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CR 2006/23 (traduction)
CR 2006/23 (translation)
Lundi 20 mars 2006 à 15 heures
Monday 20 March 2006 at 3 p.m. - 2 -
10 Le PRESIDENT: Veuillez vous asseoir. La sé ance est ouverte. Cet après-midi, la Cour
entendra l’intervention du second expert appelé à la barre par la Bosnie-H erzégovine, le général
sirRichard Dannatt. Je vois que l’expert est déjà da ns le prétoire. Bonjour général. J’invite le
général Dannatt à faire la déclaration solennelle des experts telle qu’elle est énoncée à l’alinéa b) de
l’article 64 du Règlement de la Cour.
Le général DANNATT: Je déclare solennellement , en tout honneur et en toute conscience,
que je dirai la vérité, toute la vérité et rieque la vérité et que mon exposé correspondra à ma
conviction sincère.
Le PRESIDENT: Je vous remercie. Je donne ma intenant la parole à MmeKorner, qui va
commencer l’interrogatoire de l’expert.
Mme KORNER: Général Danna tt, une copie de votre curriculum vitae a été remise à la
Cour mais je voudrais, si vous me le permettez, développer quelques points avant de revenir à la
substance de votre exposé. Je pense ne pas me tromper en disant que vous êtes actuellement
commandant en chef de l’armée de terre du Royaume-Uni et que, à partir d’août, vous occuperez la
fonction de chef d’état-major général. Est-ce exact ?
Le général DANNATT : C’est exact.
Mme KORNER: Revenons un instant sur votre e xpérience. Vous avez, sauf erreur de ma
part, quelque trente-cinq années d’expérience dans l’armée britannique.
Le général DANNATT: Oui, j’ai été nommé officier de l’armée britannique il y a
trente-cinqans, après deux ans d’entraînement; j’ai gravi, au cours de ces trente-sept années, tous
les échelons de la hiérarchie militaire depuis le gr ade de sous-lieutenant jusqu’à celui de général
d’armée et j’ai commandé des opérations à chaque échelon depuis le grade de sous-lieutenant
jusqu’à celui de général de division.
Mme KORNER: En outre, je pense également ne pas me tromper en disant que vous avez
enseigné à l’Ecole supérieure de guerre de l’armée britannique où vous avez donné le cours
supérieur d’état-major. - 3 -
Le général DANNATT: C’est exact. J’ai étudié au Army Staff College au début des
annéesquatre-vingt avant de suivre le cours supéri eur d’état-major en 1991. Je suis ensuite resté
deux autres années pour donner ce cours. Je voudrais préciser, car cela présentera peut-être
quelque intérêt pour la Cour, que j’ai été chargé , pendant ces deux années, de rédiger la nouvelle
doctrine opérationnelle de l’armé e britannique pour l’après-guerre froide. J’ai dû pour cela
effectuer de nombreuses recherches en matière de commandement et de contrôle ainsi que sur les
11 méthodes opérationnelles contemporaines; ce doc ument, publié en1993, est depuis devenu la
doctrine opérationnelle en vigueur pour l’armée britannique. Cet ouvrage s’intitule «Manoeuvrist
Approach to Operations» [Approche manŒuvrière en vue de conduire des opérations]. Peu de
temps après, j’ai fait partie du groupe chargé de superviser l’élaboration du document appelé à
compléter le premier; ce nouveau document, qui s’intitule «Mission Command» [Commandement
fondé sur la confiance et l’initiative], énonce notre doctrine de commandement et de contrôle. Les
principes qui y sont énoncés sous-tendent l’approc he décrite dans le premier. Comme je l’ai
indiqué plus tôt, j’ai dû, pour m’acquitter de ces deux tâches, faire de nombreuses recherches sur la
manière dont les armées, non seulement l’armée britannique mais égalem ent d’autres armées,
occidentales ou de l’ex-bloc soviétique, conduisaient leurs opérations.
Mme KORNER : Pour finir, même si vous allez nous présenter votre exposé à partir de votre
expertise d’ensemble, je ne pense pas me trom per en disant que vous avez personnellement servi
dans certaines régions de ce qui était alors la Yougoslavie.
Le général DANNATT: Madame le président, c’ est effectivement exact. J’ai tout d’abord
passé quelque temps en Bosnie en 1994, puis j’ai commandé les forces britanniques dans ce pays
entre 1995 et 1996. J’ai tout d’abord commandé le secteur sud-ouest dans les derniers jours de la
FORPRONU, avant de commander une brigade blindée au sein de l’IFOR au début de l’application
des accords de Dayton. Par la suite, au début d es opérations au Kosovo en 1999, j’ai servi comme
commandant des forces britanniques, puis, environ un an plus tard, je suis retourné en Bosnie et,
cette fois, comme membre de la SFOR; j’étais alors commandant adjoint de cette force,
responsable des opérations. C’était en 2000-2001. - 4 -
Mme KORNER: Merci beaucoup général Dannatt. Je vais à présent aborder sur-le-champ
l’un des aspects sur lesquels nous voudrions que vous aidiez la Cour; il s’agit de la théorie des
doctrines du commandement et des prises de décisi ons. Pouvez-vous apporter votre assistance à la
Cour sur la ou les principales théories concernant ces doctrines ?
Le général DANNATT: Succinctement, les armées fonctionnent selon l’une des deux
manières existantes. Toutes deux sont désignées par des mots allemands quelque peu compliqués;
l’une est connue comme la doctrine Befehlstaktik de commandement et de contrôle et l’autre
comme la méthode Auftragstaktik de commandement et de contrôle. Principalement, la
Befehlstaktik se caractérise par un commandement et un contrôle centralisés, c’est la forme de
commandement et de contrôle que l’on retrouve le plus souvent dans les armées communistes et
post-communistes, forme dans laquelle les instructi ons viennent d’en haut et le champ laissé à
l’initiative et à l’interprétation des idées est réduit. L’exécution des ordres donnés est la principale
12 caractéristique de cette forme de commandement et de contrôle. Cette méthode s’oppose à l’autre,
connue sous le nom de Auftragstaktik, dans laquelle un officier supérieur donne son idée directrice
et, tout au long de la chaîne de commandement, les subordonnés sont encouragés à user d’initiative
dans le cadre de la latitude et des paramètr es posés. L’armée britannique suit cette dernière
méthode de commandement et de contrôle, mais j’ ai pu observer, en étudiant un certain nombre de
pays communistes et ex-communistes, que ces dern iers avaient une préférence pour la méthode
Befehlstaktik et que c’est celle qu’ils utilisent; c’est dtoute évidence celle qui avait cours dans
l’ex-armée nationale yougoslave; la VJ et la VRS ont également employé cette méthode.
Le PRESIDENT: Général, puis-je vous dema nder de parler un peu plus lentement, de
manière à ce que les interprètes puissent saisir tout ce que vous dites.
Le général DANNATT : Certainement, Madame le président.
Mme KORNER: Nous allons entrer un peu dans le détail concernant la manière dont
fonctionnaient la JNA, l’armée nationale yougoslave, et les armées qui lui ont succédé. Donc, vous
considérez effectivement que la JNA suivait le modèle Befehlstaktik. Tout d’abord, comment
pouvez-vous dire cela ?
Le général DANNATT: Je peux l’affirmer avec assez de certitude de par les recherches
approfondies que j’ai effectuées et mon expérience personnelle. J’ai déjà mentionné que j’étais - 5 -
l’un des commandants en Bosnie en 1995. A cette époque, quand nous avons envisagé de
transformer la FORPRONU en IFOR, je devais parler, entre autres, au général Tadic, qui
commandait alors l’un des corps de la Kraïna à Banja Luka. Je n’étais pas, dans le cadre de mes
fonctions habituelles, en mesure de me rendre directement à Banja Luka, mais je lui ai fait parvenir
un message disant que je voulais le rencontrer et je me suis effectivement rendu à BanjaLuka où
l’on m’a fait savoir que, n’ayant pas reçu d’ordre en ce sens de son supérieur, le général Mladic, il
n’était pas habilité à me rencontrer. Il était très étonnant qu’il ne soit pas prêt à me rencontrer, car
ce que j’avais à lui dire aurait été très utile pour la conduite des opérations fu tures, mais puisqu’il
n’avait pas reçu cette autorisation, il n’avait pas le pouvoir de me rencontrer de sa propre autorité.
J’utilise cet exemple pour illustrer un type de commandement centralisé.
Mme KORNER : Quelle flexibilité cette forme de commandement centralisé permet-elle aux
officiers subalternes ou, d’ailleurs, à d’autres officiers supérieurs ?
13 Le général DANNATT : Extrêmement peu de flexibilité. Les ordres viennent d’en haut et ils
doivent être exécutés tels qu’ils sont donnés. On n’attend et on n’exige, pour ainsi dire, aucune
interprétation ni aucune initiative.
Mme KORNER: Comme je l’ai dit, nous allons examiner quelques détails concernant la
manière dont la VJ et la VRS fonctionnaient, mais je voudrais aborder en quelque sorte le prochain
sujet, à savoir la manière dont fonctionne réelleme nt le commandement dans l’armée. Vous avez
décrit les deux théories. Pouvons-nous parler à présent du fonctionnement ?
Le général DANNATT: Pour interpréter une in struction politique et la convertir en action
sur le terrain, nous constatons que la prise de décision se décompose en quatre niveaux: le plus
haut niveau est le niveau stratégique supérieur, cel ui de la conduite stratégique; le niveau suivant
est celui de la conduite militaire-stratégique, puis vient la conduite opérati onnelle et le quatrième
niveau, le plus en aval, est celui de la conduite t actique. Et, à titre d’illustration, le niveau de la
conduite stratégique est essentiellement celui des po liticiens, qui déterminent leurs intentions. Au
niveau de la conduite militaire-stratégique, les conseillers militaires du gouvernement transposent
les intentions politiques en objectifs réalistes susceptibles d’être mis en Œuvre par l’action de
l’armée. On passe alors au niveau de la conduite opérationnelle et c’est à ce niveau que les
campagnes sont élaborées et mises en Œuvre; c’est le niveau auquel on pratique «l’art - 6 -
opérationnel» comme on l’appelle; c’est ce que font les généraux. Ces campagnes sont alors
divisées en opérations majeures consistant en comb ats et en engagements qui sont conduits au
niveau tactique. Donc, à travers ces quatre niv eaux de prise de décision, l’intention politique se
trouve transposée, par une série d’étapes, en une action tactique significative sur le terrain, et ce, de
manière organisée ⎯ rien n’arrive par hasard, mais parce que cela a été ordonné et que cela entre
dans le cadre de la poursuite de l’intention politique générale.
Mme KORNER: Si l’on analyse après-coup une opération militaire, est-il possible de
revenir en arrière, en quelque sorte, et de dé terminer comment ces engagements et ces opérations
militaires ont effectivement été ordonnés à l’origine ?
Le général DANNATT: J’ai décrit les deux mé thodes de commandement et de contrôle et
j’ai indiqué que les armées que nous examinons cet après-midi ⎯la JNA, la VJ et la VRS ⎯
fonctionnaient toutes selon le principe de laBefehlstaktik, la méthode de commandement et de
contrôle centralisés. Dans le cadre de cette méthode de commandement et de contrôle, les
intentions politiques, c’est-à-dire la politique élaborée au niveau gouvernemental, passent par les
étapes que j’ai décrites, jusqu’à ce que les ordres de mener des combats et des engagements soient
transmis par les troupes aux bataillons et aux fo rmations subalternes sur le terrain. Voilà la
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manière dont l’intention politique est transposée en action tactique.
Mme KORNER: Vous avez parlé du niveau de la conduite stratégique, de celui de la
conduite militaire-stratégique, de la conduite opérationnelle pui s de la conduite tactique,
pouvons-nous essayer de les personnifier? J’en tends par là, non pas de donner des noms de
personnes, mais de définir de quoi serait constitu é le niveau de la conduite stratégique, qui
déciderait à ce niveau ?
Le général DANNATT: Dans le contexte de ce dont nous parlons aujourd’hui, il faudrait
situer le niveau de la conduite stratégique à Be lgrade, à Pale ou à Banja Luka, là où se trouvait le
siège du gouvernement à cette époque, pour autant qu’il s’agisse de la Republika Srpska. La
conduite militaire-stratégique relèverait du Conseil du commandement suprême, le groupe
réunissant les conseillers militaires; à ce niveaules officiers généraux de plus haut rang ⎯ en
l’espèce, nous parlons peut-être du général Persicde la VJ ou du général Mladic de la VRS ⎯
rencontraient les hauts conseillers et responsables politiques. Au niveau suivant, celui de la - 7 -
conduite opérationnelle, on trouve les commandants de corps d’armée; dans le cas de la JNA, de
laVJ et de la VRS, le général Tadic était commandant de corps d’armée, de même que le
généralKrstic, et ils avaient sous leurs ordr es des bataillons, des brigades et des groupements
tactiques formés pour exécuter les opérations ainsi ordonnées.
Mme KORNER: Comme je l’ai dit, je voudrais que nous examinions quelques détails
concernant la VRS et la VJ mais, avant tout, est -il exact, général Dannatt, que vous avez, d’abord,
au cours des recherches que vous avez faites pour apporter des éléments de preuve dans le procès
contre le général Krstic, étudi é un grand nombre de documents m ilitaires que vous avait fournis le
bureau du procureur du TPIY ?
Le général DANNATT: C’est exact Madame le président. J’ai examiné de nombreux
documents afin de comprendre d’où provenaient l es règlements de la VRS parce que toute armée
doit avoir un recueil des règlements de conduite qui organise ses actions. Mais, bien entendu,
la VRS avait cela d’intrigant qu’elle a été créée presque du jour au lendemain. Comme je l’ai dit, il
faut à chaque armée un recueil des règlements de conduite, donc cela soulevait la question de
l’origine du recueil de la VRS. Si l’on compare le s règlements de la VRS et ceux de la JNA, il ne
fait absolument aucun doute qu’ils ne font qu’un. Après être, en théorie, devenue une armée
autonome, la VRS a assurément utilisé pendant assez longtemps les règlements de l’ancienne JNA,
ce qui n’est peut-être pas surprenant; considérant le contexte, ils n’avaient pas le temps de mettre
en place une armée à partir de zéro et de rédiger de nouveau des règlements. En tout cas, dans
15 l’affaire à laquelle vous avez précédemment fait allusion, le général Krstic a reconnu que telle était
bien l’origine des règlements de conduite de son armée.
Mme KORNER: En outre, vous avez ég alement examiné d’autres documents, des
transcriptions, ou des extraits de transcriptions, qu i vous ont été fournis pour préparer votre exposé
d’aujourd’hui, me semble-t-il ?
Le général DANNATT: J’ai étudié de nombr eux documents que j’ai demandé à voir, qui
m’ont été montrés ou dont j’ai eu connaissance dans le cadre des opérations dans les Balkans au
cours des dix ou douze dernières années. J’ai examiné un très grand nombre de documents.
Mme KORNER : Je pense également que vous av ez lu plusieurs mémoires qui ont été écrits
au sujet de la période. Est-ce également exact ? - 8 -
Le général DANNATT: C’est effectivement ex act. Des personnalités telles que le général
sirMichaelRose, le général sirRupertSmith, M. RichardHolbrook ont toutes livré leurs récits,
presque contemporains, sous forme d’ouvrages. J’ ai bien sûr en ma possession ces différents
ouvrages, et d’autres encore. Le style plus viva nt de ces livres donne un autre éclairage aux faits
que j’ai sélectionnés dans les documents que j’ai examinés en vue du procès.
Mme KORNER: Bien. Vous avez, à vrai dire , déjà parlé de la transformation de la JNA
enVJ et en VRS et du fait que leurs règlements étaient effectivement les mêmes, comme nous le
verrons. Général Dannatt, avez-vous devant vous l’un de ces documents ?
Le général DANNATT: Oui, Madame le pr ésident. J’ai devant moi une pile de
vingt-trois documents.
Mme KORNER: Pouvez-vous, s’il vous plaît, pr endre le premier documen t de cette pile?
Madame le président, nous avons entouré le passage auquel nous allons nous reporter, de manière à
pouvoir l’identifier assez rapidement. Il s’agit d’un document daté du 20juin1992 qui a été
envoyé par le premier corps de la Kraïna. Sauf erreur de ma part, général Dannatt, vous savez qu’il
s’agit du corps que commandait le général Tadic, est-ce exact ?
Lé général DANNATT: Tout à fait, à la fin de la phase de combats, c’est exact, le
général Tadic commandait ce corps.
Mme KORNER : Et nous pouvons voir, à la page suivante, à l’avant-dernier paragraphe, que
le colonelVukelic donne, en fait, des instruc tions selon lesquelles jusqu’à ce qu’une loi soit
16 adoptée concernant l’armée de la [Republika Srpska], les officiers doivent respecter la loi relative à
la défense populaire de la République fédérative socialiste de Yougoslavie. Cela concorde-t-il avec
la manière dont vous comprenez la situation ?
Le général DANNATT : Madame le président, en l’espace de quatre lignes, il confirme bien
ce que je viens de dire à l’instant, à savoir qu e jusqu’à ce que des règlements soient publiés pour
l’armée de la Republika Srpska, après qu’une lo i a été adoptée à ce sujet, les officiers doivent
continuer de respecter la loi qu’il appelle «rela tive à la défense populaire», c’est-à-dire la loi en
vigueur pendant la période où Tito était au pou voir en Yougoslavie; il fait également remarquer
que la loi existante devait continuer de s’appliq uer aussi longtemps qu’une nouvelle loi ne serait
pas adoptée pour officialiser les règlements et les activités de la VRS. - 9 -
Mme KORNER: Merci. Prenons le docum ent suivant si vous le voulez bien, le second
document, et allons à la cinquième page, le chiffre 10 figure en bas de la page ⎯ Madame le
président, si vous me permettez, même si nous av ons retiré des pages à des documents pour que le
tout soit moins volumineux, nous avons les originau x complets, et ils sont à la disposition de toute
personne qui souhaite les consulter. Ce document traite de la méthode Befehlstaktik de
commandement et de contrôle. Si vous regard ez le paragraphe17 des règlements de service
provisoires de l’armée de la [Republika Srpska], vous verrez qu’il y est indiqué : «[l]es membres de
l’armée doivent exécuter les ordres de leurs supérieu rs sans réserve, intégralement, fidèlement et
sans retard» et ainsi de suite. Puis, trois lign es plus loin, «[l]’exécution de chaque ordre doit
d’abord être rapportée à l’officier supérieur ou à l’officier qui a donné l’ordre». Comment ces
instructions s’intègrent-elles dans ce que vous avez décrit ?
Le général DANNATT: Le pr emier paragraphe mentionné ici correspond à ce que je
m’attendrais à trouver dans toute publication m ilitaire officialisant le fait que les subordonnés
doivent exécuter les ordres de leurs supérieurs. Ma is le second extrait est, quant à lui, parlant : il
s’agit du passage figurant juste à la fin du paragrap he17, où il est dit: «[l]’exécution de chaque
ordre doit d’abord être rapportée à l’officier supé rieur ou à l’officier qui a donné l’ordre». C’est
une caractéristique évidente de cette forme centralisée de commandement et de contrôle : quand on
vous a dit de faire quelque chose, vous le fait es et ensuite, vous rapportez à votre supérieur que
vous l’avez faite. Dans l’armée à laquelle j’appartiens, des ordres sont donnés, on va de l’avant, on
agit et, ensuite, on fait un rapport, occasionnellement ou périodiquement. C’est donc révélateur de
ce flux descendant très rigide d’ordres et du flux montant d’informations visant à toujours tenir
informé le commandement supérieur.
17 Mme KORNER : Merci. Bien, je voudrais a border à présent un sujet également relatif à la
transformation, pour ainsi dire, de la JNA en deux armées distinctes ⎯à savoir, la VRS et la VJ
comme on les appelle ⎯, puis, je voudrais revenir à la manière dont tout cela s’est produit.
Avez-vous connaissance de la réorganisation qui a eu lieu en décembre1991 créant le deuxième
district militaire, et pouvez-vous, brièvement, expliq uer simplement à la Cour de quoi il retourne,
dans la mesure du possible ? - 10 -
Le général DANNATT: Avant cette réorganisa tion, la JNA, l’armée nationale yougoslave,
était organisée en plusieurs districts militaires qui couvraient l’ensemble du territoire de la
Yougoslavie telle qu’elle était alors. Je précise qu’il existait un seul district militaire contrôlant
l’ensemble de l’espace aérien de la Yougoslavie de l’époque. Mais, ce qu’il y a d’intéressant à
propos de la réorganisation, ou plus exactement le point intéressant concernant la réorganisation de
décembre 1991, c’est que le deuxième district m ilitaire fut réorganisé de manière à ce que la zone
géographique dont il avait la charge suive ex actement les frontières de la République de
Bosnie-Herzégovine. Cela s’est passé, comme vous vous le rappellerez, quelques mois avant que
la Bosnie ne devienne indépendante ⎯d’où la question de savoir pourquoi cette réorganisation
était nécessaire; mes recherches m’ont montré que l’objectif qui se cachait derrière cette
réorganisation était d’anticiper l’accession à l’indépendance de la Bosnie-Herzégovine, et donc une
formation militaire, un district militaire, contrôlait to ut le territoire de ce qui allait devenir un Etat
indépendant. Je pense qu’il est bon de préciser également, à ce stade, que, parallèlement à la
réorganisation, des mesures furent prises pour modifier la composition ethnique du deuxième
district militaire. Jusque là, le deuxième district militaire était typique de la Yougoslavie de cette
époque, c’est-à-dire qu’il était composé d’un mélange de Serbes, de Musulmans, de Croates, de
Slovènes ⎯bref, de soldats issus des six républiques. Il y eut, dans ce district militaire, un
mouvement consistant à intégrer des gens dans le deuxième district militaire et à en expulser
d’autres, de telle sorte que, dès les premiers mo is de1992, près de 90% de la population du
deuxième district militaire était serbe. Les non-Serbes avaient été expulsés de l’armée ou l’avaient
quittée.
Mme KORNER: Pouvez-vous regarder s’il vous plaît ⎯je saute un document ⎯ le
quatrième document de la pile? Il s’agit d’un journal publié par un certain BorisavJovic, qui fit
partie de la présidence à un moment donné. Pouvez- vous aller à la page 2, là où figure la date du
5 décembre 1991 ?
Le PRESIDENT : Madame Korner, pouvez-vous nous préciser l’intitulé de ce document ?
18 Mme KORNER : Oui, il s’agit du recueil de notes personnelles qui a été publié sous le titre
The Last Days of the SFRY ⎯ Preface. - 11 -
Le PRESIDENT : Où se trouve-t-il ?
Mme KORNER : Désolée, c’est le document n 4. Veuillez m’excuser, je pensais l’avoir dit.
Reportons-nous donc à la deuxième page, dont l’en-tête porte la date du «5 décembre 1991». Nous
voyons là encore, dans l’avant-dernier paragr aphe de cette page, des notes de M.Jovic sur
Milosevic qui commencent ainsi: «Conversation avec Slobodan Milosevic…il pense que nous
devrions retirer sans tarder tous les citoyens serbes et monténégrins de la JNA en
Bosnie-Herzégovine pour y transférer des citoye ns de Bosnie-Herzégovine, afin d’éviter un chaos
général sur le plan militaire», et ainsi de suite : je sais que vous avez lu ce passage. Ces notes vous
disent-elles quelque chose, général Dannatt ?
Le général DANNATT : Madame le président, ces notes mettent en évidence ce que je disais
tout à l’heure sur l’existence d’une politique délibérée visant à modifier la composition ethnique du
deuxième district militaire en vue de sa transformation en armée indépendante. Notez bien la date :
le 5 décembre 1991. On trouve bien sûr dans ce mê me paragraphe, vers la fin, la phrase suivante :
«En outre, les dirigeants serbes de Bosnie-Herzé govine auront ainsi la possibilité d’assurer le
commandement des forces serbes de la JNA.» J’y vois là encore un signe de l’existence d’une
politique délibérée et d’une intention de faire en sorte que le deuxième district militaire, qui
couvrait tout le territoire de la Bosnie-Herzégovine, soit contrôlé principalement par des Serbes.
o
Mme KORNER : Prenons maintenant le document suivant, le n 5, qui est postérieur en date
⎯ nous sommes très précisément le 7 mai 1992 : il s’agit d’un nouvel ordre du général Tali ć, cette
fois sous l’en-tête du cinquième corps (mais vous savez sûrement que le cinquième corps de Kraïna
de l’ancienne JNA est devenu ensuite le premier corps de Kraïna). Que montre cet ordre qui,
comme vous l’avez sans doute vu, vise à mettre en Œuvre la décision de transformer la JNA prise
par la présidence de la République de Yougoslavie le 5mai1992 et parue dans les médias (voilà
l’ordre) : il montre qu’on avait veillé à maintenir les droits des membres de la JNA qui demeuraient
sur le territoire de la République de Bosnie-Herzé govine. Dans le droit fil de cette décision, le
paragraphe suivant dira ceci: tous les memb res de la JNA qui sont citoyens de la
Bosnie-Herzégovine doivent être maintenus dans le urs fonctions, unités et institutions actuelles en
19
Bosnie et, enfin, ceux dont tel n’est pas le cas pe uvent conserver leurs fonctions en République de
Bosnie-Herzégovine ou demander à être transférés en République fédérale de Yougoslavie. - 12 -
Général Dannatt, que pensez-vous là encore de ce document ?
Le général DANNATT : Ce que j’en pense, Madame le président, c’est qu’il révèle certaines
des incohérences qui commençaient à se faire jour au sein de ce qui était en passe de devenir une
armée indépendante (la VRS), à savoir qu’un gr and nombre des membres de cette armée en
gestation faisaient encore partie de l’armée d’un au tre Etat, l’armée de la République de Serbie; ils
demeuraient membres de la VJ, bien qu’étant au service de la VRS. Et c’est là un thème qui
ressortira dans les minutes qui viennent. Nous verrons plusieurs exemples de personnes payées par
l’armée d’une nation et rattachées à elle mais servant dans l’armée d’un Etat voisin: je pense en
particulier à des membres de la VJ (l’armée de la Serbie-et-Monténégro) servant dans l’armée de la
Republika Srpska. Ce n’est pas une pratique que l’on s’attendrait à retrouver ailleurs dans le
monde; on appartient à l’une ou l’autre des armées. Faire partie des deux est inhabituel.
Mme KORNER : La raison en est que l’indépe ndance de la Bosnie avait été déclarée début
mars et qu’elle avait été reconnue par l’Union européenne le 6 avril 1992. Quel est votre point de
vue, en tant que général dans l’armée britannique, su r cette situation dans laquelle des officiers de
la VJ servent dans la VRS ?
Le général DANNATT: Je vous remercie, Madame le préside nt. Cela n’aurait pas dû se
produire. Soit on est ressortissant d’un pays, et on sert dans l’armée de ce pays, soit on est
ressortissant d’un autre pays, et on sert dans l’armé e de cet autre pays; lire ici que les droits des
membres d’une armée sont maintenus, bien que ceux-ci servent dans une autre armée, est tout à fait
inhabituel et je n’ai vu cela nulle part ailleurs.
Mme KORNER : En fait, comme vous le savez certainement là aussi, la transformation ou la
création proprement dite de l’armée de la Republik a Srpska n’a pas eu lieu avant le 12mai, et le
19 mai fut en quelque sorte la date de déclaration formelle. Que vous inspire le document du 7 mai
à ce sujet ?
Le général DANNATT: Ce que nous voyons là , c’est la planification de la suite des
événements et un nouvel exemple ⎯ comme je l’ai dit il y a quelques minutes ⎯ du fait que des
préparatifs ont été entrepris en décembre 1991 pour mettre au point le plan qui devait permettre la
transformation du deuxième district militaire en VRS. Nous voyons ici que certaines des questions
20 de personnel sont réglées pour ceux qui devaie nt alors servir dans la nouvelle VRS: ils - 13 -
conservaient leurs droits, leur solde, leur droit à pension, notamment, même s’ils allaient finir dans
les rangs de la VRS, et non de la future VJ.
Mme KORNER: Si vous le voulez bien, revenons un instant sur les notes personnelles de
Borisav Jovi ć pour examiner une note du 30avril, que vous trouverez là encore dans le
o
document n 4; c’est un document ⎯ ou plutôt une note ⎯ en date du 30 avril. Et si l’on prend la
page qui vient juste avant le 7mai ⎯veuillez m’excuser, il s’agit de la dernière page du
document : en bas, juste avant la note datée du 7 mai, on lit : «Puisqu’il est également nécessaire de
retirer les généraux qui ne sont pas originair es de Bosnie-Herzégovine, il a été convenu que le
général Mladić remplacerait le général Vuković.» Pouvez-vous commenter cette note ?
Le général DANNATT : Eh bien, Madame le président, c’est un autre exemple de ce que je
disais tout à l’heure : il s’agit clairement ici de réorganiser une armée, de la pourvoir en hommes, et
cette citation montre que des dispositions étaient prises pour régler les questions de détail, et que le
général Mladi ć devait remplacer le général Vukovi ć au commandement du deuxième district
militaire, qui était alors en passe de se transformer en armée de la Republika Srpska.
Mme KORNER : Bien, nous nous intéresserons un peu plus tard à certains des événements
qui se sont produits entre 1992 et le début de 1993 , mais je tiens auparava nt à me pencher sur une
question légèrement différente : celle de l’inten tion. Vous nous avez décrit comment les objectifs
étaient définis au plus haut niveau stratégique, celui de la conduite stratégique, puis mis en Œuvre
au niveau de la conduite militaire- stratégique, et ainsi de suite t out le long de votre chaîne de
commandement. Etes-vous prêt à éclairer la Cour, au vu des documents et de votre expertise dans
cette affaire particulière, sur l’intention qui sous-tendait ces événements, en particulier en 1992 ?
Le général DANNATT : Je pense, Madame le président, que vous reconnaîtrez qu’il s’agit là
d’une question absolument essentielle. Jusqu’à présent , je me suis efforcé de décrire le processus
d’amont en aval, l’intention se traduisant par des act ivités sur le terrain. Or, il faut nécessairement
se poser la question de savoir pourquoi l’éclatement de la Yougoslavie a pr is une telle tournure,
mêlant conflit et bain de sang. Après tout, da ns l’histoire, même très récente, nous avons vu
l’éclatement de l’ex-Union soviétique, et plusieur s pays ont naturellement réussi à modifier leur
système politique sans effusion de sang. Alors, pourquoi l’éclatement de l’ex-Yougoslavie a-t-il
donné lieu à un tel carnage ? Force est de conclure qu’il existait une intention de faire en sorte que - 14 -
le territoire occupé par le peuple serbe fût d’un seul tenant : nous avons vu comment les frontières
21
de ce qui est aujourd’hui la République de Serbie-e t-Monténégro avaient été élargies; elles allaient
également englober les parties de la Bosnie dans lesquelles les Serbes résidaient en très grand
nombre, sort que la Croatie aurait pu connaître elle aussi. L’intention était d’obtenir un grand Etat
serbe dont le territoire serait suffisamment vaste pour englober tout le pe uple serbe, puisque les
Serbes formaient une nation. Je pense que c’est cette politique des dirigeants qui est à l’origine de
toutes les difficultés que la Yougoslavie a connues. J’admets que je me livre ici à de simples
conjectures, mais ces conjectures me semblent solidement étayées par l’histoire. Lorsqu’on lit
certains documents, on trouve les déclarations de quelques-uns des dirigeants de ce pays qui, par
leurs propres termes, confirment eux-mêmes ces conjectures. Et, de toute évidence, s’il m’est
permis de prendre l’un de ces documents, à savoir le n o 3…
o
Mme KORNER : Oui, il porte le n 3; je prie la Cour de se pencher sur ce document.
Le général DANNATT: Le document n o3 est le compte rendu du témoignage fait par
Zoran Lilić devant le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougosla vie, et il renferme la
transcription d’une déclaration faite à l’époque, dans laquelle il était dit :
«nous affirmons que chaque na tion a un droit égal de décider de son avenir, droit qui
ne peut être limité que par le droit égal des autres nations. En ce qui concerne le
peuple serbe, il veut vivre dans un seu l Etat, ce pourquoi le fait d’opérer un
fractionnement en plusieurs Etats qui aurait pour effet de disperser la population serbe
et de la forcer à vivre dans différents Etat s souverains est à notre avis inacceptable.
C’est —précise l’auteur de la déclaration— hors de question. S’il y a une nation
serbe vivant au sein d’un même Etat, toute nation voulant vivre avec elle dans cet Etat
sur un pied d’égalité sera la bienvenue.»
L’idée d’une confédération est exclue. Il est ensuite demandé au témoin «si cette déclaration
correspond aux vues publiquement exprimées à l’ époque par l’accusé», M.Milosevic en
l’occurrence, et sa réponse est: «oui». J’en déduis donc qu’il existait une intention affichée de
créer un Etat plus vaste que n’importe laquelle d es républiques existant alors en Yougoslavie, Etat
qui serait dans la mesure du possible peuplé par des Serbes, et je pense que des déclarations comme
celle-là montrent très bien l’intention politique initiale du processus en quatre étapes que j’ai décrit,
et cette intention politique s’est fatalement tr ansformée en objectifs m ilitaires, en campagnes
planifiées par des généraux au niveau opérationnel, pour se traduire enfin par une activité tactique
sur le terrain. - 15 -
Je le répète, une action militaire n’est jama is le fruit du hasard dans une armée bien
organisée. Je vais tenter d’expliquer que la VRS, bien que nouvellement formée, était soumise à
22 des règles et que les actions menées sur le terra in étaient dictées par l’intention politique exprimée
au niveau gouvernemental, qui ressort des citations dont je viens de donner lecture.
Mme KORNER: Je précise juste, pour que tout so it parfaitement clair, que cela ressort du
compte rendu. M.Lili ć était alors interrogé sur des propos que Milosevic aurait tenus dans un
discours. A part cela, d’autres documents ou d’autr es éléments vous ont-ils aidé à en venir à cette
conclusion? Outre ce compte rendu, avez-vous lu des comptes rendus d’autres réunions ou des
documents de ce type ?
Le général DANNATT: Une foule d’éléments démontre selon moi que, des discussions
comme celle que je viens de décrire, il y en eu t fréquemment, et qu’elles étaient en fait devenues
monnaie courante. Bien sûr, une chose intéress ante est que, si aucune de ces déclarations
d’intention n’a certes pu jusqu’ ici être attribuée à M.Milosevic lui-même, du moins à ma
connaissance, il régnait toutefois une volonté de crée r une Grande Serbie, et c’était incontestable
d’après les orientations données, qui venaient du sommet de la chaîne de commandement.
Mme KORNER : Je pense que vous savez, et cela n’est pas contesté, que Mladic a tenu des
réunions avec Milosevic à Belgrade pendant la période du conflit. Qu’en pensez-vous ?
Le général DANNATT : Comme nous l’avons établi, Madame le président, le
généralMladic était le commandant de l’armé e de la Republika Srpska, et il aurait donc dû
s’entretenir plutôt avec son propre président et ses propres autorités, en particulier avec
M.Karadzic. Mais il est bien connu que le général Mladic avait des réunions et des discussions
fréquentes non seulement à Belgrade, mais aussi av ec Milosevic en personne. Inutile de préciser,
je le crains, qu’il est tout à fait inhabituel poule commandant de l’armée d’un pays de consulter
ordinairement le président d’un autre Etat. Im aginez la situation: si je commandais l’armée
britannique, je ne penserais pas à me rendre à Pari s pour m’entretenir avec le président français au
sujet d’opérations que je pourrais mener en Irlande du Nord. Cela ne serait pas logique, tout
simplement. Se pose alors selon moi la question de savoir «quelle fut la teneur de ces discussions
épisodiques entre Mladic et Milosevic». Je n’en sai s rien, je n’étais pas là. Mais ce qu’il faut se
demander, c’est pourquoi ils avaient ces conversa tions et, deuxièmement (et je pense que nous - 16 -
reviendrons là-dessus), le fait est que tout au long de cette période, le général Mladic, qui était au
23 départ un officier de l’armée nati onale yougoslave, est resté inscrit su r les états de paie de la VJ.
Donc, en s’entretenant avec Milosevic à Belgrade, il s’entretenait en un sens avec le chef de l’Etat
qui le rémunérait en fait ⎯qui paie le musicien choisit le morceau, selon un adage qu’on utilise
parfois, me semble-t-il.
Mme KORNER : Oui. Je vois que vous avez lu le témoignage de sir Rupert Smith, que nous
n’avons pas versé au dossier ⎯mais il en sera sûrement question à un moment ou un autre.
Sir Rupert Smith a dit un jour que celui qui paie le chèque est généralement celui qui commande,
en définitive.
Le général DANNATT : C’est une autre façon de le dire, Madame le président.
Mme KORNER : Très brièvement, car comme vous le savez général, nous sommes pressés
par le temps, nous avons soumis à la Cour ⎯ il s’agit du document n o7, que vous avez vu ⎯ une
copie d’un extrait du témoignage de M.Williams . Ce dernier était l’un des assistants de
M.Akashi, je crois, et si nous prenons la deuxième page ⎯la toute fin de la dernière phrase ⎯,
nous voyons qu’il déclare: «Je pense qu’aussi bien avant qu’après les sanctions imposées en
août1994, le général Mladic se rendait fréquemme nt à Belgrade, d’après les informations dont
nous disposons.»
Le général DANNATT : Effectivement, Madame le président, M. Michael Williams était le
directeur de l’information de M. Akashi, et il a témoigné que le général Mladic se rendait souvent à
Belgrade. D’ailleurs, il ajoute que «quelles que pussen t être les tensions politiques, et elles étaient
évidentes dans la relation entre Belgrade et Pale , elles ne semblaient pas vraiment gêner ses allées
et venues [celles du général Mladic]».
Mme KORNER: Passons maintenant à la questi on des rapports entre la VRS et la VJ au
cours de la période qui nous occupe. Tout d’ abord, en ce qui concerne leurs structures de
commandement : pouvez-vous nous les décrire, ces structures de commandement ?
Le général DANNATT: Madame le président , permettez-moi de répondre à cette question
dans une perspective un peu plus large. J’ai pa rlé des types de commandement et de contrôle des
armées; or, ce qui définit en fait une organisati on militaire en tant qu’armée indépendante, c’est sa
capacité à donner des ordres et des orientations su r le plan opérationnel, mais aussi à mettre sur - 17 -
pied des forces pouvant mener des opérations ⎯ je l’ai bien vu dans mon armée; et c’est également
ainsi que j’ai pu voir fonctionner l’armée de la Re publika Srpska: le personnel, le matériel, une
viabilité logistique et une formation étaient les quatre éléments variables essentiels dont l’armée de
la Republika Srpska avait à s’assurer, directement ou indirectement, pour bien fonctionner en tant
qu’armée. Or, en lisant les divers documents, j’ai relevé de nombreux exemples de cas dans
24 lesquels un soutien en hommes, un appui logis tique, du matériel et un entraînement ont été
abondamment fournis par la VJ, sous le commandement de Belgrade. Si vous le souhaitez, je peux
vous en donner quelques exemples.
Mme KORNER: Oui, reprenez les documen ts, et revenons à présent au document n o6, je
vous prie. Là encore, Madame le président, ce document fait plus de cent trente pages, et j’ai ici la
version intégrale si quelqu’un veut la voir. Mais nous avons seulement sélectionné quelques
extraits. Ce document s’intitule «Analysis of th e Combat Readiness and Activities of the Army of
Republika Srpska in 1992» [Analyse de la préparation au combat et des activités de l’armée de la
Republika Srpska en 1992], et il a apparemment été rédigé en avril 1993 ⎯vous avez eu
l’occasion de lire le document en entier, n’est-ce pas ?
Le général DANNATT: Oui, Madame le présid ent, j’ai lu le document d’un bout à l’autre
et, en tant que soldat professionnel, je le trouve absolument fascinant.
Il s’agit d’une évaluation très franche, par le haut commandement de l’armée de la Republika
Srpska, de ses propres capacités et en particulier de ses faiblesses, et des mesures à prendre pour y
remédier.
Mme KORNER : Très brièvement, alors, car je ra ppelle que le temps presse, je vous prie de
vous reporter à la troisième page; oui, c’est au dos de la deuxième page qui porte la mention…
Non, veuillez m’excuser, notre extrait se trouve à la page 10. Le dernier paragraphe dit que «[d]ans
le cadre de la création de l’ar mée de la Republika Srpska, les mécanismes de contrôle et de
commandement furent établis en deux temps», pui s qu’«[u]n événement important, lors de la
première période, fut l’organisation spontanée d’un ités municipales et d’au tres unités régionales à
partir d’unités de défense territoriale sous l’influe nce politique et patriotique du parti démocratique
serbe». Pourriez-vous dire en deux mots à la Cour, si possible, comment vous comprenez ce
passage, et expliquer de quoi il est question ici. - 18 -
Le général DANNATT: Madame le président, je vois là une continuation de la manière
traditionnelle dont les forces se développaient en ex-Yougoslavie, selon la doctrine de la «défense
er
populaire». Ainsi, pendant la première période, du 1 avril au 15juin, un grand nombre des
organisations de défense locale, qui étaient b asées dans un secteur donné, ont uni leurs forces soit
pour assurer leur défense collective, soit pour mener des opérations conjointes, et elles ont été
intégrées à la structure principale de l’ar mée; nous disposons de nombreux exemples
d’organisations de défense locale, dont certaines sont dites paramilitaires, qui ont uni leurs forces,
25 ont conduit des opérations ensemble, puis qui ont pe u à peu été intégrées à la structure générale de
commandement et de contrôle de la VRS, comme les règlements ou les circonstances l’exigeaient.
Mme KORNER : Je vous remercie. Dans la page suivante (la page 13), nous avons encadré
un paragraphe qui porte sur les formations paramilitaires ⎯mais il n’est pas nécessaire de vous
arrêter sur ce passage, car je l’examinerai séparément par la suite. La page 31 traite la question des
communications, pour ainsi dire, et on y lit que «l es communications par poste fixe et par relais
radio formaient la base du segment fixe du sy stème de communication de l’ancienne JNA».
D’après votre lecture, qu’est-il advenu du matériel qui avait appartenu à la JNA sur le territoire de
la Bosnie ?
Le général DANNATT : Madame le président, aucune armée ne peut exister sans moyens de
communication pour exercer le commandement et le contrôle, et les systèmes de communication de
la JNA qui étaient alors en place ont pour l’essentiel été repris par la VRS, tout simplement, qui en
a fait ses principaux moyens de communication pour commander et contrôler ses hommes.
Mme KORNER: Passons à la page33 ⎯vous pouvez voir, couché noir sur blanc, ce que
vous venez de dire: «Communications par rela is radio… L’armée de la Yougoslavie nous a
grandement aidés à mettre en place ce type de système de communication, de même qu’elle a mis à
notre disposition plusieurs de s es voies de liaison et les capacités existantes de ses réseaux de
communication» en République fédérale de Yougos lavie. Venons-en maintenant aux questions de
personnel, page79. Cette rubrique s’int itule «Problèmes en matière de personnel» ⎯ nous avons
déjà examiné un document sur cette question. «Le cadre des officiers de l’armée de la Republika
Srpska comprend les officiers d’active et les officiers de réserve.» - 19 -
Le PRESIDENT: Madame Korner, je vous ra ppelle que vous n’êtes pas là pour présenter
des documents; vous menez l’interrogatoire.
Mme KORNER: Oui, Madame le président, veuillez m’excuser. Général, ayant lu ce
paragraphe ⎯ et compte tenu des autres informations dont vous disposez ⎯ quelle était selon vous
la situation des deux armées en matière de personnel ?
Le général DANNATT : A en juger par ces paragr aphes, il me semble très clair, Madame le
président, que l’armée de la Republika Srpska avait b esoin d’un soutien considérable de la part de
certains des officiers de l’armée yougoslave, la VJ. Et la deuxième partie qui est mise en relief ici
26 porte sur les hauts responsables et les postes de commandement ⎯ la VRS manquait là encore de
personnes pour remplir ces fonctions et chercha it à en recruter dans l’armée yougoslave, qui a
d’ailleurs envoyé certains de ses membres pour occ uper ces postes. Dans d’autres parties de la
documentation, on trouve plusieur s nouveaux exemples de personn es envoyées pour renforcer les
effectifs de l’armée de la Republika Srpska.
Mme KORNER: Un dernier exemple: «le ren seignement». Quelle est l’importance, pour
une armée, d’un soutien en matière de renseignement et de sécurité ?
Le général DANNATT: Madame le président, dans toute armée, le renseignement est une
fonction absolument essentielle et, à moins de connaîtr e les projets et les intentions de l’ennemi ou
de la partie adverse, il est très difficile de mettre au point ses propres projets. Ainsi lit-on, au
milieu de la page85 de ce doc ument, un paragraphe disant ⎯je pense qu’il est encerclé sur la
copie fournie à chacun ⎯, je cite :
«La coopération et les échanges d’info rmations avec les services homologues
sur le territoire de la Republika Srpska s ont dans l’ensemble satisfaisants, de même
qu’avec l’état-major de l’armée serbe de la Republika Srpska Krajina. Ces derniers
temps, la coopération s’est également intensifiée avec les services de renseignement et
de sécurité de l’armée yougoslave, encore qu’elle reste insuffisante avec le ministère
de l’intérieur de la République de Serbie.»
Cela signifie donc, selon moi, que les agents du renseignement de l’armée des Serbes de
Bosnie coopéraient avec ceux de l’armée serbe de Kraïna et de l’armée yougoslave et qu’ils
souhaitaient en fait davantage de c oopération de la part des forces du ministère de l’intérieur de la
République de Serbie, mais qu’ils ne l’obtenaient pas. - 20 -
Mme KORNER : Je pensais m’arrêter là, mais permettez-moi de citer un autre exemple car
nous devons examiner un deuxième extr ait. Je vous invite à vous re porter à la page 96, «Besoins
matériels». Dites-nous, que montre le paragraphe souligné, ou plutôt encadré ?
Le général DANNATT: Le para graphe de la page 96… J’ y relève un certain nombre de
choses que j’ai déjà… Mais je vais vous en donner lecture :
⎯ «aucune production de guerre n’a été organisée pour répondre aux besoins de la
VRS;
⎯ [il explique que] les réserves en matériel sont en voie d’épuisement, et [que] les
stocks atteignent un niveau critique;
⎯ [et que les réparations posent problème :] l’ampleur des réparations et des
renouvellements nécessaires ne permet pas d’assurer des réserves suffisantes;
⎯ [et il ajoute même:] il n’y a pas d’importations, si ce n’est en provenance de
la RFY».
27 Là encore, on voit à quel point le soutien de l’ armée de la RFY, de l’armée yougoslave, était
absolument vital pour le fonctionnement des sy stèmes opérationnels de l’armée de la Republika
Srpska.
Mme KORNER : Je crois, bien qu’il faille pour cela sauter un document, voire deux ou trois,
que vous pourriez peut-être passer au document numéro 12, qui est… Il y a eu une assemblée qui
s’est tenue…l’assemblée des Serb es de Bosnie, le 16 avril 1995 à Sanski Most, à laquelle a
participé le général Mladić, et là encore nous avons le compte rendu intégral, au cas où quelqu’un
en aurait besoin. A la page 18 figure une liste intitulée «évaluation de la consommation depuis le
début de [la] guerre jusqu’au 31 décembre 1994»; suit une longue liste de munitions et matériels
assimilés. Une question très simple : à quoi correspondent ces quantités, telles que décrites comme
ayant été reçues ?
Le général DANNATT: Madame le président, quelle que soit la façon dont on les mesure,
les quantités de munitions d’infanterie, de m unitions d’artillerie et, à un moindre degré, de
munitions antiaériennes dont il est question dans ce paragraphe sont bien entendu très importantes.
Il s’agit de volumes considérables, si vous pouvez imaginer près de 30000 tonnes de munitions,
cela fait un très très grand nombre de balles. Quant à la ventilation de ces munitions
d’infanterie ⎯comme je l’ai déjà indiqué ⎯, il faut savoir que 42,2% d’entre elles ont été - 21 -
«héritées» de l’ancienne JNA par la VRS et que 47 % ont été fournies par l’armée yougoslave, et je
pense qu’en additionnant ces pourcentages, on ab outit à une proportion d’environ 10% pour les
munitions acquises par d’autres moyens. Si bien que ce qui ressort de ce document, à mon avis, eu
égard à tous ces types de munitions, c’est que manifestement l’armée de la Republika Srpska
dépendait dans une large mesure de l’armée yougoslave.
Mme KORNER : De nouveau, très brièvement : vous avez mentionné devant la Cour le fait
que des membres de la VJ étaient «affectés» ⎯je pense que c’était là votre terme ⎯ à la VRS.
Pourrions-nous nous pencher, s’il vous plaît, sur le document numéro 8, que vous connaissez bien,
je crois. Il y est question du général Krstic, alors colonel. Que pensez-vous de ce document ?
Le général DANNATT: Madame le président, ce document numéro 8 est très
simple ⎯c’est un document très humain, si vous préférez ⎯ Krstic, qui à l’époque était colonel,
sert dans la VRS. Il veut transférer sa famille à Belgrade et en fait la demande par l’intermédiaire
e
du 30 centre pour le personnel: il s’agit du centre mis sur pied par l’armée yougoslave pour
administrer les effectifs servant dans l’armée de la Republika Srpska. Il présente cette demande
pour faire transférer sa famille, qui vivait alors à Kosovska Mitrovica, au Kosovo; il souhaite
28 qu’elle aille occuper un appartemen t à Belgrade. Au paragraphe 6, il déclare: «Je pense que
l’état-major de l’armée yougoslave comprend très bi en ma situation. Je vous demande donc, dans
le cadre de vos compétences, de m’aider à résoudre mon problème d’hébergement.»
C’est une demande humaine. C’est une de mande très normale et représentative d’un
système établi de longue date pour l’administratio n du personnel de la VJ mais qui en fait était
utilisé à ce moment-là au sein de la VRS. On trouve quelque chose de semblable de l’autre côté de
la page, dans le document numéro 9. Là encore, il s’agit du colonel Vinko Pandurevic. Il y a là
des informations à son sujet.
Mme KORNER: Je pense que nous pouvons nous contenter de résumer cela. Est-il exact
qu’il ressort de ces documents que bien qu’il servît au sein de la VRS, sa famille continuait à vivre
à Belgrade dans un appartement de la VJ ?
Le général DANNATT : C’est précisément ce que j’aurais fait observer.
Mme KORNER : Je suis désolée de vous bou sculer quelque peu mais je m’inquiète du peu
de temps qu’il nous reste. - 22 -
S’agissant des rapports entre les deux armées, pourriez-vous brièvement vous référer au
document n 10, qui est un rapport sur le télégramme des NationsUnies envoyé à M.Akashi par
M.Kirudja, qui se trouvait dans le secteur nord. Il est difficile à lire, car il s’agit d’une très
mauvaise copie. C’est malheureusement tout ce que nous avons pu obtenir. Mais vous l’avez lu.
Y est-il question, au bas de la première page, d’or dres ayant été donnés aux officiers nés de l’autre
côté de la Drina ?
Le général DANNATT : Madame le président, à mon avis, il ressort de cette mauvaise copie
du document que l’armée de la Republika Srpska , parmi les nombreux problèmes auxquels elle se
trouvait confrontée, devait faire face à celui de la désertion de certains de ses soldats et qu’une
réunion avait été organisée entre les autorités de Serbie et celles de la Republika Srpska, dans le but
d’interdire le passage de la frontière à tout homme serbe originaire de Bosnie âgé de dix-huit à
soixante-cinq ans ⎯ en d’autres termes, d’empêcher de p asser ceux qui fuyaient la guerre. Je
pense que cela est significatif 1)d’une pénurie d’ef fectifs dans l’armée de la Republika Srpska et
2)d’un niveau relativement poussé de coopération en tre les deux armées de part et d’autre de la
frontière internationale.
Mme KORNER : Très brièvement encore. Le prochain document est, dieu merci, beaucoup
plus clair. A la seconde page, la partie entr e crochets du second paragraphe, qui concerne les
ordres écrits donnés aux militaires d’active. Là encore, très rapidement, général Dannatt, quelles
observations cette partie-là appelle-t-elle de votre part ?
Le général DANNATT: Madame le président, le milieu de ce deuxième paragraphe me
laisse à penser que des ordres étaient donnés par la VJ pour que des officiers issus de ses rangs
29 soient détachés pendant six mois auprès de l’arm ée de la Republika Srpska ou de l’armée de la
Kraïna. Ces détachements avaient lieu de façon routinière et pour une durée de six mois.
Mme KORNER: Bien. Nous avions d’au tres documents sur la coopération entre ces
armées, mais je pense que vous avez traité ce sujet. Pour des impératifs de temps, puis-je s’il vous
plaît, passer à la question des opérations conjoint es? S’il nous reste suffisamment de temps, je
reviendrai aux paramilitaires. Vous avez étudié, je crois, en particulier, trois de ce que vous
appelez des opérations conjointes ? Pouvez-vous ex pliquer très brièvement à la Cour ce que vous
entendez par là ? - 23 -
Le général DANNATT : Madame le président, si l’on se penche sur les opérations qui ont eu
lieu de 1992 à 1995, on distingue trois ex emples clairs de leur conduite conjointe ⎯je veux dire
par là des opérations menées conjointement par l’armée de la Yougoslavie, l’armée de la Republika
Srpska et dans certains cas l’armée des Kraïnas. Ces trois opérations sont celle de 1993 le long des
rives de la Drina, celle de 1995 à Srebrenica et cel le de l’hiver 1994-1995 autour de Bihac. Elles
constituent toutes les trois des exemples d’une activité coordonnée entre ces trois armées.
Mme KORNER: Parlons juste un peu, très briè vement, je vous prie, de l’opération de la
Drina. Pouvez-vous dire à la Cour, en un mot si possible, ce dont il s’agissait ?
Le général DANNATT: Pour l’essentiel, Madame le président, il s’agissait de réaliser
l’objectif politique consistant à faire en sorte que la Drina ne soit pas une frontière entre la
Republika Srpska et la République de Serbie. Il y avait beaucoup de Serbes du côté bosniaque de
la Drina, et l’intention était de mener des opérati ons dans une bande de 50 kilomètres de large sur
le côté bosniaque de la Drina, afin, effectivement, de nettoyer ce côté-là de la population non serbe,
et d’en faire une partie du territoire de la Grande Serbie à l’occasion de ces opérations de1992
et 1993.
Mme KORNER: Vous avez dit qu’il s’agissait de traduire dans la pr atique une intention
politique. Penchons-nous s’il vous plaît sur le document n o 17, qui est une partie du compte rendu
d’un dénommé Deronjic, témoignant lors de son propre procès. Je pense que vous êtes au courant
qu’il était le chef de la cellule de crise de Bratunac, et participa à ce titre à diverses rencontres. Si
nous allons à la seconde page de ce compte re ndu, nous le voyons décrire une réunion avec
M. Kertes. Peut-être pouvez-vous juste nous dire ce dont il s’agissait, car je pense que vous avez lu
ce document, et le faire très brièvement, au lieu que ce soit moi qui le lise.
Le général DANNATT: Madame le président , il s’agit là d’un élément de preuve
documentaire clair, sur la base duquel j’ai suggéré il y a un instant qu’il y avait une intention
politique et étatique concernant ces 50kilomètres à pa rtir de la Drina, du côté bosniaque, dans la
30
mesure où les termes utilisés étaient: «que tout cela serait serbe». Il y avait une intention claire,
disais-je, de faire de cette bande de terre un territoire serbe. De s opérations militaires furent alors
engagées dans ce but. - 24 -
Mme KORNER : Je pense qu’en ce qui concerne le document n 18, nous pouvons là encore
nous rendre à la deuxième page, et lire la partie du paragraphe 3 mise en surbrillance.
Le général DANNATT : Madame le président, au paragraphe 3 de ce document est décrite la
méthode de coordination entre ces trois armées et il est dit, à la deuxième ligne : «je vous suggère
de constituer un poste de commandement avancé du corps IKM à Bratunac», et comme le montre
ce paragraphe, il s’agissait, ce faisant, de coordonne r les activités de la VRS, de la VRSJ et des
unités de l’armée de la République fédérale de Y ougoslavie, la VJ. Il y a donc là une indication
claire de la création d’un quartier général commun chargé de coordonner les opérations de ces trois
armées.
Mme KORNER : là encore, pour ne noter qu’en passant le document 19, est-ce que cela est
une fois de plus, comme vous nous l’avez dit, «indicateur» d’une nouvelle expression de l’intention
politique ou du fait que l’on peut en déduire une intention politique ?
Le général DANNATT: Madame le président, c’est exact. Il est fait référence aux forces
présentes sur la rive droite, sur le côté bosniaque de la Drina.
Mme KORNER: Je pense que la deuxième opération conjointe que vous avez mentionnée
était celle de Srebrenica que vous connaissez très bi en; pouvez-vous dire très brièvement à la Cour
non pas ce dont il s’agissait, mais en quoi c’était là une opération conjointe ?
Le général DANNATT: Madame le préside nt, l’opération de 1995 visant à attaquer
Srebrenica ⎯ opération qui était essentiellement placée sous le commandement du commandant du
e
5 corps, le général Kristc, mais aussi sous la direction générale du général Mladic ⎯ nécessitait
l’engagement non seulement des troupes du 5 ecorps sous les ordres du général Kristc mais aussi
des troupes de l’état-major général de la VRS. Dans le document 21 de la série qui a été mise à
votre disposition, il est indiqué qu’allaient égalem ent intervenir des membres de la police spéciale,
non seulement de la Republika Srpska, mais aussi de la République serbe de Kraïna et de la Serbie,
y compris des troupes du ministère de l’intérieur serbe. C’est là un autre exemple du fait que des
éléments des forces serbes ont pris part à cette opération.
Mme KORNER : Savons-nous quelque chose au sujet des déplacements de [Mladi ć] durant
cette opération ? - 25 -
31 Le général DANNATT : Oui. Comme je l’ai déjà dit, le général Mladic avait l’habitude de
o
se rendre fréquemment à Belgrade et si vous regardez le document n 22, cela est indiqué dans la
déposition du général Smith.
Mme KORNER : C’est à la quatrième page de cette déposition.
Le général DANNATT : Vers le bas de la page, il est dit : 4 et 5 ⎯ c’est un commentaire sur
la conversation entre Mladic et Milosevic: il [M ilosevic] était manifest ement le supérieur de
Mladic. Il l’appelait par son prénom et Mladic lu i témoignait de la déférence. Il s’agit de la
description d’une conversation qui eut lieu le 15 juillet1995, c’est-à-dire au beau milieu des
opérations de Srebrenica. A ce moment-là, la ville était tombée et l’on savait déjà que l’exécution
de ses habitants de sexe masculin était en cours. Je ne peux que spéculer; je me demande ce dont
ils ont parlé.
Mme KORNER: Enfin, en ce qui concerne la troisième de ces opérations conjointes ⎯ je
pense qu’il s’agissait de ce que l’on a appelé «l’opération PAUK» ⎯, est-ce que vous pouvez nous
dire brièvement à quel moment elle eut lieu et en quoi elle consistait ?
Le général DANNATT : Madame le président, su r l’opération PAUK, je peux dire qu’elle a
été menée dans la zone de Bihac, dans le nord de la Bosnie, avec pour intention de détruire les
e
forces du 5 corps de Sarajevo, ce qui aurait permis de faire perdre à la Bosnie le contrôle sur Bihac
et de permettre aux forces de FikretAbdic de prendre le contrôle de cette ville; ces opérations
er e
étaient menées par des éléments des forces du 1 et du 2 corps de la Kraïna de l’armée serbe de
Bosnie ainsi que des 15 e, 21 et 39 corps des armées serbes de la Kraïna; y furent également
associées les troupes de Fikret Abdic, et il existe des éléments de preuve montrant que des troupes
du ministère de l’intérieur de la Serbie particip èrent également à cette opération. C’est la raison
pour laquelle je pense qu’il s’agit là d’un autre exemple d’opérations conjointes entre plusieurs
armées appartenant à des pays différents et menant leurs opérations de façon coordonnée.
Mme KORNER: Je pense que le dernier doc ument, le numéro 23, est un journal de
l’opération telle qu’elle s’est déroulée, qui dé montre, il suffit d’ailleurs d’y prendre un seul
exemple, que l’on rendait compte à Belgrade de tout ce qui se passait. Si l’on regarde le bas de la
page 27 ⎯ je sais que cette partie n’est pas mise en surbrillance, j’en suis désolée ⎯ c’est «1655h»
qui est placé en surbrillance, oui, c’est cela, «PAUK : rendre compte à Belgrade». - 26 -
Le général DANNATT : … pas facile à identifier. A la page 46 de ce document, sous 1000h
il est indiqué que le PAUK ⎯ c’est le nom du groupe de commandement ⎯ tient une réunion avec
le commandement; nous y lisons des informations su r la situation et l’évolution des pourparlers à
32 Belgrade. Et, Madame le président, si vous tour nez la page pour aller au bas de la colonne
correspondant au 3 janvier, il y un paragraphe entier dans lequel il est dit qu’ à 8 heures, le général
de corps d’armée Novakovi ć ⎯il était le commandant en chef, et il appartenait à la VJ ⎯, le
colonel Mijia, du ministère de l’intérieur, et une autre personne du nom de Božovi ć se sont rendus
à Belgrade. On peut se demander ce qui les y a amenés à ce moment-là et on peut chercher à
trouver d’autres exemples montrant l’interaction ex istant entre Malakovic, qui était le chef des
opérations, et les autorités de Belgrade à cette époque.
Mme KORNER: Madame le président, pu is-je vous demander brièvement quelques
indications ? Dois-je passer au paragraphe 4.25 avec le témoin ou …
Le PRESIDENT: Eh bien, Madame Korner, vous savez que nous devons donner le même
temps de parole aux deux Parties et qu’il va nous falloir lever l’audience sous peu, et aussi que
nous allons éventuellement avoir besoin de temp s pour poser des questions, si bien que si vous
utilisez cinq minutes de plus, vous risquez de perdre votre droit à un nouvel interrogatoire.
Mme KORNER: Je renonce à ce droit à un nouvel interrogatoire, Madame le président.
Très brièvement, général Dannatt, je voudrais aborde r la question des paramilitaires que là encore
vous avez étudiée et examinée. Votre expérience et votre passé professionnel vous permettent-ils
de dire quel a été le rôle d’une ou plusieurs de ces formations paramilitaires dans le conflit ?
Le général DANNATT : Madame le président, le s paramilitaires avaient à certains égards le
même type d’activités que les groupes territoriaux locaux. Mais ils se sont fondus plus tôt. Ils ont
été le fer de lance des combats qui ont eu lieu au dé but de la guerre, en particulier en 1992. On les
a ensuite regroupés sous le commandement de l’ar mée dont ils devaient de ce fait respecter le
règlement, et il existe des preuves écrites, dans la série de documents que nous avons à notre
disposition, montrant que le général Mladic a accepté le commandement de l’ensemble des
organisations paramilitaires et territoriales. T out ce que je peux en dire c’est que lorsqu’un
commandant de haut rang acceptait le commandement de formations telles que des organisations
paramilitaires et territoriales, il en acceptait également la res ponsabilité. On ne saurait séparer - 27 -
commandement et responsabilité. Si bien que lorsque nous décrivons les activités ⎯ et là encore il
y a un bon nombre d’éléments de preuve à ce sujet ⎯ de nombre de ces formations paramilitaires,
il ne faut pas perdre de vue qu’elles furent placées sous le commandement et le contrôle de l’armée
de la Republika Srpska. Mladic a accepté de les commander, et nous nous permettrons de
suggérer, conformément à la doctrine militaire, que ce faisant il en a également accepté la
responsabilité, en pleine connaissance de cause ou non et que cela lui ait plu ou non.
33 Mme KORNER: Et d’après vous quelle était l’origine de certaines de ces formations
paramilitaires, voire de l’ensemble d’entre elles ?
Le général DANNATT: Elles venaient de toutes les zones peuplées de Serbes. Les plus
connues d’entre elles, peut-être, venaient de Serb ie elle-même et là encore, d’après les documents
dont nous disposons, un certain nombre de faits le prouvent. En disant cela, je pense en particulier
aux hommes de Seselj et aussi à ceux d’Arkan.
Mme KORNER: Si les formations militaires ve naient de Serbie et ont ensuite été placées
sous le contrôle de la VRS ⎯ sous le commandement de Mladic ⎯, si elles venaient vraiment de
là, si elles ont été envoyées par la VJ, affectées à la VRS, par exemple, sous le contrôle ou
l’autorité de qui opéraient-elles ?
Le général DANNATT: Elles opéraient sur le te rritoire de la VRS, comme je l’ai indiqué,
Madame le président, et devaient donc nécessairement se trouver sous le commandement de Mladic
et faire partie de la chaîne de commandement de la VRS. Comme cela a déjà été suggéré, bon
nombre de ces soldats venaient de la Serbie elle -même et par conséquent leurs activités et leur
engagement dans la guerre n’avaient à mon avis pas lieu d’être.
Mme KORNER: Nous avons encore un mo ment. Je voudrais juste que vous nous parliez
d’un extrait de «La Mort de la Yougoslavie», qui relate les propos de Seselj; cela ne prendra qu’une
minute.
Le PRESIDENT : C’est un enregistrement vidéo qui figure déjà au dossier ?
Mme KORNER : Oui.
Le PRESIDENT : Très rapidement, alors.
Mme KORNER : Oui.
[L’enregistrement vidéo est projeté.] - 28 -
Le PRESIDENT : Quelle est la question que vous souhaitez poser au général ?
Mme KORNER : Général, je pense qu’il faut que vous voyiez cette dernière partie. Désolée.
[La projection continue.]
Première question, général. Vous voyez Seselj dire qu’il ne s’agit pas d’ordres, mais de
demandes. D’après votre expérience, y a-t-il une différence ?
34 Le général DANNATT : Madame le président, je me réfère à mes propos antérieurs quant à
la façon dont une intention politique est ensuite transposée sur le terrain. Je ne crois pas que
Milosevic, ni bien entendu Mladic, ait eu besoin de donner des ordres; je pense en revanche que
leur intention avait déjà été exprimée et que ces forces paramilitaires extrémistes agissaient de
manière à traduire cette intention dans les faits, en s’engageant dans des activités dont nous venons
d’avoir un aperçu à l’écran, sur le terrain.
Mme KORNER : Merci beaucoup, général Dannatt.
Le PRESIDENT : Merci. L’audience est à pr ésent levée pour dix minutes au maximum. Je
demande au témoin de rester à proximité de la salle d’audience.
L’audience est suspendue de 16 h 25 à 16 h 35.
Le PRESIDENT: Veuillez vous asseoir. Je donne à présent la parole à M.Brownlie pour
son contre-interrogatoire, et nous demandons que le général soit conduit dans la salle d’audience.
M. BROWNLIE: Merci, Madame le prési dent. Général Dannatt, au nom de la
Serbie-et-Monténégro, je vous sais gré d’être prêt à nous accorder un peu de votre temps pour faire
bénéficier la Cour de votre expérience et de vos connaissances. Pourriez-vous nous dire quand
vous avez été effectivement présent en Bosnie ?
Le général DANNATT: Madame le président, je me suis rendu brièvement en Bosnie en
février 1994 pour y aider le général sir Michael Ro se dans une ou deux de ses tâches auxquelles il
souhaitera peut-être se référer ultérieurement cette semaine. J’ai été présent en Bosnie
d’octobre1995 à avril1996, lorsque, comme je vous l’ai déjà expliqué, j’étais commandant des
e
forces britanniques, puis dans le cadre de l’IFOR, commandant de la 4 brigade blindée. Ensuite,
j’ai été présent en Bosnie d’octobre2000 à avr il2001. Outre ces séjours de longue durée, je me - 29 -
suis rendu régulièrement en Bosnie dans l’exer cice de mes tâches de supervision des troupes
placées sous mon commandement et qui y servaient à l’époque. Quant à la dernière fois que j’y
suis allé, je ne me souviens plus du mois, mais c’était au milieu de l’an dernier.
M. BROWNLIE : Merci. Il est vrai, n’est-ce pa s, que c’est en qualité de membre des forces
britanniques, dans le cadre de la mise en Œuvre des accords de Dayton, que vous avez effectué
l’une de vos périodes de service en Bosnie ?
35 Le général DANNATT : C’est exact. C’est l’une des toutes premières fois où j’ai été présent
là-bas. L’IFOR a été constituée, je crois, le 20 décembre 1995, et à partir de cette date, les troupes
britanniques placées sous mon commandement, ainsi que moi-même, avons cessé de faire partie de
la FORPRONU pour devenir l’un des éléments constitutifs de l’IFOR.
M. BROWNLIE : Est-il exact que lorsque vous avez été sur le point de faire entrer des unités
britanniques dans ce qui était alors la Republika Srpska, vous avez contacté un commandant de la
Republika Srpska afin de garantir votre sécurité de passage ?
Le général DANNATT: C’est exact, Madame le président. M.Brownlie a parfaitement
raison. Afin de m’assurer que la transition de la FORPRONU à l’IFOR se fasse de la façon la plus
harmonieuse possible, j’ai contacté les commandant s de l’armée des Serbes de Bosnie, des forces
croates et des forces bosniaques, car on m’avait laissé entendre qu’à leur niveau stratégique
supérieur, le principe avait été accepté, à Dayt on, d’un cessez-le-feu et d’un début de processus de
paix, et qu’il y avait lieu de contact er l’échelon immédiatement inférieur ⎯ l’échelon
opérationnel ⎯ afin de m’assurer qu’ ils avaient bien compris cela et qu’ils donneraient les ordres
appropriés à leurs soldats sur le terrain, de façon à ce qu’en ce qui concerne les unités britanniques,
lors de leur avancée en Republika Srpska ⎯territoire sur lequel elles n’avaient jamais été en
opérations auparavant ⎯ les troupes de la Republika Srpska ne soient ni alarmées, ni effrayées ni
surprises en voyant des soldats britanniques arriver et qu’elles ne provoquent pas des accrochages à
leur niveau. Et mon intention était donc de m’assurer que, du bas en haut de l’échelle hiérarchique,
les intentions étaient les mêmes.
M. BROWNLIE: Merci. Et maintenant, n’est-il pas vrai que lorsque vous avez
effectivement fait mouvement, c’ét ait la première fois que vos unités entraient en Republika
Srpska, et que vous avez alors contacté un commandant de l’armée de la Republika Srpska ? - 30 -
Le général DANNATT: Madame le président, j’avais l’intention de contacter le
généralTadic, qui était alors le commandant de corps et dont le quartier général se trouvait à
BanjaLuka. Comme je l’ai déjà indiqué cet ap rès-midi, l’entretien prévu avec le général Tadic
⎯ entretien pour lequel je devais me rendre à Banja Luka ⎯ n’eut pas lieu, et le général envoya un
colonel à sa place pour me rencontrer, par l’intermédiaire duquel ⎯j’ai oublié son nom ⎯ je fis
parvenir mon message au général Tadic. Mais le capitaine qui se trouvait avec lui était un certain
capitaine Popovic, et j’ai des raisons de croire que mon message fut transmis au général Tadic, car
quelques jours après, lorsque les forces britanni ques commencèrent à s’avancer vers Banja Luka,
les Serbes savaient que nous arrivions et ils nous attendaient.
36 M. BROWNLIE: Eh bien c’est très clair, si je puis dire. Il ne vous est donc pas venu à
l’esprit de contacter un commandant de la JNA po ur vous assurer de la sécurité de vos forces
lorsqu’elles allaient pénétrer sur ce territoire ?
Le général DANNATT: Madame le président, je suis convaincu que les réponses que j’ai
déjà données ont permis à M.Brownlie de se rendre compte qu’à cette époque j’étais un
commandant ayant relativement peu d’ancienneté dans la structure de commandement et de
contrôle de l’OTAN qui était en train d’être mise en place. Il était parfaitement normal que je traite
avec les commandants croates, bosniaques et serb es dont les domaines de responsabilité jouxtaient
le mien. Il n’était pas prévu que j’aie moi-même des contacts avec Belgrade, et quand bien même
j’aurais souhaité en avoir, il aura it fallu que je passe par l’interméd iaire de deux, si ce n’est trois,
niveaux hiérarchiques supérieurs au mien. J’ai ag i de façon pragmatique sur le terrain, en cernant
le problème et en décidant de la façon de le résoudre.
M. BROWNLIE : Merci. Pourriez-vous dire à la Cour quand vous avez vu pour la première
fois la série de vingt-trois documents qui lui a été remise au début de cette journée ?
Le général DANNATT : Les documents en questi on, Madame le président, j’ai eu plusieurs
fois l’occasion de les voir ces deux, ou trois ou quatre derniers mois parmi une masse de documents
que j’ai examinés. J’ai sélectionné un certain nom bre de ces documents en sachant que votre Cour
ne disposait que de peu de temps pour entendre ma déposition, et ils ont été regroupés ensuite, et
j’ai vu cet ensemble pour la première fois hier ⎯ en tant qu’ensemble de documents regroupés ⎯, - 31 -
mais tous ces documents sont de ceux dont j’av ais demandé à ce qu’ils soient regroupés en un
ensemble unique pour l’information de la Cour cet après-midi.
M. BROWNLIE : Je voudrais reformuler ma qu estion. Quand avez-vous pris connaissance
pour la première fois de la tene ur des vingt-trois documents que l’ on a récemment fait tenir à la
Cour et à mes clients ?
Le général DANNATT: Madame le président, j’en ai pris connaissance de différentes
façons. Comme je l’ai déjà dit, j’essaie de me rappeler quand j’ai été contacté pour la première fois
et quand l’on m’a demandé si j’étais prêt à être entendu par votre Cour pour l’informer; je crois que
cela remonte probablement au mois d’octobre ou novembre de l’an dernier. Après avoir
moi-même accepté de venir témoigner, il a fallu que je demande l’autorisation de le faire au British
Foreign and Commonwealth Office, puis j’ai commencé à me procurer des documents pour
compléter mes propres connaissances. Ce sont certainement plusieurs centaines, si ce n’est
plusieurs milliers, de documents et de pages qui m’ont été envoyés, et j’ai sélectionné, parmi eux,
un nombre de documents relativement peu élevé : ceux que nous avons examiné cet après-midi.
M. BROWNLIE : Merci. Dans ce lot de vingt -trois documents, un certain nombre se réfère
à une période assez lointaine, puisqu’ils remont ent à 1991. M’autorisez-vous à supposer que votre
connaissance des faits intervenus, disons, de 1991 à 1994, s’appuie exclusivement sur les
documents que vous avez examinés ?
Le général DANNATT: C’est ex act, Madame le président. Je souhaiterais simplement
37
ajouter qu’étant donné que j’ai eu l’occasion de servir en Bosnie pendant les périodes que j’ai déjà
mentionnées, j’ai pu avoir une meilleure compréhe nsion de ces documents puisque j’avais déjà
approché le pays, la population et le s problèmes en jeu. Mais cet apr ès-midi, je ne suis pas ici, et
M.Brownlie le sait très bien, en qualité de témoin oculaire; je suis ici en qualité d’expert pour
donner mon avis, auquel la Cour voudra bien accord er la place qu’elle voudra, sur des documents
que j’ai examinés.
M. BROWNLIE: Est-il exact que pour pouvoir disposer des références nécessaires en vue
de constituer les nombreux éléments de pre uve que vous avez apportés dans l’affaire Krstic, vous
ayez entrepris des recherches au nom du bureau du procureur du TPIY ? - 32 -
Le général DANNATT : Madame le président, c’est parfaitement exact. J’ai été appelé à la
barre par l’accusation, en qualité de témoin -expert, devant le TPIY, dans l’affaire Le procureur c.
Radislav Krstic. J’ai déposé, en qualité de témoin-expert, dans le cadre de cette affaire, et de même
que pour ma déposition devant vous aujourd’hui, j’ai passé beaucoup de temps à me procurer et à
lire des documents, ainsi qu’à visiter des régions de la Bosnie dans lesquelles je ne m’étais encore
jamais rendu auparavant, afin de m’informer pleinement des événements sur lesquels on allait me
poser des questions.
M. BROWNLIE: S’agissant des meurtres commis à Srebrenica en juillet1995, jusqu’à
quelles dates pensez-vous que la documentation pertinente remonte ?
Le général DANNATT: Madame le préside nt, je crois que j’aimerais demander à
M.Brownlie de reformuler sa question avant que je ne m’étende sur le sujet car je ne suis pas
vraiment sûr de ce à quoi elle correspond.
M. BROWNLIE : Vous nous avez expliqué ⎯ et nous vous savons gré de ce que vous nous
avez dit ⎯ que vous aviez étudié un volume considérable de documents, ou que vous y aviez eu
accès ⎯c’est vous l’expert, pardonnez-moi, vous examinez les événements de 1995, vous
connaissez bien le contexte général, comme vous l’avez dit: comment, d’après votre expérience,
les documents en question s’articulent-ils avec le cadre chronologique de ce qui s’est finalement
passé à Srebrenica en juillet 1995 ?
Le général DANNATT: Madame le préside nt, ma réponse à cette question sera double ou
triple. Tout d’abord, il était très important, dans le cadre de mes recherches sur cette affaire, de
même que pour ma déposition aujourd’hui, que je comprenne parfaitement les origines historiques
de la VRS, l’armée de la Republika Srpska. Comme je vous l’ai dit aujourd’hui, je suis tout à fait
certain que la VRS a trouvé ses origines dans l’ex-JNA, et comme j’en ai apporté la preuve cet
après-midi, les règlements et les manuels de la VRS étaient presque identiques à ceux de l’ex-JNA;
38 de même, ainsi que je l’ai également indiqué un pe u plus tôt cet après-midi, lorsque j’ai témoigné
devant le TPIY, le général Krstic a reconnu qu’effectivement, pour ce qui était de ses règlements et
de sa structure générale, la VRS trouvait ses origines dans l’ex-JNA.
M. BROWNLIE: Merci. N’est-il pas vrai que, dans le cadre de la mission que vous avait
confiée le bureau du procureur, vous vous êtes personnellement rendu à Srebrenica ? - 33 -
Le général DANNATT: C’est tout à fait exact. Je me suis rendu à Srebrenica. J’ai visité
tous les sites où des victimes des massacres allé gués étaient alors supposées avoir été enterrées.
J’ai également visité des sites où avaient eu lieu les exécutions. J’ai visité les sites où les corps
avaient été réenterrés ⎯lorsqu’après avoir été enterrés une première fois ils ont été exhumés
environ deux ou trois mois après, puis enterrés de nouveau dans un nombre de sites plus importants
encore et plus dispersés. Je n’ai pas visité tous l es sites, mais en tout cas la plupart des principaux
sites, et ce pendant plusieurs jours.
M. BROWNLIE: Merci. Finalement, est-ce que vous avez réussi à vous entretenir avec
d’anciens dirigeants de la Republika Srpska ?
Le général DANNATT: Pas à cette occasion, Ma dame le président. J’étais là pour voir et
observer, pour me faire une idée générale de l’arri ère-plan en relation avec les éléments de preuve
documentaires sur lesquels j’allais fonder ma déposition.
M. BROWNLIE: Merci. Et maintenant, je note que vous avez paru extrêmement surpris
quant au fait qu’un Etat devrait porter assistance à un autre Etat. Cela ne fait-il pas partie de votre
expérience de militaire que des Etats prêtent souve nt des troupes ou apportent une aide à d’autres
forces militaires d’Etats amis ? N’est-ce pas quelque chose de courant ?
Le général DANNATT: Madame le président, bien sûr que c’est là quelque chose de
courant: mais ça l’est dans une situation où plusieurs gouvernements ont les mêmes objectifs
opérationnels, la même intention. Pour prendr e un exemple évident, l’opération de la coalition
dirigée par les Etats-Unis en Iraq en 2003 avait l’appui du Gouvernement britannique, et l’armée
britannique y a pris une large part, comme plusieur s autres armées. Il n’y avait là rien de
surprenant: c’était une activité légitime, pa rce que les politiques des Gouvernements des
Etats-Unis et du Royaume-Uni, ainsi que des autres pays, étaient les mêmes, et qu’il s’agissait donc
d’une entreprise commune.
M. BROWNLIE: Merci. Je voudrais à présent vous poser une question très importante.
Vous admettrez probablement ⎯vous pouvez aussi ne pas l’admettre ⎯ qu’en 1991-1992 l’on a
39 assisté à une désintégration d’une fédération déjà rela tivement ancienne de la région. La JNA était
une armée fédérale; la situation a rapidement et radicalement changé, et dans au moins un
document on trouve une référence au fait que l’armé e yougoslave s’est très vite retrouvée dans des - 34 -
zones où elle n’était plus censée rester, c’est le moins que l’on puisse dire. Compte tenu de la
situation et du contexte ethnique, si vous aviez été responsable de la logistique et fait partie de ceux
qui étaient chargés de décider de ce qu’il fallait fa ire, si vous en aviez été l’élément militaire, si
vous aviez, disons, fait partie de l’état-major appe lé, avec les dirigeants politiques, à décider de la
façon de redéployer les troupes ⎯ qu’auriez-vous fait ?
Le général DANNATT: Madame le président, je vois très bien où l’on veut en venir avec
cette question. Je répondrai que si j’étais comma ndant des forces britanniques, et si celles-ci
opéraient dans une zone dont elles allaient devoir se retirer, je considérerais que, les ressources à
ma disposition étant limitées, je ne pourrais me permettre d’abandonner délibérément et
volontairement mes équipements et mon matériel. Je prendrais toutes les mesures possibles pour
les ramener dans mon propre pays afin que ce soit ma propre armée qui les utilise. Et bien entendu,
si je ne le faisais pas, je serais probablemen t tenu personnellement res ponsable de la mauvaise
utilisation de l’équipement et de ma négligence en la matière. Il ne fait aucun doute que je n’aurais
pas laissé derrière moi ces équipe ments et matériels pour que qu elqu’un d’autre s’en serve; par
suite, les équipements et matériels auxquels se réfère M. Brownlie comme ayant été abandonnés
sur place l’ont été dans l’intention qu’ils soient utilisés par l’armée demeurée sur place à cet effet.
M. BROWNLIE : Dans le scénario géographi que quelque peu compliqué que vous venez de
nous décrire, qu’en était-il des Serbes de Bosnie orientale ⎯ étaient-ils dans leur propre pays ? Où
étaient-ils censés aller ?
Le général DANNATT: Madame le président, on était en droit de s’attendre, en Bosnie
orientale, à ce que les Serbes de Bosnie restent dans leur propre pays.
M. BROWNLIE: Il ne serait donc pas surpre nant que les membres bosniaques de la JNA
aient décidé de rejoindre les forces armées de la zone serbe de Bosnie ?
Le général DANNATT : Non, ce n’est absolument pas surprenant, Madame le président. Si
j’habitais dans cette région, si j’étais citoyen de Bosnie-Herzégovine et si j’étais serbe, et si la JNA,
dans laquelle je servais, se retirait, je serais onfronté à un dilemme: me retirer avec la JNA et
continuer à vivre à Belgrade ou ailleurs, ou rester dans ma patrie, auquel cas je quitterais la JNA.
Et si une autre armée avait été constituée et que j’ avais été dans l’état d’esprit d’y servir, je lui
aurais offert mes services. - 35 -
40 M. BROWNLIE : Etes-vous conscient qu’un processus analogue s’est déroulé dans les zones
peuplées de Musulmans et en Croatie, la sépara tion se manifestant dans un premier temps par
l’organisation d’unités de la défense territoriale ?
Le général DANNATT : J’en ai pleinement conscience, Madame le président, et comme j’ai
tenté de l’expliquer dans le courant de l’après-mi di, c’était un processus prévisible dans une région
où avait cours, depuis longtemps, la doctrine de la «défense populaire» ⎯ doctrine voulant qu’un
village ou une ville mobilise ses propres unités à des fins de protection locale. Bien sûr, cette
doctrine de la «défense populaire» n’avait pas été conçue dans le dessein de mener des opérations
de la nature de celles qui se déroulèrent à par tir de1992, mais pour que de telles unités puissent
intervenir en cas d’agression extérieure contre la Yougoslavie ⎯puisqu’il s’agissait alors de la
Yougoslavie. J’aurais tendance à penser que l’on a usé ⎯et j’irai jusqu’à dire abusé ⎯ de la
doctrine de la «défense populaire» pour constituer , sur la base de critères ethniques, des milices
locales auxquelles il a ensuite été recouru, de la f açon la plus regrettable et désastreuse qui puisse
être, aux fins d’un conflit interne.
M. BROWNLIE: Je vous remercie. Général, j’aimerais revenir avec vous sur un ou deux
documents que vous avez présentés à la Cour. J’exam inerai le document 2 intitulé «Règlement de
service provisoire» de l’armé e de la Republika Srpska ⎯ qui remonte très loin dans cette
chronologie. Avez-vous la moindre raison de douter qu’il s’agissait bien du règlement de service
provisoire de l’armée de la Republika Srpska ?
Le général DANNATT: Aucune. Je pense, comme je l’ai déjà indiqué, je crois tout à fait
probable, que ce document n’était rien d’autre que cela. Il me semble important que de tels
éléments de preuve matériels soient présentés à la Cour, pour son information, afin d’étayer ce qui,
autrement, ne serait qu’une affirmation, à savoir que l’armée de la Republika Srpska était régie par
les anciennes règles de la JNA. Il m’a semblé que vous voudriez voir la preuve écrite que tel a bien
été le cas.
M. BROWNLIE: Passons maintenant, si vous le voulez bien, au document 6, intitulé
«Analyse de l’état de préparation au combat de l’ armée de la Republika Srpska», et daté de 1992.
Y a-t-il la moindre raison de douter que ce docum ent était en effet un rapport sur l’état de
préparation au combat de l’armée de la Republika Srpska ? - 36 -
Le général DANNATT: Madame le préside nt, il ne fait aucun doute que ce document est
bien ce qu’il prétend être. L’intérêt qu’il présente ⎯ et ce pourquoi je l’ai soumis pour information
à la Cour ⎯ ne tient pas au fait que ce document est bien ce qu’il prétend être, mais à son contenu
ou, en d’autres termes, aux éléments d’informati on que l’on y trouve et qui viennent illustrer un
certain nombre d’aspects dont il m’a semblé que la Cour pourrait juger utile d’avoir connaissance.
41 M. BROWNLIE: Nous pouvons maintenant pass er au document 8. Il s’agit du document
portant sur la situation du colonel Krstic ⎯c’était alors son grade ⎯, qui demandait certaines
améliorations touchant au logement de sa famill e. Or, il est adressé, on le voit en haut, à
l’état-major général de l’armée de la Republika Srpska.
Le général DANNATT : Parce que, à ce stade, Madame le président… Monsieur Brownlie,
parlons-nous bien de la même chose? En ha ut à gauche, il est question du commandement du
corps de la Drina et ⎯ah oui, vous avez raison, la lettre est adressée à l’état-major principal en
Republika Srpska, je me suis trompé de ligne. C’est exact. Le colonel Krstic soumet ici sa
demande, par le canal requis, au commandement de l’armée de la Republika Srpska. Ce qui est
intéressant, et c’est ce que j’ai déjà relevé, c’ est que l’armée de la Republika Srpska n’aurait pu
faire droit à sa demande. Elle ne contrôlait pas, après tout, le territoire du Kosovo où habitait sa
femme, elle ne possédait pas de logements à Belgrade, où il souhaitait que sa femme puisse
déménager, et Krstic a donc dû passer par la voie hiérarchique de la Republika Srpska en sachant
que sa demande serait, comme il le dit au para graphe 4, transmise par l’intermédiaire du 30 ecentre
du personnel ⎯centre de la VJ spécifiquement mis en place pour traiter les questions
d’administration et de personnel intéressant les offici ers de la VJ qui servaient alors dans les rangs
de la VRS. Je ne vois donc rien de remarquable à son choix de destinataires et rien non plus de
e
remarquable à ce que sa demande soit soumise par l’intermédiaire du 30 centre du personnel, pour
reprendre ses termes. Ce que je trouve en revanc he remarquable, c’est que les deux armées aient
entretenu des liens aussi étroits.
M. BROWNLIE: Je voudrais maintenant passer au document 18, l’un des nombreux
documents relatifs aux formes de coordination entr e les deux armées. On y trouve une référence
aux opérations concernant Skelani. Pouvez-vous me dire où se trouve Skelani ? - 37 -
Le général DANNATT: Skelani se trouve dans la vallée de la Drina. Skelani est ici
regroupé avec Zvornik et Bratunac, qui relèvent globalement de la même zone.
M. BROWNLIE : Que savez-vous des offensiv es menées par les forces musulmanes tout au
long de la période allant de la fin de l’année 1991 au début du mois de juillet 1995 ?
Le général DANNATT: Madame le président, je ne prétends pas connaître le détail de ces
opérations en particulier, mais je sais de manière générale ⎯ je n’en suis absolument pas surpris ⎯
que, dans la vallée de la Drina, il n’y a pas eu seulement, comme indiqué ici, des attaques des
forces serbes, mais également des contre-attaques et des offensives lancées par les Musulmans de
Bosnie. Dans une situation de guerre, il n’y a ri en d’étonnant à ce que chaque partie lance de
42 temps à autre une contre-attaque, particulièrement lorsqu’un territoire est en jeu.
M. BROWNLIE : Il est vrai, je pense ⎯ mais vous pouvez le confirmer on non ⎯, que les
villages ont été attaqués, pendant longtemps, depui s l’enclave non démilitarisé e de Srebrenica. Je
crois que vous avez mentionné ce fait dans le cadre de votre déposition en l’affaire Krstic.
Pouvez-vous le confirmer ?
Le général DANNATT : Madame le président, je peux assurément le confirmer. La zone de
e
Srebrenica était censée avoir été démilitarisée, mais il est avéré que des membres de la 28 division
de l’armée bosniaque demeuraient dans l’enclave. Ils n’auraient pas dû s’y trouver, mais les forces
de l’Organisation des NationsUnies présentes dans la zone de Srebrenica, soit parce que leur
mandat n’était pas suffisamment étendu soit par manque d’effectifs, n’ont ni chassé ni désarmé ces
forces. Dès lors qu’elles se trouvaient là, il n’y a, selon moi, rien de surprenant à ce qu’elles aient
de temps à autre lancé des attaques contre les zones serbes voisines.
M. BROWNLIE : Je vous remercie. Convenez-vous qu’en 1995 ⎯ en avril, je crois ⎯, les
forces de la Republika Srpska et les forces de l’autre rive ⎯ la rive serbe de la Drina ⎯ ont mené
des opérations conjointes concernant Skelani ?
Le général DANNATT: Madame le prési dent, j’aurais tendance à répondre par
l’affirmative, mais je ne connais pas le détail de ces opérations. Si la prochaine question appelle
des connaissances précises, je ne serai pas en mesure d’y répondre.
M. BROWNLIE : Savez-vous que Skelani était l’un des rares villages de la zone qui n’avait
pas été conquis par les forces musulmanes ? - 38 -
Le général DANNATT : Madame le président, je veux bien croire M. Brownlie sur parole.
M. BROWNLIE: Etes-vous d’avis que, pour une raison ou pour une autre, il n’est pas
souhaitable que deux forces armées mènent des opérations conjointes ?
Le général DANNATT: Madame le président , ce n’est pas là du tout mon avis. Les
opérations conjointes entre deux armées sont souvent nécessaires, auquel cas elles sont
souhaitables. Mais, comme je l’ai déjà indiqué en m’appuyant sur l’exemple relativement simpliste
de l’action menée par la coalition en Iraq en 2003, ces opérations sont tout à fait légitimes dès lors
que les intentions politiques et les ambitions po litiques de deux gouvernemen ts sont parfaitement
identiques. J’ai, à l’occasion d’une précédente a ffectation, voici deux ou trois ans, commandé le
corps de réaction rapide de l’OTAN, et j’avais s ous mes ordres des soldats de dix-sept nationalités
43 différentes. Il va sans dire que les opérations que j’aurais pu être amené à lancer auraient été
organisées avec l’accord tacite ⎯non, avec le plein accord ⎯ des dix-sept gouvernements
concernés. Rien d’étonnant, ni de critiquable, à des opérations conjointes en tant que telles.
M. BROWNLIE : Madame le président, voilà qui clôt mon contre-interrogatoire.
Le PRESIDENT : Je vous remercie, Monsieur Br ownlie. Eh bien, Madame Korner, compte
tenu du temps qui nous reste, je pense que vous p ouvez procéder, si vous le souhaitez, à un nouvel
interrogatoire ⎯ qui devra être très bref.
Mme KORNER : Je voudrais juste revenir sur la toute dernière question abordée. Général,
plusieurs questions vous ont été posées à propos de s opérations conjointes, et vous avez expliqué
que de telles opérations se révé laient souvent nécessaires et souhaitables dès lors que les
gouvernements étaient animés par les mêmes inte ntions politiques. Voyez-vous la moindre
différence entre ce cas de figure-là et ce que vous avez, vous, dit à la Cour à propos des trois
opérations conjointes suivantes : celle de Srebreni ca, celle de la Drina en 1993 et celle dénommée
opération PAUK ?
Le général DANNATT: Madame le président, je crois que la très nette différence entre le
type d’opérations conjointes que j’ai décrites et les opérations conjointes que nous avons évoquées
cet après-midi tient à ce que l’intention derrière les opérations menées conjointement par,
essentiellement, telles ou telles forces serbes tenda it tout entière à la réalisation d’un dessein - 39 -
politique plus vaste consistant à créer un Etat serbe réunissant le peuple serbe, au-delà des
frontières géographiques de ce qui était alors la Répub lique de Serbie. Et il s’agit là, selon moi, du
genre d’opérations conjointes totalement immotivée , et probablement illégale, deux adjectifs qui
qualifient assez justement le conflit dans cette ré gion troublée de que nous appelons aujourd’hui
l’ex-Yougoslavie. C’est, je crois, l’un des grands motifs de honte des années quatre-vingt-dix que
ce pays, jusque-là prospère, se soit décomposé en ses républiques respectives par la force des
armes. Ces opérations militaires conjointes avaient donc quelque chose de vraiment répréhensible,
parce que l’intention sous-tendant l’union de ces forces était ⎯ je pense qu’il ne m’appartient pas
d’en dire plus, je vais et, je crois, m’en tenir là.
Mme KORNER : Je vous remercie, général. Je vous remercie, Madame le président.
Le PRESIDENT: Merci. La Cour va maintenant se retirer, mais les Parties et le
généralDannatt sont priés de rester à proximité de la grande salle de justice. Si la Cour souhaite
poser des questions au général Dannatt, elle reviendra dans la salle d’audience d’ici
44 quinze minutes. Dans le cas contraire, elle n’y retournera pas, et le Greffe en informera les Parties,
l’expert et le public. L’audience est à présent levée.
L’audience est suspendue de 17 h 10 à 17 h 35.
Le PRESIDENT: Veuillez vous asseoir. Le général Dannatt pourrait-il venir nous
rejoindre? Je vous remercie. Général, nous avons plusieurs pe tites questions pour vous, et je
commencerai par celle que je souhaite moi-même vous poser. Pensez-vous que les effectifs de
laVRS présents en Bosnie agissaient sous le contrôle spécifique ou, po ur telle ou telle opération
particulière, conformément à des instructions expr esses, des autorités de Belgrade, ou que celles-ci
exerçaient plutôt un contrôle d’ensemble, leur laissant une certaine marge de manŒuvre? Et sur
quels éléments fondez-vous votre réponse ?
Le général DANNATT: Madame le président, je pense que l’intention principale, que j’ai
évoquée cet après-midi, émanait quant à elle de Belg rade. Dans le courant de l’après-midi, j’ai
notamment évoqué les changements apportés, au sein de la JNA, pour donner à la VRS les moyens
de se constituer en une armée indépendante, opérant sur le territoire de la Bosnie-Herzégovine. Je - 40 -
pense donc que l’intention globale était une inte ntion commune aux dirigeants de ce qui allait
devenir la République de Serbie et à ceux de ce qui était alors la République serbe de Bosnie.
S’agissant du degré d’autonomie, je dirais que la VRS jouissait d’une certaine indépendance, mais
que ses actions participaient de l’intention globale et que les opérations qu’elle menait étaient donc,
si vous voulez, des moyens de l’amener à se concré tiser. Je dirais donc que le contrôle quotidien
des opérations était exercé par le général Mladic et l’état-major général de la VRS, mais que
l’objectif global était un objectif qui avait été in itialement conçu à Belgrade, et que partageait, en
tout état de cause dans les premières années de la guerre ⎯les années1992 et 1993 ⎯ la
présidence serbe de Bosnie, incarnée, plus partic ulièrement, par M. Karadz ic. Par la suite, des
divergences d’intentions politiques sont apparues en tre Karadzic et Milosevic mais, d’une certaine
façon, le fait n’a quasiment aucune per tinence quand on songe au nombre de fois où le
généralMladic s’est rendu à Belgrade pour discu ter ou s’entretenir avec Milosevic. Il apparaît
donc que le contrôle des opérations avait dans une certaine mesure été délégué par Belgrade à
laVRS, comme on pourrait s’y attendre de la part d’une armée apparemment indépendante, mais
que les opérations des deux armées obéissaient à une intention commune, orchestrée initialement,
et orchestrée principalement, depuis Belgrade.
45 Le PRESIDENT : Je vous remercie. Je reviens, si vous me le permettez, au second volet de
ma question. Sur quels éléments, autres que la fréquence des visites que vous avez évoquées,
fondez-vous la réponse que vous venez d’apporter ?
Le général DANNATT: Madame le président, je pense aux manifestations concrètes, dont
j’ai apporté la preuve cet après-midi, d’aide appor tée au personnel, de sou tien matériel, de soutien
logistique en particulier, et à l’existence des opé rations conjointes. S’il était jugé nécessaire et
opportun de réunir dans le cadre d’opérations conjointes les éléments de deux ou trois armées, je
pense que c’est… il y a de nombreux exemples attestan t un désir constant de parvenir à concrétiser
cette intention par le biais d’opérations conjointes et d’un soutien permanent de la VJ à la VRS.
Le PRESIDENT : Je vous remercie. J’invite maintenant le juge Koroma à poser sa question. - 41 -
Le juge KOROMA : Général, je vous suis r econnaissant de nous avoir donné votre point de
vue militaire sur cette question. Dans vot re exposé, vous avez indiqué que c’était l’intention de
garantir aux Serbes un territoire d’un seul tenant qui était à l’origine des difficultés qu’a connues la
Yougoslavie. Pouvez-vous s’il vous plaît expliquer à la Cour ce que vous avez à l’esprit, ou ce que
vous entendez par là ? Je vous remercie.
Le général DANNATT: Madame le président, ce que je veux dire par là, c’est que
l’intention avait été affichée de voir les Serbes de souche vivre dans une partie de l’ex-Yougoslavie
qui serait d’un seul tenant. Cette partie du territo ire, ce bout de territoire, devait donc déborder le
cadre des frontières historiques de la République de l’ex-Yougoslavie, la Serbie, qui constituait
l’une des Républiques. J’ai ains i notamment attiré l’attention sur la zone de la Drina et les
50 kilomètres, sur la rive bosniaque, dont il était espéré qu’ils deviendraient exclusivement serbes.
Le désir avait été exprimé que la frontière ne suiv e pas la Drina, mais soit fixée à l’intérieur des
terres, dans le territoire de la Bosnie ⎯le fait est avéré, et je n’y ai pas fait référence cet
après-midi. Donc ce que je voulais dire, en r éalité, c’est qu’il existait un désir de voir la nation
serbe occuper un espace géographique et créer un Etat serbe qui excéderait les limites de la seule
République de Serbie.
Le PRESIDENT : Je vous remercie. J’invite maintenant le juge Tomka à poser sa question.
46 Le juge TOMKA: Je vous remercie, Madame le président. Général, je voudrais vous
remercier d’avoir bien voulu nous apporter vos lu mières. Et, si je comprends bien, vous êtes
spécialisé en commandement et contrôle militaires, et ne possédez pas seulement des connaissances
théoriques mais également, et to ut particulièrement, une expérien ce pratique considérable. J’ai
donc deux questions à vous poser. D’après les info rmations dont vous disposez, l’armée nationale
yougoslave ⎯ autrement dit l’armée fédérale ⎯ était-elle, entre la fin de l’année 1991 et la fin de
l’année 1995, subordonnée aux autorités gouvernem entales de la République fédérale de
Yougoslavie, ou ⎯ peut-être devrais-je dire et/ou ⎯ aux autorités gouvernem entales de la Serbie,
elle-même l’une des entités cons titutives de la fédération? Et, deuxièmement, avez-vous eu
connaissance d’ordres spécifiques donnés par les autorités gouvernementales de la République - 42 -
fédérale de Yougoslavie, ou de la Serbie, aux commandants de l’ armée de la Republika Srpska,
la VRS ? Merci.
Le général DANNATT: Madame le président, je commencerai par la première question.
J’ai peut-être utilisé sans grande rigueur le terme Serbie, par opposition à celui d’ex-République de
Yougoslavie, mais d’après mes lectures et les in formations que j’ai recueillies en préparant mon
exposé, il ne m’a guère paru utile de faire la distin ction entre la Serbie et l’ancienne République de
Yougoslavie, notamment parce que la seule véri table autre composante de celle-ci était le
Monténégro, et que la personnalité dominante était M. Miloševi ć, et ce, presque indépendamment
des fonctions qu’il occupait à Belgrade, dans le cadre de la République de Serbie ou celui de
l’ex-République de Yougoslavie ⎯ incluant donc le Monténégro. Je ne fais donc, je pense, guère
de distinction, mais je répèterai que la personnalité dominante était selon moi M. Milošević.
Quant à votre seconde question, il s’agit, si j’ai bien compris, Madame le président, de savoir
si je possède la preuve d’ordres directs. Non, je ne la possède pas. Mais je ne m’attendrais pas à
trouver trace écrite de tels ordres. Je ferai deux observations, en répétant, dans les deux cas, ce que
j’ai déjà dit: le processus, en quatre étapes, deconversion d’une intention en opérations tactiques
ne requiert pas la formulation d’ordres précis, mais celle d’une intention qui est ensuite traduite
dans des actes. Et je dirais que l’intention, ém anant du plus haut niveau, fut ensuite répercutée à
celui de la conduite militaire-stratégique tant de la Republika Srpska que de la République de
Serbie, puis à l’échelon immédiatement inférieur, celui de la conduite opérationnelle, pour se
concrétiser en activités sur le terra in. C’est l’un des aspects de ma réponse. L’autre aspect, plus
important encore, est ⎯je le répète une fois de plus ⎯, outre les fréquentes visites du
47 général Mladić à Belgrade, et ses conversations avec M.Miloševi ć, que le généralNovakovi ć,
commandant du groupe opérationnel PAUK, semble s’être lui aussi fréquemment rendu à Belgrade
⎯ce dont j’ai fait mention à propos de l’opératio n PAUK autour de Bihac, en 1994-1995. Il
n’était donc pas nécessaire de formuler des ordres, mais l’intention était, je pense, régulièrement
précisée, et elle était alors transmise de haut en bas de la chaîne des deux pays, et même du
troisième, si l’on ajoute la République de Kraïna serbe. - 43 -
Le PRESIDENT: Je vous remercie. Je voudr ais remercier le général Dannatt d’avoir
comparu devant la Cour. Voilà qui clôt l’auditio n des experts cités par la Bosnie-Herzégovine. La
Cour se réunira le mercredi 22 mars 2006 à 10 heures pour entamer l’audition des témoins et
témoins-experts appelés par la Serbie-et-Monténégro. L’audience est à présent levée.
L’audience est levée à 17 h 30.
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Traduction