Déclaration de M. le juge ad hoc Guillaume

Document Number
133-20090713-JUD-01-03-EN
Parent Document Number
133-20090713-JUD-01-00-EN
Document File
Bilingual Document File

DÉCLARATION DE M. LE JUGE AD HOC GUILLAUME

Statut du río San Juan — Traité du 26 avril 1858 — Absence de droit cou-

tumier des fleuves internationaux applicable — Frontière fixée à la rive — Sou-
veraineté exclusive, pleine et entière du Nicaragua.
Etendue du droit de libre navigation à des fins commerciales du Costa
Rica — Effet du passage du temps sur l’interprétation des traités — Commune
volonté des Parties — Interprétation restrictive des exceptions apportées par le
traité de 1858 à la souveraineté territoriale du Nicaragua.
Bateliers seuls bénéficiaires du droit de libre navigation — Nécessité pour eux
de se livrer à une activité commerciale — Activité commerciale ou non des pas-
sagers sans influence sur les droits de libre navigation.

Absence de droit des riverains et des pouvoirs publics à naviguer pour des fins
non commerciales.
Pouvoir de réglementation du Nicaragua — Droit de subordonner l’entrée sur

son territoire à la délivrance de visas.

1. Je souscris à nombre des conclusions auxquelles est parvenue la
Cour. Je souhaiterais cependant présenter ici quelques observations et
préciser en quoi je me sépare sur certains points de la décision adoptée.

LE DROIT APPLICABLE

2. La Cour a estimé que le différend opposant le Costa Rica et le Nica-
ragua en ce qui concerne les droits de navigation sur le río San Juan
devait être tranché exclusivement sur la base du traité conclu entre les
deux Etats le 26 avril 1858.
La Cour en a déduit qu’il n’était pas nécessaire pour elle de se pronon-

cer sur la question de savoir si le río San Juan pouvait être qualifié de
«fleuve international» en droit international coutumier et s’il existait un
régime coutumier applicable à la navigation sur les «fleuves internatio-
naux», soit de portée universelle, soit de caractère régional.
3. Ces constatations ont mon complet accord. Je pense cependant
devoir ajouter qu’il n’existe en droit international coutumier aucune défi-

nition des «fleuves internationaux» et aucun régime gouvernant la navi-
gation sur de tels fleuves. Certains d’entre eux sont par convention
ouverts à la navigation des navires marchands de tous les Etats et parfois
administrés par des commissions fluviales ayant des pouvoirs étendus.
D’autres sont ouverts à la seule navigation des bateaux des Etats rive-

rains avec ou sans constitution de commissions fluviales. D’autres enfin
ne sont pas ouverts à la navigation internationale et relèvent de la seule
souveraineté des Etats riverains. En outre, le statut de ces fleuves en ce

81qui concerne leur entretien, la pêche, la police de la navigation, la protec-

tion de l’environnement, la construction de barrages ou l’irrigation est
extrêmement divers.
On observera qu’à cet égard la situation conventionnelle est d’ailleurs

différente en Amérique latine de ce qu’elle est en Europe. Comme le sou-
lignait le juriste chilien Alejandro Alvarez à la conférence de Barcelone:

«Sur le continent américain, le principe de libre navigation des

fleuves n’a pas suivi la même évolution [qu’en Europe ou en
Afrique]: s’il y a été admis, c’est non pas par extension du principe
européen, mais comme une concession que les Etats riverains ont

volontairement octroyée dans des accords inter partes ou dans des
actes législatifs.»

Aussi le professeur Caflisch, dans son cours à l’Académie de droit
international, pouvait-il relever qu’il n’existe en Amérique latine aucun

«principe coutumier» consacrant la liberté de navigation et conclure que,
sur ce continent, «il n’existe pas de liberté de navigation en l’absence
2
de concession unilatérale ou de disposition conventionnelle» . Les Etats
latino-américains, ajoutait-il, «continuent à faire dépendre la libre navi-
gation de la législation de chaque pays riverain et des traités conclus par
3
eux» .
L’examen des quelques conventions conclues dans cette région du
monde conduit aux mêmes conclusions, que l’on considère les statuts de
4
l’Amazone, du Paraná ou du río de la Plata .

L A SOUVERAINETÉ DU N ICARAGUA SUR LE FLEUVE SAN JUAN

4. Comme l’a précisé la Cour, l’essentiel du différend entre les Parties

porte sur l’interprétation de l’article VI du traité de limites du 15 avril
1858. Dans sa version espagnole, la seule qui fasse foi, ce texte se lit
comme suit:

«La República de Nicaragua tendrá exclusivamente el dominio y

sumo imperio sobre las aguas del río de San Juan desde su salida del
Lago, hasta su desembocadura en el Atlántico; pero la República de

Costa Rica tendrá en dichas aguas los derechos perpetuos de libre

1Cité par L. Caflisch, «Règles générales du droit des cours d’eau internationaux»,
Recueil des cours de l’Académie de droit international de La Haye , t. 219 (1989), p. 117.
Voir aussi la sentence arbitrale rendue dans l’affaire Faber, Recueil des sentences arbi-
trales des Nations Unies (RSA) , vol. X, p. 466.
2
3L. Caflisch, op. cit., p. 125.
4L. Caflisch, op. cit., p. 123.
Pour l’Amazone, voir le traité conclu à Brasilia le 3 juillet 1978 entre la Bolivie, le
Brésil, la Colombie, l’Equateur, le Guyana, le Pérou, le Suriname et le Venezuela; pour
le Paraná, voir l’accord de 1979 entre l’Argentine, le Brésil et le Paraguay; pour le río de
la Plata, voir le traité conclu à Montevideo entre l’Argentine et l’Uruguay le 19 no-
vembre 1973.

82 navegación, desde la expresada desembocadura hasta tres millas

inglesas antes de llegar al Castillo Viejo, con objetos de comercio, ya
sea con Nicaragua ó al interior de Costa Rica por los ríos de San
Carlos ó Sarapiquí, ó cualquiera otra vía procedente de la parte que

en la ribera del San Juan se establece corresponder á esta República.
Las embarcaciones de uno ú otro país podrán indistintamente atra-
car en las riberas del río, en la parte en que la navegación es común,

sin cobrarse ninguna clase de impuestos, á no ser que se establezcan
de acuerdo entre ambos Gobiernos.»

5. Ainsi, l’article VI reconnaît au Nicaragua et à lui seul la pleine et
entière souveraineté sur le fleuve San Juan. Ce dernier est intégralement

en territoire nicaraguayen depuis le lac Nicaragua jusqu’à 3 milles en aval
de Castillo Viejo. Il forme ensuite la frontière entre les deux Etats, mais
n’en demeure pas moins alors en territoire nicaraguayen. Dans ce secteur,

la frontière est fixée à la rive costa-ricienne. Il en est ainsi jusqu’à
l’embouchure du fleuve dans l’Atlantique. La baie de San Juan del Norte
à l’embouchure du fleuve est toutefois commune aux deux républiques

(article 4 du traité).
Le traité de 1858 ne retient donc ni la ligne médiane ni le thalweg du
río San Juan pour déterminer la frontière. Il fixe celle-ci à la rive sud du

fleuve.
6. Il n’est pas inutile de noter que cette solution, contrairement à ce
que l’on pourrait penser, n’est pas rare et se rencontre en particulier dans

de nombreux traités anciens, dont le plus célèbre fut le traité d’Erzeroum
de 1847, qui donnait à la Perse accès au Chatt al-Arab tout en attribuant
à l’Empire ottoman souveraineté sur ce dernier . 5

Nombre de ces traités sont toujours en vigueur, par exemple:

— entre la Suisse et la Franc6 pour le Foron, la Morge, l’Eau Noire, la
Barberine et le Doubs ;

5
Selon ce traité, l’Empire ottoman avait souveraineté sur le Chatt al-Arab lui-même et
la Perse avait souveraineté sur la «rive gauche» du Chatt al-Arab. Le traité ajoutait en
son article 2, paragraphe 8, que les navires persans auraient le droit de naviguer librement
sur le Chatt al-Arab. La même solution fut retenue pour l’essentiel par le traité de 1937
entre l’Iran et l’Iraq. En outre, ce dernier traité étendait la liberté de navigation aux
navires marchands de tous les Etats. Cependant, l’Iran répudiera en 1969 le traité de 1937.
Un nouvel accord interviendra en 1975 fixant la frontière au thalweg tout en maintenant
la liberté de navigation. Il sera «abrogé» par l’Iraq en 1980, puis celui-ci acceptera en
1990 de revenir à la solution de 1975 (voir «River Boundaries. Legal Aspects of the Shatt-
al-Arab Frontier», International and Comparative Law Quarterly, avril 1960, p. 207;
D. Momtaz, «Le statut juridique du Chatt el-Arab dans sa perspective historique», dans
Actualités juridiques et politiques en Asie. Etudes à la mémoire de Tran Van Minh , 1988,
p. 59).
6 Convention du 20 juin 1780 entre la France et le prince-évêque de Bâle (Parry, Con-
solidated Treaty Series (CTS) , vol. 47, 1778-1781, p. 331); traité du 16 mars 1816 (CTS,

vol. 65, p. 447); convention franco-suisse du 10 juin 1891 (CTS, vol. 175, p. 169). Voir
Rousseau, Droit international public , t. III, par. 212.

83 7
— entre la Gambie et le Sénégal pour le San Pedro et le Tendo ;
— entre le Sénégal et la Mauritanie pour le fleuve Sénégal ; 8
— entre le Libéria et la Côte d’Ivoire pour une série de rivières ; 9
10
— entre la Malaisie et l’Indonésie pour l’Odong ;
— entre l’Afghanistan et le Pakistan pour les rivières Kaboul et Kolos-
11
saï ;
— entre le Guatemala et le Honduras pour le río Tinto . 12

La frontière à la rive a également été retenue dans certains Etats fédé-

raux. Il en est ainsi en Suisse entre les cantons de Zurich et de Schaff-
house pour une partie du cours du Rhin , ainsi qu’entre les cantons de
14
Berne et d’Argovie pour la Rothbach . De même, aux Etats-Unis, la
frontière entre la Virginie et le district de Columbia est fixée à la rive de
15
la Virginie . Des solutions analogues ont été retenues entre l’Alabama et
la Géorgie comme entre le Vermont et le New Hampshire . C’est dire 16

que le traité de 1858 ne constitue pas un cas isolé et qu’il convient de
l’interpréter dans cette perspective.

L E DROIT DE LIBRE NAVIGATION DU C OSTA R ICA

7. Après avoir ainsi reconnu la souveraineté du Nicaragua sur le río
San Juan, le traité de 1858 accorde certains droits de navigation au

Costa Rica sur la partie du fleuve contiguë au territoire costa-ricien.
Il s’agit de droits perpétuels «de libre navegación con objetos de

comercio».
8. Les Parties ont longuement discuté au dossier du sens des termes

«con objetos» et «comercio» utilisés à l’article VI.
Je souscris entièrement à l’interprétation donnée par la Cour aux mots
«con objetos». Dans le contexte, ceux-ci couvrent la navigation à des fins

commerciales et non le seul transport des marchandises.
Le mot «comercio» soulève des questions plus délicates. En effet, le

7 Procès-verbal franco-britannique du 9 juin 1891 (Ian Brownlie, African Boundaries,

p.8219).
Décret du 8 décembre 1933 (JOAOF, 1934, p. 69), mentionné par Ian Brownlie
(op. cit., p. 433).
9 Déclaration franco-libérienne du 13 janvier 1911 (CTS, vol. 213, p. 213), confirmée
après l’indépendance de la Côte d’Ivoire en 1961 (I. Brownlie, op. cit., p. 369).
10 Traité du 29 mars 1928 (Société des Nations, Recueil des traités, vol. 108, p. 33).

11
Traité du 22 novembre 1921 (Société des Nations, Recueil des traités, vol. 14, p. 67).

12 Sentence arbitrale du 23 janvier 1933 (RSA, vol. II, p. 1365).
13 Traité du 11 janvier 1901, article 5 cité par Schultess, Das Internationale Wasser-

re14t, Zurich, 1916, p. 10.
Ibid., p. 8, note 8.
15 Virginia c. District of Columbia , 283 US 348.
16 Voir Alabama c. Georgia, 23 Howard, 505-515 (1859); Vermont c. New Hampshire
(Cour suprême des Etats-Unis, 19 mai 1933, 289 US 593-603).

84Nicaragua a soutenu qu’en 1858 ce terme signifiait nécessairement com-

merce de biens et n’englobait pas les services, et notamment le transport
des personnes et tout particulièrement des touristes. Selon lui, ce sens
étroit devrait être retenu. Le Costa Rica expose à l’inverse que dès 1858

et a fortiori aujourd’hui le transport de passagers, et notamment de tou-
ristes, constitue une activité commerciale.
9. La question de l’effet du passage du temps sur l’interprétation des

traités a fait l’objet de débats animés en doctrine entre les partisans de
l’interprétation «contemporaine» (dite encore du renvoi fixe) et ceux de

l’interprétation «évolutive» (dite encore du renvoi mobile). C’est ainsi
qu’au sein de la Commission du droit international «le principe de la
contemporanéité a reçu quelque soutien de même que l’approche évolu-
17
tive» . Un consensus semble cependant s’être dégagé sur le fait qu’il
convient de résoudre le problème grâce à l’application des méthodes ordi-
naires d’interprétation des traités . Toutefois la discussion s’est pour-

suivie dans cette perspective sur la question de savoir si l’article 31,
paragraphe 3 c), de la convention de Vienne renvoyait aux «règles en
vigueur au moment où le traité a été adopté ou pouvait aussi viser des
19
traités conclus postérieurement» .
L’Institut de droit international a connu également de vifs débats sur
le sujet à Wiesbaden en 1975. Il s’est notamment interrogé sur le rôle

que «le système juridique international en vigueur au moment de l’inter-
prétation et de l’application d’un traité» doit jouer dans cette interpré-
tation ou cette application 20. Il a finalement adopté sur ce point une

formulation de compromis. Mais il n’en a pas moins retenu lui aussi le
principe selon lequel

«Lorsqu’une disposition conventionnelle se réfère à une notion ju-
ridique ou autre sans la définir, il convient de recourir aux méthodes

habituelles d’interprétation pour déterminer si cette notion doit
être comprise dans son acception au moment de l’établissement de la
disposition ou dans son acception au moment de l’application.» 21

10. La jurisprudence semble se rallier à cette méthode, encore qu’elle

ne soit pas toujours aisée à décrypter.
Elle proclame constamment «la nécessité primordiale d’interpréter un

17
18Rapport de la Commission du droit international, 2005, p. 217.
Ibid., 2006, p. 434.
19Ibid., 2005, p. 218.
20Voir dans les délibérations de l’Institut les déclarations de M. Sorensen (p. 343 et
354), de sir Gerald Fitzmaurice (p. 347 et 357) et de M. Yasseen (p. 349). Voir aussi les
votes intervenus (p. 370).
21Résolution de l’Institut de droit international de Wiesbaden du 11 août 1975 sur «Le
problème dit du droit intertemporel dans l’ordre international», Annuaire de l’Institut,
1975, vol. 56, p. 536, par. 4.

85instrument donné conformément aux intentions qu’ont eues les parties
22
lors de sa conclusion» .
Mais, sur cette base, elle se prononce en faveur tantôt de l’interpréta-

tion contemporaine, tantôt de l’interprétation évolutive.
11. Pour les premiers cas, on relèvera:

a) que la Cour, en 1952, a interprété le mot «différend» en lui donnant
le sens qu’il avait au moment où avaient été conclus les traités de

1787 et 1836 entre les Etats-Unis et le Maroc en vue de la protection
de leurs ressortissants ; 23

b) qu’il en a été de même pour les mots «water-parting» dans l’affaire
soumise à arbitrage de La Laguna del desierto 24;
c) que la Cour, dans l’affaire de l’Ile de Kasikili/Sedudu (Botswana/

Namibie), a estimé que, compte tenu de l’époque où le traité anglo-
allemand de 1890 avait été conclu, les termes «centre du chenal

principal» du Chobe et «thalweg» du Chobe devaient être regardés
comme équivalents» ; 25
d) que le tribunal arbitral chargé de la délimitation de la frontière entre

l’Erythrée et l’Ethiopie a dans sa sentence du 13 avril 2002 estimé
qu’il devait interpréter les traités à appliquer «by reference to the cir-

cumstances prevailing when the treaty was concluded. This involves
giving expressions (including names) used in the treaty the meaning
that they would have possessed at that time» ; 26

e) qu’en vue de déterminer «l’embouchure» de l’Ebedji dans le lac
Tchad, la Cour a estimé qu’«aux fins d’interpréter cette expression»,
27
elle «doit rechercher quelle était l’intention des parties à l’époque» .

12. A l’inverse, il a été recouru à l’interprétation évolutive dans les
espèces suivantes:

a) Dans l’avis consultatif sur le Sud-Ouest africain déjà cité, la Cour a
dit devoir tenir compte

«de ce que les notions consacrées par l’article 22 du Pacte [de la
Société des Nations] — «les conditions particulièrement difficiles du
monde moderne» et «le bien-être et le développement» des peuples

22 Conséquences juridiques pour les Etats de la présence continue de l’Afrique du Sud en
Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité,
avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971 , p. 31, par. 53.
23 Droits des ressortissants des Etats-Unis d’Amérique au Maroc (France c. Etats-Unis

d’24érique), arrêt, C.I.J. Recueil 1952 , p. 189.
Affaire concernant un litige frontalier entre la République argentine et la République
du Chili portant sur la délimitation de la frontière entre le poste frontière 62 et le mont
Fitzroy, 21 octobre 1994 (Nations Unies, RSA, vol. XXII, p. 43, par. 130).
25 Ile de Kasikili/Sedudu (Botswana/Namibie), arrêt, C.I.J. Recueil 1999 (II) , p. 1062,
par. 25.
26 Sentence arbitrale du 13 avril 2002 concernant la délimitation de la frontière entre
l’Erythrée et l’Ethiopie (Nations Unies, RSA, vol. XXV, p. 110, par. 3.5).
27 Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c.

Nigéria; Guinée équatoriale (intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2002 , p. 346, par. 59.

86 intéressés — n’étaient pas statiques, mais par définition évolutives et

qu’il en allait de même par suite de la notion de «mission sacrée de
civilisation»» .28

b) Dans l’affaire du Plateau continental de la mer Egée , la Cour a rap-

pelé que l’acte général d’arbitrage de 1928 avait été conçu «comme
devant être de la portée la plus générale et sans limitation de durée».
Elle a ajouté qu’«il ne semble guère concevable que dans un instru-

ment semblable on ait voulu donner à des expressions comme «com-
pétence exclusive» et «statut territorial» un contenu invariable quelle
que soit l’évolution ultérieure du droit international» . 29

c) Dans l’affaire relative au Projet Gabc ˇíkovo-Nagymaros (Hongrie/
Slovaquie), la Cour a relevé que les articles 15, 19 et 20 du traité de

1977 entre le Hongrie et la Slovaquie comportaient «des dispositions
évolutives» concernant la protection de l’environnement et que par
suite de nouvelles normes en cette matière pouvaient être «incorpo-
30
rées dans le plan contractuel conjoint» des parties.
d) La sentence arbitrale dans l’affaire du «Rhin de fer» du 24 mai 2005
adopta, elle aussi, une interprétation évolutive du traité belgo-

néerlandais de 1839 en vue d’assurer une application effective de
ce texte, compte tenu de son objet et de son but . 31

13. Enfin, la sentence arbitrale du 31 juillet 1989 rendue entre la Guinée-
Bissau et le Sénégal fait une part tant à l’interprétation contempo-

raine qu’à l’interprétation évolutive. Elle précise tout d’abord que l’accord
franco-portugais de 1960 qui devait être appliqué en l’espèce «doit être
interprété à la lumière du droit en vigueur à la date de sa conclusion».

Elle en déduit que cet accord ne délimite pas «les espaces maritimes qui
n’existaient pas à cette date, qu’on les appelle zone économique exclusive,

zone de pêche ou autrement». Mais elle ajoute que le concept de «plateau
continental» existait quant à lui dès cette époque «et que sa limite était
dès 1959 susceptible de se déplacer vers le large». Elle en conclut qu’il

s’agissait là d’un «concept dynamique» et que par suite l’accord de 1960
règle la situation du plateau continental litigieux tel que défini par la suite
par la convention de Montego Bay . 32

14. Comme dans les cas ainsi analysés, la question en l’espèce est donc

28
Conséquences juridiques pour les Etats de la présence continue de l’Afrique du Sud en
Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité,
avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971 , p. 31, par. 53.
29Plateau continental de la mer Egée (Grèce c. Turquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1978 ,
p. 32, par. 77.
30Projet Gabˇíkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1997 ,p.67-
68, par. 112.
31Sentence arbitrale du 24 mai 2005 (RSA, vol. XXVII, p. 72-74, par. 79-81).

32Sentence arbitrale du 31 juillet 1989 (Guinée-Bissau c. Sénégal) (RSA, vol. XX,
p. 151-152, par. 85).

87de savoir quelle était la commune intention des parties en 1858, exprimée

dans le traité alors conclu. Telle a été la démarche suivie à juste titre par
la Cour.
15. Cette démarche soulève cependant une réelle difficulté. En effet,

dans la plupart des cas, les Parties ne précisent pas dans le texte des trai-
tés si elles entendent figer le sens des termes qu’elles emploient ou accep-
ter que ce sens puisse évoluer. Par voie de conséquence, il est nécessaire
de recourir à des présomptions.

En l’espèce, la Cour a estimé que, lorsque les parties emploient dans un
traité

«certains termes de nature générique, dont elles ne pouvaient pas
ignorer que le sens était susceptible d’évoluer avec le temps, et que le
traité en cause a été conclu pour une très longue période ou «sans

limite de durée», les parties doivent être présumées, en règle géné-
rale, avoir eu l’intention de conférer aux termes en cause un sens
évolutif» (arrêt, par. 66).

La Cour avait déjà appliqué une telle présomption dans l’affaire du
33
Plateau continental de la mer Egée pour l’interprétation des mots «sta-
tut territorial», mais elle l’avait écartée pour l’interprétation du mot «dif-
férend» dans l’affaire des Droits des ressortissants des Etats-Unis d’Amé-
rique au Maroc . 34

Devait-elle retenir cette présomption en l’espèce? On peut en douter et
se demander si elle n’aurait pas dû recourir à d’autres présomptions.

En premier lieu, et comme le président Bedjaoui le notait dans son
opinion individuelle dans l’affaire du Projet Gabc ˇíkovo-Nagymaros
(Hongrie/Slovaquie) :

«les intentions des parties sont présumées avoir été influencées par le
droit en vigueur au moment de la conclusion du traité , droit qu’elles

étaient censées connaître, et non pas par le droit à venir, qui était
encore inconnu. Comme l’avait dit l’ambassadeur Mustapha
Kamil Yasseen ..., seul le droit international existant au moment de

la conclusion du traité «a pu influencer l’intention des Etats contrac-
tants ..., le droit qui n’existait pas encore à ce moment-là ne pouvant
logiquement avoir aucune influence sur cette intention».» 35

En outre, au cas particulier, l’article VI reconnaît à titre exclusif au
Nicaragua souveraineté pleine et entière sur le fleuve. Une seule limita-

33Plateau continental de la mer Egée (Grèce c. Turquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1978 ,
p. 32, par. 77.
34Droits des ressortissants des Etats-Unis d’Amérique au Maroc (France c. Etats-Unis
d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 1952 , p. 189.
35Projet Gabˇíkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1997 , p. 121-
122, par. 7 ii). M. K. Yasseen, «L’interprétation des traités d’après la convention de
Vienne sur le droit des traités», Recueil des cours de l’Académie de droit international de
La Haye, t. 151 (1976), p. 64.

88tion est apportée à cette souveraineté, le droit de libre navigation à des

fins commerciales accordé au Costa Rica. Cette limitation est introduite
par le terme «pero» (mais), qui marque bien qu’il s’agit là d’une excep-
tion apportée à la souveraineté exclusive du Nicaragua préalablement
proclamée.

Or, comme l’a rappelé la Cour, les exceptions ou «limites à la souve-
raineté d’un Etat sur son territoire ne se présument pas» (arrêt, par. 48).
Du fait des termes mêmes du traité et de cette présomption, la limitation

apportée à la souveraineté territoriale du Nicaragua me semble devoir
être interprétée restrictivement comme la Cour permanente en a décidé
dans un cas analogue, celui du Vapeur Wimbledon, pour la navigation
dans le canal de Kiel. Dans cette affaire, en effet, la Cour avait relevé

que nul ne contestait la souveraineté de l’Etat allemand sur le canal de
Kiel; elle avait ajouté que le traité de Versailles avait comporté une
«limitation importante de l’exercice du droit de souveraineté» de l’Alle-

magne; elle en avait conclu que «cela suffi[sai]t pour que la clause qui
consacre une telle limitation doive, en cas de doute, être interprétée
restrictivement» .36
16. Faut-il en déduire que la navigation à des fins de commerce ne

couvre que le transport des marchandises et non celui des personnes?
L’hésitation est ici permise. Depuis la plus haute antiquité, les transports
fluviaux ont pour objet d’acheminer tant les personnes que les marchan-

dises d’un point à un autre. Le fleuve San Juen et le lac Nicaragua ont
d’ailleurs été utilisés au milieu du XIX siècle pour permettre aux émi-
grants se rendant de la côte est des Etats-Unis en Californie de ne pas
faire le tour de l’Amérique du Sud. Bien plus, le canal interocéanique

dont la construction était alors projetée à travers le Nicaragua devait ser-
vir tant au transport des personnes qu’à celui des marchandises .lI 37
s’agissait là dès le XIX siècle d’une activité exercée par les bateliers

contre rémunération. Aussi aurais-je en définitive tendance à penser que,
lorsque les auteurs du traité de 1858 ont visé la navigation à des fins com-
merciales, ils ont entendu couvrir le transport à titre lucratif tant des per-
sonnes que des marchandises.

Ce transport couvre-t-il aujourd’hui celui des touristes? Poser la ques-
tion, c’est se demander en quoi ceux-ci se distinguent des autres per-
sonnes transportées. A l’évidence, il n’en est rien en ce qui concerne

le touriste individuel qui emprunte un bateau en vue de se rendre d’un
point à un autre. Si ce déplacement est effectué contre rémunération du
batelier, le bateau navigue à des fins commerciales.
Reste le cas des touristes effectuant une croisière préparée par un orga-

nisateur de voyages. Dans cette hypothèse, le batelier est rémunéré par cet
intermédiaire et non par le passager. Mais l’activité du batelier n’en demeure

36Affaire du Vapeur Wimbledon, arrêts, 1923, C.P.J.I. série A1,p.24.
37Voir l’article XXXIII du traité de 1859 entre la France et le Nicaragua et
l’article XXVI du traité de 1860 entre la Grande-Bretagne et le Nicaragua.

89pas moins une activité de navigation d’un point à un autre et cette activité

est là encore exercée par lui à des fins commerciales. Dès lors, l’intéressé est
susceptible de bénéficier de la liberté de navigation dont le Costa Rica est
titulaire en vertu de l’article VI. Aussi bien la pratique est-elle en ce sens
telle qu’attestée par le mémorandum d’accord entre les ministres du

tourisme des deux Etats du 5 juin 1994 et le développement des croisières
touristiques sur le San Juan au cours des dernières années.
Je souscris donc, sur ce point, aux conclusions de la Cour, mais pour
des motifs autres que ceux qu’elle a retenus.

17. Je souscris également aux conclusions de la Cour selon lesquelles la
navigation à des fins non lucratives n’entre pas dans les prévisions de
l’article VI. Il en est ainsi du transport gratuit de passagers (arrêt, par. 73,

dernier alinéa) ou de la plaisance (ibid., par. 80). Seraient de même exclus
les navires-casinos, les navires-hôtels ou les bateaux diffusant des émis-
sions de radio ou de télévision, que ces bâtiments soient amarrés au
rivage ou qu’ils se déplacent (ibid., par. 75).

En outre, et comme la Cour l’a précisé, la navigation de bateaux utili-
sés à des fins d’activité de puissance publique ou de service public
dépourvu de nature commerciale n’est pas couverte par l’article VI (ibid.,
par. 71). Sont donc exclus les bateaux chargés de mission de police (ibid.,

par. 83), y compris le ravitaillement des postes de police, ainsi que les
bateaux contribuant aux activités d’enseignement, de santé publique ou
de protection de l’environnement, ces activités n’ayant à l’évidence aucun
but lucratif.

18. Il est cependant deux points sur lesquels je suis en désaccord avec
l’arrêt.
Le premier concerne le transport à titre gratuit de marchandises par un

batelier autre que le commerçant propriétaire de ces marchandises. La
Cour reconnaît qu’en pareil cas le batelier n’exerce pas une activité com-
merciale, mais elle estime que, dès lors que les marchandises sont desti-
nées à être vendues, il y a là une navigation à des fins commerciales.

Encore que, dans la pratique, cette hypothèse ait peu de chances de se
réaliser, je crois devoir préciser que ces conclusions me paraissent reposer
sur des prémisses erronées. L’article VI du traité ne reconnaît pas au
Costa Rica la liberté du commerce, mais un droit de libre navigation à

des fins commerciales. Les bénéficiaires de ce droit sont les bateaux costa-
riciens qui naviguent sur le río San Juan et non les marchandises ou les
personnes qui sont transportées par ces navires . Lorsque le batelier

n’est pas le commerçant lui-même, c’est seulement lorsque la navigation
est effectuée contre rémunération qu’elle peut être regardée comme ayant
été réalisée à des fins commerciales.

38
Ainsi, dans l’affaire Oscar Chinn, la Cour permanente de Justice internationale a pré-
cisé que la liberté de navigation «comporte, d’après la notion communément admise, la
liberté de mouvement pour les bateaux» et la liberté pour ces mêmes bateaux de trans-
porteo des marchandises et des voyageurs (affaire Oscar Chinn, arrêt, 1934, C.P.J.I. série
A/B n 63, p. 83).

90 19. La Cour a par ailleurs décidé que «les habitants de la rive costa-
ricienne du fleuve San Juan ont le droit de naviguer sur celui-ci entre les

communautés riveraines afin de subvenir aux besoins essentiels de la vie
quotidienne qui nécessitent des déplacements dans de brefs délais» (arrêt,
par. 156, point 1 f)). Elle en a déduit que le Costa Rica a le droit de navi-
guer sur le fleuve avec des bateaux officiels

«exclusivement employés, dans des cas particuliers, en vue de four-
nir des services essentiels aux habitants des zones riveraines lorsque
la rapidité du déplacement est une condition de la satisfaction des

besoins de ces habitants» (ibid., par. 156, point 1 g)).

La Cour a abouti à cette conclusion au profit des quelque 450 person-
nes concernées «compte tenu du caractère très difficile des déplacements
à l’intérieur des terres» (ibid., par. 78). Je suis, tout autant que la Cour,
sensible aux considérations humanitaires qui sont à l’origine de cette
décision. Mais je me dois de constater qu’elle n’a aucune base juridique.

La Cour a reconnu elle-même que l’article VI du traité ne pouvait justi-
fier une telle solution (ibid., par. 75). Elle semble avoir renoncé à fonder
cette solution sur une coutume contra legem qui au surplus n’est pas éta-
blie. Elle a précisé qu’il n’avait pu être dans l’intention des auteurs du
traité de dénier ce droit aux habitants de la rive costa-ricienne du fleuve.

Evoquant en outre le but et l’objet du traité, elle a estimé que le droit en
cause pouvait être déduit de ce traité pris dans son ensemble et notam-
ment de son préambule et de la manière dont il définit la frontière en son
article II (ibid., par. 79).
Ce raisonnement me paraît extrêmement fragile. Le traité de 1858 pro-

clame certes en son préambule la volonté des parties de:
«celebrar un tratado de límites entre ambas Repúblicas, que ponga

término á las diferencias que han retardado la mejor y mas perfecta
inteligencia y armonía que deben reinar entre ellas, para su común
seguridad y engrandecimiento».

Souhaitant améliorer leurs relations, les Parties ont pour ce motif conclu
un traité qui avait un unique objet: fixer leurs frontières. Selon son titre
même, le traité de 1858 est un traité de limites. Dans la zone en cause en
l’espèce, l’article II du traité fixe la frontière à la rive droite du fleuve et

reconnaît au Costa Rica un droit de libre navigation seulement à des fins
de commerce (ibid., par. 61). L’intention commune des auteurs du traité
telle que reflétée dans le texte ne permet pas d’aboutir à une solution
directement contraire à ce texte et de reconnaître au Costa Rica le droit
de naviguer à des fins non commerciales en territoire nicaraguayen.

Aussi bien la Cour a-t-elle probablement été consciente de la fragilité
de son raisonnement puisqu’elle a soigneusement distingué entre les
droits perpétuels de libre navigation prévus à l’article VI et les droits de

navigation qu’elle a cru pouvoir créer au bénéfice de certains riverains
dans les circonstances présentes. En outre, elle a dans le dispositif de son

91arrêt enserré ces derniers droits dans des limites particulièrement strictes,
notamment en ce qui concerne les bateaux officiels.

Il n’en reste pas moins que cette solution est directement contraire au
texte même du traité. Tout au plus aurait-on pu déduire du préambule
de celui-ci et des principes généraux du droit international une obliga-
tion pour les deux Etats d’engager des négociations en vue de résoudre
les problèmes que les difficultés de communication terrestre posent

à l’heure actuelle aux populations riveraines.

R ÉGLEMENTATION DE LA NAVIGATION PAR LE N ICARAGUA

20. L’arrêt de la Cour reconnaît au Nicaragua le pouvoir de réglemen-
ter l’exercice par le Costa Rica du droit de libre navigation qu’il tient du
traité de 1858. En exerçant ce pouvoir, le Nicaragua ne doit pas rendre

impossible l’exercice par le Costa Rica de son droit de libre navigation ni
l’entraver de façon substantielle (arrêt, par. 87). Il doit notifier au
Costa Rica les mesures en cause une fois celles-ci adoptées, mais n’a pas
l’obligation d’informer ou de consulter le Costa Rica avant d’adopter de
telles mesures (ibid., par. 97). Sur tous ces points, je partage entièrement

les conclusions de la Cour.
Comme la Cour, j’estime aussi que le Nicaragua a le droit d’exiger que
les bateaux costa-riciens et leurs passagers fassent halte aux premier et
dernier postes nicaraguayens situés sur leur trajet le long du fleuve. Je
suis également en accord avec la Cour pour ce qui est de l’achat des

cartes de touriste, de la délivrance des certificats d’appareillage, des
horaires de navigation et de l’usage des pavillons.
Je pense enfin, comme la Cour, que le Nicaragua est en droit d’exiger
la présentation d’un passeport ou d’un document d’identité par les bate-
liers naviguant sur le fleuve et par les personnes transportées sur les

bateaux.
21. Je suis en revanche au regret de me séparer de la Cour pour ce qui
est des visas.
L’arrêt souligne que la délivrance de tels visas présente un caractère
discrétionnaire. Il en déduit que le Nicaragua ne saurait imposer aux

bateliers et aux personnes transportées l’obligation d’être munies d’un
visa. En effet, selon la Cour, si ce visa leur était refusé, la liberté de navi-
gation serait entravée (ibid., par. 115).
Ce raisonnement appelle deux observations. En premier lieu, et comme
il a déjà été précisé, seuls les bateaux costa-riciens et leurs bateliers béné-

ficient d’un droit de libre navigation à des fins commerciales sur le río
San Juan. Les personnes transportées sur ces bateaux ne jouissent pas
d’un tel droit. Par suite, et en tout état de cause, le Nicaragua peut exiger
que ces personnes soient munies de visas.

En second lieu, le droit de subordonner l’entrée d’un étranger sur le
territoire national est l’une des prérogatives les mieux établies de la sou-

92veraineté. L’arrêt le reconnaît d’ailleurs en précisant que le Nicaragua,

après avoir vérifié l’identité des personnes souhaitant s’engager sur le
San Juan, est en droit de refuser à certaines d’entre elles l’entrée sur le
fleuve pour des raisons liées au maintien de l’ordre ou à la protection de
l’environnement. L’arrêt ajoute que cette analyse pourrait valoir égale-

ment en cas d’urgence (par. 118).
Dans ces hypothèses, le Nicaragua est ainsi en droit de refuser à cer-
taines personnes l’accès à son territoire. Il pourrait même à l’avance com-
muniquer au Costa Rica la liste nominative des personnes dont la pré-

sence sur le fleuve lui paraîtrait indésirable pour les raisons précisées par
la Cour.
Cette solution n’est pas sans mérites, mais il aurait été probablement
plus simple de reconnaître au Nicaragua le droit d’exiger des visas pour

entrer sur le fleuve. La Cour aurait pu en outre observer qu’en appliquant
la réglementation sur les visas, comme les autres réglementations perti-
nentes, le Nicaragua ne doit pas rendre impossible l’exercice par le
Costa Rica de son droit de libre navigation ni l’entraver de façon subs-

tantielle (ibid., par. 87). Pour ce faire, il aurait pu mettre en place des
procédures appropriées (par exemple visas de longue durée ou délivrance
de visas sur place). Je regrette que la Cour ne se soit pas orientée dans
cette direction.

22. Pour ce qui est de la pêche de subsistance, la Cour estime établie
l’existence d’une coutume pour la pêche pratiquée depuis la rive, mais
non à bord de bateaux, que ceux-ci soient amarrés ou qu’ils naviguent sur
le fleuve.

La recevabilité des conclusions présentées sur ce point par39e Costa Rica
me paraît très douteuse et la coutume invoquée incertaine . Toutefois, je
me suis rallié à la solution retenue dans les circonstances très particulières
relevées par la Cour dans son arrêt, qui ne saurait, sur ce point, avoir

valeur de précédent.
23. Au total, l’arrêt accueille nombre des conclusions du Costa Rica
concernant l’étendue et la portée du droit de libre navigation de ce pays
sur le río San Juan. Il reconnaît par ailleurs au Nicaragua un large pou-

voir de réglementation. Encore qu’il ne recueille pas mon accord complet,
je ne puis qu’exprimer l’espoir qu’il permettra aux deux pays de surmon-
ter les difficultés qu’ils ont rencontrées dans le passé sur le fleuve.

(Signé) Gilbert G UILLAUME .

39Voir Droit d’asile (Colombie/Pérou), arrêt, C.I.J. Recueil 1950 , p. 276-277; Droit de
passage sur territoire indien (Portugal c. Inde), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1960 ,p.39;
Plateau continental de la mer du Nord (République fédérale d’Allemagne/Danemark;
République fédérale d’Allemagne/Pays-Bas), arrêt, C.I.J. Recueil 1969 ,p.44.

93

Bilingual Content

DÉCLARATION DE M. LE JUGE AD HOC GUILLAUME

Statut du río San Juan — Traité du 26 avril 1858 — Absence de droit cou-

tumier des fleuves internationaux applicable — Frontière fixée à la rive — Sou-
veraineté exclusive, pleine et entière du Nicaragua.
Etendue du droit de libre navigation à des fins commerciales du Costa
Rica — Effet du passage du temps sur l’interprétation des traités — Commune
volonté des Parties — Interprétation restrictive des exceptions apportées par le
traité de 1858 à la souveraineté territoriale du Nicaragua.
Bateliers seuls bénéficiaires du droit de libre navigation — Nécessité pour eux
de se livrer à une activité commerciale — Activité commerciale ou non des pas-
sagers sans influence sur les droits de libre navigation.

Absence de droit des riverains et des pouvoirs publics à naviguer pour des fins
non commerciales.
Pouvoir de réglementation du Nicaragua — Droit de subordonner l’entrée sur

son territoire à la délivrance de visas.

1. Je souscris à nombre des conclusions auxquelles est parvenue la
Cour. Je souhaiterais cependant présenter ici quelques observations et
préciser en quoi je me sépare sur certains points de la décision adoptée.

LE DROIT APPLICABLE

2. La Cour a estimé que le différend opposant le Costa Rica et le Nica-
ragua en ce qui concerne les droits de navigation sur le río San Juan
devait être tranché exclusivement sur la base du traité conclu entre les
deux Etats le 26 avril 1858.
La Cour en a déduit qu’il n’était pas nécessaire pour elle de se pronon-

cer sur la question de savoir si le río San Juan pouvait être qualifié de
«fleuve international» en droit international coutumier et s’il existait un
régime coutumier applicable à la navigation sur les «fleuves internatio-
naux», soit de portée universelle, soit de caractère régional.
3. Ces constatations ont mon complet accord. Je pense cependant
devoir ajouter qu’il n’existe en droit international coutumier aucune défi-

nition des «fleuves internationaux» et aucun régime gouvernant la navi-
gation sur de tels fleuves. Certains d’entre eux sont par convention
ouverts à la navigation des navires marchands de tous les Etats et parfois
administrés par des commissions fluviales ayant des pouvoirs étendus.
D’autres sont ouverts à la seule navigation des bateaux des Etats rive-

rains avec ou sans constitution de commissions fluviales. D’autres enfin
ne sont pas ouverts à la navigation internationale et relèvent de la seule
souveraineté des Etats riverains. En outre, le statut de ces fleuves en ce

81 DECLARATION OF JUDGE AD HOC GUILLAUME

[Translation]

Status of the San Juan River — Treaty of 26 April 1858 — No applicable
customary law of international rivers — Boundary fixed along the bank —
Nicaragua’s exclusive, full and undivided sovereignty.
Extent of Costa Rica’s right of free navigation for commercial purposes —
Effect of the passage of time on the interpretation of treaties — Joint intent of
the Parties — Restrictive interpretation of the qualifications under the 1858
Treaty on Nicaragua’s territorial sovereignty.
Boat operators the sole beneficiaries of the right of free navigation —
Requirement that they be carrying out a commercial activity — Commercial or
non-commercial nature of passengers’ activity without effect on the rights of
free navigation.

No right of riparians or governmental entities to navigate for non-commercial
purposes.
Nicaragua’s power to regulate — Right to condition entry into its territory on
possession of a visa.

1. I subscribe to many of the conclusions reached by the Court. I wish
however to make several remarks and to explain my disagreement with
the decision on certain points.

T HE A PPLICABLE LAW

2. The Court has considered that the dispute between Costa Rica and
Nicaragua concerning navigational rights on the San Juan River must be
settled solely on the basis of the Treaty entered into by the two States on

26 April 1858.
From this the Court has reasoned that there is no need to rule on the
questions of whether the San Juan can be characterized as an “interna-
tional river” under customary international law or whether there is a
customary régime, either universal or regional in nature, applicable to

navigation on “international rivers”.
3. I am in full agreement with these findings but deem it appropriate to
add that customary international law offers no definition of “interna-
tional rivers” and no régime governing navigation on such rivers. Some
are open by convention to navigation by merchant ships of all States and

in some instances are administered by river commissions endowed with
extensive powers. Others are open only to navigation by vessels of the
riparian States with or without river commissions having been set up.
Lastly, others are not open to international navigation and remain entirely

under the sovereignty of the riparian States. Further, in respect of
matters such as upkeep works on the river, fishing, policing navigation,

81qui concerne leur entretien, la pêche, la police de la navigation, la protec-

tion de l’environnement, la construction de barrages ou l’irrigation est
extrêmement divers.
On observera qu’à cet égard la situation conventionnelle est d’ailleurs

différente en Amérique latine de ce qu’elle est en Europe. Comme le sou-
lignait le juriste chilien Alejandro Alvarez à la conférence de Barcelone:

«Sur le continent américain, le principe de libre navigation des

fleuves n’a pas suivi la même évolution [qu’en Europe ou en
Afrique]: s’il y a été admis, c’est non pas par extension du principe
européen, mais comme une concession que les Etats riverains ont

volontairement octroyée dans des accords inter partes ou dans des
actes législatifs.»

Aussi le professeur Caflisch, dans son cours à l’Académie de droit
international, pouvait-il relever qu’il n’existe en Amérique latine aucun

«principe coutumier» consacrant la liberté de navigation et conclure que,
sur ce continent, «il n’existe pas de liberté de navigation en l’absence
2
de concession unilatérale ou de disposition conventionnelle» . Les Etats
latino-américains, ajoutait-il, «continuent à faire dépendre la libre navi-
gation de la législation de chaque pays riverain et des traités conclus par
3
eux» .
L’examen des quelques conventions conclues dans cette région du
monde conduit aux mêmes conclusions, que l’on considère les statuts de
4
l’Amazone, du Paraná ou du río de la Plata .

L A SOUVERAINETÉ DU N ICARAGUA SUR LE FLEUVE SAN JUAN

4. Comme l’a précisé la Cour, l’essentiel du différend entre les Parties

porte sur l’interprétation de l’article VI du traité de limites du 15 avril
1858. Dans sa version espagnole, la seule qui fasse foi, ce texte se lit
comme suit:

«La República de Nicaragua tendrá exclusivamente el dominio y

sumo imperio sobre las aguas del río de San Juan desde su salida del
Lago, hasta su desembocadura en el Atlántico; pero la República de

Costa Rica tendrá en dichas aguas los derechos perpetuos de libre

1Cité par L. Caflisch, «Règles générales du droit des cours d’eau internationaux»,
Recueil des cours de l’Académie de droit international de La Haye , t. 219 (1989), p. 117.
Voir aussi la sentence arbitrale rendue dans l’affaire Faber, Recueil des sentences arbi-
trales des Nations Unies (RSA) , vol. X, p. 466.
2
3L. Caflisch, op. cit., p. 125.
4L. Caflisch, op. cit., p. 123.
Pour l’Amazone, voir le traité conclu à Brasilia le 3 juillet 1978 entre la Bolivie, le
Brésil, la Colombie, l’Equateur, le Guyana, le Pérou, le Suriname et le Venezuela; pour
le Paraná, voir l’accord de 1979 entre l’Argentine, le Brésil et le Paraguay; pour le río de
la Plata, voir le traité conclu à Montevideo entre l’Argentine et l’Uruguay le 19 no-
vembre 1973.

82environmental protection, dam-building and irrigation, the statuses of

these rivers vary greatly.

The treaty position in this respect is different in Latin America and

Europe. As pointed out by the Chilean jurist Alejandro Alvarez at the
Barcelona Conference:

“On the American continent, the principle of free navigation on

rivers has not developed in the same way [as in Europe or Africa];
while it has been accepted there, that has not been by way of exten-
sion of the European principle but as a concession voluntarily granted

by the riparian States in inter partes agreements or legislative acts.”
[Translation by the Registry.] 1

Accordingly, Professor Caflisch in his course at the Academy of Inter-
national Law noted that there was no “customary principle” in Latin

America laying down freedom of navigation and concluded that on that
continent “there is no freedom of navigation in the absence of a unilat-
2
eral concession or a treaty provision” . Latin American States, he added,
“continue to make free navigation conditional on the legislation of ripar-
ian States and on treaties entered into by them” . 3

The same conclusions follow from an examination of the few conven-
tions concluded in that part of the world, be it in regard to the status of
4
the Amazon, the Paraná or the Río de la Plata .

N ICARAGUA ’SS OVEREIGNTY OVER THE SAN JUAN R IVER

4. As explained by the Court, the crux of the dispute between the

Parties concerns the interpretation of Article VI of the Treaty of Limits
of 15 April 1858. In its Spanish version, the only authoritative one, the
article reads as follows:

“La República de Nicaragua tendrá exclusivamente el dominio y

sumo imperio sobre las aguas del río de San Juan desde su salida del
Lago, hasta su desembocadura en el Atlántico; pero la República de

Costa Rica tendrá en dichas aguas los derechos perpetuos de libre

1Quoted by L. Caflisch, “Règles générales du droit des cours d’eau internationaux”,
Collected Courses of the Hague Academy of International Law , 1989, Vol. 219, p. 117. See
also the arbitral award in the Faber Case, United Nations, Reports of International Arbi-
tral Awards (RIAA), Vol. X, p. 466.
2
3L. Caflisch, op. cit., p. 125 [translation by the Registry] .
4L. Caflisch, op. cit., p. 123 [translation by the Registry] .
In respect of: the Amazon, see the Treaty concluded at Brasilia on 3 July 1978 by
Bolivia, Brazil, Colombia, Ecuador, Guyana, Peru, Suriname and Venezuela; the Paraná,
see the 1979 Agreement between Argentina, Brazil and Paraguay; the Río de la Plata, see
the Treaty concluded at Montevideo by Argentina and Uruguay on 19 November 1973.

82 navegación, desde la expresada desembocadura hasta tres millas

inglesas antes de llegar al Castillo Viejo, con objetos de comercio, ya
sea con Nicaragua ó al interior de Costa Rica por los ríos de San
Carlos ó Sarapiquí, ó cualquiera otra vía procedente de la parte que

en la ribera del San Juan se establece corresponder á esta República.
Las embarcaciones de uno ú otro país podrán indistintamente atra-
car en las riberas del río, en la parte en que la navegación es común,

sin cobrarse ninguna clase de impuestos, á no ser que se establezcan
de acuerdo entre ambos Gobiernos.»

5. Ainsi, l’article VI reconnaît au Nicaragua et à lui seul la pleine et
entière souveraineté sur le fleuve San Juan. Ce dernier est intégralement

en territoire nicaraguayen depuis le lac Nicaragua jusqu’à 3 milles en aval
de Castillo Viejo. Il forme ensuite la frontière entre les deux Etats, mais
n’en demeure pas moins alors en territoire nicaraguayen. Dans ce secteur,

la frontière est fixée à la rive costa-ricienne. Il en est ainsi jusqu’à
l’embouchure du fleuve dans l’Atlantique. La baie de San Juan del Norte
à l’embouchure du fleuve est toutefois commune aux deux républiques

(article 4 du traité).
Le traité de 1858 ne retient donc ni la ligne médiane ni le thalweg du
río San Juan pour déterminer la frontière. Il fixe celle-ci à la rive sud du

fleuve.
6. Il n’est pas inutile de noter que cette solution, contrairement à ce
que l’on pourrait penser, n’est pas rare et se rencontre en particulier dans

de nombreux traités anciens, dont le plus célèbre fut le traité d’Erzeroum
de 1847, qui donnait à la Perse accès au Chatt al-Arab tout en attribuant
à l’Empire ottoman souveraineté sur ce dernier . 5

Nombre de ces traités sont toujours en vigueur, par exemple:

— entre la Suisse et la Franc6 pour le Foron, la Morge, l’Eau Noire, la
Barberine et le Doubs ;

5
Selon ce traité, l’Empire ottoman avait souveraineté sur le Chatt al-Arab lui-même et
la Perse avait souveraineté sur la «rive gauche» du Chatt al-Arab. Le traité ajoutait en
son article 2, paragraphe 8, que les navires persans auraient le droit de naviguer librement
sur le Chatt al-Arab. La même solution fut retenue pour l’essentiel par le traité de 1937
entre l’Iran et l’Iraq. En outre, ce dernier traité étendait la liberté de navigation aux
navires marchands de tous les Etats. Cependant, l’Iran répudiera en 1969 le traité de 1937.
Un nouvel accord interviendra en 1975 fixant la frontière au thalweg tout en maintenant
la liberté de navigation. Il sera «abrogé» par l’Iraq en 1980, puis celui-ci acceptera en
1990 de revenir à la solution de 1975 (voir «River Boundaries. Legal Aspects of the Shatt-
al-Arab Frontier», International and Comparative Law Quarterly, avril 1960, p. 207;
D. Momtaz, «Le statut juridique du Chatt el-Arab dans sa perspective historique», dans
Actualités juridiques et politiques en Asie. Etudes à la mémoire de Tran Van Minh , 1988,
p. 59).
6 Convention du 20 juin 1780 entre la France et le prince-évêque de Bâle (Parry, Con-
solidated Treaty Series (CTS) , vol. 47, 1778-1781, p. 331); traité du 16 mars 1816 (CTS,

vol. 65, p. 447); convention franco-suisse du 10 juin 1891 (CTS, vol. 175, p. 169). Voir
Rousseau, Droit international public , t. III, par. 212.

83 navegación, desde la expresada desembocadura hasta tres millas

inglesas antes de llegar al Castillo Viejo, con objetos de comercio, ya
sea con Nicaragua ó al interior de Costa Rica por los ríos de San
Carlos ó Sarapiquí, ó cualquiera otra vía procedente de la parte que

en la ribera del San Juan se establece corresponder á esta República.
Las embarcaciones de uno ú otro país podrán indistintamente atracar
en las riberas del río, en la parte en que la navegación es común, sin

cobrarse ninguna clase de impuestos, á no ser que se establezcan de
acuerdo entre ambos Gobiernos.”

5. Thus, Article VI grants Nicaragua, and it alone, full and undivided
sovereignty over the San Juan River. The river lies entirely in Nicaraguan

territory from Lake Nicaragua to a point 3 miles downstream of Castillo
Viejo. From there it forms the boundary between the two States, but never-
theless remains in Nicaraguan territory. In this area the boundary is

fixed along the Costa Rican bank. This is the case all the way to the riv-
er’s mouth in the Atlantic. The bay of San Juan del Norte, at the mouth
of the river, is however common to the two republics (Article 4 of the

Treaty).
The 1858 Treaty thus uses neither the median line nor the thalweg of
the San Juan to set the boundary, which it fixes as the southern bank of

the river.
6. It bears noting that, contrary to what one might expect, arrange-
ments of this type are not uncommon; specifically, they are to be found

in many old treaties, the most famous of which being the Treaty of Erze-
roum of 1847, granting Persia access to the Shatt-al-Arab while awarding
sovereignty over it to the Ottoman Empire . 5

Many such treaties are still in force, such as those between:

— Switzerland and France in respect of the Fo6on, the Morge, the Eau
Noire, the Barberine and the Doubs ;

5
Under this Treaty, the Ottoman Empire held sovereignty over the Shatt-al-Arab itself
and Persia held sovereignty over the “left bank” of the Shatt-al-Arab. Art. 2, para. 8, of
the Treaty added that Persian vessels would have the right freely to navigate on the Shatt-
al-Arab. The same solution was for the most part adopted in the 1937 Treaty between
Iran and Iraq. Further, this latter treaty extended freedom of navigation to merchant ves-
sels of all States. However, in 1969 Iran repudiated the 1937 Treaty. A new agreement was
reached in 1975, fixing the thalweg as the boundary while maintaining freedom of naviga-
tion. Iraq “abrogated” this agreement in 1980 but then agreed in 1990 to return to the
1975 arrangement. (See “River Boundaries, Legal Aspects of the Shatt-al-Arab Frontier”,
International and Comparative Law Quarterly , April 1960, p. 207; D. Momtaz, “Le statut
juridique du Chatt-al-Arab dans sa perspective historique”, in Actualités juridiques et
politiques en Asie. Etudes à la mémoire de Tran Van Minh , 1988, p. 59).

6 Agreement of 20 June 1780 between France and the Prince Bishop of Basel (Parry,
Consolidated Treaty Series (CTS) , Vol. 47, 1778-1781, p. 331); Treaty of 16 March 1816

(CTS, Vol. 65, p. 447); Convention between France and Switzerland of 10 June 1891
(CTS, Vol. 175, p. 169). See Rousseau, Droit international public , Vol. III, para. 212.

83 7
— entre la Gambie et le Sénégal pour le San Pedro et le Tendo ;
— entre le Sénégal et la Mauritanie pour le fleuve Sénégal ; 8
— entre le Libéria et la Côte d’Ivoire pour une série de rivières ; 9
10
— entre la Malaisie et l’Indonésie pour l’Odong ;
— entre l’Afghanistan et le Pakistan pour les rivières Kaboul et Kolos-
11
saï ;
— entre le Guatemala et le Honduras pour le río Tinto . 12

La frontière à la rive a également été retenue dans certains Etats fédé-

raux. Il en est ainsi en Suisse entre les cantons de Zurich et de Schaff-
house pour une partie du cours du Rhin , ainsi qu’entre les cantons de
14
Berne et d’Argovie pour la Rothbach . De même, aux Etats-Unis, la
frontière entre la Virginie et le district de Columbia est fixée à la rive de
15
la Virginie . Des solutions analogues ont été retenues entre l’Alabama et
la Géorgie comme entre le Vermont et le New Hampshire . C’est dire 16

que le traité de 1858 ne constitue pas un cas isolé et qu’il convient de
l’interpréter dans cette perspective.

L E DROIT DE LIBRE NAVIGATION DU C OSTA R ICA

7. Après avoir ainsi reconnu la souveraineté du Nicaragua sur le río
San Juan, le traité de 1858 accorde certains droits de navigation au

Costa Rica sur la partie du fleuve contiguë au territoire costa-ricien.
Il s’agit de droits perpétuels «de libre navegación con objetos de

comercio».
8. Les Parties ont longuement discuté au dossier du sens des termes

«con objetos» et «comercio» utilisés à l’article VI.
Je souscris entièrement à l’interprétation donnée par la Cour aux mots
«con objetos». Dans le contexte, ceux-ci couvrent la navigation à des fins

commerciales et non le seul transport des marchandises.
Le mot «comercio» soulève des questions plus délicates. En effet, le

7 Procès-verbal franco-britannique du 9 juin 1891 (Ian Brownlie, African Boundaries,

p.8219).
Décret du 8 décembre 1933 (JOAOF, 1934, p. 69), mentionné par Ian Brownlie
(op. cit., p. 433).
9 Déclaration franco-libérienne du 13 janvier 1911 (CTS, vol. 213, p. 213), confirmée
après l’indépendance de la Côte d’Ivoire en 1961 (I. Brownlie, op. cit., p. 369).
10 Traité du 29 mars 1928 (Société des Nations, Recueil des traités, vol. 108, p. 33).

11
Traité du 22 novembre 1921 (Société des Nations, Recueil des traités, vol. 14, p. 67).

12 Sentence arbitrale du 23 janvier 1933 (RSA, vol. II, p. 1365).
13 Traité du 11 janvier 1901, article 5 cité par Schultess, Das Internationale Wasser-

re14t, Zurich, 1916, p. 10.
Ibid., p. 8, note 8.
15 Virginia c. District of Columbia , 283 US 348.
16 Voir Alabama c. Georgia, 23 Howard, 505-515 (1859); Vermont c. New Hampshire
(Cour suprême des Etats-Unis, 19 mai 1933, 289 US 593-603).

84 7
— the Gambia and Senegal in respect of the San Pedro and the Tendo ;
— Senegal and Mauritania in respect of the Senegal River ; 8
— Liberia and Côte d’Ivoire in respect of a number of rivers ; 9
10
— Malaysia and Indonesia in respect of the Odong ;
— Afghanistan and Pakistan in respect of the Kabul and Kolossai
11
Rivers ;
— Guatemala and Honduras in respect of the Tinto River . 12

Federal States have also opted for fixing boundaries along river banks.

This is so in Switzerland between the cantons of Zurich and Schaffhausen
along a segment of the Rhine 13 and between the cantons of Berne and
14
Aargau along the Rothbach . The same holds true in the United States,
where the border between Virginia and the District of Columbia is fixed
15
on the Virginia bank . Analogous solutions were obtained between
Alabama and Georgia and between Vermont and New Hampshire . 16

This is to say that the 1858 Treaty is not an isolated example and should
be interpreted with this in mind.

C OSTA R ICA’S R IGHT OF F REE N AVIGATION

7. After thus recognizing Nicaragua’s sovereignty over the San Juan
River, the 1858 Treaty grants Costa Rica certain rights of navigation on

the part of the river bordering Costa Rican territory. These are perpetual
rights “de libre navegación con objetos de comercio”.

8. The record contains lengthy argument by the Parties over the mean-

ing of “con objetos” and “comercio” as used in Article VI.
I fully share the Court’s interpretation of the phrase “con objetos”. In
the context this covers navigation for commercial purposes, not only the

transport of goods.
Tougher questions are raised by “comercio”. Nicaragua has main-

7 Procès-verbal between Britain and France of 9 June 1891 (Ian Brownlie, African

Bo8ndaries, p. 219).
Decree of 8 December 1933 (JOAOF, 1934, p. 69), cited by Ian Brownlie, (op. cit.,
p. 433).
9 Declaration by France and Liberia of 13 January 1911 (CTS, Vol. 213, p. 213), con-
firmed after the independence of Côte d’Ivoire in 1961 (I. Brownlie, op. cit., p. 369).
10Treaty of 29 March 1928 (League of Nations, Treaty Series (LNTS), Vol. 108,

p.113).
Treaty of 22 November 1921 (League of Nations, Treaty Series (LNTS), Vol. 14,
p. 67).
12Arbitral Award of 23 January 1933 (United Nations, RIAA, Vol. II, p. 1365).
13Treaty of 11 January 1901, Art. 5, cited by Schultess, Das Internationale Wasser-

re14t, Zurich, 1916, p. 10.
Ibid., p. 8, Note 8.
15Virginia v. District of Columbia, 283 US 348.
16See Alabama v. Georgia, 23 Howard 505-515 (1859); Vermont v. New Hampshire
(United States Supreme Court, 19 May 1933, 289 US 593-603).

84Nicaragua a soutenu qu’en 1858 ce terme signifiait nécessairement com-

merce de biens et n’englobait pas les services, et notamment le transport
des personnes et tout particulièrement des touristes. Selon lui, ce sens
étroit devrait être retenu. Le Costa Rica expose à l’inverse que dès 1858

et a fortiori aujourd’hui le transport de passagers, et notamment de tou-
ristes, constitue une activité commerciale.
9. La question de l’effet du passage du temps sur l’interprétation des

traités a fait l’objet de débats animés en doctrine entre les partisans de
l’interprétation «contemporaine» (dite encore du renvoi fixe) et ceux de

l’interprétation «évolutive» (dite encore du renvoi mobile). C’est ainsi
qu’au sein de la Commission du droit international «le principe de la
contemporanéité a reçu quelque soutien de même que l’approche évolu-
17
tive» . Un consensus semble cependant s’être dégagé sur le fait qu’il
convient de résoudre le problème grâce à l’application des méthodes ordi-
naires d’interprétation des traités . Toutefois la discussion s’est pour-

suivie dans cette perspective sur la question de savoir si l’article 31,
paragraphe 3 c), de la convention de Vienne renvoyait aux «règles en
vigueur au moment où le traité a été adopté ou pouvait aussi viser des
19
traités conclus postérieurement» .
L’Institut de droit international a connu également de vifs débats sur
le sujet à Wiesbaden en 1975. Il s’est notamment interrogé sur le rôle

que «le système juridique international en vigueur au moment de l’inter-
prétation et de l’application d’un traité» doit jouer dans cette interpré-
tation ou cette application 20. Il a finalement adopté sur ce point une

formulation de compromis. Mais il n’en a pas moins retenu lui aussi le
principe selon lequel

«Lorsqu’une disposition conventionnelle se réfère à une notion ju-
ridique ou autre sans la définir, il convient de recourir aux méthodes

habituelles d’interprétation pour déterminer si cette notion doit
être comprise dans son acception au moment de l’établissement de la
disposition ou dans son acception au moment de l’application.» 21

10. La jurisprudence semble se rallier à cette méthode, encore qu’elle

ne soit pas toujours aisée à décrypter.
Elle proclame constamment «la nécessité primordiale d’interpréter un

17
18Rapport de la Commission du droit international, 2005, p. 217.
Ibid., 2006, p. 434.
19Ibid., 2005, p. 218.
20Voir dans les délibérations de l’Institut les déclarations de M. Sorensen (p. 343 et
354), de sir Gerald Fitzmaurice (p. 347 et 357) et de M. Yasseen (p. 349). Voir aussi les
votes intervenus (p. 370).
21Résolution de l’Institut de droit international de Wiesbaden du 11 août 1975 sur «Le
problème dit du droit intertemporel dans l’ordre international», Annuaire de l’Institut,
1975, vol. 56, p. 536, par. 4.

85tained that in 1858 this term necessarily meant trade in goods and did not

cover services, including the transport of persons generally or tourists
specifically. In its view, this narrow meaning must prevail. Costa Rica has
argued to the contrary, that the carriage of passengers, tourists in par-

ticular, was a commercial activity even in 1858, and a fortiori remains
one today.

9. The question of the effect of the passage of time on treaty interpre-
tation has been the subject of spirited debate in the literature between
proponents of “contemporaneous” (also called “fixed reference”) inter-

pretation and advocates of “evolutionary” (also called “mobile refer-
ence”) interpretation. Thus, within the International Law Commission
“there was support for the principle of contemporaneity as well as the
17
evolutive approach” , but a consensus seems to have emerged to the
effect that the problem should be resolved through the application of
ordinary methods of treaty interpretation . The discussion from this

viewpoint did however continue on the question of whether Article 31,
paragraph 3 (c), of the Vienna Convention referred to “rules in force

when the treaty was adopted or could be extended to also cover subse-
quent treaties” .19
The subject also gave rise to lively discussion within the Institut de

droit international at Wiesbaden in 1975. Among other things, the Insti-
tut considered the role to be played in the interpretation or application of
a treaty by “the international legal system in effect when [the] treaty is
20
interpreted or applied” [translation by the Registry] . Compromise
wording was ultimately adopted on this point, but the Institut neverthe-
less also upheld the principle that:

“Wherever a provision of a treaty refers to a legal or other con-

cept without defining it, it is appropriate to have recourse to the
usual methods of interpretation in order to determine whether the
concept concerned is to be interpreted as understood at the time

when the provision was drawn up or as understood at the time of its
application.” 21

10. While not always easy to decipher, the case law would appear to
support this approach.

It consistently proclaims “the primary necessity of interpreting an

17Report of the International Law Commission, 2005, p. 220.
18Ibid., 2006, p. 414.
19Ibid., 2005, p. 220.
20
In the deliberations of the Institut see the statements by Mr. Sorensen (pp. 343 and
354), Sir Gerald Fitzmaurice (pp. 347 and 357) and Mr. Yasseen (p. 349). See also the
votes cast (p. 370).
21Resolution of the Institut de droit international,session of Wiesbaden,
11 August 1975, on the “Intertemporal Problem in Public International Law”, Annuaire
de l’Institut, 1975, Vol. 56, p. 536, para. 4. [English translation by the Institut de droit
international.]

85instrument donné conformément aux intentions qu’ont eues les parties
22
lors de sa conclusion» .
Mais, sur cette base, elle se prononce en faveur tantôt de l’interpréta-

tion contemporaine, tantôt de l’interprétation évolutive.
11. Pour les premiers cas, on relèvera:

a) que la Cour, en 1952, a interprété le mot «différend» en lui donnant
le sens qu’il avait au moment où avaient été conclus les traités de

1787 et 1836 entre les Etats-Unis et le Maroc en vue de la protection
de leurs ressortissants ; 23

b) qu’il en a été de même pour les mots «water-parting» dans l’affaire
soumise à arbitrage de La Laguna del desierto 24;
c) que la Cour, dans l’affaire de l’Ile de Kasikili/Sedudu (Botswana/

Namibie), a estimé que, compte tenu de l’époque où le traité anglo-
allemand de 1890 avait été conclu, les termes «centre du chenal

principal» du Chobe et «thalweg» du Chobe devaient être regardés
comme équivalents» ; 25
d) que le tribunal arbitral chargé de la délimitation de la frontière entre

l’Erythrée et l’Ethiopie a dans sa sentence du 13 avril 2002 estimé
qu’il devait interpréter les traités à appliquer «by reference to the cir-

cumstances prevailing when the treaty was concluded. This involves
giving expressions (including names) used in the treaty the meaning
that they would have possessed at that time» ; 26

e) qu’en vue de déterminer «l’embouchure» de l’Ebedji dans le lac
Tchad, la Cour a estimé qu’«aux fins d’interpréter cette expression»,
27
elle «doit rechercher quelle était l’intention des parties à l’époque» .

12. A l’inverse, il a été recouru à l’interprétation évolutive dans les
espèces suivantes:

a) Dans l’avis consultatif sur le Sud-Ouest africain déjà cité, la Cour a
dit devoir tenir compte

«de ce que les notions consacrées par l’article 22 du Pacte [de la
Société des Nations] — «les conditions particulièrement difficiles du
monde moderne» et «le bien-être et le développement» des peuples

22 Conséquences juridiques pour les Etats de la présence continue de l’Afrique du Sud en
Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité,
avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971 , p. 31, par. 53.
23 Droits des ressortissants des Etats-Unis d’Amérique au Maroc (France c. Etats-Unis

d’24érique), arrêt, C.I.J. Recueil 1952 , p. 189.
Affaire concernant un litige frontalier entre la République argentine et la République
du Chili portant sur la délimitation de la frontière entre le poste frontière 62 et le mont
Fitzroy, 21 octobre 1994 (Nations Unies, RSA, vol. XXII, p. 43, par. 130).
25 Ile de Kasikili/Sedudu (Botswana/Namibie), arrêt, C.I.J. Recueil 1999 (II) , p. 1062,
par. 25.
26 Sentence arbitrale du 13 avril 2002 concernant la délimitation de la frontière entre
l’Erythrée et l’Ethiopie (Nations Unies, RSA, vol. XXV, p. 110, par. 3.5).
27 Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c.

Nigéria; Guinée équatoriale (intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2002 , p. 346, par. 59.

86instrument in accordance with the intentions of the parties at the time of
22
its conclusion” .
But, proceeding on that basis, it sometimes favours contemporaneous

interpretation and sometimes evolutionary interpretation.
11. The following examples fall into the first category:

(a) in 1952 the Court interpreted “dispute” so as to give it the meaning
it had when the treaties of 1787 and 1836 were concluded by the

United States and Morocco for the purpose of protecting their
nationals ;3

(b) the same was true for the term “water-parting” in the Laguna del
desierto arbitration ;24
(c) in the Kasikili/Sedudu Island (Botswana/Namibia) case, the Court

considered that, taking into account the time when the 1890 Treaty
had been concluded by Great Britain and Germany, the terms “cen-

tre of the main channel” of the Chobe and “thalweg” of the Chobe
should be regarded as equivalent ; 25
(d) in its award of 13 April 2002, the arbitral tribunal asked to delimit

the border between Eritrea and Ethiopia considered that it should
interpret the treaties to be applied “by reference to the circum-

stances prevailing when the treaty was concluded. This involves giv-
ing expressions (including names) used in the treaty the meaning
that they would have possessed at that time” ; 26

(e) in identifying the “mouth” of the Ebeji in Lake Chad, the Court
concluded that, “[i]n order to interpret this expression”, it “must
27
seek to ascertain the intention of the parties at the time” .

12. On the other hand, the evolutionary interpretation approach was
taken in the following instances:

(a) in the previously cited Advisory Opinion on South West Africa, the
Court said that it was bound to take into account

“the fact that the concepts embodied in Article 22 of the Covenant
[of the League of Nations] — ‘the strenuous conditions of the
modern world’ and ‘the well-being and development’ of the peoples

22Legal Consequences for States of the Continued Presence of South Africa in Namibia
(South West Africa) notwithstanding Security Council Resolution 276 (1970), Advisory
Opinion, I.C.J. Reports 1971 , p. 31, para. 53.
23Rights of Nationals of the United States of America in Morocco (France v. United

St24es of America), Judgment, I.C.J. Reports 1952 , p. 189.
Case concerning a boundary dispute between Argentina and Chile concerning the
delimitation of the frontier line between boundary post 62 and Mount Fitzroy, 21 Octo-
ber 1994 (United Nations, RIAA, Vol. XXII, p. 43, para. 130).
25Kasikili/Sedudu Island (Botswana/Namibia), Judgment, I.C.J. Reports 1999 (II) ,
p. 1062, para. 25.
26Arbitral decision of 13 April 2002 regarding delimitation of the border between Eri-
trea and Ethiopia (United Nations, RIAA, Vol. XXV, p. 110, para. 3.5).
27Land and Maritime Boundary between Cameroon and Nigeria (Cameroon v. Nigeria:

Equatorial Guinea intervening), Judgment, I.C.J. Reports 2002 , p. 346, para. 59.

86 intéressés — n’étaient pas statiques, mais par définition évolutives et

qu’il en allait de même par suite de la notion de «mission sacrée de
civilisation»» .28

b) Dans l’affaire du Plateau continental de la mer Egée , la Cour a rap-

pelé que l’acte général d’arbitrage de 1928 avait été conçu «comme
devant être de la portée la plus générale et sans limitation de durée».
Elle a ajouté qu’«il ne semble guère concevable que dans un instru-

ment semblable on ait voulu donner à des expressions comme «com-
pétence exclusive» et «statut territorial» un contenu invariable quelle
que soit l’évolution ultérieure du droit international» . 29

c) Dans l’affaire relative au Projet Gabc ˇíkovo-Nagymaros (Hongrie/
Slovaquie), la Cour a relevé que les articles 15, 19 et 20 du traité de

1977 entre le Hongrie et la Slovaquie comportaient «des dispositions
évolutives» concernant la protection de l’environnement et que par
suite de nouvelles normes en cette matière pouvaient être «incorpo-
30
rées dans le plan contractuel conjoint» des parties.
d) La sentence arbitrale dans l’affaire du «Rhin de fer» du 24 mai 2005
adopta, elle aussi, une interprétation évolutive du traité belgo-

néerlandais de 1839 en vue d’assurer une application effective de
ce texte, compte tenu de son objet et de son but . 31

13. Enfin, la sentence arbitrale du 31 juillet 1989 rendue entre la Guinée-
Bissau et le Sénégal fait une part tant à l’interprétation contempo-

raine qu’à l’interprétation évolutive. Elle précise tout d’abord que l’accord
franco-portugais de 1960 qui devait être appliqué en l’espèce «doit être
interprété à la lumière du droit en vigueur à la date de sa conclusion».

Elle en déduit que cet accord ne délimite pas «les espaces maritimes qui
n’existaient pas à cette date, qu’on les appelle zone économique exclusive,

zone de pêche ou autrement». Mais elle ajoute que le concept de «plateau
continental» existait quant à lui dès cette époque «et que sa limite était
dès 1959 susceptible de se déplacer vers le large». Elle en conclut qu’il

s’agissait là d’un «concept dynamique» et que par suite l’accord de 1960
règle la situation du plateau continental litigieux tel que défini par la suite
par la convention de Montego Bay . 32

14. Comme dans les cas ainsi analysés, la question en l’espèce est donc

28
Conséquences juridiques pour les Etats de la présence continue de l’Afrique du Sud en
Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité,
avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971 , p. 31, par. 53.
29Plateau continental de la mer Egée (Grèce c. Turquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1978 ,
p. 32, par. 77.
30Projet Gabˇíkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1997 ,p.67-
68, par. 112.
31Sentence arbitrale du 24 mai 2005 (RSA, vol. XXVII, p. 72-74, par. 79-81).

32Sentence arbitrale du 31 juillet 1989 (Guinée-Bissau c. Sénégal) (RSA, vol. XX,
p. 151-152, par. 85).

87 concerned — were not static, but were by definition evolutionary, as
28
also, therefore, was the concept of the ‘sacred trust’” ;

(b) in the Aegean Sea Continental Shelf case, the Court pointed out

that the 1928 General Act of Arbitration had been designed “to be
of the most general kind and of continuing duration”. It added: “it

hardly seems conceivable that in such a convention terms like
‘domestic jurisdiction’ and ‘territorial status’ were intended to have
a fixed content regardless of the subsequent evolution of interna-
29
tional law” ;
(c) in the case concerning Gabc ˇíkovo-Nagymaros Project (Hungary/
Slovakia), the Court observed that Articles 15, 19 and 20 of the

1977 Treaty between Hungary and Slovakia were made up of “evolv-
ing provisions” concerning environmental protection and that, as a
result, emerging norms in the area could be “incorporated in the
30
[Parties’] Joint Contractual Plan” ;
(d) in the arbitral award of 24 May 2005 in the “Iron Rhine” arbitra-

tion an evolutionary interpretation was also given to the 1839 Treaty
between Belgium and the Netherlands so as to ensure the effective
application of the text in light of its object and purpose . 31

13. Finally, elements of both contemporaneous interpretation and evo-

lutionary interpretation are found in the approach taken in the arbitral
award of 31 July 1989 in the case between Guinea-Bissau and Senegal.

The award first makes clear that the 1960 Agreement between France and
Portugal to be applied in the case “must be interpreted in light of the law
in effect at the date of its conclusion”. From that it is reasoned that the

Agreement does not delimit “maritime areas not in existence at that date,
be they called exclusive economic zones, fishing zones or otherwise”. But
the award adds that the concept of the “continental shelf” did exist at the

time “and that it was already possible in 1959 that its limit could be
moved seawards”. The arbitral tribunal then infers that this was a
“dynamic concept” and, accordingly, that the 1960 Agreement deter-

mines the position in respect of the disputed continental shelf as it was to
be defined subsequently by the Montego Bay Convention . 32

14. As in the cases thus analysed, the task in the present instance is

28Legal Consequences for States of the Continued Presence of South Africa in Namibia
(South West Africa) notwithstanding Security Council Resolution 276 (1970), Advisory
Opinion, I.C.J. Reports 1971 , p. 31, para. 53.
29Aegean Sea Continental Shelf (Greece v. Turkey), Judgment, I.C.J. Reports 1978 ,

p.302, para. 77.
Gabcˇíkovo-Nagymaros Project (Hungary/Slovakia), Judgment, I.C.J. Reports 1997 ,
pp. 67-68, para. 112.
31Arbitral Award of 24 May 2005 (United Nations, RIAA, Vol. XXVII, pp. 72-74,
paras. 79-81).
32Arbitral Award of 31 July 1989 (Guinea-Bissau v. Senegal) (United Nations, RIAA,
Vol. XX, pp. 151 and 152, para. 85 [translations by the Registry] ).

87de savoir quelle était la commune intention des parties en 1858, exprimée

dans le traité alors conclu. Telle a été la démarche suivie à juste titre par
la Cour.
15. Cette démarche soulève cependant une réelle difficulté. En effet,

dans la plupart des cas, les Parties ne précisent pas dans le texte des trai-
tés si elles entendent figer le sens des termes qu’elles emploient ou accep-
ter que ce sens puisse évoluer. Par voie de conséquence, il est nécessaire
de recourir à des présomptions.

En l’espèce, la Cour a estimé que, lorsque les parties emploient dans un
traité

«certains termes de nature générique, dont elles ne pouvaient pas
ignorer que le sens était susceptible d’évoluer avec le temps, et que le
traité en cause a été conclu pour une très longue période ou «sans

limite de durée», les parties doivent être présumées, en règle géné-
rale, avoir eu l’intention de conférer aux termes en cause un sens
évolutif» (arrêt, par. 66).

La Cour avait déjà appliqué une telle présomption dans l’affaire du
33
Plateau continental de la mer Egée pour l’interprétation des mots «sta-
tut territorial», mais elle l’avait écartée pour l’interprétation du mot «dif-
férend» dans l’affaire des Droits des ressortissants des Etats-Unis d’Amé-
rique au Maroc . 34

Devait-elle retenir cette présomption en l’espèce? On peut en douter et
se demander si elle n’aurait pas dû recourir à d’autres présomptions.

En premier lieu, et comme le président Bedjaoui le notait dans son
opinion individuelle dans l’affaire du Projet Gabc ˇíkovo-Nagymaros
(Hongrie/Slovaquie) :

«les intentions des parties sont présumées avoir été influencées par le
droit en vigueur au moment de la conclusion du traité , droit qu’elles

étaient censées connaître, et non pas par le droit à venir, qui était
encore inconnu. Comme l’avait dit l’ambassadeur Mustapha
Kamil Yasseen ..., seul le droit international existant au moment de

la conclusion du traité «a pu influencer l’intention des Etats contrac-
tants ..., le droit qui n’existait pas encore à ce moment-là ne pouvant
logiquement avoir aucune influence sur cette intention».» 35

En outre, au cas particulier, l’article VI reconnaît à titre exclusif au
Nicaragua souveraineté pleine et entière sur le fleuve. Une seule limita-

33Plateau continental de la mer Egée (Grèce c. Turquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1978 ,
p. 32, par. 77.
34Droits des ressortissants des Etats-Unis d’Amérique au Maroc (France c. Etats-Unis
d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 1952 , p. 189.
35Projet Gabˇíkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1997 , p. 121-
122, par. 7 ii). M. K. Yasseen, «L’interprétation des traités d’après la convention de
Vienne sur le droit des traités», Recueil des cours de l’Académie de droit international de
La Haye, t. 151 (1976), p. 64.

88therefore to ascertain the Parties’ joint intention in 1858, as expressed in

the treaty then concluded. The Court has taken that approach and rightly
so.
15. Yet a real difficulty arises with that approach. In most cases

parties to a treaty do not explicitly state in it whether they intend to fix
for all time the meaning of the terms employed or whether they wish to
allow the meaning to evolve. As a result, recourse must be had to pre-
sumptions.

The Court has considered in the present case that where the parties use

“generic terms in a treaty, the parties necessarily having been aware
that the meaning of the terms was likely to evolve over time, and
where the treaty has been entered into for a very long period or is ‘of

continuing duration’, the parties must be presumed, as a general
rule, to have intended those terms to have an evolving meaning”
(Judgment, paragraph 66).

The Court applied this presumption in the Aegean Sea Continental
33
Shelf case in interpreting the term “territorial status” but rejected it in
construing “dispute” in the case concerning Rights of Nationals of the
United States of America in Morocco 34.

Should it have applied the presumption here: That is doubtful and it
may be asked whether the Court should not have had recourse to other
presumptions.

Firstly, as President Bedjaoui noted in his separate opinion in the case
concerning the Gabc ˇíkovo-Nagymaros Project (Hungary/Slovakia) :

“The intentions of the parties are presumed to have been influ-
enced by the law in force at the time the Treaty was concluded , the

law which they were supposed to know, and not by future law, as yet
unknown. As Ambassador Mustapha Kamil Yasseen . . . put it, only
international law existing when the Treaty was concluded ‘could

influence the intention of the Contracting States . . ., as the law
which did not yet exist at that time could not logically have any
influence on this intention’.” 35

Further, in the present case, Article VI confers full and undivided sov-
ereignty over the river exclusively on Nicaragua. A single limitation is

33Aegean Sea Continental Shelf (Greece v. Turkey), Judgment, I.C.J. Reports 1978 ,
p. 32, para. 77.
34Rights of Nationals of the United States of America in Morocco (France v. United
States of America), Judgment, I.C.J. Reports 1952 , p. 189.
35Gabcˇíkovo-Nagymaros Project (Hungary/Slovakia), Judgment, I.C.J. Reports 1997 ,
pp. 121-122, para. 7 (ii); emphasis original. M. K. Yasseen, “L’interprétation des traités
d’après la Convention de Vienne sur le droit des traits”, Collected Courses of the Hague
Academy of International Law , 1976, Vol. 151, p. 64.

88tion est apportée à cette souveraineté, le droit de libre navigation à des

fins commerciales accordé au Costa Rica. Cette limitation est introduite
par le terme «pero» (mais), qui marque bien qu’il s’agit là d’une excep-
tion apportée à la souveraineté exclusive du Nicaragua préalablement
proclamée.

Or, comme l’a rappelé la Cour, les exceptions ou «limites à la souve-
raineté d’un Etat sur son territoire ne se présument pas» (arrêt, par. 48).
Du fait des termes mêmes du traité et de cette présomption, la limitation

apportée à la souveraineté territoriale du Nicaragua me semble devoir
être interprétée restrictivement comme la Cour permanente en a décidé
dans un cas analogue, celui du Vapeur Wimbledon, pour la navigation
dans le canal de Kiel. Dans cette affaire, en effet, la Cour avait relevé

que nul ne contestait la souveraineté de l’Etat allemand sur le canal de
Kiel; elle avait ajouté que le traité de Versailles avait comporté une
«limitation importante de l’exercice du droit de souveraineté» de l’Alle-

magne; elle en avait conclu que «cela suffi[sai]t pour que la clause qui
consacre une telle limitation doive, en cas de doute, être interprétée
restrictivement» .36
16. Faut-il en déduire que la navigation à des fins de commerce ne

couvre que le transport des marchandises et non celui des personnes?
L’hésitation est ici permise. Depuis la plus haute antiquité, les transports
fluviaux ont pour objet d’acheminer tant les personnes que les marchan-

dises d’un point à un autre. Le fleuve San Juen et le lac Nicaragua ont
d’ailleurs été utilisés au milieu du XIX siècle pour permettre aux émi-
grants se rendant de la côte est des Etats-Unis en Californie de ne pas
faire le tour de l’Amérique du Sud. Bien plus, le canal interocéanique

dont la construction était alors projetée à travers le Nicaragua devait ser-
vir tant au transport des personnes qu’à celui des marchandises .lI 37
s’agissait là dès le XIX siècle d’une activité exercée par les bateliers

contre rémunération. Aussi aurais-je en définitive tendance à penser que,
lorsque les auteurs du traité de 1858 ont visé la navigation à des fins com-
merciales, ils ont entendu couvrir le transport à titre lucratif tant des per-
sonnes que des marchandises.

Ce transport couvre-t-il aujourd’hui celui des touristes? Poser la ques-
tion, c’est se demander en quoi ceux-ci se distinguent des autres per-
sonnes transportées. A l’évidence, il n’en est rien en ce qui concerne

le touriste individuel qui emprunte un bateau en vue de se rendre d’un
point à un autre. Si ce déplacement est effectué contre rémunération du
batelier, le bateau navigue à des fins commerciales.
Reste le cas des touristes effectuant une croisière préparée par un orga-

nisateur de voyages. Dans cette hypothèse, le batelier est rémunéré par cet
intermédiaire et non par le passager. Mais l’activité du batelier n’en demeure

36Affaire du Vapeur Wimbledon, arrêts, 1923, C.P.J.I. série A1,p.24.
37Voir l’article XXXIII du traité de 1859 entre la France et le Nicaragua et
l’article XXVI du traité de 1860 entre la Grande-Bretagne et le Nicaragua.

89imposed on this sovereignty: Costa Rica’s right of free navigation for

commercial purposes. The limitation is introduced by the word “pero”
(but), which clearly indicates that this is an exception to the exclusive
sovereignty awarded earlier on to Nicaragua.

As the Court has pointed out, exceptions or “limitations of the sov-
ereignty of a State over its territory are not to be presumed” (Judgment,
para. 48). In my view, by operation of this presumption and of the
language itself of the Treaty, the limitation imposed on Nicaragua’s

territorial sovereignty must be given a restrictive interpretation, as the
Permanent Court held in a comparable case, that of the S.S.
“Wimbledon”, in respect of navigation on the Kiel Canal. The Court
observed in that case that no one disputed the German State’s sovereignty

over the Kiel Canal; it added that the Treaty of Versailles entailed an
“important limitation of the exercise of the sovereign rights” of Germany
and found that “[t]his fact constitutes a sufficient reason for the
restrictive interpretation, in case of doubt, of the clause which produces
36
such a limitation” .
16. Is it to be concluded that navigation for the purposes of commerce
covers only the transport of goods, not people: That is far from certain.
From the most ancient times, the purpose of river transport has been to

move both people and goods from one place to another. The San Juan
River and Lake Nicaragua were in fact used in the mid-nineteenth cen-
tury to save emigrants on the way from the east coast of the United
States to California from having to circumnavigate South America. More-

over, the inter-ocean canal then being planned to run through 37caragua
was intended for use in transporting both people and goods . Already in
the nineteenth century boatmen offered this service in exchange for pay-
ment. Thus, my inclination in the end is to think that the drafters of the

1858 Treaty intended to cover the transport for profit of passengers as
well as of goods when they referred to navigation for commercial
purposes.

Does such transport today extend to the conveyance of tourists: putting
the question is tantamount to asking why tourists should be distinguished
from other passengers. Obviously, no such distinction should be made in
respect of individual tourists taking a boat to get from one place to

another. If the transport is provided in exchange for payment to the boat
operator, the vessel is navigating for commercial purposes.
The last category is that of tourists taking a cruise arranged by a tour
operator. Here, the boatman is paid by the intermediary, not by the pas-

senger. But the boat operator’s activity remains one of navigating from

36S.S. “Wimbledon”, Judgments, 1923, P.C.I.J., Series A, No. 1 ,p.24.
37See Art. XXXIII of the 1859 Treaty between France and Nicaragua and Art. XXVI
of the 1860 Treaty between Great Britain and Nicaragua.

89pas moins une activité de navigation d’un point à un autre et cette activité

est là encore exercée par lui à des fins commerciales. Dès lors, l’intéressé est
susceptible de bénéficier de la liberté de navigation dont le Costa Rica est
titulaire en vertu de l’article VI. Aussi bien la pratique est-elle en ce sens
telle qu’attestée par le mémorandum d’accord entre les ministres du

tourisme des deux Etats du 5 juin 1994 et le développement des croisières
touristiques sur le San Juan au cours des dernières années.
Je souscris donc, sur ce point, aux conclusions de la Cour, mais pour
des motifs autres que ceux qu’elle a retenus.

17. Je souscris également aux conclusions de la Cour selon lesquelles la
navigation à des fins non lucratives n’entre pas dans les prévisions de
l’article VI. Il en est ainsi du transport gratuit de passagers (arrêt, par. 73,

dernier alinéa) ou de la plaisance (ibid., par. 80). Seraient de même exclus
les navires-casinos, les navires-hôtels ou les bateaux diffusant des émis-
sions de radio ou de télévision, que ces bâtiments soient amarrés au
rivage ou qu’ils se déplacent (ibid., par. 75).

En outre, et comme la Cour l’a précisé, la navigation de bateaux utili-
sés à des fins d’activité de puissance publique ou de service public
dépourvu de nature commerciale n’est pas couverte par l’article VI (ibid.,
par. 71). Sont donc exclus les bateaux chargés de mission de police (ibid.,

par. 83), y compris le ravitaillement des postes de police, ainsi que les
bateaux contribuant aux activités d’enseignement, de santé publique ou
de protection de l’environnement, ces activités n’ayant à l’évidence aucun
but lucratif.

18. Il est cependant deux points sur lesquels je suis en désaccord avec
l’arrêt.
Le premier concerne le transport à titre gratuit de marchandises par un

batelier autre que le commerçant propriétaire de ces marchandises. La
Cour reconnaît qu’en pareil cas le batelier n’exerce pas une activité com-
merciale, mais elle estime que, dès lors que les marchandises sont desti-
nées à être vendues, il y a là une navigation à des fins commerciales.

Encore que, dans la pratique, cette hypothèse ait peu de chances de se
réaliser, je crois devoir préciser que ces conclusions me paraissent reposer
sur des prémisses erronées. L’article VI du traité ne reconnaît pas au
Costa Rica la liberté du commerce, mais un droit de libre navigation à

des fins commerciales. Les bénéficiaires de ce droit sont les bateaux costa-
riciens qui naviguent sur le río San Juan et non les marchandises ou les
personnes qui sont transportées par ces navires . Lorsque le batelier

n’est pas le commerçant lui-même, c’est seulement lorsque la navigation
est effectuée contre rémunération qu’elle peut être regardée comme ayant
été réalisée à des fins commerciales.

38
Ainsi, dans l’affaire Oscar Chinn, la Cour permanente de Justice internationale a pré-
cisé que la liberté de navigation «comporte, d’après la notion communément admise, la
liberté de mouvement pour les bateaux» et la liberté pour ces mêmes bateaux de trans-
porteo des marchandises et des voyageurs (affaire Oscar Chinn, arrêt, 1934, C.P.J.I. série
A/B n 63, p. 83).

90one point to another and, here as well, it is carried out for commercial

purposes. Thus, the individuals concerned are entitled to the benefit of
the freedom of navigation enjoyed by Costa Rica under Article VI. The
practice accords with this, as shown by the Memorandum of Under-
standing of 5 June 1994 between the two States’ Ministers of Tourism

and by the growth in tourist cruise traffic on the San Juan in recent years.

Thus, I concur on this point in the Court’s conclusions but for reasons
different from those underlying its decision.

17. I also subscribe to the Court’s conclusions to the effect that navi-
gation for non-profit purposes does not fall within the scope of Arti-
cle VI. This is the case for the carriage of passengers free of charge
(Judgment., para. 73, last subparagraph) and for pleasure boating (ibid.,

para. 80). The same would apply to casino boats, hotel boats and boats
used for radio or television broadcasting, whether or not they were
moored to the bank or were mobile (ibid., para. 75).
Further, as the Court has stated, navigation by vessels used in the per-

formance of governmental activities or to provide public services which
are not commercial in nature is not covered by Article VI (ibid., para. 71).
Consequently, police vessels (ibid., para. 83), including those used in
re-supplying police posts, and vessels involved in teaching, public health

and environmental protection activities are excluded, as these are mani-
festly not profit-making activities.

18. There are however two points on which I take issue with the Judg-

ment.
The first concerns the gratuitous transport of goods by a boat operator
other than the merchant owning the goods. The Court admits that such a
boat operator is not engaged in a commercial activity but considers this

to be navigation for commercial purposes since the goods are intended
for sale.
While, as a practical matter, this situation is unlikely to arise, I believe
it incumbent upon me to express my view that these conclusions are

founded on mistaken premises. Article VI of the Treaty does not grant
Costa Rica freedom of commerce but a right to navigate freely for com-
mercial purposes. The benefit of that right accrues to Costa Rican vessels
navigating on the San Juan River, not to the goods or persons they
38
carry . Navigation by boat operators who are not themselves merchants
may be considered to be for commercial purposes only if carried out in
exchange for compensation.

38Thus, the Permanent Court of International Justice explained in the Oscar Chinn
case that freedom of navigation, “[a]ccording to the conception universally accepted ...
comprises freedom of movement for vessels” and the freedom of those vessels to transport
goods and passengers (Oscar Chinn, Judgment, 1934, P.C.I.J., Series A/B, No. 63 , p. 83).

90 19. La Cour a par ailleurs décidé que «les habitants de la rive costa-
ricienne du fleuve San Juan ont le droit de naviguer sur celui-ci entre les

communautés riveraines afin de subvenir aux besoins essentiels de la vie
quotidienne qui nécessitent des déplacements dans de brefs délais» (arrêt,
par. 156, point 1 f)). Elle en a déduit que le Costa Rica a le droit de navi-
guer sur le fleuve avec des bateaux officiels

«exclusivement employés, dans des cas particuliers, en vue de four-
nir des services essentiels aux habitants des zones riveraines lorsque
la rapidité du déplacement est une condition de la satisfaction des

besoins de ces habitants» (ibid., par. 156, point 1 g)).

La Cour a abouti à cette conclusion au profit des quelque 450 person-
nes concernées «compte tenu du caractère très difficile des déplacements
à l’intérieur des terres» (ibid., par. 78). Je suis, tout autant que la Cour,
sensible aux considérations humanitaires qui sont à l’origine de cette
décision. Mais je me dois de constater qu’elle n’a aucune base juridique.

La Cour a reconnu elle-même que l’article VI du traité ne pouvait justi-
fier une telle solution (ibid., par. 75). Elle semble avoir renoncé à fonder
cette solution sur une coutume contra legem qui au surplus n’est pas éta-
blie. Elle a précisé qu’il n’avait pu être dans l’intention des auteurs du
traité de dénier ce droit aux habitants de la rive costa-ricienne du fleuve.

Evoquant en outre le but et l’objet du traité, elle a estimé que le droit en
cause pouvait être déduit de ce traité pris dans son ensemble et notam-
ment de son préambule et de la manière dont il définit la frontière en son
article II (ibid., par. 79).
Ce raisonnement me paraît extrêmement fragile. Le traité de 1858 pro-

clame certes en son préambule la volonté des parties de:
«celebrar un tratado de límites entre ambas Repúblicas, que ponga

término á las diferencias que han retardado la mejor y mas perfecta
inteligencia y armonía que deben reinar entre ellas, para su común
seguridad y engrandecimiento».

Souhaitant améliorer leurs relations, les Parties ont pour ce motif conclu
un traité qui avait un unique objet: fixer leurs frontières. Selon son titre
même, le traité de 1858 est un traité de limites. Dans la zone en cause en
l’espèce, l’article II du traité fixe la frontière à la rive droite du fleuve et

reconnaît au Costa Rica un droit de libre navigation seulement à des fins
de commerce (ibid., par. 61). L’intention commune des auteurs du traité
telle que reflétée dans le texte ne permet pas d’aboutir à une solution
directement contraire à ce texte et de reconnaître au Costa Rica le droit
de naviguer à des fins non commerciales en territoire nicaraguayen.

Aussi bien la Cour a-t-elle probablement été consciente de la fragilité
de son raisonnement puisqu’elle a soigneusement distingué entre les
droits perpétuels de libre navigation prévus à l’article VI et les droits de

navigation qu’elle a cru pouvoir créer au bénéfice de certains riverains
dans les circonstances présentes. En outre, elle a dans le dispositif de son

91 19. The Court has further decided that “the inhabitants of the Costa
Rican bank of the San Juan River have the right to navigate on the river

between the riparian communities for the purposes of the essential needs
of everyday life which require expeditious transportation” (Judgment,
para. 156, subpara. 1 (f)). It has reasoned from this that Costa Rica is
entitled to navigate on the river with official vessels

“used solely, in specific situations, to provide essential services for
the inhabitants of the riparian areas where expeditious transporta-
tion is a condition for meeting the inhabitants’ requirements” (ibid.,

para. 156, subpara. 1 (g)).

It is “[i]n view of the great difficulty of travelling inland” (ibid.,
para. 78) that the Court has arrived at this conclusion benefitting some
450 individuals. I am just as sensitive as the Court to the humanitarian
considerations at the root of this decision. But I cannot but observe that
there is no legal basis for it. The Court itself has acknowledged that this

decision finds no support in Article VI of the Treaty (ibid., para. 75). The
Court would appear to have decided against basing this conclusion on a
custom contra legem, one which moreover has not been established. It
has stated that it could not have been the intention of the authors of the
Treaty to deny this right to the inhabitants of the Costa Rican bank of

the river. Citing the object and purpose of the Treaty as well, the Court
has considered that the right in question can be inferred from the Treaty
as a whole and, specifically, from its Preamble and the manner in which
the boundary is fixed in Article II (ibid., para. 79).
This reasoning strikes me as extremely weak. Granted, the Preamble of

the 1858 Treaty does proclaim the will of the parties to
“celebrar un tratado de límites entre ambas Repúblicas, que ponga

término á las diferencias que han retardado la mejor y mas perfecta
inteligencia y armonía que deben reinar entre ellas, para su común
seguridad y engrandecimiento”.

To this end, and desirous of improving their relations, the Parties con-
cluded a treaty having a sole object: to establish the boundaries between
them. According to the title itself, the 1858 Treaty is a treaty of limits. In
the area under consideration in the present case, Article II of the Treaty

fixes the boundary along the right bank of the river and grants Costa
Rica a right of free navigation solely for the purposes of commerce (ibid.,
para. 61). The joint intention of the authors as reflected in the language
of the Treaty provides no basis for arriving at a decision directly in con-
flict with that language and for upholding a right on Costa Rica’s part to

navigate for non-commercial purposes in Nicaraguan territory.
The Court is probably aware of the weakness of its reasoning, for it
has carefully distinguished between the perpetual rights of free naviga-
tion established in Article VI and the rights of navigation it has felt

justified in creating for the benefit of certain riparians in the present cir-
cumstances. Furthermore, in the operative part of its Judgment it has

91arrêt enserré ces derniers droits dans des limites particulièrement strictes,
notamment en ce qui concerne les bateaux officiels.

Il n’en reste pas moins que cette solution est directement contraire au
texte même du traité. Tout au plus aurait-on pu déduire du préambule
de celui-ci et des principes généraux du droit international une obliga-
tion pour les deux Etats d’engager des négociations en vue de résoudre
les problèmes que les difficultés de communication terrestre posent

à l’heure actuelle aux populations riveraines.

R ÉGLEMENTATION DE LA NAVIGATION PAR LE N ICARAGUA

20. L’arrêt de la Cour reconnaît au Nicaragua le pouvoir de réglemen-
ter l’exercice par le Costa Rica du droit de libre navigation qu’il tient du
traité de 1858. En exerçant ce pouvoir, le Nicaragua ne doit pas rendre

impossible l’exercice par le Costa Rica de son droit de libre navigation ni
l’entraver de façon substantielle (arrêt, par. 87). Il doit notifier au
Costa Rica les mesures en cause une fois celles-ci adoptées, mais n’a pas
l’obligation d’informer ou de consulter le Costa Rica avant d’adopter de
telles mesures (ibid., par. 97). Sur tous ces points, je partage entièrement

les conclusions de la Cour.
Comme la Cour, j’estime aussi que le Nicaragua a le droit d’exiger que
les bateaux costa-riciens et leurs passagers fassent halte aux premier et
dernier postes nicaraguayens situés sur leur trajet le long du fleuve. Je
suis également en accord avec la Cour pour ce qui est de l’achat des

cartes de touriste, de la délivrance des certificats d’appareillage, des
horaires de navigation et de l’usage des pavillons.
Je pense enfin, comme la Cour, que le Nicaragua est en droit d’exiger
la présentation d’un passeport ou d’un document d’identité par les bate-
liers naviguant sur le fleuve et par les personnes transportées sur les

bateaux.
21. Je suis en revanche au regret de me séparer de la Cour pour ce qui
est des visas.
L’arrêt souligne que la délivrance de tels visas présente un caractère
discrétionnaire. Il en déduit que le Nicaragua ne saurait imposer aux

bateliers et aux personnes transportées l’obligation d’être munies d’un
visa. En effet, selon la Cour, si ce visa leur était refusé, la liberté de navi-
gation serait entravée (ibid., par. 115).
Ce raisonnement appelle deux observations. En premier lieu, et comme
il a déjà été précisé, seuls les bateaux costa-riciens et leurs bateliers béné-

ficient d’un droit de libre navigation à des fins commerciales sur le río
San Juan. Les personnes transportées sur ces bateaux ne jouissent pas
d’un tel droit. Par suite, et en tout état de cause, le Nicaragua peut exiger
que ces personnes soient munies de visas.

En second lieu, le droit de subordonner l’entrée d’un étranger sur le
territoire national est l’une des prérogatives les mieux établies de la sou-

92imposed especially stringent limitations on the latter rights, in particular
in regard to official vessels.

It nevertheless remains the case that this outcome stands directly in
contradiction to the language itself of the Treaty. The very most that
could have been said was that it was possible to infer from the Preamble
of the Treaty and from general principles of international law that the

two States were under an obligation to negotiate to resolve the problems
now created for the riparian population by the difficulty of overland
communication.

R EGULATION OF N AVIGATION BY N ICARAGUA

20. It is recognized in the Judgment that Nicaragua has the power to
regulate Costa Rica’s exercise of the right of free navigation it holds

under the 1858 Treaty. In exercising that power, Nicaragua may not
render impossible Costa Rica’s exercise of the right of free navigation or
substantially impede it (Judgment, para. 87). Nicaragua must notify
Costa Rica of any regulations in this connection, once adopted, but is
under no obligation to give notice to Costa Rica or consult it before

adopting them (ibid., para. 97). On all of these points, I concur fully in
the conclusions reached by the Court.
Like the Court, I too consider that Nicaragua has the right to require
Costa Rican vessels and their passengers to stop at the first and last Nica-

raguan posts on their route along the river. I also concur with the Court
on the subjects of the purchase of tourist cards, the issuance of departure
clearance certificates, timetabling and the display of flags.

Lastly, as does the Court, I think that Nicaragua is entitled to require

boat operators navigating on the river and their passengers to show a
passport or identity document.

21. On the other hand, I am sorry to have to part ways with the Court

on the question of visas.
The Judgment notes that the issuance of visas entails discretion. From
this, it is reasoned that Nicaragua may not impose an obligation to
obtain a visa on boat operators and those they carry. According to the
Court, if the visa were to be denied, freedom of navigation would be hin-

dered (ibid., para. 115).
This reasoning calls for two comments. First, as already made clear,
the sole beneficiaries of the right of free navigation for commercial pur-
poses on the San Juan River are Costa Rican vessels and their operators.

No such right vests in the persons transported on the vessels. As a result,
Nicaragua may, in any case, require these individuals to obtain a visa.

Secondly, the right to impose conditions on aliens’ entry into national
territory is one of the most firmly established prerogatives of sovereignty.

92veraineté. L’arrêt le reconnaît d’ailleurs en précisant que le Nicaragua,

après avoir vérifié l’identité des personnes souhaitant s’engager sur le
San Juan, est en droit de refuser à certaines d’entre elles l’entrée sur le
fleuve pour des raisons liées au maintien de l’ordre ou à la protection de
l’environnement. L’arrêt ajoute que cette analyse pourrait valoir égale-

ment en cas d’urgence (par. 118).
Dans ces hypothèses, le Nicaragua est ainsi en droit de refuser à cer-
taines personnes l’accès à son territoire. Il pourrait même à l’avance com-
muniquer au Costa Rica la liste nominative des personnes dont la pré-

sence sur le fleuve lui paraîtrait indésirable pour les raisons précisées par
la Cour.
Cette solution n’est pas sans mérites, mais il aurait été probablement
plus simple de reconnaître au Nicaragua le droit d’exiger des visas pour

entrer sur le fleuve. La Cour aurait pu en outre observer qu’en appliquant
la réglementation sur les visas, comme les autres réglementations perti-
nentes, le Nicaragua ne doit pas rendre impossible l’exercice par le
Costa Rica de son droit de libre navigation ni l’entraver de façon subs-

tantielle (ibid., par. 87). Pour ce faire, il aurait pu mettre en place des
procédures appropriées (par exemple visas de longue durée ou délivrance
de visas sur place). Je regrette que la Cour ne se soit pas orientée dans
cette direction.

22. Pour ce qui est de la pêche de subsistance, la Cour estime établie
l’existence d’une coutume pour la pêche pratiquée depuis la rive, mais
non à bord de bateaux, que ceux-ci soient amarrés ou qu’ils naviguent sur
le fleuve.

La recevabilité des conclusions présentées sur ce point par39e Costa Rica
me paraît très douteuse et la coutume invoquée incertaine . Toutefois, je
me suis rallié à la solution retenue dans les circonstances très particulières
relevées par la Cour dans son arrêt, qui ne saurait, sur ce point, avoir

valeur de précédent.
23. Au total, l’arrêt accueille nombre des conclusions du Costa Rica
concernant l’étendue et la portée du droit de libre navigation de ce pays
sur le río San Juan. Il reconnaît par ailleurs au Nicaragua un large pou-

voir de réglementation. Encore qu’il ne recueille pas mon accord complet,
je ne puis qu’exprimer l’espoir qu’il permettra aux deux pays de surmon-
ter les difficultés qu’ils ont rencontrées dans le passé sur le fleuve.

(Signé) Gilbert G UILLAUME .

39Voir Droit d’asile (Colombie/Pérou), arrêt, C.I.J. Recueil 1950 , p. 276-277; Droit de
passage sur territoire indien (Portugal c. Inde), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1960 ,p.39;
Plateau continental de la mer du Nord (République fédérale d’Allemagne/Danemark;
République fédérale d’Allemagne/Pays-Bas), arrêt, C.I.J. Recueil 1969 ,p.44.

93In fact, it is so recognized in the Judgment when it upholds Nicaragua’s

right, after ascertaining the identity of those wishing to enter the San Juan,
to refuse entry to some of those individuals for reasons of law enforce-
ment or environmental protection. The Judgment adds that this analysis
may also hold in cases of emergency (para. 118).

Nicaragua is thus entitled in these situations to refuse some persons
entry into its territory. It could even give Costa Rica a list of names
beforehand of those whose presence on the river was deemed undesirable

by Nicaragua for the reasons described by the Court.

This decision is not without its strong points, but it would probably

have been simpler to uphold Nicaragua’s right to require visas for entry
onto the river. The Court could moreover have pointed out that, as in the
case of the other applicable rules, Nicaragua, in applying the visa regu-
lations, must not render impossible or substantially impede Costa Rica’s

exercise of its right of free navigation (ibid., para. 87). So as to ensure this
outcome, Nicaragua could have established appropriate procedures (e.g.,
long-term visas or on-the-spot issuance of visas). I regret that the Court
proceeded otherwise.

22. In regard to subsistence fishing, the Court has found that the exist-
ence has been established of a custom of fishing from the bank but not
from vessels, whether moored or navigating on the river.

In my view the admissibility of Costa Rica’s submissions on this point
is highly questionable and the custom invoked uncertain . I did however

support the decision in this regard given the special circumstances
described by the Court in its Judgment, which cannot carry precedential
weight in this regard.
23. In sum, the Judgment upholds many of Costa Rica’s submissions

on the scope and extent of its right of free navigation on the San Juan
River. It also recognizes Nicaragua’s broad regulatory powers. While I
am not in complete agreement with it, I can only express the hope that it
will enable the two countries to overcome their past difficulties in respect

of the river.

(Signed) Gilbert G UILLAUME .

39
See Asylum (Colombia/Peru), Judgment, I.C.J. Reports 1950 , pp. 276-277; Right of
Passage over Indian Territory (Portugal v. India), Merits, Judgment, I.C.J. Reports
1960,p.39; North Sea Continental Shelf (Federal Republic of Germany/Denmark; Fed-
eral Republic of Germany/Netherlands), Judgment, I.C.J. Reports 1969 ,p.44.

93

Document file FR
Document Long Title

Déclaration de M. le juge ad hoc Guillaume

Links