participation au vote de
chacun d’entre eux; cette participation au vote est un droit individuel et
propre à chaque associé et, par voie de conséquence, sa violation peut
donner lieu à des recours contre les auteurs de cette violation.
Certes, l’expulsion de M. Diallo a visé le gérant, organe des deux socié-

tés, dont il est allégué que la présence et la conduite compromettaient
l’ordre public zaïrois; toutefois, elle a concerné, à travers la même per-
sonne, non seulement le gérant, mais aussi le surveillant et contrôleur
ainsi que l’associé. Si les activités de gérant se rattachent aux sociétés et
ont été exclues du champ de la présente instance par l’arrêt précité du

24 mai 2007, les autres activités de l’associé constituent des droits propres
de M. Diallo, lequel peut les faire valoir et demander la mise en Œuvre
des voies et moyens de leur protection, y compris la protection diploma-
tique par la Guinée.

2.7. Le problème de l’expropriation indirecte
et de ses conséquences

On sait que les règles du droit international relatives à l’expropriation
ont évolué pour consacrer, après une période de controverses, cette

notion d’expropriation indirecte à travers les sentences de plusieurs ins-
tances juridictionnelles (tribunaux arbitraux sous l’égide du CIRDI ou de

190 control the management of the company as associé by exercising
those new rights; the notion of auditor is therefore subsumed into

that of associé.
To sum up, we may also say that the first scenario involves a change in
status and the establishment of a new organ, whereas the second only

involves new rights being added to those of the associé. Further, in the
present case, the fact that Mr. Diallo is ultimately the sole associé results
in a somewhat unusual accumulation of roles, since he is at the same time
gérant and auditor of Africontainers. This multiplicity of roles, far from
rendering the consequences of the expulsion meaningless, invites us to

make a distinction between, on the one hand, the rights of the gérant
which are those of an organ of the company and therefore do not fall
within Mr. Diallo’s direct rights capable of being covered by diplomatic
protection (Judgment of the Court of 24 May 2007), and, on the other,
the rights of the associé to oversee and control, which are direct rights

and covered by diplomatic protection.

2.6. Mr. Diallo’s Right to Liquidate the Companies and to Realize
Their Remaining Assets

Under Article 99 of the above-mentioned 1887 Decree, it is the general
meeting that decides to dissolve the company and to realize its remaining
assets. This is another of the collective acts which I mentioned earlier,
and to which the same analysis and the same conclusion may be applied.
The decision to liquidate is taken by the associés at the general meeting,

with each of them participating in the vote; participation in the vote is an
individual right belonging to each associé and, consequently, its infringe-
ment may give rise to recourse against those responsible for that viola-
tion.
Mr. Diallo’s expulsion did indeed affect the gérant, an organ of both

companies, of whom it is alleged that his presence and conduct were
threatening Zairean public order; through the same person, however, it
affected not only the gérant, but also the associé overseeing and control-
ling the companies. Although his activities as gérant are tied to the com-
panies and excluded from the scope of the present case by the Judgment

of 24 May 2007, his other activities as associé constitute Mr. Diallo’s
direct rights, and he may assert those rights and request the implementa-
tion of ways and means to protect them, including diplomatic protection
from Guinea.

2.7. The Issue of Indirect Expropriation
and Its Consequences

We know that through the decisions of several legal bodies (courts
under the aegis of ICSID or the International Chamber of Commerce,

the Iran-United States Tribunal, the Inter-American Court of Human
Rights, the European Court of Human Rights, etc.), and through doctri-

190la Chambre de commerce internationale, Tribunal irano-américain, Cour
interaméricaine des droits de l’homme, Cour européenne des droits de

l’homme, etc.) et aussi à travers les études doctrinales (parmi une abon-
dante littérature, citons notamment R. Dolzer, «Indirect Expropriation
of Alien Property», ICSID Review — Foreign Investment Law Journal ,
1986, p. 33; A. K. Hoffmann, «Indirect Expropriation», dans A. Rei-
nisch (dir. publ.), Standards of Investment Protection , Oxford University

Press, 2008, p. 151; Y. Nouvel, «Les mesures équivalant à une expropria-
tion dans la pratique récente des tribunaux arbitraux», RGDIP, 2002,
p. 79; et B. Stern, «In Search of the Frontiers of Indirect Expropriation»,
dans Contemporary Issues in International Arbitration and Mediation:

The Fordham Papers, 2007, 2008, p. 29).
Dans le cas d’espèce, chacune des différentes mesures prises à l’encon-
tre de M. Diallo (rupture de contrats, interpellation ou arrestation, blo-
cage ou refus d’honorer les créances, déni de justice, expulsion) ne cons-
titue pas, par elle-même, une mesure d’expropriation. Toutefois, l’addition

de ces mesures couronnée par l’expulsion a fini par avoir des effets équi-
valents, ce qui permet de parler d’une expropriation indirecte. Les droits
de propriété — et plus précisément les parts sociales de M. Diallo —
n’ont pas été visés directement par chacune de ces mesures, mais ils ont
été mis en péril par le fait que leur propriétaire a été dans l’impossibilité,

matérielle et juridique, d’entreprendre les actes de gestion nécessaires
pour les sauvegarder et a fortiori les faire fructifier. Il est devenu le pro-
priétaire de sociétés transformées en coquilles vides au fur et à mesure
que le temps s’est écoulé.
Etant devenu le seul associé, directement ou indirectement, et parce

que la situation de fait a entraîné la disparition ou quasi-disparition des
sociétés, M. Diallo supporte dans son propre patrimoine la presque tota-
lité du préjudice subi par ses sociétés. A ce titre, il s’agit bien d’une
atteinte à ses droits d’associé tels qu’ils ont été définis et dans les limites
posées par l’arrêt de la Cour du 24 mai 2007 sur les exceptions prélimi-

naires. Ajoutons à cela que la disparition ou quasi-disparition des deux
sociétés empêche celles-ci d’exercer les recours appropriés permettant de
faire valoir leurs droits, ce qui soulève une question importante méritant
quelques explications.
La Cour a déjà abordé ce problème de la disparition de société dans

l’affaire de la Barcelona Traction, et elle a dégagé un certain nombre
d’éléments ou de critères ayant guidé sa démarche. La présente affaire
donne à la Cour l’occasion de mieux éclairer sa démarche en précisant
davantage les éléments et critères avancés auparavant.
On sait que, par lettre adressée le 31 janvier 2007 à la Cour, la RDC a

informé celle-ci que la société Africom avait cessé toutes ses activités au
milieu des années 1980, ce qui aurait mené à la radiation de son imma-
triculation au registre du commerce (paragraphe 22 de l’arrêt du 24 mai
2007). Il s’agissait alors d’un élément nouveau — survenu depuis la fin

de la procédure orale concernant les exceptions préliminaires; il est de
nature à avoir des conséquences directes sur la question de la protection

191nal studies (from an abundance of literature I cite here in particular:
R. Dolzer, “Indirect Expropriation of Alien Property”, ICSID Review-

Foreign Investment Law Journal , 1986, p. 33; A. K. Hoffmann, “Indirect
Expropriation”, in A. Reinisch (ed.), Standards of Investment Protection ,
Oxford University Press, 2008, p. 151; Y. Nouvel, “Les mesures équiv-
alant à une expropriation dans la pratique récente des tribunaux arbi-
traux”, RGDIP, 2002, p. 79 and B. Stern, “In Search of the Frontiers of

Indirect Expropriation”, in Contemporary Issues in International Arbi-
tration and Mediation: The Fordham Papers , 2007, 2008, p. 29), the rules
of international law concerning expropriation have developed so as to
embody, after a period of some controversy, the notion of indirect expro-

priation.
In the present case, each of the various measures taken against
Mr. Diallo (breach of contract, interrogation and arrest, obstruction and
refusal to pay debts, denial of justice, expulsion) does not individually
constitute an expropriation measure. However, when taken together and

topped off by the expulsion, they have had an equivalent effect, which
allows us to speak of indirect expropriation. Mr. Diallo’s property rights
and, more specifically, his parts sociales were not directly affected by
each of these measures, but they were jeopardized by the fact that their
holder was materially and legally unable to carry out the necessary acts

of management in order to safeguard them and, more importantly, to
make them profitable. He became the proprietor of companies which
have been turned into empty shells with the passing of time.

Having become the sole associé, whether directly or indirectly, and

because the situation has led to the disappearance or quasi-disappearance
of the companies, Mr. Diallo’s personal assets have borne the brunt of
the entire injury suffered by his companies. For this reason, there is a
clear infringement of his rights as associé as they have been defined and
within the limits imposed by the Court’s Judgment on the preliminary

objections of 24 May 2007. To this I would add that the disappearance or
quasi-disappearance of the two companies prevents them from pursuing
the appropriate remedies which would enable them to assert their rights.
This raises an important question which merits further explanation.
The Court has already addressed the issue of the disappearance of a

company in the Barcelona Traction case, where it listed a number of ele-
ments or criteria that had guided its reasoning. The present case offers
the Court the opportunity to shed more light on its reasoning by further
clarifying the elements and criteria put forward previously.
We know that, by a letter of 31 January 2007, the DRC informed the

Court that Africom had ceased all its activities in the mid-1980s, which
supposedly led to it being struck off the Trade Register (paragraph 22 of
the Judgment of 24 May 2007). At the time, this was a new piece of infor-
mation, which came to light after the close of the oral proceedings on the

preliminary objections; it is likely to have a direct bearing on the ques-
tion of diplomatic protection of associés, which would then be dealt with

191diplomatique des associés, qui se situerait désormais sur un autre terrain
que celui plus étroit sur lequel s’est situé l’arrêt précité.

En effet, les termes de la lettre du défendeur se sont confirmés dans la
pratique, non seulement pour la société Africom, mais aussi pour la
société Africontainers, car, ainsi que nous l’avons relevé précédemment,
des sociétés restées inactives depuis près de quinze années (1996-2010) ont
en fait cessé d’exister. Cela oblige à s’interroger sur la nature de cette dis-

parition, qui crée une situation nouvelle où il n’y a pratiquement plus de
possibilité pour l’une ou l’autre société, ou les deux, de faire valoir direc-
tement leurs droits par elles-mêmes et de défendre ainsi, indirectement,
les droits et intérêts de leur associé unique. Cette impossibilité de toute

action par l’intermédiaire de la société priverait l’associé unique de tout
recours si on lui refusait le jeu de la protection diplomatique par la Gui-
née; on se trouverait devant une solution contraire non seulement à
l’équité mais aussi aux principes fondamentaux régissant les droits de la
défense et les droits de l’homme. Ce problème a préoccupé la Cour, la

doctrine et la Commission du droit international, et un bref rappel est
utile pour en saisir la portée.
Dans l’affaire de la Barcelona Traction, la Cour l’évoque très précisé-
ment en tant que première exception à la règle classique de la protection
diplomatique dans le paragraphe 64, où elle déclare ceci:

«La Cour recherchera maintenant s’il existe en l’espèce d’autres cir-
constances spéciales où la règle générale pourrait ne pas avoir effet.
Deux situations particulières lui paraissent devoir retenir l’attention

à ce sujet: le cas où la société aurait cessé d’exister , le cas où l’Etat
national de la société n’aurait pas qualité pour agir en faveur de
celle-ci.» (Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited
(Belgique c. Espagne), deuxième phase, arrêt, C.I.J. Recueil 1970 ,

p. 40, par. 64; les italiques sont de moi.)
Puis elle analyse la situation dans les paragraphes 65 à 68. Certes, elle
conclut dans cette affaire que la société n’a pas disparu et, de ce fait,

l’invocation de cette exception ne pouvait pas être pertinente en l’espèce.
On peut inférer du raisonnement de la Cour que, si l’hypothèse de la dis-
parition avait été établie, on serait en présence d’une situation où l’excep-
tion serait prise en considération. En effet, la Cour indique clairement
dans le paragraphe 66 de l’arrêt que:

«la disparition de la société en droit prive les actionnaires de la pos-
sibilité d’un recours par l’intermédiaire de la société; c’est unique-

ment quand toute possibilité de ce genre leur est fermée que la ques-
tion d’un droit d’action indépendant peut se poser pour eux et pour
leur gouvernement» (ibid., p. 41, par. 66).

Dans son opinion individuelle jointe à l’arrêt, le juge Fitzmaurice a
bien analysé le problème en évoquant la situation où une société est

«dans l’incapacité de facto de protéger ses intérêts et, partant, ceux

192in a different context from the narrower one that was adopted in the pre-
vious Judgment.

Indeed, the terms of the Respondent’s letter confirmed the situation in
practice not only of Africom, but also of Africontainers, since, as I have
already noted, companies that have been inactive for almost 15 years
(1996-2010) have in practice ceased to exist. That requires us to examine
the nature of this disappearance, which creates a new situation in which

it is no longer possible for one or both of the companies to assert their
rights directly themselves, and thus to defend indirectly the rights and
interests of their sole associé. The fact that no further action is possible
through the company would deprive the sole associé of any remedy, if he

were denied diplomatic protection by Guinea; we would be faced with an
outcome which is not only contrary to fairness, but also to the funda-
mental principles governing due process and human rights. This problem
has been a concern for the Court, the doctrine and the International Law
Commission and it is useful to recall it briefly in order to understand its

significance.

In the Barcelona Traction case, the Court recalled a first exception to
the classic rule of diplomatic protection in paragraph 64, in which it
states that:

“The Court will now consider whether there might not be, in the
present case, other special circumstances for which the general rule
might not take effect. In this connection two particular situations

must be studied: the case of the company having ceased to exist and
the case of the company’s national State lacking capacity to take
action on its behalf.” (Barcelona Traction, Light and Power Com-
pany, Limited (Belgium v. Spain), Second Phase, Judgment, I.C.J.

Reports 1970, p. 40, para. 64; emphasis added.)
It then analysed this situation in paragraphs 65 to 68. Although in that
case the Court concluded that the company had not disappeared and

that, on those grounds, invoking this exception would not be pertinent to
the case, we can infer from the Court’s reasoning that, if the disappear-
ance had been established, there would be a situation in which the excep-
tion would be taken into consideration. Thus the Court clearly indicates
in paragraph 66 of the Judgment that:

“in the event of the legal demise of the company . . . the shareholders
[are] deprived of the possibility of a remedy available through the

company; it is only if they became deprived of all such possibility
that an independent right of action for them and their government
could arise” (ibid., p. 41, para. 66).

In his separate opinion appended to the Judgment, Judge Fitzmaurice
clearly identified the problem when he evoked a situation whereby a com-
pany is:

“incapable de facto of protecting its interests and hence those of the

192 des actionnaires. Il est évident que, dans les cas de ce genre, aucune
intervention ni réclamation pour le compte de la société elle-même

ne saurait par hypothèse être possible sur le plan international puis-
que, d’une part, il s’agit d’une société nationale et non étrangère et
que, d’autre part, l’autorité à laquelle la société devrait pouvoir
s’adresser pour obtenir appui ou protection est précisément l’auteur
du préjudice... La personne morale étant devenue impuissante et

incapable d’agir utilement, les actionnaires viennent en quelque sorte
se substituer à la direction pour assurer la protection des intérêts de
la société par tous les moyens légaux qui leur sont ouverts.» (C.I.J.
Recueil 1970, opinion individuelle du juge Fitzmaurice, p. 72, par. 14;

note de bas de page omise.)
Dans la mesure où, en la présente instance, il se confirme que l’une ou

l’autre ou les deux sociétés auraient disparu, on se retrouve alors dans la
première exception examinée par la Cour permettant d’ouvrir la voie au
jeu de la protection diplomatique. Ce point de vue, très largement par-
tagé au sein de la doctrine, est également repris dans le projet d’articles
adopté par la Commission du droit international en 2006 en tant que pre-

mière exception à la règle générale de la protection diplomatique en s’ins-
pirant de la position de la Cour. Selon l’article 11 du projet:

«Un Etat de nationalité des actionnaires d’une société ne peut
exercer sa protection diplomatique à l’égard desdits actionnaires lors-
qu’un préjudice est causé à la société que:

a) si la société a cessé d’exister d’après la loi de l’Etat où elle s’est
constituée pour un motif sans rapport avec le préjudice.»

En l’espèce, il semble bien que l’on soit en présence d’une telle situation
même si beaucoup d’éléments d’informations demeurent encore incer-
tains, ne serait-ce que pour déterminer si les sociétés ont effectivement
cessé d’exister, quand et comment. Il reste que cette situation aurait dû

être clarifiée davantage par la Cour.
Au plan des faits, les Parties sont d’accord pour constater que les socié-
tés ont cessé d’exister, puisqu’elles n’ont aucune activité depuis que leur
gérant a été expulsé. Elles divergent sur les dates auxquelles les sociétés
ont cessé d’exister effectivement et surtout sur le problème de leur exis-

tence juridique, ce dernier point nécessitant de voir quel est l’état de la
question.
On sait que, dans l’affaire de la Barcelona Traction, la Cour s’était déjà
penchée sur ce problème de disparition de société et elle a indiqué la
démarche à suivre pour savoir si une société a ou non cessé d’exister, en

adoptant une solution considérée comme plus stricte que celle prévalant
auparavant, comme l’a rappelé la Commission du droit international
dans son commentaire de l’article 11 (rapport de la Commission du droit
international, 2006, p. 62). La position de la Cour ressort clairement des

paragraphes 65, 66 et 67 de l’arrêt, dont les extraits pertinents méritent
d’être cités:

193 shareholders. Clearly in this type of case no intervention or claim on
behalf of the company as such can, in the nature of things, be

possible at the international level, since the company has local not
foreign nationality, and since also the very authority to which the
company should be able to look for support or protection is itself
the author of the damage . . . The efficacity of the corporate entity
and its capability of useful action has broken down, and the shareholders

become as it were substituted for the management to protect the
company’s interests by any method legally open to them.” (I.C.J.
Reports 1970, separate opinion of Judge Fitzmaurice, p. 72, para. 14;
footnote not included.)

In so far as it is confirmed in the present case that one or both of the

companies have disappeared, we have the situation of the first exception
considered by the Court, which opens the way to diplomatic protection.
This viewpoint, widely accepted within the doctrine, is also taken up in
the draft Articles adopted by the International Law Commission in 2006
as a first exception to the general rule of diplomatic protection, drawing

on the Court’s position. According to Article 11 of the draft Articles:

“The State of nationality of shareholders in a corporation shall
not be entitled to exercise diplomatic protection in respect of such
shareholders in the case of an injury to the corporation unless:

(a) the corporation has ceased to exist according to the law of the
State of incorporation for a reason unrelated to the injury.”

In the present case, it does indeed seem as though we are dealing with
such a situation, and even though many of the details remain unclear, it
would only be a matter of determining whether the companies have effec-
tively ceased to exist, when and how. The fact remains that this situation

should have been clarified by the Court.
Factually, the Parties are agreed that the companies have ceased to
exist, because they have been inactive since their gérant was expelled.
They disagree on the dates on which the companies effectively ceased to
exist and, in particular, on the issue of their legal existence, this latter

point requiring us to consider how things stand.

We know that in the Barcelona Traction case, the Court examined the
issue of the disappearance of a company and indicated the reasoning to
be followed in order to determine whether or not a company has ceased

to exist, adopting an approach considered to be stricter than that which
previously prevailed, as the International Law Commission recalled in its
commentary on Article 11 (Report of the International Law Commision,
2006, p. 62). The Court’s position is clear from paragraphs 65, 66 and 67

of the Judgment, the relevant excerpts of which state:

193 «65. ... Il est néanmoins constant que cette société a perdu tous ses
avoirs en Espagne et qu’elle a été placée sous receivership au Canada,

un receiver et administrateur ayant été désigné. Il est incontesté
qu’elle a été entièrement paralysée au point de vue économique ...

66. On ne saurait néanmoins soutenir que la société a disparu
comme personne morale ni qu’elle a perdu la capacité d’exercer l’ac-

tion sociale. Elle était libre de se prévaloir de sa capacité devant les
tribunaux espagnols et elle l’a fait. Elle n’est donc pas devenue juri-
diquement incapable de défendre ses propres droits ni les intérêts de
ses actionnaires ... Seule la disparition de la société en droit prive les

actionnaires de la possibilité d’un recours par l’intermédiaire de la
société; c’est uniquement quand toute possibilité de ce genre leur est
fermée que la question d’un droit d’action indépendant peut se poser
pour eux et pour leur gouvernement.
67. En l’espèce la Barcelona Traction est sous receivership dans le

pays où elle a été constituée. Loin de laisser supposer que la per-
sonne morale ou ses droits se soient éteints, cette situation indique
plutôt que ces droits subsistent tant qu’il n’y a pas liquidation. Bien
qu’en état de receivership, la société continue d’exister. De plus, il est
de notoriété publique que ses actions étaient cotées en bourse encore

récemment.» (C.I.J. Recueil 1970, p. 40-41.)
Qu’en est-il de l’application de ces critères dans la présente affaire? Il

suffit de comparer terme à terme les situations de la société Barcelona
Traction et des sociétés de M. Diallo pour que les conclusions apparais-
sent assez clairement:
— d’une part, si la société Barcelona Traction avait cessé d’exister au

lieu de ses activités (Espagne), elle n’avait pas cessé d’exister au lieu
de sa constitution (Canada), alors que les deux sociétés de M. Diallo
ont cessé d’exister de facto au lieu unique de leur activité et de leur
constitution (République démocratique du Congo), en raison des

agissements des autorités congolaises;
— d’autre part, la société Barcelona Traction n’était pas devenue juridi-
quement incapable de défendre ses propres droits ni les intérêts de ses
actionnaires et l’administrateur nommé par les tribunaux canadiens
était à même d’exercer tous les recours appropriés, alors que, à l’évi-

dence, les deux sociétés de M. Diallo sont devenues incapables de se
défendre parce que leur gérant était mis dans l’impossibilité, physique
et juridique, d’agir par les autorités congolaises.
Pour tous ces éléments de fait et de droit, et contrairement à la situa-

tion prévalant dans l’affaire de la Barcelona Traction (paragraphe 68 de
l’arrêt de 1970), dans la présente affaire les conditions semblent réunies
pour permettre à la Guinée d’exercer sa protection diplomatique à l’égard
de l’associé, M. Diallo, désormais seul détenteur des actifs des sociétés (le

voile social ayant disparu), tout en restant dans la ligne de l’arrêt du
24 mai 2007 sur les exceptions préliminaires.

194 “65. . . . There can, however, be no question but that Barcelona
Traction has lost all its assets in Spain, and was placed in receiver-

ship in Canada, a receiver and manager having been appointed. It is
common ground that from the economic viewpoint the company has
been entirely paralyzed. . . .
66. It cannot however, be contended that the corporate entity of
the company has ceased to exist, or that it has lost its capacity to

take corporate action. It was free to exercise such capacity in the
Spanish courts and did in fact do so. It has not become incapable in
law of defending its own rights and the interests of the shareholders.
. . . Only in the event of the legal demise of the company are the

shareholders deprived of the possibility of a remedy available through
the company; it is only if they became deprived of al1 such possibil-
ity that an independent right of action for them and their govern-
ment could arise.
67. In the present case, Barcelona Traction is in receivership in

the country of incorporation. Far from implying the demise of the
entity or of its rights, this much rather denotes that those rights are
preservedforsolongasnoliquidationhasensued.Thoughinreceiver-
ship, the company continues to exist. Moreover, it is a matter of
public record that the company’s shares were quoted on the stock-

market at a recent date.” (I.C.J. Reports 1970, pp. 40-41.)
How do these criteria apply to the present case? A side-by-side com-

parison of Barcelona Traction’s situation and that of Mr. Diallo’s com-
panies is sufficient for the following conclusions to emerge quite clearly:

— firstly, although Barcelona Traction had ceased to exist in the place

of its activity (Spain), it had not ceased to exist in the place of its
constitution (Canada); Mr. Diallo’s two companies, on the other
hand, have ceased to exist de facto in the single place of their activity
and constitution (DRC), because of the actions of the Congolese

authorities;
— secondly, Barcelona Traction had not become incapable in law of
defending its own rights and the interests of its shareholders, and the
receiver appointed by the Canadian courts was able to take all appro-
priate remedies; according to the evidence, however, both Mr. Dial-

lo’s companies have become incapable of defending themselves,
because the Congolese authorities have made it impossible for their
gérant to take action, materially or legally.
On the basis of all these elements of fact and law, and contrary to the

situation in the Barcelona Traction case (para. 68 of the 1970 Judgment),
in the present case the conditions seem to have been met to allow Guinea
to exercise its diplomatic protection on behalf of the associé, Mr. Diallo,
now the sole holder of shares in the companies (the corporate veil having

disappeared), while at the same time abiding by the Judgment of 24 May
2007 on the preliminary objections.

194 3. L E DROIT À RÉPARATION

Naturellement, je partage les conclusions de la Cour sur les violations
des droits de l’homme dont a été victime M. Diallo et sur la nécessité
d’une indemnisation dans les conditions indiquées dans le dispositif de

l’arrêt, tout en estimant que la Cour aurait pu retenir ces mêmes conclu-
sions sur les violations identiques qui ont eu lieu pendant la période anté-
rieure à 1995-1996. En revanche, à la lumière des développements qui
précèdent et qui montrent que M. Diallo a été victime de préjudices maté-

riels et moraux découlant des différentes violations de ses droits de
l’homme ainsi que de ses droits d’associé, ma position s’écarte de la
conclusion très restrictive de la Cour qui exclut toute violation des droits

d’associé de M. Diallo et écarte donc toute réparation à ce titre.

(Signé) Ahmed M AHIOU .

195 3. THE R IGHT TO R EPARATION

Naturally, I agree with the Court’s findings on the human rights vio-
lations suffered by Mr. Diallo and the need for compensation in accord-
ance with the conditions stated in the operative part of the Judgment;

however, I believe that the Court could have reached the same conclu-
sions on the identical violations which took place in the period prior to
1995-1996. On the other hand, for the reasons set out above, which show

that Mr. Diallo has been the victim of material and moral injury as a
result of the various violations of his human rights, as well as of his rights
as associé, I cannot subscribe to the Court’s very restrictive finding which
excludes any violation of Mr. Diallo’s rights as associé and thereby pre-

cludes any reparation under that head.

(Signed) Ahmed M AHIOU .

195

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Opinion dissidente de M. le juge ad hoc Mahiou

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