Opinion dissidente commune de MM. les juges Al-Khasawneh et Yusuf

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103-20101130-JUD-01-02-EN
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OPINION DISSIDENTE COMMUNE
DE MM. LES JUGES AL-KHASAWNEH ET YUSUF

[Traduction]

Impossibilité de souscrire au point 6 du dispositif — Violation des droits de

M. Diallo en tant qu’unique associé — Lien de causalité entre son expulsion et
les violations de ses droits en tant qu’associé — Précédent dangereux pour les
investisseurs étrangers — Différence par rapport aux investisseurs protégés par
un traité — Développements modernes dans le domaine des investissements
étrangers — Etat du droit laissant à désirer — Distinction entre personnalité
morale et personnalité de l’actionnaire — Distinction inhérente à la notion de
responsabilité limitée — Distinction toutefois non absolue — Différences par
rapport à la Barcelona Traction — Relation triangulaire — Situation dans
laquelle l’Etat national de la société se trouve être le même que l’Etat dont la
responsabilité est invoquée — Considérations d’équité — Arrêt de la Barcelona
Traction dépassé par les faits — Arrêt de 2007 revêtant l’autorité de la chose
jugée — Prise en compte des droits propres de l’associé ne remettant pas en
question cette autorité — Droits propres incluant le droit de propriété — Impor-
tance de la taille de la société et des personnes qui la dirigent — Occasion
manquée pour la Cour, en ne reconnaissant pas les droits de M. Diallo,
d’accorder réparation — Occasion manquée, également, de prendre acte des

récents développements du droit des investissements et du droit relatif aux
droits de l’homme.

Nous regrettons de ne pouvoir nous associer au point 6 du dis-
positif, dans lequel la Cour «[d]it que la République démocratique du
Congo n’a pas violé les droits propres de M. Diallo en tant qu’associé des
sociétés Africom-Zaïre et Africontainers-Zaïre», et ne jugeons pas non

plus convaincants le raisonnement et les considérations sur lesquels repose
cette conclusion.
Bien au contraire, nous estimons que, en arrêtant et en détenant à deux
reprises M. Diallo, une première fois en 1988-1989 (cas dans lequel la
Cour a conclu à l’irrecevabilité) et une seconde fois en 1995-1996, cette

dernière incarcération étant suivie de son expulsion du territoire congo-
lais, la RDC a commis une profonde injustice à l’égard de l’intéressé,
non seulement en tant que personne, mais également en tant qu’unique
associé et gérant de ses deux sociétés — une injustice qu’a encore aggra-
vée le laps de temps prodigieux qui s’est écoulé avant que l’affaire ne
soit tranchée (douze ans, depuis le dépôt de la requête de la République

de Guinée).
Cette injustice commence avec le traitement réservé à M. Diallo par les
autorités congolaises en 1995-1996 (arrêt, par. 165, points 2, 3 et 4),
jugé illicite par la Cour, et avec son «arrestation et [sa] détention visant
à ... [la] mesure d’expulsion», jugées quant à elles arbitraires, ainsi qu’avec

65le fait, également reconnu par la Cour (dans ce qui est peut-être la seule
concession à la réalité qu’elle ait faite dans ce passage de l’arrêt), que

«il est difficile de ne pas percevoir un lien entre l’expulsion de
M. Diallo et le fait qu’il ait tenté d’obtenir le recouvrement des
créances qu’il estimait être dues à ses sociétés par, notamment, l’Etat
zaïrois ou des entreprises dans lesquelles ce dernier détient une part

importante du capital, en saisissant à cette fin les juridictions civiles»
(arrêt, par. 82).

Dans son arrêt toutefois, la Cour se refuse à tirer la conclusion évi-

dente et inéluctable qu’appellent, sauf le respect que nous lui devons, les
constatations qui précèdent. Il ne fait aucun doute que l’expulsion de
M. Diallo n’était pas une fin en soi. Elle était, selon toute probabilité,
destinée à contrarier les tentatives faites par l’intéressé pour obtenir le
recouvrement de ses créances. Telle en a tout au moins été la conséquence

— chose que les autorités congolaises savaient, ou auraient dû savoir.
L’énormité de l’injustice commise à l’encontre de M. Diallo peut éga-
lement se mesurer à une autre aune. M. Diallo n’était pas un actionnaire
parmi bien d’autres, «séparé [de la société] par de nombreuses barrières»
et ne pouvant, dès lors, «être identifié» à celle-ci, à la différence du cas

visé au paragraphe 41 de l’arrêt rendu en l’affaire de la Barcelona Trac-
tion (Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited (Belgique
c. Espagne), deuxième phase, arrêt, C.I.J. Recueil 1970 , p. 34, par. 41). Il
ne formait, dans la pratique, qu’un avec les deux sociétés. En outre, ses
parts sociales ne représentaient pas une petite fraction de sa fortune, elles

formaient pratiquement toute sa richesse, de sorte que, en conséquence
des mesures prises à son encontre par les autorités congolaises, M. Diallo
s’est trouvé réduit à l’état d’indigence.
Or, compte tenu de l’arrêt rendu, cette injustice ne s’arrêtera pas à
M. Diallo. Il pourrait, en effet, s’agir d’un dangereux précédent pour les

investisseurs étrangers. Un Etat cherchant à exproprier les actifs d’une
société unipersonnelle (le terme «unipersonnelle» étant ici utilisé pour
désigner une société privée à responsabilité limitée qui en est venue à ne
compter qu’un associé gérant, et a été autorisée à mener des transactions
en tant que telle, ou une société composée seulement d’un petit nombre

d’associés) n’aurait qu’à en expulser de son sol l’associé. Si l’Etat ayant
procédé à l’expropriation se trouve être aussi l’Etat national de la société,
et donc l’Etat supposé en assurer la protection, l’investisseur n’aura
aucune possibilité d’obtenir réparation. En d’autres termes, une telle
mesure se traduira concrètement par une expropriation indirecte non

soumise à l’obligation d’indemnisation ou à la nécessité de démontrer
l’existence d’un intérêt public qui viendrait la légitimer.
Heureusement, les investisseurs étrangers dont les investissements sont
couverts par des traités bilatéraux ou multilatéraux d’investissement

seraient à l’abri de tels risques. Ces traités vont généralement bien au-delà
de ce qu’a demandé la Guinée en l’espèce, en ce qu’ils accordent, notam-

66ment, une protection au moyen de mécanismes bien précis, tels que l’arbi-
trage obligatoire, la décharge de l’obligation d’épuiser les voies de recours

internes, l’élargissement de la portée de la notion d’«investissement», la
constitution de la société selon le droit de l’Etat national des actionnaires
ou d’un Etat tiers, etc. Cette situation nouvelle née de l’évolution du droit
des investissements étrangers a conduit à abandonner purement et sim-
plement la distinction entre personnalité morale de l’entreprise et per-

sonnalité des actionnaires, avec pour conséquence un net décalage
entre la norme existant en droit international coutumier et celle conte-
nue dans la plupart des traités d’investissement, la protection offerte
par la première (pour autant qu’elle soit reflétée dans l’arrêt rendu en

l’affaire de la Barcelona Traction) étant bien moindre que celle pré-
vue par les traités d’investissement. Au vu de ce décalage, le moins
que l’on puisse dire de cet état du droit international coutumier est qu’il
laisse à désirer.
Le raisonnement qui sous-tend aussi bien l’arrêt du 24 mai 2007 sur les

exceptions préliminaires que la présente décision est que la distinction
entre les droits de la société, d’une part, et les «simples intérêts des
actionnaires», de l’autre, ressortit, intrinsèquement, à la nature même des
sociétés anonymes ou des sociétés à responsabilité limitée. L’argument
consiste ainsi à affirmer que, les actionnaires étant protégés en droit

interne (notion transposée, par analogie, en droit international) contre
l’exposition de l’ensemble de leurs actifs aux risques encourus, ils doivent,
selon la même logique, être prêts à accepter des pertes limitées à la partie
de leur richesse constituée par leur apport individuel au capital de la
société, la Fortune étant une divinité capricieuse dont le droit, impuissant

à garantir les humeurs, peut, tout au plus, tempérer l’inconstance par
l’institution de la responsabilité limitée. Pour reprendre les termes
employés au paragraphe 42 de l’arrêt rendu en l’affaire de la Barcelona
Traction, «les droits des actionnaires à l’égard de la société et de ses biens
restent limités, ce qui est d’ailleurs un corollaire du caractère limité de

leur responsabilité »( Barcelona Traction, Light and Power Company,
Limited (Belgique c. Espagne), deuxième phase, arrêt, C.I.J. Recueil
1970, p. 35, par. 42; les italiques sont de nous).
Cela est peut-être vrai en règle générale. Toutefois, dans le domaine du
droit interne, qui a vu naître la notion de responsabilité limitée, les action-

naires ne se sont jamais vu refuser la protection dont sir Gerald Fitzmau-
rice, dans son opinion individuelle en l’affaire de laBarcelona Traction,
expliquait qu’elle faisait contrepoids à ce qu’il appelait l’«hégémonie» de
la société (ibid., p. 68, par. 8). Dans cette opinion qui, pour beaucoup, a
fait date, le juge Fitzmaurice a analysé les raisons pour lesquelles le droit

interne n’autorisait pas un actionnaire à intenter un recours en protection
des droits de la société alors même qu’un préjudice causé à celle-ci pouvait
avoir sur lui des répercussions directes ou indirectes:

«La véritable raison (extérieure au droit mais sous-jacente à celui-
ci) qui justifie que l’on dénie à l’actionnaire la possibilité d’agir

67 lorsqu’il y a atteinte aux droits de la société est que normalement il
n’a pas besoin de le faire. La société agira et, ce faisant, protégera

automatiquement non seulement ses propres intérêts mais aussi ceux
des actionnaires. On part donc de la double hypothèse que la société
est capable d’agir et qu’elle le fera, à moins d’avoir des raisons impé-
rieuses de s’abstenir dans son propre intérêt et donc indirectement
dans celui des actionnaires.» (C.I.J. Recueil 1970, opinion indivi-

duelle du juge sir Gerald Fitzmaurice, p. 68-69, par. 10.)
Cette hypothèse ne tient pas dans le domaine du droit international.

L’Etat national de la société conserve toute discrétion pour décider d’agir
ou non pour le compte de la société. Rappelons d’ailleurs que les obser-
vations du juge Fitzmaurice portaient sur des faits propres à l’affaire de
la Barcelona Traction, dans laquelle le Canada, Etat protecteur, quoique

ayant parfois agi au nom de la société, s’était pour l’essentiel abstenu de
le faire.
C’est là a priori un aspect encore plus pertinent compte tenu des cir-
constances de l’espèce, en laquelle l’Etat national des deux sociétés, Afri-
com-Zaïre et Africontainers-Zaïre, est précisément celui auquel est imputé

l’acte illicite.
Dans un autre passage de son opinion individuelle, le juge Fitzmaurice
envisageait précisément ce cas de figure:

«En réalité il semble qu’il n’y ait qu’un seul type de situation où
l’intervention du gouvernement d’actionnaires étrangers soit plus ou
moins nettement admise: quand la société intéressée a la nationalité de
l’Etat responsable des actes ou du dommage dont il est fait grief et

quand ceux-ci, ou les conséquences qui en découlent, sont de nature à
mettre la société dans l’incapacité de facto de protéger ses intérêts
et, partant, ceux des actionnaires. Il est évident que, dans les cas
de ce genre, aucune intervention ni réclamation pour le compte de la
société elle-même ne saurait par hypothèse être possible sur le plan

international puisque, d’une part, il s’agit d’une société natio-
nale et non étrangère et que, d’autre part, l’autorité à laquelle la
société devrait pouvoir s’adresser pour obtenir appui ou protection
est précisément l’auteur du préjudice. Par conséquent,ce qui arrive
en l’occurrence ce n’est pas tellement que la règle normale d’inter-

vention par le gouvernement de la société, pour le compte de la
seule société, devient inapplicable, mais qu’elle perd toute perti-
nence et toute signification. La personne morale étant devenue im-
puissante et incapable d’agir utilement, les actionnaires viennent
en quelque sorte se substituer à la direction pour assurer la protec-

tion des intérêts de la société par tous les moyens légaux qui leur
sont ouverts. Si certains actionnaires sont de nationalité étrangère,
l’un de ces moyens consiste à solliciter l’intervention de leur gou-
vernement, ce qui doit être considéré comme admissible dans ces

conditions.» (Ibid., p. 72-73, par. 14; les premiers et troisièmes itali-
ques sont de nous.)

68A l’appui de cette affirmation, le juge Fitzmaurice citait Paul de Vis-
1
scher :
«Il en découle nécessairement que si la justification rationnelle de

la technique de la personnalité morale vient à s’écrouler par le fait
même de l’Etat dont le droit régit le statut et l’allégeance de la per-
sonne morale, la personnalité morale n’est plus qu’une fiction vide
de tout sens, dans laquelle il ne faut plus voir qu’un faisceau de

droits individuels.»
D’aucuns argueront qu’il ne s’agit là que d’une opinion individuelle, et

que la Cour, dans l’arrêt qu’elle a rendu au principal en l’affaire de la
Barcelona Traction, n’a pas adopté cette manière de voir. Or, il apparaît
que tel n’est pas le cas.
Il importe tout d’abord de rappeler que, dans l’affaire de la Barcelona

Traction, la Cour se trouvait face à une «relation triangulaire», pour
reprendre ses termes (C.I.J. Recueil 1970, p. 42, par. 69), dans laquelle les
trois sommets du triangle étaient le Canada, l’Espagne et la Belgique.
Examinant les liens entre les trois gouvernements, la Cour a conclu ceci:

«En somme il ressort du dossier qu’à partir de 1948 le Gouverne-
ment canadien a fait auprès du Gouvernement espagnol de nom-

breuses démarches dans lesquelles on ne saurait voir autre chose que
l’exercice de la protection diplomatique de la société Barcelona Trac-
tion. Il ne s’agit donc pas d’un cas où la protection diplomatique a été
refusée, ni d’un cas où elle est restée théorique .» ( Ibid., p. 43-44,

par. 76; les italiques sont de nous.)
Bien qu’ayant essentiellement affaire à une relation triangulaire, la

Cour n’en a pas moins envisagé le cas où, pour des raisons d’équité, lors-
que l’Etat dont la responsabilité est en cause est l’Etat national de la
société, l’Etat national des actionnaires peut assumer la protection de
ceux-ci, affirmant:

«Certes on a soutenu que, pour des raisons d’équité, un Etat devrait
pouvoir assumer dans certains cas la protection de ses ressortissants
actionnaires d’une société victime d’une violation du droit inter-
national. Ainsi, une thèse s’est développée selon laquelle l’Etat des
actionnaires aurait le droit d’exercer sa protection diplomatique

lorsque l’Etat dont la responsabilité est en cause est l’Etat national
de la société. Quelle que soit la validité de cette thèse, elle ne saurait
aucunement être appliquée à la présente affaire, puisque l’Espagne
n’est pas l’Etat national de la Barcelona Traction.

En revanche la Cour estime que, dans le domaine de la protection
diplomatique comme dans tous les autres domaines, le droit interna-

1Paul de Visscher, «La protection diplomatique des personnes morales», Recueil des
cours de l’Académie de droit international de La Haye , t. 102 (1961), p. 465.

69 tional exige une application raisonnable. Il a été suggéré que, si l’on

ne peut appliquer dans un cas d’espèce la règle générale selon laquelle
le droit de protection diplomatique d’une société revient à son Etat
national, il pourrait être indiqué, pour des raisons d’équité, que la
protection des actionnaires en cause soit assurée par leur propre Etat
national. L’hypothèse envisagée ne correspond pas aux circonstan-

ces de la présente affaire.
Etant donné toutefois la nature discrétionnaire de la protection
diplomatique, les considérations d’équité ne sauraient exiger plus
que la possibilité de voir intervenir un Etat protecteur, qu’il s’agisse,

en vertu de la règle générale exposée plus haut, de l’Etat national de
la société ou, à titre subsidiaire, de l’Etat national des actionnaires
réclamant protection.» (C.I.J. Recueil 1970, p. 48, par. 92-94.)

Quoique la Cour poursuive en mentionnant les raisons pratiques qui
pourraient militer contre l’opportunité de fonder ainsi le droit d’exercer la

protection sur des considérations d’équité, tout particulièrement si les
investisseurs sont nombreux, de nationalités différentes et détenteurs de
parts minoritaires, elle n’a jamais exclu, par principe, le recours à la protec-
tion diplomatique des actionnaires en l’absence d’un Etat protecteur. Or,

nous ne saurions songer à un cas où des considérations d’équité se seraient
trouvées plus justifiées qu’en la présente espèce, dans laquelle il n’existait,
au surplus, aucun risque de voir le fait d’«ouvr[ir] la voie à des réclama-
tions diplomatiques concurrentes» créer un climat «de confusion et d’insé-

curité dans les relations économiques internationales»i(bid., p. 49, par. 96).
En outre, dans l’affaire de la Barcelona Traction, la Cour a pris soin
de souligner que sa conclusion (quant à la distinction entre la person-
nalité de la société et celle des actionnaires) s’inscrivait dans le cadre

des circonstances propres à l’espèce. En précisant que, «[p]our les mo-
tifs [qu’elle avait] indiqués, la Cour n’[était] pas d’avis que, dans les
circonstances particulières de [l’]affaire , des considérations d’équité
[fussent] de nature à conférer qualité pour agir au Gouvernement belge»

(ibid., p. 50, par. 101; les italiques sont de nous), elle reconnaissait, que,
dans d’autres cas de figure, cette qualité pouvait a contrario être conférée
pour des raisons d’équité (équité infra legem).
Il est également à relever que les juges qui ont fait leurs les conclusions
concernant le défaut de qualité de l’Etat des actionnaires en l’affaire de la

Barcelona Traction étaient, pour une large part, animés par la crainte,
fort concrète et peut-être légitime, que la reconnaissance à l’Etat national
du droit d’agir en protection de ses actionnaires ne mène à des abus de
la part de pays exportateurs de capitaux et à l’instauration d’un néo-
2
colonialisme économique . Le juge Ammoun citait ainsi, entre autres,
les travaux de l’Institut de droit international en ces termes:

2Le juge Ammoun cite les opinions de MM. Nagendra Singh (Inde), Kamil Yasseen
(Irak) et Nihat Erim (Turquie), et, en note de bas de page, les observations du profes-
seur Rolin.

70 «Quant à l’Institut de droit international, il eut à étudier en 1967,

à la session de Nice, le problème des investissements dans les pays en
voie de développement. Les juristes du groupe afro-asiatique qui ont
participé aux travaux de cette session ont exprimé l’opinion de leur
groupe en répondant par la négative à la question de savoir si «les

actionnaires sont en droit de demander la protection diplomatique
de leur Etat au cas où la société dans laquelle ils ont investi ne peut
ou ne veut pas la demander elle-même à l’encontre du pays en voie
de développement».» (C.I.J. Recueil 1970, opinion individuelle du

juge Ammoun, p. 330, par. 39.)

L’ironie veut que la réalité ait dépassé toutes les appréhensions. La
prolifération des traités d’investissement bilatéraux et multilatéraux, et
l’affirmation par certains Etats d’un droit, parfois inscrit dans leur légis-
lation , d’intervenir en vue de protéger les intérêts de leurs ressortissants

actionnaires de sociétés étrangères, conjuguées à une évolution parallèle
dans le domaine des droits de l’homme, sur laquelle nous reviendrons un
peu plus loin, ont toutes eu pour conséquence que le faible degré de pro-
tection reconnu aux actionnaires par le droit coutumier n’est plus désor-

mais le lot que des seuls damnés de la terre, tel M. Diallo. Un résultat que
n’escomptaient assurément pas les juges dont la préoccupation première
était, pour reprendre les termes employés par le professeur Rolin,

«d’encourager les investissements au profit des pays en voie de déve-
loppement en donnant des garanties de part et d’autre, tant à ces

pays eux-mêmes, pour éviter un néo-colonialisme économique ame-
nant leur sujétion aux pays riches, que pour mettre les investisseurs à
l’abri de certains risques» (cité par le juge Ammoun, ibid., p. 330,
note de bas de page n 83).

Quoi qu’il en soit, c’est une interprétation restrictive et, à notre humble
avis, infondée de l’arrêt rendu en l’affaire de laBarcelona Traction qui s’est

frayé un chemin dans l’arrêt de 2007 sur les exceptions préliminaires, dans
lequel la Cour a retenu l’exception de la RDC «en ce qu’elle a trait à la
protection de M. Diallo pour les atteintes alléguées aux droits des sociétés

Africom-Zaïre et Africontainers-Zaïre» A ( hmadou Sadio Diallo (Répu-
blique de Guinée c. République démocratique du Congo), exceptions
préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (II), p. 617, point 1, al.b), du dis-
positif). Cette conclusion est maintenant revêtue de l’autorité de la chose

jugée.
Toutefois, dans ce même arrêt, la Cour a rejeté l’exception de la RDC
«en ce qu’elle a trait à la protection des droits propres de M. Diallo en

3
Selon les règles applicables aux réclamations internationales (Rules Applying to Inter-
national Claims) édictées par le Royaume-Uni en 1985, «lorsqu’un ressortissant britan-
nique possède un intérêt, en tant, par exemple, qu’actionnaire, dans une société constituée
selon le droit d’un autre Etat, dont elle a en conséquence la nationalité, et que ledit Etat
lèse cette société, le Gouvernement de Sa Majesté peut intervenir pour protéger les intérêts
du ressortissant britannique» (Rule VI, dans ICLQ, vol. 37 (1988), p. 1007 (réimpr.)).

71tant qu’associé des sociétés Africom-Zaïre et Africontainers-Zaïre» (C.I.J.

Recueil 2007 (II), p. 617, point 1, al. a), du dispositif). C’est sur ces
droits, qui ne relèvent pas de la chose jugée, que nous allons à présent
nous pencher.
Il convient de rappeler que la Cour, dans l’affaire de la Barcelona

Traction, a fait la distinction4entre, d’une part, les droits de la société et
les intérêts des actionnaires (C.I.J. Recueil 1970, p. 36, par. 46), et,
d’autre part, les droits de la société et les droits propres des actionnaires
(ibid., p. 36, par. 47), écrivant:

«La situation est différente si les actes incriminés sont dirigés
contre les droits propres des actionnaires en tant que tels. Il est bien

connu que le droit interne leur confère des droits distincts de ceux de
la société, parmi lesquels le droit aux dividendes déclarés, le droit de
prendre part aux assemblées générales et d’y voter, le droit à une
partie du reliquat d’actif de la société lors de la liquidation. S’il est

porté atteinte à l’un de leurs droits propres, les actionnaires ont un
droit de recours indépendant. Il n’y a pas de divergences de vues
entre les Parties sur ce point. Il convient toutefois de distinguer entre
une atteinte directe aux droits des actionnaires et les difficultés ou

pertes financières auxquelles ils peuvent se trouver exposés en raison
de la situation de la société.» (Ibid., p. 36, par. 47.)

La Cour n’a pas approfondi à cette occasion les conséquences de cette
distinction; le Gouvernement belge n’ayant pas «fond[é] ... sa demande
sur une atteinte aux droits propres des actionnaires, elle ne [pouvait] aller
au-delà de la demande telle qu’elle a[vait] été formulée» par ce gouver-

nement (ibid., p. 37, par. 49).
En la présente espèce, en revanche, la Guinée a (re)formulé sa demande
en termes d’atteinte aux droits propres de M. Diallo en tant qu’associé
(paragraphe 13 de l’arrêt). En outre, l’énumération de ces droits contenue

dans l’arrêt rendu en l’affaire de la Barcelona Traction n’étant pas
exhaustive (comme en témoigne l’usage de l’expression «parmi lesquels»),
la Guinée a ajouté aux trois droits mentionnés alors un quatrième ensem-
ble de droits: les droits «de propriété et de direction des sociétés qu[e

M. Diallo] a[vait] fondées en RDC» et dont il était l’unique associé; le
droit de «poursuivre le recouvrement des nombreuses créances qui lui
[étaient] dues, à lui-même et auxdites sociétés, tant par la RDC elle-même
que par d’autres co-contractants»; et le droit de ne pas être l’objet d’une

expropriation de fait.
Ces droits et les atteintes à ces droits ne peuvent être mesurés à l’aune
d’un critère unique, indépendamment de la taille de la société en ques-

4 S’agissant de cette dernière distinction, la Cour, dans l’affaire de la Barcelona Trac-
tion, a ainsi, à propos de ces droits, apporté la précision suivante: «La responsabilité n’est
pas engagée si un simple intérêt est touché; elle ne l’est que si un droit est violé, de sorte
que des actes qui ne visent et n’atteignent que les droits de la société n’impliquent aucune

responsabilité à l’égard des actionnaires même si leurs intérêts en souffrent.» (C.I.J.
Recueil 1970, p. 36, par. 46).
72tion, ou du caractère central du rôle joué par certains individus dans la
gestion de cette société. En l’affaire de la Barcelona Traction — dans le

cadre de laquelle l’actionnaire ne pouvait «être identifié à la société, dont
il [était] séparé par de nombreuses barrières »( Barcelona Traction, Light
and Power Company, Limited (Belgique c. Espagne), deuxième phase,
arrêt, C.I.J. Recueil 1970 , p. 34, par. 41; les italiques sont de nous) —, il
aurait été tout à fait légitime de faire état du droit de tenir des assemblées

générales et de nommer un gérant.
La présente affaire, toutefois, se distingue incontestablement de celle
de la Barcelona Traction à cet égard. Les deux sociétés étaient devenues
des sociétés unipersonnelles, fonctionnant en tant que telles en RDC

— fait que les Parties ne contestent pas —, et leur unique associé en était
aussi le gérant. Faire obligation à l’associé de tenir des assemblées géné-
rales, ou prendre prétexte de ce que celui-ci ne l’a pas fait pour affirmer
que ses droits de prendre part aux assemblées générales et d’y voter, de
nommer un gérant ou encore de contrôler la gérance des sociétés n’ont

pas été violés, est parfaitement surréaliste (un associé/gérant impécunieux
et en exil se réunissant en assemblée générale avec lui-même?).
Au paragraphe 115 du présent arrêt, la Cour, manifestement, cherche à
s’en excuser. Ce paragraphe mérite d’être cité in extenso :

«Dans les motifs qui vont suivre, la Cour veillera à maintenir
strictement la distinction entre les atteintes alléguées aux droits des
deux SPRL en cause et les atteintes alléguées aux droits propres

de M. Diallo en tant qu’associé de celles-ci (voir C.I.J. Recueil
2007 (II), p. 605-606, par. 62-63). Qu’une telle distinction puisse
paraître artificielle dans le cas d’une SPRL dont les parts sociales
sont détenues en fait par un seul associé, la Cour le conçoit. Elle n’en
reste pas moins juridiquement fondée, et il est indispensable de

l’observer rigoureusement dans la présente affaire. La Guinée elle-
même accepte, dans la phase actuelle de la procédure, cette distinc-
tion, et la plupart de ses arguments sont précisément fondés sur elle.
La Cour doit se prononcer sur les prétentions du demandeur telles
que celui-ci les a présentées.»

La Guinée a bien sûr dû accepter cette distinction, compte tenu de
l’autorité de la chose jugée dont est revêtu l’arrêt de 2007. Toutefois,

nous pensons que rien n’empêchait la Cour de prendre acte de la réalité
de la situation et, plus particulièrement, de ce que, lorsqu’il n’y a de fait
qu’un associé/gérant, l’atteinte aux droits de la société est ipso facto une
atteinte aux droits propres de son propriétaire.
En insistant pour appliquer de manière dogmatique une solution toute

faite, celle offerte par la Barcelona Traction (ou plus exactement par une
interprétation étroite de cette décision, ne prenant pas en compte l’absence
d’un Etat protecteur), la Cour a manqué l’occasion qui lui était donnée
d’accorder réparation à M. Diallo, sur la base de considérations d’équité,

sans pour autant porter atteinte à l’autorité formelle dont est investi
son arrêt de 2007. Non moins important, elle a manqué une occasion

73d’aligner la norme de protection applicable à des investisseurs tels

que M. Diallo sur celle que l’on trouve désormais dans la jurisprudence
de juridictions arbitrales et régionales, norme dont, ainsi qu’évoqué plus
haut, il est loisible de penser qu’elle est devenue une norme internationale

minimale dont même les investisseurs non couverts par des traités d’inves-
tissement bilatéraux ou multilatéraux peuvent se prévaloir.
C’est à cette évolution récente, pertinente pour les questions qui nous

occupent ici, que, afin de déterminer l’état actuel du droit, nous allons
nous intéresser dans la dernière partie de la présente opinion dissidente

commune.
Nous voudrions toutefois commencer par préciser que, lorsque nous
parlons d’évolution récente, nous n’entendons pas pour autant mini-

miser l’importance de précédents plus anciens — citons notamment
les affaires suivantes: Delagoa Bay Railway Company; Mexican Eagle
Company; Romano-Americana ; El Triunfo (sentence du 8 mai 1902) ; 6

Deutsche Amerikanische Petroleum Gesellschaft Oil Tankers (sentence
du 5 août 1926) . 7
Il y a, pensons-nous, trois développements dans le droit moderne régis-

sant le traitement par les Etats des investissements étrangers qui, cumu-
lés, pourraient justifier de revenir sur la règle énoncée dans l’affaire de la
Barcelona Traction concernant la qualité pour agir. Ils portent sur la pro-

tection contre l’expropriation indirecte; la protection diplomatique des
actionnaires contre l’Etat national de la société; et la portée des traités
bilatéraux d’investissement.

Ainsi, en ce qui concerne l’expropriation indirecte, le tribunal des
réclamations Iran/Etats-Unis a jugé qu’il y avait expropriation lorsque
«l’ingérence de l’Etat dans les droits de propriété [était] telle que ces

droits [étaient] rendus à ce point inutiles que leurs titulaires d[evaient]
être réputés avoir été expropriés» ( Iran-US Claims Tribunal Reports 122,
p. 154). De même, dans la sentence rendue le 29 mai 2003 en l’affaire Tec-
8
med v. United Mexican States (CIRDI) , il a été considéré qu’une
expropriation devait être réputée avoir eu lieu si le plaignant «avait été

privé de manière radicale de l’utilisation et de la jouissance économi-
ques de ses investissements, comme si les droits qui y étaient ratta-
chés ... avaient cessé d’exister» (p. 43, par. 115).

Tel est précisément le type de préjudice subi par les sociétés de
M. Diallo, à la suite d’une expulsion qui, incontestablement, était illicite.

5
Delagoa Bay Railway Company, Digest of International Law , vol. VI, p. 648;
Mexican Eagle Company (El Aguila), M. Whiteman,Digest of International Law, vol. VIII,
p. 1272-1274;Romano-Americana, Hackworth,Digest of International Law, vol. V, p. 841.
6 El Triunfo, sentence du 8 mai 1902, Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales ,
vol. XV, p. 467.
7 Deutsche Amerikanische Petroleum Gesellschaft Oil Tankers , sentence du 5 août 1926,
Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales , vol. II, p. 790.
8 Tecnicas Medioambientales Tecmed v. United Mexican States, sentence du
29 mai 2003, CIRDI, affaire nARB (AF)/00/2.

74Dans l’affaire Biloune and Marine Drive Complex Ltd. v. Ghana Invest-
9
ments Centre , le tribunal, qui avait également à connaître de l’expulsion
de celui qui se trouvait être le pilier d’une société unipersonnelle (quoique
constituée en société anonyme) — la MDCL —, s’est fondé sur le rôle

central joué par M. Biloune dans la promotion, le financement et la ges-
tion de cette société pour conclure que l’expulsion de l’intéressé avait de
fait empêché la société de poursuivre l’exécution de son projet, cet état de
fait constituant une expropriation non déclarée («constructive expropria-

tion») des droits contractuels de la MDCL à l’égard du projet et, partant,
une expropriation d’une valeur égale à celle des intérêts de M. Biloune
dans la MDCL, dès lors que le défendeur ne pouvait établir, preuves

concluantes à l’appui, que ces faits étaient suffisamment justifiés.
En ce qui concerne la protection des actionnaires en droit internatio-
nal, il suffit de rappeler une autre interprétation possible — et faite

d’ailleurs par la Commission du droit international — du paragraphe 92
de l’arrêt rendu en l’affaire de la Barcelona Traction, à savoir que la Cour
n’aurait pas contredit la thèse selon laquelle «l’Etat des actionnaires
aurait le droit d’exercer sa protection diplomatique lorsque l’Etat dont la
10
responsabilité est en cause est l’Etat national de la société» , s’étant
contentée de noter que, «[q]uelle qu[’en] soit la validité[,] cette thèse ... ne
saurait aucunement être appliquée à la présente affaire, puisque l’Espa-

gne n’est pas l’Etat national de la Barcelona Traction» (C.I.J. Recueil
1970, p. 48, par. 92). Enfin, s’agissant des traités bilatéraux d’investisse-
ment, il convient de relever que la protection qu’ils accordent aux inves-

tissements concernés est nettement plus étendue que celle demandée par
la Guinée en la présente affaire. La protection garantie par les traités
d’investissement englobe en effet des cas où l’actionnaire et la société ne
peuvent s’identifier aussi étroitement l’un à l’autre que M. Diallo et ses

deux sociétés, puisqu’elle s’étend notamment aux actionnaires minoritai-
res et à des actionnaires dont la société est constituée selon le droit d’un
Etat tiers (comme l’était la Barcelona Traction).

Enfin, nous voudrions souligner en quelques mots les conséquences
que certains développements intervenus dans le domaine des droits de
l’homme ont eues sur le droit de ne pas être soumis à une expropriation

directe ou indirecte. Ainsi, la Cour européenne des droits de l’homme a
admis que le propriétaire exclusif d’une société pouvait se prétendre «vic-
time» — au sens de l’article 34 de la convention de sauvegarde des droits
de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome en 1950 — de

mesures dirigées contre son entreprise puisque, dans le cas d’une société
unipersonnelle, il n’existait aucun risque de divergence d’opinion entre les

9 Biloune and Marine Drive Complex Ltd. v. Ghana Investments Centre and the Gov-
ernment of Ghana, sentence sur la compétence et la responsabilité, 27 octobre 1989, 95
ILR 184.
10Commentaire relatif au projet d’article 11 b) sur la protection diplomatique, p. 64-
67. (Rapport de la Commission du droit international, 58sion, 1rmai-9 juin et 3 juil-
let-11 août 2006, Nations Unies, doc. A/61/10.)

75actionnaires ou entre les actionnaires et le conseil d’administration quant

à la réalité des atteintes aux droits protégés par la convention ou ouant à
la réaction qu’elles appelaient (voir Ankarcrona c. Suède (déc.), n 35178/
97, 27 juin 2000; Dyrwold c. Suède,n o 12259/86, décision de la commis-
sion du 7 septembre 1990). Plus récemment, dans l’affaire Nosov c. Rus-
o
sie (déc.), n 30877/02, 20 octobre 2005, la Cour a estimé que, en ce qui
concerne la question de savoir si un actionnaire pouvait ou non être
considéré comme victime, seules des circonstances exceptionnelles justi-
fiaient de ne pas tenir compte de la qualité de personne morale d’une

société — dès lors, par exemple, qu’il était clairement établi que celle-ci
était dans l’impossibilité de saisir la Cour par l’intermédiaire des organes
établis en vertu de ses statuts ou, dans le cas d’une liquidation ou d’une
faillite, des liquidateurs ou du syndic de faillite.

En résumé, plusieurs raisons impérieuses commandaient à la Cour de
ne pas faire sienne la conclusion selon laquelle les droits propres de
M. Diallo en tant qu’associé n’ont pas été violés par les autorités de la
RDC. Premièrement, les mesures des autorités de la RDC ayant abouti à

l’incarcération puis à l’expulsion de M. Diallo et la perte des droits de
propriété de l’intéressé dans ses sociétés qui s’en est suivie étaient, en rai-
son du lien de causalité qui existait clairement entre elles, constitutives
d’une expropriation non déclarée. Deuxièmement, la conclusion de la

Cour repose sur une interprétation étroite et infondée de l’arrêt rendu en
l’affaire de la Barcelona Traction, laquelle se distingue en tout état de
cause de la présente espèce, en ce que celle-là portait sur une relation
triangulaire tandis que, dans celle-ci, l’Etat national des sociétés (la

RDC) était l’Etat accusé d’avoir commis un acte illicite.
Troisièmement, cette affaire constitue selon nous un dangereux précé-
dent pour les investisseurs étrangers non protégés par des traités bilaté-
raux d’investissement. La faiblesse de la norme de protection, hors du

cadre de ce type de traités, contraste nettement avec le champ d’applica-
tion du droit moderne de l’investissement étranger, qui va bien au-delà de
ce que la Guinée a demandé en la présente affaire. La Cour a ainsi man-
qué une occasion de rendre justice à M. Diallo et d’aligner la norme de

protection existant en droit international coutumier sur celle qui est en
vigueur dans le droit moderne des investissements.

(Signé) Awn Shawkat A L-K HASAWNEH .

(Signé) Abdulqawi Ahmed Y USUF .

76

Bilingual Content

JOINT DISSENTING OPINION
OF JUDGES AL-KHASAWNEH AND YUSUF

Unable to accept paragraph 6 ofdispositif —Violation of Diallo’s rights as sole

associé — Causal link between expulsion and violations to rights as associé —
Dangerous precedent for foreign investors — Difference with treaty protected
investors — Modern developments in area of foreign investments — Unsatisfac-
tory state of law — Distinction between corporate personality and personality
of the shareholder — Inherent in limited liability concept — However not abso-
lute — Distinctions with Barcelona Traction — Triangular relation — State of
nationality of company same State whose responsibility is invoked — Consid-
erations of equity — Barcelona Traction overtaken by events — 2007 Judgment
is res judicata — Concept of direct rights of associé does not detract from
res judicata — Includes right of ownership — Importance of company size and
persons running the company — By not accepting Diallo’s rights Court missed
a chance to provide redress — Also to take account of modern developments in
investment laws and in human rights.

We are, regrettably, unable to concur in paragraph 6 of the dispositif
according to which the Court: “Finds that the Democratic Republic of
the Congo has not violated Mr. Diallo’s direct rights as associé in
Africom-Zaire and Africontainers-Zaire”; nor are we persuaded by the

reasoning and considerations on which this finding is based.

Quite the contrary, we feel that by arresting and detaining Mr. Diallo
twice, first in 1988-1989 (which the Court found inadmissible) and a
second time in 1995-1996 when his incarceration was followed by expulsion

from the territory of the DRC, a grave injustice was committed against
Mr. Diallo not only as a person but also as sole associé and gérant of his
two companies; an injustice compounded by the horrendous delay in
deciding this case, i.e., 12 years after the filing by the Republic of Guinea
of its Application.

This injustice begins with the Court’s acknowledgment of the illicit
nature of Mr. Diallo’s treatment at the hands of the DRC authorities in
1995-1996 (Judgment, para. 165 (2) (3) (4)) and of the arbitrariness of the
“arrest and detention aimed at [the] expulsion measure”, as well as the

65 OPINION DISSIDENTE COMMUNE
DE MM. LES JUGES AL-KHASAWNEH ET YUSUF

[Traduction]

Impossibilité de souscrire au point 6 du dispositif — Violation des droits de

M. Diallo en tant qu’unique associé — Lien de causalité entre son expulsion et
les violations de ses droits en tant qu’associé — Précédent dangereux pour les
investisseurs étrangers — Différence par rapport aux investisseurs protégés par
un traité — Développements modernes dans le domaine des investissements
étrangers — Etat du droit laissant à désirer — Distinction entre personnalité
morale et personnalité de l’actionnaire — Distinction inhérente à la notion de
responsabilité limitée — Distinction toutefois non absolue — Différences par
rapport à la Barcelona Traction — Relation triangulaire — Situation dans
laquelle l’Etat national de la société se trouve être le même que l’Etat dont la
responsabilité est invoquée — Considérations d’équité — Arrêt de la Barcelona
Traction dépassé par les faits — Arrêt de 2007 revêtant l’autorité de la chose
jugée — Prise en compte des droits propres de l’associé ne remettant pas en
question cette autorité — Droits propres incluant le droit de propriété — Impor-
tance de la taille de la société et des personnes qui la dirigent — Occasion
manquée pour la Cour, en ne reconnaissant pas les droits de M. Diallo,
d’accorder réparation — Occasion manquée, également, de prendre acte des

récents développements du droit des investissements et du droit relatif aux
droits de l’homme.

Nous regrettons de ne pouvoir nous associer au point 6 du dis-
positif, dans lequel la Cour «[d]it que la République démocratique du
Congo n’a pas violé les droits propres de M. Diallo en tant qu’associé des
sociétés Africom-Zaïre et Africontainers-Zaïre», et ne jugeons pas non

plus convaincants le raisonnement et les considérations sur lesquels repose
cette conclusion.
Bien au contraire, nous estimons que, en arrêtant et en détenant à deux
reprises M. Diallo, une première fois en 1988-1989 (cas dans lequel la
Cour a conclu à l’irrecevabilité) et une seconde fois en 1995-1996, cette

dernière incarcération étant suivie de son expulsion du territoire congo-
lais, la RDC a commis une profonde injustice à l’égard de l’intéressé,
non seulement en tant que personne, mais également en tant qu’unique
associé et gérant de ses deux sociétés — une injustice qu’a encore aggra-
vée le laps de temps prodigieux qui s’est écoulé avant que l’affaire ne
soit tranchée (douze ans, depuis le dépôt de la requête de la République

de Guinée).
Cette injustice commence avec le traitement réservé à M. Diallo par les
autorités congolaises en 1995-1996 (arrêt, par. 165, points 2, 3 et 4),
jugé illicite par la Cour, et avec son «arrestation et [sa] détention visant
à ... [la] mesure d’expulsion», jugées quant à elles arbitraires, ainsi qu’avec

65Court’s recognition — in what may be this part of the Judgment’s only
concession to reality — that

“it is difficult not to discern a link between Mr. Diallo’s expulsion
and the fact that he had attempted to recover debts which
he believed were owed to his companies by, amongst others, the
Zairean State or companies in which the State holds a substantial

portion of the capital, bringing cases for this purpose before
civil courts” (Judgment, para. 82).

Nevertheless, the Judgment refuses to draw the manifest and inescap-

able conclusion that ought, in our respectful opinion, to have been drawn
from the Court’s aforementioned findings. It is plain that the expulsion of
Mr. Diallo was not an end in itself. Its intended consequence was, in all
probability, to frustrate Mr. Diallo’s attempts to recover his debts. At the
very least it had that effect, something that the DRC authorities knew or

ought to have known.
The enormity of the injustice committed against Mr. Diallo may also
be measured in another way. Mr. Diallo was not one of a multitude of
shareholders “[s]eparated from the company by numerous barriers” and
therefore “[could not] be identified with it” as paragraph 41 of the Bar-

celona Traction Judgment contemplated (Barcelona Traction, Light and
Power Company, Limited (Belgium v. Spain), Second Phase, Judgment ,
I.C.J. Reports 1970, p. 34, para. 41). He was for all intents and purposes
one and the same with the two companies. Nor were his parts sociales a
small amount of his wealth, they were practically all his wealth with the

result that, as a consequence of the actions taken by the DRC authorities
against him, he was reduced to destitution.

But this injustice will not, in light of the Judgment, be confined to
Mr. Diallo. Instead it could become a dangerous precedent for foreign

investors. A State seeking to expropriate the assets of a unipersonal com-
pany (the term unipersonal is used here to include a societé privée à
responsabilité limitée which has evolved to have only one associé gérant
and allowed to do business as such, or one composed of a small number
of associés) would only have to expel the associé from its territory. If that

expropriating State also happens to be the State of nationality of the
company and hence in theory the protector State, there would be no pos-
sibility of redress whatsoever for the investor. In other words the net
result would be an indirect expropriation without compensation or the
need to show a justifying public interest.

Luckily, those foreign investors whose investments in foreign States
are protected by bilateral or multilateral investment treaties would be

shielded from such a risk. These treaties typically go much further than
what Guinea has asked for in this case, namely in affording protection

66le fait, également reconnu par la Cour (dans ce qui est peut-être la seule
concession à la réalité qu’elle ait faite dans ce passage de l’arrêt), que

«il est difficile de ne pas percevoir un lien entre l’expulsion de
M. Diallo et le fait qu’il ait tenté d’obtenir le recouvrement des
créances qu’il estimait être dues à ses sociétés par, notamment, l’Etat
zaïrois ou des entreprises dans lesquelles ce dernier détient une part

importante du capital, en saisissant à cette fin les juridictions civiles»
(arrêt, par. 82).

Dans son arrêt toutefois, la Cour se refuse à tirer la conclusion évi-

dente et inéluctable qu’appellent, sauf le respect que nous lui devons, les
constatations qui précèdent. Il ne fait aucun doute que l’expulsion de
M. Diallo n’était pas une fin en soi. Elle était, selon toute probabilité,
destinée à contrarier les tentatives faites par l’intéressé pour obtenir le
recouvrement de ses créances. Telle en a tout au moins été la conséquence

— chose que les autorités congolaises savaient, ou auraient dû savoir.
L’énormité de l’injustice commise à l’encontre de M. Diallo peut éga-
lement se mesurer à une autre aune. M. Diallo n’était pas un actionnaire
parmi bien d’autres, «séparé [de la société] par de nombreuses barrières»
et ne pouvant, dès lors, «être identifié» à celle-ci, à la différence du cas

visé au paragraphe 41 de l’arrêt rendu en l’affaire de la Barcelona Trac-
tion (Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited (Belgique
c. Espagne), deuxième phase, arrêt, C.I.J. Recueil 1970 , p. 34, par. 41). Il
ne formait, dans la pratique, qu’un avec les deux sociétés. En outre, ses
parts sociales ne représentaient pas une petite fraction de sa fortune, elles

formaient pratiquement toute sa richesse, de sorte que, en conséquence
des mesures prises à son encontre par les autorités congolaises, M. Diallo
s’est trouvé réduit à l’état d’indigence.
Or, compte tenu de l’arrêt rendu, cette injustice ne s’arrêtera pas à
M. Diallo. Il pourrait, en effet, s’agir d’un dangereux précédent pour les

investisseurs étrangers. Un Etat cherchant à exproprier les actifs d’une
société unipersonnelle (le terme «unipersonnelle» étant ici utilisé pour
désigner une société privée à responsabilité limitée qui en est venue à ne
compter qu’un associé gérant, et a été autorisée à mener des transactions
en tant que telle, ou une société composée seulement d’un petit nombre

d’associés) n’aurait qu’à en expulser de son sol l’associé. Si l’Etat ayant
procédé à l’expropriation se trouve être aussi l’Etat national de la société,
et donc l’Etat supposé en assurer la protection, l’investisseur n’aura
aucune possibilité d’obtenir réparation. En d’autres termes, une telle
mesure se traduira concrètement par une expropriation indirecte non

soumise à l’obligation d’indemnisation ou à la nécessité de démontrer
l’existence d’un intérêt public qui viendrait la légitimer.
Heureusement, les investisseurs étrangers dont les investissements sont
couverts par des traités bilatéraux ou multilatéraux d’investissement

seraient à l’abri de tels risques. Ces traités vont généralement bien au-delà
de ce qu’a demandé la Guinée en l’espèce, en ce qu’ils accordent, notam-

66through well-established techniques such as compulsory arbitration, dis-
pensing with the need to exhaust local remedies, broadening the scope of

the term “investment”, incorporating in the State of nationality of share-
holders or in a third State, etc. These developments in the field of foreign
investments have led to the wholesale abandonment of the distinction
between the corporate personality of the company on the one hand and
that of the shareholders on the other, resulting in a wide discrepancy

between the customary international law standard and the standard con-
tained in most investment treaties, with the customary law standard (if at
all represented by what is contained in Barcelona Traction) being signifi-
cantly lower than the one existing in the realm of investment treaties. The

least that can be said about the state of customary international law
given this discrepancy is that it is unsatisfactory.

The underlying motif of the 24 May 2007 Judgment on Preliminary

Objections and of the present one is that the distinction between the
rights of the company on the one hand and the “mere interests of the
shareholders” on the other, is inherent in and flows from the very nature
of the limited liability companies whether they be private or public. Thus
the argument goes that just as shareholders are protected in municipal

law (from which the concept was transposed by analogy into interna-
tional law) from risk extending to all their assets, they must, by the same
logic, be ready to accept loss confined to that part of their wealth which
had been separately incorporated, Fortuna being a capricious Goddess
whose moods the law cannot guarantee, but can at best regulate through

limited liability. In the language of paragraph 42 of Barcelona Traction :
“the shareholders’ rights in relation to the company and its assets remain
limited, this being, moreover, a corollary of the limited nature of their
liability”( Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited (Bel-
gium v. Spain), Second Phase, Judgment, I.C.J. Reports 1970 ,p .,

para. 42; emphasis added).

This may indeed be true as a general proposition. However, in the
realm of municipal law from which the concept of limited liability ema-

nated, shareholders were never denied the protection which Judge Sir
Gerald Fitzmaurice, in his separate opinion in Barcelona Traction,
explained balances what he called the “hegemony” of the company (ibid.,
p. 68, para. 8). In that celebrated opinion, Judge Fitzmaurice analysed
why, in municipal law, an action cannot be brought by shareholders on

behalf of the rights of the company notwithstanding that injury to the
company may recoil or repercuss onto the shareholder:

“The true rationale (outside but underlying the law) of denying to
the shareholder the possibility of action in respect of infringements

67ment, une protection au moyen de mécanismes bien précis, tels que l’arbi-
trage obligatoire, la décharge de l’obligation d’épuiser les voies de recours

internes, l’élargissement de la portée de la notion d’«investissement», la
constitution de la société selon le droit de l’Etat national des actionnaires
ou d’un Etat tiers, etc. Cette situation nouvelle née de l’évolution du droit
des investissements étrangers a conduit à abandonner purement et sim-
plement la distinction entre personnalité morale de l’entreprise et per-

sonnalité des actionnaires, avec pour conséquence un net décalage
entre la norme existant en droit international coutumier et celle conte-
nue dans la plupart des traités d’investissement, la protection offerte
par la première (pour autant qu’elle soit reflétée dans l’arrêt rendu en

l’affaire de la Barcelona Traction) étant bien moindre que celle pré-
vue par les traités d’investissement. Au vu de ce décalage, le moins
que l’on puisse dire de cet état du droit international coutumier est qu’il
laisse à désirer.
Le raisonnement qui sous-tend aussi bien l’arrêt du 24 mai 2007 sur les

exceptions préliminaires que la présente décision est que la distinction
entre les droits de la société, d’une part, et les «simples intérêts des
actionnaires», de l’autre, ressortit, intrinsèquement, à la nature même des
sociétés anonymes ou des sociétés à responsabilité limitée. L’argument
consiste ainsi à affirmer que, les actionnaires étant protégés en droit

interne (notion transposée, par analogie, en droit international) contre
l’exposition de l’ensemble de leurs actifs aux risques encourus, ils doivent,
selon la même logique, être prêts à accepter des pertes limitées à la partie
de leur richesse constituée par leur apport individuel au capital de la
société, la Fortune étant une divinité capricieuse dont le droit, impuissant

à garantir les humeurs, peut, tout au plus, tempérer l’inconstance par
l’institution de la responsabilité limitée. Pour reprendre les termes
employés au paragraphe 42 de l’arrêt rendu en l’affaire de la Barcelona
Traction, «les droits des actionnaires à l’égard de la société et de ses biens
restent limités, ce qui est d’ailleurs un corollaire du caractère limité de

leur responsabilité »( Barcelona Traction, Light and Power Company,
Limited (Belgique c. Espagne), deuxième phase, arrêt, C.I.J. Recueil
1970, p. 35, par. 42; les italiques sont de nous).
Cela est peut-être vrai en règle générale. Toutefois, dans le domaine du
droit interne, qui a vu naître la notion de responsabilité limitée, les action-

naires ne se sont jamais vu refuser la protection dont sir Gerald Fitzmau-
rice, dans son opinion individuelle en l’affaire de laBarcelona Traction,
expliquait qu’elle faisait contrepoids à ce qu’il appelait l’«hégémonie» de
la société (ibid., p. 68, par. 8). Dans cette opinion qui, pour beaucoup, a
fait date, le juge Fitzmaurice a analysé les raisons pour lesquelles le droit

interne n’autorisait pas un actionnaire à intenter un recours en protection
des droits de la société alors même qu’un préjudice causé à celle-ci pouvait
avoir sur lui des répercussions directes ou indirectes:

«La véritable raison (extérieure au droit mais sous-jacente à celui-
ci) qui justifie que l’on dénie à l’actionnaire la possibilité d’agir

67 of company rights is that, normally, he does not need this. The com-
pany will act and, by so doing, will automatically protect not only its

own interests but those of the shareholders also. That is the assump-
tion; namely that the company is both capable of acting and will do
so unless there are cogent reasons why, in the interests of the com-
pany and, hence, indirectly of the shareholders, it should refrain.”
(I.C.J. Reports 1970, separate opinion of Judge Sir Gerald Fitzmau-

rice, pp. 68-69, para. 10.)
This assumption does not hold in the sphere of international law. A

State of nationality of a company retains discretion whether to act on
behalf of the company or not. It would be recalled that Judge Fitzmau-
rice’s remarks were addressed to the facts of Barcelona Traction where
Canada, the protecting State, though it acted at times on behalf of the

company, refrained for the most part from doing so.

This situation is a priori even more applicable in the circumstances of
the present case where the State of nationality of the two companies,
Africom-Zaire and Africontainers-Zaire, was the same State accused of

wrongdoing.
Elsewhere in his separate opinion Judge Fitzmaurice contemplated this
very situation:

“It seems that, actually, in only one category of situation is it more
or less definitely admitted that intervention by the government of for-
eign shareholders is allowable, namely where the company concerned
has the nationality of the very State responsible for the acts or dam-

age complained of, and these, or the resulting circumstances, are such
as to render the company incapable de facto of protecting its inter-
ests and hence those of the shareholders . Clearly in this type of case
no intervention or claim on behalf of the company as such can, in the
nature of things, be possible at the international level, since the com-

pany has local not foreign nationality, and since also the very
authority to which the company should be able to look for support
or protection is itself the author of the damage. Consequently, the
normal rule of intervention only on behalf of the company by the
company’s government becomes not so much inapplicable as irrele-

vant or meaningless in the context . The efficacity of the corporate
entity and its capability of useful action have broken down, and the
shareholders become as it were substituted for the management to
protect the company’s interests by any method legally open to them.
If some of them have foreign nationality, one such way is to invoke

the intervention of their government, and in the circumstances this
must be regarded as admissible.” (Ibid., p. 72, para. 14; emphasis
added.)

68 lorsqu’il y a atteinte aux droits de la société est que normalement il
n’a pas besoin de le faire. La société agira et, ce faisant, protégera

automatiquement non seulement ses propres intérêts mais aussi ceux
des actionnaires. On part donc de la double hypothèse que la société
est capable d’agir et qu’elle le fera, à moins d’avoir des raisons impé-
rieuses de s’abstenir dans son propre intérêt et donc indirectement
dans celui des actionnaires.» (C.I.J. Recueil 1970, opinion indivi-

duelle du juge sir Gerald Fitzmaurice, p. 68-69, par. 10.)
Cette hypothèse ne tient pas dans le domaine du droit international.

L’Etat national de la société conserve toute discrétion pour décider d’agir
ou non pour le compte de la société. Rappelons d’ailleurs que les obser-
vations du juge Fitzmaurice portaient sur des faits propres à l’affaire de
la Barcelona Traction, dans laquelle le Canada, Etat protecteur, quoique

ayant parfois agi au nom de la société, s’était pour l’essentiel abstenu de
le faire.
C’est là a priori un aspect encore plus pertinent compte tenu des cir-
constances de l’espèce, en laquelle l’Etat national des deux sociétés, Afri-
com-Zaïre et Africontainers-Zaïre, est précisément celui auquel est imputé

l’acte illicite.
Dans un autre passage de son opinion individuelle, le juge Fitzmaurice
envisageait précisément ce cas de figure:

«En réalité il semble qu’il n’y ait qu’un seul type de situation où
l’intervention du gouvernement d’actionnaires étrangers soit plus ou
moins nettement admise: quand la société intéressée a la nationalité de
l’Etat responsable des actes ou du dommage dont il est fait grief et

quand ceux-ci, ou les conséquences qui en découlent, sont de nature à
mettre la société dans l’incapacité de facto de protéger ses intérêts
et, partant, ceux des actionnaires. Il est évident que, dans les cas
de ce genre, aucune intervention ni réclamation pour le compte de la
société elle-même ne saurait par hypothèse être possible sur le plan

international puisque, d’une part, il s’agit d’une société natio-
nale et non étrangère et que, d’autre part, l’autorité à laquelle la
société devrait pouvoir s’adresser pour obtenir appui ou protection
est précisément l’auteur du préjudice. Par conséquent,ce qui arrive
en l’occurrence ce n’est pas tellement que la règle normale d’inter-

vention par le gouvernement de la société, pour le compte de la
seule société, devient inapplicable, mais qu’elle perd toute perti-
nence et toute signification. La personne morale étant devenue im-
puissante et incapable d’agir utilement, les actionnaires viennent
en quelque sorte se substituer à la direction pour assurer la protec-

tion des intérêts de la société par tous les moyens légaux qui leur
sont ouverts. Si certains actionnaires sont de nationalité étrangère,
l’un de ces moyens consiste à solliciter l’intervention de leur gou-
vernement, ce qui doit être considéré comme admissible dans ces

conditions.» (Ibid., p. 72-73, par. 14; les premiers et troisièmes itali-
ques sont de nous.)

68In support of this assertion Judge Fitzmaurice cited Paul de Visscher : 1

“From this it necessarily results that if the rational justification for

the mechanism of the corporate entity is brought to a collapse by the
act of the very State whose law governs the status and allegiance of
the corporate entity, its personality is no longer anything but a fic-
tion void of all meaning, in which there can now be seen nothing but

a bundle of individual rights.”
It may be said that this is but a separate opinion and that the main

Judgment in Barcelona Traction did not adopt this line of thinking. This
is demonstrably not the case.

It is important to recall that in Barcelona Traction, the Court was deal-

ing with what it called a “triangular relationship” (I.C.J. Reports 1970,
p. 42, para. 69) with Canada, Spain and Belgium each representing an
apex in that relationship. Reviewing the contacts between the three Gov-
ernments the Court came to the conclusion that:

“In sum, the record shows that from 1948 onwards the Canadian
Government made to the Spanish Government numerous represen-

tations which cannot be viewed otherwise than as the exercise of dip-
lomatic protection in respect of the Barcelona Traction company.
Therefore this was not a case where diplomatic protection was refused
or remained in the sphere of fiction .” (Ibid., pp. 43-44, para. 76;

emphasis added.)
Notwithstanding the fact that the Court was concerned primarily with

a triangular relationship, it nevertheless contemplated a situation where,
as a matter of equity, the State of nationality of the shareholders could
take up their protection when the State whose responsibility is invoked is
the same State of nationality of the company. The Court had the follow-

ing to say:

“It is quite true that it has been maintained that, for reasons of
equity, a State should be able, in certain cases, to take up the protec-
tion of its nationals, shareholders in a company which has been the
victim of a violation of international law. Thus a theory has been
developed to the effect that the State of the shareholders has a right

of diplomatic protection when the State whose responsibility is
invoked is the national State of the company. Whatever the validity
of this theory may be, it is certainly not applicable to the present
case, since Spain is not the national State of Barcelona Traction.

On the other hand, the Court considers that, in the field of diplo-
matic protection as in all other fields of international law, it is neces-

1Paul de Visscher, “La protection diplomatique des personnes morales”, Recueil [Col-
lected Courses] of the Hague Academy of International Law , 1961, Vol. 102, p. 465.

69A l’appui de cette affirmation, le juge Fitzmaurice citait Paul de Vis-
1
scher :
«Il en découle nécessairement que si la justification rationnelle de

la technique de la personnalité morale vient à s’écrouler par le fait
même de l’Etat dont le droit régit le statut et l’allégeance de la per-
sonne morale, la personnalité morale n’est plus qu’une fiction vide
de tout sens, dans laquelle il ne faut plus voir qu’un faisceau de

droits individuels.»
D’aucuns argueront qu’il ne s’agit là que d’une opinion individuelle, et

que la Cour, dans l’arrêt qu’elle a rendu au principal en l’affaire de la
Barcelona Traction, n’a pas adopté cette manière de voir. Or, il apparaît
que tel n’est pas le cas.
Il importe tout d’abord de rappeler que, dans l’affaire de la Barcelona

Traction, la Cour se trouvait face à une «relation triangulaire», pour
reprendre ses termes (C.I.J. Recueil 1970, p. 42, par. 69), dans laquelle les
trois sommets du triangle étaient le Canada, l’Espagne et la Belgique.
Examinant les liens entre les trois gouvernements, la Cour a conclu ceci:

«En somme il ressort du dossier qu’à partir de 1948 le Gouverne-
ment canadien a fait auprès du Gouvernement espagnol de nom-

breuses démarches dans lesquelles on ne saurait voir autre chose que
l’exercice de la protection diplomatique de la société Barcelona Trac-
tion. Il ne s’agit donc pas d’un cas où la protection diplomatique a été
refusée, ni d’un cas où elle est restée théorique .» ( Ibid., p. 43-44,

par. 76; les italiques sont de nous.)
Bien qu’ayant essentiellement affaire à une relation triangulaire, la

Cour n’en a pas moins envisagé le cas où, pour des raisons d’équité, lors-
que l’Etat dont la responsabilité est en cause est l’Etat national de la
société, l’Etat national des actionnaires peut assumer la protection de
ceux-ci, affirmant:

«Certes on a soutenu que, pour des raisons d’équité, un Etat devrait
pouvoir assumer dans certains cas la protection de ses ressortissants
actionnaires d’une société victime d’une violation du droit inter-
national. Ainsi, une thèse s’est développée selon laquelle l’Etat des
actionnaires aurait le droit d’exercer sa protection diplomatique

lorsque l’Etat dont la responsabilité est en cause est l’Etat national
de la société. Quelle que soit la validité de cette thèse, elle ne saurait
aucunement être appliquée à la présente affaire, puisque l’Espagne
n’est pas l’Etat national de la Barcelona Traction.

En revanche la Cour estime que, dans le domaine de la protection
diplomatique comme dans tous les autres domaines, le droit interna-

1Paul de Visscher, «La protection diplomatique des personnes morales», Recueil des
cours de l’Académie de droit international de La Haye , t. 102 (1961), p. 465.

69 sary that the law be applied reasonably. It has been suggested

that if in a given case it is not possible to apply the general rule that
the right of diplomatic protection of a company belongs to its nation-
al State, considerations of equity might call for the possibility of
protection of the shareholders in question by their own national
State. This hypothesis does not correspond to the circumstances of

the present case.
In view, however, of the discretionary nature of diplomatic protec-
tion, considerations of equity cannot require more than the possibil-
ity for some protector State to intervene, whether it be the national

State of the company, by virtue of the general rule mentioned above,
or, in a secondary capacity, the national State of the shareholders
who claim protection.” (I.C.J. Reports 1970, p. 48, paras. 92-94.)

To be sure, the Court went on to speak of practical considerations that
might argue against basing the right of protection on considerations of

equity especially when there are numerous investors from different nation-
alities and with minority shareholdings. But the Court never precluded,
as a matter of principle, the operation of diplomatic protection of share-
holders when there is no protecting State. We cannot think of a situation

where considerations of equity would have been more appropriate than
in the present case, all the more so since there was no danger of “confu-
sion and insecurity in international economic relations” as a result of
“opening the door to competing diplomatic claims” (ibid., p. 49, para. 96).

Moreover the Court, in Barcelona Traction, was careful to stress that
its conclusion (as to the separate corporate personality from that of the
shareholders) was confined to the particular circumstances of Barcelona

Traction. It stated that “[f]or the above reasons, the Court is not of the
opinion that in the particular circumstances of the present case , jus standi
is conferred on the Belgian Government by considerations of equity”
(ibid., p. 50, para. 101; emphasis added), thereby acknowledging that the

locus standi in judicio could a contrario be conferred as a matter of equity
(equity infra legum) in other cases.

It is also significant that those judges who supported the conclusions
regarding lack of standing of the shareholders state in Barcelona Trac-

tion were motivated, in large part, by a practical and what may be a
legitimate apprehension that opening the door for protection of share-
holders by their national State would lead to abuse by capital-exporting
countries and the creation of economic neo-colonization . Thus 2

Judge Ammoun cited, inter alia, the work of the Institut de droit inter-
national in the following words:

2Judge Ammoun cites the opinions of Mr. Nagendra Singh (India), Mr. Kamil
Yasseen (Iraq) and Mr. Nihat Erim (Turkey), and in a footnote the observations of Pro-
fessor Rolin.

70 tional exige une application raisonnable. Il a été suggéré que, si l’on

ne peut appliquer dans un cas d’espèce la règle générale selon laquelle
le droit de protection diplomatique d’une société revient à son Etat
national, il pourrait être indiqué, pour des raisons d’équité, que la
protection des actionnaires en cause soit assurée par leur propre Etat
national. L’hypothèse envisagée ne correspond pas aux circonstan-

ces de la présente affaire.
Etant donné toutefois la nature discrétionnaire de la protection
diplomatique, les considérations d’équité ne sauraient exiger plus
que la possibilité de voir intervenir un Etat protecteur, qu’il s’agisse,

en vertu de la règle générale exposée plus haut, de l’Etat national de
la société ou, à titre subsidiaire, de l’Etat national des actionnaires
réclamant protection.» (C.I.J. Recueil 1970, p. 48, par. 92-94.)

Quoique la Cour poursuive en mentionnant les raisons pratiques qui
pourraient militer contre l’opportunité de fonder ainsi le droit d’exercer la

protection sur des considérations d’équité, tout particulièrement si les
investisseurs sont nombreux, de nationalités différentes et détenteurs de
parts minoritaires, elle n’a jamais exclu, par principe, le recours à la protec-
tion diplomatique des actionnaires en l’absence d’un Etat protecteur. Or,

nous ne saurions songer à un cas où des considérations d’équité se seraient
trouvées plus justifiées qu’en la présente espèce, dans laquelle il n’existait,
au surplus, aucun risque de voir le fait d’«ouvr[ir] la voie à des réclama-
tions diplomatiques concurrentes» créer un climat «de confusion et d’insé-

curité dans les relations économiques internationales»i(bid., p. 49, par. 96).
En outre, dans l’affaire de la Barcelona Traction, la Cour a pris soin
de souligner que sa conclusion (quant à la distinction entre la person-
nalité de la société et celle des actionnaires) s’inscrivait dans le cadre

des circonstances propres à l’espèce. En précisant que, «[p]our les mo-
tifs [qu’elle avait] indiqués, la Cour n’[était] pas d’avis que, dans les
circonstances particulières de [l’]affaire , des considérations d’équité
[fussent] de nature à conférer qualité pour agir au Gouvernement belge»

(ibid., p. 50, par. 101; les italiques sont de nous), elle reconnaissait, que,
dans d’autres cas de figure, cette qualité pouvait a contrario être conférée
pour des raisons d’équité (équité infra legem).
Il est également à relever que les juges qui ont fait leurs les conclusions
concernant le défaut de qualité de l’Etat des actionnaires en l’affaire de la

Barcelona Traction étaient, pour une large part, animés par la crainte,
fort concrète et peut-être légitime, que la reconnaissance à l’Etat national
du droit d’agir en protection de ses actionnaires ne mène à des abus de
la part de pays exportateurs de capitaux et à l’instauration d’un néo-
2
colonialisme économique . Le juge Ammoun citait ainsi, entre autres,
les travaux de l’Institut de droit international en ces termes:

2Le juge Ammoun cite les opinions de MM. Nagendra Singh (Inde), Kamil Yasseen
(Irak) et Nihat Erim (Turquie), et, en note de bas de page, les observations du profes-
seur Rolin.

70 “As for the Institut de droit international, at its Nice session in

1967 it had to study the problem of investment in developing coun-
tries. The jurists of the Afro-Asian group who took part in the pro-
ceedings of that session expressed the opinion of their group by
replying in the negative to the question whether ‘shareholders are

entitled to ask for diplomatic protection of their State in cases in
which the company in which they have invested cannot or will not
ask for it itself, as against the developing country’.” (I.C.J. Reports
1970, separate opinion of Judge Ammoun, p. 330, para. 39.)

The irony of the foregoing is that those concerns were overtaken by

events. The proliferation of bilateral and multilateral investment treaties,
and the assertion by some States of a right, sometimes expressed in
legislation , of intervention to protect the interests of national shareholders
in foreign companies, together with a parallel development in the field of

human rights, to which we shall return later, have all meant that the low
standard of protection of shareholders under customary law is now con-
fined to the wretched of the earth like Mr. Diallo. Such a result could not
have been contemplated by those judges whose uppermost concern was,

in the words of Professor Rolin:

“to encourage investments for the benefit of developing countries, by
giving guarantees on both sides, both to those countries themselves
in order to avoid a form of economic neo-colonialism, which would
bring about their subjection to the rich countries, and in order to put

investors out of reach of certain risks” (cited by Judge Ammoun,
ibid., p. 330, footnote 83).

Be this as it may, it was a narrow and, in our respectful opinion, an
unwarranted interpretation ofBarcelona Traction that found its way into
the 2007 Judgment on Preliminary Objections where the Court upheld

the DRC objection “in so far as it concerns protection of Mr. Diallo in respect
of alleged violations of rights of Africom-Zaire and Africontainers-
Zaire” (Ahmadou Sadio Diallo (Republic of Guineav. Democratic Republic
of the Congo), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 2007 (II,)

p. 617, para. 1 (b)). This conclusion is now fortified by the force of res
judicata.

However the 2007 Judgment rejected the DRC objection “in so far as

it concerns protection of Mr. Diallo’s rights as associé in Africom-Zaire

3According to the United Kingdom’s 1985 Rules Applying to International Claims
“where a United Kingdom national has an interest, as a shareholder or otherwise, in a
company incorporated in another State and of which it is therefore a national and that
State injures the company, Her Majesty’s Government may intervene to protect the inter-
ests of the United Kingdom national” (Rule VI, reprinted in ICLQ, Vol. 37 (1988),
p. 1007).

71 «Quant à l’Institut de droit international, il eut à étudier en 1967,

à la session de Nice, le problème des investissements dans les pays en
voie de développement. Les juristes du groupe afro-asiatique qui ont
participé aux travaux de cette session ont exprimé l’opinion de leur
groupe en répondant par la négative à la question de savoir si «les

actionnaires sont en droit de demander la protection diplomatique
de leur Etat au cas où la société dans laquelle ils ont investi ne peut
ou ne veut pas la demander elle-même à l’encontre du pays en voie
de développement».» (C.I.J. Recueil 1970, opinion individuelle du

juge Ammoun, p. 330, par. 39.)

L’ironie veut que la réalité ait dépassé toutes les appréhensions. La
prolifération des traités d’investissement bilatéraux et multilatéraux, et
l’affirmation par certains Etats d’un droit, parfois inscrit dans leur légis-
lation , d’intervenir en vue de protéger les intérêts de leurs ressortissants

actionnaires de sociétés étrangères, conjuguées à une évolution parallèle
dans le domaine des droits de l’homme, sur laquelle nous reviendrons un
peu plus loin, ont toutes eu pour conséquence que le faible degré de pro-
tection reconnu aux actionnaires par le droit coutumier n’est plus désor-

mais le lot que des seuls damnés de la terre, tel M. Diallo. Un résultat que
n’escomptaient assurément pas les juges dont la préoccupation première
était, pour reprendre les termes employés par le professeur Rolin,

«d’encourager les investissements au profit des pays en voie de déve-
loppement en donnant des garanties de part et d’autre, tant à ces

pays eux-mêmes, pour éviter un néo-colonialisme économique ame-
nant leur sujétion aux pays riches, que pour mettre les investisseurs à
l’abri de certains risques» (cité par le juge Ammoun, ibid., p. 330,
note de bas de page n 83).

Quoi qu’il en soit, c’est une interprétation restrictive et, à notre humble
avis, infondée de l’arrêt rendu en l’affaire de laBarcelona Traction qui s’est

frayé un chemin dans l’arrêt de 2007 sur les exceptions préliminaires, dans
lequel la Cour a retenu l’exception de la RDC «en ce qu’elle a trait à la
protection de M. Diallo pour les atteintes alléguées aux droits des sociétés

Africom-Zaïre et Africontainers-Zaïre» A ( hmadou Sadio Diallo (Répu-
blique de Guinée c. République démocratique du Congo), exceptions
préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (II), p. 617, point 1, al.b), du dis-
positif). Cette conclusion est maintenant revêtue de l’autorité de la chose

jugée.
Toutefois, dans ce même arrêt, la Cour a rejeté l’exception de la RDC
«en ce qu’elle a trait à la protection des droits propres de M. Diallo en

3
Selon les règles applicables aux réclamations internationales (Rules Applying to Inter-
national Claims) édictées par le Royaume-Uni en 1985, «lorsqu’un ressortissant britan-
nique possède un intérêt, en tant, par exemple, qu’actionnaire, dans une société constituée
selon le droit d’un autre Etat, dont elle a en conséquence la nationalité, et que ledit Etat
lèse cette société, le Gouvernement de Sa Majesté peut intervenir pour protéger les intérêts
du ressortissant britannique» (Rule VI, dans ICLQ, vol. 37 (1988), p. 1007 (réimpr.)).

71and Africontainers-Zaire” (I.C.J. Reports 2007 (II) , p. 617, para. 1 (a)

of the operative paragraphs). It is to those rights untouched by res judi-
cata that we shall now turn.

It would be recalled that Barcelona Traction drew a distinction between

the ri4hts of the company and the interests of the shareholders on the one
hand (I.C.J. Reports 1970, p. 36, para. 46), and the rights of the com-
pany and the direct rights of the shareholders, on the other (ibid., p. 36,
para. 47).

“The situation is different if the act complained of is aimed at the
direct rights of the shareholder as such. It is well known that there

are rights which municipal law confers upon the latter distinct from
those of the company, including the right to any declared dividend,
the right to attend and vote at general meetings, the right to share in
the residual assets of the company on liquidation. Whenever one of

his direct rights is infringed, the shareholder has an independent
right of action. On this there is no disagreement between the Parties.
But a distinction must be drawn between a direct infringement of the
shareholder’s rights, and difficulties or financial losses to which he

may be exposed as the result of the situation of the company.” (Ibid.,
p. 36, para. 47.)

In the event, the Court did not pursue the consequences of this distinc-
tion because: “[t]he Belgian Government did not base its claim on an
infringement of the direct rights of the shareholders. Thus it [was] not
open to the Court to go beyond the claim as formulated by the Belgian

Government” (ibid., p. 37, para. 49).
By contrast, in the present case, Guinea did (re)formulate its claim in
terms of the infringement of the direct rights of Mr. Diallo as an associé
(para. 13 of the Judgment). Further, since the enumeration of those

rights was non-exhaustive (evidenced through the use of the word “includ-
ing”), Guinea added to the three rights mentioned in the Barcelona Trac-
tion Judgment, a fourth set of rights, namely, the rights “of ownership
and management in respect of the companies founded by him in the

DRC”, and in which he was the sole associé; the rights of “pursuing
recovery of the numerous debts owed to him — to himself personally and
to the said companies — both by the DRC itself and by other contractual
partners”; and the right to be free from de facto expropriation.

Those rights and their infringements cannot be measured by a single
criterion regardless of the size of the company concerned, or the central-

4With regard to the latter distinction the Court in Barcelona Traction expounded those
rights as follows: “[n]ot a mere interest affected, but solely a right infringed involves
responsibility, so that an act directed against and infringing only the company’s rights
does not involve responsibility towards the shareholders, even if their interests are

affected.” (I.C.J. Reports 1970, p. 36, para. 46.)

72tant qu’associé des sociétés Africom-Zaïre et Africontainers-Zaïre» (C.I.J.

Recueil 2007 (II), p. 617, point 1, al. a), du dispositif). C’est sur ces
droits, qui ne relèvent pas de la chose jugée, que nous allons à présent
nous pencher.
Il convient de rappeler que la Cour, dans l’affaire de la Barcelona

Traction, a fait la distinction4entre, d’une part, les droits de la société et
les intérêts des actionnaires (C.I.J. Recueil 1970, p. 36, par. 46), et,
d’autre part, les droits de la société et les droits propres des actionnaires
(ibid., p. 36, par. 47), écrivant:

«La situation est différente si les actes incriminés sont dirigés
contre les droits propres des actionnaires en tant que tels. Il est bien

connu que le droit interne leur confère des droits distincts de ceux de
la société, parmi lesquels le droit aux dividendes déclarés, le droit de
prendre part aux assemblées générales et d’y voter, le droit à une
partie du reliquat d’actif de la société lors de la liquidation. S’il est

porté atteinte à l’un de leurs droits propres, les actionnaires ont un
droit de recours indépendant. Il n’y a pas de divergences de vues
entre les Parties sur ce point. Il convient toutefois de distinguer entre
une atteinte directe aux droits des actionnaires et les difficultés ou

pertes financières auxquelles ils peuvent se trouver exposés en raison
de la situation de la société.» (Ibid., p. 36, par. 47.)

La Cour n’a pas approfondi à cette occasion les conséquences de cette
distinction; le Gouvernement belge n’ayant pas «fond[é] ... sa demande
sur une atteinte aux droits propres des actionnaires, elle ne [pouvait] aller
au-delà de la demande telle qu’elle a[vait] été formulée» par ce gouver-

nement (ibid., p. 37, par. 49).
En la présente espèce, en revanche, la Guinée a (re)formulé sa demande
en termes d’atteinte aux droits propres de M. Diallo en tant qu’associé
(paragraphe 13 de l’arrêt). En outre, l’énumération de ces droits contenue

dans l’arrêt rendu en l’affaire de la Barcelona Traction n’étant pas
exhaustive (comme en témoigne l’usage de l’expression «parmi lesquels»),
la Guinée a ajouté aux trois droits mentionnés alors un quatrième ensem-
ble de droits: les droits «de propriété et de direction des sociétés qu[e

M. Diallo] a[vait] fondées en RDC» et dont il était l’unique associé; le
droit de «poursuivre le recouvrement des nombreuses créances qui lui
[étaient] dues, à lui-même et auxdites sociétés, tant par la RDC elle-même
que par d’autres co-contractants»; et le droit de ne pas être l’objet d’une

expropriation de fait.
Ces droits et les atteintes à ces droits ne peuvent être mesurés à l’aune
d’un critère unique, indépendamment de la taille de la société en ques-

4 S’agissant de cette dernière distinction, la Cour, dans l’affaire de la Barcelona Trac-
tion, a ainsi, à propos de ces droits, apporté la précision suivante: «La responsabilité n’est
pas engagée si un simple intérêt est touché; elle ne l’est que si un droit est violé, de sorte
que des actes qui ne visent et n’atteignent que les droits de la société n’impliquent aucune

responsabilité à l’égard des actionnaires même si leurs intérêts en souffrent.» (C.I.J.
Recueil 1970, p. 36, par. 46).
72ity of the role played by certain persons, in running such a company. In
Barcelona Traction — where the individual shareholder was “[s]epa-

rated from the company by numerous barriers , [and where] the share-
holder [could not] be identified with it” (Barcelona Traction, Light and
Power Company, Limited (Belgium v. Spain), Second Phase, Judgment,
I.C.J. Reports 1970, p. 34, para. 41; emphasis added) — it would have
made perfect sense to speak of the right to hold general meetings and to

appoint a gérant.
The present case undoubtedly differs from Barcelona Traction in that
regard. The two companies had become one-man companies which oper-
ated as such in the DRC — a fact which is not contested by the Parties —

and where the sole associé was also the gérant. To require the associé to
hold general meetings or to invoke his failure to do so as justification for
the assertion that his rights to participate and vote in general meetings, or
to appoint a gérant, or to monitor the management of the companies,
were not violated is quite surrealistic (an exiled destitute associé/gérant

participating in a general meeting with himself?)

Paragraph 115 of the present Judgment is patently apologetic. It is
worth quoting in full:

“In the following paragraphs, the Court is careful to maintain the
strict distinction between the alleged infringements of the rights of
the two SPRLs at issue and the alleged infringements of Mr. Diallo’s

direct rights as associé of these latter (see I.C.J. Reports 2007 (II) ,
pp. 605-606, paras. 62-63). The Court understands that such a
distinction could appear artificial in the case of an SPRL in which
the parts sociales are held in practice by a single associé. It is none-
theless well-founded juridically, and it is essential to rigorously observe

it in the present case. Guinea itself accepts this distinction in the
present stage of the proceedings, and most of its arguments are
indeed based on it. The Court has to deal with the claims as they
were presented by the Applicant.”

Of course Guinea had to accept this distinction in view of the res judi-
cata of the 2007 Judgment. However, we believe it was well within the

Court’s power to take cognizance of the reality of the situation, in par-
ticular that where there is in effect one associé/gérant the infringement of
the company rights is ipso facto infringement of the direct rights of the
owner.
By insisting on a dogmatic application of a one-size-fits all approach,

Barcelona Traction (or rather on a narrow interpretation of Barcelona
Traction that did not take account of the absence of a protecting State),
the Court missed a chance to provide redress to Mr. Diallo as a matter of
equity without at the same time detracting from the formal force of its

2007 Judgment. Equally importantly, the Court missed a chance to bring
into line the standard of protection of investors like Mr. Diallo with the

73tion, ou du caractère central du rôle joué par certains individus dans la
gestion de cette société. En l’affaire de la Barcelona Traction — dans le

cadre de laquelle l’actionnaire ne pouvait «être identifié à la société, dont
il [était] séparé par de nombreuses barrières »( Barcelona Traction, Light
and Power Company, Limited (Belgique c. Espagne), deuxième phase,
arrêt, C.I.J. Recueil 1970 , p. 34, par. 41; les italiques sont de nous) —, il
aurait été tout à fait légitime de faire état du droit de tenir des assemblées

générales et de nommer un gérant.
La présente affaire, toutefois, se distingue incontestablement de celle
de la Barcelona Traction à cet égard. Les deux sociétés étaient devenues
des sociétés unipersonnelles, fonctionnant en tant que telles en RDC

— fait que les Parties ne contestent pas —, et leur unique associé en était
aussi le gérant. Faire obligation à l’associé de tenir des assemblées géné-
rales, ou prendre prétexte de ce que celui-ci ne l’a pas fait pour affirmer
que ses droits de prendre part aux assemblées générales et d’y voter, de
nommer un gérant ou encore de contrôler la gérance des sociétés n’ont

pas été violés, est parfaitement surréaliste (un associé/gérant impécunieux
et en exil se réunissant en assemblée générale avec lui-même?).
Au paragraphe 115 du présent arrêt, la Cour, manifestement, cherche à
s’en excuser. Ce paragraphe mérite d’être cité in extenso :

«Dans les motifs qui vont suivre, la Cour veillera à maintenir
strictement la distinction entre les atteintes alléguées aux droits des
deux SPRL en cause et les atteintes alléguées aux droits propres

de M. Diallo en tant qu’associé de celles-ci (voir C.I.J. Recueil
2007 (II), p. 605-606, par. 62-63). Qu’une telle distinction puisse
paraître artificielle dans le cas d’une SPRL dont les parts sociales
sont détenues en fait par un seul associé, la Cour le conçoit. Elle n’en
reste pas moins juridiquement fondée, et il est indispensable de

l’observer rigoureusement dans la présente affaire. La Guinée elle-
même accepte, dans la phase actuelle de la procédure, cette distinc-
tion, et la plupart de ses arguments sont précisément fondés sur elle.
La Cour doit se prononcer sur les prétentions du demandeur telles
que celui-ci les a présentées.»

La Guinée a bien sûr dû accepter cette distinction, compte tenu de
l’autorité de la chose jugée dont est revêtu l’arrêt de 2007. Toutefois,

nous pensons que rien n’empêchait la Cour de prendre acte de la réalité
de la situation et, plus particulièrement, de ce que, lorsqu’il n’y a de fait
qu’un associé/gérant, l’atteinte aux droits de la société est ipso facto une
atteinte aux droits propres de son propriétaire.
En insistant pour appliquer de manière dogmatique une solution toute

faite, celle offerte par la Barcelona Traction (ou plus exactement par une
interprétation étroite de cette décision, ne prenant pas en compte l’absence
d’un Etat protecteur), la Cour a manqué l’occasion qui lui était donnée
d’accorder réparation à M. Diallo, sur la base de considérations d’équité,

sans pour autant porter atteinte à l’autorité formelle dont est investi
son arrêt de 2007. Non moins important, elle a manqué une occasion

73standard now found in jurisprudence emanating from regional courts

and arbitral tribunals. This latter standard, as had been previously alluded
to, has arguably become an international minimum standard to which
even those investors not covered by bilateral or multilateral investment

treaties may be entitled.

It is to those pertinent developments that we shall now turn in the

remainder of this joint dissenting opinion with the aim of ascertaining the
current state of the law.

We start however by stressing that when we speak of modern
developments we do not imply a paucity in older authorities, such as

Delagoa Bay Railway Company 5ase; Mexican Eagle Company case, 6
Romano-Americana case ; El Triunfo Award of 8 May 1902 ; Deutsche
Amerikanische Petroleum Gesellschaft Oil Tankers Award of 5 Aug-
7
ust 1926 .

There are, we believe, three developments in the modern law regulating

States’ treatment of foreign investments which, taken cumulatively, may
justify revisiting the Barcelona Traction rule on standing. These are: pro-
tection against indirect expropriation; diplomatic protection of share-

holders against the national State of the company and the reach coverage
of bilateral investment treaties.

Thus in respect of indirect expropriation, the Iran-US Claims Tribunal
defined expropriation as occurring “where the State interferes with
property rights to such an extent that these rights are rendered so useless

that they must be deemed to have been expropriated” (122 Iran-US
Claims Tribunal Reports , p. 154). Similarly in Tecmed v. United Mexican
States, Award of 29 May 2003 (ICSID) , the Award spoke of expropria-

tion [occurring] if the claimant “was radically deprived of the economical
use and enjoyment of its investments, as if the rights related thereto . . .

had ceased to exist” (p. 43, para. 115).

Such injury is the one suffered by Mr. Diallo’s companies, caused by
his (unarguably wrongful) expulsion. In Biloune and Marine Drive Com-

5
Delagoa Bay Railway Companycase, Digest of International, Vol. VI, p. 648;Mexi-
can Eagle Company (El Aguila,)M. Whiteman, igest of International La,wVol. VIII, pp. 1272-
1274;Romano-Americanacase, Hackworth,Digest of International La,wVol. V, p. 841.
6 El Triunfo, Award of 8 May 1902, RIAA, Vol. XV, p. 467.

7 Deutsche Amerikanische Petroleum Gesellschaft Oil Tankers , Award of 5 August 1926,
RIAA, Vol. II, p. 790.
8 Tecnicas Medioambientales Tecmed v. United Mexican States, Award of 29 May
2003, ICSID, case No. ARB (AF)/00/2.

74d’aligner la norme de protection applicable à des investisseurs tels

que M. Diallo sur celle que l’on trouve désormais dans la jurisprudence
de juridictions arbitrales et régionales, norme dont, ainsi qu’évoqué plus
haut, il est loisible de penser qu’elle est devenue une norme internationale

minimale dont même les investisseurs non couverts par des traités d’inves-
tissement bilatéraux ou multilatéraux peuvent se prévaloir.
C’est à cette évolution récente, pertinente pour les questions qui nous

occupent ici, que, afin de déterminer l’état actuel du droit, nous allons
nous intéresser dans la dernière partie de la présente opinion dissidente

commune.
Nous voudrions toutefois commencer par préciser que, lorsque nous
parlons d’évolution récente, nous n’entendons pas pour autant mini-

miser l’importance de précédents plus anciens — citons notamment
les affaires suivantes: Delagoa Bay Railway Company; Mexican Eagle
Company; Romano-Americana ; El Triunfo (sentence du 8 mai 1902) ; 6

Deutsche Amerikanische Petroleum Gesellschaft Oil Tankers (sentence
du 5 août 1926) . 7
Il y a, pensons-nous, trois développements dans le droit moderne régis-

sant le traitement par les Etats des investissements étrangers qui, cumu-
lés, pourraient justifier de revenir sur la règle énoncée dans l’affaire de la
Barcelona Traction concernant la qualité pour agir. Ils portent sur la pro-

tection contre l’expropriation indirecte; la protection diplomatique des
actionnaires contre l’Etat national de la société; et la portée des traités
bilatéraux d’investissement.

Ainsi, en ce qui concerne l’expropriation indirecte, le tribunal des
réclamations Iran/Etats-Unis a jugé qu’il y avait expropriation lorsque
«l’ingérence de l’Etat dans les droits de propriété [était] telle que ces

droits [étaient] rendus à ce point inutiles que leurs titulaires d[evaient]
être réputés avoir été expropriés» ( Iran-US Claims Tribunal Reports 122,
p. 154). De même, dans la sentence rendue le 29 mai 2003 en l’affaire Tec-
8
med v. United Mexican States (CIRDI) , il a été considéré qu’une
expropriation devait être réputée avoir eu lieu si le plaignant «avait été

privé de manière radicale de l’utilisation et de la jouissance économi-
ques de ses investissements, comme si les droits qui y étaient ratta-
chés ... avaient cessé d’exister» (p. 43, par. 115).

Tel est précisément le type de préjudice subi par les sociétés de
M. Diallo, à la suite d’une expulsion qui, incontestablement, était illicite.

5
Delagoa Bay Railway Company, Digest of International Law , vol. VI, p. 648;
Mexican Eagle Company (El Aguila), M. Whiteman,Digest of International Law, vol. VIII,
p. 1272-1274;Romano-Americana, Hackworth,Digest of International Law, vol. V, p. 841.
6 El Triunfo, sentence du 8 mai 1902, Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales ,
vol. XV, p. 467.
7 Deutsche Amerikanische Petroleum Gesellschaft Oil Tankers , sentence du 5 août 1926,
Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales , vol. II, p. 790.
8 Tecnicas Medioambientales Tecmed v. United Mexican States, sentence du
29 mai 2003, CIRDI, affaire nARB (AF)/00/2.

74plex Ltd. v. Ghana Investments Centre , also dealing with the expulsion

of the central figure of a unipersonal company (though incorporated as a
company with limited liability), the Tribunal based itself on the central
role of Mr. Biloune in promoting, financing and managing MDCL, to
determine that his expulsion from the country effectively prevented

MDCL from further pursuing the project. Such prevention would con-
stitute constructive expropriation of MDCL’s contractual rights in the
project and, accordingly, the expropriation of the value of Mr. Biloune’s
interest in MDCL, unless the Respondent can establish by persuasive evi-

dence sufficient justification for those events.

With respect to the protection of shareholders in international law, it
suffices to recall that paragraph 92 of the Barcelona Traction Judgment
may, and has been read, for example by the International Law Commis-
sion, as not passing negative judgment on the theory that had been devel-

oped to the effect that “the State of the shareholders has a right of
diplomatic protection when the State whose responsibility is invoked is
the national State of the company” . The Court merely noted that
“[w]hatever the validity of this theory may be, it is certainly not applica-

ble to the present case, since Spain is not the national State of Barcelona
Traction”( I.C.J. Reports 1970, p. 48, para. 92). With regard to bilateral
investment treaties, it should be noted that the scope of protection
afforded to the covered investments is significantly more extensive than

the protection sought by Guinea in the present case. Indeed, investment
treaties extend their protection to cases where the shareholder and the
corporation are not as closely identified as they were in the case of

Mr. Diallo and his two companies, by inter alia extending it to minority
shareholders, and to shareholders whose corporation is incorporated in a
third State (as was the case in Barcelona Traction).

Lastly we wish to point briefly to the impact of developments in the
field of human rights on the right to be free from indirect or direct expro-
priation. Thus the European Court of Human Rights has accepted that
the sole owner of a company may claim to be a “victim” (within the

meaning of Article 34 of the 1950 Rome Convention for the Protection of
Human Rights and Fundamental Freedoms) of measures taken against
his company, because in the case of a single shareholder company, there

is no risk of differences of opinion among shareholders or between share-
holders, and the board of directors, as to the fact of infringements of the

9
Biloune and Marine Drive Complex Ltd. v. Ghana Investments Centre and the Gov-
ernment of Ghana, Award on Jurisdiction and Liability, 27 October 1989, 95 ILR 184.
10
International Law Commission Commentary to Draft Article 11 (b) on Diplomatic
Protection (58th Session), 1 May-9 June and 3 July-11 August 2006, UN doc. A/61/10,
pp. 62-65.

75Dans l’affaire Biloune and Marine Drive Complex Ltd. v. Ghana Invest-
9
ments Centre , le tribunal, qui avait également à connaître de l’expulsion
de celui qui se trouvait être le pilier d’une société unipersonnelle (quoique
constituée en société anonyme) — la MDCL —, s’est fondé sur le rôle

central joué par M. Biloune dans la promotion, le financement et la ges-
tion de cette société pour conclure que l’expulsion de l’intéressé avait de
fait empêché la société de poursuivre l’exécution de son projet, cet état de
fait constituant une expropriation non déclarée («constructive expropria-

tion») des droits contractuels de la MDCL à l’égard du projet et, partant,
une expropriation d’une valeur égale à celle des intérêts de M. Biloune
dans la MDCL, dès lors que le défendeur ne pouvait établir, preuves

concluantes à l’appui, que ces faits étaient suffisamment justifiés.
En ce qui concerne la protection des actionnaires en droit internatio-
nal, il suffit de rappeler une autre interprétation possible — et faite

d’ailleurs par la Commission du droit international — du paragraphe 92
de l’arrêt rendu en l’affaire de la Barcelona Traction, à savoir que la Cour
n’aurait pas contredit la thèse selon laquelle «l’Etat des actionnaires
aurait le droit d’exercer sa protection diplomatique lorsque l’Etat dont la
10
responsabilité est en cause est l’Etat national de la société» , s’étant
contentée de noter que, «[q]uelle qu[’en] soit la validité[,] cette thèse ... ne
saurait aucunement être appliquée à la présente affaire, puisque l’Espa-

gne n’est pas l’Etat national de la Barcelona Traction» (C.I.J. Recueil
1970, p. 48, par. 92). Enfin, s’agissant des traités bilatéraux d’investisse-
ment, il convient de relever que la protection qu’ils accordent aux inves-

tissements concernés est nettement plus étendue que celle demandée par
la Guinée en la présente affaire. La protection garantie par les traités
d’investissement englobe en effet des cas où l’actionnaire et la société ne
peuvent s’identifier aussi étroitement l’un à l’autre que M. Diallo et ses

deux sociétés, puisqu’elle s’étend notamment aux actionnaires minoritai-
res et à des actionnaires dont la société est constituée selon le droit d’un
Etat tiers (comme l’était la Barcelona Traction).

Enfin, nous voudrions souligner en quelques mots les conséquences
que certains développements intervenus dans le domaine des droits de
l’homme ont eues sur le droit de ne pas être soumis à une expropriation

directe ou indirecte. Ainsi, la Cour européenne des droits de l’homme a
admis que le propriétaire exclusif d’une société pouvait se prétendre «vic-
time» — au sens de l’article 34 de la convention de sauvegarde des droits
de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome en 1950 — de

mesures dirigées contre son entreprise puisque, dans le cas d’une société
unipersonnelle, il n’existait aucun risque de divergence d’opinion entre les

9 Biloune and Marine Drive Complex Ltd. v. Ghana Investments Centre and the Gov-
ernment of Ghana, sentence sur la compétence et la responsabilité, 27 octobre 1989, 95
ILR 184.
10Commentaire relatif au projet d’article 11 b) sur la protection diplomatique, p. 64-
67. (Rapport de la Commission du droit international, 58sion, 1rmai-9 juin et 3 juil-
let-11 août 2006, Nations Unies, doc. A/61/10.)

75rights protected under the Convention or concerning the most appropri-
ate way of reacting to such infringement (see Ankarcrona v. Sweden

(dec.), No. 35178/97, 27 June 2000; Dyrwold v. Sweden, No. 12259/86,
Commission decision, 7 September 1990). In the recent case of Nosov v.
Russia (dec.), No. 30877/02, 20 October 2005, the Court decided that
disregarding a company’s legal personality as per the question of the

shareholder being a victim will be justified only in exceptional circum-
stances, such as where it is clearly established that it is impossible for
the company to apply to the Court through the organs set up under its Arti-
cles of Incorporation or — in the event of liquidation or bankruptcy —
through the liquidators or trustee in bankruptcy.

In sum, the finding by the Court that Mr. Diallo’s direct rights as
associé have not been violated by the DRC authorities, should not have

been adopted by the Court for a number of cogent reasons. First, the
clear causal link which existed between the DRC authorities actions culm-
inating in Mr. Diallo’s incarceration and eventual expulsion and the
resultant loss of his rights of ownership in his companies amounted to an
undeclared expropriation. Secondly, the finding is based on a narrow

and unwarranted reading of Barcelona Traction, which is in any case
distinguishable from the present case, in that Barcelona Traction contem-
plated a triangular relationship while in the present case, the State of
nationality of the companies (the DRC) was the same State accused of

wrongdoing.

Thirdly, we believe that this case sets a dangerous precedent for foreign
investors unprotected by bilateral investment treaties. The low standard
of protection outside BITs is in stark contrast to the wide reach of mod-

ern foreign investment law, which goes far beyond what Guinea had
asked for in the present case. The Court missed a chance to do justice to
Mr. Diallo, and at the same time, to bring the standard of protection of
customary international law up to the standard of modern investment

law.

(Signed) Awn Shawkat A L-K HASAWNEH .

(Signed) Abdulqawi Ahmed Y USUF .

76actionnaires ou entre les actionnaires et le conseil d’administration quant

à la réalité des atteintes aux droits protégés par la convention ou ouant à
la réaction qu’elles appelaient (voir Ankarcrona c. Suède (déc.), n 35178/
97, 27 juin 2000; Dyrwold c. Suède,n o 12259/86, décision de la commis-
sion du 7 septembre 1990). Plus récemment, dans l’affaire Nosov c. Rus-
o
sie (déc.), n 30877/02, 20 octobre 2005, la Cour a estimé que, en ce qui
concerne la question de savoir si un actionnaire pouvait ou non être
considéré comme victime, seules des circonstances exceptionnelles justi-
fiaient de ne pas tenir compte de la qualité de personne morale d’une

société — dès lors, par exemple, qu’il était clairement établi que celle-ci
était dans l’impossibilité de saisir la Cour par l’intermédiaire des organes
établis en vertu de ses statuts ou, dans le cas d’une liquidation ou d’une
faillite, des liquidateurs ou du syndic de faillite.

En résumé, plusieurs raisons impérieuses commandaient à la Cour de
ne pas faire sienne la conclusion selon laquelle les droits propres de
M. Diallo en tant qu’associé n’ont pas été violés par les autorités de la
RDC. Premièrement, les mesures des autorités de la RDC ayant abouti à

l’incarcération puis à l’expulsion de M. Diallo et la perte des droits de
propriété de l’intéressé dans ses sociétés qui s’en est suivie étaient, en rai-
son du lien de causalité qui existait clairement entre elles, constitutives
d’une expropriation non déclarée. Deuxièmement, la conclusion de la

Cour repose sur une interprétation étroite et infondée de l’arrêt rendu en
l’affaire de la Barcelona Traction, laquelle se distingue en tout état de
cause de la présente espèce, en ce que celle-là portait sur une relation
triangulaire tandis que, dans celle-ci, l’Etat national des sociétés (la

RDC) était l’Etat accusé d’avoir commis un acte illicite.
Troisièmement, cette affaire constitue selon nous un dangereux précé-
dent pour les investisseurs étrangers non protégés par des traités bilaté-
raux d’investissement. La faiblesse de la norme de protection, hors du

cadre de ce type de traités, contraste nettement avec le champ d’applica-
tion du droit moderne de l’investissement étranger, qui va bien au-delà de
ce que la Guinée a demandé en la présente affaire. La Cour a ainsi man-
qué une occasion de rendre justice à M. Diallo et d’aligner la norme de

protection existant en droit international coutumier sur celle qui est en
vigueur dans le droit moderne des investissements.

(Signé) Awn Shawkat A L-K HASAWNEH .

(Signé) Abdulqawi Ahmed Y USUF .

76

Document file FR
Document Long Title

Opinion dissidente commune de MM. les juges Al-Khasawneh et Yusuf

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