Opinion dissidente de M. Read (traduction)

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007-19501120-JUD-01-03-EN
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OPINION DISSIDENTE DE M. READ

Me ralliant à l'arrêt de la Cour en ce qui est des conclusions
présentéespar le Gouvernement de Colombie et d'une grande partie

de la demande reconventionnelle, je suis en mesure de limiter mon
opinion séparée à un aspect de l'affaire. Je regrette de ne poiivoir
êtred'accord avec la majorité de la Cour sur le point de savoir si
l'octroi del'asile par l'ambassadeur de Colombie à Lima, le 3 janvier
1949, à M. Haya de la Torre pouvait êtreconsidéréà bon droit
comme un cas urgent au sens de la Convention de La Havane de
1928.

Avant d'examiner cette question, il est nécessairede donner quel-
ques explications préliminaires. Au cours de la procédure ,écriteet
des débats oraux, de fréquentes référencesont étéfaites au (droit
international américain »et à 1'(i(nstitution américaine de l'asile ».
Mes conclusions en cette affaire étant fondéesdans une large mesure
sur le sens que j'attribue à ces expressions, il est nécessaire que
j 'indique ce qu'elles signifient.
Le mot ((américain »s'y tro~ve employé en un sens particulier ;

il vise un groupe régional d'Etats, à savoir les vingt républiques
d'Amérique latine. Cette région représente la plus grande partie de
l'Amérique méridionaleet centrale et s'étend à certaines zones de
l'Amériquedu Nord, au sud du Rio Grande, parmi lesquelles deux
îles des Antilles. Elle ne comprend cependant pas l'ensemble de
l'Amérique du Nord, du Sud ou du Centre ; en ce sens, l'emploi du
mot (américain 1)prêteà erreur. Pour éviter cette confusion, il sera

utile de mettre des guillemets lorsque ce terme sera employé en ce
sens particulier.
En ce qui est du ((droit international américain »,il suffira d'en
confirmer l'existence en tant qu'ensemble de règles juridiques
conventionnelles et coutumières, complémentaires du droit inter-
national universel, et régissantles relations interétatiques du monde
panaméricain.

L'a institution américaine de l'asile )) appelle un examen plus
attentif. Il existe- et il a existéavant mêmela première réglemen-
tation conventionnelle de l'asile diplomatique par la Conférence
réunie à Montevideo en 1889 - une institution (américaine >)de
l'asile diplomatique pour les délinquants politiques. On a soutenu
au cours des débats qu'il aurait étépréférableque l'institution visât
les personnes ordinaires, non point les politiciens, qu'il était

regrettable que les délinquants politiques fussent protégés contre
les décisions et les sanctions des tribunaux pendant les périodes
troublées qui suivent les soulèvements révolutionnaires ;et qu'il
eût étéplus sage que les républiques dont il s'agit limitassent

51 OPIKION DISSIDENTE DE 31. IiErlD 3I7

l'institution à une protection contre les violences populaires. Mais
cela ne nous concerne pas. La Cour doit s'occuper de l'institution
telle au'elle est. Les faits. tels au'ils ressortent des abondantes
preuves versées au dossier, démontrent que les républiques latino-
américaines ont repris une institution moribonde du droit inter-
national universel, lui ont insuffléune vie nouvelle et l'ont adaptée
aux besoins politiques et sociaux du monde panaméricain.
L'institution a étéfondée sur le droit pasitif: les immunités de

la mission diplomatique, et il n'importe guère à cet égard que la
théorie de l'exterritorialité soit acceptée ou rejetée.
Dès qu'un fugitif était accueilli dans une ambassade ou légation,
il y jouissait pratiquement et en vertu des règles du droit inter-
national d'une immunité absolue contre toute arrestation ou
immixtion de la part des autorités administratiyes et judiciaires de
l'État territorial. La seule voie ouverte à cet Etat était celle des
pressions diplomatiques. Il ne pouvait entrer de force dans la
légation et enlever le fugitif.Il pouvait demander le rappel du chef
de mission, et, en dernière instance, rompre les relations diploma-

tiIues.
Le dossier de l'affaire révèle que des révolutions ont souvent
éclatédans la région dont il s'agit et que la pratique s'est déve-
loppée d'accorder asile aux délinquants politiques. Cette pratique
est devenue si commune qu'elle fut considérée commeune partie
des fonctions normales des missions diplomatiques. A une époque
où l'institution de l'asile diplomatique tombait en désuétude
dans d'autres régions du monde, elle était dans une phase vigou-
reuse de croissance et de développement en Amérique latine.
Cette pratique a exercé une profonde influence sur le rapport
juridique résultant de l'établissement d'une mission diplomatique,

ou de la présentation des lettres de créance par un nouveau chef
dans le cas d'une mission déjà établie. Ce rapport juridique tire
son origine d'un contrat tacite, dont les termes ne sont jamais
exprimés dans les lettres de créance ni dans les autres documents
officiels. L'accord des parties sur la r-iature des fonctions normales
d'une mission diplomatique se trouvait affecté par cette pratique
très répandue de l'octroi de l'asile aux délinquants politiques,
et, par conséquent, le rapport juridique fondé sur un confrat
tacite s'en est trouvé modifié. Dans la région en cause, un Etat
territorial,lors de l'octroi de l'asile à un délinquant politique,

n'était plus fondé à soutenir que l'ambassadeur avait dépasséla
limite des fonctions normales d'une mission diplomatique. En
recevant l'ambassadeur, 1'Etat territorial avait admis qu'il exerçât
toutes les fonctions diplomatiques ordinaires ; or, dans le monde
latino-américain, selon l'évolution de cette pratique, il était
entendu Dar tout le monde aue cles fonctions di~lomatiaues
ordinaires » comprenaient l'octroi de l'asile aux délinquants
politiques. OPINION DISSIDENTE DE M. READ 318

Après avoir établi la nature de l'ccinstitution américaine de
l'asile», il est possible d'aborder l'examen du point particulier
de la demande reconventionnelle sur lequel je ne puis me rallier
à l'opinion de la Cour. La majorité estime que l'octroi de l'asile
dans la présente affaire a étéfait en violation de l'alinéa (cpremiè-
rement 1)de l'article 2 de la Convention de La Havane, pour ce

motif qu'il ne s'agissait pas d'un cas urgent au sens de cette
disposition. J'estime qu'il s'agissait là d'un cas urgent et que
la demande reconventionnelle devrait être rejetée.
L'alinéa cpremièrement » de l'article 2 est ainsi conçu :

« Premièrement : L'asilr:ne pourra êtreaccordé saufdans 18scas
d'urgence et pour le temps strictewent indispensable pour que le
réfugié se mette en sûretéd'une autre manière. ))

Il est évident que l'expression csauf dans les cas d'urgence ....
sûreté d'une autre manière »n'est pas claire ni dépourvue d'ambi-
guïté. Le mot curgence 1)a plus d'un sens naturel et ordinaire,
et il peut s'appliquer de plus d'une manière ail problème de
l'asile. Pour préciserla signification que les parties à la convention
ont eue dans l'esprit lorsqu'elles ont fait usage de cette expression,
il est nécessaired'examiner la nature du problème qui les préoccu-
pait et le contexte dans lequel ce problème est situé.

Le préambule montre que les Gouvernements représentés à
la VImeConférencepanaméricaine à La Havane en 1928, étaient
« désireux de fixer les règles qu'ils doivent observer pour la con-
cession du droit d'asile dans leurs relations mutuelles ». Ils ont
traité l'asile comme une institution existante. Dans les articles I
et 2 - qui sont les dispositions opérantes de la convention -,
ils ont entouré l'octroi de l'asile d'une sériede conditions restric-
tives, ils ont précisé lesprocédures à suivre et les obligations

qui, en grande partie, incombaient au pays de refuge. Les seules
obligations imposées à 1'Etat territorial consistaient dans le
devoir de reconnaître l'octro? d'un asile effectué conformément
aux conditions restrictives et dans le devoir auxiliaire de délivrer
un sauf-conduit dans les cas où il exigerait que le réfugiésortît
du pays.
La disposition principale de l'article 2 impose une obligation à
l'État territorial -la seule obligation principale que la convention

impose. à cet Etat. Il s'agit de l'obligation de respecter l'asile ;
1'Etat territorial a l'obligation juridique de respecter tout asile
accordépar une partie à la convention, sous réserve des conditions
clairement imposéespar les articles I et 2, conditions résolutoires
et suspensives. C'est une obligation de respecter non point seule-
ment l'octroi, mais aussi le maintien de l'asile, dans les limites
de la convention.
Il y a certaines conditions qui découlent des paragraphes deuxiè-

mement, quatrièmement, cinquièmement et sixièmement de I'ar-
ticle 2, et qui, tout en n'étant pas sans importance, ne soulèvent
56 OPINIOX DISSIDESTE DE M. READ 319

aucune difficulté dans la présente espèce. Il y a cependant quatre
conditions essentielles suspensives qui doivent toutes être remplies
pour que 1'Etat territorialsoit obligé de respecter l'octroi ou le

maintien de l'asile :
a) Le réfugiéne doit pas avoir été accusé ou condamné pour
délit commun )).

b) Le réfugiédoit êtreun criminel politique au sens que cette
expression possède au premier alinéa de l'article 2.
c) L'asile sera respecté seulement ((dans la mesure dans laquelle,
comme un droit ou par tolérance humanitaire, l'admettraient
la coutume, les conventions ou les lois ))du pays de refuge.

d) Il doit s'agir d'un cas urgent.

Les trois premières conditions ont étéremplies en l'espèce, mais
la quatrième exige un examen particulier. Le problème fondamental
consiste à déterminer ce que les parties à la Convention de La
Havane entendaient par l'expression ((dans les cas d'urgence n.
Cette expression se prête à deux interprétations possibles. L'une
a étéproposée par le Gouvernement péruvien dans une phase

relativement avancée du litige, à savoir dans le Contre-Mémoire,
l'autre a étéproposée par le Gouvernement de la Colombie dans
une phase encore plus tardive, à savoir dans sa Réplique. Il est
aisé de comprendre la raison pour laquelle on a tardé à soulever
cette question. Il n'était venu à l'esprit de personne, dans les
cercles gouvernementaux du Pérou et de la Colombie, qu'il existât
le moindre doute quant à l'existence de l'urgence.
Dans les mois de février et mars 1949, les Gouvernements du
Pérou et de la Colombie avaient discuté énergiquement la question

de savoir si l'on pouvait justifier l'asile accordé en l'espèce par
l'ambassadeur de Colombie et si le Gouvernement péruvien était
fondé à refuser de reconnaitre cet asile et de délivrer un sauf-
conduit. Si n'importe quel fonctionnaire compétent à Lima avait
pensé un instant qu'il était possible d'interpréter l'expression
((cas d'urgence de manière à mettre en doute le caractère d'ur-
gence de l'affaire, il serait inconcevable que ce point n'ait pas été
mentionné dans la correspondance diplomatique. C'est seulement
à un stade ultérieur que l'agent péruvien estima qu'il valait la

peine de soulever la question à titre reconventionnel. Il faut main-
tenant décider s'il convient d'adopter la thèse du Pérou ou celle
de la Coloinbie. ou une thèse intermédiaire entre les deux extrêmes.

Je dirai tout d'abord qu'il n'est pas possible d'accepter l'argu-
ment extrême proposé au nom du Gouvernement colombien. Cet
argument visait à jeter le discrédit sur l'administration de la
justice au Pérou, en mêmetemps que l'on accusait les autorités

administratives de ce pays de s'immiscer dans la procédure judi-
ciaire. Il suffiraà cet égard dc dire (lue le Gouvcrnemcnt de la OPINION DISSIDENTE DE M. READ 320

Colombie n'a pas prouvé le bien-fondé de sa thèse et qu'il n'y a
aucune raison de jeter le discrédit sur la justice ou de se méfier
de la manière dont elle est administrée, que ce soit au Pérou ou

dans tout autre Etat.
La thèse extrême de la Colombie étant ainsi écartée,il est néces-
saire d'examiner la thèse extrême du Pérou. On a soutenu que
l'expression ((cas d'urgence 1limite l'octroi de l'asilà des incidents
dans lesquels le fugitif est poursuivi par une foule en fureur ou
peut-être par une force semi-organisée dispensant une forme de
pseudo-justice grossière et populaire, dans la période intervenant
entre une révolution réussie et la création d'une nouvelle organi-

sation judiciaire. Cette thèse part de l'idéequ'il serait inconcevable
que les Gouvernements représentés à la Conférence de La Havane,
en 1928 , ient pu envisager un système qui protégerait les délin-
quants politiques contre des mesures policières, contre des pour-
suites et des sanctions prévues par les lois du pays où ils ont commis
leurs crimes.
Je considère comme impossible d'accepter cette position extrême,
adoptée par le Gouvernement du Pérou au cours de la dernière
phase du présent litige.

Du point de vue des régions du monde avec lesquelles je me suis
trouvé en contact étroit, il serait en principe inconcevable que des
gouvernements aient conçu les (cas d'urgence ))comme impliquant
la protection de délinquants politiques contre la justice locale. On
ne saurait imaginer qu'une disposition d'un traité puisse être inter-
prétke, en l'absence de termes exprès, comme destinée à mettre
obstacle à l'administration de la justice.
Il existe cependant un principe de droit international véritable-

ment universel. Ce principe est également reconnu à Lima et à
Londres, à Bogota et à Belgrade, à Rio et à Rome. C'est le principe
suivant lequel, en matière d'interprétation d'un traité, l'intention
des parties doit prévaloir.
Pour appliquer ce principe à 'la Convention de La Havane, il me
faut faire abstraction des principes régionaux comme des préjugés
et des points de vue personnels qui ne sont pas admis ni partagés
par les peuples et les gouvernements de la région ((américaine ))Je

suis obligéd'envisager le problème du point de vue des vingt répu-
bliques de 1'4mérique latine, signataires de la Convention de La
Havane. Les Etats-Unis d'Amérique se sont soustraits à l'autorité
contractuelle de la convention en y insérant une réserve avant la
signature :leur situation particulière n'a donc pas besoin d'être
prise en considération.
11est par conséquent nécessaire d'examiner la question, compte
tenu des principes du droit international qui reçoivent une applica-

tion universelle, ainsi que du point de vue et du mode de penser des
parties à la convention,tels qu'ils ressortent du dossier. Le problc'me
veritahle est le suivaiit : la Conférence de La Havane de 192s
a-t-elle eu en vue la limitation de l'asile aux cas de violence popu-
5s laire, et cette interprétation est-elle confirmée ou contredite par le
contexte ? A cette fin, les principes de droit international qui sont
admis universellement autoriseraient la prise en considération des
points suivants :

1) la nature de l'institution dont s'est occupée la conférence ;

2) le contexte et l'économiedu traité considéré commeun tout ;

3) les vues des parties quant au sens du traité, telles que ces vues
ressortent de leur attitude ultérieure.
Selon moi, l'interprétation péruvienne, soumise àces troiscritères.
se heurte à trois obstacles insurmontables et doit être écartée.

Examinons-les successivement.
Le firewziercritère a trait à la nature de l'institution de l'asile.
Tout en ayant partagé l'avis de la majorité de mes collègues que la
Colombie n'a pas établi l'existence d'un droit de qualification unila-

té~aleou d'un droit au sauf-conduit fondé sur le droit coutumier, il
ne peut y a\-oir aucun doute sur l'existence d'une institution (améri-
caine » de l'asile, pratique étendue et persistante, fondéesur-le droit
nositif. conventionnel et coutumier.
Le dossier de cette affaire révèleque, au cours d'une période de
pllis d'un siècle,il y a eu de nombreux cas oii l'asile a étéaccordé et
respect6 dans les républiques de l'Amérique latine. La large diffu-
sion de la pratique est révélée par l'évocation, dans la réplique, de
plus de cinquante cas où l'asile a étéoctroyé et appliqué, portant
sur deux cent quarante-quatre individus, ainsi que sur plusieurs

groupes de personnes pour lesquels on n'indique pas de chiffres
précis. Dix-sept Etats de l'Amérique latine au moins sont en cause.
Alors que les renseignements dont nous disposons sont loin d'être
complets, les dates et les détails que l'on donne permettent de relier
les cas dans lesquels l'asile a étéoctroyé, aux révolutions politiques
et aux périodes de troubles qui ont siiivj les révoltes, qu'elles aient
réussi ou non. On ne trouve nulle part dans le dossier le moindre
exemple d'un pays de refuge sppartenant au monde, panaméricain
qui aurait accédé à une demande présentéepar un Etat territorial
aux fins de remettre un criminel politique à la justice locale. Rien
n'indique dans le dossier que l'octroi de l'asile ait étélimité aux cas

dans lesquels le fugitif se trouvait poursuivi par des foules furieuses.
Il ressort des pièces que l'asile a étéaccordé comme allant de soi
aux criminels politiques qui cherchaient à se soust;aire aux polir-
suites judiciaires ordinaires conformes aux lois de 1'Etat territorial.
Il n'y a pas de doute que l'institution de l'asile, que la Conférence
panaméricaine cherchait à réglementer en 1928, était une institutiori
où l'asile était librement accordé aux criminels politiques pendant
les r~ériodestroublées oui suivaient les révolutions. Les gouv"rne-
inents représentés à la conférericcont cxposéclairement leur intc1-i-
tion dans le préambule. Ils étaient (désireux de fixer les règlcs à OPINION DISSIDENTE DE M. READ 322

observer pour l'octroi de l'asile 1). Ils n'ont manifesté aucune
intention de changer le caractère essentiel de l'institution. Si l'on
rend en considération les oints de vue et le mode de Denser
'des vingt républiques de i'Amérique latine tels qu'ils ress'ortent

des pièces du dossier relatives à la tradition et à la pratique,
il est inconcevable que ces Etats aient pu avoir l'intention de
limiter l'octroi de l'asile aux criminels politiques aux cas dans
lesquels ces derniers se trouvent poursuivis par desfoulesdéchaînées.
Il n'est pas imaginable que leur intention ait étéde mettre fin, par
l'emploi de l'expression ambiguë (cas d'urgence ))à une institution
[(américaine ».fondée sur quatre-vingt-dix années de tradition et

d'empêcher l'octroi de l'asile aux délinquants politiques c(en
période de troubles politiques 1).Appliquer cette interprétation
serait reviser et non Das inter~réter la Convention de La
Havane, méthode que m'interdit la règle poséepar la Cour lors-
qu'elle énonça qu'elle ((est appelée à interpréter les traités, non à
les reviser 1)((Interprétationdes Traitésde paix (deuxième.phase),
avis consultatif: C. I. J. Recueil 1950, p. 229. »
En conséquence, la thèse péruvienne ne résiste pas au critère du

premier obstacle et doit êtrerepoussée.
Sous l'angle positif, l'application de ce critère appuierait avec
force et confirmerait une. interprétation de l'expression « cas
urgents n, selon laquelle seraient couverts les cas où l'asile a été
accordé pendant une période de troubles postérieurs à une révolu-
tion et excluant l'asile au cours des périodesde tranquillité politique.

Le secondcritèredécoule du contexte et de l'économiegénéralede
la convention. J'ai déjà passéen revue l'économiegénéraledu trait6
et je me bornerai à deux aspects du contexte.

L'argument suivant lequel l'asile ne peut être octroyé pour
protéger le criminel politique des poursuites et d'une condamnation

possible par les tribunaux locaux, argument qui est à la base de
l'interprétation péruvienne des « cas urgents )),se heurte à un
obstacle insurmontable dans le texte de l'article I.
L'alinéa premier de cet article dispose comme suit :((Il n'est pas
permis aux Etats de donner asile ...aux personnes accusées ou
condamnées pour délits communs ...1)Le second alinéa dispose
que «les personnes accusées ou condamnées pour délits com-
muns qui se réfugient .... devront être remises aussitôt que

l'exigera le gouvernement local ». En conséquence, il est clair
qu'une personne accusée ou même condamnée pour un crime
politique était considéréepar les gouvernements représentés à la
conférence comme pouvant à bon droit bénéficier de l'asile. Il
ressort également qu'il n'est pas obligatoire de remettre au gouver-
nement local un réfugié accusé oucondamné pour crime politique OPINION DISSIDENTE DE M. READ 323

seulement. Dans l'affaire soumise à la Cour, le Péroun'est pas fondé,
en vertu de la Convention de La Havane, à demander la remise du
fugitif.
Il existe un autre aspect ducontexte.Un examen des articles I et2

de la convention monire que les parties ont eu l'intention de tracer
une ligne de démarcation bien nette entre les criminels de droit
commun et les délinquants politiques. Une interprétation limitant
l'asile en faveur des délinquants politiques aux cas où il s'agit de
violence populaire ou de tribunaux révolutionnaires supprimerait
cette distinction et priverait l'article 2 de tout objet utile. Cette
interprétation m'est interdite par la règle poséepar la Cour lors-
qu'elle énonce ce qui suit :(cIl serait en effet contraire aux règles

d'interprétation généralement reconnues de considérer qu'une dispo-
sition de ce genre, inséréedans un compromis, soit une disposition
sans portée et sans effet. » « Aoaire du Détroit de Corfou, Arrêt
dzs 9 avril 1949, C. I. J. Recueil 1949, p. 24. ))
Ida convention, au paragraphe I de l'article2, traite de «l'asile
octroyé aux criminels politiques ». Un criminel politique est une
personne qui a commis un crime politique contre les lois de 1'Etat

territorial. L'asile ne peut, de par sa nature même, être accordé
à un délinquant politique sans le protéger des poursuites locales
ou sans contrecarrer l'administration de la justice dans 1'Etat
territorial.Vne interprétation qui limiterait l'octroi de l'asile, en
vertu de l'article 2, aux cas dans lesquels les délinquants politiques
sont poursuivis par des foules déchaînées, jointe à l'obligation
de remettre le fugitif à la police locale pour être poursuivi pour
son crime politique, placerait le délinquant politique exactement

sur le même ~ied aue le criminel de droit commun. On admet
que ce dernier peut être temporairement mis à l'abri de la vio-
lence populaire ou du lynchage, pour des motifs d'fiumanité, et
remis à la police locale aux fins de poursuites. Cette interprétation
supprimerait en fait le mot asile du premier paragraphe de
l'article en y substituant refuge temporaire pour des motifs
d'humanité, et créerait une situation dans laquelle les dispositions

de l'article 2 seraient ((sans ~ortée et sans effet )).
Tout essai d'interpréter l'expression ccas urgents )) dans le
sens d'une limitation de 1asile diplomaticlue à la protection
contre la violence populaire se heurte à l'obstacle insurmontable que
représentent ces dispositions de la con~7ention et doit êtrerejeté.
Sous l'angle positif, l'application de ce critère confirmerait une
interprétation de l'expression qui tendrait à couvrir les cas d'asile

au cours des périodes d'agitation révolutionnaire et à exclure
celui-ci pendant les périodes de tranquillité ; elle harmoniserait
étroitement les dispositions (les articles 1 et 2.

Le troisième critéreest tiré des vues des Parties quant ail sens
du traité, telles que ces vues ressortent de leur attitude ultérieure.
On peut observer que la Cour s'est fondée sur l'esameil de I'atti-

61 OPINION DISSIDENTE DE M. READ 324

tude ultérieure des Parties, aux fins de déterminer leur intention
lors de l'interprétation d'un accord international dans 1'~Aflaire
du Détroit de Corfou, ilrrêtdzr g avril 1949, C. I. J. Recueil
1949, 9.25 D.Elle s'est alors exprimée ainsi:((Il ressort de l'attitude
ultérieure des Parties que leur intention, lorsqu'elles ont conclu
le compromis, n'était pas d'empêcherla Cour de fixer le montant
de l'indemnité. 1)
Dans la présente espèce, si les Parties avaient eu dans l'idée
que l'asile devait êtrelimité aux cas dans lesquels des délinquants

cherchaient à échapper à des foules déchaînées ou à des tribunaux
révolutionnaires improvisés, il est certain qu'il ,y aurait eu un
changement fondame~tal dans la pratique des Etats de 1'Amé-
rique latine. Il existe au dossier des preuves suffisantes pour me
convaincre que la pratique relative à l'octroi età la reconnaissance
de l'asile diplomatique n'a pas changé dans les années qui ont
suivi l'entrée en vigueur de la Convention de La Havane.
Des considération: de temps et de place, ainsi que le manque
d'informations relatives à l'attitude de toutes les parties à la
convention, empêchent un examen général de tous les aspects
de ce critère. Il suffira d'examiner la pratique suivie au cours

des vingt-deux dernières années par la Colombie et le Pérou en
accordant l'asile et en reconnaissant l'octroi de I'asile par d'autres
pavs
A propos de la Colombie, il suffira de noter qu'il n'y a pas eu
d'interruption dans la pratique de ce pays en matière d'octroi de
l'asile par ses missions diplomatiques, ni dans la reconnaissance de
l'asile accordé en Colombie pa-r les missions diplomatiques des
autres pays de l'Amérique latine. Il n'y a eu indication d'aucune
tendance à restreindre l'octroi ou la reconnaissance de l'asile aux
cas dans lesquels un criminel politique ne cherchait pas protection
c ntre l'arrestation, les poursuites et la condamnation par leç

autorités locales.
Quant au Pérou,il apparaît également que, avant le21 mars 1950,
il n'y a pas eu de modification dans la pratique. Si nous écartons
les exemples fournis par la guerre civile espagnole, dont le caractère
était particulier, le Pérou a reconnu l'octroi de l'asile par la légation
de Bolivie en 1930, a accordél'asileau Guatemala en 1944, en Bolivie
en 1946 et au Panama en 1948, et reconnu l'octroi de l'asile par les
ambassades du Brésil, du Paraguay, de la Colombie, du Chili, c!c
1'T7ruguayet du Venezuela à Lima, en rgqS et 1949.Mêmel'attitirdc
adoptée dans le cas de M. Haya de la 'îorre n'a pas indiqué clc

changement dans la pratique. Tout au long de la correspondancc
diplomatique, le Pérou a soutenu avec force que la Colombie n'était
pas en droit d'accorder l'asile, parce que le rbfugiéavait étéaccusé
d'un crime de droit commun. On a soutenu, avec la même vigueur,
que le Pérou n'était pas tenu de délivrer un sauf-conduit, et que la
Colombie ne jouissait pas d'un droit de qualification unilatérale. 011
n'a pas prétendu que l'octroi de l'asile n'était pas valable pour lc OPINION DISSIDENTE DE M. READ 325

motif qu'il ne s'agissait pas d'un ((cas d'urgence 1).011 n'a pas
prétendu que l'asile ne pouvait êtreaccordé lorsque son but était
depermettre àun réfugiéde se soustraire à la poursuite et à l'empri-

sonnement par les autorités judiciaires locales. 11n'y a qu'une seule
manière possible d'expliquer cette omission, savoir que, à l'époque,
le Gouvernement du Pérou estimait que les conditions d'urgence
prévues par la Convention de La Havane se trouvaient remplies à
Lima en janvier 1949.
On trouve la confirmatioil la plus forn~elle possible de cette
explication dans (l'information ofîlcielle du miilistère des Relations

extérieures 11,publiée dans le bulletin officiel du Gouvernement du
Pérou, El Peruatzo,du 26 octobre 1948, et citéeau mémoire, para-
graphe 39. La Colombie a essayé de traiter ce document comme
entraînant l'engagement par le Gouvernement du Pérou d'accepter
la doctrine de la qiialification unilatérale, doctrine sur laquelle il est
fondé dans une large mesure. Je ne me désolidarise pas de l'attitude

de la Cour qui repousse cette conception extrêmede la nature et de
la signification du document. Mais cela ne veut pas dire que le
document soit dépourvu de signification. S'il peut n'avoir pas
reflété lesvues de la Junte militaire, il n'en demeure pas moins un
exposéofficiel des vues du Gouvernement péruvien en ce qui est de
la nature et de la portée de l'asile diplomatique. C'est la preuT7ela

plus forte possible que le Gouvernement péruvien, à la date du
26 octobre 1948, n'a pas jugéque le paragraphe ((premièrement ))de
l'article2 de la Convention de LaHavane, en employant l'expression
((cas d'urgence D,pouvait êtreconsidéré commelimitant l'asile aux
réfugiésqui fuyaient une foule hieuse ou des tribunaux révolution-
naires. Tous les ((asilér))dont la situation a étéexposée dans ce

document étaient des criminels politiques qui fuyaient I'adminis-
tration ordinaire de la justice du Pérou.
Il est évidemment impossible de passer en revue la pratique de
toutes les républiques qui ont été parties à la convention, et les
références à l'attitude adoptée par la Bolivie, le Guatemala, le
Panama, le Brésil, le Paraguay, le Chili, l'Uruguay et le Venezuela
sont incomplètes,cependant, un fait sedégagedu dossier de l'affaire :

on ne trouve pas un seul exemple, cité par la Colombie ou par le
Pérou, où une partie à la convention ait refusé d'accorder ou de
reconnaître l'asile diplomatique à un criminel politique ((en période
de troubles politiques )pour le motif qu'il cherchait à échapper à
l'arrestation, aux p- ursuites ou à I'emprisoilnem,pt, à raisr>n d'un
délit politique, par les autorités judiciaires de 1'Etat territorial. Si

un exemple de ce genre avait existé, on ne conçoit pas qu'il n'ait
pas étéinclus dans la volumineuse documentation de la présente
affaire.
On ne saurait échapper à la conclusioil que les parties à la
convention ont agi pendant une période de vingt-deux ans dans
l'idée que l'emploi de l'expression (cas d'urgence )) n'était pas
destiné à empêcher l'octroi de l'asile à des délinquants politiques

63 OPINIOK DISSIDEKTE DE M. READ 3Zb

qui cherchaient à échapper aux poursuites pour délit politique par
les autorités judiciaires locales, «en période de troubles politiques ».
En conséquence, l'interprétation péruvienne ne satisfait pas au
troisième critère.

Sous l'angle positif, l'application de ce critère confirme une
interprétation de l'expression ((cas d'urgence » qui couvre les cas
d'asile octroyé à des délinquants politiques «en période de troubles
politiques »,et qui les exclut pendant les périodes de tranquillité.
Les trois critères conduisent aux mêmesrésultats. Ils conduisent
au rejet de la nouvelle interprétation péruvienne des ccas d'ur-
gence » et, avec une vigueur égale, à l'acceptation de l'opinion

exprimée par le ministère des Affaires étrangères du Pérou le
26 octobre 1948. La déclaration faite à cette date reste un exposé
clair et sans équivoque de l'opinion du Gouvernement quant à la
nature et à l'étendue des obligations imposées au Pérou par les
règles conventionnelles et coutumières qui s'imposent à ce pays.
Il convient également de noter qu'elle contient un exposé clair
du point qui fait actuellement l'objet de notre examen. Cette

déclaration est ainsi conçue :
((L'asile diplomatique répond à un souci de protection huma-
nitaire dans des moments de bouleversement politique, ainsi
qu'au fait reconnu de l'inviolabilitédes sièges des missionsdiplo-
matiques, et doit par suite êtrereconnu en faveur des personnes

poursuivies pour des motifs politiques. ))

En déclarant que l'asile diplomatique cdoit être reconnu en
faveur des personnes poursuivies pour des motifs politiques »,le
Gouvernement adoptait la thèse suivant laquelle une personne
cherchant à échapper aux poursuites des autorités judiciaires
locales peut constituer iin « cas d'urgence 1)au sens de l'article z
de la Convention de La Havane. En disant que (l'asile diplomati-
que répond àun souci de protection humanitairc dans des moments

de bouleversement politique N,le Gouvernement du Pérou four-
nissait la clef du problème. Xulle part dans la documentation
étendue de cette affaire nous ne pouvons trouver une interprétation
plus claire ou plus convaincante de l'expression (cas d'urgence ».
Xulle part nous ne pouvons trouver une autre interprétation qui
satisfasse aux trois critères indiqués plus haut, ainsi qu'à tous
les autres critères admissibles en vertu des règles de droit inter-
national gouvernant l'interprétation des traités.

En conséquence, je me vois contraint de concliire que l'expres-
sion (cas d'urgence ))doit êtreinterprétée de façon à restreindre
l'octroi de l'asile diplomatique, en ce qui concerne les délinquants
politiques, aux cas dans lesquels cet octroi est fait cdans des
moments de bouleversement politiqiie 1)de caractèrerévolutionnaire,
et à empêcher l'octroi del'asile pcndant les périodcs de tranquillité.
Reste la question de savoir s'il est établi que le 3 janvier 1949

était une période de troubles politiques de nature révolutionnaire.
64 OPINION DISSIDENTE DE M. READ 327

Cette question relève tout spécialement de la connaissance de
l'État territorial et, à mon avis, la Colombie n'était pas tenue
d'établirplus qu'un commencement de preuve. Il n'est pas douteux
que la Colombie s'est acquittée dans cette mesure de la charge de
la preuve. D'autre part, le Péroun'a pas fourni le moindre élément

de preuve touchant les conditions politiques qui régnaient à Lima
au début de janvier 1949. L'agent du Pérou a déclarédans la
duplique : (Nous ne jugeons pas à propos d'exposer la situation
interne du Pérou qui justifia la promulgation des décrets men-
tionnés par la Colombie » (les décrets mentionnés comprenaient
celui en vertu duquel l'état de siège fut proclamé le 2 janvier
1949). Certaines affirmations ont été faites au nom du Gouver-
nement péruvien relativement aux conditions alors existantes,
mais elles furent incomplètes et, même sion les acceptait faute

de preuves, elles ne couvraient pas tous les aspects pertinents
desdites conditions à la date en question. Dans ces circonstances,
j'estime nécessaire de conclure à ce propos en faveur de la thèse
de la Colombie, savoir, que le 3 janvier 1949 était une période de
troubles politiques pendant laquelle la demande de protection,
érna~ant d'un délinquant politique, contre les poursuites entamées
par les autorités locales, pouvait être considerée comme un ((cas
d'urgence 1)au sens de la convention.

A ce stade, il suffira d'attirer l'attention sur l'importance du
commencement de preuve soumis par la Colombie pour établir
l'existence, à ce moment-là, d'une période de troubles politiques.
Il est suffisant d'indiquer que la périodede troubles a duréjusqu'au
17 février1949. Au delà de cette date, le dossier ne contient rien
qui justifierait la conclusion que des troubles ont continué ou
cessé. Voici les faits tels qu'ils sont établis:

I. L'état de siège proclamé par le Gouvernement du Pérou le
2 janvier 1949 pour une période de trente jours. Il est exact
qu'en vertu de la Constitution péruvienne, la proclamation
de l'état de siège n'empêchait pas le fonctionnement des

tribunaux ordinaires. Mais elle prouve que le Gouvernement
du Pérou estimait à cette date qu'une période de tranquil-
lité politique n'avait pas encore été atteinte et qu'au
contraire la situation politique était si troublée qu'il était
nécessairede prolonger l'état de siège ainsi que la suspension
des garanties constitutionnelles.

2. En dehors mêmede la proclamation de l'état de siège, il
est établi sans conteste que, suivant l'opinion du Gouverne-
ment péruvien, les circonstances, jusqu'au 17 février 1949,
étaient telles que l'octroi de l'asile à Lima pouvait être
considéré ((cas d'urgence 1)au sens de la Convention de La
Havane. Au cours de cette période,le Gouvernement péruvien
a agi dans cette conviction et a délivré des sauf-conduits

à l'ambassadeur de l'L7ruguayjusqu'à une date aussi tardive
que le 17 février 1949 (I<épliquc,Annexe 1). OPINION DISSIDENTE DE M. READ 328

3. En plus de l'appréciation de la situation faite parle ministère
des Relations extérieures du Pérou et par l'ambassadeur de
Colombie, il a étéétabli que les ambassadeurs de Bolivie,
du Guatemala, du Panama, du Brésil, du Paraguay, de
l'Uruguay, du Chili et du Venezuela considéraient la situation
politique à Lima comme si troublée que l'octroi de l'asile
aux délinquants politiques pouvait se justifier en tant que
((cas d'urgence ))au sens de la convention. Ces transactions
eurent lieu à des dates diverses s'étendant au delà de la
première moitié de février 1949, et dans aucun cas l'asile ne

paraît avoir étéoctroyé pour échapper aux violences popu-
laires. L'attitude de ces ambassadeurs n'est pas concluante,
mais il est difficile de croire qu'ils aient pu êtretous dans
l'erreur à ce propos et que leur erreur ait pu être partagée
par le ministère des Relations extérieures du Pérou.
4. Il ne s'agissait pas d'un conflit entre un gouvernement

constitutionnel, établi conformément aux lois, et une personne
qu'on prétendait être à la tête d'un parti révolutionnaire.
C'était un conflit entre deux groupements révolutionnaires.
Il ressort du dossier que le groupement vainqueur avait
organisé en août 1948 une révolution qui avait échoué,
et qui fut suivie d'une seconde révolution couronnée de
succès le 27 octobre. Ce groupement,' qui se qualifiait de
((Junte militaire de gouvernement », exerçait le pouvoir
suprême, tant législatif qu'exécutif, au Pérou.
Le quatrième acte officiel de cette Junte, quiétait arrivée
au pouvoir par des moyens anticonstitutionnels, fut de

promulguer, à la date du 4 novembre 1948, un décret-loi,
publiéle jour suivant dans El Peruano. Cedécret-loiprkvoyait
des mesures sévères contre les rebelles, et ses dispositionç
formaient un contraste frappant avec celles de la Constitution
et des codes du Pérou qui ont été produits devant la Cout.
A mon avis, il n'a pas étéétabli que les dispositions de
ce décret-loi auraient pu êtreinvoquées contre M. Haya de
la Torre. En revanche, elles témoignent de la nature extrême
des pouvoirs législatifs et exécutifs qu'exerçait en fait une
junte militaire non constitutionnelle. Elles démontrent qu'un

gouvernement régulier n'avait pas été rétabliau Pérou.

Il paraît donc évident que la Colombie a établi beaucoup plus

qu'un commencement de preuve, et que la Cour doit conclure que
l'octroi de l'asile M. de la Torre constituait un (cas d'urgence »
au sens de la convention.
Avant d'énoncer mes conclusions définitives au sujet de la
demande reconventionnelle, il me faut examiner quelques autres
points affectant la présente cause. OPIKION DISSIDENTE DE M. READ 329

On a soutenu que l'urgence faisait défaut en l'espèce parce
que l'octroi de l'asile, le 3 janvier 1949, par l'ambassadeur de
Colombie était postérieur de trois mois à la seconde rébellion,
de deux mois à la troisième rébellion, faite avec succès par la
Junte militaire, et de 48 jours à la sommation de comparaître,
du 16 novembre 1948. Il ne faut pas oublier que le fugitif était
un chef politique bien connu au Pérou et que s'il était resté caché
pendant trois mois, refusant d'obéir à la sommation de compa-

raître (ce qui n'a pas été prouvé au cours de la procédure), c'est
qu'il pouvait y avoir de bons et suffisants motifs, entièrement
compatibles avec la notion d'urgence. Il lui fallait certes rester
caché jusqu'à ce que les recherches se fussent assez calmées pour
lui permettre d'atteindre en sûreté une ambassade. S'il existait
un droit d'octroyer l'asile, un délai, raisonnablement nécessaire
pour pouvoir user de ce droit conformément au traité, ne saurait
porter atteinte à la validité de l'octroi.
En outre, aux j7eux de tous ceux qui connaissent l'histoire des
révolutions, en Amérique latine comme dans les autres parties

du monde, il paraîtra quelque peu théorique d'affirmer qu'une
période de 48 jours ou même de trois mois constituerait un laps
de temps déraisonnablement long. Il faut tenir compte du fait
que cette thèse, si elle était accueillie, aboutiraità détruire, à
sa base, l'argumentation présentée par le Gouvernement du
Pérou. Elle implique que, si le fugitif était arrivé à l'ambassade
de Colombie à une date antérieure, par exemple à Noël, ou au
Jour d'actions de grâce (Tha~zksgiving), il y aurait eu urgence,
et l'octroi de l'asile, par l'ambassadeur, aurait été valable. filais,
même à ces dates antérieures, l'asile aurait eu pour effet de protéger

le fugitif contre les poursuites instituées par les autorités locales.
Reste un autre point d'importance plus grande. Je me suis
borné à traiter la question de l'octroi de l'asile ; à l'exception
d'une remarque incidente, je n'ai pas mentionné le maintien de
l'asile. En outre, l'affaire a étédiscutée à la lumière des circons-
tances existant lorsaue l'ambassadeur de la Colombie a accordé
l'asile; les faits qui sont intervenus pendant les négociations
diplomatiques et au cours de la procédure devant la Cour ont été
considérés comme dépour~rusde pertinence.

Abordant le premier point, à savoir, le maintien de l'asile,
j'estime qu'il ne serait pas indiqué qu'en ma qualité de juge, je
me prononce à ce sujet. Le Gouvernement du Pérou a présentésa
demande à la Cour en termes précis. 11 a limité le problème à la

question de 1'octroi 1)Voici, en bref, quels sont les motifs àl'appui
de mon opinion :
a) Qu'est-ce quc le Pérou a deinandé à la Cour de décider ? Le
Pérou a clemandé à la Cour de dire et juger (que l'octroi de l'asile
par l'ambassadeur de Colombie Lima à Victor Rad Haya de la

Torre a été faiten violation dc l'article premier»,etc. OPINION DISSIDEKTE DE M. READ 33O

b) Quel était le sens que le Pérou attachait à cette formule au
moment où son agent l'a utilisée? Normalement, il suffirait de dire
que le Gouvernement du Pérou pensait ce qu'il disait. Les termes
utilisés «l'octroi de l'asile»signifientl'octroi de l'asile et ne signifient
point «octroi et maintien D.

Toutefois, le Pérou a donnéen l'espèce une double démonstration
du sens du terme « l'octroi)). Que le Pérou se soit vainement
efforcé d'introduire la question du « maintien » dans l'affaire, en
présentant au cours de la procédure orale une nouvelle demande
reconventionnelle fondée sur le ((maintien »,cela prouve que, dans
la pensée du Pérou, les termes de la demande reconventionnelle

primitive n'avaient pas encore eu pour effet de soumettre à la
Cour la notion du (maintien )).
D'autre part, le Gouvernementpéruvien a expliquétrès clairement
ce que son agent entendait en introduisant la demande reconven-
tionnelle. La déclaration pertinente a été faite au cours des
plaidoiries :

« Le motif essentiel pour lequel la demande reconventionnelle
a été faite, c'estpour vous faire déclarer qu'au moment où l'asile
a étéoctroyé, il n'y avait pas pour l'accusé ce danger matériel
et passager qui résulte des déchaînements de la foule, des troubles
sociaux, de l'impuissance du gouvernement ou mêmede la cons-
titution d'un tribunal exkaordinaire, d'un tribunal de vengeance.
C'est là le fondement essentielde notre demande reconventionnelle.
Si ce danger n'existait pas, si ce danger ne persistait pas,a fortiori,
il n'y avait pas de raison d'être pourl'asile. Par conséquent, c'est
tout à faitsztbsidiairement et en second lieu que nous avons été
amenés à parler du point de savoir s'il y avait délit dedroit commun
ou délit de droit politique, s'il y avait culpabilité du sieur Haya
de la Torre ou non. Ce point est complètement, presque complète-
ment en dehors des débats. Nous aurions pu soutenir que vous
n'avez pas compétence pour le trancher et que la seule question
que nous vous posions était celle de savoir si, au moment où
l'asile a étéaccordé, et à l'heure actuelle, il y a un danger de
sécuritépour l'«asilé » et si, par conséquent, l'asile est ou non
légitime.))

La première phrase de la citation, qui vise la demande recon-
ventionnelle primitive, révèle que le Pérou entendait demander à
la Cour de prononcer sur l'octroi et non sur le maintien de l'asile.
La dernièrephrase englobe tant la première que la nouvelle demande

reconventionnelle, présentée le 3 octobre et confirmée le 9 octobre
en plaidoirie. Cette phrase révèleque le Pérou entendait demander
à la Cour de statuer sur l'octroi et également sur le maintien (à
l'heure actuelle )), mais non sur la question du maintien entre
l'octroi primitif de l'asile etla date de l'arrêtde la Cour.

c) L'attitude des Parties, dans l'espèce, me fournit une troisième
raison de rejeter l'interprétation du terme cl'octroi 1) comme
comprenant la notion de ((maintien 1).

rS OPINION DISSIDENTE DE M. READ 33I
Ni dans la correspondance diplomatique, ni dans les écritures,
ni en plaidoirie, le Pérou n'a demandé à la Colombie de lui remettre
le fugitif. Le Contre-Mémoire a donné une explication complète de
cette attitude. Selon cette explication, le Pérou se réservait le

droit d'exiger cette remise, mais il reconnaissait l'existence dans
cette affaire d'élémentstant politiques que juridiques. Il n'avait
donc pas le désirde soulever la question de la remise (et le maintien
est inséparablement liéàla remise) jusqu'au règlement des questions
juridiques soumises à la Cour dans la demande reconventionnelle.
En réalité,abstraction faite de l'octroi primitif de l'asile, il n'y
a pas eu, entre les Parties, de véritable problème du maintien. Il
était nécessairede garder le fugitif dans l'ambassade pour maintenir
le statuquo pendant la période des négociations diplomatiques. Il
était également nécessaire de le garder aussi longtemps que l'affaire
était pendante devant la Cour. Vu l'absence de toute demande
tendant à la remise du réfugié, sonséjour forcé trouvait l'assen-
timent du Gouvernement péruvien.

11est nécessaire de souligner que je dois limiter mon opinion à
la demande reconventionnelle telle au'elle a été rés entéedans les
conclusions finales du ouv verne dumPéernu, à'la date du 9 octo-
bre 1950. Il faut rejeter la demande que la Cour dise et juge
((...qu'en tout cas le maintien de l'asile constitue actuellement
une violation dudit traité1):en effet, cette demande a étéformulée
pendant la procédure orale, contrairement aux dispositions de
l'article3 du Règlement de la Cour. En accueillant cette demande,
on priverait le Gouvernement de la Colombie du droit procédural
qu'il possède de répondre à cette nouvelle demande reconvention-

nelle dans sa réplique et de produire des preuves à ce sujet. En ce
qui est de la demande reconventionnelle primitive, je suis obligé
de limiter mon opinion au point de savoir si ((l'octroi de l'asile
par l'ambassadeur de Colombie ...a étéfait en violation »des
dispositions de la convention.
Pour ces motifs, il me faut conclure qu'il a étéétabli que l'ambas-
sadeur de Colombie a accordé l'asile à un délinquant politique «en
période de troubles politiques », entre une révolution couronnée
de succès et le rétablissement de conditions normales au Pérou.
Il s'ensuit qu'il existait un cas d'urgence et que l'octroi de l'asile
par l'ambassadeur n'a pas étéfait en violation des dispositions de
l'article2 de la Convention de La Havane.

(Signé) J. E. READ.

Bilingual Content

DISSENTING OPINION BY JUDGE READ

As 1 have concurred in the judgment of the Court on the claims
presented by the Government of Colombia, and in a large part of
the judgment on the couilter-claim, it is possible for me to confine
my separate opinion to one aspect of the cas1regret that 1cannot
agree with the majority of the Court on the question whether the
grant of asylum by the Colombian Ambassador at Lima, on Janu-
ary 3rd, 1949, to Sefior Haya de la Torre, could be justifiecl as an
urgent case within the meaning of the Havana Convention, 1928.

Before examining this question, it is necessary to make some
preliminary explanations. In the pleadings, and in the course of
the argument, there have been frequent references to "American
international law", and the "American institution of asylum". As
my conclusions in this case are largely based on my understanding
of these expressions, it is necessary for me to indicate what they
mean.
They use the word "American" in a special'sense-as relating to

a regional group of States, the twenty Latin-American Republics.
The region covers the greater part of S~uth and Central America,
and extends to parts of North ilmerica south of the Rio Grande,
including two of the. Caribbean Islands. It does not, however,
include the whole of either North, South, or Central America, and,
in that sense, the use of the word "American" is misleading. To
avoid confusion, it will be convenient to use quotation marks when
it is used in this special sense.

With regard to "American international law", it is unnecessary
to do more than confirm its existence-a body of conventional
and customary law, complementary to universal international
law, and governing inter-State relations in the Pan American world.

The "American institution of asylum" requires closer examin-
ation. There is-and there was, even before the first conventional
regulation of diplomatic asylum by the Conference at Montevideo
in 1889-an "American" institutionof diplomatic asylum for

political offenders. It has been suggested, in argument, that it
would have been better if the institution had been concerned
with ordinary people and not with politicians, that it is unfortunate
that political offenders were protected from trial and punishment
by courts of justice during the troubled periods which followed
revolutionary outbreaks, and that it would have been a wiser
course for the republics to have confined the institution to pro- OPINION DISSIDENTE DE M. READ

Me ralliant à l'arrêt de la Cour en ce qui est des conclusions
présentéespar le Gouvernement de Colombie et d'une grande partie

de la demande reconventionnelle, je suis en mesure de limiter mon
opinion séparée à un aspect de l'affaire. Je regrette de ne poiivoir
êtred'accord avec la majorité de la Cour sur le point de savoir si
l'octroi del'asile par l'ambassadeur de Colombie à Lima, le 3 janvier
1949, à M. Haya de la Torre pouvait êtreconsidéréà bon droit
comme un cas urgent au sens de la Convention de La Havane de
1928.

Avant d'examiner cette question, il est nécessairede donner quel-
ques explications préliminaires. Au cours de la procédure ,écriteet
des débats oraux, de fréquentes référencesont étéfaites au (droit
international américain »et à 1'(i(nstitution américaine de l'asile ».
Mes conclusions en cette affaire étant fondéesdans une large mesure
sur le sens que j'attribue à ces expressions, il est nécessaire que
j 'indique ce qu'elles signifient.
Le mot ((américain »s'y tro~ve employé en un sens particulier ;

il vise un groupe régional d'Etats, à savoir les vingt républiques
d'Amérique latine. Cette région représente la plus grande partie de
l'Amérique méridionaleet centrale et s'étend à certaines zones de
l'Amériquedu Nord, au sud du Rio Grande, parmi lesquelles deux
îles des Antilles. Elle ne comprend cependant pas l'ensemble de
l'Amérique du Nord, du Sud ou du Centre ; en ce sens, l'emploi du
mot (américain 1)prêteà erreur. Pour éviter cette confusion, il sera

utile de mettre des guillemets lorsque ce terme sera employé en ce
sens particulier.
En ce qui est du ((droit international américain »,il suffira d'en
confirmer l'existence en tant qu'ensemble de règles juridiques
conventionnelles et coutumières, complémentaires du droit inter-
national universel, et régissantles relations interétatiques du monde
panaméricain.

L'a institution américaine de l'asile )) appelle un examen plus
attentif. Il existe- et il a existéavant mêmela première réglemen-
tation conventionnelle de l'asile diplomatique par la Conférence
réunie à Montevideo en 1889 - une institution (américaine >)de
l'asile diplomatique pour les délinquants politiques. On a soutenu
au cours des débats qu'il aurait étépréférableque l'institution visât
les personnes ordinaires, non point les politiciens, qu'il était

regrettable que les délinquants politiques fussent protégés contre
les décisions et les sanctions des tribunaux pendant les périodes
troublées qui suivent les soulèvements révolutionnaires ;et qu'il
eût étéplus sage que les républiques dont il s'agit limitassent

51 3I7 DISSElïTIKG OPIKIOX BE' JUUGE READ
tection against mob violence. That is none of our business. The
Court is concerned with the institution as it is. The facts,
established by abundant evidence in the record of this case,
show that the Latin-American Republics had taken a moribund
institution of universal international law, breathed new life into

it, and adapted it to meet the political and social needs of the
Pan American world.
The institution Ras founded upon positive law, the immunity
of the diplomatic mission, and it does not make any difference
whether the theory of extraterritoriality is accepted or rejected.
Ypon the reception of a fugitive in an embassy or legation,
he enjoyed in fact, and as a result of the rules of international
law, an absolute immunity from arrest or interference of any
nature by the administrative or judicial authorities of the ter-
ritorial State. The only course open to that State was diplomatic
pressure. It could not force an entry and remove the fugitive.
It could insist on the recall of the head of the mission ;and, as

a last resort, it could break off diplomatic relations.

The record in this case discloses that revolutions were of
frequent occurrence in the region under consideration, and that
a practice developed of granting asylum to political offenders.
This practice became so common that it was regarded as a normal
part of the functions of diplomatic missions. During a period
when the institution of diplomatic asylum was obsolescent in
other parts of the world, it was in a stage of vigorous growth
and development in Latin-America.
This practice had a profound effect upon the legal relationship
resulting from the establishment of a diplomatic mission, or the

presentation of Letters of Credence by a new head in the case
of a mission already established. This legal relationship finds its
origin in implied contract. Its terms are never expressed in the
Letters of Credence or other forma1 documents. The understanding
of the parties as to what constitutes the proper functions of a
diplomatic mission was affected by this widespread practice of
granting asylum to political offenders, and, in consequence, the
legal relationship based on implied contract was altered. Within
the region under consideration, a territorial State, in the event
of the grant of asylum to a political offender, could no longer
assert, with justification, that the ambassador had transgressed
the limits of the proper functioning of a diplomatic mission.
The territorial State, on receiving the ambassador, had consented

to the exercise by him of al1 the ordinary diplomatic functions,
and within the Latin-American world, as a result of the develop-
. ment of this practice, it was understood by everybody that "the
ordinary diplomatic functions" included the grant of asylum to
political offenders. OPIKION DISSIDENTE DE 31. IiErlD 3I7

l'institution à une protection contre les violences populaires. Mais
cela ne nous concerne pas. La Cour doit s'occuper de l'institution
telle au'elle est. Les faits. tels au'ils ressortent des abondantes
preuves versées au dossier, démontrent que les républiques latino-
américaines ont repris une institution moribonde du droit inter-
national universel, lui ont insuffléune vie nouvelle et l'ont adaptée
aux besoins politiques et sociaux du monde panaméricain.
L'institution a étéfondée sur le droit pasitif: les immunités de

la mission diplomatique, et il n'importe guère à cet égard que la
théorie de l'exterritorialité soit acceptée ou rejetée.
Dès qu'un fugitif était accueilli dans une ambassade ou légation,
il y jouissait pratiquement et en vertu des règles du droit inter-
national d'une immunité absolue contre toute arrestation ou
immixtion de la part des autorités administratiyes et judiciaires de
l'État territorial. La seule voie ouverte à cet Etat était celle des
pressions diplomatiques. Il ne pouvait entrer de force dans la
légation et enlever le fugitif.Il pouvait demander le rappel du chef
de mission, et, en dernière instance, rompre les relations diploma-

tiIues.
Le dossier de l'affaire révèle que des révolutions ont souvent
éclatédans la région dont il s'agit et que la pratique s'est déve-
loppée d'accorder asile aux délinquants politiques. Cette pratique
est devenue si commune qu'elle fut considérée commeune partie
des fonctions normales des missions diplomatiques. A une époque
où l'institution de l'asile diplomatique tombait en désuétude
dans d'autres régions du monde, elle était dans une phase vigou-
reuse de croissance et de développement en Amérique latine.
Cette pratique a exercé une profonde influence sur le rapport
juridique résultant de l'établissement d'une mission diplomatique,

ou de la présentation des lettres de créance par un nouveau chef
dans le cas d'une mission déjà établie. Ce rapport juridique tire
son origine d'un contrat tacite, dont les termes ne sont jamais
exprimés dans les lettres de créance ni dans les autres documents
officiels. L'accord des parties sur la r-iature des fonctions normales
d'une mission diplomatique se trouvait affecté par cette pratique
très répandue de l'octroi de l'asile aux délinquants politiques,
et, par conséquent, le rapport juridique fondé sur un confrat
tacite s'en est trouvé modifié. Dans la région en cause, un Etat
territorial,lors de l'octroi de l'asile à un délinquant politique,

n'était plus fondé à soutenir que l'ambassadeur avait dépasséla
limite des fonctions normales d'une mission diplomatique. En
recevant l'ambassadeur, 1'Etat territorial avait admis qu'il exerçât
toutes les fonctions diplomatiques ordinaires ; or, dans le monde
latino-américain, selon l'évolution de cette pratique, il était
entendu Dar tout le monde aue cles fonctions di~lomatiaues
ordinaires » comprenaient l'octroi de l'asile aux délinquants
politiques. DISSENTING OPINION BY JUDGE READ
318
Having established the nature of the "American institution of
asylum", it is possible to proceed to the examination of the special
aspect of the counter-claim in which 1 am unable to concur in
the judgment of the Court. The majority is of the opinion that

the grant of asylum in the present case was made in violation
.of the "First" provision of Article 2 of the Havana Convention,
on the ground that it was not an urgent case within the meaning
of that provision. 1 am of the opinion that it was an urgent case,
and that the counter-claim should be dismissed.
The "First" provision of Article 2 reads as follows :

"First : Asylum may not be granted except in urgent cases and
for the fieriod of tim~ strictly indispensable for the person who has
sought asylum to ensure in some other zvay his safety."

It is obvious that the expression "except in urgent cases ....
safety" is not clear and unambiguous. Urgency has more than one
ordinary and natural meaning, and it is capable of application to
the problem of asylum in more than one way. In order to determine
the meaning that the Parties to the Convention had in mind when
they used this expression, it is necessary to look at the nature of the
problem with which they were concerned, and at the context in
which it is to be found.
The preamble shows that the Governments represented at the
Sixth Pan American Conference at Havana in 1928 were "desirous
of fixing the rules they must observe for the granting of asylum in

their mutual relations". They dealt with asylum as an existing
institution ; and, in Articles I and 2-the operative provisions of
the Convention-they prescribed a series of restrictive conditions
upon the grant of asylum, procedures which should be followed, and
obligations which were for the most part incumbent upon the coun-
try of refuge. The only obligations imposed on the territorial State
were the duty to recognize a grant of asylum made in cornpliance
with the restrictive conditions, and the ancillary duty to furnish a
safe-conduct in cases where the territorial State required that the
refugee should be sent out of the country.

The principal provision in Article 2 imposes an obligation on the
territorial State-the only primary obligation imposed on that
Stateby the Convention. It is the obligation that asylum "shall be
respected", and it imposes on the territorial State a legal obligation
to respect any asylum which has been granted by a Party to the
Convention, in conformity with the conditions clearly imposed
under Articles I and 2, both precedent and subsequent. It is an
obligation to respect not merely the grant but also the mainte-
nance of asylum within the conventional limitations.

There are certain conditions arising under the znd, 4th, 5th and
6th provisions in Article 2 which are not unimportant, but which do
not raise any difficulties in the present case. There are, however,
56 OPINION DISSIDENTE DE M. READ 318

Après avoir établi la nature de l'ccinstitution américaine de
l'asile», il est possible d'aborder l'examen du point particulier
de la demande reconventionnelle sur lequel je ne puis me rallier
à l'opinion de la Cour. La majorité estime que l'octroi de l'asile
dans la présente affaire a étéfait en violation de l'alinéa (cpremiè-
rement 1)de l'article 2 de la Convention de La Havane, pour ce

motif qu'il ne s'agissait pas d'un cas urgent au sens de cette
disposition. J'estime qu'il s'agissait là d'un cas urgent et que
la demande reconventionnelle devrait être rejetée.
L'alinéa cpremièrement » de l'article 2 est ainsi conçu :

« Premièrement : L'asilr:ne pourra êtreaccordé saufdans 18scas
d'urgence et pour le temps strictewent indispensable pour que le
réfugié se mette en sûretéd'une autre manière. ))

Il est évident que l'expression csauf dans les cas d'urgence ....
sûreté d'une autre manière »n'est pas claire ni dépourvue d'ambi-
guïté. Le mot curgence 1)a plus d'un sens naturel et ordinaire,
et il peut s'appliquer de plus d'une manière ail problème de
l'asile. Pour préciserla signification que les parties à la convention
ont eue dans l'esprit lorsqu'elles ont fait usage de cette expression,
il est nécessaired'examiner la nature du problème qui les préoccu-
pait et le contexte dans lequel ce problème est situé.

Le préambule montre que les Gouvernements représentés à
la VImeConférencepanaméricaine à La Havane en 1928, étaient
« désireux de fixer les règles qu'ils doivent observer pour la con-
cession du droit d'asile dans leurs relations mutuelles ». Ils ont
traité l'asile comme une institution existante. Dans les articles I
et 2 - qui sont les dispositions opérantes de la convention -,
ils ont entouré l'octroi de l'asile d'une sériede conditions restric-
tives, ils ont précisé lesprocédures à suivre et les obligations

qui, en grande partie, incombaient au pays de refuge. Les seules
obligations imposées à 1'Etat territorial consistaient dans le
devoir de reconnaître l'octro? d'un asile effectué conformément
aux conditions restrictives et dans le devoir auxiliaire de délivrer
un sauf-conduit dans les cas où il exigerait que le réfugiésortît
du pays.
La disposition principale de l'article 2 impose une obligation à
l'État territorial -la seule obligation principale que la convention

impose. à cet Etat. Il s'agit de l'obligation de respecter l'asile ;
1'Etat territorial a l'obligation juridique de respecter tout asile
accordépar une partie à la convention, sous réserve des conditions
clairement imposéespar les articles I et 2, conditions résolutoires
et suspensives. C'est une obligation de respecter non point seule-
ment l'octroi, mais aussi le maintien de l'asile, dans les limites
de la convention.
Il y a certaines conditions qui découlent des paragraphes deuxiè-

mement, quatrièmement, cinquièmement et sixièmement de I'ar-
ticle 2, et qui, tout en n'étant pas sans importance, ne soulèvent
563I9 DISSENTING OPINION BY JUDGE READ
four essential conditions precedent, al1 of which had to be fulfilled

in order to grant or maintain an asylum which the territorial
State was bound to respect. They are :

(a) The refugee must not have been "accused or condemned for
common crimes".
(b) The refugee must be a "political offender" within the meaning

of the expression as used in the first paragraph of Article 2.
(c) Asylum shall be respected only "to the extent in which
allowed, as a right or through humanitarian toleration, by
the usage, the conventions or the laws" of the country of
refuge.
(d) It must be an urgent case.

The first three conditions were fulfilled in this case, but the
fourth requires special consideration. The fundamental problem
is to determine what the Parties to the Havana Convention had
in mind when they used the expression "in urgent cases". There
are two possible interpretations, one which was put forward by
the Peruvian Government at a relatively late stage in the contro-
versv, namely, in the Counter-Memorial, and the other put forward
by (he Colombian Governrnent at an even later stage, namely,
the Reply. The reason for the delay in raising this issue can be
readily understood. It had never occurred to anybody in Govern-
ment circles in either Peru or Colombia that there was any doubt
as to the existence of urgency in the present case.

The Governments of Peru and Colombia, in the months of
February and March, 1949, were vigorously debating the question
as to whether the asylum granted in the present case by the
Colombian Ambassador could be justified, and whether the Peruvian
Government was justified in refusing to recognize the asylum and
grant a safe-conduct. If it had ever dawned on the conscioiisness
of any person in authority in Lima that it was possible to place
a construction on the expression "urgent cases" that would raise
a doubt as to whether this was an urgent case, it is unthinkable
that the point would not have been raised in the diplomatic corre-
spondence. It was at a later stage that the Peruvian Agent thought
it worth while to raise this point by way of counter-claim. It is

now necessary to decide whether to adopt the position put forward
by Peru, or the position put forward by Colombia, or a middle
ground between two extremes.
To begin with, 1 do not think that it is possible to accept the
extreme argument put forward on behalf of the Colombian Govern-
ment. That argument was based upon an attempt to discredit the
administration of justice in Peru, coupled with charges of adminis-
trative interference in judicial process. In thistter, it is sufficient
to Say that the Colombian Government has not proved its case, OPINIOX DISSIDESTE DE M. READ 319

aucune difficulté dans la présente espèce. Il y a cependant quatre
conditions essentielles suspensives qui doivent toutes être remplies
pour que 1'Etat territorialsoit obligé de respecter l'octroi ou le

maintien de l'asile :
a) Le réfugiéne doit pas avoir été accusé ou condamné pour
délit commun )).

b) Le réfugiédoit êtreun criminel politique au sens que cette
expression possède au premier alinéa de l'article 2.
c) L'asile sera respecté seulement ((dans la mesure dans laquelle,
comme un droit ou par tolérance humanitaire, l'admettraient
la coutume, les conventions ou les lois ))du pays de refuge.

d) Il doit s'agir d'un cas urgent.

Les trois premières conditions ont étéremplies en l'espèce, mais
la quatrième exige un examen particulier. Le problème fondamental
consiste à déterminer ce que les parties à la Convention de La
Havane entendaient par l'expression ((dans les cas d'urgence n.
Cette expression se prête à deux interprétations possibles. L'une
a étéproposée par le Gouvernement péruvien dans une phase

relativement avancée du litige, à savoir dans le Contre-Mémoire,
l'autre a étéproposée par le Gouvernement de la Colombie dans
une phase encore plus tardive, à savoir dans sa Réplique. Il est
aisé de comprendre la raison pour laquelle on a tardé à soulever
cette question. Il n'était venu à l'esprit de personne, dans les
cercles gouvernementaux du Pérou et de la Colombie, qu'il existât
le moindre doute quant à l'existence de l'urgence.
Dans les mois de février et mars 1949, les Gouvernements du
Pérou et de la Colombie avaient discuté énergiquement la question

de savoir si l'on pouvait justifier l'asile accordé en l'espèce par
l'ambassadeur de Colombie et si le Gouvernement péruvien était
fondé à refuser de reconnaitre cet asile et de délivrer un sauf-
conduit. Si n'importe quel fonctionnaire compétent à Lima avait
pensé un instant qu'il était possible d'interpréter l'expression
((cas d'urgence de manière à mettre en doute le caractère d'ur-
gence de l'affaire, il serait inconcevable que ce point n'ait pas été
mentionné dans la correspondance diplomatique. C'est seulement
à un stade ultérieur que l'agent péruvien estima qu'il valait la

peine de soulever la question à titre reconventionnel. Il faut main-
tenant décider s'il convient d'adopter la thèse du Pérou ou celle
de la Coloinbie. ou une thèse intermédiaire entre les deux extrêmes.

Je dirai tout d'abord qu'il n'est pas possible d'accepter l'argu-
ment extrême proposé au nom du Gouvernement colombien. Cet
argument visait à jeter le discrédit sur l'administration de la
justice au Pérou, en mêmetemps que l'on accusait les autorités

administratives de ce pays de s'immiscer dans la procédure judi-
ciaire. Il suffiraà cet égard dc dire (lue le Gouvcrnemcnt de la320 1)ISSENTING OPINION BY JUDGE KEAD
and that there is no justification for discrediting the administration
of justice or for any lack of confidence in that administration,
whether in Peru or in any other State.

Having disposed of the extreme Colombian position, it is neces-
sary to look at the extreme Peruvian position. It has been contended
that the use of the expression "urgent cases" limits the grant of
asylum to incidents in which the fugitive is being pursued bq7an
angry mob or perhaps by a partially organized force meting out
a form of crude and popular pseudo-justice in a period interveniilg
hetween a successful revolution and the formation of a new organ-
ized judicial system. The basis of this view is that it inconceivable
that the Governments represented at the Panamerican Conference
at Havana in 1928 could possibly have had in mind a system
which would protect political offenders from police measures and
prosecution and punishment under the laws of the country in

which their offences hacl been committed.
1 find it impossible to accept this extreme position, advanced
by the Peruvian Government during the later stages of this dispute.

From the point of view of the regions of the world with which
1 have had close contact, it would be inconceivable, in principle,
that governments could have intended "urgent cases" to include
the protection of political offenders from the local justice. It would
be unthinkable that a treaty provision should, in the absence of
exmess words. be construed so as to frustrate the administration
of justice.
There is, however, a principle of international law which is truly

universal. It is given equal recognition in Lima and in London,
in Bogota and in Belgrade, in Rio and in Rome. It is the principle
that, in matters of treaty interpretation, the intention of the
parties must prevail.
To apply this principle to the Havana Convention, 1 am com-
pelled to disregard regional principles, and persona1 prejudices and
points of view, which are not accepted and shared by the peoples
and governments of the "American" region. 1 am compelled to
look at the problem from the point of view of the twenty Latin-
American Republics, the signatories of the Havana Convention.
'Ihe Lnited States of America contracted out of the Convention,
by reservation before signature, and its special position does not
need to be considered.

It is, therefore, necessary to examine the question, taking into
account the principles of international law which are of universal
application, and, also, the point of view and manner of thinking
of the Parties to the Convention as indicated by the record. The
real issue is: whether the Conference at Havana in 1928 had in
mind the limitation of asylum to cases of mob violence, and whether

58 OPINION DISSIDENTE DE M. READ 320

Colombie n'a pas prouvé le bien-fondé de sa thèse et qu'il n'y a
aucune raison de jeter le discrédit sur la justice ou de se méfier
de la manière dont elle est administrée, que ce soit au Pérou ou

dans tout autre Etat.
La thèse extrême de la Colombie étant ainsi écartée,il est néces-
saire d'examiner la thèse extrême du Pérou. On a soutenu que
l'expression ((cas d'urgence 1limite l'octroi de l'asilà des incidents
dans lesquels le fugitif est poursuivi par une foule en fureur ou
peut-être par une force semi-organisée dispensant une forme de
pseudo-justice grossière et populaire, dans la période intervenant
entre une révolution réussie et la création d'une nouvelle organi-

sation judiciaire. Cette thèse part de l'idéequ'il serait inconcevable
que les Gouvernements représentés à la Conférence de La Havane,
en 1928 , ient pu envisager un système qui protégerait les délin-
quants politiques contre des mesures policières, contre des pour-
suites et des sanctions prévues par les lois du pays où ils ont commis
leurs crimes.
Je considère comme impossible d'accepter cette position extrême,
adoptée par le Gouvernement du Pérou au cours de la dernière
phase du présent litige.

Du point de vue des régions du monde avec lesquelles je me suis
trouvé en contact étroit, il serait en principe inconcevable que des
gouvernements aient conçu les (cas d'urgence ))comme impliquant
la protection de délinquants politiques contre la justice locale. On
ne saurait imaginer qu'une disposition d'un traité puisse être inter-
prétke, en l'absence de termes exprès, comme destinée à mettre
obstacle à l'administration de la justice.
Il existe cependant un principe de droit international véritable-

ment universel. Ce principe est également reconnu à Lima et à
Londres, à Bogota et à Belgrade, à Rio et à Rome. C'est le principe
suivant lequel, en matière d'interprétation d'un traité, l'intention
des parties doit prévaloir.
Pour appliquer ce principe à 'la Convention de La Havane, il me
faut faire abstraction des principes régionaux comme des préjugés
et des points de vue personnels qui ne sont pas admis ni partagés
par les peuples et les gouvernements de la région ((américaine ))Je

suis obligéd'envisager le problème du point de vue des vingt répu-
bliques de 1'4mérique latine, signataires de la Convention de La
Havane. Les Etats-Unis d'Amérique se sont soustraits à l'autorité
contractuelle de la convention en y insérant une réserve avant la
signature :leur situation particulière n'a donc pas besoin d'être
prise en considération.
11est par conséquent nécessaire d'examiner la question, compte
tenu des principes du droit international qui reçoivent une applica-

tion universelle, ainsi que du point de vue et du mode de penser des
parties à la convention,tels qu'ils ressortent du dossier. Le problc'me
veritahle est le suivaiit : la Conférence de La Havane de 192s
a-t-elle eu en vue la limitation de l'asile aux cas de violence popu-
5s 321 DISÇESTIKG .OPINION BY JUDGE KEAD

such an interpretation is confirmed or contradicted by the context.
For this purpose, principles 01 international law which are univer-
sally accepted rvould justify consideration of the following points :

1st. the nature of the institution witl-iwhich the Conference was
dealing ;
2nd. the context and the economy of the treaty regarded as a
whole ; and
3rd. the understanding of the parties to the treaty as to its
rneaning, as reflected by their subsequent action.

To my rnind, the Peruvian interpretation, when subjected to
these three tests, meets three insuperable obstacles, and must be
discarded. They may be considered in turn.

The first testrelates to the nature of the institution of asylum.
While 1hzve concurred in the view of the majority of my colleagues
that Colombia has not established that there is a right of unilateral
cilialification or a right to safe-conduct based on customary law,
there can be no doubt about the existence of an "American"
institution of asylum, an extensive and persistent practice, based
on positive Iaw, on conrrention and on custom.

The record in this case clisclosesthat over a period of more than
a century there were numerons instances in which asylum was
granted and made effective in the Latin-American republics. The
\ride spread of the practice is indicated by the citation, in the
Replv, of more than fifty separate instances in kvhich asylum was
granted and made good, covering two hundred and forty-four
enumerated individuals, as well as a number of groupings in which
precise numbers are not gir~en.At least seventeen Latin-American
States were concerned. While the information available is by no
means complete, the dates and such details as are given make it
possible to tie in the instances in which asylum was granted to
politicaI revoIutions and the periods of disturbed conditions which

followecl both successful and unsuccessful revolts. There is no
instance anywhere in the record in which a country of refuge, of the
Pan American world, acceded to a request by a territorial State to
surrender a political offender to the local justice. There is nothing
in the record to suggest that the granting of asylum was limited
to cases in which the fugitive was being pursued by angry mobs.
The evidence shows that asylum was granted, as a matter of course,
to political offenders who were seeking to escape from ordiriary
judicial process under the laws of the territorial State. There can
be no doubt that the institution of asylum, which the Pan American
Conference u-as seeking to regulate in 1928, was one in which
asylum \vas freely granted to political offenders during periods of
disturbed conditions following revolutions. The Governments

reljrcsented at the Confcrence made their intention abundantly
clear. in the preamble. Thcy rk-cre"desirous of fixing the rules they
.59 laire, et cette interprétation est-elle confirmée ou contredite par le
contexte ? A cette fin, les principes de droit international qui sont
admis universellement autoriseraient la prise en considération des
points suivants :

1) la nature de l'institution dont s'est occupée la conférence ;

2) le contexte et l'économiedu traité considéré commeun tout ;

3) les vues des parties quant au sens du traité, telles que ces vues
ressortent de leur attitude ultérieure.
Selon moi, l'interprétation péruvienne, soumise àces troiscritères.
se heurte à trois obstacles insurmontables et doit être écartée.

Examinons-les successivement.
Le firewziercritère a trait à la nature de l'institution de l'asile.
Tout en ayant partagé l'avis de la majorité de mes collègues que la
Colombie n'a pas établi l'existence d'un droit de qualification unila-

té~aleou d'un droit au sauf-conduit fondé sur le droit coutumier, il
ne peut y a\-oir aucun doute sur l'existence d'une institution (améri-
caine » de l'asile, pratique étendue et persistante, fondéesur-le droit
nositif. conventionnel et coutumier.
Le dossier de cette affaire révèleque, au cours d'une période de
pllis d'un siècle,il y a eu de nombreux cas oii l'asile a étéaccordé et
respect6 dans les républiques de l'Amérique latine. La large diffu-
sion de la pratique est révélée par l'évocation, dans la réplique, de
plus de cinquante cas où l'asile a étéoctroyé et appliqué, portant
sur deux cent quarante-quatre individus, ainsi que sur plusieurs

groupes de personnes pour lesquels on n'indique pas de chiffres
précis. Dix-sept Etats de l'Amérique latine au moins sont en cause.
Alors que les renseignements dont nous disposons sont loin d'être
complets, les dates et les détails que l'on donne permettent de relier
les cas dans lesquels l'asile a étéoctroyé, aux révolutions politiques
et aux périodes de troubles qui ont siiivj les révoltes, qu'elles aient
réussi ou non. On ne trouve nulle part dans le dossier le moindre
exemple d'un pays de refuge sppartenant au monde, panaméricain
qui aurait accédé à une demande présentéepar un Etat territorial
aux fins de remettre un criminel politique à la justice locale. Rien
n'indique dans le dossier que l'octroi de l'asile ait étélimité aux cas

dans lesquels le fugitif se trouvait poursuivi par des foules furieuses.
Il ressort des pièces que l'asile a étéaccordé comme allant de soi
aux criminels politiques qui cherchaient à se soust;aire aux polir-
suites judiciaires ordinaires conformes aux lois de 1'Etat territorial.
Il n'y a pas de doute que l'institution de l'asile, que la Conférence
panaméricaine cherchait à réglementer en 1928, était une institutiori
où l'asile était librement accordé aux criminels politiques pendant
les r~ériodestroublées oui suivaient les révolutions. Les gouv"rne-
inents représentés à la conférericcont cxposéclairement leur intc1-i-
tion dans le préambule. Ils étaient (désireux de fixer les règlcs à322 DISSEKTIï%G OPINION BY JUDGE READ
must observe for the granting of asylum". They gave no indication
of any intention to change the essential character of the institution.
Taking into account the points of view and manner of thinking of

the twenty Latin-American republics, as disclosed by the evidence
as to tradition and practice in the record, it is inconceivable that
they could have intended to limit the grant of asylum for political
offenders to cases in which they were being pursued by angry
mobs. It is unthinkable that, in using an ambiguous expression
"urgent cases", they were intending to bring to an end an
"Amencan" institution, based on ninety years of tradition, and to
prevent the grant of asylum to political offenders "in times of
political disturbance". To apply such a construction would be to
revise, and not to interpret the Havana Convention ;a course
which 1 am precluded from adopting by the rule laid down by this
Court when it stated :"It is the duty of the Court to interpret the
Treaties, not to revise them." "Interpretation of Peace Trenties
(secondphuse), Advisory Opiniolz : I. C.J. Reports 1950, fi 229."

Accordingly, the Peruvian contention fails to meet the test of

the first obstacle, and must be rejected.
On the positive side the application of this test would strongly
support and confirm an interpretation of the expression "urgent
cases" as covering cases in which asylum was granted during a
period of disturbed conditions following a revolution, and as
excluding asylum during periods of political tranquillity.

The secondtestarises out of the context and the generaI economy
of the Convention. 1 have already reviewed the general economy
of the treaty and shall confine myself to two aspects of the
context.
The argument that asylum cannot be granted to protect the
political offender from prosecution and possible conviction by
the local courts, which is at the basis of the Peruvian interpretation
of "urgent cases", encounters an insuperable obstacle in the
text of Article I.

The first paragraph of this article provides that "it is not
permissible for States to grant asylum ....to persons accused or
condemned for common crimes....". The second paragraph provides
that "persons accused of or condemned for common crimes taking
refuge ....shall be surrendered upon request of the local govern-
ment". Accordingly, it is clear that a person accused, or even
condemned, for a political offence \$as regarded by the Govern-
ments represented at the Conference as a proper subject for
asylum. It is equally clear that a refugee accused or condemned
for a politicaloffence alone need not be surrendered to the local
government. In the case before the Court, Peru has no right, OPINION DISSIDENTE DE M. READ 322

observer pour l'octroi de l'asile 1). Ils n'ont manifesté aucune
intention de changer le caractère essentiel de l'institution. Si l'on
rend en considération les oints de vue et le mode de Denser
'des vingt républiques de i'Amérique latine tels qu'ils ress'ortent

des pièces du dossier relatives à la tradition et à la pratique,
il est inconcevable que ces Etats aient pu avoir l'intention de
limiter l'octroi de l'asile aux criminels politiques aux cas dans
lesquels ces derniers se trouvent poursuivis par desfoulesdéchaînées.
Il n'est pas imaginable que leur intention ait étéde mettre fin, par
l'emploi de l'expression ambiguë (cas d'urgence ))à une institution
[(américaine ».fondée sur quatre-vingt-dix années de tradition et

d'empêcher l'octroi de l'asile aux délinquants politiques c(en
période de troubles politiques 1).Appliquer cette interprétation
serait reviser et non Das inter~réter la Convention de La
Havane, méthode que m'interdit la règle poséepar la Cour lors-
qu'elle énonça qu'elle ((est appelée à interpréter les traités, non à
les reviser 1)((Interprétationdes Traitésde paix (deuxième.phase),
avis consultatif: C. I. J. Recueil 1950, p. 229. »
En conséquence, la thèse péruvienne ne résiste pas au critère du

premier obstacle et doit êtrerepoussée.
Sous l'angle positif, l'application de ce critère appuierait avec
force et confirmerait une. interprétation de l'expression « cas
urgents n, selon laquelle seraient couverts les cas où l'asile a été
accordé pendant une période de troubles postérieurs à une révolu-
tion et excluant l'asile au cours des périodesde tranquillité politique.

Le secondcritèredécoule du contexte et de l'économiegénéralede
la convention. J'ai déjà passéen revue l'économiegénéraledu trait6
et je me bornerai à deux aspects du contexte.

L'argument suivant lequel l'asile ne peut être octroyé pour
protéger le criminel politique des poursuites et d'une condamnation

possible par les tribunaux locaux, argument qui est à la base de
l'interprétation péruvienne des « cas urgents )),se heurte à un
obstacle insurmontable dans le texte de l'article I.
L'alinéa premier de cet article dispose comme suit :((Il n'est pas
permis aux Etats de donner asile ...aux personnes accusées ou
condamnées pour délits communs ...1)Le second alinéa dispose
que «les personnes accusées ou condamnées pour délits com-
muns qui se réfugient .... devront être remises aussitôt que

l'exigera le gouvernement local ». En conséquence, il est clair
qu'une personne accusée ou même condamnée pour un crime
politique était considéréepar les gouvernements représentés à la
conférence comme pouvant à bon droit bénéficier de l'asile. Il
ressort également qu'il n'est pas obligatoire de remettre au gouver-
nement local un réfugié accusé oucondamné pour crime politique 323 DISSENTING OPINIOX BY JUDGE READ

under the Havana Convention, to demand the surrender of the
fugitive.
There is another aspect of the context. An examination of
Articles Iand 2 of the Convention shows that the parties intended
to draw a clear-cut line between common criminals and political
offenders. An interpretation, lirniting asylum for political offenders
to cases in which mob violence or revolutionary tribunals were
involved, would eliminate this distinction and leave Article 2
to serve no useful purpose. 1 am precluded from accepting such
an interpretation by the rule laid down by this Court when it
stated : "It would indeed be incompatible with the generally

accepted rules of interpretation to admit that a provision of
this sort occurring in a special agreement should be devoid of
purport or effect." "Corfu Channel Case, Judgment of dpril gth,
1949, I. C.J. Reports 1949, p. 24."
This Convention, in paragraph I of Article 2,deals with "asylum
granted to political offenders". A political offender is a person
who has committed a political offence against the laws of the
territorial State. Asylum cannot, by its very nature, be granted
to a political offender without protecting him from local prose-
cution, and without frustrating the administration of justice in
the territorial State. An interpretation limiting the grant of
asylum under Article 2 to cases in which political offenders were

pursued by angry mobs, coupled with the duty to turn the fugitive
over to the local police to be prosecuted for his political offence,
would put the political offender on exactly the same footing as
the common criminal. It is conceded that the latter can be given
temporary shelter from mob violence or lynch law, on human-
itarian grounds, and handed over to the local police for prose-
cution. Such an interpretation would, in effect, delete the word
asylum from the first paragraph of the article, substitute temporary
shelter on humanitarian grounds, and create a position in which
the provisions of Article 2 would "be devoid of purport or effect".

Any attempt to interpret the expression "urgent cases" as limit-
ing diplomatic asylum to protection from mob violence encounters
the insuperable obstacle presented by these provisions of the
Convention, and must be rejected.

On the positive side, the application of this test would support an
interpretation of the expression as covering cases of asylum during
periods of revolutionary disturbance, and as excluding it during
periods of tranquillity, and would bring the provisions of Articles I
and 2 into close harmony.

The third test relates to the understanding of the parties to the
treaty as to its meaning, reflected by their subsequent action. It
may be observed that this Court relied upon an examination of the
61 OPINION DISSIDENTE DE M. READ 323

seulement. Dans l'affaire soumise à la Cour, le Péroun'est pas fondé,
en vertu de la Convention de La Havane, à demander la remise du
fugitif.
Il existe un autre aspect ducontexte.Un examen des articles I et2

de la convention monire que les parties ont eu l'intention de tracer
une ligne de démarcation bien nette entre les criminels de droit
commun et les délinquants politiques. Une interprétation limitant
l'asile en faveur des délinquants politiques aux cas où il s'agit de
violence populaire ou de tribunaux révolutionnaires supprimerait
cette distinction et priverait l'article 2 de tout objet utile. Cette
interprétation m'est interdite par la règle poséepar la Cour lors-
qu'elle énonce ce qui suit :(cIl serait en effet contraire aux règles

d'interprétation généralement reconnues de considérer qu'une dispo-
sition de ce genre, inséréedans un compromis, soit une disposition
sans portée et sans effet. » « Aoaire du Détroit de Corfou, Arrêt
dzs 9 avril 1949, C. I. J. Recueil 1949, p. 24. ))
Ida convention, au paragraphe I de l'article2, traite de «l'asile
octroyé aux criminels politiques ». Un criminel politique est une
personne qui a commis un crime politique contre les lois de 1'Etat

territorial. L'asile ne peut, de par sa nature même, être accordé
à un délinquant politique sans le protéger des poursuites locales
ou sans contrecarrer l'administration de la justice dans 1'Etat
territorial.Vne interprétation qui limiterait l'octroi de l'asile, en
vertu de l'article 2, aux cas dans lesquels les délinquants politiques
sont poursuivis par des foules déchaînées, jointe à l'obligation
de remettre le fugitif à la police locale pour être poursuivi pour
son crime politique, placerait le délinquant politique exactement

sur le même ~ied aue le criminel de droit commun. On admet
que ce dernier peut être temporairement mis à l'abri de la vio-
lence populaire ou du lynchage, pour des motifs d'fiumanité, et
remis à la police locale aux fins de poursuites. Cette interprétation
supprimerait en fait le mot asile du premier paragraphe de
l'article en y substituant refuge temporaire pour des motifs
d'humanité, et créerait une situation dans laquelle les dispositions

de l'article 2 seraient ((sans ~ortée et sans effet )).
Tout essai d'interpréter l'expression ccas urgents )) dans le
sens d'une limitation de 1asile diplomaticlue à la protection
contre la violence populaire se heurte à l'obstacle insurmontable que
représentent ces dispositions de la con~7ention et doit êtrerejeté.
Sous l'angle positif, l'application de ce critère confirmerait une
interprétation de l'expression qui tendrait à couvrir les cas d'asile

au cours des périodes d'agitation révolutionnaire et à exclure
celui-ci pendant les périodes de tranquillité ; elle harmoniserait
étroitement les dispositions (les articles 1 et 2.

Le troisième critéreest tiré des vues des Parties quant ail sens
du traité, telles que ces vues ressortent de leur attitude ultérieure.
On peut observer que la Cour s'est fondée sur l'esameil de I'atti-

61324 DISSENTING OPINION BY JUDGE READ
subsequent attitude of the Parties with a view to ascertaining their
intention, when interpreting an international agreement, stating :
"The subsequent attitude of the Parties shows that it was not their
intention, by entering into the Special Agreement, to preclude the
Court from fixing the amount ofthe compe~-isation." "Corfu ChanlzeL

Case, Judgment of APrzLgth, I949 : I.C.J. Reports 1949, p. 2.5."

In the present case, if the Parties had meant that asylum was to
be restricted to cases where offenders were seeking to escape from
angry mobs, or from improvised revolutionary tribunals, it is certain
that there would have been a fundamental change in the practice of
the Latin-American States. There is sufficient evidence in the record
to convince me that there was no change in practice in granting or
recognizing diplomatic asylum, in the years following the coming
into force of the Havana Convention.

Considerations of time and space, and the lack of information

regarding the course followed by al1of the Parties to the Convention,
prevent a comprehensive examination of al1 aspects of this test. It
will be sufficient to examine the course followed by Colombia and
Peru in granting asylum, and in recognizing the grant of asylum by
other countries, during the last twenty-two years.

With regard to Colombia, it is sufficient to note that there was
no break in Colombian practice in the mâtter of thegrant of asylum
by Colombian diplomatic missions, or in the recognition of asylum
granted in Colombia by the diplomatic missions of other Latin-
American States. There was no indication of any tendency to
restrict the grant or recognition of asylum to cases in which a
political offender was notseeking protection from arrest, prosecution

and punishment by the local authorities.

With regard to Peru, it is equally clear that, prior to March z~st,
19jo, there was no change in practice. Disregarding the Spanish
Cix~ilWar cases which were of a special character, Peru recognized
the grant of asylum by the Bolivian Legation in 1930, granted
asylum in Guatemala in 1944, in Bolivia in 1946, and in Panama in
1948, and recognized grants of asylum by the Brazilian, Paraguayan,
Colombian, Ciiilean, Uruguayan and Venezuelan Embassies in Lima
in 1948 and 1949. Even the course followed in the case of Senor
Haya de la Torre did not indicate any change in practice. Through-
out the diplomatic correspondence, Peru strongly contended that
Colombia was not entitled to grant the asylum because the refugee

had been accuscd of a common crime. It was urged, with equal
vigour, that Peru was not bound to give a safe-conduct, and that
Colombia did not have a right of iinilateral qualification. It as
not contended that the grant of asylum was invalid, on the ground
that it had not been an "urgent case". It was not argued that asylum
62 OPINION DISSIDENTE DE M. READ 324

tude ultérieure des Parties, aux fins de déterminer leur intention
lors de l'interprétation d'un accord international dans 1'~Aflaire
du Détroit de Corfou, ilrrêtdzr g avril 1949, C. I. J. Recueil
1949, 9.25 D.Elle s'est alors exprimée ainsi:((Il ressort de l'attitude
ultérieure des Parties que leur intention, lorsqu'elles ont conclu
le compromis, n'était pas d'empêcherla Cour de fixer le montant
de l'indemnité. 1)
Dans la présente espèce, si les Parties avaient eu dans l'idée
que l'asile devait êtrelimité aux cas dans lesquels des délinquants

cherchaient à échapper à des foules déchaînées ou à des tribunaux
révolutionnaires improvisés, il est certain qu'il ,y aurait eu un
changement fondame~tal dans la pratique des Etats de 1'Amé-
rique latine. Il existe au dossier des preuves suffisantes pour me
convaincre que la pratique relative à l'octroi età la reconnaissance
de l'asile diplomatique n'a pas changé dans les années qui ont
suivi l'entrée en vigueur de la Convention de La Havane.
Des considération: de temps et de place, ainsi que le manque
d'informations relatives à l'attitude de toutes les parties à la
convention, empêchent un examen général de tous les aspects
de ce critère. Il suffira d'examiner la pratique suivie au cours

des vingt-deux dernières années par la Colombie et le Pérou en
accordant l'asile et en reconnaissant l'octroi de I'asile par d'autres
pavs
A propos de la Colombie, il suffira de noter qu'il n'y a pas eu
d'interruption dans la pratique de ce pays en matière d'octroi de
l'asile par ses missions diplomatiques, ni dans la reconnaissance de
l'asile accordé en Colombie pa-r les missions diplomatiques des
autres pays de l'Amérique latine. Il n'y a eu indication d'aucune
tendance à restreindre l'octroi ou la reconnaissance de l'asile aux
cas dans lesquels un criminel politique ne cherchait pas protection
c ntre l'arrestation, les poursuites et la condamnation par leç

autorités locales.
Quant au Pérou,il apparaît également que, avant le21 mars 1950,
il n'y a pas eu de modification dans la pratique. Si nous écartons
les exemples fournis par la guerre civile espagnole, dont le caractère
était particulier, le Pérou a reconnu l'octroi de l'asile par la légation
de Bolivie en 1930, a accordél'asileau Guatemala en 1944, en Bolivie
en 1946 et au Panama en 1948, et reconnu l'octroi de l'asile par les
ambassades du Brésil, du Paraguay, de la Colombie, du Chili, c!c
1'T7ruguayet du Venezuela à Lima, en rgqS et 1949.Mêmel'attitirdc
adoptée dans le cas de M. Haya de la 'îorre n'a pas indiqué clc

changement dans la pratique. Tout au long de la correspondancc
diplomatique, le Pérou a soutenu avec force que la Colombie n'était
pas en droit d'accorder l'asile, parce que le rbfugiéavait étéaccusé
d'un crime de droit commun. On a soutenu, avec la même vigueur,
que le Pérou n'était pas tenu de délivrer un sauf-conduit, et que la
Colombie ne jouissait pas d'un droit de qualification unilatérale. 011
n'a pas prétendu que l'octroi de l'asile n'était pas valable pour lc 325 DISSENTING OPINION BY JUDGE READ

could not be accorded when its purpose was to enable a refugee to
escape from prosecution or imprisonment by the local judicial
authorities. Thereis only one possible explanation for this omissi;n
namely, that, at that time, the Pemvian Government considered
that the conditions of urgency contemplated by theHavana Conven-
tion existed in Lima in January 1949.

There is the strongest possible confirmation of this explanation
in the "Official information from the Ministry for Foreign Affairs"
published in the Official Bulletin of the Government of Peru,
El Per%a?zo,October 26th, 1948, and cited in the Memorial,
paragraph 39. An attempt was made by Colombia to treat this
document as committing the Government of Peru to acceptance
of the doctrine of unilateral qualification upon which it was
largely based. 1 do not dissent from the action of the Court in
rejecting this extreme view of the nature and significance of the
document. But that does not mean that the document has no
significance. While it may not have conformed to the view of

the Military Junta, it remains an officia1 statement of the views
of the constitutional Peruvian Government as to the nature and
scope of diplomatic asylum. It is the strongest possible evidence
that the Peruvian Government, on October 26th, 1948, did not
consider that the "First" provision in Article 2 of the Havana
Convention, in using the expression "urgent cases" could be
regarded as restricting asylum to refugees fleeing from angry
mobs or revolutionary tribunals. Al1 of the "asylees" whose
position \vas explained in this document were political offenders,
fugitives from the ordinary administration of justice in Perii.

While it is impossible to review the practice in al1of the Republics
which were Parties to the Convention, and while the references

to the attitude adopted by Bolivia, Guatemala, Panama, Brazil,
Paraguay, Chile, Uruguay and Venezuela are incomplete, there
is one fact that emerges from the state of the record in this case.
There is not one instance, cited by either Colombia or Peru, in
nhich a Party tothe Convention has refused togrant or to recognize
diplomatic asylum to a political offender "in times of political
disturbance" on the ground that he was seeking to escape from
arrest, prosecution or imprisoilment, for a political offence, by
the judicial authorities ofthe territorial State. If there had been
such an instance, it is inconceivable that it would not have been
included in the voluminous documentation of this case.

It is impossible to escape the conclusion that the Parties to

the Convention have acted over a period of twenty-two years
upon the understanding that the use of the expression ."urgent
cases" was not intended to he a bar to the grant of asylum to
63 OPINION DISSIDENTE DE M. READ 325

motif qu'il ne s'agissait pas d'un ((cas d'urgence 1).011 n'a pas
prétendu que l'asile ne pouvait êtreaccordé lorsque son but était
depermettre àun réfugiéde se soustraire à la poursuite et à l'empri-

sonnement par les autorités judiciaires locales. 11n'y a qu'une seule
manière possible d'expliquer cette omission, savoir que, à l'époque,
le Gouvernement du Pérou estimait que les conditions d'urgence
prévues par la Convention de La Havane se trouvaient remplies à
Lima en janvier 1949.
On trouve la confirmatioil la plus forn~elle possible de cette
explication dans (l'information ofîlcielle du miilistère des Relations

extérieures 11,publiée dans le bulletin officiel du Gouvernement du
Pérou, El Peruatzo,du 26 octobre 1948, et citéeau mémoire, para-
graphe 39. La Colombie a essayé de traiter ce document comme
entraînant l'engagement par le Gouvernement du Pérou d'accepter
la doctrine de la qiialification unilatérale, doctrine sur laquelle il est
fondé dans une large mesure. Je ne me désolidarise pas de l'attitude

de la Cour qui repousse cette conception extrêmede la nature et de
la signification du document. Mais cela ne veut pas dire que le
document soit dépourvu de signification. S'il peut n'avoir pas
reflété lesvues de la Junte militaire, il n'en demeure pas moins un
exposéofficiel des vues du Gouvernement péruvien en ce qui est de
la nature et de la portée de l'asile diplomatique. C'est la preuT7ela

plus forte possible que le Gouvernement péruvien, à la date du
26 octobre 1948, n'a pas jugéque le paragraphe ((premièrement ))de
l'article2 de la Convention de LaHavane, en employant l'expression
((cas d'urgence D,pouvait êtreconsidéré commelimitant l'asile aux
réfugiésqui fuyaient une foule hieuse ou des tribunaux révolution-
naires. Tous les ((asilér))dont la situation a étéexposée dans ce

document étaient des criminels politiques qui fuyaient I'adminis-
tration ordinaire de la justice du Pérou.
Il est évidemment impossible de passer en revue la pratique de
toutes les républiques qui ont été parties à la convention, et les
références à l'attitude adoptée par la Bolivie, le Guatemala, le
Panama, le Brésil, le Paraguay, le Chili, l'Uruguay et le Venezuela
sont incomplètes,cependant, un fait sedégagedu dossier de l'affaire :

on ne trouve pas un seul exemple, cité par la Colombie ou par le
Pérou, où une partie à la convention ait refusé d'accorder ou de
reconnaître l'asile diplomatique à un criminel politique ((en période
de troubles politiques )pour le motif qu'il cherchait à échapper à
l'arrestation, aux p- ursuites ou à I'emprisoilnem,pt, à raisr>n d'un
délit politique, par les autorités judiciaires de 1'Etat territorial. Si

un exemple de ce genre avait existé, on ne conçoit pas qu'il n'ait
pas étéinclus dans la volumineuse documentation de la présente
affaire.
On ne saurait échapper à la conclusioil que les parties à la
convention ont agi pendant une période de vingt-deux ans dans
l'idée que l'emploi de l'expression (cas d'urgence )) n'était pas
destiné à empêcher l'octroi de l'asile à des délinquants politiques

63 OPINIOK DISSIDEKTE DE M. READ 3Zb

qui cherchaient à échapper aux poursuites pour délit politique par
les autorités judiciaires locales, «en période de troubles politiques ».
En conséquence, l'interprétation péruvienne ne satisfait pas au
troisième critère.

Sous l'angle positif, l'application de ce critère confirme une
interprétation de l'expression ((cas d'urgence » qui couvre les cas
d'asile octroyé à des délinquants politiques «en période de troubles
politiques »,et qui les exclut pendant les périodes de tranquillité.
Les trois critères conduisent aux mêmesrésultats. Ils conduisent
au rejet de la nouvelle interprétation péruvienne des ccas d'ur-
gence » et, avec une vigueur égale, à l'acceptation de l'opinion

exprimée par le ministère des Affaires étrangères du Pérou le
26 octobre 1948. La déclaration faite à cette date reste un exposé
clair et sans équivoque de l'opinion du Gouvernement quant à la
nature et à l'étendue des obligations imposées au Pérou par les
règles conventionnelles et coutumières qui s'imposent à ce pays.
Il convient également de noter qu'elle contient un exposé clair
du point qui fait actuellement l'objet de notre examen. Cette

déclaration est ainsi conçue :
((L'asile diplomatique répond à un souci de protection huma-
nitaire dans des moments de bouleversement politique, ainsi
qu'au fait reconnu de l'inviolabilitédes sièges des missionsdiplo-
matiques, et doit par suite êtrereconnu en faveur des personnes

poursuivies pour des motifs politiques. ))

En déclarant que l'asile diplomatique cdoit être reconnu en
faveur des personnes poursuivies pour des motifs politiques »,le
Gouvernement adoptait la thèse suivant laquelle une personne
cherchant à échapper aux poursuites des autorités judiciaires
locales peut constituer iin « cas d'urgence 1)au sens de l'article z
de la Convention de La Havane. En disant que (l'asile diplomati-
que répond àun souci de protection humanitairc dans des moments

de bouleversement politique N,le Gouvernement du Pérou four-
nissait la clef du problème. Xulle part dans la documentation
étendue de cette affaire nous ne pouvons trouver une interprétation
plus claire ou plus convaincante de l'expression (cas d'urgence ».
Xulle part nous ne pouvons trouver une autre interprétation qui
satisfasse aux trois critères indiqués plus haut, ainsi qu'à tous
les autres critères admissibles en vertu des règles de droit inter-
national gouvernant l'interprétation des traités.

En conséquence, je me vois contraint de concliire que l'expres-
sion (cas d'urgence ))doit êtreinterprétée de façon à restreindre
l'octroi de l'asile diplomatique, en ce qui concerne les délinquants
politiques, aux cas dans lesquels cet octroi est fait cdans des
moments de bouleversement politiqiie 1)de caractèrerévolutionnaire,
et à empêcher l'octroi del'asile pcndant les périodcs de tranquillité.
Reste la question de savoir s'il est établi que le 3 janvier 1949

était une période de troubles politiques de nature révolutionnaire.
64327 1)ISSEKTINC; OPIYIOK B\' JCDGE REAI)
revolutionary character. This is a matter peculiarly \\rithin the
knowledge of the teri-ito~ial State, and,in my opinion, Colombia
was not bound to establish more than a prima facie case. There can

be no doubt that Colombia has discharged the burden of proof to
this extent. On the other hand, Peru has not furnished a scintilla of
evidence with regard to political conditions obtaining in Lima at
tFe beginning of January, 1949. The Agent for Peru in the Rejoinder
stated: "We do not propose to describe the interna1 ïituation of
Peru which jiistified the promulgation of the decrees mentioned
by Colombia" (the decrees mentioned included that under which
a state of siege was proclaimed on Janiiary and, 1g4a). Certain
assertions were made on behalf of the Peruvian Government as to
conditions obtaining at that time, but they were incomplete and,
even if accepted in the absence of proof, they did not cover al1
relevant phases of the conditions existing at the date in question.
In these circumstances, 1 am of the opinion that it is necessary

to make a finding in favor of the Colombian contention in this
respect, namely, that January 3rd, 1949, was a time of political
disturbance in which a request from a political offender for protec-
tion against prosecution by the local authorities could be regarded
as an "urgent case" withjn the meaning of the Convention.

It is unnecessary at this stage to do more than indicate the extent
of the prima fncie evidence submitted by Colombia to prove the
existence of a period of political disturbance at that time. It is
sufficient to indicate that the period of disturbance lasted until
February 17th, 1949. Beyond that date, there is nothing in the
record to justify an assumption that disturbed conditions continued

or disappeared. The evidence is as follows :
I. The state of siege proclaimed by the Government of Peru on
January and, 1949, and extending for a period of 30 days. It
is tri,e that under the Peruvian Constitution the proclamation
of a state of siege did not prevent the functioning of the

ordinary courts of justice. On the other hand, it is conclusive
evidence of the fact that the Government of Peru was at that
date of the opinion that a period of political tranquillity had
not been reached, but that political conditions were so dis-
turbed that it was necessary to continue the state of siege and
the suspension of the constitutional guarantees.
2. Apart altogether from the proclamation of a state of siege,

there is unmistakable evidence that the Peruvian Government
was of the opinion that the conditions up to the17th February,
1949, were such that a grant of asylum in Lima could be
regarded as an "urgent case" within the meaning of the
Havana Convention. During this period the Peruvian Govern-
ment acted on this assumption, and as late as February 17th,
1949, delivered safe-conducts to the Uruguayan Ambassador
(Reply, Annex 1).

65 OPINION DISSIDENTE DE M. READ 327

Cette question relève tout spécialement de la connaissance de
l'État territorial et, à mon avis, la Colombie n'était pas tenue
d'établirplus qu'un commencement de preuve. Il n'est pas douteux
que la Colombie s'est acquittée dans cette mesure de la charge de
la preuve. D'autre part, le Péroun'a pas fourni le moindre élément

de preuve touchant les conditions politiques qui régnaient à Lima
au début de janvier 1949. L'agent du Pérou a déclarédans la
duplique : (Nous ne jugeons pas à propos d'exposer la situation
interne du Pérou qui justifia la promulgation des décrets men-
tionnés par la Colombie » (les décrets mentionnés comprenaient
celui en vertu duquel l'état de siège fut proclamé le 2 janvier
1949). Certaines affirmations ont été faites au nom du Gouver-
nement péruvien relativement aux conditions alors existantes,
mais elles furent incomplètes et, même sion les acceptait faute

de preuves, elles ne couvraient pas tous les aspects pertinents
desdites conditions à la date en question. Dans ces circonstances,
j'estime nécessaire de conclure à ce propos en faveur de la thèse
de la Colombie, savoir, que le 3 janvier 1949 était une période de
troubles politiques pendant laquelle la demande de protection,
érna~ant d'un délinquant politique, contre les poursuites entamées
par les autorités locales, pouvait être considerée comme un ((cas
d'urgence 1)au sens de la convention.

A ce stade, il suffira d'attirer l'attention sur l'importance du
commencement de preuve soumis par la Colombie pour établir
l'existence, à ce moment-là, d'une période de troubles politiques.
Il est suffisant d'indiquer que la périodede troubles a duréjusqu'au
17 février1949. Au delà de cette date, le dossier ne contient rien
qui justifierait la conclusion que des troubles ont continué ou
cessé. Voici les faits tels qu'ils sont établis:

I. L'état de siège proclamé par le Gouvernement du Pérou le
2 janvier 1949 pour une période de trente jours. Il est exact
qu'en vertu de la Constitution péruvienne, la proclamation
de l'état de siège n'empêchait pas le fonctionnement des

tribunaux ordinaires. Mais elle prouve que le Gouvernement
du Pérou estimait à cette date qu'une période de tranquil-
lité politique n'avait pas encore été atteinte et qu'au
contraire la situation politique était si troublée qu'il était
nécessairede prolonger l'état de siège ainsi que la suspension
des garanties constitutionnelles.

2. En dehors mêmede la proclamation de l'état de siège, il
est établi sans conteste que, suivant l'opinion du Gouverne-
ment péruvien, les circonstances, jusqu'au 17 février 1949,
étaient telles que l'octroi de l'asile à Lima pouvait être
considéré ((cas d'urgence 1)au sens de la Convention de La
Havane. Au cours de cette période,le Gouvernement péruvien
a agi dans cette conviction et a délivré des sauf-conduits

à l'ambassadeur de l'L7ruguayjusqu'à une date aussi tardive
que le 17 février 1949 (I<épliquc,Annexe 1).3z8 DISSENTING OPINION BY JUDGE READ
3. In addition to the appraisal of the situation made by the

Peruvian Foreign Office and by the Colombian Ambassador,
it has been established that the Ambassadors of Bolivia,
Guatemala, Panama, Brazil, Paraguay, Uruguay, Chile and
Venezuela considered that the political situation in Lima was
so disturbed that grants of asylum to political offenders could
be justified as "urgent cases" within the meaning of the
Convention. These transactions took place at varying dates
extending beyond the middle of February, 1949, and none of
the cases seemed to be grants of asylum for the purpose of
escaping from angry mobs. The action of these Ambassadors
is not concluçive, but it is difficult to believe that they could
al1have been wrong in this respect, and that their error could

have been shared by the Peruvian Ministry for Foreign Affairs.

4. This was not a case of conflict between a lawfully established
constitutional government and a person alleged to be a leader
of a revolutionary party. It was a conflict between two
revolutionary groups. The record shows that the successful

group had staged a revolution in August, 1948, which had
failed;and a second revolution on October 27th, which had
succeeded. This group, which described itself as "The Ptlilitary
Junta of the Government", was exercising supreme legislative
and executive powers in Peru.

This Military Junta, which had gained power by uncon-
stitutional means, as its fourth officia1act, made a Decree-
Law, dated November 4th, 1948, and published in El Peruano
on the following day, with harsh measures directed against
rebels. The provisions of this Law were in striking contrast

to those of the Peruvian Constitution and Codes which have
been brought to the attention of the Court.
1 do not think that ithas been established that the provisions
of this Law could have been invoked against Sefior Haya de
la Torre. On the other hand, they demonstrate the extreme
nature of the legislative and executive powers which were,
in fact, being exercised by an unconstitutional military junta.
They point to the fact that orderly government had not been
restored in Peru.

It seems clear, therefore, that Colombia has established con-
siderably more than a prima facie case, and that the Court sliould
find that the grant of asylum to Sefior de la Torre was an "urgent
case" within the meaning of the Convention.
Before stating my final conclusions on the counter-claim, 1 must
deal with some other points which affect the case. OPINION DISSIDENTE DE M. READ 328

3. En plus de l'appréciation de la situation faite parle ministère
des Relations extérieures du Pérou et par l'ambassadeur de
Colombie, il a étéétabli que les ambassadeurs de Bolivie,
du Guatemala, du Panama, du Brésil, du Paraguay, de
l'Uruguay, du Chili et du Venezuela considéraient la situation
politique à Lima comme si troublée que l'octroi de l'asile
aux délinquants politiques pouvait se justifier en tant que
((cas d'urgence ))au sens de la convention. Ces transactions
eurent lieu à des dates diverses s'étendant au delà de la
première moitié de février 1949, et dans aucun cas l'asile ne

paraît avoir étéoctroyé pour échapper aux violences popu-
laires. L'attitude de ces ambassadeurs n'est pas concluante,
mais il est difficile de croire qu'ils aient pu êtretous dans
l'erreur à ce propos et que leur erreur ait pu être partagée
par le ministère des Relations extérieures du Pérou.
4. Il ne s'agissait pas d'un conflit entre un gouvernement

constitutionnel, établi conformément aux lois, et une personne
qu'on prétendait être à la tête d'un parti révolutionnaire.
C'était un conflit entre deux groupements révolutionnaires.
Il ressort du dossier que le groupement vainqueur avait
organisé en août 1948 une révolution qui avait échoué,
et qui fut suivie d'une seconde révolution couronnée de
succès le 27 octobre. Ce groupement,' qui se qualifiait de
((Junte militaire de gouvernement », exerçait le pouvoir
suprême, tant législatif qu'exécutif, au Pérou.
Le quatrième acte officiel de cette Junte, quiétait arrivée
au pouvoir par des moyens anticonstitutionnels, fut de

promulguer, à la date du 4 novembre 1948, un décret-loi,
publiéle jour suivant dans El Peruano. Cedécret-loiprkvoyait
des mesures sévères contre les rebelles, et ses dispositionç
formaient un contraste frappant avec celles de la Constitution
et des codes du Pérou qui ont été produits devant la Cout.
A mon avis, il n'a pas étéétabli que les dispositions de
ce décret-loi auraient pu êtreinvoquées contre M. Haya de
la Torre. En revanche, elles témoignent de la nature extrême
des pouvoirs législatifs et exécutifs qu'exerçait en fait une
junte militaire non constitutionnelle. Elles démontrent qu'un

gouvernement régulier n'avait pas été rétabliau Pérou.

Il paraît donc évident que la Colombie a établi beaucoup plus

qu'un commencement de preuve, et que la Cour doit conclure que
l'octroi de l'asile M. de la Torre constituait un (cas d'urgence »
au sens de la convention.
Avant d'énoncer mes conclusions définitives au sujet de la
demande reconventionnelle, il me faut examiner quelques autres
points affectant la présente cause. 329 DISSENTING OPIKIOX BY JUDGE READ
It has been contended that urgency is lacking in this case
because the grant of asylum on January 3rd, 1949 ,y the Colombian

Ambassador uras three months after the second rebellion, two
monthsafter the third and successfulrebellion by the Military Junta,
and 48 days after the summons of November 16th, 1948. It must
not be overlooked that the fugitive was a political leader, well
known in Peru, and if he had remairied in hiding for three rrionths
and if he had refused to comply with the summons, which has
not been proved in these proceedings, there may have been good
and sufficient reasons entirely consistent with urgency. It was
undoubtedly necessary for him to remain hidden until the hue
and cry had diminished to the point where he could reach an
embassy in safety. If a right to grant the asylum existed, a delay
reasonably necessary to take advantage of this right under the
treaty coiild not impair the validity of the grant.

Further, the suggestion that 48 days or even three months was
an unreasonably long time seems somewhat unrealistic to any
person who possesses any knowledge of the history of revolutions,
whether in Latin-America or in other parts of the world. It should
not be overlooked that the contention, if accepted, would destroy
the foundation of the case presented by the Government of Peru.
It implies that if the fugitive had arrived at the Colombian Embassy
at an earlier date, Say Christmas or Thanksgiving Day, there would
have been urgency and the grant by the Ambassador would have
been valid, but even at the earlier dates the effect of asylum would
have been to protect the fugitive froni prosecution by the local
authorities.

There is another point of greater importance. This opinion has
been confined to the question of the grant of asylum ; and, apart
from an incidental remark, maintenance has not been mentioned.
Further, the case has been discussed in the light of the circum-
stances when the Colombian Ambassador granted the asylum ;
and facts intervening during the diplornatic negotiations orpending
the proceedings before this Court have been treated as irrelevant.

Beginning with the first point, maintenance, it would be improper
for me, as ajudge, to pass on the matter. The Peruvian Government
has made its request to the Court in precise terms. It has confined
the issue to the question of grant ("l'octroi"). My reasons for
adopting this view may be stated shortly:

(a) What did Peru ask the Court to decide ? Peru asked the
Court to adjudge and declare "that the grant (l'octroi) of asylum
11~7the Colombian Ambassador at 1,ima to Victor Raul Haya de
la Torre \vas made in .iriolation of ~Zrticle1", etc. OPIKION DISSIDENTE DE M. READ 329

On a soutenu que l'urgence faisait défaut en l'espèce parce
que l'octroi de l'asile, le 3 janvier 1949, par l'ambassadeur de
Colombie était postérieur de trois mois à la seconde rébellion,
de deux mois à la troisième rébellion, faite avec succès par la
Junte militaire, et de 48 jours à la sommation de comparaître,
du 16 novembre 1948. Il ne faut pas oublier que le fugitif était
un chef politique bien connu au Pérou et que s'il était resté caché
pendant trois mois, refusant d'obéir à la sommation de compa-

raître (ce qui n'a pas été prouvé au cours de la procédure), c'est
qu'il pouvait y avoir de bons et suffisants motifs, entièrement
compatibles avec la notion d'urgence. Il lui fallait certes rester
caché jusqu'à ce que les recherches se fussent assez calmées pour
lui permettre d'atteindre en sûreté une ambassade. S'il existait
un droit d'octroyer l'asile, un délai, raisonnablement nécessaire
pour pouvoir user de ce droit conformément au traité, ne saurait
porter atteinte à la validité de l'octroi.
En outre, aux j7eux de tous ceux qui connaissent l'histoire des
révolutions, en Amérique latine comme dans les autres parties

du monde, il paraîtra quelque peu théorique d'affirmer qu'une
période de 48 jours ou même de trois mois constituerait un laps
de temps déraisonnablement long. Il faut tenir compte du fait
que cette thèse, si elle était accueillie, aboutiraità détruire, à
sa base, l'argumentation présentée par le Gouvernement du
Pérou. Elle implique que, si le fugitif était arrivé à l'ambassade
de Colombie à une date antérieure, par exemple à Noël, ou au
Jour d'actions de grâce (Tha~zksgiving), il y aurait eu urgence,
et l'octroi de l'asile, par l'ambassadeur, aurait été valable. filais,
même à ces dates antérieures, l'asile aurait eu pour effet de protéger

le fugitif contre les poursuites instituées par les autorités locales.
Reste un autre point d'importance plus grande. Je me suis
borné à traiter la question de l'octroi de l'asile ; à l'exception
d'une remarque incidente, je n'ai pas mentionné le maintien de
l'asile. En outre, l'affaire a étédiscutée à la lumière des circons-
tances existant lorsaue l'ambassadeur de la Colombie a accordé
l'asile; les faits qui sont intervenus pendant les négociations
diplomatiques et au cours de la procédure devant la Cour ont été
considérés comme dépour~rusde pertinence.

Abordant le premier point, à savoir, le maintien de l'asile,
j'estime qu'il ne serait pas indiqué qu'en ma qualité de juge, je
me prononce à ce sujet. Le Gouvernement du Pérou a présentésa
demande à la Cour en termes précis. 11 a limité le problème à la

question de 1'octroi 1)Voici, en bref, quels sont les motifs àl'appui
de mon opinion :
a) Qu'est-ce quc le Pérou a deinandé à la Cour de décider ? Le
Pérou a clemandé à la Cour de dire et juger (que l'octroi de l'asile
par l'ambassadeur de Colombie Lima à Victor Rad Haya de la

Torre a été faiten violation dc l'article premier»,etc. 330 DISSENTIKG OPINION BY JUDGE READ
(b) What did Peru mean when its Agent used this language ?
Ordinarily, it would be enough to say that the Peruvian Govern-
ment meant what it said. The words used "l'octroi de l'asile"

mean the grant of asylum-and do not mean "grant and main-
tenance''.
In this case, however, the meaning of "l'octroi" has been given
a double demonstration by Peru. The fact that Perumade a fruitless
effort to bring the question of "maintenance" into the case, by
putting forward a new counter-claim based on "maintenance"
during the oral proceedings, is proof that Peru did not think that
it had already been brought before the Court by the language
used in the original counter-claim.

Further, the Peruvian Government has explained, in unequivocal

language, what its Agent meant when he made the counter-claim.
The statement was made in the course of the oral proceedings :

"The essential reason for the presentation of the counter-claim
was to induce the Court to declare that, at the moment when the
asylum was granted, the accused man was not exposed to any
physical and transient danger such as would result from the action
of an angry mob, rioting, the impotence of the government, or
even from the constitution of an extraordinary tribunal,a tribunal
of vengeance. That 1s the essential basis of Our counter-claim. If
that danger did not exist, and a fortiori if it did not persist, there
was no reason for granting asylum. Accordingly, it is only as a
quite subsidiary and secondary issue that we have discussed the
point whether it was a question of a common crime or of a political
delinquency, or whether M.Haya de la Torre was guilty or innocent.
That point is entirely, or almost entirely, outside the debate. We
might have argued that you had no jurisdiction to decide on it,
and that the only question we were asking you to answer was
whether at the moment when the asylum was granted, and at the
present time, the refugee was exposed to any danger, and whether,
in consequence, the asylum was legitimate or otherwise."

The first sentence in the quotation takes in the original counter-
claim, and shows that Peru meant to ask the Court to decide on
the grant and not the maintenance of the asylum. The last sentence
takes in both the original and the new counter-claim made on
October 3rd, and repeated on October 9th in the course of the
oral proceedings. It shows that Peru meant to ask the Court to

decide on the grant and also on the maintenance at the present tirne
("l'heure actuelle") ; but not on the question of maintenance
between this original grant and the date of the judgment of the
Court.
(c) My third reason for refusing to interpret "grant" as including
"maintenance" is to be found in the attitude of the Parties in this
case.

68 OPINION DISSIDEKTE DE M. READ 33O

b) Quel était le sens que le Pérou attachait à cette formule au
moment où son agent l'a utilisée? Normalement, il suffirait de dire
que le Gouvernement du Pérou pensait ce qu'il disait. Les termes
utilisés «l'octroi de l'asile»signifientl'octroi de l'asile et ne signifient
point «octroi et maintien D.

Toutefois, le Pérou a donnéen l'espèce une double démonstration
du sens du terme « l'octroi)). Que le Pérou se soit vainement
efforcé d'introduire la question du « maintien » dans l'affaire, en
présentant au cours de la procédure orale une nouvelle demande
reconventionnelle fondée sur le ((maintien »,cela prouve que, dans
la pensée du Pérou, les termes de la demande reconventionnelle

primitive n'avaient pas encore eu pour effet de soumettre à la
Cour la notion du (maintien )).
D'autre part, le Gouvernementpéruvien a expliquétrès clairement
ce que son agent entendait en introduisant la demande reconven-
tionnelle. La déclaration pertinente a été faite au cours des
plaidoiries :

« Le motif essentiel pour lequel la demande reconventionnelle
a été faite, c'estpour vous faire déclarer qu'au moment où l'asile
a étéoctroyé, il n'y avait pas pour l'accusé ce danger matériel
et passager qui résulte des déchaînements de la foule, des troubles
sociaux, de l'impuissance du gouvernement ou mêmede la cons-
titution d'un tribunal exkaordinaire, d'un tribunal de vengeance.
C'est là le fondement essentielde notre demande reconventionnelle.
Si ce danger n'existait pas, si ce danger ne persistait pas,a fortiori,
il n'y avait pas de raison d'être pourl'asile. Par conséquent, c'est
tout à faitsztbsidiairement et en second lieu que nous avons été
amenés à parler du point de savoir s'il y avait délit dedroit commun
ou délit de droit politique, s'il y avait culpabilité du sieur Haya
de la Torre ou non. Ce point est complètement, presque complète-
ment en dehors des débats. Nous aurions pu soutenir que vous
n'avez pas compétence pour le trancher et que la seule question
que nous vous posions était celle de savoir si, au moment où
l'asile a étéaccordé, et à l'heure actuelle, il y a un danger de
sécuritépour l'«asilé » et si, par conséquent, l'asile est ou non
légitime.))

La première phrase de la citation, qui vise la demande recon-
ventionnelle primitive, révèle que le Pérou entendait demander à
la Cour de prononcer sur l'octroi et non sur le maintien de l'asile.
La dernièrephrase englobe tant la première que la nouvelle demande

reconventionnelle, présentée le 3 octobre et confirmée le 9 octobre
en plaidoirie. Cette phrase révèleque le Pérou entendait demander
à la Cour de statuer sur l'octroi et également sur le maintien (à
l'heure actuelle )), mais non sur la question du maintien entre
l'octroi primitif de l'asile etla date de l'arrêtde la Cour.

c) L'attitude des Parties, dans l'espèce, me fournit une troisième
raison de rejeter l'interprétation du terme cl'octroi 1) comme
comprenant la notion de ((maintien 1).

rS331 DISSENTING OPINION BY JUDGE READ
Peru has not-either in the diplomatic correspondence, in the
pleadings or in the oral proceedings-called on Colombia to
surrender the fugitive. This attitude was fully explained in the
Counter-Memorial. The explanation given reserved the right to

demand surrender ; but it also showed that Peru recognized that
there were political as well as legal factors involved, and that there
was no desire to raise the question of surrender (and maintenance
is inseparably connected with surrender) pending the settlement
of the legal questions put to the Court in the counter-claim.
In fact, apart from the original grant of asylum, there has been
no actual issue of maintenance between the Parties. It was necessary
to keep the fugitive in the Embassy to preserve the matter in status
quo during the period of diplomatic negotiation. It was equally
necessary to retain him while the case was pending before this
Court. In the absence of a demand for his surrender, his retention
was with the concurrence of the Peruvian Government.

Itis necessary to emphasize that 1 must confine my opinion to
the counter-claim as presented in the final submission of the Peru-
vian Government made on October gth, 1950. The request that the
Court should adjudge and declare "that in any case the maintenance
of the asylum constitutes at the present time a violation of that

treaty" must be rejected, because it was made in the course of the
oral proceedings contrary to the provision of Article 63 of the Rules
of Court. Its acceptance would deprive the Colombian Government
of its procedural right to answer this new counter-claim in the Reply,
and to present evidence in respect of it. With regard to the original
counter-claim, 1 am bound to limit my opinion to the question as
to whether "the grant of asylum by the Colombian Ambassador ...
was made in violation of" the provisions of the Convention.

For al1of these reasons, 1 am compelled to reach the conclusion
that it has been established that the asylum was granted by the
ColombianAmbassador to a political offender "in times of political

disturbance" between a successful revolution and the restoration
of settled conditions in Peru. It follows that this was an urgent
case and that the grant of asylum by the Ambassador was not made
in violation of the provisions of Article of the Havana Convention. OPINION DISSIDENTE DE M. READ 33I
Ni dans la correspondance diplomatique, ni dans les écritures,
ni en plaidoirie, le Pérou n'a demandé à la Colombie de lui remettre
le fugitif. Le Contre-Mémoire a donné une explication complète de
cette attitude. Selon cette explication, le Pérou se réservait le

droit d'exiger cette remise, mais il reconnaissait l'existence dans
cette affaire d'élémentstant politiques que juridiques. Il n'avait
donc pas le désirde soulever la question de la remise (et le maintien
est inséparablement liéàla remise) jusqu'au règlement des questions
juridiques soumises à la Cour dans la demande reconventionnelle.
En réalité,abstraction faite de l'octroi primitif de l'asile, il n'y
a pas eu, entre les Parties, de véritable problème du maintien. Il
était nécessairede garder le fugitif dans l'ambassade pour maintenir
le statuquo pendant la période des négociations diplomatiques. Il
était également nécessaire de le garder aussi longtemps que l'affaire
était pendante devant la Cour. Vu l'absence de toute demande
tendant à la remise du réfugié, sonséjour forcé trouvait l'assen-
timent du Gouvernement péruvien.

11est nécessaire de souligner que je dois limiter mon opinion à
la demande reconventionnelle telle au'elle a été rés entéedans les
conclusions finales du ouv verne dumPéernu, à'la date du 9 octo-
bre 1950. Il faut rejeter la demande que la Cour dise et juge
((...qu'en tout cas le maintien de l'asile constitue actuellement
une violation dudit traité1):en effet, cette demande a étéformulée
pendant la procédure orale, contrairement aux dispositions de
l'article3 du Règlement de la Cour. En accueillant cette demande,
on priverait le Gouvernement de la Colombie du droit procédural
qu'il possède de répondre à cette nouvelle demande reconvention-

nelle dans sa réplique et de produire des preuves à ce sujet. En ce
qui est de la demande reconventionnelle primitive, je suis obligé
de limiter mon opinion au point de savoir si ((l'octroi de l'asile
par l'ambassadeur de Colombie ...a étéfait en violation »des
dispositions de la convention.
Pour ces motifs, il me faut conclure qu'il a étéétabli que l'ambas-
sadeur de Colombie a accordé l'asile à un délinquant politique «en
période de troubles politiques », entre une révolution couronnée
de succès et le rétablissement de conditions normales au Pérou.
Il s'ensuit qu'il existait un cas d'urgence et que l'octroi de l'asile
par l'ambassadeur n'a pas étéfait en violation des dispositions de
l'article2 de la Convention de La Havane.

(Signé) J. E. READ.

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Opinion dissidente de M. Read (traduction)

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