Opinion individuelle de M. le juge Bhandari

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152-20151216-JUD-01-06-EN
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OPINION INDIVIDUELLE DE M. LE JUGE BHANDARI
[Traduction]
INTRODUCTION
1. En la présente espèce, la Cour a été saisie de deux affaires distinctes, mais connexes, qui divisent le Costa Rica et le Nicaragua concernant le fleuve San Juan, dont le tracé marque la frontière entre les deux Etats.
2. La première, relative à Certaines activités, porte notamment sur les opérations de dragage que le Nicaragua a menées dans le cours inférieur du San Juan, lequel relève de sa souveraineté jusqu’à sa rive droite, afin d’en améliorer la navigabilité.
3. La seconde, relative à la Construction d’une route, concerne la réalisation par le Costa Rica, sur son territoire, d’une route de près de 160 kilomètres de long, qui suit la rive droite du fleuve sur environ 108 kilomètres (arrêt, par. 64).
4. Ainsi que la Cour l’a exposé dans son analyse (arrêt, par. 63-64 ; 104-105 et 160-161), étant donné que le programme de dragage du San Juan inférieur mené par le Nicaragua et le projet de construction routière entrepris par le Costa Rica le long de sa rive droite constituent l’un et l’autre des travaux publics mis en oeuvre à proximité d’une frontière internationale, il existe, dans les deux cas, un risque de dommages transfrontières. Ainsi, tant dans l’affaire relative à Certaines activités que dans celle relative à la Construction d’une route, le demandeur reprochait au défendeur d’avoir omis, au mépris des obligations lui incombant au titre du droit international public, de procéder à une évaluation de l’impact sur l’environnement.
5. Bien que souscrivant à la conclusion de la majorité selon laquelle, en l’affaire relative à la Construction d’une route, le Costa Rica aurait dû procéder à pareille évaluation (arrêt, par. 104-105 et 160-162), je suis d’avis que le présent arrêt offre une excellente occasion de réfléchir à l’état actuel du droit en la matière et à la manière dont il y aurait lieu de compléter le régime applicable en vue de fournir des indications plus claires aux Etats qui envisagent d’entreprendre des projets de travaux publics de grande ampleur et susceptibles d’avoir des effets transfrontières.
6. Ainsi que je l’exposerai plus longuement ci-après, non seulement l’obligation de mener une évaluation de l’impact environnemental est aujourd’hui reconnue en droit international général, mais elle a également été codifiée par différents traités internationaux et autres textes juridiques. Il est toutefois à déplorer que, même si la nécessité d’effectuer pareille évaluation en cas de risque de dommage transfrontière est de plus en plus largement admise, le droit international public reste très laconique pour ce qui est de déterminer dans quelles circonstances l’évaluation de l’impact sur l’environnement est requise et quels doivent en être, dans chaque cas, les éléments requis.
7. Telles sont les raisons pour lesquelles j’entends proposer ici quelques pistes pour étoffer les règles du droit international public en la matière. Je me suis inspiré à cet égard des réflexions formulées par le juge Weeramantry dans l’exposé de son opinion dissidente joint à l’ordonnance rendue par la Cour relativement à la Demande d’examen en l’affaire des Essais nucléaires :
«Placée au sommet des juridictions internationales, la Cour est nécessairement investie d’une confiance et d’une responsabilité propres à l’égard des principes du
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droit de l’environnement, notamment de ceux intéressant ce que l’on qualifie en droit de l’environnement d’«indivis mondial». Lorsqu’une affaire est portée devant elle qui soulève de graves questions écologiques d’importance mondiale, et qu’il est établi prima facie que des dommages pourraient être causés à l’environnement, la Cour est fondée à prendre en considération le principe de l’évaluation de l’impact sur l’environnement pour arrêter son approche préliminaire.»1
8. Gardant à l’esprit ce constat éclairé, j’examinerai tout d’abord comment l’évaluation de l’impact sur l’environnement, en tant que mécanisme juridique, s’inscrit plus largement dans l’histoire et le régime contemporain du droit international de l’environnement. Ce contexte ainsi posé, j’analyserai ensuite les tendances actuelles du droit international public en matière d’évaluation de l’impact environnemental transfrontière, avant de proposer un certain nombre d’exigences minimales qui pourraient, à mon humble avis, servir de critères pour déterminer quelle doit être, au regard du droit international public, la substance de l’évaluation.
BREF RAPPEL HISTORIQUE DU DROIT RELATIF À L’ÉVALUATION DE L’IMPACT SUR L’ENVIRONNEMENT
9. Au cours des quelque cinquante années écoulées depuis la conférence des Nations Unies sur l’environnement humain tenue à Stockholm en 1972 (la «conférence de Stockholm»)2, d’importantes avancées ont été réalisées en droit international de l’environnement, qui tiennent notamment au développement de la recherche scientifique et des moyens technologiques qui permettent désormais à l’homme de mieux apprécier les dommages qu’il cause à son propre habitat naturel. En témoigne très clairement l’importance particulière accordée, depuis une vingtaine d’années, au changement climatique3.
10. L’émergence et la reconnaissance croissante de la nécessité d’évaluer l’impact sur l’environnement s’expliquent en partie par l’essor concomitant d’autres concepts de droit international de l’environnement tels que le développement durable, l’action préventive, l’idée d’indivis mondial, le principe de précaution et les notions de pollueur payeur et de dommage transfrontière.
Le principe du développement durable
11. Depuis plusieurs décennies, le principe du développement durable est un élément moteur du droit international de l’environnement. La conférence de Stockholm s’est ainsi conclue par l’établissement d’un rapport reconnaissant entre autres que la gestion de l’environnement a pour objet de faciliter une planification détaillée qui tienne compte des effets secondaires des activités de l’homme sur l’environnement4. Au chapitre premier de ce rapport figurait une déclaration (la «déclaration de Stockholm») posant 26 principes.
1 Demande d’examen de la situation au titre du paragraphe 63 de l’arrêt rendu par la Cour le 20 décembre 1974 dans l’affaire des Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande c. France) (Nouvelle-Zélande c. France), ordonnance du 22 septembre 1995, C.I.J. Recueil 1995, p. 345.
2 Conférence des Nations Unies sur l’environnement humain (1972), convoquée par l’Assemblée générale de l’ONU, résolution 2398 (XXIII).
3 Voir, de manière générale, Projet Gabčíkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1997, p. 7.
4 Rapport de la conférence des Nations Unies sur l’environnement, Nations Unies, doc. A/CONF.48/14/Rev.1, p. 31.
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12. Le premier de ces principes traduit implicitement l’idée du développement durable, en énonçant ce qui suit :
«L’homme a un droit fondamental à la liberté, à l’égalité et à des conditions de vie satisfaisantes, dans un environnement dont la qualité lui permette de vivre dans la dignité et le bien-être. Il a le devoir solennel de protéger et d’améliorer l’environnement pour les générations présentes et futures».
Le terme «développement durable» a été utilisé pour la première fois dans un rapport de la Commission mondiale sur l’environnement et le développement datant de 19875, communément appelé le «rapport Brundlandt»6, et la notion qu’il exprime occupe depuis une place prépondérante dans nombre de traités, de textes juridiques et de différends internationaux ayant trait au droit international de l’environnement.
13. Cette notion incarne, selon certains, le juste équilibre entre deux considérations : premièrement, la priorité qu’il convient de donner aux besoins élémentaires que sont la nourriture, les vêtements et le toit et, deuxièmement, l’existence de limites quant à la capacité de l’environnement de répondre, à l’avenir, à ces besoins7. Ainsi que le terme le laisse entendre, il s’agit de veiller à ce que l’impact environnemental oriente le développement industriel et les progrès scientifiques réalisés à l’échelle mondiale. De fait, dans l’arrêt qu’elle a rendu en l’affaire relative au Projet Gabčíkovo-Nagymaros, la Cour s’est intéressée à ce dilemme dans les termes suivants :
«Au cours des âges, l’homme n’a cessé d’intervenir dans la nature pour des raisons économiques et autres. Dans le passé, il l’a souvent fait sans tenir compte des effets sur l’environnement. Grâce aux nouvelles perspectives qu’offre la science et à une conscience croissante des risques que la poursuite de ces interventions à un rythme inconsidéré et soutenu représenterait pour l’humanité — qu’il s’agisse des générations actuelles ou futures —, de nouvelles normes et exigences ont été mises au point, qui ont été énoncées dans un grand nombre d’instruments au cours des deux dernières décennies. Ces normes nouvelles doivent être prises en considération et ces exigences nouvelles convenablement appréciées non seulement lorsque des Etats envisagent de nouvelles activités, mais aussi lorsqu’ils poursuivent des activités qu’ils ont engagées dans le passé. Le concept de développement durable traduit bien cette nécessité de concilier développement économique et protection de l’environnement.»8
L’on considère que le principe du développement durable doit guider toutes les négociations et discussions au sein de la communauté internationale en matière d’environnement9.
Le principe de l’action préventive
14. L’action préventive figure, avec le développement durable, parmi les principes fondamentaux du droit international moderne de l’environnement10. Si certains de ces principes,
5 Philippe Sands, Principles of International Environmental Law, 2e éd., 2003, p. 252.
6 «Notre avenir à tous», rapport de la Commission mondiale sur l’environnement et le développement, 1987, p. 43.
7 Ibid.
8 Projet Gabčíkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1997, p. 78, par. 140.
9 Xue Hanqin, Transboundary Damage in International Law, p. 326.
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dont le développement durable, visent à concilier les impératifs souvent contradictoires du développement industriel et de la protection de l’environnement, celui de l’action préventive porte exclusivement, quant à lui, sur la réduction des dommages susceptibles d’être causés à l’environnement11. Comme l’indique l’adjectif, l’action préventive a vocation à être mise en oeuvre avant la survenance de tout dommage environnemental. Dans l’arrêt qu’elle a rendu en l’affaire relative au Projet Gabčíkovo-Nagymaros, la Cour a reconnu l’importance de cette notion en indiquant qu’elle
«ne perd[ait] pas de vue que, dans le domaine de la protection de l’environnement, la vigilance et la prévention s’imposent en raison du caractère souvent irréversible des dommages causés à l’environnement et des limites inhérentes au mécanisme même de réparation de ce type de dommages»12.
L’indivis mondial
15. Les principes du développement durable et de l’action préventive reposent sur l’idée maîtresse voulant que les ressources de la planète fassent partie d’un patrimoine commun et que la responsabilité qui s’impose à chaque Etat à leur égard ne connaisse pas de frontière. Ces valeurs de bon voisinage et de coopération13 sont fondées sur l’adage latin sic utere tuo ut alienum non laedas14. En effet, le principe fondamental de droit international qui consacre la souveraineté de toute nation sur son territoire a pour corollaire logique que, en portant préjudice au territoire d’une autre, elle assume certaines obligations et/ou engage sa responsabilité.
16. Cet impératif de coopération trouve son expression dans le principe 24 de la déclaration de Stockholm, qui en souligne l’importance en ces termes :
«Les questions internationales se rapportant à la protection et à l’amélioration de l’environnement devraient être abordées dans un esprit de coopération par tous les pays, grands ou petits, sur un pied d’égalité.
Une coopération par voie d’accords multilatéraux ou bilatéraux ou par d’autres moyens appropriés est indispensable pour limiter efficacement, prévenir, réduire et éliminer les atteintes à l’environnement résultant d’activités exercées dans tous les domaines, et ce dans le respect de la souveraineté et des intérêts de tous les Etats.»15
10 Article 3 du projet d’articles de la Commission du droit international sur la prévention des dommages transfrontières résultant d’activités dangereuses et commentaires y relatifs (2001), cinquante-sixième session, Nations Unies, doc. A/56/10.
11 Philippe Sands, Principles of International Environmental Law, 2e éd., 2003, p. 281.
12 Projet Gabčíkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1997, p. 78.
13 Philippe Sands, Principles of International Environmental Law, 2e éd., 2003, p. 249 ; article 4 du projet d’articles de la Commission du droit international sur la prévention des dommages transfrontières résultant d’activités dangereuses et commentaires y relatifs (2001), cinquante-sixième session, Nations Unies, doc.A/56/10.
14 «Use de ton propre bien de manière à ne pas porter préjudice au bien d’autrui», Oxford Dictionary of Law, 7e éd., 2009, version en ligne (2014) [traduction du Greffe].
15 Conférence des Nations Unies sur l’environnement humain (1972), convoquée par l’Assemblée générale de l’ONU, résolution 2398 (XXIII)
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Le principe de précaution
17. Le principe de précaution vise à orienter l’élaboration et l’application du droit international de l’environnement en cas d’incertitude scientifique16. Malgré son importance, sa place en droit international demeure mouvante, bien que les valeurs essentielles qui le sous-tendent aient été consacrées par le principe 15 de la déclaration de Rio :
«Pour protéger l’environnement, des mesures de précaution doivent être largement appliquées par les Etats selon leurs capacités. En cas de risque de dommages graves ou irréversibles, l’absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l’environnement.»17
18. Au sein de la communauté internationale, une certaine confusion entoure le principe de précaution en raison des différences marquant les diverses formules utilisées pour l’exprimer dans les conventions internationales, certaines en faisant un appel à l’amélioration progressive des capacités scientifiques et des connaissances existantes18. Il a été invoqué par la Nouvelle-Zélande (ainsi que les cinq Etats intervenants) dans le cadre de la Demande d’examen de la situation au titre du paragraphe 63 de l’arrêt rendu par la Cour le 20 décembre 1974 dans l’affaire des Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande c. France)19, la Cour choisissant toutefois, dans l’ordonnance qu’elle a rendue en cette affaire, de ne pas se prononcer sur son applicabilité. Près de vingt ans plus tard, et quoiqu’elle en ait été priée par la Nouvelle-Zélande en sa qualité d’Etat intervenant, la Cour ne l’a pas davantage pris en considération dans l’analyse qu’elle a faite en l’affaire relative à la Chasse à la baleine dans l’Antarctique20, ainsi que l’ont souligné, dans l’exposé de leurs opinions individuelles respectives, le juge Cançado Trindade21 et le juge ad hoc Charlesworth22.
Le principe du pollueur payeur
19. Le principe du pollueur payeur23 peut être considéré comme un mode de répartition a posteriori des pertes causées par un incident entraînant des dommages transfrontières. Il représente en pareil cas un facteur d’efficacité économique24, en ce qu’il offre un moyen d’apprécier les actes des Etats pollueurs à l’aune de la norme de conduite associée à la responsabilité objective. Etabli
16 Philippe Sands, Principles of International Environmental Law, 2e éd., 2003, p. 267.
17 Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement, déclaration de Rio sur l’environnement et le développement, Nations Unies, doc. A/Conf.151/26 (1992).
18 Convention internationale pour la réglementation de la chasse à la baleine, signée à Washington le 2 décembre 1946, Nations Unies, Recueil des traités, vol. 161 ; convention concernant la protection des travailleurs contre les radiations ionisantes adoptée à Genève, 44e session CIT, 22 juin 1960 (entrée en vigueur le 17 juin 1962).
19 Demande d’examen de la situation au titre du paragraphe 63 de l’arrêt rendu par la Cour le 20 décembre 1974 dans l’affaire des Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande c. France) (Nouvelle-Zélande c. France), ordonnance du 22 septembre 1995, C.I.J. Recueil 1995, p. 288.
20 Chasse à la baleine dans l’Antarctique (Australie c. Japon ; Nouvelle-Zélande (intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2014, p. 226.
21 Ibid., p. 371-375, par. 60-71, opinion individuelle du juge Cançado Trindade.
22 Ibid., p. 455-456, par. 6-10, opinion individuelle du juge ad hoc Charlesworth.
23 Projet de principes sur la répartition des pertes en cas de dommage transfrontière découlant d’activités dangereuses et commentaires y relatifs, cinquante-huitième session, Nations Unies, doc. A/61/10 (2006), p. 145-147 ; Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement, déclaration de Rio sur l’environnement et le développement, Nations Unies, doc. A/Conf.151/26 (1992), principes 13 et 16.
24 Alan E. Boyle, «Making the Polluter Pay? Alternatives to State Responsibility in the Allocation of Transboundary environmental costs», in Francesco Francioni et Tulio Scovazzi (dir. publ.), International Responsibility for Environmental Harm, p. 363, 369.
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par l’Organisation de la coopération et du développement économiques (OCDE)25, ce principe n’est pas reconnu en tant que tel par le droit international général26 et a simplement valeur de ligne directrice générale en droit international public27.
Le dommage transfrontière
20. Ainsi que cela ressort des paragraphes qui précèdent, il existe en droit international de l’environnement un certain nombre de principes qui se recoupent les uns les autres et qui, bien qu’obéissant à des logiques et objectifs différents, mènent à la même conclusion : les Etats sont tenus à certaines obligations en matière d’environnement, notamment dans un contexte transfrontière. Le manquement à ces obligations envers leurs voisins peut entraîner des effets susceptibles d’être qualifiés de dommages transfrontières.
21. Il n’existe pas de définition unique du dommage transfrontière en droit international. Le projet d’articles de la Commission du droit international (CDI) sur la prévention des dommages transfrontières28 en propose une, mais demeure assez vague sur la notion correspondant à la formule «risque de causer un dommage transfrontière significatif». Selon la CDI, le dommage doit être physique et se limite aux personnes, aux biens et à l’environnement29. Le commentaire afférent fournit toutefois quelques indications sur ce point, en précisant notamment que les notions de risque et de dommage ne doivent pas être envisagées séparément mais, au contraire, conjointement :
«Aux fins des présents articles, l’expression «risque de causer un dommage transfrontière significatif» renvoie à l’effet combiné de la probabilité qu’un accident se produise et de l’ampleur de l’impact dommageable ainsi causé. Aussi est-ce l’effet combiné du «risque» et du «dommage» qui détermine le seuil.»30
La CDI explique également, dans son commentaire, le sens du terme «significatif» :
«Le terme «significatif» n’est pas sans ambiguïté et il faut se prononcer dans chaque cas d’espèce. Il implique davantage des considérations d’ordre factuel qu’une décision juridique. Il doit être entendu que «significatif» est plus que «détectable», mais sans nécessairement atteindre le niveau de «grave» ou «substantiel». Le dommage doit se solder par un effet préjudiciable réel sur des choses telles que la santé de l’homme, l’industrie, les biens, l’environnement ou l’agriculture dans d’autres Etats. Ces effets préjudiciables doivent pouvoir être mesurés à l’aide de critères factuels et objectifs.»31
25 OCDE, principes directeurs relatifs aux aspects économiques des politiques de l’environnement sur le plan international, 26 mai 1972  C(72) 128.
26 Rapport de la conférence des Nations Unies sur l’environnement, Stockholm, 5-16 juin 1972, Nations Unies, doc. A/Conf.48/14/Rev.1 ; Alan E. Boyle, «Making the Polluter Pay? Alternatives to State Responsibility in the Allocation of Transboundary environmental costs», in Francesco Francioni et Tulio Scovazzi (dir. publ.), International Responsibility for Environmental Harm, p. 363, 369 ; Brownlie’s Principles of International Law, James Crawford (dir. publ.), 7e éd., 2008, OUP, p. 359 ; Philippe Sands, Principles of International Environmental Law, 2e éd., 2003, p. 281.
27 Antonio Cassese, International Law, 2e éd., p. 492-493.
28 Projet d’articles sur la prévention des dommages transfrontières résultant d’activités dangereuses et commentaires y relatifs, cinquante-sixième session, Nations Unies, doc. A/56/10 (2001).
29 Ibid., art. 2 b).
30 Ibid., article 2, commentaire 2.
31 Ibid., commentaire 4.
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22. S’agissant du dommage transfrontière, la Cour a évoqué succinctement «l’obligation, pour tout Etat, de ne pas laisser utiliser son territoire aux fins d’actes contraires aux droits d’autres Etats»32. L’examen des différentes sources où la notion est analysée permet toutefois de dégager quatre caractéristiques : premièrement, le dommage doit résulter de l’activité humaine ; deuxièmement, il doit survenir en conséquence d’une telle activité ; troisièmement, il doit avoir des effets transfrontières dans un Etat voisin ; quatrièmement, il doit être significatif ou important33.
23. L’on peut ainsi considérer que l’obligation, faite à l’Etat qui projette des travaux publics présentant un risque de dommage transfrontière, d’évaluer leur impact sur l’environnement est une manifestation concrète de ces critères communs de plus en plus largement admise au sein de la communauté des nations. Les buts et principes de l’évaluation de l’impact sur l’environnement énoncés par le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) en 1987 et approuvés par l’Assemblée générale la même année (les «principes du PNUE») témoignent de l’importance croissante accordée à ce mécanisme, laquelle reflète elle-même l’augmentation du risque de dommages transfrontières entre Etats voisins34. Par ailleurs, lorsque, à la conférence des Nations Unies tenue à Rio de Janeiro en 1992 et communément désignée «Sommet de la Terre», a été adoptée la déclaration sur l’environnement et le développement (la «déclaration de Rio»)35, l’obligation d’entreprendre une évaluation de l’impact sur l’environnement avait déjà été énoncée dans de nombreux textes juridiques internationaux36.
24. Si cette obligation jouit aujourd’hui d’une reconnaissance accrue en droit international, il s’avère toutefois difficile d’en discerner les règles procédurales et substantielles précises. En effet, le régime actuel en la matière est constitué d’une mosaïque de textes internationaux, parmi lesquels des résolutions de l’Assemblée générale des Nations Unies37, les principes du PNUE38, la déclaration de Rio39 et un certain nombre de conventions multilatérales40.
25. Ainsi, au lieu d’en définir la substance, la déclaration de Rio indique simplement qu’«[u]ne étude d’impact sur l’environnement, en tant qu’instrument national, doit être entreprise
32 Détroit de Corfou (Royaume-Uni c. Albanie), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1949, p. 22
33 O. Schachter, International Law in Theory and Practice, 1991, p. 366-368, cité dans Xue Hanqin, Transboundary Damage in International Law, p. 4.
34 Buts et principes de l’évaluation de l’impact sur l’environnement adoptés par le PNUE à sa quatorzième session, Nations Unies, doc. UNEP/GC/14/25 (1987), et approuvés par l’Assemblée générale par sa résolution A/RES/42/184 (1987), p. 1.
35 Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement, déclaration de Rio sur l’environnement et le développement, Nations Unies, doc. A/Conf.151/26 (1992).
36 Convention sur la diversité biologique, signée à Rio de Janeiro le 5 juin 1992, Nations Unies, Recueil des traités, vol. 1760, p. 79 ; convention des Nations Unies sur le droit de la mer, signée à Montego Bay le 10 décembre 1982, Nations Unies, Recueil des traités, vol. 1833, p. 320.
37 Coopération entre les Etats dans le domaine de l’environnement, résolution 2995 (XXVII) de l’Assemblée générale, Nations Unies, documents officiels de l’Assemblée générale, vingt-septième session, supplément n°30 (1972), par. 2.
38 PNUE, principes en matière de conservation et d’utilisation harmonieuse des ressources naturelles partagées par deux ou plusieurs Etats, ILM, vol. 17, p. 1094, Nations Unies, doc. UNEP/IG.12/2 (1978), principe 4 ; buts et principes de l’évaluation de l’impact sur l’environnement adoptés par le PNUE à sa quatorzième session, Nations Unies, doc. UNEP/GC/14/25 (1987), et approuvés par l’Assemblée générale par sa résolution A/RES/42/184 (1987).
39 Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement, déclaration de Rio sur l’environnement et le développement, doc. A/Conf.151/5/Rev.1 (1992), principe 17.
40 Convention sur la diversité biologique, signée à Rio de Janeiro le 5 juin 1992, Nations Unies, Recueil des traités, vol. 1760, p. 79 ; convention des Nations Unies sur le droit de la mer, signée à Montego Bay le 10 décembre 1982, Nations Unies, Recueil des traités, vol. 1833, p. 320.
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dans le cas des activités envisagées qui risquent d’avoir des effets nocifs importants sur l’environnement et dépendent de la décision d’une autorité nationale compétente.»41
26. Les principes établis par le PNUE ne sont guère plus explicites et se bornent à définir l’évaluation de l’impact environnemental comme un «processus visant à déterminer, prévoir, interpréter et faire connaître les effets que pourrait avoir sur l’environnement une activité projetée ou programmée»42.
27. L’on peut également citer la convention sur la diversité biologique43, conclue elle aussi à la suite du Sommet de la Terre tenu à Rio de Janeiro44 et dont sont signataires les deux Parties à la présente affaire. Cette convention énonce l’obligation d’évaluer l’impact sur l’environnement de tout projet susceptible de «nuire sensiblement à la diversité biologique»45, sans toutefois en préciser les conséquences pratiques.
28. Enfin, dans l’arrêt qu’elle a rendu en 2010 dans l’affaire relative à des Usines de pâte à papier et auquel il a été accordé une grande importance dans le présent arrêt, la Cour s’est référée à
«une pratique acceptée si largement par les Etats ces dernières années que l’on peut désormais considérer qu’il existe, en droit international général, une obligation de procéder à une évaluation de l’impact sur l’environnement lorsque l’activité industrielle projetée risque d’avoir un impact préjudiciable important dans un cadre transfrontière, et en particulier sur une ressource partagée. De plus, on ne pourrait considérer qu’une partie s’est acquittée de son obligation de diligence, et du devoir de vigilance et de prévention que cette obligation implique, dès lors que, prévoyant de réaliser un ouvrage suffisamment important pour affecter le régime du fleuve ou la qualité de ses eaux, elle n’aurait pas procédé à une évaluation de l’impact sur l’environnement permettant d’apprécier les effets éventuels de son projet.
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La Cour estime par ailleurs qu’une évaluation de l’impact sur l’environnement doit être réalisée avant la mise en oeuvre du projet. En outre, une fois les opérations commencées, une surveillance continue des effets dudit projet sur l’environnement sera mise en place, qui se poursuivra au besoin pendant toute la durée de vie du projet.»46
Dans le même passage de l’arrêt, la Cour a toutefois ajouté qu’elle
«estime qu’il revient à chaque Etat de déterminer, dans le cadre de sa législation nationale ou du processus d’autorisation du projet, la teneur exacte de l’évaluation de
41 Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement, déclaration de Rio sur l’environnement et le développement, Nations Unies, doc. A/Conf.151/5/Rev.1 (1992), principe 17.
42 PNUE, buts et principes de l’évaluation de l’impact sur l’environnement, p. 1.
43 Signée à Rio de Janeiro le 5 juin 1992, Nations Unies, Recueil des traités, vol. 1760, p. 79.
44 Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement, déclaration de Rio sur l’environnement et le développement, Nations Unies, doc. A/Conf.151/26 (1992).
45 Convention sur la diversité biologique, signée à Rio de Janeiro le 5 juin 1992, Nations Unies, Recueil des traités, vol. 1760, p. 79, art. 14, par. 1.
46 Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), arrêt, C.I.J. Recueil 2010 (I), p. 83, par. 204-205.
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l’impact sur l’environnement requise dans chaque cas en prenant en compte la nature et l’ampleur du projet en cause et son impact négatif probable sur l’environnement, ainsi que la nécessité d’exercer, lorsqu’il procède à une telle évaluation, toute la diligence requise.»47
29. L’on voit donc que, dans son arrêt en l’affaire relative à des Usines de pâte à papier, la Cour a érigé en obligation au titre du droit international général, dès lors que certaines conditions sont réunies, la pratique consistant à effectuer une évaluation de l’impact sur l’environnement, tout en renvoyant au droit interne pour ce qui est des exigences applicables à la façon de procéder et à la substance de l’évaluation. L’on serait fondé à soutenir, étant donné le peu d’orientations fournies par la Cour et les autres sources de droit international, qu’il n’existe aujourd’hui aucune norme minimale contraignante de droit international public en matière d’évaluation de l’impact sur l’environnement.
30. L’incertitude entourant ce que doit faire un Etat, en droit international, pour s’acquitter de la charge que lui imposent ces différentes sources en matière d’évaluation de l’impact environnemental tient peut-être à la difficulté de définir précisément la portée des obligations qui en découlent, difficulté que certains juristes expliquent par la dimension politique de l’évaluation48. En tout état de cause, la situation actuelle est loin d’être idéale.
LES EXIGENCES MINIMALES DE L’ÉVALUATION DE L’IMPACT SUR L’ENVIRONNEMENT EN DROIT INTERNATIONAL PUBLIC CONTEMPORAIN
31. Pour définir l’état actuel du droit sur ce point, il convient de procéder à l’inventaire des différents textes juridiques internationaux imposant aux Etats de conduire une évaluation de l’impact sur l’environnement, pour ensuite faire la synthèse des obligations qui en découlent. Même s’il y a peu d’éléments à tirer du droit international général ou des textes contraignants ou incitatifs, ainsi que le montrent les paragraphes 147-155 du présent arrêt, il existe trois étapes essentielles à respecter. La première consiste à mener une évaluation préliminaire pour apprécier la probabilité de dommages transfrontières. En la présente affaire, on voit que la Cour, ayant pris en considération l’ampleur du projet routier et la géographie locale, a conclu que le Costa Rica était tenu de ce faire pour mesurer la probabilité que des dommages soient causés au fleuve San Juan (arrêt, par. 155). Lorsque l’évaluation préliminaire révèle qu’il existe un risque de dommage transfrontière important, l’Etat promoteur n’a d’autre choix que de procéder à une évaluation en bonne et due forme de l’impact sur l’environnement. La production concrète du rapport en découlant, qui constitue la deuxième étape du processus, s’accompagne d’un certain nombre d’obligations connexes d’ordre procédural telles que la notification et la consultation dues à l’Etat voisin affecté (arrêt, par. 168). La troisième et dernière étape est celle de l’évaluation a posteriori (arrêt, par. 161), conformément au raisonnement suivi par la Cour dans l’arrêt rendu en l’affaire relative à des Usines de pâte à papier, où elle a dit que, «une fois les opérations commencées, une surveillance continue des effets dudit projet sur l’environnement sera mise en place, qui se poursuivra au besoin pendant toute la durée de vie du projet»49.
32. L’analyse effectuée par la Cour sur ce point me paraît incomplète en ce qu’elle n’indique pas précisément quelles sont les obligations associées à la deuxième étape du processus. C’est pour
47 Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), arrêt, C.I.J. Recueil 2010 (I), p. 83-84, par. 205.
48 Neil Craik, The International Law of Environmental Impact Assessment, CUP, 2008, p. 3-6.
49 Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), arrêt, C.I.J. Recueil 2010 (I), p. 83-84, par. 205.
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tenter de remédier à cette lacune que je me permets de formuler ici quelques propositions concernant les exigences minimales auxquelles devrait satisfaire l’Etat qui effectue une évaluation de l’impact sur l’environnement. A cet égard, la convention sur l’évaluation de l’impact sur l’environnement dans un contexte transfrontière (la «convention d’Espoo»)50 établie par la Commission économique pour l’Europe de l’ONU expose de manière remarquable, à mon sens, la démarche à adopter, même si j’admets volontiers qu’il s’agit avant tout d’un texte de portée régionale conçu pour réglementer les dommages transfrontières dans le contexte européen. Le droit international reposant sur le principe fondamental du consentement entre Etats nations et étant donné que la présente affaire s’est fait jour dans le contexte géopolitique de l’Amérique latine, j’ai bien conscience que l’on ne peut se contenter d’imposer les obligations découlant de ce traité régional à des Etats d’autres régions du monde qui n’y sont pas parties. On a d’ailleurs reproché à la convention d’Espoo d’énoncer des obligations découlant du droit interne des pays les plus développés, ce qui rend sa ratification problématique51.
33. Compte tenu non seulement de ces critiques légitimes, mais également du fait qu’elle comporte une disposition en ouvrant l’adhésion aux Etats non européens52, j’estime que la convention d’Espoo pourrait servir de norme de référence, la communauté des nations ayant tout intérêt à s’inspirer des orientations novatrices et progressistes qu’elle propose, en vue d’établir un régime mondial plus complet en ce qui concerne les éléments essentiels de l’évaluation de l’impact environnemental transfrontière en droit international public. Si la communauté internationale devait se mobiliser pour la mise en place d’un accord en la matière, la convention d’Espoo offrirait, selon moi, un excellent point de départ.
APERÇU DE LA CONVENTION D’ESPOO
34. J’examinerai à présent certaines des caractéristiques de la convention Espoo qui me paraissent importantes et qui correspondent à ce que l’on peut considérer comme des «pratiques optimales» en matière d’évaluation de l’impact environnemental transfrontière.
35. Le paragraphe 6 de l’article 2 de la convention souligne avec insistance l’importance de la participation de la ou des populations éventuellement concernées. Telle qu’elle est énoncée par la convention, cette obligation exige de l’Etat promoteur qu’il veille à la participation non seulement de sa propre population, mais également de celle de l’Etat voisin susceptible d’être touché. Cette condition relative à la participation publique met en exergue l’importance accrue qu’accorde désormais le droit international à l’individu53. Elle fait fond sur des énoncés figurant déjà dans le principe 10 de la déclaration de Rio54, mais il convient de relever que, dans l’arrêt
50 Nations Unies, Recueil des traités, vol. 1989, p. 309.
51 John H. Knox, «Assessing the Candidates for a Global Treaty on Transboundary Environmental Impact Assessment», NYU Environmental Law Journal, vol. 12, 2003, p. 153.
52 Rapport de la deuxième réunion [des parties à la convention sur l’évaluation de l’impact sur l’environnement dans un contexte transfrontière], Nations Unies, doc. ECE/MP.EIA/4, 2001, p. 144, annexe XIV.
53 Simon Marsden, «Public Participation in Transboundary Environmental Impact Assessment: Closing the Gap between international and Public Law», in Brad Jessup et Kim Rubenstein, Environmental Discourses in Public and International Law, p. 238.
54 Principe 10 :
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qu’elle a rendu en l’affaire relative à des Usines de pâte à papier, la Cour s’est refusée à reconnaître l’existence d’une obligation de consultation des populations concernées55.
36. L’article 3 de la convention impose une obligation de notification envers l’Etat voisin susceptible d’être concerné par tout projet risquant d’avoir un «impact transfrontière préjudiciable important». Il va sans dire que la portée de l’obligation découlant de cette formule prête à controverse, l’Etat d’origine pouvant toujours faire valoir que l’impact n’est ni préjudiciable ni important, et échapper ainsi à l’application de l’article 3. Il semble que, dans le présent arrêt, la Cour ait retenu un critère analogue, soit l’existence d’un «risque d’impact préjudiciable important» (par. 167). L’article précité énumère par ailleurs toutes les informations que l’Etat doit fournir à son voisin. Son paragraphe 7 précise que, en cas de désaccord sur le point de savoir si une activité aura un impact important, la question est tranchée par une commission d’enquête.
37. Aux termes de l’article 5 de la convention, des consultations doivent être menées avec l’Etat touché, dans le cadre desquelles ce dernier peut adresser à l’Etat d’origine des recommandations visant à réduire ou à éliminer l’impact préjudiciable, ce qui permet de favoriser un règlement amiable des différends et des problèmes susceptibles de surgir.
38. Selon l’article 6 de la convention, il convient de tenir dûment compte de la conclusion à laquelle aboutit l’évaluation de l’impact environnemental au moment de prendre la décision définitive concernant l’activité proposée, cette décision devant être transmise à la partie touchée avec l’ensemble des motifs et considérations sur lesquels elle repose.
39. L’article 15 de la convention porte sur le règlement des différends pouvant se faire jour entre les parties, lesquels sont soumis à l’arbitrage ou tranchés par la Cour. On ne peut que regretter l’absence de disposition spécifique en matière de réparation ou d’indemnisation.
40. Il importe d’ajouter que l’appendice I fournit une liste non exhaustive d’activités dont l’impact sur l’environnement doit être évalué selon les modalités prévues à l’appendice II. Il est donc utile, en vue de dégager les exigences minimales en la matière, de se référer à l’appendice II de la convention, qui énumère les éléments de l’évaluation. L’appendice III propose par ailleurs des lignes directrices pour déterminer si une activité relève de la liste figurant à l’appendice I.
PROPOSITIONS CONCERNANT LES EXIGENCES MINIMALES APPLICABLES EN DROIT INTERNATIONAL À L’ÉVALUATION DE L’IMPACT SUR L’ENVIRONNEMENT
41. La présente partie expose un certain nombre d’exigences minimales à respecter en l’absence de législation interne applicable concernant l’évaluation de l’impact sur l’environnement. Ces exigences traduisent, pour l’essentiel, mon inclination en faveur de la démarche ambitieuse
«La meilleure façon de traiter les questions d’environnement est d’assurer la participation de tous les citoyens concernés, au niveau qui convient. Au niveau national, chaque individu doit avoir dûment accès aux informations relatives à l’environnement que détiennent les autorités publiques, y compris aux informations relatives aux substances et activités dangereuses dans leurs collectivités, et avoir la possibilité de participer aux processus de prise de décision. Les Etats doivent faciliter et encourager la sensibilisation et la participation du public en mettant les informations à la disposition de celui-ci. Un accès effectif à des actions judiciaires et administratives, notamment des réparations et des recours, doit être assuré.»
55 Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), arrêt, C.I.J. Recueil 2010 (I), p. 86-87, par. 215-219 : «La Cour estime qu’aucune obligation juridique de consulter les populations concernées ne découle pour les Parties des instruments invoqués par l’Argentine» (par. 216).
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adoptée dans la convention d’Espoo. Mais plutôt que d’imposer à tous les pays, indépendamment de leur situation propre, des conditions minimales calquées sur les obligations parfois lourdes qu’énonce ce traité, j’ai préféré présenter ce qui, après mûre réflexion, constitue à mon sens le plus petit dénominateur commun à retenir pour l’évaluation de l’impact sur l’environnement. A ces exigences minimales correspondent des obligations de nature tant procédurale que substantielle. En matière d’évaluation de l’impact environnemental, les obligations d’ordre procédural se rapportent selon moi aux modalités de temps et autres de l’évaluation, tandis que les obligations de fond concernent ce qui doit être fait dans ce cadre.
Obligations de nature procédurale
42. Les aspects procéduraux de l’obligation d’évaluer l’impact environnemental dépendent de la question de savoir quand il y a lieu d’y procéder. A l’heure actuelle, l’évaluation est requise lorsqu’il existe un «risque d’impact préjudiciable important» (arrêt, par. 167). L’Etat projetant une activité pourrait soutenir que le risque de dommage n’est pas important et qu’il n’existe, par conséquent, aucune obligation de conduire une évaluation. Or, pour contrer la tentation de minimiser le risque posé, la meilleure solution est, selon moi, celle retenue dans la convention d’Espoo, qui énumère certains types d’activités exigeant systématiquement l’évaluation de l’impact environnemental lorsque le projet en question est à mettre en oeuvre à proximité d’une frontière internationale. Je rappellerai à cet égard que, ainsi que je l’ai fait observer ci-dessus, l’appendice I de la convention d’Espoo recense un certain nombre d’activités requérant automatiquement une évaluation56. Le fait qu’un projet ne soit pas mentionné dans la liste ne signifie toutefois pas qu’il échappe à cette obligation. Il peut ainsi exister d’autres types d’activités qui, bien que non envisagées à l’appendice I de la convention d’Espoo, sont susceptibles de causer indirectement la production de polluants ou d’effluents dangereux et doivent, elles aussi, être tenues pour préjudiciables et déclenchant l’obligation d’en évaluer l’impact environnemental. L’appendice III de la convention d’Espoo définit, à cet effet, des critères généraux à appliquer pour déterminer l’incidence des activités sur l’environnement.
43. Lorsqu’il est établi qu’une activité donnée nécessite la réalisation d’une évaluation de l’impact sur l’environnement, l’Etat est admis, pour s’exonérer de son obligation à cet égard, à invoquer certaines circonstances telles que les catastrophes naturelles, les accidents nucléaires, le
56 1. Raffineries de pétrole ; 2. Centrales thermiques et nucléaires ; 3. Tout ouvrage nécessitant ou utilisant des éléments nucléaires (à quelque fin que ce soit, en tant que combustibles, pour le stockage ou en tant que matières fissiles) ; 4. Elaboration de la fonte et de l’acier ; 5. Tout ouvrage nécessitant ou utilisant de l’amiante à quelque fin que ce soit ; 6. Installations chimiques intégrées ; 7. Construction d’autoroutes, de routes expresses, de lignes de chemin de fer, d’aéroports dotés d’une piste principale d’une longueur égale ou supérieure à 2 100 mètres ; 8. Canalisations de grande section pour le transport d’hydrocarbures ou de produits chimiques ; 9. Ports de commerce ainsi que voies d’eau intérieures et ports fluviaux permettant le passage de bateaux de plus de 1 350 tonnes ; 10. Installations d’élimination des déchets toxiques et dangereux par incinération, traitement chimique ou mise en décharge, et installations d’élimination de déchets non dangereux par incinération ou traitement chimique d’une capacité de plus de 100 tonnes par jour ; 11. Grands barrages et réservoirs ; 12. Travaux de captage d’eaux souterraines ou de recharge artificielle des eaux souterraines lorsque le volume annuel d’eau à capter ou à recharger atteint ou dépasse 10 millions de mètres cubes ; 13. Installations de fabrication de papier, de pâte à papier et de carton produisant 200 tonnes séchées à l’air par jour ou plus ; 14. Exploitation de mines et de carrières sur une grande échelle, extraction et traitement sur place de minerais métalliques ou de charbon ; 15. Production d’hydrocarbures en mer et extraction de pétrole et de gaz naturel à des fins commerciales, lorsque les quantités extraites dépassent quotidiennement 500 tonnes de pétrole et 500 000 mètres cubes de gaz ; 16. Grandes installations de stockage de produits pétroliers, pétrochimiques et chimiques ; 17. Déboisement de grandes superficies ; 18. Ouvrages servant au transvasement de ressources hydrauliques entre bassins fluviaux ; 19. Installations de traitement des eaux résiduaires d’une capacité supérieure à 150 000 équivalents-habitants ; 20. Installations destinées à l’élevage intensif de volailles ou de porcs et disposant de plus de 85 000 emplacements pour poulets, de 60 000 emplacements pour poules, de 3 000 emplacements pour porcs de production (de plus de 30 kg) ou de 900 emplacements pour truies ; 21. Construction de lignes aériennes de transport d’énergie électrique d’une tension de 220 kV ou plus et d’une longueur de plus de 15 km ; 22. Grandes installations destinées à l’exploitation de l’énergie éolienne pour la production d’énergie (parcs d’éoliennes).
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terrorisme, les troubles intérieurs ou l’état d’urgence. Il lui incombe alors de démontrer les faits allégués et ce, selon un critère élevé d’établissement de la preuve.
44. Il y a lieu de rappeler qu’une entreprise privée peut elle aussi être à l’origine d’un projet à mettre en oeuvre à proximité d’une frontière. Il est alors de la responsabilité de l’Etat sur le territoire duquel l’activité est projetée de procéder à une évaluation de l’impact sur l’environnement et d’en informer l’Etat risquant d’être touché. De fait, lorsqu’une partie privée entreprend un projet relevant de l’une des catégories de l’appendice I de la convention d’Espoo ou d’un secteur industriel producteur de polluants ou d’effluents dangereux, il incombe à l’Etat sur le territoire duquel le projet est mis en oeuvre de veiller à ce qu’une évaluation de l’impact sur l’environnement soit réalisée et que les résultats en soient dûment communiqués à l’Etat voisin susceptible d’être concerné, sa responsabilité internationale étant dès lors engagée, indépendamment de la nature privée du projet.
Obligations de fond
45. Ainsi qu’il a été souligné ci-dessus, le droit international public n’établit pas précisément quelle doit être la substance de l’évaluation de l’impact sur l’environnement. Il est toutefois possible, en se référant aux documents précités, de dégager certaines exigences minimales auxquelles il doit être satisfait à cet égard.
46. Le principe 4 du PNUE précise ainsi que l’évaluation de l’impact environnemental doit comporter à tout le moins les éléments suivants :
«a) description de l’activité proposée ;
b) description de l’environnement susceptible d’être touché, avec mention des renseignements nécessaires pour déterminer et évaluer les effets de l’activité proposée sur l’environnement ;
c) description des solutions de rechange possibles, s’il en est ;
d) évaluation des effets probables ou potentiels de l’activité proposée et des éventuelles solutions de rechange sur l’environnement, y compris les effets directs, indirects, cumulatifs, à court terme et à long terme ;
e) énumération et description des mesures disponibles en vue d’atténuer les effets préjudiciables de l’activité proposée et des éventuelles solutions de rechange sur l’environnement, avec évaluation de ces mesures ;
f) indication des lacunes en matière de connaissances et des incertitudes rencontrées dans la collecte de l’information nécessaire ;
g) indication, s’il y a lieu, de ce que l’environnement de tout autre Etat ou de régions ne relevant pas du ressort national risque d’être touché par l’activité proposée ou par les éventuelles solutions de rechange ;
h) bref résumé non technique de l’information fournie au titre des rubriques précédentes.» [Traduction du Greffe.]
Il y a lieu de relever que ces conditions ne sont pas aussi strictes que celles qu’énonce la convention d’Espoo, laquelle exige certaines informations complémentaires, dont l’objectif du
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projet57, ainsi que les solutions de remplacement envisageables, y compris la renonciation à la mise en oeuvre du projet58. Au titre des obligations de fond, la convention d’Espoo requiert en outre que l’Etat envisageant une activité fournisse une «indication précise des méthodes de prévision et des hypothèses de base retenues ainsi que des données environnementales pertinentes utilisées»59. Enfin, elle exige un aperçu des modalités de l’analyse a posteriori du projet60.
Conclusion
47. Ainsi que je l’ai exposé en détail, on ne peut que regretter que le droit international de l’environnement, en son état actuel, ne définisse pas précisément les étapes processuelles et les éléments de fond de l’évaluation de l’impact environnemental qui doit être réalisée lorsqu’il existe un risque de dommage transfrontière. Il incombe, de mon point de vue, à la communauté internationale de se mobiliser en vue d’élaborer un régime juste, pragmatique et complet en la matière pour remédier à cette lacune. Les propositions que j’ai faites ici s’inspirent des principes du développement durable, de l’action préventive et de l’indivis commun, et traduisent les valeurs fondamentales de consensus, de coopération et de relations amiables entre les nations qui sont celles du droit international.
48. Après mûre réflexion, j’estime que les exigences minimales évoquées ci-dessus devraient être énoncées dans une convention internationale complète et de portée mondiale, étant donné que l’évaluation de l’impact sur l’environnement correspond à un principe général de droit international applicable à tous les Etats.
(Signé) Dalveer BHANDARI.
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57 Convention d’Espoo, appendice II, point a).
58 Ibid., point b).
59 Ibid., point f).
60 Ibid., point h).

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Opinion individuelle de M. le juge Bhandari

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