Opinion individuelle de M. Rezek, juge

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121-20020214-JUD-01-06-EN
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121-20020214-JUD-01-00-EN
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OPINION INDIVIDUELLE DE M. REZEK

Préséance logique desquestions de compétencesur les questions d'inzmunités
- Elfe/ de I'esclirsion des que.stion.vde conzpétencedes conc1usion.sjnules du
Congo -- Territorialitéet dèfensc~de certains biensjuridiqi1e.rcomrnerèglesklk-
nientuires de conipétence- Ncrtionalitéactive et pcissivecomnir règles decorn-
pktence cornplémentuirrs - Esercice de la conipétencep41iulesans aucune cir-
constance de rattachernc,ntuil,for non encore ci~itoriskeen droit international-
Sj>.stèn~ientertlcitionalde coopércitionpour lu répression ducrime.

1. Je suis persuadé que j'écrisen ce moment une opinion dissidente,
bien qu'elle doiveêtreclasséeparmi les opinions individuelles du fait que
son auteur a voté en faveur de l'ensemble du dispositif de l'arrêt.
J'approuve, comme la majorité des membres de la Cour, tout ce qui est
dit dans le dispositif, car le traitement de la question de I'immunitéme
paraît conforme a l'étatdu droit. Je regrette pourtant qu'une majoriténe
se soit pas forméesur le point essentiel du problème posé ala Cour.

2. Aucune immunitén'est absolue, dans aucun ordre juridique. Toute
immunités'inscrit forcémentdans un cadre donné, et aucun sujet de droit
ne saurait bénéficierd'une immunitédans l'abstrait. Ainsi peut-on invo-
quer une immunité vis-à-vis d'une juridiction nationale donnée et non
pas a l'égardd'une autre. De même,une immunité peut déployerses
effets vis-à-vis de juridictions internes, mais pas à l'égardd'une juridic-
tion internationale. Dans le cadre d'un ordre juridique donné,une immu-
nitépeut êtreinvoquéea l'encontre de lajuridiction pénale mais pas de la

juridiction civile, ou biena l'encontre de lajuridiction ordinaire mais pas
d'un for spécial.
3. La question de la compétenceprécèdedonc nécessairementcelle de
I'immunité. Les deux questions ont en outre fait largement l'objet du
débat, tant au niveau des piècesécritesque lors de la procédure orale,
entre les Parties. Le fait que,dans sesconclusions finales, le Congo sesoit
limité a inviter la Cour ii rendre une décisionfondéesur l'immunitéde
son ancien ministre vis-à-vis du for interne de la Belgique ne justifie pas
l'abandon par la Cour de ce qui constitue une prémisse inexorable à

l'examen de la question de l'immunité.Il n'est ici aucunement question de
retenir l'ordredes questions soumises a l'examen de la Cour mais d'obser-
ver l'ordre logique qui, en toute rigueur, s'impose. Autrement, on glisse
vers un règlementpar la Cour de la question de savoir si l'immunitéexis-
terait ou non au cus où lu justice belge st~rcricornp itente...
4. En statuant au préalablesur la question de la compétence,la Cour
aurait eu l'occasion de rappeler que l'exercice de la juridiction pénale92 MANDAT D'ARRET (OP. [ND. REZEK)

interne, sur la seule base du principe de la justice universelle, présente
nécessairement un caractère subsidiaire et qu'il y a de substantielles rai-
sons pour cela. D'abord, il est admis qu'aucun for n'est aussi qualifié
pour conduire a son terme, comme il convient, un procès pénal,que celui
du lieu des faits, ne serait-ce que par la proximité des preuves, la connais-
sance plus approfondie des inculpés et des victimes, la perception plus
nette de toutes les circonstances du cadre délictueux. Cesont des raisons
d'ordre plus politique que pratique qui conduisent plusieurs systèmes
internes à placer juste après le principe de laterritorialitun autre fon-
dement de compétence pénalequi s'affirme sans égard au lieu des faits,
celui de la défense de certuins biens juridiques particulièrement chers a
1'Etat :la vie et l'intégritédu souverain, le patrimoine public, l'adminis-
tration publique.

5. En dehors de ces deux principes élémentaires,la complémentarité
devient la règle :dans la plupart des pays, l'action pénale est possiblesur
la base des principes de lanationaliti. actiou passive, lorsque I'onest en
présencede crimes commis à l'étranger,ayant pour auteurs ou pour vic-
times des ressortissants de1'Etatdu for, mais a la condition que, dans les
cas susmentionnés, le procès n'ait pas eu lieu ailleurs, dans un Etat dont
la compétence pénale s'imposerait tout naturellement, et que l'accusése
trouve sur le territoire de1'Etatdu for, dont il est lui-même un ressortis-
sant. ou bien aue tel soit le cas de ses victimes.
6. L'activisme qui pourrait mener un Etat à rechercher hors de son ter-
ritoire, par la voie d'une demande d'extradition ou d'un mandat d'arrêt
international, une personne qui aurait été accusée de crimes définis en
termes de droit des gens, mais sans aucune circonstance de rattachement
au for, n'est aucunement autorisé par le droit international en son état
actuel. C'est avec une forte dose de présomption qu'est posée laquestion
de savoir si la Belgique ne serait pas «obligée»d'engager l'action pénale

dans l'espèce. Cequi n'est pas autorisé ne peut pas, à fortiori, êtreobli-
gatoire. Le défendeurn'a pas apporté la preuve qu'il existe un seul autre
Etat qui, dans de pareilles circonstances, aurait déjàdonnélibre cours à
une action pénale, même si I'on fait abstraction du problème de I'immu-
nité de l'inculpé.Il n'y a pas de ((droit coutumier en formation)) qui
découlede l'action isoléed'un Etat ;iln'y a pas,à l'état embryonnaire, de
règlecoutumière en gestation, mêmesi la Cour, en traitant la question de
la compétence, acceptait de donner suite a la demande du défendeur qui
la prie de ne pas enrayer le processus de formation du droit.
7. L'article 146de la convention de Genèvede 1949(IV), sur la protec-
tion des personnes civiles en temps de guerre (article qui se trouve aussi
dans les trois autres conventions de 1949), est, de toutes les normes du
droit conventionnel existant, celle dont le texte serait le plus susceptible
de conforter le point de vue du défendeurlorsqu'il fonde l'exercicede la
juridiction pénalesur la seule base du principe de la compétence univer-
selle.Cette disposition invite les Etaasrechercher, livrer oujuger les per-

sonnes inculpées des crimes prévusdans les conventions en cause. Néan-
moins, a part le fait que le cas d'espèce échappe au strict champ93 MANDAT D'ARRET (OP. IND. REZEK)

d'application des conventions de 1949, Mme Chemillier-Gendreau a rap-
pelé,pour comprendre le sens de la norme, l'enseignement d'un des plus
notables spécialistesdu droit pénal international (et du droit internatio-
nal pénal),le doyen Claude Lombois :

((Là où cette condition n'est pas formulée,on ne peut quela sous-
entendre :comment un Etat pourrait-il rechercher un criminel sur
un autre territoire que le sien ?Le livrer, s'iln'est pas présentsur son
territoire? Recherche comme livraison supposent des actes de

contrainte, liésà des prérogatives de puissance publique souveraine,
qui ont le territoire pour limite spatiale.>)'

8. Il est impératif que tout Etat se demande, avant d'essayer de faire
avancer le droit des gens dans une direction qui va à l'opposé de certains
principes qui régissent encore de nos jours les relations internationales,
quelles seraient les conséquences de la conversion d'autres Etats, éven-
tuellement d'un grand nombre d'autres Etats à une pareille pratique.
Cela n'est pas sans raison que les Parties ont discutédevant la Cour la
question de savoir quelle aurait étéla réactionde certains pays européens

si un juge du Congo avait inculpé leurs gouvernants pour des crimes
supposés commis par eux ou sur leurs ordres en Afrique2.
9. Une hypothèse encore plus adéquate pourrait servir de contrepoint
au cas d'espèce. Il y a bien des juges dans l'hémisphèreSud, non moins
qualifiésque M. Vandermeersch et comme lui imbus de bonne foi et d'un
amour profond des droits de l'homme et des droits des peuples, qui

n'hésiteraient point à lancer des actions pénalescontre plusieurs gouver-
nants de l'hémisphèreNord au titre d'épisodes militaires récents, surve-
nus tous au nord de l'équateur. Leur connaissance des faits n'est pas
moins compléte ni moins impartiale que celle que le for de Bruxelles
entend possédersur les événementsde Kinshasa. Pourquoi cesjuges font-
ils preuve de retenue ?Parce qu'ils ont conscience de ce que le droit inter-

national n'autorise pas l'affirmation d'une compétencepénaledans un tel
cadre.Parce qu'ils savent que leursgouvernements nationaux, àla lumière
de cette réalitéjuridique, n'appuieraient jamais, sur le plan international,
de telles initiatives. Si l'application du principe de la compétence univer-
selle ne présuppose pas la présencede la personne accuséesur le territoire
de I'Etat du for, toute coordination devient impossible et c'est bienle sys-
tème international de coopération pour la répression du crime qui

s'effondre'. Il importe que le règlement, sur le plan interne, de ques-
tions de cet ordre et par conséquent la conduite des autorités de chaque
Etat s'accordent avec l'idéed'une sociétéinternationale décentralisée,
fondée sur le principe de l'égalitéde ses membres et appelant nécessai-

'CR 200116.p. 31.
'CR 200116,p. 28 (Mn" Chemillier-Gendreau); CR 200119,p. 12-13(M. Eric David).
'Notez. pour ce qui est du stade actuel du principe de la compétence~iniverselle,que
les Etats négociateursdu traitéde Rome ont évitéd'attàcce principe la compétence
de la future Cour pénalcinternationale.rement la coordination de leurs efforts. En dehors d'une telle discipline,
toute politique adoptéeau nom des droits de l'homme risque de desservir
cette cause au lieu de la renforcer.
10. L'examen préalable de la question de la compétenceaurait dû, a
mon avis, dispenser la Cour de toute délibération sur la question de
I'immunité.Je m'associe en tout cas aux conclusions de la majorité de
mes collèguessur ce point. J'estime que le for interne de la Belgique n'est
pas compétent, dans les circonstances de I'espéce,pour l'action pénale,
faute d'une base de compétence autre que le seul principe de la compé-
tence universelle et faute,à l'appui de celui-ci, de la présencede la per-

sonne accuséesur le territoire belge, qu'il ne serait pas légitimede forcer
a comparaître. Mais je pense que, si la compétence de la justice belge
pouvait êtreadmise, I'immunitédu ministre congolais des affaires étran-
gèresaurait interdit l'engagement de l'action pénale ainsique l'expédition
par lejuge, avec le soutien par le Gouvernement belge, du mandat d'arrêt
international.

(Sigrîk) Francisco REZEK.

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OPINION INDIVIDUELLE DE M. REZEK

Préséance logique desquestions de compétencesur les questions d'inzmunités
- Elfe/ de I'esclirsion des que.stion.vde conzpétencedes conc1usion.sjnules du
Congo -- Territorialitéet dèfensc~de certains biensjuridiqi1e.rcomrnerèglesklk-
nientuires de conipétence- Ncrtionalitéactive et pcissivecomnir règles decorn-
pktence cornplémentuirrs - Esercice de la conipétencep41iulesans aucune cir-
constance de rattachernc,ntuil,for non encore ci~itoriskeen droit international-
Sj>.stèn~ientertlcitionalde coopércitionpour lu répression ducrime.

1. Je suis persuadé que j'écrisen ce moment une opinion dissidente,
bien qu'elle doiveêtreclasséeparmi les opinions individuelles du fait que
son auteur a voté en faveur de l'ensemble du dispositif de l'arrêt.
J'approuve, comme la majorité des membres de la Cour, tout ce qui est
dit dans le dispositif, car le traitement de la question de I'immunitéme
paraît conforme a l'étatdu droit. Je regrette pourtant qu'une majoriténe
se soit pas forméesur le point essentiel du problème posé ala Cour.

2. Aucune immunitén'est absolue, dans aucun ordre juridique. Toute
immunités'inscrit forcémentdans un cadre donné, et aucun sujet de droit
ne saurait bénéficierd'une immunitédans l'abstrait. Ainsi peut-on invo-
quer une immunité vis-à-vis d'une juridiction nationale donnée et non
pas a l'égardd'une autre. De même,une immunité peut déployerses
effets vis-à-vis de juridictions internes, mais pas à l'égardd'une juridic-
tion internationale. Dans le cadre d'un ordre juridique donné,une immu-
nitépeut êtreinvoquéea l'encontre de lajuridiction pénale mais pas de la

juridiction civile, ou biena l'encontre de lajuridiction ordinaire mais pas
d'un for spécial.
3. La question de la compétenceprécèdedonc nécessairementcelle de
I'immunité. Les deux questions ont en outre fait largement l'objet du
débat, tant au niveau des piècesécritesque lors de la procédure orale,
entre les Parties. Le fait que,dans sesconclusions finales, le Congo sesoit
limité a inviter la Cour ii rendre une décisionfondéesur l'immunitéde
son ancien ministre vis-à-vis du for interne de la Belgique ne justifie pas
l'abandon par la Cour de ce qui constitue une prémisse inexorable à

l'examen de la question de l'immunité.Il n'est ici aucunement question de
retenir l'ordredes questions soumises a l'examen de la Cour mais d'obser-
ver l'ordre logique qui, en toute rigueur, s'impose. Autrement, on glisse
vers un règlementpar la Cour de la question de savoir si l'immunitéexis-
terait ou non au cus où lu justice belge st~rcricornp itente...
4. En statuant au préalablesur la question de la compétence,la Cour
aurait eu l'occasion de rappeler que l'exercice de la juridiction pénale SEPARATE OPINION OF JUDGE REZEK

[Translatiotz]

Logical priority ofjurisdictionul issues over issues q'irnn7unitie.- Efjrectof
the exclusion ofjurisdi~rtional issuesfrom the Congo's,i'nal s~~bmis.sion .s Ter-
ritoriality and the dgfirlce of certain 1egall.vprotected iizterests asfundut~~entul
rules ofjurisrliction-- Active and passive nationulity ai su/~plementarybuses uf'
jurisdiction- E,~erc'isof'crirninaljurisdictiorr in tlze xhsenccof aiqJ,fuctorqf'
connection ivitli the ,/brun?Stute not !,et pern~itted under itîternutioncil Iai-'
Ii~ternational .sy.steuf'co-operation in tlzrpuni.slzrnen.qf'critîle.

1. 1 am convincecl that 1 am in the process clf writing a dissenting
opinion, even though it must be classified as a seplirate opinion because 1
voted in favour of the entire operative part of tlie Judgment. Like the
majority of Members of the Court, 1fully concur with the operative part,
because 1 find the treatment of the question of irnmunity to be in con-

formity with the law as it now stands. 1 do, hclwever, regret that no
majority could be found to address the crucial .ispect of the problem
before the Court.
2. No immunity is absolute, in any legal ordtr. An immunity must

necessarily exist within a particular context, and no subject of law can
enjoy immunity in tlhe abstract. Thus, an immunity might be available
before one national court but not before another. Similarlv. an immunitv
might be effective in respect of domestic courts )ut not of an interna-
tional one. Within a given legal order, an immunity might be relied upon

in relation to criminal proceedings but not to civi proceedings, or vis-à-
vis an osdinar-y court but not a special tribunal.

3. The question of jurisdiction thus inevitably precedes that of immu-

nity. Moreover, the two issues were debated at 1en;th by the Parties both
in their written pleadiingsand in oral argument. The fact that the Congo
confined itself in its final submissions to asking the Court to render a
decision based on its former Minister's immunity vis-A-vis the Belgian

domestic court does not justify the Court's disregard of an inescapable
premise underlying consideration of the issue O 'immunity. Flere, the
point is not to j'olloii. tlîe order in which the issues were submitted to the
Court for consideration but rather to respect the order which a strictly
logical approach reqilires. Otherwise, we are impelled towards a situation

where the Court is deciding whethei- or not there would be immunity in
the event that tlze Bclgian courts ivere to have jurisdiction . . .
4. By ruling first cinthe jurisdictional issue, the Court would have had
the opportiinity to point out that domestic criminal jurisdiction based92 MANDAT D'ARRET (OP. [ND. REZEK)

interne, sur la seule base du principe de la justice universelle, présente
nécessairement un caractère subsidiaire et qu'il y a de substantielles rai-
sons pour cela. D'abord, il est admis qu'aucun for n'est aussi qualifié
pour conduire a son terme, comme il convient, un procès pénal,que celui
du lieu des faits, ne serait-ce que par la proximité des preuves, la connais-
sance plus approfondie des inculpés et des victimes, la perception plus
nette de toutes les circonstances du cadre délictueux. Cesont des raisons
d'ordre plus politique que pratique qui conduisent plusieurs systèmes
internes à placer juste après le principe de laterritorialitun autre fon-
dement de compétence pénalequi s'affirme sans égard au lieu des faits,
celui de la défense de certuins biens juridiques particulièrement chers a
1'Etat :la vie et l'intégritédu souverain, le patrimoine public, l'adminis-
tration publique.

5. En dehors de ces deux principes élémentaires,la complémentarité
devient la règle :dans la plupart des pays, l'action pénale est possiblesur
la base des principes de lanationaliti. actiou passive, lorsque I'onest en
présencede crimes commis à l'étranger,ayant pour auteurs ou pour vic-
times des ressortissants de1'Etatdu for, mais a la condition que, dans les
cas susmentionnés, le procès n'ait pas eu lieu ailleurs, dans un Etat dont
la compétence pénale s'imposerait tout naturellement, et que l'accusése
trouve sur le territoire de1'Etatdu for, dont il est lui-même un ressortis-
sant. ou bien aue tel soit le cas de ses victimes.
6. L'activisme qui pourrait mener un Etat à rechercher hors de son ter-
ritoire, par la voie d'une demande d'extradition ou d'un mandat d'arrêt
international, une personne qui aurait été accusée de crimes définis en
termes de droit des gens, mais sans aucune circonstance de rattachement
au for, n'est aucunement autorisé par le droit international en son état
actuel. C'est avec une forte dose de présomption qu'est posée laquestion
de savoir si la Belgique ne serait pas «obligée»d'engager l'action pénale

dans l'espèce. Cequi n'est pas autorisé ne peut pas, à fortiori, êtreobli-
gatoire. Le défendeurn'a pas apporté la preuve qu'il existe un seul autre
Etat qui, dans de pareilles circonstances, aurait déjàdonnélibre cours à
une action pénale, même si I'on fait abstraction du problème de I'immu-
nité de l'inculpé.Il n'y a pas de ((droit coutumier en formation)) qui
découlede l'action isoléed'un Etat ;iln'y a pas,à l'état embryonnaire, de
règlecoutumière en gestation, mêmesi la Cour, en traitant la question de
la compétence, acceptait de donner suite a la demande du défendeur qui
la prie de ne pas enrayer le processus de formation du droit.
7. L'article 146de la convention de Genèvede 1949(IV), sur la protec-
tion des personnes civiles en temps de guerre (article qui se trouve aussi
dans les trois autres conventions de 1949), est, de toutes les normes du
droit conventionnel existant, celle dont le texte serait le plus susceptible
de conforter le point de vue du défendeurlorsqu'il fonde l'exercicede la
juridiction pénalesur la seule base du principe de la compétence univer-
selle.Cette disposition invite les Etaasrechercher, livrer oujuger les per-

sonnes inculpées des crimes prévusdans les conventions en cause. Néan-
moins, a part le fait que le cas d'espèce échappe au strict champsolely on the princilple of universal justice is necessarily subsidiary in
nature and that therf: are good reasons for that. First, it is accepted that
no forum is as qualilied as that of the locus delicti to see a criminal trial
through to its conclusion in the proper manner, if for no other reasons
than that the evidence lies closer to hand and that that forum has greater

knowledge of the accused and the victims, as wel as a clearer apprecia-
tion of the full circumstances surrounding the offence. It is for political
rather than practicall reasons that a number of ciomestic systems rank,
immediately after the principle of territoriality, a basis of criminal juris-
diction of a different kind, one which applies irrespective of the locus
(lelicti: the principle of the clefenceof certain legu~interests to which the

State attaches particular value: the life and physical integrity of the
sovereign, the nationial heritage, good governance.
5. With the exception of these two basic principles, complementarity is
becoming tlie rule: in most countries, criminal pioceedings are possible
on the basis of the principles of active or pu~~ivenlltionulity where crimes
have been committed abroad by or against nationals of the forum State,
but on condition thiit those crimes have not been tried elsewhere, in a

State where criminal jurisdiction would more nat~iirallylie, and provided
that the accused is present on the territory of the forum State, of which
either he himself or lhisvictims are nationals.

6. In no way does international law as it now stands allow for activist
intervention, whereby a State seeks out on another State's territory, by

means of an extradition request or an international arrest warrant, an
individual accused of crimes under public international law but having no
fuctuul connection with the forum State. It required considerable pre-
sumption to suggest that Belgium was "obliged" to initiate criminal pro-
ceedings in the present case. Something which is not permitted cannot,
a fortiori, be required. Even disregarding the qu~:stion of the accused's

immunity. the Respondent has been unable to point to a single other
State which has in similar circumstances gone ahead with a public
prosecution. No "nascent customary law" derives from the isolated
action of one State; there is no embryonic customary rule in the making,
notwithstanding that the Court, in addressing the issue of jurisdiction,
acceded to the Resplondent's request not to impoje any restraint on the

formative process of the law.

7. Article 146 of the Fourth Geneva Conventicn of 1949, on the pro-
tection of civilian persons in time of war, an articli: which also appears in
the other three 1949 Conventions, is, of al1 the norms of current treaty
law, the one which could best support the Resporident's position found-
ing the exercise of criminal jurisdiction solely on tlie basis of the principle

of universal jurisdiction. That provision obliges States to search for and
either hand over or try individuals accused of thr crimes defined by the
relevant Convention However, quite apart from the fact that the present
case does not come ~vithinthe scope, as strictly dehned, of the 1949Con-93 MANDAT D'ARRET (OP. IND. REZEK)

d'application des conventions de 1949, Mme Chemillier-Gendreau a rap-
pelé,pour comprendre le sens de la norme, l'enseignement d'un des plus
notables spécialistesdu droit pénal international (et du droit internatio-
nal pénal),le doyen Claude Lombois :

((Là où cette condition n'est pas formulée,on ne peut quela sous-
entendre :comment un Etat pourrait-il rechercher un criminel sur
un autre territoire que le sien ?Le livrer, s'iln'est pas présentsur son
territoire? Recherche comme livraison supposent des actes de

contrainte, liésà des prérogatives de puissance publique souveraine,
qui ont le territoire pour limite spatiale.>)'

8. Il est impératif que tout Etat se demande, avant d'essayer de faire
avancer le droit des gens dans une direction qui va à l'opposé de certains
principes qui régissent encore de nos jours les relations internationales,
quelles seraient les conséquences de la conversion d'autres Etats, éven-
tuellement d'un grand nombre d'autres Etats à une pareille pratique.
Cela n'est pas sans raison que les Parties ont discutédevant la Cour la
question de savoir quelle aurait étéla réactionde certains pays européens

si un juge du Congo avait inculpé leurs gouvernants pour des crimes
supposés commis par eux ou sur leurs ordres en Afrique2.
9. Une hypothèse encore plus adéquate pourrait servir de contrepoint
au cas d'espèce. Il y a bien des juges dans l'hémisphèreSud, non moins
qualifiésque M. Vandermeersch et comme lui imbus de bonne foi et d'un
amour profond des droits de l'homme et des droits des peuples, qui

n'hésiteraient point à lancer des actions pénalescontre plusieurs gouver-
nants de l'hémisphèreNord au titre d'épisodes militaires récents, surve-
nus tous au nord de l'équateur. Leur connaissance des faits n'est pas
moins compléte ni moins impartiale que celle que le for de Bruxelles
entend possédersur les événementsde Kinshasa. Pourquoi cesjuges font-
ils preuve de retenue ?Parce qu'ils ont conscience de ce que le droit inter-

national n'autorise pas l'affirmation d'une compétencepénaledans un tel
cadre.Parce qu'ils savent que leursgouvernements nationaux, àla lumière
de cette réalitéjuridique, n'appuieraient jamais, sur le plan international,
de telles initiatives. Si l'application du principe de la compétence univer-
selle ne présuppose pas la présencede la personne accuséesur le territoire
de I'Etat du for, toute coordination devient impossible et c'est bienle sys-
tème international de coopération pour la répression du crime qui

s'effondre'. Il importe que le règlement, sur le plan interne, de ques-
tions de cet ordre et par conséquent la conduite des autorités de chaque
Etat s'accordent avec l'idéed'une sociétéinternationale décentralisée,
fondée sur le principe de l'égalitéde ses membres et appelant nécessai-

'CR 200116.p. 31.
'CR 200116,p. 28 (Mn" Chemillier-Gendreau); CR 200119,p. 12-13(M. Eric David).
'Notez. pour ce qui est du stade actuel du principe de la compétence~iniverselle,que
les Etats négociateursdu traitéde Rome ont évitéd'attàcce principe la compétence
de la future Cour pénalcinternationale.ventions, we must also bear in mind, asMs Chemillier-Gendreau recalled
in order to clarify the provision's meaning, the point made by one of the

most distinguished specialists in international criminal law (and in the
criminal aspects of international law), Professor C'laude Lombois:

"Wherever that condition is not put into uords, it must be taken
to be implied: how could a State search for a criminal in a territory
other than its ciwn? How could it hand hirn over if he were not
present in its teriritory'?Both searching and handing over presuppose

coercive acts, liriked to the prerogatives of sovereign authority, the
spatial limits of which are defined by the territory."'

8. It is essential that al1States ask themselves, be'ore attempting to steer
public international llawin a direction conflicting with certain principles
which still govern contemporary international relztions, what the conse-
quences would be skiould other States, and possibly a large number of
other States, adopt such a practice. Thus it was apt for the Parties to dis-

cuss before the Court what the reaction of son-e European countries
would be if ajudge in the Congo had accused theii leaders of crimes pur-
portedly coinmitted in Africa by them or on their orders'.

9. An even more pertinent scenario could serve as counterpoint to the

present case. There are many judges in the southern hemisphere, no less
qualified than Mr. Vandermeersch, and, like him, imbued with good faith
and a deep attachment to human rights and peo~les' rights, who would
not hesitate for one instant to launch criminal proceedings against vari-

ous leaders in the northern hemisphere in relation to recent military epi-
sodes. al1of which have occurred north of the ea~ator. Their knowled~e u
of the facts is no leijs complete, or less impartial, than the knowledge
which the court in Brussels thinks it Dossessesabcut events in Kinshasa.
Why do these judges show restraint? Because the$ are aware that inter-

national law does not ~ermit the assertion of criminal iurisdiction in such
circumstances. Becaiise they know that their national Governments, in
light of this legal reality, would never support such action at interna-
tional level. If the application of the principle 01'universal jurisdiction
does not presuppose that the accused be present on the territory of the

forum State,co-ordination becomes totally impossible, leading to the col-
lapse of the internatilonal system of CO-operation for the prosecution of
crime'. It is important that the domestic treatment of issues of this kind,
and hence the condilct of the authorities of eacli State, should accord
with the notion of a decentralized international community, founded on

the principle of the equality of its members and nc:cessarilyrequiring the

CR 100116,p. 31.
CR 2001/6, p. 28 (Ms Chemillier-Gendrea;CR 200119.pp. 12-13(Mr. Eric David).
As regards theiirrerit status of the pririciple of univers; 1jurisdiction, note that the
States which negotiated the Rome Treaty avoided extending this principle to thec-
tion of the future International Criminal Court.rement la coordination de leurs efforts. En dehors d'une telle discipline,
toute politique adoptéeau nom des droits de l'homme risque de desservir
cette cause au lieu de la renforcer.
10. L'examen préalable de la question de la compétenceaurait dû, a
mon avis, dispenser la Cour de toute délibération sur la question de
I'immunité.Je m'associe en tout cas aux conclusions de la majorité de
mes collèguessur ce point. J'estime que le for interne de la Belgique n'est
pas compétent, dans les circonstances de I'espéce,pour l'action pénale,
faute d'une base de compétence autre que le seul principe de la compé-
tence universelle et faute,à l'appui de celui-ci, de la présencede la per-

sonne accuséesur le territoire belge, qu'il ne serait pas légitimede forcer
a comparaître. Mais je pense que, si la compétence de la justice belge
pouvait êtreadmise, I'immunitédu ministre congolais des affaires étran-
gèresaurait interdit l'engagement de l'action pénale ainsique l'expédition
par lejuge, avec le soutien par le Gouvernement belge, du mandat d'arrêt
international.

(Sigrîk) Francisco REZEK. ARREST WARRANT (SEP.OP. REZEK) 94

CO-ordinationof their efforts. Any policy adopted in the name of human
rights but not in keeping with that discipline thrcatens to harm rather

than serve that cause.
10. In my view, if itheCourt had first considerec the question of juris-
diction, it would have been relieved of any need to i.uleon the question of
immunity. 1do in an!/ event adhere to the conclusions of the majority of
my colleagues on this point. 1find that under the f2cts and circumstances
of the present case the Belgian domestic court laclrs jurisdiction to con-

duct criminal procee(dings, in the absence of anj basis of jurisdiction
other than the principle of universal jurisdiction and failing, in support of
that principle, thepresence on Belgian territory of the accused, whom it
would be unlawful to force to appear. But 1 beli-ve that, even on the
assumption that the EIelgianjudicial authorities did have jurisdiction, the
immunity enjoyed bq the Congo's Minister for Foreign Affairs would

have barred both the initiation of criminal proceeclings and the circula-
tion of the internatio17al arrest warrant by the jud:;e, with support from
the Belgian Government.

(Signed, Francisco REZEK.

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Document Long Title

Opinion individuelle de M. Rezek, juge

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