Opinion dissidente commune des juges Simma et Abraham

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130-20080523-JUD-01-03-EN
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OPINION DISSIDENTE COMMUNE DE MM. LES JUGES
SIMMA ET ABRAHAM

Désaccord avec la partie de l’arrêt concernant la souveraineté sur Pedra
Branca/Pulau Batu Puteh — Accord sur la position de la Cour favorable à la
souveraineté du Johor en 1844 — Caractère non convaincant de la démonstra-
tion de l’arrêt relative au transfert postérieur de la souveraineté en faveur de
Singapour — Double fondement juridique de la solution retenue par la
Cour: accord tacite et acquiescement — Défaut de choisir entre l’un et l’autre —
Absence regrettable de référence à la prescription acquisitive — Importance,
quel que soit le terrain choisi, de l’acquiescement ou du consentement du souve-
rain originaire au transfert de souveraineté — En l’espèce, absence de réalisa-
tion des conditions requises pour un transfert de souveraineté à défaut d’accord
exprès — En particulier, absence de comportement de la part de la Grande-
Bretagne et de Singapour manifestant clairement et publiquement l’intention
d’agir en souverain sur l’île — En conséquence, impossibilité de déduire du
silence du Johor, puis de la Malaisie, un acquiescement à un abandon de la
souveraineté initiale.

I

1. Le différend que tranche le présent arrêt a pour objet, à titre prin-
cipal, la souveraineté sur l’île de Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, dispu-
tée entre la Malaisie et Singapour, et, de manière plus accessoire, la sou-
veraineté, disputée entre les mêmes Etats, sur deux formations maritimes
d’importance mineure situées près de l’île susnommée, Middle Rocks et

South Ledge.
Dans le premier point de son dispositif, l’arrêt décide que la sou-
veraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh appartient à Singa-
pour, dans le deuxième point que la souveraineté sur Middle Rocks
appartient à la Malaisie, et dans le troisième que South Ledge relève

de la souveraineté de l’Etat dans les eaux territoriales duquel il se
trouve.
2. Nous avons voté en faveur des deux derniers points, mais contre le
premier.
Nous sommes en désaccord sur le raisonnement qui conduit la Cour à
conclure en faveur de la revendication de Singapour sur l’île de Pedra

Branca/Pulau Batu Puteh, et qui occupe la plus grande partie de l’arrêt,
ce qui est d’ailleurs parfaitement justifié.
Notre désaccord touchant à des questions de droit et de fait que nous
pensons être d’une certaine importance, nous croyons devoir en expliquer
ici les raisons.

108 II

3. Le raisonnement sur lequel s’appuie la Cour, dans la partie de
l’arrêt qui concerne Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, se décompose en
deux éléments. Le premier concerne la période antérieure à la construc-
tion par les Britanniques du phare dit «Horsburgh» sur l’île, dont les pré-
paratifs ont débuté en 1844. L’examen des faits relatifs à cette période

conduit la Cour à conclure (arrêt, par. 117) que l’île relevait, en 1844, de
la souveraineté du Sultanat de Johor — dont il n’est pas contesté que la
Malaisie est à l’heure actuelle le successeur.
Puis, la Cour entre dans une seconde phase de son raisonnement, en

examinant, à partir du paragraphe 118 et jusqu’à la conclusion finale qui
figure au paragraphe 277, le comportement des deux Parties (et de leurs
prédécesseurs, le Johor pour la Malaisie et la Grande-Bretagne pour Sin-
gapour) à partir des débuts de la construction du phare et jusqu’à pré-
sent. Cet examen long et minutieux — mais qui, comme nous le dirons

dans un instant, n’est pas exempt de faiblesses — conduit la Cour à la
conclusion que, aujourd’hui, «la souveraineté sur Pedra Branca/Pulau
Batu Puteh appartient à Singapour» (ibid., par. 277). Selon l’arrêt, il s’est
produit, à partir de 1844, un processus qui a eu pour effet, à une date
qu’il est impossible de situer avec précision, de transférer la souveraineté

sur l’île du Sultanat de Johor (ou de son successeur, la Malaisie) à Sin-
gapour (ou à son prédécesseur, la Grande-Bretagne). La Cour décrit ce
processus comme témoignant d’une «évolution convergente des posi-
tions» des Parties, au fil du temps, concernant la souveraineté sur l’île
(ibid., par. 276). De cette «évolution convergente» l’on pourrait déduire

soit qu’un «accord tacite» portant sur le transfert de souveraineté se
serait formé entre les Parties, soit que le Johor aurait acquiescé à ce trans-
fert par un comportement ayant donné naissance à des droits irréversi-
bles au profit de Singapour. Entre le terrain juridique de l’«accord tacite»
et celui de l’«acquiescement», qui sont définis respectivement aux para-

graphes 120 et 121 de l’arrêt, la Cour s’abstient de choisir, se bornant à
constater, in fine, que l’ensemble du comportement des Parties sur la
période considérée — au total plus d’un siècle et demi — a changé le titu-
laire de la souveraineté. S’il est bien exact que ni la volonté du «nouveau
souverain» d’acquérir la souveraineté, ni le consentement de l’«ancien» à

l’abandonner n’ont été formellement exprimés à un quelconque moment,
l’une et l’autre pourraient se déduire de l’examen des faits pertinents,
selon la Cour.
4. Nous n’avons pas d’objection à opposer à la première partie de la
démonstration de la Cour, celle qui concerne la période antérieure à

1844. Cette démonstration nous paraît, pour l’essentiel, convaincante.
Depuis des temps anciens dont il est impossible de situer avec précision
le début, le Sultanat de Johor, qui s’étendait à l’origine au nord et au sud
du détroit de Singapour, possédait la souveraineté sur l’île de Pedra

Branca/Pulau Batu Puteh, située à l’entrée du détroit. Après la partition
du Sultanat, en 1824-1825, en deux entités souveraines, ce «titre origi-

109naire» sur l’île a été transmis à l’entité dont la partie terrestre se situait au
nord du détroit, et qui a conservé également la dénomination de «Sulta-

nat de Johor». C’est cet Etat dont l’actuelle Malaisie est le successeur.
5. En déclarant ainsi que, «en 1844, [l’]île était sous la souveraineté du
sultan de Johor» (arrêt, par. 117), la Cour accueille l’argument principal
de la Malaisie — fût-ce provisoirement — et réfute la thèse principale
développée par Singapour. La Malaisie, en effet, a fondé l’essentiel de

son argumentation sur le titre originaire possédé sur l’île par le Sultanat
de Johor depuis des «temps immémoriaux», titre qui se serait transmis,
par voie de succession, à la Malaisie actuelle, tandis que Singapour, com-
battant vivement la thèse précédente, affirmait qu’à la veille de la cons-

truction du phare Horsburgh, en 1850, l’île était terra nullius ou, à tout le
moins, que son statut juridique était indéterminé.
Eût-elle adopté la thèse de Singapour (dans sa branche principale ou
dans sa branche subsidiaire), la Cour aurait été inévitablement (et logi-
quement) conduite à affirmer la souveraineté singapourienne sur l’île

aujourd’hui. Que l’île ait été terra nullius en 1850 ou que son statut à
l’époque soit impossible à déterminer, à partir de l’une ou l’autre de ces
prémisses, aucun argument convaincant ne pouvait faire pencher la
balance en faveur de la Malaisie: soit la Grande-Bretagne avait acquis la
souveraineté en prenant légalement possession d’une terra nullius en

1850, soit, à défaut, le poids des effectivités, de 1850 à 1980 (la date cri-
tique), conduisait nécessairement à trancher en faveur de Singapour.
6. Mais, comme nous l’avons vu, la Cour n’a adopté la thèse de Sin-
gapour ni dans sa branche principale ni dans sa branche subsidiaire,
puisqu’elle a décidé qu’en 1844, à la veille des travaux de construction du

phare, l’île appartenait au Johor. Par ailleurs, la Cour a admis que
l’actuelle Malaisie était le successeur du Sultanat de Johor de 1844, ce que
d’ailleurs Singapour ne contestait pas.
Et cependant, la Cour est parvenue à la conclusion finale que l’île
relève à présent de la souveraineté de Singapour, par l’effet du processus

graduel de transfert de souveraineté qu’elle a cru pouvoir déduire du
comportement des Parties depuis 1850.
C’est très précisément sur ce point que nous nous séparons de l’arrêt, et
voici pour quelles raisons.

III

7. Nous n’avons pas de critique majeure à formuler au sujet des prin-
cipes juridiques que la Cour énonce, et sur la base desquels elle procède

ensuite à l’examen des faits pertinents. Nous ne sommes pas du tout
convaincus, en revanche, par la manière dont l’arrêt applique ces prin-
cipes aux faits de l’espèce, et, par suite, par les conclusions qu’elle en tire
dans la présente affaire.

En résumé, notre position est la suivante: les conditions et les critères
que l’arrêt définit et auxquels il subordonne le transfert de souveraineté

110d’un Etat à un autre, en l’absence d’un accord exprès conclu entre
l’ancien souverain et le nouveau, nous paraissent, pour l’essentiel, juridi-

quement corrects. Mais nous sommes fermement d’avis que ces condi-
tions étaient loin d’être remplies en l’espèce, contrairement à ce qu’affirme
l’arrêt, dont nous craignons qu’il ne constitue, pour cette raison, un pré-
cédent dangereux.
8. C’est à partir du paragraphe 120 et jusqu’au paragraphe 125 que

l’arrêt expose les principes juridiques pertinents en matière de transfert de
souveraineté.
Nul doute qu’un tel transfert peut être réalisé par la voie d’un accord
exprès entre le titulaire initial de la souveraineté et un autre Etat.

Plus délicate, en revanche, est la question de savoir si un transfert de
souveraineté peut être opéré en l’absence d’accord exprès.
En principe, la réponse à la question précédente est affirmative; c’est ce
qu’énonce l’arrêt, et nous n’avons pas d’objection sur ce point. Encore

faut-il que les conditions d’un tel transfert soient définies de manière
rigoureuse, que soit bien affirmée la présomption en faveur du maintien
de la souveraineté dans les mains du titulaire initial, et que cette présomp-
tion ne soit pas considérée à la légère comme ayant été renversée.
9. A cet égard, la présentation que fait l’arrêt des principes juridiques

applicables n’est pas irréprochable, même si, pour l’essentiel, elle rejoint
nos préoccupations.
10. Les deux terrains juridiques sur lesquels s’appuie l’arrêt — sans
choisir entre l’un et l’autre, ni même indiquer si et comment ils pourraient
se combiner — sont celui de l’«accord tacite» et celui de l’«acquiesce-

ment» (voir paragraphe 3 ci-dessus). Puisque le transfert de souveraineté
peut être réalisé par voie d’accord exprès, il doit pouvoir l’être aussi par
la voie d’un accord tacite (si les conditions en sont réunies), puisque le
droit international n’est pas formaliste en matière d’accords, et que ce qui
peut être fait par un accord exprès peut l’être aussi, en principe, par un

accord tacite; c’est ce qu’explique, en substance, le paragraphe 120. Par
ailleurs, le comportement de l’Etat qui possède la souveraineté sur un ter-
ritoire mais qui s’abstient de réagir aux actes d’un autre Etat qui se com-
porte comme souverain sur le territoire en question peut valoir acquies-
cement du premier au transfert de souveraineté en faveur du second,

créant des droits irréversibles au profit de ce dernier: c’est ce que rap-
pelle, en substance, le paragraphe 121.
11. Il est sans doute vrai, en règle générale, que ce que des Etats peu-
vent faire par voie d’accord exprès peut aussi résulter d’un accord tacite
entre eux. Il n’est pas douteux, également, que la notion d’acquiescement

joue un rôle important, dans des contextes variés, en droit international.
On peut toutefois se demander si, en matière de transfert de souveraineté
territoriale, le concept pertinent n’est pas, plus que celui d’accord tacite
ou celui d’acquiescement, celui de prescription acquisitive, qui en un sens

englobe les précédents, et dont on peut regretter que l’arrêt ne fasse
aucune mention.

111 Si la prescription se définit comme un mode d’acquisition de la souve-
raineté sur un territoire caractérisé

«par l’exercice continu et paisible de la souveraineté pendant un
temps d’une durée suffisante pour créer, sous l’influence du dévelop-

pement historique, la conviction générale que l’état de choses actuel
est conforme à l’ordre international» (L. Oppenheim LL.D., Inter-
national Law, Vol. I, Peace, 1905, p. 294, par. 242 [traduction]),

ou encore comme «l’acquisition de la souveraineté par voie d’exercice
continu et pacifique de l’autorité étatique sur un territoire déterminé»
(Ch. Rousseau, Droit international public , t. III, «Les compétences»,

éd. 1977, p. 183), alors la notion peut permettre de rendre compte du pro-
cessus par lequel un Etat acquiert la souveraineté sur un territoire qui ne
lui appartenait pas originellement et sans l’accord exprès du souverain
originaire.
12. Il est vrai que Singapour elle-même, qui y aurait eu pourtant inté-

rêt, s’est gardée d’invoquer cette notion expressis verbis.
Il est aisé de comprendre pourquoi: toute l’argumentation de Singa-
pour, tant à titre principal — la thèse de la terra nullius — qu’à titre
alternatif — l’indétermination du statut de l’île avant 1850 —, reposait
sur le postulat que le Johor ne possédait aucun titre de souveraineté sur

l’île avant la construction du phare, de telle sorte qu’il n’y avait pas lieu
de rechercher ni d’indiquer en vertu de quel mécanisme la souveraineté
aurait pu être transférée, après 1850, du Johor vers Singapour.
Mais comme, par ailleurs, Singapour ne pouvait pas exclure que la
Cour parvînt à une conclusion contraire à sa thèse sur le statut juridique

de l’île en 1844-1850, il lui fallait tout de même présenter une argumenta-
tion (à titre doublement subsidiaire, en somme) permettant à la Cour de
décider in fine que, même si le Johor était souverain sur l’île en 1850, la
Malaisie ne l’était plus aujourd’hui.
C’est à cette fin que Singapour s’est prévalue d’un «exercice pacifique

et effectif de l’autorité étatique» sur l’île pendant une longue période.
Cette terminologie, qui est proche de celle employée par Max Huber dans
la sentence sur l’affaire de l’Ile de Palmas tout en restant suffisamment
générale, laissait en quelque sorte à la Cour elle-même le soin de définir le
terrain le plus approprié pour fonder en droit, au besoin, le transfert de

souveraineté au cours de la période considérée.
13. A cet égard, une idée se dégage avec certitude de la jurispru-
dence: lorsqu’il existe un souverain originaire, aucun exercice de l’auto-
rité étatique, si continu et effectif soit-il, ne peut entraîner un transfert de
souveraineté s’il n’est pas possible d’établir que le souverain originaire a,

d’une manière ou d’une autre, consenti à la cession du territoire en cause
ou acquiescé à son transfert au profit de l’Etat ayant exercé de facto son
autorité. Sans un tel consentement — ou acquiescement —, le titre origi-
naire ne peut pas céder, même en présence d’un exercice continu et effec-

tif de l’autorité par un Etat autre que le titulaire.
C’est ce que la Cour a récemment rappelé dans l’affaire de la Frontière

112terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigé-
ria; Guinée équatoriale (intervenant)) (voir en particulier l’arrêt, C.I.J.

Recueil 2002, p. 346 et suiv., par. 62 et suiv.). Dans son arrêt, la Cour a
refusé d’attacher des effets juridiques à des actes de souveraineté accom-
plis par le Nigéria sur le territoire disputé, dès lors, a-t-elle dit en sub-
stance, que le Cameroun possédait un titre de souveraineté antérieur et
qu’il ne pouvait pas être regardé comme ayant acquiescé au transfert de

ce titre au profit du Nigéria.
14. En conséquence, Singapour ne pouvait établir sa souveraineté sur
l’île, à partir du constat que le Johor était souverain en 1850, que par la
démonstration que, au cours de la période postérieure, le Johor puis son

successeur la Malaisie avaient, par un comportement constant pendant
une longue période, accepté comme légitime l’exercice effectif de l’auto-
rité sur l’île par les autorités britanniques, puis singapouriennes; autre-
ment dit, que Singapour était devenue souveraine par voie de prescrip-
tion acquisitive. Sans employer l’expression, Singapour invitait la Cour,

selon nous, à faire application du concept.
15. Sans doute la prudence terminologique des conseils de Singapour
s’explique-t-elle par le fait que la doctrine comme la jurisprudence inter-
nationales ont été longtemps, et demeurent encore dans une certaine
mesure, réservées sur la prescription en tant que mode d’acquisition de la

souveraineté par un nouveau souverain au lieu et place du souverain
d’origine, et sans que ce dernier, par hypothèse, ait donné son accord
exprès.
Mais il ne suffit pas d’éviter d’employer le mot qui désigne une notion
juridique pour faire disparaître celle-ci de l’argumentation. Et si nous

pouvons comprendre les considérations de prudence tactique qui ont
conduit Singapour à éviter, dans ses mémoires et plaidoiries, de désigner
trop clairement un terrain juridique qu’elle pouvait juger délicat de
son point de vue, nous regrettons que la Cour n’ait pas été, quant à elle,
plus explicite dans l’énoncé des principes juridiques dont elle a fait

application.
16. A vrai dire, il n’est pas de première importance que la Cour ait
recours, pour fonder la solution qu’elle adopte, à telle ou telle catégorie
ou qualification juridique, lesdites catégories n’étant souvent pas, il faut
le reconnaître, séparées les unes des autres de façon étanche.

Ainsi, que l’on dise qu’un Etat peut acquérir la souveraineté sur un ter-
ritoire par voie d’accord tacite avec le souverain antérieur ou en vertu
d’un acquiescement supposé, ou encore que cette acquisition soit consi-
dérée comme réalisée par voie de prescription, la question essentielle est
de savoir à quelles conditions un accord tacite ayant un tel effet peut être

regardé comme constitué, l’acquiescement regardé comme établi ou la
prescription regardée comme acquise. En somme, ce qui importe surtout
est de savoir quels effets le droit international attache à tel ou tel com-
portement des Etats concernés en matière de souveraineté territoriale,

plutôt que de choisir entre telle ou telle expression apte à qualifier le pro-
cessus juridique qui conduit de la cause à la conséquence.

113 17. Quant aux conditions auxquelles est subordonnée la mise en Œuvre
de la prescription acquisitive, on sait qu’elles sont au nombre de quatre.

En premier lieu, l’Etat qui s’en prévaut doit exercer l’autorité sur le ter-
ritoire concerné à titre de souverain, ce qui implique, d’une part, un exer-
cice effectif des attributs de la souveraineté (corpus), d’autre part, l’inten-
tion d’agir comme souverain (animus). En deuxième lieu, l’exercice de
l’autorité doit être pacifique et continu. En troisième lieu, cet exercice à

titre de souverain doit être public, c’est-à-dire visible, condition essen-
tielle pour permettre d’établir l’acquiescement — par l’absence de réac-
tion — de l’Etat possédant le titre originaire. En quatrième lieu et enfin,
l’exercice de l’autorité doit se poursuivre, dans les conditions qui viennent

d’être décrites, pendant une assez longue période de temps. Bien qu’elle
n’ait pas mentionné, nous l’avons dit, la prescription, il ne semble pas que
la Cour ait entendu faire application, en l’espèce, d’autres critères que
ceux-là.

IV

18. Dans la présente affaire, la première et la troisième des conditions
sus-énoncées revêtent une importance particulière. Cela signifie que la
Cour avait à répondre à deux questions.
Premièrement, Singapour, ou son prédécesseur la Grande-Bretagne,
a-t-elle ouvertement manifesté sa volonté d’agir à titre de souverain

sur l’île de Pedra Branca/Pulau Batu Puteh au cours de la période
considérée?
Deuxièmement, la Malaisie, ou son prédécesseur, doit-elle être regar-
dée comme ayant tacitement acquiescé, ou consenti, par son absence de

réaction pendant une période suffisamment longue, à ce que la souverai-
neté sur l’île soit transférée à Singapour?
S’il est répondu par l’affirmative à ces deux questions — ce que fait
l’arrêt —, la conséquence juridique qui s’en déduit est que Singapour a
acquis la souveraineté sur l’île. Il est sans importance que la date de ce

transfert de souveraineté soit impossible à situer avec précision; il est
d’importance secondaire que le processus en cause soit décrit comme
ayant donné naissance à un accord tacite, comme résultant d’un acquies-
cement du souverain originaire ou comme caractérisant une acquisition
de territoire par voie de prescription.

19. Pour notre part, nous sommes d’avis que la Cour aurait dû ré-
pondre par la négative aux deux questions sus-énoncées, et qu’il n’a
donc pu y avoir ni accord tacite, ni acquiescement, ni acquisition par
voie de prescription.
20. On ne saurait trop insister, selon nous, sur l’importance de l’affir-

mation qui figure au paragraphe 122 de l’arrêt:
«Un point déterminant pour l’appréciation que fera la Cour du

comportement des Parties tient à l’importance de premier plan que
revêtent, en droit international et dans les relations internationales,

114 la souveraineté étatique sur un territoire ainsi que le caractère stable
et certain de cette souveraineté. De ce fait, tout changement du titu-

laire de la souveraineté territoriale fondé sur le comportement des
Parties ... doit se manifester clairement et de manière dépourvue
d’ambiguïté au travers de ce comportement et des faits pertinents.
Cela vaut tout particulièrement si ce qui risque d’en découler pour
l’une des Parties est en fait l’abandon de sa souveraineté sur une por-

tion de son territoire.»
21. Adhérant à un tel critère, nous ne pensons pas que le «com-

portement des Parties» en l’espèce se soit manifesté «clairement et de
manière dépourvue d’ambiguïté» dans le sens que la Cour lui attribue,
à savoir celui d’un acquiescement du Johor (ou de la Malaisie) à
une revendication de souveraineté par Singapour (ou par la Grande-
Bretagne).

22. Considérons d’abord le comportement de la Grande-Bretagne, et
de son successeur Singapour.
La Cour écarte à juste titre, comme dépourvus de pertinence, les actes
accomplis entre 1844 et 1851 en vue de la construction et de la mise
en service du phare. Il n’y avait là, en effet, aucune manifestation

d’une volonté d’agir à titre de souverain à l’égard du territoire insu-
laire sur lequel le phare était construit (voir les longs développements
des paragraphes 126 à 162, au terme desquels la Cour «ne tire de la
construction et de la mise en service du phare aucune conclusion quant
à la souveraineté»).

En ce qui concerne la période de 1852 à 1952, la Cour, après avoir
écarté tout ce qui touche seulement à l’entretien et à l’exploitation
du phare par les autorités britanniques, passe en revue trois types
d’activités qui auraient été susceptibles de manifester l’intention de la
Grande-Bretagne d’agir à titre de souverain sur l’île: la production

législative britannique et singapourienne relative au phare Hors-
burgh et à d’autres phares dans la région; l’évolution constitution-
nelle relative au statut de Singapour; le contrôle des activités de
pêche dans la région dans les années 1860. Mais elle ne voit dans

aucun de ces éléments une claire manifestation d’une revendication
britannique de souveraineté.
23. Il est clair que c’est l’échange de correspondances de 1953 qui
constitue le principal élément militant en faveur des prétentions singa-
pouriennes. C’est, à l’évidence, un passage décisif dans le raisonnement

de la Cour. Mais il n’emporte guère la conviction.
En réponse à une demande du secrétaire colonial de Singapour
visant à «clarifier le statut de Pedra Branca», le secrétaire d’Etat par
intérim du Johor a indiqué, par une lettre du 21 septembre 1953, que
«le gouvernement du Johore ne revendiqu[ait] pas la propriété de

Pedra Branca».
24. En admettant même, ce qui est raisonnable, qu’il n’y eût pas de
différence de signification, dans l’esprit du signataire de cette réponse,
entre la «propriété de» et la «souveraineté sur», et que l’expression «ne

115revendique pas» implique la croyance dans l’absence de titre, il n’y a
guère de conséquence à tirer — au moins directement — de l’échange de

correspondance de 1953.
D’une part, il est clair que, du côté singapourien, rien ne fait apparaître
ici une revendication de souveraineté, puisque au contraire la demande
du secrétaire colonial visait à obtenir des renseignements en vue de cla-
rifier le statut de l’île.

D’autre part, du côté du Johor, si l’on suit le raisonnement tenu par la
Cour jusqu’au paragraphe 191 — avant qu’elle n’aborde la correspon-
dance de 1953 —, il n’est pas douteux que l’affirmation contenue dans la
réponse du secrétaire d’Etat (le Johor ne possède pas de titre de souve-

raineté sur Pedra Branca) est tout simplement erronée, puisque toute la
démonstration de l’arrêt conduit au constat qu’en 1953 la souveraineté
sur l’île relevait bien du sultan de Johor. Une erreur commise dans une
correspondance telle que celle en cause, fût-ce sous la signature d’un res-
ponsable de haut rang, suffit-elle à priver un Etat de sa souveraineté

sur un territoire? Certainement pas. L’arrêt ne prétend d’ailleurs pas
le contraire, puisqu’il précise (par. 227) que «la Cour ne considère pas
la réponse du Johor comme revêtant un caractère constitutif». Mais,
si la lettre du secrétaire d’Etat n’a pas eu pour effet de faire perdre au
Johor la souveraineté qu’il possédait sur l’île, encore moins de transférer

cette souveraineté à Singapour ou à la Grande-Bretagne en tant que
puissance coloniale, en quoi pourrait-elle être pertinente pour notre
affaire? Peut-être en ceci que l’échange de correspondance devait
nécessairement alerter les autorités du Johor sur le fait qu’il était
possible — voire probable — que Singapour (ou la Grande-Bretagne)

soit incitée à revendiquer la souveraineté sur l’île sur la base de la
réponse reçue, si bien que les actes accomplis par les autorités colo-
niales de Singapour — puis par Singapour après son indépendance —
postérieurement à 1953 devaient être plus facilement perçus par le
Johor comme d’éventuelles manifestations de souveraineté, et traités

comme tels.
25. Encore eût-il fallu que ces actes fussent, par leur nature et leur
objet, susceptibles de recevoir une telle interprétation, c’est-à-dire
d’être compris comme des manifestations de l’intention d’agir à titre
de souverain.

Or, si l’on examine le comportement de Singapour (ou de la Grande-
Bretagne) postérieurement à 1953 — ce que fait l’arrêt à partir du
paragraphe 231 —, on ne trouve que fort peu d’actes possédant un tel
caractère.
26. Sous le titre «Le comportement des Parties après 1953», la Cour

passe en revue, de façon méticuleuse, huit types d’activités accomplies par
Singapour (sous les lettres a), b), c), d), e), f), i), j) — les autres acti-
vités examinées étant le fait de la Malaisie).
La Cour conclut dans plusieurs cas à l’absence de pertinence des acti-

vités en cause, et n’en retient, finalement, que cinq comme possibles
manifestations de souveraineté. Mais la récolte est bien faible.

116 La première de ces activités consiste en ce que Singapour aurait
procédé à diverses enquêtes, surtout à partir des années 1980, sur des

accidents survenus à proximité de l’île de Pedra Branca/Pulau Batu
Puteh. Mais, outre le caractère plutôt tardif de ces activités, elles
sont loin de manifester «clairement» une prétention à la souveraineté
sur l’île. Elles se rattachent plutôt aux responsabilités de Singapour
en tant que gestionnaire du phare, et à son obligation, découlant de

divers instruments conventionnels auxquels elle est partie, d’entretenir
celuici de manière à prévenir dans les meilleures conditions le danger
en mer.
En deuxième lieu, à deux reprises, en 1974 et 1978, les autorités singa-

pouriennes ont exigé que des visiteurs malaisiens, en mission plus ou
moins officielle, sollicitent une autorisation préalable afin de pénétrer
dans les «eaux territoriales» de l’île ou de se rendre sur le phare, et lesdits
visiteurs se sont pliés à cette exigence. Mais cette acceptation peut fort
bien s’expliquer par le respect dû au propriétaire du phare (Singapour,

indiscutablement), s’agissant d’une toute petite île dont la surface est
presque entièrement occupée par le phare en question. En outre, il s’agit
d’incidents mineurs, et c’est d’ailleurs à peu près à cette époque que la
Malaisie a commencé à manifester des signes d’irritation devant le com-
portement de Singapour (voir arrêt, par. 238).

En troisième lieu, les pavillons de la marine britannique puis singapou-
rienne ont été constamment déployés sur le phare. Mais la Cour elle-
même admet que le déploiement d’un pavillon, à la différence de celui
d’un drapeau national, ne constitue pas une manifestation de sou-
veraineté. Elle semble toutefois faire grief à la Malaisie de n’avoir pas

protesté, alors qu’elle l’a fait en 1968 à propos du pavillon singapou-
rien déployé sur une autre île de la même région, celle de Pulau
Pisang. Mais le fait que la Malaisie ait réagi sans nécessité à un acte
similaire accompli ailleurs ne change pas la nature de celui qui est en
cause ici, et ne saurait lui conférer un caractère de souveraineté qu’il ne

possède pas.
En quatrième lieu, en 1977, Singapour a installé du matériel de com-
munication militaire sur l’île. La Cour relève (ibid., par. 248) que «l’acte
accompli par Singapour est un acte à titre de souverain», ce que l’on peut
admettre; mais la portée de cette affirmation est singulièrement réduite

par l’indication, prudente mais parfaitement conforme à la réalité, que
«la Cour n’est pas en mesure d’évaluer la valeur probante des déclara-
tions faites par les deux Parties sur la question de savoir si la Malaisie
avait connaissance ou non de l’installation de la station relais» (de maté-
riel militaire). En conséquence, on ne saurait affirmer qu’il s’agissait là

d’une activité présentant de manière visible et manifeste un caractère de
puissance publique.
Enfin, l’autorité portuaire de Singapour a étudié en 1978 la possibilité
d’agrandir l’île en récupérant des terres sur la mer alentour et lancé à

cette fin un appel d’offres par voie de presse, sans réaction de la Malaisie.
Mais le projet a été vite abandonné, semble-t-il.

117 V

27. Au total, les quelques actes susceptibles d’être regardés comme des
manifestations de souveraineté de la part de Singapour présentent les
deux caractéristiques communes, d’une part, d’être mineurs et sporadi-
ques, d’autre part, d’être situés dans le temps à une date fort rapprochée

de 1980, année au cours de laquelle la Malaisie a officiellement revendi-
qué la souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh et rejeté la reven-
dication singapourienne.
Aussi bien quand on les examine séparément que quand on en prend
une vue d’ensemble, les actes accomplis par Singapour ne peuvent pas

être regardés comme constituant un exercice d’autorité souveraine indis-
cutable et public contre lequel la Malaisie aurait dû protester pour pré-
server sa propre souveraineté sur l’île.
On est donc très loin de l’exercice visible, continu et pacifique des attri-

buts de la souveraineté pendant une longue période qui, par suite de
l’absence de contestation par le souverain initial, pourrait finir par don-
ner naissance à un titre légal au profit d’un nouveau souverain. Il est vrai
qu’un silence peut être éloquent, comme le dit l’arrêt (par. 121). Mais seu-
lement dans les situations où des mots auraient été nécessaires.

28. Peut-être nous objectera-t-on que sur une île de la taille de Pedra
Branca/Pulau Batu Puteh — sur laquelle, une fois le phare installé, il n’y a
guère de place pour quelque autre activité consistante — il est bien diffi-
cile de trouver de nombreux exemples d’exercice de l’autorité publique. Ne

devrait-on pas, dans ces conditions, avoir un degré d’exigence moindre,
se contenter de quelques manifestations d’autorité — même rares —
non suivies de réactions de protestation? Ne faudrait-il pas appliquer
mutatis mutandis le dictum de la Cour permanente de Justice internatio-
nale dans l’affaire du Statut juridique du Groënland oriental (Danemark

c. Norvège), selon lequel on ne saurait exiger «de nombreuses manifes-
tations d’un exercice de droits souverains» dans le cas «des revendica-
tions de souveraineté sur des territoires situés dans des pays faiblement
peuplés ou non occupés par des habitants à demeure» (arrêt, 1933,
o
C.P.J.I., série A/B n 53, p. 45-46), dictum dont cette Cour a précisé
récemment qu’il trouvait tout particulièrement à s’appliquer dans le cas
de «très petites îles inhabitées ou habitées de façon non permanente»
(Souveraineté sur Pulau Ligitan et Pulau Sipadan (Indonésie/Malaisie),
arrêt, C.I.J. Recueil 2002 , p. 682, par. 134)?

29. Notre réponse est résolument négative. La tâche du juge, dans les
deux affaires susmentionnées, consistait à attribuer la souveraineté sur un
territoire déterminé sur la base des effectivités (le cas échéant, de la mise
en balance des effectivités concurrentes), en l’absence d’un titre originaire

de souveraineté. Ici, la question est tout autre: il existe un souverain ori-
ginel — tout au moins d’après l’analyse de la Cour, à laquelle nous adhé-
rons — et il s’agit de déterminer si le titre a été transféré à un autre
souverain sans que le premier ait expressément donné son accord. Dans
un tel contexte, rien ne justifie que l’on abaisse le niveau d’exigence; car

118ce ne sont pas les effectivités en elles-mêmes que l’on recherche, c’est le

consentement (ou l’acquiescement) du souverain d’origine, qui, à défaut
d’avoir été exprimé, doit au moins pouvoir se déduire sans l’ombre d’un
doute du comportement de celui-ci. Une telle conclusion, nous dira-t-on,
sera très difficile à tirer dans le cas de petites portions de territoire inha-

bitées ou peu propices à l’activité humaine. Cela est sans doute vrai; mais
il en résultera seulement que le maintien du titre originel de souveraineté,
qui est présumé, constituera la solution juridiquement appropriée.
30. C’est, dans la présente affaire, la conclusion que la Cour, selon

nous, aurait dû tirer. Après avoir énoncé des principes bien fondés en
droit, même si leur formulation a souffert d’une certaine approximation,
la Cour s’est, dans leur mise en Œuvre, peu à peu éloignée d’eux. Elle a

raisonné plus ou moins comme elle l’aurait fait si, en l’absence de titre
originaire, elle avait dû mesurer les effectivités concurrentes des Parties.
Ce faisant, elle a suivi une pente qui ne pouvait la conduire qu’à une
conclusion que nous tenons pour erronée.

(Signé) Bruno S IMMA .

(Signé) Ronny A BRAHAM .

119

Bilingual Content

OPINION DISSIDENTE COMMUNE DE MM. LES JUGES
SIMMA ET ABRAHAM

Désaccord avec la partie de l’arrêt concernant la souveraineté sur Pedra
Branca/Pulau Batu Puteh — Accord sur la position de la Cour favorable à la
souveraineté du Johor en 1844 — Caractère non convaincant de la démonstra-
tion de l’arrêt relative au transfert postérieur de la souveraineté en faveur de
Singapour — Double fondement juridique de la solution retenue par la
Cour: accord tacite et acquiescement — Défaut de choisir entre l’un et l’autre —
Absence regrettable de référence à la prescription acquisitive — Importance,
quel que soit le terrain choisi, de l’acquiescement ou du consentement du souve-
rain originaire au transfert de souveraineté — En l’espèce, absence de réalisa-
tion des conditions requises pour un transfert de souveraineté à défaut d’accord
exprès — En particulier, absence de comportement de la part de la Grande-
Bretagne et de Singapour manifestant clairement et publiquement l’intention
d’agir en souverain sur l’île — En conséquence, impossibilité de déduire du
silence du Johor, puis de la Malaisie, un acquiescement à un abandon de la
souveraineté initiale.

I

1. Le différend que tranche le présent arrêt a pour objet, à titre prin-
cipal, la souveraineté sur l’île de Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, dispu-
tée entre la Malaisie et Singapour, et, de manière plus accessoire, la sou-
veraineté, disputée entre les mêmes Etats, sur deux formations maritimes
d’importance mineure situées près de l’île susnommée, Middle Rocks et

South Ledge.
Dans le premier point de son dispositif, l’arrêt décide que la sou-
veraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh appartient à Singa-
pour, dans le deuxième point que la souveraineté sur Middle Rocks
appartient à la Malaisie, et dans le troisième que South Ledge relève

de la souveraineté de l’Etat dans les eaux territoriales duquel il se
trouve.
2. Nous avons voté en faveur des deux derniers points, mais contre le
premier.
Nous sommes en désaccord sur le raisonnement qui conduit la Cour à
conclure en faveur de la revendication de Singapour sur l’île de Pedra

Branca/Pulau Batu Puteh, et qui occupe la plus grande partie de l’arrêt,
ce qui est d’ailleurs parfaitement justifié.
Notre désaccord touchant à des questions de droit et de fait que nous
pensons être d’une certaine importance, nous croyons devoir en expliquer
ici les raisons.

108 JOINT DISSENTING OPINION OF JUDGES
SIMMA AND ABRAHAM

[Translation]

Disagreement with the part of the Judgment concerning sovereignty over
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh — Agreement with the position of the Court in
favour of the sovereignty of Johor in 1844 — Unconvincing nature of the Judg-
ment’s demonstration regarding the subsequent transfer of sovereignty to Sing-
apore — Twofold legal basis for the solution adopted by the Court: tacit agree-
ment and acquiescence — Failure to choose between the two — Regrettable lack
of reference to acquisitive prescription — Importance of the acquiescence or
consent of the original sovereign to the transfer of sovereignty whatever the area
considered — In the present case, conditions required for transfer of sovereignty
not fulfilled in the absence of express consent — In particular, lack of conduct
by the United Kingdom and Singapore clearly and publicly manifesting sover-
eign intent towards the island — Consequently, impossibility of deducing from
the silence of Johor, and subsequently Malaysia, acquiescence to the relinquish-
ment of its original sovereignty.

I

1. The dispute settled by the present Judgment principally concerns
sovereignty over the island of Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, at issue
between Malaysia and Singapore, and, less directly, sovereignty, in con-
tention between the same two States, over two maritime features of
minor importance near the aforementioned island, Middle Rocks and

South Ledge.
In the first point of the operative clause, the Judgment finds that sov-
ereignty over Pedra Branca/Pulau Batu Puteh belongs to Singapore, in
the second point that sovereignty over Middle Rocks belongs to Malay-
sia and in the third that South Ledge falls under the sovereignty of the

State in the territorial waters of which it is located.

2. We voted in favour of the last two points, but against the first.

We disagree with the reasoning which led the Court to find in favour of
Singapore’s claim to Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, to which most of

the Judgment is devoted, and quite legitimately so.

Since our disagreement concerns questions of law and of fact which we
believe are of some importance, we feel we must explain our reasons.

108 II

3. Le raisonnement sur lequel s’appuie la Cour, dans la partie de
l’arrêt qui concerne Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, se décompose en
deux éléments. Le premier concerne la période antérieure à la construc-
tion par les Britanniques du phare dit «Horsburgh» sur l’île, dont les pré-
paratifs ont débuté en 1844. L’examen des faits relatifs à cette période

conduit la Cour à conclure (arrêt, par. 117) que l’île relevait, en 1844, de
la souveraineté du Sultanat de Johor — dont il n’est pas contesté que la
Malaisie est à l’heure actuelle le successeur.
Puis, la Cour entre dans une seconde phase de son raisonnement, en

examinant, à partir du paragraphe 118 et jusqu’à la conclusion finale qui
figure au paragraphe 277, le comportement des deux Parties (et de leurs
prédécesseurs, le Johor pour la Malaisie et la Grande-Bretagne pour Sin-
gapour) à partir des débuts de la construction du phare et jusqu’à pré-
sent. Cet examen long et minutieux — mais qui, comme nous le dirons

dans un instant, n’est pas exempt de faiblesses — conduit la Cour à la
conclusion que, aujourd’hui, «la souveraineté sur Pedra Branca/Pulau
Batu Puteh appartient à Singapour» (ibid., par. 277). Selon l’arrêt, il s’est
produit, à partir de 1844, un processus qui a eu pour effet, à une date
qu’il est impossible de situer avec précision, de transférer la souveraineté

sur l’île du Sultanat de Johor (ou de son successeur, la Malaisie) à Sin-
gapour (ou à son prédécesseur, la Grande-Bretagne). La Cour décrit ce
processus comme témoignant d’une «évolution convergente des posi-
tions» des Parties, au fil du temps, concernant la souveraineté sur l’île
(ibid., par. 276). De cette «évolution convergente» l’on pourrait déduire

soit qu’un «accord tacite» portant sur le transfert de souveraineté se
serait formé entre les Parties, soit que le Johor aurait acquiescé à ce trans-
fert par un comportement ayant donné naissance à des droits irréversi-
bles au profit de Singapour. Entre le terrain juridique de l’«accord tacite»
et celui de l’«acquiescement», qui sont définis respectivement aux para-

graphes 120 et 121 de l’arrêt, la Cour s’abstient de choisir, se bornant à
constater, in fine, que l’ensemble du comportement des Parties sur la
période considérée — au total plus d’un siècle et demi — a changé le titu-
laire de la souveraineté. S’il est bien exact que ni la volonté du «nouveau
souverain» d’acquérir la souveraineté, ni le consentement de l’«ancien» à

l’abandonner n’ont été formellement exprimés à un quelconque moment,
l’une et l’autre pourraient se déduire de l’examen des faits pertinents,
selon la Cour.
4. Nous n’avons pas d’objection à opposer à la première partie de la
démonstration de la Cour, celle qui concerne la période antérieure à

1844. Cette démonstration nous paraît, pour l’essentiel, convaincante.
Depuis des temps anciens dont il est impossible de situer avec précision
le début, le Sultanat de Johor, qui s’étendait à l’origine au nord et au sud
du détroit de Singapour, possédait la souveraineté sur l’île de Pedra

Branca/Pulau Batu Puteh, située à l’entrée du détroit. Après la partition
du Sultanat, en 1824-1825, en deux entités souveraines, ce «titre origi-

109 II

3. The reasoning relied on by the Court bases in the part of the Judg-
ment concerning Pedra Branca/Pulau Batu Puteh can be broken down
into two sections. The first relates to the period prior to the construction
of Horsburgh lighthouse on the island by the British, on which prepara-
tory work began in 1844. Consideration of the facts relating to that

period prompts the Court to conclude (Judgment, para. 117) that in 1844
the island was under the sovereignty of the Sultanate of Johor, of which
Malaysia is now the undisputed successor State.
The Court then moves on to a second phase of its reasoning, from

paragraph 118 until its final conclusion in paragraph 277, considering the
conduct of the two Parties (and their predecessors, Johor for Malaysia
and Britain for Singapore) from the beginning of the construction of the
lighthouse until the present. That long and meticulous analysis, which,
however, as we will indicate shortly, is not without weaknesses, leads the

Court to the conclusion that, today, “sovereignty over Pedra Branca/Pu-
lau Batu Puteh belongs to Singapore” (ibid., para. 277). According to the
Judgment, from 1844 onwards a process took place which resulted, at a
date which it is impossible to ascertain precisely, in sovereignty over the
island passing from the Sultanate of Johor (or its successor Malaysia) to

Singapore (or its predecessor the United Kingdom). The Court describes
this process as evidence of a “convergent evolution of the positions” of
the Parties over time regarding sovereignty over the island (ibid.,
para. 276). That “convergent evolution” might lead one to deduce either
that a “tacit agreement” on the transfer of sovereignty had been reached

between the Parties or that Johor had acquiesced to that transfer by con-
duct having given rise to inalienable rights for Singapore. Between the
legal foundations of “tacit agreement” and of “acquiescence”, which are
defined respectively in paragraphs 120 and 121 of the Judgment, the
Court refrains from making a choice, merely noting in fine that the con-

duct of the Parties as a whole over the period considered — more than a
century and a half in all — changed the holder of sovereignty. While it is
true that neither the will of the “new sovereign” to acquire sovereignty
nor the consent of the “former” sovereign to relinquish it were ever for-
mally expressed at any time, according to the Court both can be deduced

from a consideration of the relevant facts.

4. We have no objection to the first part of the Court’s demonstration,
that concerning the period before 1844. Overall, it seems convincing.

From ancient times it is impossible to date with accuracy, the Sultanate
of Johor, which originally stretched both north and south of the Straits
of Singapore, had held sovereignty over Pedra Branca/Pulau Batu Puteh,

an island located at the entry to the Straits. After the partition of the Sul-
tanate into two sovereign entities in 1824 to 1825, that “original title” to

109naire» sur l’île a été transmis à l’entité dont la partie terrestre se situait au
nord du détroit, et qui a conservé également la dénomination de «Sulta-

nat de Johor». C’est cet Etat dont l’actuelle Malaisie est le successeur.
5. En déclarant ainsi que, «en 1844, [l’]île était sous la souveraineté du
sultan de Johor» (arrêt, par. 117), la Cour accueille l’argument principal
de la Malaisie — fût-ce provisoirement — et réfute la thèse principale
développée par Singapour. La Malaisie, en effet, a fondé l’essentiel de

son argumentation sur le titre originaire possédé sur l’île par le Sultanat
de Johor depuis des «temps immémoriaux», titre qui se serait transmis,
par voie de succession, à la Malaisie actuelle, tandis que Singapour, com-
battant vivement la thèse précédente, affirmait qu’à la veille de la cons-

truction du phare Horsburgh, en 1850, l’île était terra nullius ou, à tout le
moins, que son statut juridique était indéterminé.
Eût-elle adopté la thèse de Singapour (dans sa branche principale ou
dans sa branche subsidiaire), la Cour aurait été inévitablement (et logi-
quement) conduite à affirmer la souveraineté singapourienne sur l’île

aujourd’hui. Que l’île ait été terra nullius en 1850 ou que son statut à
l’époque soit impossible à déterminer, à partir de l’une ou l’autre de ces
prémisses, aucun argument convaincant ne pouvait faire pencher la
balance en faveur de la Malaisie: soit la Grande-Bretagne avait acquis la
souveraineté en prenant légalement possession d’une terra nullius en

1850, soit, à défaut, le poids des effectivités, de 1850 à 1980 (la date cri-
tique), conduisait nécessairement à trancher en faveur de Singapour.
6. Mais, comme nous l’avons vu, la Cour n’a adopté la thèse de Sin-
gapour ni dans sa branche principale ni dans sa branche subsidiaire,
puisqu’elle a décidé qu’en 1844, à la veille des travaux de construction du

phare, l’île appartenait au Johor. Par ailleurs, la Cour a admis que
l’actuelle Malaisie était le successeur du Sultanat de Johor de 1844, ce que
d’ailleurs Singapour ne contestait pas.
Et cependant, la Cour est parvenue à la conclusion finale que l’île
relève à présent de la souveraineté de Singapour, par l’effet du processus

graduel de transfert de souveraineté qu’elle a cru pouvoir déduire du
comportement des Parties depuis 1850.
C’est très précisément sur ce point que nous nous séparons de l’arrêt, et
voici pour quelles raisons.

III

7. Nous n’avons pas de critique majeure à formuler au sujet des prin-
cipes juridiques que la Cour énonce, et sur la base desquels elle procède

ensuite à l’examen des faits pertinents. Nous ne sommes pas du tout
convaincus, en revanche, par la manière dont l’arrêt applique ces prin-
cipes aux faits de l’espèce, et, par suite, par les conclusions qu’elle en tire
dans la présente affaire.

En résumé, notre position est la suivante: les conditions et les critères
que l’arrêt définit et auxquels il subordonne le transfert de souveraineté

110the island passed to the entity with its mainland territory north of the
Straits, which also kept the name “Sultanate of Johor”. It is to this State

that Malaysia is successor.
5. By thus declaring that “in 1844, th[e] island was under the sover-
eignty of the Sultan of Johor” (Judgment, para. 117), the Court accepts
Malaysia’s principal argument, albeit temporarily, and rebuts the main
argument developed by Singapore. Malaysia based the greater part of its

argument on the original title to the island held by the Sultanate of Johor
from “time immemorial”, a title which was said to have been transferred
through succession to present-day Malaysia, while Singapore, which
roundly disputed that argument, asserted that on the eve of the construc-

tion of the Horsburgh lighthouse, in 1850, the island was terra nullius, or,
at least, that its legal status was indeterminate.
Had it accepted Singapore’s argument (either the principal one or that
in the alternative), the Court would inevitably (and logically) have had to
proclaim Singapore’s sovereignty over the island today. Had the island

been terra nullius in 1850 or its status then been impossible to determine,
no convincing argument could have tipped the scales in Malaysia’s
favour on the basis of either premise: either the United Kingdom acquired
sovereignty by legally taking possession of a terra nullius in 1850, or, fail-
ing that, the mass of effectivités from 1850 to 1980 (the critical date)

would necessarily have led to a settlement in favour of Singapore.

6. However, as we have seen, the Court did not accept either Singa-
pore’s principal or alternative argument, having decided that in 1844, on
the eve of the construction work on the lighthouse, the island belonged to

Johor. The Court also acknowledged that present-day Malaysia is the
successor of the Sultanate of Johor in 1844, which moreover Singapore
did not dispute.
The Court nevertheless reached the final conclusion that the island is
now under the sovereignty of Singapore, by virtue of a gradual process of

transfer of sovereignty it felt able to deduce from the conduct of the
Parties since 1850.
It is on this point precisely that we part company with the Judgment
and for the following reasons.

III

7. We have no major criticism of the legal principles laid down by the
Court, on the basis of which it then goes on to consider the relevant facts.

However, we are not at all convinced by the way the present Judgment
applies those principles to the facts of the case and, consequently, by the
ensuing conclusions it draws in the present case.

In summary, our position is the following: the conditions and criteria
which the Judgment lays down and to which it subordinates the transfer

110d’un Etat à un autre, en l’absence d’un accord exprès conclu entre
l’ancien souverain et le nouveau, nous paraissent, pour l’essentiel, juridi-

quement corrects. Mais nous sommes fermement d’avis que ces condi-
tions étaient loin d’être remplies en l’espèce, contrairement à ce qu’affirme
l’arrêt, dont nous craignons qu’il ne constitue, pour cette raison, un pré-
cédent dangereux.
8. C’est à partir du paragraphe 120 et jusqu’au paragraphe 125 que

l’arrêt expose les principes juridiques pertinents en matière de transfert de
souveraineté.
Nul doute qu’un tel transfert peut être réalisé par la voie d’un accord
exprès entre le titulaire initial de la souveraineté et un autre Etat.

Plus délicate, en revanche, est la question de savoir si un transfert de
souveraineté peut être opéré en l’absence d’accord exprès.
En principe, la réponse à la question précédente est affirmative; c’est ce
qu’énonce l’arrêt, et nous n’avons pas d’objection sur ce point. Encore

faut-il que les conditions d’un tel transfert soient définies de manière
rigoureuse, que soit bien affirmée la présomption en faveur du maintien
de la souveraineté dans les mains du titulaire initial, et que cette présomp-
tion ne soit pas considérée à la légère comme ayant été renversée.
9. A cet égard, la présentation que fait l’arrêt des principes juridiques

applicables n’est pas irréprochable, même si, pour l’essentiel, elle rejoint
nos préoccupations.
10. Les deux terrains juridiques sur lesquels s’appuie l’arrêt — sans
choisir entre l’un et l’autre, ni même indiquer si et comment ils pourraient
se combiner — sont celui de l’«accord tacite» et celui de l’«acquiesce-

ment» (voir paragraphe 3 ci-dessus). Puisque le transfert de souveraineté
peut être réalisé par voie d’accord exprès, il doit pouvoir l’être aussi par
la voie d’un accord tacite (si les conditions en sont réunies), puisque le
droit international n’est pas formaliste en matière d’accords, et que ce qui
peut être fait par un accord exprès peut l’être aussi, en principe, par un

accord tacite; c’est ce qu’explique, en substance, le paragraphe 120. Par
ailleurs, le comportement de l’Etat qui possède la souveraineté sur un ter-
ritoire mais qui s’abstient de réagir aux actes d’un autre Etat qui se com-
porte comme souverain sur le territoire en question peut valoir acquies-
cement du premier au transfert de souveraineté en faveur du second,

créant des droits irréversibles au profit de ce dernier: c’est ce que rap-
pelle, en substance, le paragraphe 121.
11. Il est sans doute vrai, en règle générale, que ce que des Etats peu-
vent faire par voie d’accord exprès peut aussi résulter d’un accord tacite
entre eux. Il n’est pas douteux, également, que la notion d’acquiescement

joue un rôle important, dans des contextes variés, en droit international.
On peut toutefois se demander si, en matière de transfert de souveraineté
territoriale, le concept pertinent n’est pas, plus que celui d’accord tacite
ou celui d’acquiescement, celui de prescription acquisitive, qui en un sens

englobe les précédents, et dont on peut regretter que l’arrêt ne fasse
aucune mention.

111of sovereignty from one State to another in the absence of an express
agreement between the former and the new sovereign seem to us legally

correct overall. But we firmly believe that those conditions were far from
fulfilled in the present case, contrary to what is asserted in the Judgment,
which for this reason we fear may constitute a dangerous precedent.

8. It is from paragraph 120 to paragraph 125 that the Judgment sets

out the relevant legal principles on the transfer of sovereignty.

There can be no doubt that such a transfer may occur through an
express agreement between the initial holder of sovereignty and another

State.
What is harder to decide, however, is whether there can be a transfer of
sovereignty in the absence of an express agreement.
In principle, the answer to the above question is in the affirmative; it is
what the Judgment declares and we have no objection on that score.

However, the conditions of such a transfer need to be rigorously defined,
a presumption in favour of maintaining the sovereignty in the hands of
the initial holder must be clearly asserted and that presumption should
not be lightly regarded as having been overturned.
9. In this respect, the presentation made by the Judgment of the appli-

cable legal principles is not faultless, even though it does essentially
reflect our concerns.
10. The two legal foundations on which the Judgment relies, without
opting for either or even indicating whether and how they might be com-
bined, are “tacit agreement” and “acquiescence” (see paragraph 3 supra).

As sovereignty can be transferred by an express agreement, it must also
be so by tacit agreement (if the conditions for it are met), since interna-
tional law is not formalistic as regards agreements and since what can be
done by an express agreement may also, in principle, be done by a tacit
agreement; that is what, in substance, is explained in paragraph 120.

Also, the conduct of a State which possesses sovereignty over a territory
but which refrains from responding to the acts of another State which is
acting in the territory concerned à titre de souverain may amount to
acquiescence by the former to the transfer of sovereignty to the latter,
creating inalienable rights for the latter State: that is what, in substance,

is stated in paragraph 121.

11. It is probably true, as a general rule, that what States can achieve
by an express agreement may also result from a tacit agreement between
them. There is also no doubt that the notion of acquiescence plays an

important role in international law in various contexts. One may, how-
ever, wonder whether the more relevant concept regarding the transfer of
territorial sovereignty — rather than tacit agreement or acquiescence —
is acquisitive prescription, which in a way encompasses the other two

notions and which regrettably the Judgment does not mention.

111 Si la prescription se définit comme un mode d’acquisition de la souve-
raineté sur un territoire caractérisé

«par l’exercice continu et paisible de la souveraineté pendant un
temps d’une durée suffisante pour créer, sous l’influence du dévelop-

pement historique, la conviction générale que l’état de choses actuel
est conforme à l’ordre international» (L. Oppenheim LL.D., Inter-
national Law, Vol. I, Peace, 1905, p. 294, par. 242 [traduction]),

ou encore comme «l’acquisition de la souveraineté par voie d’exercice
continu et pacifique de l’autorité étatique sur un territoire déterminé»
(Ch. Rousseau, Droit international public , t. III, «Les compétences»,

éd. 1977, p. 183), alors la notion peut permettre de rendre compte du pro-
cessus par lequel un Etat acquiert la souveraineté sur un territoire qui ne
lui appartenait pas originellement et sans l’accord exprès du souverain
originaire.
12. Il est vrai que Singapour elle-même, qui y aurait eu pourtant inté-

rêt, s’est gardée d’invoquer cette notion expressis verbis.
Il est aisé de comprendre pourquoi: toute l’argumentation de Singa-
pour, tant à titre principal — la thèse de la terra nullius — qu’à titre
alternatif — l’indétermination du statut de l’île avant 1850 —, reposait
sur le postulat que le Johor ne possédait aucun titre de souveraineté sur

l’île avant la construction du phare, de telle sorte qu’il n’y avait pas lieu
de rechercher ni d’indiquer en vertu de quel mécanisme la souveraineté
aurait pu être transférée, après 1850, du Johor vers Singapour.
Mais comme, par ailleurs, Singapour ne pouvait pas exclure que la
Cour parvînt à une conclusion contraire à sa thèse sur le statut juridique

de l’île en 1844-1850, il lui fallait tout de même présenter une argumenta-
tion (à titre doublement subsidiaire, en somme) permettant à la Cour de
décider in fine que, même si le Johor était souverain sur l’île en 1850, la
Malaisie ne l’était plus aujourd’hui.
C’est à cette fin que Singapour s’est prévalue d’un «exercice pacifique

et effectif de l’autorité étatique» sur l’île pendant une longue période.
Cette terminologie, qui est proche de celle employée par Max Huber dans
la sentence sur l’affaire de l’Ile de Palmas tout en restant suffisamment
générale, laissait en quelque sorte à la Cour elle-même le soin de définir le
terrain le plus approprié pour fonder en droit, au besoin, le transfert de

souveraineté au cours de la période considérée.
13. A cet égard, une idée se dégage avec certitude de la jurispru-
dence: lorsqu’il existe un souverain originaire, aucun exercice de l’auto-
rité étatique, si continu et effectif soit-il, ne peut entraîner un transfert de
souveraineté s’il n’est pas possible d’établir que le souverain originaire a,

d’une manière ou d’une autre, consenti à la cession du territoire en cause
ou acquiescé à son transfert au profit de l’Etat ayant exercé de facto son
autorité. Sans un tel consentement — ou acquiescement —, le titre origi-
naire ne peut pas céder, même en présence d’un exercice continu et effec-

tif de l’autorité par un Etat autre que le titulaire.
C’est ce que la Cour a récemment rappelé dans l’affaire de la Frontière

112 If prescription is defined as a means of acquiring sovereignty over a
territory characterized by

“continuous and undisturbed exercise of sovereignty over it during
such a period as is necessary to create under the influence of histori-

cal development the general conviction that the present condition of
things is in conformity with international order” (L. Oppenheim
LL.D., International Law, Vol. I, Peace, 1905, p. 294, para. 242),

or as “the acquisition of sovereignty through the continuous and peaceful
exercise of State authority over a determined territory” (Charles Rous-
seau, Droit International Public , Vol. III, “Les Compétences”, p. 183,

1977), then the notion might be used to account for the process by
which a State acquires sovereignty over a territory which did not
originally belong to it and without the express consent of the original
sovereign.
12. It is true that Singapore itself refrained from invoking this notion

expressis verbis, even though it would have been in its interest.
It is easy to understand why: Singapore’s whole line of argument, both
principally — the idea of terra nullius — and in the alternative — the
indeterminate status of the island prior to 1850 — was based on the
premise that Johor had no title to sovereignty over the island before the

construction of the lighthouse, so that there was no reason to seek out or
identify the mechanism by which sovereignty could have been transferred
after 1850 from Johor to Singapore.
However, as Singapore could not, in addition, rule out the possibility
that the Court might reach the opposite conclusion to its assertion on the

legal status of the island in 1844-1850, it had to advance a line of argu-
ment (in the further alternative, in short) permitting the Court to decide
in fine that even if Johor held sovereignty over the island in 1850, Malay-
sia no longer did so now.
This was why Singapore relied on the “effective and peaceful exercise

of State authority” over the island over a long period. These terms, which
are similar to the ones used by Max Huber in the Award in the Island of
Palmas case while remaining sufficiently general, in a way left it for the
Court itself to determine the most appropriate legal basis on which, if
need be, to base the transfer of sovereignty over the period concerned.

13. On that point, one idea unmistakably emerges from the jurispru-
dence: when there is an original sovereign, no exercise of State authority,
however continuous and effective, can result in a transfer of sovereignty
if it is not possible to establish that, in one way or another, the original

sovereign has consented to the cession of the territory concerned or
acquiesced in its transfer to the State having de facto exercised its author-
ity. Without such consent — or acquiescence — original title cannot be
ceded, even when confronted by a continuous and effective exercise of

authority by a State other than the holder.
That is what the Court recently pointed out in the case concerning the

112terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigé-
ria; Guinée équatoriale (intervenant)) (voir en particulier l’arrêt, C.I.J.

Recueil 2002, p. 346 et suiv., par. 62 et suiv.). Dans son arrêt, la Cour a
refusé d’attacher des effets juridiques à des actes de souveraineté accom-
plis par le Nigéria sur le territoire disputé, dès lors, a-t-elle dit en sub-
stance, que le Cameroun possédait un titre de souveraineté antérieur et
qu’il ne pouvait pas être regardé comme ayant acquiescé au transfert de

ce titre au profit du Nigéria.
14. En conséquence, Singapour ne pouvait établir sa souveraineté sur
l’île, à partir du constat que le Johor était souverain en 1850, que par la
démonstration que, au cours de la période postérieure, le Johor puis son

successeur la Malaisie avaient, par un comportement constant pendant
une longue période, accepté comme légitime l’exercice effectif de l’auto-
rité sur l’île par les autorités britanniques, puis singapouriennes; autre-
ment dit, que Singapour était devenue souveraine par voie de prescrip-
tion acquisitive. Sans employer l’expression, Singapour invitait la Cour,

selon nous, à faire application du concept.
15. Sans doute la prudence terminologique des conseils de Singapour
s’explique-t-elle par le fait que la doctrine comme la jurisprudence inter-
nationales ont été longtemps, et demeurent encore dans une certaine
mesure, réservées sur la prescription en tant que mode d’acquisition de la

souveraineté par un nouveau souverain au lieu et place du souverain
d’origine, et sans que ce dernier, par hypothèse, ait donné son accord
exprès.
Mais il ne suffit pas d’éviter d’employer le mot qui désigne une notion
juridique pour faire disparaître celle-ci de l’argumentation. Et si nous

pouvons comprendre les considérations de prudence tactique qui ont
conduit Singapour à éviter, dans ses mémoires et plaidoiries, de désigner
trop clairement un terrain juridique qu’elle pouvait juger délicat de
son point de vue, nous regrettons que la Cour n’ait pas été, quant à elle,
plus explicite dans l’énoncé des principes juridiques dont elle a fait

application.
16. A vrai dire, il n’est pas de première importance que la Cour ait
recours, pour fonder la solution qu’elle adopte, à telle ou telle catégorie
ou qualification juridique, lesdites catégories n’étant souvent pas, il faut
le reconnaître, séparées les unes des autres de façon étanche.

Ainsi, que l’on dise qu’un Etat peut acquérir la souveraineté sur un ter-
ritoire par voie d’accord tacite avec le souverain antérieur ou en vertu
d’un acquiescement supposé, ou encore que cette acquisition soit consi-
dérée comme réalisée par voie de prescription, la question essentielle est
de savoir à quelles conditions un accord tacite ayant un tel effet peut être

regardé comme constitué, l’acquiescement regardé comme établi ou la
prescription regardée comme acquise. En somme, ce qui importe surtout
est de savoir quels effets le droit international attache à tel ou tel com-
portement des Etats concernés en matière de souveraineté territoriale,

plutôt que de choisir entre telle ou telle expression apte à qualifier le pro-
cessus juridique qui conduit de la cause à la conséquence.

113Land and Maritime Boundary between Cameroon and Nigeria (Cam-
eroon v. Nigeria: Equatorial Guinea intervening) (see, in particular, the

Judgment in I.C.J. Reports 2002, pp. 346 et seq., paras. 62 et seq.). In its
Judgment, the Court declined to attach legal effects to the acts of sov-
ereignty performed by Nigeria in the disputed territory, since, as it said in
substance, Cameroon held an earlier title to sovereignty and it could not
be regarded as having acquiesced to the transfer of that title to Nigeria.

14. Consequently, the only way Singapore could establish its sover-
eignty over the island, after the finding that Johor held sovereignty in
1850, was by demonstrating that over the subsequent period, Johor, then

its successor, Malaysia had, by consistent conduct over a long period,
accepted as legitimate the effective exercise of authority on the island by
the British and later the Singaporean authorities; in other words, that
Singapore had become sovereign through acquisitive prescription. With-
out actually using the expression, Singapore, in our view, was asking the

Court to apply the concept.
15. The cautiousness of counsel for Singapore regarding this expres-
sion is probably explained by the fact that both scholarly opinion and
international jurisprudence have long had reservations and to some extent
continue to do so about prescription as a means of acquiring sovereignty

by a new sovereign in place of the original sovereign, and without the
latter, ex hypothesi, giving its express consent.

But mere avoidance of a word designating a legal notion is not enough
to make it disappear from the argument. And while we can appreciate the

considerations of tactical prudence which prompted Singapore, in its
written and oral pleadings, to avoid too clearly designating a legal basis
which from its standpoint it might have considered awkward, we regret
that the Court itself was not more explicit in stating the legal principles
which it has applied.

16. In fact, it is not of great importance that, as basis for the solution
it adopts, the Court should use this or that legal category or characteriza-
tion, as those categories, it must be acknowledged, are often not hermeti-
cally separated from one another.

Thus, whether one says that a State can acquire sovereignty over a ter-
ritory by tacit agreement with the previous sovereign, or by supposed
acquiescence, or that the acquisition should be regarded as having taken
place through prescription, the essential question is in what conditions a
tacit agreement having such an effect can be regarded as reached; acqui-

escence as established or prescription as acquired? In short, what matters
above all is ascertaining what effects international law attaches to this or
that conduct by the States concerned relating to territorial sovereignty,
rather than choosing between one expression or another capable of char-

acterizing the legal process leading from cause to consequence.

113 17. Quant aux conditions auxquelles est subordonnée la mise en Œuvre
de la prescription acquisitive, on sait qu’elles sont au nombre de quatre.

En premier lieu, l’Etat qui s’en prévaut doit exercer l’autorité sur le ter-
ritoire concerné à titre de souverain, ce qui implique, d’une part, un exer-
cice effectif des attributs de la souveraineté (corpus), d’autre part, l’inten-
tion d’agir comme souverain (animus). En deuxième lieu, l’exercice de
l’autorité doit être pacifique et continu. En troisième lieu, cet exercice à

titre de souverain doit être public, c’est-à-dire visible, condition essen-
tielle pour permettre d’établir l’acquiescement — par l’absence de réac-
tion — de l’Etat possédant le titre originaire. En quatrième lieu et enfin,
l’exercice de l’autorité doit se poursuivre, dans les conditions qui viennent

d’être décrites, pendant une assez longue période de temps. Bien qu’elle
n’ait pas mentionné, nous l’avons dit, la prescription, il ne semble pas que
la Cour ait entendu faire application, en l’espèce, d’autres critères que
ceux-là.

IV

18. Dans la présente affaire, la première et la troisième des conditions
sus-énoncées revêtent une importance particulière. Cela signifie que la
Cour avait à répondre à deux questions.
Premièrement, Singapour, ou son prédécesseur la Grande-Bretagne,
a-t-elle ouvertement manifesté sa volonté d’agir à titre de souverain

sur l’île de Pedra Branca/Pulau Batu Puteh au cours de la période
considérée?
Deuxièmement, la Malaisie, ou son prédécesseur, doit-elle être regar-
dée comme ayant tacitement acquiescé, ou consenti, par son absence de

réaction pendant une période suffisamment longue, à ce que la souverai-
neté sur l’île soit transférée à Singapour?
S’il est répondu par l’affirmative à ces deux questions — ce que fait
l’arrêt —, la conséquence juridique qui s’en déduit est que Singapour a
acquis la souveraineté sur l’île. Il est sans importance que la date de ce

transfert de souveraineté soit impossible à situer avec précision; il est
d’importance secondaire que le processus en cause soit décrit comme
ayant donné naissance à un accord tacite, comme résultant d’un acquies-
cement du souverain originaire ou comme caractérisant une acquisition
de territoire par voie de prescription.

19. Pour notre part, nous sommes d’avis que la Cour aurait dû ré-
pondre par la négative aux deux questions sus-énoncées, et qu’il n’a
donc pu y avoir ni accord tacite, ni acquiescement, ni acquisition par
voie de prescription.
20. On ne saurait trop insister, selon nous, sur l’importance de l’affir-

mation qui figure au paragraphe 122 de l’arrêt:
«Un point déterminant pour l’appréciation que fera la Cour du

comportement des Parties tient à l’importance de premier plan que
revêtent, en droit international et dans les relations internationales,

114 17. As for the conditions to which the implementation of acquisitive
prescription is subject, we know that there are four. First, the State which

relies on it must exercise authority over the territory concerned à titre de
souverain, which implies, on the one hand, the effective exercise of the
attributes of sovereignty (corpus), and, on the other hand, sovereign
intent (animus). Second, the exercise of authority must be peaceful and
continuous. Third, the exercise of sovereignty must be public, which is to

say visible, an essential condition for establishing the acquiescence —
through failure to respond — of the State holding the original title.
Fourth and last, the exercise of authority must continue in the conditions
just described for quite a long period. Although it did not mention pre-

scription, as we have said, the Court would not seem to have intended to
apply criteria other than those in the present case.

IV

18. In this case, the first and third of the aforementioned conditions
are particularly important. This means that the Court had to answer two
questions.
First, did Singapore, or its predecessor Great Britain, openly manifest
its intention to act as sovereign on Pedra Branca/Pulau Batu Puteh dur-

ing the period concerned?

Secondly, should Malaysia — or its predecessor — be regarded as
having tacitly acquiesced, or consented, by its failure to respond for a

sufficiently long period, to the transfer of sovereignty over the island to
Singapore?
If the answer to both questions is yes, as it is in the Judgment, the
resulting legal conclusion is that Singapore acquired sovereignty over the
island. It is unimportant that the date of that transfer of sovereignty is

impossible to pinpoint accurately; it is of secondary importance whether
the process concerned is described as having given rise to a tacit agree-
ment, as the outcome of the acquiescence of the original sovereign, or as
characterizing an acquisition of territory by prescription.

19. We, however, consider that the Court should have answered the
two above questions in the negative, and that there could thus have been
neither tacit agreement, acquiescence nor acquisition by prescription.

20. The importance of the assertion made in paragraph 122 of the

Judgment cannot, in our opinion, be stressed enough:
“Critical for the Court’s assessment of the conduct of the Parties

is the central importance in international law and relations of State
sovereignty over territory and of the stability and certainty of that

114 la souveraineté étatique sur un territoire ainsi que le caractère stable
et certain de cette souveraineté. De ce fait, tout changement du titu-

laire de la souveraineté territoriale fondé sur le comportement des
Parties ... doit se manifester clairement et de manière dépourvue
d’ambiguïté au travers de ce comportement et des faits pertinents.
Cela vaut tout particulièrement si ce qui risque d’en découler pour
l’une des Parties est en fait l’abandon de sa souveraineté sur une por-

tion de son territoire.»
21. Adhérant à un tel critère, nous ne pensons pas que le «com-

portement des Parties» en l’espèce se soit manifesté «clairement et de
manière dépourvue d’ambiguïté» dans le sens que la Cour lui attribue,
à savoir celui d’un acquiescement du Johor (ou de la Malaisie) à
une revendication de souveraineté par Singapour (ou par la Grande-
Bretagne).

22. Considérons d’abord le comportement de la Grande-Bretagne, et
de son successeur Singapour.
La Cour écarte à juste titre, comme dépourvus de pertinence, les actes
accomplis entre 1844 et 1851 en vue de la construction et de la mise
en service du phare. Il n’y avait là, en effet, aucune manifestation

d’une volonté d’agir à titre de souverain à l’égard du territoire insu-
laire sur lequel le phare était construit (voir les longs développements
des paragraphes 126 à 162, au terme desquels la Cour «ne tire de la
construction et de la mise en service du phare aucune conclusion quant
à la souveraineté»).

En ce qui concerne la période de 1852 à 1952, la Cour, après avoir
écarté tout ce qui touche seulement à l’entretien et à l’exploitation
du phare par les autorités britanniques, passe en revue trois types
d’activités qui auraient été susceptibles de manifester l’intention de la
Grande-Bretagne d’agir à titre de souverain sur l’île: la production

législative britannique et singapourienne relative au phare Hors-
burgh et à d’autres phares dans la région; l’évolution constitution-
nelle relative au statut de Singapour; le contrôle des activités de
pêche dans la région dans les années 1860. Mais elle ne voit dans

aucun de ces éléments une claire manifestation d’une revendication
britannique de souveraineté.
23. Il est clair que c’est l’échange de correspondances de 1953 qui
constitue le principal élément militant en faveur des prétentions singa-
pouriennes. C’est, à l’évidence, un passage décisif dans le raisonnement

de la Cour. Mais il n’emporte guère la conviction.
En réponse à une demande du secrétaire colonial de Singapour
visant à «clarifier le statut de Pedra Branca», le secrétaire d’Etat par
intérim du Johor a indiqué, par une lettre du 21 septembre 1953, que
«le gouvernement du Johore ne revendiqu[ait] pas la propriété de

Pedra Branca».
24. En admettant même, ce qui est raisonnable, qu’il n’y eût pas de
différence de signification, dans l’esprit du signataire de cette réponse,
entre la «propriété de» et la «souveraineté sur», et que l’expression «ne

115 sovereignty. Because of that, any passing of sovereignty over terri-
tory on the basis of the conduct of the Parties, as set out above, must

be manifested clearly and without any doubt by that conduct and
the relevant facts. That is especially so if what may be involved, in
the case of one of the Parties, is in effect the abandonment of sov-
ereignty over part of its territory.”

21. Applying this criterion, we do not think that the “conduct of the

Parties” in the present case was manifested “clearly and without any
doubt” within the meaning which the Court attributes to it, namely the
acquiescence of Johor (or Malaysia) to the claim of sovereignty by Sing-
apore (or Great Britain).

22. Let us first consider the conduct of Great Britain and its successor
Singapore.
The Court rightly rejects as irrelevant the acts performed between 1844
and 1851 for building and commissioning the lighthouse. For they con-
tained no manifestation of any intent to act as sovereign regarding the

island territory on which the lighthouse was built (see the long passages
in paragraphs 126 to 162, after which the Court “does not draw any con-
clusions about sovereignty based on the construction and commissioning
of the lighthouse”).

As regards the period from 1852 to 1952, after setting aside everything
which related solely to the maintenance and operation of the lighthouse
by the British authorities, the Court considers three types of activity
allegedly capable of manifesting Great Britain’s intention to act as sov-
ereign on the island: British and Singaporean legislation regarding the

Horsburgh lighthouse and other lighthouses in the region; constitutional
developments relating to Singapore’s status; and control over fishing
activities in the region in the 1860s. However, in none of those elements
does it discern a clear manifestation of a British claim to sovereignty.

23. It is clear that it is the exchange of correspondence of 1953 which
constitutes the principal element militating in favour of Singapore’s
claims. It is patently a decisive passage in the Court’s reasoning. But it is

hardly convincing.
In reply to an enquiry by the Colonial Secretary of Singapore intended
“to clarify the status of Pedra Branca”, the Acting State Secretary of
Johor indicated, in a letter of 21 September 1953, that “the Johore Gov-
ernment does not claim ownership of Pedra Branca”.

24. Even accepting, as is reasonable, that there was no difference in
meaning in the mind of the signatory of that reply between “ownership
of” and “sovereignty over”, and that the expression “does not claim”

115revendique pas» implique la croyance dans l’absence de titre, il n’y a
guère de conséquence à tirer — au moins directement — de l’échange de

correspondance de 1953.
D’une part, il est clair que, du côté singapourien, rien ne fait apparaître
ici une revendication de souveraineté, puisque au contraire la demande
du secrétaire colonial visait à obtenir des renseignements en vue de cla-
rifier le statut de l’île.

D’autre part, du côté du Johor, si l’on suit le raisonnement tenu par la
Cour jusqu’au paragraphe 191 — avant qu’elle n’aborde la correspon-
dance de 1953 —, il n’est pas douteux que l’affirmation contenue dans la
réponse du secrétaire d’Etat (le Johor ne possède pas de titre de souve-

raineté sur Pedra Branca) est tout simplement erronée, puisque toute la
démonstration de l’arrêt conduit au constat qu’en 1953 la souveraineté
sur l’île relevait bien du sultan de Johor. Une erreur commise dans une
correspondance telle que celle en cause, fût-ce sous la signature d’un res-
ponsable de haut rang, suffit-elle à priver un Etat de sa souveraineté

sur un territoire? Certainement pas. L’arrêt ne prétend d’ailleurs pas
le contraire, puisqu’il précise (par. 227) que «la Cour ne considère pas
la réponse du Johor comme revêtant un caractère constitutif». Mais,
si la lettre du secrétaire d’Etat n’a pas eu pour effet de faire perdre au
Johor la souveraineté qu’il possédait sur l’île, encore moins de transférer

cette souveraineté à Singapour ou à la Grande-Bretagne en tant que
puissance coloniale, en quoi pourrait-elle être pertinente pour notre
affaire? Peut-être en ceci que l’échange de correspondance devait
nécessairement alerter les autorités du Johor sur le fait qu’il était
possible — voire probable — que Singapour (ou la Grande-Bretagne)

soit incitée à revendiquer la souveraineté sur l’île sur la base de la
réponse reçue, si bien que les actes accomplis par les autorités colo-
niales de Singapour — puis par Singapour après son indépendance —
postérieurement à 1953 devaient être plus facilement perçus par le
Johor comme d’éventuelles manifestations de souveraineté, et traités

comme tels.
25. Encore eût-il fallu que ces actes fussent, par leur nature et leur
objet, susceptibles de recevoir une telle interprétation, c’est-à-dire
d’être compris comme des manifestations de l’intention d’agir à titre
de souverain.

Or, si l’on examine le comportement de Singapour (ou de la Grande-
Bretagne) postérieurement à 1953 — ce que fait l’arrêt à partir du
paragraphe 231 —, on ne trouve que fort peu d’actes possédant un tel
caractère.
26. Sous le titre «Le comportement des Parties après 1953», la Cour

passe en revue, de façon méticuleuse, huit types d’activités accomplies par
Singapour (sous les lettres a), b), c), d), e), f), i), j) — les autres acti-
vités examinées étant le fait de la Malaisie).
La Cour conclut dans plusieurs cas à l’absence de pertinence des acti-

vités en cause, et n’en retient, finalement, que cinq comme possibles
manifestations de souveraineté. Mais la récolte est bien faible.

116implies belief that there was no title, very few conclusions can be drawn,
directly at least, from the 1953 exchange of correspondence.

On the one hand, it is clear that, as regards Singapore, there is nothing
here to indicate a claim of sovereignty, since, on the contrary, the enquiry
by the Colonial Secretary was aimed at obtaining information to clarify
the status of the island.

On the other hand, as regards Johor, if we follow the reasoning of the
Court up to paragraph 191 — before it turns to the 1953 correspond-
ence — there can be no doubt that the assertion in the reply by the Sec-
retary of State (Johor does not possess title to sovereignty over Pedra

Branca) is quite simply wrong, as the Judgment’s whole demonstration
leads to the conclusion that in 1953 sovereignty over the island did indeed
belong to the Sultan of Johor. Is an error made in a letter such as the one
concerned, albeit signed by a senior official, sufficient to deprive a State
of its sovereignty over a territory? Certainly not. Nor does the Judgment

claim the contrary, since it explains (para. 227) that “the Court does
not consider the Johor reply as having a constitutive character”. But if
the effect of the letter from the Secretary of State was not to cause Johor
to lose the sovereignty it held over the island, still less transfer that
sovereignty to Singapore or to Great Britain as the colonial Power,

what possible relevance could it have to the present case? Perhaps in that
the exchange of correspondence must necessarily have alerted the authori-
ties of Johor to the fact that it was possible — or even probable — that
Singapore (or Great Britain) might be tempted to claim sovereignty over
the island, on the basis of the reply received, so that the acts performed

by the colonial authorities of Singapore — then by Singapore after its
independence —must have been more readily recognizable by Johor after
1953 as possible manifestations of sovereignty and treated accordingly.

25. By their very nature and purpose, those acts would also have had
to lend themselves to such an interpretation, that is, to being understood
as manifestations of sovereign intent.

Yet, if we examine the conduct of Singapore (or Great Britain) after
1953 — as the Judgment does from paragraph 231 onwards — we find
very few acts of this kind.

26. Under the title “The conduct of the Parties after 1953”, the Court

meticulously reviews eight types of activity performed by Singapore
(under the letters (a), (b), (c), (d), (e), (f), (i) and (j) — the other
activities considered relating to Malaysia).
In a number of cases the Court concludes that the activities concerned

were irrelevant, finally concluding that only five constitute possible mani-
festations of sovereignty. But that is a very meagre harvest.

116 La première de ces activités consiste en ce que Singapour aurait
procédé à diverses enquêtes, surtout à partir des années 1980, sur des

accidents survenus à proximité de l’île de Pedra Branca/Pulau Batu
Puteh. Mais, outre le caractère plutôt tardif de ces activités, elles
sont loin de manifester «clairement» une prétention à la souveraineté
sur l’île. Elles se rattachent plutôt aux responsabilités de Singapour
en tant que gestionnaire du phare, et à son obligation, découlant de

divers instruments conventionnels auxquels elle est partie, d’entretenir
celuici de manière à prévenir dans les meilleures conditions le danger
en mer.
En deuxième lieu, à deux reprises, en 1974 et 1978, les autorités singa-

pouriennes ont exigé que des visiteurs malaisiens, en mission plus ou
moins officielle, sollicitent une autorisation préalable afin de pénétrer
dans les «eaux territoriales» de l’île ou de se rendre sur le phare, et lesdits
visiteurs se sont pliés à cette exigence. Mais cette acceptation peut fort
bien s’expliquer par le respect dû au propriétaire du phare (Singapour,

indiscutablement), s’agissant d’une toute petite île dont la surface est
presque entièrement occupée par le phare en question. En outre, il s’agit
d’incidents mineurs, et c’est d’ailleurs à peu près à cette époque que la
Malaisie a commencé à manifester des signes d’irritation devant le com-
portement de Singapour (voir arrêt, par. 238).

En troisième lieu, les pavillons de la marine britannique puis singapou-
rienne ont été constamment déployés sur le phare. Mais la Cour elle-
même admet que le déploiement d’un pavillon, à la différence de celui
d’un drapeau national, ne constitue pas une manifestation de sou-
veraineté. Elle semble toutefois faire grief à la Malaisie de n’avoir pas

protesté, alors qu’elle l’a fait en 1968 à propos du pavillon singapou-
rien déployé sur une autre île de la même région, celle de Pulau
Pisang. Mais le fait que la Malaisie ait réagi sans nécessité à un acte
similaire accompli ailleurs ne change pas la nature de celui qui est en
cause ici, et ne saurait lui conférer un caractère de souveraineté qu’il ne

possède pas.
En quatrième lieu, en 1977, Singapour a installé du matériel de com-
munication militaire sur l’île. La Cour relève (ibid., par. 248) que «l’acte
accompli par Singapour est un acte à titre de souverain», ce que l’on peut
admettre; mais la portée de cette affirmation est singulièrement réduite

par l’indication, prudente mais parfaitement conforme à la réalité, que
«la Cour n’est pas en mesure d’évaluer la valeur probante des déclara-
tions faites par les deux Parties sur la question de savoir si la Malaisie
avait connaissance ou non de l’installation de la station relais» (de maté-
riel militaire). En conséquence, on ne saurait affirmer qu’il s’agissait là

d’une activité présentant de manière visible et manifeste un caractère de
puissance publique.
Enfin, l’autorité portuaire de Singapour a étudié en 1978 la possibilité
d’agrandir l’île en récupérant des terres sur la mer alentour et lancé à

cette fin un appel d’offres par voie de presse, sans réaction de la Malaisie.
Mais le projet a été vite abandonné, semble-t-il.

117 The first of those activities is the various investigations allegedly car-
ried out by Singapore, especially after 1980, into accidents which occurred

in the vicinity of Pedra Branca/Pulau Batu Puteh. However, apart
from the fact that this activity was somewhat belated, it is far from
“clearly” manifesting a claim to sovereignty over the island. It is more
directly linked to Singapore’s responsibilities as the operator of the
lighthouse and to its duty, under various conventions to which it is a

party, to maintain the lighthouse so as to prevent maritime hazards as
far as possible.

Secondly, on two occasions, in 1974 and 1978, the Singaporean authori-

ties required Malaysian visitors, on more or less official missions, to
request prior permission to enter the “territorial waters” of the island or
to visit the lighthouse, and the visitors complied with that requirement.
But that acceptance may very easily be explained by the respect due to
the owner of the lighthouse (Singapore, indisputably), since the island is

very small and its surface is almost entirely occupied by the lighthouse in
question. Also, these were minor incidents and it was, moreover, at
around that time that Malaysia began to display signs of irritation with
Singapore’s conduct (see Judgment, para. 238).

Thirdly, the ensigns of the British then the Singaporean Navy were
continually flown on the lighthouse. But the Court itself acknowledges
that the flying of an ensign, unlike a national flag, does not constitute a
manifestation of sovereignty. Yet it appears to reproach Malaysia for not
having protested, when it did so in 1968 at the display of the Singaporean

ensign on another island in the same region, Pulau Pisang. Yet the fact
that Malaysia reacted unnecessarily to a similar act performed elsewhere
does not change the nature of the one at issue here and cannot confer
upon it sovereignty which it does not possess.

Fourthly, in 1977, Singapore installed military communications equip-
ment on the island. The Court notes (ibid., para. 248) that “Singapore’s
action is an act à titre de souverain”, which one can accept; but the sig-
nificance of that statement is singularly diminished by the indication,

which is prudent but fully accords with reality, that “[t]he Court is not
able to assess the strength of the assertions made on the two sides about
Malaysia’s knowledge of the installation” (of military equipment). Con-
sequently, it cannot be asserted that this was an activity which was a vis-
ible and manifest display of State power.

Lastly, in 1978 the Port of Singapore Authority studied the possibility
of extending the island by reclaiming land from the surrounding sea and

launched a public tender to this end in the press, without any response
from Malaysia. However, the proposal was apparently soon abandoned.

117 V

27. Au total, les quelques actes susceptibles d’être regardés comme des
manifestations de souveraineté de la part de Singapour présentent les
deux caractéristiques communes, d’une part, d’être mineurs et sporadi-
ques, d’autre part, d’être situés dans le temps à une date fort rapprochée

de 1980, année au cours de laquelle la Malaisie a officiellement revendi-
qué la souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh et rejeté la reven-
dication singapourienne.
Aussi bien quand on les examine séparément que quand on en prend
une vue d’ensemble, les actes accomplis par Singapour ne peuvent pas

être regardés comme constituant un exercice d’autorité souveraine indis-
cutable et public contre lequel la Malaisie aurait dû protester pour pré-
server sa propre souveraineté sur l’île.
On est donc très loin de l’exercice visible, continu et pacifique des attri-

buts de la souveraineté pendant une longue période qui, par suite de
l’absence de contestation par le souverain initial, pourrait finir par don-
ner naissance à un titre légal au profit d’un nouveau souverain. Il est vrai
qu’un silence peut être éloquent, comme le dit l’arrêt (par. 121). Mais seu-
lement dans les situations où des mots auraient été nécessaires.

28. Peut-être nous objectera-t-on que sur une île de la taille de Pedra
Branca/Pulau Batu Puteh — sur laquelle, une fois le phare installé, il n’y a
guère de place pour quelque autre activité consistante — il est bien diffi-
cile de trouver de nombreux exemples d’exercice de l’autorité publique. Ne

devrait-on pas, dans ces conditions, avoir un degré d’exigence moindre,
se contenter de quelques manifestations d’autorité — même rares —
non suivies de réactions de protestation? Ne faudrait-il pas appliquer
mutatis mutandis le dictum de la Cour permanente de Justice internatio-
nale dans l’affaire du Statut juridique du Groënland oriental (Danemark

c. Norvège), selon lequel on ne saurait exiger «de nombreuses manifes-
tations d’un exercice de droits souverains» dans le cas «des revendica-
tions de souveraineté sur des territoires situés dans des pays faiblement
peuplés ou non occupés par des habitants à demeure» (arrêt, 1933,
o
C.P.J.I., série A/B n 53, p. 45-46), dictum dont cette Cour a précisé
récemment qu’il trouvait tout particulièrement à s’appliquer dans le cas
de «très petites îles inhabitées ou habitées de façon non permanente»
(Souveraineté sur Pulau Ligitan et Pulau Sipadan (Indonésie/Malaisie),
arrêt, C.I.J. Recueil 2002 , p. 682, par. 134)?

29. Notre réponse est résolument négative. La tâche du juge, dans les
deux affaires susmentionnées, consistait à attribuer la souveraineté sur un
territoire déterminé sur la base des effectivités (le cas échéant, de la mise
en balance des effectivités concurrentes), en l’absence d’un titre originaire

de souveraineté. Ici, la question est tout autre: il existe un souverain ori-
ginel — tout au moins d’après l’analyse de la Cour, à laquelle nous adhé-
rons — et il s’agit de déterminer si le titre a été transféré à un autre
souverain sans que le premier ait expressément donné son accord. Dans
un tel contexte, rien ne justifie que l’on abaisse le niveau d’exigence; car

118 V

27. In all, the few acts capable of being considered as manifestations
of sovereignty by Singapore share two characteristics: on the one hand,
they are minor and sporadic and, on the other, they occurred on dates
very close to 1980, the year in which Malaysia officially claimed sover-
eignty over Pedra Branca/Pulau Batu Puteh and rejected Singapore’s

claim.

Both when considered separately and viewed as a whole, the acts per-
formed by Singapore cannot be regarded as constituting the indisputable

and public exercise of sovereign authority against which Malaysia should
have protested in order to preserve its own sovereignty over the island.

This is thus a long way from the visible, continuous and peaceful exer-
cise of the attributes of sovereignty over a long period which, as a result

of the lack of protest by the initial sovereign, might eventually have given
rise to legal title for the new sovereign. It is true that silence may speak,
as the Judgment says (para. 121). But only in circumstances where words
would have been necessary.
28. It may be objected that on an island the size of Pedra Branca/Pu-

lau Batu Puteh — on which, once the lighthouse had been built, there is
scarcely any room for any other significant activity — it is rather difficult
to find many examples of the exercise of State authority. Should we not,
in those circumstances, reduce our requirements and settle for a few
manifestations of authority — even a very few — not followed by pro-

tests? Would it not be better to apply mutatis mutandis the dictum of the
Permanent Court of International Justice in the case concerning the
Legal Status of Eastern Greenland (Denmark v. Norway), according to
which we might be satisfied “with very little in the way of the actual exer-
cise of sovereign rights” in the case of “claims to sovereignty over areas

in thinly populated or unsettled countries” (Judgment, 1933, P.C.I.J.,
Series A/B, No. 53, p. 46), a dictum which this Court has recently said it
found particularly applicable in the case of “very small islands which are
uninhabited or not permanently inhabited” (Sovereignty over Pulau Ligi-
tan and Pulau Sipadan (Indonesia/Malaysia), Judgment, I.C.J. Reports

2002, p. 682, para. 134)?

29. Our answer is a resolute no. The Court’s task in the two cases
mentioned was to attribute sovereignty over a given territory on the basis
of effectivités (if necessary by weighing up competing effectivités)inthe

absence of an original title. Here, the issue is quite different: there is an
original sovereign — at least according to the Court’s analysis which we
endorse — and what has to be determined is whether title was transferred
to another sovereign without the first one expressly indicating its consent.

In that context, there is nothing to warrant lowering our requirements;
for it is not the effectivités in themselves which are sought, but the con-

118ce ne sont pas les effectivités en elles-mêmes que l’on recherche, c’est le

consentement (ou l’acquiescement) du souverain d’origine, qui, à défaut
d’avoir été exprimé, doit au moins pouvoir se déduire sans l’ombre d’un
doute du comportement de celui-ci. Une telle conclusion, nous dira-t-on,
sera très difficile à tirer dans le cas de petites portions de territoire inha-

bitées ou peu propices à l’activité humaine. Cela est sans doute vrai; mais
il en résultera seulement que le maintien du titre originel de souveraineté,
qui est présumé, constituera la solution juridiquement appropriée.
30. C’est, dans la présente affaire, la conclusion que la Cour, selon

nous, aurait dû tirer. Après avoir énoncé des principes bien fondés en
droit, même si leur formulation a souffert d’une certaine approximation,
la Cour s’est, dans leur mise en Œuvre, peu à peu éloignée d’eux. Elle a

raisonné plus ou moins comme elle l’aurait fait si, en l’absence de titre
originaire, elle avait dû mesurer les effectivités concurrentes des Parties.
Ce faisant, elle a suivi une pente qui ne pouvait la conduire qu’à une
conclusion que nous tenons pour erronée.

(Signé) Bruno S IMMA .

(Signé) Ronny A BRAHAM .

119sent (or acquiescence) of the original sovereign which, if it was not actu-

ally expressed, must at least be deducible without a shadow of a doubt
from its conduct. Such a conclusion, it will be countered, will be very dif-
ficult to reach in the case of small portions of territory which are un-
inhabited or ill-suited to human activity. That may well be true; but the

upshot would merely be that the maintenance of the original title to sov-
ereignty, which is presumed, would constitute the legally appropriate
solution.
30. That, in the present case, is the conclusion the Court should, in our

view, have reached. After enunciating legally well-founded principles,
albeit somewhat approximately formulated, in applying them the Court
has gradually diverged from them. Its reasoning is more or less as it
would have been if, in the absence of original title, it had had to assess

the competing effectivités of the Parties. In so doing, it has followed a
course which could only lead it to a conclusion we hold to be mistaken.

(Signed) Bruno S IMMA .
(Signed) Ronny A BRAHAM .

119

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Opinion dissidente commune des juges Simma et Abraham

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