Opinion individuelle de M. le juge Ranjeva

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136-20080604-JUD-01-01-EN
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136-20080604-JUD-01-00-EN
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248

OPINION INDIVIDUELLE DE M. LE JUGE RANJEVA

Réédition d’un acte judiciaire irrégulier — Continuité ou discontinuité de la
compétence — Forum prorogatum et continuité logique du consentement —
Analyse incomplète des termes de l’acceptation du défendeur — Autonomie juri-
dique du second acte de convocation — Caractère inapproprié de la transposi-
tion de la jurisprudence du droit de passage — Objet du différend selon la
requête — Différend justiciable — Différence entre «en violation» et «ainsi que
des violations» — Prorogation de la compétence ratione materiae.

1. En la présente affaire, la rigueur juridique ne permet pas de sous-

crire à la proposition: «La convocation adressée le 14 février 2007 au
président de la république de Djibouti n’était qu’une simple répétition de
la précédente, quoique la forme en eût été rectifiée.» (Arrêt, par. 91
et 95.)
2. Cette conclusion peut se résumer de la manière suivante: parce
que la Cour est compétente pour connaître de la convocation du 17 mai

2005, elle est donc compétente pour statuer sur la convocation du
14 février 2007, la requête ayant été enregistrée au Greffe le 9 jan-
vier 2006. En fait, on peut accepter l’idée selon laquelle les autorités de la
République française, s’étant rendu compte de leur méprise sur le fond,
ont régularisé la convocation initiale en ressuscitant l’acte irrégulier ou

en édictant un nouvel acte juridique. Pour l’arrêt, la convocation du
14 février 2007 ne serait qu’un acte confirmatif d’un acte initial reconnu,
au regard même du droit français, comme illicite par les deux Parties.
Cette construction, par ailleurs intéressante, a sa place en droit du
contentieux administratif français lorsqu’il s’agit uniquement de la réou-

verture du délai d’action dans un recours pour excès de pouvoirs.
3. En revanche, la démarche de la Cour, dans le cas où elle est appelée
à statuer pour la première fois sur le forum prorogatum, est de nature à
susciter une réserve vis-à-vis de ce mode d’expression de l’acceptation ad
hoc de la compétence juridictionnelle. En effet, l’interprétation que l’arrêt
donne du consentement exprimé dans la lettre d’acceptation du défen-

deur apparaît comme une conclusion logique liée à la connexité des deux
convocations, mais non comme la conséquence d’une analyse restrictive
des termes de la lettre du demandeur.
4. Pour déterminer le domaine de la compétence ratione materiae
acceptée par le défendeur, au paragraphe 83, l’arrêt analyse l’intention de

cette Partie en faisant le commentaire exégétique du membre de phrase
«pour le différend qui fait l’objet de la requête et dans les strictes limites
des demandes formulées dans celle-ci». Mais le choix de ce membre de
phrase est critiquable sur le plan grammatical et sur le plan de l’analyse

75249 QUESTIONS CONCERNANT L ENTRAIDE JUDICIAIRE (OP.IND .RANJEVA )

logique. L’arrêt a commenté la proposition explicative destinée à illustrer
la proposition principale autour de laquelle est articulé le consente-
ment de la France. La proposition principale est en effet rappelée au

paragraphe 68 de l’arrêt et se lit comme suit: «différend port[ant] sur
le refus des autorités ... françaises d’exécuter une commission rogatoire
internationale ... et ce, en violation de la convention ... du 27 sep-
tembre 1986». L’approche d’ensemble des écritures et déclarations du
défendeur pour déterminer le domaine de la compétence ratione mate-

riae se situe au niveau de l’illustration, mais non de l’énoncé même de
la proposition de base. Une analyse complète de la lettre du défendeur
était incontournable.
5. L’interprétation que l’arrêt donne de la seconde convocation est dif-
ficile à admettre. Formellement et s’agissant de la première convocation,

on relèvera que non seulement la France en a effectué le retrait mais que
Djibouti n’a cessé d’en soutenir la nullité. Le retrait, pour des raisons de
régularité formelle, rencontrait la revendication de Djibouti. Cette éradi-
cation conséquente de l’ordre juridique et la privation d’effet signifiaient

que, lors de l’édiction de la seconde convocation, la première n’existait
plus. Logiquement, la nouvelle convocation représentait un nouvel acte
judiciaire par rapport à la première convocation. Que la seconde convo-
cation ait eu le même objet que la première est une question pertinente
qui relève du domaine métajuridique ou de la causalité de l’acte. A juste

titre, on peut stigmatiser l’acharnement du juge d’instruction mais,
en droit, la régularisation d’un acte judiciaire est-elle constitutive d’une
illicéité? D’une faute politique peut-être, mais telle n’est pas la problé-
matique dont la Cour a à adjuger.
6. L’identité d’objet entre les deux convocations, relevée à juste titre

par l’arrêt, est-elle suffisante pour conclure qu’il s’agit de la même convo-
cation? L’identité de nature juridique entre ces deux actes judiciaires n’est
pas discutée. En droit, chaque acte a sa propre cause, première ou immé-
diate. La convocation du 14 février 2007 est la conséquence directe du
rejet par Djibouti de la convocation du 17 mai 2005 adressée au chef de

l’Etat de Djibouti en visite officielle en France. L’identification de la rai-
son exacte de la seconde convocation ainsi que l’intrusion du facteur
d’annihilation des effets juridiques de la première convocation dans les
rapports entre les deux actes excluent la réduction de l’un à l’autre pour

qu’on puisse parler d’identité d’actes.
7. Par ailleurs, à l’analyse, il n’est pas possible de parler de lien indi-
visible entre ces deux convocations. Afin de clarifier le débat, ce n’est pas
de la convocation, acte matériel, qu’il s’agit mais de la décision du juge
d’instruction de convoquer le président de Djibouti. Le caractère indivi-

sible ne peut être envisagé que si la seconde convocation est la consé-
quence juridique de la première. Or, en l’espèce, le retrait ou la nullité de
la première n’a pas, de plein droit, lancé la seconde convocation. Une
décision nouvelle, un acte de volonté du juge d’instruction, était néces-
saire; cette situation juridique explique le non-usage de la technique de la

rectification ou de l’erratum sur le plan formel. En l’espèce, le lien logique

76250 QUESTIONS CONCERNANT L ’ENTRAIDE JUDICIAIRE (OP. IND. RANJEVA )

dans la pensée du juge d’instruction entre l’échec de la première convoca-
tion et la suite consistant en l’édiction d’une nouvelle convocation n’éta-
blit pas de manière inéluctable un lien d’indivisibilité; chaque convoca-

tion a son indépendance juridique, qui n’établit pas que, de plein droit, la
caducité ou l’échec de la première convocation entraîne nécessairement
une seconde convocation.
8. S’agissant de l’interprétation du domaine de la compétence ratione
materiae, l’arrêt se réfère à la méthode que la Cour a observée dans

l’affaire du Droit de passage sur territoire indien lorsqu’on a examiné
l’objet du différend. A cette fin, la Cour invoquait l’examen cumulatif
de la «requête... , les conclusions des Parties et les déclarations faites à
l’audience» (Droit de passage sur territoire indien (Portugal c. Inde),
fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1960 , p. 33). Il s’agissait alors d’interpréter

l’objet du différend à l’aune de la déclaration indienne du 28 février 1940.
Dans cette affaire, la Cour a eu à examiner une exception fondée sur une
déclaration de consentement juridictionnel ayant un caractère objectif,
général et abstrait. S’agissant du consentement ad hoc dans le forum pro-

rogatum, la transposition pure et simple de cette méthode n’est pas par-
faitement appropriée. La question portait non pas sur l’interprétation du
consentement, mais sur la définition du différend justiciable au regard de
l’acceptation du défendeur.

9. La description de l’objet du différend telle que formulée dans la
requête est la cause juridique de l’acceptation. Il n’est pas douteux que le
débat ait porté sur les manquements allégués aux obligations de droit
international. Cela a eu lieu non seulement pour faire apparaître les cir-
constances dans lesquelles le défendeur aurait failli à ses obligations juri-

diques, mais aussi pour obtenir une éventuelle sanction pour les viola-
tions des obligations du droit international. Le problème tient au fait que
la Cour n’a pas à statuer sur l’entièreté du différend, mais uniquement
sur le différend justiciable défini dans la déclaration du défendeur. Il reve-
nait à la Cour de distinguer de manière non ambiguë le différend qui

oppose les Parties à propos de l’affaire Borrel, de la compétence de la
Cour en la matière, et le différend justiciable stricto sensu.
10. En cas de doute sur l’interprétation d’un acte, l’arrêt doit procéder
à l’analyse exégétique de la proposition controversée. Dans la requête, le

demandeur parle de «différend ... en violation des...», alors que dans le
mémoire ampliatif il parle de «différend ... ainsi que des violations». Il
n’est pas contesté que, dans la limite des demandes exposées dans la
requête, le consentement juridictionnel du défendeur portait sur l’objet
du différend. «En violation de...» renvoie à une proposition de justifica-

tion ou d’explication de la raison du différend justiciable, alors que la
formule «ainsi que des violations» vise tout autre chose: il s’agit de pro-
positions additionnelles par rapport à la proposition principale. Dans la
langue officielle des Parties, qu’on le veuille ou non, l’interprétation du
domaine de la compétence, selon l’arrêt, qui s’est plus attaché à l’inter-

prétation des explications confuses et souvent maladroites des Parties, et

77251 QUESTIONS CONCERNANT L ENTRAIDE JUDICIAIRE (OP .IND. RANJEVA )

notamment de la Partie défenderesse, va au-delà de l’intention exprimée
par le défendeur.

11. A l’analyse, l’explication de la démarche de l’arrêt résulte de la
confusion esquissée au paragraphe 83 entre la cause du différend et la
cause de l’acceptation de la compétence de la Cour. S’agissant du forum
prorogatum, seule la seconde peut être prise en considération. Le consen-
tement juridictionnel exprime la mesure et la limite de l’acceptation de la

compétence de la Cour. Dans le forum prorogatum, cette étendue est
appréciée de manière positive en raison de son caractère ad hoc et de
manière négative lorsqu’il s’agit d’examiner les exceptions qu’elle recèle.
En la présente affaire, les objections à la compétence, qui sont de plu-

sieurs ordres, doivent être examinées de manière cumulative pour pou-
voir donner plein effet à la déclaration du défendeur.
12. Sur le plan formel et instrumental, la requête est l’instrumentum
pertinent sur lequel l’acte du défendeur prend racine. Dans ces condi-
tions, l’interprétation du mémoire et des autres documents ne peut pré-

valoir sur celle littérale de l’instrumentum agréé. En l’absence d’une exé-
gèse du texte de la requête, l’analyse de l’arrêt est un commentaire des
justifications avancées par chaque Partie à l’appui de sa demande respec-
tive. Par rapport à la demande justiciable, le comportement des Parties

vis-à-vis des demandes additionnelles est indifférent eu égard à l’objet du
différend justiciable. S’il en était ainsi, on se trouverait dans un cas de
jugement en équité: un jugement de Salomon.
13. Le sens donné à tort à l’idée de violation des obligations pour éta-
blir la compétence a abouti à une prorogation de celle-ci. Le forum pro-

rogatum a été interprété comme étant une technique de prorogation de la
compétence ratione materiae. Il en a découlé des effets pervers collaté-
raux: l’arrêt se concentre plus sur l’examen des causes et des manifesta-
tions du différend que sur celui du champ de la mesure de la compétence

telle qu’elle est exprimée dans le forum prorogatum. A la décharge du
demandeur, il convient de souligner le comportement du défendeur, qui
n’a pas contribué à faciliter le règlement du différend. La stratégie dans
l’argumentation du demandeur en a pâti. La volonté de maîtriser le dif-

férend dans son entièreté a engendré l’utilisation de manière confuse des
concepts procéduraux : arguments, moyens, litige et demandes. On a
alors perdu de vue l’idée de base selon laquelle seules les demandes for-
mulées dans les conclusions peuvent faire l’objet de prononcé judiciaire.

(Signé) Raymond R ANJEVA .

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248

OPINION INDIVIDUELLE DE M. LE JUGE RANJEVA

Réédition d’un acte judiciaire irrégulier — Continuité ou discontinuité de la
compétence — Forum prorogatum et continuité logique du consentement —
Analyse incomplète des termes de l’acceptation du défendeur — Autonomie juri-
dique du second acte de convocation — Caractère inapproprié de la transposi-
tion de la jurisprudence du droit de passage — Objet du différend selon la
requête — Différend justiciable — Différence entre «en violation» et «ainsi que
des violations» — Prorogation de la compétence ratione materiae.

1. En la présente affaire, la rigueur juridique ne permet pas de sous-

crire à la proposition: «La convocation adressée le 14 février 2007 au
président de la république de Djibouti n’était qu’une simple répétition de
la précédente, quoique la forme en eût été rectifiée.» (Arrêt, par. 91
et 95.)
2. Cette conclusion peut se résumer de la manière suivante: parce
que la Cour est compétente pour connaître de la convocation du 17 mai

2005, elle est donc compétente pour statuer sur la convocation du
14 février 2007, la requête ayant été enregistrée au Greffe le 9 jan-
vier 2006. En fait, on peut accepter l’idée selon laquelle les autorités de la
République française, s’étant rendu compte de leur méprise sur le fond,
ont régularisé la convocation initiale en ressuscitant l’acte irrégulier ou

en édictant un nouvel acte juridique. Pour l’arrêt, la convocation du
14 février 2007 ne serait qu’un acte confirmatif d’un acte initial reconnu,
au regard même du droit français, comme illicite par les deux Parties.
Cette construction, par ailleurs intéressante, a sa place en droit du
contentieux administratif français lorsqu’il s’agit uniquement de la réou-

verture du délai d’action dans un recours pour excès de pouvoirs.
3. En revanche, la démarche de la Cour, dans le cas où elle est appelée
à statuer pour la première fois sur le forum prorogatum, est de nature à
susciter une réserve vis-à-vis de ce mode d’expression de l’acceptation ad
hoc de la compétence juridictionnelle. En effet, l’interprétation que l’arrêt
donne du consentement exprimé dans la lettre d’acceptation du défen-

deur apparaît comme une conclusion logique liée à la connexité des deux
convocations, mais non comme la conséquence d’une analyse restrictive
des termes de la lettre du demandeur.
4. Pour déterminer le domaine de la compétence ratione materiae
acceptée par le défendeur, au paragraphe 83, l’arrêt analyse l’intention de

cette Partie en faisant le commentaire exégétique du membre de phrase
«pour le différend qui fait l’objet de la requête et dans les strictes limites
des demandes formulées dans celle-ci». Mais le choix de ce membre de
phrase est critiquable sur le plan grammatical et sur le plan de l’analyse

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SEPARATE OPINION OF JUDGE RANJEVA

[Translation]

Reissuing of an irregular judicial act — Continuation or cessation of jurisdic-
tion — Forum prorogatum and logical continuity of consent — Incomplete
analysis of the terms of the Respondent’s consent — Independent legal nature of
the second summons — Inappropriate transposition of the Right of Passage case
law — The subject of the dispute according to the Application — Justiciable
Dispute — Difference between “in breach of” and “as well as the . . . breaching
of” — Extension of jurisdiction ratione materiae.

1. In this case, legal rigour makes it impossible to accept the proposi-

tion that: “[t]he summons sent to the President of Djibouti on 14 Febru-
ary 2007 was but a repetition of the preceding one, even though it had
been corrected as to form” (Judgment, paras. 91 and 95).

2. The basis for this proposition may be summarized as follows:
because the Court has jurisdiction to deal with the summons of 17 May

2005, it therefore also has jurisdiction to adjudicate on that of 14 Febru-
ary 2007, the Application having been filed in the Registry on 9 January
2006. It is possible to subscribe to the view that, having realized their
material error, the authorities of the French Republic then regularized
the original summons by repairing the irregular document or by issuing a

new legal act. For the Judgment, the summons of 14 February 2007
merely confirms an initial act which had been recognized as unlawful by
both Parties, in the eyes of French law. This interpretation — which is
not without its attractions — has its place in French administrative law
when the issue is no more than the reopening of the time-limit in

ultra vires proceedings.
3. However, the Court’s approach, when it has been called upon to
rule for the first time on forum prorogatum, is likely to prompt some res-
ervations as regards this means of expressing ad hoc consent to jurisdic-
tion. The Judgment’s interpretation of the consent expressed in the
Respondent’s letter is, on the face of it, a logical conclusion based on the

connection between the two summonses, but it is not the result of a rig-
orous analysis of the terms of the Respondent’s letter.

4. To determine the scope of the jurisdiction which the Respondent
has accepted ratione materiae, paragraph 83 of the Judgment examines

the latter’s intention by critically analysing the phrase “in respect of the
dispute forming the subject of the Application and strictly within the lim-
its of the claims formulated therein”. However, the selection of this
phrase is open to criticism, both grammatically and in terms of logical

75249 QUESTIONS CONCERNANT L ENTRAIDE JUDICIAIRE (OP.IND .RANJEVA )

logique. L’arrêt a commenté la proposition explicative destinée à illustrer
la proposition principale autour de laquelle est articulé le consente-
ment de la France. La proposition principale est en effet rappelée au

paragraphe 68 de l’arrêt et se lit comme suit: «différend port[ant] sur
le refus des autorités ... françaises d’exécuter une commission rogatoire
internationale ... et ce, en violation de la convention ... du 27 sep-
tembre 1986». L’approche d’ensemble des écritures et déclarations du
défendeur pour déterminer le domaine de la compétence ratione mate-

riae se situe au niveau de l’illustration, mais non de l’énoncé même de
la proposition de base. Une analyse complète de la lettre du défendeur
était incontournable.
5. L’interprétation que l’arrêt donne de la seconde convocation est dif-
ficile à admettre. Formellement et s’agissant de la première convocation,

on relèvera que non seulement la France en a effectué le retrait mais que
Djibouti n’a cessé d’en soutenir la nullité. Le retrait, pour des raisons de
régularité formelle, rencontrait la revendication de Djibouti. Cette éradi-
cation conséquente de l’ordre juridique et la privation d’effet signifiaient

que, lors de l’édiction de la seconde convocation, la première n’existait
plus. Logiquement, la nouvelle convocation représentait un nouvel acte
judiciaire par rapport à la première convocation. Que la seconde convo-
cation ait eu le même objet que la première est une question pertinente
qui relève du domaine métajuridique ou de la causalité de l’acte. A juste

titre, on peut stigmatiser l’acharnement du juge d’instruction mais,
en droit, la régularisation d’un acte judiciaire est-elle constitutive d’une
illicéité? D’une faute politique peut-être, mais telle n’est pas la problé-
matique dont la Cour a à adjuger.
6. L’identité d’objet entre les deux convocations, relevée à juste titre

par l’arrêt, est-elle suffisante pour conclure qu’il s’agit de la même convo-
cation? L’identité de nature juridique entre ces deux actes judiciaires n’est
pas discutée. En droit, chaque acte a sa propre cause, première ou immé-
diate. La convocation du 14 février 2007 est la conséquence directe du
rejet par Djibouti de la convocation du 17 mai 2005 adressée au chef de

l’Etat de Djibouti en visite officielle en France. L’identification de la rai-
son exacte de la seconde convocation ainsi que l’intrusion du facteur
d’annihilation des effets juridiques de la première convocation dans les
rapports entre les deux actes excluent la réduction de l’un à l’autre pour

qu’on puisse parler d’identité d’actes.
7. Par ailleurs, à l’analyse, il n’est pas possible de parler de lien indi-
visible entre ces deux convocations. Afin de clarifier le débat, ce n’est pas
de la convocation, acte matériel, qu’il s’agit mais de la décision du juge
d’instruction de convoquer le président de Djibouti. Le caractère indivi-

sible ne peut être envisagé que si la seconde convocation est la consé-
quence juridique de la première. Or, en l’espèce, le retrait ou la nullité de
la première n’a pas, de plein droit, lancé la seconde convocation. Une
décision nouvelle, un acte de volonté du juge d’instruction, était néces-
saire; cette situation juridique explique le non-usage de la technique de la

rectification ou de l’erratum sur le plan formel. En l’espèce, le lien logique

76 QUESTIONS OF MUTUAL ASSISTANCE (SEP. OP.RANJEVA ) 249

analysis. The Judgment has commented on the explanatory statement
whose purpose is to illustrate the main proposition on which France’s
consent hinges. That main proposition is in fact referred to in para-

graph 68 of the Judgment and reads as follows: “the dispute concerns the
refusal by the French . . . authorities to execute an international letter
rogatory . . . in violation of the Convention . . . of 27 September
1986 . . .”. Assessing the scope of jurisdiction ratione materiae by refer-
ence to the Respondent’s written pleadings and declarations as a whole is

an approach which illustrates, but does not actually set forth the basic
proposition. A detailed analysis of the Respondent’s letter was indispen-
sable.
5. The construction which the Judgment places on the second sum-
mons is difficult to accept. Formally, as regards the first summons, it will

be noted that not only did France withdraw that summons, but Djibouti
maintained throughout that it was null and void. The fact that it was
withdrawn, because of formal irregularities, satisfied Djibouti’s demand.
That legal act had consequently been wiped out and deprived of its effect,

so that when the second summons was issued, the first no longer existed.
Logically, in relation to the first summons, the new summons constituted
a new judicial act. The fact that the second summons had the same object
as the first is a relevant point at a more fundamental legal level, or in
terms of the reasons behind the act. The zeal of the investigating judge

may well be criticized, but, in law, does regularizing a judicial document
constitute an unlawful act? It may be a political error, but that is not the
kind of issue on which the Court has to decide.

6. Is the fact that the object of the two summonses is the same, as the

Judgment rightly points out, sufficient to permit the conclusion that they
are one and the same summons? There is no question that the legal
nature of these two judicial acts is the same. In law, each act has its own
primary or immediate cause. The summons of 14 February 2007 is the
direct consequence of Djibouti’s rejection of the summons of 17 May

2005 addressed to the Head of State of Djibouti when he was on an offi-
cial visit to France. Given the precise reason for the second summons,
and the fact that the wiping out of the legal effects of the first summons
impinges on the relationship between the two acts, they cannot simply be

equated and thus deemed to be identical.
7. Moreover, an analysis shows that these two summonses cannot be
regarded as inseparable. To clarify the discussion, it is not the sum-
mons — the physical document — that is at issue, but the decision of the
investigating judge to summon the President of Djibouti. The summonses

cannot be regarded as inseparable unless the second summons is the legal
consequence of the first. But in this case, the fact that the first summons
was withdrawn or invalid did not automatically give rise to the second.
There had to be a fresh decision, a deliberate act on the part of the inves-
tigating judge; that was the legal situation, which is why the option of

formal correction or erratum was not used. In this case, the logical con-

76250 QUESTIONS CONCERNANT L ’ENTRAIDE JUDICIAIRE (OP. IND. RANJEVA )

dans la pensée du juge d’instruction entre l’échec de la première convoca-
tion et la suite consistant en l’édiction d’une nouvelle convocation n’éta-
blit pas de manière inéluctable un lien d’indivisibilité; chaque convoca-

tion a son indépendance juridique, qui n’établit pas que, de plein droit, la
caducité ou l’échec de la première convocation entraîne nécessairement
une seconde convocation.
8. S’agissant de l’interprétation du domaine de la compétence ratione
materiae, l’arrêt se réfère à la méthode que la Cour a observée dans

l’affaire du Droit de passage sur territoire indien lorsqu’on a examiné
l’objet du différend. A cette fin, la Cour invoquait l’examen cumulatif
de la «requête... , les conclusions des Parties et les déclarations faites à
l’audience» (Droit de passage sur territoire indien (Portugal c. Inde),
fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1960 , p. 33). Il s’agissait alors d’interpréter

l’objet du différend à l’aune de la déclaration indienne du 28 février 1940.
Dans cette affaire, la Cour a eu à examiner une exception fondée sur une
déclaration de consentement juridictionnel ayant un caractère objectif,
général et abstrait. S’agissant du consentement ad hoc dans le forum pro-

rogatum, la transposition pure et simple de cette méthode n’est pas par-
faitement appropriée. La question portait non pas sur l’interprétation du
consentement, mais sur la définition du différend justiciable au regard de
l’acceptation du défendeur.

9. La description de l’objet du différend telle que formulée dans la
requête est la cause juridique de l’acceptation. Il n’est pas douteux que le
débat ait porté sur les manquements allégués aux obligations de droit
international. Cela a eu lieu non seulement pour faire apparaître les cir-
constances dans lesquelles le défendeur aurait failli à ses obligations juri-

diques, mais aussi pour obtenir une éventuelle sanction pour les viola-
tions des obligations du droit international. Le problème tient au fait que
la Cour n’a pas à statuer sur l’entièreté du différend, mais uniquement
sur le différend justiciable défini dans la déclaration du défendeur. Il reve-
nait à la Cour de distinguer de manière non ambiguë le différend qui

oppose les Parties à propos de l’affaire Borrel, de la compétence de la
Cour en la matière, et le différend justiciable stricto sensu.
10. En cas de doute sur l’interprétation d’un acte, l’arrêt doit procéder
à l’analyse exégétique de la proposition controversée. Dans la requête, le

demandeur parle de «différend ... en violation des...», alors que dans le
mémoire ampliatif il parle de «différend ... ainsi que des violations». Il
n’est pas contesté que, dans la limite des demandes exposées dans la
requête, le consentement juridictionnel du défendeur portait sur l’objet
du différend. «En violation de...» renvoie à une proposition de justifica-

tion ou d’explication de la raison du différend justiciable, alors que la
formule «ainsi que des violations» vise tout autre chose: il s’agit de pro-
positions additionnelles par rapport à la proposition principale. Dans la
langue officielle des Parties, qu’on le veuille ou non, l’interprétation du
domaine de la compétence, selon l’arrêt, qui s’est plus attaché à l’inter-

prétation des explications confuses et souvent maladroites des Parties, et

77 QUESTIONS OF MUTUAL ASSISTANCE (SEP.OP .RANJEVA ) 250

nection which the investigating judge made between the failure of the first
summons and the next step, namely the issuing of a fresh summons, does
not necessarily establish that the two are linked inseparably; each sum-

mons is an independent legal act, and it does not follow that the invalid-
ity or failure of the first summons automatically results in the issuing of
a second.
8. As regards the interpretation of the scope of jurisdiction ratione
materiae, the Judgment cites the method which the Court applied in the

case concerning Right of Passage over Indian Territory when examining
the subject of that dispute. In that context, the Court referred to the
examination, on a cumulative basis, of the “Application itself . . ., the
Submissions of the Parties and the Statements made in the course of the
hearings . . .” (Right of Passage over Indian Territory (Portugal v.

India), Merits, Judgment, I.C.J. Reports 1960 , p. 33). The issue in that
case was the interpretation of the subject of the dispute in the light of
India’s declaration of 28 February 1940. The Court was required to con-
sider an objection based on a declaration of consent to jurisdiction that

was objective, general and abstract in nature. Simply transposing that
method is not entirely appropriate in relation to ad hoc consent in forum
prorogatum. The question did not concern the interpretation of the con-
sent, but the definition of the justiciable dispute in the light of the consent
given by the Respondent.

9. The description of the subject of the dispute, as formulated in the
Application, is the legal ground for consent. There is no doubt that this
case concerned the alleged breaches of obligations under international
law. It was brought not only to shed light on the circumstances in which
the Respondent allegedly failed to perform its legal obligations, but also

to obtain possible redress for the violation of obligations laid down by
international law. The difficulty arises because the Court is required to
rule not on the dispute in its entirety, but only on the justiciable dispute
as defined in the Respondent’s declaration. The Court thus needed to
identify quite clearly the dispute between the Parties in relation to the

Borrel case, the Court’s jurisdiction on the matter, and the justiciable dis-
pute stricto sensu.
10. Where doubt exists as to the interpretation of an act, the Judgment
has to undertake a critical analysis of the relevant proposition. In the

Application, the Applicant refers to a “dispute . . . in breach of . . .”,
whereas in the Memorial, it refers to the “dispute . . . as well as the . . .
breaching of . . .”. It is common ground that the Respondent’s consent to
jurisdiction related to the subject of the dispute, within the limits of the
claims set out in the Application. The expression “in breach of” leads on

to a proposition justifying or explaining the reason for the justiciable dis-
pute, but the phrase “as well as the breaching of” relates to something
quite different: matters which are additional to the main proposition.
The fact is that, in the official language of both Parties, the interpretation
of the scope of jurisdiction — according to the Judgment, which was

more concerned to interpret the confused and frequently ill-considered

77251 QUESTIONS CONCERNANT L ENTRAIDE JUDICIAIRE (OP .IND. RANJEVA )

notamment de la Partie défenderesse, va au-delà de l’intention exprimée
par le défendeur.

11. A l’analyse, l’explication de la démarche de l’arrêt résulte de la
confusion esquissée au paragraphe 83 entre la cause du différend et la
cause de l’acceptation de la compétence de la Cour. S’agissant du forum
prorogatum, seule la seconde peut être prise en considération. Le consen-
tement juridictionnel exprime la mesure et la limite de l’acceptation de la

compétence de la Cour. Dans le forum prorogatum, cette étendue est
appréciée de manière positive en raison de son caractère ad hoc et de
manière négative lorsqu’il s’agit d’examiner les exceptions qu’elle recèle.
En la présente affaire, les objections à la compétence, qui sont de plu-

sieurs ordres, doivent être examinées de manière cumulative pour pou-
voir donner plein effet à la déclaration du défendeur.
12. Sur le plan formel et instrumental, la requête est l’instrumentum
pertinent sur lequel l’acte du défendeur prend racine. Dans ces condi-
tions, l’interprétation du mémoire et des autres documents ne peut pré-

valoir sur celle littérale de l’instrumentum agréé. En l’absence d’une exé-
gèse du texte de la requête, l’analyse de l’arrêt est un commentaire des
justifications avancées par chaque Partie à l’appui de sa demande respec-
tive. Par rapport à la demande justiciable, le comportement des Parties

vis-à-vis des demandes additionnelles est indifférent eu égard à l’objet du
différend justiciable. S’il en était ainsi, on se trouverait dans un cas de
jugement en équité: un jugement de Salomon.
13. Le sens donné à tort à l’idée de violation des obligations pour éta-
blir la compétence a abouti à une prorogation de celle-ci. Le forum pro-

rogatum a été interprété comme étant une technique de prorogation de la
compétence ratione materiae. Il en a découlé des effets pervers collaté-
raux: l’arrêt se concentre plus sur l’examen des causes et des manifesta-
tions du différend que sur celui du champ de la mesure de la compétence

telle qu’elle est exprimée dans le forum prorogatum. A la décharge du
demandeur, il convient de souligner le comportement du défendeur, qui
n’a pas contribué à faciliter le règlement du différend. La stratégie dans
l’argumentation du demandeur en a pâti. La volonté de maîtriser le dif-

férend dans son entièreté a engendré l’utilisation de manière confuse des
concepts procéduraux : arguments, moyens, litige et demandes. On a
alors perdu de vue l’idée de base selon laquelle seules les demandes for-
mulées dans les conclusions peuvent faire l’objet de prononcé judiciaire.

(Signé) Raymond R ANJEVA .

78 QUESTIONS OF MUTUAL ASSISTANCE (SEP. OP. RANJEVA ) 251

explanations of the Parties, and of the Respondent in particular — goes
beyond what was the stated intention of the Respondent.

11. An analysis shows that this approach was taken in the Judgment
as a result of the confusion, outlined in paragraph 83, between the
grounds of the dispute and the ground for consent to the Court’s jurisdic-
tion. For the purposes of forum prorogatum, only the latter may be taken
into consideration. The consent to jurisdiction expresses both the extent

of and the limits to acceptance of the Court’s jurisdiction. In forum pro-
rogatum, this scope is determined in a positive way because of the ad hoc
nature of the consent, but negatively when it comes to dealing with the
objections it contains. In this case, the objections to jurisdiction, which

fall into several categories, must be examined on a cumulative basis in
order to give full effect to the Respondent’s declaration.
12. At a formal and instrumental level, the Application is the material
act on which the Respondent’s own act is founded. It follows that the
construction which is placed on the Memorial and other documents can-

not take precedence over the literal interpretation of the Application, as
duly filed. Since there is no critical analysis of the text of the Application,
the analysis contained in the Judgment is a commentary on the justifica-
tions which each Party has put forward to support its claims. In com-

parison with the justiciable claim, the Parties’ position on the additional
claims has no bearing on the subject of the justiciable dispute. Otherwise,
the Judgment would be one based on equity, a judgment of Solomon.
13. The construction wrongly placed on the concept of the breaching
of obligations in order to found jurisdiction has led to the latter being

extended. Forum prorogatum has been interpreted as a means of extend-
ing jurisdiction ratione materiae. This has resulted in some perverse side
effects: the Judgment focuses more on examining the causes and mani-
festations of the dispute than on considering the scope of jurisdiction as

expressed through forum prorogatum. In the Applicant’s defence, it should
be pointed out that the Respondent’s conduct has not made it any easier
to settle the dispute: this impacted adversely on the strategy pursued by
the Applicant in arguing its case. The wish to embrace all aspects of the

dispute has resulted in a confused deployment of the various procedural
elements: arguments, grounds, dispute and claims. Consequently, the
fundamental concept that only the claims set out in the submissions may
be the subject of a ruling by the Court has been lost sight of.

(Signed) Raymond R ANJEVA .

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Document file FR
Document Long Title

Opinion individuelle de M. le juge Ranjeva

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