Déclaration commune de MM. les juges Al-Khasawneh, Simma, Bennouna, Cançado Trindade et Yusuf

Document Number
103-20101130-JUD-01-01-EN
Parent Document Number
103-20101130-JUD-01-00-EN
Document File
Bilingual Document File

DÉCLARATION COMMUNE DE MM. LES JUGES
AL-KHASAWNEH, SIMMA, BENNOUNA,
CANÇADO TRINDADE ET YUSUF

[Texte original français]

Recevabilité d’une demande additionnelle — Objet du différend — Sécurité
juridique et bonne administration de la justice — Continuité entre l’arrestation
et la détention de M. Diallo en 1988-1989 et en 1995-1996, et leurs liens avec les
tentatives de recouvrement des créances.

1. Nous avons dû voter, avec regret, contre le paragraphe premier du
dispositif de l’arrêt selon lequel «la demande de la République de Guinée
relative à l’arrestation et à la détention de M. Diallo en 1988-1989 est
irrecevable». Nous sommes persuadés, en effet, que cette demande, même
présentée tardivement au cours de la procédure, relève bien de l’objet du

différend tel qu’indiqué dans la requête introductive d’instance, ainsi que
le prescrit l’article 40 du Statut de la Cour. Notre analyse est fondée sur
l’approche déjà exprimée avec clarté par la Cour permanente de Justice
internationale, et réitérée maintes fois depuis par cette Cour: «La Cour,
exerçant une juridiction internationale, n’est pas tenue d’attacher à des
considérations de forme la même importance qu’elles pourraient avoir

dans le droit interne.» (Concessions Mavrommatis en Palestine, arrêt n° 2,
1924, C.P.J.I. série A n° 2 , p. 34.)

2. Il en découle, tout d’abord, que la demande relative aux événements
de 1988-1989 ne peut être écartée uniquement parce qu’elle n’a été pré-
sentée par la Guinée, pour la première fois, que dans ses observations

écrites du 7 juillet 2003, en réponse aux exceptions d’irrecevabilité sou-
levées par la République démocratique du Congo, et, ensuite, de façon
plus détaillée, dans sa réplique du 19 novembre 2008 (arrêt, par. 31
et 32).
3. La question qui se pose, ensuite, n’est pas de savoir si le demandeur

peut compléter les faits en cause dans le contexte de l’objet du différend,
dont il a fait état dans sa requête, puisque, selon le paragraphe 2 de
l’article 38 du Règlement, celle-ci «indique en outre la nature précise de
la demande et contient un exposé succinct des faits et moyens sur les-
quels cette demande repose». Il n’est donc pas question, à ce stade,
d’être exhaustif quant aux faits concernés. Il est admis, d’autre part, que

les Parties peuvent modifier leurs conclusions jusqu’à la fin de la procé-
dure orale. La Guinée pouvait donc, dans ses conclusions finales, se réfé-
rer aux «arrestations arbitraires» au pluriel au lieu de l’arrestation au
singulier figurant dans ses conclusions. Il est vrai, cependant, que «la
faculté laissée aux Parties de modifier leurs conclusions jusqu’à la fin de

60la procédure orale» est soumise à des limites car «la Cour ne saurait
admettre, en principe, qu’un différend porté devant elle par requête

puisse être transformé, par voie de modifications apportées aux conclu-
sions, en un autre différend dont le caractère ne serait pas le même»
(Société commerciale de Belgique, arrêt, 1939, C.P.J.I. série A/B n° 78 ,
p. 173).
4. A notre avis, ce qui importe pour la recevabilité d’une demande for-

mellement nouvelle, c’est qu’elle s’inscrive dans le cadre de l’objet du dif-
férend dont la Cour a été saisie, et cela dans le respect du Statut et du
Règlement intérieur. En effet, s’il en allait autrement, «l’objet du diffé-
rend sur lequel [la Cour] aurait en définitive à statuer serait nécessaire-
ment distinct de l’objet du différend qui lui a été originellement soumis

dans la requête» (Certaines terres à phosphates à Nauru (Nauru c. Aus-
tralie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1992 , p. 266,
par. 68). Et une telle situation serait nécessairement incompatible avec les
exigences «de la sécurité juridique et de la bonne administration de la jus-
tice» (ibid., p. 267, par. 69).
5. La Cour admet que l’évaluation des demandes additionnelles vise

essentiellement à se demander si elles auraient pour effet de «modifi[er]
l’objet du différend initialement porté devant elle selon les termes de la
requête» en se référant à l’affaire du Différend territorial et maritime
entre le Nicaragua et le Honduras dans la mer des Caraïbes (Nicaragua
c. Honduras) (arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (II) , p. 695, par. 108). Mais la

Cour n’applique pas ce test, en tant que tel, pour la recevabilité de la
demande de la Guinée relative aux événements de 1988-1989. Elle le perd
même de vue dans la suite de son raisonnement, en se fondant exclusi-
vement sur les deux critères que la jurisprudence a dégagés dans le but
précisément d’apprécier le lien de la demande nouvelle avec l’objet du

différend, soit que celle-ci est implicitement contenue dans la requête,
soit qu’elle découle directement de celle-ci. Ces critères sont destinés à
permettre de répondre à la question centrale qui est de savoir si la
demande additionnelle relève de l’objet du différend dont la Cour est sai-
sie ou si elle introduit un nouveau différend. Malheureusement, la Cour

ne répond pas à cette question puisqu’elle a choisi de se lancer dans une
analyse purement formelle de la demande relative aux événements
de 1988-1989 par référence, successivement, aux deux critères évoqués
précédemment. C’est ainsi qu’elle conclut que ces événements ne sont
pas implicitement contenus dans la requête parce qu’ils concernent des
«mesures d’arrestation et de détention, prises à un autre moment et dans

un autre contexte» et que les «arrestations ... sont intervenues sur des
bases juridiques complètement différentes» (arrêt, par. 43). Cette argu-
mentation formelle sera reprise de nouveau par la Cour pour conclure
qu’elle n’aperçoit aucune possibilité de considérer la demande nouvelle
comme découlant directement de la question qui fait l’objet du différent

(ibid., par. 46).
6. Nous constatons qu’à l’issue de ce raisonnement la majorité s’est
contentée d’une simple comparaison entre les conditions formelles d’arres-

61tation et de détention de M. Diallo, et entre les bases juridiques alléguées
par la RDC pour y procéder, sans se soucier de la continuité réelle entre

les événements de 1988-1989 et ceux de 1995-1996 et sans relativiser les
conditions de forme puisées dans le droit interne, ainsi que le préconise la
jurisprudence de la Cour.
7. Or, matériellement, les arrestations arbitraires dont M. Diallo a
été victime en 1988-1989 et en 1995-1996 sont dans la continuité

d’actions engagées contre lui par la République démocratique du Congo
chaque fois qu’il se faisait plus pressant auprès des autorités pour recou-
vrer les créances que ses deux sociétés (dont il est devenu l’unique asso-
cié) détenaient sur cet Etat et sur des entreprises congolaises. Le 25 jan-

vier 1988, M. Diallo a été arrêté et incarcéré, pendant un an, sur ordre
du premier ministre de la RDC après qu’il eut tenté en vain de recou-
vrer les créances de la société Africom-Zaïre à l’égard de l’Etat congo-
lais dans l’affaire dite du «papier-listing», alors que le ministre des
finances avait reconnu les dettes en question. L’accusation d’escroquerie

contre M. Diallo n’est pas intervenue dans un cadre judiciaire mais a
été formulée uniquement par les autorités gouvernementales de la RDC.
Le même premier ministre de la RDC, qui avait ordonné l’arrestation
de M. Diallo pour escroquerie, avait, le 14 janvier 1988, demandé
par courrier au ministre des finances de ne pas acquitter les dettes dues

à la société Africom-Zaïre. Or, de nouveau, en 1996, M. Diallo a été
arrêté puis expulsé, après qu’il eut demandé l’exécution du jugement
rendu en faveur de sa société Africontainers-Zaïre. Il s’agissait manifes-
tement, de la part des autorités de la RDC, d’éliminer définitivement
M. Diallo du territoire congolais pour qu’il ne puisse plus s’occuper

des créances que ses sociétés détiennent sur l’Etat ainsi que sur des
entreprises congolaises.
8. D’ailleurs, la Cour a souligné à juste titre que:

«la RDC n’a jamais été à même, tout au long de la procédure, de
fournir des motifs qui puissent être de nature à donner un fonde-
ment convaincant à l’expulsion de M. Diallo. Des allégations de
«corruption» et d’autres infractions ont été formulées à son encon-

tre, mais aucun élément concret n’a été présenté à la Cour de nature
à étayer ces allégations. Ces accusations n’ont donné lieu à aucune
poursuite devant les tribunaux, ni, a fortiori, à aucune condamna-
tion. En outre, il est difficile de ne pas percevoir un lien entre l’expul-
sion de M. Diallo et le fait qu’il ait tenté d’obtenir le recouvrement

des créances qu’il estimait être dues à ses sociétés par, notamment,
l’Etat zaïrois ou des entreprises dans lesquelles ce dernier détient une
part importante du capital, en saisissant à cette fin les juridictions
civiles.» (Arrêt, par. 82.)

9. Nous ne pouvons que regretter que la majorité n’ait pas appliqué
cette analyse à la question de la recevabilité. En effet, elle aurait néces-

sairement abouti à la nette conclusion que l’arrestation de 1988-1989 se
situe dans la continuité de celle de 1995-1996, dans la mesure où elle a été

62inspirée par les mêmes motifs, et qu’elle revêt le même caractère arbi-
traire. La seule différence est que, en 1995-1996, il a été décidé d’expulser

de la RDC M. Diallo alors qu’auparavant, en 1988-1989, il a été détenu
pendant près d’une année!
10. Dès lors, à notre avis, les événements de 1988-1989 se rattachent
manifestement à l’objet du différend tel qu’il figure dans la requête de la
Guinée en date du 23 décembre 1998:

«M. Diallo Ahmadou Sadio, homme d’affaires de nationalité gui-
néenne, a été, après trente-deux (32) ans passés en République démo-

cratique du Congo, injustement incarcéré par les autorités de cet
Etat, spolié de ses importants investissements, entreprises et avoirs
mobiliers, immobiliers et bancaires puis expulsé.

Cette expulsion est intervenue à un moment où M. Diallo Ahma-
dou Sadio poursuivait le recouvrement d’importantes créances déte-
nues par ses entreprises sur l’Etat et les sociétés pétrolières qu’il
abrite et dont il est actionnaire.
Après de vaines tentatives de règlement amiable, l’Etat de Guinée

s’adresse à la Cour internationale de Justice dans le dessein de voir
celle-ci condamner la République démocratique du Congo pour les
graves violations du droit international qu’elle a commises [sur la
personne de M. Diallo].»

11. Ainsi, qu’on les considère comme contenus implicitement dans
cette requête ou comme en découlant, les événements de 1988-1989 se rat-
tachent à l’objet du différend que celle-ci décrit, puisqu’il s’agit d’une

arrestation injuste de M. Diallo liée à la spoliation par la RDC de ses
biens.
12. Nous ne pouvons, de ce fait, comprendre que la majorité ait
déclaré irrecevable la demande de la Guinée relative à ces événements, en
faisant preuve d’un formalisme inapproprié à un contentieux internatio-

nal long et coûteux, puisque la Guinée a saisi la Cour de cette affaire il y
a près de douze ans. Il nous paraît que la République démocratique du
Congo a été informée assez tôt de l’addition des faits de 1988-1989 par la
Guinée et qu’elle avait la possibilité de les contester, ce qu’elle ne s’est
d’ailleurs pas empêchée de faire lors des plaidoiries orales (CR 2010/3,

p. 16-17, par. 11-13 (Kalala)). La Cour disposait donc des éléments
pour se prononcer sur toutes les violations du droit international commi-
ses par la RDC sur la personne de M. Diallo. Si la Cour avait procédé de
la sorte, elle aurait réellement satisfait aux exigences de la «sécurité juri-
dique et de la bonne administration de la justice». En effet, ces exigences

doivent prendre en compte, dans cette affaire, originellement fondée sur
l’exercice de la protection diplomatique, dont le champ d’application
inclut «les droits de l’homme internationalement garantis» (Ahma-
dou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du

Congo), exceptions préliminaires, arrêt , C.I.J. Recueil 2007 (II) , p. 599,
par. 39), les droits individuels de M. Diallo, qui a été victime à deux

63reprises de mesures arbitraires des autorités de l’Etat d’accueil et pour les

mêmes raisons.

(Signé) Awn Shawkat A L-K HASAWNEH .

(Signé) Bruno S IMMA .

(Signé) Mohamed B ENNOUNA .

(Signé) Antônio Augusto C ANÇADO T RINDADE .
(Signé) Abdulqawi Ahmed Y USUF .

64

Bilingual Content

DÉCLARATION COMMUNE DE MM. LES JUGES
AL-KHASAWNEH, SIMMA, BENNOUNA,
CANÇADO TRINDADE ET YUSUF

[Texte original français]

Recevabilité d’une demande additionnelle — Objet du différend — Sécurité
juridique et bonne administration de la justice — Continuité entre l’arrestation
et la détention de M. Diallo en 1988-1989 et en 1995-1996, et leurs liens avec les
tentatives de recouvrement des créances.

1. Nous avons dû voter, avec regret, contre le paragraphe premier du
dispositif de l’arrêt selon lequel «la demande de la République de Guinée
relative à l’arrestation et à la détention de M. Diallo en 1988-1989 est
irrecevable». Nous sommes persuadés, en effet, que cette demande, même
présentée tardivement au cours de la procédure, relève bien de l’objet du

différend tel qu’indiqué dans la requête introductive d’instance, ainsi que
le prescrit l’article 40 du Statut de la Cour. Notre analyse est fondée sur
l’approche déjà exprimée avec clarté par la Cour permanente de Justice
internationale, et réitérée maintes fois depuis par cette Cour: «La Cour,
exerçant une juridiction internationale, n’est pas tenue d’attacher à des
considérations de forme la même importance qu’elles pourraient avoir

dans le droit interne.» (Concessions Mavrommatis en Palestine, arrêt n° 2,
1924, C.P.J.I. série A n° 2 , p. 34.)

2. Il en découle, tout d’abord, que la demande relative aux événements
de 1988-1989 ne peut être écartée uniquement parce qu’elle n’a été pré-
sentée par la Guinée, pour la première fois, que dans ses observations

écrites du 7 juillet 2003, en réponse aux exceptions d’irrecevabilité sou-
levées par la République démocratique du Congo, et, ensuite, de façon
plus détaillée, dans sa réplique du 19 novembre 2008 (arrêt, par. 31
et 32).
3. La question qui se pose, ensuite, n’est pas de savoir si le demandeur

peut compléter les faits en cause dans le contexte de l’objet du différend,
dont il a fait état dans sa requête, puisque, selon le paragraphe 2 de
l’article 38 du Règlement, celle-ci «indique en outre la nature précise de
la demande et contient un exposé succinct des faits et moyens sur les-
quels cette demande repose». Il n’est donc pas question, à ce stade,
d’être exhaustif quant aux faits concernés. Il est admis, d’autre part, que

les Parties peuvent modifier leurs conclusions jusqu’à la fin de la procé-
dure orale. La Guinée pouvait donc, dans ses conclusions finales, se réfé-
rer aux «arrestations arbitraires» au pluriel au lieu de l’arrestation au
singulier figurant dans ses conclusions. Il est vrai, cependant, que «la
faculté laissée aux Parties de modifier leurs conclusions jusqu’à la fin de

60 JOINT DECLARATION OF JUDGES
AL-KHASAWNEH, SIMMA, BENNOUNA,
CANÇADO TRINDADE AND YUSUF

[English Original Text]

Admissibility of an additional claim — Subject of the dispute — Legal secu-
rity and good administration of justice — Continuity between the arrest and
detention of Mr. Diallo in 1988-1989 and 1995-1996, and their connection with
the attempts to recover the debts.

1. With regret, we were obliged to vote against the first subparagraph
of the operative part of the Judgment, according to which “the claim of
the Republic of Guinea concerning the arrest and detention of
Mr. Diallo in 1988-1989 is inadmissible”. We are convinced that this
claim, albeit presented belatedly, during the proceedings, falls within

the subject of the dispute as indicated in the Application instituting pro-
ceedings, pursuant to Article 40 of the Statute of the Court. Our analy-
sis is based on an approach which was set forth with clarity by the
Permanent Court of International Justice and has since been reiterated
many times by this Court: “The Court, whose jurisdiction is interna-
tional, is not bound to attach to matters of form the same degree of

importance which they might possess in municipal law.” ( Mavrommatis
Palestine Concessions, Judgment No. 2, 1924, P.C.I.J., Series A, No. 2 ,
p. 34.)
2. It follows that, first of all, the claim relating to the events of 1988-
1989 cannot be rejected solely because it was only presented by Guinea
for the first time in its Written Observations of 7 July 2003, in response to

the objections in respect of inadmissibility raised by the Democratic
Republic of the Congo, and, subsequently, in more detail in its Reply of
19 November 2008 (Judgment, paras. 31 and 32).

3. The question which then arises is not whether the Applicant may

add to the facts at issue in the context of the subject of the dispute,
which it described in its Application, since according to Article 38,
paragraph 2, of the Rules of Court, the latter “shall also specify the pre-
cise nature of the claim, together with a succinct statement of the facts
and grounds on which the claim is based”. At that stage, therefore, it is
not a matter of being exhaustive as regards the facts concerned. It is

accepted, moreover, that the Parties may amend their submissions up to
the end of the oral proceedings, and Guinea was consequently able to
refer, in its final submissions, to “arbitrary arrests” in the plural, instead
of to the single arrest mentioned in the submissions in its Application. It
is true, however, that there are limits to “the liberty accorded to the

60la procédure orale» est soumise à des limites car «la Cour ne saurait
admettre, en principe, qu’un différend porté devant elle par requête

puisse être transformé, par voie de modifications apportées aux conclu-
sions, en un autre différend dont le caractère ne serait pas le même»
(Société commerciale de Belgique, arrêt, 1939, C.P.J.I. série A/B n° 78 ,
p. 173).
4. A notre avis, ce qui importe pour la recevabilité d’une demande for-

mellement nouvelle, c’est qu’elle s’inscrive dans le cadre de l’objet du dif-
férend dont la Cour a été saisie, et cela dans le respect du Statut et du
Règlement intérieur. En effet, s’il en allait autrement, «l’objet du diffé-
rend sur lequel [la Cour] aurait en définitive à statuer serait nécessaire-
ment distinct de l’objet du différend qui lui a été originellement soumis

dans la requête» (Certaines terres à phosphates à Nauru (Nauru c. Aus-
tralie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1992 , p. 266,
par. 68). Et une telle situation serait nécessairement incompatible avec les
exigences «de la sécurité juridique et de la bonne administration de la jus-
tice» (ibid., p. 267, par. 69).
5. La Cour admet que l’évaluation des demandes additionnelles vise

essentiellement à se demander si elles auraient pour effet de «modifi[er]
l’objet du différend initialement porté devant elle selon les termes de la
requête» en se référant à l’affaire du Différend territorial et maritime
entre le Nicaragua et le Honduras dans la mer des Caraïbes (Nicaragua
c. Honduras) (arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (II) , p. 695, par. 108). Mais la

Cour n’applique pas ce test, en tant que tel, pour la recevabilité de la
demande de la Guinée relative aux événements de 1988-1989. Elle le perd
même de vue dans la suite de son raisonnement, en se fondant exclusi-
vement sur les deux critères que la jurisprudence a dégagés dans le but
précisément d’apprécier le lien de la demande nouvelle avec l’objet du

différend, soit que celle-ci est implicitement contenue dans la requête,
soit qu’elle découle directement de celle-ci. Ces critères sont destinés à
permettre de répondre à la question centrale qui est de savoir si la
demande additionnelle relève de l’objet du différend dont la Cour est sai-
sie ou si elle introduit un nouveau différend. Malheureusement, la Cour

ne répond pas à cette question puisqu’elle a choisi de se lancer dans une
analyse purement formelle de la demande relative aux événements
de 1988-1989 par référence, successivement, aux deux critères évoqués
précédemment. C’est ainsi qu’elle conclut que ces événements ne sont
pas implicitement contenus dans la requête parce qu’ils concernent des
«mesures d’arrestation et de détention, prises à un autre moment et dans

un autre contexte» et que les «arrestations ... sont intervenues sur des
bases juridiques complètement différentes» (arrêt, par. 43). Cette argu-
mentation formelle sera reprise de nouveau par la Cour pour conclure
qu’elle n’aperçoit aucune possibilité de considérer la demande nouvelle
comme découlant directement de la question qui fait l’objet du différent

(ibid., par. 46).
6. Nous constatons qu’à l’issue de ce raisonnement la majorité s’est
contentée d’une simple comparaison entre les conditions formelles d’arres-

61Parties to amend their submissions up to the end of the oral proceed-
ings”, since “the Court cannot, in principle, allow a dispute brought

before it by application to be transformed by amendments in the sub-
missions into another dispute which is different in character” ( Société
Commerciale de Belgique, Judgment, 1939, P.C.I.J., Series A/B, No. 78 ,
p. 173).
4. In our opinion, what matters as regards the admissibility of a for-

mally new claim is that it should fall within the subject of the dispute
which has been brought before the Court, while complying with the Stat-
ute and the Rules of Court. Otherwise, “the subject of the dispute on
which [the Court] would ultimately have to pass [judgment] would be
necessarily distinct from the subject of the dispute originally submitted to

it in the Application” (Certain Phosphate Lands in Nauru (Nauru v. Aus-
tralia), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 1992 , p. 266,
para. 68). And such a situation would necessarily be incompatible with
the requirements of “legal security and the good administration of jus-
tice” (ibid., p. 267, para. 69).
5. The Court accepts that the evaluation of additional claims essen-

tially involves asking whether these would have the effect of “transform-
[ing] the subject of the dispute originally brought before it under the
terms of the Application”, referring to the case concerning Territorial
and Maritime Dispute between Nicaragua and Honduras in the Carib-
bean Sea (Nicaragua v. Honduras) (Judgment, I.C.J. Reports 2007 (II) ,

p. 695, para. 108). But it does not apply that test, as such, in order to
determine the admissibility of Guinea’s claim in respect of the events of
1988-1989. The Court indeed loses sight of this in the course of its argu-
ment, which it bases solely on the two criteria that have emerged from
the jurisprudence specifically for assessing the connection between a new

claim and the subject of the dispute: either that it is implicit in the Appli-
cation, or that it arises directly out of it. These criteria are intended to
make it possible to answer the central question, namely whether the
additional claim falls within the subject of the dispute which has been
brought before the Court, or whether it introduces a new dispute.

Unfortunately, the Court does not answer that question, since it has
chosen to embark on a purely formal analysis of the claim in respect of
the events of 1988-1989, referring in turn to the two criteria mentioned
above. It thus concludes that those events are not implicit in the Appli-
cation because they concern “arrest and detention measures, taken at a
different time and in different circumstances”, and that “the legal bases

for [the] arrests . . . were completely different” (Judgment, para. 43).
This formal line of argument is used again by the Court in order to con-
clude that it sees no possibility of finding that the new claim arises
directly out of the question which is the subject-matter of the Applica-
tion (ibid., para. 46).

6. We observe that, in the light of this reasoning, the majority has been
content to draw a simple comparison between the formal circumstances

61tation et de détention de M. Diallo, et entre les bases juridiques alléguées
par la RDC pour y procéder, sans se soucier de la continuité réelle entre

les événements de 1988-1989 et ceux de 1995-1996 et sans relativiser les
conditions de forme puisées dans le droit interne, ainsi que le préconise la
jurisprudence de la Cour.
7. Or, matériellement, les arrestations arbitraires dont M. Diallo a
été victime en 1988-1989 et en 1995-1996 sont dans la continuité

d’actions engagées contre lui par la République démocratique du Congo
chaque fois qu’il se faisait plus pressant auprès des autorités pour recou-
vrer les créances que ses deux sociétés (dont il est devenu l’unique asso-
cié) détenaient sur cet Etat et sur des entreprises congolaises. Le 25 jan-

vier 1988, M. Diallo a été arrêté et incarcéré, pendant un an, sur ordre
du premier ministre de la RDC après qu’il eut tenté en vain de recou-
vrer les créances de la société Africom-Zaïre à l’égard de l’Etat congo-
lais dans l’affaire dite du «papier-listing», alors que le ministre des
finances avait reconnu les dettes en question. L’accusation d’escroquerie

contre M. Diallo n’est pas intervenue dans un cadre judiciaire mais a
été formulée uniquement par les autorités gouvernementales de la RDC.
Le même premier ministre de la RDC, qui avait ordonné l’arrestation
de M. Diallo pour escroquerie, avait, le 14 janvier 1988, demandé
par courrier au ministre des finances de ne pas acquitter les dettes dues

à la société Africom-Zaïre. Or, de nouveau, en 1996, M. Diallo a été
arrêté puis expulsé, après qu’il eut demandé l’exécution du jugement
rendu en faveur de sa société Africontainers-Zaïre. Il s’agissait manifes-
tement, de la part des autorités de la RDC, d’éliminer définitivement
M. Diallo du territoire congolais pour qu’il ne puisse plus s’occuper

des créances que ses sociétés détiennent sur l’Etat ainsi que sur des
entreprises congolaises.
8. D’ailleurs, la Cour a souligné à juste titre que:

«la RDC n’a jamais été à même, tout au long de la procédure, de
fournir des motifs qui puissent être de nature à donner un fonde-
ment convaincant à l’expulsion de M. Diallo. Des allégations de
«corruption» et d’autres infractions ont été formulées à son encon-

tre, mais aucun élément concret n’a été présenté à la Cour de nature
à étayer ces allégations. Ces accusations n’ont donné lieu à aucune
poursuite devant les tribunaux, ni, a fortiori, à aucune condamna-
tion. En outre, il est difficile de ne pas percevoir un lien entre l’expul-
sion de M. Diallo et le fait qu’il ait tenté d’obtenir le recouvrement

des créances qu’il estimait être dues à ses sociétés par, notamment,
l’Etat zaïrois ou des entreprises dans lesquelles ce dernier détient une
part importante du capital, en saisissant à cette fin les juridictions
civiles.» (Arrêt, par. 82.)

9. Nous ne pouvons que regretter que la majorité n’ait pas appliqué
cette analyse à la question de la recevabilité. En effet, elle aurait néces-

sairement abouti à la nette conclusion que l’arrestation de 1988-1989 se
situe dans la continuité de celle de 1995-1996, dans la mesure où elle a été

62of the arrests and detention of Mr. Diallo, and between the legal bases
for them which have been alleged by the DRC, without concern for the

real continuity between the events of 1988-1989 and those of 1995-1996,
and without qualifying the matters of form in municipal law, as advo-
cated by the jurisprudence of the Court.
7. In terms of substance, however, the arbitrary arrests which
Mr. Diallo suffered in 1988-1989 and 1995-1996 reflect the continuity of

the action taken against him by the Democratic Republic of the Congo
whenever he brought more pressure to bear on the authorities in order to
recover the debts owed by that State and Congolese companies to his two
companies (of which he had become the sole associé). On 25 Janu-
ary 1988, Mr. Diallo was arrested and imprisoned for a year, on the

order of the Prime Minister of the DRC, after he had tried in vain to
recover the debts owed by the Congolese State to the Africom-Zaire com-
pany in the “listing paper” affair, even though the Finance Minister had
acknowledged the debts in question. The accusation of fraud against
Mr. Diallo was not made in any judicial context, but simply formulated
by the government authorities of the DRC. The same Prime Minister of

the DRC who ordered Mr. Diallo’s arrest for fraud had written to the
Finance Minister on 14 January 1988 asking him not to settle the debts
owed to Africom-Zaire. In 1996, Mr. Diallo was once again arrested and
then expelled, after he had sought implementation of the judgment given
in favour of the Africontainers-Zaire company. For the DRC authorities,

it was obviously a matter of removing Mr. Diallo from Congolese terri-
tory once and for all, so that he could no longer pursue the debts owed to
his companies by the State and Congolese companies.

8. Furthermore, the Court itself correctly pointed out that:
“the DRC has never been able to provide grounds which might con-

stitute a convincing basis for Mr. Diallo’s expulsion. Allegations of
‘corruption’ and other offences have been made against Mr. Diallo,
but no concrete evidence has been presented to the Court to support
these claims. These accusations did not give rise to any proceedings
before the courts or, a fortiori, to any conviction. Furthermore, it is
difficult not to discern a link between Mr. Diallo’s expulsion and the

fact that he had attempted to recover debts which he believed were
owed to his companies by, amongst others, the Zairean State or
companies in which the State holds a substantial portion of the capi-
tal, bringing cases for this purpose before the civil courts.” (Judg-
ment, para. 82.)

9. We can only regret that the majority failed to apply this analysis to

the question of admissibility. That would necessarily have resulted in a
clear finding that the arrest in 1988-1989 formed a continuity with that of
1995-1996, since it took place for the same reasons, and that it was of the

62inspirée par les mêmes motifs, et qu’elle revêt le même caractère arbi-
traire. La seule différence est que, en 1995-1996, il a été décidé d’expulser

de la RDC M. Diallo alors qu’auparavant, en 1988-1989, il a été détenu
pendant près d’une année!
10. Dès lors, à notre avis, les événements de 1988-1989 se rattachent
manifestement à l’objet du différend tel qu’il figure dans la requête de la
Guinée en date du 23 décembre 1998:

«M. Diallo Ahmadou Sadio, homme d’affaires de nationalité gui-
néenne, a été, après trente-deux (32) ans passés en République démo-

cratique du Congo, injustement incarcéré par les autorités de cet
Etat, spolié de ses importants investissements, entreprises et avoirs
mobiliers, immobiliers et bancaires puis expulsé.

Cette expulsion est intervenue à un moment où M. Diallo Ahma-
dou Sadio poursuivait le recouvrement d’importantes créances déte-
nues par ses entreprises sur l’Etat et les sociétés pétrolières qu’il
abrite et dont il est actionnaire.
Après de vaines tentatives de règlement amiable, l’Etat de Guinée

s’adresse à la Cour internationale de Justice dans le dessein de voir
celle-ci condamner la République démocratique du Congo pour les
graves violations du droit international qu’elle a commises [sur la
personne de M. Diallo].»

11. Ainsi, qu’on les considère comme contenus implicitement dans
cette requête ou comme en découlant, les événements de 1988-1989 se rat-
tachent à l’objet du différend que celle-ci décrit, puisqu’il s’agit d’une

arrestation injuste de M. Diallo liée à la spoliation par la RDC de ses
biens.
12. Nous ne pouvons, de ce fait, comprendre que la majorité ait
déclaré irrecevable la demande de la Guinée relative à ces événements, en
faisant preuve d’un formalisme inapproprié à un contentieux internatio-

nal long et coûteux, puisque la Guinée a saisi la Cour de cette affaire il y
a près de douze ans. Il nous paraît que la République démocratique du
Congo a été informée assez tôt de l’addition des faits de 1988-1989 par la
Guinée et qu’elle avait la possibilité de les contester, ce qu’elle ne s’est
d’ailleurs pas empêchée de faire lors des plaidoiries orales (CR 2010/3,

p. 16-17, par. 11-13 (Kalala)). La Cour disposait donc des éléments
pour se prononcer sur toutes les violations du droit international commi-
ses par la RDC sur la personne de M. Diallo. Si la Cour avait procédé de
la sorte, elle aurait réellement satisfait aux exigences de la «sécurité juri-
dique et de la bonne administration de la justice». En effet, ces exigences

doivent prendre en compte, dans cette affaire, originellement fondée sur
l’exercice de la protection diplomatique, dont le champ d’application
inclut «les droits de l’homme internationalement garantis» (Ahma-
dou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du

Congo), exceptions préliminaires, arrêt , C.I.J. Recueil 2007 (II) , p. 599,
par. 39), les droits individuels de M. Diallo, qui a été victime à deux

63same arbitrary character. The only difference is that in 1995-1996, it was
decided to expel Mr. Diallo from the DRC, whereas previously, in 1988-

1989, he was detained for almost a year!

10. Therefore, in our opinion, the events of 1988-1989 are quite clearly
connected with the subject of the dispute as set forth in Guinea’s Appli-
cation dated 23 December 1998:

“Mr. Diallo Ahmadou Sadio, a businessman of Guinean nation-
ality, was unjustly imprisoned by the authorities of the Democratic

Republic of the Congo, after being resident in that State for
thirty-two (32) years, despoiled of his sizable investments, businesses,
movable and immovable property and bank accounts, and then expelled
from the country.
This expulsion came at a time when Mr. Diallo Ahmadou Sadio
was taking proceedings to recover substantial debts owed to his

businesses by the State and by the oil companies established on its
territory and of which the said State is a shareholder.
After vain attempts to arrive at an out-of-court settlement, the
State of Guinea is filing an Application with the International Court
of Justice with a view to obtaining a finding that the Democratic

Republic of the Congo is guilty of serious violations of international
law committed upon the person of a Guinean national.”

11. Hence, whether they are regarded as implicit in that Application or
arising out of its subject-matter, the events of 1988-1989 are connected
with the subject of the dispute described in the Application, since they
involve an unjust arrest of Mr. Diallo linked to the spoliation of his
assets by the DRC.

12. We therefore cannot understand how the majority has declared
Guinea’s claim in respect of those events to be inadmissible, taking a for-
malistic approach which is inappropriate to a long and costly interna-
tional dispute, Guinea having brought this case before the Court nearly
12 years ago. It would appear that the Democratic Republic of the

Congo was informed at quite an early stage of the addition by Guinea of
the facts relating to 1988-1989 and that it had the opportunity to contest
them, as indeed it did not refrain from doing during the oral argument
(CR 2010/3, pp. 16-17, paras. 11-13 (Kalala)). The Court thus had evi-
dence before it allowing it to pronounce on all the violations of interna-
tional law committed by the DRC upon the person of Mr. Diallo. If

the Court had done so, it would genuinely have met the requirements
of “legal security and the good administration of justice”. Those req-
uirements must take account, in this case originally based on the exer-
cise of diplomatic protection, the scope of which includes “internationally
guaranteed human rights” (case concerning Ahmadou Sadio Diallo

(Republic of Guinea v. Democratic Republic of the Congo), Preliminary
Objections, Judgment, I.C.J. Reports 2007 (II), p. 599, para. 39), of
the individual rights of Mr. Diallo, who has on two occasions been a victim

63reprises de mesures arbitraires des autorités de l’Etat d’accueil et pour les

mêmes raisons.

(Signé) Awn Shawkat A L-K HASAWNEH .

(Signé) Bruno S IMMA .

(Signé) Mohamed B ENNOUNA .

(Signé) Antônio Augusto C ANÇADO T RINDADE .
(Signé) Abdulqawi Ahmed Y USUF .

64of arbitrary measures by the authorities of the host State, and for the

same reasons.

(Signed) Awn Shawkat A L-K HASAWNEH .

(Signed) Bruno S IMMA .

(Signed) Mohamed B ENNOUNA .

(Signed) Antônio Augusto C ANÇADO T RINDADE .
(Signed) Abdulqawi Ahmed Y USUF .

64

Document file FR
Document Long Title

Déclaration commune de MM. les juges Al-Khasawneh, Simma, Bennouna, Cançado Trindade et Yusuf

Links