Opinion dissidente de M. le juge ad hoc Dugard

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OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE AD HOC DUGARD

[Traduction]

Malaisie détentrice du titre originaire sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh
— Construction du phare Horsburgh n’ayant pas modifié la situation — Incer-
titude entourant la correspondance de 1953 (sens et compétence) — Manque de

pertinence de cette correspondance confirmé par le fait que Singapour ne l’ait
pas rendue publique — Cour attachant à tort de l’importance à la correspon-
dance de 1953 — Caractère équivoque de la conduite des Parties entre 1953
et 1980 — Aucune conclusion à tirer de cette conduite pendant cette période
quant à la souveraineté — Conduite de Singapour conforme à celle d’un exploi-
tant de phare — Cour donnant des faits survenus dans cette période une inter-
prétation erronée — Difficulté à discerner le fondement juridique de la décision
de la Cour — Cour écartant à bon droit les notions de prescription et d’ estoppel
— Conclusion de la Cour voyant dans la conduite des Parties la manifestation
d’un accord ou d’une communauté de vues tacites quant à l’existence d’un chan-
gement du titulaire de la souveraineté n’étant convaincante ni en droit ni en fait
— Preuves insuffisantes à l’appui de la conclusion selon laquelle la Malaisie
aurait acquiescé à la revendication de souveraineté de Singapour — Critères
d’acquisition du territoire énoncés dans la sentence arbitrale Erythrée/Yémen —
Lesdits critères non remplis en la présente espèce — Titre sur Pedra Branca/
Pulau Batu Puteh demeurant malaisien — Middle Rocks et South Ledge rele-

vant de la souveraineté de la Malaisie — Fâcheux que le conseil n’ait pas été
invité à s’exprimer sur les éléments appelés à fonder la décision de la Cour.

1. L’arrêt de la Cour fournit une solution équitable au différend dont
celle-ci est saisie. Pedra Branca/Pulau Batu Puteh est attribuée à Singa-
pour, Middle Rocks à la Malaisie, South Ledge, haut-fond découvrant,
devant revenir à l’Etat dans les eaux territoriales duquel il est situé. Si, à

tout le moins en théorie, le différend ne portait pas sur la mer territoriale
et le plateau continental, les deux Parties n’en partageront pas moins ces
zones et leurs ressources. Si la Cour exerçait des fonctions de cour
d’équité, ou avait été autorisée par les Parties à trancher l’affaire ex aequo
et bono aux termes du paragraphe 2 de l’article 38 du Statut de la Cour,

j’aurais peut-être pu m’associer à sa décision. Mais telles ne sont pas ses
fonctions. Le compromis conclu par la Malaisie et la République de Sin-
gapour le 6 février 2003 énonce clairement, en son article 5, la nécessité
de trancher le différend conformément au droit international. Me trou-
vant dans l’impossibilité de faire miens le raisonnement juridique de la
Cour et l’interprétation des faits qui le sous-tend en ce qui concerne la

question de la souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, je me
vois contraint de marquer mon dissentiment sur ce point.
2. L’arrêt d’une juridiction de la taille de celle de la Cour internatio-
nale de Justice doit inévitablement prendre en compte les différentes
opinions juridiques et reflétera le plus petit dénominateur commun à la

125majorité. Quand bien même, j’ai peine à bien saisir la base sur laquelle la
Cour fonde son arrêt. Celui-ci repose sur la conclusion selon laquelle

la conduite des deux Parties aurait fait passer la souveraineté sur
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh de la Malaisie (auparavant le Johor) à
Singapour. Or, si des considérations d’acquiescement, d’abandon de titre
ainsi que de communauté de vues ou d’accord tacites occupent une place

considérable dans le raisonnement de la Cour, celle-ci ne cherche nulle-
ment à justifier ou à expliquer ce transfert de souveraineté à la lumière
des principes établis régissant l’acquisition d’un titre territorial. Parallè-
lement, l’interprétation des faits de l’espèce suscite quelque interrogation.
Les faits en cause sont complexes, contradictoires et compliqués. Pour

rendre sa décision finale, la Cour a été contrainte de choisir entre des faits
contradictoires et d’attribuer à certains plus de poids qu’à d’autres. Si tel
est le propre du processus d’établissement des faits dans la procédure
judiciaire, il me semble toutefois que, en sélectionnant les faits et en déci-

dant du poids à leur attribuer, en particulier pour la période allant de
1953 à 1980, la Cour s’est laissé indûment influencer par son interpréta-
tion de la correspondance controversée de 1953 entre Singapour et le
Johor. Elle s’est montrée, dans son appréciation des faits de cette période,
très bienveillante à l’égard de Singapour, moins envers la Malaisie. Je

m’attacherai, dans la présente opinion, à préciser la teneur de mon désac-
cord avec elle tant du point de vue des faits que du point de vue du droit.

L ES FAITS AVANT 1852

3. Je n’ai guère de désaccord avec la Cour quant aux faits survenus
avant 1852. Je souscris aux conclusions et au raisonnement de la Cour
selon lesquels le Johor (et, partant, la Malaisie) détenait la souveraineté

sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh avant 1824, et rien ne s’est passé
entre cette dernière date et 1844 qui contredirait ce constat. La Cour a rai-
son de dire que, selon toute vraisemblance, W. G. Butterworth, gouverneur
des Etablissements des détroits, a, dans sa lettre de novembre 1844,

proposé au sultan et au temenggong de Johor de construire le futur phare
Horsburgh en des termes généraux, Peak Rock n’étant, autrement dit,
qu’un des emplacements envisagés parmi d’autres. Je ne saurais toutefois
la suivre lorsqu’elle affirme que le gouverneur ne «semble» pas avoir
songé à Pedra Branca/Pulau Batu Puteh comme autre site possible

(arrêt, par. 134). Il ressort de la correspondance antérieure aux lettres
du gouverneur Butterworth que Pedra Branca/Pulau Batu Puteh a tou-
jours été l’un des autres emplacements envisagés et avait été considérée
comme l’un des sites possibles pour la construction du phare avant que

Peak Rock ne fût proposé. On peut donc très raisonnablement en dé-
duire que les lettres du gouverneur Butterworth mentionnaient expres-
sément Pedra Branca/Pulau Batu Puteh comme un autre emplacement
possible. Ce désaccord n’a cependant pas d’incidence fondamentale sur
l’issue de l’affaire, la Cour ayant apparemment admis que la souveraineté

126sur l’île a continué d’appartenir au Johor après la construction du phare;
à tout le moins n’a-t-elle tiré «de la construction et de la mise en service

du phare aucune conclusion quant à la souveraineté» (arrêt, par. 162).
4. La Cour ne formule aucune conclusion sur la question de savoir si le
Johor avait cédé au Royaume-Uni (et, partant, à Singapour) toute île
(Pedra Branca/Pulau Batu Puteh comprise) placée sous sa souveraineté qui

pourrait être choisie aux fins de la construction du phare, ou s’il n’avait
accordé qu’une autorisation de construire, d’entretenir et d’exploiter un
phare sur l’île qui serait retenue à cet effet, parce qu’elle «ne sait pas quelle
était au juste» la teneur de la proposition faite par le gouverneur Butter-
worth au sultan et autemenggong de Johor en 1844 (ibid., par. 133). La

Cour, en revanche, a acquis la conviction que la souveraineté du Johor sur
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh avant 1844 était déjà établie.

L A PÉRIODE ALLANT DE 1852 À 1952

5. La Cour use de deux poids deux mesures dans son examen de la
période allant de 1852 à 1952 — en grande partie faute d’avoir tranché la
question de savoir si Pedra Branca/Pulau Batu Puteh avait été cédée au

Royaume-Uni en 1844 ou si celui-ci avait simplement été autorisé à y
construire, entretenir et exploiter le phare (voir paragraphe 4 ci-dessus).
La Cour examine la conduite des Parties au cours de cette période et
passe minutieusement en revue les faits survenus dans cet intervalle sus-

ceptibles d’avoir une incidence sur la souveraineté à l’égard de l’île, sans
toutefois parvenir à une conclusion sur cette question.

6. La Cour examine la législation britannique ayant trait au système
des phares des détroits, qui autorisait Singapour à administrer des phares

avec lesquels elle n’entretenait aucun lien territorial, et conclut à juste titre
qu’elle n’atteste pas la souveraineté du Royaume-Uni sur les îles où des
phares ont été édifiés. Plus loin, la Cour soutient en revanche, à propos de
la période postérieure à 1952, que «vient à l’appui des allégations de Sin-

gapour» (arrêt, par. 174) une affirmation selon laquelle Pedra Branca/
Pulau Batu Puteh appartenait à cette dernière qui figure dans les travaux
préparatoires de l’ordonnance de 1958 portant modification de celle
de 1957 sur les droits de phare (Singapour). Selon moi, pareille affirma-
tion avancée dans le cadre des travaux préparatoires d’un texte législatif

ne justifie pas une telle conclusion, si modérée soit-elle. La Cour estime
par ailleurs que mérite d’être «not[é]» un autre élément dont la pertinence
est douteuse: le fait que, en 1952, le Johor ait songé à assumer le finan-
cement du phare de Pulau Pisang, qui relève clairement de la souveraineté

malaisienne, mais non celui du phare de Pedra Branca/Pulau Batu Puteh.
En revanche, elle n’accorde pas d’importance au fait que, dans l’accord
de 1927 relatif aux eaux territoriales des Etablissements des détroits et du
Johor, portant sur la rétrocession de certaines îles cédées à Singapour par
le Johor en 1824, Pedra Branca/Pulau Batu Puteh n’est pas représentée en

127territoire singapourien. Certes, comme l’affirme la Cour, Pedra Branca/
Pulau Batu Puteh n’était pas couverte par cet accord, mais l’on se serait à

tout le moins attendu à ce que Singapour insiste pour que soit quelque
part mentionné le fait que l’île lui appartenait — eût-elle effectivement
revendiqué la souveraineté sur l’île à cette époque.
7. La Cour n’accorde globalement pas, ou guère, d’importance aux

faits survenus entre 1852 et 1952. Cela nous mène à 1953, année qui
marque, selon elle, un tournant en ce qui concerne la souveraineté sur
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh.

L A CORRESPONDANCE DE 1953

8. L’année 1953 est, pour reprendre les termes de la Cour (arrêt,
par. 203), «essentiell[e]» aux fins de comprendre le différend: c’est de

cette année, en effet, que date la lettre du secrétaire d’Etat par intérim du
Johor informant Singapour que le Johor (la Malaisie) ne revendiquait
pas la «propriété» de Pedra Branca/Pulau Batu Puteh. Cette admission
est à juste titre tenue par la Cour pour éminemment pertinente; reste à
savoir si, conjointement avec certains faits antérieurs ou postérieurs, elle

atteste que la souveraineté sur l’île était désormais singapourienne.
D’après moi, trop d’interrogations et d’incertitudes entourent la corres-
pondance de 1953 entre Singapour et le Johor et ses suites pour que l’on
puisse conclure que de la lettre du Johor a découlé dans les faits, sinon

dans les formes, le transfert de la souveraineté sur Pedra Branca/Pulau
Batu Puteh du Johor à Singapour.
9. Premièrement, la question du secrétaire colonial de Singapour n’était
pas de savoir qui détenait la souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu
Puteh, mais si celle-ci avait fait l’objet d’un bail, d’une concession ou

d’une cession au profit de Singapour. Si Singapour, dans sa lettre, avait
expressément demandé quel Etat détenait la souveraineté ou un titre ter-
ritorial sur l’île, et si le Johor avait déclaré ne pas revendiquer ceux-ci, il
aurait été possible de conclure que le Johor (la Malaisie) avait renoncé à

toute prétention à un titre souverain sur l’île. Mais, dans sa lettre, Singa-
pour, mélangeant la terminologie du droit privé et celle du droit public,
demande si l’île a fait l’objet d’un bail, d’une concession ou d’une cession
à son profit. Rien d’étonnant, dès lors, à ce que la réponse soit formulée
en termes de droit privé — propriété — et non de droit public — souve-

raineté. Or, nul ne conteste qu’il existe une différence entre propriété et
souveraineté.
10. Les propos de la Cour sur les notions de «propriété» et de «sou-
veraineté» ne sont pas convaincants. La Cour reconnaît que la propriété

se distingue «en droit» de la souveraineté, mais n’en affirme pas moins
que la demande de renseignements de Singapour visait la souveraineté de
cette dernière sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, ajoutant que, «[e]n
matière de litiges internationaux, la notion de «propriété» d’un territoire
a parfois été employée comme synonyme de «souveraineté»» (ibid.,

128par. 222). A l’appui de cette affirmation, elle cite l’affaire Erythrée/Yé-
men, souveraineté territoriale et champ du différend (Permanent Court of

Arbitration Award Series , T.M.C. Asser Press, 2005, p. 288, par. 19, et
p. 423, par. 474). Cet argument appelle deux observations. En premier
lieu, ainsi que montré plus haut (voir paragraphe 9 ci-dessus), la lettre
elle-même mélange droit immobilier et droit international, la question
posée étant celle de savoir «s’il existe des documents indiquant que le

rocher a fait l’objet d’un bail ou d’une concession, ou si le gouvernement
de l’Etat du Johore l’a cédé ou en a disposé de toute autre manière»
(arrêt, par. 192). En second lieu, le tribunal arbitral, dans la sentence ren-
due en l’affaire Erythrée/Yémen, n’emploie pas indifféremment les termes

«propriété» et «souveraineté». Dans les passages cités, il emploie le pre-
mier au sens large comme synonyme de «souveraineté» mais, dans son
dispositif, il a soin d’employer le mot «souveraineté» s’agissant des îles
(Erythrée/Yémen, op. cit. , p. 441-442, par. 527). En l’espèce, la question
demeure — d’où l’absence de certitude — de savoir si le secrétaire d’Etat

par intérim a employé le mot «propriété» dans une acception large, en
l’assimilant à la notion de souveraineté, ou s’il a délibérément utilisé ce
terme de droit privé pour indiquer que, aux yeux du Johor, Singapour
était propriétaire du terrain sur lequel était bâti le phare.
11. Deuxièmement, se pose la question de savoir pourquoi le secrétaire

d’Etat par intérim du Johor a consulté le commissaire à l’aménagement
du territoire et aux mines ainsi que le géomètre en chef, qui pouvaient
essentiellement le conseiller sur des questions relevant du droit privé, et
non ses conseillers politiques et diplomatiques. Est-ce parce que la ques-
tion ne touchait pas, à ses yeux, à la souveraineté sur Pedra Branca/Pulau

Batu Puteh? Est-ce pour cela qu’il a employé le mot «propriété»? Et
qu’entendait-il par «propriété» dans le contexte des circonstances histo-
riques propres à l’île? Pleine propriété? Propriété résiduelle? Possession?
Ou souveraineté?
12. Que le secrétaire d’Etat par intérim ait considéré son rôle comme

limité aux affaires, internes, de droit privé, est confirmé par la réponse
écrite apportée par Singapour à la question posée par le juge Keith le
23 novembre 2007. Singapour mentionne le fait que, au cours de la
période visée, «les responsables du Johor ont continué d’entretenir une
correspondance régulière avec leurs homologues de Singapour sur les

questions de leur ressort» (réponse écrite de Singapour à la question
posée par le juge Keith, en date du 30 novembre 2007). Singapour donne
de ces échanges des exemples ayant trait à l’approvisionnement en eau, à
la coopération policière et à ses relations avec le capitaine du port et le
responsable des fournitures du Johor. Aucune de ces questions ne tou-

chait aux domaines politique et des affaires extérieures, qui, aux termes
de l’accord de 1948 relatif à la Fédération de Malaya, étaient du seul res-
sort de la Grande-Bretagne.
13. Troisièmement, pourquoi le Gouvernement de Singapour n’a-t-il

pas cherché à obtenir des éclaircissements sur le sens du mot «pro-
priété»? Assurément, il ne pouvait savoir avec certitude ce qu’il recou-

129vrait au juste. S’est-il abstenu de rendre publique la lettre du Johor de
crainte de susciter de la part de celui-ci des explications ou des éclaircis-

sements qui lui eussent été défavorables? L’affirmation de la Cour selon
laquelle la réponse du Johor «revêt une signification claire» (arrêt,
par. 223) ne résout pas certaines questions, telles que celles soulevées aux
paragraphes 9 à 13 ci-dessus.
14. Se pose, quatrièmement, l’épineuse question de savoir si le secré-

taire d’Etat par intérim du Johor avait compétence pour se prononcer sur
des questions de souveraineté (par opposition à des questions de pro-
priété). Les Parties se sont vivement opposées sur cette question. La
Malaisie soutient que les deux accords de 1948 conclus par la Couronne

britannique, l’un avec le sultan de Johor, l’autre avec la Fédération de
Malaya, ne reconnaissaient pas à l’Etat du Johor de compétence en
matière d’affaires extérieures, lesquelles continuaient de relever de la
Grande-Bretagne. Singapour, quant à elle, soutient que la correspon-
dance de 1953 ne touchait pas au domaine des affaires étrangères et que

le principe omnia praesumuntur rite esse acta s’appliquait à la lettre
de 1953. La brève conclusion de la Cour selon laquelle les accords
de 1948 ne sont pas pertinents, au motif que la première lettre de
l’échange de correspondance émanait d’un représentant de la Couronne
britannique, qui n’était pas un Etat étranger, et qu’une demande de ren-

seignements ne saurait être assimilée à l’exercice d’une compétence exé-
cutive dans le domaine des affaires extérieures, ne constitue pas, selon
moi, une réponse satisfaisante aux objections de nature constitutionnelle
soulevées par la Malaisie quant à la compétence du secrétaire d’Etat par
intérim pour se prononcer sur la souveraineté à l’égard de Pedra Branca/

Pulau Batu Puteh. Cette question méritait un examen autrement plus
approfondi. S’il n’a pas été mené, la faute en revient en grande partie à la
Malaisie, qui n’a pas soulevé cette question dans ses écritures, ne l’abor-
dant qu’au terme de ses plaidoiries. Il s’agit néanmoins d’une question
qui revêt une importance cruciale pour l’issue de l’affaire et qui méritait

davantage d’attention.
15. A la question de savoir si le secrétaire d’Etat par intérim du Johor
avait la compétence requise pour statuer sur des questions relevant des
affaires extérieures en est associée une autre: celle de la nature de l’accord
entre Singapour et le Johor ayant, si accord il y a effectivement eu,

découlé de la correspondance de 1953. S’agissait-il d’un traité régi par le
droit international? Si le sultan de Johor était peut-être un souverain
indépendant, le Johor n’était pas un Etat pleinement indépendant mais
était un protectorat (et, par conséquent, il n’était pas membre de l’Orga-
nisation des Nations Unies). C’est probablement la raison pour laquelle

il n’a pas été entrepris d’enregistrer «l’accord» conformément à l’ar-
ticle 102 de la Charte des Nations Unies. Mais quel était le statut des
accords conclus entre deux entités relevant du Royaume-Uni? S’agis-
sait-il d’accords inter se (à l’instar de ceux conclus entre anciens domi-

nions du Commonwealth britannique)? Dans l’affirmative, il n’est pas
«aisé», pour citer lord McNair, «d’apporter une réponse simple» à la

130question de savoir si ces accords étaient «régis par le droit international
ou par quelque mécanisme de droit interne» (lord McNair, The Law of

Treaties, 1961, p. 115). Et si la correspondance de 1953 n’était pas régie
par le droit international, cela a-t-il une incidence sur les conséquences
qu’il convient de lui attacher?
16. Autre question, également liée à la compétence du secrétaire d’Etat
par intérim: celui-ci était-il compétent pour aliéner un territoire qui rele-

vait en dernier ressort de la Couronne britannique? S’il était compétent
pour aliéner Pedra Branca/Pulau Batu Puteh au moyen d’une note que
son destinataire reléguerait dans ses archives, l’aurait-il été pour trancher
un différend frontalier ou pour aliéner une importante partie du territoire

du Johor continental? Ou se serait-il alors agi d’une question relevant des
«affaires extérieures», du ressort de la Couronne britannique?
17. Cinquièmement, pourquoi Singapour n’a-t-elle pas rendu public
le fait que le Johor/la Malaisie avait admis que la «propriété» (souve-
raineté) sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh revenait à Singapour? Si la

lettre de 1953 revêtait l’importance que lui prête cette dernière, l’on com-
prend mal pourquoi cette affaire n’a pas été rendue publique au-
delà du cercle de la bureaucratie singapourienne. Pourquoi Singapour
n’a-t-elle pas arboré son drapeau national sur l’île, pas fait figurer cette
dernière sur ses propres cartes, pourquoi n’en a-t-elle pas fait état dans

ses brochures touristiques? Pourquoi ne l’a-t-elle pas enregistrée confor-
mément à l’article 102 de la Charte des Nations Unies? Si l’objectif de
la lettre de renseignements était de déterminer les limites des eaux terri-
toriales singapouriennes, pourquoi Singapour n’a-t-elle pas proclamé
publiquement quelles étaient ses frontières maritimes après 1953? La

réponse apportée par la Cour, à savoir que des Etats voisins auraient
alors pu faire valoir des prétentions sur des eaux territoriales risquant
d’avoir une incidence sur les droits de pêcheurs singapouriens, n’est
fondée que sur des conjectures et elle n’est pas convaincante.
18. Au début de son arrêt, la Cour affirme qu’«[i]l est un principe

général de droit, confirmé par [s]a jurisprudence ..., selon lequel une par-
tie qui avance un élément de fait à l’appui de sa prétention doit établir
celui-ci» (arrêt, par. 45). Plus loin, elle indique que

«tout changement du titulaire de la souveraineté territoriale fondé
sur le comportement des Parties ... doit se manifester clairement et
de manière dépourvue d’ambiguïté au travers de ce comportement et
des faits pertinents. Cela vaut tout particulièrement si ce qui risque

d’en découler pour l’une des Parties est en fait l’abandon de sa sou-
veraineté sur une portion de son territoire.» (Ibid., par. 122.)

La question de savoir si Singapour s’est acquittée de la charge de la
preuve lui incombant ne peut se poser en ce qui concerne les consé-
quences de la correspondance de 1953, car celles que lui prête Singapour
sont très différentes de celles que lui associe la Cour. Si cette dernière voit

dans la correspondance un accord «tacite» (ibid., par. 120) ou l’abou-
tissement d’une «évolution des vues» des Parties (ibid., par. 203, 223,

131230, 276), convenant toutes deux que le Johor ne revendiquait pas la sou-
veraineté sur l’île ou avait acquiescé à la souveraineté singapourienne sur

l’île, Singapour nie avoir fait valoir que le Johor avait renoncé à son titre
sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh ou avait abandonné ce titre, «pour la
simple raison» que le Johor ne détenait aucun titre auquel il eût pu
renoncer ou qu’il eût pu abandonner (réponse écrite de Singapour à la
question posée par le juge Keith, en date du 30 novembre 2007). La Cour

ayant tiré de la correspondance de 1953 des conclusions différentes de
celles avancées par Singapour, elle doit acquérir la conviction que la
conduite du Johor «manifest[ait] clairement et de manière dépourvue
d’ambiguïté» un abandon effectif de sa souveraineté sur l’île. Or, il est

très loin d’être certain que la correspondance de 1953 apporte des preuves
en ce sens compte tenu des incertitudes très réelles qui entourent sa signi-
fication, sa nature et ses conséquences.
19. La Cour, on le comprend, a quelque peine à trouver un fondement
juridique solide à sa conclusion selon laquelle la correspondance de 1953

a substantiellement contribué au transfert de la souveraineté du Johor
à Singapour. Elle affirme à juste titre que la correspondance n’était ni
constitutive ni à l’origine d’un titre, que la lettre du secrétaire d’Etat par
intérim ne constituait pas un engagement unilatéral contraignant et qu’il
n’y a pas eu d’estoppel. Toutefois, elle n’indique pas clairement quelles

sont les conclusions à tirer de cette correspondance. Dans les passages
de l’arrêt qui s’y rapportent, la Cour indique que «cette correspondance
ainsi que la manière dont elle est interprétée sont essentielles pour déter-
miner comment ont évolué les vues des deux Parties à propos de la sou-
veraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh» (arrêt, par. 203); que «la

réponse du Johor montre que, en 1953, celui-ci considérait que la souve-
raineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh ne lui appartenait pas»; et
que, «[a]u vu de cette réponse, les autorités à Singapour n’avaient aucune
raison de douter que le Royaume-Uni détenait la souveraineté sur l’île»
(ibid., par. 223; voir également par. 230). La Cour fait également état

d’une «évolution des vues partagées par les Parties» (ibid., par. 224). Plus
haut dans l’arrêt, elle indique, probablement eu égard à la correspondance
de 1953, que le changement du titulaire de la souveraineté peut résulter
d’un accord «tacite» découlant du comportement des Parties (ibid,
par. 120) et de l’absence de réaction de l’Etat qui détenait la souveraineté

face au comportement d’un autre Etat agissant à titre de souverain,
auquel cas «[l]’absence de réaction peut tout à fait valoir acquiescement»
(ibid., par. 121). L’acquiescement, dans ce contexte, affirme la Cour,
«équiv[aut] à une reconnaissance tacite manifestée par un comportement
unilatéral que l’autre partie peut interpréter comme un consentement»

(ibid.; citant l’affaire de la Délimitation de la frontière maritime dans la
région du golfe du Maine (Canada/Etats-Unis d’Amérique), arrêt,
C.I.J. Recueil 1984, p. 305, par. 130). Plus loin, dans la conclusion de son
arrêt, et faisant notamment référence à la correspondance de 1953 — à

laquelle elle prête «une importance capitale» pour son évaluation de la
situation (arrêt, par. 275) —, la Cour déclare que les faits pertinents, dont

132le comportement des Parties, «témoignent d’une évolution convergente
des positions de celles-ci concernant le titre sur Pedra Branca/Pulau Batu

Puteh», dont est découlé un changement du titulaire de la souveraineté
sur l’île au profit de Singapour (arrêt, par. 276). Il apparaît ainsi que les
notions d’accord tacite, d’évolution des vues partagées par les Parties (un
synonyme d’accord tacite?) et d’acquiescement attestés par la conduite des

Parties constituent la base juridique sur laquelle la Cour fonde son arrêt.
De toute évidence, la lettre de 1953 du Johor occupe une place centrale
dans son appréciation. La question de savoir si l’accord tacite fondé sur la
conduite des Parties, le partage, au terme d’une «évolution», des mêmes
vues quant à l’existence d’un transfert de la souveraineté et l’acquiesce-

ment fournissent, dans le contexte des faits de l’espèce, une base juridique
solide à un tel changement sera examinée plus loin.

LA PÉRIODE ALLANT DE 1953 À 1980

20. La manière dont la Cour aborde les conséquences juridiques à
attacher aux événements survenus dans la période allant de 1953 à 1980
est conditionnée, et influencée, par sa conclusion selon laquelle le Johor

(la Malaisie) avait, dans la lettre de 1953 de son secrétaire d’Etat par inté-
rim, reconnu la souveraineté de Singapour sur Pedra Branca/Pulau Batu
Puteh. Les actes de Singapour postérieurs à cette date sont portés à son
crédit comme étayant sa revendication de souveraineté, tandis que son

inaction et ses omissions sont excusées. A l’inverse, les actes de la Malai-
sie ne se voient reconnaître aucune valeur juridique positive, tandis que
son inaction est perçue comme une preuve supplémentaire de son acquies-
cement à la revendication singapourienne. Tel est le constat qui ressort de
l’examen de l’arrêt de la Cour.

21. La Cour attache à l’enquête sur les naufrages menée au voisinage
de Pedra Branca/Pulau Batu Puteh par Singapour des conséquences juri-
diques favorables à Singapour, bien que celle-ci fût, en sa qualité d’exploi-
tant du phare, tenue d’agir ainsi. La Cour estime que le contrôle qu’elle

exerçait à l’égard des visites officielles (y compris de la Malaisie) sur l’île
pèse, dans la balance, en faveur de Singapour, et refuse de considérer
l’acquiescement de la Malaisie à cette pratique comme la simple marque
d’une déférence polie envers l’autorité reconnue à un preneur à bail. La
Cour met à l’actif de Singapour le fait que celle-ci ait installé du matériel

militaire sur l’île, quand bien même la Malaisie a affirmé — sans que
cette affirmation ait été contestée — qu’elle n’en avait pas eu connais-
sance et n’avait dès lors pu réagir. Il en va de même de la proposition de
Singapour tendant à agrandir l’île par récupération de terres, dont, là

encore, la Malaisie ne fut pas informée. En revanche, la Cour ne retient
pas contre Singapour le fait que celle-ci se soit abstenue de protester
contre un certain nombre d’actes publics de la Malaisie au voisinage de
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh qui risquaient pourtant d’avoir pour elle
de sérieuses conséquences — l’accord pétrolier de 1968 conclu entre la

133Malaisie et la Continental Oil Company of Malaysia, l’ordonnance de
1969 sur la mer territoriale malaisienne élargissant les eaux territoriales

de la Malaisie, et les accords conclus en 1969 et 1970 entre la Malaisie
et l’Indonésie aux fins de délimiter leur plateau continental et leurs eaux
territoriales —, n’ait pas exprimé de préoccupations à leur égard ni n’en
ait seulement pris acte. Curieusement, la Cour n’attache pas d’impor-
tance au fait que l’accord de 1973 relatif à la mer territoriale entre Sin-

gapour et l’Indonésie ne contienne aucune mention de Pedra Branca/
Pulau Batu Puteh. Avec la même largesse, la Cour ne retient pas contre
Singapour le fait que l’île ne figure pas en territoire singapourien dans ses
publications officielles, et rejette comme sans importance une affirmation

datant de 1966 de J. A. L. Pavitt, qui fut pendant plusieurs années direc-
teur des affaires maritimes de Singapour, selon laquelle Pedra Branca/
Pulau Batu Puteh n’appartenait pas à cette dernière (J. A. L. Pavitt, The
First Pharos of the Eastern Seas: Horsburgh Lighthouse ). En revanche,
la Cour juge que «n’est pas sans intérêt» le fait que la Malaisie ait pré-

senté le phare Horsburgh comme une «station de Singapour» dans deux
rapports météorologiques. De l’explication de la Malaisie — à savoir
qu’elle y figurait en tant que simple station pluviométrique singapou-
rienne —, il n’est fait aucun cas. Enfin, la Cour note en passant seule-
ment, et sans commentaire, que Singapour ne présente Pedra Branca/

Pulau Batu Puteh comme singapourienne dans aucune des cartes qu’elle
a publiées entre 1847 et 1995.
22. La Cour use de deux poids deux mesures dans la manière dont elle
traite le fait que Singapour a arboré sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh
son pavillon plutôt que son drapeau national. Elle reconnaît que le

déploiement d’un pavillon «n’est habituellement pas une manifestation
de souveraineté» (arrêt, par. 246), mais estime que milite contre la thèse
de la Malaisie le fait que celle-ci n’ait pas protesté contre le déploiement
du pavillon sur l’île inhabitée de Pedra Branca/Pulau Batu Puteh alors
qu’elle avait élevé des objections lorsqu’un tel pavillon avait été hissé sur

l’île — plus grande et habitée — de Pulau Pisang. Selon moi, la Cour
aurait dû au contraire juger que militait contre la thèse de Singapour le
fait que celle-ci n’ait pas arboré son drapeau national sur Pedra Branca/
Pulau Batu Puteh. Qu’elle ne l’ait pas arboré est on ne peut plus élo-
quent, puisqu’il en ressort clairement que Singapour n’a jamais considéré

(ou n’a, à tout le moins, jamais estimé certain) qu’elle détenait la souve-
raineté sur l’île et n’était, dès lors, pas disposée à se livrer à la manifesta-
tion publique d’affirmation de la souveraineté inévitablement associée au
déploiement du drapeau national.
23. Les activités de la Malaisie sont considérées sous un jour moins

complaisant. Le fait que des navires malaisiens et singapouriens aient pa-
trouillé conjointement dans les eaux voisines de Pedra Branca/Pulau Batu
Puteh est jugé sans importance. Aucun poids n’est accordé à une lettre
de 1968 du chef de la marine malaisienne indiquant que les eaux territo-

riales de Pedra Branca/Pulau Batu Puteh faisaient partie de la mer terri-
toriale malaisienne, au motif que cette lettre ne fut pas rendue publique

134(argument qui aurait pu être recevable si la Cour ne s’était montrée au-
trement généreuse dans l’importance accordée à l’installation secrète de

matériel militaire par Singapour et à son projet de récupération de terres:
voir paragraphe 21 ci-dessus). Aucun effet juridique n’est associé à l’accord
pétrolier conclu en 1968 par le Gouvernement malaisien avec la Conti-
nental Oil Company of Malaysia, qui autorisait celle-ci à mener des acti-

vités d’exploration pétrolière aux alentours de Pedra Branca/Pulau Batu
Puteh. La Cour, à cet égard, aurait pu prendre note de la sensibilité mani-
festée par les Etats en matière d’exploration pétrolière et du fait que cet
accord a dû être porté à l’attention de Singapour — de sorte qu’une réac-
tion de sa part semblait s’imposer. Il n’est accordé aucun poids à l’ordon-

nance de 1969 de la Malaisie sur sa mer territoriale au motif qu’elle ne
mentionne pas expressément Pedra Branca/Pulau Batu Puteh. Une fois
de plus, il aurait semblé naturel qu’un Etat entretenant, dans la région,
des prétentions territoriales qu’il n’avait pas exprimées publiquement eût

à tout le moins rappelé à la Malaisie son intérêt. Les accords conclus par
la Malaisie avec l’Indonésie relativement à leur plateau continental et à
leurs mers territoriales sont traités de la même façon, et le silence de Sin-
gapour n’est pas retenu contre elle, en dépit de l’intérêt manifeste qui
était le sien s’agissant des revendications territoriales dans la région.

24. Le traitement réservé par la Cour aux cartes qui représentent
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh est extrêmement insatisfaisant. La Cour
prête une importance considérable à six cartes malaisiennes qui semblent
présenter Pedra Branca/Pulau Batu Puteh comme singapourienne, sans

accorder l’attention qu’elle mérite à l’explication éminemment plausible
de la Malaisie selon laquelle l’adjectif «singapourien» qualifiait, dans ce
contexte, le phare Horsburgh seulement, et non pas l’île. (A ce stade, la
Cour aurait également pu se poser la question de savoir si la décision
prise par Singapour d’arborer le pavillon plutôt que son drapeau national

corroborait d’une quelconque façon cette explication.) En revanche, la
Cour écarte les documents cartographiques qui vont clairement dans le
sens de la thèse malaisienne. Non seulement elle conteste l’importance de
trois cartes publiées en 1926 et en 1932 par le géomètre général de la

Fédération des Etats malais et des Etablissements des détroits, qui indi-
quent clairement (même si la Cour affirme seulement qu’elles «pour-
raient» indiquer) que l’île appartenait au Johor, mais elle ne prend pas
même en compte d’autres cartes établies par le Johor et le Royaume-Uni,
qui situent Pedra Branca/Pulau Batu Puteh en territoire malaisien.

APPRÉCIATION GLOBALE DES FAITS

25. Cette affaire recouvre un différend entre deux nations amies, long-
temps soumises, l’une comme l’autre, à l’autorité ou à l’influence britan-
niques, et dont l’amitié et les liens constitutionnels étroits sont l’une des
causes du présent litige. Cette amitié a permis à la question de la souve-
raineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh de passer quasiment inaper-

135çue pendant cent trente ans. Pour aborder ce différend, il est essentiel de
tenir compte de ces circonstances politiques et historiques.

26. Avant 1980, la question du statut de Pedra Branca/Pulau Batu
Puteh ne s’était pas sérieusement posée. La Malaisie pensait que l’île lui
appartenait et, quelque temps après la construction du phare Horsburgh,
Singapour pensait, de même, que l’île lui appartenait. L’une et l’autre
eurent toutefois la sagesse de laisser prévaloir sur des prétentions territo-

riales l’intérêt primordial de la sécurité de la navigation dans le détroit de
Singapour. La correspondance de 1953 ne perturba pas leurs relations.
Informée par le Johor que celui-ci ne revendiquait pas la «propriété»
(quoi que l’on entende par là) de Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, Sin-

gapour se garda de porter cette information à la connaissance de tierces
parties. Elle-même n’en tira matière à aucune initiative. Au contraire, les
deux Parties la reléguèrent dans leurs archives. Peut-être agirent-elles
ainsi pour éviter, dans le contexte du «nouveau» droit de la mer affirmé
dans l’affaire des Pêcheries (Royaume-Uni c. Norvège) (arrêt, C.I.J.

Recueil 1951, p. 116), l’apparition de différends maritimes dans la région.
Singapour ne souhaitait peut-être pas compromettre les bonnes relations
qu’elle entretenait avec le Johor en sollicitant des éclaircissements sur la
lettre de 1953 du secrétaire d’Etat par intérim. Quelle que fût la raison de
ce comportement, ou de cette inaction, aucune mesure ne fut prise et les

Parties continuèrent de se conduire comme elles le faisaient avant 1953.
27. Singapour continua ainsi de se comporter comme un exploitant de
phare n’ayant aucun compte à rendre à la Malaisie. Si elle s’estimait titu-
laire de la souveraineté, elle prenait soin de n’en pas faire étalage. Elle ne
chercha en rien à faire savoir qu’elle s’estimait détentrice de la souverai-

neté. Elle arbora sur l’île le pavillon plutôt que son drapeau national. Elle
accepta que la Malaisie effectue dans ses parages des patrouilles navales.
Elle y installa furtivement du matériel de communication militaire. Elle
ne mit pas en Œuvre les projets de récupération de terres qu’elle avait
conçus. Elle ne chercha aucunement, dans ses publications officielles, à

présenter l’île comme singapourienne. Elle ne publia aucune carte
l’incluant dans son territoire. Elle se garda de rappeler à la Malaisie, lors-
que celle-ci conclut un accord pétrolier (1968), prit une ordonnance
concernant sa mer territoriale (1969) et conclut avec l’Indonésie un
accord relatif au plateau continental et à leurs mers territoriales, qu’elle

avait un intérêt à l’égard du plateau continental ou de la mer territoriale
de l’île. Elle ne souleva aucune objection à des cartes qui faisaient appa-
raître Pedra Branca/Pulau Batu Puteh en territoire malaisien. Enfin, elle
s’abstint de revendiquer l’île dans l’accord de 1973 relatif à la mer terri-
toriale qu’elle conclut avec l’Indonésie.

28. La Malaisie, de même, continua de se comporter comme un bailleur
n’attendant pas de son preneur qu’il lui rende des comptes. Elle ne pro-
testa pas contre les activités menées par Singapour sur l’île, même quand
elles outrepassaient les attributions d’un exploitant de phare. Elle accepta

l’obligation d’obtenir l’autorisation de son preneur pour effectuer des
visites sur l’île. Elle ne s’opposa pas à ce que la marine de Singapour

136patrouille au voisinage de celle-ci. Elle n’objecta pas à ce que Singapour
arbore le pavillon, quand bien même elle avait protesté dans le cas de

Pulau Pisang. Elle reconnut que Singapour contrôlait l’île sur ses six
fameuses cartes. En revanche, dans une rare manifestation de souverai-
neté, elle s’abstint de consulter Singapour lorsqu’elle conclut un accord
pétrolier concernant le plateau continental, promulgua une ordonnance

relative à sa mer territoriale et conclut avec l’Indonésie un accord de déli-
mitation du plateau continental et des mers territoriales.
29. Ce n’est qu’en 1980 que les Parties se rendirent compte qu’un dif-
férend les opposait. Mais, même alors, leurs relations demeurèrent ami-
cales. Toutes deux revendiquèrent le titre originaire sur l’île, Singapour

s’abstenant poliment d’affirmer qu’elle avait acquis le titre par prescrip-
tion, peut-être parce qu’elle ne voulait pas donner à penser que, des
années durant, sa possession de l’île avait été de mauvaise foi.

A PPRÉCIATION JURIDIQUE

30. Ainsi que je l’ai indiqué au paragraphe 2, j’ai peine à bien saisir le
fondement sur lequel repose l’arrêt de la Cour. Dans l’exposé des motifs
de sa décision, la Cour mentionne les notions de comportement, d’acquies-

cement, d’accord tacite et d’abandon du titre (voir arrêt, par. 120-121,
162, 203, 223-224, 230 et 275). Toutefois, elle n’explique pas comment la
souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh est passée du Johor/de
la Malaisie à Singapour au regard des règles traditionnelles ou admises

régissant l’acquisition d’un titre territorial. En particulier, elle ne répond
pas à la question de savoir s’il y avait de la part de Singapour «une mani-
festation intentionnelle de pouvoir et d’autorité» sur Pedra Branca/Pulau
Batu Puteh «par l’exercice continu et pacifique de la compétence et des
attributs de la puissance publique» — formulation censée refléter le

«droit international moderne de l’acquisition (ou de l’attribution) d’un
territoire», aux termes de la sentence rendue en 1998 par le tribunal arbi-
tral dans la première étape de la procédure en l’affaire Erythrée/Yémen
(Souveraineté territoriale et champ du différend, Permanent Court of

Arbitration Award Series , T.M.C. Asser Press, 2005, p. 357, par. 239).
Pour déterminer si l’arrêt de la Cour est fondé en droit, le plus judicieux
serait, semble-t-il, d’examiner la question au regard des bases admises, ou
à tout le moins connues, d’acquisition d’un titre territorial généralement
avancées, puis d’apprécier, à la lumière des faits de l’affaire, celles qui

semblent l’avoir été ici par la Cour.
31. A première vue, la prétention de Singapour semble à s’y méprendre
être fondée sur la prescription. La Malaisie détient le titre originaire,
mais Singapour affirme avoir été en possession de l’île pendant cent

trente ans et avoir accompli à son égard des actes à titre souverain, pai-
siblement et sans interruption. Curieusement, Singapour a toutefois choisi
de ne pas invoquer ce concept. Elle a indiqué à plusieurs reprises que
«la notion de prescription ... n’a[vait] aucun rôle à jouer en l’espèce»
(CR 2007/22, p. 29, par. 69), soutenant qu’elle

137 «se fond[ait] sur sa conduite postérieure à 1851 dans le but non
d’établir un titre juridique sur le territoire en litige — titre qui était

déjà établi en 1851 —, mais de démontrer que ce dernier a[vait] été
préservé et confirmé par une série d’activités concrètes sur le terrain
pendant plus de cent cinquante ans» (CR 2007/22, p. 28, par. 66).

La Malaisie admet que «la notion de prescription ... n’a aucun rôle à
jouer en l’espèce» (CR 2007/26, p. 35, par. 1).
32. L’on ignore pourquoi Singapour a choisi de ne pas développer un

argument aussi évident, fût-ce uniquement à titre subsidiaire. Et, avec le
recul (encore que la Cour ait dû saisir d’emblée que la question de la pres-
cription se poserait sous une forme ou sous une autre), il est dommage
que la Cour n’ait pas prié les Parties de lui faire part de leurs vues sur

cette question.
33. La prescription est un concept dont le contenu n’est pas clair en
droit international. Selon R. Y. Jennings, il s’agit d’une notion hétéroclite
qui recouvre «à la fois une possession dont l’origine est incertaine ou
contestée, et une possession de mauvaise foi dont l’origine est évidem-

ment illicite» (R. Y. Jennings, The Acquisition of Territory in Internatio-
nal Law, 1963, p. 23). Dans l’affaire de l’Ile de Kasikili/Sedudu (Botswana/
Namibie) (arrêt, C.I.J. Recueil 1999 (II) , p. 1103, par. 94, et p. 1105,
par. 97), la Cour a admis que, pour qu’une demande puisse être adjugée

au titre de la prescription, il devait avoir été démontré que la possession
était exercée à titre de souverain, que cette possession était paisible et
interrompue, était publique et s’était prolongée pendant un certain temps
(voir également D. H. N. Johnson, «Acquisitive Prescription in Interna-
tional Law», British Year Book of International Law , vol. 27, 1950,

p. 344-348). Que la possession soit publique est une condition essentielle
en matière de prescription. Selon Malcolm Shaw, elle doit l’être «afin que
tous les Etats concernés puissent en être informés» (International Law,
5 éd. 2003, p. 427). Le juge Max Huber avait lui aussi parfaitement cons-

cience de cette exigence, qui soulignait à plusieurs reprises, dans la sen-
tence rendue en l’affaire de l’Ile de Palmas (Pays-Bas/Etats-Unis d’Amé-
rique) (sentence, 4 avril 1928, RGDIP, t. XLII, 1935, p. 166 [traduction
française]), la nécessité d’une manifestation («display») «continu[e] et
pacifique des fonctions étatiques» aux fins d’établir le titre. Singapour

n’ayant pas expressément ni publiquement fait valoir sa revendication de
souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh et ayant, en particulier,
manqué — ou refusé — de rendre publique la réponse du Johor à sa
lettre de 1953, il est éminemment improbable qu’elle eût pu se voir ad-

juger une demande fondée sur la prescription — eût-elle choisi d’avan-
cer cet argument. De fait, la Cour s’est soigneusement gardée de donner
à entendre que son arrêt reposait sur cette notion.
34. Autre motif avancé par Singapour, que la Cour aurait pu invoquer
pour fonder sa décision: l’estoppel, terme

«utilisé pour désigner un principe juridique ayant pour effet d’empê-
cher une partie de nier devant un tribunal la véracité d’une déclara-

138 tion factuelle adressée par elle à une autre partie, sur le fondement
de laquelle cette autre partie a agi d’une manière qui lui était préju-

diciable» (I. Sinclair, «Estoppel and Acquiescence», dans V. Lowe
et M. Fitzmaurice (sous la dir. de), Fifty Years of the International
Court of Justice: Essays in Honour of Sir Robert Jennings , 1996,
p. 105).

Après tout, les notions d’estoppel et d’acquiescement sont étroitement
liées et cette dernière est mentionnée dans l’arrêt de la Cour. Toutefois, la
Cour se refuse à bon droit à faire reposer sur l’estoppel l’acquisition du
titre, arguant que rien ne prouve que Singapour ait pris la moindre

mesure sur le fondement de la lettre du Johor de 1953.
35. La Cour rejette aussi à bon droit toute suggestion que la lettre de
1953 pourrait être interprétée comme portant cession de l’île du Johor à
Singapour, en lui déniant «un caractère constitutif au sens où elle aurait
eu pour [le Johor] un effet juridique décisif» (arrêt, par. 227). L’argument

de Singapour assimilant la lettre de 1953 à un engagement obligatoire est
de même écarté, au motif que la déclaration du Johor «ne répondait pas
à une revendication de Singapour ni ne s’inscrivait dans le cadre d’un dif-
férend entre les Parties» mais n’était qu’une réponse à une demande de
renseignements (ibid., par. 229). La consolidation historique du titre n’a

été envisagée ni par Singapour ni par la Cour comme base possible
d’acquisition du titre, sans doute en raison des doutes récemment émis
par la Cour à l’égard de ce mode d’acquisition en l’affaire relative à la
Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Came-
roun c. Nigéria; Guinée équatoriale (intervenant)) (arrêt, C.I.J. Recueil

2002, p. 352).
36. Reste, pour fonder l’arrêt de la Cour, l’accord tacite, quelque
forme d’acquiescement au titre singapourien ou l’abandon du titre. Si la
Cour mentionne l’abandon du titre comme l’un des effets possibles du
comportement des Parties (arrêt, par. 122), elle ne le met pas en avant en

tant que base distincte d’acquisition du titre. Elle fait là preuve de
sagesse, puisque «rares en sont de fait les exemples» (G. Marston, «The
British Acquisition of the Nicobar Islands, 1869; A Possible Example of
Abandonment of Territorial Sovereignty», British Year Book of Interna-
tional Law, vol. 69, 1998, p. 262), l’intention d’abandonner le titre devant

en outre être manifeste. Or, il ne semble pas que la lettre de 1953 du
Johor réponde à ce critère.
37. La Cour emploie une terminologie variable pour désigner ce qu’elle
juge être un «accord tacite» entre le Johor/la Malaisie et Singapour
quant au changement du titulaire de la souveraineté sur Pedra Branca/

Pulau Batu Puteh. Dans un premier passage de son arrêt, elle prévient,
probablement eu égard à la correspondance de 1953, qu’un changement
de cette nature peut résulter d’un accord «tacite» découlant du compor-
tement des Parties (arrêt, par. 120). Plus loin, elle emploie les expressions

«évolution des vues» (ibid., par. 162) ou «vues partagées par les Parties»
(ibid., par. 224). A propos de la souveraineté à l’égard de Pedra Branca/

139Pulau Batu Puteh, la Cour conclut, au vu notamment de la correspon-
dance de 1953, que les faits pertinents, dont le comportement des Parties,

«témoignent d’une évolution convergente des positions de celles-ci concer-
nant le titre sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh» ayant abouti à un
changement du titulaire de la souveraineté sur l’île (arrêt, par. 276). Cette
«évolution des vues» partagées par les Parties et l’«évolution conver-
gente» de leurs positions attestée par leur comportement ne peuvent être

interprétées comme signifiant autre chose qu’un accord tacite entre les
Parties découlant de leur conduite.
38. Les accords implicites ou tacites doivent être abordés avec beau-
coup de prudence. Un accord informel est très différent d’un accord

implicite. Dans le premier cas, l’intention des parties de conclure un
accord et les termes de celui-ci sont clairs, mais les parties conviennent de
se dispenser des formalités parfois requises s’agissant d’un accord ou d’un
traité (voir affaire du Temple de Préah Vihéar, exceptions préliminaires,
arrêt, C.I.J. Recueil 1961 , p. 31). Dans le second cas, tant l’intention que

les termes de l’accord se déduisent de la conduite des parties. Il ne s’ensuit
pas pour autant que l’exigence fondamentale en matière de traités et
d’accords — à savoir l’existence d’une convergence des volontés des
parties ou d’une communauté de pensée entre elles — doive de quelque
façon être assouplie: un accord tacite demeure un accord, quand bien

même il n’est pas couvert par la définition restrictive du traité énoncée à
l’alinéa a) de l’article 2 de la convention de Vienne sur le droit des traités.
Si la preuve de l’existence d’un traité régi par cette convention réside dans
le texte de celui-ci, l’existence d’un accord tacite doit pouvoir se déduire
de la conduite des parties; or, dans ce cas de figure, ses manifestations

seront moins claires. Aussi l’intention des parties doit-elle être patente;
leur comportement constitutif d’un accord ne doit laisser aucune place au
doute. Inévitablement, l’existence des accords tacites est difficile à établir.
C’est probablement la raison pour laquelle, bien que ces accords soient
visés à l’alinéa b) de l’article 3 de la convention de Vienne sur le droit des

traités (le commentaire qui lui est consacré en fait expressément men-
tion), rares sont les textes qui leur sont consacrés. C’est également pour-
quoi la pratique des Etats en la matière est peu fournie et pourquoi les
instances judiciaires ont, à l’égard de ces accords, fait preuve d’une telle
circonspection. Ainsi, en l’affaire relative aux Droits des ressortissants

des Etats-Unis d’Amérique au Maroc (arrêt, C.I.J. Recueil 1952 , p. 176),
la Cour a-t-elle rejeté l’argument selon lequel la «conduite prolongée»
des Parties sous forme d’«usage et [de] tolérance» pouvait constituer un
accord obligatoire (ibid., p. 200-202 lues conjointement avec l’opinion
dissidente, p. 219-220).

39. L’existence d’un accord tacite doit donc être solidement établie. La
Cour le reconnaît, lorsqu’elle affirme que «tout changement du titulaire
de la souveraineté territoriale fondé sur le comportement des Par-
ties ... doit se manifester clairement et de manière dépourvue d’ambiguïté

au travers de ce comportement et des faits pertinents» (arrêt, par. 122).
Cette affirmation cadre avec la règle fondamentale selon laquelle des limi-

140tations de l’indépendance des Etats ne se présument pas (affaire du
«Lotus», arrêt n 9, 1927, C.P.J.I. série A n 10, p. 18). A la lumière de

ces principes, il m’est difficile d’admettre que la correspondance de 1953,
entourée qu’elle est d’incertitude et d’ambiguïté (voir paragraphes 8-19
ci-dessus), ou la conduite équivoque des Parties pendant la période allant
de 1953 à 1980 (voir paragraphes 20-28 ci-dessus) puissent être réputées

valoir accord ou communauté de vues tacites.
40. La souveraineté sur un territoire peut passer à un autre Etat, dit la
Cour, par suite de «l’absence de réaction de celui qui la détenait face au
comportement d[’un] autre Etat agissant à titre de souverain» (arrêt,
par. 121). Dans pareil cas, poursuit-elle, «[l’]absence de réaction peut

tout à fait valoir acquiescement» (ibid.), ce qui, pour reprendre la for-
mule employée par elle dans l’affaire de la Délimitation de la frontière
maritime dans la région du golfe du Maine (Canada/Etats-Unis d’Amé-
rique), «équiv[aut] à une reconnaissance tacite manifestée par un com-

portement unilatéral que l’autre partie peut interpréter comme un consen-
tement» (arrêt, C.I.J. Recueil 1984 , p. 305, par. 130). La Cour, une fois
de plus, ne mentionne pas expressément l’acquiescement au sujet du
changement du titulaire de la souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu
Puteh, préférant fonder sa décision sur une évolution des vues partagées

par les Parties valant accord tacite. L’acquiescement semble néanmoins
entrer en ligne de compte dans sa décision.
41. Dans la plupart des cas, l’acquiescement est rattaché à l’estoppel
ou à la prescription, mais, ici, il est associé à l’accord tacite, suivant une

démarche très comparable à celle adoptée par la Cour en l’affaire du Dif-
férend frontalier terrestre, insulaire et maritime (El Salvador/Honduras;
Nicaragua (intervenant)) (arrêt, C.I.J. Recueil 1992 , p. 577, par. 364).
De même que l’accord tacite, l’acquiescement doit être interprété de
façon restrictive. Ainsi I. C. MacGibbon écrivait-il ceci:

«La raison pour laquelle la circonspection est de mise s’agissant

de déduire le consentement d’un Etat de son inaction est qu’il
faut s’assurer que cet acquiescement correspond exactement à
l’intention implicite de cet Etat, et limiter la portée de l’acquies-
cement aux revendications qui ont été formulées de façon
telle que ledit Etat en a eu ou aurait dû en avoir connaissance.»

(I. C. MacGibbon, «The Scope of Acquiescence in International
Law», British Year Book of International Law , vol. 31, 1954,
p. 169.)

Comme on l’a montré ci-dessus (voir paragraphes 8-18), la correspon-
dance de 1953 s’accompagne de tant d’incertitudes que l’on ne saurait
affirmer que la revendication à laquelle le Johor/la Malaisie est censé(e)

avoir acquiescé avait été formulée d’une manière suffisamment claire
pour permettre à la Cour de conclure que cet Etat a eu, ou aurait dû
avoir, connaissance de la prétention qu’avance maintenant Singapour.
En outre, l’on peut difficilement soutenir que la Malaisie a acquiescé à
une revendication fondée sur une lettre que Singapour s’était soigneuse-

141ment et délibérément gardée de rendre publique entre 1953 et 1980.
L’acquiescement appelle à n’en pas douter, de la part de l’Etat auquel il

est prêté, une conduite cohérente à l’égard de la revendication avancée.
Quelque interprétation que l’on donne des faits intervenus entre 1953
et 1980 (voir paragraphes 20-28 ci-dessus), l’on ne saurait prétendre qu’ils
attestent, de la part de la Malaisie, un comportement dénotant en tout
temps l’acquiescement. Ces faits sont pour le moins équivoques. L’on

peut voir dans certaines des activités de la Malaisie — notamment la
lettre de 1953 et les six cartes qui présentent l’île (ou le phare construit
sur l’île?) comme appartenant à Singapour — un acquiescement à la reven-
dication singapourienne. Mais, ainsi que démontré ci-dessus, des explica-

tions peuvent être avancées qui permettent de ne pas leur prêter valeur
d’acquiescement. En outre, certaines de ces activités démentent la thèse
de l’acquiescement: c’est notamment le cas de l’accord pétrolier de 1968,
de l’ordonnance de 1969 sur la mer territoriale et des accords relatifs au
plateau continental et à la mer territoriale conclus en 1969 et 1970 par la

Malaisie avec l’Indonésie, ainsi que de certaines cartes faisant apparaître
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh en territoire malaisien. Si Singapour
avait publié la lettre de 1953 sans provoquer de réaction de la Malaisie, la
Cour aurait été fondée à conclure à un acquiescement. Mais, bien sûr,
Singapour n’en a rien fait. A quelques petites exceptions près, les activités

de la Malaisie cadrent donc avec le comportement d’un Etat convaincu
d’en avoir autorisé un autre auquel il avait permis d’exploiter un phare
sur une île lui appartenant à continuer d’exploiter ce phare. Il est, dans de
telles circonstances, impossible de conclure à un acquiescement de la part
de la Malaisie à la revendication singapourienne de souveraineté sur

Pedra Branca/Pulau Batu Puteh.
42. Le tribunal constitué en l’affaire Erythrée/Yémen, dans sa sentence
de 1998, a déclaré ceci:

«Le droit international moderne de l’acquisition (ou de l’attribu-
tion) d’un territoire requiert de manière générale: une manifestation
intentionnelle de pouvoir et d’autorité sur le territoire, par l’exercice
continu et pacifique de la compétence et des attributs de la puissance

publique.» (Erythrée/Yémen, souveraineté territoriale et champ du
différend, Permanent Court of Arbitration Award Series , T.M.C.
Asser Press, 2005, p. 357, par. 239.)

Cette formulation mérite qu’on s’y arrête en détail pour deux raisons.
D’abord, parce qu’elle incarne le courant du droit international né de
la décision, qui a fait date, rendue par Max Huber en l’affaire de l’Ile
de Palmas (Pays-Bas/Etats-Unis d’Amérique ) (sentence, 4 avril 1928,

RGDIP, t. XLII, 1935, p. 200 [traduction française]). Ensuite, parce
qu’elle fut énoncée par un tribunal formé de deux anciens présidents de
la Cour internationale de Justice (sir Robert Y. Jennings et Stephen
M. Schwebel), le président de la Cour (Rosalyn Higgins) et deux prati-

ciens du droit international émérites et renommés (Ahmed Sadek El-
Kosheri et Keith Highet). Selon moi, cette formulation du droit de

142l’acquisition d’un territoire doit régir l’ensemble des modes d’acquisition
de titre territorial fondée sur le contrôle effectif du territoire pendant une

longue période de temps — dont la prescription, l’estoppel, l’abandon du
titre par son précédent détenteur, l’acquiescement et l’accord tacite attesté
par la conduite. En d’autres termes, les notions mises en avant par la
Cour en la présente espèce — évolution des vues partagées par les Parties,
accord tacite ou acquiescement attesté par la conduite — doivent, pour

satisfaire aux critères requis en droit, avoir pris la forme d’une manifesta-
tion intentionnelle, de la part de Singapour, de son pouvoir et de son
autorité sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, par l’exercice continu et
pacifique des attributs de la puissance publique. Or, apporter la preuve

d’une manifestation intentionnelle de pouvoir et d’autorité ne se résume
pas, pour un Etat, à démontrer une intention d’agir à titre de souverain.
L’Etat doit en outre manifester cette intention publiquement, afin de por-
ter sa prétention à la connaissance tant de l’ancien titulaire du titre, sup-
planté, que des Etats tiers de la région. Au vu des incertitudes entourant

la lettre de 1953, du fait que Singapour n’a pas rendu publique la préten-
due renonciation du Johor à son titre et du comportement équivoque des
deux Etats dans la période allant de 1953 à 1980, l’on ne peut sérieuse-
ment prétendre que Singapour ait intentionnellement manifesté son pou-
voir et son autorité sur le territoire par l’exercice de la compétence et

d’attributs de la puissance publique. Après tout, comme le reconnaît la
Cour, nombre, sinon la totalité, des activités de Singapour correspon-
daient très exactement à celles d’un gardien de phare agissant en vertu
d’une concession ou d’un bail perpétuels. Si son intention était effective-
ment de manifester son pouvoir et son autorité sur l’île, Singapour pro-

céda assurément de manière furtive, sans dévoiler au monde extérieur
— Malaisie comprise — cette intention. Elle ne publia pas la lettre
de 1953, ne revendiqua pas les eaux territoriales entourant l’île, n’arbora
pas son drapeau national mais son pavillon, ne revendiqua pas l’île dans
ses cartes et publications officielles, y installa du matériel militaire subrep-

ticement et abandonna des projets de récupération de terres qu’elle
s’était, du reste, gardée de rendre publics. Pis encore, Singapour n’exprima
pas le moindre intérêt à l’égard des projets de la Malaisie tendant à
exploiter le plateau continental et à revendiquer les eaux au voisinage de
l’île. Répétons-le, il n’y eut pas de manifestation intentionnelle de pouvoir

et d’autorité sur l’île dont des Etats tiers ou la Malaisie eussent pu avoir
connaissance. Certes, Singapour exerça sa compétence de manière conti-
nue et pacifique, mais elle le fit en tant qu’exploitant du phare, et non à
titre de souverain manifestant intentionnellement son pouvoir et son
autorité sur l’île.

43. A mon sens, la conclusion selon laquelle la souveraineté sur
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh était passée à Singapour ne trouve
appui, pour les raisons avancées ci-dessus, ni dans les faits ni dans le
droit. J’en déduis que la Malaisie a conservé le titre originaire sur l’île.

44. Je considère que tant Middle Rocks que South Ledge relèvent de la
souveraineté malaisienne — Middle Rocks en vertu du titre originaire,

143South Ledge en tant que haut-fond découvrant situé dans la mer territo-

riale de Middle Rocks.
45. La Cour n’est pas liée, lorsqu’elle rend sa décision, par les conclu-
sions que lui soumettent les conseils représentant les parties. Il lui est loi-
sible, dès lors qu’elle juge pouvoir fonder sa décision sur une base plus
solide que celle alléguée par les parties, d’avancer de son chef ses propres

raisons. En la présente espèce, les Parties n’ont pas directement formulé
de conclusions ou d’arguments qui pourraient toucher aux notions sur
lesquelles la Cour s’est ensuite fondée pour conclure à un changement du
titulaire de la souveraineté — accord tacite, évolution des vues partagées

par les Parties et acquiescement attesté par leur conduite. Si elles ne l’ont
pas fait, c’est principalement parce que Singapour, en soutenant que
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh était terra nullius en 1847, a essentielle-
ment exclu tout argument fondé sur le contrôle de l’île et la conduite des

Parties. Les Parties ont bien, néanmoins, débattu de questions connexes,
comme le relève la Cour au paragraphe 124; mais il aurait été utile pour
celle-ci qu’elles présentent des conclusions et des arguments sur les moyens
juridiques mêmes qu’elle a finalement retenus. Malheureusement, sans

doute parce qu’elle n’a pas coutume de trop questionner les parties ni de
s’immiscer dans la présentation de leur argumentation, la Cour n’a nul-
lement cherché à s’enquérir des vues des Parties sur des notions qui
allaient motiver son raisonnement. Que la Cour se soit abstenue de leur

faire savoir sous une forme ou sous une autre quelles étaient les questions
auxquelles elle prêtait une importance cruciale n’a pas nécessairement
contribué à une bonne administration de la justice.

(Signé) John D UGARD .

144

Bilingual Content

DISSENTING OPINION OF JUDGE AD HOC DUGARD

Malaysia has original title to Pedra Branca/Pulau Batu Puteh — Construc-
tion of Horsburgh lighthouse did not alter situation — 1953 correspondence of
uncertain meaning and authorization — Failure of Singapore to publicize 1953

correspondence confirms its inconsequential nature — Court wrong to attach
significance to 1953 correspondence — Conduct of Parties between 1953 and
1980 equivocal — No inferences on sovereignty to be drawn from this period —
Singapore’s conduct consistent with that of lighthouse operator — Court errs in
interpretation of facts of this period — Legal basis for Court’s decision
unclear — Court correctly rejects prescription and estoppel — Court’s decision
that conduct of Parties displayed tacit agreement or understanding on passing
of sovereignty unconvincing in law and on facts — Insufficient evidence to sup-
port finding that Malaysia acquiesced in Singapore’s claim to sovereignty —
Requirements for acquisition of territory set out in Eritrea/Yemen Arbitration
Award — Such requirements not satisfied in present case — Title to Pedra
Branca/Pulau Batu Puteh remains with Malaysia — Middle Rocks and South
Ledge fall within sovereignty of Malaysia — Unfortunate that counsel not
invited to address Court on legal basis for Court’s decision.

1. The Court’s Judgment provides an equitable solution to the dispute
before it. Pedra Branca/Pulau Batu Puteh is awarded to Singapore; Mid-
dle Rocks is awarded to Malaysia; and South Ledge, a low-tide eleva-
tion, will be allocated to the State in the territorial waters of which it is

located. Although the dispute was not, at least in theory, about territorial
sea and continental shelf, both Parties will share these areas and their
resources. If this Court was sitting as a court of equity, or if it had been
authorized by the Parties to decide the case ex aequo et bono in terms of
Article 38, paragraph 2, of the Statute of the Court, I might have been

able to agree with the Court’s Judgment. The Court is not, however, sit-
ting as a court of equity. The Special Agreement entered into between
Malaysia and the Republic of Singapore on 6 February 2003 makes it
clear, in Article 5, that the dispute is to be resolved in accordance with
international law. As I find it impossible to agree with the Court’s rea-
soning on the law, and its interpretation of the facts upon which this legal

reasoning is based in respect of the question of sovereignty over Pedra
Branca/Pulau Batu Puteh, I must dissent on this issue.
2. The majority judgment of a court the size of that of the Interna-
tional Court of Justice inevitably must take account of different judicial
views and will reflect the lowest common denominator of the majority.

125 OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE AD HOC DUGARD

[Traduction]

Malaisie détentrice du titre originaire sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh
— Construction du phare Horsburgh n’ayant pas modifié la situation — Incer-
titude entourant la correspondance de 1953 (sens et compétence) — Manque de

pertinence de cette correspondance confirmé par le fait que Singapour ne l’ait
pas rendue publique — Cour attachant à tort de l’importance à la correspon-
dance de 1953 — Caractère équivoque de la conduite des Parties entre 1953
et 1980 — Aucune conclusion à tirer de cette conduite pendant cette période
quant à la souveraineté — Conduite de Singapour conforme à celle d’un exploi-
tant de phare — Cour donnant des faits survenus dans cette période une inter-
prétation erronée — Difficulté à discerner le fondement juridique de la décision
de la Cour — Cour écartant à bon droit les notions de prescription et d’ estoppel
— Conclusion de la Cour voyant dans la conduite des Parties la manifestation
d’un accord ou d’une communauté de vues tacites quant à l’existence d’un chan-
gement du titulaire de la souveraineté n’étant convaincante ni en droit ni en fait
— Preuves insuffisantes à l’appui de la conclusion selon laquelle la Malaisie
aurait acquiescé à la revendication de souveraineté de Singapour — Critères
d’acquisition du territoire énoncés dans la sentence arbitrale Erythrée/Yémen —
Lesdits critères non remplis en la présente espèce — Titre sur Pedra Branca/
Pulau Batu Puteh demeurant malaisien — Middle Rocks et South Ledge rele-

vant de la souveraineté de la Malaisie — Fâcheux que le conseil n’ait pas été
invité à s’exprimer sur les éléments appelés à fonder la décision de la Cour.

1. L’arrêt de la Cour fournit une solution équitable au différend dont
celle-ci est saisie. Pedra Branca/Pulau Batu Puteh est attribuée à Singa-
pour, Middle Rocks à la Malaisie, South Ledge, haut-fond découvrant,
devant revenir à l’Etat dans les eaux territoriales duquel il est situé. Si, à

tout le moins en théorie, le différend ne portait pas sur la mer territoriale
et le plateau continental, les deux Parties n’en partageront pas moins ces
zones et leurs ressources. Si la Cour exerçait des fonctions de cour
d’équité, ou avait été autorisée par les Parties à trancher l’affaire ex aequo
et bono aux termes du paragraphe 2 de l’article 38 du Statut de la Cour,

j’aurais peut-être pu m’associer à sa décision. Mais telles ne sont pas ses
fonctions. Le compromis conclu par la Malaisie et la République de Sin-
gapour le 6 février 2003 énonce clairement, en son article 5, la nécessité
de trancher le différend conformément au droit international. Me trou-
vant dans l’impossibilité de faire miens le raisonnement juridique de la
Cour et l’interprétation des faits qui le sous-tend en ce qui concerne la

question de la souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, je me
vois contraint de marquer mon dissentiment sur ce point.
2. L’arrêt d’une juridiction de la taille de celle de la Cour internatio-
nale de Justice doit inévitablement prendre en compte les différentes
opinions juridiques et reflétera le plus petit dénominateur commun à la

125Even allowing for this, I find it difficult to fully comprehend the basis
for the Court’s Judgment. The Judgment is premised on the finding that

the conduct of both Parties has resulted in the passing of sovereignty
over Pedra Branca/Pulau Batu Puteh from Malaysia (previously Johor)
to Singapore. While considerations of acquiescence, abandonment of
title and tacit agreement or understanding feature prominently in the

Court’s reasoning, no attempt is made to justify or explain the passing
of sovereignty in terms of accepted principles governing the acquisition
of territorial title. At the same time the interpretation of the facts of the
case gives rise for concern. The facts of the dispute are complex, con-
tradictory and complicated. In reaching its final decision the Court has

been compelled to choose between competing facts and to attach more
weight to some facts than to others. This is the nature of fact finding in
the judicial process. In my view, however, the Court has allowed itself,
in making its choice of facts and the weight to be attached thereto, par-

ticularly in respect of the period 1953 to 1980, to be unduly influenced
by its interpretation of the controversial correspondence of 1953 between
Singapore and Johor. It has been very kind to Singapore in its assess-
ment of the facts of this period and less kind to Malaysia. My disagree-
ment with the Court on both facts and law are examined in this

opinion.

T HE F ACTS BEFORE 1852

3. I have little disagreement with the Court in respect of events that
occurred before 1852. I agree with findings and reasoning of the Court
that Johor (and hence Malaysia) had sovereignty over Pedra Branca/Pu-

lau Batu Puteh before 1824 and that nothing occurred between that date
and 1844 to affect this conclusion. The Court is correct in deciding that
in all probability W. G. Butterworth, Governor of the Straits Settlement,
wrote to the Sultan and Temenggong of Johor in November 1844 pro-

posing the construction of the Horsburgh lighthouse in general terms,
that is not only for it to be built on Peak Rock but also in other possible
locations. However, I disagree with the Court that the Governor
“appears” not to have identified Pedra Branca/Pulau Batu Puteh as a
possible alternative location (Judgment, para. 134). The correspondence

preceding Governor Butterworth’s letters indicates that Pedra Branca/
Pulau Batu Puteh was always an alternative location and one identified
as a possible site for the construction of the lighthouse before Peak Rock
was suggested. Thus it is a highly reasonable inference that Pedra Branca/

Pulau Batu Puteh was expressly mentioned as an alternative site in Gov-
ernor Butterworth’s letters. This disagreement is not crucial to the out-
come of the case as the Court seems to have accepted that sovereignty
over the island remained with Johor when the lighthouse was con-
structed. In any event, it “does not draw any conclusions about sover-

126majorité. Quand bien même, j’ai peine à bien saisir la base sur laquelle la
Cour fonde son arrêt. Celui-ci repose sur la conclusion selon laquelle

la conduite des deux Parties aurait fait passer la souveraineté sur
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh de la Malaisie (auparavant le Johor) à
Singapour. Or, si des considérations d’acquiescement, d’abandon de titre
ainsi que de communauté de vues ou d’accord tacites occupent une place

considérable dans le raisonnement de la Cour, celle-ci ne cherche nulle-
ment à justifier ou à expliquer ce transfert de souveraineté à la lumière
des principes établis régissant l’acquisition d’un titre territorial. Parallè-
lement, l’interprétation des faits de l’espèce suscite quelque interrogation.
Les faits en cause sont complexes, contradictoires et compliqués. Pour

rendre sa décision finale, la Cour a été contrainte de choisir entre des faits
contradictoires et d’attribuer à certains plus de poids qu’à d’autres. Si tel
est le propre du processus d’établissement des faits dans la procédure
judiciaire, il me semble toutefois que, en sélectionnant les faits et en déci-

dant du poids à leur attribuer, en particulier pour la période allant de
1953 à 1980, la Cour s’est laissé indûment influencer par son interpréta-
tion de la correspondance controversée de 1953 entre Singapour et le
Johor. Elle s’est montrée, dans son appréciation des faits de cette période,
très bienveillante à l’égard de Singapour, moins envers la Malaisie. Je

m’attacherai, dans la présente opinion, à préciser la teneur de mon désac-
cord avec elle tant du point de vue des faits que du point de vue du droit.

L ES FAITS AVANT 1852

3. Je n’ai guère de désaccord avec la Cour quant aux faits survenus
avant 1852. Je souscris aux conclusions et au raisonnement de la Cour
selon lesquels le Johor (et, partant, la Malaisie) détenait la souveraineté

sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh avant 1824, et rien ne s’est passé
entre cette dernière date et 1844 qui contredirait ce constat. La Cour a rai-
son de dire que, selon toute vraisemblance, W. G. Butterworth, gouverneur
des Etablissements des détroits, a, dans sa lettre de novembre 1844,

proposé au sultan et au temenggong de Johor de construire le futur phare
Horsburgh en des termes généraux, Peak Rock n’étant, autrement dit,
qu’un des emplacements envisagés parmi d’autres. Je ne saurais toutefois
la suivre lorsqu’elle affirme que le gouverneur ne «semble» pas avoir
songé à Pedra Branca/Pulau Batu Puteh comme autre site possible

(arrêt, par. 134). Il ressort de la correspondance antérieure aux lettres
du gouverneur Butterworth que Pedra Branca/Pulau Batu Puteh a tou-
jours été l’un des autres emplacements envisagés et avait été considérée
comme l’un des sites possibles pour la construction du phare avant que

Peak Rock ne fût proposé. On peut donc très raisonnablement en dé-
duire que les lettres du gouverneur Butterworth mentionnaient expres-
sément Pedra Branca/Pulau Batu Puteh comme un autre emplacement
possible. Ce désaccord n’a cependant pas d’incidence fondamentale sur
l’issue de l’affaire, la Cour ayant apparemment admis que la souveraineté

126eignty based on the construction and commissioning of the lighthouse”

(Judgment, para. 162).

4. The Court makes no finding on the question whether Johor ceded
any island (including Pedra Branca/Pulau Batu Puteh) under its sover-
eignty, that might be chosen for the construction of the lighthouse, to the

United Kingdom (and hence Singapore) or whether it granted only per-
mission to build, maintain and operate a lighthouse on the island selected.
The reason for this is that the Court was left “in real doubt” about what
Governor Butterworth had proposed to the Sultan and Temenggong of

Johor in 1844 (ibid., para. 133). The Court was, however, satisfied that
Johor’s sovereignty over Pedra Branca/Pulau Batu Puteh before 1844 had
already been established.

T HE P ERIOD 1852 TO 1952

5. There is an ambivalence on the part of the Court in its treatment of

the period 1852 to 1952. In large measure this is because of the failure of
the Court to reach any conclusion on the question whether Pedra Branca/
Pulau Batu Puteh had been ceded to the United Kingdom in 1844 or
whether it had merely been given permission to construct, maintain and

operate the lighthouse on the island (see above, paragraph 4). The Court
considers the conduct of the Parties during this period and carefully scru-
tinizes events occurring during this period that might have some bearing
on the sovereignty over the island, but reaches no conclusion on the ques-
tion of sovereignty over the island.

6. The Court examines British legislation dealing with the straits lights
system, which allowed Singapore to administer lighthouses which had no
territorial connection with Singapore, and rightly finds that it did not
demonstrate British sovereignty over the islands on which lighthouses

were constructed. However, it then finds, in respect of the post 1952-
period, that a claim that Pedra Branca/Pulau Batu Puteh belonged to
Singapore, included in the drafting history of a 1958 amendment to the
1957 Light Dues Ordinance (Singapore), gives “support to Singapore’s

contentions” (Judgment, para. 174). In my view such a claim in the draft-
ing history of a statute does not warrant even so weak a conclusion.
Another fact of doubtful significance viewed as having “some signifi-
cance” by the Court is the fact that in 1952 Johor considered assuming

responsibility for the funding of the Pulau Pisang Lighthouse, which
clearly falls within Malaysia’s sovereignty, but not for Pedra Branca/Pu-
lau Batu Puteh. On the other hand, the Court does not attach signifi-
cance to the failure of the 1927 Straits Settlement and Johor Territorial
Waters Agreement, which dealt with the retrocession of certain islands

ceded by Johor to Singapore in 1824, to include Pedra Branca/Pulau
Batu Puteh within Singapore’s territory. It is true, as the Court finds, that
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh did not fall within the scope of the

127sur l’île a continué d’appartenir au Johor après la construction du phare;
à tout le moins n’a-t-elle tiré «de la construction et de la mise en service

du phare aucune conclusion quant à la souveraineté» (arrêt, par. 162).
4. La Cour ne formule aucune conclusion sur la question de savoir si le
Johor avait cédé au Royaume-Uni (et, partant, à Singapour) toute île
(Pedra Branca/Pulau Batu Puteh comprise) placée sous sa souveraineté qui

pourrait être choisie aux fins de la construction du phare, ou s’il n’avait
accordé qu’une autorisation de construire, d’entretenir et d’exploiter un
phare sur l’île qui serait retenue à cet effet, parce qu’elle «ne sait pas quelle
était au juste» la teneur de la proposition faite par le gouverneur Butter-
worth au sultan et autemenggong de Johor en 1844 (ibid., par. 133). La

Cour, en revanche, a acquis la conviction que la souveraineté du Johor sur
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh avant 1844 était déjà établie.

L A PÉRIODE ALLANT DE 1852 À 1952

5. La Cour use de deux poids deux mesures dans son examen de la
période allant de 1852 à 1952 — en grande partie faute d’avoir tranché la
question de savoir si Pedra Branca/Pulau Batu Puteh avait été cédée au

Royaume-Uni en 1844 ou si celui-ci avait simplement été autorisé à y
construire, entretenir et exploiter le phare (voir paragraphe 4 ci-dessus).
La Cour examine la conduite des Parties au cours de cette période et
passe minutieusement en revue les faits survenus dans cet intervalle sus-

ceptibles d’avoir une incidence sur la souveraineté à l’égard de l’île, sans
toutefois parvenir à une conclusion sur cette question.

6. La Cour examine la législation britannique ayant trait au système
des phares des détroits, qui autorisait Singapour à administrer des phares

avec lesquels elle n’entretenait aucun lien territorial, et conclut à juste titre
qu’elle n’atteste pas la souveraineté du Royaume-Uni sur les îles où des
phares ont été édifiés. Plus loin, la Cour soutient en revanche, à propos de
la période postérieure à 1952, que «vient à l’appui des allégations de Sin-

gapour» (arrêt, par. 174) une affirmation selon laquelle Pedra Branca/
Pulau Batu Puteh appartenait à cette dernière qui figure dans les travaux
préparatoires de l’ordonnance de 1958 portant modification de celle
de 1957 sur les droits de phare (Singapour). Selon moi, pareille affirma-
tion avancée dans le cadre des travaux préparatoires d’un texte législatif

ne justifie pas une telle conclusion, si modérée soit-elle. La Cour estime
par ailleurs que mérite d’être «not[é]» un autre élément dont la pertinence
est douteuse: le fait que, en 1952, le Johor ait songé à assumer le finan-
cement du phare de Pulau Pisang, qui relève clairement de la souveraineté

malaisienne, mais non celui du phare de Pedra Branca/Pulau Batu Puteh.
En revanche, elle n’accorde pas d’importance au fait que, dans l’accord
de 1927 relatif aux eaux territoriales des Etablissements des détroits et du
Johor, portant sur la rétrocession de certaines îles cédées à Singapour par
le Johor en 1824, Pedra Branca/Pulau Batu Puteh n’est pas représentée en

127Agreement, but one would at the very least have expected Singapore to
have insisted on some mention that the island belonged to Singapore —

had it at this time indeed claimed sovereignty over the island.

7. Events occurring between 1852 and 1952 are largely viewed by the

Court as having no significance or being of little significance. This brings
one to 1953 which is seen by the Court as the turning point in respect of
sovereignty over Pedra Branca/Pulau Batu Puteh.

THE 1953 C ORRESPONDENCE

8. The year 1953 was, in the language of the Court (Judgment,
para. 203), of “central importance” to an understanding of the dispute,

for in that year the Acting State Secretary of Johor wrote to Singapore
informing it that Johor (Malaysia) did not claim “ownership” of Pedra
Branca/Pulau Batu Puteh. This admission is correctly seen by the Court
as highly significant but whether it, together with preceding or subse-
quent events, provides evidence that sovereignty over the island was now

with Singapore is another matter. In my view there are too many ques-
tions, too many doubts, surrounding the 1953 exchange of correspond-
ence between Singapore and Johor and its aftermath to justify the con-
clusion that Johor’s letter in effect, if not in form, resulted in the transfer

of sovereignty over Pedra Branca/Pulau Batu Puteh from Johor to Sing-
apore.
9. First, the Singapore Colonial Secretary did not ask where sover-
eignty over Pedra Branca/Pulau Batu Puteh lay, but whether the island
had been leased, granted or ceded to Singapore. Had Singapore’s letter

expressly asked which State had sovereignty over or territorial title to the
island, and had Johor stated that it did not claim sovereignty or territo-
rial title, it would have been possible to conclude that Johor (Malaysia)
had abandoned any claim to sovereign title over the island. But Singa-

pore’s letter confused the language of private law and public law and
instead asked whether the island had been leased, subjected to a grant or
ceded to Singapore. Not surprisingly, therefore, the reply made use of the
language of private law — ownership — not that of public law — sov-
ereignty. And it cannot be denied that there is a difference between own-

ership and sovereignty.

10. The Court’s comment on “ownership” and “sovereignty” is not
convincing. It acknowledges that “in law” ownership is distinct from sov-

ereignty but asserts that the enquiry by Singapore was directed at Singa-
pore’s sovereignty over Pedra Branca/Pulau Batu Puteh. It then adds that
“[i]n international litigation ‘ownership’ over territory has sometimes
been used as equivalent to ‘sovereignty’” (ibid., para. 222). In support of
this proposition it cites Territorial Sovereignty and Scope of the Dispute,

128territoire singapourien. Certes, comme l’affirme la Cour, Pedra Branca/
Pulau Batu Puteh n’était pas couverte par cet accord, mais l’on se serait à

tout le moins attendu à ce que Singapour insiste pour que soit quelque
part mentionné le fait que l’île lui appartenait — eût-elle effectivement
revendiqué la souveraineté sur l’île à cette époque.
7. La Cour n’accorde globalement pas, ou guère, d’importance aux

faits survenus entre 1852 et 1952. Cela nous mène à 1953, année qui
marque, selon elle, un tournant en ce qui concerne la souveraineté sur
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh.

L A CORRESPONDANCE DE 1953

8. L’année 1953 est, pour reprendre les termes de la Cour (arrêt,
par. 203), «essentiell[e]» aux fins de comprendre le différend: c’est de

cette année, en effet, que date la lettre du secrétaire d’Etat par intérim du
Johor informant Singapour que le Johor (la Malaisie) ne revendiquait
pas la «propriété» de Pedra Branca/Pulau Batu Puteh. Cette admission
est à juste titre tenue par la Cour pour éminemment pertinente; reste à
savoir si, conjointement avec certains faits antérieurs ou postérieurs, elle

atteste que la souveraineté sur l’île était désormais singapourienne.
D’après moi, trop d’interrogations et d’incertitudes entourent la corres-
pondance de 1953 entre Singapour et le Johor et ses suites pour que l’on
puisse conclure que de la lettre du Johor a découlé dans les faits, sinon

dans les formes, le transfert de la souveraineté sur Pedra Branca/Pulau
Batu Puteh du Johor à Singapour.
9. Premièrement, la question du secrétaire colonial de Singapour n’était
pas de savoir qui détenait la souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu
Puteh, mais si celle-ci avait fait l’objet d’un bail, d’une concession ou

d’une cession au profit de Singapour. Si Singapour, dans sa lettre, avait
expressément demandé quel Etat détenait la souveraineté ou un titre ter-
ritorial sur l’île, et si le Johor avait déclaré ne pas revendiquer ceux-ci, il
aurait été possible de conclure que le Johor (la Malaisie) avait renoncé à

toute prétention à un titre souverain sur l’île. Mais, dans sa lettre, Singa-
pour, mélangeant la terminologie du droit privé et celle du droit public,
demande si l’île a fait l’objet d’un bail, d’une concession ou d’une cession
à son profit. Rien d’étonnant, dès lors, à ce que la réponse soit formulée
en termes de droit privé — propriété — et non de droit public — souve-

raineté. Or, nul ne conteste qu’il existe une différence entre propriété et
souveraineté.
10. Les propos de la Cour sur les notions de «propriété» et de «sou-
veraineté» ne sont pas convaincants. La Cour reconnaît que la propriété

se distingue «en droit» de la souveraineté, mais n’en affirme pas moins
que la demande de renseignements de Singapour visait la souveraineté de
cette dernière sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, ajoutant que, «[e]n
matière de litiges internationaux, la notion de «propriété» d’un territoire
a parfois été employée comme synonyme de «souveraineté»» (ibid.,

128Eritrea/Yemen ((1998) 22 RIAA, pp. 209, 219, para. 19 and pp. 317-318,
para. 474). This calls for two responses. First, as shown above (see para-

graph 9 above), the letter of request itself confused property law and
international law by asking whether there was “any document showing a
lease or grant of the rock or whether it had been ceded by the Govern-
ment of the State of Johore or in any other way disposed of” (Judgment,

para. 192). Secondly, the Eritrea/Yemen Arbitration Award does not
equate “ownership” with “sovereignty”. The passages cited, use the word
“ownership” loosely to mean “sovereignty” but, when it comes to the dis-
positif, the Tribunal is careful to use the word sovereignty in respect of
the islands (Eritrea/Yemen, op. cit., pp. 330-331, para. 527). In the

present case it is not clear — and this is the reason for uncertainty —
whether the Acting State Secretary used the word “ownership” loosely to
mean sovereignty or whether he deliberately used the property law term
of ownership to indicate that as far as Johor was concerned Singapore

owned the land on which the lighthouse was built.

11. Secondly, there is the question why the Acting State Secretary of
Johor consulted the Commissioner for Lands and Mines and Chief Sur-
veyor, who would have been able to advise mainly on private law issues,
rather than his political and foreign affairs advisers. Was this because he

failed to see the matter as one affecting sovereignty over Pedra Branca/
Pulau Batu Puteh? Is this why he used the word ownership? And what
did he mean by ownership in the context of the historical circumstances
relating to the island? Full ownership? Residual ownership? Possession?
Or sovereignty?

12. That the Acting State Secretary saw his role as limited to internal,
private law affairs is confirmed by the written response of Singapore to
the question put by Judge Keith on 23 November 2007. Singapore refers

to the fact that during the period in question “Johor officials continued
to correspond routinely with their counterparts in Singapore on matters
under their charge” (Written response of Singapore to the question put
by Judge Keith dated 30 November 2007). Examples of such contact and
correspondence given by Singapore concerned the supply of water, co-

operative policing and relations between Singapore and the Johor Har-
bour Master and Johor Controller of Supplies. None of these matters
concerned political, external affairs of the kind reserved for Great Britain
under the Federation of Malaya Agreement of 1948.

13. Thirdly, why did the Government of Singapore not ask for clari-
fication as to the meaning of “ownership”? Surely it must have been un-
certain as to exactly what this meant? Did it fail to publicize the letter of

129par. 222). A l’appui de cette affirmation, elle cite l’affaire Erythrée/Yé-
men, souveraineté territoriale et champ du différend (Permanent Court of

Arbitration Award Series , T.M.C. Asser Press, 2005, p. 288, par. 19, et
p. 423, par. 474). Cet argument appelle deux observations. En premier
lieu, ainsi que montré plus haut (voir paragraphe 9 ci-dessus), la lettre
elle-même mélange droit immobilier et droit international, la question
posée étant celle de savoir «s’il existe des documents indiquant que le

rocher a fait l’objet d’un bail ou d’une concession, ou si le gouvernement
de l’Etat du Johore l’a cédé ou en a disposé de toute autre manière»
(arrêt, par. 192). En second lieu, le tribunal arbitral, dans la sentence ren-
due en l’affaire Erythrée/Yémen, n’emploie pas indifféremment les termes

«propriété» et «souveraineté». Dans les passages cités, il emploie le pre-
mier au sens large comme synonyme de «souveraineté» mais, dans son
dispositif, il a soin d’employer le mot «souveraineté» s’agissant des îles
(Erythrée/Yémen, op. cit. , p. 441-442, par. 527). En l’espèce, la question
demeure — d’où l’absence de certitude — de savoir si le secrétaire d’Etat

par intérim a employé le mot «propriété» dans une acception large, en
l’assimilant à la notion de souveraineté, ou s’il a délibérément utilisé ce
terme de droit privé pour indiquer que, aux yeux du Johor, Singapour
était propriétaire du terrain sur lequel était bâti le phare.
11. Deuxièmement, se pose la question de savoir pourquoi le secrétaire

d’Etat par intérim du Johor a consulté le commissaire à l’aménagement
du territoire et aux mines ainsi que le géomètre en chef, qui pouvaient
essentiellement le conseiller sur des questions relevant du droit privé, et
non ses conseillers politiques et diplomatiques. Est-ce parce que la ques-
tion ne touchait pas, à ses yeux, à la souveraineté sur Pedra Branca/Pulau

Batu Puteh? Est-ce pour cela qu’il a employé le mot «propriété»? Et
qu’entendait-il par «propriété» dans le contexte des circonstances histo-
riques propres à l’île? Pleine propriété? Propriété résiduelle? Possession?
Ou souveraineté?
12. Que le secrétaire d’Etat par intérim ait considéré son rôle comme

limité aux affaires, internes, de droit privé, est confirmé par la réponse
écrite apportée par Singapour à la question posée par le juge Keith le
23 novembre 2007. Singapour mentionne le fait que, au cours de la
période visée, «les responsables du Johor ont continué d’entretenir une
correspondance régulière avec leurs homologues de Singapour sur les

questions de leur ressort» (réponse écrite de Singapour à la question
posée par le juge Keith, en date du 30 novembre 2007). Singapour donne
de ces échanges des exemples ayant trait à l’approvisionnement en eau, à
la coopération policière et à ses relations avec le capitaine du port et le
responsable des fournitures du Johor. Aucune de ces questions ne tou-

chait aux domaines politique et des affaires extérieures, qui, aux termes
de l’accord de 1948 relatif à la Fédération de Malaya, étaient du seul res-
sort de la Grande-Bretagne.
13. Troisièmement, pourquoi le Gouvernement de Singapour n’a-t-il

pas cherché à obtenir des éclaircissements sur le sens du mot «pro-
priété»? Assurément, il ne pouvait savoir avec certitude ce qu’il recou-

129Johor because this might have prompted an unfavourable clarification or
explanation from Johor? The Court’s assertion that Johor’s reply “is

clear in its meaning” (Judgment, para. 223) fails to address questions of
the kind raised in paragraphs 9 to 13 of the Judgment.

14. Fourthly, there is the vexed question whether the Acting State Sec-
retary of Johor had the authority to pronounce on matters of sovereignty
(as opposed to ownership)? The Parties strongly disagreed on the subject.
Malaysia maintains that two agreements of 1948, between the British
Crown and the Sultan of Johor and the Federation of Malaya respec-

tively, withheld power in respect of external affairs from the State of
Johor in favour of Great Britain. Singapore, on the other hand, argues
that the 1953 correspondence did not relate to external affairs and that
the principle of omnia praesumuntur rite esse acta applied to the 1953

letter. The Court’s brief conclusion that the 1948 Agreements were not
relevant, because the correspondence was initiated by a representative of
the British Crown which was not a foreign State, and because a response
to a request for information could not be described as the exercise of
executive authority in respect of external affairs, do not in my view sat-

isfactorily answer the constitutional objections raised by Malaysia to the
authority of the Acting State Secretary to pronounce on sovereignty over
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh. This is a matter that required much
more attention. Malaysia was itself largely to blame for this as it failed to

raise this issue in its written submissions and left it to the closing state-
ments of its oral submissions. Nevertheless, it is an issue of vital impor-
tance to the outcome of the case and one which warranted more consid-
eration than it received.

15. Related to the question of the authority of the Acting State Sec-

retary of Johor to pronounce on matters of external affairs is the ques-
tion of the nature of agreement, if it was an agreement at all, between
Singapore and Johor arising from the 1953 correspondence. Was it a
treaty governed by international law? Although the Sultan of Johor may
have been an independent sovereign, Johor was not a fully independent

State but a protectorate (and consequently not a Member of the United
Nations). This probably explains why no attempt was made to register
the “agreement” under Article 102 of the United Nations Charter. But
what was the status of agreements between two British dependencies?

Were they agreements inter se (like the agreements between the former
Dominions within the British Commonwealth)? If they were, it is not
“easy”, in the words of Lord McNair, “to give a simple answer” to the
question whether such agreements were “governed by international law
or by some domestic system of law” (Lord McNair, The Law of Treaties,

130vrait au juste. S’est-il abstenu de rendre publique la lettre du Johor de
crainte de susciter de la part de celui-ci des explications ou des éclaircis-

sements qui lui eussent été défavorables? L’affirmation de la Cour selon
laquelle la réponse du Johor «revêt une signification claire» (arrêt,
par. 223) ne résout pas certaines questions, telles que celles soulevées aux
paragraphes 9 à 13 ci-dessus.
14. Se pose, quatrièmement, l’épineuse question de savoir si le secré-

taire d’Etat par intérim du Johor avait compétence pour se prononcer sur
des questions de souveraineté (par opposition à des questions de pro-
priété). Les Parties se sont vivement opposées sur cette question. La
Malaisie soutient que les deux accords de 1948 conclus par la Couronne

britannique, l’un avec le sultan de Johor, l’autre avec la Fédération de
Malaya, ne reconnaissaient pas à l’Etat du Johor de compétence en
matière d’affaires extérieures, lesquelles continuaient de relever de la
Grande-Bretagne. Singapour, quant à elle, soutient que la correspon-
dance de 1953 ne touchait pas au domaine des affaires étrangères et que

le principe omnia praesumuntur rite esse acta s’appliquait à la lettre
de 1953. La brève conclusion de la Cour selon laquelle les accords
de 1948 ne sont pas pertinents, au motif que la première lettre de
l’échange de correspondance émanait d’un représentant de la Couronne
britannique, qui n’était pas un Etat étranger, et qu’une demande de ren-

seignements ne saurait être assimilée à l’exercice d’une compétence exé-
cutive dans le domaine des affaires extérieures, ne constitue pas, selon
moi, une réponse satisfaisante aux objections de nature constitutionnelle
soulevées par la Malaisie quant à la compétence du secrétaire d’Etat par
intérim pour se prononcer sur la souveraineté à l’égard de Pedra Branca/

Pulau Batu Puteh. Cette question méritait un examen autrement plus
approfondi. S’il n’a pas été mené, la faute en revient en grande partie à la
Malaisie, qui n’a pas soulevé cette question dans ses écritures, ne l’abor-
dant qu’au terme de ses plaidoiries. Il s’agit néanmoins d’une question
qui revêt une importance cruciale pour l’issue de l’affaire et qui méritait

davantage d’attention.
15. A la question de savoir si le secrétaire d’Etat par intérim du Johor
avait la compétence requise pour statuer sur des questions relevant des
affaires extérieures en est associée une autre: celle de la nature de l’accord
entre Singapour et le Johor ayant, si accord il y a effectivement eu,

découlé de la correspondance de 1953. S’agissait-il d’un traité régi par le
droit international? Si le sultan de Johor était peut-être un souverain
indépendant, le Johor n’était pas un Etat pleinement indépendant mais
était un protectorat (et, par conséquent, il n’était pas membre de l’Orga-
nisation des Nations Unies). C’est probablement la raison pour laquelle

il n’a pas été entrepris d’enregistrer «l’accord» conformément à l’ar-
ticle 102 de la Charte des Nations Unies. Mais quel était le statut des
accords conclus entre deux entités relevant du Royaume-Uni? S’agis-
sait-il d’accords inter se (à l’instar de ceux conclus entre anciens domi-

nions du Commonwealth britannique)? Dans l’affirmative, il n’est pas
«aisé», pour citer lord McNair, «d’apporter une réponse simple» à la

1301961, p. 115). And if the 1953 correspondence was not governed by inter-
national law does this affect the consequences to be attached to it?

16. Another question, also related to the authority of the Acting State

Secretary, is whether he had the authority to dispose of territory that ulti-
mately fell under the British Crown? If he had the authority to dispose of
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh by a note that was relegated by its recipi-
ent to its archives, would he have had the authority to settle a boundary
dispute or to dispose of a large section of the Johor mainland? Or would

this have constituted an “external affair” to be determined by the British
Crown?
17. Fifthly, why did Singapore not publicize the fact that Johor/Mal-
aysia had conceded that “ownership” (sovereignty) over Pedra Branca/

Pulau Batu Puteh vested in Singapore? If the 1953 letter was as signifi-
cant as Singapore claims, it remains a mystery as to why this matter was
not given publicity beyond the bureaucracy of Singapore. Why did Sing-
apore not fly its national flag over the island, place it on its own maps,
publish it in its promotional brochures? Register it under Article 102 of

the United Nations Charter? If the purpose of the letter of enquiry was
to determine the boundaries of Singapore’s territorial waters why did
Singapore not publicly proclaim its maritime boundaries after 1953? The
answer provided by the Court that this could have led to claims for ter-

ritorial waters by neighbouring States that might interfere with the rights
of Singapore fishermen is both speculative and unconvincing.

18. At the beginning of its Judgment the Court asserts that “[i]t is a
general principle of law, confirmed by the jurisprudence of this Court,
that a party which advances a point of fact in support of its claim must

establish that fact” (Judgment, para. 45). Later it adds that:
“any passing of sovereignty over territory on the basis of the con-

duct of the Parties . . . must be manifested clearly and without any
doubt by that conduct and the relevant facts. That is especially so if
what may be involved, in the case of one of the Parties, is in effect
the abandonment of sovereignty over part of its territory.” (ibid.,

para. 122.)
The question whether Singapore discharged the burden of proof cannot

arise in respect of the consequences of the 1953 correspondence as Sing-
apore attached very different consequences to the correspondence to
those attached to the correspondence by the Court. Whereas the Court
views the correspondence as a “tacit” agreement (ibid., para. 120) or
the culmination of a “developing understanding” (ibid., paras. 203, 223,

131question de savoir si ces accords étaient «régis par le droit international
ou par quelque mécanisme de droit interne» (lord McNair, The Law of

Treaties, 1961, p. 115). Et si la correspondance de 1953 n’était pas régie
par le droit international, cela a-t-il une incidence sur les conséquences
qu’il convient de lui attacher?
16. Autre question, également liée à la compétence du secrétaire d’Etat
par intérim: celui-ci était-il compétent pour aliéner un territoire qui rele-

vait en dernier ressort de la Couronne britannique? S’il était compétent
pour aliéner Pedra Branca/Pulau Batu Puteh au moyen d’une note que
son destinataire reléguerait dans ses archives, l’aurait-il été pour trancher
un différend frontalier ou pour aliéner une importante partie du territoire

du Johor continental? Ou se serait-il alors agi d’une question relevant des
«affaires extérieures», du ressort de la Couronne britannique?
17. Cinquièmement, pourquoi Singapour n’a-t-elle pas rendu public
le fait que le Johor/la Malaisie avait admis que la «propriété» (souve-
raineté) sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh revenait à Singapour? Si la

lettre de 1953 revêtait l’importance que lui prête cette dernière, l’on com-
prend mal pourquoi cette affaire n’a pas été rendue publique au-
delà du cercle de la bureaucratie singapourienne. Pourquoi Singapour
n’a-t-elle pas arboré son drapeau national sur l’île, pas fait figurer cette
dernière sur ses propres cartes, pourquoi n’en a-t-elle pas fait état dans

ses brochures touristiques? Pourquoi ne l’a-t-elle pas enregistrée confor-
mément à l’article 102 de la Charte des Nations Unies? Si l’objectif de
la lettre de renseignements était de déterminer les limites des eaux terri-
toriales singapouriennes, pourquoi Singapour n’a-t-elle pas proclamé
publiquement quelles étaient ses frontières maritimes après 1953? La

réponse apportée par la Cour, à savoir que des Etats voisins auraient
alors pu faire valoir des prétentions sur des eaux territoriales risquant
d’avoir une incidence sur les droits de pêcheurs singapouriens, n’est
fondée que sur des conjectures et elle n’est pas convaincante.
18. Au début de son arrêt, la Cour affirme qu’«[i]l est un principe

général de droit, confirmé par [s]a jurisprudence ..., selon lequel une par-
tie qui avance un élément de fait à l’appui de sa prétention doit établir
celui-ci» (arrêt, par. 45). Plus loin, elle indique que

«tout changement du titulaire de la souveraineté territoriale fondé
sur le comportement des Parties ... doit se manifester clairement et
de manière dépourvue d’ambiguïté au travers de ce comportement et
des faits pertinents. Cela vaut tout particulièrement si ce qui risque

d’en découler pour l’une des Parties est en fait l’abandon de sa sou-
veraineté sur une portion de son territoire.» (Ibid., par. 122.)

La question de savoir si Singapour s’est acquittée de la charge de la
preuve lui incombant ne peut se poser en ce qui concerne les consé-
quences de la correspondance de 1953, car celles que lui prête Singapour
sont très différentes de celles que lui associe la Cour. Si cette dernière voit

dans la correspondance un accord «tacite» (ibid., par. 120) ou l’abou-
tissement d’une «évolution des vues» des Parties (ibid., par. 203, 223,

131230, 276) that Johor did not claim sovereignty over the island, or had
acquiesced in Singapore’s sovereignty over the island, Singapore denied

that it was part of its argument that Johor had renounced or abandoned
title over Pedra Branca/Pulau Batu Puteh for “the simple reason” that it
had no title to renounce or abandon (written response of Singapore to
the question put by Judge Keith dated 30 November 2007). As the Court
has drawn different conclusions from the 1953 correspondence from

those advanced by Singapore, the Court must be satisfied that Johor’s
conduct “manifested clearly and without any doubt” that it had in effect
abandoned sovereignty over the island. Whether the 1953 correspond-
ence provides such evidence is highly doubtful in the light of the very real

uncertainties relating to the meaning, nature and consequences of this
correspondence.

19. The Court understandably has difficulty in finding a clear legal
basis for its finding that the 1953 correspondence substantially contrib-

uted to the transfer of sovereignty from Johor to Singapore. It rightly
holds that the correspondence was not constitutive and did not create
title, that the letter from the Acting State Secretary did not constitute a
binding unilateral undertaking and that no estoppel arose. However, the
Judgment does not indicate clearly what conclusions are to be drawn

from the 1953 correspondence. In the sections of the Judgment associated
with the 1953 correspondence, the Court states that the “correspondence
and its interpretation are of central importance for determining the devel-
oping understanding of the two Parties about sovereignty over Pedra
Branca/Pulau Batu Puteh” (Judgment, para. 203); “that Johor’s reply

shows that as of 1953 Johor understood that it did not have sovereignty
over Pedra Branca/Pulau Batu Puteh”; and that “[i]n light of Johor’s
reply, the authorities in Singapore had no reason to doubt that the
United Kingdom had sovereignty over the island” (ibid., para. 223; see
also para. 230). It also talks of an “evolving understanding shared by the

Parties” (ibid., para. 224). Earlier in the Judgment the Court comments,
probably with reference to the 1953 correspondence, that the passing of
sovereignty may result from a “tacit” agreement arising from the conduct
of the Parties (ibid., para. 120) and from the failure of a State which has
sovereignty to respond to the conduct of the other State à titre de sou-

verain, in which case the “absence of reaction may well amount to acqui-
escence” (ibid., para. 121). Acquiescence, in this context, says the Court,
is “equivalent to tacit recognition manifested by unilateral conduct which
the other party may interpret as consent” (ibid.; citing the Delimitation
of the Maritime Boundary in the Gulf of Maine Area (Canada/United

States of America), Judgment, I.C.J. Reports 1984 , p. 305, para. 130).
Later, in its concluding section of the Judgment, with reference in part to
the 1953 correspondence — described as being of “major significance” in
the Court’s assessment of the situation (Judgment, para. 275) — the

Court declares that the relevant facts, including the conduct of the
Parties “reflect a convergent evolution of the positions of the Parties

132230, 276), convenant toutes deux que le Johor ne revendiquait pas la sou-
veraineté sur l’île ou avait acquiescé à la souveraineté singapourienne sur

l’île, Singapour nie avoir fait valoir que le Johor avait renoncé à son titre
sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh ou avait abandonné ce titre, «pour la
simple raison» que le Johor ne détenait aucun titre auquel il eût pu
renoncer ou qu’il eût pu abandonner (réponse écrite de Singapour à la
question posée par le juge Keith, en date du 30 novembre 2007). La Cour

ayant tiré de la correspondance de 1953 des conclusions différentes de
celles avancées par Singapour, elle doit acquérir la conviction que la
conduite du Johor «manifest[ait] clairement et de manière dépourvue
d’ambiguïté» un abandon effectif de sa souveraineté sur l’île. Or, il est

très loin d’être certain que la correspondance de 1953 apporte des preuves
en ce sens compte tenu des incertitudes très réelles qui entourent sa signi-
fication, sa nature et ses conséquences.
19. La Cour, on le comprend, a quelque peine à trouver un fondement
juridique solide à sa conclusion selon laquelle la correspondance de 1953

a substantiellement contribué au transfert de la souveraineté du Johor
à Singapour. Elle affirme à juste titre que la correspondance n’était ni
constitutive ni à l’origine d’un titre, que la lettre du secrétaire d’Etat par
intérim ne constituait pas un engagement unilatéral contraignant et qu’il
n’y a pas eu d’estoppel. Toutefois, elle n’indique pas clairement quelles

sont les conclusions à tirer de cette correspondance. Dans les passages
de l’arrêt qui s’y rapportent, la Cour indique que «cette correspondance
ainsi que la manière dont elle est interprétée sont essentielles pour déter-
miner comment ont évolué les vues des deux Parties à propos de la sou-
veraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh» (arrêt, par. 203); que «la

réponse du Johor montre que, en 1953, celui-ci considérait que la souve-
raineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh ne lui appartenait pas»; et
que, «[a]u vu de cette réponse, les autorités à Singapour n’avaient aucune
raison de douter que le Royaume-Uni détenait la souveraineté sur l’île»
(ibid., par. 223; voir également par. 230). La Cour fait également état

d’une «évolution des vues partagées par les Parties» (ibid., par. 224). Plus
haut dans l’arrêt, elle indique, probablement eu égard à la correspondance
de 1953, que le changement du titulaire de la souveraineté peut résulter
d’un accord «tacite» découlant du comportement des Parties (ibid,
par. 120) et de l’absence de réaction de l’Etat qui détenait la souveraineté

face au comportement d’un autre Etat agissant à titre de souverain,
auquel cas «[l]’absence de réaction peut tout à fait valoir acquiescement»
(ibid., par. 121). L’acquiescement, dans ce contexte, affirme la Cour,
«équiv[aut] à une reconnaissance tacite manifestée par un comportement
unilatéral que l’autre partie peut interpréter comme un consentement»

(ibid.; citant l’affaire de la Délimitation de la frontière maritime dans la
région du golfe du Maine (Canada/Etats-Unis d’Amérique), arrêt,
C.I.J. Recueil 1984, p. 305, par. 130). Plus loin, dans la conclusion de son
arrêt, et faisant notamment référence à la correspondance de 1953 — à

laquelle elle prête «une importance capitale» pour son évaluation de la
situation (arrêt, par. 275) —, la Cour déclare que les faits pertinents, dont

132regarding title to Pedra Branca/Pulau Batu Puteh” resulting in the pass-

ing of sovereignty over the island to Singapore (Judgment, para. 276).
From this it appears that notions of tacit agreement, developing or evolv-
ing understanding (a synonym for tacit agreement?) and acquiescence,
evidenced by the conduct of the Parties, provide the legal basis for the
Court’s Judgment. Clearly, Johor’s letter of 1953 features prominently in

the Court’s assessment. Whether tacit agreement based on: the conduct
of parties, a “developing understanding” that sovereignty had passed, or
acquiescence, in the context of the facts of the case, as for it providing a
sound legal basis for the passing of sovereignty will be examined later.

T HE P ERIOD 1953 TO 1980

20. The Court’s approach to the legal consequences to be attached to

the events of the period 1953 to 1980 are premised on and influenced by
its finding that Johor (Malaysia) had acknowledged the sovereignty of
Singapore over Pedra Branca/Pulau Batu Puteh in the 1953 letter from
the Acting State Secretary of Johor. The actions of Singapore thereafter

are positively interpreted to support its claim to sovereignty while its fail-
ures to act — its omissions — are excused. Conversely, no positive legal
significance is attached to Malaysia’s actions, while its failures to act are
seen as further evidence of its acquiescence in Singapore’s claim. This is
evidenced by an examination of the Court’s Judgment.

21. The Court finds that Singapore’s investigation of shipwrecks in the
vicinity of Pedra Branca/Pulau Batu Puteh has favourable legal conse-

quences for Singapore despite the fact that Singapore as lighthouse
operator was obliged to do so. It holds that Singapore’s exercise of con-
trol over official visits (including by Malaysia) to the island weighed in
Singapore’s favour, and declines to view Malaysia’s acquiescence in this

practice as polite deference to the authority of its lessee. Singapore’s
installation of military equipment on the island is counted in its favour
despite Malaysia’s uncontested assertion that it was unaware of this fact
and therefore unable to react. So too is Singapore’s proposal to extend

the island by reclamation, which again was done without Malaysia’s
knowledge. On the other hand, no adverse inference is drawn from the
failure of Singapore to protest, express concern or even publicly take
notice of a number of open actions by Malaysia in the vicinity of Pedra
Branca/Pulau Batu Puteh which had potentially serious implications for

it — the 1968 Petroleum Agreement between Malaysia and the Continen-
tal Oil Company of Malaysia, the 1969 Malaysian Territorial Seas legis-
lation extending Malaysia’s territorial waters, and the Agreements of

133le comportement des Parties, «témoignent d’une évolution convergente
des positions de celles-ci concernant le titre sur Pedra Branca/Pulau Batu

Puteh», dont est découlé un changement du titulaire de la souveraineté
sur l’île au profit de Singapour (arrêt, par. 276). Il apparaît ainsi que les
notions d’accord tacite, d’évolution des vues partagées par les Parties (un
synonyme d’accord tacite?) et d’acquiescement attestés par la conduite des

Parties constituent la base juridique sur laquelle la Cour fonde son arrêt.
De toute évidence, la lettre de 1953 du Johor occupe une place centrale
dans son appréciation. La question de savoir si l’accord tacite fondé sur la
conduite des Parties, le partage, au terme d’une «évolution», des mêmes
vues quant à l’existence d’un transfert de la souveraineté et l’acquiesce-

ment fournissent, dans le contexte des faits de l’espèce, une base juridique
solide à un tel changement sera examinée plus loin.

LA PÉRIODE ALLANT DE 1953 À 1980

20. La manière dont la Cour aborde les conséquences juridiques à
attacher aux événements survenus dans la période allant de 1953 à 1980
est conditionnée, et influencée, par sa conclusion selon laquelle le Johor

(la Malaisie) avait, dans la lettre de 1953 de son secrétaire d’Etat par inté-
rim, reconnu la souveraineté de Singapour sur Pedra Branca/Pulau Batu
Puteh. Les actes de Singapour postérieurs à cette date sont portés à son
crédit comme étayant sa revendication de souveraineté, tandis que son

inaction et ses omissions sont excusées. A l’inverse, les actes de la Malai-
sie ne se voient reconnaître aucune valeur juridique positive, tandis que
son inaction est perçue comme une preuve supplémentaire de son acquies-
cement à la revendication singapourienne. Tel est le constat qui ressort de
l’examen de l’arrêt de la Cour.

21. La Cour attache à l’enquête sur les naufrages menée au voisinage
de Pedra Branca/Pulau Batu Puteh par Singapour des conséquences juri-
diques favorables à Singapour, bien que celle-ci fût, en sa qualité d’exploi-
tant du phare, tenue d’agir ainsi. La Cour estime que le contrôle qu’elle

exerçait à l’égard des visites officielles (y compris de la Malaisie) sur l’île
pèse, dans la balance, en faveur de Singapour, et refuse de considérer
l’acquiescement de la Malaisie à cette pratique comme la simple marque
d’une déférence polie envers l’autorité reconnue à un preneur à bail. La
Cour met à l’actif de Singapour le fait que celle-ci ait installé du matériel

militaire sur l’île, quand bien même la Malaisie a affirmé — sans que
cette affirmation ait été contestée — qu’elle n’en avait pas eu connais-
sance et n’avait dès lors pu réagir. Il en va de même de la proposition de
Singapour tendant à agrandir l’île par récupération de terres, dont, là

encore, la Malaisie ne fut pas informée. En revanche, la Cour ne retient
pas contre Singapour le fait que celle-ci se soit abstenue de protester
contre un certain nombre d’actes publics de la Malaisie au voisinage de
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh qui risquaient pourtant d’avoir pour elle
de sérieuses conséquences — l’accord pétrolier de 1968 conclu entre la

1331969/1970 between Malaysia and Indonesia delimiting their continental
shelf and territorial waters. Surprisingly, the Court fails to attach any sig-

nificance to the failure of the 1973 Territorial Sea Agreement between
Singapore and Indonesia to include any mention of Pedra Branca/Pulau
Batu Puteh. Generously, the Court likewise draws no adverse inference
from the failure of Singapore’s official publications to include the island

as Singaporean territory, and dismisses as insignificant an assertion made
in 1966 by J. A. L. Pavitt, for many years Director of Marine in Singa-
pore, that Pedra Branca/Pulau Batu Puteh did not belong to Singapore
(J. A. L. Pavitt, The First Pharos of the Eastern Seas: Horsburgh Light-
house). On the other hand, the Court considers as “significant” the fact

that Malaysia listed Horsburgh lighthouse as a “Singapore Station” in
two meteorological reports. Malaysia’s explanation that this simply meant
that this was a Singapore rainfall station is discounted. Finally the Court
notes, in passing, and without comment, that Singapore did not include

Pedra Branca/Pulau Batu Puteh as part of Singapore in any map it pub-
lished between 1847 and 1995.

22. The Court is ambivalent in its treatment of Singapore’s flying of

the ensign over Pedra Branca/Pulau Batu Puteh rather than its national
flag. It acknowledges that the flying of an ensign “is not in the usual case
a manifestation of sovereignty” (Judgment, para. 246), but draws an
inference adverse to Malaysia from its failure to protest about the flying
of the ensign over the uninhabited island of Pedra Branca/Pulau Batu

Puteh when it had protested over the flying of the ensign over the larger
and inhabited island of Pulau Pisang. In my view, the Court should
instead have drawn an inference adverse to Singapore for its failure to fly
its national flag over Pedra Branca/Pulau Batu Puteh. This failure speaks

volumes as it indicates clearly that Singapore did not at any time believe
(or at least had no confidence in such a belief) that it enjoyed sovereignty
over the island and that for this reason it was unprepared to engage in a
public display of alleged sovereignty that would inevitably have followed
from the flying of the national flag.

23. Malaysia’s actions are viewed less positively. The fact that the
Malaysian and Singaporean navies together patrolled the seas in the

vicinity of Pedra Branca/Pulau Batu Puteh is treated as insignificant. No
weight is given to a 1968 letter of the Chief of the Malaysian Navy
declaring that the territorial waters of Pedra Branca/Pulau Batu Puteh
were part of Malaysia’s territorial sea on the ground that this letter was
not made public. (This might have been an acceptable argument had the

134Malaisie et la Continental Oil Company of Malaysia, l’ordonnance de
1969 sur la mer territoriale malaisienne élargissant les eaux territoriales

de la Malaisie, et les accords conclus en 1969 et 1970 entre la Malaisie
et l’Indonésie aux fins de délimiter leur plateau continental et leurs eaux
territoriales —, n’ait pas exprimé de préoccupations à leur égard ni n’en
ait seulement pris acte. Curieusement, la Cour n’attache pas d’impor-
tance au fait que l’accord de 1973 relatif à la mer territoriale entre Sin-

gapour et l’Indonésie ne contienne aucune mention de Pedra Branca/
Pulau Batu Puteh. Avec la même largesse, la Cour ne retient pas contre
Singapour le fait que l’île ne figure pas en territoire singapourien dans ses
publications officielles, et rejette comme sans importance une affirmation

datant de 1966 de J. A. L. Pavitt, qui fut pendant plusieurs années direc-
teur des affaires maritimes de Singapour, selon laquelle Pedra Branca/
Pulau Batu Puteh n’appartenait pas à cette dernière (J. A. L. Pavitt, The
First Pharos of the Eastern Seas: Horsburgh Lighthouse ). En revanche,
la Cour juge que «n’est pas sans intérêt» le fait que la Malaisie ait pré-

senté le phare Horsburgh comme une «station de Singapour» dans deux
rapports météorologiques. De l’explication de la Malaisie — à savoir
qu’elle y figurait en tant que simple station pluviométrique singapou-
rienne —, il n’est fait aucun cas. Enfin, la Cour note en passant seule-
ment, et sans commentaire, que Singapour ne présente Pedra Branca/

Pulau Batu Puteh comme singapourienne dans aucune des cartes qu’elle
a publiées entre 1847 et 1995.
22. La Cour use de deux poids deux mesures dans la manière dont elle
traite le fait que Singapour a arboré sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh
son pavillon plutôt que son drapeau national. Elle reconnaît que le

déploiement d’un pavillon «n’est habituellement pas une manifestation
de souveraineté» (arrêt, par. 246), mais estime que milite contre la thèse
de la Malaisie le fait que celle-ci n’ait pas protesté contre le déploiement
du pavillon sur l’île inhabitée de Pedra Branca/Pulau Batu Puteh alors
qu’elle avait élevé des objections lorsqu’un tel pavillon avait été hissé sur

l’île — plus grande et habitée — de Pulau Pisang. Selon moi, la Cour
aurait dû au contraire juger que militait contre la thèse de Singapour le
fait que celle-ci n’ait pas arboré son drapeau national sur Pedra Branca/
Pulau Batu Puteh. Qu’elle ne l’ait pas arboré est on ne peut plus élo-
quent, puisqu’il en ressort clairement que Singapour n’a jamais considéré

(ou n’a, à tout le moins, jamais estimé certain) qu’elle détenait la souve-
raineté sur l’île et n’était, dès lors, pas disposée à se livrer à la manifesta-
tion publique d’affirmation de la souveraineté inévitablement associée au
déploiement du drapeau national.
23. Les activités de la Malaisie sont considérées sous un jour moins

complaisant. Le fait que des navires malaisiens et singapouriens aient pa-
trouillé conjointement dans les eaux voisines de Pedra Branca/Pulau Batu
Puteh est jugé sans importance. Aucun poids n’est accordé à une lettre
de 1968 du chef de la marine malaisienne indiquant que les eaux territo-

riales de Pedra Branca/Pulau Batu Puteh faisaient partie de la mer terri-
toriale malaisienne, au motif que cette lettre ne fut pas rendue publique

134Court not been more generous in its attachment of significance to Singa-

pore’s secret installation of military equipment and proposed land recla-
mation: see para. 21 above.) No legal consequences are attached to the
Government of Malaysia’s 1968 Petroleum Agreement with the Conti-
nental Oil Company of Malaysia authorizing the company to explore for
oil in the vicinity of Pedra Branca/Pulau Batu Puteh. Here the Court

might well have taken judicial notice of the sensitivity displayed by States
in respect of exploration for oil and that this Agreement must have
received the attention of Singapore — resulting in an expectation of some
response. No weight is given to Malaysia’s 1969 legislation on its territo-

rial sea on the ground that it does not expressly mention Pedra Branca/
Pulau Batu Puteh. Again, one would surely have expected a State with an
unpublicized claim to territory in the region to at least have reminded
Malaysia of its interest. Malaysia’s agreements with Indonesia over their

continental shelf and territorial seas are treated in a similar vein, and no
adverse inference is drawn from Singapore’s silence, despite its obvious
interest in respect of territorial claims in the region.

24. The Court’s handling of the maps depicting Pedra Branca/Pulau
Batu Puteh is highly unsatisfactory. The Court attaches considerable sig-

nificance to six Malaysian maps that appear to describe Pedra Branca/
Pulau Batu Puteh as Singaporean territory, without seriously considering
Malaysia’s highly plausible explanation that “Singapore” in context
referred to the Horsburgh lighthouse only and not to the island. (At this
stage the Court might also have considered the question whether Singa-

pore’s decision to fly the ensign rather than its national flag gave any sup-
port to Malaysia’s explanation.) On the other hand, the Court dismisses
those maps which clearly support Malaysia’s position. First, it doubts the
significance of three maps published in 1926 and 1932 by the Surveyor-

General of the Federated Malay States and Straits Settlements, which
indicate clearly (despite the Court’s statement that they “may” indicate)
that the island is within Johor. Secondly, it even fails to consider other
maps produced by Johor and the United Kingdom, which place Pedra

Branca/Pulau Batu Puteh within Malaysian territory.

OVERALL F ACTUAL A SSESSMENT

25. This case involves a dispute between two friendly nations, both for
many years subject to British authority or influence, whose friendship

and close constitutional relationship is in part the reason for the present
dispute. This friendship has allowed the issue of sovereignty over Pedra
Branca/Pulau Batu Puteh to go virtually unnoticed for 130 years. In

135(argument qui aurait pu être recevable si la Cour ne s’était montrée au-
trement généreuse dans l’importance accordée à l’installation secrète de

matériel militaire par Singapour et à son projet de récupération de terres:
voir paragraphe 21 ci-dessus). Aucun effet juridique n’est associé à l’accord
pétrolier conclu en 1968 par le Gouvernement malaisien avec la Conti-
nental Oil Company of Malaysia, qui autorisait celle-ci à mener des acti-

vités d’exploration pétrolière aux alentours de Pedra Branca/Pulau Batu
Puteh. La Cour, à cet égard, aurait pu prendre note de la sensibilité mani-
festée par les Etats en matière d’exploration pétrolière et du fait que cet
accord a dû être porté à l’attention de Singapour — de sorte qu’une réac-
tion de sa part semblait s’imposer. Il n’est accordé aucun poids à l’ordon-

nance de 1969 de la Malaisie sur sa mer territoriale au motif qu’elle ne
mentionne pas expressément Pedra Branca/Pulau Batu Puteh. Une fois
de plus, il aurait semblé naturel qu’un Etat entretenant, dans la région,
des prétentions territoriales qu’il n’avait pas exprimées publiquement eût

à tout le moins rappelé à la Malaisie son intérêt. Les accords conclus par
la Malaisie avec l’Indonésie relativement à leur plateau continental et à
leurs mers territoriales sont traités de la même façon, et le silence de Sin-
gapour n’est pas retenu contre elle, en dépit de l’intérêt manifeste qui
était le sien s’agissant des revendications territoriales dans la région.

24. Le traitement réservé par la Cour aux cartes qui représentent
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh est extrêmement insatisfaisant. La Cour
prête une importance considérable à six cartes malaisiennes qui semblent
présenter Pedra Branca/Pulau Batu Puteh comme singapourienne, sans

accorder l’attention qu’elle mérite à l’explication éminemment plausible
de la Malaisie selon laquelle l’adjectif «singapourien» qualifiait, dans ce
contexte, le phare Horsburgh seulement, et non pas l’île. (A ce stade, la
Cour aurait également pu se poser la question de savoir si la décision
prise par Singapour d’arborer le pavillon plutôt que son drapeau national

corroborait d’une quelconque façon cette explication.) En revanche, la
Cour écarte les documents cartographiques qui vont clairement dans le
sens de la thèse malaisienne. Non seulement elle conteste l’importance de
trois cartes publiées en 1926 et en 1932 par le géomètre général de la

Fédération des Etats malais et des Etablissements des détroits, qui indi-
quent clairement (même si la Cour affirme seulement qu’elles «pour-
raient» indiquer) que l’île appartenait au Johor, mais elle ne prend pas
même en compte d’autres cartes établies par le Johor et le Royaume-Uni,
qui situent Pedra Branca/Pulau Batu Puteh en territoire malaisien.

APPRÉCIATION GLOBALE DES FAITS

25. Cette affaire recouvre un différend entre deux nations amies, long-
temps soumises, l’une comme l’autre, à l’autorité ou à l’influence britan-
niques, et dont l’amitié et les liens constitutionnels étroits sont l’une des
causes du présent litige. Cette amitié a permis à la question de la souve-
raineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh de passer quasiment inaper-

135approaching the dispute it is essential to have regard to these historical
and political circumstances.

26. Before 1980 no serious attention was paid to the status of Pedra
Branca/Pulau Batu Puteh. Malaysia thought the island belonged to it.
Singapore too, at some time after the construction of the Horsburgh
lighthouse, thought it belonged to it. But, wisely, both Parties allowed the
overriding interest of safety of navigation in the Singapore Straits to pre-

vail over territorial claims. The 1953 correspondence did not disturb the
relationship between the Parties. Having been informed by Johor that it
did not claim “ownership” (whatever this may mean) over Pedra Branca/
Pulau Batu Puteh, Singapore did nothing to advertise this information to

third States. It did not take any actions based on this information itself.
Instead both Parties relegated this information to their archives. Maybe
they did this to avoid maritime disputes in the region in the wake of the
“new” Law of the Sea declared in the Fisheries case (United Kingdom v.
Norway) (Judgment, I.C.J. Reports 1951 , p. 116). Maybe Singapore did

not wish to disturb its good relationship with Johor by a request for clari-
fication of the 1953 letter by the Acting State Secretary. Whatever the
reason for this conduct, or lack of conduct, nothing was done and the
Parties continued as they had behaved before 1953.

27. Singapore continued to behave as a lighthouse operator unac-
countable to Malaysia. It was careful not to flaunt its sovereignty, if it
believed that it was sovereign. It did nothing to advertise that it consid-
ered itself to be sovereign. It flew the ensign over the island rather than its

national flag. It accepted Malaysian naval patrols in the vicinity of the
island. Military communication equipment was quietly installed on the
island. Land reclamation plans were not proceeded with. Official publi-
cations made no attempt to include the island in Singaporean territory.
Singapore published no map claiming the island as its own. It refrained

from reminding Malaysia that it had an interest in the continental shelf
or territorial sea of the island when Malaysia entered into a petroleum
agreement (1968), adopted legislation on its territorial sea (1969) and
entered into an agreement with Indonesia in respect of continental shelf
and territorial sea. It raised no objections to maps that included Pedra

Branca/Pulau Batu Puteh in Malaysian territory. And, finally, it refrained
from claiming the island in its 1973 Territorial Sea Agreement with
Indonesia.

28. Malaysia likewise continued to behave as a lessor without any
expectation of accountability from its lessee. It failed to protest Singa-
pore’s activities on the island, even when they went beyond those of a
lighthouse operator. It accepted that it was required to obtain permission

from its lessee for visits to the island. It raised no objections to the Sing-
apore navy patrolling the vicinity of the island. It failed to object to Sing-

136çue pendant cent trente ans. Pour aborder ce différend, il est essentiel de
tenir compte de ces circonstances politiques et historiques.

26. Avant 1980, la question du statut de Pedra Branca/Pulau Batu
Puteh ne s’était pas sérieusement posée. La Malaisie pensait que l’île lui
appartenait et, quelque temps après la construction du phare Horsburgh,
Singapour pensait, de même, que l’île lui appartenait. L’une et l’autre
eurent toutefois la sagesse de laisser prévaloir sur des prétentions territo-

riales l’intérêt primordial de la sécurité de la navigation dans le détroit de
Singapour. La correspondance de 1953 ne perturba pas leurs relations.
Informée par le Johor que celui-ci ne revendiquait pas la «propriété»
(quoi que l’on entende par là) de Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, Sin-

gapour se garda de porter cette information à la connaissance de tierces
parties. Elle-même n’en tira matière à aucune initiative. Au contraire, les
deux Parties la reléguèrent dans leurs archives. Peut-être agirent-elles
ainsi pour éviter, dans le contexte du «nouveau» droit de la mer affirmé
dans l’affaire des Pêcheries (Royaume-Uni c. Norvège) (arrêt, C.I.J.

Recueil 1951, p. 116), l’apparition de différends maritimes dans la région.
Singapour ne souhaitait peut-être pas compromettre les bonnes relations
qu’elle entretenait avec le Johor en sollicitant des éclaircissements sur la
lettre de 1953 du secrétaire d’Etat par intérim. Quelle que fût la raison de
ce comportement, ou de cette inaction, aucune mesure ne fut prise et les

Parties continuèrent de se conduire comme elles le faisaient avant 1953.
27. Singapour continua ainsi de se comporter comme un exploitant de
phare n’ayant aucun compte à rendre à la Malaisie. Si elle s’estimait titu-
laire de la souveraineté, elle prenait soin de n’en pas faire étalage. Elle ne
chercha en rien à faire savoir qu’elle s’estimait détentrice de la souverai-

neté. Elle arbora sur l’île le pavillon plutôt que son drapeau national. Elle
accepta que la Malaisie effectue dans ses parages des patrouilles navales.
Elle y installa furtivement du matériel de communication militaire. Elle
ne mit pas en Œuvre les projets de récupération de terres qu’elle avait
conçus. Elle ne chercha aucunement, dans ses publications officielles, à

présenter l’île comme singapourienne. Elle ne publia aucune carte
l’incluant dans son territoire. Elle se garda de rappeler à la Malaisie, lors-
que celle-ci conclut un accord pétrolier (1968), prit une ordonnance
concernant sa mer territoriale (1969) et conclut avec l’Indonésie un
accord relatif au plateau continental et à leurs mers territoriales, qu’elle

avait un intérêt à l’égard du plateau continental ou de la mer territoriale
de l’île. Elle ne souleva aucune objection à des cartes qui faisaient appa-
raître Pedra Branca/Pulau Batu Puteh en territoire malaisien. Enfin, elle
s’abstint de revendiquer l’île dans l’accord de 1973 relatif à la mer terri-
toriale qu’elle conclut avec l’Indonésie.

28. La Malaisie, de même, continua de se comporter comme un bailleur
n’attendant pas de son preneur qu’il lui rende des comptes. Elle ne pro-
testa pas contre les activités menées par Singapour sur l’île, même quand
elles outrepassaient les attributions d’un exploitant de phare. Elle accepta

l’obligation d’obtenir l’autorisation de son preneur pour effectuer des
visites sur l’île. Elle ne s’opposa pas à ce que la marine de Singapour

136apore’s flying of the ensign, despite the fact that it objected to such con-
duct in the case of Pulau Pisang. It acknowledged that Singapore

controlled the island in its six notorious maps. On the other hand, in a
rare display of sovereignty, it did not consult Singapore when it entered
into a petroleum agreement for the continental shelf, enacted legislation
for its territorial sea and entered into an agreement with Indonesia for

the delimitation of its continental shelf and territorial sea.

29. It was not until 1980 that the Parties realized that they had a dis-
pute on their hands. But even then they continued to behave amicably
towards each other. Both claimed original title to the island and Singa-

pore politely refrained from claiming that it had acquired title by pre-
scription, possibly because it did not wish to suggest that it had for many
years been an adverse possessor of the island.

L EGAL A SSESSMENT

30. As I have said in paragraph 2, I find it difficult to fully understand
the basis for the Court’s Judgment. Notions of conduct, acquiescence,
tacit agreement and abandonment of title feature in the Court’s explana-

tion for its decision (see Judgment, paras. 120-121, 162, 203, 223-224, 230
and 275). However, the Court fails to explain how sovereignty over Pedra
Branca/Pulau Batu Puteh passed from Johor/Malaysia to Singapore in
terms of traditional or accepted rules governing the acquisition of terri-

torial title. In particular, it fails to address the question whether there was
“an intentional display of power and authority” over Pedra Branca/Pulau
Batu Puteh on the part of Singapore “by the exercise of jurisdiction and
State functions, on a continuous and peaceful basis” — a formula said to
reflect the “modern international law on the acquisition (or attribution)

of territory” by the Tribunal in the Eritrea/Yemen Arbitration Award
(Territorial Sovereignty and Scope of the Dispute, Eritrea/Yemen (1998)
22 RIAA, pp. 209, 268, para. 239). In order to decide whether the Court’s
Judgment can be justified in law the wisest course seems to be to examine

the decision within the framework of accepted, or at least known, grounds
normally advanced for the acquisition of territorial title and then to test
the facts of the case against the grounds that appear to have been
advanced by the Court.

31. On the face of it, Singapore’s claim looks very much like a claim
based on prescription. Malaysia has original title but Singapore claims
that for 130 years it has possessed the island and performed acts in

respect of the island à titre de souverain, peacefully and uninterruptedly.
But strangely, Singapore chose not to argue this. It repeatedly stated that
“the notion of prescription . . . has no role to play in the present case”
(CR 2007/22, p. 29, para. 69) and instead maintained that it:

137patrouille au voisinage de celle-ci. Elle n’objecta pas à ce que Singapour
arbore le pavillon, quand bien même elle avait protesté dans le cas de

Pulau Pisang. Elle reconnut que Singapour contrôlait l’île sur ses six
fameuses cartes. En revanche, dans une rare manifestation de souverai-
neté, elle s’abstint de consulter Singapour lorsqu’elle conclut un accord
pétrolier concernant le plateau continental, promulgua une ordonnance

relative à sa mer territoriale et conclut avec l’Indonésie un accord de déli-
mitation du plateau continental et des mers territoriales.
29. Ce n’est qu’en 1980 que les Parties se rendirent compte qu’un dif-
férend les opposait. Mais, même alors, leurs relations demeurèrent ami-
cales. Toutes deux revendiquèrent le titre originaire sur l’île, Singapour

s’abstenant poliment d’affirmer qu’elle avait acquis le titre par prescrip-
tion, peut-être parce qu’elle ne voulait pas donner à penser que, des
années durant, sa possession de l’île avait été de mauvaise foi.

A PPRÉCIATION JURIDIQUE

30. Ainsi que je l’ai indiqué au paragraphe 2, j’ai peine à bien saisir le
fondement sur lequel repose l’arrêt de la Cour. Dans l’exposé des motifs
de sa décision, la Cour mentionne les notions de comportement, d’acquies-

cement, d’accord tacite et d’abandon du titre (voir arrêt, par. 120-121,
162, 203, 223-224, 230 et 275). Toutefois, elle n’explique pas comment la
souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh est passée du Johor/de
la Malaisie à Singapour au regard des règles traditionnelles ou admises

régissant l’acquisition d’un titre territorial. En particulier, elle ne répond
pas à la question de savoir s’il y avait de la part de Singapour «une mani-
festation intentionnelle de pouvoir et d’autorité» sur Pedra Branca/Pulau
Batu Puteh «par l’exercice continu et pacifique de la compétence et des
attributs de la puissance publique» — formulation censée refléter le

«droit international moderne de l’acquisition (ou de l’attribution) d’un
territoire», aux termes de la sentence rendue en 1998 par le tribunal arbi-
tral dans la première étape de la procédure en l’affaire Erythrée/Yémen
(Souveraineté territoriale et champ du différend, Permanent Court of

Arbitration Award Series , T.M.C. Asser Press, 2005, p. 357, par. 239).
Pour déterminer si l’arrêt de la Cour est fondé en droit, le plus judicieux
serait, semble-t-il, d’examiner la question au regard des bases admises, ou
à tout le moins connues, d’acquisition d’un titre territorial généralement
avancées, puis d’apprécier, à la lumière des faits de l’affaire, celles qui

semblent l’avoir été ici par la Cour.
31. A première vue, la prétention de Singapour semble à s’y méprendre
être fondée sur la prescription. La Malaisie détient le titre originaire,
mais Singapour affirme avoir été en possession de l’île pendant cent

trente ans et avoir accompli à son égard des actes à titre souverain, pai-
siblement et sans interruption. Curieusement, Singapour a toutefois choisi
de ne pas invoquer ce concept. Elle a indiqué à plusieurs reprises que
«la notion de prescription ... n’a[vait] aucun rôle à jouer en l’espèce»
(CR 2007/22, p. 29, par. 69), soutenant qu’elle

137 “relies on its conduct after 1851 not for purposes of establishing a
legal title to the territory in dispute — that title was already estab-

lished by 1851 — but rather to demonstrate that that title was main-
tained and confirmed by a series of concrete activities on the ground
which have lasted for over 150 years” (CR 2007/22, p. 28, para. 66).

Malaysia accepted that “the notion of prescription . . . has no role to play
in the present case” (CR 2007/26, p. 35, para. 1).
32. It is not known why Singapore chose not to pursue so obvious an
argument, even if only in the alternative. And, with the knowledge of

hindsight (although the Court must have realized from the outset it
would have to deal with some kind of prescription), it is unfortunate that
the Court did not ask the Parties to address it on prescription.

33. Prescription is a concept of uncertain content in international law.
According to R. Y. Jennings, it is “a portmanteau concept that compre-
hends both possession of which the origin is unclear or disputed, and an
adverse possession which is in origin demonstrably unlawful” (R. Y. Jen-
nings, The Acquisition of Territory in International Law (1963) p. 23). In

the case concerning Kasikili/Sedudu Island (Botswana/Namibia) (Judg-
ment, I.C.J. Reports 1999 (II), p. 1103, para. 94 and p. 1105, para. 97),
the Court accepted that for a claim based on prescription to succeed it
must be shown that possession is à titre de souverain, peaceful and un-
interrupted, public and endure for a certain length of time (see also,

D. H. N. Johnson, “Acquisitive Prescription in International Law”,
(1950) 27 British Year Book of International Law, pp. 344-348). Publicity
is an essential requirement for prescription. According to Malcolm Shaw
the possession must be public “so that all interested States can be made
aware of it” (International Law, 5th ed. 2003, p. 427). Judge Max Huber

was also keenly aware of this requirement in his decision in the Island of
Palmas Case (Netherlands/United States of America) (Award of
4 April 1928, RIAA, Vol. II (1949), pp. 839, 868), as he repeatedly
emphasized the need for a “continuous and peaceful display of State
authority” (emphasis added) in order to establish title. Given Singapore’s

failure to expressly and openly assert its claim to sovereignty over Pedra
Branca/Pulau Batu Puteh, and in particular its failure or refusal to pub-
licize Johor’s response to its letter of 1953, it is highly unlikely that it
could have succeeded in a claim based on prescription — had it chosen to
argue this. In the event, the Court studiously avoided any suggestion that

its Judgment was based on prescription.

34. Another ground, that was raised by Singapore and might have
been invoked by the Court for its decision, was estoppel — a term:

“used to denote a legal principle which operates so as to preclude a
party from denying before a tribunal the truth of a statement of fact

138 «se fond[ait] sur sa conduite postérieure à 1851 dans le but non
d’établir un titre juridique sur le territoire en litige — titre qui était

déjà établi en 1851 —, mais de démontrer que ce dernier a[vait] été
préservé et confirmé par une série d’activités concrètes sur le terrain
pendant plus de cent cinquante ans» (CR 2007/22, p. 28, par. 66).

La Malaisie admet que «la notion de prescription ... n’a aucun rôle à
jouer en l’espèce» (CR 2007/26, p. 35, par. 1).
32. L’on ignore pourquoi Singapour a choisi de ne pas développer un

argument aussi évident, fût-ce uniquement à titre subsidiaire. Et, avec le
recul (encore que la Cour ait dû saisir d’emblée que la question de la pres-
cription se poserait sous une forme ou sous une autre), il est dommage
que la Cour n’ait pas prié les Parties de lui faire part de leurs vues sur

cette question.
33. La prescription est un concept dont le contenu n’est pas clair en
droit international. Selon R. Y. Jennings, il s’agit d’une notion hétéroclite
qui recouvre «à la fois une possession dont l’origine est incertaine ou
contestée, et une possession de mauvaise foi dont l’origine est évidem-

ment illicite» (R. Y. Jennings, The Acquisition of Territory in Internatio-
nal Law, 1963, p. 23). Dans l’affaire de l’Ile de Kasikili/Sedudu (Botswana/
Namibie) (arrêt, C.I.J. Recueil 1999 (II) , p. 1103, par. 94, et p. 1105,
par. 97), la Cour a admis que, pour qu’une demande puisse être adjugée

au titre de la prescription, il devait avoir été démontré que la possession
était exercée à titre de souverain, que cette possession était paisible et
interrompue, était publique et s’était prolongée pendant un certain temps
(voir également D. H. N. Johnson, «Acquisitive Prescription in Interna-
tional Law», British Year Book of International Law , vol. 27, 1950,

p. 344-348). Que la possession soit publique est une condition essentielle
en matière de prescription. Selon Malcolm Shaw, elle doit l’être «afin que
tous les Etats concernés puissent en être informés» (International Law,
5 éd. 2003, p. 427). Le juge Max Huber avait lui aussi parfaitement cons-

cience de cette exigence, qui soulignait à plusieurs reprises, dans la sen-
tence rendue en l’affaire de l’Ile de Palmas (Pays-Bas/Etats-Unis d’Amé-
rique) (sentence, 4 avril 1928, RGDIP, t. XLII, 1935, p. 166 [traduction
française]), la nécessité d’une manifestation («display») «continu[e] et
pacifique des fonctions étatiques» aux fins d’établir le titre. Singapour

n’ayant pas expressément ni publiquement fait valoir sa revendication de
souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh et ayant, en particulier,
manqué — ou refusé — de rendre publique la réponse du Johor à sa
lettre de 1953, il est éminemment improbable qu’elle eût pu se voir ad-

juger une demande fondée sur la prescription — eût-elle choisi d’avan-
cer cet argument. De fait, la Cour s’est soigneusement gardée de donner
à entendre que son arrêt reposait sur cette notion.
34. Autre motif avancé par Singapour, que la Cour aurait pu invoquer
pour fonder sa décision: l’estoppel, terme

«utilisé pour désigner un principe juridique ayant pour effet d’empê-
cher une partie de nier devant un tribunal la véracité d’une déclara-

138 made previously by that party to another whereby that other has
acted to his detriment” (I. Sinclair “Estoppel and Acquiescence” in

V. Lowe and M. Fitzmaurice (eds.), Fifty Years of the International
Court of Justice: Essays in Honour of Sir Robert Jennings (1996),
p. 105).

After all, estoppel and acquiescence are closely linked and acquiescence
features in the Court’s Judgment. However, the Court rightly rejects
estoppel as the basis for the acquisition of title on the ground that there
was no evidence that Singapore had taken any action in reliance on

Johor’s letter of 1953.
35. The Court also, rightly, dismisses any suggestion that the letter of
1953 might be interpreted as a cession of the island from Johor to Sing-
apore by finding that it did not have a “constitutive character in the sense
that it had a conclusive legal effect on Johor” (Judgment, para. 227). Sin-

gapore’s argument that the 1953 letter might amount to a binding un-
dertaking is likewise dismissed on the ground that Johor’s statement
“was not made in response to a claim made by Singapore or in the con-
text of a dispute between them”, but was simply a response to a request
for information (ibid., para. 229). Historical consolidation of title was

not considered by either Singapore or the Court as a basis for the acquisi-
tion of title, probably because of the doubts that have recently been cast
on this root of title by the Court in the case concerning Land and Mari-
time Boundary between Cameroon and Nigeria (Cameroon v. Nigeria:
Equatorial Guinea Intervening) (Judgment, I.C.J. Reports 2002 , p. 352).

36. This leaves tacit agreement, some sort of acquiescence in Singa-
pore’s title or abandonment of title as the basis for the Court’s Judgment.
Abandonment of title is mentioned by the Court as a possible effect of
the conduct of the Parties (Judgment, para. 122), but is not raised as a

separate basis for the acquisition of title. This is a wise course as the
“actual examples of it are scarce” (G. Marston, “The British Acquisition
of the Nicobar Islands, 1869: A Possible Example of Abandonment of
Territorial Sovereignty”, (1998) 69 British Year Book of International
Law, p. 262) and the intention to abandon title must be manifest. Johor’s

letter of 1953 would not seem to satisfy this test.

37. The Court employs different terminology to describe what it per-
ceives to be a “tacit agreement” between Johor/Malaysia and Singapore
on the passing of sovereignty over Pedra Branca/Pulau Batu Puteh. Early

in the Judgment, probably with reference to the 1953 correspondence, the
Court warns that the passing of sovereignty may result from “tacit”
agreement arising from the conduct of the Parties (Judgment, para. 120).
Later it talks about “evolving views” (ibid., para. 162) and an “evolving

understanding shared by the Parties” (ibid., para. 224). In its con-
cluding remarks on sovereignty over Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, the

139 tion factuelle adressée par elle à une autre partie, sur le fondement
de laquelle cette autre partie a agi d’une manière qui lui était préju-

diciable» (I. Sinclair, «Estoppel and Acquiescence», dans V. Lowe
et M. Fitzmaurice (sous la dir. de), Fifty Years of the International
Court of Justice: Essays in Honour of Sir Robert Jennings , 1996,
p. 105).

Après tout, les notions d’estoppel et d’acquiescement sont étroitement
liées et cette dernière est mentionnée dans l’arrêt de la Cour. Toutefois, la
Cour se refuse à bon droit à faire reposer sur l’estoppel l’acquisition du
titre, arguant que rien ne prouve que Singapour ait pris la moindre

mesure sur le fondement de la lettre du Johor de 1953.
35. La Cour rejette aussi à bon droit toute suggestion que la lettre de
1953 pourrait être interprétée comme portant cession de l’île du Johor à
Singapour, en lui déniant «un caractère constitutif au sens où elle aurait
eu pour [le Johor] un effet juridique décisif» (arrêt, par. 227). L’argument

de Singapour assimilant la lettre de 1953 à un engagement obligatoire est
de même écarté, au motif que la déclaration du Johor «ne répondait pas
à une revendication de Singapour ni ne s’inscrivait dans le cadre d’un dif-
férend entre les Parties» mais n’était qu’une réponse à une demande de
renseignements (ibid., par. 229). La consolidation historique du titre n’a

été envisagée ni par Singapour ni par la Cour comme base possible
d’acquisition du titre, sans doute en raison des doutes récemment émis
par la Cour à l’égard de ce mode d’acquisition en l’affaire relative à la
Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Came-
roun c. Nigéria; Guinée équatoriale (intervenant)) (arrêt, C.I.J. Recueil

2002, p. 352).
36. Reste, pour fonder l’arrêt de la Cour, l’accord tacite, quelque
forme d’acquiescement au titre singapourien ou l’abandon du titre. Si la
Cour mentionne l’abandon du titre comme l’un des effets possibles du
comportement des Parties (arrêt, par. 122), elle ne le met pas en avant en

tant que base distincte d’acquisition du titre. Elle fait là preuve de
sagesse, puisque «rares en sont de fait les exemples» (G. Marston, «The
British Acquisition of the Nicobar Islands, 1869; A Possible Example of
Abandonment of Territorial Sovereignty», British Year Book of Interna-
tional Law, vol. 69, 1998, p. 262), l’intention d’abandonner le titre devant

en outre être manifeste. Or, il ne semble pas que la lettre de 1953 du
Johor réponde à ce critère.
37. La Cour emploie une terminologie variable pour désigner ce qu’elle
juge être un «accord tacite» entre le Johor/la Malaisie et Singapour
quant au changement du titulaire de la souveraineté sur Pedra Branca/

Pulau Batu Puteh. Dans un premier passage de son arrêt, elle prévient,
probablement eu égard à la correspondance de 1953, qu’un changement
de cette nature peut résulter d’un accord «tacite» découlant du compor-
tement des Parties (arrêt, par. 120). Plus loin, elle emploie les expressions

«évolution des vues» (ibid., par. 162) ou «vues partagées par les Parties»
(ibid., par. 224). A propos de la souveraineté à l’égard de Pedra Branca/

139Court declares, in part with reference to the 1953 correspondence, that
the relevant facts and conduct of the Parties “reflect a convergent evolu-

tion of the positions of the Parties regarding title to Pedra Branca/Pulau
Batu Puteh” resulting in the passing of sovereignty over the island (Judg-
ment, para. 276). The “evolving understanding” between the Parties and
the “convergent evolution” of their positions resulting from their conduct
can be read as meaning nothing else but tacit agreement between the

Parties arising from their conduct.

38. Implied or tacit agreements must be approached with great cau-
tion. An informal agreement is a very different agreement from an

implied agreement. In the former case the intention of parties to enter
into an agreement and the terms of the agreement are clear. However,
they agree to dispense with the formalities sometimes required for a
treaty or agreement (see Temple of Preah Vihear, Preliminary Objec-
tions, Judgment, I.C.J. Reports 1961 , p. 31). In the latter case both inten-

tion and terms of the agreement are inferred from the conduct of parties.
This does not mean that there should be any relaxation in respect of the
fundamental requirement for treaties or agreements, that is, that there
should be a concurrence of wills or a meeting of minds on the part of
both parties. This is because a tacit agreement remains an agreement,

although not covered by the limited definition of a treaty contained in
Article 2 (a) of the Vienna Convention on the Law of Treaties. Whereas
evidence of a treaty governed by the Vienna Convention on the Law of
Treaties is provided by its written form, a tacit agreement must be proved
by the conduct of parties, and here evidence will be less clear. Conse-

quently, the intention of parties must be manifestly clear; their conduct
that constitutes the agreement must leave no room for doubt. Inevitably
tacit agreements are difficult to establish. This probably explains why,
despite mention of such agreements in Article 3 (b) of the Vienna Con-
vention on the Law of Treaties (whose Commentary makes specific men-

tion of “tacit agreement”), few treatises deal with tacit agreements. It also
explains why there is very little State practice on tacit agreements and
why courts have treated such agreements with great caution. For instance,
in the case concerning Rights of Nationals of the United States of
America in Morocco (Judgment, I.C.J. Reports 1952 , p. 176), the Court

rejected an argument that “prolonged conduct”, in the form of “usage
and sufferance”, on the part of the Parties could constitute a binding
agreement (ibid., pp. 200-202, read with the joint dissenting opinion,
pp. 219-220).

39. The existence of a tacit agreement must therefore be firmly estab-
lished. This is acknowledged by the Court when it says that “any passing
of sovereignty over territory on the basis of the conduct of the Parties
. . . must be manifested clearly and without any doubt by that conduct

and the relevant facts” (Judgment, para. 122). This accords with the basic
rule that restrictions on States are not to be presumed (case concerning

140Pulau Batu Puteh, la Cour conclut, au vu notamment de la correspon-
dance de 1953, que les faits pertinents, dont le comportement des Parties,

«témoignent d’une évolution convergente des positions de celles-ci concer-
nant le titre sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh» ayant abouti à un
changement du titulaire de la souveraineté sur l’île (arrêt, par. 276). Cette
«évolution des vues» partagées par les Parties et l’«évolution conver-
gente» de leurs positions attestée par leur comportement ne peuvent être

interprétées comme signifiant autre chose qu’un accord tacite entre les
Parties découlant de leur conduite.
38. Les accords implicites ou tacites doivent être abordés avec beau-
coup de prudence. Un accord informel est très différent d’un accord

implicite. Dans le premier cas, l’intention des parties de conclure un
accord et les termes de celui-ci sont clairs, mais les parties conviennent de
se dispenser des formalités parfois requises s’agissant d’un accord ou d’un
traité (voir affaire du Temple de Préah Vihéar, exceptions préliminaires,
arrêt, C.I.J. Recueil 1961 , p. 31). Dans le second cas, tant l’intention que

les termes de l’accord se déduisent de la conduite des parties. Il ne s’ensuit
pas pour autant que l’exigence fondamentale en matière de traités et
d’accords — à savoir l’existence d’une convergence des volontés des
parties ou d’une communauté de pensée entre elles — doive de quelque
façon être assouplie: un accord tacite demeure un accord, quand bien

même il n’est pas couvert par la définition restrictive du traité énoncée à
l’alinéa a) de l’article 2 de la convention de Vienne sur le droit des traités.
Si la preuve de l’existence d’un traité régi par cette convention réside dans
le texte de celui-ci, l’existence d’un accord tacite doit pouvoir se déduire
de la conduite des parties; or, dans ce cas de figure, ses manifestations

seront moins claires. Aussi l’intention des parties doit-elle être patente;
leur comportement constitutif d’un accord ne doit laisser aucune place au
doute. Inévitablement, l’existence des accords tacites est difficile à établir.
C’est probablement la raison pour laquelle, bien que ces accords soient
visés à l’alinéa b) de l’article 3 de la convention de Vienne sur le droit des

traités (le commentaire qui lui est consacré en fait expressément men-
tion), rares sont les textes qui leur sont consacrés. C’est également pour-
quoi la pratique des Etats en la matière est peu fournie et pourquoi les
instances judiciaires ont, à l’égard de ces accords, fait preuve d’une telle
circonspection. Ainsi, en l’affaire relative aux Droits des ressortissants

des Etats-Unis d’Amérique au Maroc (arrêt, C.I.J. Recueil 1952 , p. 176),
la Cour a-t-elle rejeté l’argument selon lequel la «conduite prolongée»
des Parties sous forme d’«usage et [de] tolérance» pouvait constituer un
accord obligatoire (ibid., p. 200-202 lues conjointement avec l’opinion
dissidente, p. 219-220).

39. L’existence d’un accord tacite doit donc être solidement établie. La
Cour le reconnaît, lorsqu’elle affirme que «tout changement du titulaire
de la souveraineté territoriale fondé sur le comportement des Par-
ties ... doit se manifester clairement et de manière dépourvue d’ambiguïté

au travers de ce comportement et des faits pertinents» (arrêt, par. 122).
Cette affirmation cadre avec la règle fondamentale selon laquelle des limi-

140the S.S. “Lotus”, “Lotus”, Judgment No. 9, 1927, P.C.I.J., Series A,
No. 10, p. 18). Judged by these principles, I find it difficult to accept that

the 1953 correspondence, riddled as it is with uncertainties and ambigui-
ties (see above paragraphs 8-19), or the equivocal conduct of the Parties
in the period 1953 to 1980 (see above paragraphs 20-28), can be held to
constitute a tacit agreement or understanding.

40. Sovereignty over territory may pass, says the Court, as a result of
“the failure of the State which has sovereignty to respond to conduct à
titre de souverain of the other State” (Judgment, para. 121). In such a
case, continues the Court, “[t]he absence of reaction may well amount to

acquiescence” (ibid.), which, in the words of the Court in Delimitation of
the Maritime Boundary in the Gulf of Maine Area (Canada/United
States of America) (Judgment, I.C.J. Reports 1984 , p. 305, para. 130) “is
equivalent to tacit recognition manifested by unilateral conduct which
the other party may interpret as consent”. The Court does not again

expressly mention acquiescence in respect of the passing of sovereignty
over Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, but prefers to rely on the evolution
of an understanding between the Parties, amounting to tacit agreement,
as a basis for its decision. Despite this, it seems that acquiescence features
as an element of the Court’s decision.

41. In most situations acquiescence is linked to estoppel or prescrip-
tion, but in this case it is connected instead to tacit agreement, in much
the same way that was done by the Court in Land, Island and Maritime
Frontier Dispute (El Salvador/Honduras: Nicaragua intervening) (Judg-

ment, I.C.J. Reports 1992 , p. 577, para. 364). Like tacit agreement,
acquiescence must be strictly interpreted. According to I. C. MacGib-
bon:

“The purpose of insisting on circumspection in inferring the con-
sent of a State from its inaction is to ensure that such acquiescence
corresponds accurately with the implied intention of the acquiescing
State, and to limit the benefits of acquiescence to claims which have

been formulated in such a way that the acquiescing State has or
ought to have knowledge of them.” (I. C. MacGibbon, “The Scope
of Acquiescence in International Law” (1954) 31 British Year Book
of International Law, p. 169.)

As shown above (paragraphs 8-18), so much uncertainty surrounds the
1953 correspondence that it is impossible to state that the claim in which

Johor/Malaysia is said to have acquiesced, has been sufficiently clearly
formulated to find that it had or ought to have had knowledge of the
claim now asserted by Singapore. Moreover, it is difficult to maintain
that Malaysia has acquiesced in a claim that is founded on a letter that

was carefully and deliberately concealed from the public eye by Singa-
pore between 1953 and 1980. Acquiescence surely requires consistency of

141tations de l’indépendance des Etats ne se présument pas (affaire du
«Lotus», arrêt n 9, 1927, C.P.J.I. série A n 10, p. 18). A la lumière de

ces principes, il m’est difficile d’admettre que la correspondance de 1953,
entourée qu’elle est d’incertitude et d’ambiguïté (voir paragraphes 8-19
ci-dessus), ou la conduite équivoque des Parties pendant la période allant
de 1953 à 1980 (voir paragraphes 20-28 ci-dessus) puissent être réputées

valoir accord ou communauté de vues tacites.
40. La souveraineté sur un territoire peut passer à un autre Etat, dit la
Cour, par suite de «l’absence de réaction de celui qui la détenait face au
comportement d[’un] autre Etat agissant à titre de souverain» (arrêt,
par. 121). Dans pareil cas, poursuit-elle, «[l’]absence de réaction peut

tout à fait valoir acquiescement» (ibid.), ce qui, pour reprendre la for-
mule employée par elle dans l’affaire de la Délimitation de la frontière
maritime dans la région du golfe du Maine (Canada/Etats-Unis d’Amé-
rique), «équiv[aut] à une reconnaissance tacite manifestée par un com-

portement unilatéral que l’autre partie peut interpréter comme un consen-
tement» (arrêt, C.I.J. Recueil 1984 , p. 305, par. 130). La Cour, une fois
de plus, ne mentionne pas expressément l’acquiescement au sujet du
changement du titulaire de la souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu
Puteh, préférant fonder sa décision sur une évolution des vues partagées

par les Parties valant accord tacite. L’acquiescement semble néanmoins
entrer en ligne de compte dans sa décision.
41. Dans la plupart des cas, l’acquiescement est rattaché à l’estoppel
ou à la prescription, mais, ici, il est associé à l’accord tacite, suivant une

démarche très comparable à celle adoptée par la Cour en l’affaire du Dif-
férend frontalier terrestre, insulaire et maritime (El Salvador/Honduras;
Nicaragua (intervenant)) (arrêt, C.I.J. Recueil 1992 , p. 577, par. 364).
De même que l’accord tacite, l’acquiescement doit être interprété de
façon restrictive. Ainsi I. C. MacGibbon écrivait-il ceci:

«La raison pour laquelle la circonspection est de mise s’agissant

de déduire le consentement d’un Etat de son inaction est qu’il
faut s’assurer que cet acquiescement correspond exactement à
l’intention implicite de cet Etat, et limiter la portée de l’acquies-
cement aux revendications qui ont été formulées de façon
telle que ledit Etat en a eu ou aurait dû en avoir connaissance.»

(I. C. MacGibbon, «The Scope of Acquiescence in International
Law», British Year Book of International Law , vol. 31, 1954,
p. 169.)

Comme on l’a montré ci-dessus (voir paragraphes 8-18), la correspon-
dance de 1953 s’accompagne de tant d’incertitudes que l’on ne saurait
affirmer que la revendication à laquelle le Johor/la Malaisie est censé(e)

avoir acquiescé avait été formulée d’une manière suffisamment claire
pour permettre à la Cour de conclure que cet Etat a eu, ou aurait dû
avoir, connaissance de la prétention qu’avance maintenant Singapour.
En outre, l’on peut difficilement soutenir que la Malaisie a acquiescé à
une revendication fondée sur une lettre que Singapour s’était soigneuse-

141conduct on the part of the acquiescing State in respect of the asserted
claim. However one interprets the facts between 1953 and 1980 (see para-

graphs 20-28 above), it is impossible to argue that they display consistent
acquiescent conduct on the part of Malaysia. They are, to put it mildly,
equivocal. Some of Malaysia’s actions may be interpreted as acquies-
cence in Singapore’s claim — notably the 1953 letter and the six maps

that describe the island (or the lighthouse upon it?) as belonging to Sing-
apore. But, as has been shown above, there are explanations for Malay-
sia’s conduct that allow its actions to be interpreted as non-acquiescent
acts. Moreover, there are actions that run counter to acquiescence, such
as the 1968 Petroleum Agreement, the 1969 Territorial Sea legislation

and Malaysia’s agreements of 1969 and 1970 with Indonesia over the
continental shelf and territorial sea, and the inclusion of Pedra Branca/
Pulau Batu Puteh within Malaysian territory in some maps. Had Singa-
pore advertised the letter of 1953 and had Malaysia failed to respond this

would have been a basis for a finding of acquiescence. But, of course,
Singapore failed to do so. Subject to minor lapses, the acts of Malaysia
therefore are consistent with the behaviour of a State that believed it had
given permission to a State to operate a lighthouse on its island to con-
tinue operating the lighthouse. It is, in these circumstances, impossible to

infer acquiescence on the part of Malaysia in Singapore’s claim to sov-
ereignty over Pedra Branca/Pulau Batu Puteh.

42. In 1998 the Tribunal in the Eritrea/Yemen Arbitration Award
stated:

“The modern international law of the acquisition (or attribution)

of territory generally requires that there be: an intentional display of
power and authority over the territory, by the exercise of jurisdiction
and state functions, on a continuous and peaceful basis.” (Terri-
torial Sovereignty and Scope of the Dispute, Eritrea/Yemen , (1998)
22 RIAA, p. 209, para. 239).)

This formulation requires serious attention for two reasons. First, because

it gives effect to the jurisprudence of contemporary international law
from the time of Max Huber’s seminal decision in the Island of Palmas
Case (Netherlands/United States of America) (Award of 4 April 1928,
RIAA, Vol. II (1949), pp. 839, 868). Secondly, because it was expounded

by a Tribunal comprising two former Presidents of the International
Court of Justice (Professor Sir Robert Y. Jennings and Judge
Stephen M. Schwebel), the President of the Court (Judge Rosalyn Hig-
gins) and two highly experienced and well regarded international law
practitioners (Dr. Ahmed Sadek El-Kosheri and Mr. Keith Highet). In

142ment et délibérément gardée de rendre publique entre 1953 et 1980.
L’acquiescement appelle à n’en pas douter, de la part de l’Etat auquel il

est prêté, une conduite cohérente à l’égard de la revendication avancée.
Quelque interprétation que l’on donne des faits intervenus entre 1953
et 1980 (voir paragraphes 20-28 ci-dessus), l’on ne saurait prétendre qu’ils
attestent, de la part de la Malaisie, un comportement dénotant en tout
temps l’acquiescement. Ces faits sont pour le moins équivoques. L’on

peut voir dans certaines des activités de la Malaisie — notamment la
lettre de 1953 et les six cartes qui présentent l’île (ou le phare construit
sur l’île?) comme appartenant à Singapour — un acquiescement à la reven-
dication singapourienne. Mais, ainsi que démontré ci-dessus, des explica-

tions peuvent être avancées qui permettent de ne pas leur prêter valeur
d’acquiescement. En outre, certaines de ces activités démentent la thèse
de l’acquiescement: c’est notamment le cas de l’accord pétrolier de 1968,
de l’ordonnance de 1969 sur la mer territoriale et des accords relatifs au
plateau continental et à la mer territoriale conclus en 1969 et 1970 par la

Malaisie avec l’Indonésie, ainsi que de certaines cartes faisant apparaître
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh en territoire malaisien. Si Singapour
avait publié la lettre de 1953 sans provoquer de réaction de la Malaisie, la
Cour aurait été fondée à conclure à un acquiescement. Mais, bien sûr,
Singapour n’en a rien fait. A quelques petites exceptions près, les activités

de la Malaisie cadrent donc avec le comportement d’un Etat convaincu
d’en avoir autorisé un autre auquel il avait permis d’exploiter un phare
sur une île lui appartenant à continuer d’exploiter ce phare. Il est, dans de
telles circonstances, impossible de conclure à un acquiescement de la part
de la Malaisie à la revendication singapourienne de souveraineté sur

Pedra Branca/Pulau Batu Puteh.
42. Le tribunal constitué en l’affaire Erythrée/Yémen, dans sa sentence
de 1998, a déclaré ceci:

«Le droit international moderne de l’acquisition (ou de l’attribu-
tion) d’un territoire requiert de manière générale: une manifestation
intentionnelle de pouvoir et d’autorité sur le territoire, par l’exercice
continu et pacifique de la compétence et des attributs de la puissance

publique.» (Erythrée/Yémen, souveraineté territoriale et champ du
différend, Permanent Court of Arbitration Award Series , T.M.C.
Asser Press, 2005, p. 357, par. 239.)

Cette formulation mérite qu’on s’y arrête en détail pour deux raisons.
D’abord, parce qu’elle incarne le courant du droit international né de
la décision, qui a fait date, rendue par Max Huber en l’affaire de l’Ile
de Palmas (Pays-Bas/Etats-Unis d’Amérique ) (sentence, 4 avril 1928,

RGDIP, t. XLII, 1935, p. 200 [traduction française]). Ensuite, parce
qu’elle fut énoncée par un tribunal formé de deux anciens présidents de
la Cour internationale de Justice (sir Robert Y. Jennings et Stephen
M. Schwebel), le président de la Cour (Rosalyn Higgins) et deux prati-

ciens du droit international émérites et renommés (Ahmed Sadek El-
Kosheri et Keith Highet). Selon moi, cette formulation du droit de

142my view, this is a formulation of the law on the acquisition of territory
that is to govern all acquisitions of territorial title based on the effective

control of territory over a long period of time, including prescription,
estoppel, abandonment of title by the previous sovereign, acquiescence
and tacit agreement evidenced by conduct. In other words, for the
grounds advanced by the Court in the present case — evolving under-
standing, tacit agreement or acquiescence evidenced by conduct — to sat-

isfy the requirements of the law, they must be shown to result in a situa-
tion in which there is an intentional display of power and authority over
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh on the part of Singapore, by the exercise
of State functions, on a continuous and peaceful basis. For a State to

demonstrate an intentional display of power and authority it is not suf-
ficient that it has the intention to act as sovereign. In addition it must
display this intention publicly so that both the former, displaced sover-
eign and third States in the region are aware of the claim. In the light of
the uncertainties surrounding the letter of 1953, the failure of Singapore

to give publicity to Johor’s alleged disclaimer of sovereignty, and the
equivocal behaviour of both States in the period 1953 to 1980, it is
impossible to seriously argue that Singapore intentionally displayed power
and authority over the territory by the exercise of jurisdiction and State
functions. After all, as the Court accepts, many, perhaps most, of Singa-

pore’s actions were fully consistent with the actions of a lighthouse
keeper operating in terms of a perpetual lease or grant. Certainly, if Sing-
apore did intend to display power and authority over the island, it did so
in a secretive manner without revealing these intentions to the outside
world, including Malaysia. The 1953 letter was not published, territorial

waters were not claimed around the island, the ensign rather than the
national flag was flown, official maps and publications did not claim the
island, military equipment was secretly installed and land reclamation
plans were not publicized and later withdrawn. To aggravate matters,
Singapore expressed no interest whatsoever in Malaysia’s plans to exploit

the continental shelf and to claim the seas in the vicinity of the island. To
repeat, there was no intentional display of power and authority over the
island for third States and Malaysia to see. Singapore did exercise juris-
diction on a continuous and peaceful basis, but it did so as lighthouse
operator and not as a sovereign intentionally displaying power and

authority over the island.

43. In my view, for the reasons advanced above, neither the facts nor
the law support the conclusion that sovereignty over Pedra Branca/Pulau
Batu Puteh has passed to Singapore. I therefore find that the original title
in respect of the island remains with Malaysia.

44. I am of the opinion that both Middle Rocks and South Ledge fall
within the sovereignty of Malaysia. Malaysia’s title to Middle Rocks is

143l’acquisition d’un territoire doit régir l’ensemble des modes d’acquisition
de titre territorial fondée sur le contrôle effectif du territoire pendant une

longue période de temps — dont la prescription, l’estoppel, l’abandon du
titre par son précédent détenteur, l’acquiescement et l’accord tacite attesté
par la conduite. En d’autres termes, les notions mises en avant par la
Cour en la présente espèce — évolution des vues partagées par les Parties,
accord tacite ou acquiescement attesté par la conduite — doivent, pour

satisfaire aux critères requis en droit, avoir pris la forme d’une manifesta-
tion intentionnelle, de la part de Singapour, de son pouvoir et de son
autorité sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, par l’exercice continu et
pacifique des attributs de la puissance publique. Or, apporter la preuve

d’une manifestation intentionnelle de pouvoir et d’autorité ne se résume
pas, pour un Etat, à démontrer une intention d’agir à titre de souverain.
L’Etat doit en outre manifester cette intention publiquement, afin de por-
ter sa prétention à la connaissance tant de l’ancien titulaire du titre, sup-
planté, que des Etats tiers de la région. Au vu des incertitudes entourant

la lettre de 1953, du fait que Singapour n’a pas rendu publique la préten-
due renonciation du Johor à son titre et du comportement équivoque des
deux Etats dans la période allant de 1953 à 1980, l’on ne peut sérieuse-
ment prétendre que Singapour ait intentionnellement manifesté son pou-
voir et son autorité sur le territoire par l’exercice de la compétence et

d’attributs de la puissance publique. Après tout, comme le reconnaît la
Cour, nombre, sinon la totalité, des activités de Singapour correspon-
daient très exactement à celles d’un gardien de phare agissant en vertu
d’une concession ou d’un bail perpétuels. Si son intention était effective-
ment de manifester son pouvoir et son autorité sur l’île, Singapour pro-

céda assurément de manière furtive, sans dévoiler au monde extérieur
— Malaisie comprise — cette intention. Elle ne publia pas la lettre
de 1953, ne revendiqua pas les eaux territoriales entourant l’île, n’arbora
pas son drapeau national mais son pavillon, ne revendiqua pas l’île dans
ses cartes et publications officielles, y installa du matériel militaire subrep-

ticement et abandonna des projets de récupération de terres qu’elle
s’était, du reste, gardée de rendre publics. Pis encore, Singapour n’exprima
pas le moindre intérêt à l’égard des projets de la Malaisie tendant à
exploiter le plateau continental et à revendiquer les eaux au voisinage de
l’île. Répétons-le, il n’y eut pas de manifestation intentionnelle de pouvoir

et d’autorité sur l’île dont des Etats tiers ou la Malaisie eussent pu avoir
connaissance. Certes, Singapour exerça sa compétence de manière conti-
nue et pacifique, mais elle le fit en tant qu’exploitant du phare, et non à
titre de souverain manifestant intentionnellement son pouvoir et son
autorité sur l’île.

43. A mon sens, la conclusion selon laquelle la souveraineté sur
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh était passée à Singapour ne trouve
appui, pour les raisons avancées ci-dessus, ni dans les faits ni dans le
droit. J’en déduis que la Malaisie a conservé le titre originaire sur l’île.

44. Je considère que tant Middle Rocks que South Ledge relèvent de la
souveraineté malaisienne — Middle Rocks en vertu du titre originaire,

143based on the original title. South Ledge, a low-tide elevation falling

within the territorial sea of Middle Rocks, belongs to Malaysia.
45. The Court is not bound, in reaching its decision, by the submis-
sions of counsel representing parties before the Court. It may invoke rea-
sons of its own proprio motu when it considers that there is a sounder
basis for decision than that advanced by parties. In the present case the

Parties did not directly make submissions or present arguments on the
reasons adopted by the Court for the passing of sovereignty — tacit
agreement, evolving understanding and acquiescence evidenced by the
conduct of the Parties. The main reason for this was that Singapore

argued that Pedra Branca/Pulau Batu Puteh was terra nullius in 1847,
which largely precluded arguments based on control of the island and the
conduct of Parties. Nevertheless, as the Court points out in paragraph
124, the Parties did canvas related issues. Despite this, it would have been

helpful to the Court if the Parties had made submissions and presented
arguments on the legal reasons later approved by the Court. Unfortu-
nately, probably because it is not the practice of the Court to question
parties unduly or to interfere in their presentation of argument, no

attempt was made to solicit the views of the Parties on the reasons
advanced by the Court for its present Judgment. Justice was not neces-
sarily served by the failure of the Court to give some indication to the
Parties on the issues that it believed to be of paramount importance.

(Signed) John D UGARD .

144South Ledge en tant que haut-fond découvrant situé dans la mer territo-

riale de Middle Rocks.
45. La Cour n’est pas liée, lorsqu’elle rend sa décision, par les conclu-
sions que lui soumettent les conseils représentant les parties. Il lui est loi-
sible, dès lors qu’elle juge pouvoir fonder sa décision sur une base plus
solide que celle alléguée par les parties, d’avancer de son chef ses propres

raisons. En la présente espèce, les Parties n’ont pas directement formulé
de conclusions ou d’arguments qui pourraient toucher aux notions sur
lesquelles la Cour s’est ensuite fondée pour conclure à un changement du
titulaire de la souveraineté — accord tacite, évolution des vues partagées

par les Parties et acquiescement attesté par leur conduite. Si elles ne l’ont
pas fait, c’est principalement parce que Singapour, en soutenant que
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh était terra nullius en 1847, a essentielle-
ment exclu tout argument fondé sur le contrôle de l’île et la conduite des

Parties. Les Parties ont bien, néanmoins, débattu de questions connexes,
comme le relève la Cour au paragraphe 124; mais il aurait été utile pour
celle-ci qu’elles présentent des conclusions et des arguments sur les moyens
juridiques mêmes qu’elle a finalement retenus. Malheureusement, sans

doute parce qu’elle n’a pas coutume de trop questionner les parties ni de
s’immiscer dans la présentation de leur argumentation, la Cour n’a nul-
lement cherché à s’enquérir des vues des Parties sur des notions qui
allaient motiver son raisonnement. Que la Cour se soit abstenue de leur

faire savoir sous une forme ou sous une autre quelles étaient les questions
auxquelles elle prêtait une importance cruciale n’a pas nécessairement
contribué à une bonne administration de la justice.

(Signé) John D UGARD .

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Opinion dissidente de M. le juge ad hoc Dugard

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