Déclaration de M. le juge Bennouna

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130-20080523-JUD-01-04-EN
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130-20080523-JUD-01-00-EN
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DÉCLARATION DE M. LE JUGE BENNOUNA

1. Bien que j’aie voté en faveur du dispositif de l’arrêt, je ne suis pas

entièrement convaincu par l’ensemble du raisonnement que la Cour a
déployé pour le motiver. C’est pour cela qu’il m’a semblé utile, au travers
de cette déclaration, de m’en expliquer.
2. D’une façon générale, chaque fois que la Cour a été amenée à se
prononcer sur un différend territorial qui plonge ses racines à l’époque
coloniale et dont les protagonistes actuels sont plus ou moins les victimes,

elle s’est trouvée confrontée à un véritable dilemme. C’est ainsi qu’elle
s’est souvent demandé si cette époque devait être appréhendée par le
moyen des concepts en cours à ce moment-là, et qui sont ceux des puis-
sances coloniales dominantes, ou bien si elle devait les relire à la lumière
de l’évolution intervenue depuis, en droit international, surtout avec

l’adoption en 1960 de la déclaration 1514 (XV) de l’Assemblée générale
des Nations Unies, relative à «l’octroi de l’indépendance aux pays et aux
peuples coloniaux» et considérée comme la charte de la décolonisation.
Certes, il s’agit là de la problématique de l’application du droit interna-
tional dans le temps, qualifié de «droit intertemporel», mais celle-ci se
pose en l’occurrence dans une situation, non de simple évolution des

principes et des règles, mais d’une véritable rupture caractérisée par l’avè-
nement du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et la condamnation
définitive de la distinction, qu’on pourrait faire remonter à l’Empire
romain, entre des peuples dits «civilisés» et des peuples dits «barbares»,
les premiers ayant vocation à régenter les seconds.
3. On comprend dès lors que la Cour ait marqué quelque hésitation à

s’aventurer dans le droit colonial, en tant que tel, afin d’en tirer des
conclusions quant à la situation présente, de crainte d’être montrée du
doigt comme ayant, en tant qu’organe judiciaire principal des Nations
Unies, cautionné ou légitimé a posteriori ce droit. C’est ainsi qu’elle a été
amenée à réinterpréter le régime «des mandats» institué par la Société

des Nations, à la faveur précisément du droit des peuples à disposer
d’eux-mêmes:

«tout instrument international doit être interprété et appliqué dans
le cadre de l’ensemble du système juridique en vigueur au moment
où l’interprétation a lieu. Dans le domaine auquel se rattache la pré-

sente procédure, les cinquante dernières années ont marqué, comme
il est dit plus haut, une évolution importante. Du fait de cette évolu-
tion il n’y a guère de doute que «la mission sacrée de civilisation»
avait pour objectif ultime l’autodétermination et l’indépendance des
peuples en cause. Dans ce domaine comme dans les autres, le corpus

120 juris gentium s’est beaucoup enrichi et, pour pouvoir s’acquitter fidè-
lement de ses fonctions, la Cour ne peut l’ignorer.» (Conséquences

juridiques pour les Etats de la présence continue de l’Afrique du Sud
en Namibie (Sud-Ouest Africain) nonobstant la résolution 276
(1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971 ,
p. 31-32, par. 53.)

4. Partant de cette même volonté d’interpréter et d’appliquer certains
concepts du droit colonial à la lumière des bouleversements intervenus

dans le monde, avec le phénomène de la décolonisation et l’avènement
d’un grand nombre de nouveaux Etats sur la scène internationale, la
Cour a dû procéder à une réappréciation du concept de «terra nullius»
dans son avis consultatif du 16 octobre 1975 dans l’affaire du Sahara

occidental : «il ressort de la pratique étatique de la période considérée que
les territoires habités par des tribus ou des peuples ayant une organisa-
tion sociale et politique n’étaient pas considérés comme terra nullius »
(avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975 , p. 39, par. 80).
5. La Cour en a tiré comme conséquence que «la souveraineté à leur

égard ne pouvait s’acquérir unilatéralement par l’occupation de la terra
nullius en tant que titre originaire, mais au moyen d’accords conclus
avec des chefs locaux» (ibid.). Or, il était admis que la caté-
gorie terra nullius a été introduite par le droit colonial dans le but
d’organiser le partage d’un certain nombre de territoires non européens,

ouverts à la colonisation et considérés ainsi comme «sans maître»,
sous-entendu sans maître européen déclaré. E. Milano le rappelle à juste
titre:

«la notion de terra nullius a été utilisée pour justifier le contrôle et la
juridiction sur certaines zones, très souvent peuplées d’autochtones
qui n’étaient pas considérés comme égaux. A l’époque, le droit inter-

national reposait en grande partie sur l’idée qu’il existait un degré
de civilisation permettant à une entité d’entrer dans la société inter-
nationale. Les critères requis étaient presque exclusivement euro-
péens, et aucune autre forme d’organisation sociale n’y satisfai-
sait.» (E. Milano,Unlawful Territorial Situations in International Law

— Reconciling Effectiveness, Legality and Legitimacy , 2006, p. 72.)

6. D’ailleurs, que la colonisation ait procédé par voie d’accord ou non
avec des tribus locales ne changeait rien au titre de la puissance euro-
péenne concernée sur le territoire, comme devait le souligner la Cour
dans l’affaire de la Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le
Nigéria. Après avoir rappelé que, «à l’époque de la Conférence de Berlin,

les Puissances européennes signèrent de nombreux traités avec des chefs
locaux» et que «[l]a Grande-Bretagne en conclut quelque trois cent cin-
quante avec les chefs locaux du delta du Niger» (Frontière terrestre et
maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria; Guinée

équatoriale (intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2002 , p. 404, par. 203),
la Cour ajoute:

121 «Même si ce mode d’acquisition ne correspond pas au droit inter-
national actuel, le principe du droit intertemporel impose de donner

effet aujourd’hui, dans la présente instance, aux conséquences juri-
diques des traités alors intervenus dans le delta du Niger.» (Frontière
terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c.
Nigéria; Guinée équatoriale (intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil

2002, p. 405, par. 205.)
Cette même ambiguïté, sous couvert du droit intertemporel, se reflète dans

la prise en compte de la structure des Etats non européens à l’époque
coloniale, puisque la Cour a accepté leur spécificité tout en les sou-
mettant aux critères westphaliens de la souveraineté. Le rappel de ces
hésitations entre droit colonial et droit contemporain, que la simple réfé-

rence au droit intertemporel ne suffit pas à justifier, m’était nécessaire
pour expliquer à quel point je ne pouvais adhérer complètement au rai-
sonnement de la Cour dans cette affaire qui oppose la Malaisie à Singa-
pour au sujet de la souveraineté sur certains îlots dans le détroit de Sin-
gapour.

7. Ainsi, la Cour, partant du postulat «qu’il n’est pas contesté que le
Sultanat de Johor, après sa naissance en 1512» (arrêt, par. 52), se soit
constitué en Etat souverain doté d’un domaine territorial «spécifique»,
bien qu’indéterminé, a estimé que son autorité s’exerçait par le biais de

liens «d’allégeance» avec les «Orang Laut, qui habitaient ou fréquen-
taient les îles du détroit de Singapour, notamment Pedra Branca/Pulau
Batu Puteh» (ibid., par. 79).
8. La structure particulière du Johor (prédécesseur de la Malaisie) à
l’époque coloniale a été débattue dans cette affaire par référence à l’avis

consultatif sur le Sahara occidental (ibid., par. 76-79) selon lequel:
«Qu’au moment de la colonisation du Sahara occidental par

l’Espagne l’Etat chérifien ait eu un caractère particulier, cela est cer-
tain. Cette particularité tenait à ce qu’il était fondé sur le lien reli-
gieux de l’Islam qui unissait les populations et sur l’allégeance de
diverses tribus au Sultan, par l’intermédiaire de leurs caïds ou de

leurs cheiks, plus que sur la notion de territoire.» (C.I.J. Recueil
1975, p. 44, par. 95.)

9. La Cour, après avoir rendu ainsi hommage à la structure particu-
lière de l’Etat marocain en 1884, laquelle relevait d’une autre histoire que
celle consacrée en Europe par les traités de Westphalie, au XVII siècle,
n’en avait pris cependant aucun compte au niveau des preuves de la sou-

veraineté, puisqu’elle décidera finalement de se fonder sur les preuves du
contrôle effectif et continu du territoire.
10. Dans l’affaire qui nous concerne, la Malaisie s’est fondée égale-
ment sur les «liens d’allégeance qui existaient entre le Sultanat et les
Orang Laut, le «peuple de la mer»» (arrêt, par. 70). La Cour en a tiré

comme conclusion que
«l’autorité souveraine exercée par le sultan de Johor sur les

122 Orang Laut, qui vivaient sur les îles du détroit de Singapour et
s’étaient établis dans cet espace maritime, confirme le titre originaire

ancien du Sultanat de Johor sur ces îles, dont Pedra Branca/Pulau
Batu Puteh» (arrêt, par. 75).

Est-ce à dire que cette souveraineté de Johor, fondée sur un titre histo-
rique et sur l’allégeance des populations, sera protégée par rapport
aux vicissitudes des relations entre puissances européennes dans la
région? Cela ne le semble pas, puisque la Cour accepte que le traité

anglo-néerlandais de 1824, délimitant des sphères d’influence dans la
région, ait abouti au démembrement de l’ancien Sultanat du Johor et à
la création de deux sultanats, celui de Johor et celui de Riau-Lingga,
dans le contexte de la rivalité des deux puissances coloniales, «pour

asseoir leur hégémonie dans cette partie du monde» (ibid., par. 98). Ces
pratiques étaient bien connues également en Afrique, notamment
au XIX siècle, lorsque des royaumes anciens ont été dépecés entre puis-
sances européennes.
11. Quant au Sultanat de Johor, il devra, à la faveur du traité Crawfurd

du 2 août 1824, céder à la Compagnie des Indes orientales, relevant de la
Grande-Bretagne, l’île de Singapour et les îles environnantes dans un
rayon de 10 milles. A partir des préparatifs pour la construction d’un
phare sur Pedra Branca après les années 1840, la Cour va étudier les com-

portements du Johor et des autorités de Singapour pour déterminer si la
souveraineté du premier pays sur l’îlot en question est passée au second.
La Cour s’est engagée dans cette analyse alors qu’il n’y avait de volonté
autonome ni à Johor, dont la souveraineté s’est révélée fictive, ni a for-
tiori à Singapour, colonie britannique. Il est vrai que les deux Parties,

devant la Cour, ont tenté l’une et l’autre de tirer avantage de l’histoire
coloniale, mais est-ce une raison pour les suivre sur ce terrain? La Cour
n’a-t-elle pas refusé de considérer que South Ledge, haut-fond décou-
vrant, ne pouvait faire l’objet d’une appropriation autonome, détachée de

la délimitation de la mer territoriale, bien que cela ait été plaidé par les
deux Parties?
12. Certes, lorsque la Cour est mandatée expressément pour se pro-
noncer sur la base de l’uti possidetis juris, comme dans un certain nombre
de contentieux territoriaux entre des pays africains ou latino-américains,

il lui est difficile de ne pas s’aventurer dans le droit colonial, ne serait-ce
que pour apprécier quelles étaient les limites administratives tracées par
le ou les colonisateurs, au moment des indépendances des Etats parties au
contentieux devant elle. Mais tel n’est pas le cas dans cette affaire entre la

Malaisie et Singapour, où la Cour a estimé la date critique pour Pedra
Branca au 14 février 1980 et pour Middle Rocks et South Ledge au
6 février 1993.
13. Dès lors, ce sont les comportements de Singapour, après son indé-
pendance en 1965, par suite de sa séparation de la Fédération de Malai-

sie, constituée en 1963, et ceux de ce dernier Etat lui-même, qui seront
déterminants pour se prononcer sur la souveraineté concernant les îles en

123question, soit pendant près de quinze ans pour Pedra Branca et vingt-huit

ans pour Middle Rocks et South Ledge. En effet, nous sommes là, pen-
dant toute cette période, en présence de deux Etats indépendants, ayant
la maîtrise de leurs relations extérieures. La Cour aurait ainsi évité de se
perdre dans les méandres de la nuit coloniale et de ses fictions multiples,

ainsi que dans les contours indécis de ses prétendus acteurs. Aux dates
critiques que la Cour a fixées, le résultat aurait été de toutes façons le
même.
14. Relatant une pratique sur plus d’un siècle, du milieu du XIX au e
e
milieu du XX siècle, la Cour constate seulement que la Grande-Bretagne
a procédé comme elle l’entendait sur Pedra Branca sans se soucier du titre
de souveraineté sur cet îlot. Il est tout de même significatif que la corres-
pondance de 1953 dont il est fait grand cas dans l’arrêt (par. 192-229) en

tant que preuve de l’acceptation par les Parties de la souveraineté de Sin-
gapour (par. 229) est intervenue entre le secrétaire colonial britannique
de Singapour (Singapour étant une colonie britannique) et le secrétaire
d’Etat par intérim du Johor (la Grande-Bretagne ayant la mainmise sur

la défense et les affaires extérieures de ce pays).
15. Il est difficile de tirer une quelconque conclusion du compte rendu
par la Cour de toutes ces pratiques coloniales dans le règlement du
contentieux, dont elle a été saisie par compromis en 2003, et au sujet

duquel elle aurait dû, à mon avis, s’en remettre essentiellement aux
comportements des Parties, en tant qu’Etats indépendants. Les caté-
gories juridiques de l’époque coloniale ne peuvent être recyclées afin de
les rendre plus présentables aujourd’hui, comme si ce n’était qu’une

affaire de mots.

(Signé) Mohamed B ENNOUNA .

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DÉCLARATION DE M. LE JUGE BENNOUNA

1. Bien que j’aie voté en faveur du dispositif de l’arrêt, je ne suis pas

entièrement convaincu par l’ensemble du raisonnement que la Cour a
déployé pour le motiver. C’est pour cela qu’il m’a semblé utile, au travers
de cette déclaration, de m’en expliquer.
2. D’une façon générale, chaque fois que la Cour a été amenée à se
prononcer sur un différend territorial qui plonge ses racines à l’époque
coloniale et dont les protagonistes actuels sont plus ou moins les victimes,

elle s’est trouvée confrontée à un véritable dilemme. C’est ainsi qu’elle
s’est souvent demandé si cette époque devait être appréhendée par le
moyen des concepts en cours à ce moment-là, et qui sont ceux des puis-
sances coloniales dominantes, ou bien si elle devait les relire à la lumière
de l’évolution intervenue depuis, en droit international, surtout avec

l’adoption en 1960 de la déclaration 1514 (XV) de l’Assemblée générale
des Nations Unies, relative à «l’octroi de l’indépendance aux pays et aux
peuples coloniaux» et considérée comme la charte de la décolonisation.
Certes, il s’agit là de la problématique de l’application du droit interna-
tional dans le temps, qualifié de «droit intertemporel», mais celle-ci se
pose en l’occurrence dans une situation, non de simple évolution des

principes et des règles, mais d’une véritable rupture caractérisée par l’avè-
nement du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et la condamnation
définitive de la distinction, qu’on pourrait faire remonter à l’Empire
romain, entre des peuples dits «civilisés» et des peuples dits «barbares»,
les premiers ayant vocation à régenter les seconds.
3. On comprend dès lors que la Cour ait marqué quelque hésitation à

s’aventurer dans le droit colonial, en tant que tel, afin d’en tirer des
conclusions quant à la situation présente, de crainte d’être montrée du
doigt comme ayant, en tant qu’organe judiciaire principal des Nations
Unies, cautionné ou légitimé a posteriori ce droit. C’est ainsi qu’elle a été
amenée à réinterpréter le régime «des mandats» institué par la Société

des Nations, à la faveur précisément du droit des peuples à disposer
d’eux-mêmes:

«tout instrument international doit être interprété et appliqué dans
le cadre de l’ensemble du système juridique en vigueur au moment
où l’interprétation a lieu. Dans le domaine auquel se rattache la pré-

sente procédure, les cinquante dernières années ont marqué, comme
il est dit plus haut, une évolution importante. Du fait de cette évolu-
tion il n’y a guère de doute que «la mission sacrée de civilisation»
avait pour objectif ultime l’autodétermination et l’indépendance des
peuples en cause. Dans ce domaine comme dans les autres, le corpus

120 DECLARATION OF JUDGE BENNOUNA

[Translation]

1. Although I voted in favour of the operative clause of the Judgment,

I am not entirely convinced by all the Court’s reasoning. That is why I
thought it might be useful to explain my thinking by means of this dec-
laration.
2. In general, whenever the Court has had to rule on a territorial dis-
pute rooted in the colonial period of which the current protagonists are
more or less victims, it has been faced with a real dilemma. This is why it

has often wondered whether that period should be viewed through the
lens of concepts current at the time, and which are those of the dominant
colonial Powers, or whether it should reinterpret them in the light of sub-
sequent developments in international law, above all since the adoption,
in 1960, of United Nations General Assembly Declaration 1514 (XV) on

the Granting of Independence to Colonial Countries and Peoples,
regarded as the decolonization charter. While that concerns the problem
of the application of international law in time, or “intertemporal law”,
here that problem arises in a situation not of the simple development of
the rules and principles but of a genuine break characterized by the
advent of the right of peoples to self-determination and the definitive

condemnation of the distinction, perhaps dating back to the Roman
Empire, between so-called “civilized” and so-called “barbarian” peoples,
the former being destined to rule the latter.

3. So it is understandable that the Court should have shown some

hesitation about venturing into the realm of colonial law as such for pos-
sible conclusions to the present situation, for fear that, as the principal
judicial organ of the United Nations, the finger might be pointed at it for
having sanctioned or legitimized this law a posteriori. This is how it
found itself having to reinterpret the “mandate” system instituted by the

League of Nations in favour, precisely, of the right of peoples to self-
determination:

“an international instrument has to be interpreted and applied within
the framework of the entire legal system prevailing at the time of the
interpretation. In the domain to which the present proceedings relate,

the last fifty years, as indicated above, have brought important
developments. These developments leave little doubt that the ulti-
mate objective of the sacred trust was the self-determination and
independence of the peoples concerned. In this domain, as else-
where, the corpus iuris gentium has been considerably enriched, and

120 juris gentium s’est beaucoup enrichi et, pour pouvoir s’acquitter fidè-
lement de ses fonctions, la Cour ne peut l’ignorer.» (Conséquences

juridiques pour les Etats de la présence continue de l’Afrique du Sud
en Namibie (Sud-Ouest Africain) nonobstant la résolution 276
(1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971 ,
p. 31-32, par. 53.)

4. Partant de cette même volonté d’interpréter et d’appliquer certains
concepts du droit colonial à la lumière des bouleversements intervenus

dans le monde, avec le phénomène de la décolonisation et l’avènement
d’un grand nombre de nouveaux Etats sur la scène internationale, la
Cour a dû procéder à une réappréciation du concept de «terra nullius»
dans son avis consultatif du 16 octobre 1975 dans l’affaire du Sahara

occidental : «il ressort de la pratique étatique de la période considérée que
les territoires habités par des tribus ou des peuples ayant une organisa-
tion sociale et politique n’étaient pas considérés comme terra nullius »
(avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975 , p. 39, par. 80).
5. La Cour en a tiré comme conséquence que «la souveraineté à leur

égard ne pouvait s’acquérir unilatéralement par l’occupation de la terra
nullius en tant que titre originaire, mais au moyen d’accords conclus
avec des chefs locaux» (ibid.). Or, il était admis que la caté-
gorie terra nullius a été introduite par le droit colonial dans le but
d’organiser le partage d’un certain nombre de territoires non européens,

ouverts à la colonisation et considérés ainsi comme «sans maître»,
sous-entendu sans maître européen déclaré. E. Milano le rappelle à juste
titre:

«la notion de terra nullius a été utilisée pour justifier le contrôle et la
juridiction sur certaines zones, très souvent peuplées d’autochtones
qui n’étaient pas considérés comme égaux. A l’époque, le droit inter-

national reposait en grande partie sur l’idée qu’il existait un degré
de civilisation permettant à une entité d’entrer dans la société inter-
nationale. Les critères requis étaient presque exclusivement euro-
péens, et aucune autre forme d’organisation sociale n’y satisfai-
sait.» (E. Milano,Unlawful Territorial Situations in International Law

— Reconciling Effectiveness, Legality and Legitimacy , 2006, p. 72.)

6. D’ailleurs, que la colonisation ait procédé par voie d’accord ou non
avec des tribus locales ne changeait rien au titre de la puissance euro-
péenne concernée sur le territoire, comme devait le souligner la Cour
dans l’affaire de la Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le
Nigéria. Après avoir rappelé que, «à l’époque de la Conférence de Berlin,

les Puissances européennes signèrent de nombreux traités avec des chefs
locaux» et que «[l]a Grande-Bretagne en conclut quelque trois cent cin-
quante avec les chefs locaux du delta du Niger» (Frontière terrestre et
maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria; Guinée

équatoriale (intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2002 , p. 404, par. 203),
la Cour ajoute:

121 this the Court, if it is faithfully to discharge its functions, may not
ignore.” (Legal Consequences for States of the Continued Presence

of South Africa in Namibia (South West Africa) notwithstanding
Security Council Resolution 276 (1970), Advisory Opinion, I.C.J.
Reports 1971, pp. 31-32, para. 53.)

4. This same desire to interpret and apply certain concepts of colonial
law in the light of the upheavals the world has seen with the phenomenon

of decolonization and the emergence of a large number of new States
onto the international stage led the Court to reassess the concept of terra
nullius in its Advisory Opinion of 16 October 1975 in the Western Sahara
case: “the State practice of the relevant period indicates that territories

inhabited by tribes or peoples having a social and political organization
were not regarded as terrae nullius”( Advisory Opinion, I.C.J. Reports
1975, p. 39, para. 80).

5. From this the Court concluded that “in the case of such territories

the acquisition of sovereignty was not generally considered as effected
unilaterally through ‘occupation’ of terra nullius by original title but
through agreements concluded with local rulers” (ibid., p. 39). It was
accepted that colonial law introduced the category of terra nullius to
organize the apportionment of a number of non-European territories,

which were open to colonization and thus regarded as “without a mas-
ter”, the inference being without a declared European master. As
E. Milano rightly noted:

“terra nullius was used as a device to justify control and jurisdiction
of areas, which were very often populated by indigenous people,
who were not considered equals. Much of the international law of

those times was based on the idea of the standard of civilization, by
which an entity could enter into the realm of international society.
Such standards were nearly exclusively European, and they did not
allow the participation of any other form of social organisation.”
(E. Milano, Unlawful Territorial Situations in International Law:

Reconciling Effectiveness, Legality and Legitimacy , 2006, p. 72.)

6. Moreover, whether colonization was by agreement with local tribes
or not had no bearing on the title to the territory of the European Power
concerned, as the Court would emphasize in the case concerning Land
and Maritime Boundary between Cameroon and Nigeria . After pointing
out that “during the era of the Berlin Conference the European Powers

entered into many treaties with local rulers” and that “Great Britain con-
cluded some 350 treaties with the local chiefs of the Niger delta” (Land
and Maritime Boundary between Cameroon and Nigeria (Cameroon v.
Nigeria: Equatorial Guinea intervening), Judgment, I.C.J. Reports 2002 ,

p. 404, para. 203), the Court adds:

121 «Même si ce mode d’acquisition ne correspond pas au droit inter-
national actuel, le principe du droit intertemporel impose de donner

effet aujourd’hui, dans la présente instance, aux conséquences juri-
diques des traités alors intervenus dans le delta du Niger.» (Frontière
terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c.
Nigéria; Guinée équatoriale (intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil

2002, p. 405, par. 205.)
Cette même ambiguïté, sous couvert du droit intertemporel, se reflète dans

la prise en compte de la structure des Etats non européens à l’époque
coloniale, puisque la Cour a accepté leur spécificité tout en les sou-
mettant aux critères westphaliens de la souveraineté. Le rappel de ces
hésitations entre droit colonial et droit contemporain, que la simple réfé-

rence au droit intertemporel ne suffit pas à justifier, m’était nécessaire
pour expliquer à quel point je ne pouvais adhérer complètement au rai-
sonnement de la Cour dans cette affaire qui oppose la Malaisie à Singa-
pour au sujet de la souveraineté sur certains îlots dans le détroit de Sin-
gapour.

7. Ainsi, la Cour, partant du postulat «qu’il n’est pas contesté que le
Sultanat de Johor, après sa naissance en 1512» (arrêt, par. 52), se soit
constitué en Etat souverain doté d’un domaine territorial «spécifique»,
bien qu’indéterminé, a estimé que son autorité s’exerçait par le biais de

liens «d’allégeance» avec les «Orang Laut, qui habitaient ou fréquen-
taient les îles du détroit de Singapour, notamment Pedra Branca/Pulau
Batu Puteh» (ibid., par. 79).
8. La structure particulière du Johor (prédécesseur de la Malaisie) à
l’époque coloniale a été débattue dans cette affaire par référence à l’avis

consultatif sur le Sahara occidental (ibid., par. 76-79) selon lequel:
«Qu’au moment de la colonisation du Sahara occidental par

l’Espagne l’Etat chérifien ait eu un caractère particulier, cela est cer-
tain. Cette particularité tenait à ce qu’il était fondé sur le lien reli-
gieux de l’Islam qui unissait les populations et sur l’allégeance de
diverses tribus au Sultan, par l’intermédiaire de leurs caïds ou de

leurs cheiks, plus que sur la notion de territoire.» (C.I.J. Recueil
1975, p. 44, par. 95.)

9. La Cour, après avoir rendu ainsi hommage à la structure particu-
lière de l’Etat marocain en 1884, laquelle relevait d’une autre histoire que
celle consacrée en Europe par les traités de Westphalie, au XVII siècle,
n’en avait pris cependant aucun compte au niveau des preuves de la sou-

veraineté, puisqu’elle décidera finalement de se fonder sur les preuves du
contrôle effectif et continu du territoire.
10. Dans l’affaire qui nous concerne, la Malaisie s’est fondée égale-
ment sur les «liens d’allégeance qui existaient entre le Sultanat et les
Orang Laut, le «peuple de la mer»» (arrêt, par. 70). La Cour en a tiré

comme conclusion que
«l’autorité souveraine exercée par le sultan de Johor sur les

122 “Even if this mode of acquisition does not reflect current interna-
tional law, the principle of intertemporal law requires that the legal

consequences of the treaties concluded at that time in the Niger delta
be given effect today, in the present dispute.” (Land and Maritime
Boundary between Cameroon and Nigeria (Cameroon v. Nigeria:
Equatorial Guinea intervening), Judgment, I.C.J. Reports 2002 ,
p. 405, para. 205.)

This same ambiguity, under cover of intertemporal law, is reflected in the
way the structure of non-European States is taken into account in the

colonial period, since the Court has accepted their specificity while nev-
ertheless submitting them to the Westphalian criteria of sovereignty. I
needed to draw attention to these hesitations between colonial law and
contemporary law, which the mere reference to intertemporal law is

insufficient to justify, in order to explain how far I could not fully share
the Court’s reasoning in this case between Malaysia and Singapore on
the issue of sovereignty over certain islets in the Straits of Singapore.

7. Hence the Court, on the assumption “that it is not disputed that the

Sultanate of Johor, since it came into existence in 1512” (Judgment,
para. 52), established itself as a sovereign State with a “certain” though
indeterminate territorial domain under its sovereignty, took the view that
its authority was exercised through ties of “allegiance” with the “Orang
Laut, who inhabited or visited the islands in the Straits of Singapore,

including Pedra Branca/Pulau Batu Puteh” (ibid., para. 79).
8. The special structure of Johor (predecessor of Malaysia) in the colo-
nial period was discussed in this case by reference to the Advisory Opin-
ion on Western Sahara (ibid., paras. 76-79), according to which:

“That the Sherifian State at the time of the Spanish colonization
of Western Sahara was a State of a special character is certain. Its
special character consisted in the fact that it was founded on the

common religious bond of Islam existing among the peoples and on
the allegiance of various tribes to the Sultan, through their caids or
sheikhs, rather than on the notion of territory.” (I.C.J. Reports
1975, p. 44, para. 95.)

9. The Court, having thus paid tribute to the special character of the
Moroccan State in 1884, which was part of a different history to that
enshrined in Europe by the Treaties of Westphalia in the seventeenth cen-

tury, nevertheless took no account of this as regards the proofs of sov-
ereignty, since it ultimately decided to base itself on the proofs of effec-
tive and continuous control over the territory.
10. In the case which concerns us, Malaysia also based itself on the

“ties of loyalty that existed between the Sultanate and the Orang Laut,
‘the people of the sea’” (Judgment, para. 70). From this the Court con-
cluded that

“the Sultan of Johor’s authority exercised over the Orang Laut who

122 Orang Laut, qui vivaient sur les îles du détroit de Singapour et
s’étaient établis dans cet espace maritime, confirme le titre originaire

ancien du Sultanat de Johor sur ces îles, dont Pedra Branca/Pulau
Batu Puteh» (arrêt, par. 75).

Est-ce à dire que cette souveraineté de Johor, fondée sur un titre histo-
rique et sur l’allégeance des populations, sera protégée par rapport
aux vicissitudes des relations entre puissances européennes dans la
région? Cela ne le semble pas, puisque la Cour accepte que le traité

anglo-néerlandais de 1824, délimitant des sphères d’influence dans la
région, ait abouti au démembrement de l’ancien Sultanat du Johor et à
la création de deux sultanats, celui de Johor et celui de Riau-Lingga,
dans le contexte de la rivalité des deux puissances coloniales, «pour

asseoir leur hégémonie dans cette partie du monde» (ibid., par. 98). Ces
pratiques étaient bien connues également en Afrique, notamment
au XIX siècle, lorsque des royaumes anciens ont été dépecés entre puis-
sances européennes.
11. Quant au Sultanat de Johor, il devra, à la faveur du traité Crawfurd

du 2 août 1824, céder à la Compagnie des Indes orientales, relevant de la
Grande-Bretagne, l’île de Singapour et les îles environnantes dans un
rayon de 10 milles. A partir des préparatifs pour la construction d’un
phare sur Pedra Branca après les années 1840, la Cour va étudier les com-

portements du Johor et des autorités de Singapour pour déterminer si la
souveraineté du premier pays sur l’îlot en question est passée au second.
La Cour s’est engagée dans cette analyse alors qu’il n’y avait de volonté
autonome ni à Johor, dont la souveraineté s’est révélée fictive, ni a for-
tiori à Singapour, colonie britannique. Il est vrai que les deux Parties,

devant la Cour, ont tenté l’une et l’autre de tirer avantage de l’histoire
coloniale, mais est-ce une raison pour les suivre sur ce terrain? La Cour
n’a-t-elle pas refusé de considérer que South Ledge, haut-fond décou-
vrant, ne pouvait faire l’objet d’une appropriation autonome, détachée de

la délimitation de la mer territoriale, bien que cela ait été plaidé par les
deux Parties?
12. Certes, lorsque la Cour est mandatée expressément pour se pro-
noncer sur la base de l’uti possidetis juris, comme dans un certain nombre
de contentieux territoriaux entre des pays africains ou latino-américains,

il lui est difficile de ne pas s’aventurer dans le droit colonial, ne serait-ce
que pour apprécier quelles étaient les limites administratives tracées par
le ou les colonisateurs, au moment des indépendances des Etats parties au
contentieux devant elle. Mais tel n’est pas le cas dans cette affaire entre la

Malaisie et Singapour, où la Cour a estimé la date critique pour Pedra
Branca au 14 février 1980 et pour Middle Rocks et South Ledge au
6 février 1993.
13. Dès lors, ce sont les comportements de Singapour, après son indé-
pendance en 1965, par suite de sa séparation de la Fédération de Malai-

sie, constituée en 1963, et ceux de ce dernier Etat lui-même, qui seront
déterminants pour se prononcer sur la souveraineté concernant les îles en

123 inhabited the islands in the Straits of Singapore, and who made this
maritime area their habitat, confirms the ancient original title of the

Sultanate of Johor to those islands, including Pedra Branca/Pulau
Batu Puteh” (Judgment, para. 75).

Is the meaning here that this sovereignty of Johor, founded on a historic
title and on the loyalty of the peoples, will be protected from the vicissi-
tudes of relations between the European Powers in the region? Appar-
ently not, since the Court accepts that the Anglo-Dutch Treaty of 1824,
delimiting spheres of influence in the region, resulted in the dismember-

ment of the old Sultanate of Johor and the creation of two Sultanates, of
Johor and of Riau-Lingga, in the context of the rivalry between the two
colonial Powers “vying for hegemony . . . in this part of the world” (ibid.,
para. 98). These practices were also well known in Africa, in the nine-

teenth century for example, when the ancient kingdoms were carved up
between European Powers.

11. As for the Sultanate of Johor, under the Crawfurd Treaty of
2 August 1824, it would have to cede the island of Singapore and the sur-

rounding islands within 10 miles to the East India Company under Brit-
ish control. On the basis of the preparations for the construction of a
lighthouse on Pedra Branca in the 1840s, the Court went on to examine
the conduct of Johor and the Singapore authorities in order to determine
whether the sovereignty of the first country over the islet concerned

passed to the second. The Court embarked on this analysis, although
there was no independent expression of will either in Johor, whose sov-
ereignty revealed itself to be fictitious, or a fortiori in Singapore, a British
colony. While it is true that the two Parties, before the Court, each
sought to draw advantage from the colonial history, is that any reason to

follow them on this ground? Did the Court not decline to hold that
South Ledge, a low-tide elevation, could not form the object of an
autonomous appropriation, detached from the delimitation of the terri-
torial sea, even though this had been argued by the two Parties?
12. Admittedly, when the Court is expressly mandated to pass judg-

ment on the basis of uti possidetis juris, as in a number of territorial dis-
putes between African or Latin American countries, it is hard for it not
to venture into colonial law, even if only to assess what the administra-
tive boundaries drawn by the colonial Power or Powers were on the
attainment of independence by the two Parties to the dispute before it.

But this is not so in this case between Malaysia and Singapore, in which
the Court held that the critical date for Pedra Branca was 14 February
1980, and 6 February 1993 for Middle Rocks and South Ledge.

13. Hence, it is the conduct of Singapore following independence in
1965 after its separation from the Federation of Malaysia, constituted in
1963, and the conduct of that State itself, which will be decisive for deter-
mining sovereignty with respect to the islands concerned, in other words

123question, soit pendant près de quinze ans pour Pedra Branca et vingt-huit

ans pour Middle Rocks et South Ledge. En effet, nous sommes là, pen-
dant toute cette période, en présence de deux Etats indépendants, ayant
la maîtrise de leurs relations extérieures. La Cour aurait ainsi évité de se
perdre dans les méandres de la nuit coloniale et de ses fictions multiples,

ainsi que dans les contours indécis de ses prétendus acteurs. Aux dates
critiques que la Cour a fixées, le résultat aurait été de toutes façons le
même.
14. Relatant une pratique sur plus d’un siècle, du milieu du XIX au e
e
milieu du XX siècle, la Cour constate seulement que la Grande-Bretagne
a procédé comme elle l’entendait sur Pedra Branca sans se soucier du titre
de souveraineté sur cet îlot. Il est tout de même significatif que la corres-
pondance de 1953 dont il est fait grand cas dans l’arrêt (par. 192-229) en

tant que preuve de l’acceptation par les Parties de la souveraineté de Sin-
gapour (par. 229) est intervenue entre le secrétaire colonial britannique
de Singapour (Singapour étant une colonie britannique) et le secrétaire
d’Etat par intérim du Johor (la Grande-Bretagne ayant la mainmise sur

la défense et les affaires extérieures de ce pays).
15. Il est difficile de tirer une quelconque conclusion du compte rendu
par la Cour de toutes ces pratiques coloniales dans le règlement du
contentieux, dont elle a été saisie par compromis en 2003, et au sujet

duquel elle aurait dû, à mon avis, s’en remettre essentiellement aux
comportements des Parties, en tant qu’Etats indépendants. Les caté-
gories juridiques de l’époque coloniale ne peuvent être recyclées afin de
les rendre plus présentables aujourd’hui, comme si ce n’était qu’une

affaire de mots.

(Signé) Mohamed B ENNOUNA .

124for almost 15 years in the case of Pedra Branca and 28 years for Middle

Rocks and South Ledge. For all that period, we are here dealing with two
independent States in control of their own foreign relations. The Court
would thus have avoided losing its way in the labyrinth of the colonial
night and its numerous fictions and among the shadowy figures of its
alleged actors. On the critical dates the Court fixed, the result would in

any case have been the same.

14. Relating the practice for over a century, from the mid-nineteenth
to the mid-twentieth century, the Court finds only that Great Britain did

as it pleased on Pedra Branca without a thought for the title of sover-
eignty over this islet. It is nevertheless significant that the 1953 correspon-
dence, of which much is made in the Judgment (paras. 192-229) as proof
of the acceptance by the Parties of Singapore’s sovereignty (para. 229),

was exchanged between the British Colonial Secretary of Singapore (Sing-
apore being a British colony) and the Acting Secretary of State of Johor
(Great Britain having control of that country’s defence and foreign rela-
tions).

15. It is difficult to draw any conclusion from the Court’s summary of
all these colonial practices in the settlement of the dispute submitted to it
by special agreement in 2003, and concerning which it ought, in my view,
essentially to have relied on the conduct of the Parties as independent

States. The legal categories of the colonial period cannot be recycled to
make them presentable today as though it were just a matter of words.

(Signed) Mohamed B ENNOUNA .

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Déclaration de M. le juge Bennouna

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